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2023 08:55
Frontières
Déclinaisons du cadavre
Esquisse anthropologique
David Le Breton
Éditeur(s)
Université du Québec à Montréal
ISSN
1916-0976 (numérique)
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DÉCLINAISONS
Résumé
DU CADAVRE
Le statut du cadavre dépend du statut
culturel de la mort. Il ne peut que ren-
voyer les cultures et les sensibilités indi-
Esquisse anthropologique
viduelles à un débat sans fin. Savoir si le
corps n’est qu’un objet indifférent après
la mort ou s’il demeure l’homme est une
interrogation sans issue. La réponse se
fonde uniquement sur des arguments
culturels, une vision du monde, un univers À CHAQUE INSTANT DE LA VIE NOUS SOMMES DES ÊTRES
de valeurs, elle dépend des représenta- QUI ALLONS MOURIR ET CET INSTANT SERAIT TOUT AUTRE
tions de la mort, du corps, elle implique
SI TELLE N’ÉTAIT PAS NOTRE DESTINATION, INNÉE ET DE
une définition sociale de la personne.
QUELQUE MANIÈRE AGISSANTE EN LUI. DE MÊME QUE NOUS
Mots clés : anthropologie de la mort – NE SOMMES PAS ENCORE VRAIMENT LÀ DÈS L’INSTANT DE
cadavre – dissection – histoire de
NOTRE NAISSANCE, MAIS QU’IL Y A CONTINUELLEMENT UN
l’anatomie – corps – anthropologie
du corps. PEU DE NOUS À NAITRE, DE MÊME NOUS NE MOURONS PAS
UNIQUEMENT DANS NOTRE DERNIER INSTANT.
Abstract SIMMEL, LA MÉTAPHYSIQUE DE LA MORT.
The status of the corpse depends on the
cultural status of death, which can only
lead to unending debate amongst indi-
vidual cultures and sensibilities. Knowing
whether a body is an indifferent object
after death or whether it remains a per-
son is a question without answer. The
response is uniquely based on cultural
arguments, a worldview, a multitude of
different values. It depends on the rep- David Le Breton, Ph.D., familier et compréhensible, chargé de sens
resentations of death, of the body ; it sociologue, Université de Strasbourg. et de valeur, et partageable en tant qu’ex
involves a social definition of the person.
périence par tout autre individu inséré
Keywords : anthropology of death – comme lui dans le même système de réfé-
AMBIGUÏTÉS
corpse – dissection – history of rences culturelles et sociales. Impossible
anatomy – body – anthropology
DU STATUT DU CADAVRE
La condition humaine ne se conçoit de parler de l’homme sans présupposer
of the body. d’une manière ou d’une autre que c’est
pas hors du corps qui lui donne un visage.
Matière d’identité au plan individuel et d’un homme de chair dont il s’agit, pétri
collectif, le corps est l’espace qui se donne d’une sensibilité propre. Le corps n’est pas
à voir et à lire à l’appréciation des autres. une chose ou un objet différent de soi, il
C’est par lui que nous sommes nommés, est la matière de la personne, son être au
reconnus, identifiés à une appartenance monde, l’individu est dans l’impossibilité
sociale, à un sexe, à un âge, à une cou- de s’en dissocier sans disparaître car il
leur de peau, à une apparence. Le corps n’est pas autre chose que sa chair.
dessine les limites de soi, il établit la Quand la mort emporte la personne,
frontière entre le dedans et le dehors de il reste son corps. Certaines langues
manière vivante car il est aussi échange retiennent un terme spécifique pour nom-
constant avec l’environnement. Il enve- mer ce reste : un cadavre, c’est-à-dire une
loppe et incarne la personne. Tout rap- question qu’aucune réponse ferme ne sus-
port au monde implique la médiation du pend. « Quelqu’un a disparu. Une question
corps. En lui l’homme étreint le monde et surgit et resurgit obstinément : existe-t-il
le fait sien, le transformant en un univers encore ? Et où ? En quel ailleurs ? Sous