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Chapitre 1 – LE SYSTEME MONETAIRE INTERNATIONAL D’APRES-GUERRE :

LES ACCORDS DE BRETTON WOODS (1944 – 1973)

Entre le 1er et le 22 juillet 1944, 44 nations se réunissent au Mount Washington Hotel, à

Bretton Woods, dans le New Hampshire (Etats-Unis). Cette conférence est le résultat d’une

série de conférences tenues en 1943 (Hor Springs, Virginie) et en juin 1944 (Atlantic City, New

Jersey). Il convient de préciser qu’avant ces conférences, des rencontres régulières ont eu lieu

entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni.

Si la Conférence de Bretton Woods est souvent perçue comme la volonté de redéfinir

un ordre monétaire international disloqué au cours de l’entre-deux-guerres, il est important

de souligner que ses objectifs vont bien au-delà. Plus précisément, comme le rappelle

l’historien de l’économie Harold James (2019), l’objectif fondamental porté par les Etats-Unis

est de refondre le capitalisme de telle manière à ce qu'il ne se déstabilise pas durablement lui-

même et qu’il ne déstabilise pas non plus l’ordre politique et légal international qui doit se

mettre en place. Ainsi, du point de vue des Etats-Unis, sous l’impulsion notamment du Trésor

américain et du Département d'État, il y a la volonté de promouvoir un ordre économique

international fondé sur la liberté du commerce. Dans cette perspective, il apparait nécessaire

de dépasser l'isolationnisme qui a caractérisé la politique américaine dès la fin de la Première

guerre mondiale, isolationnisme fortement critiqué en raison de ses effets négatifs sur

l’économie mondiale par John Maynard Keynes dès 1919 dans ouvrage The Economic

Consequences of the Peace. Cette approche unilatérale des Etats-Unis sera aussi l’une des

causes de l’échec de la Conférence de Londres en juillet 1933. Dès les années 30, ce que l’on

appelle parfois les « internationalistes » entendent promouvoir « New Deal pour un nouveau

monde » pour reprendre l’expression utilisée par Harry Dexter White, membre du Trésor

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américain, et futur négociateur en chef des Accords de Bretton Woods pour les Etats-Unis

(Ben Steil, 2013).

 Harold James (2019), The Multiple Contexts of Bretton Woods, in : The Bretton Woods
Agreements, Together with Scholarly Commentaries and Essential Historical Documents,
Naomi Lamoreaux et Ian Shapiro, éditeurs, Yale University Press, p. 254-272.
 Benn Steil (2013), The Battle of Bretton Woods: John Maynard Keynes, Harry Dexter
White, and the Making of a New World Order, Princeton University Press.

La référence au New Deal est importante en ce qu’elle montre une convergence de vue

entre Harry Dexter White et John Maynard Keynes (négociateur en chef pour le Royaume-

Uni) sur le fait que le capitalisme n’est pas un système économique qui s’auto-régule selon la

main invisible. L’intervention de l’Etat, en particulier les politiques monétaire et budgétaire,

est une condition indispensable pour atteindre le plein-emploi.

Les expériences monétaires liées à l’étalon-or – couvrant la période 1880-1914 – et de

l’entre-deux-guerres sont des éléments contextuels importants à prendre en compte pour

comprendre le résultat final de la Conférence de Bretton Woods.

De la période de l’étalon-or, deux points principaux méritent d’être soulignés. En

premier lieu, la stabilité monétaire de la période et le degré élevé d’ouverture des économies

– la période est souvent qualifiée de « premier âge de la globalisation » se sont accompagné

d’une croissance très rapide de l’économie mondiale (Jeffry Frieden, 2019).

En second lieu, comme l’a souligné à plusieurs reprises Barry Eichengreen (notamment

1992 et 2019), les conditions d’ajustement interne des économies ont connu un changement

radical après la Première guerre mondiale. Plus précisément, sous le régime de l’étalon-or, en

liant la quantité de monnaie en circulation dans chaque pays au stock d’or détenu par la

banque centrale de ces pays, toutes pertes d’or liées à un déficits extérieurs devait entrainer

une contraction de l’offre de monnaie aux effets déflationnistes. Ces effets prenaient eux-

mêmes appui sur la flexibilité des prix et des salaires qui caractérisait la période. Les baisses

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de prix et de salaires étaient rendues possibles en raison du contexte politique et social de

l’époque :

- sur le plan économique et social, la grande entreprise était encore relativement peu présente

et les travailleurs n’étaient pas organisés en syndicats. Les conditions étaient donc proches de

ce qui pourrait ressembler à la concurrence parfaite ;

- sur le plan politique, les régimes politiques étaient pour la plupart marqués par un degré

limité de démocratie. Les partis politiques d’obédience socialistes étaient soit non représentés

dans les Parlements, soit interdits. Autrement dit, ceux qui subissaient les conséquences

négatives de la baisse des salaires (les travailleurs) et / ou des prix (le secteur agricole) ne

pesaient pas dans les décisions de politiques économiques. L’équilibre interne était donc

totalement assujetti à l’équilibre externe, c’est-à-dire au respect des règles liées à l’étalon-or.

Cet assujettissement ne faisait pas l’objet de discussions car il était favorable aux élites, seules

représentées dans les instances politiques décisionnelles.

Dès le début du 20ème siècle, et particulièrement près la Première guerre mondiale,

plusieurs changements structurels apparaissent. Premièrement, la nomination des décideurs

politiques par le suffrage universel devient de plus en plus courante. Dans le même

mouvement, les syndicats ouvriers gagnent en importance. On assiste donc à une politisation

des questions monétaires et budgétaires qui ne sont plus uniquement entre les mains des

élites favorables à l’étalon-or. En second lieu, les germes de l’Etat providence commencent à

apparaître par exemple à travers la prise en charge par l’Etat des blessés de la guerre, des

veuves de guerres ou des enfants orphelins. Si nous n’en sommes pas encore à l’engagement

des gouvernements pour des politiques de plein-emploi – il faudra attendre pour cela la fin de

la Seconde guerre mondiale – les pays commencent à débattre du bien-fondé de la priorité

accordée à l’équilibre externe par rapport à l’équilibre interne. La conséquence fondamentale

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de ce changements structurels est double. D’une part, les ajustements déflationnistes liés à

l’étalon-or tendent à devenir économiquement coûteux car en raison de la rigidité des prix et

des salaires, il faut une forte contraction de l’activité pour que prix et salaires s’ajustent à la

baisse (dévaluation interne). D’autre part, les conséquences négatives sur l’activité de tels

ajustements tendent à devenir politiquement coûteux en raison de la présence de partis

défendant les intérêts des travailleurs au sein des Parlements.

En résumé, les architectes des Accords de Bretton Woods doivent retenir qu’un retour

à l’étalon-or est impossible mais que l’ouverture des économies est un facteur favorable à la

croissance économique.

 Jeffry Frieden (2019), The Political Economy of the Bretton Woods Agreements, in
Lamoreaux et Ian Shapiro, éditeurs, op. cit., p. 21-37.
 Barry Eichengreen (1992), Golden Fetters: The Gold Standard and the Great
Depression, 1919-1939, Oxford University Press.
 Barry Eichengreen (2019), Globalizing Capital-A History of the International Monetary
System, 3ème édition, Princeton University Press.

L’état d’esprit en 1944 est profondément marqué par l'expérience monétaire

internationale de l'entre-deux-guerres. Trois points importants doivent êtres soulignés. En

premier lieu, comme nous venons de la souligner, l’existence d'un étalon international est

perçue comme une perte d'autonomie des Etats dans la conduite de leur politique

économique. Cette perte entraîne en effet l'apparition d'un double conflit : d'une part, au

niveau de chaque Etat entre objectifs internes et externes, d'autre part entre les Etats lorsqu’il

s’agit notamment d’effectuer des ajustements aux conséquences déflationnistes. Les

concepteurs des Accords de Bretton Woods vont donc chercher à élaborer un système

monétaire international sans étalon.

Les deux points suivants ont été largement influencés par le rapport rendu à la Société

des Nations en 1944 par l’économiste Ragnar Nurkse.

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 Ragnar Nurkse (1944), International Currency Experience: Lessons of
the Inter-War Period, Genève, League of Nations.

Tout d’abord, la flexibilité des changes pratiquée par les pays périphériques dès la fin

des années 20 et par certains autres pays au cours des années 30, tels le Royaume-Uni et les

Etats-Unis, est interprétée comme une politique de dévaluations compétitives, porteuse

d’égoïsmes nationaux et exportatrice de la crise. La recherche d'une certaine fixité des

changes est ainsi un objectif primordial afin d’éviter que les conflits monétaires, eux-mêmes

liés à des conflits commerciaux, entrainent une montée généralisée du protectionnisme à

l’image des années 30.

Enfin, et c’est notre troisième point, les mouvements internationaux de capitaux, en

particulier ceux à court terme appelés capitaux flottants ou hot money, ont profondément

déstabilisé les économies nationales dans les années 30. Ils ont été un facteur aggravant de la

crise. Dans cette perspective, limiter les mouvements internationaux de capitaux apparait

comme une condition importante pour favoriser l’ouverture commerciale. Ragnar Nurkse

s’est notamment intéressé l’expérience de la France au cours de la période 1922 – 1926. Il

souligne que la dépréciation du franc a conduit les spéculateurs à anticiper de nouvelles

dépréciations provoquant une aggravation du déséquilibre de la balance commerciale car les

importateurs, anticipant une nouvelle dépréciation et donc un accroissement du prix des

importations, devancent leurs importations tandis que les exportateurs, anticipant une hausse

du prix des exportations, les retardent. Ces « leads and lags » sont une forme de spéculation

passive sur laquelle nous reviendrons. Nurske souligne aussi que la dévaluation de la livre

sterling en septembre 1931 a été suivie par une série de dévaluations compétitives avec des

surajustements de taux de change liés aux capitaux à court terme.

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Les éléments qui précèdent ont joué un rôle majeur dans l’élaboration du système

monétaire international mis en œuvre à Bretton Woods. Les Accords de Bretton Woods ont

une place paradoxale dans l’histoire économique récente. D’une part, ils sont

inextricablement liés à la période de croissance soutenue que vont connaitre les pays

industrialisés jusqu’au milieu des années 1970. En outre, comme le souligne Frieden (2019),

la Conférence de Bretton Woods revêt un caractère inédit en raison de son objectif : réunir

plusieurs pays afin de mettre en place un nouvel ordre économique à l’échelle mondiale.

D’autre part, en dépit des remarques précédentes, la durée de ce régime monétaire a été en

réalité très courte. Prenant appui sur les travaux de Michael D. Bordo (1993), il apparaît que :

- si on situe le fonctionnement de ce régime tel qu’écrit dans les Accords entre la déclaration

par les deux tiers des pays membres de leur parité le 18 décembre 1946 et la suspension de

la convertibilité-or du dollar le 15 août 1971, sa durée a été de 25 ans ;

- si la référence de départ est le retour à la convertibilité des monnaies des pays industrialisés

d'Europe de l'Ouest le 27 décembre 1958 et la référence de fin la suspension de la

convertibilité-or du dollar le 15 août 1971, sa durée a été de 12 ans ;

- enfin, si la référence de départ est le retour à la convertibilité des monnaies des pays

industrialisés d'Europe de l'Ouest le 27 décembre 1958 et la référence de fin l’arrêt du pool

de l'or le 15 mars 1968, sa durée a été de 9 ans. De fait, le dollar n’est plus convertible en or.

Du point de vue de la logique de fonctionnement du régime monétaire de Bretton Woods, les

deux dernières références sont les plus pertinentes.

 Michael D. Bordo (1993), The Bretton Woods International Monetary System: A


Historical Overview, in : A Retrospective on the Bretton Woods System: Lessons for
International Monetary Reform, Michael D. Bordo et Barry Eichengreen, éditeurs, University
of Chicago Press, 3-108.

Ce chapitre étudie le fonctionnement du système monétaire international tel qu’il a été

conçu lors de la Conférence de Bretton Woods. Nous aurons cependant l’occasion de souligner

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qu’assez rapidement des différences vont apparaître entre le fonctionnement effectif de ce

régime monétaire et ce qui avait été pensé à Bretton Woods. On analysera les limites de ce

régime monétaire qui conduiront à son effondrement définitif en 1973.

Trois sections composent ce chapitre. Dans la première, nous présentons tout d’abord

les deux principaux plans alternatifs qui ont été proposés, le Plan Keynes pour la délégation

britannique et le Plan White pour la délégation américaine. Ensuite, les principales décisions

constitutives des Accords de Bretton Woods sont analysées. Dans une deuxième section, on

s’intéresse aux difficiles débuts du régime monétaire de Bretton Woods. Ces débuts difficiles

sont en partie liés à une sous-estimation par les Américains des besoins de reconstruction en

Europe occidentale et au Japon. Cette section deux couvre la période 1945-1957. Enfin, dans

une dernière section on étudie la dynamique des Accords de Bretton Woods jusqu’à leur

effondrement. Il s’agit de la période 1958-1973.

Section 1 Le régime monétaire international issu de la Conférence de Bretton Woods, juillet


1944

Cette section se compose de deux principaux paragraphes. Dans le premier, nous

analysons les deux principaux plans proposés pour reconstruire l’architecture monétaire

internationale, le Plan Keynes côté britannique et le Plan White côté américain (1.1.). Dans un

second paragraphe, les principales dispositions des Accords de Bretton Woods sont

présentées (1.2.).

1.1. Le plans américains et britanniques pour un nouveau système monétaire international

Les Accords de Bretton Woods sont le fruit d'un compromis entre les deux délégations

dominantes, l'américaine et la britannique. Les Etats-Unis ont pour objectifs fondamentaux

d'éviter la reproduction des désordres internationaux des années vingt et trente. Au cours de

ces années, les phénomènes perturbateurs sont l'instabilité des taux de change et le

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protectionnisme en matière commerciale. En 1944, les Etats-Unis prônent donc une politique

de fixité des taux de change, de suppression des quotas d'importations et de non-

discrimination en matière commerciale. Anticipant une position créditrice internationale

durable, l’administration américaine a aussi pour double objectif, d’une part, de limiter les

exigences d’ajustement pouvant peser sur les pays excédentaires et, d’autre part, de limiter

la dotation de la future institution qui deviendra le Fonds monétaire international.

Le Royaume-Uni est davantage préoccupé par les dysfonctionnements économiques des

années trente marqués par le chômage, la déflation et l'effondrement du système monétaire

international. En conséquence, la délégation britannique préconise des taux de change

révisables, un recours limité au contrôle des échanges commerciaux afin de favoriser les

politiques nationales de plein-emploi et enfin une politique de préférence commerciale dans

l'objectif d'entretenir les liens privilégiés entre des ensembles régionaux du type

Commonwealth. L’influence keynésienne est ici très même si on la retrouve aussi dans le Plan

White.

De ces visions différentes des problèmes monétaires internationaux résulte deux plans

concurrents sur des points essentiels même s’il existe aussi de nombreux points de

convergence.

Le Plan Keynes - défendu par la délégation britannique - est un plan conçu pour favoriser

la croissance de l'économie mondiale. Dans cette perspective, il s'agit d'assouplir la contrainte

de l'équilibre extérieur sur les économies nationales. Le Plan préconise la création d'une

institution bancaire internationale appelée Clearing Union et dotée de trois fonctions

principales. Premièrement, l'institution doit émettre une unité de compte internationale en

contrepartie des déséquilibres de balances des paiements : le bancor. Créé par simple jeu

d'écriture en fonction des excédents et des déficits des pays membres du Clearing, le bancor

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est défini en or, mais il n'est pas convertible en or alors que l'or est convertible en bancor (on

parle de one-way convertibility). Le Plan vise ici explicitement à éviter les errements de

l'étalon-or. Deuxièmement, le Clearing Union est chargée d'assurer le financement des

déséquilibres par une mise en connexion quasi-automatique entre les pays déficitaires et les

pays excédentaires, les seconds finançant par crédits en bancors les premiers. Troisièmement

enfin, le Conseil du Clearing doit veiller à ce que n'apparaissent ni des situations d'excédents

cumulatifs, ni des situations de déficits cumulatifs, deux situations pouvant remettre en cause

la pérennité du système. Clairement, les Britanniques anticipent une situation durable de

déficits extérieurs. Ils ont donc tout intérêt à ce que la future institution internationale que

sera le FMI soit dotée de capacités importantes de crédit. Ils se montrent aussi favorable à un

minimum de conditions posées par l’institution prêteuse aux pays emprunteurs.

Le Plan White - issu de la délégation américaine - propose un nouvel étalon de change-

or. Ainsi, les pays doivent choisir une définition de la parité de leur monnaie soit en or, soit en

une devise-clé. En outre, l'équilibre des comptes extérieurs apparaît comme une contrainte

impérieuse pour chaque pays. Il s'agit d'éviter que les pays excédentaires - en l'occurrence les

Etats-Unis - financent de manière excessive des déficits structurels. Les Américains se

montrent donc favorables à une stricte conditionnalité liée aux prêts du futur FMI. Enfin, le

Plan préconise la création d'un Fonds de Stabilisation des Nations-Unies et Associés chargé

d'une part, de négocier sur la politique de changes de chaque pays membre et, d'autre part,

d'accorder des crédits temporaires aux pays en difficulté du point de vue de la balance des

paiements pour empêcher toute politique de dévaluation compétitive type années vingt.

Au total, les oppositions principales entre les deux Plans portent d'une part, sur le

financement jugé insuffisant par les Britanniques et excessifs par les Américains et, d'autre

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part, sur les conditions de l'ajustement, le Plan Keynes préconisant plutôt un ajustement

symétrique alors que le Plan White fait peser une contrainte plus forte sur les pays déficitaires.

Le compromis entre les deux délégations va se faire au cours de neuf réunions

bilatérales entre le 21 septembre et le 9 octobre 1943 (James M. Boughton, 2019). Mais dès

octobre 1942, Keynes et White se sont rencontrés afin de discuter de leur plan respectif. Le

Royaume-Uni abandonnera certains principes clefs du Plan Keynes tandis que les Etats-Unis

accroîtront les possibilités financières de leur institution financière internationale et

accepteront le principe des taux de changes fixes mais ajustables. Sur le plan financier, les

deux plans avaient des conceptions différentes sur la façon dont les quotas se traduiraient en

limites d'emprunt, mais le plan Keynes proposait un fonds de 26 milliards de dollars alors que

le plan White suggérait un fonds doté de 5 milliards de dollars. Au cours des deux années

suivantes, les deux équipes ont élaboré un plan conjoint pour un total de 8,8 milliards de

dollars : à peu près à mi-chemin entre les deux points de départ (B. Eichengreen, 2019, op.

cit., p. 90).

Le compromis anglo-américain apparait dans la déclaration commune d’avril 1944

précédant de quelques mois la Conférence de Bretton Woods. Il convient aussi de souligner

que les discussions entre Américains et Britanniques sur le futur système monétaire

international doivent être reliées aux discussions entre les deux pays concernant l’aide

américaine à l’effort de guerre britannique. Ainsi, aux termes de la Charte de l'Atlantique

d'août 1941 et de l'Accord d'aide mutuelle de février 1942, les Britanniques s'engagent à

rétablir à la fin de la guerre la convertibilité de la livre sterling au titre du compte courant et

acceptent le principe de non-discrimination dans le commerce en échange des promesses

américaines d'accorder une aide financière à des conditions favorables et respecter la priorité

que les Britanniques attachent au plein emploi. Un point d’achoppement très sensible entre

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les deux pays concerne la préférence impériale britannique. Fondamentalement, du point de

vue des Etats-Unis, discuter de la nouvelle organisation monétaire d’après-guerre c’était aussi

adopter une politique d’ouverture commerciale à l’échelle mondiale.

 James M. Boughton (2019), The Universally Keynesian Vision of Bretton Woods, in


Lamoreaux et Ian Shapiro, éditeurs, op. cit., p. 77-94.
 Plan White (1943), Preliminary Draft Outline of a Proposal for an International
Stabilization Fund of the United and Associated Nations, in Lamoreaux et Ian Shapiro,
éditeurs, op. cit., p. 342-362.
 Plan Keynes (1943), Proposals for an International Clearing Union, in Lamoreaux et Ian
Shapiro, éditeurs, op. cit., p. 363-388.
 The Joint Statement (1944), Joint Statement by Experts On The Establishment of An
International Monetary Fund, in Lamoreaux et Ian Shapiro, éditeurs, op. cit., p. 400-406.

1.2. Les principales dispositions des Accords de Bretton Woods

Les Accords de Bretton Woods établissent les règles du jeu monétaire international

devant guider les politiques économiques des Etats signataires. Surtout, ils créent deux

institutions financières d'importance : la Banque internationale pour la reconstruction et le

développement (qui deviendra la Banque Mondiale) et le Fonds Monétaire International. Du

point de vue des relations monétaires internationales, c’est le FMI qui est le plus important.

L’article I des Accords de Bretton Woods pose six objectifs concernant le Fonds

Monétaire International : (i) promouvoir la coopération monétaire internationale ; (ii) faciliter

le maintien du plein-emploi et la croissance soutenue de l'économie mondiale ; (iii) maintenir

le système des taux de change stables et éviter les dévaluations compétitives ; (iv) fournir aux

Etats membres un système multilatéral de paiements et éliminer les restrictions sur les

changes ; (v) fournir des ressources pour faire face aux déséquilibres temporaires de balances

des paiements afin d'empêcher de recourir à des mesures déflationnistes et/ou

protectionnistes ; et (vi) limiter par une politique adaptée la durée et l'ampleur des

déséquilibres des paiements internationaux.

Six règles fondamentales résument « l'esprit du traité », selon l'expression de Ronald I.

McKinnon (1993) :

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R1 : l'expression de la parité des monnaies en or ou en dollar lié à l'or. Le traité est

explicite sur ce point : la parité est « exprimée en termes d'or pris comme dénominateur, ou

en dollars des Etats-Unis d'Amérique du poids et du titre en vigueur au 1er Juillet 1944 ». Il s’agit

de l’Article IV, section 1, paragraphe a.

Initialement, afin de ne pas heurter les autres délégations en affirmant d’emblée le rôle

dominant du dollar, les américains avaient introduit le formulation suivante : « gold and gold-

convertible exchange ». Pendant les négociations à Bretton Woods, un membre de la

délégation indienne est intervenu de la manière suivante : « Je pense qu'il est grand temps

que la délégation américaine nous donne une définition de « l'échange d'or et d'or-

convertible » ». Au lieu que les Américains prennent la parole, c'est l'économiste britannique

Dennis Robertson qui a répondu : « Je voudrais proposer un amendement au texte qui nous

est présenté, selon lequel les critères de paiement de la souscription officielle d'or devraient

être exprimés en avoirs officiels d'or et de dollars des États-Unis » (cité par Ed Conway, 2014).

Cette disposition a été incluse dans les accords sans qu'elle ne soit discutée dans une réunion

plus large.

R2 : l'institution d'un système de taux de change fixes mais ajustables. A court terme,

les autorités sont tenues de maintenir leur monnaie dans une plage de plus ou moins 1 % de

la parité déclarée. A long terme, les taux sont ajustables de manière unilatérale avec accord

du FMI en fonction de l'importance des déséquilibres (notion de déséquilibre fondamental

non défini dans les Accords).

Il s’agit de l’Article IV, section 5, paragraphes c et f.

Une modification de l'ensemble des parités doit obtenir l’accord des pays membres

selon la règle suivante : la majorité des droits de vote + l’accord de chaque pays membre

détenant au moins 10 % du total des quotas (Article IV, section 7).

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R3 : la libre convertibilité des monnaies pour les transactions courantes (Article VIII,

section 2, paragraphe a), mais la possibilité d'effectuer un contrôle sur les flux financiers non

liés aux transactions courantes (Article VI, section 3). Il s’agit de promouvoir l'expansion du

commerce mondial tout en limitant la spéculation liée aux mouvements de capitaux. L’Article

XIV introduit une période de transition de trois ans suivant la création du Fonds monétaire

international au cours de laquelle des contrôles des changes sont possibles, y compris en ce

qui concerne les transactions courantes. Au terme des trois ans, un pays membre a la

possibilité de prolonger ces restrictions, mais après cinq ans il doit chaque année les justifier

auprès du Fonds.

R4 : l'utilisation symétrique des monnaies dans les règlements des transactions

courantes sous réserve de leur convertibilité.

R5 : la possibilité d’un déséquilibre temporaire de la balance des paiements. Ce

déséquilibre est couvert par les réserves officielles et par les crédits du FMI. Le principe de

régulation des liquidités internationales est donc institué. Il s’agit de faire face à un

déséquilibre temporaire en évitant le recours à des mesures correctrices défavorables au

plein-emploi et au commerce mondial. L'ajustement est lissé dans le temps.

R6 : l'inexistence de contrainte d'ancrage nominal ou de règles de prix commune. Ainsi,

contrairement au régime monétaire de l'étalon-or, l'autonomie est préservée.

Les ressources du Fonds monétaire international sont fonction de la contribution de

chaque pays-membre qui est elle-même déterminée par leurs quotas (ou quotes-parts).

Chaque contribution doit être distribuée de la manière suivante : 25 % en or et 75 % en devises

(Article III, section 3). Les quotes-parts peuvent faire l'objet d'une révision tous les cinq ans

mais il faut obtenir la majorité des quatre cinquièmes du total des voix attribuées (Article III,

section 2). Le terme employé - non utilisé dans le texte des Accords de Bretton Woods - est

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super-majorité puisqu'il faut réunir au moins 85 % des voix. A eux tous seuls, les Etats-Unis

bénéficient d'un droit de véto : ils détiennent depuis 2016, 16,5 % du total des quotes-parts

après en avoir représentées pendant longtemps 17 %.

La question des quotes-parts est très importante mais se heurte à un problème de fond

: elles remplissent en même temps quatre fonctions qu'il est difficile de conjuguer (Jean-Pierre

Allegret et Philippe Dulbecco, 2008) :

- une fonction contributive : la quote-part de chaque pays est égale au capital souscrit par

celui-ci auprès du FMI ;

- une fonction de financement : la quote-part détermine le montant maximum de crédit qu’un

pays peut obtenir du Fonds ;

- une fonction politique : la distribution des quotes-parts entre les pays détermine les droits

de vote de chacun d’entre eux au sein de l’institution ;

- la part de chaque pays dans le total des quotas détermine la part de celui-ci lors des

allocations de Droits de tirage spéciaux (DTS).

Ces différentes fonctions réunies en un seul instrument rend toute augmentation des

quotes-parts émminamment politique. En conséquence, la question de l'augmentation des

ressources du Fonds monétaire international restera une négociation émminament politique

échappant souvent aux nécessités économiques de l'économie mondiale.

Un article particulièrement intéressant des statuts du Fonds monétaire international

porte sur ce que l’on appelle la clause de la « monnaie rare » (scarce currency) (Article VII). La

section 3, paragraphe a précise que « Si le Fonds constate que la demande dont fait l’objet la

monnaie d’un État membre risque sérieusement de le mettre dans l’impossibilité de fournir

cette monnaie, il doit, qu’il ait ou non publié le rapport prévu à la section 2 du présent article,

déclarer officiellement que cette monnaie est rare… ». Le paragraphe b précise quant à lui la

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déclaration officielle qu'une monnaie est rare « constituera une autorisation pour tout

membre d'imposer, après consultation avec le Fonds, des restrictions temporaires à la liberté

des opérations de change sur la monnaie rare » .

Autrement dit, cette clause offre la possibilité d’adopter une politique de discrimination

à l’égard des importations en provenance d’un pays créancier persistant. Comme à l’’époque,

le pays créancier persistant sont les Etats-Unis, les Britanniques vont interpréter cet article

comme une concession américaine. Cette clause de la « monnaie rare » a été proposée par

Harry Dexter White dans la neuvième version de son Plan (décembre 1942). Lors des

négociations ouvertes à Bretton Woods, cette clause a été l’un des points de préoccupation

importants de la délégation américaine. En effet, de leur point de vue, cette clause pouvait

offrir potentiellement un moyen pour d'autres pays de se liguer contre les États-Unis au sujet

de ses excédents commerciaux persistants, d'ériger des barrières discriminatoires contre les

États-Unis et d'exiger des changements de politique économique de leur part. White a

cherché à rassurer d’abord les membres de la délégation américaine puis, lors de la ratification

des accords par le Congrès, les membres du Congrès. Il les a assurés que les Etats-Unis seraient

vigilants pour empêcher que la clause de la « monnaie rare » soit activée à leur encontre.

Cette assurance était d’autant plus facile à donner que cette clause ne concernait pas la rareté

d’une monnaie dans les paiements internationaux mais sa rareté à l’intérieur du Fonds

monétaire international. Dans les faits, alors que le reste du monde connaitra une pénurie de

dollars immédiatement après la guerre, cette clause n’a jamais été utilisée.

Les règles précédentes ne permettent pas d’affirmer que les Accords de Bretton Woods

ont organisé de manière volontaire un régime monétaire asymétrique, avec une devise-

étalon. Comment le dollar sera-t-il alors amené à jouer très rapidement un rôle central dans

le nouveau système monétaire international ? Pour répondre, il convient de considérer la

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question de la défense des parités qui a imposé immédiatement le dollar comme pivot du

système de changes grâce à deux règles dans les statuts du Fonds monétaire international

(Jean Denizet, 1985) :

La première, dite règle générale, stipule que « tout membre s'engage à ne permettre

sur son territoire que des opérations de change entre sa monnaie et les monnaies des autres

pays membres qui respectent un écart ne dépassant pas 1 % de la parité » (Article IV, section

3). Elle oblige les banques centrales à intervenir sur tous les marchés des changes bilatéraux.

La seconde, dite clause d'exception découle du principe suivant : « Est réputé remplir

l'obligation ci-dessus tout membre dont les autorités monétaires, pour le règlement des

transactions internationales, achètent et vendent librement de l'or au cours correspondant à

la parité, plus ou moins une marge prescrite par le Fonds ». Autrement dit, toute banque

centrale qui achète de l'or contre sa monnaie à la parité-or déclarée de cette dernière est

dispensée d'intervenir sur les marchés des changes (Section 4).

Ainsi, lorsque, fin 1947, le secrétaire au Trésor des Etats-Unis (John Snyder) informe le

Fonds monétaire interntional que nes Etats-Unis achèteront / vendront de l'or contre du dollar

à 35 dollars l'once. A ce titre, ils se voient dispensés d'intervenir sur le marché des changes.

Le dollar devient de facto l'étalon d’un système de type étalon de change-or.

Il est important de souligner que, dès les années 1930, la correspondance entre des

membres de l’administation américaine et des mémorandums rédigés par le Trésor amércain,

à l’initiateur de son Secrétaire de l’époque, Henry Morgenthau, et de Harry Dexter White,

montrent que l’objectif américain était de faire en sorte que New York supplante Londres en

tant que place financière internationale et que le dollar devienne la monnaie internationale

de référence. Harry Dexter White reliait explicitement ce dernier objectif à l’autonomie de la

16
politique monétaire américaine et au fait que celle-ci, avec des taux de change fixes, se

transmettrait au reste du monde.

 Ronald I. McKinnon (1993), The Rules of the Game : International Money in Historical
Perspective, Journal of Economic Literature, vol.31, March, p.1-44.
 Ed Conway (2014), The Summit, Bretton Woods, 1944, Pegasus Book, New-York.
 Jean-Pierre Allegret et Philippe Dulbecco (2008), Enforcing the IMF in the global
economy: An institutional analysis, in Post-keynesian principles of economic policy, vol. II,
édité par Claude Gnos et Louis Philippe Rochon, Edward Elgar, Cheltenham, Royaume-Uni,
p. 117‑133.
 Jean Denizet (1986), Le dollar, collection Pluriel, Hachette, Paris.

Section 2 Les premières années du régime monétaire de Bretton Woods : 1946-1958

Les Accords de Bretton Woods sont entrés officiellement en vigueur le 1er mars 1947.

Cependant, la période de transition vers leur fonctionnement effectif a été plus longue que

celle initialement envisagée par les concepteurs de cet Accord – trois ans – puisqu’elle a duré

près de 12 ans. Cela signifie que les difficultés rencontrées par les pays pour les respecter ont

été beaucoup plus importantes que prévues. Cela montre aussi les premières insuffisances du

Fonds monétaire international.

Cette section aborde trois points importants qui caractérisent cette période. En premier

lieu, nous présentons la situation des paiements internationaux en 1947 (2.1). Dans un

deuxième point, nous montrons comment le Plan Marshall mis en place en avril 1948 et

l’Union européenne des paiements créée en 1950 ont permis de répondre aux premières

tensions affectant les paiements internationaux (2.2). Dans un troisième temps, on s’intéresse

à la livre sterling en soulignant que la dévaluation de la livre en 1949 a marqué un premier

tournant important dans l’évolution du régime monétaire de Bretton Woods (2.3).

2.1 Les paiements internationaux en 1947

La stabilité des taux de change visée par les concepteurs de Bretton Woods avaient pour

objectif principal de favoriser la libéralisation du commerce entre les nations notamment par

l’élimination rapide des restrictions aux échanges. Dans une perspective similaire, la capacité

17
de crédit du FMI devait permettre aux pays ayant un déséquilibre de la balance des paiements

– en particulier les pays à déficit – d’ajuster progressivement leurs comptes extérieurs sans

prendre des mesures restrictives en termes commerciaux et / ou des mesures contraires au

maintien du plein-emploi.

Si on se focalise sur la dimension commerce international, les Accords de Bretton Woods

étaient un instrument de restauration du multilarélisme. Or, comme le rappelle Michael D.

Bordo (1993), l’économie mondiale en 1947 est marquée par la prééminence du

bilatéralisme. Ainsi, la plupart des pays, à l'exception notable des États-Unis, depuis la

Première Guerre mondiale et la Grande Dépression des années 1930 ont adopté de manière

durable les contrôles des changes et les contrôles sur les flux commerciaux. À l'exception du

dollar, aucune des principales devises n'est convertible. La conséquence importante du point

de vue des paiements internationaux est la prolifération d'accords de paiements bilatéraux

dont l’objectif est d’économiser l’or et les devises dominantes. Dans le cadre de ces accords,

chaque banque centrale est amenée à négocier un accord avec ses partenaires consistant à

fournir une facilité de découvert dans sa propre monnaie jusqu'à une limite spécifiée, avec

règlement en devises au-delà.

Le point important est que le recours aux contrôles des changes et aux accords

bilatéraux est une conséquence de l'insuffisance de réserves internationales. Cela signifie que

les besoins d'importations pour satisfaire les besoins de la reconstruction post-seconde guerre

mondiale sont tels que les pays européens, tout comme le Japon, connaissent des déficits

extérieurs structurels (Graphique 1 pour les pays européens).

18
Graphique 1 Solde du solde courant des pays de l’Organisation européenne de coopération

économique1, en milliards de dollars

1. Autriche, Belgique, Danemark, France, Grèce, Irlande, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas,
Portugal, Royaume-Uni, Suède, Suisse, Turquie, Allemagne occidentale (initialement représentée par les
zones d'occupation anglaise et américaine réunies -- la Bizone -- et la zone d'occupation française).

Source : M.D. Bordo (1993), op. cit., p.40

La contrepartie de ces déficits extérieurs est le large excédent du compte courant des

Etats-Unis, seul pays avancé ayant la capacité d’exporter massivement des biens

d’équipement et des biens de consommation dans les économies en reconstruction

(Graphique 2).

Du point de vue des paiements internationaux, cette polarisation des excédents et des

déficits a pour conséquence fondamentale que les pays européens, dont les monnaies ne sont

pas convertibles, doivent soit payés en or, soit payés en dollar des Etats-Unis. En termes de

stock d’or monétaire mondial, les Etats-Unis en détiennent les deux-tiers au lendemain de la

Seconde guerre mondiale. L'avalanche d'or aux États-Unis a commencé dès les années 1930 a

été la conséquence à la fois de la dévaluation du dollar en 1934, lorsque l'administration

Roosevelt, dans le cadre du Gold Reserve Act voté par le Congrès le 30 janvier, a augmenté le

19
prix de l'or de 20,67 dollars à 35 dollars l'once et la fuite des capitaux d'Europe. Pendant la

guerre, les entrées d'or ont continué à financer les dépenses de guerre des Alliés.

Graphique 2 Solde du compte courant des Etats-Unis, en millions de dollars

Source : M.D. Bordo (1993), op. cit., p.40

Parallèlement, l’alimentation du reste du monde en dollars est faible en raison des

excédents extérieurs américains. Les Etats-Unis sont sensés recevoir davantage de dollars du

reste du monde qu’ils n’en versent au reste du monde. La contrainte sur les paiements

internationaux est d’autant plus forte que la mobilité internationale des capitaux demeure à

cette période très faible. Nous sommes donc dans la période dite de « pénurie de dollars ».

Selon des économistes tels que M.D. Bordo (1993) et Maurice Obstfeld (1993), la

pénurie de dollars a pu être aggravée par des parités officielles surévaluées par les principaux

pays industriels européens fixées à la fin de 1946. En effet, le Fonds Monétaire International

a fait pression sur ses membres pour qu'ils déclarent les valeurs au pair dès que possible. A ce

moment-là, la vision était que les déficits extérieurs auxquels la plupart des pays étaient

confrontés avaient pour cause fondamentale l'incapacité structurelle de leurs industries

d'exportation plutôt qu'un manque de compétitivité qui aurait pu être lié à une parité officielle

surévaluée. Le point de vue était aussi que si le taux de change déclaré au FMI était

20
inapproprié, il pourrait être corrigé ultérieurement. Nous verrons plus loin que ce dernier

point s’est révélé être une illusion.

L’interprétation des déséquilibres européens et japonais était donc structurelle : tant

que le taux de progression de la productivité dans le reste du monde ne rattraperait pas celui

des États-Unis, la capacité d'exporter du reste du monde serait contrainte quel que soit le taux

de change.

 Maurice Obstfeld (1993), The Adjustment Mechanism, in: A Retrospective on the


Bretton Woods System: Lessons for International Monetary Reform, Michael D. Bordo et
Barry Eichengreen, editors, University of Chicago Press, 201 - 268.
 Eric Rauchway (2015), The Money Makers: How Roosevelt and Keynes Ended the
Depression, Defeated Fascism, and Secured a Prosperous Peace, Basic Books, New York.

2.2 Du Plan Marshall à l’Union européenne des paiements

Le 15 juillet 1947, la convertibilité de la livre sterling au titre des transactions en compte

courant a été rétablie avec une parité officielle déclarée au FMI de 4,03 dollars. Cette date

précède de près de cinq ans avant l'échéance prévue dans les Accords de Bretton Woods. Afin

de comprendre la décision britannique, il faut faire référence aux discussions entre Américains

et Britanniques concernant les besoins en armes et munitions de ces derniers pour faire face

à l’invasion allemande. Dès le début de la guerre, le gouvernement du Royaume-Uni a décidé

de transporter clandestinement de l’or au Canada afin de payer les importations en

provenance des Etats-Unis. Il s’agissait du Plan cash-and-carry (Eric Rauchway, 2015).

Cependant, les besoins ont été tels que très rapidement le stock d’or britannique a été proche

de l’épuisement. Le Président Roosevelt a dans un premier temps échangé des navires de

guerre contre la location de bases navales situées dans l’Atlantique Nord. Parallèlement, John

Maynard Keynes ayant été chargé par le Trésor britannique de travailler à un plan de

financement de guerre a proposé un mécanisme innovant fondé sur l’idée d’échanges de

biens sans recourir à de la monnaie. Le mécanisme était simple : les Etats-Unis exportaient

21
des armes et munitions à destination du Royaume-Uni, ce dernier devant les rétrocéder à la

fin de la guerre. Le Lend-Lease Act voté par le Congrès américain le 8 février 1941 et signé par

le Président Roosevelt le 11 mars 1941 s’inspire du mécanisme proposé par Keynes.

Lors de la signature de la loi, Roosevelt a envoyé une liste du matériel disponible en

Grande-Bretagne et a demandé au Congrès 7 milliards de dollars pour soutenir les opérations.

Cependant, le soutien américain n’a pas été sans contrepartie, et ce, comme l'avait prévu

Keynes. Roosevelt souhaitait que le Royaume-Uni fasse « quelques concessions ou accords

politiques et peut-être économiques ». Plus précisément, comme Roosevelt l’a signifié à

Keynes lors d’une rencontre, en en plus de toute aide matérielle que les Britanniques

pourraient apporter sous la forme de biens échangés contre des biens, Roosevelt voulait un

engagement « à conclure des arrangements pour l'aide et la reconstruction d'après-guerre, à

conclure des arrangements pour l'organisation économique » (Eric Rauchway, 2015).

Comme le montre le graphique 3, l’accord de prêt-bail avec le Royaume-Uni a servi de

modèle à de nombreux autres accords de ce type.

Graphique 3 Les prêts-bails des Etats-Unis

Source : Eric Rauchway (2015), p. 206.

22
Au mois d’août 1941, le Président Roosevelt a navigué secrètement à bord du vaisseau

de la Royal Navy Prince of Wales afin de recontrer le Premier Ministre Churchill au large de

Terre-Neuve. Les deux dirigeants se sont mis d'accord sur une liste d'objectifs concernant à la

fois la conduite de la guerre, mais aussi la future oganisation économique et politique de

l’après-guerre. L’accent a alors été mis sur le libre-échange et la coopération entre les nations

afin de favoriser la prospérité des économies. Si cet accord entre les deux Présidents n’a

jamais fait l’objet d’une signature officielle, il a été néanmoins appelé Charte de l'Atlantique,

acquérant ainsi de fait le statut d'engagement des Alliés occidentaux.

La signature du prêt-bail et la Charte de l’Atlantique vont dans le même sens : il s’agit

de favoriser l’accès des exportateurs américains aux principaux marchés mondiaux, en

particulier ceux contrôlés par le Royaume-Uni à travers la préférence impériale (Accords

d’Ottawa signés en 1932). Autrement dit, les Etats-Unis ont explicitement demandé aux

britanniques de mettre fin à toutes formes de discriminations en matière de commerce

international et de réduire les barrières tarifaires et aux autres formes de barrières aux

échanges commerciaux. Cette condition américaine est apparue inacceptable pour les

britanniques.

Après une réélection pour un 4ème mandat, le Président Roosevelt décède le 12 avril

1945. Harry S. Truman lui succède. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, il stoppe le prêt-

bail avec le Royaume-Uni alors que les besoins sont encore très importants. Dans un

mémorandum destiné au Trésor britannique, Keynes estime les besoins pour favoriser la

transition vers la paix à près de 5 milliards de dollars pour lesquels un accord de prêt devrait

être négocié avec les Etats-Unis. L’administration Truman se montre très exigeante pour

accorder un prêt aux britanniques. Elle exige en premier lieu que le Royaume-Uni ratifie les

Accords de Bretton Woods d’ici la fin de l’année 1945 comme cela était prévu initialement

23
pour tous les pays. Surtout, elle conditionne l’obtention d’un prêt à l’engagement des

autorités britanniques à rendre la livre sterling convertible d’ici un an. Les Américains ne

souhaitaient pas que le dollar reste la seule monnaie convertible. La pression sur les

britanniques était d’autant plus logique de leur point de vue que la livre sterling demeurait la

deuxième monnaie de réserves. Début décembre 1945, le Royaume-Uni a reçu une offre

américaine d'un prêt de 3,75 milliards de dollars, somme en-deçà de celle calculée par Keynes.

Le remboursement devait débuter en 1951. Les soldes de prêt-bail passeraient de plus de 20

milliards de dollars à seulement 650 millions de dollars. En dépit des conditions jugées

humiliantes posées par les Américains, en dépit aussi du montant plus faible que jugé

nécessaire du prêt, les britanniques n’ont pas eu d’autre choix que d’accepter les termes du

prêt et, dans l'heure, ont approuvé les Accords de Bretton Woods. Autrement dit, comme l’a

souligné Benn Steil (2013), le retour à la convertibilité de la livre n’était pas une décision

britannique mais une décision américaine. Elle a symbolisé le déclin inexorable du Royaume-

Uni et l’émergence de l’hégémonie américaine.

La décision de rendre la livre sterling convertible au titre du compte courant a été prise

dans un contexte économique et financier extérieur très difficile.

Sur le plan économique, comme le montre le graphique 4, le Royaume-Uni avait un

déficit massif de sa balance des paiements, particulièrement en ce qui concerne les réserves

en or et en dollars. La capacité d’exportations du pays était obérée par le maintien de barrières

commerciales dans les autres pays européens. Autrement dit, les revenus d’exportations

étaient insuffisants pour assurer durablement le maintien d’une monnaie convertible (Barry

Eichengreen, 2019).

24
Graphique 4 Situation de la balance des paiements du Royaume-Uni au lendemain de la
Seconde Guerre Mondiale

Variations des réserves

Compte courant vis-à vis


de la zone dollar
Compte courant

Variations des réserves


en or et en dollars

Source : M.D. Bordo (1993), op. cit., p.44.

Sur le plan financier, la situation était sans doute encore plus critique. Le Royaume-Uni

est sorti de la Seconde Guerre mondiale avec un excès d'offre de monnaie (la masse monétaire

ayant triplé entre 1938 et 1947 mais le PNB nominal n'ayant fait que doubler). L’inflation –

inférieure à celle des autres pays européens – a été contenue grâce au du contrôle des prix.

Les avoirs privés et officiels en or et en dollars ont connu une chute de 50 %.

Les actifs étrangers avaient été réquisitionnés et les contrôles sur les investissements

étrangers avaient empêché les résidents britanniques de les remplacer. Entre 1939 et 1945,

le Commonwealth et l'Empire ont accumulé des soldes en livres sterling en échange de la

fourniture de denrées alimentaires et de matières premières nécessaires à la machine de

guerre britannique. À la fin de la guerre, les soldes en livres sterling à l'étranger dépassaient

les 3,5 milliards de livres sterling, soit un tiers du PNB du Royaume-Uni. Les réserves

britanniques d'or et de devises s'élevaient dans le même temps à peine à un demi-milliard de

livres. Une grande partie de ces soldes ont été « bloqués » sous la forme dite de balances

sterling, c'est-à-dire rendus inconvertibles en dollars. Ils le sont restés même après

l’engagement de rendre la livre sterling convertible.

25
Les six semaines de convertibilité ont été un « désastre » pour reprendre l’expression

de Barry Eichengreen (2019). En effet, les pertes de réserves subies par la Banque

d’Angleterre ont été massives : 1 milliard de dollars en un mois. Le gouvernement, voyant les

réserves approcher de l'épuisement, a décidé de suspendre la convertibilité de la livre le 20

août 1947 avec l'accord des Etats-Unis.

La crise de la livre sterling de 1947 a été un nouvel acte de la perte de crédibilité de la

monnaie britannique en tant que monnaie internationale de référence. Mais elle a conduit

aussi à un changement radical d’attitude de la part des Américains. Ces derniers ont en effet

cessé d’insister sur le rétablissement rapide de la convertibilité. Ils ont même accepté une

prolongation de la période de transition prévue dans les Accords de Bretton Woods.

Renonçant provisoirement à leur objectif majeur de libre-échange, les États-Unis ont accédé

à une modeste discrimination contre les exportations américaines.

Face à la gravité de la situation en Europe de l’Ouest et en lien avec les débuts de la

guerre froide, les Etats-Unis ont mis en place en 1948 le Plan Marshall. Environ 13 milliards

d'aides (dons et prêts) – soit l’équivalent de 122 milliards de dollars d’aujourd’hui) ont été

transférées à l'Europe de l'Ouest entre 1948 et 1952. Le Japon a reçu quant à lui 1,25 milliards

de dollars. En avril 1948, dans le cadre de la création de l'Organisation européenne de

coopération économique, les Etats-Unis ont accordé des aides aux membres en fonction de

l'importance de leurs déficits courants. L'aide américaine devait payer les importations

essentielles et fournir des réserves internationales.

Chaque gouvernement bénéficiaire a fourni des fonds de contrepartie en monnaie

locale à utiliser pour investir dans la capacité de production de l'industrie, de l'agriculture et

des infrastructures. Chaque pays avait également une commission américaine qui conseillait

le gouvernement hôte sur les dépenses de ses fonds de contrepartie. Le plan a encouragé la

26
libéralisation du commerce et des paiements intra-européens en accordant une aide aux pays

qui accordaient des crédits bilatéraux à d'autres membres (Michael D. Bordo, 1993). En 1952,

les pays de l'OECE ont accru leur production industrielle de 39 %, doublé leurs exportations et

dégagé un surplus du compte courant

Graphique 5 Balance des paiements de l’Allemagne Fédérale, de la France et de l’Italie, en

millions de dollars

Source : Michael D. Bordo (1993), op. cit., p.42.

C’est dans ce cadre, qu’en 1950 a été créée l’Union européenne des paiements sous les

auspices de l'OECE et dotée d’un fonds de roulement initial de 350 millions de dollars fourni

par les États-Unis. L'Union Européenne des Paiements avait pour objet la compensation

multilatérale et automatique des soldes créditeurs et débiteurs des pays membres de l'OECE.

Il s'agissait de retarder la convertibilité des monnaies européennes au niveau du compte

courant tout en permettant un financement officiel des déséquilibres des paiements

internationaux. L'Union était ainsi un moyen de financement partiel des déficits nets entre les

pays membres. En conséquence, l'Union représentait :

27
- un moyen de réduire les besoins en liquidités internationales ;

- une possibilité d'accroître les moyens de paiements par le biais des tranches de crédit.

Des règles de fonctionnement permettaient d'éviter la persistance des déficits

extérieurs, notamment par l'exigence de mesures correctrices lorsque les crédits demandés

dépassaient la quote-part du pays en question. L'Union Européenne des Paiements a

représenté un instrument puissant au service de l'ouverture extérieure des économies

européennes. Ainsi, les Etats membres ont démantelé simultanément les quotas entravant les

échanges commerciaux intra-européens. L'accès aux crédits de l'Union était assujetti à une

telle politique de libéralisation commerciale. Elle a fonctionné jusqu'en 1958, date de la

convertibilité des monnaies européennes.

2.3 La crise de la livre sterling de 1949 et ses implications

L’année 1949 marque une première rupture importante dans l’évolution du régime

monétaire de Bretton Woods. En effet, les dévaluations de la livre sterling en septembre 1949

et des parités de vingt-trois autres pays peu de temps après vont modifier en profondeur les

compétitivités relatives des Etats-Unis d’un côté, et des principales autres économies

avancées de l’autre. Plus précisément, l’amélioration des comptes extérieurs des seconds et

leur dégradation pour les Etats-Unis vont entamer un processus de redistribution des réserves

officielles conduisant à l’élimination progressive de la pénurie de dollar.

Pour comprendre les événements monétaires de 1949, il faut revenir brièvement sur

l’échec du retour à la convertibilité de la livre sterling en 1947 dont on peut tirer trois

enseignements principaux :

- en premier lieu, le fait que les créances sur la livre sterling (ce que nous avons appelé

précédemment les balances sterling) dépassent largement les avoirs britanniques en or ou en

dollars rend la convertibilité de la monnaie britannique difficilement tenable dans un

28
environnement où d’autres monnaies deviendraient convertibles. En effet, le manque de

crédibilité de la livre sterling entrainerait des sorties de capitaux en direction des pays à

monnaie convertible ;

- en deuxième lieu, comme le rappelle l’historien du FMI Harold James (1996), la position

financière extérieure fragile du Royaume-Uni représente un obstacle très important au retour

à la convertibilité généralisée des principales économies ;

- en troisième lieu enfin, comme le reconnaitra le FMI, les difficultés d’après-guerre ont été

sous-estimées par les concepteurs des Accords de Bretton Woods, surtout du côté américain.

En conséquence, et en dépit de l’opposition maintes fois renouvelées de Keynes, le FMI a été

doté d’une capacité de financement inférieure à l’ampleur réelle des besoins pour faire face

à la transition vers une économie de paix.

L’année 1949 est marquée par une dégradation importante de la balance des paiements

britanniques à partir du deuxième trimestre en raison de la récession qui frappe alors les Etats-

Unis. Cette dernière se traduit en effet pour les Britanniques par une chute des exportations

pesant négativement sur la balance commerciale et donc le compte courant. Parallèlement,

la balance des paiements apparait affaiblie par des investissements à l'étranger jugés

excessifs, et en particulier dans la zone sterling. En pratique, aucun contrôle n'existait sur les

mouvements de capitaux vers la zone sterling, et les gouvernements étaient satisfaits du

maintien des liens avec l'empire. Pour les économistes plus critiques à l’égard de cette

situation, les sorties de capitaux – qui semblaient coïncider avec le déficit des paiements du

Royaume-Uni, n’étaient qu’une tentative britannique de réaffirmer le rôle de banquier

mondial du XIXème siècle, rôle qu’il ne pouvait en réalité plus se permettre dans

l'environnement économique international d’après-guerre. Autrement dit, le Royaume-Uni

vivait au-dessus de ses moyens. Entre 1946 et 1964, le transfert total vers la zone sterling

29
(2 900 millions de livres ou 8 120 millions de dollars) a été équivalent à l'accumulation d'avant-

guerre des investissements britanniques au cours des cent dernières années (H. James, 1996).

En réaction à cette nouvelle dégradation des comptes extérieurs britanniques, les États-

Unis, et en particulier le Département du Trésor et le représentant américain au Comité

exécutif du FMI (Frank Southard), ont fait pression afin d’obtenir une dévaluation de la livre

sterling. Du point du vue Américain, les difficultés temporaires rencontrées par le Royaume-

Uni présentait une opportunité de portée plus globale en ce qui concerne l’Europe de l’Ouest :

obtenir une libéralisation des paiements européens prenant appui sur une dévaluation

européenne générale. Cependant, aucun des États européens ne serait prêt à bouger avant

que le Royaume-Uni n'ait montré la voie. Le directeur exécutif américain au FMI est même

allé jusqu’à laisser entendre que des pays dont les parités ne seraient pas adaptées pourraient

se voir l’aide liée au Plan Marshall coupée. Au cours de l’été 1949, le directeur général du FMI

(Camille Gutt) a lui aussi plaidé en faveur d’une dévaluation généralisée.

Le gouvernement britannique s’est dans un premier temps fermement opposé aux

recommandations des Etats-Unis et du FMI, considérant que le principal problème de

l’économie britannique résidait dans les pressions inflationnistes intérieures. Ces pressions

devaient être contrecarrées par des économies budgétaires et un contrôle accru des prix et

des salaires plutôt qu'une correction du taux de change. Autrement dit, les Britanniques

restaient sur l’idée que le Royaume-Uni faisait face à des contraintes d’offre. En outre, comme

l’ont souligné Alec Cairncross et Barry Eichengreen (2003), le solde du compte courant du

Royaume-Uni ne semblait pas suffisamment dégradé pour expliquer les pressions à la

dévaluation de la livre sterling (Graphique 6).

30
Graphique 6 Balance du compte courant vis-à-vis de la zone dollar et vis-à-vis du reste du

monde, en millions de livres sterlings

Source : A. Cairncross et B. Eichengreen (2003), p.140.

Si, tendanciellement, on observe une amélioration du solde du compte courant, le

graphique 6 montre aussi la persistance d’un déficit à l’égard de la zone dollar et

l’amélioration de l’excédent vis-à-vis de la zone non dollar. L’implication est importante : la

structure du compte courant est telle que le Royaume-Uni accumule des soldes positifs en

devises inconvertibles et enregistre des soldes négatifs à l’égard de la principale devise

convertible, à savoir le dollar. Autrement dit, la situation des paiements extérieurs

britanniques doit se comprendre dans le cadre de la pénurie du dollar qui caractérise la

période. C’est dans ce cadre que l’on peut expliquer la position américaine d’obtenir une

vague de dévaluations allant au-delà du Royaume-Uni. En effet, une manière de répondre à la

pénurie de dollars était de rendre cette devise forte plus chère relativement aux autres

devises. Seule une dévaluation généralisée pouvait répondre à cet objectif.

Une première leçon que l’on peut tirer de cet épisode est la reconnaissance, au moins

implicite, par les Etats-Unis et le FMI, que les parités déclarées au FMI ont été sans doute

décidées trop rapidement (sous la pression des Etats-Unis et du FMI) et à des valeurs

surévaluées.

31
Harry Dexter White et John Maynard Keynes convergeaient sur l'idée de maintenir un

certain contrôle sur les mouvements de capitaux. De ce fait, et nous reviendrons sur ce point

plus longuement dans la dernière section de ce chapitre, les mécanismes d'ajustement sous-

jacents aux Accords de Bretton Woods reposaient sur l'hypothèse qu'il était possible de

contrôler les mouvements de capitaux (H. James, 1996). En pratique, l'efficacité des contrôles

s'est révélée d'emblée plus imparfaite que prévue. En effet, des transactions courantes même

partiellement libéralisées, peuvent donner lieu à des stratégies de contournement des

contrôles en utilisant le financement du commerce pourrait comme canal pour les

mouvements de capitaux. Ainsi, à la fois les importateurs et exporteurs ont eu recours, en

raison de l'anticipation d'une dévaluation prochaine de la livre sterling aux mécanismes des

avances et des retards (leads and lags).

En prenant appui sur l'analyse de Paul Einzig (1968), les avances font référence aux

modifications dans le comportement de paiement des importateurs provoquant une pression

de vente sur le change de leur pays. Les retards quant à eux concernent les modifications dans

le comportement de paiement des exportateurs entraînant une pression d'achat sur le change

de leur pays. Comment peut-on expliquer ces changements de comportements ? En nous

situant encore dans le cas d'une anticipation de dévaluation de la monnaie domestique, les

importateurs ont intérêt à devancer le paiement de leurs importations AVANT que ne se

produise la dévaluation attendue alors que les exportateurs ont intérêt à retarder le paiement

de leurs exportations afin d'avoir un gain APRES la dévaluation. Ainsi, les avances accélèrent

les effets négatifs des importations sur le change du pays importateur, tandis que les retards

retardent les effets favorables des exportations sur le change du pays exportateur. Plus les

avances sont longues, plus les importations produisent tôt leurs effets négatifs. Plus les

retards sont longs, plus les exportations tardives produisent leur effet favorable. La

32
conséquence fondamentale de ces modifications de comportement est que la demande de

devises s'est accélérée, tandis que la demande de livre sterling à l'étranger a été retardée. Les

avances et les retards étaient pratiqués par les entreprises britanniques lorsque les

transactions étaient facturées en devises étrangères et par les entreprises à l'étranger lorsque

les transactions étaient facturées en livres sterling. Il en a résulté alors une tendance baissière

sur la livre sterling qui a provoqué à son tour des pertes de réserves pour la Banque

d'Angleterre, résultat de sa politique de soutien à l'égard de la livre sterling. Selon Cairncross

et Eichengreen (2003), les réserves d'or et de dollars, par exemple, sont passées de 471

millions de livres fin mars à 406 millions de livres fin juin, à 372 millions de livres le 20 août et

à 330 millions de livres le 18 septembre - soit une baisse de 30 % dans les six mois (Graphique

7). Ces derniers considèrent d’ailleurs que la cause fondamentale de la dévaluation de la livre

sterling n’a pas été la dégradation de la position extérieure du Royaume-Uni mais les pertes

importantes de réserves de change.

Graphique 7 Balance des paiements du Royaume-Uni et dévaluation de la livre sterling en

1949

Variations des réserves

Compte courant vis-à vis


de la zone dollar

Compte courant

Variations des réserves


en or et en dollars

Source : M.D. Bordo (1993), op. cit., p.44.

33
On peut tirer des développements précédents une seconde leçon importante très tôt

soulignée par Milton Friedman (1953) dans sa défense du flottement des monnaies. Le

système des taux de change fixes mais ajustables conduit à une spéculation à sens unique

contre la parité déclarée au FMI. En effet, en ne permettant que des modifications de parité

que lorsqu'il existe un déséquilibre fondamental, le système de Bretton Woods a incité les

autorités monétaires à retarder l'ajustement jusqu'à ce qu'elles soient sûres qu'il était

nécessaire. À ce moment-là, les spéculateurs étant également sûrs de l'ajustement à venir, ils

sont amenés à prendre une position à partir de laquelle ils ne peuvent pas perdre. Plus

précisément, si la monnaie est dévaluée, ils gagnent ; si ce n'est pas le cas, ils ne perdent que

les intérêts (le cas échéant) sur les fonds empruntés pour pousser à la baisse une devise.

En outre, comme l’illustre le Graphique 8, l’ampleur de la marge de fluctuations

acceptée par le régime monétaire peut aussi jouer comme une incitation à la spéculation à

sens unique. Le côté gauche du graphique représente le système des parités fixes mais

ajustables de Bretton Woods entre 1944 et 1971. La largeur des bandes est très étroite : +/-

1 % autour de la parité centrale. Un tel système est une puissante incitation à la spéculation.

En effet, toute dévaluation supérieure à 1 % provoque un saut discret du change, c’est-à-dire

que le nouveau taux central se retrouve dans une nouvelle bande qui n’a aucune intersection

avec l’ancienne. Du point de vue de la spéculation, cela signifie que le gain est quasi-certain :

le nouveau taux central sera défini de telle manière que le taux de change courant n’a aucune

chance de revenir dans les anciennes bandes. Le côté droit du graphique ci-dessous montre

au contraire une situation dans laquelle la bande de fluctuation est large en prenant le cas du

Mécanisme de change européen après l’élargissement des marges de fluctuation le 2 août

1993. Dans ce cas, il faudrait une dévaluation supérieure à 30 % (soit l’amplitude totale de la

bande qui est ici de +/- 15 %) pour que le nouveau taux central se situe en dehors de l’ancienne

34
bande. Autrement dit, toute dévaluation inférieure à 30 % fait que le taux de change courant

peut retomber dans l’ancienne bande, ce qui décourage la spéculation en provoquant un gain

potentiel moindre.

Graphique 8 Largeur de la bande de fluctuation des taux de change et spéculation

Source : J.P. Allegret (2005), p. 196.

La dévaluation de 30 % de la livre sterling a été suivie par d’autres pays conduisant à la

fixation de parités plus réalistes. Les économies de la zone sterling et les pays scandinaves ont

également dévalué de 30 %, la France de 22 %, l'Allemagne de 20 % et la Belgique et le

Portugal de 13 %.

Ces dévaluations massives ont été suivies par une croissance rapide des exportations

européennes et une amélioration de la balance des paiements européenne (Graphique 9).

35
Graphique 9 Solde du solde courant des pays de l’Organisation européenne de coopération

économique, en milliards de dollars après les dévaluations de 1949

Source : M.D. Bordo (1993), op. cit., p.40

Au cours des années 1950, la pénurie de dollars a progressivement pris fin. Il est

important de souligner que la dynamique de la balance des paiements des Etats-Unis a aussi

joué un rôle déterminant dans cette évolution des paiements internationaux. Plus

précisément, comme le montre le Graphique 10, la balance des paiements américaine a connu

une tendance à la dégradation, alimentant ainsi le reste du monde en dollars. Au début, le

principal facteur de dégradation a été les dépenses militaires américaines à l'étranger, mais

après le milieu des années 1950, les transferts de capitaux privés ont joué un rôle très

important, en particulier après 1956 où les firmes américaines ont investi en Europe de

l’Ouest. Cette année-là, les investissements directs américains à l'étranger et les sorties de

capitaux à long terme ont dépassé pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale

les subventions et les flux de capitaux officiels.

36
Graphique 10 Balance des paiements des Etats-Unis, 1946 – 1959, en milliards de dollars

Source : H. James (1996), op. cit., p. 119.

Le 27 décembre 1958, les monnaies des pays de l’Europe de l’Ouest sont devenues

convertibles au titre du compte courant, ouvrant ainsi une nouvelle page dans l’évolution des

Accords de Bretton Woods.

 Harold James (1996), International Monetary Cooperation Since Bretton Woods, IMF
et Oxford University Press.
 Alec Cairncross et Barry Eichengreen (2003), Sterling in Decline, The Devaluations of
1931, 1949 and 1967, 2ème édition, Palgrave Macmillan, New York.
 Paul Einzig (1968), Leads and lags, The Main Cause of Devaluation, Palgrave
Macmillan, New York.
 Milton Friedman (1953), The Case for Flexible Exchange Rates, in Essays in Positive
Economics, The University of Chicago Press, p. 157-203.
 Jean-Pierre Allegret (2005), Les régimes de change dans les marchés émergents,
Collection Entreprendre, Vuibert, Paris.

Section 3 Le fonctionnement de Bretton Woods entre 1958 et 1973

Comme le rappelle entre autres M.D. Bordo (1993), le régime de convertibilité des

monnaies au titre du compte courant qui commence à la fin de 1958 diffère sur plusieurs

points de ce qui avait prévu en juillet 1944. Tout d’abord, les Etats-Unis apparaissent comme

le pays hégémonique dans l’ordre libéral international qui se met en place et le dollar est la

monnaie étalon du système monétaire international. Ensuite, comme l’ont vu dans la section

précédente, le Fonds monétaire international a clairement montré ses limites en termes de

37
capacité à prêter aux pays rencontrant des difficultés de balances de paiements, entrainant

une perte de crédibilité à son égard. En troisième lieu, et nous reviendrons plus en détail sur

ce point, le régime des taux de change mais ajustables a été de fait abandonné au profit d’un

régime de taux de change fixe. Enfin, alors que les Accords de Bretton Woods avaient été

pensés dans le cadre d’un régime où les mouvements de capitaux seraient contrôlés, on

observe dès les années 60 une mobilité croissante des capitaux à l’échelle internationale. Plus

précisément, la mobilité des capitaux privés à long terme a considérablement augmenté dans

les années 1950 et s’est poursuivie dans la période de convertibilité. Parallèlement, les

mouvements de capitaux spéculatifs à court terme se sont intensifiés et sont devenus une

force puissante pour contrecarrer les tentatives des autorités monétaires de maintenir une

parité éloignée des fondamentaux. En résumé, alors que le retour à la convertibilité des

principales monnaies semblait ouvrir une période où le système de Bretton Woods allait

fonctionner pleinement (voir le Graphique 11), des signes de faiblesse sont apparus très

rapidement.

Graphique 11 Nombre de pays remplissant pleinement les obligations liées à l’article VIII

Source : B. Eichengreen (2019), op. cit., p. 106.

Cette section est composée de quatre principaux paragraphes. En premier lieu, la

période 1958 – 1967 est analysée en considérant les trois problèmes mis en avant dès 1964

38
par les économistes dits du Groupe de Bellagio : ajustement, liquidité, confiance (3.1). Dans

un deuxième temps, la nature inflationniste du régime monétaire de Bretton Woods est

étudiée (3.2). En troisième lieu, les tensions monétaires internationales conduisant à la

suppression de la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971 sont abordées. Nous

soulignerons alors le rôle important des mouvements de capitaux à court terme (3.3). Enfin,

la période 1972 – 1973 est analysée afin de montrer les échecs des tentatives de réforme du

système monétaire international issu des Accords de Bretton Woods (3.4).

3.1 La période 1958 – 1967 : les trois problèmes du système monétaire international

Depuis les travaux du Groupe de Bellagio au début des années 1960, le fonctionnement

d’un système monétaire international est analysé à travers le prisme de ce que l’on appelle

les trois problèmes, à savoir l’ajustement, la liquidité et la confiance. Nous les étudions de

manière successive en nous focalisant sur le régime monétaire de Bretton Woods.

3.1.1 Le problème de l’ajustement dans le régime monétaire de Bretton Woods

Le problème de l’ajustement s’intéresse à la manière dont les déséquilibres de balances

des paiements sont résorbés. Un régime monétaire efficace est un régime permettant un

ajustement sans heurts trop importants de ces déséquilibres. Dans le régime de l’étalon-or, le

degré élevé de flexibilité des prix et des salaires permet un ajustement quasi-automatique

(voir le supplément « L’ajustement sous le régime de l’étalon-or » sur Moodle). Or, comme

nous l’avons souligné dans l’introduction de ce chapitre, ce qui caractérise les économies

avancées après la Première guerre mondiale est l’apparition de rigidités au niveau de la

formation des prix et des salaires, empêchant les mécanismes d’ajustement propres à l’étalon-

or de fonctionner correctement. Rappelons aussi le pacte social post Seconde guerre mondiale

dans lequel les gouvernements ont un engagement à mener des politiques de plein-emploi,

39
les salariés acceptant une forme de modération salariale immédiatement après la fin du

conflit.

Dans le régime monétaire de Bretton Woods, l’ajustement des déséquilibres de balances

des paiements est déficient à plusieurs titres. En premier lieu, et ce point est apparu dès 1947,

la capacité de prêts du Fonds monétaire international est très insuffisante pour permettre un

ajustement sans tensions des déséquilibres des balances des paiements. Il s’agit-là d’une

déficience majeure des Accords de Bretton Woods qui avait été largement anticipée par J.M.

Keynes.

Une deuxième déficience, là encore anticipée par J.M. Keynes, est l’existence d’une

asymétrie entre les pays à déficits et les pays à excédents de la balance des paiements. Cette

asymétrie peut s’exprimer de la manière suivante : ce sont les pays à déficit de la balance des

paiements qui doivent supporter les mesures correctrices permettant de retrouver

l’équilibre ; les pays à excédent quant à eux n’ont aucune charge d’ajustement à supporter.

Le Graphique 12 présente la situation de deux économies emblématiques de cette

asymétrie au cours de la période 1950 - 1971. Le graphique de gauche montre l’évolution de

la balance des paiements du Royaume-Uni, pays en déficit chronique alors que le graphique

de droite montre le cas de l’Allemagne fédérale, pays à excédent structurel.

Au cours des années 60, les différents gouvernements – travaillistes et conservateurs –

qui se sont succédés au Royaume-Uni ont adopté des politiques économiques alternant

relance et austérité. Ces politiques dites de stop and go ont été dictées à la fois par des

considérations internes – en particulier la gestion des tensions inflationnistes – mais aussi et

surtout par la situation structurellement dégradée de la balance des paiements. Même si nous

reviendrons ci-après sur cette question, tous les gouvernements qui se sont succédés ont

refusé, jusqu’au mois de novembre 1967, de dévaluer la livre sterling. La conséquence

40
importante pour nous est que la réponse aux déficits de la balance des paiements a

fondamentalement reposé sur une politique monétaire et budgétaire discrétionnaire, des

politiques des revenus et des contrôles commerciaux directs. Parallèlement, afin de faire face

aux sorties chroniques de capitaux, les investisseurs et spéculateurs anticipant une

dévaluation, le Royaume-Uni a recouru à toute une panoplie de mesures de soutien financier

à court terme (accords de swaps par exemple) et de crédits à long terme ainsi qu’aux Accords

Généraux d’Emprunt (AGE) mis en place en 1961 afin de pallier le manque de liquidité du

Fonds monétaire international.

Graphique 12 Balance des paiements du Royaume-Uni (graphique gauche) et de l’Allemagne

fédérale (graphique droit), 1950 – 1971, en millions de dollars

Source : M.B. Bordo (1993),cop. cit., p. 52 et 55

Les Accords généraux d’emprunt (AGE) mis en place par le Fonds monétaire

international en 1962. Il s’agit de moyens financiers supplémentaires qui peuvent être mis à

la disposition du Fonds si ses ressources deviennent insuffisantes. Les pays participants ont

été initialement ceux dits du Groupe des Dix, à savoir l’Allemagne, la Belgique, le Canada, les

États-Unis, la France, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède, rejoints en

1964 par la Suisse. Les ressources du Fonds ont été à l'époque augmentées de 6 milliards de

dollars.

41
Le cas de l’Allemagne – pays à surplus chronique de sa balance des paiements –

contraste singulièrement avec l’expérience britannique. En effet, en dépit d’excédents

persistants, les autorités allemandes ont résisté aux pressions afin de réduire ces excédents.

De leur point de vue, le problème central du système monétaire international ne portait pas

sur l’ajustement des balances des paiements mais sur l’inflation importée de l’extérieur (M.D.

Bordo, 1993). En outre, comme le rappelle opportunément M. Obstfeld (1993), si les pays à

déficit ont une contrainte du point de vue des pertes de réserves officielles supportables, les

pays à excédent n’ont aucune contrainte de réserves. Plus précisément, tant que

l’accumulation de réserves ne conduit pas à un accroissement des tensions inflationnistes,

l’ajustement peut être reporté indéfiniment. Le Graphique 13 montre l’évolution des réserves

officielles détenues par la Bundesbank et celle de l’offre de monnaie mesurée par l’agrégat

M1 sur la période 1950Q1 – 1971Q2. On voit que jusqu'à la fin des années 1960, il n'apparait

aucune indication suggérant que la croissance des réserves a influencé l'objectif de croissance

de la masse monétaire. Autrement dit, les autorités monétaires allemandes ont empêché les

mécanismes du marché de jouer - selon l'enchainement accroissement des réserves officielles

--> augmentation de l'offre de monnaie --> pressions à la hausse sur les prix et les salaires -->

pertes de compétitivité --> baisse de l'excédent extérieur - en menant une politique de

stérilisation des entrées de capitaux.

42
Graphique 13 Réserves officielles et offre de monnaie en Allemagne fédérale, 1950 – 1971,

en milliards de deutschemarks

(échelle de gauche) (échelle de droite)

Source : M. Obstfeld (1993), p. 222

Précisons ce que l’on appelle une politique de stérilisation (J.P. Allegret, 1997). Les

changements dans les actifs de la banque centrale entraînent automatiquement des

changements égaux dans ses engagements. Parallèlement, les changements dans les actifs

entraînent un changement dans la même direction de l'offre de monnaie. Soit la banque

centrale de l'économie Beta dont le bilan est le suivant à t0 :

Actif Passif

Actifs étrangers 500 Dépôts 100

Actifs intérieurs 1000 Monn. en circul. 1400

A t1, la banque centrale doit intervenir pour empêcher l’appréciation de sa propre

monnaie résultant des entrées de capitaux. A ce titre, elle doit vendre sur le marché des

changes sa monnaie et acquérir en échange des réserves étrangères. Cette opération a pour

conséquence d’augmenter la quantité de monnaie en circulation. Que peut-on dire du point

de vue du bilan de la Banque Centrale ?

43
Nous faisons ici l'hypothèse selon laquelle la banque centrale achète pour 50 millions de

devises étrangères et que la conséquence interne de cette intervention porte sur la monnaie

en circulation.

Actif Passif

Actifs étrangers 550 Dépôts 100

Actifs intérieurs 1000 Monn. en circul. 1450

Si la banque centrale élabore une stratégie d'interventions stérilisées, alors la situation

est amenée à changer de manière radicale. La stérilisation consiste à effectuer en sens

inverse les opérations menées sur les marchés des changes (actifs étrangers) sur le marché

des actifs intérieurs. L'objectif est donc d'annuler l'impact des interventions en devises sur

l'offre de monnaie nationale.

Ainsi, par rapport au cas précédent, la banque centrale de Beta va chercher à compenser

son intervention de 50 sur le marché des changes en vendant sur le marché monétaire pour

50 de Bons du Trésor afin de retirer la monnaie en circulation supplémentaire créée par

l’intervention sur le marché des changes. Le bilan est alors le suivant :

Actif Passif

Actifs étrangers 550 Dépôts 50

Actifs intérieurs 950 Monn. en circul. 1450

En plus d’une politique systématique de stérilisation, les autorités allemandes ont eu

recours à des mesures de contrôle sur les entrées de capitaux, mesures qui ont été

particulièrement mises en œuvre dans les périodes de fortes entrées.

Comme l'a souligné M. Obstfeld (1993), l'expérience de l'Allemagne montre à quel point

les incitations à l'ajustement des pays excédentaires étaient limitées. La stérilisation et les

44
contrôles financiers ont été les principaux dispositifs permettant à l'Allemagne de différer

pour de longues périodes le choix entre l'inflation intérieure et la réévaluation.

Une troisième déficience du point de vue de l’ajustement des balances des paiements

sous le régime de Bretton Woods concerne l’asymétrie entre les Etats-Unis et le reste du

monde. Le Graphique 14 présente différentes définitions de la balance des paiements des

Etats-Unis montrant des situations différenciées selon la définition retenue. L'approche par le

compte courant considère les flux monétaires et financiers en tant que contrepartie des flux

réels. Ainsi, Edward M. Bernstein (1961) définit le déficit de la balance des paiements des

Etats-Unis comme l'excès des paiements sur les recettes de toutes les transactions

internationales effectuées par l'économie américaine. Le déficit prend les formes monétaires

suivantes, équivalentes à l'alimentation en liquidités internationales : ventes nettes d'or par

les Etats-Unis, accroissement des engagements américains à court terme à l'égard de

l'étranger détenus dans les institutions bancaires américaines et accroissement éventuel de

la détention de titres du gouvernement américain par des étrangers. Si on focalise l’analyse

uniquement sur les autorités monétaires, alors raisonne en termes de balance des règlements

officiels. Walther Lederer (1961) a proposé une approche différente en considérant que le

déficit des Etats-Unis se comprend comme toute sortie d'or et tout accroissement des dettes

liquides de natures publiques et privées à l'égard de l'extérieur. On parle alors de balance des

liquidités. La balance de base distingue deux types de postes au sein de la balance des

paiements : les transactions de base et les postes dits sensibles à la politique monétaire. Les

transactions de base se situent au-dessus de la ligne dans la mesure où elles reflètent la

position structurelle extérieure d'une économie relativement à ses principaux partenaires.

L'approche s'effectue dans le cadre des déterminants fondamentaux. Au-dessous de la ligne

se trouvent les postes sensibles à la politique monétaire. En raison de leur liquidité, ces postes

45
sont extrêmement fluctuants dans le court terme. La balance de base intègre ainsi le solde du

compte courant auquel on ajoute le solde net des mouvements de capitaux à long terme

publics et privés. Ces différentes mesures ont été utilisées dans les années 50 et 60 pour

estimer l’évolution de la position extérieure des Etats-Unis. Elles reflètent l’absence de

consensus entre les économistes sur cette estimation et donc sur l’interprétation de la

dégradation de la position extérieure américaine.

Graphique 14 Balance des paiements des Etats-Unis selon différentes mesures, 1945 – 1971,

en milliards de dollars

ORT : balance des règlements officiels

Source : M.D. Bordo (1993), op. cit., p. 58

Comme le montre le graphique, les États-Unis ont eu en 1958 un déficit de la balance

des paiements en termes de règlements officiels qui a persisté, à l'exception des années 1968

- 1969, jusqu'à la fin de Bretton Woods. Cependant, sauf en 1959, les États-Unis ont eu un

excédent du compte courant jusqu'en 1970. Le déficit de la balance des paiements sous

Bretton Woods est donc survenu parce que les sorties de capitaux ont dépassé l'excédent du

compte courant. C’est ce que montre le Graphique 15.

46
Graphique 15 Composition de la balance des paiements des Etats-Unis, 1950 – 1971, en

millions de dollars

Source : M.D. Borio (1993), op. cit., p. 56

Dès la fin des années 1950, les investissements privés à long terme à l'étranger

(principalement les investissements directs) ont dépassé les dépenses militaires à l'étranger

et les autres transferts officiels. Cette évolution de la balance des paiements des Etats-Unis a

été perçue comme un problème du point de vue des autorités américaines à cause de leurs

effets sur la confiance. Rappelons en effet que la confiance dans le dollar a reposé sur sa

convertibilité en or à un prix constant. Le rapport engagements américains vis-à-vis de

l’extérieur – stock d’or détenu par les Etats-Unis joue donc ici un rôle fondamental. En 1959,

le stock d'or monétaire des États-Unis équivalait au total des engagements extérieurs en

dollars, et le stock d'or monétaire du reste du monde dépassait celui des États-Unis

(Graphique 16). Cette situation a entrainé la première crise du dollar en octobre 1960 sur

laquelle nous reviendrons lorsque nous étudierons le problème de la confiance. En 1964, les

engagements officiels en dollars détenus par les autorités monétaires étrangères dépassaient

le stock d'or monétaire des États-Unis.

47
Graphique 16 Détention d’or monétaire et de dollars, Etats-Unis et Reste du monde, 1945 –

1971, en milliards de dollars

Source : M.D. Bordo (1993), p. 39

Pour les Européens, et plus largement le reste du monde, le déficit de la balance des

paiements des États-Unis était un problème en raison de la position particulière du dollar dans

le système monétaire international. Plus précisément, le dollar étant à la fois l’étalon

monétaire international de fait et la monnaie dominante dans les transactions internationales,

les Etats-Unis avaient le privilège de voir leur monnaie acceptée dans les règlements

internationaux. Cela signifie qu’il leur suffisait d’émettre des dollars pour financer leurs

déséquilibres extérieurs. Pour reprendre l'expression utilisée dans les années 60 par Valéry

Giscard d’Estaing, alors Ministre des Finances du Général de Gaulle, les Etats-Unis

bénéficiaient d'un privilège exorbitant. En effet, l'acceptation du dollar en guise de règlement

du déficit extérieur américain rend inopérant les contraintes d'ajustement des comptes

extérieurs. Autrement dit, les Etats-Unis pouvaient demeurer durablement déficitaire en

bénéficiant du « déficit sans pleurs, qui permet de donner sans prendre, de prêter sans

emprunter et d'acquérir sans payer » (Jacques Rueff, 1961, p. 172). L'asymétrie d'ajustement

est ici manifeste : alors que le reste du monde soit se procurer des devises - essentiellement

48
des dollars à l'époque - pour faire face à leurs soldes extérieurs déficitaires, il suffit aux Etats-

Unis d'émettre des dollars. Il n’existe donc aucune contrainte d’ajustement pour l’émetteur

de la monnaie internationale de référence. Précisons que, conformément à la position critique

de la France sur l’absence de volonté supposée des autorités américaines de prendre des

mesures de politique économique visant à réduire les déficits extérieurs, la France a en 1965

entamé une politique systématique de conversion de l'encours des engagements en dollars

en or.

Cependant, les autorités américaines ont pris un certain nombre de mesures visant à

répondre à la dégradation de leur position extérieure (J. Denizet, 1985 ; M.D. Bordo, 1993).

Une première série de mesures a porté sur des contrôles concernant les mouvements

internationaux de capitaux :

- une augmentation des impôts sur les revenus étrangers des sociétés américaines en 1961 ;

- la taxe de péréquation des intérêts de 1963 (Présidence Kennedy puis Présidence Johnson),

qui imposait les revenus des investisseurs résidents aux Etats-Unis achetant des titres actions

et / ou obligations émises à New-York par des agents non-résidents. Le montant de la taxe

était de 1 %. Le taux était assez élevé pour décourager effectivement les résidents américains

de continuer à exporter l'épargne nationale. La taxe de péréquation des intérêts été étendue

aux prêts bancaires en 1965, et le taux a été doublé en 1967 ;

- des directives sur les investissements directs ont été imposées en 1965. Ainsi, en février, un

système de « restrictions volontaires ». Plus précisément, le secrétaire d'Etat au commerce

décida d'envoyer une lettre personnelle aux présidents des 600 grandes entreprises

américaines ayant des filiales à l'étranger. Dans ce courrier, il leur demandait de lui adresser

un état des éléments de l'actif et du passif de la maison-mère ayant affecté la balance des

paiements des Etats-Unis en 1964, accompagné des prévisions pour 1965. La lettre s'achevait

49
par un appel à leur patriotisme, le secrétaire d'Etat au commerce précisant la ferme intention

du gouvernement de voir une nette amélioration des résultats en 1965 par rapport à 1964. Si,

initialement, l'appel a été entendu par les dirigeants des grandes entreprises américaines,

assez rapidement ses effets se sont estompés. La réponse des autorités américaines été de

rendre les restrictions volontaires obligatoires à partir de janvier 1968 ;

- toujours en 1965, des limites à la croissance des prêts bancaires aux étrangers ont été

établies.

Comme le rappelle J. Denizet (1985), les mesures prises par l’administration Johnson

ont connu un certain succès. Le déficit de 1965 sur la base des règlements officiels a en effet

diminué de 1,3 milliards de dollars par rapport à celui de 1964.

Sur le plan de la balance commerciale, les autorités américaines ont cherché réduire les

dépenses publiques à l'étranger et pour encourager les exportations et décourager les

importations. Elles ont notamment (i) opéré une réduction des achats gouvernementaux à

l'étranger ; (ii) étendu les prêts de la Banque d'import-export en 1960 et (iii) davantage lié

l’aide au développement à des achats de biens américains en dollars, et ce, à partir de 1961.

Du point de vue de la politique économique, les autorités américaines ont cherché à

maintenir à la fois l’équilibre interne et l’équilibre externe, et ce, sur fond de dégradation des

comptes extérieurs. Pour comprendre ce policy-mix, tel qu’il a été mené jusqu’au milieu des

années 60, il faut faire référence à l’élection de John Kennedy à la Présidence en novembre

1960 (J. Denizet, 1985). Le candidat puis Président Kennedy est très préoccupé par la situation

qu'il considère grave de la balance des paiements. Jean Denizet précise que John Kennedy

dira plus tard qu'il a été hanté par le déficit extérieur autant que par l'équilibre des armements

nucléaires entre Etats-Unis et URSS (p. 72). Le diagnostic de l'administration Kennedy est

clairement posé : il s'agit d'un problème de surévaluation du dollar. En outre, les autorités

50
américaines considèrent que l'excédent de la balance commerciale est trompeur car reposant

sur un volume élevé d'exportations vers des clients dits « captifs » au sens où ils sont obligés

d'acheter aux Etats-Unis en raison de leur forte dépendance à l'égard des Etats-Unis en

matière de soutien financier ou militaire des Etats-Unis. Les conseillers du futur Président se

divisent en partisans de la dévaluation du dollar et opposants. Afin de faire taire les rumeurs

et de calmer la première crise du dollar sur laquelle nous reviendrons, le 31 octobre, soit cinq

jours avant l'élection, John Kennedy déclare : « Si je suis élu président, je ne modifierai pas

l'actuelle parité du dollar. Au contraire, je défendrai sa valeur que j'estime correcte » (cité par

J. Denizet, 1985, p. 73). Autrement dit, le futur Président se prive d'un instrument

d'ajustement. En outre, au début de son mandat, John Kennedy décide aussi de ne pas

accroître les taux d'intérêt. Cette mesure aurait permis d'atténuer les sorties de capitaux et

donc d'avoir un impact positif sur l'équilibre externe. Cependant, le nouveau Président devait

aussi faire face à la récession de 1960 - 1961 : une augmentation des taux aurait

inévitablement accentué la récession. Kennedy semble donc ici privilégier l'équilibre interne

au détriment de l'équilibre externe.

Au début de l'année 1961, l'économie américaine continue à se contracter tandis que

les sorties d'or se poursuit à un rythme rapide. Le directeur de la Division des finances

internationales du Conseil des Gouverneurs de la FED (Arthur Marget) évoque de manière

explicite une fuite devant le dollar ne pouvant être stoppée qu'au prix d'une augmentation

des taux d'intérêt américains à court terme (Kenneth D. Garbade, 2021). Cette hausse se ferait

au détriment de la reprise économique. Les autorités américaines semblaient donc confronter

à un dilemme avec deux objectifs irréconciliables. Les responsables de la Federal Reserve Bank

de New York défendent alors une proposition non portée par les autres Gouverneurs, à savoir

que les deux termes du dilemme peuvent être résolus simultanément en vendant des titres

51
du Trésor à court terme et en achetant des billets et des obligations à plus long terme. William

Treiber, premier vice-président de la Banque, remarque ainsi que « [l]es taux à long terme

sont les plus importants pour les dépenses d'investissement ; les taux à court terme sont les

plus importants pour les soldes extérieurs. Nous devons continuellement rechercher une

politique flexible qui servira au mieux nos divers objectifs interdépendants. À cette fin, il peut

devenir souhaitable pour le système de vendre des titres à court terme et d'acheter des titres

d'autres échéances qui sont disponibles sur le marché » (cité par K.D. Garbade, 2021, p. 289).

La nouvelle administration Kennedy souhaite elle aussi répondre à la fois aux deux facettes

du dilemme. Dans un discours adressé au Congrès le 2 février 1961, le Président Kennedy

esquisse une possible solution :

« La reprise complète et la croissance économique exigent toutes deux une

augmentation des dépenses pour les installations et équipements des entreprises, pour les

installations des administrations nationales et locales et pour la construction résidentielle.

Pour accroître le flux de crédit à ces fins, les taux d'intérêt à long terme devraient baisser.

Toutefois, de nouvelles baisses des taux d'intérêt à court terme, dans les conditions actuelles,

entraîneraient de nouvelles sorties de fonds à l'étranger, aggravant le déficit de notre balance

des paiements…

Dans ces circonstances, la politique monétaire et la gestion de la dette doivent servir

deux objectifs apparemment contradictoires : endiguer les baisses des taux à court terme qui

affectent directement la balance des paiements, et accroître le flux de crédit vers les marchés

des capitaux à des taux d'intérêt à long terme en baisse pour favoriser la reprise intérieure.

Ces deux objectifs peuvent être atteints simultanément, mais seulement avec une

coopération étroite entre toutes les agences gouvernementales concernées…

52
Le Trésor et la Réserve fédérale travaillent déjà ensemble pour renforcer l'efficacité

complémentaire de la gestion de la dette et de la politique monétaire » (cité par K.D. Garbade,

2021, p. 289).

Le 7 février 1961, le Federal Open Market Committee se réunit pour envisager une

modification des modalités d'intervention traditionnelles de la FED sur le marché des titres de

dette de l'Etat américain. Ces modalités sont largement fondées sur le principe de non-

intervention sur le compartiment long de ce marché. Robert Rouse, alors responsable du

System Open Market Account, compte qui détient les actifs acquis à l'occasion d'opérations

d'open market, suggère un plan d'action en deux points :

- afin de répondre aux problèmes de la balance des paiements, les taux d'intérêt à court terme

ne doivent pas baisser, voir augmenter. A cette fin, dans les opérations d'open market visant

à introduire de la liquidité supplémentaire, la FED ne doit pas acquérir de titres courts du

Trésor ;

- afin de répondre à la nécessité de promouvoir la reprise en injectant des liquidités, il propose

que la FED effectue des opérations d'open market sur les compartiments de moyen et long

terme de la dette du Trésor. Le 20 février, le Federal Open Market Committee lance le

programme.

Selon une estimation réalisée en 2011 par un économiste de la Banque de Réserve

Fédérale de San Francisco (K.D. Garbade, 2021, p. 294), la courbe des rendements s'est aplatie

de 27 points de base, résultat une hausse de 12 points de base du rendement des titres à 13

semaines et d'une baisse de 15 points de base du rendement des titres à 10 ans. On a donné

à cette opération le nom « d’opération twist ». Elle s’achèvera fin mai 1961. Sa durée a été

relativement courte, mais elle est une tentative très célèbre d’essayer de rendre compatible

équilibre interne et équilibre externe.

53
Parallèlement, les autorités américaines ont adopté une politique budgétaire

expansionniste par exemple par le biais d’un crédit d’impôt à l’investissement.

 Jean-Pierre Allegret (1997), Economie monétaire internationale, éditions Hachette, Paris.


 Edward M. Bernstein (1961), The new administration and the dollar-payments problems, in The
dollar in crisis, S.E. Harris (ed.), ed. Harcourt, New-York, p. 73-88.
 Walther Lederer (1961), The balance of United States payments, a statement of the problem, in
The dollar in crisis, S.E. Harris (ed.), ed. Harcourt, New-York, p. 114-136.
 Jacques Rueff (1961), Un danger pour l'Occident : le gold-exchange standard, reproduit in
Oeuvres complètes, tome 3, Politique économique, vol.2, Lehrman Institute (ed.), ed. Plon, 1980,
pp.169 à 179.
 Kenneth D. Garbade (2021), After the Accord: A History of Federal Reserve Open Market
Operations, the US Government Securities Market, and Treasury Debt Management from 1951
to 1979, Cambridge University Press, Royaume-Uni.

Une quatrième déficience du régime de Bretton Woods est l’abandon de fait des taux

de change fixes mais ajustables au profit de taux de change fixes en raison d'une réticence des

autorités monétaires à recourir aux réalignements de parité - dévaluation et réévaluation.

Autrement dit, les principaux Etats membres se sont privés d'un degré de liberté extrêmement

important pour contenir les pressions. M. Obstfeld (1993) avant quatre raisons principales

pour expliquer la réticence des pays déficitaires - à l'image du Royaume-Uni - à recourir à la

dévaluation. Le premier motif est celui de la réputation. La défense systématique de la parité

apparaît pour les autorités monétaires comme un moyen d'acquérir de la réputation et par là-

même de limiter les flux de capitaux perturbateurs. Les crises monétaires de la fin des années

soixante sur lesquelles nous reviendrons illustrent la pertinence de cet argument. Un

deuxième motif fait référence aux possibles représailles de la part des partenaires

commerciaux à la suite de la dévaluation. En effet, les partenaires commerciaux peuvent

réagir en élevant des barrières commerciales en représailles ou même en dévaluant à leur

tour, annulant l'effet de la dévaluation sur la compétitivité des produits du pays considéré. En

troisième lieu, la dévaluation, en accroissant les prix des biens importés exprimés en monnaie

domestique, dégrade les termes de l'échange, ce qui est coûteux pour le pays qui dévalue. Il

peut en résulter non seulement une pression inflationniste nationale, mais aussi une perte de

54
substance. Cette dernière fait référence au fait que le pays qui dévalue doit donner de plus en

plus de biens pour obtenir la même quantité de biens importés. Enfin, dans l'objectif de libérer

des ressources en vue de l'exportation, il est nécessaire de limiter la dépense nationale, ce

que l'on appelle aussi l'absorption nationale. Une telle politique a des coûts sociaux

importants, facteur de tensions sociales qui peuvent contrecarrer l'effet de la dévaluation.

Les pays excédentaires - l'Allemagne fédérale et le Japon en particulier - ont montré une

même réticence au réalignement de parité, dans le sens de la réévaluation. Un argument

important mis en avant est la baisse de la compétitivité des exportations pouvant résulter de

la réévaluation. Les activités exportatrices ont été des groupes de pression efficaces pour

dissuader politiquement les gouvernements de réévaluer.

Comme le rappelle M. Obstfeld (1993), les principaux épisodes de dévaluations n'ont

pas été réalisés à froid, mais sous la pression des marchés. Les tensions provoquées par les

mouvements de capitaux de plus en plus importants ont eu tendance à aggraver les difficultés

auxquelles faisaient face les pays déficitaires, conduisant ces derniers à retarder le plus

possible toute idée de dévaluation. Autrement dit, « en ce qui concerne les pays déficitaires, il

n'est en effet pas exagéré d'affirmer que le système de Bretton Woods ne comportait aucun

mécanisme d'ajustement fiable » (p. 220). Précisons aussi que les principales réévaluations se

sont elles aussi faites sous la pression des marchés.

Une cinquième et dernière déficience importante de l’ajustement sous le régime de

Bretton Woods est la perte d’efficacité des contrôles sur les mouvements internationaux de

capitaux. Cette perte d’efficacité est apparue avant la phase d’ouverture financière des pays

puisqu’elle est intrinsèquement liée, nous l’avons déjà souligné au retour à la convertibilité

des monnaies au titre du compte courant. Dès la première moitié des années 50, l’économiste

55
britannique Arthur I. Bloomfield (1954) a souligné le rôle spéculatif des avances et des retards

pratiqués par les importateurs et exportateurs (A.I. Bloomfield, 1954).

Afin de bien comprendre l'importance de cette déficience, il faut rappeler, en suivant

entre autres Filippo Cesarano (2006) et Barry Eichengreen (2019), que ces contrôles n'avaient

pas uniquement pour but d'assurer la stabilité des taux de change. Pour dire les choses

autrement, comme le suggère l'expérience de l'étalon-or, une forte mobilité des capitaux n'est

pas nécessairement synonyme d'instabilité des taux de change. Le point important, que nous

avons présenté dès l'introduction de ce chapitre, c'est que la crédibilité de l'étalon-or était

très élevée en raison de l'absence d'objectifs alternatifs pour les banques centrales. Compte-

tenu de très haut degré de confiance dans la stabilité des taux de change, les mouvements de

capitaux avaient même une influence stabilisatrice. Les choses changent après la Première

guerre mondiale avec l'émergence de nouveaux objectifs pour les décideurs publics. Après la

Seconde guerre mondiale, l'accent est mis sur l'activité économique et le niveau de l'emploi.

Il apparait désormais un arbitrage entre équilibre interne et équilibre externe. La crédibilité

de la résolution des autorités à défendre les parités est fortement entamée par ces nouveaux

objectifs qui fondent un nouvel ordre économique et social parfois appelé embedded

liberalism (ou « libéralisme intégré ») selon l'expression du politologue américain John Ruggie

(1982). Les contrôles des capitaux jouent ici un rôle fondamental. En limitant les ressources

que les investisseurs peuvent mobiliser pour remettre en cause une parité, ils permettent

même temps de réduire l'intensité des mesures restrictives à prendre par les autorités pour

défendre ces parités. Ainsi, comme le rappelle Barry Eichengreen (2019), « Pendant plusieurs

décennies après la Seconde Guerre mondiale, les limites à la mobilité des capitaux se sont

substituées aux limites à la démocratie comme source d'isolation contre les pressions du

marché » (p. 3).

56
Si les mesures du degré d'intégration des marchés financiers domestiques suggèrent

bien la présence de contrôles sur les capitaux permettant de créer des écarts de taux d'intérêt

entre les pays (B. Eichengreen, 2019, p. 112-113), il n'en demeure pas moins que leur

efficacité s'est affaiblie au cours du temps.

Une étape particulièrement importante a été le développement du marché des euro-

dollars dès la fin des années 1950. Il s’agit d’un marché hors-frontière (dit offshore) du dollar

échappant à toute réglementation. L’euro-dollar est l’un des trois segments du crédit bancaire

internationale en dollars (voir Supplément Activité bancaire internationale). Sur l’euro-dollar,

le support monétaire – ici le dollar - est indépendant de la nationalité du prêteur et de

l’emprunteur. Par exemple, une banque japonaise installée à Londres prête des dollars à une

firme allemande située en Allemagne. Le dollar n’est pas la monnaie domestique de

l’emprunteur et du prêteur. L’expression « euro »-dollar est liée au fait que ce marché

offshore s’est d’abord développé à Londres, mais il convient de souligner qu’avec le temps

d’autres places financières ont développé ce type d’activités et que d’autres devises (par le

yen, le deutschemark (avant l’euro) ou le franc suisse) ont servi de supports. C’est la raison

pour laquelle on utilise désormais l’expression « euro-marchés ». Un premier facteur à

l’origine de l’apparition d’un marché des euro-dollars a été la décision des autorités d’Union

soviétique de placer ses actifs en dollars non plus aux Etats-Unis – par crainte d’un gel des

avoir dans le cadre de la guerre froide – mais sur le marché de Londres d’abord auprès de

banques britanniques. Un deuxième facteur est l’introduction de restrictions par le

gouvernement MacMillan en 1957 sur les activités d’acceptions des banques britanniques.

Il s’agit de « l’apposition de leurs signatures sur les lettres de change ou effets de commerce

émis à l’étranger… C’est cette « acceptation » qui, seule, rendait les traites émises partout

dans le monde négociables sur le marché monétaire anglais ». (J. Denizet, 1985, p. 61).

57
Parallèlement, le gouvernement britannique, à l’image des autorités suisses, autorise les

banques anglaises à accepter des dollars. Afin de compenser les pertes liées aux restrictions

sur le marché des acceptations, les banques britanniques vont dynamiser le marché de l’euro-

dollar. Enfin, un troisième facteur, décisif du point de la participation des banques américaines

à ce marché à été la règlementation Q mise en place aux Etats-Unis dans les années trente.

Son principe est le suivant : le Federal Reserve System impose un plafond aux taux d'intérêt

que les banques commerciales servent à leurs déposants et impose simultanément un plafond

- qui peut être différent - aux taux d'intérêt servis par les caisses d'épargne. Pour que la

règlementation Q est un impact négatif sur la distribution du crédit, par exemple pour faire

face aux tensions inflationnistes, la banque centrale cherche à fixer un taux payé par les

banques commerciales légèrement inférieur aux taux payés par les caisses d'épargne, ce qui

permet d'entraîner un mouvement des dépôts à terme vers les dépôts des caisses d'épargne

moins susceptibles de conduire à de la création monétaire. Au milieu des années soixante, les

tensions monétaires ont incité à une réactivation de la règlementation Q. Or, les banques

américaines se sont adaptées en recourant massivement à l'euro-dollar via la création de

filiales - en particulier à Londres - ou via le recours à des emprunts à court terme sur ce

marché.

Le développement des euro-marchés a été favorisé par le rétablissement, à la fin de

1958, de la convertibilité au titre du comptes courants des monnaies des pays d'Europe

Occidental. En effet, les opérations de change des banques, en Europe et ailleurs, ont alors

connu une expansion très importante. Les principaux apporteurs de capitaux ont d'abord été

les banques centrales en quête de rendement. Par exemple, compte-tenu d'un écart de taux

important par rapport Etats-Unis en 1960-1961, certaines banques centrales ont préféré

placer une partie de leurs réserves sous la forme de dépôts en euro-dollars. Avec

58
l'internationalisation des firmes, le marché des euro-dollars a servi à la fois de plateforme de

financement et de plateforme de gestion activité de la trésorerie en devises. Les banques

commerciales situées en dehors des Etats-Unis ont contribué à l'offre nette d'Euro-dollars

avec des dollars achetés sur le marché contre monnaie nationale, par exemple à des

exportateurs résidents. Si au début des années 60, les banques centrales dominaient le

marché des euro-dollars, les acteurs privés ont ensuite dominé le marché (H. James, 1996, p.

180). Cela a d'abord été le cas des banques britanniques et suisses, autorisées à recevoir des

dépôts en devises, puis des banques américaines après le durcissement de la politique

monétaire de la FED à la fin de l'année 1965, durcissement qui a fait « jouer » la

règlementation Q. On note d'ailleurs une accélération de la croissance du marché à cette

période (Graphique 17) non seulement en raison de la règlementation Q mais aussi en raison

de taux d'intérêt plus rémunérateurs sur l'euro-dollar. On ne dispose pas de données

systématiques avant 1963, mais dans son 34ème rapport annuel (1er avril 1963 – 31 mars 1964),

la Banque des règlements internationaux a estimé qu’entre 1957 et le dernier trimestre de

1963, les dépôts des non-résidents (y compris les dépôts libellés en sterling) ont augmenté de

plus de 4 milliards de dollars (p. 164).

Le marché des euro-dollars est important à considérer car, comme nous le verrons plus

loin dans ce chapitre, il va jouer un rôle central dans l’effondrement du régime monétaire de

Bretton Woods. En effet, il sera une courroie de transmission entre les marchés monétaires

nationaux des tensions monétaires internationales favorisant ainsi de vastes mouvements de

capitaux spéculatifs à court terme.

59
Graphique 17 Engagements extérieurs en monnaies étrangères des huit pays d'Europe

communiquant des données à la BRI, en milliards de dollars

Source : Banque des règlements internationaux (1972), 42ème rapport annuel, 1er avril 1971 –

31 mars 1972, Bâle, p. 178.

 Arthur I. Bloomfield (1954), Speculative and Flight Movements of Capital in Postwar


International Finance, Princeton Studies in International Finance, n°3, Princeton University, New
Jersey.
 Filippo Cesarano (2006), Monetary Theory and Bretton Woods, The Construction of an
International Monetary Order, Cambridge University Press, Royaume-Uni.
 John Gerard Ruggie (1982), International Regimes, Transactions, and Change: Embedded
Liberalism in the Postwar Economic Order, International Organization, vol. 36, n°2, p. 379-415.

3.1.2 Le problème de la liquidité

Il existe un lien important entre le problème de l'ajustement étudié dans le paragraphe

précédent et le problème de la liquidité. En effet, un montant adéquat de liquidités à l'échelle

mondiale signifie, d'une part, que les pays peuvent mieux faire face à des perturbations de

court terme les affectant et, d'autre part, qu'à long terme ces pays disposent de davantage de

temps pour mener des politiques d'ajustement sans pour autant remettre en cause l'objectif

de plein-emploi en contractant trop fortement la demande.

Dans le régime monétaire de Bretton Woods, le problème de la liquidité est rapidement

apparu comme une question centrale. Plus précisément, si le Fonds monétaire international

avait considéré en 1953 puis en 1958 que le stock de réserves mondiales était suffisant pour

60
financer les importations, de nombreux économistes ont manifesté des doutes quant à cette

vision optimiste. Les diverses sources de liquidité apparaissaient insuffisantes pour financer la

croissance de la production et du commerce. Un auteur important ici est l'économiste belge,

Professeur à l'Université de Yale, Robert Triffin qui en 1960 publie un ouvrage intitulé en

français L'or et la crise du dollar (1962) dans lequel il avance un certain nombre d'arguments

le conduisant à considérer que les besoins en liquidité pourraient être supérieurs aux liquidités

disponibles.

Le principal argument de Triffin concernait l'insuffisance des réserves d'or monétaire. Il

a ainsi observé que le prix réel de l'or suivait une tendance à la baisse dont la conséquence

serait à terme un recul de la production mondiale d'or. Le graphique 18 montre qu'une telle

baisse s'est produite au début des années 1950 puis de nouveau en 1966. En outre, la baisse

du prix de l'or devrait exercer un effet de stimulation de la demande privée d'or limitant

encore la perspective d'accroissement du stock d'or monétaire mondial dans un

environnement où l'offre serait contrainte.

Graphique 18 Production et prix de l’or, en termes réels, 1945 - 1971

Source : M.D. Bordo (1993), p.62.

Le graphique 19 montre l'apparition à la fin des années 50 d'un écart important entre la

croissance de la production et du volume des échanges et la croissance des réserves d'or. Si

61
on considère le G7 moins les États-Unis, il faut attendre 1966 pour voir un tel écart se creuser

un tel écart.

Graphique 19 Croissance du stock d'or monétaire, des réserves internationales, du commerce

international en termes réels et du revenu en termes réels des pays du Groupe des sept

(gauche) et des pays du Groupe des sept moins les Etats-Unis (droite), 1950 - 1973, en %

Source : M.D. Bordo (1993), p.64.

Une conséquence importante de l'insuffisance du stock d'or monétaire mondial - illustré

avec le graphique 20 - est le poids croissant des réserves de change, et en tout premier lieu le

dollar, dans la liquidité internationale. Le point important ici est que l'offre de dollars

américains dépend de la balance des paiements américaine, qui elle-même est liée aux aléas

de la politique gouvernementale et au problème de confiance envers la monnaie américaine.

Nous reviendrons en détail sur ce point dans le prochain paragraphe, mais il faut garder à

l'esprit que la confiance dans le dollar dépendait de sa convertibilité en or.

Il faut aussi souligner que les droits de tirage inconditionnels auprès du Fonds monétaire

international, fonction de la quote-part de chaque pays membre (à hauteur de 25 %), étaient

eux-mêmes réduits. Ils ne pouvaient donc pas servir de substitut crédible à l'insuffisance de la

production d'or.

62
Graphique 20 Sources des changements dans les réserves mondiales hors Etats-Unis : le poids

croissant des réserves de change, 1950 – 1971, en milliards de dollars

(foreign exchange)

Source : M.D. Bordo (1993), p.65.

Si dans son ouvrage Robert Triffin a défendu un retour au Plan Keynes, d'un point de

vue opérationnel, trois principales solutions ont été mises en œuvre pour faire face au

problème de la liquidité. Une première réponse a été d'accroître les ressources du Fonds

monétaire international d'abord par l'intermédiaire de deux augmentations des quotas : 50

% en 1960 et 25 % en 1966 ensuite par les accords généraux d'emprunt en 1962 dont nous

avons déjà parlés. Une deuxième solution a été mise en œuvre par les pays du Groupe des

dix à travers un réseau de swaps entre banques centrales et des accords de confirmation

(standby arrangements). Il est important ici de souligner que si ces mécanismes accroissent

bien la liquidité conditionnelle, ils n'ont aucun impact sur le niveau des réserves officielles des

pays membres du Fonds monétaire international.

La troisième solution pour faire face à l'insuffisance de liquidité a été la création en 1969

(premier amendement des articles du Fonds monétaire international) des droits de tirage

spéciaux (Bordo, 1993, p. 66-68 ; Eichengreen, 2019, p. 109-111). Il s'agit d'une monnaie dite

63
composite au sens où les DTS sont une moyenne pondérée d'un panier de devises (16 à la

création des DTS). Comme le précise le Fonds monétaire international, les monnaies incluses

dans le panier « doivent satisfaire à deux critères : le critère relatif aux exportations et celui

relatif à leur caractère librement utilisable. Une monnaie répond au critère relatif aux

exportations si son émetteur est un pays membre du FMI ou une union monétaire comprenant

des membres du FMI, et se classe parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux. Pour que le

FMI considère qu’une monnaie est « librement utilisable », celle-ci doit être largement utilisée

pour régler des transactions internationales et couramment négociée sur les principaux

marchés des changes. Les monnaies librement utilisables peuvent être utilisées dans les

transactions financières avec le FMI » (Source : note Droit de tirage spécial (DTS) publiée le 9

août 2021 sur le site du FMI, https://www.imf.org/fr/About/Factsheets/Sheets/2016/08/01/14/51/Special-Drawing-Right-

SDR). Initialement, la valeur du DTS a été fixée à 0,888671 gramme d’or fin, soit 1 DTS = 1 dollar.

La première allocation a eu lieu en 1970 pour un montant de 9,3 milliards de dollars sur une

période de trois ans (1970-1972). L'utilisation des DTS est limitée au financement des déficits

de la balance des paiements. Cela signifie que l'acceptabilité des DTS est limitée aux

transactions officielles. Il est important de noter qu'au moment où la première allocation de

DTS a été effectuée, le monde n'était plus confronté à une potentielle insuffisance de liquidité,

mais à un problème d'excès de liquidité entrainant des tensions inflationnistes.

Une dernière solution, fortement portée par la France, mais non utilisée, aurait été

d’augmenter le prix officiel de l’or. Outre l’opposition des Etats-Unis qui se refusait à dévaluer

le dollar, cette solution posait deux autres problèmes principaux. D’une part, un

accroissement du prix officiel de l’or aurait augmenté les revenus de l’Afrique du Sud

(apartheid) et de l’URSS (guerre froide), ce qui n’était politiquement pas tenable. D’autre part,

un problème d’incohérence temporelle se posait : si les Etats membres du FMI s’étaient mis

64
d’accord sur une augmentation du prix officiel de l’or, comment empêcher les investisseurs

privés d’anticiper d’autres hausses, favorisant ainsi la spéculation sur le marché de l’or.

 Robert Triffin (1960), Gold and the Dollar Crisis, Yale University Press, New Haven,
Connecticut, Etats-Unis. Traduction française en 1962 sous le titre L'or et la crise du dollar,
Presses Universitaires de France, Paris.

3.1.3 Le problème de la confiance

Le problème de la confiance est central dans tout système monétaire international

fondé sur une devise-clef. Dans le cas du régime de Bretton Woods, comme dans l’entre-deux-

guerres, ce problème est d’autant plus présent que la (ou les) devise(s)-clef(s) sont convertible

en or. Nous sommes en effet non pas dans un régime d’étalon-or mais dans un régime

d’étalon de change – or.

Pour comprendre le problème de la confiance dans le régime de Bretton Woods, il faut

revenir à une caractéristique fondamentale de ce régime : il est asymétrique. Le problème dit

« de la Nème monnaie » permet de comprendre cela.

Le pays à monnaie de réserve (ici les Etats-Unis) n'a pas à intervenir sur les marchés des

changes. En effet, si nous avons N pays avec N monnaies, il y a seulement N-1 taux de change

par rapport à la monnaie de réserve (dollar). Si les N-1 pays fixent leur taux de change par

rapport à la monnaie de réserve (la Nème monnaie), le pays centre n'a plus de taux de change

à fixer puisque celui-ci l'est par les interventions des N-1 pays. En conséquence :

- le pays centre n'a pas à financer sa balance des paiements : son déficit (excédent) est

créateur (destructeur) de dollars pour les non-résidents ;

- il est totalement autonome dans la conduite de sa politique économique n’étant pas soumis

à la contrainte monétaire extérieure avec cependant une contrainte fondamentale du point

de vue de la stabilité du système monétaire international : le stock d’or détenu par la banque

65
centrale doit rester compatible avec ses engagements officiels extérieurs et, ce, afin

d’assurer la convertibilité du dollar en or conformément à l’engagement des Etats-Unis.

Dès le début des années 60, de nombreux économistes, parmi lesquels Robert Triffin

(1960), Peter B. Kenen (1960) et Milton Gilbert (1968) ont souligné que le régime de Bretton

Woods pouvait suivre une dynamique instable, d'une part, si la croissance du stock d'or

monétaire mondial était insuffisante pour financer la progression de la production mondiale

et du commerce mondial et, d'autre part, pour empêcher le stock d'or monétaire des États-

Unis de diminuer par rapport à l'encours des engagements en dollars américains. Comme nous

l'avons vu à travers le problème de la liquidité, les deux aspects sont liés. En outre, ces auteurs

mettaient en avant le fait que les menaces pesant sur la convertibilité du dollar en or

exerçaient une influence déstabilisatrice sur le fonctionnement du régime de Bretton Woods.

Comme pendant l'entre-deux-guerres, le problème du gold exchange standard était qu'il y

avait pénurie d'or et que certaines banques centrales (dont la France dans les deux cas)

cherchaient à accumuler des réserves en or. C’est dans ce cadre que se comprend le dilemme

de Triffin (1960).

Dans la mesure où le reste du monde détient du dollar en tant que liquidité en raison de

sa convertibilité en or, et non en tant que réserve ultime de valeur, compte tenu des limites

du stock d'or disponible face à la croissance des paiements internationaux :

- soit le monde connaît une « pénurie » de dollars si les Etats-Unis ne sont pas

systématiquement en déficit et la croissance est bloquée du fait de l’insuffisance d’or

monétaire dans le monde ;

- soit le monde connaît un « excédent » de dollars, les Etats-Unis étant constamment

déficitaires, le système monétaire international devient alors foncièrement instable en raison

de la crise de confiance sur le dollar et des tensions inflationnistes résultant d'un tel

66
mécanisme de formation des liquidités. Nous avons vu précédemment que les deux situations

se sont succédé. Cependant, ce qui va conduire à l’effondrement du régime monétaire de

Bretton Woods, c’est l’abondance de dollars.

En octobre 1960 se produit la première crise du dollar sous la forme d'une spéculation

sur le marché londonien de l'or dont le prix atteint 41 dollars l'once (Graphique 21).

Graphique 21 Prix de l’or sur le marché de Londres

Prix officiel de l’or


en dollar

Source : à partir de M.D. Bordo (1993), p. 70.

Cette accroissement du prix de l’or sur le marché de Londres, supérieur au prix officiel

de 35 dollars, a reflété des anticipations d'une dévaluation du dollar en raison, d’une part, de

la crainte de l’adoption d’une politique inflationniste si John F. Kennedy devait être élu à lla

Présidence, et, d’autre part, du déclin des réserves d’or monétaire américaines. Rappelons

que dès la fin des années 50, le stock d'or monétaire des États-Unis équivalait au total des

engagements extérieurs en dollars (Graphique 16).

Au cours de la période 1961-1967, les Etats-Unis ont mobilisé un certain nombre de

dispositifs afin de garantir la convertibilité or du dollar, en coopération avec d’autres banques

centrales ou de manière unilatérale.

Afin de répondre à cette crise, les Etats-Unis ont commencé à vendre de l'or sur le

marché - par l'intermédiaire de la Banque d'Angleterre - afin d'assurer un retour rapide vers

67
le prix officiel de l'or. En outre, au début de 1961, le Président Kennedy a réaffirmé l'intention

de son pays de maintenir le prix officiel de l'or en dollars au niveau existant. En mars 1961,

l'once cotée au fixing était revenue à $ 35,08. Dans les derniers jours d'août, en raison de la

persistance du déficit de la balance des paiements américains et de la crise politique

internationale liée à la situation de Berlin, une nouvelle hausse du cours de l'or a porté l'once

d'or fin à $ 35,20. A ce moment-là, les banques centrales du Groupe des dix ont convenu

qu'elles n'achèteraient pas de l'or au-dessus de ce prix. En novembre 1961, les autorités

monétaires de huit pays (les six de la CEE, la Suisse, les Etats-Unis et le Royaume-Uni)

réagissent aux tensions sur le marché de l'or par la formation du pool de l'or. Les huit banques

centrales mettent à la disposition de la Banque d'Angleterre les quantités d'or nécessaires

pour maintenir son prix à 35 dollars l'once signifiant au marché leur volonté de protéger la

parité officielle du dollar. Au départ le pool était doté de $ 270 millions dont la moitié fournie

par les Etats-Unis. Les parts de la France, du Royaume-Uni, de l'Italie et de l'Allemagne étaient

de près de 10 %, les autres pays participant à hauteur de 3 % chacun (Barry Eichengreen, 2007,

p. 48).

Afin de limiter les conversions de dollars en or dans un contexte de dégradation des

comptes extérieurs américains, la banque centrale américaine a utilisé à partir de 1962 la

technique des swaps. A cette fin, la Federal Reserve Bank de New York a créé à un réseau de

facilités de crédit réciproques avec certaines banques centrales et la Banque des règlements

internationaux. En août 1962, le total de ces facilités s'élevait à $700 millions ; mais la

dimension de ce réseau de swaps a connu une expansion constante jusqu'au milieu de 1970,

où il portait sur plus de $ 11 milliards. Entre mars 1962 et août 1971, le montant brut des

tirages de la Réserve Fédérale sur les facilités de swap s'est élevé à $11,8 milliards (BRI (1972),

op. cit., p. 24). Précisons que ce réseau de swaps n'a pas servi uniquement à pallier au besoin

68
en devises de la FED. Ainsi, la Banque d'Angleterre a été amenée à utiliser les swaps pour

financer en partie ses déficits structurels des paiements extérieurs entre 1964 et 1968.

Les autorités américaines ont aussi recouru à l'émission d'obligation libellées en

monnaies étrangères dites obligations Roosa du nom du sous-secrétaire au Trésor Robert

Roosa. Il s'agit de la seconde ligne de défense du stock d'or américain. Comme pour les swaps,

les Etats-Unis cherchent à faciliter le financement de leur déficit des paiements extérieurs. En

dépit de leur liquidité limitée, les premières émissions ont eu lieu au profit de l'Italie et de la

Suisse en 1961-1962. En septembre 1965, le total des encours atteignait près de $ 1,3 milliard,

dont les quatre cinquièmes étaient détenus par l'Allemagne fédérale et la Suisse (BRI (1972),

op. cit., p. 24-25).

Enfin, les Etats-Unis ont aussi eu recours à la persuasion, en particulier en direction de

pays tels que l’Allemagne fédérale et le Japon qui bénéficiaient à l’époque du « parapluie

nucléaire » américain.

 Peter B. Kenen (1960), International liquidity and the balance of payments of a


reserve-currency country, Quarterly Journal of Economics, vol. 74, novembre, p.
572-586.
 Milton Gilbert (1968) The Gold-Dollar System: Conditions of Equilibrium and the
Price of Gold, Princeton Essays in International Economics, n°70, octobre, Princeton
University Press, New Jersey
 Barry Eichengreen (2007), Global Imbalances and the Lessons of Bretton Woods,
The MIT Press, en particulier le chapitre 2 consacré au fonctionnement du pool de
l'or.

3.2 La nature inflationniste de l’étalon-dollar et la soumission du reste du monde à la politique

monétaire des Etats-Unis

La nature inflationniste du régime monétaire de Bretton Woods a été notamment

défendue par les partisans d'un retour à l'étalon-or. L'économiste français Jacques Rueff n'a

eu de cesse de défendre de point de vue lié à la problématique du « déficit sans pleurs » des

comptes extérieurs des Etats-Unis et s'incarne dans l'idée d'une duplication des bases du

crédit. Ainsi, dans les situations de déficits américains, les banques centrales étrangères

69
accumulent des réserves en dollars. Ces réserves représentent un accroissement de la masse

monétaire dans les pays récepteurs. Simultanément, ces réserves sont placées sur le marché

monétaire américain sous la forme de bons du Trésor ou d'actifs rémunérateurs à court terme.

Ce sont ces placements qui reconstituent la base monétaire des Etats-Unis. En effet,

l'acquisition de ces actifs américains a pour contrepartie un accroissement des réserves dans

les banques commerciales des Etats-Unis. Il apparaît ainsi une asymétrie monétaire dans le

régime de Bretton Woods : les bases monétaires des Etats-Unis et du reste du monde ne se

compensent pas, elles se cumulent. Lorsque les banques centrales étrangères achètent des

dollars, elles accroissent leur base monétaire. De la même manière, en plaçant ces dollars aux

Etats-Unis, elles laissent inchangée la base monétaire américaine. Il en résulte une stérilisation

« passive » aux Etats-Unis des interventions sur le marché des changes.

En conséquence, des pressions à l'augmentation de la masse monétaire mondiale se

manifestent dans le régime de Bretton Woods version étalon-dollar. La situation s'oppose de

ce point de vue au régime de l'étalon-or. Si l'on considère l'évolution de l'inflation, on peut

constater en effet un accroissement des tensions inflationnistes à la fin des années soixante :

- 2,3% en moyenne annuelle entre 1956 et 1965 ;

- 4,1% en moyenne annuelle entre 1966 et 1970.

Une autre asymétrie monétaire caractéristique de l'étalon-dollar fixe est la soumission

de la politique monétaire du reste du monde à la politique américaine dont on déduit la

transmission contrainte de la conjoncture américaine au reste du monde.

Nous les étudions de manière successive.

3.2.1 Etalon dollar et inflation

La nature inflationniste du régime monétaire de Bretton Woods a été particulièrement

étudiée d'un point de vue théorique et empirique par Hans Genberg et Alexander Swoboda.

70
L'analyse qui suit prend appui sur leur étude publiée en 1993. Le cadre d'analyse est celui du

"monétarisme mondial" dans lequel le revenu monétaire « mondial », l'inflation, les taux

d'intérêt nominaux... sont influencés de manière déterminante par l'évolution d'agrégats

monétaires « mondiaux » tels que la masse monétaire mondiale, la base monétaire mondiale

ou la fourniture de réserves internationales. L'arbitrage des biens assure à moyen terme un

degré élevé de convergence des taux d'inflation nationaux. Autrement dit, la tendance

commune des taux d'inflation, soit aussi le « taux d'inflation mondial », est donc déterminée

par l'évolution de la masse monétaire mondiale par rapport à la production.

 Hans Genberg et Alexander Swoboda (1993), The Provision of Liquidity in the Bretton
Woods System in: A Retrospective on the Bretton Woods System: Lessons for International
Monetary Reform, in : A Retrospective on the Bretton Woods System: Lessons for
International Monetary Reform, Michael D. Bordo et Barry Eichengreen, éditeurs, University
of Chicago Press, 269 - 316.

Le Graphique 22 relie les stocks de monnaie domestique – les Etats-Unis (Mus) et le reste

du monde (M*) – au stock de monnaie mondiale noté (Mw). Ce stock de monnaie mondiale est

la somme des deux masses monétaires domestiques converties dans une même unité à une

parité définie à l’avance. Les lignes 𝑀𝑀0𝑤𝑤 , 𝑀𝑀1𝑤𝑤 et 𝑀𝑀2𝑤𝑤 représentent des stocks croissants de la

masse monétaire mondiale. On suppose que le taux de change est égal à 1, ce qui permet de

poser que la pente de ces lignes est de – 1.

Les points le long d’une masse monétaire mondial donnée 𝑀𝑀𝑤𝑤 représentent l’ensemble

des distributions possibles d’un donné entre les deux régions. Cependant, une seule

distribution est compatible avec la condition d’équilibre de la balance des règlements officiels.

Cette hypothèse repose sur le fait que la balance des paiements est un phénomène monétaire.

L’équilibre de la balance des règlements officiels obéit donc à un ratio spécifique entre les

deux masses monétaires domestiques. On suppose que le long de la ligne OP l’équilibre de la

balance des paiements est assuré. On pose que l’équilibre initial se situe au point A.

71
Dans un premier temps, on montre comment un déséquilibre monétaire dans le reste

du monde modifie l’équilibre des balances des paiements dans un régime d’étalon-or. Ce cas

peut être généralisé en considérant une monnaie « externe », c’est-à-dire une monnaie qui

n’a pas une dette comme contrepartie. On suppose que la banque centrale du reste du monde

conduit une opération d’open-market entraînant un accroissement du stock de monnaie qui

passe de 𝑀𝑀0∗ à 𝑀𝑀1∗ . L’économie passe du point d’équilibre initial A au point B. La demande de

monnaie étant inchangée dans le reste du monde, il apparaît un excès d’offre de monnaie du

reste du monde relativement à la monnaie des Etats-Unis.

Graphique 22

Source : H. Genberg et A. Swoboda (1993), op. cit., p. 288.

En conséquence de l’excès d’offre de monnaie dans le reste du monde, il apparaît un

excès de demande sur le marché des biens qui accroît le revenu nominal mondial et induit un

déficit de la balance des paiements du reste du monde. Ce déficit a pour conséquence une

nouvelle distribution de l’or (ou de la monnaie externe) du reste du monde vers les Etats-Unis.

72
Au niveau mondial, cela se traduit par un déplacement du point B vers le point C le long de

𝑀𝑀1∗ . Le nouvel équilibre mondial correspond au point C.

Précisons les mécanismes sous-jacents.

L’opération à l’open-market de la banque centrale du reste du monde se traduit dans un

premier temps, nous l’avons vu, par une augmentation de la masse monétaire du reste du

monde. Cette augmentation est elle-même égale à l'augmentation de la base monétaire

multipliée par le multiplicateur monétaire du reste du monde. L’expansion monétaire dans le

reste du monde signifie, à demande de monnaie donnée, une offre excédentaire de la

monnaie du reste du monde qui tend donc à se déprécier sur le marché des changes. Si on

raisonne en termes d’étalon-or, lorsque les points d’or auront été atteints, il se produira une

sortie d'or du reste du monde vers les États-Unis.

Les points d'or représentent précisément les taux de change au-delà (points de sortie)

ou en deçà (points d'entrée) desquels un agent économique trouvera plus avantageux de

payer (ou d'être payé) en or plutôt qu'en devises compte-tenu des coûts de transport de l'or

(fret et assurance).

Exemple : Si on note X le prix du dollar pour une once d'or fin fixé par le Trésor américain

(20,646 dollars), Y le prix officiel de la livre pour une once d'or fin fixé par la Banque

d'Angleterre (4,252 livres), St le taux de change au comptant dollars / livre à l'instant t, Teua

le coût de transaction total par once d'or des Etats-Unis (eu) vers l'Angleterre (a) et Taeu le

coût de transaction total par once d'or de l'Angleterre vers les Etats-Unis, il est profitable

d'importer de l'or en Angleterre si

X
St 〉 (1)
Y - Teua

et d'importer de l'or aux Etats-Unis si

73
X - Taeu
St 〈 (2)
Y

Supposons qu'à un instant donné la livre s'apprécie sur le marché des changes. Dans

cette hypothèse, (1) montre que plus est élevé le coût de transaction liée à l'importation de

l'or en Angleterre, plus le prix de la livre en dollar peut s'accroître au-dessus de la parité-or

dollar/livre (soit X/Y ou 20,646 / 4,252 = 4,856). En effet, la limite en deçà de laquelle il est

préférable d'importer de l'or (points d'entrée) est très éloignée. Si, de manière similaire, la

livre se déprécie sur le marché des changes, (2) montre que le prix en dollar de cette devise

peut s'abaisser au-dessous du taux de parité si le coût de transaction liée à l'importation d'or

aux Etats-Unis est élevé. En effet, la limite au-delà de laquelle il vaut mieux exporter de l'or

vers les Etats-Unis (points de sortie) est éloignée, d'où une importante marge de dépréciation

de la livre au-delà de sa parité. La perte d’or dans le reste du monde réduit l'augmentation

initiale de la masse monétaire du reste du monde et augmente la masse monétaire aux Etats-

Unis en raison de l'afflux d'or. La masse monétaire augmente selon les entrées d’or multipliées

par le multiplicateur monétaire américain. Le processus se poursuit jusqu'à ce que la

distribution initiale d'équilibre de la masse monétaire mondiale entre ses composantes

américaine et reste du monde ait été rétablie.

Au total, la masse monétaire mondiale aura augmenté du montant de l'augmentation

initiale de la composante nationale de la base monétaire américaine multipliée par le

multiplicateur monétaire mondial, lui-même étant une moyenne pondérée des deux

multiplicateurs monétaires régionaux. En même, en même temps, le stock d'or du reste du

monde aura diminué et celui des Etats-Unis augmenté du même montant. Enfin,

l'augmentation de la masse monétaire mondiale aura entraîné une augmentation du revenu

74
monétaire mondial suffisante pour résorber l'excédent initial de monnaie dans le monde créé

par l'expansion monétaire.

Une caractéristique fondamentale du mécanisme qui précède est sa symétrie : si c'était

les Etats-Unis qui avaient augmenté la masse monétaire américaine via l’open-market, le

résultat final en termes de masse monétaire mondiale et de niveau des prix aurait ont été

exactement le même. La seule différence aurait été que les Etats-Unis auraient perdu de l'or

et que le Reste du monde en aurait gagné. Revenons au Graphique 22 afin de le montrer.

Supposons que la masse monétaire mondiale augmente à la suite d’une politique

d’expansion monétaire aux Etats-Unis tel que 𝑀𝑀0𝑢𝑢𝑢𝑢 se déplace vers 𝑀𝑀1𝑢𝑢𝑢𝑢 . Au point D, nous avons

à présent un excès d’offre de monnaie en dollars. Par symétrie avec le cas précédent,

l’ajustement va se faire au niveau mondial tel que les stocks monétaires amènent à nouveau

le système à s'arrêter à C.

Dans un système d’étalon dollar – ou plus largement dans un système où la monnaie

dite « interne » sert de référence internationale – les mécanismes d’ajustement sont très

différents. En suivant H. Genberg et A. Swoboda, on suppose une situation dans laquelle les

autorités monétaires américaines empêchent toute influence extérieure d’affecter l’offre de

monnaie aux Etats-Unis. Cela revient à considérer que le reste du monde détient uniquement

des bons du Trésor américains en tant que réserves. Le point important est que ce régime

monétaire affecte de manière significative l’efficacité de la politique monétaire dans les deux

régions.

On suppose comme précédemment une expansion monétaire dans le reste du monde

avec une nouvelle masse monétaire notée 𝑀𝑀1∗ et un nouvel équilibre au point B. L’excès d’offre

de monnaie crée un déficit de la balance des paiements du reste du monde mais,

contrairement au cas avec étalon-or, il ne se produit pas de redistribution du stock de monnaie

75
mondial et une augmentation de la masse monétaire aux Etats-Unis. L’unique changement

que l’on observe est une perte de réserves dans le reste du monde. Cette perte va se

poursuivre tant que le stock de monnaie du reste du monde n’est pas revenu à son niveau

initial A éliminant ainsi le déséquilibre des paiements internationaux. Une conclusion

importante de ce raisonnement est que l’efficacité de la politique monétaire du reste du

monde est totalement annihilée sous un régime d’étalon-dollar. A l’inverse, l’efficacité de la

politique monétaire aux Etats-Unis est amplifiée. Ainsi, un accroissement de l’offre de

monnaie aux Etats-Unis tel que 𝑀𝑀1𝑢𝑢𝑢𝑢 conduit l’équilibre à se déplacer au point D. Cependant,

sous le régime d’étalon-dollar, le déficit américain et l’excédent du reste du monde entrainent

seulement un accroissement du stock de monnaie dans le reste du monde. L’équilibre est alors

le point E et non plus le point C comme sous l’étalon-or. On voit que la masse monétaire

mondiale s’est accrue telle que 𝑴𝑴𝒘𝒘 𝒘𝒘


𝟐𝟐 et non plus seulement 𝑴𝑴𝟏𝟏 comme sous l’étalon-or.

Précisons les mécanismes sous-jacents à notre raisonnement graphique.

Lorsque le reste du monde mène une politique monétaire expansionniste, cela se traduit

par un accroissement de la masse monétaire dont l’ampleur dépend du multiplicateur du reste

du monde. Il apparaît une offre excédentaire de monnaie et un déficit de la balance des

paiements. Ce déficit entraine des pertes de réserves qui ont pour contrepartie une réduction

des bons du Trésor américain détenus par le reste du monde, mais cela est sans effet sur la

base monétaire et la masse monétaire des États-Unis. Le déficit des paiements du reste du

monde durera tant que sa masse monétaire ne sera pas revenue à son niveau initial et avec

elle la masse monétaire mondiale et le niveau des prix. La seule chose qui aura finalement

changé, c'est la composition de la base monétaire du reste du monde : les avoirs de la banque

centrale en bons du Trésor américain auront diminué d'un montant égal à l'augmentation de

76
ses avoirs en obligations domestiques. On voit donc que sous un régime d’étalon dollar, la

politique monétaire du reste du monde est donc privée de toute efficacité à long terme.

Lorsque l’expansion monétaire se produit aux Etats-Unis, il apparait un excès d’offre de

monnaie et un déficit des paiements extérieurs américains. Cette fois-ci, les autorités

monétaires du reste du monde interviennent pour empêcher l'appréciation de leur monnaie

au-delà de la marge d'intervention autour de la parité. Cette intervention n’entraine aucune

perte d'or pour les Etats-Unis et un gain pour le reste du monde mais uniquement par une

augmentation des bons du Trésor américain détenus par la banque centrale du reste du

monde. En effet, les dollars achetés sur le marché des changes en contrepartie de la monnaie

domestique prennent la forme de détention de bons du Trésor aux Etats-Unis. En contrepartie

des interventions sur le marché des changes, la masse monétaire du reste du monde connaît

une expansion.

Le résultat final est donc une augmentation de la masse monétaire mondiale d'une

ampleur supérieure à celle qui se produit sous l'étalon-or puisqu'il n'y a pas de pertes de

réserves internationales par les États-Unis pour modérer l'augmentation de la masse

monétaire américaine. La masse monétaire du reste du monde supporte tout le poids de

l'ajustement à l'augmentation initiale de la base monétaire américaine. En l’absence

d’ajustement aux Etats-Unis, on peut en conclure que la politique monétaire des américaine

est très puissante. Il se produit une augmentation du revenu nominal mondial qui est elle-

même amplifiée par l’absence d’ajustement.

En résumé, contrairement au régime de l’étalon-or, le régime de l’étalon dollar ne

possède aucun mécanisme d’ajustement permettant une régulation de l’offre de monnaie

mondiale. Dans le raisonnement de H. Genberg et A. Swoboda on retrouve bien l’idée de J.

Rueff selon laquelle les masses monétaires tendent à se cumuler au lieu de se compenser. On

77
doit donc s’attendre à ce que plus le point des réserves de change augmente dans le total des

réserves officielles, plus la pression inflationniste exercée par le régime monétaire doit

s’intensifier. C’est bien ce que suggère le Graphique 23 : l’augmentation très rapide des

réserves de change en fin de période se traduit par un accroissement de l’inflation.

Graphique 23 Pays industrialisés, taux de croissance annuels, en %

Source : H. Genberg et A. Swoboda (1993), op. cit., p. 284

3.2.2 La transmission contrainte de la conjoncture américaine au reste du monde

Dans ce contexte asymétrique, on dira que le reste du monde « accommodera » la

politique monétaire des Etats-Unis et ne pourra pas avoir une action indépendante. En cas

de politique monétaire laxiste des Etats-Unis, le reste du monde devra importer l'inflation. Le

jeu de la parité non couverte des taux d'intérêt permet de comprendre cela :

ius = irdm + µ

si les agents anticipent une dévaluation du dollar, alors µ > 0 et irdm doit baisser pour

compenser cet accroissement dans un système de taux de change fixes. Il en résulte dans le

reste du monde une politique monétaire expansionniste contradictoire avec l'objectif initial

de leurs autorités monétaires.

Au total, il apparaît un « processus de propagation de la conjoncture américaine au reste

du monde [qui] suit alors le canal des liquidités internationales. Il provoque une augmentation

78
généralisée des bases monétaires et atteint ensuite conjointement le revenu global nominal

dans tous les pays » (Michel Aglietta et Virginie Coudert (1984), p.45.

Le Graphique 24 présente les principaux enchaînements de cette transmission

internationale.

Graphique 24 La transmission internationale de la conjoncture américaine : aspects monétaire

et réel

Revenu global Importations


US US

Base monétaire Revenu global


US RDM

Liquidités Base monétaire


internationales RDM

Source : M. Aglietta et V. Coudert (1984), p.45.

Michael R. Darby et al. (1983) ont analysé la transmission internationale de l’inflation

dans le régime de Bretton Woods. Ils montrent notamment que la croissance monétaire aux

Etats-Unis est indépendante des variations des réserves internationales. La balance des

paiements n'avait aucun effet sur la fonction de réaction de la FED. En outre, il apparait que

la croissance monétaire américaine a eu des effets importants et significatifs sur la croissance

monétaire au sein des pays du Groupe des sept avec des décalages très longs allant jusqu'à

quatre ans. Ces retards reflétaient le fait que les banques centrales des sept pays avaient

partiellement stérilisé les flux de réserves. Ils trouvent aussi que la croissance monétaire dans

les pays du Groupe des sept explique l'inflation dans ces pays avec un retard significatif.

 Michel Aglietta et Virginie Coudert (1984), Formation d'une conjoncture mondiale et


transmission monétaire de l'inflation, Economie Prospective Internationale, n°20, p.35-71.

 Michael R. Darby, James R. Lothian, Arthur E. Gandolfi, Anna J. Schwartz et Alan C.


Stockman (1983), The International Transmission of Inflation, University of Chicago Press,
Chicago.

79
3.3 L’effondrement du régime des taux de change fixes mais ajustables

La période couvrant les années 1967 – 1973 sont celles de l’effondrement du régime

monétaire mis en place en juillet 1944 à Bretton Woods. Afin de comprendre les principaux

événements de la période, il faut remonter un peu avant, c’est-à-dire au tournant de l’année

1965 pour l’économie américaine.

Plus précisément, à partir de 1965, le rythme de croissance de la productivité du travail

connaît un fléchissement rapide. Si on considère l'ensemble du secteur privé, les rythmes sont

de 3,5 % et 1,7 % respectivement pour les périodes 1947-1966 et 1966-1974. Le retournement

de la tendance de la productivité à partir de 1965 s'est accompagné, presque simultanément

par celui de la rentabilité des entreprises américaines. Deux facteurs principaux expliquent

cette dynamique de l'économie américaine : le financement de la guerre du Vietnam et

l'émergence des tensions inflationnistes.

La guerre du Vietnam apparaît certainement comme l'élément conjoncturel catalyseur

de la situation de l'économie des Etats-Unis à partir du milieu des années 60. De 1965 à 1968,

les dépenses militaires augmentent rapidement, passant de 50 milliards de dollars à 80

milliards (milieu de 1968). Elles provoquent un accroissement du déficit budgétaire qui se

situe alors durablement au niveau de 15 milliards de dollars. Le taux d’emploi des capacités

de production devient supérieur à 90 % et, parallèlement, le taux de chômage passe au-

dessous du seuil de 5 % considéré alors comme caractérisant le plein-emploi. En 1969, le taux

de chômage tombe à 3 % (J. Denizet, 1985, p. 77). En conséquence, alors que les Etats-Unis

avaient une tendance à enregistrer un taux d’inflation plus faible que dans les autres pays

avancés, on observe à partir de 1965 un accroissement du taux d’inflation qui passera à

certaines périodes au-dessus des taux d’inflation allemand et britannique (Graphique 25).

80
Graphique 25 Taux d’inflation aux Etats-Unis et dans quelques pays européens, janvier 1956

– décembre 1973, en %

Titre du graphique Titre du graphique


20 10

8
15

6
10
4

5
2

0 0

01/01/1956
01/10/1956
01/07/1957
01/04/1958
01/01/1959
01/10/1959
01/07/1960
01/04/1961
01/01/1962
01/10/1962
01/07/1963
01/04/1964
01/01/1965
01/10/1965
01/07/1966
01/04/1967
01/01/1968
01/10/1968
01/07/1969
01/04/1970
01/01/1971
01/10/1971
01/07/1972
01/04/1973
01/01/1956
01/10/1956
01/07/1957
01/04/1958
01/01/1959
01/10/1959
01/07/1960
01/04/1961
01/01/1962
01/10/1962
01/07/1963
01/04/1964
01/01/1965
01/10/1965
01/07/1966
01/04/1967
01/01/1968
01/10/1968
01/07/1969
01/04/1970
01/01/1971
01/10/1971
01/07/1972
01/04/1973
-2
-5

France Royaume-Uni Etats-Unis Allemagne Etats-Unis

Source : International Monetary Fund, International Financial Statistics

Le Gouverneur de la FED - William McChesney Martin – décide de d’adopter une

politique monétaire restrictive afin de maitriser l’inflation. Les années 1966 – 1974 vont alors

être rythmées par des phases de hausses des taux d’intérêt aux Etats-Unis avec des

intermèdes de baisses dans les périodes de récession de l’économie américaine (par 1er

semestre 1967 et 1970-1971) (J. Denizet, 1985, p. 78). Comme le montre la partie gauche du

Graphique 26, la hausse des taux aux Etats-Unis entrainent celle sur le marché des euro-

dollars conduisant ces derniers à être en certaines périodes plus rentables que les placements

en monnaie domestique (partie droite pour l’Allemagne).

Graphique 26 Taux d’intérêt américain et euro-dollars


1964-06-01
1964-11-01
1965-04-01
1965-09-01
1966-02-01
1966-07-01
1966-12-01
1967-05-01
1967-10-01
1968-03-01
1968-08-01
1969-01-01
1969-06-01
1969-11-01
1970-04-01
1970-09-01
1971-02-01
1971-07-01
1971-12-01
1972-05-01
1972-10-01
1973-03-01
1973-08-01

14,00

12,00
12,00

10,00 10,00

8,00
8,00

6,00
6,00
4,00

4,00
2,00

2,00 0,00
1964-06-01
1964-11-01
1965-04-01
1965-09-01
1966-02-01
1966-07-01
1966-12-01
1967-05-01
1967-10-01
1968-03-01
1968-08-01
1969-01-01
1969-06-01
1969-11-01
1970-04-01
1970-09-01
1971-02-01
1971-07-01
1971-12-01
1972-05-01
1972-10-01
1973-03-01
1973-08-01

0,00

euro-dollar fed funds taux d'escompte de la FED Euro-dollar, taux 3 mois Allemagne, taux d'intérêt interbancaires à 3 mois

Source : FRED, Federal Reserve Economic Data

81
Du point de vue de l’évolution de la balance des paiements, le milieu des années 60

marque le début d’une détérioration inexorable des Etats-Unis. Outre les pertes de

compétitivité liées aux pressions inflationnistes, la relation entre l'évolution des importations

et celle du produit national brut montre une inflexion fondamentale. En effet, le jeu des

élasticités évolue défavorablement à l'économie américaine : à une progression de x% du PNB

correspond désormais un accroissement x+y% des importations de marchandises. Dans ce

cadre, les importations de biens d'équipement deviennent prépondérantes au sein de

l'économie américaine. Le rapport importations de biens d'équipement sur investissement en

biens de production durable évolue comme suit :

Tableau 1 Ratio importations de biens d'équipement / investissement en biens de production

durable. En %

1960-1964 1965-1969 1970 1971

3,01 5,54 7,34 7,66

Hors produits de l'industrie automobile.

Source : Banque des Règlements Internationaux, 42ème Rapport Annuel, 1er avril 1971 – 31

mars 1972, Bâle, p.7.

Ces différentes tendances trouvent leur expression dans la dégradation des comptes

extérieurs des Etats-Unis. La période 1965-1970 est ainsi marquée par un affaiblissement

régulier du compte courant américain tenant, d'une part, à l'élimination de l'excédent

commercial et, d'autre part, à un affaiblissement de l'excédent de la balance des invisibles.

Parallèlement, les sorties nettes de capitaux à long terme se sont intensifiées à partir de 1969

en creusant le déficit de la balance de base : déficit cumulé de -11,0 milliards de dollars entre

1965 et 1968 et de -29,2 milliards entre 1969 et 1972. A l'origine d'un tel phénomène se trouve

en premier lieu la réorientation des investissements directs américains vers l'Europe

82
occidentale. Alors que l'investissement direct américain dans l'Hémisphère Occidental

(Canada/Amérique Latine) a eu un impact positif sur la balance de base américaine - non

seulement les profits réinvestis représentent une part prépondérante du nouvel

investissement, limitant les sorties nettes de capitaux, mais les revenus rapatriés demeurent

supérieurs à ces sorties - désormais les profits rapatriés sont inférieurs aux sorties nettes de

capitaux, l'investissement direct vers l'Europe dégradant alors la balance de base des Etats-

Unis. Rappelons que les investissements directs ont été au centre des préoccupations des

autorités américaines pour leur programme de restrictions des mouvements de capitaux.

La charnière dans l'évolution du système monétaire international - du point de vue

des crises monétaires - se situe en 1967-1968. Le rapport annuel de la Banque des Règlements

Internationaux de l'époque considère ainsi qu'il s'agit de « la période la plus troublée que le

système monétaire international ait connue depuis 1949 » (BRI (1968), 38ème Rapport annuel,

1er avril 1967 – 31 mars 1968, p. 3).

Le premier évènement marquant est la dévaluation de la Livre le 18 novembre 1967 (J.

Denizet (1985), p. 87-101 ; A. Cairncross et B. Eichengreen (2003), chapitre 3). Cet épisode

est un exemple des conséquences du développement des euro-marchés et des capitaux

spéculatifs qu'ils peuvent porter. Le contexte est celui d'une situation de déséquilibre

fondamental de la balance des paiements du Royaume-Uni, synonyme de surévaluation de la

Livre. Le Tableau 2 montre une dégradation importante de la balance des paiements au cours

des années 60 relativement à la décennie précédente.

83
Tableau 2 La balance des paiements du Royaume-Uni

Source : BRI (1968), op. cit., p. 16.

Le taux de chômage moyen entre janvier 1964 et décembre 1967 est de 1,7 %. Il y a donc

une pénurie de main-d’œuvre rendant les négociations salariales compliquées pour maitriser

les coûts salariaux et ce, dans un paysage syndical divisé. Ce très faible taux de chômage cache

en fait une économie où existe un potentiel de chômage important en raison d’un suremploi

synonyme de faible productivité et de faible compétitivité. Le taux d’inflation moyen entre

janvier 1960 et décembre 1967 s’élève à 3,1 % contre 2,6 % en Allemagne fédérale et 1,7 %

aux Etats-Unis. Les balances-sterling ont aussi un impact déséquilibrant important. En effet,

les détenteurs de ces balances se montrent inquiets à chaque fois que l’économie britannique

est dans une phase de surchauffe car ils redoutent qu’elle soit suivie d’une dévaluation de la

livre sterling.

Le Graphique 27 montre le taux de dévaluation anticipé de la livre sterling face au

deutschemark entre 1961 et 1971. Il apparaît clairement que l’anticipation de dévaluation suit

étroitement les politiques d’expansion économique suivies par les différents gouvernements

sur la période. On voit aussi clairement que les mois qui précèdent la dévaluation de

novembre 1967 sont marqués par une hausse importante de l’anticipation de dévaluation.

84
Graphique 27 Anticipation de dévaluation de la livre sterling contre le deutschemark, 1961

– 1971, en % par an

Source : B. Eichengreen (2019), op. cit., p. 118.

Comment expliquer le refus obstiné des autorité britanniques de dévaluer dans une

situation manifeste de déséquilibre fondamental ?

Plusieurs auteurs et acteurs de cette époque avancent l’hypothèse que les Etats-Unis et

le Royaume-Uni ont avancé de concert pour éviter une dévaluation de la livre sterling. A cette

fin, comme le rappelle J. Denizet (1985, p. 91), les différents gouvernements britanniques ont

été amenés à consulter les autorités américaines sur leurs mesures de politique économique.

Le point de vue américain est de considérer que la livre sterling apparaît comme le dernier

rempart avant que la spéculation ne s'attaque à nouveau au dollar. Cette idée repose

fondamentalement sur la théorie des dominos. Une dévaluation de la livre sterling sera suivie

comme en 1931 et en 1949 par des dévaluations des monnaies du Commonwealth et par les

pays du nord de l’Europe.

Ainsi, à la suite de l’expansion économique vigoureuse expérimentée par le Royaume-

Uni et les autres économies occidentales en 1963-1964, la balance des paiements britannique

se dégrade fortement. A l’été 1964, un mouvement de fuite vis-à-vis de la livre sterling est en

85
cours. En raison des élections à venir au mois d’octobre, le gouvernement conservateur se

refuse à prendre des mesures d’austérité. Les Britanniques parviennent à défendre la livre

sterling en mobilisant des fonds provenant de l’extérieur : « $ 1 milliard provenant d'un crédit

du Fonds monétaire international ; des crédits swaps provenant de banques centrales « amies

» négociés et coordonnés par la Banque des règlements internationaux à Bâle pour $ 500

millions ; un crédit swap de $ 500 millions du Fed à lui seul. C'est la première fois qu'une masse

de manœuvre aussi importante est réunie » (J. Denizet (1985), p. 93).

Dans ce contexte, le catalyseur de la crise de 1967 est paradoxalement la politique

monétaire américaine. En effet, les tensions sur les taux d'intérêt américains - et l'étroitesse

des liens entre le marché monétaire américain et l'euro-dollar - entrainent des déplacements

de capitaux entre les obligations communales émises au Royaume-Uni et l'euro-dollar. La

conséquence est une baisse significative des réserves officielles comme le montre le

Graphique 28 rendant la dévaluation inéluctable.

Graphique 28 Réserves officielles du Royaume-Uni à l’exclusion de l’or, en millions de dollars

Source : International Monetary Fund, International Financial Statistics

Le 18 novembre 1967, la livre sterling est dévaluée de 14,3 %. Elle vaut désormais $ 2,40

contre $ 2,80 auparavant.

86
Le second évènement déterminant est l'éclatement du pool de l'or et sa fin le 17 mars

1968. Après la dévaluation de la Livre, d'importantes attaques se produisent contre la parité

du dollar à 35 dollars l'once. Dès le 20 novembre 1967, des ordres d’achat élevés se

manifestent sur le marché de l’or à Londres. Face à cette spéculation, le pool de l’or intervient

et cède 27 millions d’or, 47 le 21, 106 le 22, 142 le 23 et 256 millions le 24 (J. Denizet (1985),

p. 102). La spéculation a repris au cours du mois de décembre entrainant un fléchissement

des encaisses des pays du monde occidental (y compris celles des organismes internationaux)

de $1,4 milliard pendant le quatrième trimestre de 1967 (BRI (1968), p. 53).

Au mois de mars 1968, la pression spéculative s'est encore intensifiée. Les autorités

britanniques décident de fermer le marché de Londres le vendredi 15 mars. A Paris, le cours

de l'or dépasse ce jour-là les $44 l'once. Dans la foulée, les gouverneurs des banques centrales

du pool de l'or se réunissent à Washington et publient un communiqué soulignant « le

gouvernement des Etats-Unis continuera, dans ses transactions avec les autorités monétaires,

à acheter et à vendre de l'or à $35 l'once. Les Gouverneurs appuient cette politique, estimant

qu'elle favorise le maintien de la stabilité des changes ». En outre, les Gouverneurs ont

exprimé leur conviction que « les encaisses officielles doivent dorénavant servir exclusivement

à effectuer des transferts entre autorités monétaires» et sont par conséquent convenus «de ne

plus fournir désormais d'or au marché de Londres ni à tout autre » ; par ailleurs, « étant donné

que les stocks d'or monétaire actuels sont suffisants eu égard à la mise en place prochaine de

facilités nouvelles sous forme de droits de tirage spéciaux, les Gouverneurs n'estiment plus

nécessaire d'acheter de l'or au marché. Enfin, ils décident de ne plus vendre de l'or à des

autorités monétaires pour leur permettre de remplacer le métal cédé sur des marchés privés ».

Le texte du communiqué invite également « d'autres banques centrales à apporter leur

soutien aux politiques ainsi définies » (cité par BRI (1968), p. 54).

87
Le pool de l'or a vécu. Il avait déjà été affaibli par la défection de la France en juillet 1967.

Au-delà de ces mouvements spéculatifs, il est important de souligner que le pool de l’or devait

structurellement faire face à la pénurie d’or dont nous avons déjà parlé. En effet, entre 1956

et 1966, on observe un quasi-doublement de la demande privée d’or (industrie et

thésaurisation). Celle-ci absorbe désormais la presque totalité de la production courante du

monde occidental. Face à l’absence d'or nouveau disponible pour renforcer les réserves

monétaires, les banques centrales du pool de l'or ont dû satisfaire la quasi-totalité de la

demande spéculative en 1967-1968. La position du pool de l’or n’était donc pas tenable

durablement sans production supplémentaire d’or au niveau mondial. Le Graphique 29

montre bien comment le pool de l’or devient vendeur net d’or en 1967 et 1968.

Graphique 29 Offre d'or et achats nets officiels du monde occidental, en millions de dollars

E.U., au prix de $35 l'once de fin

Source ; BRI (1972), op. cit., p. 22

Selon J. Denizet (1985), « cette deuxième défaite en quatre mois de distance acheva de

persuader les opérateurs qu'on pouvait toujours venir à bout des parités fixes. Elles

contenaient en germe les spéculations de septembre 1969 et de mai 1971 contre le Deutsche

Mark » ( p.105).

88
Les marchés de l'or sont fermés jusqu'au 1er avril 1968, date à laquelle le double marché

de l'or est institué. Ce double marché est composé :

- d'un circuit interne aux banques centrales qui s'engagent à échanger de l'or au prix de 35

dollars l'once ;

- d'un circuit privé où le prix de l'or est libre.

Les deux circuits sont étanches dans la mesure où si une banque centrale intervient sur

le marché privé, elle est exclue du marché officiel.

Comme l'a souligné M.D. Bordo (1993), l'institution du double marché de l'or pose un

problème d'incohérence temporelle. En effet, les agents économiques anticipent une possible

nouvelle modification du prix de l'or. En conséquence, la détention de dollar est découragée.

Autrement dit, la politique du double marché de l'or ne fait que reporter le problème du dollar,

mais il n'apporte pas de réponse définitive. Le Graphique 21 montre aussi que le prix privé de

l’or s’est définitivement éloigné du prix officiel.

Les crises monétaires de 1969-1970 apparaissent comme le point d'orgue de

l'effondrement du système des parités fixes. Deux éléments majeurs doivent être notés.

D'une part, la politique économique américaine s'appuie davantage sur la politique

monétaire. Ainsi, les taux d'intérêt subissent d'amples variations en fonction des sollicitations

de la politique monétaire (Graphique 26). D'autre part, les conjonctures nationales sont de

plus en plus déphasées. En conséquence, les politiques économiques sont amenées à varier

entre les pays. Le Graphique 30 illustre ce déphasage dans le cas de l’Allemagne fédérale et

des Etats-Unis.

89
Graphique 30 Taux de croissance du PIB en Allemagne fédérale et aux Etats-Unis

Source : OCDE, Principaux indicateurs économiques.

Entre ces deux éléments, la croissance du marché de l'euro-dollar intervient en tant

qu'élément perturbateur des effets attendus des politiques économiques. En effet, le

déphasage est grandissant entre trois ensembles de taux d'intérêt :

- les taux d'intérêt américains dont les évolutions sont fonction de la conjoncture économique,

notamment du taux d'inflation et du solde de la balance des paiements ;

- les taux de l'euro-dollar qui sont sensibles à l'évolution de la politique monétaire américaine,

les banques et sociétés américaines venant puiser sur ce marché les ressources non

disponibles aux Etats-Unis selon le degré de durcissement d'accès au crédit ;

- les taux d'intérêt des autres économies développées dont les évolutions constituent le

résultat d'un dosage entre la conjoncture propre à chaque économie et le niveau des taux

d'intérêt sur l'euro-dollar.

Dans ce contexte, les crises monétaires sont rythmées par des flux-reflux de capitaux à

court terme.

La première est apparue en 1969. Elle a abouti à la dévaluation du Franc français et à la

réévaluation du mark allemand. La France est d’abord affectée par les évènements de mai

1968. La réponse des autorités à la crise politique et sociale est une politique monétaire et

90
budgétaire expansionniste qui entraine une fuite spéculative du franc et une baisse

considérable des réserves officielles de la Banque de France (Graphique 31).

Graphique 31 France, réserves officielles à l’exclusion de l’or, en millions de dollars

Source : International Monetary Fund, International Financial Statistics

La pression sur le franc français se réduit grâce à un plan de sauvetage massif organisé

par les États-Unis en juin et l'imposition de contrôles des capitaux. Cependant, la pression se

poursuit à l'automne 1968, mais les autorités françaises résistent en mettant en œuvre à partir

du mois de novembre une politique monétaire et budgétaire rigoureuse. En même temps que

la France faisait face à des pressions pour dévaluer, l'Allemagne (avec une faible inflation et

une croissance rapide en termes réels) doit faire face à une pression croissante pour réévaluer.

En effet, les capitaux spéculatifs ont afflué de la France vers l'Allemagne conduisant à une

forte augmentation des réserves officielles (Graphique 32). Les autorités allemandes ont

résisté à la réévaluation en considérant qu'une réévaluation exercerait une influence négative

sur la position concurrentielle des industries d'exportation. En fait, l'Allemagne souhaite

d'abord une dévaluation de la France. Les autorités prennent cependant des mesures,

notamment une baisse de la TVA sur les importations et l'imposition de taxes sur les

exportations - une mesure équivalant à une réévaluation partielle de 4 % - et des restrictions

aux entrées de capitaux. La crise a été temporairement atténuée mais a recommencé au

printemps 1969. La France a finalement dévalué de 11,1% le 8 août 1969. Les Allemands ont

91
d'abord réagi aux nouvelles entrées de réserves en imposant de nouvelles restrictions sur les

dépôts détenus par des étrangers et par un réajustement des taxes aux frontières, mais ils

finissent, enfin, après un flottement temporaire, par opérer une réévaluation du deutsche

mark de 9,3 % le 29 septembre 1969.

Graphique 32 Allemagne fédérale, réserves officielles à l’exclusion de l’or, en millions de

dollars

Source : International Monetary Fund, International Financial Statistics

Le solde du compte courant des États-Unis a continué de se détériorer en 1968, mais la

balance globale des paiements a affiché un excédent en 1968 et 1969, grâce à d'importantes

entrées de capitaux à court terme liées au marché des eurodollars. Plus précisément, en raison

du durcissement de la politique monétaire menée par la FED en 1968-69 et aux plafonds de la

réglementation Q sur les dépôts à terme, les dépôts sont passés des banques américaines au

marché de l'eurodollar. Les banques américaines ont à leur tour emprunté sur le marché de

l'eurodollar, rapatriant ces fonds. Cependant, en 1970, la FED réduit ses taux d'intérêt en

réponse, les fonds empruntés ont retrouvé le marché des euro-dollars entrainant un déficit

de la balance des règlements officiels qui atteint 9 milliards de dollars (Graphique 14). Le

déficit explose à 30 milliards de dollars en août 1971.

Une seconde vague de crises monétaires internationales se développe en 1970-1971,

d’une part du fait d’une aggravation du déficit de la balance des paiements des Etats-Unis

92
(Graphique 14), et d’autre part, en raison des orientations différentes de politique monétaire

entre l’Allemagne fédérale et les Etats-Unis. La période est en effet marquée par une baisse

des taux d'intérêt dans les pays avancés mais avec un rythme beaucoup plus soutenu aux

Etats-Unis (Graphique 33).

Graphique 33 Taux d’escompte des principales banques centrales, en %

Source : Federal Reserve Economic Data

En effet, en raison des décalages conjoncturels entre les pays, les taux d'intérêt ont

baissé plus lentement et parfois de manière retardée par rapport aux taux américains. La

conséquence a été une nouvelle vague de flux de capitaux spéculatifs source de perturbations

monétaires. Les flux de capitaux ont été d'autant plus importants que les taux d'intérêt sur le

marché de l'euro-dollar ont fini par suivre les taux américains et donc passer en-dessous des

taux pratiqués par certains pays (Graphique 26 dans le cas de l’Allemagne). En maintenant

une politique monétaire restrictive au cours des trois premiers trimestres de 1970,

l'Allemagne fédérale a été particulièrement affectée par un afflux massif de capitaux. Selon

les estimations de la Banque des règlements internationaux, sur le total des entrées de 1970,

$ 5,3 milliards ont eu lieu pendant la période mai - novembre, au cours de laquelle les taux

des dépôts à trois mois sur le marché de l'euro-dollar ont baissé, alors qu'en Allemagne les

taux de rendement sur les dépôts interbancaires augmentaient encore. Ces afflux de capitaux

93
se sont poursuivis en 1971 jusqu'à la crise de mai dont la cause fondamentale a été la situation

durable de déficit de la balance des paiements américains et l'absence de mesures

correctrices.

A la même période, la nécessité de réformer le système monétaire international via une

flexibilité plus élevée des taux de change - par exemple sous la forme d'un élargissement des

marges de fluctuation ou d'une libération temporaire du taux de change des monnaies est de

plus en plus évoquée, certaines discussions ou prises de position sur le sujet étant même

rendues publiques. Pour les spéculateurs, cela signifie que la probabilité d'une modification

des parités augmente. Le deutschemark est l'épicentre de l'attention des spéculateurs. Après

des entrées massives de capitaux en 1970, celles-ci connaissent une accélération début 1971

avec des entrées s'établissant à plus de $ 800 millions en février et à plus de $ 900 millions

tant en mars qu'en avril. Au début du mois d'avril, la banque centrale allemande - comme la

Banque d'Angleterre - décide de baisser son taux d'escompte afin de réduire l'écart entre les

taux d'intérêt à court terme vis-à-vis des Etats-Unis. Compte-tenu de l'anticipation d'un

réalignement de parité, synonyme de réévaluation du deutschemark, cette baisse ne permet

pas d'endiguer les afflux de capitaux. Le 4 mai 1971, la banque centrale allemande doit

intervenir sur le marché des changes afin d'absorber près d'un milliard de dollars. Le 5 mai,

dès la première heure d'ouverture, elle éponge pour un milliard de dollars supplémentaires.

N'arrivant pas à faire face à de telles vagues d'entrées de capitaux, les autorités allemandes

décident de fermer le marché des changes le 10 mai. Elles sont suivies par l'Autriche, la

Belgique, les Pays-Bas et la Suisse. L'Allemagne fédérale et les Pays-Bas décident alors de

laisser flotter librement leur monnaie. L'Autriche et la Suisse réévaluent leur monnaie de 5,05

et 7,07% respectivement.

94
Une des conséquences importantes de ces mouvements de capitaux est un

accroissement du volume des réserves officielles sans précédent en 1970. Par exemple, les

avoirs en or et en devises, les positions créditrices envers le F.M.I, et des droits de tirage

spéciaux, sont passés de $ 79,2 milliards à $ 93,5 milliards, soit une progression de tout juste

18%. Hors Etats-Unis, qui voit leurs réserves diminuer, la croissance est encore plus

importante puisqu'elle a atteint 27 %. Le pays du Groupe des dix le plus impacté. Ainsi, hors

Etats-Unis, les pays du Groupe des Dix entrent pour $ 13 milliards dans l'accroissement total

des réserves officielles, l'Allemagne fédérale en recevant $ 6,5 milliards ; le Canada, la France

et le Japon plus de $1 milliard ; les Pays-Bas et la Suisse $0,7 milliard chacun (BRI (1971), p.16).

On observe aussi un mouvement de fond qui conduira à un changement radical du point de

vue des relations monétaires internationales : les réserves en devises connaissent une

expansion extrêmement importante - 47 % - conduisant ces dernières a occupé une part

croissante des réserves officielles (augmentation de 49 à 57 %) alors que la part de l'or diminue

de 44 % à 33 %. On entre progressivement dans l'ère de la monnaie papier - la fiat money -

comme monnaie de référence internationale. Vers la fin du mois de mai, les machés

apprennent que la balance commerciale des Etats-Unis s'est fortement détériorée en avril et

fait apparaitre un déficit - le premier de l'histoire américaine depuis 1880 - accentuant ainsi

les tensions.

Dans son 42ème rapport annuel, la Banque des règlements internationaux (1972) fait

débuter la crise d'août 1971 le 6 du mois lorsqu'un rapport d'une sous-commission du Congrès

est rendu public. Dans ce rapport il est préconisé un réalignement général des taux de change

par rapport au dollar pour rétablir la situation des comptes extérieurs. Le rapport ajoute un

point central : en l'absence d'un accord de réalignements des parités, les Etats-Unis pourraient

être contraints de suspendre unilatéralement la convertibilité du dollar. Comme en mai 1971,

95
les spéculateurs interprètent ce rapport comme l'annonce d'un prochain réalignement. Au

cours de la semaine suivante, les capitaux fuient le dollar en direction de la Suisse, mais aussi

de la France et du Royaume-Uni entrainant un accroissement important des réserves

officielles (Graphique 34) et générant ainsi des tensions inflationnistes.

Graphique 34 Réserves officielles à l’exclusion de l’or dans quelques banques centrales, en

millions de dollars

Source : International Monetary Fund, International financial statistics

Le 15 août 1971, les Etats-Unis suspendent la convertibilité-or du dollar. Simultanément,

ils instaurent une surtaxe de 10% sur les importations, surtaxe qui restera effective tant que

les Etats-Unis n'auront pas obtenu un accord général de réévaluations des autres monnaies.

Les marchés des changes européens décident de fermer. A leur réouverture le 23 août, à

l'exception de la France, les monnaies européennes flottent librement et le dollar s'affaiblit.

Au Japon, le marché des changes est resté ouvert après la décision du 15 août. La Banque du

Japon a dû faire face à des entrées massives de capitaux et absorber près de $ 4 milliards de

dollars sur le marché des changes, et ce, malgré un durcissement du contrôle des changes.

Face à cet afflux, les autorités japonaises décident elles aussi de laisser flotter le yen à partir

du 28 août. Le régime des parités fixes de Bretton Woods est suspendu.

96
Après le 15 août, si tous les principaux pays semblent favorables à un retour à des taux

de change fixes, les désaccords sont importants en ce qui concerne la manière d'y parvenir.

Les autorités américaines se montrent favorables au maintien de changes flottants afin de

laisser les taux de change s'ajuster d'eux-mêmes autour de parités centrales. En clair, ils

souhaitent laisser jouer les mécanismes de marché pour déterminer ces nouveaux cours

pivots. Les autres pays, redoutant une appréciation trop rapide de leur monnaie - en

particulier les pays excédentaires comme l'Allemagne fédérale et le Japon - renforcent le

contrôle sur les entrées de capitaux et interviennent sur les marchés de change à l'achat de

dollars, ce qui gonfle encore davantage leurs réserves officielles. Les préoccupations de

compétitivité sont d'autant plus importantes que, d'une part, les autres monnaies ne

s'apprécient pas toutes au même rythme face au dollar et que, d'autre part, les autorités

autres qu'américaines considèrent que les mouvements spéculatifs ont éloigné les taux de

change de leur référence d'équilibre, c'est-à-dire celle qui permettrait de rétablir à long terme

un équilibre de la base de base des Etats-Unis. Il est aussi important de souligner un désaccord

de fond avec les Etats-Unis : alors que ces derniers refusent un réajustement de la parité-or

du dollar, les autres pays considèrent qu'il n'est pas possible de réaliser des réalignements

monétaires sans inclure la question de la parité-or dedans. « L'argument massue en faveur de

la dévaluation de la monnaie américaine était qu'en raison de la persistance du déficit des

comptes extérieurs des Etats-Unis, le rétablissement de la confiance du marché passait par

une amputation de la valeur du dollar » (BRI, 1972, op. cit., p. 34). Face à ce qui peut

s'apparenter à une situation de blocage, les Etats-Unis ont assoupli leur position, permettant

alors des négociations pour un accord de réalignement des parités.

Il ne faut cependant pas se tromper sur la position américaine qui n'est pas dévoilée de

manière publique. En novembre 1969, Richard Nixon est élu à la Présidence des Etats-Unis

97
sur une ligne isolationniste au sens où il entend défendre en premier lieu les intérêts

américains. La nouvelle administration américaine défend le discours selon les Etats-Unis

assument trop de responsabilités internationales qui sont causent de leur déséquilibre des

paiements. Le reste du monde - il faut entendre ici essentiellement les pays d'Europe

occidentale et le Japon - doivent en supporter une partie car il bénéficie de la position

internationale américaine. Le Secrétaire au Trésor américain, John Connally, est lui aussi sur

une ligne dure. Il évoque ainsi directement auprès du Président l'existence d'« une guerre

économique... Le simple fait est que dans de nombreux domaines, d'autres nations nous

produisent plus, nous dépassent et nous surpassent » (cité par E. Conway, 2014). Du point de

vue américain, cette « guerre économique » est déloyale compte tenu des responsabilités

internationales qu'ils assument seuls. La réponse du Président Nixon est cinglante : « Nous

allons corriger ces bâtards ». L'ampleur de la « correction » a été un secret bien gardé selon

l'expression d'E. Conway en particulier parce qu'elle porte sur la volonté américaine de

remettre fondamentalement en cause les Accords de Bretton Woods. Il faut garder à l'esprit

que le contexte de l'époque est que de nombreux économistes - Milton Friedman étant l'un

des plus connus - soutiennent le point de vue selon lequel les Etats-Unis devraient abandonner

la convertibilité de l'or et laisser flotter le dollar. Au printemps 1971, Paul Volcker - alors

conseiller du Secrétaire au Trésor - rédige un mémorandum avertissant d'une crise imminente

du dollar. Il propose de dévaluer le dollar de 15 % et de suspendre la convertibilité du dollar

en or, ce qui signifie que les banques centrales étrangères ne pourraient plus venir aux États-

Unis et exiger le métal précieux en échange de leurs dollars. La fermeture des marchés des

changes par plusieurs pays européens est vécu côté américain comme un choc. Le New York

Times évoque cela comme « l'une des perturbations monétaires les plus graves depuis la

Seconde Guerre mondiale ». Les hostilités sont vraiment déclenchées lorsqu'au cours de la

98
deuxième semaine d'août, des journaux rapportent que la France et le Royaume-Uni prévoient

de convertir à nouveau des dollars détenus par leur banque centrale respective en or. Le

Président Nixon convoque alors de manière secrète un petit groupe de ses conseillers les plus

proches et les conduit à Camp David, la retraite présidentielle, pour une réunion de 3 jours

qui débute le vendredi 13 août. Presque aucun des participants n'est au courant des thèmes

qu'ils vont discuter. Au cours du weekend, le Président Nixon entend mobiliser un certain

nombre de lois anciennes - par exemple le Trading with the Enemy Act de 1917 - afin de

pouvoir agir vite et donc sans recourir dans l'immédiat au Congrès.

Le dimanche 15 août dans la soirée, le Président Nixon prononce le discours télévisé

dans lequel il déclare : « J'ai ordonné au secrétaire Connally de suspendre temporairement la

convertibilité du dollar en or ou en d'autres avoirs de réserve, sauf pour des montants et des

conditions déterminés comme étant dans l'intérêt de la stabilité monétaire et dans le meilleur

intérêt des États-Unis. Maintenant, quelle est cette action – qui est très technique – qu'est-ce

que cela signifie pour vous ? Permettez-moi de mettre fin à l'épouvantail de ce qu'on appelle

la dévaluation. Si vous souhaitez acheter une voiture étrangère ou faire un voyage à l'étranger,

les conditions du marché peuvent faire en sorte que votre dollar achète un peu moins. Mais si

vous faites partie de l'écrasante majorité des Américains qui achètent des produits fabriqués

aux États-Unis en Amérique, votre dollar vaudra autant demain qu'aujourd'hui. En d'autres

termes, l'effet de cette action sera de stabiliser le dollar » (cité par E. Conway, 2014).

La décision américaine introduit une rupture fondamentale du point de vue du

fonctionnement du système monétaire international. Pour la première fois depuis les années

1930, les États-Unis décident de ne plus fournir d'or aux détenteurs étrangers officiels de

dollars à 35 dollars l'once - ou à tout autre prix. Ce changement radical a été pris de manière

non seulement unilatérale, mais en petit comité. Cela contraste singulièrement avec le

99
caractère public des discussions à Bretton Woods en 1944. Si la nouvelle est accueillie avec

euphorie aux Etats-Unis - à quelques exceptions près dont Arthur Burns, le président de la

Réserve fédérale, qui écrira sans son journal « Quelle tragédie pour l'humanité ! », les autres

pays perçoivent la décision américaine comme un acte d'hostilité. Ainsi, par exemple, le

Président Georges Pompidou envoie plusieurs messages à la Maison Blanche les exhortant à

ne pas abandonner l'un des fondements de Bretton Woods. La réponse indirecte de John

Connally est sans ambiguïté : suggérant que les Etats-Unis devraient abandonner toutes leurs

réserves d'or sur les marchés mondiaux et retirer le métal précieux de tout droit monétaire

une fois pour toutes, il déclare que « [Nous devrions] dire à Pompidou et à son peuple : « Vous

aimez l’or ? Nous allons en avoir plein pour vous. Parce que nous allons le décharger [de nos

réserves] ». Le point de vue américain est clairement exprimé par John Connally avec une

phrase restée célèbre prononcée devant un groupe de responsables européens : le dollar est

« notre monnaie, mais votre problème »

Les négociations sur la nouvelle structure des taux de change commencent fin novembre

1971 à l'occasion de la réunion à Rome des ministres des finances et des gouverneurs des

banques centrales du Groupe des Dix. Les Etats-Unis acceptent l'idée d'une dévaluation

éventuelle du dollar par l'intermédiaire d'une hausse du prix officiel de l'or. Le 18 décembre

1971, un accord de réalignement est obtenu à la Smithsonian Institute à Washington DC. Il

comporte les principales dispositions suivantes :

- le dollar est dévalué de 7,9 % par rapport à l’or, portant la parité-or de la monnaie américaine

à 38 dollars l'once ;

- le franc français est réévalué contre le dollar de 8,57 %, le mark de 13,58 %, le yen de 16,88

% et la livre de 8,57 % ;

100
- les marges de fluctuation des monnaies par rapport au dollar sont élargies et portées à (+)/(-

) 2,25 % (contre (+)/(-) 1 % en 1944), ce qui implique pour deux monnaies autres que le dollar

des marges autour de leur parité bilatérale de plus ou moins 4,5% ;

- la suspension de la convertibilité-or de la monnaie américaine n'est pas remise en cause.

Les deux crises monétaires dont nous venons de présenter les contours mettent en

avant trois enseignements principaux qui seront au cœur de l'effondrement du régime

monétaire de Bretton Woods. Premièrement, il apparaît l'éventualité de plus en plus probable

d'un changement de parité des principales monnaies après l'épisode de la livre britannique en

novembre 1967. Deuxièmement, les variations conjointes des mouvements de capitaux à

court terme et des réserves révèlent une déstabilisation importante des masses monétaires

domestiques. Les massives entrées de capitaux à court terme dans l'économie engendrent

une création monétaire, par conversion en monnaie nationale auprès de la banque centrale,

qui induit des tensions inflationnistes. Il en résulte la tentation pour les autorités monétaires

de durcir la politique monétaire, et par là-même d'intensifier encore les mouvements de

capitaux si aucun contrôle n'est élaboré sur ces derniers. Troisièmement, les conjonctures

inverses ont entraîné des mouvements cumulatifs de capitaux. En effet, toute perspective

d'évolution des taux d'intérêt dans le sens traditionnel est bloquée. L’Allemagne fédérale,

soucieuse de freiner les tensions inflationnistes, ne s'engage pas dans la boucle traditionnelle

selon laquelle les entrées de capitaux accroissant la liquidité de l'économie détendent les taux

d'intérêt. La situation inverse prévaudrait aux Etats-Unis, induisant par là-même un reflux des

capitaux. En fait, les « politiques anti-marchés » des banques centrales, selon l'expression de

J. Denizet (1985, p. 113), ne sont que la conséquence des conjonctures économiques

différentes où les objectifs d'équilibre interne sont contradictoires aux objectifs d'équilibre

externe, notamment sous l'impulsion des mouvements de capitaux à court terme.

101
Dès le début de 1972, les marchés des changes sont de nouveau perturbés, signifiant le

peu de confiance accordée à la viabilité des Accords de Washington de décembre 1971. La

République Fédérale d'Allemagne doit faire face à la permanence des interférences entre les

mouvements de capitaux à court terme et la politique monétaire. La crise monétaire est

précipitée par le soudain affaiblissement des comptes extérieurs britanniques, manifestation

de la non-viabilité des nouvelles parités.

En février 1973, une nouvelle dévaluation de 10% du dollar apparaît. Ce second

ajustement monétaire accompagne le flottement généralisé des monnaies. En effet, en mars

1973, le Groupe des dix reconnait officiellement qu’un retour à des parités fixes s’avère

impossible. Le nouveau directeur général du Fonds monétaire international, l'ancien ministre

néerlandais des Finances Johannes Witteveen, a initié la rupture historique du FMI avec son

principe fondateur de taux de change fixes (mais ajustables) en déclarant en janvier 1974 :

« Dans la situation actuelle", une grande mesure de flottement est inévitable et même

souhaitable » (cité par B. Steil, 2013, op. cit., p. 339).

3.4 L’impossible réforme du système monétaire international

Sans rentrer dans les détails des négociations (voir sur ce point John Williamson, 1977 ;

Jean Denizet, 1985, p. 145-160), il est important de rappeler les principaux points des

tentatives de réforme du système monétaire international.

Fin juin 1972, dans un contexte d'instabilité monétaire internationale, le Fonds

Monétaire International annonce la création du Comité du Conseil des Gouverneurs du Fonds

pour la réforme monétaire internationale et les sujets connexes, dit aussi Comité des Vingt.

La première réunion de ce Comité en novembre 1972 met en avant quatre problèmes à régler

pour réformer le système monétaire international :

- le problème de l'ajustement des déséquilibres ;

102
- le problème du règlement des déficits ;

- le problème de la composition et du volume des réserves des Banques Centrales ;

- le problème des pays en développement.

Les Etats-Unis tiennent particulièrement au premier problème. De leur point de vue, il

faut établir des indicateurs définissant un seuil pour modifier les parités (rappelons que la

notion de déséquilibre fondamental n'était pas définie en 1944). Ce positionnement est

intéressant dans la mesure où, lorsqu’ils étaient créditeurs, les Etats-Unis se sont opposés au

Plan Keynes qui entendaient pénaliser les économies dégageant d’important excédents

extérieurs et ce, de manière structurelle.

La France, les pays européens et le Japon ont pour préoccupation première la

convertibilité du Dollar pour les Banques Centrales qui accumulent la monnaie américaine

dans leur réserve.

Les pays en développement mettent quant à eux en avant la question du lien entre les

allocations de droits de tirage spéciaux et le niveau de développement.

Au niveau du troisième problème, celui intéressant la composition des réserves, les

positions sont plus diffuses entre les membres du Comité des Vingt. Les principales

orientations sur ce sujet portent sur i) le rôle international du Dollar, ii) la place de l'or dans le

système monétaire international dont la démonétisation est de plus en plus évoquée et iii) le

renforcement de la place des droits de tirage spéciaux qui seraient définis non plus en or mais

dans un panier de monnaies. Les droits de tirage spéciaux auraient pu avoir une place

déterminante dans le système monétaire international si le projet de Compte de Substitution

avait abouti. Il s'agissait d'ouvrir un compte ayant la forme d'un trust géré par le Fonds

Monétaire destiné au transfert par les banques centrales d'une partie de leurs avoirs en

dollars. En échange, elles recevraient une créance libellée en droits de tirage spéciaux portant

103
intérêt. En 1980, les Etats-Unis marquent leur opposition à ce projet dans la mesure où ils

refusent d'assumer la charge de cette procédure, notamment au niveau du risque de change.

Les travaux du Comité des Vingt se développent dans un contexte où les partisans des

changes flexibles deviennent de plus en plus importants. Selon les partisans de ce régime de

change, les changes flexibles permettraient de retrouver :

- l'autonomie de la politique monétaire, les instruments de la politique économique

répondant exclusivement aux objectifs internes ;

- la symétrie entre les économies nationales dans la mesure où les taux de change ne sont plus

définis dans une monnaie particulière ;

- l'utilisation des taux de change en tant que stabilisateurs automatiques puisque leur

variation doit permettre d'équilibrer les comptes extérieurs.

En conséquence, comme le rappelle J. Denizet, les pressions au sein du Comité en faveur

des changes flexibles se font entendre dès mars 1973 où l'on peut lire dans un communiqué

que le système monétaire réformé doit rester « basé sur des parités stables mais ajustables »,

mais que « des taux flottants peuvent être une technique utile dans certaines situations »

(1985, p. 150). En outre, selon R.I. McKinnon (1993), le Comité des Vingt a tout simplement

voulu retrouver l'esprit de Bretton Woods sans considérer la persistance des problèmes :

d'une part, les capitaux flottants dans un contexte où les européens ont la volonté de les

contrôler alors que les Etats-Unis se dirigent vers leur libéralisation et, d'autre part, le

problème du N-1 qui reste non résolu si le système reste centré sur le dollar.

 John Williamson (1977), The failure of world monetary reform, 1971-74, Thomas
Nelson and Sons Ld, Royaume-Uni.

Conclusion

Barrry Eichengreen et Peter B. Kenen (1994) identifient trois impératifs auxquels doit

répondre un régime de taux de change fixes :

104
- mettre en place un système d'alimentation en liquidités internationales afin de permettre le

maintien des parités monétaires ;

- résoudre le problème du Nème pays afin de réduire les conflits inhérents entre les pays qui

supportent la charge du système et le Nème pays ;

- ancrer la politique monétaire des pays membres afin d'éviter une inflation ou une déflation

globale.

Le système de Bretton Woods a apporté un certain nombre de réponses à ces trois

impératifs. Au niveau du premier impératif, le Fonds Monétaire International a été doté d'un

certain nombre de moyens financiers sous la forme de pool de devises et d'un accroissement

périodique des quotes-parts. De la même manière, les banques centrales ont organisé un

certain nombre de lignes de défense pour préserver les parités. Cependant, il apparaît une

déficience générale en matière d'alimentation des liquidités internationales. En effet, le

système de Bretton Woods n'a pas été en mesure d'empêcher l'émergence d'une monnaie

dominante facteur d'asymétrie. La résolution du problème du Nème pays est apparue sous la

forme de l'obligation faite aux Etats membres d'obtenir l'aval du Fonds Monétaire

International pour modifier les taux de change. Dans les faits, l'influence du Fonds a été

extrêmement limitée, de nombreux pays développés modifiant leur taux de change sans son

accord préalable. Cependant, les conflits ont été limités par deux phénomènes :

- l'absence d'une politique active du change de la part des Etats-Unis avant le milieu des

années soixante ;

- le rôle directeur du dollar nécessitant un réalignement général des parités.

Les conflits sont devenus plus importants à partir du moment où la politique

économique des Etats-Unis a entraîné des pressions croissantes sur le dollar, faisant alors

supporter aux autres pays la charge de la gestion du régime de change. Nous atteignons-là le

105
troisième impératif. L'ancrage des politiques monétaires a été fondé sur un pays leader, une

économie dominante : les Etats-Unis. En conséquence, les dysfonctionnements du régime

monétaire ont commencé à apparaître à partir du moment où l'économie dominante s'est

affaiblie. Sa politique expansionniste au cours des années soixante a notamment posé un

problème de confiance à l'égard du dollar. En outre, comme nous l’avons rappelé, la

Présidence Nixon est marquée par une volonté de mettre l’accent sur les priorités

domestiques au détriment des enjeux internationaux. C’est ainsi que le nouveau Secrétaire au

Trésor américain nommé en juin 1972, George Shultz, un adversaire des taux de change fixes,

dira, à propos du refus des Etats-Unis de continuer à supporter leurs obligations envers le

système monétaire international : « Le Père Noël est mort » (cité par B. Steil, 2013, op. cit., p.

338). Une autre source de problèmes liés au système de Bretton Woods réside dans la double

asymétrie au niveau de l'ajustement des balances des paiements entre d’une part, les pays

débiteurs et créditeurs et, d’autre part, entre les Etats-Unis et le reste du monde. Enfin, la

levée progressive des contrôles sur les mouvements de capitaux dans les années soixante a

libéré une force déstabilisatrice importante liant les marchés de l'or, le marché monétaire

américain, l'euro-dollar et les autres marchés monétaires nationaux. Les crises monétaires

internationales de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix illustrent les

conséquences de cet affaiblissement des contrôles de capitaux. Un nouveau degré de liberté

a été réduit de manière conséquente par les principaux Etats membres.

La seconde moitié des années soixante-dix va parachever la mutation du régime des taux

de change fixes mais ajustables vers les changes flottants.

 Barry Eichengreen et Peter B. Kenen (1994), L'organisation de l'économie


internationale depuis Bretton Woods : un panorama, Economie Internationale, n°59, p. 11-
54.

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