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Hassi Mohammed

Docteur agrégé de Lettres françaises

Oralité et littérarité dans Le Fond de la jarre d'Abdellatif Laâbi

Préambule :
Voir figurer dans un intitulé de communication les termes « oralité » et
« littérarité » semble, de prime abord, relever de l'antinomie plus que de la
cohabitation, tant les deux termes appartiennent historiquement à deux
sphères diamétralement opposées, surtout dans le contexte arabo-islamique
où l'écriture, si elle n'est pas toujours du ressort du sacré, elle l'est du moins
du consacré alors que l'oral est le domaine privilégié du profane et du
« superflu ». Toutefois, il semble que les deux termes représentent les
pôles d'une « dualitude » au sens où l'entendent les anthropologues, celui
« d'un dualisme concentrique où les deux parties s'emboîtent, et non d'un
dualisme diamétral où s'affrontent les deux termes. »1. De ce fait, nous
pensons qu' « il est stérile de penser l'oralité de façon négative, en en
relevant les traits par contraste avec l'écriture. »2 ; et que « l'oralité ne se
définit pas plus par soustraction de certains caractères de l'écrit que celui-ci
ne se réduit à une transposition de celle-là » 3. Dans ce cas, il serait
légitime de s'interroger sur les modalités d'intrication de la « littérarité »,
définie « selon l'ordre figural du supplément esthétique »4, et de
l' « oralité », vue le plus souvent sous l'angle de l'information. Comment
l'espace romanesque du Fond de La jarre organise-t-il le pragmatique et
l'esthétique tout en appartenant à la littérature qui « ne peut… que se
caractériser par son autotélisme »5 ? Comment l' « oralité », « univers où
l'âme marocaine s'exprime dans toute sa plénitude, ses élans spontanés et
authentiques » 6, sans être une excroissance, peut-elle trouver dans la
littérature son terrain de prédilection pour l'universalité ? Comment le
roman marocain d'écriture française, longtemps victime de lectures
ethnologiques ou autres, qui aboutissent à sa folklorisation et à sa réduction
à un épiphénomène d'une situation socio-historique déterminée, se fraie-t-il
une voie royale vers une écriture moderne où identité et altérité se
retrouvent en se libérant dans et par la littérature ?
I- Oralité, littérarité et pluralisme :
Comme en est le cas pour plusieurs romans maghrébins d'écriture
française, le travail sur la langue, pour des raisons multiples, revêt un
intérêt particulier. Dans Le Fond de la jarre, l'oralité fait appel à plusieurs
de ses composantes pour inscrire l'écriture dans une pluralité et une
poétique du divers. Toutefois, le divers n'est pas présenté à la manière d'un
kitsch, mais il déroule en filigrane toute une stratégie de l'ironie en tant que
« parfait moyen de désaliénation et instrument thérapeutique »7. Dans cette
perspective, le recours fréquent à des expressions traduites de l'arabe
dialectal n'existe pas dans le texte par surcroît, mais s'intégre parfaitement
à l'univers romanesque sans en altérer l'intelligibilité. Ainsi, lorsque Ghita,
figure emblématique du Fond de la jarre, affirme que « ce que le chameau
croit savoir seul, le chamelier le sait aussi »1, ou encore, lorsqu'elle
fulmine contre Driss en lui disant : « Qu'est-ce qu' il y a dans une
pastèque ? De l'eau et des youyous, pas plus »2, les expressions dont elle
fait usage ne fonctionnent nullement comme des dissonances. Elles sont
contextualisées de telle façon que leur sémantisme ne se perd pas.
Néanmoins, en contiguïté avec des séquences narratives où le sérieux
semble dominer, elles créent un effet de contraste où la « littérarité »
s'affiche en tant que tentative d'abolition de la dichotomie:
Sérieux/Ludique pour instaurer un régime de nivellement de la parole au
service d'un texte qui se veut avant tout littéraire.
Dans le même ordre d'idée, les emprunts à l'arabe dialectal et les
déformations qu'il fait subir à l'arabe classique et à la langue française
représentent l'une des chevilles ouvrières de la parole romanesque du Fond
de la jarre. Dans cette optique, l'interaction entre les langues, par le
truchement de la traduction comme en est le cas pour le mot « fdeha »3,
des guillemets pour le mot « parler »4 ou des connexions directes avec la
langue d'écriture à l'image du « fkih du mellah réputé pour ses pouvoirs,
notamment celui de faire geler l'eau dans les bouteilles »5, participe de
cette volonté de subordonner le plurilinguisme à une littérarité dont l'épine
dorsale est l'humour en tant qu'échappatoire à tout terrorisme linguistique
et à toute conception étriquée de l'identité. De même, il semble intéressant
de souligner que la rencontre des langues dans le Fond de la jarre s'effectue
sous le signe de la démocratisation de la parole et, de ce fait, conforte son
nivellement. Y a-il- espace plus propice à la coexistence que celui de la
fiction ? Dans le même registre, les déformations que subit le français au
contact de l'arabe dialectal révèlent une statégie d'appropriation et
d'assujetissement d'une langue aux lois prosodiques et syntaxiques d'une
autre sans qu'il y ait une exclusion de l'une par l'autre. Ainsi, le français
devient tantôt « la françaouia »6, tantôt « la francissia ou la frantaisia »7.
Ces différentes déformations ne sont pas gratuites. Si elles peuvent être
jugées fantaisistes pour un lecteur français, elles sont créatrices d'humour
et de détente pour un lecteur marocain qui pourrait y ressentir la revanche
d'une langue sur une autre sans pour autant prôner un quelconque rejet.
Ainsi, par-delà les conflits et les scissions extra-textuelles, le texte
romanesque offre aux langues l'occasion de vivre, l'espace d'une écriture,
l'aventure de la coexistence sans se donner de « coudeppi »8 ; et loin des
« identités meurtrières »9. Ces déformations fonctionnent comme des
invariants structuraux qui confortent non seulement la pésence de l'humour
en tant que paradigme disséminé dans le roman, mais relativisent le sérieux
dans la narration et participent obliquement à l'élaboration des portraits des
personnages.
Par ailleurs, les onomatopées et les interjections empruntées à l'arabe
dialectal , même si dans certains cas elles ne sont pas prises en charge par
un personnage du roman et se diluent dans le tissu narratif, témoignent de
leur efficience dans le projet narratif. Ainsi, si pour Saussure « les
onomatopées et les exclamations sont d'importance secondaire, et leur
origine symbolique en partie contestable »1, dans Le Fond de la jarre elles
sont dynamisées au service d'une esthétique globale. Dans cette
perspective, l'interjection dans « Aha ! On a eu recours aux grandes
ablutions ! »2 est au service de l'allusion pour signifier la pratique de
rapports sexuels. Dans ce cas, le recours à un élément de l'oralité n'est
nullement superfétatoire étant donné que c'est l'humour qui se consolide
dans la séquence narrative. De même, une autre interjection présente dans
la dernière réplique, attribuée hypothétiquement à Ghita post mortem et qui
clôt le roman, conforte la thèse de la forte présence de l'humour en tant que
catégorie esthétique du roman. Ghita s'exclame : « Pfit, c'est tout ce qu'ils
trouvent à nous raconter ! Un mur qui tombe…Il ne devait pas être bien
solide. Mais les murailles de Fès, elles, sont toujours debout. »3. Ce
rapprochement insolite entre un mur dont la chute représente un événement
de facture internationale et les murailles de Fès ne suscite pas l'humour par
le biais de la présentification de deux espaces différents, mais par les
termes de la comparaison qui sont subvertis vu que dans un cas il s'agit
d'un événement politique et dans l'autre d'un attachement à sa ville. Dans le
cadre de la même technique d'écriture, les onomatopées « psss … »
et « char… »4, qui ressortent au quasi-scathologique, sont associées
narrativement à la présence de la mère de Namouss, personnage central du
roman. Cette forme de désacralisation de la figure maternelle, décrite dans
plusieurs romans maghrébins d'écriture française comme une personne
soumise, silencieuse et figée dans le temps et l'espace, est aux antipodes de
toute tentative d'imposer au texte une quelconque lecture psychanalytique
avec comme pierre angulaire le complexe d'oedipe. Car nous estimons
qu'on ne peut pas imposer à un texte littéraire des paradigmes de lecture,
aussi ingénieux soient-ils, qui n'ont pas leur origine dans le texte lui-même.
En outre, et cette fois-ci sur le plan onomastique, l'oralité est fortement
présente pour offrir, dans le texte littéraire, une place de choix à des figures
marginales, non pas sous forme de points sporadiques dans le récit, mais en
tant que porte-parole de discours. Si le texte relate quelques événements en
rapport avec la guerre de libération et cite les noms de figures historiques :
Ben youssef, Allal El Fassi et Belhassan El Ouazzani, leur présence est
furtive et ne pèse pas sur le plan narratif. Dans le roman, les marginaux
semblent prendre le dessus. De ce fait, si pour les Arabes « la
nisba(…)marque la connexion du personnage avec une idée, un lieu, un
événement, un individu notamment »5, Le Fond de la jarre décline
méliorativement des personnages sans aucune « puissance phantasmatique
des liens généalogiques »6. Ainsi , « Chiki Laqraâ(La Frime chauve) »7 se
distingue par un trait de caractère et une particularité physique, « Bou
Tsabihate(l'Homme aux chapelets) »8 par la possession d'objets à
connotation à la fois fétichiste et religieuse et « Harrba »9 dont l'origine et
la signification du nom restent inconnues. Mais, la carence généalogique
est compensée, dans le texte romanesque, par une oralité forte qui relève
du protéiforme. Chiki Laqrâa maîtrise le récit, les menaces, les injures, la
modulation intonative, les vocables orduriers, les litanies et « l'art du coq à
l'âne »1, Bou Tsabihate maîtrise l'homélie et Harrba « est une véritable
bête de scène, un narrateur hors pair qui sait maintenir en haleine son
public avec un répertoire des plus variés »2. L'oralité est donc au service
d'une diversité qui démocratise la prise de parole et accorde le droit aux
marginaux de déployer leurs discours en le littérarisant pour une esthétique
de la diversité.
Par voie de conséquence, le pluralisme, à ces niveaux d'oralité, se structure
pour oeuvrer à instaurer une osmose, dans la littérarité du texte, entre
éléments qui peuvent sembler hétéroclites, mais qui ne le sont pas dans leur
configuration, étant donné qu'ils se rejoignent dans l'effet-texte, dont
l'humour est l'une des pièces-maîtresses, dans le cadre d'un télescopage
entre l'intime et le quotidien d'une part et le politique et l'historique d'autre
part.
II- Oralité, littérarité et pluri-discursivité :
A ces niveaux d'oralité littérarisés dans le texte fait pendant une
multiplicité discursive qui aborde plusieurs thèmes sous des angles le plus
souvent opposés, ce qui conduit à la dissolution de certains d'entre eux à
force de se heurter. Toutefois, l'humour persiste et se joint à l'ironie pour
instaurer dans le texte un jeu d'échos.
Dans cette perspective, le personnage de « (…)Ghita(…), jamais à court
d'imprécations et de reparties truculentes, une tendre furie, féministe avant
la lettre »3, et l'oxymore est, sans doute, un paradigme productif dans la
lecture du Fond de la jarre, est aux antipodes de l'image de la femme
bafouée, contrainte au silence et à la claustration. Elle se prononce
clairement sur tous les sujets. Elle n'est pas le moyen d'ancrage du vieux
mythe de la profondeur. Le roman procède à une « théâtralisation du
personnage, donc à sa littérararisation, donc à des normes et à des
hiérarchisations esthétiques »4, ce qui fait que Ghita est la plaque tournante
de la diversité discursive dans le texte et un paradigme esthétique visant à
«désexotiser »5 la présence féminine et l'univers romanesque où la figure
de la femme évolue. De ce fait, Ghita est le porte-parole des revendications
féminines. Elle proteste contre l'étouffement des femmes aussi bien sur le
plan spatial que vestimentaire : «On nous tue avec ce voile. Nous autres
femmes, on ne nous laisse respirer ni dehors ni dedans. Que Dieu nous
vienne en aide »6, et ailleurs « nous étouffons entre quatre murs. La
maison, toujours la maison…Quoi, pour la quitter faut-il attendre d'en
sortir un jour les pieds devant ? »7. Ghita est également une militante
politique quand elle s'écrie : « Mais moi qui ne suis qu'une femme, je dis à
ces Français, à leurs militaires et goumiers :Toz sur vous ! »8 , et
lorsqu'elle se lance dans ses monologues, elle n'épargne rien, même pas la
religion, mais toujours sur un ton humoristique : « Elle est bien belle notre
religion ! On doit passer toute la journée étranglés comme des chiens. Le
gosier sec et les intestins qui jouent de la trompette. Ni repos le jour, ni
sommeil la nuit. Et qui c'est qui récolte les tracas ? C'est Ghita, la bonne
des grands et des petits, l'orpheline qui n'a personne pour la prendre sous
son aile… »1. Donc, Ghita, vecteur de l'oralité dans le roman, décline sur
les modes ironique et humoristique des situations narratives et énonciatives
où le sérieux s'amenuise au profit de l'effet-texte. Pour elle, c'est le
quotidien et l'intime qui sont prioritaires. Aussi, dénigre-t-elle le message
des résistants : « Nous, on était enfermés en prison quand les autres
regardaient en spectateurs. Et maintenant qu'on peut fêter notre aîné, ils
veulent qu'on fasse appel à des pleureuses. »2. L'esthétisation des données
factuelles les vide de leur dimension testimoniale pour les asservir aux
contraintes de l'écriture. Par ailleurs, Ghita a les talents d'une esthéticienne
et sait apprécier les beautés corporelles. C'est ce qu'elle fait en appréciant
la beauté de Samia Gamal au cinéma dont elle dit qu' « elle a un corps
d'ivoire, une taille de bambou. »3. L'oralité, dans le cas de Ghita, participe
à l'élaboration du portrait d'un personnage protéiforme dont la verve
ironique intarissable va jusqu'à attaquer tous les hommes à travers son
mari : « - Parce que vous, les hommes, vous êtes peut-être des lions ! Si
c'était le cas, le sultan serait encore sur son trône. »4 lui dit-elle. Malgré
son analphabétisme, elle infirme l'image de l'indigène dans les écrits
ethnographiques étant donné que Ghita « pratiquait le doute
méthodique. »5, pratique que le colon prétendait venir enseigner au
colonisé. Dans le même ordre d'idée, les autres personnages, et notamment
la populaion de la Médina est capable de se forger un « langage codé »6 .
C'est dans ce sens que, pour le lecteur, l'ironie devient «(…) une mise à
distance de ses propres affects et humeurs.»7
Si le personnage de Ghita subsume une pluralité de discours, la présence
d'autres discours, cette fois-ci radicaux, ponctuent le roman et participent à
sa polyphonie définie comme « (…)pluralité des langues, confrontation des
discours et des idéologies, sans conclusion et sans synthèse-sans
« monologisme »,sans point axial. »8. Ainsi en est-il des discours
nationaliste et colonialiste qui s'émiettent dans la littérarité du texte par le
truchement de l'antithèse, de l'ironie, et de l'oralité de Ghita. En effet , on
assiste à un télescopage des deux discours qui aboutit à leur abolition du
moment qu'ils ne sont fondés que sur des «  hétérostéréotypes(qui) ne
s'intéressent qu'à une civilisation réduite à son folklore ou ne font ressortir
que les aspects sensationnels attribués à la nation étrangère »9. Au discours
du colon qui stipule que « Tant que les Arabes écriront de droite à gauche
et pisseront assis, il n'y a rien à en tirer »10 fait écho le discours de Ghita
dans sa litanie, toujours fidèle à son humour : « Soyez maudits,
Nazaréens/fils de chiens/buveurs d'alcool/mangeurs de porc/et de
grenouilles/Et vive le roi/et Allal-el-Fassi »(17). C'est par cette voie
que « (…)le roman(…) est un lieu où plusieurs voix conflictuelles peuvent
se rassembler… » pour « « déchirer le rideau » des interprétations toutes
faites fournies par la société. »11
III-Généricité et tonalités :
Le Fond de la jarre est un roman au sens moderne du terme du moment
qu'il fonctionne à l'opposé de tout provincialisme et ne se ramène pas à une
culture étroitement locale. C'est dans ce sens que joue son oralité en offrant
à plusieurs genres un espace de coexistence. Ainsi, « sa fonction capitale
(…)n'est pas d ' « illustrer »par un récit une conception du monde ou de
l'histoire déjà élaborée ; mais plutôt de révéler, par ses voies
spécifiques, « ce que seul le roman peut dire »( selon la formule de
Hermann Broch dans La Mort de Virgile , reprise et développée par Carlos
Fuentes ou Milan Kundera). Il s'agit de dégager le non-dit de l'histoire
officielle, les zones de l'expérience humaine que les historiens négligent ;
de déstabiliser les certitudes, les orthodoxies, les visions du monde
constituées ; d'explorer l'envers ou le négatif de l'image que nos sociétés
donnent d'elles-mêmes. »1. C'est dans cette perspective que le roman qui
nous intéresse foisonne en genres oraux. Toutefois, ces genres ne sont
nullement de surcroît ou des additifs gratuits en vue de traduire une couleur
locale ou de se cantonner dans une conception monolithique du monde. De
même, ils ne procèdent pas d'un projet de catalogage d'un patrimoine pour
le réhabiliter ou le sauvegarder. Les genres oraux investis dans Le Fond de
la jarre font partie intégrante de la texture romanesque.
Illustrons notre propos par deux cas de figure : Le Poème de Ghita,
chanson du Malhoun aux pages 155 et 156 et l'anecdote figurant dans
l'épiloque aux pages 249 et 250. Le premier cas révèle obliquement, par le
procédé de mise en abyme, une facette non dite des rapports entre deux
personnages : Ghita et Driss. Ce procédé recentre le roman sur le
personnage de Ghita pour le mettre sous un nouveau éclairage. Convenons-
en, il s'agit d'un cas particulier de mise en abyme. Par ailleurs, l'insertion
de la chanson dans le récit correspond à une analepse narrative qui
fonctionne en tant qu'écho de la configuration temporelle du roman dans
son intégralité dans le cadre d'une descente de la mémoire vers les
souvenirs les plus enfouis. De même, la chanson ajoute un autre trait au
portrait de Ghita, personnage associé généralement aux imprécations et aux
litanies. Quant au second cas, l'anecdote, oeuvre d'un personnage
méditerranéen Jha ( Joha en arabe classique, Goha en égyptien, Khodja en
turc, Guicha en albanais, Giufa en sicilien, Odja en grec, Djahan en
maltais,etc.), elle fonctionne d'abord à titre de métadiscours, du moment
qu'elle justifie un élément du paratexte, à savoir le titre du roman qui doit
énormément à l'oralité et qui représente une version inversée de la Boîte de
Pandore. Ensuite, elle révèle une dimension nouvelle des anecdotes de ce
personnage, longtemps confinée dans l'oralité, qui est celle de son « côté
scathologique »2. Enfin, la référence à Jha incarne un exemple
d'intertextualité latente du moment qu'on a l'impression que le texte réfère
à Figaro, comme en témoignent les phrases suivantes : « Après avoir été
imam, juge, avocat, portefaix, et pratiqué nombre d'autres métiers en pure
perte, Jha ne vivait que d'expédients.Un jour, il se mit en tête d'essayer le
commerce… »3. Ce genre de parallélisme est très fréquent dans le roman à
l'image de Touissa comparé à Homère dans un jeu dialectique entre
l'intime et l'universel.
Et c'est justement à ce jeu, où l'humour et l'ironie dominent, que sont
inféodées les multiples tonalités du texte sous forme de « système narratif
de type cyclothymique »4. Satirique, dramatique, hypocoristique, épique,
comique et autres tonalités ponctuent le roman pour accompagner les
différentes péripéties de la narration, généralement focalisées sur le
quotidien et l'intime. Toutefois, ces deux paradigmes ne se confinent pas
dans une autosuffisance ou dans une tendance à la mythification d'un
passé ; elles rejoignent l'humain par le truchement des catégories
esthétiques en oeuvre dans l'oeuvre. D'ailleurs, même sur le plan
événementiel, l'ouverture est signifiée dans l'incipit et l'excipit à travers la
référence à la chute du mur de Berlin.
Clausule :
En définitive, la pluralité, fédératrice de plusieurs niveaux dans le texte,
joint oralité et littérarité pour accentuer l'indétermination dans et par
l'univers romanesque. De ce fait, Le Fond de la jarre échappe à toute
lecture idéologique réductrice. Ainsi, ce roman gère son « degré zéro de
l'écriture »1 de façon à laisser subsister le texte principalement comme
effet pour échapper aux étiquettes qui ont longtemps jeté l'anathème sur le
roman marocain afin de le discréditer. En fin de compte, ne pourrions-nous
pas affirmer au sujet du Fond de la jarre, où la pluralité est hissée au rang
de catégorie esthétique, que « (…) l'oeuvre n'est là que pour conduire à la
recherche de l'oeuvre ;(et que) l'oeuvre est le mouvement qui nous porte
vers le point pur de l'inspiration d'où elle vient et où il semble qu'elle ne
puisse atteindre qu'en disparaissant »2 ? Justement, la re-création, par la
lecture, ne fait-elle pas de cette disparition, de ce vide, un objet de quête
reposant à rechercher, après la lecture du roman, dans une autre lecture ?
__________________________________
1.G. DURAND, Figures mythiques et visages de l'oeuvre, Dunod, Paris,
1992, p.180
2.P. ZUMTHOR, Introduction à la poésie orale, collection Poétique,
Editions du Seuil, Paris, 1983, p.26
3.Ibid., p.34
4.G. DESSONS, Introduction à la poétique, Dunod, Paris, 1995, p. 134
5.Ibid., p.186
6.L. MOUZOUNI, Réception critique d'Ahmed Sefrioui, Afrique Orient,
1985, p.111
7.A. KHATIBI, Le Roman maghrébin, S.M.E.R., Rabat, 1979, p.70
8.A. LAÂBI, Le Fond de la jarre, nrf, Editions Gallimard, 2002, p.40
9.Ibid., p.48
10.Ibid., p.72
11.Ibid., p.135
12.Ibid., p.22
13.Ibid., p.57
14.Ibid., p.61
15.Ibid., p.56
16. A. MAÂLOUF, Les Identités meurtrières, Grasset, Paris, 1998.
17.F. de SAUSSURE, Cours de linguistique générale, Payot, Paris, 1980,
p.102
18.LAÂBI, Op. cit., p.117
19.Ibid, p.254
20.Ibid., p.154
21.J. SUBLET, Le Voile du nom, PUF écriture, Paris, 1991, p.10
22.Idem, p.18
23.LAÂBI, Op. cit., p.98
24.Ibid., p.101
25. Ibid., p.113
26.LAÂBI, Op. cit., p.99
27.Ibid., p.113
28.Ibid., la quatrième de la couverture
29.P. HAMON, Texte et idéologie, PUF écriture, 1984, p.91
30.T. CHANDA, Le Monde diplomatique, décembre 2004, p.31
31.LAÂBI, Op.cit., p.27
32.Ibid., p.67
33.Ibid., p.21
34.LAÂBI, op. cit., pp.132-133
35.Ibid., p.33
36.Ibid., p.201
37.Ibid., p.33
38.Ibid., p.25
39.Ibid., p.117
40.A. KHATIBI, Penser le Maghreb, S.M.ER., 1993, p.89
41.J. KRISTEVA, « Une poétique ruinée », in La Poétique de Dostoïevski
de Mikhail Bakhtine, Editions du Seuil, 1970, p.15
42.L. PORCHER, La Civilisation, CLE international, Editions DLE, 1986,
p.60
43.LAÂBI, op. cit., p.247
44. G. SCARPETTA, Le Monde diplomatique, Avril 2005, p.24
45.G. SCARPETTA, Le Monde diplomatique, mars 2003, p. 30
46.LAÂBI, op. cit., p.250
47.Ibid., p.250
48. P.HAMON, Littérature et réalité, Points, Editions du Seuil, 1982, p.161
49 .R. BARTHES, Le Degré zéro de l'écriture, Editions du Seuil, Points,
1972
50. M. BLANCHOT, Le Livre à venir, Editions Gallimard, Collection
Folio-Essais, 1999, p.272
Sources consultées
1- BARTHES Roland, Le Degré zéro de l'écriture, Editions du Seuil,
Collection Points, 1972.
2- BLANCHOT Maurice, Le Livre à venir, Editions Gallimard, Collection
Folio-Essais, 1999.
3- CHANDA Tirthankar, « Tant que l'Afrique écrira, l'Afrique vivra », Le
Monde diplomatique, décembre 2004.
4- DE SAUSSURE Ferdinand, Cours de linguistique générale, Payot,
Payothèque, Paris, 1980.
5- DESSONS Gérard, Introduction à la poétique, Dunod, Paris, 1995.
6- DURAND Gilbert, Figures mythiques et visages de l'oeuvre, Dunod,
Paris, 1992.
7- HAMON Philippe, « Un discours contraint » in Littérature et réalité,
collectif, Editions du Seuil, Collection Points, 1982.
8- HAMON Philippe, Texte et idéologie, PUF écriture, 1984.
9- KHATIBI Abdelkébir, Le Roman maghrébin, S.M.E.R., Rabat, 1979.
10- KHATIBI Abdelkébir, Penser le Maghreb, S.M.E.R., 1993.
11- KRISTEVA Julia, « Une poétique ruinée » in La Poétique de
Dostoïevski de Mikhail Bakhtine, Editions du Seuil, 1970.
12- LAÂBI Abdellatif, Le Fond de la jarre, Editions Gallimard, nrf, 2002.
13- MAÂLOUF Amine, Les Identités meurtrières, Grasset, Paris, 1998.
14- MOUZOUNI Lahsen, Réception critique d'Ahmed Sefrioui, Afrique
Orient, 1985.
15- PORCHER Louis, La Civilisation, CLE international, Editions DLE,
1986.
16- SCARPETTA Guy, « Ce que seuls les romans peuvent dire », Le
Monde diplomatique, mars 2003.
17- SCARPETTA Guy, « Pouvoirs du roman », Le Monde diplomatique,
avril 2005.
18- SUBLET Jacqueline, Essai sur le nom propre arabe, PUF écriture,
Paris, Février 1991. 19- ZUMTHOR Paul, Introduction à la poésie orale,
Collection Poétique, Editions du Seuil, Paris, mars 1983.
Hassi Mohammed
Docteur agrégé de Lettres françaises

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