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dans la publicité :
c’est le temps de réagir
Contexte et problématique
La publicité sexiste
Personne ne remet en cause la pertinence de la publicité comme outil de vente dans une
société de consommation. Depuis toujours, la publicité constitue un véhicule privilégié
d’images provocantes, de valeurs détournées ou encore de stéréotypes propres à une
époque donnée. Sans véritable réglementation, elle est devenue envahissante, voire
harcelante. Aujourd’hui omniprésente dans les médias et dans l’espace public, la publicité
contribue à modeler les comportements sociaux à la plus grande satisfaction des
entreprises annonceuses.
Il s’agit bien sûr de stratégies marketing mais elles entraînent des conséquences nocives
tant pour l’individu que pour l’ensemble de la société. Elles entretiennent notamment,
chez de nombreuses femmes, un sentiment constant d’insatisfaction face à leur
apparence. Ces femmes consomment ainsi toujours davantage de produits et de
services susceptibles de les rapprocher de l’idéal de beauté proposé.
> Quels sont les moyens en place pour lutter contre la publicité sexiste? Existe-t-il d’autres
avenues?
> Croyez-vous que la création d’un organisme de vigilance indépendant soit une solution
envisageable pour répondre au problème du sexisme dans la publicité au Québec?
Conférences
La lutte contre le sexisme dans les médias au Canada aura bientôt 33 ans! Dès
1973, l’organisme anglophone Women for Political Action, « Femmes pour
une action politique », ouvre le bal en alertant le Conseil de la radiodiffusion
et des télécommunications canadiennes (CRTC) de l’étalement éhonté des
stéréotypes et du sexisme dans les médias.
En l’an 2000, Jeanne Maranda est nommée Femme de l’année par le Y des
femmes de Montréal dans la catégorie « Avancement de la situation de la
femme ». En 2002, elle reçoit la Médaille du jubilé de la reine Elizabeth II sur
une proposition du Conseil national des femmes du Canada. La même année,
Jeanne Maranda est invitée à se joindre à la Meute, un réseau international,
féministe et mixte, basé en France et engagé contre la publicité sexiste. Une
meute québécoise est alors créée. En novembre 2005, La Meute et MédiAction
joignent leurs efforts pour former un groupe nouveau visant les mêmes
objectifs.
En 1979, madame Jeanne Sauvé, alors ministre canadienne des Communications, demande
qu’un groupe de travail soit formé afin d’étudier la question. Le rapport L’image des
femmes est publié en 1982. Il contient des recommandations qui préconisent une
autoréglementation du CRTC pour une période d’essai de deux ans plutôt qu’une loi
coercitive.
Les normes canadiennes de la publicité (NCP), un organisme privé mis sur pied par des
publicitaires, emboîte le pas et accepte d’inclure une ligne directrice qui concerne la
représentation des femmes et des hommes dans les publicités. NCP révise régulièrement
son code, le Code canadien des normes de la publicité, pour s’ajuster aux fluctuations
des mentalités.
Cette conférence donne lieu à une première démarche de la part d’ÉM/MW auprès du CRTC. La
même année, elle mène à la rédaction d’un code déontologique qui prévoit une clause contre la
À cette époque, ÉM/MW s’engage dans la lutte antisexiste auprès du Conseil du statut de la
femme (CSF), de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), de l’Association féminine
d’éducation et d’action sociale (AFÉAS) et du Cercle des fermières. Mémoires, travaux
universitaires et études viennent de toutes parts et insistent sur la nécessité d’une législation
sur les produits publicitaires. Notons entre autres, en 1991, l’analyse de François Baby,
professeur à l’Université Laval, à l’effet que 40 % des 737 publicités étudiées affichent du
sexisme.
ÉM/MW est investi d’une mission de sensibilisation du public aux effets néfastes des
images négatives des femmes servies à longueur de jour dans les médias. En plus d’écrire
des lettres à NCP et aux entreprises qui diffusent les messages publicitaires pour
dénoncer le sexisme dans les publicités, les membres présentent dans les écoles, les
cégeps et aux groupes de femmes le diaporama Décodage d’images, composé d’images
publicitaires jugées dévalorisantes pour les femmes. La problématique du sexisme est
alors mal connue et surtout ignorée par la majorité des femmes.
Entre temps, après 10 ans d’un travail efficace, le CSF cesse de remettre aux entreprises du
secteur de la publicité ses prix Meritas et Demeritas pour les annonces positives et négatives
qui lui étaient soumises chaque année par la population. On constate aussi que les battantes
s’essoufflent, que les forces s’épuisent, que l’argent se fait rare et que les jeunes femmes
poursuivent d’autres projets de vie.
Un nouveau souffle nous est venu par delà l’océan : en 2002, madame Florence Montreynaud,
fondatrice de la Meute, organisme qui lutte contre les publicités sexistes en France, invitée au
Québec par le CSF, nous a proposé de se joindre à son mouvement et de signer son manifeste Non,
à la publicité sexiste qui à ce jour, a recueilli près de 5000 signatures à travers le monde.
À la suite de plusieurs plaintes rejetées par le Conseil des normes de la publicité de NCP,
j’ai réalisé qu’il était vain de continuer à se référer à cet organisme pour obtenir gain de
cause, et encore moins, pour trouver satisfaction auprès de l’industrie. Aussi, en janvier
2002, le Conseil du statut de la femme (CSF) me réfèrait à La Meute-MédiAction,
organisme dirigé par Jeanne Maranda qui regroupe d’autres femmes éveillées aux
mêmes préoccupations.
Il fallait briser le silence face à l’utilisation du corps des femmes et de leur sexualité
comme valeur marchande. C’est pourquoi, en 2005, La Meute-MédiAction, avec l’appui de
la CSQ, décide de diffuser une pétition. À la dernière récolte de signatures, cette
demande collective dépassait les 22 000 noms. Elle sera confiée et déposée à l’Assemblée
nationale par madame Jocelyne Caron, députée de Terrebonne et porte-parole de
l’opposition officielle en matière de condition féminine.
la ministre à la Condition féminine du Québec, Carole Théberge. Celle-ci affirme que le pouvoir du
gouvernement du Québec est presque nul en matière d’encadrement de la publicité et que
l’affichage extérieur relève du municipal. L’hiver dernier, nous avons donc décidé d’approcher la
ville de Laval au sujet de l’affichage. Monsieur Pierre Lachapelle du Service de l’urbanisme
affirme alors n’avoir reçu que deux plaintes sur une période de 10 ans en regard du sexisme
dans la publicité sur le territoire lavallois. Selon La Meute-MédiAction, cet état de choses
donne à l’administration municipale la fausse impression de l’assentiment de la population.
Ce fonctionnaire affirme aussi que la Ville ne veut pas statuer sur des critères d’ordre éthique
concernant l’affichage publicitaire. Il explique qu’environ la moitié des terrains sur le
territoire n’appartient pas à la Ville, que des panneaux sont installés sur des terrains privés,
et que même si la Ville réglemente ce domaine, rien ne changerait. Ainsi, Laval ne veut pas
créer de précédent, car elle pourrait avoir à réglementer sur la langue ou encore sur le
contenu. En somme, la Ville se dit solidaire du gouvernement du Québec et n’entend rien
faire tant que celui-ci ne l’y autorisera pas. Autrement dit, tant qu’il n’y aura pas de loi
provinciale pour soutenir ou justifier leurs actions, la situation persistera.
Au niveau provincial, en 2006, nous avons recueilli des informations auprès de deux
attachés politiques, l’un au service de madame Nathalie Normandeau, ministre aux
Affaires municipales, et l’autre à celui de monsieur Richard Legendre, député péquiste
dans Blainville. Ils déclarent qu’il n’existe pas de loi spécifique pour définir une publicité
sexiste ou raciste. Le pouvoir de réglementer porte plutôt sur des aspects liés à la
construction, à l’installation, au maintien, à la modification et à l’entretien des affiches
et des enseignes. Il ne porte pas sur le contenu du message, c’est-à-dire sur la langue ou
l’opinion. Deux paliers de gouvernement, double frustration!
Dans les faits, la liste des plaintes non retenues en matière de sexisme est
longue. Au total, 1 seule plainte sur les 51 adressées à NCP, par des membres
de La Meute-MédiAction ou des gens qui nous ont informées de leurs
démarches, a été retenue entre 2002 et 2005, soit sur une période
de quatre ans. Pourquoi ces chiffres désolants?
NCP publie des rapports trimestriels et annuels des plaintes retenues. Celles-ci sont
divisées en deux catégories : « Plaintes retenues » et « L’action de l’annonceur »2.
Sous la rubrique « Les plaintes retenues », on trouve les noms des annonceurs
et des détails au sujet des plaintes de consommateurs contre des publicités
que les conseils ont jugé aller à l’encontre du Code. Dans ces cas-là, aucun
retrait ou amendement desdites publicités ne se produisit avant que le Conseil
des normes n’entreprenne ses délibérations sur les plaintes. […]
1 Le Code canadien des normes de la publicité, Les normes canadiennes de publicité : Montréal/Toronto, décembre 2005, p. 4 [En ligne].
http://www.adstandards.com/fr/Standards/adStandards.pdf
2 Depuis 2005, les plaintes retenues publiées dans les rapports de NCP sont plutôt divisées en « Les cas identifiés » et « Les cas non-identifiés ». Le rapport
des plainte contre la publicité : le premier trimestre de 2005, Les normes canadiennes de publicité, p. 1 [En ligne].
http://www.adstandards.com/fr/consumerSite/adComplaintsReports.asp?periodquarter=1&periodyear=2005
3 Le rapport des plainte contre la publicité : le premier trimestre de 2004, Les normes canadiennes de publicité, p. 1 [En ligne].
http://www.adstandards.com/fr/standards/complaints_report/2004ascReportFr.pdf
Fin 2002, une campagne publicitaire de Les Ailes de la mode montre de belles et jeunes
femmes complètement nues, accompagnées d’un slogan des plus mordants : « Je n’ai
qu’un seul complexe », c’est-à-dire le Complexe Les Ailes. Est-ce donc dire que pour se
montrer nue et fréquenter le Complexe Les Ailes, la femme doit avoir un corps parfait?
Ou s’agit-il du vieux stéréotype « femmes et magasinage sont indissociables »?
Une plainte est adressée à NCP, mais surprise! Elle n’est pas retenue par le Conseil. Voici
l’explication que l’organisme a donnée pour en justifier le rejet. La correspondance de
NCP étant confidentielle, on m’a toutefois permis de la résumer dans mes propres mots :
les femmes dans cette publicité sont en pleine possession de leurs moyens et la nudité
ne pose donc aucun problème.
Qui ne se souvient pas de cette publicité de Buffalo Jeans où l’on voyait une jeune femme
agenouillée dans un coin, montrant son g-string? Une autre plainte rejetée par NCP pour
les raisons suivantes :
> Les jeunes aiment et achètent beaucoup de jeans parce qu’ils sont serrés et révèlent les
contours physiques;
> La compagnie vend des sous-vêtements et des jeans alors elle a voulu annoncer les deux
produits sur une même affiche;
> L’annonceur actualise un concept accrocheur (« le sexe, ça vend ») pour capter l’attention de
sa clientèle cible.
Au printemps 2005, la boutique érotique Cœur à corps s’annonçait sur le boulevard Curé-Labelle à
Sainte-Thérèse en affichant une photo d’une jeune femme en bikini agenouillée sur la plage. Le visuel
a été jugé pertinent par NCP dans le contexte d’une boutique érotique. Voici un extrait de la réponse
de l’entreprise à la plaignante :
Dans les faits, la liste des plaintes non retenues en matière de sexisme est longue. Au
total, 1 seule plainte sur les 51 adressées à NCP, par des membres de La Meute-
MédiAction ou des gens qui nous ont informées de leurs démarches, a été retenue entre
2002 et 2005, soit sur une période de quatre ans. Pourquoi ces chiffres désolants?
Avant 2002, des comités consultatifs sur la représentation des femmes et des hommes
analysaient les publicités dont les plaintes portaient sur ce sujet alors que les autres plaintes
étaient traitées par le Conseil. Depuis, c’est le Conseil qui entend toutes les plaintes.
Nous pensons que ces changements importants ont grandement contribué à la diminution du
nombre de plaintes retenues. Il est clair pour La Meute-MédiAction que NCP et les entreprises
annonceuses ne sont pas outillées pour régler seules le problème de la publicité sexiste au Québec.
Il ne faut pas sous-estimer les actions spontanées au sein de la population. Tandis qu’une
plainte portée à NCP, en décembre 2005, au sujet d’un panneau publicitaire de la lingerie
Akamoov à Laval (femme en sous-vêtements dans une pose suggestive, chaîne au cou,
haut du visage tronqué) se solde par un échec, le directeur d’une école voisine s’adresse
à la direction générale de la Ville et a réussi à faire retirer cette publicité ainsi qu’une
demi-douzaine d’autres pour cause d’inconvenance. Même gain contre un panneau
d’Astral Média à Blainville : le contenu ne respectait pas les articles de leur convention
d’affaires. Vous pouvez donc faire des pressions au niveau municipal pour que votre
municipalité négocie des conventions d’affaires qui respectent l’intégrité de l’image de
la femme.
Au niveau provincial, le CSF a déposé à l’Assemblée nationale en 2004 un avis intitulé Vers un
nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes où il est, entre autres,
question du sexisme dans la publicité. L’axe d’intervention no 4 se lit comme suit : « Amener […]
les médias à évaluer leur conduite par rapport à la diffusion des stéréotypes sexuels et sexistes
et à la promotion de valeurs égalitaires. » Ce document a pour but d’orienter l’élaboration de la
nouvelle politique gouvernementale en matière de condition féminine4. Dans son plan d'action
2005-2006, le Conseil a aussi prévu « de poursuivre une étude sur les stéréotypes sexistes et
4 La politique a été déposée à la fin de l’année 2006. Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait. Politique gouvernementale pour l’égalité
entre les femmes et les hommes. Gouvernement du Québec : Québec. 2006. 91 p. [En ligne].
http://www.mfa.gouv.qc.ca/publications/pdf/CF_egalite_politique.pdf
d'examiner différentes actions à mener pour lutter contre le sexisme et les images stéréotypées des
femmes et des hommes véhiculées dans les médias ».
De toute évidence, cette vigilance a été abandonnée beaucoup trop tôt. La société
québécoise a cru naïvement s’être débarrassée des schémas identitaires stéréotypés et
sexistes. Or, aujourd’hui, un constat s’impose : l’exposition et la manipulation abusives
du corps des femmes, la surexploitation des stéréotypes de beauté féminine et
l’insensibilité des publicitaires à la réalité plurielle et diversifiée des femmes n’ont
jamais été aussi outrancières.
Réalité incontournable de notre quotidien, il est généralement estimé que les Nord-
Américaines et les Nord-Américains sont exposé(e)s à plus de 2000 messages
publicitaires par jour. Outil de persuasion, d’autres diront de manipulation, la publicité
constitue l’un des agents de socialisation les plus puissants de la société de
consommation pour nous dire qui nous sommes, qui nous devrions être, voire comment
trouver le bonheur (Kilbourne, 2001). Aucun regard ne parvient à lui échapper, aucun
lieu n’est épargné. S’inspirant des « grands mythes de notre temps : modernité, jeunesse,
bonheur, loisirs, abondance, » la publicité cherche incessamment, précise Ramonet (2001
: 9), à émousser nos désirs et à forger nos attitudes, nos attentes et nos besoins.
Il va sans dire que toute publicité, aussi envahissante soit-elle, n’est pas nécessairement
sexiste. La publicité devient sexiste, énonçait le Conseil du Statut de la femme en 1979, dès
lors qu’elle reproduit des « préjugés à l’égard des femmes, à l’égard de leurs traits de
caractère ou de leur rôle dans la société » (CSF, 1979). De fait, constatait Goffman à la même
époque (1977), la publicité sexiste met en scène l’inégalité et enferme les femmes dans les
carcans d’une identité figée et de rôles sociaux préétablis et stéréotypés. Toujours
pertinentes, de telles définitions m’apparaissent néanmoins incomplètes dans la
conjoncture actuelle puisque je constate, à l’instar d’Anne Dao (2002), que :
Constat qui m’amène à définir la publicité sexiste non seulement comme une stratégie de
communication qui met en scène l’inégalité entre les sexes et les représentations stéréotypées
du féminin, mais également comme une propagande commerciale qui utilise les stéréotypes
sexuels, le corps des femmes, la nudité et la sexualité, sinon la culture porno, dans le but de
capter l’attention et d’accroître les ventes d’un produit.
> la construction explicite du corps des femmes en objet de jouissance offert à tous les
regards;
> l’érotisation de l’enfance, de l’image corporelle des jeunes filles même pré-pubères
qui deviennent des cibles privilégiées des marchés de la mode et des produits de
beauté, faisant « porter à des enfants », observe Francine Duquet (2003), « un potentiel
de séduction sexuelle et érotique qu'elles n'ont pas le moyen de gérer »;
> impose l’image de femmes dont la personnalité se limite presque toujours à leur pouvoir
de séduction;
> formate et uniformise leur corps et les assigne à des modèles corporels inaccessibles;
> cantonne les femmes au « paraître », alors que la représentation sociale du masculin est
campée sous le signe du « faire »;
1 « Si un Martien débarquait directement au Québec, il penserait sans doute en regardant les publicités que les Terriennes ont toutes 17 ans et demi,
mesurent six pieds deux pouces, et pèsent 92 livres! » (Luc Dupont, professeur au Département de communication de l’Université d’Ottawa).
> introduit un clivage entre le corps et l'affectivité, ce qui entraîne la banalisation des
comportements ou expressions de la sexualité et pervertit le rapport au désir;
> réduit la sexualité des femmes à l’idée que les publicitaires et leurs clients s’en font;
> reproduit et sanctionne la division sociale des sexes et son cortège d’inégalités.
Et au-delà même de la perte d’estime de soi et des risques d'obésité future, cette quête du
corps parfait fantasmé à la minceur excessive peut résulter en des troubles métaboliques
et des risques accrus d'ostéoporose; inciter au tabagisme – une corrélation très forte entre
le souci pour le poids et l’usage du tabac a été observée – et surtout contribuer à l’apparition
de troubles de comportement alimentaire aussi sérieux que l'anorexie et la boulimie (Comité
aviseur, 2005 : 16-18). Et ceci, de plus en plus tôt chez des jeunes filles, « encore à l’âge de jouer
à la marelle. » L’anorexie frappe au primaire titre à la une le quotidien Le Devoir du 18 février
2006 (Paré, 2006). À cette liste déjà trop longue, s’ajoutent les pratiques sexuelles à risque pour
s’assurer de plaire, la culpabilité, l’inhibition sexuelle voire même la dépression qui peuvent
résulter de l’incapacité à s’accepter et de la difficulté à s’extraire du paraître pour se définir et
développer son projet de vie. Certes, ce n’est pas la publicité qui crée de tels problèmes, mais elle
2 En 2003, le magazine américain Teen rapportait que 35 % des jeunes filles de 6 à 12 ans avaient déjà suivi au moins un régime et que 50 à 70 % d'entre
elles croyaient souffrir d'embonpoint alors que leur poids était tout à fait normal. Pour sa part, l'Institut national de santé publique du Québec cons-
tate que « malgré le fait que 80 % des jeunes présentent un poids normal, 45 % des enfants (et 60 % des adolescents) sont insatisfaits de leur image
corporelle et autant tentent activement de perdre ou de gagner du poids » (Lefebvre, 2004 : 11).
n’est pas non plus un simple acteur passif. Elle y contribue en relayant une image stéréotypée,
chimérique et réductrice des femmes.
Une fois compris ce gabarit de la publicité sexiste, il n’est plus possible de regarder les
messages publicitaires de la même façon, mais surtout d’ignorer la manipulation non
censurée et hors propos qui est faite de ces femmes aux jambes écartées, aux positions
suggestives ou au corps tronçonné ou dénudé pour servir de présentoir ou de faire-valoir à
un quelconque produit. Tout comme, il n’est plus possible d’ignorer ces messages qui les
présentent chosifiées, passives, carburant à la séduction, ou encore se pâmant sur la moindre
poudre à récurer.
Et la publicité sème encore plus de confusion en utilisant les messages de liberté de choix et de
prise en main du féminisme, pour vendre de tout : des parfums aux automobiles en passant par
les produits de beauté et les produits ménagers. Que dire d’une telle conception d’un girl power
qui se réalise à travers l'apparence et la quête de l'approbation masculine. Un pouvoir bien dérisoire
en somme où la femme s’impose en se conformant au désir de l’autre. À vrai dire, il s’agit plutôt d’une
réactivation spectaculaire des stéréotypes sexuels que plusieurs décennies d'émancipation avaient
quelque peu atténués. Et pourtant, tel que le rappelle la poète Audre Lordre (citée par Gail K.
Golden, 2007) :
En guise de conclusion
Il est indéniable que la publicité sexiste puisse et doive faire l’objet d’analyses et
d’interventions spécifiques. Une résistance au quotidien s’impose. Les consommateurs
comme les consommatrices doivent faire connaître aux publicitaires et aux industries
concernées leur désapprobation et leur intention de boycotter tout produit dont la
publicité constitue un espace pour exprimer et reproduire sexisme et stéréotypes
sexuels3.
De même, plusieurs voies d’intervention sont à considérer pour faire prendre conscience
des présupposés et des préjugés qui sous-tendent et alimentent la publicité sexiste. Ces
voies touchent tout autant des pratiques de socialisation des garçons et des filles
dépouillées de stéréotypes sexuels, que l’éducation à une conception de la féminité qui va au-
delà des apparences et qui s’exprime en termes d’égalité, d’autonomie et de réalisation. Il
importe dès lors de sensibiliser les jeunes, mais aussi les femmes qui refusent de vieillir en
recourant à des chirurgies esthétiques rarement nécessaires, aux coûts personnels,
psychologiques et sociaux reliés à la construction d’une identité basée sur la seule apparence et
la marchandisation de leur corps, sinon à l’assujettissement de leur propre corporalité et sexualité
3 La Meute-MédiAction (anciennement la Meute québécoise contre la publicité sexiste) propose des modèles de lettres de plaintes pour dénoncer tout
type de publicité sexiste. La Meute-MédiAction est un organisme à but non lucratif, composé de femmes et d’hommes qui s’opposent à l’utilisation du
corps ou de sa sexualité comme valeur marchande.
Mais aussi nécessaires que soient de telles actions, individuelles comme collectives, est-il
nécessaire de rappeler que seule une transformation en profondeur des processus sociaux
et culturels sexués et prédéterminés qui interviennent dans la construction des rapports
de sexe et des représentations sociales qui campent les femmes et les hommes dans des
attitudes et des comportements socialement différenciés et inégalement valorisés, pourra
signer l’arrêt de mort du sexisme en publicité. Un tel constat n’est cependant pas une
invitation à l’immobilisme, ni à une acceptation de l’envahissement tentaculaire d’une
publicité qui veut nous convaincre de qui nous sommes et qui n’hésite pas à faire des
femmes des objets de consommation et à suggérer une érotisation exagérée et
généralisée des rapports de sexe. Au contraire. Il est primordial, face à la résurgence
désastreuse de la publicité sexiste, d’aider jeunes et moins jeunes à développer un esprit
critique pour leur permettre de décoder la publicité sexiste, de rejeter ses diktats et de
les amener à réfléchir sur les représentations réductrices des femmes et des rapports de
sexe qui sont projetées par la publicité. Représentations qui font silence sur les femmes
« ordinaires », sur la diversité de leurs expériences et l’étendue de leurs réalisations,
autrement dit sur toutes celles dont la vie quotidienne s’organise autour d’une
recherche d’équilibre entre les différentes et multiples facettes de leurs conditions de
vie et de leur personnalité.
Références
Comité aviseur sur les conditions de vie des femmes auprès de l’Agence de
développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux du Bas-
Saint-Laurent. 2005. Avis sur la sexualisation précoce des adolescentes et ses impacts
sur leur santé [En ligne].
http://www.femmes-bsl.qc.ca/medias/File/AvisSexualisationPrecoceFilles.pdf
Golden, Gail K. 2007. « Qu’est-ce que la libération? Le féminisme hier, aujourd’hui et demain. »
Sisyphe.org [En ligne]. http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2550
4 Sur le sujet, on consultera avec intérêt l’Avis présenté par le Comité aviseur sur les conditions de vie des femmes auprès de l’Agence de développement
de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent (2005).
Kilbourne, J. 2000. Can't Buy My Love: How Advertising Changes the Way We Think and Feel.
Touchstone : New York. 368 p.
Lefebvre, Chantal. 2004. Un portrait de la santé des jeunes Québécois de 0 à 17 ans. Institut
national de santé publique du Québec : Québec. 24 pages.
Mais, nous en sommes venus à penser – avec nos amies féministes radicales –
que, tout comme dans la pornographie, le problème n’est pas telle ou telle
bavure, telle ou telle excès mais le processus même d’une industrie qui
construit « la femme » en objet pour le profit matériel et symbolique des
hommes. À ce titre, les images de femmes soumises sont autant d’outils pour
effectivement soumettre les femmes.
Au même moment – et ce n’est sans doute pas une coïncidence – j’écrivais des scénarios de
fiction pour la télé – des images de femmes, en particulier. Mais je suis naturellement passé
dans l’autre camp, le vôtre, celui des féministes, au fur et à mesure des recherches
qu’exigeait mon travail. Elles me dévoilaient un rapport d’exploitation et d’oppression réel
qu’imposaient des hommes aux femmes, un rapport non seulement réservé aux images
mais qui définissait aussi les relations interpersonnelles, un rapport exercé par les
hommes comme groupe organisé, pour des profits énormes. Notamment par
l’intermédiaire de la publicité.
On nous demande de parler de l’image des femmes dans la publicité. L’approche la plus
simple est, bien sûr, de souligner des « bavures », des campagnes publicitaires ou des
sortes de campagnes particulièrement choquantes qui peuvent apparaître comme
autant de gaffes en comparaison de publicités plus sympathiques, apparemment
respectueuses des femmes. Il ne manque pas d’exemples de telles publicités
grossièrement sexistes, de la promotion des électroménagers à celle des alcools en
passant par les crèmes anti-rides sur des visages d’adolescentes.
Dans cette vision des choses, les publicitaires feraient erreur, se tireraient eux-mêmes
dans le pied. À la limite, cela rejoint un certain discours sur les hommes où l’on dit :
Pourquoi les hommes s’y prennent-ils si mal pour nous séduire? Comment les aider ? »
Dur, dur d’être macho…
Je veux remettre en question cette notion de bavures. Il me semble qu’on peut penser
plus loin, résoudre cette apparente contradiction. Après tout, pourquoi y aurait-il autant
de prétendues « gaffes » dans un processus aussi attentivement calibré?
Le discours masculiniste, repris avec enthousiasme par les antiféministes de tout poil et
par des comédiens connus, comme Luc Picard, s'est abondamment plaint des rôles dévolus
aux hommes dans les fictions télé, de l’image négative que l’on donnait de « nos hommes ».
Pourquoi croyez-vous que l’on n’a presque jamais eu droit à une levée de boucliers
équivalente pour critiquer les rôles dévolus aux femmes, des rôles pourtant bien moins
consistants, dans la majorité des cas?
C’est peut-être parce que l’on considère naturel, normal que les femmes soient « construites »
(et habituellement parodiées) dans l’univers de la fiction, dans l’imaginaire social. Normal que ces
images équivalent à leur identité.
Les hommes sont traditionnellement construits eux aussi mais nous l’avons toujours été comme
sujets plutôt qu’objets. Jusqu’à maintenant, nous n’avons presque jamais été présentés comme veules
ou ridicules, ce que nous sommes pourtant parfois. Non, nous étions toujours les dieux, les « pères
de famille », les penseurs, les artistes, les héros puis les anti-héros romantiques ou menaçants, et,
plus simplement, les athlètes adulés du sport-spectacle de cette grand-messe télévisée de la
virilité.
Revenons à la publicité.
Je vous propose l’idée que le problème n’est pas l’image de la femme dans la publicité mais
bien la fonction des femmes elles-mêmes, telle qu’illustrée et construite par la publicité.
Quiconque y a travaillé ou l’a côtoyée sait très bien que l’industrie de la publicité
fonctionne comme une entreprise de guerre. Ses messages sont calibrés comme des obus
auprès de groupes test, et en fonction d’objectifs à court et à long terme, leur placement
est déterminé à grand prix avec les précautions d’un état-major d’artillerie en campagne.
Comme au Vietnam, il s’agit de remporter des batailles, de « gagner les esprits et les
cœurs ».
Et, dans l’industrie de la publicité, on est très attentif au point de chute et à l’efficacité
de ces obus très coûteux. On procède à un calcul exhaustif, quantifié en millions de
dollars, de l’aire de distribution et du nombre d’impacts du message, de sa rémanence
dans l’esprit des différentes catégories démographiques du public-cible. On estime dans
quelle mesure chaque campagne se traduit par une « fidélisation » de ce public –
habituellement les femmes – aux prétendues vérités dont on les matraque.
Dans quel but? Parce que vous, les femmes d’Occident, à qui on délègue environ 80 % des
achats ou des décisions d’achat du « ménage », êtes la courroie de transmission d’une
société fondée sur l’hyperconsommation. Comme n’importe quel pimp (maquereau), la
grande entreprise dépend de votre asservissement pour gagner son argent.
(En passant, je ne sais pas si vous le savez mais le proxénétisme est déjà, à toutes fins
pratiques, décriminalisé au Canada. Les « agences d’escorte », « salons de massage » et
autres propriétaires de bordel sont les plus lucratifs des publicitaires pour des médias
comme Le Journal de Montréal, Voir et The Montreal Mirror qui construisent de semaine en
semaine l’image des femmes noires comme sauvages, des femmes orientales comme
soumises, des adolescentes comme disponibles, et des femmes en général comme « putes ».
Une publicité hyper-sexiste qu’on ne dénonce pas suffisamment alors qu’elle contrevient
directement – et toujours impunément – à l’article 212 du Code criminel en matière de
proxénétisme.)
Il est donc essentiel de tenter de construire la « femme » comme objet. En la présentant d’abord
comme une acheteuse influençable au maximum, téléguidée par des sentiments d’insécurité et de
culpabilité, faute de quoi elle n’achètera pas le produit, les produits d’une économie dont la plus-value
se réalise dans l'achat superflu ou soumis à d’autres critères que rationnels. C’est plus qu’une image
que l’on transmet d’elle, c’est un ordre de mobilisation qu’on lui signifie. Cela va de la cover-girl
enviée en page couverture jusqu’à la recette de dinde de Noël des dernières pages, en passant
par le quiz psychologique, les dernières fragrances « tendance » et l’incontournable « article à
contenu », de préférence porté par une figure d’autorité masculine et axé sur une
hétérosexualité normative.
La seule position de sujet qu’on abandonne aux femmes est celle de consentir, de « choisir »
dans ce jeu pipé, à faire preuve d’imagination face à une laveuse Whirlpool, par exemple. Et
si elle est méprisée dans et par ce jeu, ce n’est pas un hasard. Comme dans le « jeu » de la
séduction, il s’agit de vaincre toute résistance.
Le Collectif masculin contre le sexisme s’est joint, depuis 26 ans, à diverses campagnes
de protestation, face aux publicités les plus grossières – celles de Loto-Québec, par
exemple, qui sait que l’appauvrissement des femmes fait d’elles un marché captif, dont
le gros lot est le seul espoir, et à qui l’on cherche à imposer de plus en plus d’achats.
Mais, nous en sommes venus à penser – avec nos amies féministes radicales – que, tout
comme dans la pornographie, le problème n’est pas telle ou telle bavure, tel ou tel excès
mais le processus même d’une industrie qui construit « la femme » en objet pour le profit
matériel et symbolique des hommes. À ce titre, les images de femmes soumises sont
autant d’outils pour effectivement soumettre les femmes.
Un colloque comme celui-ci fait valoir qu’insécurité et boulimie sont peut-être plus que
des effets secondaires mais bien l’illustration d’un projet concerté, celui de créer une
femme essentiellement aliénée de ses propres intérêts et vouée à l’achat compulsif.
Espérons que le réseau des soins de santé en prendra acte.
Oui, on peut intervenir avec succès – et nous l’avons fait au Collectif – pour faire tomber
en quelques jours une campagne particulièrement irritante. On considère aujourd’hui,
dans les war rooms de l’industrie de la pub que chaque lettre de protestation reçue par
une entreprise équivaut à 500 acheteuses en colère qui n’achèteront plus le produit. C’est
dire que vous obtiendrez des résultats étonnants en convainquant simplement 5 ou 10
amies d’écrire chacune une lettre à l’entreprise aux messages méprisants, avec copie aux
journaux… C’est beaucoup plus efficace que de faire valoir le Code canadien des normes
de la publicité.
Je souhaite qu’il existe un cycle dont nous avons peut-être atteint le sommet avec une
obsession induite de l’image personnelle, qui pousse les femmes jusqu’aux pires horreurs
chirurgicales (merci madame Swann!), dans le but de devenir ou de demeurer cette femme
artificielle construite par la publicité.
Sur cette lancée, l’administration montréalaise a voulu aller plus loin. Le parti au
pouvoir, le Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM), avait pris des engagements
électoraux au sujet de l’abolition de l’affichage érotique et avait déjà entrepris une
réflexion sur cette question. De fortes pressions se faisaient sentir à la fois de la part des
groupes de femmes, mais aussi de parents qui considéraient que l’environnement visuel
dans les rues de la métropole devenait agressant.
La Ville était consciente de ces limites, aussi a-t-elle entrepris une démarche de consultation
assez approfondie dont une journée de tables rondes, sur invitation, avec des juristes, des
urbanistes, des féministes et des femmes qui s’étaient intéressées à ces questions, pour
essayer de voir où se situaient les écueils et les façons de les contourner. La difficulté venait
également – et vient encore, car elle est toujours réelle – du pouvoir constitutionnel restreint
des villes. Les autorités municipales détiennent des pouvoirs délégués par le gouvernement
provincial. Cependant, le statut particulier de Montréal ménageait une petite porte d’entrée.
Pour la plupart des municipalités, c’est la Loi sur les cités et villes2 qui dicte ce que les
administrations ont le droit de faire ou pas. Or, la ville de Montréal possède une charte particulière
1 Règlement sur l’étalage des imprimés érotiques, R.R.V.M. c. E-5, 16 mai 1994 [En ligne].
http://ville.montreal.qc.ca/sel/sypre-consultation/afficherpdf?idDoc=86&typeDoc=1
2 L.R.Q., chapitre C-19 [En ligne].
http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/C_19/C19.html (À jour au 1er juin 2007)
3 Charte de la Ville de Montréal, L.R.Q., chapitre C-11.4 [En ligne].
http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/C_11_4/C11_4.htm (À jour au 1er juin 2007)
qui reprend les grands éléments de cette loi, mais qui y ajoute des dispositions exclusives, compte
tenu de la nature de la ville3. Les grandes villes comme Québec et Sherbrooke sont aussi des villes
à charte. Forte de ce statut, Montréal a donc demandé au parlement québécois d’ajouter un
pouvoir dans sa charte qui lui permettrait de réglementer l’affichage érotique.
Pourquoi avoir créé un tel règlement? Parce qu’il permettait d’éviter l’inconvénient des
règlements de moralité qui laissent une marge d’interprétation aux membres des corps
policiers. Pour la Ville, le règlement était clair : « Érotique et corps humain, il y a là une
alliance qui crée le problème ». Pour bien saisir, on n’a qu’à penser à l’usage d’une simple
pomme dans l’affichage : une pomme qui annonce un magasin de fruits ou une pomme
qui annonce un sex-shop, ce n’est pas la même chose. Sur cette base, la ville de Montréal
se pensait à l’abri de tout.
La décision de la juge Piché montrait bien que l’administration municipale outrepassait ses
pouvoirs. Sur la question de la constitutionnalité, elle a statué qu’on « ne peut pas s’empêcher
de déceler dans le règlement une préoccupation à caractère moral, à caractère lié aux mœurs,
et ça, c’est le fédéral. » Le règlement était donc ultra vires, « au-delà des pouvoirs » de la Ville.
La juge Piché s’est aussi prononcée sur la situation qui a mené l’administration montréalaise à
adopter une telle réglementation. Y a-t-il une situation réelle à la base de l’intention de ce
règlement? Oui. Y a-t-il urgence d’intervenir? Oui. Y a-t-il un consensus social? La juge a encore dit
« oui ». Sur ce point, elle s’en est remis aux nombreux appuis accordés à ce règlement, dont celui
piloté par Jeanne Maranda (MédiAction), et à une séance de consultation sur le règlement à
l’hôtel de ville : il y avait eu plus d’appuis au règlement que d’opposition. Toutefois, la juge
s’interrogeait à savoir s’il y a disproportion entre l’objectif visé et le moyen pris. L’experte qui
a témoigné pour la Ville, la sexologue Andrée Matteau, avait fait une étude sur l’impact nocif
et la contrepartie avait demandé au sexologue Michel Campbell de réfuter. De leurs
témoignages, la juge a retenu que les impacts négatifs et nocifs autour de la notion
d’affichage érotique sont attribuables à l’affichage pornographique, et non à l’affichage
érotique. La distinction entre les deux est claire dans le règlement, mais ne l’est pas dans
les études d’impact. Aussi, la juge a-t-elle été obligée d’admettre que la Ville est intervenue
de façon inconstitutionnelle en matière de pornographie plutôt que d’érotisme : une
compétence du gouvernement fédéral. Cependant, la juge Piché a reconnu que toutes les
autres dimensions portant sur la légitimité de l’intervention étaient réelles et fondées,
contrairement à ce que Me Julius Grey prétendait à l’époque.
Au niveau des normes et des directives au Canada, on constate qu’il y a eu des dilutions
successives du contenu des lignes directrices de Normes canadiennes de publicité (NCP) : en
1987, en 1993 et encore en 2002. En parcourant les critères qui ont disparu des Lignes directrices
sur la représentation des femmes et des hommes dans la publicité (sexualisation, sexualisation
1 La politique déposée à la fin de l’année 2006 contient toute une série d’orientations « pour la promotion de modèles et de comportements égalitaires »
dont une porte plus spécifiquement sur la publicité. Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait…, Op. cit., p. 13 [En ligne].
http://www.mfa.gouv.qc.ca/publications/pdf/CF_egalite_politique.pdf
2 Alinéa 25 (1) bis, Ley 34/1988, de 11 de noviembre, General de Publicidad [En ligne].
http://noticias.juridicas.com/base_datos/Admin/l34-1988.html
des enfants, stéréotype fondé sur le sexe de l’individu, associations impertinentes, harcèlement
sexuel et présentation d’une personne-objet), on s’aperçoit que tout ce qui reste au niveau de la
sexualité se réduit à : « La publicité devrait éviter l’utilisation inappropriée de la sexualité ou son
exploitation. » Notez bien la formulation « devrait éviter ». La portée de la directive s’est
extrêmement affaiblie, c’est pourquoi il y a très, très peu de plaintes retenues.
Ce projet de politique du CSF contenait une dizaine de propositions très claires. Il visait
notamment comme objectif d’« éliminer dans la publicité le sexisme sous toutes ses
formes. » À ce chapitre, la recommandation se lisait comme suit : « Que le gouvernement
du Québec, les organismes paragouvernementaux, les entreprises d’État, lors de
l’attribution de leurs contrats en publicité, veillent à ce que les publicitaires représentent
les femmes d’une façon juste et non discriminatoire et qu’ils les dépeignent dans des
rôles qu’elles occupent à l’heure actuelle. »
Il est donc possible d’intervenir au niveau des organismes de l’État. D’ailleurs, on l’a vu,
dès que la publicité de Loto-Québec pour le casino de Montréal3 a été dénoncée, elle a été
retirée. Ce qui est scandaleux, c’est que les responsables de cette société savaient que cette
campagne publicitaire était risquée, mais Loto-Québec a quand même décidé d’aller de
l’avant. Petite parenthèse : lorsque j’ai dénoncé ces publicités, les médias étaient présents.
Je vous avoue que j’ai vécu là le point de presse le plus sexiste que j’ai eu à vivre en 17 années
de politique active. Parmi les journalistes, les fous rires fusaient : « Vous êtes outrée » ; « Vous
n’avez pas le sens de l’humour »; « Mais, madame Caron, qu’est-ce que vous avez contre les belles
femmes? » Comme le disait Léa Cousineau, quand on lutte à ce niveau-là, les coups bas et les
réactions sont difficiles à vivre, mais cela ne doit pas nous empêcher de continuer les
dénonciations.
3 En 2006, Loto-Québec a lancé une campagne destinée au marché américain pour vanter les attraits du casino de Montréal. Ces annonces servaient en
appât aux jeunes adultes de Boston des filles pulpeuses et aguichantes au décolleté plongeant…
Pour les Québécoises : égalité et indépendance demandait que le ministère de l’Éducation – alors
responsable de l’Office de protection du consommateur (OPC) – définisse les principes de non-
discrimination et informe les agences de publicité, avec lesquelles le gouvernement du Québec
faisait affaire, de l’existence des normes qui en découlaient et auxquelles elles seraient
astreintes. On recommandait que le gouvernement du Québec prenne les mesures nécessaires
afin que tout projet publicitaire gouvernemental soit déposé automatiquement auprès d’un
comité de surveillance ou soumis à tout autre mécanisme qu’on mettrait en place. L’OPC se
voyait attribuer un rôle important. Il devait collaborer avec le CSF en vue de mener une
campagne de sensibilisation de l’opinion publique, visant à dénoncer les stéréotypes
sexistes véhiculés et renforcés par l’industrie publicitaire. L’OPC devait offrir un moyen
aux femmes d’acheminer leurs plaintes, par téléphone ou par écrit, grâce à un mécanisme
centralisé. On demandait aussi la création d’un comité de surveillance de la publicité
sexiste ainsi que l’insertion dans la loi recommandée de dispositions pour permettre la
dénonciation.
Conclusion
Je pense qu’il y a quelque chose à faire pour contrer la publicité sexiste. Les conclusions
des quatre thèmes du colloque devraient être acheminées à la ministre responsable de
la condition féminine car la nouvelle politique sera déposée sous peu. De plus, la
pétition Non à l’exploitation du corps des femmes organisée par La Meute-MédiAction
sera bientôt déposée à l’Assemblée nationale4. Comme porte-parole de l’opposition
officielle en cette matière, je m’engage à faire le suivi sur le sujet. Je demeure convaincue
qu’il faut agir car la publicité sexiste produit des effets réels sur l’égalité de fait entre les
femmes et les hommes.
4 La pétition a été déposée à l’Assemblée nationale et présentée à la ministre de la Famille, des Aînés et de la Condition féminine, Carole Théberge,
le 13 décembre 2006.
Consultation pré-colloque
Avant la tenue du colloque, les personnes inscrites ont reçu un cahier de participation afin de
leur permettre, d’une part, de consulter les membres de leur organisation et, d’autre part, de
participer activement aux discussions lors des ateliers et des plénières. Pour chaque panel,
une feuille « Votre point de vue » sollicitait les préoccupations du milieu et présentait les
questions à débattre. Voici un compte-rendu des points de vue extraits de cette consultation.
Les préoccupations
La publicité sexiste, un phénomène à rebours des acquis du féminisme
»
publicité appartient à la sphère privée (de l’industrie) ; elle investit l’espace
public comme aucun autre véhicule d’information, et elle dévaste l’image
des femmes plus que jamais.
Cependant, les commentaires révèlent une situation paradoxale. On constate, d’une part, une
détérioration de l’image de la femme dans la publicité et, d’autre part, le silence quasi-total des
femmes par rapport à la question. Or, certaines personnes rappellent qu’il ne faut pas avoir peur
de dénoncer, notamment par des actions soutenues. En effet, la dégradation de l’image des
femmes dans la publicité soulève beaucoup d’inquiétudes (violence à l’égard des femmes,
exploitation, problèmes de santé physique et psychologique, etc.). Des organismes y voient
une perte des acquis du féminisme et un véritable glissement du réel pouvoir des femmes
vers un girl power fondé sur l’apparence.
»
chirurgies que le look sexy, que l’obligation à la minceur) sont
de plus en plus perçues comme ‘’anormales’’, rétrogrades ou
‘’négligentes’’ par rapport à leur apparence.
Enfin, la banalisation de l’utilisation du corps de la femme pour vendre des produits, et surtout
de la sexualisation de l’image de la femme dans la publicité préoccupe plusieurs groupes. Cette
sexualisation, voire même la « pornographisation », de la femme en publicité risque d’accroître la
vulnérabilité des jeunes filles (mimétisme des ados) et des femmes, notamment face à la violence.
Un commentaire fait aussi allusion au conditionnement des femmes qui sont amenées à croire que
l’amour et le pouvoir peuvent s’acheter par la séduction.
Tableau 1
Réponse %
En faveur 72, 0
À la base, on a suggéré que cet organisme de surveillance soit créé par une loi qui
émanerait de l’Assemblée législative. Une organisation syndicale souhaite que cette
entité soit à l’abri des poursuites judiciaires. Et selon un groupe de femmes, elle devrait
se consacrer non pas à l’ensemble des pratiques discriminatoires mais de façon
spécifique à la lutte contre le sexisme dans la publicité. En fait, diverses propositions ont
été mises sur la table quant à la nature et aux fonctions d’un tel organisme. En voici un
aperçu :
On aimerait également créer des outils pour développer l’esprit critique des jeunes face
au sexisme dans la publicité et au phénomène des photos retouchées. Il conviendrait
aussi de les amener à moins consommer. Le bannissement de la publicité en milieu
scolaire est envisagé.
»
d-46 Le marché de la beauté… Un enjeu de santé publique – RQASF
L’image de la femme dans la publicité : c’est le temps de réagir
Les pouvoirs publics devraient démontrer une véritable volonté à retirer toute publicité
dégradante. Plusieurs gestes concrets sont proposés à nos gouvernements :
> favoriser l’estime de soi et la diversité corporelle par une campagne orchestrée par
l’Institut national de santé publique du ministère de la Santé et des Services sociaux
du Québec.
1 Secrétariat à la condition féminine. « Le programme À égalité pour décider » [En ligne]. http://www.scf.gouv.qc.ca/politique/egalite.asp
Références bibliographiques
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http://www.femmes-bsl.qc.ca/medias/File/AvisSexualisationPrecoceFilles.pdf.
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Bouchard, Pierrette et Isabelle Boily. 2005. Hé! Les filles! Qui aura le dernier mot?
Université Laval : Québec [En ligne]. (dépliant sur l’hypersexualisation des filles)
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(C.S.Qué).
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Mailloux, Thérèse et Hélène Harvey, coordinatrices. 2004. Vers un nouveau contrat social pour
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Loi sur les cités et villes, L.R.Q., chapitre C-19 [En ligne].
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Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait. Politique gouvernementale pour
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Règlement sur l’étalage des imprimés érotiques, R.R.V.M. c. E-5, 16 mai 1994 [En ligne].
(Ville de Montréal)
http://ville.montreal.qc.ca/sel/sypre-consultation/afficherpdf?idDoc=86&typeDoc=1
Sites d’intérêt
Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine
Catalogue, section « Sexisme »
http://catalogue.cdeacf.ca/Record.htm?record=19163553146919817359
Éduc’alcool
http://www.educalcool.qc.ca/
La Meute-MédiAction
http://www.lameute.org/
Recommandations
L’image de la femme dans la publicité : c’est le temps de réagir
Attendu que :
> malgré les efforts continus d'une équipe qui présentait l'atelier Décodage d'images aux
groupes de femmes, aux écoles et cégeps qui en faisaient la demande, les images
publicitaires sont de plus en plus érotiques, agressives et discriminatoires;
> les Normes canadiennes de la publicité, organisme censé examiner et critiquer les
messages publicitaires dans les médias, n'a pas réussi à endiguer les images de femmes
de plus en plus dévalorisantes qui les érotisent et les rendent vulnérables;
> une pétition de 24 604 signatures recueillies auprès du grand public a été déposée à
l'Assemblée nationale en décembre 2006 par la députée Jocelyne Caron, pétition qui
alertait le gouvernement du Québec quant à la situation inquétante en matière de
publicité sexiste, et réclamait une action musclée afin de redonner aux femmes la
dignité et le respect qui leur sont dus, surtout en ces temps où il est question d'égalité
entre les femmes et les hommes;
> La Meute-MédiAction s'est jointe à la Coalition nationale contre les publicités sexistes,
organisme mis sur pied en grande partie grâce à la demande de membres de la Centrale
des syndicats du Québec, et qui aura comme objectif de dénoncer et de demander le
retrait de publicités sexistes à travers le Québec;
La Meute-MédiAction considère que tous les efforts fournis jusqu'ici et ceux qui suivront,
seront vains si le gouvernement du Québec ne souscrit pas à la recommandation suivante :