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Ce blues des colonies qui nous habite…

Comment s’en défaire? S’agit-il même de s’en défaire, de l’apprivoiser, de l’intégrer à notre être,
d’en faire une part d’identité? Identité contestée, certes, mais réappropriée?

À défaut de pouvoir répondre à cette question de manière unanime, venez, on se le raconte ce


blues.

Venez, on le nomme, on l’écrit, on le crie, on le dessine, on le crache, on le chante, on le rappe,


on le peint.

Venez, on s’en déprend.

Déprise douloureuse, mais ô combien salvatrice.

Enfin, c’est ce que nous pensions, mais tous les programmes de décolonisation ne se valent pas.

Nul doute que la dénonciation de la dimension psychoaffective du colonialisme, sur laquelle


cette revue insiste beaucoup, demeure essentielle, mais il ne faut pas condamner la lutte
décoloniale à une simple position de métaphore temporelle. Que signifie cette décolonisation
symbolique pour les terres et les peuples toujours colonisés? C’est précisément cette
Cette première édition est dédiée à la célébration de tous 3
2 critique que font les études autochtones. Ces dernières contestent l’application des études
ceux et toutes celles pour qui la décolonisation n’est pas une
postcoloniales à leur situation, car celles-ci situent leurs histoires après le colonialisme,
métaphore, mais une lutte territoriale, quotidienne, psychique alors qu’il y a nécessité de reconnaître la contemporanéité de l’entreprise coloniale. Et surtout,
et identitaire – une lutte non-héroïque. Cette initiative de transformer la métaphore temporelle postcoloniale pour lui donner un ancrage spatial.
souhaite faire l’éloge d’une résistance souterraine, celle qui
L’élaboration de cette revue aura été un exercice difficile, mais salutaire pour comprendre ce
rend possible le voyage de la perte de soi au regain de soi.
que notre propre activisme signifiait réellement. Le processus a été pavé de questionnements,
de remises en question et de doutes quant à notre compréhension du fait décolonial, qui s’est
avéré être lui-même pris dans un désordre conceptuel, à l’image de ce programme de désordre

Notre objectif en est un de dialogue entre divers.es absolu qu’est la « sortie de la grande nuit » pour Frantz Fanon.

acteurs.trices : celles et ceux issu.e.s de l’immigration


En espérant que cette revue puisse au moins vous renseigner sur la richesse des idées de celles
postcoloniale, et celles et ceux qui font l’expérience toujours et ceux qui ont répondu à l’appel. Après tout, avec une étincelle on peut faire un feu.
actuelle des pratiques coloniales. Il s’agit autant de s’élever
Bonne lecture décoloniale.
contre le colonialisme d’installation, qui pose la question
décoloniale comme enjeu territorial, que d’interroger les
imaginaires coloniaux à l’oeuvre dans nos rapports sociaux.
Solidairement,
Ceci est également une proposition de dialogue entre les
disciplines, par l’entremise de différentes formes de création. L’équipe du Collectif d’Études Francophones Postcoloniales
À BAS a r
Am Kif
Lila

L’ART
LE
No white savior. No

existence et se donn
de nos pinceaux ass

No white savior. No
us n’accepterons plu
de la part des institu
Francophonie, l’Uni,
tions monochromes
tout ça c’est kif-kif.
ent l’importance d’u
oiffés de couleurs.

tre identité se const


s ni injonction ni ma
sclérosées. L’Acadé
Tous.tes celleux qu
ne majuscule passe

ruit à l’arrière-scène
in tendue
mie, la
i nient notre
ront au crible

Pendant que vous de la vôtre.


vous adonnez à vo
s fades discours en
nos décors qui en pâ vous appropriant
lissent d’opprobre,

MANIFESTE
nous nous taisons,
détonner dans tou prêt.e.s à
t ce beige ambiant.

Notre No white savior. Vo


us vous effondrerez
, votre 5
4
DES
effronterie y comp
identité se coloriage qui s’ann
ris, face à l’impétue
once. Notre couleur
ux
n’est
construit pas au service de vo
malgré lui. Elle éclat
tre blanc, elle exist
e

à l’arrière-
1 001
era pour se faire val
oir,
que l’art blanc aille
se faire voir !
scène de la No white savior. Iel
s se roulent dans le
vôtre. couscous, lapent la

COULEURS
pho, graillent du gri
ot,
mais ne peuvent pa
s nous sentir.
Vous mes camarad
es, étalez vos pares
ses millénaires sur
publique où les po la place
ules blanches disco
Contre la fadeur extrême qui aseptise le Nouveau Monde, un urent sans cœur ni
comprennent enfin têt e. Qu’elles
qu’à courir pour dé
devoir de violence s’impose, explose, s’expose. L’art blanc ne passer le reste du mo
courent à leur perte nde, elles
sauve plus personne, répétez après moi : no white savior. . Ne les écoutez pa
s, ralentissez, cultiv
votre tasse de thé, ez l’ennui et
prenez un bain au
lieu du train. Enfan
d’ailleurs, entende ts d’Afrique et
L’hégémonie culturelle blanchâtre et assimilationniste n’a plus sa z les tambours, cesse
z de vous mettre à
la poussière, ce n’e genoux dans
place sur la toile du monde, qui crie et crache sa douleur pendant st plus Mozart qui
vous appelle, savan
c’est Moussa qui vo t et monotone,
que des blancs-becs au ventre trop plein font la douillette en us crache aujourd’
hui sa fanfare, c’est
répand en salves de Mina qui
coton, se crissent de la poudre dans les yeux, les oreilles et le nez. s youyous à faire ret
ourner l’art blanc da
Le mouvement est ns sa tombe.
Qu’iels se la mettent là où ça fesse. plus important que
l’idée, il faut danse
bouger bouger, c’e r, tou rnoyer,
st ça qui est la vérité
!
À BAS L’ART BLANC
not clarity.
La vérité moi je vous la dis : art requires truth, AMAR LILA KIF
vos mains, prenez
Camarades, cassez la blanche craie qui salit
l’autocensure, travaillez
l’arbalète et faites tourner les feutres. Nique
Vivid colours for violent ideas. Votre monde condamné à
votre âme à celle de leur
à la culture, ne substituez pas la couleur de
montrez vos langues, perpétuité, l’avenir est à nous, la couleur est notre arme. Nous
argent, ne blanchissez pas ce qui vous est dû,
craché partout, ne envahirons les rues, blindé.e.s de seaux de peinture, prêt.e.s à
le feu des couleurs vivaces n’attend que d’être
z d’être avalé.e.s balancer notre mixture sur les murs blanchis à la chaux par vos
demandez plus la permission de souiller, cesse
version proprette les soins d’exterminateurs.trices. Rien ne nous échappera, pas un
par l’immaculé bien-pensant qui régurgite en
chauffée à blanc, ne trottoir, pas une voiture, pas un rempart, aucun espace blanc
meilleur.e.s d’entre nous. Sa langue châtiée,
s colorées. ne sera épargné, notre passage doit être marqué et remarqué.
satisfait plus aucune des volontés de vos réalité
Regardez-nous, sauvages sorti.e.s de leur cage, tracer de notre
est notre butin de
Demandez à Kateb, à Kourouma, le français propre sang ce message : Édouard m’a tuer.
Nos cultures de
guerre, notre patois, sa ka fet, wesh ça va ?
haut et fort, sa mère. Vite, il faut nous rajouter. Depuis des lustres maintenant, nous
couleurs primaires méritent d’être scandées
ur.se.s ? Notre demandons à être écouté.e.s. Nous, travailleurs.ses au noir au
Où sont mes rappeur.se.s ? Où sont mes slame
de la quitter, nos rire jaune, rouges de honte, bleu.e.s par manque d’air et vert.e.s
poésie a arrêté l’école et ses murs blêmes avant
Nous venons nous de rage, en avons fini avec le blanchissage. Nous sommes
paroles de diversité censurées par l’université.
venu.e.s marquer, de but en blanc, notre territoire dérobé. Nous
t de trop nombreux
réapproprier ce qui nous a été enlevé duran
s tacher de l’encre sommes venu.e.s arracher du bout de nos ongles peinturlurés les
siècles de propagande décolorée. Nous venon
venons maculer colliers de perles dépassés des bourgeoises endimanchées. Nous
de nos stylos vos poésies alambiquées. Nous
systém ique des sommes venu.e.s en survêt envahir les musées. Nous sommes
la propreté statique, systématique et
venu.e.s remplumer la colombe de paix qui fait cruellement pitié.
6 institutions littéraires rachitiques. Gardez vos
leçons, vos 7
r la paniq ue tant que
polémiques, nous tâcherons de seme La ville blanche de noir vêtue doit se répandre en mille et une
vos problèmes seront nos solutions. couleurs. Neige de confettis, chaque flocon un morceau de notre

e. Le ghetto en vie pour embellir la vôtre.


Nous sommes chocolat et cerise sur le sunda
sa part du gâteau, le
mission pour votre démission vient prendre Vous avez-tu compris?
éclatera sur tous les
glas a sonné pour la hass. La couleur-attitude
préserver vos neiges
parapets dont vous nous avez entouré.e.s pour
histoire de corriger vos
d’antan, injectera son venin chaud bouillant
gues à force de pisser
Amar
airs blafards, de ne plus voir vos visages exsan
dansera partout où il
le sang des autres. Notre pluralisme délirant
n’est plus permis de danser. Il faut bien se récha
uffer, bordel ! L il a K if
ur de la Blanche

VOUS
Chanter, saluer sans connaître, refuser la froide Citoyenne du monde, Amar Lila
de blanc moderne, de
Province, de Cate la Blanchette, du trop-plein Kif vit entre Montréal et le ciel.
pays ce n’est pas la
ces temps voués aux idoles ternes. Non, notre

AVEZ-TU
Elle souhaite ne jamais oublier
blancheur, notre pays ce n’est que l’hiver. les ressentis qui l’ont pétrie,

COMPRIS?
roses et plus moroses. C’est
pour marier la vie et la prose
qu’elle écrit depuis sa naissance.
Retrouvez ses bribes sur son
compte Instagram : @amarlilakif
LES
PENSIONNAIRES
AUTOCHTONES:
une lecture du
film canadien
Nous n’étions
Nous n’étions que des enfants (2012) de expriment leur révolte contre le système qui
Tim Wolochatiuk est un film documentaire les avait assujettis. Historiquement, ce film

8 que des canadien qui reconstitue des histoires vraies


d’anciens élèves des pensionnats autochtones
s’inscrit dans la narration d’un trauma qui
a touché 150 000 enfants de 1850 à 1996,
9
enfants grâce aux témoignages de deux survivants. date de la fermeture du dernier pensionnat
autochtone au Canada. À la sortie du film, on
(2012) de Tim
Les deux pensionnaires ont fréquenté leur
établissement éducatif respectif à la même comptait 80 000 survivants des pensionnats,

Wolochatiuk
année, en 1958 : Lyna Hart, un pensionnat de et le débat sur la réconciliation était déjà
jeunes filles au Manitoba, et Glen Anaquod, commencé.
une école mixte en Saskatchewan. En effet, à
Nous lisons dans le rapport final de la
l’époque, la loi forçait les parents à scolariser
Commission de vérité et réconciliation
leurs enfants dans ces établissements

Hanen
Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir :
répressifs et la société n’était pas encore
consciente de l’ampleur des crimes qui se L’établissement et le fonctionnement des

Allouch
commettaient dans ces prisons éducatives, pensionnats ont été un élément central
de cette politique, que l’on pourrait
qui ont plus trait aux camps de concentration
qualifier de « génocide culturel ». Un
qu’aux écoles ordinaires. génocide culturel est la destruction
des structures et des pratiques qui
Le récit filmique en tant que forme de permettent au groupe de continuer à
témoignage de survivants et en tant vivre en tant que groupe. Les États qui
s’engagent dans un génocide culturel
qu’espace de prise de parole pour des sujets
visent à détruire les institutions politiques
jadis opprimés constitue un acte décolonial et sociales du groupe ciblé. (Commission
par lequel les victimes brisent le silence et de vérité et réconciliation, 2015, en ligne)
DÉCOLONISER LES PENSIONNAIRES
AUTOCHTONES
Les survivants HANEN ALLOUCH

Le pensionnat autochtone ne se limite pas à sa semblent


observer les
fonction d’établissement éducatif, puisqu’un
pouvoir s’y exerce sur la vie des pensionnaires
inuits, métis et des Premières Nations que l’État
souhaite assimiler aux non-Autochtones. Cet
reconstitutions
espace procède au quadrillage de la culture
qu’il anéantit, sous prétexte d’accomplir une
filmiques de
action salutaire. Les interdits des langues et leurs propres De nombreuses scènes d’agressions physiques et morales viennent ponctuer le
des croyances religieuses autochtones font du quotidien des pensionnaires, dont les aseptisations, notamment les rituels de
pensionnat un espace de déterritorialisation et histoires [...] douche forcée et des cheveux coupés très courts et poudrés d’insecticides : « Je
de dispersion qui oblige l’élève à endosser le sentais les ciseaux. […] Je sentais qu’elles m’enlevaient quelque chose, qu’elles me
masque d’une nouvelle identité. dépouillaient de mon humanité et du sens de mon identité. » (Wolochatiuk, 2012) Le
spectateur assiste à de nombreux moments d’endoctrinement où tout un imaginaire
Pour rendre compte de l’expérience du Le film de Wolochatiuk s’inscrit dans la
de la purification est transmis aux enfants autochtones qui voient leur culture
pensionnat, Wolochatiuk choisit d’alterner perspective de la valorisation de l’écoute
associée à l’impureté et au sacrilège. Par exemple, Lyna apprend de l’une de ses
deux modes narratifs qui consistent à et du témoignage sur lesquels se base la
camarades que sa peau n’est pas blanche parce qu’elle est « sale » (Wolochatiuk,
interviewer les survivants et en même temps à réconciliation avec les peuples autochtones,
2012), et une autre camarade lui montre une fresque qui représente l’enfer
recréer leurs expériences grâce au jeu d’ailleurs toujours colonisés. Sa caméra se met
pour la convaincre que ses croyances l’y conduisent. Ces stéréotypes de la
10 des acteurs. Les survivants semblent au niveau des enfants et restitue leur vision
souillure et du châtiment reviennent dans de nombreuses autobiographies, 11
observer les reconstitutions filmiques d’un monde éducatif où leur identité et leur
par exemple, dans Geniesh de Jane Willis où ce rapport au corps est au
de leurs propres histoires, dans une vie sont menacées. Le récit filmique réhabilite
centre de l’expérience déshumanisante du pensionnat. Dans son article
sorte d’illustration des témoignages. Le film la subjectivité des pensionnaires en valorisant
“Unbecoming a ‘dirty savage’”, Linda Wareley montre à quel point le pensionnat
débute avec le cadrage panoramique d’un leur vision et leur prise de parole. En effet, la
endoctrine l’enfant et lui renvoie une image péjorative de son propre corps.
champ agricole et d’une petite maison. Par caméra se fait la complice de ces enfants qui
la suite, on assiste à une scène où une mère évoluent dans un univers similaire au monde Au pensionnat filmé par Wolochatiuk, le
aide sa petite fille à prendre son bain, en carcéral, avec ses dortoirs, ses douches prénom de Lyna cesse d’exister au profit
l’informant de la préparation de sa valise. collectives et l’absence totale d’intimité.
Les cheveux du numéro 99 qui sert à l’identifier parmi
« Tu écouteras ce qu’ils te diront. Fais la bonne coupés et en ses camarades. Les cheveux coupés et
fille » (Wolochatiuk, 2012), lui dit-elle. Hector uniforme, placée en uniforme, placée face à un miroir, elle
Langevin, ministre des Travaux publics du face à un miroir, elle ne reconnaît plus sa propre image. Dans
Canada en 1883, affirme clairement la nécessité
ne reconnaît plus le sous-sol de la maison des prêtres,
de rompre avec les traditions autochtones dans Glen se décrit en train de pleurer dans la
le but de « civiliser » les enfants. En effet, cette
sa propre image. posture d’un fœtus. En ce sens, l’entrée au
rupture s’inscrit dans une politique d’État et ce pensionnat semble impliquer un nouveau
qui est entendu par l’acte de « civiliser » stade du miroir que Lacan définit initialement comme « une identification au sens
est l’assimilation des enfants autochtones à plein que l’analyse donne à ce terme : à savoir la transformation produite chez
un idéal non autochtone dans le cadre d’un le sujet, quand il assume une image » (Lacan, 1949, en ligne). Face au miroir, les
génocide culturel organisé principalement dans pensionnaires traumatisés rejettent un soi ancien et se battent pour assumer leur
les établissements éducatifs. statut de survivant aux circonstances génocidaires.
uniquement les dispositifs
du génocide culturel, mais
les agressions physiques
y sont tolérées par DÉCOLONISER LES PENSIONNAIRES
AUTOCHTONES
l’impunité de leurs auteurs. HANEN ALLOUCH

Dans le film de Wolochatiuk ainsi que dans Appelons relation d’exception cette forme Selon le témoignage de Lyna, les enfants sont violés à l’infirmerie.
les témoignages publiés par la Commission extrême de la relation qui n’inclut quelque Le viol placé dans le milieu médical devient une forme
chose qu’à travers son exclusion. La
de vérité et réconciliation, les pensionnaires d’aseptisation symbolique de l’autochtone par l’homme blanc. La
situation créée dans l’exception a donc ceci
vivent l’interdiction des langues autochtones et de particulier qu’elle ne peut être définie ni dimension hétérotopique du pensionnat autochtone réside dans
subissent des sanctions suite à l’usage d’autres comme une situation de fait ni comme une cette supposée purification qui lui est associée en tant qu’espace
situation de droit. Elle institue plutôt entre
langues que le français ou l’anglais. Dans le d’immunisation forcée. Citons Foucault à ce propos :
celles-ci un seuil paradoxal d’indifférence.
film, les enseignants ne cessent de rappeler à Elle n’est pas un fait, car elle est créée En général, on n’entre pas dans une hétérotopie comme
leurs élèves qu’ils ne parlent pas « la langue de uniquement par la suspension de la norme; dans un moulin, ou bien on y entre parce qu’on est contraint
Dieu » (Wolochatiuk, 2012), et que leur prise mais, pour cette raison même, elle n’est (les prisons évidemment), ou bien lorsque l’on s’est soumis
pas non plus un cas d’espèce, même si elle à des rites, à une purification. Il y a même des hétérotopies
de parole dans leur langue maternelle relève
fonde la possibilité d’une mise en vigueur entièrement consacrées à cette purification mi-religieuse et
du sacrilège. Celui qui défie l’interdiction de la loi. (Agamben, 1995, 26) mi-hygiénique, comme dans les hammams de musulmans,
de sa langue s’expose à divers châtiments ou comme le sauna des Scandinaves, purification seulement
physiques, par exemple, s’agenouiller et tenir Dans les pensionnats autochtones, les relations hygiénique, mais qui entraîne avec elle toutes sortes de
sa langue pendant plusieurs heures, sous le d’exception consistent en la suspension des lois valeurs religieuses ou naturalistes. (Foucault, 1966, 32)

regard humiliant des surveillants. En effet, ce de la protection et du respect de la personne.


En effet, le pensionnat autochtone est par excellence le lieu d’une
type de récit de châtiments constitue Par exemple, dans le film de Wolochatiuk,
purification, à la fois religieuse et hygiénique, ce qui en fait une
un lieu commun des témoignages des les auteurs des séries de viols dans les deux
12 établissements fréquentés par Lyna et Glen
hétérotopie régie par ses propres lois et ses propres identités. 13
survivants publiés par la Commission de
Cet établissement provenant de la culture coloniale prend en
vérité et réconciliation. n’ont jamais été punis. La loi de l’exception
charge la vie des élèves autochtones, tout en tentant de les
invalide la distinction entre le légal et l’illégal
Au pensionnat, espace thérapeutique et soigner de leur propre identité et de protéger les autres du risque
dans le pensionnat autochtone, qui est censé
thanatologique, les enfants autochtones de contagion. Au-delà d’une fonction éducative que
protéger la société non autochtone d’une
le pensionnat ne joue pas, ce lieu prend la forme
semblent soignés de leur culture. Il est vrai culture ancestrale prétendument dangereuse.
d’une institution thérapeutique et orthopédique qui
Le viol placé
que la mission de ces pensionnats est surtout
le génocide culturel, mais les liquidations
Dans cette optique du pouvoir exercé sur la vie
combat les spécificités des identités autochtones dans le milieu
des enfants, le projet d’immunisation mis en
physiques et les viols accompagnent les place dans le pensionnat consiste à contenir une
considérées comme des formes de souillure. Cette médical devient
dispositifs d’aseptisation culturelle. Le cadre supposée épidémie associée à la vie autochtone.
purification opère par la mise en place d’un dispositif une forme
légal protège uniquement les dispositifs En d’autres termes, il s’agit d’empêcher les
de violence institutionnelle permettant d’agir de
d’aseptisation
manière concrète sur les identités autochtones, par
du génocide culturel, mais les agressions pensionnaires autochtones de garder les germes
l’interdiction de la conservation et de la transmission
symbolique de
physiques y sont tolérées par l’impunité de leurs d’une culture jugée dangereuse qu’ils pourraient
de l’héritage ancestral. En ce sens, le film participe
l’autochtone par
auteurs. Agamben parle dans ce sens « d’une
relation d’exception » qu’il définit comme suit :
transmettre à la société. Dans cette aseptisation
d’une mouvance de libération des enfants, en tant l’homme blanc.
massive, la relation d’exception fait en sorte
que sujets subalternes placés sous le joug d’un
que tout est permis, y compris les violations des
trauma colonial. L’expérience créatrice permet une réconciliation
droits de la personne.
et de nouveaux modes de coexistence qui passent par le médium
filmique, transmettant à la fois une rébellion légitime et une
Le cadre légal protège volonté humaniste de réhabilitation des identités autochtones.
uniquement les dispositifs
du génocide culturel, mais
les agressions physiques
y sont tolérées par
DÉCOLONISER LES PENSIONNAIRES
AUTOCHTONES
HANEN ALLOUCH

Filmographie
et
bibliographie
Hanen
Allouch
AGAMBEN, Giorgio. Moyens sans fins : notes sur la politique, pour la traduction Hanen Allouch est docteure en littérature
française, Paris : Éditions Payots & Rivages, 1995. comparée de l’Université de Montréal
(2019). Sa thèse porte sur les problèmes
COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, Honorer la
du biopouvoir dans les représentations
vérité, réconcilier pour l’avenir, Sommaire du rapport final de la Commission
littéraires et filmiques du milieu
de vérité et réconciliation du Canada. 2015. URL : http://nctr.ca/fr/reports.php
éducatif. Elle est également docteure en
14 [Consulté le 10/02/2020].
littératures françaises du 20e siècle de 15
FOUCAULT, Michel. Le Corps utopique, suivi de Les Hétérotopies, Paris : l’Université de la Manouba et sa thèse

Nouvelles Éditions Lignes, 2009, conférences radiophoniques prononcées par porte sur l’écriture de l’empêchement

Michel Foucault, les 7 et 21 décembre 1966 sur France Culture. dans l’œuvre de Louis-René des Forêts
(2016). Elle s’intéresse aux théories
LACAN, Jacques. « Le stade du miroir comme formateur de la fonction de la biopolitique, à la philosophie
du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique ». de l’éducation, au cinéma arabe, à la
Communication faite au XVIe Congrès international de psychanalyse, à Zürich, francophonie comparée et à la création
le 17 juillet 1949. URL: http://espace.freud.pagesperso-orange.fr/topos/psycha/ littéraire et artistique italienne. Elle
psysem/miroir.htm [Consulté le 10/02/2020]. a participé à diverses manifestations
scientifiques internationales et a publié
WARLEY, Linda. Unbecoming a ‘dirty savage’: Jane Willis’s Geneish: An Indian
de nombreux articles au Canada, en
Girlhood. Canadian Literature 156 (1998): 83–103.
Tunisie, en France, aux États-Unis et en

WOLOCHATIUK, Timothy. We Were Children/ Nous n’étions que des enfants. Espagne. Elle a remporté de nombreux

Film canadien : 83 minutes, 2012. prix dont le prix Bobi Bazlen en études
culturelles italiennes comparées.
16 17
B e n j a m i nael u s a
L a i n i Lu s
18 19
Benjamine Laini Lusalusa est
une militante décoloniale.
Elle est belgo-congolaise et
vit en Belgique.
Q U E
R
POU NT LES La résurgence

V I V E R E S
autochtone
serait selon lui
M I È
PRE IONS,
essentiellement « Pour que vivent les

ancrée dans la terre [...] Premières Nations,

N AT
le capitalisme doit

E
mourir » . C’est bien la conclusion à laquelle arrive Glen
1

M
Sean Coulthard dans son ouvrage Red Skin, White Masks. En

LE A L I S s’inspirant de la théorie marxiste, précisément de la logique

I T
1
Coulthard, Glen. Red Skin, de l’accumulation primitive de capital, il fait une critique

CA P
White Masks: Rejecting
sociohistorique du capitalisme avancé en soulevant les
the Colonial Politics of

I L
Recognition (University of problématiques de la reconnaissance autochtone. La résurgence

T -
DOI RIR ?
Minnesota Press, 2014), autochtone serait selon lui essentiellement ancrée dans la terre,
p: 173
donc fondamentalement en opposition avec la culture capitaliste.2

20
M O U Ainsi, l’abolition du capitalisme serait une condition absolument
nécessaire à la pleine reconnaissance et à la résurgence des
Premières Nations. Ce préalable s’appuie essentiellement sur trois
21

postulats fondamentaux. En premier lieu, puisque le capitalisme

r
colonial est le système par lequel l’État souverain s’est fondé, une

A b i politique de reconnaissance libérale qui faillit à démanteler les

ih
répercussions contemporaines de ce fait historique ne permet pas

S a m d’assurer une pleine reconnaissance des peuples autochtones.


En deuxième lieu, l’idée selon laquelle l’adoption du modèle

n a l y t i q ue de capitaliste est une condition nécessaire au développement est

Revue a
contrecarrée par la possibilité d’une voie économique alternative

u R o uge, au capitalisme d’État. En troisième lieu, une autodétermination

« Pea l a n cs; négociée à travers l’État colonial tente non seulement d’assimiler

ues b les peuples autochtones aux institutions coloniales, mais elle

Masq p o l i tique force également la dépendance de ces peuples à une économie

re la
capitaliste qui est aux antipodes de la relation que ceux-ci

C o n t
de la
entretiennent avec la terre.

i a l e
colon s a nce »
na i s
recon
POUR QUE VIVENT LES PREMIÈRES NATIONS,
LE CAPITALISME DOIT-IL MOURIR ?

NCE
PERSISTAAINE
ABIR SAMIH

POR
CONTEM OLONIAL
DU FAIT C ORIQUE
Coulthard définit la « politique
de reconnaissance » comme
HIST « une approche de recon-
naissance basée sur la réconciliation entre les affirmations de
nationalité des peuples autochtones et la souveraineté de l’État
colonial via l’accommodation des revendications identitaires
autochtones à travers la négociation de traités relevant des
questions sur la terre (territoire), le développement économique
et l’autonomie gouvernementale. »3 Cette approche libérale,
3
Coulthard, Glen. Red par son essence même, reste coloniale puisqu’elle demeure une seconde incapacité, celle de mettre fin à l’oppression
Skin, White Masks: structurellement investie dans la dépossession des Premières résultante de l’exploitation des colonisés et de leurs terres. Une
Rejecting the Colonial
Politics of Recognition
Nations. En ce sens, il est évident que la lutte décoloniale reconnaissance qui serait essentiellement à caractère culturel
(University of Minnesota des Autochtones est simultanément une lutte anticapitaliste. et identitaire (tel qu’avancé par Taylor) évacue l’importance
Press, 2014), p: 151
La politique de reconnaissance libérale échoue gravement d’une approche transformative des normes qui régissent la
4
Fanon, Frantz. Black à reconnaître le rôle historique qu’a joué le capitalisme dans relation au territoire, qui est intimement lié au rendement
Skin, White Masks l’accentuation des relations hiérarchiques dans le processus de économique. Pour qu’une reconnaissance mutuelle s’opère
(Pluto Press) (1991),
p: 202 reconnaissance, comme l’a justement souligné Frantz Fanon.4 dans le cadre d’un colonialisme
23
22 ratif
[...] il est impé
Étant donné qu’historiquement, le colonialisme et sa structure d’établissement, il est impératif
5
Ibid, p: 11

de corriger
socio-économique s’influencent mutuellement, toute libération de corriger l’asymétrie de ce
6
Ibid, p: 11-12 unilatérale (commandée par l’État colonial) est incomplète. 5
rapport de force.

e ce
l’asymétrie d
7
Coulthard, Glen. Red
Récupérons la proposition de Fanon, qui insiste sur une Pour ce qui est du débat opposant la

orce.
Skin, White Masks:

rapport de f
Rejecting the Colonial politique opératoire qui se doit de venir modifier les deux reconnaissance à la redistribution,
Politics of Recognition dimensions de la relation coloniale. La première est subjective; Fanon vient encore une fois
(University of Minnesota
Press, 2014), p: 35 elle concerne les attitudes et comportements des individus. déconstruire l’approche de Taylor dans la mesure où ce dernier
La deuxième, objective, concerne les normes et structures traite de la question de l’économie politique de manière
8
Ibid, p: 35
de la relation coloniale, notamment l’exploitation capitaliste strictement affirmative, c’est-à-dire dans une logique réformiste
9
Coulthard, Glen. Red
du « colonisé ».6 C’est en constatant l’échec de l’État colonial Skin, White Masks: à travers une redistribution d’État.9 Cette orientation est très
à reconnaître la dimension objective que Coulthard soulève Rejecting the Colonial populaire dans le débat public et prisée par les législateurs
Politics of Recognition
que la conceptualisation de Charles Taylor en matière gouvernementaux. C’est une manière de faire taire les
(University of Minnesota
de reconnaissance est insuffisante. En promouvant une
7
Press, 2014), p: 34 revendications de droits ancestraux des Autochtones en leur
reconnaissance mutuelle plus libérale et accommodante qui allouant quelques droits culturels et concessions territoriales
10
Ibid, p: 35
serait capable d’aborder les rapports de force typiques entre insignifiantes. Il est vrai que cette tendance pourrait réduire
les peuples autochtones et les États coloniaux, Taylor ne l’intensité des effets de la domination et de l’exploitation
s’attaque qu’à l’impact subjectif et néglige la structure objective capitaliste coloniale, mais il reste toutefois qu’elle laisserait
de la relation coloniale.8 De plus, cet échec a pour résultat intactes les structures hiérarchiques de l’économie capitaliste.10
POUR QUE VIVENT LES PREMIÈRES NATIONS,
LE CAPITALISME DOIT-IL MOURIR ?
ABIR SAMIH

’ÉC O N O MIE
VOIE D E
POLITIQUU
IVE A
de
Une pleine reconnaissance
T E R N AT peuvent tout simplement
pas s’inscrire
AL ISME l’autodétermination autoch- Les Premières Nations ne

CAPITAL
mode
car elles n’adhèrent pas au
tone devrait donc permettre dans une logique capitaliste,
duise, il
lique. Pour que cela se pro
s et de pensée que celle-ci imp
à d’autres normes et form es de rapports économique richesses
à conquérir et exploiter les
èle faudrait qu’elles cherchent
Le capitalisme comme mod
communautaires d’émerger. ent, à s’enrichir chaque jour
un peu
modes et de la terre jusqu’à épuisem
t pas compatible avec les
économique globalisant n’es osphère de compétition. Cel
a, les
besoin plus, le tout dans une atm
autés autochtones, d’où le
pratiques de vie des commun vent pas. Non pas parce qu’e
lles
Premières Nations ne le peu
nomiques au capitalisme. e en
pressant d’alternatives éco ce qu’elles conçoivent la terr
en sont incapables, mais par
la terr e
vidus font autant partie de
11
Kuokkanen, Rauna, 15
Coulthard, Glen. Red
nement
tochtone avec son environ termes relationnels; les indi
«From indigenous La relation qu’entretient l’Au Skin, White Masks:
de la ent.17
economies to market- symbiotique de protection Rejecting the Colonial que n’importe quel autre élém
based self-governance: est fondée sur une logique Politics of Recognition
valeurs
sion et d’exploitation. Les
11

a feminist political terre plutôt que de posses (University of Minnesota italiste est fondamentalem
ent
Sachant que le système cap
uelles repose le capitalisme
et relations sociales sur lesq
economy analysis», Press, 2014), p: 55 faut
e de vie autochtone, il
relation incompatible avec le mod
cumulation nécessitant une
Revue canadienne de
avancé – une logique d’ac alternative
ent une voie économique
comprendre que non seulem
science politique 44 (2011), 16
Fumoleau, Rene.
avec
ition – sont inconciliables
p: 275-297 d’exploitation et de compét Denendeh: A
d’ailleurs déjà empruntée
és13 par est possible, mais qu’elle est
é autochtone. Chez les Dén Dene Celebration,
12
l’éthos au cœur de l’identit s autochtones. Dans les
Alfred, Taiaiake, et (Yellowknife, N.W.T.: par plusieurs communauté 25
12
mencé à
24 ées 1960, la tension a com
Jeff Corntassel, « Being exemple, vers la fin des ann Dene Nation, 1984), p: 19 la nation Déné a cherché
nu par années 1970, par exemple,
indigenous: resurgences e de vie autochtone entrete
se faire sentir entre le mod ns environnementales et
against contemporary e (la
17
Allice Legat, Walking à restreindre les répercussio
de récolte basées sur la terr
colonialism », des activités traditionnelles the Land, Feeding the tractivisme capitaliste en
s par les culturelles néfastes de l’ex
te) et les revenus généré lication des
chasse, la pêche et la cueillet
Government and Fire: Knowledge and
nomie qui mettrait en app
(c’est- mettant de l’avant une éco
x et les emplois saisonniers
Opposition 40 (2005) Stewardship among the
transferts gouvernementau amment
la gouvernance Déné, not
p: 597-614 à mesure Tlicho Dene (Tucson: concepts traditionnels de
viste de l’État). De plus,
14

à-dire le capitalisme extracti dées


University of Arizona ionales décentralisées fon
itoire des structures politiques rég
Groupe culturel et tion des colons dans le terr Press, 2012), p: 5
13

que s’intensifiait la pénétra ticipatives et consen sue lles dans


linguistique étendu n sur sur la prise de décisions par
aient de plus en plus pressio
auquel appartiennent Denendeh, ces derniers fais 18
Coulthard, Glen. Red n
l’espace économique. Selo
18

plusieurs communautés
le gouvernement fédéral pou
r mettre en place des initiativ
es Skin, White Masks: Cette
ation
transform
Rejecting the Colonial Kuokkanen, la résistan ce face
du territoire, dont la plupart
du nord du Canada et
économiques dans le nord Politics of Recognition
it
gratifiera
de l’Alaska jusqu’au
durable.15 aux normes économiques
que de développement non
sud-ouest des États- s’inscrivaient dans une logi (University of Minnesota
imposées par l’État colonial
doit
de la
l’ensemble
de
Unis (Asch, Michael I., munauté Déné un sentiment Press, 2014), p: 68
Cela a provoqué chez la com
passer par la résurgence des uté
communa
“Déné”. In The Canadian
es et de son mode de vie.
perte de contrôle de ses terr Kuokkanen, Rauna,
19
Encyclopedia. Historica
ent
19
économies de subsistance.
Canada. Article published
the majority population in
«From indigenous
d’un sentim
“Although we [remained] Cette transformation gratifie
rait
ation.
d’émancip
mai 11, 2017. https://www. economies to market-
have
were finding ourselves to
thecanadianencyclopedia. Denendeh [after 1967], we . Eve ry
based self-governance:
l’ensemble de la com mun auté
ion and laws of our land
ca/fr/article/dene) less say in the administrat e
a feminist political
ion.
overed and ope ned , roa ds wer economy analysis», d’un sentiment d’émancipat
year more mines were disc ance
dril led, with out our nom ie traditionnelle de subsist
Asch, Michael. The
built, parks proposed, oil
and gas wel ls Revue canadienne de Effectivement, une éco
14

ers les
Dene Economy, (Toronto: knowle dge.”16 science politique 44 niveau de dépendance env
con sen t or ofte n our
(2011), p: 228 permettrait de diminuer le
University of Toronto rap por t de force
ement, et alors, le
Press, 1977), p: 56–58 régimes sociaux du gouvern
ilibré.20
20
Ibid t se révèlerait moins déséqu
entre les Autochtones et l’Éta
POUR QUE VIVENT LES PREMIÈRES NATIONS,
LE CAPITALISME DOIT-IL MOURIR ?
ABIR SAMIH

la
nne lles que sont la cueillette,
De plus, les activités traditio
r les
lture viendraient contrecarre
chasse, la pêche et l’agricu

IQUE DE
tiqu e
communautaire social, poli
bases du fonctionnement
E P O L I T
le gouvernement. La ges
tion en
UN ANCE
21

et économique imposé par


N N A I S S
RECO ÉRIEUR
de
de la production ou encore
commun de l’alimentation,
e passerait par une prise de
décision
E À L ’I N T
NÉGOCIÉ APITALISTE-
l’aménagement du territoir
des principes de démocr atie
« autochtone » orientée par
C
DE L’ÉTAT , UN ÉCHEC
libéral
ectif, s’opposant au cadre
directe et de consensus coll
L
COLONIA LE ?
est à
tionnalisme canadien. Il
22

démocratique du constitu
processus
joue la résurgence dans le
B
INÉLUCTA
rappeler ici le rôle vital que
nen , le
nciliation. Selon Kuokka
de reconnaissance et de réco
la
urs traditionnelles ouvrirait
retour aux institutions et vale
niqu es
cte aux codes hégémo
voie à une confrontation dire
tation
ntassel et Alfred , l’alimen
24
À la vue de la relation conflictuelle entre le mode de vie
du capitalisme. Pour Cor
23

Eisenberg Avigail, nstruire Simpson, Leanne.


permettrait même de reco
21 28
autochtone et le système capitaliste, il apparaît que toute
Webber Jeremy, traditionnelle, par exemple, Dancing on Our Turtle’s
anciens –
qu’ils soient nouveaux ou tentative de l’État colonial de garantir une autodétermination aux
Coulthard Glen and des réseaux de solidarité – Back. (ARP Books,
s. La santé,
Boisselle Andrée. sur la santé des individu 2011), p: 17 Premières Nations, tout en s’acharnant à vouloir les incorporer
Recognition versus Self- et d’avoir un impact positif
en réalité
able de la résurgence, est dans un modèle capitaliste, est incomplète, inauthentique
loin d’être un facteur néglige Alfred, Peace, Power,
29
determination: Dilemmas
r récu pérer
of Emancipatory Politics par les Autochtones pou Righteousness, xiii; et offensante. Coulthard en appelle à une décolonisation
centrale à l’effort déployé 27
26 (Vancouver, UBC Press,
té et la guérison sont réalisée
s si le Alfred, Wasáse, p: 19.
« selon nos propres conditions », qui ne serait pas
2014) leur dignité. La bonne san Simpson, Dancing on
n phy sique
que est refusé. La guériso sanctionnée, permise ou engagée par l’État.28 Pour ce
mode de vie moderne toxi Our Turtle’s Back, p: 17
liées.
Ibid culturelle sont intimement
22

et mentale et la reconnexion faire, il est impératif de se distancer du réformisme assimilateur


30
Alfred, Peace, Power,
elle d’une
est l’expression corpor
Kuokkanen, Rauna, La santé physique et mentale Righteousness, xviii, de l’approche libérale de la reconnaissance et chercher plutôt à
23

ions
«From indigenous demande des Premières Nat 66, p: 80–88
dignité enfin retrouvée. La construire une libération nationale par la voie de la revitalisation
25

economies to market- tect ion de


est donc vitale à la pro des pratiques et valeurs traditionnelles.29 Selon Alfred, la
based self-governance: d’une pleine reconnaissance
26 c’est-à-dire un
e de vie distinct , politique de reconnaissance persiste à servir les exigences de
la totalité sociale de leur mod
a feminist political
economy analysis»,
mode de vie insistant sur l’accumulation capitaliste en prétendant adresser son histoire
Revue canadienne de
La bonne santé coloniale par le biais d’actes symboliques, alors qu’elle continue
science politique 44 l’autonomie individuelle, la
(2011) et la guérison d’ancrer davantage son contrôle dans la pratique et la loi.30
responsabilité collective,
24
Alfred, Taiaiake, et l’autorité non hiérarchique
, sont réalisées L’activiste Leanne Betasamosake Simpson avance qu’étant
Corntassel, Jeff, «Being
la gestion commune des
si le mode de vie donné l’institutionnalisation du processus de réconciliation, la
indigenous: resurgences
against contemporary terres et l’aide mutuelle.
27 moderne toxique participation des Premières Nations risque de profiter davantage
colonialism», est refusé. à l’État. L’importance doit ici encore être accordée au rapport à
(Government and
la terre. Il a été démontré que le fait de renouer avec le territoire
Opposition 40, 2005)
est crucial pour la résurgence autochtone, qui à son tour est
25
Alfred, Taiaiake. 26
Kulchyski, Peter. Like 27
Asch, Michael. absolument nécessaire pour une éventuelle réconciliation.
Wasáse: Indigenous the Sound of a Drum, The Dene Economy,
Pathways of Action and (University of Manitoba (Toronto: University of Handicaper les membres des Premières Nations de leurs
Freedom. (University of Press, 2005), p: 38 Toronto Press, 1977) droits souverains sur le territoire revient automatiquement à
Toronto Press, 2009).
condamner le processus de réconciliation.
p: 165
POUR QUE VIVENT LES PREMIÈRES NATIONS,
LE CAPITALISME DOIT-IL MOURIR ?
ABIR SAMIH
31
Andrew Woolford, Au Canada, le gouvernement s’est toujours arrangé, dans
Between Justice and
l’élaboration de traités, pour s’assurer une certitude politique
Certainty: Treaty-Making
in British Columbia et économique qui lui permettrait de satisfaire ses intérêts,
(Vancouver: University of notamment en laissant ouverte la voie à l’investissement et au

SION
British Columbia Press,

CONCLU
2005)
développement économique dans les territoires autochtones.31 La
condition préalable de l’État, pour arriver à un consensus légal, a
32
Joyce Green,
toujours été de faciliter l’intégration des peuples autochtones et tibilité
“Decolonization and nce une incompa
de mettre en évide
Recolonization.” Changing de leurs terres dans le mode de production capitaliste et surtout, Il a été question es
» pour les Premièr
Canada: Political Economy en tre ce qu e signifie de « vivre
de s’assurer que les alternatives socio-économiques élaborées absolue alisme.
as Transformation, ter » pour le capit
e veut dire « d’exis
ne menacent pas la primauté de l’économie de marché.32 Les Nations et ce qu nt que
(Montreal: McGill-
justifiée en posa
Queen’s University Press, droits ancestraux des communautés autochtones sont certes op po sit ion dic hotomique a été
Cette ne pouvait
des Autochtones
2003), p: 52 reconnaissance
reconnus par le gouvernement, mais à la condition sine qua non le processus de à ce
ial refuse encore
qu’ils ne se posent pas en obstacles aux principes au th en tiq ue , pu isque l’État colon
être is et
ndes qui ont perm
[...] si l’exploitation économiques de développement de l’État. jour de reconnaît
re les causes profo
u, c’est-
t en premier lie
des territoires est é le co lon ial ism e de peuplemen
Ce dernier est après tout un agent rationnel; légitim oire. La supposée
loitation du territ
toujours envisageable, si l’exploitation des territoires est toujours à-dire le capit ali sm e et l’e xp
pitalistes pour as
surer
des pratiques ca
il n’y a pas de raison de envisageable, il n’y a pas de raison de la freiner. néce ss ité d’a do pt er
cent a été rejetée
pour
nt économique dé
la freiner. un développeme
onomie saine em brassée
ce r le sc én ari o alternatif d’une éc
avan ur
nes comme vecte
unautés autochto
par plusieurs comm au ssi
28 Même lorsque des communautés acceptent de négocier nt que, tant et 29
rg en ce . On en conclut finaleme
de ré su êts
à l’intérieur des structures de l’État colonial, elles le font à 33
Fanon, Black Skin, défendre ses intér
qu e l’É tat co lon ial s’acharnera à
White Masks (1991), longtemps aux des
partir de ce que Fanon appelle l’attachement psychoaffectif des droits ancestr
p: 148
ali ste s au dé tri ment du respect e
par rapport aux formes de reconnaissance sanctionnées par le capit ination poursuivi
tio ns , la lut te pour l’autodéterm
Premières Na
ine et inefficace.
« maître ». C’est précisément cet attachement toxique qui
34
http://www.tourisme.
gouv.qc.ca/publications/ tér ieu r du ca dr e étatique est va
maintient la structure politique et économique de relation à l’in
media/document/
« maître-esclave » (colonisateur-colonisé).33 Il faut reconnaître etudes-statistiques/
diagnostic-tourisme-
qu’il y a certes des cas où certaines communautés ont adopté des
autochtone.pdf(P.5)
stratégies de développement économique capitaliste (par exemple

Abir
35
Coulthard, Glen. Red
les Inuits, les Cris, les Innus et les Hurons-Wendats34). Toutefois,
Skin, White Masks:

Samih
il se remarque déjà au sein de ces communautés l’émergence Rejecting the Colonial
d’une bourgeoisie que l’appât du gain pousse à négliger ses Politics of Recognition
(University of Minnesota
obligations ancestrales envers la terre et les autres membres de
Press, 2014) Abir Samih est une âme
la communauté, ce qui menace les fondements identitaires des
errante n’arrivant pas à
Autochtones que sont les pratiques égalitaires, non autoritaires
décrire ses engagements
et durables. Coulthard va dans le même sens en admettant que
sociaux le temps d’une bio
plusieurs membres des Premières Nations, particulièrement
personnelle. Elle est aussi
les leaders et organisateurs communautaires, s’investissent
membre du Collectif d’Études
pleinement dans les politiques coloniales de reconnaissance et en
Francophones Postcoloniales.
sont arrivés au point d’associer cette marge de manœuvre imposée
de l’extérieur à la libération ou la décolonisation même.35
Meisso
NOUS Majri une

AVONS Je voudrais le crier, aux passants qui me


Il paraît que
je ne suis pas

CRU
dévisagent, je voudrais leur hurler qu’il n’y a
pas si longtemps j’étais des leurs. Que je ne trop typée,
suis pas un traître, que peut-être il ne suffirait il paraît
de pas grand-chose pour qu’on s’asseye à
que c’est un
nouveau autour d’une même table, au sol, à
partager un repas dans le même plat. Mais le
compliment.
constat est sans appel. Et la tendresse avec
laquelle j’observe les vieilles femmes édentées
Qu’est-ce que je fais là
que je croise est en elle-même suspecte.
30 seule ? Qu’est-ce que je 31
C’est le regard fasciné de l’Occidentale qui
croyais ? Que ce pays
redécouvre la « simplicité de ces gens ». Il paraît que je ne suis pas trop
n’attendait que moi ?
Qu’est-ce que je suis devenue ? Je suis arabe typée, il paraît que c’est un
Retour au pays natal... ?
Tunis m’ôte toute confiance
non ? Je suis arabe. Il faut le scander pour en compliment. « Elle est belle
Que j’allais arpenter les
en moi, me rend timide. On
saisir toute la portée. Arabe. Ça sonne comme comme une gaouria », elle est
rues avec l’assurance de
doit s’apprivoiser toutes les
un gros mot. Certains le chuchotent de peur belle comme une blanche. Ma
leur appartenir ? Personne
deux. Je comprends enfin
de choquer. J’ai besoin de le crier parfois. Pas grand-mère répétait ça à tout
ne m’attend ici. Le pays a
que mon rapport avec ce
au monde, le monde s’en fout. Mais à moi- le monde. J’étais un peu mal
continué sa course sans
pays s’est construit sur
même, comme un rappel. Ma famille est arabe. à l’aise, mais j’ai fini par croire
moi, sans même sentir
une légende, un fantasme
Mais moi ? Est-ce qu’il faut coller au fantasme aussi que n’importe quelle
mon absence.
familial, une vision
véhiculé par ce mot, tout ce qu’il charrie blanche serait toujours plus
archaïque et figée d’avant
d’imaginaire ? Est-ce qu’on reste arabe quand jolie qu’une moins blanche.

QU’EST-CE
l’exil. Je cherche des bouts
rien, ou presque, du cliché ne nous épouse ? Oui, le lent travail colonial
de moi dans tout ce que je
Est-ce qu’il faut creuser profond à la recherche continuait à vivre en moi. Notre

QUE JE FAIS
vois et sens, à la recherche
de cette arabité ? Ne pas la perdre de vue trop infériorité avait été assimilée,
d’un regard familier… de

LÀ SEULE ?
longtemps sous peine de désastre identitaire ? génération après génération.
quelqu’un qui attende mon
retour. Et pourtant, j’ai peur
d’aller frapper aux portes
des maisons familiales.
NOUS AVONS CRU
L’exotisme des teints bronzés devant une voiture française. On devenait beaux comme des MEISSOUNE MAJRI
et des cheveux noirs nourrit le Qui a pris la photo ? gaouris.
fantasme sexuel, mais empêche À qui appartenait cette voiture
Mais la beauté a un prix. Mon
d’accéder aux hautes sphères ? Que représentaient pour
frère se faisait appeler Freddy, Fer à lisser, fond de teint clair, deux carnations Non mon frère, non Sofiane,
de la beauté devant laquelle on l’enfant qu’il était ces habitants
en dessous de la mienne, look BCBG, parce on ne va pas niquer parce
se prosterne. Les yeux noirs et de son pays aux yeux et à la
qu’à la honte des origines se mêle celle du que ça me dégoûte. Parce
les hanches méditerranéennes peau clairs ? Y avait-il de la On devenait milieu social. Parfois, mentir sur son prénom que ses petits combats
se retrouvent pourtant en tête colère, de l’envie ? beaux et marcher la tête haute, là où aucun doute quotidiens, je les connais. Je
des moteurs de recherche Des questions sans réponse. comme des n’est permis. les connais trop bien pour
pornographiques. Mon corps Une histoire tue. Peut-être pas
gaouris. qu’ils puissent m’inspirer le
éveille le désir postcolonial grand-chose à en dire... Mais Mais jamais le fossé dans lequel je me débats
moindre élan sexuel. Tout en
dominateur. Contente-toi un héritage certain. ne m’a paru aussi large. Je me sens à l’image de
j’avais supprimé le tréma sur le lui me renvoie à mes propres
donc du sperme qui inonde les Tunis. Arabe, mais dont l’identité architecturale
Il n’a jamais vraiment choisi /i/ de mon prénom, le privant manques. Ses petites victoires
écrans et laisse les sentiments est l’œuvre des Français qui l’ont colonisée.
entre le complexe d’infériorité ainsi de l’accent chantant de ne m’impressionnent pas. Je
nobles à celles qui ont eu le
méprise sa lutte, ma lutte,
en France et le sentiment de mon pays natal, ma tante à la À l’hôtel j’ai rencontré Sofiane, un « Français »
bon goût d’incarner la pureté.
celle qu’il ne sait pas mener,
supériorité chez les siens. blondeur suspecte sortait avec en vacances, un peu comme moi finalement.
C’est sûr qu’elle n’avait rien Comme si, au contact de cette un italien et portait la croix embarrassé qu’il est des clichés
Il ne parle pas l’arabe, moi je veux parler qu’il croit mettre à bas. On ne
d’une gaouria, ma grand-mère, société dans laquelle il vivait le de jésus autour du cou. Le
l’arabe, je veux qu’on me raconte ce pays dans fera pas l’amour parce que je
avec ses tatouages verdis sur dos courbé, il avait gagné lui pathétique nous avait gagnés.
sa langue, pour qu’il devienne un peu le mien. ne sais pas le dire en arabe.
le front et sur les joues, aussi une certaine supériorité
Jusqu’à sept ans, je croyais Je ne sais pas dire faire l’amour en arabe. Ça Je lui plais parce que je lui
32 ses foulards colorés et sur ses frères restés au pays.
encore que ma mère était belle, doit bien exister non ? Cinquante-six mots
33
son odeur de camphre. ressemble. Je le repousse
Les touristes français sont et ma place acquise dans le pour dire je t’aime et pas un pour ça. Le seul parce qu’il me ressemble. Où
Elle est enterrée dans
réputés pour leur arrogance, bac à sable. Jusqu’à ce qu’une que je connaisse c’est neïke, alors je peux sont passés sa sève et le chant
ce quartier que j’arpente depuis
la garantie de leur place dans petite fille de mon âge me seulement niquer avec un arabe. De toute des montagnes ? Où est passé
des heures, mais je ne sais pas
le monde. Nous étions pires, balance cette phrase, que j’ai façon, les fois où c’est arrivé, c’était contre son regard fier et sombre, celui
où parce que je n’ai pas le bon
étalant ici notre réussite, notre prise pour une plaisanterie : nature, comme si je baisais avec un de mes d’avant la France ? Tout son
alphabet. Il n’y a que dans les
sang-froid, nous autorisant « Je t’aime pas, parce que je frères. Comme si on partageait trop de secrets. corps, les intonations de sa
cimetières que la langue de
jugements et critiques sur un suis raciste. » Mon corps appartient aux Blancs. Le mystère voix, son odeur, tout exprime
l’occupant est restée à la grille.
mode de vie chaotique. Notre indispensable au désir a été pulvérisé par un le conflit qui le mine. Il nage
On pouvait donc ne pas
Elle ne m’a jamais parlé des simple présence rappelait à nos parcours commun, trop commun, trop compris. entre deux eaux, sans s’éloigner
m’aimer, première révélation,
années de protectorat, mais frères, stagnant sur l’échelle du bord, rester là où il a pied
et en raison de ma race. Ultime
elles étaient inscrites en universelle de l’évolution, surtout, intégrer les postures
elle. Quand je lui ai présenté l’écart qui ne cessait de se
révélation, j’avais donc une On pouvait donc dans la pataugeoire. Non, je
mon premier petit ami, bien creuser entre eux et les vrais
race. C’est là que la lutte a
ne pas m’aimer, ne vais pas baiser avec lui
commencé : l’intériorisation
français, j’ai cru déceler une civilisés. Même notre couleur
de mes différences, de mes
première révélation, parce que notre étreinte serait
certaine fierté. de peau avait évolué, comme
manques en réalité, et le lent et et en raison de pathétique, maladroite. Parce
si, à vivre chez les riches, une
De ces années, je ne connais
mutation génétique s’était
assidu travail de camouflage, ma race. Ultime que si nos regards se croisaient
pendant que nos langues se
qu’une photo en noir et blanc
opérée in vivo.
de lissage de ces différences. révélation, j’avais mêlent, j’aurais peur de me voir
de mon père enfant posant donc une race. dans ses yeux.
j’ai couru sous le soleil,
tes des maisons familiales, NOUS AVONS CRU
Je suis allée frapper aux por
puant. Il était là, le vieux MEISSOUNE MAJRI
ersé le pont, passé l’oued
première à gauche, j’ai trav
j’avais oublié. Je suis née
nce, et j’y ai retrouvé ce que
portail rouillé de mon enfa
ille, je suis née le jour
entre les égouts et le bidonv
quelque part, je suis née ici
ces vingt-quatre heures de
s de ma grand-mère pour
où on m’a arrachée aux bra Et ce passé dont tu m’as
e aux habitants à la peau
j’ai posé le pied sur cette terr
bateau, je suis née quand privée pour me protéger,
où ma mère est morte.
e, je suis née aussi le jour
claire et à la langue inconnu pour me laisser grandir…
me parfois on tente de
de On s’invente un passé, com mais maman tu as fait de moi
Et ce petit pays, combien ais à la hauteur de ces kilo
s de
cris s’inventer un présent, jam une éternelle bouture.
naissances ? Combien de gés dans le buffet du salo n.
és ? Ce cri souvenirs heureux bien ran
originels, de cris retrouv
ler avec nos mères, et les La Tunisie de Ben Ali s’est
t qu’il a Il faudrait pouvoir parler, par
déchirant, tellement puissan s mères avant elles. Parler enfuie avec lui. Ben Ali, je
t répercuté mères de nos mères, et leur
balayé tout un pays et s’es de nos pères. Est-ce que continue à le chuchoter, les
le même avec nos pères et les pères
en d’innombrables échos, toire de mes ancêtres qui espions sont partout. Ben
poussé à c’est mon ignorance de l’his
que ma mère et moi avons pres souvenirs, comme s’ils Ali, j’ai le droit de le crier
aite de sa me rend étrangère à mes pro
l’unisson quand on m’a extr
UI

aujourd’hui. Ce pays a gag
L
r s’ancrer vraiment ?
chair de jeune fille.
n’avaient pas de socle pou

Finalement, j’ai toujours été


une enfant bâtarde née M A I S J E N E le droit de crier, alors il crie
,
et

S il hurle à pleins pou mon s,

I E N
de

T
mai son

R
tou t dan s la

A
J’ai fouillé par de sa colonie. Pas
ma grand-mère, passé les
retrouvailles, de l’un
ion forcée de la France et
de cérémonie de dévoilemen
t ici, c’est sans violence A P P j’aimerais tellement crier ave
lui, mais seule la certitude
c

PLUS.
et puis la gên e et les
les larmes, e a été adopté, mini-jupes
trop long s, que le protectorat dress cod inaliénable de lui appartenir
silences un peu s chaussures
s, perruques et improbable peut me conférer ce droit. 35
34 poli tess es. Ils m’o nt lais sée psychédélique fait
les s été là le déchirement, ça
nce à plateformes. Il a toujour La Tunisie m’appartient, elle
faire, avec l’ind ulge t
calleux a été coupé, séparan
nts. Hie r, des décennies que le corps m’appartiendra toujours, mai
s
acc ord ée aux enfa men t
x. Tout ça a dû aller telle
les la fameuse identité en deu je ne lui appartiens plus.
j’étais une enfant. J’ai fouillé pensée, quels barrages
s gén érat ions vite. Quels mécanismes de
les tiro irs, troi e?
placards, er que l’esprit ne se morcell
ndo nné s oppose-t-on pour empêch
de trésors méprisés, aba
n aurait pu se parler toutes

Meissoune
oubliées,
là, des photos, des lettres Ce que je veux dire, c’est qu’o
s.
des kilos de souvenirs heu
reux. Les ment. Peu importent les mot
les deux. Je veux dire vrai

Majri
s’est pre ndr e. De
souvenirs s’effacent comme aurait pu se com
Peu importe la langue. On
effacée doucement la lang ue de ma savoir. J’aurais dû lui dire,
femme à femme. J’aurais dû
e
mère. Ne reste que les pho
tos, le plus je ne suis pas que la bâtard
maman c’est moi ta fille, et
Comédienne et metteure en scène
grand des mensonges. De
la honte aussi une enfant de l’amour.
de deux républiques : je suis
de pho to, franco-tunisienne, elle collabore à
pas de photo, de la peur pas
Je te souris, parce que je sais différents projets théâtraux entre la
mais des sourires, larg eme nt étalés, Maman, c’est moi ta fille.
de l’amour, de ton amour, France et la Belgique. Elle dirige la
des châteaux de sable, des
visages aujourd’hui que je suis née
el tu as couru, tous Compagnie ETC... à Lyon de 2007 à 2018.
lle des flashs parce que ce bonheur après lequ
lumineux, lumière artificie
as essayé de ne pas nous En 2018, associée à Audric Chapus, elle
d’alors. Des albums photos
soumis ces manques en toi que tu

s dans les murs que tu as pas crée la compagnie 211 basée à Liège.
à notre subjectivité, à nos
propres transmettre, tous ces trou
je
n n’en voie pas les fissures, Son premier texte en tant qu’auteure est
manques. On se reconstruit
une ta vie à combler pour qu’o
pas besoin. porté à la scène en 2020 au théâtre de
de repas de voudrais te dire que tu n’avais
enfance faite uniquement
mer. Liège et à l’espace Magh à Bruxelles.
famille et de vacances à la
36 37
Larost
Romain Jean-Jacques, aka Larost, est
un artiste visuel né en 1989 sur l’île de
la Réunion, dans l’océan Indien. Il fît
ses études à l’École Supérieure d’Arts
de la Réunion, cursus durant lequel il
développa un intérêt pour les ressources
culturelles et le territoire. Sa pratique
interroge à travers le prisme d’une
38 imagerie créole l’établissement d’un
39
rapport au monde simplifié comme
base des dynamiques identitaires;
l’intérêt réside dans une volonté de
décentraliser l’Histoire et ses imaginaires.
Son imaginaire s’épanouit à travers des
manifestations variées du syncrétisme,
jonglant avec les représentations du
divin, des chairs et de l’utilisation des
couleurs comme moyen de sacralisation.
CORPS Nos corps sont des
encyclopédies pour
qui
Nos corps
sont des
encyclopédies
pour qui sait
Olivier
sait (veut) les lire, et
nous avançons lou
de tous nos chapitre
s. Lourd.e.s de cette
rd.e.s
(veut) les lire, et

Gbezera nous avançons


encre et de ces im
ages que nous n’avo
ns pas
choisies, mais que
Nos corps concrét
nous charrions néan
moins. lourd.e.s de tous
isent l’immortalité
prédécesseurs.ses,
de leurs luttes, cra
de nos
nos chapitres.
intes,
pertes, trahisons et
victoires : marchen
t avec nous ces ter
ces rires et ces pro res et ces blessures
jets. Chaque regard ,
ement, est une perle qui co
s corps en mouv nte des contrées
rd e pa r la fen être et je vois de i
lointaines, immatér
ielles, mais concrèt
Je re ga it et les siècles qu ement dessinées sur
s. To us ma rq ué s par le jour, la nu Ma peau est un rap
pel de mon histoire,
nos épidermes.
sujets et objet et chaque de ma géographie,
pas. Chaque geste des migrations et de et par là même
nt da ns les mots et les , s rencontres huma
même une source
èg ne
40 s’im pr
un e dir ec tio n qui reflète elle- de déserts, de griots
ines. Nos corps po
rtent la mémoire 41
en t , de terres arides et
parole imprim is nous ne de fleurs verdoyante
-ci est en nous, ma s. Mais aussi de
or igi ne . Un lie u de départ. Celui urs.ses,
tours, de périphériq
ues, de forêts urbain
une us sommes porte es et d’hivers désor
ch ois i : no us en avons hérité. No révoltes, marronage
s, guerres et mutin
mais miens. De
l’avons pas alimentés, au eries. Nos corps son
tiers qui se sont t singuliers dans
co rp s dé fen dant, d’univers en de
leur intranquillité et
dans leur équilibre
à no tre iques, d’amour et contraint entre leu
oq ue s, de gu er res, d’épopées lyr ils renvoient. Ils son
t à contrôler, mater
r lieu et ce à quoi
cours des ép , dominer pour certa
ctions. in.e.s. À admirer,
tations et de proje envier, désirer pour
sang. De représen d’autres. Ce sont les
mêmes : répulsion
ries les deux faces d’une et attraction sont
s strates d’image même pièce.
po rte nt au ss i, voire surtout, de
Nos corps trans sont arrogé.e.s le
droit
et dé ve lop pé es par celleux qui se Que nous le voulion
s ou non, pour comp
créées sont donc rendre et donc ma
existences, qui se îtriser notre
hiérarchiser nos rapport au Monde,
il nous faudrait d’abo
de classifier et de les. rd apprendre à déch
de leurs semblab donc à nous déchiffr iffrer ces images,
urges au-dessus er nous-mêmes. Me
déclaré.e.s demi surer ainsi l’éventue
ce que nous somme lle distance entre
humain.e ou s et ce que nos corps
utre – moi – est
es tio n n’e st pas de savoir si l’A se nous. Il nous faudra
renvoient comme sig
naux malgré
i définit la norme,
(La qu it donc d’abord nous
de sa vo ir si l’U n.e, celui/celle qu fouiller nos racines,
étudier, plonger en
nous-mêmes,
pas, mais ’iel s’est élevé.e analyser les récits
mme tel, alors qu dont nous sommes
ns idè re lui /el le- même encore co de mort ont été apposés sur porteurs.ses et qui
co ant droit de vie et nos corps alors qu’ils
nt à la ha uteur d’un Dieu ay mêmes. Il nous fau
ne demandaient qu
’à être eux-
unilatérale me rces – humaines t le faire, car ces réc
re, de pr ée mp tion sur les ressou its circulent indépen
tiè damment de notre
sur l’Humanité en tion des Élus qui
pourront volonté. Tapis et prê
ts à bondir à tout mo
es – qu i l’in tér essent, et de sélec au dépourvu, de ne
ment. Il s’agit de ne
pas être pris.e.s
et physiqu s’éloignent du pas être doublemen
be à celleux qui t dépossédé.e.s de
la re joi nd re à sa tablée. Il incom re, non à en n’ayant pas voix la parole : d’abord
le/ partiennent enco au chapitre sur ces
um an ité de pr ouver qu’iels y ap n’ayant pas les éléme
récits qui nous conc
ernent. Ensuite, en
reste de l’H nts pour y répondre
t éloigné.e.s). .
celleux qu’iels on
CORPS
cits
répondre à ces ré
e la nécessité de
OLIVIER GBEZERA
t au ss i vra i qu on
donc une obligati
Mais il es
ine inj on cti on à la réaction, et
reflète une certa nt pas le
nous-mêmes – n’o
e po sit ion : nos corps – donc ou
Le fait même de s’autoriser ce choix est un acte fort : je me donne
à pren dr ence, infirmer –
ne ut ral ité . Il fau t justifier sa prés le droit de décider de ma voie propre, de décider de ma relation
privilège de la et encore à
légitimité encore
er – tel ou tel récit, prouver sa personnelle avec ce corps créé et lesté d’imaginaire par d’autres,
confirm n parce que nous
isé .e. s. S’i l fau t le faire, c’est bie mais néanmoins mien. La liberté de choisir la manière dont j’investis
des juges impr ov itimes :
s par les corps lég
s êtr e va lid é.e .s ou approuvé.e. mon corps et donc mon rapport premier et sensuel au monde,
devrion
té. loin des injonctions de toute sorte (celles d’occuper l’espace de
l’ordre est respec
tte manière ostentatoire et visible des un.e.s, celles de se fondre dans
e et d’arracher ce
oix es t de re fu ser cette démarch le paysage et d’être discret.e de l’autre) est déjà une déclaration
L’autre ch que cette
ant conscient.e.s
ral ité lég itim e, mais tout en ét position d’indépendance. C’est un acte qui ouvre la possibilité à une réelle
ne ut me une prise de
ati on ex pli cit e de soi est elle-mê : définition de ce moi que le corps héberge, loin de ce que d’aucun.e.s
non-affirm ion/d’intégration
qu ’es t la re ch erche d’acceptat
ge
forte face au piè tifier, à m’expliqu
er, à – encore – voudraient y voir, parfois pour mon propre bien.
ce la su ffi t. Je n’ai pas à me jus
Je suis, et . Je n’ai pas
ent il y est arrivé
qu e fai t ce corps ici ni comm Ces corps que je vois portent des lettres séculaires, mais le texte
e ce sur ma
dir ut pas à insister
er, ni à dir e qu i je suis, et surto à
reste à être écrit. Sans doute vont-ils tous vers eux-mêmes. Sans
à m’affirm interlocuteur.rice
ten ce , ca r ce la supposerait un.e doute savent-ils que l’univers vibre à chacun de leur pas, que leur
légitimité à l’exis uvoir symbolique
sur moi.
, qu i au rai t do nc toujours un po simple présence bouleverse leur environnement, le réécrit d’une
convaincre
sont pas encre nouvelle, forte de ces trajectoires qui n’ont que dédain pour
nous sommes, ne
co rp s qu e je vo is, ces corps que es, les frontières. Sans doute savent-ils qu’ils renferment et véhiculent
Ces s premières heur
rg es . Ils so nt porteurs, dès no
des feuilles vie spoirs et l’utopie d’une rencontre avec soi et le vertige d’une déconstruction
urs de volonté, d’e 43
42 na ux en vo yé s au monde, vecte e.s, annoncée, porte vers de nouveaux mondes à peupler et à bâtir. Sans
de sig nace pour certain.
da ns ce lui -ci . Ils sont déjà me
d’inscription promesse doute sont-ils déjà en résonance avec la renaissance à venir.
pour la société ou
t d’a ve nir po ur d’autres. Charge es
proje lture. Nous somm
ins he ur eu x po ur telle ou telle cu Ou sans doute que je ne fais que, moi aussi, projeter sur eux mes
de lendema est le
ent. Notre corps
si so um is. es au regard et au jugem et nos
propres espoirs et récits.
ain n avant nos mots
ssa ge qu e no us envoyons, bie
premier me s : personne ne
posé par d’autre
, et c’e st un message précom e.
idé es , bien sûr, de naîtr
xe , sa co ule ur, sa taille ni même
choisit son se t de notre
t indépendammen
si le me ssa ge et le récit existen les
Mais ur les réinvestir et
volonté, no us av on s la for ce et les outils po
. Chacun.e sa vo
ie pour ce O li v ie r
G b e z e ra
e se lon no s existences réelles achage
rééc rir rs l’extérieur, arr
ati on ex pli cit e de soi projetée ve
faire : affirm r. Entre ces
tant vers l’intérieu
sif de la ne utralité en se proje es
Né en 1980, Olivier Gbezera est un
ces parmi lesquell
su bv er
, l’in fin i de gr ad ations et de nuan poète belgo-centrafricain résidant
deux pôles de sa vie.
e et de rédaction
ise r sa pr op re stratégie de survi à Paris depuis 2012. Sa poésie
pu
a été publiée dans Transition
UR
PROJETER S
magazine, Africultures et

RES
Afrikadaa, ainsi que dans l’ouvrage

M E S P R O P
EUX
collectif The Meantime. Ses textes

ÉCITS
sont aussi à lire sur son blog:

P O I R S E T R
ES https://mbewane.wordpress.com/
RECONNAIS
ISSANCE R o s e - A
S t - P au l
n n e

Lorsque le peuple se relève après ce qui C’est qu’il se peut que l’horreur revienne. Il Dans le sous-sol de la maison de Merline,
semble être la victoire, il est désorienté. Saint- faudra renommer Saint-Domingue avant que nous sommes peut-être quarante-cinq,
Domingue, en fin 1803. Des femmes et des l’horreur revienne. Ceux et celles qui sont ici peut-être cinquante. Quelque part entre
44 45
hommes viennent d’accomplir l’impensable savent que la terre avait déjà un nom, alors il Tiohtiake et Maskutew, en mai 2010.
et de mettre fin à leur propre esclavage. est important de le lui redonner. Un nom lové Nous ne sommes nulle part. Dans le
Il se peut que le soleil frappe les peaux dans un chuchotement qui dure depuis quatre sous-sol de la maison de Merline, deux
luisantes. Il se peut que l’orage gronde. Le son siècles. Ayiti Kiskeya Bohio. Un nom légué hommes habillés de blanc s’affairent à déposer
grandissant des tambours enveloppe les âmes par l’esprit de ses enfants. Ici vivaient d’autres des tambours Assotor dans un coin libre.
abasourdies. Ogou soit loué. Il se peut que la femmes et hommes dont le sort fut scellé en Ils s’installent pendant que nous attendons.
terre tremble sous les clameurs des volcans, même temps que celui de ces derniers. Pour Merline est manbo, et elle nous a conviés
véritables chiens de la mer1. En croisant leur eux, la mort. Pour eux, l’enfer. Il n’y a rien à assister à la cérémonie même si nous ne
regard, des femmes et des hommes n’osent à expliquer. C’est ainsi que le premier État sommes pas initiés. C’est ma première fois. Je
1
Clin d’œil au poème
d’Aimé Césaire pas se dire que c’est terminé. Il faudra noir des Temps modernes débute, par une ne sais rien du vaudou. Nous nous apprêtons
(Dorsales Bossales) un peu de temps pour déclarer l’Empire déclaration de reconnaissance territoriale qui à célébrer lwa Kouzen Azaka, l’esprit de la
souverain devant l’univers, dire aux enfants rend son nom taïno à la terre montagneuse. moisson. Sur l’autel se trouvent des victuailles,
qu’ils peuvent arrêter de se cacher, compter Un geste d’autant plus symbolique qu’à des bouteilles de rhum décorées de paillettes,
les vivants et enterrer les morts. L’année défaut de connaître le nom de leurs contrées des drapeaux rituels et des manchettes. Des
s’achève, mais le temps, lui, n’arrête pas de ancestrales, ces femmes et ces hommes symboles et des représentations d’abondance.
filer. Il faudra se dépêcher pour préparer le s’engagent désormais à protéger celui de leur Tout est limpide, mais tout m’échappe. Comme
grand jour. Le premier jour. Le nouvelle terre. dans un rêve. Tout ce que je sais, c’est qu’il faut

premier faire silence. La cérémonie peut commencer.

jour.
RECONNAISSANCE
ROSE-ANNE ST-PAUL

Ces
commencements
m’apparaissent
dans une forme
de continuité.

R o s e -A n n e
Merline est habillée de bleu. Elle porte un Ces commencements m’apparaissent dans

S t - P au l
foulard rouge autour du cou, et un grand une forme de continuité. Je crois qu’il n’est pas
chapeau de paille. Elle salue l’ensemble des nécessaire de se voir pour s’entendre et que
personnes présentes avant de se placer au la mémoire est plus vieille que la colonisation.
Rose-Anne St-Paul est
milieu de la pièce. Elle énonce alors La décolonisation, elle, se déroule déjà dans
chercheuse et travailleuse
46 une demande, que je ne saisis pas au des espaces et des temps protégés – sans 47
communautaire basée à
départ. J’observe. Quelqu’un se penche intermédiaire autre que les esprits que nous
Montréal. Elle s’intéresse
devant mon regard interrogateur et connaissons. Elle est dans la reconnaissance
aux impacts des systèmes
me dit : « on ne peut pas faire venir nos lwa ici de soi et de ce qui vient avant soi. Elle est
d’oppression sur la santé
comme ça, sans demander ». Nous ne sommes aussi dans les idées, les gestes et les mots
mentale des personnes en
pas chez nous, ici. Il y a déjà des esprits sur ce indispensables au désordre absolu, à la
situation de marginalisation.
territoire. On appelle cela « avoir de l’usage ». libération solidaire, psychique et spirituelle.
En d’autres termes, faire preuve de politesse. En ce sens, l’existence du vaudou me rassure.
En remerciement pour la permission, des Il se traduit en un mode de vie codifié, une
offrandes sont faites pendant que les esprits se esthétique décoloniale. Se dérobant aux
croisent. Il se peut que le bruit des tambours catégorisations pragmatiques, il guide dans les
s’élève, se fasse même entendre de l’extérieur. contextes les plus effrayants sur la route qui
Il se peut qu’une, ou deux, ou trois personnes mène vers soi. Il signale ainsi la part d’humanité
dansent, alors que la chaleur s’intensifie. Il se qui reste au-delà de l’horreur, qui lui survit,
peut que tout se déroule devant l’œil de Zaka qui questionne en dansant. Le vaudou a
qui, satisfait, fasse tournoyer sa machette mauvaise réputation, et c’est bien comme ça.
entre les corps dégourdis. Il y a parfois un avantage à vivre en marge. À
vivre dans l’ombre. Cela permet de conserver
ses esprits à l’abri, le temps de chevaucher le
courage jusqu’à accomplir l’impensable.
S D E
I S T E I O N
P L E X
RÉF R
L’INFLUENCE
DU DROIT

P O U I S E R ROMAIN

L O N
O
D ÉC D RO I T
Tout le droit actuel est encore fortement influencé par le
droit romain. Les études de droit commencent par un cours

LE
de droit romain, les juges utilisent encore des adages latins
dans des jugements écrits au 21e siècle et des pans entiers du
droit de propriété sont calqués sur des notions romaines.

l m a
S e k h e l i fa
Les droits coutumiers sont pour leur part discrédités,
relégués aux études d’anthropologie et vus comme étant

Ben
inférieurs au « vrai » droit, compris comme l’ensemble de

48 règles établies par des jurisconsultes de l’Antiquité. 49


Nous savons tous que les Romains étaient esclavagistes,
violents et conquérants. Les femmes n’avaient aucun droit et
me le pater familias1 avait droit de vie et de mort sur sa femme
rogram
[so it] un p u
nisati o n aquer a 1
Expression du latin et ses enfants. Les sociétés sous l’emprise du joug romain
e « L a décolo ti ve m ent s’att
eut qu pér a signifiant « père de étaient profondément inégalitaires et répressives. Pourtant,
Si on v il faut im
d re a b solu », : le dro
it. famille ».
or e établi nous appliquons le droit romain de façon quasi quotidienne
de dés l’o r d r
e de oit.
le ultim n du dr sans que cette filiation dérange qui que ce soit.
symbo o lo nisatio ellence
.
c
a r le r de la
d é
u v o ir par exc
p o
nd peu nt du p our par
ler
On ente strume La colonisation a répandu

Pourta
nt, le d ro it est l’in
g e que le
domin a n t u tilise p
a m ment d
e notre La colonisation le droit romain aux confins
n g a e n d
Le droit
est le la
iné. L e d r o it influe
nce – in
dép
ies.
a répandu le du monde. Des notions

au dom e nos v issues de la civilisation


pects d
vo lo n té – tous
le s a s
flexio n s u r ce que
le droit droit romain aux romaine permettent de
e de ré rits
les esp
Cet arti
cle e s t u n e ébauch
nécess
ité de d é c o loniser confins du monde. déterminer la filiation,

t sur la l’héritage ou la propriété


lo n ia l e
a de co juridiqu
e. d’une parcelle de Djibouti Ville à Santiago au Chili. Cela
le d o maine
dans devrait nous faire poser des questions.
PISTES DE RÉFLEXION POUR DÉCOLONISER LE DROIT
SELMA BENKHELIFA

IR
RÉFLÉCH T
EN
AUTREM
Avant la
Une telle confusion existe entre le droit et la Dans une économie capitaliste, colonisation, les Avant la colonisation,
les peuples d’Amérique
justice que peu de gens osent remettre en la nature n’est qu’un objet
peuples d’Amérique vivaient en harmonie avec
question l’ensemble du droit. L’idée même que d’appropriation, une marchandise.
le droit est le résultat de rapports de force Il n’y a aucun respect pour les
vivaient en la nature. Les Occidentaux

existants dans une culture donnée, et non écosystèmes. Il est donc logique de harmonie avec la croient à tort que ce n’est

l’expression de la justice, n’est pas évidente remplacer une forêt millénaire par nature. que parce que ceux-ci
ne disposaient pas de
pour tout le monde. Pourtant, le droit est des champs de colza si la demande
technologies capables de dominer la nature. Il faut au
l’expression d’une culture. Les règles qu’une pour ce dernier est élevée, ou
contraire partir du postulat inverse, qui est que ces peuples
société met en place pour réguler les rapports d’épuiser les énergies fossiles si la
ne désiraient pas dominer la nature et ne le désirent
entre les individus et solutionner les conflits demande en essence est importante.
toujours pas. Leurs revendications actuelles le démontrent.
vont varier d’une communauté à l’autre. La C’est une application mécanique
colonisation a fait d’une seule expression de la loi de l’offre et de la demande.
La Déclaration des droits des peuples autochtones
culturelle du droit l’unique droit légitime. Celui qui possède la terre en fait ce
de 20072 consacre aux Nations Unies les valeurs, les
50 C’est sans doute ce qu’il faudra changer pour qu’il veut : le droit le lui permet.
traditions et les modes de pensée des peuples premiers. La
51
2
Déclaration des
sortir des rapports de domination actuels. Il
Nations Unies sur les déclaration souligne « le fait que les peuples autochtones
nous faudra chercher dans d’autres traditions
juridiques des réponses justes aux injustices du
Celui qui droits des peuples
autochtones,
ont subi des injustices historiques à cause, entre autres,

monde. Certains ont commencé ce travail de possède la Résolution 61/295 du de la colonisation et de la dépossession de leurs terres,
13 septembre 2007 territoires et ressources, ce qui les a empêchés d’exercer,
réappropriation culturelle. terre en fait notamment, leur droit au développement conformément à

Les Constitutions bolivienne et équatorienne


ce qu’il veut : leurs propres besoins et intérêts. »

font référence aux droits de la terre. Dans


le droit le lui
Une des valeurs mises en avant et revendiquées par
la tradition juridique occidentale, seuls les permet. les peuples premiers est justement le respect de
individus et les sociétés ont des droits. Mais
l’environnement. La déclaration considère que le respect
pour la première fois, des pays consacrent L’actuelle catastrophe écologique
des savoirs, des cultures et des pratiques traditionnelles
dans leur loi fondamentale que la Nature elle- n’est donc pas du tout accidentelle,
autochtones contribue à une mise en valeur durable et
même est titulaire de droits. Dans beaucoup de elle est au contraire calculée et
équitable de l’environnement et à sa bonne gestion.
traditions non occidentales, les communautés, prévisible. En sortant de cette
les peuples, la Terre ou la forêt sont aussi logique et en considérant que la Ce souhait de retour aux pratiques traditionnelles exprime
titulaires de droits. C’est une piste de réflexion Terre et la Nature sont des sujets de également la volonté de sortir la nature – ou du moins
et de résistance très intéressante pour tout ce droit et non des marchandises, on certains éléments de la nature – du système capitaliste
qui concerne les droits environnementaux. change complètement de paradigme. international.
PISTES DE RÉFLEXION POUR DÉCOLONISER LE DROIT
SELMA BENKHELIFA

Cette nouvelle approche – ou plus exactement Dans le droit occidental, il n’existe pratiquement
cette très ancienne approche réactualisée – a aucun bien inaliénable. Les traditions culturelles
l’Empire romain que
des implications directes sur les humains. africaines et sud-américaines peuvent nous Ce n’est qu’à partir de
ur les citoyens a été
En effet, la logique capitaliste n’épuise pas amener à réfléchir à comment faire sortir de la remise de dettes po
es
e l’endettement d’autr
seulement les ressources naturelles, elle l’économie de marché non seulement les terres, exclue du droit, et qu
C’e st
pour les asservir.
tend à spéculer pour influencer les prix. La mais aussi les forêts et l’eau, faisant ainsi de leur nations a été utilisé
rdure TROUVER DES
l’endettement qui pe
spéculation sur les denrées alimentaires, à utilisation par tous un droit fondamental. cette conception de SOLUTIONS
S
laquelle le marché bancaire participe, conduit aujourd’hui. JURIDIQUES PLU
JUSTES, PLUS
Un autre problème capital auquel sont
directement à des pénuries et à des famines.
surendettement, il
Pour lutter contre le
ÉGALITAIRES
confrontés presque tous les pays dits en
Pour l’enrichissement de quelques actionnaires cadre du droit romain
faut réfléchir hors du
ET PLUS
voie de développement est celui de la dette.
– qui souvent ignorent même quelles actions ant
rialiste, en recherch
esclavagiste et impé
ÉCOLOGIQUES
L’annulation de la dette du tiers-monde et
ils possèdent – des milliers de gens sont privés n de
idiques. L’applicatio
d’autres traditions jur ES
AUX PROBLÈM
des dettes publiques en général est une
du strict nécessaire. Ce qui fait d’ailleurs dire semble
le, permettrait à l’en
la charia, par exemp
ACTUELS.
revendication traditionnelle de la gauche. Elle a
à Jean Ziegler que les enfants qui aujourd’hui de
musulmane d’arrêter
plus récemment été reprise par le mouvement des pays de tradition
meurent de faim sont assassinés. 3
êt est
eure, puisque l’intér
Occupy Wall Street. Elle se heurte sans cesse payer la dette extéri t pour
islamique. Or, chacun
sait exemples, mais ils on
proscrit par le droit Ce ne sont que des
Pourtant, dans l’état actuel du droit, il est au principe de droit qui veut que si on contracte es
s du tiers-monde on
t payé cherchant dans d’autr
que les pays endetté but de montrer qu’en
impossible de poursuivre pour assassinat un une dette – même assortie d’un intérêt exagéré it
(parfois plusieurs foi
s) et elle tradition du dro
le capital de la dette traditions que l’étern
banquier qui aurait spéculé sur des –, il faille la rembourser. r le
s décolonise
ne payent plus que de
s intérêts. romain, nous pourrion
52 denrées alimentaires, quand bien même
naît aujourd’hui,
53
Cette évidence n’a pourtant pas toujours droit tel qu’on le con
on arriverait à prouver que son action ait
it occidental
existé. En Mésopotamie, à Babylone ou dans cesser de voir le dro
causé une famine. Par contre, un jeune
supérieur aux
la loi biblique, le droit prévoyait un effacement comme moralement
révolté qui irait taguer « assassin » sur la banque plus
solutions juridiques
automatique des dettes. autres et trouver des
serait poursuivi et condamné. es aux
es et plus écologiqu
justes, plus égalitair
Le Code d’Hammourabi4 précise que : « Qui-
De la même manière, la plupart des traditions problèmes actuels.
conque est débiteur d’un emprunt, et qu’un
non occidentales ne font pas du droit de
orage couche le grain, ou que la récolte échoue,
propriété un droit absolu. En Côte d’Ivoire, par

S e l m a i fa
ou que le grain ne pousse pas faute d’eau, n’a
exemple, pour plus de 60 groupes ethniques, il

Benkhel
besoin de donner aucun grain au créancier cette
existe différents modes de gestion de la terre,
année-là, il efface la tablette de la dette dans
ayant tous un point commun : la propriété
l’eau et ne paye pas d’intérêt pour cette année. »
individuelle n’est pas reconnue par la société
Selma Benkhelifa est
traditionnelle, à cause du caractère inaliénable Dans le judaïsme, le Deutéronome5 prévoit que : avocate, spécialisée en
de la terre. « Tous les sept ans, tu feras relâche. Et voici droit des étrangers au
comment s’observera le relâche. Quand on aura barreau de Bruxelles. Elle
publié le relâche en l’honneur de l’Éternel, tout est également militante
3
Ziegler, J. (2011). 4
Texte juridique créancier qui aura fait un prêt à son prochain féministe et antiraciste.
Destruction massive. babylonien
se relâchera de son droit, il ne pressera pas son
Géopolitique de la
faim. Le Seuil. 5
Cinquième livre de prochain et son frère pour le paiement de sa
la Bible hébraïque dette. »
POU R U N E Ya r i j e y
TRA N S I T I O N Te c h e r
LO N I A L E
DÉCO
MA MA
NÉGRITUDE TRANSIDENTITÉ
Je suis né dans une famille blanche française J’ai su que j’étais garçon avant de savoir que
qui a étouffé toute trace de ma négritude j’étais Noir. Dès l’âge de trois ans, j’ai refusé
avant même mon premier souffle. Ma mère de porter des robes, des pinces à cheveux,
blanche voulait un garçon, elle avait déjà j’étais en constante compétition avec les 55
54
T1:
MOUVEMEN S :
un nom de « garçon ». Sur mon certificat de garçons. À onze ans, je me rasais le visage
naissance : la mère est blanche, le père est en secret, souhaitant qu’une barbe et une

PRINTEMP blanc, l’enfant est fille, son nom aussi. Je ne pomme d’Adam poussent. Je refusais de

CONTEXTE suis pas très bon en maths : Blanche + Blanc


+ sexe féminin + nom de naissance féminin =
faire du sport dans les équipes de « filles ».

Ma mère ne savait pas quoi faire de mes


moi, un garçon noir mixte.
cheveux, j’avais donc un afro. Je ne savais
Je ne peux même pas dire que j’ai été adopté pas ce que cela voulait dire. Ma négritude
ance a eu
Ma première naiss
e a été parce que ça n’a jamais été le cas. Marié était visible à l’œil nu, sauf à mes yeux. Ma
lieu le 5 mai 1980. Ell
à ma mère, mon père non biologique s’est transidentité aussi l’était, perceptible, mais
LEQUEL
vie par
immédiatement sui
pointé à la mairie et m’a déclaré comme sa vouée au silence par les années 80.
gritude
deux décès. Ma né
EST et mon genre. Lequ
el « fille ». Alors qu’il savait déjà que j’étais un
enfant des jours et des nuits. La lune dormait
Tout au long de mon enfance, on me

MORT EN
? Je
est mort en premier posait constamment deux questions : qui
mort en moi, tout le monde pouvait le voir, sauf
ne suis pas sûr ! La est Noir.e ? Ton père ou ta mère ? T’es un

PREMIER ?
ment moi, que mon sang était fait de levers de
n’est pas particulière garçon ou une fille ? Je ne savais pas quoi
ne le soleil, mon visage et mes cheveux vespéraux.
linéaire, ces derniers répondre, alors j’inventais des histoires.
Les portraits de famille ressemblaient à un
sont pas non plus. J’avais honte de mentir... mais étaient-ce
groupe de personnes blanches aux yeux bleus
vraiment des mensonges ?
portant l’ombre de la lune sur leurs genoux.
POUR UNE TRANSITION DÉCOLONIALE
À l’intérieur de l’appartement HLM : des YARIJEY TECHER
murs blancs pour une « famille blanche ».
À l’extérieur, un ciel coloré pour les villes-
dortoirs de Paris. Les banlieues et leur
population composées de communautés
Jeudi 1er août 2019
africaines, nord-africaines, caribéennes,
asiatiques et sud-asiatiques. Alors que ma Cher L.,
famille blanche avait des difficultés à être la
Je veux te dire au revoir correctement. Je suis tellement heureux et
« minorité visible », j’étais le paysage : la lune,
le soleil, les nuits de ces villes endormies.
Ce n’est soulagé de te laisser partir, mais je ne veux pas que tu penses que je suis

Mon visage noir m’est venu avant son identité.


pas venu en colère ou contrarié contre toi. Non ! Vraiment… au contraire, merci.

J’avais l’espace en moi pour que les étoiles s’y comme une Merci beaucoup d’avoir habité ce corps pendant tant d’années, je sais

couchent. Tout le monde le savait, à part moi. tempête, que tu as fait tout ce que tu pouvais pour être OK, pour essayer d’être
heureuse. Je t’admire pour ça, pour ta détermination à rester en vie, pour
La vérité à propos de mon père biologique a
plutôt ton courage. Merci d’avoir tant combattu, d’avoir essayé de guérir de tous
été révélée quand j’avais 28 ans. Ce n’est pas comme un les traumatismes : ceux de l’enfance, ceux qui existent déjà, ceux que la
venu comme une tempête, plutôt comme un ciel de nuit société a plantés en toi. Merci de me donner l’espace, merci de partir... Je
ciel de nuit dégagé. Philippe, un homme noir dégagé. peux rentrer à la maison maintenant, tu peux partir en paix. Tu sais... tu sais
d’une île française colonisée, située entre que... j’ai toujours été là, à regarder, à attendre ce moment, que le temps et
l’océan Atlantique et la mer des Caraïbes : l’espace soient safe pour prendre le dessus. Tu es en sécurité maintenant,
la Guadeloupe. tu peux partir.

56 57
C’est ainsi que mon âme a repris
C’est ainsi que
MOUVEMENT 2 : mon âme a repris
son propre corps. Après des
siècles d’exil, après 39 ans de
ÉQUINOXE : UNE son propre corps. travail d’accouchement, je suis né

TRANSITION au monde et enfin à moi-même.

SPIRITUELLE ET Personne n’était physiquement présent.e dans

DÉCOLONIALE la maison, mais je n’étais pas seul cette nuit-là.

Au fil des semaines, les aspects médical et


physique de la transition ont commencé à
se fondre en une série de repères spirituels
Ma deuxième naissance a eu lieu tard, une
et d’actions régulières entreprises dans le
nuit d’été, après la première injection de
but de grandir. Passer par l’aspect médical
testostérone. Cette nuit-là, une nouvelle
a engendré de profondes réalisations et
lune noire se levait sous le signe du Lion.
nuances sur mon identité trans, déplaçant
Mon corps entier vibrait, désorienté; je
l’attention des résultats physiques à une
n’ai pas pu reposer mes yeux une seule
pratique décoloniale et spirituelle de celle-ci.
seconde. Tout a changé, la nuit semblait
logique. J’ai eu besoin d’écrire :
POUR UNE TRANSITION DÉCOLONIALE
YARIJEY TECHER

QUELQUES REPÈRES RITUELS ET PRATIQUES


SPIRITUELS IMPORTANTS DÉCOLONIALES DE TRANSITION

1- Canaliser son nom : 2- S’identifier : Être entaché suis fier d’être un homme Ma transition est le cahier progressivement reconstruite
Pression; c’était important, ça par la nuit signifie que, trans noir métissé et heureux corporel du Cahier d’un retour pour donner naissance à la
devait être spécial, unique. Je contrairement aux Blancs, je de reconnaître l’importance au pays natal4. Ce poème de production d’un nouveau récit,
voulais qu’il représente qui je n’ai pas le privilège de séparer de mon existence. Tout 65 pages publié en 1947, écrit une révolution, une forme
suis, qui j’étais depuis toujours. mon identité de genre de comme je suis fier de l’apport par Aimé Césaire, est une de libération. La force de se
J’étais tellement habitué à la ma racialisation. Pour moi, émotionnel, spirituel et importante œuvre de littérature désaliéner de l’Histoire5. La
violence de porter un nom les deux processus ont été physique que j’apporte à noire francophone sur le retour transition est indéniablement
choisi par une famille qui m’a lents, toujours en continuité, cette société. du poète dans son pays natal, une déconstruction/
1
“The Dictionary Of
assassiné deux fois, que la parfois euphoriques, parfois la Martinique. Il existe de reconstruction (voyage)
The Taino Language”
3- Marquer la peau :
tâche semblait colossale. J’ai douloureux, à la fois intro accessed March 2, nombreux écrivain.e.s/écrits quotidienne, hebdomadaire
Ma peau est une part 2020, http://www.taino-
clairement canalisé un nom et extrospectifs. Coming que je pourrais référencer afin sans fin du retour à la
importante de mon genre tribe.org/tedict.html.
plutôt que de m’en donner out/in en tant que Noir et d’exprimer la construction maison; chez moi, pas dans
et de ma négritude, c’est 2
« Meet the Survivors of
un. La nuit de ma deuxième trans, c’est deux batailles de ma négritude et de mon ma famille biologique; chez
là que le soleil et la lune se a ‘Paper Genocide’ »,
naissance, mes ancêtres noirs en une. C’est défier les History, 14 octobre 2019,
identité de genre. Bien que moi, pas dans ma terre de
croisent. C’est le miroir de
ont cessé de dormir narrations racistes blanches https://www. l’auteur soit cis et hétéro, je citoyen; chez moi, pas
ma négritude se reflétant nationalgeographic.
58 dans mon sang ou sur eurocentrées sur la façon
com/history/2019/10/
résonne avec son écriture dans la binarité; chez 59
sur le monde – qui me le
mon visage. Réveillés, dont mon existence, ma place meet-survivors-taino- particulière parce qu’Aimé moi, pas dans le noir
renvoie parfois de manière tribe-paper-genocide/.
ils sont devenus mon et ma valeur sont délimitées Césaire, comme le père comme construction
douloureuse. C’est aussi la
écriture, mon cœur battant, pour mon corps noir. En 3
« Taíno », in Wikipedia, biologique absent, est Homme sociohistorique occidentale.
couleur de ma peau qui m’a
mon premier souffle. Le nom même temps, c’est défier 2 mars 2020, https:// Noir des Antilles françaises. Il
évité d’être complètement en.wikipedia.org/w/ Chez moi, à mes ancêtres.
devait être enraciné dans la les systèmes patriarcaux rentre chez lui, moi je rentre au
index
effacé par ma famille Chez moi, à leurs terres,
sphère des Caraïbes et ne hétéronormatifs, dont les pays du père absent.
blanche. C’est aujourd’hui un 4
Aimé Césaire, Cahier mers, respirations. Chez
pouvait certainement pas être performances binaires de
rite de passage de la mort à D’un Retour Au Pays Cahier d’un retour au pays moi-même, à ma négritude, à
français. genre sont le centre de Natal. (Guérin, 2000).
la vie, de l’enfant à naître à natal est décrit comme ma transidentité. Chez moi,
gravité. Il s’agit de les briser
Salut, moi c’est Yarijey. Yari l’enfant né. La tatouer pour
5
Gloria Saravaya, un modèle de réécriture, fait de rituels quotidiens et
aussi bien intimement Le thème du retour
signifie « petits bijoux en or » en marquer ce passage allait dans le Cahier d’un
une lente perception de la hebdomadaires de spiritualité
qu’« extimement ». Me voir
langue taïno . Les Taïnos étaient
1
de soi, c’était inévitable. Au retour au pays natal conscience noire émergente, et de décolonialité.
refuser l’accès, mais aussi
(Aimé Césaire) (Paris:
des peuples autochtones vivant fil du temps, des feuillages
la validation de mon genre L’Harmattan, 1996).
dans les îles des Caraïbes avant encrés de plantes vivaces de
et de ma négritude signifie
l’arrivée des colons en 1492. Il l’archipel de la Guadeloupe
qu’aujourd’hui, m’identifier en
est dit que de nombreux Taïnos continueront de pousser sur
ont survécu en s’enfuyant dans
tant qu’homme noir métissé
mes avant-bras pour ancrer
Il rentre
les montagnes2 où se trouvaient
et trans est tout autant une
mon chemin du retour à mes chez lui, moi
déclaration politique que
les communautés Nèg Mawon3.
d’amour de soi. En effet, je
ancêtres, à leur terre, à mon je rentre au
histoire et à moi-même. pays du père
absent.
entre être un
homme cis sans
race et/ou un
homme cis noir.
POUR UNE TRANSITION DÉCOLONIALE
YARIJEY TECHER

Aujourd’hui, je RITUEL
ne suis ni l’un ni HEBDOMADAIRE
l’autre.
Tous les mercredis, 6 h 30 : j’injecte par voie J’ai réalisé suite à une conversation
intramusculaire 0,33 ml de testostérone. avec une femme blanche cis hétéro que
L’hormone parcourt mon sang, amorçant certaines personnes croient naïvement
RITUEL progressivement le processus de que les masculinités trans ne peuvent
QUOTIDIEN masculinisation physique, dilatant les pores pas être problématiques ! Je ne suis pas

récemment, la transition pour laisser pousser les poils, les muscles et d’accord. Pourquoi supprimer les nuances
L’amour noir queer : jusqu’à
sibilité. Tout au long de ma les coins les plus intimes de mon corps. Elle et les complexités des masculinités trans ?
pour moi n’était pas une pos
fois de traverser ce monde parcourt mon corps reconnecté, libérant Au lieu de chercher les détails de mes
vie, j’ai rêvé des millions de
que de représentation et de progressivement « la géométrie de mon changements physiques, pourquoi ne
en tant qu’homme. Par man
re être un homme cis sans sang répandu » . Elle extrait la constitution pas chercher les détails de mon évolution
7

soutien, l’image oscillait ent


. Aujourd’hui, je ne suis génétique transmise par le père absent, ma intérieure ? Pourquoi ne pas chercher
race et/ou un homme cis noir
omme trans noir métissé, négritude. L’hormone épaissit les racines dans mes yeux les manifestations de
ni l’un ni l’autre. En tant qu’h
actions et je veux être de mes cordes vocales dans son paysage narrations afrocentrées ? Pourquoi ne pas
je suis responsable de mes
ur
munauté. Laisser la blanche caribéen. Ce rituel hebdomadaire crée un observer mes mains pour la construction
responsable envers ma com
système qui a effacé, brisé, espace pour une nouvelle narration de la de connexions respectueuses et non
derrière et m’éloigner d’un
des amours noires, des transition noire, un lieu de recentrage de oppressives au sein de mes communautés,
déchiré des familles noires,
er
s queer noires. Afin de bris l’histoire dont le point de départ est mes plutôt que les changements structurels
60 racines noires, des histoire 61
que
s et ces traumatismes, dès ancêtres, leur existence présente en moi de mes muscles ?
ces croyances systémique
d’aller me coucher, je lis un aujourd’hui.
je me réveille et juste avant Je veux exister au-delà de ma
é près de mon lit :
6

post-it que j’ai écrit et plac Mon corps, leur sang, mon souffle, leurs superficie. Je veux que ma trans
terres, mes larmes, leurs océans. masculinité noire soit ressentie comme
6
Merci à Jada pour nos une manière d’être vu.
L’amour noir queer conversations. Un espace décolonial pour s’éloigner de
l’ivresse de la binarité, du passing, du
Existe, Est Réel, Possible &
conformisme, de la transidentité blanchie,
s plein de
Magique. Se manifeste sou
de la masculinité privilégiée. Un espace
ni de
formes. Il n’a pas de temps
pour déconstruire mes virilités noires, pour

JE VEUX
limite.
explorer les possibilités de masculinités;
celles imaginées, rêvées, construites, non
existantes, existantes, absentes, intoxiquées, EXISTER
AU-DELÀ
déconstruites, inconnues, possibles,
espérées. Un espace décolonial pour muer la
Par manque de peau du genre.
DE MA
représentation
et de soutien, SUPERFICIE.
l’image oscillait 7
Césaire, Cahier D’un Retour

entre être un
Au Pays Natal., 129-37.

homme cis sans


race et/ou un
omme cis noir.
POUR UNE TRANSITION DÉCOLONIALE
YARIJEY TECHER

MOUVEMENT 3 :
L’AUBE « AU BOUT
DU PETIT MATIN... »8 :
UNE TRANSITION 8
Césaire, Cahier D’un
Retour Au Pays Natal.
ARTISTIQUE

Pour explorer les aspects mentionnés dans cet matérielle, je sépare son identité allégorique
essai, je découpe, à la main ou numériquement, de son contexte sociohistorique.
des autoportraits photographiques pour ensuite
Une fois le processus de découpage
les retravailler. Le geste du découpage est pour
entamé, j’élimine certaines parties pour les
moi une déconstruction symbolique. Celle d’une
retravailler en intervenant sur leur forme,
réalité de mon identité, qui existe par elle-
leur aspect chromatique, par l’infiltration
même. C’est couper le double de celle-ci, qui
et/ou l’utilisation d’éléments naturels que
n’existe que dans l’aspect physiologique et qui se
l’on retrouve tout au long du Cahier d’un
manifeste par l’image, en particulier le portrait.
retour au pays natal, tels que la lune, le
Je décortique l’autoportrait pour l’adapter à
volcan, le soleil, la nuit, la faune et la flore
mon processus de transition. Séparer l’image
antillaises, etc. Mon but ici est d’établir un
et sa forme matérielle de son contexte
dialogue artistique expérimental entre mes
62 habituel comme une opération de mise
transitions médicale, physique, spirituelle,
à nu. Je sépare l’image et sa forme
décoloniale et émotionnelle, comme façon
de documenter les nuances de ma transition.

Ya r i j e y
Te c h e r
Yarijey est un homme Trans, Queer, question des constructions sociales et
métissé Noir, designer graphique. Il a historiques persistantes. Son objectif est
étudié les arts appliqués en Nouvelle- d’engager un dialogue entre la création
Zélande. Il est titulaire d’une maîtrise et le spectateur. Ce processus est révélé
en arts, spécialisé dans le processus par des expérimentations qui traduisent
de création contemporain. Son travail la condition indéfinie et la psychologie
existe dans l’espace de fabrication plutôt d’un créatif Queer Trans Noir.
que dans le produit fini. Ses travaux, IG personnel : @anything_but_french
ses écrits et sa transition sont des IG professionnel : @yarijey_design
processus exploratoires remettant en

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