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UNIVERSITÉ TOULOUSE - JEAN JAURES

INSTITUT SUPÉRIEUR DU TOURISME, DE


L’HÔTELLERIE ET DE L’ALIMENTATION

MASTER ALIMENTATION

Parcours « Sciences Sociales Appliquées à l’Alimentation »

MÉMOIRE DE PREMIÈRE ANNÉE

Epigénétique et enjeux sociétaux autour de


l’alimentation des 1000 premiers jours de vie

Présenté par :

Mélanie PORTE

Année universitaire : 2014 - 2015 Sous la direction de : Tristan FOURNIER


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UNIVERSITÉ TOULOUSE - JEAN JAURES

INSTITUT SUPÉRIEUR DU TOURISME, DE


L’HÔTELLERIE ET DE L’ALIMENTATION

MASTER ALIMENTATION

Parcours « Sciences Sociales Appliquées à l’Alimentation »

MÉMOIRE DE PREMIÈRE ANNÉE

Epigénétique et enjeux sociétaux autour de


l’alimentation des 1000 premiers jours de vie

Présenté par :

Mélanie PORTE

Année universitaire : 2014 - 2015 Sous la direction de : Tristan FOURNIER

3
« L’ISTHIA de l’Université Toulouse Jean Jaurès n’entend donner aucune
approbation, ni improbation dans les projets tuteurés et mémoires de recherche.
Les opinions qui y sont développées doivent être considérées comme propre à leur
auteur(e) ».

4
EVALUATION

5
« Et maintenant, pour agir en véritable médecin et vous montrer à quel
point je maîtrise mon art, je vais vous prescrire le mode de nutrition que
vous devriez consommer, et vous dire quels aliments vous pouvez accepter
et ceux que vous devriez refuser. »(Ovide, Les Remèdes à l’amour, 100 avant J.-C.)

6
REMERCIEMENTS

Tout d’abords, je tiens à remercier mon maître de mémoire, Mr Tristan


Fournier, que j’avais sollicité pour m’encadrer et qui a accepté. Je le remercie de
m’avoir aidé et guidé dans ma recherche.

Ensuite, mes remerciements vont auprès des enseignants qui ont répondu à
mes questions tant au niveau de la démarche concernant la méthodologie de
recherche, qu’au niveau de la passation d’entretiens exploratoires.

Je tiens également à remercier les professionnels du CHU de Toulouse qui


m’ont accueillie lors des entretiens exploratoires, je pense en particulier à Madame C,
une nutritionniste spécialisée dans les grossesses. Je remercie deux sociologues
Monsieur A et Madame B, qui ont eux aussi accepté de m’accorder une entrevue dans
le cadre de mes entretiens exploratoires.

Enfin, je remercie toutes les personnes, amis ou familles qui m’ont soutenu
tout au long de ce mémoire.

7
SOMMAIRE

Introduction générale .................................................................................................................................... 9

PARTIE 1 - Cadrage théorique : l’épigénétique et le lien alimentation santé ........................... 12

Chapitre 1 : Alimentation, Santé et Histoire....................................................................................... 14

Chapitre 2 : Alimentation, Génétique et Epigénétique ................................................................... 20

Chapitre 3 : Epigénétique : nouvelle alliée de la relation alimentation-santé ...................... 30

PARTIE 2 – Les enjeux éthiques et sociétaux soulevés par l’épigénétique ................................. 48

Chapitre 1 : Questions éthiques, sociétales et sociales soulevées par l’émergence de


l’épigénétique ................................................................................................................................................. 51

Chapitre 2: L’épigénétique au service de la prévention nutritionnelle ................................... 66

PARTIE 3 – Proposition d’une méthodologie probatoire ................................................................. 74

Chapitre 1 : Présentation de l’étude probatoire ............................................................................... 76

Chapitre 2 : Elaboration des guides d’entretien ............................................................................... 83

Conclusion générale .................................................................................................................................... 86

8
INTRODUCTION GENERALE

Aujourd’hui, la population française fait face à d’importantes problématiques


de santé publique : surpoids et obésité, carence en fer, développement du diabète et
des maladies cardio-vasculaires. A la moitié du XXème siècle, selon l’INSERM (Institut
national de la santé et de la recherche médicale), en France, les maladies cardio-
vasculaires et les cancers sont devenus les deux principales causes de mortalité, à
l’origine chacune de près de 30 % des décès1. Etre en surpoids ou en obésité renforce
le risque de développer les autres maladies chroniques citées. Selon l’OMS
(Organisation Mondiale de la Santé), au niveau mondial, la prévalence de l’obésité a
plus que doublé entre 1980 et 20142, et d’après le Ministère de la Santé, en France, la
prévalence des maladies chroniques augmentent parallèlement à la vieillesse de la
population3. C’est pourquoi l’OMS a élaboré un plan d’action mondial 2013-2020 pour
lutter contre les maladies non transmissibles. On entend par maladie non
transmissible ou MNT, un état médical non infectieux et non communicable entre
personnes. Les maladies chroniques comme le diabète et les maladies cardio-
vasculaires font pleinement partie de ce plan4.

En parallèle, on observe la mutation des repères familiaux au vu du nombre


important de séparations parentales ; la modification du mode de vie et sa
sédentarisation, l’émancipation des femmes, la transmission culinaire en perte de
vitesse, et le cadre réglementaire de plus en plus exigeant. En outre, dans les pays
industrialisés en général, les maladies chroniques n’ont pas que des impacts sur la
santé. Elles sont aussi responsables d’incapacités ayant des conséquences tant sur le
plan humain, que sur le plan social et économique. En témoigne le fait que les
affections cardio-vasculaires et les cancers constituent actuellement, pour les régimes
d’assurance maladie, les deux premières causes d’admission en affection de longue

1 INSERM. Pour une politique nutritionnelle de santé publique en France, 2000, 169 p. [en ligne]. Disponible sur :
http://www.inserm.fr/thematiques/sante-publique/rapports-publies. (Consulté le 20-02-2015).
2 et 4 OMS. Obésité et surpoids [en ligne]. Disponible sur : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs311/fr/.

(Consulté le 20-02-2015).
3 Ministère des Affaires sociales et de la Santé. L’état de santé de la population en France [en ligne]. Disponible sur :

http://www.drees.sante.gouv.fr/l-etat-de-sante-de-la-population-en-france,4338.html. (Consulté le 21-02-2015).

9
durée. De même, les maladies endocriniennes, de nature diabétique dans la grande
majorité des cas, se situent au quatrième rang5.

Au sein de nos sociétés modernes, la quête du bien-être et de la santé est une


préoccupation importante d’une grande partie de la population. Elle se retrouve dans
la circulation d’un grand nombre d’informations diffusées à travers les émissions de
télévision et les ouvrages spécialisés. Certaines d’entre elles élèvent l’alimentation au
statut d’ « alliée de la santé ». En 1984, les français classaient déjà le régime
alimentaire en première position dans les pratiques d’hygiène pour conserver un bon
état de santé (Herzlich, 1984 in Poulain, 2008 p. 121). Le lien entre alimentation et
santé, très médiatisé aujourd’hui, n’est en-soi pas une découverte contemporaine.
L’humanité a toujours lutté contre diverses maladies et c’est tout d’abord avec la
nourriture et les végétaux qu’elle a commencé à se soigner. Les sciences
fondamentales nous apportent désormais la preuve que l’alimentation influence la
santé durant toute la vie. L’épigénétique est l’une de ces sciences qui émerge,
révolutionne la biologie et soulève de nombreuses questions. C’est une science de la
génétique qui étudie l’impact de l’environnement sur l’activité de notre génome.
L’environnement étudié constitue principalement le stress, la pollution, et
l’alimentation. Cet impact a lieu à tous les stades de la vie mais plus particulièrement
lors des mille premiers jours de vie, c’est-à-dire depuis le premier jour de conception
jusqu’aux deux ans de l’enfant. En effet, de nombreuses études ont montré qu’à ce
stade, le développement de l’organisme comprend des étapes très importantes et
diverses et que les phénomènes épigénétiques se multiplient. Une bonne nutrition
pendant cette fenêtre de mille jours peut avoir un impact profond sur la capacité d’un
enfant à grandir, apprendre et sortir de la pauvreté. Il peut aussi façonner une santé à
long terme, la stabilité et la prospérité de la société6.

Depuis 2011, on attend beaucoup du champ disciplinaire de l’épigénétique. Il


est devenu la base d’un programme de santé publique, les « 1000 jours »7, lancé par
l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), pour répondre à l’explosion de l’ensemble
des maladies chroniques, pour lesquelles des relations avec l’environnement précoce

5 INSERM. Pour une politique nutritionnelle de santé publique en France, 2000, 169 p. [en ligne]. Disponible sur :
http://www.inserm.fr/thematiques/sante-publique/rapports-publies. (Consulté le 20-02-2015).
6 et 7 ThousandDays. ABOUT 1,000 DAYS [en ligne]. Disponible sur : http://www.thousanddays.org. (Consulté le 28-

11-2014).

10
ont été démontrées8. La DOHaD (Developmental Origins of Health and Disease ou
société internationale de Développement Origines de la Santé et de la Maladie) a été
créée pour l’occasion, en 2012, et a repris le programme. Son but est de promouvoir
la recherche sur les origines fœtales et de développement de la maladie, elle implique
des scientifiques de nombreux milieux. Enfin, le programme représente un intérêt
important pour les industriels de la nutrition infantile tels que Blédina et Nestlé.
L’Homme doit s’adapter en permanence aux évolutions sociétales et composer avec
l’avancée scientifique diffusée au grand public et/ou par les professionnels. Dans ce
contexte, les sciences émergentes et les nouvelles technologies posent des questions
éthiques, sociétales et sociales. L’épigénétique en pose encore plus que d’autres car
elle touche les données génétiques des individus, la culture de cellules souches, et
l’expérimentation à grande échelle.

Ayant moi-même une sœur jumelle, c’est instinctivement que notre mémoire
de recherche s’est orientée vers l’épigénétique. En effet, de nombreuses observations
ont été réalisées chez les jumeaux homozygotes dans ce domaine. Par ailleurs, la
recherche est d’actualité et la documentation est assez rare ce qui a d’autant plus
motivé mon projet. De plus, le thème nécessite de mobiliser mes connaissances
antérieures en biologie moléculaire. Ensuite, pour des raisons professionnelles, le lien
entre les premiers jours de vie et l’épigénétique que nous avons pu entrevoir dans les
premières recherches bibliographiques semblait très intéressant. En effet, ma reprise
d’études actuelle a pour objectif de m’ouvrir aux métiers dans l’alimentation infantile,
et dans l’éducation alimentaire. Notre travail de recherche va se consacrer à
l’observation des enjeux éthiques et sociétaux qui composent avec l’épigénétique et
son application éventuelle dans le lien alimentation et santé, nous axerons notre
question sur une période à la fois sensible aux effets de l’épigénétique et prometteuse
: les mille premiers jours de vie. Puis nous orienterons ce sujet sur les questions
sociales soulevées par son application dans la prévention nutritionnelle envisageable
durant cette période. Enfin, nous émettrons des hypothèses sur le besoin de
formation des professionnels de santé et sur la nécessité de considérer la sur-
responsabilisation et la culpabilisation qui accompagneraient les futures mères. Une
méthodologie probatoire sera alors proposée pour répondre à ces hypothèses.

8SF-DOHaD, JUNIEN Claudine. L’initiative des 1000 jours de l’OMS et l’origine développementale de la santé et des
maladies (DOHaD) [en ligne]. Disponible sur : http://www.sf-dohad.fr/. (Consulté le 15-01-2015).
11
PARTIE 1 - CADRAGE THEORIQUE :
L’EPIGENETIQUE ET LE LIEN ALIMENTATION SANTE

12
« Vous êtes ce que vous mangez … et ce qu’a
mangé votre papa ! »

(Claire Peltier, 26 décembre 2010, Futura-Sciences

13
Dans l’histoire de l’Humanité, les hommes n’utilisaient pas la nourriture
seulement pour se nourrir. La relation établie avec leurs aliments trouvait son
importance dans bien des aspects. Les dimensions sociales, culturelles,
imaginaires et symboliques de l’alimentation constituent un code essentiel à la
vie humaine en société. Néanmoins, un aspect important de l’alimentation dans
toute l‘Humanité demeure dans son lien à la santé. Il a donné naissance à la
science de la nutrition et se trouve très médiatisé aujourd’hui. Dans cette partie, il
ne s’agira pas de prôner le rôle de l’alimentation dans la santé mais de faire le lien
entre la relation alimentation-santé et la position prometteuse de l’épigénétique
dans l’enrayement des maladies chroniques liées à l’alimentation. Nous tenterons
tout d’abord de montrer l’évolution de la place de la santé dans l’alimentation aux
yeux de l’Humanité. Puis, nous marquerons l’évolution de notre alimentation par
deux périodes clés et bouleversantes afin de faire le lien avec l’avancée de la
science nutritionnelle et le développement de la génomique nutritionnelle. Enfin,
nous arriverons sur l’émergence de l’épigénétique, son potentiel et les
programmes de recherches qui lui sont associés dans la santé publique.

Chapitre 1 : Alimentation, Santé et Histoire

Le lien entre alimentation et santé, aujourd’hui hautement médiatisé, n’est pas


une découverte contemporaine. Les différentes espèces humaines qui constituent nos
ancêtres ont évolué et traversé des bouleversements de vie. Ces derniers ont
impliqué des changements importants dans l’alimentation humaine.

1. L’alimentation pour la santé : un concept historique

La nutrition est une science qui étudie les liens entre l’alimentation et la santé. En
parallèle, il est assez connu que depuis longtemps l’Homme utilisait les plantes et les
aliments pour se soigner. Les nombreux cas actuels de maladies liées à l’alimentation
comme le diabète, l’obésité ou les maladies cardio-vasculaires nous font penser que le
14
métier de nutritionniste et la science qu’il détient sont récents. Pourtant, la notion de
nutrition en tant que science liée à l’alimentation est apparue dès l’Antiquité. La
théorie aristotélicienne des quatre éléments et l’école hippocratique en témoignent.
En effet, Hippocrate, père fondateur de la médecine, disait déjà en 370 avant J.-C.
« L’alimentation est notre première médecine ». Il considérait les maladies comme le
résultat d’un déséquilibre entre quatre humeurs à l’intérieur de l’organisme. Ces
humeurs représentaient des fluides qui circulent dans le corps et qui sont en
proportions égales quand l’état de santé est bon. Elles correspondent aux quatre
éléments d’Aristote : l’air, la terre, l’eau et le feu. Les aliments étaient alors classifiés
selon quatre caractéristiques : le chaud, le froid, le sec et l’humide (Cf. Figure
1)(Wahli et Constantin, 2011, p. 2).

Figure 1: Vision hippocratique de l'alimentation basée sur la théorie aristotélicienne des quatre éléments

Source : Wahli et Constantin, 2011, p.3

Au fil de l’Histoire, les médecins continuent à considérer et à utiliser


l’alimentation comme un moyen thérapeutique. Au Moyen-Age et à la Renaissance, ils
15
perpétuent les préceptes d’Hippocrate, et des ouvrages sont publiés. A la fin du XVème
siècle, Magninus de Milan publie « Regimen Sanitatis » et prône l’usage des graisses
pour améliorer la digestion. En effet, les légumes étant considérés de nature
mélancolique et terrestre, la graisse va délecter les légumes et tempérer leur
terrestréité et ainsi les rendre plus digestes et nourrissants. Au XVIème siècle,
l’utilisation de produits chimiques et de minéraux en médecine par Paracelse,
médecin et alchimiste suisse, va remettre en cause la théorie hippocratique. L’analyse
chimique permet de découvrir de nouveaux éléments tels que les protéines, les
glucides, les vitamines, les minéraux, et les oligoéléments. Une nouvelle diététique,
fondée sur l’équilibre de ces éléments, émerge et continue de dessiner la nutrition en
tant que science telle qu’on la connait aujourd’hui (Wahli et Constantin, 2011, p. 3).

2. Bouleversements de vie et évolution de notre alimentation

L’alimentation de nos sociétés modernes a énormément évolué si on la compare à


celle de nos ancêtres. Il est important d’observer le lien alimentation-santé sous
l’angle des changements alimentaires et des changements de vie dans l’histoire de
l’espèce humaine.

2.1. L’alimentation au Paléolithique

Le genre Homo a émergé il y a 2 à 3 millions d’années dans un contexte


alimentaire où les différentes espèces humaines se nourrissaient essentiellement de
la cueillette et de la chasse. La consommation de viande est source de protéines
animales, de minéraux et de vitamines. Elle coïncide avec l’augmentation de la taille
du cerveau. Elle a permis à l’Homo d’établir un système énergétique efficace qui
maintient sa masse corporelle et d’accroitre sa masse cérébrale (Bellisari, 2008, in
Wahli et Constantin, 2011, p. 19). Les Homo sapiens sont les premiers représentants
de l’Homme moderne et sont apparus il y a 200 000 ans. Des découvertes
archéologiques et des études sur des populations actuelles de chasseurs cueilleurs
ont permis de reconstituer l’alimentation de nos ancêtres et a démontré que les
Homo sapiens ont eu recours à une alimentation qui serait la plus riche en
16
micronutriments de toute l’histoire de l’Humanité. Leur diète hautement calorique
(3000 kcal/jour) était composée de viande sauvage, de poissons, de fruits, de racines
et de noix. Nos régimes modernes diffèrent significativement en termes de qualité
nutritionnelle (Eaton, 1997 in Wahli et Constantin, 2011, p.19). En comparaison à
notre alimentation actuelle, la diète ancestrale était composée de plus de protéines,
de vitamines, d’antioxydants, d’acides gras polyinsaturés oméga-3, et de moins de
glucides, d’acides gras saturés et de polyinsaturés oméga-6. L’alcool, le sel et le sucre
raffiné n’existaient pas.

En parallèle, au Paléolithique, la disponibilité alimentaire alternait entre


abondance et pénurie. Les Homo sapiens ont développé un système de réserve des
graisses qui leur a permis de faire face à leur environnement et ses contraintes (Wahli
et Constantin, 2011, p. 20).

L’espérance de vie étant très courte, il n’est pas possible de comparer l’état de
santé de nos ancêtres à celui de notre époque notamment au niveau des maladies
liées à l’âge. Néanmoins, les analyses montrent un état de santé général assez bon. La
durée de vie aurait notamment été limitée par la présence de germes infectieux
ancestraux mais les restes osseux ne montrent en revanche aucune trace de
tuberculose, de tumeurs malignes, d’ostéoporose, de rachitisme et de caries dentaires
(Delluc, 1995 in Wahli et Constantin, 2011, p. 21).

2.2. La transition alimentaire au Néolithique

Le Néolithique constitue la seconde ère de la Préhistoire mais aussi une ère de


transition alimentaire provoquée notamment par l’apparition des premiers éleveurs-
cultivateurs.

C’est une période riche en informations, qui se situe entre 5000 et 10000 ans
avant J.-C. et où le régime alimentaire se tourne vers les céréales (Goude Gwenaëlle,
30 janv. 2015). Il s’ensuit une explosion de la démographie et une organisation socio-
économique qui va influencer l’histoire économique, culturelle et politique des
sociétés et donc celle de l’Humanité. En effet, l’élevage et l’agriculture viennent
progressivement remplacer la chasse, la pêche et la cueillette. Le régime alimentaire
17
se modifie et se tourne vers les céréales et les légumineuses. La viande d’élevage est
plus grasse que la viande sauvage et l’usage des produits laitiers issus de
l’exploitation des brebis et des chèvres apparait. Il semblerait même que la chasse
restait privilégiée malgré l’élevage des brebis et des chèvres dont on suppose que la
finalité était plutôt laitière que carnée9 (Vigne in Fischler, 2013, p. 102-103).

Sur le plan de la santé, la transition alimentaire du Néolithique semble avoir


des conséquences néfastes. En effet, les examens osseux montrent une diminution de
la durée de vie par rapport aux Homo du Paléolithique, ainsi qu’une réduction de
stature, et une augmentation de la fréquence et incidence des maladies infectieuses,
des anémies, des carences en fer, de l’ostéoporose, des caries et divers défauts
dentaires (Cordain et al, 2005 in Wahli et Constantin, 2011, p. 22). De plus,
l’organisation socio-économique qui se met alors en place va modifier profondément
les lois de la survie de l’espèce puisque ce n’est plus seulement la force et la résistance
physique qui compte mais aussi la condition socio-économique.

Une seconde période fut propice à de profonds changements des habitudes


alimentaires au cours de l’histoire de l’alimentation humaine. Il s’agit de la révolution
industrielle du XIXème siècle.

2.3. La révolution industrielle au XIXème siècle

Depuis la fin du XVIIIème siècle, on découvre la machine à vapeur, l’électricité,


et les combustibles à moteur qui ont bouleversé la production, la productivité et
l’économie de l’agriculture. La production artisanale est progressivement remplacée
par la production de masse, les cultures sont intensifiées via les nouvelles techniques
agricoles et l’usage d’engrais. C’est la révolution industrielle du XIXème siècle. La
population rurale devient de plus en plus citadine, les transports se développent,
ainsi que la sédentarisation avec l’atomisation des tâches ; l’effort physique et les
besoins énergétiques se réduisent (Claudian, 1992, p. 39-50).

9
VIGNE Jean-Denis. Les origines de la domestication animale, de l’élevage des ongulés er de la consommation du lait
au Néolithique au Proche-Orient et en Europe, in Cultures des laits du monde, Cahiers de l’Ocha, n°15. Paris,
Editions M. Bieulac, 2011, p. 22-42.

18
L’industrie alimentaire se développe et avec elle, les produits transformés à
défaut des produits directement issus des exploitations agricoles. Les modes de
conservation évoluent et deviennent de plus en plus longs, au même titre que les
modes de préparation et de consommation qui sont de plus en plus proches de
produits prêts à l’emploi. Les additifs et les conservateurs émergent. Avec eux,
l’élevage évolue et fait place à l’engraissement du bétail. On transforme les graisses et
on voit apparaître de plus en plus de produits riches en lipides et en sucres rapides.
Pour exemple, en France, la consommation totale de sucre est passée de 2,7
kg/personne/an en 1840, à 17 kg/personne/an en 1900 et a atteint 36
kg/personne/an en 1970 alors que l’OMS en recommande une consommation
n’excédant 18kg (Dupin et Leynaud-Rouand, 1992, p. 51- 66).

Ainsi, la révolution industrielle a bouleversé les conditions de vie et amoindri


la qualité nutritionnelle de l’alimentation. Or, le système de digestion et de mise en
réserve ainsi que le métabolisme, issus de nos ancêtres, sont conçus pour faire face à
des périodes d’abondance, de pénurie et à des efforts physiques importants. Le
génome de l’espèce humaine a évolué par mutation au cours du temps et sous
l’influence de l’environnement. Par exemple, des mutations ont permis la digestion de
certains nutriments comme l’amidon ou le lactose. Cependant le processus
d’adaptation évolutive est très long, or les deux périodes de bouleversement qui ont
été décrites précédemment se sont déroulées très rapidement si on les compare à
l’échelle de l’évolution de l’espèce humaine.

« Si l’on compare l’histoire de l’humanité à la vie d’un homme de 90 ans, le


changement drastique initié au Néolithique correspondrait aux cinq derniers mois et
demi de sa vie. Imaginez donc ce que cette courte période représente face à quatre-
vingt-dix ans de conditionnement alimentaire ! » (Wahli et al., 2011, p. 26).

Des recherches récentes ont révélé que l’évolution adaptative de l’espèce


humaine s’était accélérée depuis 40000 ans et qu’elle s’est emballée ces 5000
dernières années. Néanmoins, pour d’autres chercheurs spécialisés en évolution, il
faut prendre en compte le fait que l’on ne connaît pas l’état des gènes de l’époque du
Néolithique et il paraît improbable qu’au vu de la vitesse à laquelle l’alimentation a
évolué, le métabolisme humain puisse connaître des mutations ou une sélection
naturelle au point de s’adapter à son environnement actuel. Par ailleurs, depuis la
19
révolution industrielle, la sédentarisation des individus augmente continuellement et
l’environnement de vie est de plus en plus obésogène (Wahli et al., 2011, p25-27).

Nos sociétés modernes s’accompagnent donc de changements alimentaires


profonds marqués par l’abondance alimentaire et la mauvaise qualité nutritionnelle
des produits. Des changements pour lesquels le génome humain ne s’est pas encore
adapté. En parallèle de nombreux maux tels que l’obésité, le diabète, le cancer et les
maladies cardio-vasculaires submergent de plus en plus les pays développés et les
pays en voie de développement.

Notre santé serait véritablement en lien avec notre environnement et notre


alimentation. Ce concept, comme nous avons pu le voir, existe depuis très longtemps
à la naissance même de la médecine. La science moderne étudie la relation
alimentation et santé, un lien qui fait l’objet de nombreuses recherches et
expériences.

Chapitre 2 : Alimentation, Génétique et


Epigénétique

C’est précisément au début du XXIème siècle, alors que pour la première fois, le
nombre d’adultes en surpoids dépasse celui des adultes en insuffisance pondérale,
qu’un bond considérable est observé dans la connaissance du patrimoine génétique.
En effet, en 2003, le séquençage complet du génome humain est terminé et publié
dans sa version finale.

1. La génomique nutritionnelle

A l’issue des découvertes initiées par le séquençage complet du génome humain,


la science nutritionnelle connait une véritable évolution et rencontre la biologie
moléculaire et la génétique. Les données scientifiques au sujet de l’influence des
gènes et de l’impact des prédispositions génétiques sur le risque de maladies liées à
20
l’alimentation affluent. Les chercheurs recherchent désormais l’action des nutriments
au niveau moléculaire pour comprendre le lien entre la santé et l’alimentation.C’est la
naissance de la génomique nutritionnelle, une science qui étudie l’ensemble des
interactions bidirectionnelles, c’est-à-dire dans les deux sens, entre gènes et
nutriments. Les êtres vivants sont en constante interaction avec leur environnement.
Dans une cellule, les 20 à 25 000 gènes constituant le génome humain ne s’expriment
pas tous en même temps. Leur expression est dépendante et contrôlée (Wahli et
Constantin, 2011, p. 29-32).

Les gènes sont les composants principaux de notre ADN (acide


désoxyribonucléique). Ils sont les éléments responsables de l’hérédité de certains
traits comme la couleur des yeux, mais aussi des éléments qui permettent à notre
corps de fonctionner et de se développer. On dit que notre patrimoine génétique est
notre plan de fabrication et de fonctionnement propre. Plus précisément, un gène est
une séquence, ou portion, de l’ADN. Les gènes qui composent l’ADN sont codants ou
non codants. Un gène codant est un gène dont le code permet la fabrication d'une
protéine. Les protéines assurent les fonctions de l’organisme. Quand la fabrication de
protéines est enclenchée on dit que le gène en question s’exprime : c’est l’expression
des gènes. Elle se déroule en plusieurs étapes que nous ne détaillerons pas ici (Wahli
et Constantin, 2011, p. 34-39).

L’influence des nutriments sur le génome dans son ensemble se fait à deux
niveaux. D’un côté, tous les types de nutriments, des glucides aux lipides, en passant
par les acides aminés, les vitamines et les minéraux, sont capables de moduler
l’expression des gènes. Cette influence entraine une adaptation de l’organisme qui
peut varier d’un individu à l’autre. En particulier, les nutriments comme le glucose, le
cholestérol, les acides gras peuvent modifier la transcription des gènes qui codent
pour les protéines (enzymes ou hormones) impliquées dans leur métabolisme. D’un
autre côté, certains gènes prédisposent à certaines maladies comme l’obésité et les
réactions des individus vis-à-vis des aliments sont différentes.

Ainsi on distingue deux sciences qui allient la nutrition et la génétique : la


nutrigénétique et la nutrigénomique. (Figure 2) (Wahli et Constantin, 2011, p. 32-33).

21
Figure 2 La Génomique Nutritionnelle

Source: e-santé.futura-sciences.com

C’est dans les années 1970 que la nutrigénétique apparaît. Elle consiste en l’étude
de la variabilité des gènes en charge de répondre aux aliments ingérés. On parle de
prédisposition génétique. Pour faire simple, elle cherche à expliquer pourquoi nous
ne réagissons pas tous de la même façon à l’alimentation. Certaines personnes
grossissent au moindre écart alors que d’autres pourront manger en excès sans
prendre un gramme. Par ailleurs, chaque individu possède un ADN unique mais
semblable aux autres individus à 99,9%. Nous n’avons que 0,1% d’ADN qui explique
les différences qui existent entre plusieurs individus. Certaines différences de
séquences de l’ADN sont à l’origine de prédispositions aux maladies telles que
l’obésité ou tout simplement de la différence de perception des saveurs, par exemple.
Un des objectifs de la nutrigénétique consiste donc à définir des sous-populations
regroupant des personnes ayant une composition génétique à risque pour certaines
maladies afin de mieux adapter leur alimentation et leur médication (Wahli et
Constantin, 2011, p. 32-33).

Plus récemment, en 2002, le terme scientifique de nutrigénomique est créé et fait


référence à l’étude des effets que l’alimentation provoque sur nos gènes et leur
expression. Ces effets sont appelés : signatures alimentaires. Ils permettent
d’expliquer comment un aliment va provoquer par exemple une réaction de certains
22
gènes spécifiques, les activer et influencer le métabolisme et l’état de santé de
l’individu (Wahli, p. 32-33, 2011). Les nutriments capables de réguler
l’expression des gènes sont nombreux : glucides (glucose), lipides (acide gras,
cholestérol), vitamines (B8, D), acides aminés, et autres composés de l’alimentation
(polyphénol, alcool). Si l’on prend pour exemple les actions probables de la vitamine
D sur certains gènes, on peut citer10 :

- La synthèse d’insuline : en cas de carence en vitamine D, on observe une


diminution de la synthèse d’insuline.

- L’hématopoïèse : dans la moelle osseuse, la vitamine D induit la formation de


macrophages à partir des précurseurs myéloïdes.

- La peau : le ligand de la vitamine D qui régule la transcription de gènes exerce


un effet sur la croissance et la différenciation cellulaire.

- L’intégrité du système nerveux : des récepteurs au ligand de la vitamine D ont


été mis en évidence dans certaines parties du cerveau mais on ignore leur rôle.

- Les tumeurs malignes : des récepteurs du ligand de la vitamine D ont été mis
en évidence sur certaines tumeurs malignes.

Nous venons de voir un axe de la nutrigénomique : celui qui étudie l’impact des
aliments sur l’expression des gènes responsables des équilibres métaboliques. La
science a récemment progressé et parce que la génétique à elle seule n’explique pas
tout, depuis quelques années, un autre axe de la nutrigénomique prend son essor: il
s’agit de l’épigénétique.

10POUPON Julien. Effets transcriptionnels des nutriments. Régulation génique. Cours de Licence professionnelle
Aliments / Santé, IUT Quimper, 2013.
23
2. L’Epigénétique : empreintes génétiques et transmission

2.1. L’épigénétique : qu’est que c’est ?

L’épigénétique est une science qui se définit comme l’étude de l’épigénome. Le


préfixe grec epi signifie « au-dessus ». L’épigénome est composé d’éléments qui
recouvrent en quelque sorte le génome, lui-même constitué de l’ADN, composant du
noyau de chaque cellule humaine. Ces éléments que l’on nomme marques
épigénétiques sont des groupements chimiques (CH3 ou COCH3) qui se positionnent
sur l’ADN ou les histones, des protéines qui relient les chromosomes entre eux pour
former la molécule d’ADN. Ils proviennent de sources naturelles comme la nourriture
et de sources artificielles comme les médicaments et les pesticides. Ces mécanismes
chimiques sont potentiellement réversibles et modifient l’accessibilité des gènes.
Pour rappel, un gène codant est une séquence d’ADN qui code pour une protéine. Il
s’agit juste de comprendre que le gène codant pour la protéine voulue doit être
accessible pour tout d’abord être copié en une molécule mobile, l’ARN messager, puis
cette molécule va sortir du noyau et va être lu et servir à la synthèse de la protéine
qui se déroule toujours à l’extérieur du noyau cellulaire (Cf. Figure 3). Ainsi, le
contrôle de l'expression des gènes se fait essentiellement par la modulation de
l’accessibilité des gènes11.

11National Human Genome Research Institute. Epigenomics [en ligne]. Disponible sur :
<http://www.genome.gov/27532724>. (Consulté le 25-02-2015).
24
Figure 3 Schéma de synthèse des protéines depuis l'ADN en passant par l'ARN messager

12
Source : CC by-sa Valérie Mills

Or, en général, l'accès aux gènes est difficile et ce, parce que l’ADN est compacté.
En effet, les 46 chromosomes de l’ADN humain mis bout à bout représentent une
longueur totale de plus d'un mètre qu'il faut faire tenir dans un noyau de 5µm de
diamètre (5.10-6 m). La cellule dispose d'un système qui compacte l'ADN tout en
laissant la possibilité à chaque gène d’être accessible quand le besoin se présente. Le
rôle des histones est de faire varier le degré de compaction de l'ADN et donc
l'accessibilité aux gènes, mais elles permettent également de regrouper différentes
parties du génome qui doivent s’exprimer ensemble, ou au contraire séparément.
Ainsi, en modifiant les interactions entre l’ADN et les histones on permet ou non
l’expression des gènes13.

Sur la figure 4, on peut visualiser ce qu’on appelle les marques épigénétiques, soit
les petits groupements chimiques méthyl (CH3) ou acétyl (COCH3), qui se
positionnent sur les histones ou sur l'ADN.

12et 13MILS Valérie. Nos gènes se mettent à table, 2013, 2 p. [en ligne]. Disponible sur :
http://www.museum.toulouse.fr/-/nos-genes-se-mettent-a-table-1-2-. (Consulté le 20-02-2015).

25
Figure 4 Marques épigénétiques : modifications chimiques de l'ADN ou des histones

Source : Wahli et al, 2011, p.69

Les modifications chimiques ou marques épigénétiques vont se positionner sur les


gènes ou histones et donc permettre l’accès ou non des gènes. Elles permettent
différentes lectures de l’ADN et régulent l’expression des gènes. La formation des
marques épigénétiques ou l’épigénèse dépendent :

- du stade de développement de l’individu ;

- de l’organe et du type cellulaire ;

- de l’environnement (nutriment, stress, pollution,…).

En effet, un gène a pour fonction de synthétiser des protéines utiles à l’organisme. De


plus,certaines protéines ne sont produites que pendant des stades spécifiques de
développement ou de la vie d’un organisme. Elles sont, par exemple, responsables de
traits éphémères : c’est le cas du passage de la chenille au papillon. Par ailleurs,
d’autres protéines ne sont utiles que dans certains types de cellules spécialisées et
26
sont inutiles dans d’autres. Chacune des cellules de l’organisme possèdent l’ADN dans
son entier. Cet ADN ou patrimoine génétique est spécifique à chaque individu et issu
des parents. Or une cellule de foie et une cellule de cœur ne vont pas avoir les mêmes
fonctions. C’est l’épigénétique qui permet de lire une partie des informations
génétiques utiles et spécifiques à la cellule à un instant t donné (Wahli et Constantin,
2011, p. 68-71).

Les molécules qui fournissent les groupements méthyl ou acétyl responsables de


l’épigénèse proviennent donc de l'environnement, y compris des nutriments. Ces
derniers sont nombreux à avoir démontré leur rôle dans l’épigénétique.

2.2. L’épigénétique dans l’alimentation

Des ingrédients comme le folate, la choline, les vitamines B12, B2 et B6 peuvent


influencer l’épigénèse et ainsi modifier l’accès des gènes et donc leur expression
(Wahli et Constantin, 2011, p. 74).

Des chercheurs de l’Université de Leiden (Pays-Bas) ont montré qu’une


alimentation déséquilibrée, c’est-à-dire trop riche en matières grasses, en sucres et en
viande, modifierait durablement l'expression de certains gènes impliqués dans les
défenses immunitaires et le développement de certaines maladies. « Les mauvaises
habitudes alimentaires modifient ainsi durablement l'expression de certains gènes,
dont les gènes liés à l'immunité. Ces modifications épigénétiques expliquent la
persistance d'un risque cardiovasculaire plus élevé, même après l'adoption d'un
mode de vie sain » prévient Erik van Kampen de la division biopharmaceutique de
l'Université hollandaise14.

La recherche a encore besoin d’avancer dans ce domaine pour connaître tous


les nutriments ayant des effets sur les marques épigénétiques, leurs proportions et
quantités utiles, mais aussi pour cibler la régulation épigénétique sur les gènes
voulus, et déterminer l’épigénome optimal de chaque individu sachant que certaines
modifications épigénétiques peuvent à la fois être bénéfiques et néfastes pour la
santé. Une caractéristique non négligeable des mécanismes épigénétiques réside dans

14SIMMONDS Georges. Une mauvaise alimentation modifie durablement l’expression des gènes [en ligne]. Disponible
sur : http://www.rtflash.fr/mauvaise-alimentation-modifie-durablement-l-expression-certains-genes/article.
(Consulté le 25-02-2015).
27
le fait que même si les marques, en se positionnant en surface, ne modifient pas la
composition de l’ADN, elles sont relativement stables. On peut en effet analyser ces
modifications chimiques de l’ADN sur une momie de 5000 ans (Wahli et Constantin,
2011, p. 73-74).

Cette stabilité potentielle est non négligeable parce qu’ainsi, les marques
épigénétiques peuvent parfois se transmettre d’une génération à l’autre.

2.3. Epigénétique et transmission intergénérationnelle

Ce ne sont pas les gènes à l’état pur que les parents transmettent à leur
descendance. Le patrimoine génétique qu’ils lèguent porte des traces. Ces traces sont
les marques épigénétiques et sont témoins d’évènements importants de leur vie. Par
exemple, une carence alimentaire durant la grossesse va influencer le métabolisme
énergétique du fœtus et du futur enfant. Encore plus improbable, il a été observé
qu’une famine survenue au cours de la vie fœtale ou pendant l’adolescence des
parents ou même des grands parents exerceraient un effet sur le métabolisme des
descendances jusqu’aux deux générations suivantes (Wahli et Constantin, 2011,
p.71).

La transmission des modifications épigénétiques est donc possible via ce qu’on


appelle un effet transgénérationnel. Elle s’effectue autant par le père que par la mère.
Les gamètes du père comme ceux de la mère comportent des épimutations. L’œuf issu
de la fusion de l’ovule et du spermatozoïde récupère les marques de chaque parent.
En principe, une sorte de remise à zéro des marquages épigénétiques de l’œuf s’opère
avant son implantation dans la paroi utérine (Reik, 2001 in Wahli, et Constantin,
2011, p. 72). Néanmoins, ce processus de réinitialisation n’est pas toujours total,
certaines marques persistent et ce phénomène n’est pas encore explicable par les
scientifiques.

Comme nous l’avons vu précédemment, les marques épigénétiques sont toutefois


réversibles par l’action de facteurs environnementaux dont l’alimentation fait partie.
Les aliments interfèrent avec l’expression des gènes à tous les stades de la vie depuis
la phase fœtale jusqu’à la phase adulte. Cependant, nous avons vu aussi que le
28
processus épigénétique dépend du stade de développement. Or, c’est principalement
durant la vie fœtale et les premiers temps de la vie postnatale que la régulation
épigénétique de l’expression des gènes est très active. De cette façon, le contrôle de
l'expression de nos gènes débute dès notre conception et se fait en fonction de
l'alimentation maternelle15.

2.4. Epigénétique et régime alimentaire maternel

L'épigenèse démarre après la remise à zéro des marques épigénétiques issus


des parents. Suite à cette réinitialisation, qui n’est pas toujours totale, et durant son
implantation dans la paroi utérine, l’œuf crée de nouveaux marquages. Cette création
a deux sources. L’une est un marquage du génome commun à tous les êtres humains,
indispensable au développement de l'embryon et à la différenciation cellulaire. La
seconde est spécifique à chaque individu et témoigne des influences perçues par
l'embryon, c'est à dire les stimulations qui lui parviennent au travers du ventre
maternel mais aussi de ce qu'il capte au travers de la barrière placentaire16.

Le régime alimentaire maternel durant la grossesse a des conséquences sur la


programmation fœtale, elle-même en partie contrôlée par les modifications
épigénétiques. En témoigne une des découvertes scientifiques souvent relatée et
médiatisée quand on parle d’épigénétique. Cette découverte a été réalisée sur une
lignée de souris à poils jaunes possédant un gène apparenté à un gène humain qui
s’exprime chez des personnes obèses ou diabétiques. Cette population de souris est
reconnue pour son appétit vorace, son pelage jaune et une durée de vie plus courte
que les autres. En soumettant les souris mères à un régime alimentaire riche en
aliments ayant un effet sur les phénomènes épigénétiques, avant et pendant la
gestation, les descendants obtenus sont en meilleure santé et se sont, de surcroît,
parés d’un pelage brun. L’ADN n’a pas été touché directement, l’expérience s’est
déroulée via l’alimentation uniquement. Les souris et les humains présentent un
patrimoine génétique similaire. Cette expérience démontre véritablement le rôle de

15SF-DOHaD, JUNIEN Claudine. L’initiative des 1000 jours de l’OMS et l’origine développementale de la santé et des
maladies (DOHaD) [en ligne]. Disponible sur : http://www.sf-dohad.fr/. (Consulté le 15-01-2015).
15MILS Valérie. Nos gènes se mettent à table, 2013, 2 p. [en ligne]. Disponible sur :
http://www.museum.toulouse.fr/-/nos-genes-se-mettent-a-table-1-2-. (Consulté le 20-02-2015).
29
l’alimentation durant la gestation et prouve la transmission transgénérationnelle des
marques épigénétiques (Waterland et Jirtle, 2003 in Wahli et Constantin, 2011, p. 71-
72).

L’épigénétique permet donc d’échapper partiellement à une certaine fatalité


génétique. Si la génétique propose, l’épigénétique dispose. La programmation fœtale
qui opère depuis l’implantation de l’œuf joue un rôle majeur dans la santé future de
l’enfant, notamment vis-à-vis des maladies comme le cancer, l’obésité ou le diabète.

Chapitre 3 : Epigénétique : nouvelle alliée de


la relation alimentation-santé

Les interactions continuelles entre le génotype initial d’un individu et ses


expériences environnementales déterminent l’historique de son état de santé. La
relation qui existe entre l’alimentation et la santé démontrée, ce lien de causalité est
d’autant plus probant lorsque l’on considère les perspectives de l’épigénétique.

1. Perspectives de l’épigénétique dans le lien alimentation santé

L’une des composantes de l’environnement que l’on ingère directement en soi


hormis l’air que nous respirons, ce sont bien les aliments. Néanmoins, le rôle
déterminant de l’alimentation sur l’épigénétique et ses perspectives ne peuvent être
envisagés sans aborder les maladies associées à l’épigénèse et rappeler le contexte
multifactoriel des maladies liées à l’alimentation.

30
1.1. Les maladies liées à l’épigénèse

La recherche scientifique a démontré que l’épigénèse est potentiellement


responsable du développement de nombreuses maladies. Les pathologies dites
chroniques et liées à l’alimentation en font partie. Elles se composent du surpoids, de
l’obésité, du diabète de type 2, des maladies cardio-vasculaires, et de certains cancers
comme celui du colon. Néanmoins d’autres types de maladies sont potentiellement
liées à l’épigénèse, c’est le cas de pathologies neurodégénératives telles que
l’Alzheimer, de troubles psychiatriques dont l’autisme et la schizophrénie, mais
encore de cancers non liées à l’alimentation.

Si on prend le cas du cancer, il est facile de comprendre l’influence majeure des


marques épigénétiques dans son apparition. En effet, un des facteurs, souvent
associés, au développement du cancer réside dans une trop forte activité des gènes
appelés oncogènes qui sont impliqués dans la prolifération cellulaire. Normalement,
l’expression de ces gènes se déroule uniquement à un stade spécifique du
développement embryonnaire. Ils sont ensuite inhibés par marquage épigénétique, ce
qui permet ainsi la différenciation cellulaire. Une des causes de la réactivation de ces
gènes se trouve dans l’effacement de ce marquage, l’expression des gènes oncogènes
n’est alors plus inhibée. La recherche a tenté de reproduire ce phénomène pour en
comprendre le fonctionnement via des expériences sur des animaux modèles et des
cellules en culture. Les résultats ne sont pas probants. En effet, même si les
nutriments ayant des propriétés anti-tumorales sont connus, de nombreuses
marques sont très résistantes à l’effacement. De plus, on ne sait pas cibler le gène
dont on souhaite modifier le marquage épigénétique. Du fait, une expérience peut
marcher in vitro c’est à dire sur des cultures cellulaires cancéreuses mais n’est pas
transposable in vivo c'est-à-dire à l’échelle de l’organisme vivant. Par ailleurs, d’autres
résultats sont en attente sur l’évaluation des effets au niveau du pronostic de patients
atteints de cancers d’une restriction calorique globale couplée à la pratique
d’exercices physiques. Ainsi, il semblerait que l’on puisse avancer que prévenir les
modifications de l’épigénome reste moins difficile que de les corriger17.

17 MILS Valérie. Nos gènes se mettent à table, 2013, 2 p. [en ligne]. Disponible sur :
http://www.museum.toulouse.fr/-/nos-genes-se-mettent-a-table-2-2-?redirect=%2Fexplorer. (Consulté le 20-02-
2015).
31
1.2. Le contexte multifactoriel des maladies : l’exemple du diabète de type 2

Le diabète de type 2 constitue une des maladies chroniques liées à l’alimentation.


Cette pathologie se manifeste par une défaillance de la régulation de la production de
sucre. La glycémie est alors trop élevée et supérieure à la norme de 1 g/L de sang. En
temps normal, la glycémie se maintient à 1 g/L même en cas de consommation de
sucre et ce, grâce à l’insuline. Cette dernière est synthétisée par le pancréas, organe
défectueux chez les malades. L’insuline permet l’entrée du sucre dans les cellules
pour qu’il soit utilisé comme carburant, particulièrement dans les muscles et le foie.
C’est alors que la glycémie s’élève (on parle d’hyperglycémie). À long terme, si la
glycémie n’est pas abaissée par des traitements, cela peut causer de graves problèmes
de santé, en particulier des problèmes cardio-vasculaires18.

Dans le cas du diabète de type 2, le surpoids ou l’obésité ne constituent pas les


seules causes de la maladie. D’autres facteurs y participent : le taux de graisse
abdominale, la prédisposition génétique à développer une résistance à l’insuline et les
modifications épigénétiques résultant de malnutrition durant la vie fœtale
notamment. C’est une maladie multifactorielle, ce qui est le cas de nombreuses
maladies liées à l’épigénèse. Cet exemple illustre aussi la difficulté à déterminer les
causes des maladies multifactorielles et donc de les prévenir, et ainsi de les traiter de
manière ciblée et efficace. La grande majorité des maladies chroniques liées à
l’alimentation résultent d’un ensemble de dysfonctionnements impliquant des
dérèglements métaboliques. Elles ont un caractère polygénique, c’est-à-dire que
plusieurs gènes sont responsables et déficients dans ces dérèglements (Wahli et
Constantin, 2011, p.120-123).

1.3. Le rôle déterminant de l’épigénétique

C’est dans le contexte décrit dans le paragraphe précédent que l’épigénétique


intervient et est amenée à jouer un rôle déterminant. La nutrigénénomique, dont
l’épigénétique fait partie, cherche à caractériser les mécanismes par lesquels les
nutriments rétablissent ou perturbent l’équilibre métabolique du corps humain. Pour

18RITZ P. Alimentation, Nutrition et Santé. Cours de Master 1 Alimentation SSAA, ISTHIA, Université deToulouse
Jean Jaurès, 2014.
32
rappel, elle ne se consacre pas à l’étude des prédispositions génétiques à développer
une maladie qui est, quant à elle, réservée à la nutrigénétique.

L’épigénétique est tout d’abord destinée à un rôle préventif vis-à-vis de la


contraction des maladies mais elle peut néanmoins étendre son action à un rôle
thérapeutique. En effet, une alimentation particulière peut participer à soigner des
maladies liées à la nutrition. L’alimentation est complexe de par la quantité de ses
composants et donc de la diversité de ses impacts. La réponse métabolique à
l’alimentation se retrouve donc très variée et reflète les différentes proportions
d’ingrédients, ainsi que la compétition ou la synergie entre ceux-ci. Ces paramètres
vont aussi être influencés par le mode de cuisson ou de préparation de la nourriture
ainsi que les procédés industriels de fabrication (Wahli et Constantin, 2011, p. 81).

En individualisant l’alimentation en fonction du patrimoine génétique,


l’épigénétique au même titre que la nutrigénomique mène au concept de la nutrition
personnalisée.

1.4. La nutrition personnalisée : un défi de l’épigénétique

Le concept de nutrition personnalisée existe depuis longtemps. En témoigne le


fait que l’on adapte le régime alimentaire des femmes enceintes, des enfants, des
adolescents et autres à leurs besoins nutritionnels, eux-mêmes dépendant de l’âge, du
sexe et de l’état physiologique. De même, le patrimoine génétique demande lui aussi
des besoins nutritionnels spécifiques différents selon les stades de la vie. De nos
jours, on applique aussi un régime spécifique dans le cas d’allergie alimentaire ou de
maladies chroniques telles que le diabète.

L’épigénétique représente une opportunité novatrice pour la nutrition


personnalisée dans le sens où cette dernière peut allier des conseils diététiques à une
analyse du génome et de l’épigénome d’un individu. Au XVIIIème siècle, le célèbre
gastronome et auteur de La Physiologie du goût, Jean Anthelme Brillat-Savarin, disait
« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es ». Aujourd’hui, suite à la révolution de
du potentiel de la génomique nutritionnelle, on dirait « Dis-moi ce que tu manges, les
médicaments que tu prends et ton génotype, et je te dirai qui tu seras demain. »
33
(Wahli et Constantin, 2011, p. 129). Cependant, l’épigénétique à elle seule ne peut pas
permettre d’aboutir à une compréhension et à une description exhaustive des
mécanismes métaboliques générés par les composants de notre régime alimentaire.
Son potentiel ne peut être totalement exploité qu’en combinant les résultats avec
ceux issus des autres technologies omiques soit l’analyse du génome, du métabolome
se référant au métabolisme, du transcriptome lié à la transcription des gènes ou leur
expression, et du protéome faisant référence aux protéines. Cette approche
pluridisciplinaire permettra d’examiner simultanément les effets de multiples
changements mineurs. L’ensemble de ces effets pourront être assimilés aux «
signatures alimentaires » résultant de l’application d’un régime nutritionnel
spécifique.

Dans un futur proche, il sera visiblement possible et envisageable d’émettre des


recommandations nutritionnelles sur mesure qui prennent en compte le génotype de
l’individu, en plus de son âge, son sexe, son activité sportive et professionnelle afin
d’améliorer son état de santé. Néanmoins, la concrétisation de cette opportunité
nécessite encore de nombreuses recherches impliquant des études de population
ainsi que la validation et l’uniformisation des tests génétiques. Elle compte aussi sur
la mise en lumière des phénomènes épigénétiques et les perspectives prometteuses
proposées par l’amélioration des technologies (Joost et al., 2007 et Kaput, 2008 in
Wahli et Constantin, 2011, p. 129-131). Enfin, il faut noter les problèmes impliqués
par les grandes études de populations tels que la conduite définie et bien appropriée
de ces études et l’obtention des éléments, type sang et tissus notamment, pour la
collecte de des données (Wahli et Constantin, 2011, p. 133-134).

Le concept de nutrition personnalisée fondée sur le génotypage propose de


nouvelles perspectives pour prévenir les maladies. Sa particularité réside dans le fait
de pouvoir intervenir très tôt dans la prévention, bien avant la manifestation des
symptômes cliniques. Les maladies liées à l’alimentation étant principalement dues à
des dérèglements métaboliques, accompagnés de périodes de latences, et possédant
un caractère réversible, comme dans le cas du diabète de type 2 ; alors l’épigénétique
et plus généralement la nutrigénomique représentent un véritable intérêt dans la
prévention nutritionnelle et la nutrition personnalisée.

Ainsi, l’épigénétique constitue un potentiel et peut jouer un rôle déterminant


34
pour la santé. Néanmoins, cette science semble se présenter avec un aspect
révolutionnaire que l’on va tenter de montrer à travers l’avis de divers scientifiques,
mais aussi à travers la création de programmes de grande envergure et la
commercialisation précoce de tests génétiques accessibles par les consommateurs.

2. L’épigénétique : une science révolutionnaire

La science de l’épigénétique et sa définition a longtemps été controversée. Elle


reste large et s’étend à l’étude des changements héritables dans l’activité des gènes
qui ne peuvent pas être expliqués par des modifications de la séquence d’ADN. Les
phénomènes épigénétiques bénéficient aujourd’hui d’un engouement voire d’un
« effet de mode » pour citer Michel Morange, biologiste moléculaire et historien des
sciences19.

2.1. Une grande découverte : point de vue des scientifiques

Les découvertes majeures, qui ont renversé le paradigme selon lequel la vie serait
contrôlée par les gènes, sont les plus importants domaines d'étude actuels. En 2001,
un numéro spécial20 de la revue scientifique Nature est paru sur l’épigénétique, en
même temps que celui sur le décryptage du génome humain. Les 15 et 16 février
2001, le Consortium public international et le laboratoire privé de Craig Venter ont
publié les deux premiers séquençages du génome humain respectivement dans les
deux journaux scientifiques de renom, Nature et Science (Wahli et Constantin, 2011,
p. 30-31). A l’époque, le séquençage du génome humain a été lancé dans la continuité
du paradigme de la génétique déterministe. Ce paradigme prétendait sans
expérimentation mais par logique que si c’est le gène qui détermine un phénotype
alors l’hérédité de l’acquis est impossible. Le phénotype correspond au résultat de
l’interaction entre génotype et environnement. Cette théorie de l’hérédité est appelée

19MORANGE Michel.L’épigénétique: un domaine de recherche aux multiples facettes [en ligne].


médecine/sciences, 15 avril 2005, volume 21, numéro 4, p.339.
20SURANI Azim.Reprogramming of genome function through epigenetic inheritance. Nature, 1er novembre 2001,

n°414, p. 122-128. Disponible sur :http://www.nature.com/nature/journal/v414/n6859/full/414122a0.html.


(Consulté le 16-02-2015).
35
la génétique lamarckienne par les scientifiques21. La transmission des caractères
acquis désigne la faculté pour des êtres vivants de transmettre à leur descendance
une caractéristique acquise au cours de leur vie.

L’épigénétique présente l’avantage d’être destinée à changer la donne du


déterminisme imposé par le génome. En effet, l'épigénome est impliqué dans la
régulation de l'expression des gènes, le développement, la différenciation des tissus.
Contrairement au génome qui est statique dans un individu, l'épigénome peut être
modifié dynamiquement par les conditions environnementales. En cela, le
déterminisme génétique est amoindri. Le témoignage de Thomas Jenuwein,
chercheur à Vienne, illustre bien cette idée : « Le vieux débat ‘’ nature contre culture ’’,
‘’inné ou acquis ’’, pose la question suivante : dans quelle mesure la détermination
génétique et les signaux induits par l’environnement participent-ils au développement et
au profil personnel d’individus donnés ? Grâce à la recherche en épigénétique, nous
savons maintenant qu’il existe des mécanismes qui dépassent le cadre du déterminisme
génétique, et cela nous donne la liberté de vivre en tant que véritables individus. Les
jumeaux génétiquement identiques, qui peuvent développer différents profils de
maladies et avoir des projections de vie distinctes, en sont la meilleure illustration. Ainsi,
‘’nous représentons plus que la somme de nos gènes’’, et la recherche en épigénétique est
susceptible d’avoir des répercussions considérables sur les valeurs culturelles et éthiques
de notre société ‘’post-génomique.’’ »22 .

La science de l'épigénétique étudie l’influence de l'expression des gènes par notre


environnement à commencer par : notre alimentation, notre respiration, nos pensées,
notre mode de vie, y compris les médicaments et autres chimies que nous ingérons,
mais aussi les relations sociales et familiales. Des publications scientifiques majeures,
tirées de ces études, ont défini les liens moléculaires entre l'esprit et le corps. Depuis,
d'autres chercheurs ont produit de nombreux articles validant les études
précédentes. Le domaine présente un caractère révolutionnaire et une véritable
opportunité pour la recherche et la santé comme nous le montrent ces deux extraits
issus du témoignage de chercheurs dans le domaine.

21 PALDI Andràs. L’Epigénétique est-elle lamarckienne ? [en ligne]. Disponible sur :


http://www.diffusion.ens.fr/data/audio/2009_06_29_paldi.mp3. (Consulté le 27-02-2015).
22Epigenesys. L’épigén-éthique ? [en ligne]. Disponible sur : http://www.epigenesys.eu/fr/articles/en-bref/195-l-

epigen-ethique. (Consulté le 18-02-2015).


36
Selon Joël de Rosnay, docteur en sciences et président exécutif de Biotics
International :

« L’épigénétique est la plus grande découverte en biologie de ces cinq dernières


années. Les gènes et les caractères génétiques qui constituent l’ADN sont comme des
notes de musique sur une portée. Et l’épigénétique est la symphonie qui en découlera
grâce au talent du chef d’orchestre et de ses musiciens. En d'autres termes,
l’épigénétique est la modulation de l’expression de nos gènes en fonction de notre
comportement relatif à cinq éléments connectés constamment dans nos vies de tous les
jours :

- notre alimentation, ce que nous mangeons, notre façon de nous nourrir nous et les
centaines de milliers de milliards de microbes qui constituent en majeure partie
chacun de nous

- une activité physique appropriée

- notre façon personnelle de gérer le stress (nos pensées influent également sur
l'expression de nos gènes)

- le plaisir dans ce que nous faisons

- un réseau social, amical et familial qui nous rend heureux

Ces cinq éléments sont coordonnés dans un cadre global et si on joue d’eux sur de bons
accords et en synergie, on peut se maintenir en bonne santé, retrouver une santé
optimale, ainsi que vieillir moins vite. L’impact des facteurs génétiques, de ces cinq
éléments, modulant l'expression des gènes, oui, vous pouvez faire quelque chose pour
vous ! Quelle symphonie choisissez-vous de jouer ? L’épigénétique va définir la médecine
préventive de demain. »23.

Selon Azim Surani, chercheur en reproduction et développement à l’Université


de Cambridge :

« La recherche sur les cellules souches pourrait ouvrir la voie à la découverte de

23Mici Sans Frontières. Joël de Rosnay : Epigénétique.L’épigénétique ou l'influence de nos comportements sur notre
Santé sous-titré. Disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=XTyhB2QgjKg. (Consultéle 01-11-2014).

37
nouveaux agents thérapeutiques capables de guérir, voire même d’éviter certaines des
maladies humaines les plus débilitantes. C’est à la collectivité qu’il appartient de décider
si ces études sont justifiées puisqu’elles nécessitent de très jeunes embryons, tout au
moins actuellement, afin de pouvoir créer des cellules souches pour la recherche.
Devons-nous tourner le dos à cette chance unique, qui peut révolutionner le traitement
des maladies, y compris le cancer, ou au contraire aborder cette question avec
sensibilité en faisant appel à des lignes de conduite éthiques appropriées, établissant des
règles claires de façon à pouvoir avancer ? Les scientifiques n’ont pas toutes les réponses
mais sans poursuivre les recherches, nous ne saurons jamais quelles avancées médicales
sont possibles, parmi lesquelles certaines permettraient éventuellement de générer des
cellules souches directement à partir de cellules adultes, sans utiliser d’embryons. »24.

2.2. Quand la recherche mondiale s’empare du phénomène

Pour rendre compte de l’importance attribuée à l’épigénétique dans la recherche


pour la santé, nous pouvons balayer un bref historique des démarches de création
d’organismes pour la recherche en épigénétique, depuis les années 2000, suite au
projet du génome humain et du séquençage complet de l’ADN humain.

Déjà en Octobre 2000, avant même la publication du séquençage du génome


humain, le Consortium de l'épigénome humain qui rassemblait l'Institut Sanger de
Hinxton (RU), l’Epigenomics AG de Berlin (Allemagne), et le Centre national de
Génotypage de Evry (France), avait lancé un projet pilote européen financé par
l'Union européenne. Le but était de cartographier l’épigénome c’est-à-dire les sites de
méthylation d’une région spécifique de sept tissus humains différents25.

Ensuite, en 2003, l’institut public Sanger, et l’entreprise privée Epigenomics AG


ont lancé le Human Epigenome Project (HEP). Ce dernier consiste à cartographier
l’épigénome du génome humain complet en analysant les 30 000 gènes humains dans
environ deux cents échantillons. Le HEP est toujours en cours et constitue un
prolongement logique du Projet du Génome Humain (HGP). En effet, le HGP nous a

24
Epigenesys. L’épigén-éthique ? [en ligne]. Disponible sur : http://www.epigenesys.eu/fr/articles/en-bref/195-l-
epigen-ethique. (Consulté le 18-02-2015).
25NCBI.HumanEpigenome Project-Up and Running [enligne].Disponible sur :
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC300691/. (Consulté le 20-02-2015).
38
fourni la séquence d'ADN du génome humain et la HEP cherche à identifier et
catégoriser les forces qui agissent « sur » l'ADN26.

La Commission européenne a financé la création du Réseau d’Excellence


Épigénome (Epigenome Network of Excellence ou NoE). Le contrat destiné à établir
ce réseau a été signé par un consortium de vingt-cinq groupes de recherche parmi les
plus avancés sur l’épigénétique et issus de six pays européen. Ce réseau, créé en juin
2004 et lancé officiellement le 24 septembre 2004, est coordonné par Thomas
Jenuwein (Research institute of molecular pathology, Vienne) et co-coordonné par
des membres de deux institutions françaises : Geneviève Almouzni de l’Institut Curie
et Philippe Avnerde l’Institut Pasteur. Ce consortium a négocié avec succès lors du
sixième programme-cadre (6e PC) de l'Union Européenne (UE) et a bénéficié d’une
subvention de 12,5 milliards d’euros. Depuis, des membres supplémentaires ont
rejoint le réseau, qui comptait en 2008 quatre-vingt-un groupes de recherche. A long
terme, le but est d’élaborer un cadre puissant qui puisse faire s’exprimer les synergies
existantes dans la recherche et faire de l’épigénétique une thématique de recherche
de premier plan. Le réseau constitue une force mondiale assuré par son expertise et le
soutien international via un conseil scientifique composé de D. Allis (New York), S.
Elgin (St. Louis), P. Jones (Los Angeles), R. Martienssen (CSHL), V. Pirrotta (New
Jersey), J. Rine (Berkeley), et C. Wu (NIH)27.

En parallèle aux Etats Unis, le National Institutes of Health (NIH), un des membres
du conseil scientifique de soutien du NoE cité plus haut, a lui aussi investi dans la
recherche en épigénétique et a lancé le programme Epigenomics NIH Roadmap qui a
pour objectif la cartographie de l’épigénome de plus de cent types cellulaire28.

Enfin, dix ans après le séquençage complet de l’ADN, plusieurs pays collaborent au
niveau international et forment l’International Human Epigenome Consortium
(IHEP). Dix milliards de dollars ont été attribués par chacune des sept institutions
membres dont la Commission européenne et le NIH des Etats Unis décrit plus haut
font partie. L’objectif visé est de cartographier mille épigénomes de référence dans les

26HEP. HumanEpigenome Project [en ligne]. Disponible sur : http://www.epigenome.org.(Consulté le 20-02-2015).


27EpigenomeNoE’s.What is the EpigenomeNoE ?[en ligne].Disponible sur : http ://www.epigenome-
noe.net/aboutus/about.php.html. (Consulté le 20-02-2015).
28ROADMAP epigenomics PROJECT.NIH Roadmap Epigenomics Mapping Consortium [enligne].Disponible sur :

http://www.roadmapepigenomics.org/. (Consulté le 20-02-2015).


39
sept à dix prochaines années. Un épigénome de référence est issu d’un seul être
humain pour ne pas chevaucher les données. Il s’agit de produire des cartes de
référence d’épigénome selon des stades cellulaires spécifiques à un état de santé ou
une maladie29.

Néanmoins, dans l’état actuel de la recherche, deux visions se distinguent voire


s’opposent vis-à-vis des applications possibles de l’épigénétique et vis-à-vis de la
possibilité de trouver un code épigénétique. En témoigne Andràs Paldi, biologiste,
généticien, spécialiste d'épigénétique au laboratoire Généthon d'Évey. Il est
également directeur d'études à l'École pratique des hautes études (EPHE), section
Sciences de la vie et de la Terre. La sociologie de la science nous invite à regarder les
controverses et à s’intéresser aux consensus pour ainsi voir où se situent les lignes de
fracture.

Andràs Paldi rappelle que l’épigénome est le résultat de modifications combinées.


Tout comme l’ADN est pourvu d’un code génétique, l’épigénome a aussi été assimilé à
un code. Un code est par définition stable, il ne change jamais. Or,les marques
épigénétiques sont réversibles et changeantes. Avec ces deux informations il est
difficile d’expliquer comment les marques épigénétiques peuvent programmer les
cellules. Selon le professeur, il y a bien contradiction. Cette contradiction n’a pas
échappé à certains qui ont contesté les dépenses financières lancées dans ce projet
voué à l’échec. Selon ces derniers, rien de nouveau ne va sortir, car il est déjà connu
qu’une corrélation existe entre le génome et l’épigénome et que les modifications
épigénétiques sont réversibles. Pourtant, la majorité des acteurs dans le domaine
adhèrent au premier programme, « peut-être parce qu’il y a plus d’argent » avance
Andràs Paldi30.

Il va plus loin et pose la question de savoir si l’épigénétique possède réellement le


potentiel de renouveler les concepts actuels autour de la génétique ou bien si elle
contribue au paradigme déterministe de la génétique selon lequel tout est déterminé
par les gènes. Les résultats montrent déjà que le système fonctionne comme un
réseau de signalisation, avec des réactions qui coopèrent entre elles. Le réseau, très

29 IHEC. NIH ROADMAP scientists map epigenome of more than 1000 tissue and cell types in Nature
[enligne].Disponible sur : http://ihec-epigenomes.org/news-events/nih-roadmap-papers/. (Consulté le 20-02-
2015).
30 PALDI Andràs. L’hérédité au-delà des gènes. La Recherche, l’actualité des sciences, avril 2012, n° 463,p.40.

40
dynamique, fonctionne comme un système à bascule. Une petite modification ne va
pas beaucoup influencer l’équilibre et le système reviendra à son équilibre, au
contraire un grand changement peut renverser la balance. C’est ce caractère
coopératif du système qui est responsable de la stabilité de l’épigénétique mais aussi
de son instabilité. Ce constat peut amener à un concept nouveau : c’est la dynamique
du système et son mode de fonctionnement qui est transmis et non un caractère. En
revanche, les résultats montrent bien qu’il y a un lien entre la nutrition et les
mécanismes épigénétiques. En effet, le mécanisme responsable des modifications
épigénétiques utilisent des molécules dont les substrats sont issus du métabolisme
carbonique soit le métabolisme énergétique qui opère lors de la digestion31.

Ainsi, même si un consensus au sein de la communauté scientifique semble faire


prédominer l’épigénétique dans la biologie, le débat scientifique existe. Des
chercheurs tels que le chercheur français Jean-Jacques Kupiec, biologiste moléculaire
et épistémologue à l’Ecole normale supérieure de Paris, recherche des pistes
alternatives à la théorie qui considère l’épigénétique comme pièce manquante du
puzzle génétique : « L’épigénétique est une théorie ad hoc qu’on a ajoutée à la
génétique pour combler des failles qui demeurent inexpliquées et faire tenir la théorie
synthétique de l’évolution qui est dépassée. »32. Par ailleurs, alors que ces controverses
demeurent non résolues, des tests nutrigénomiques et épigénétiques sont déjà
commercialisés et même en vente libre sur Internet.

2.3. Les tests génétiques

Face à l’intérêt croissant du public pour la nutrigénomique, plusieurs sites


Internet, américains pour la plupart, proposent la vente de tests génétiques et même
de conseils nutritionnels, en échange de l’envoi de quelques centaines de dollars, d’un
échantillon de salive, et d’un questionnaire sur les habitudes alimentaires et de vie.

Les tests génétiques englobent toutes techniques visant l’analyse de l’ADN humain,
de l’ARN, ou de la protéine. Ils sont utilisés au niveau clinique pour la détection de

31PALDI Andràs. L’Epigénétique est-elle lamarckienne ? [en ligne]. Disponible sur :


http://www.diffusion.ens.fr/data/audio/2009_06_29_paldi.mp3. (Consulté le 27-02-2015).
32 BRILLAUD Rafaëlle. Ce que devient la théorie de l’évolution. La Recherche. L’actualité des sciences, 1er avril 2012,

n° 463, p. 52.
41
maladies associées aux gènes, et dans le cas non clinique des tests de paternité ou liés
à la criminalistique. Les premiers tests génétiques étaient destinés à la détection des
maladies dues aux anomalies chromosomiques comme dans le cas de la trisomie 21.
Néanmoins, cela fait quelques années que de nombreux autres tests apparaissent. Ces
derniers sont désormais capables de détecter une maladie chronique ou encore une
tumeur cancéreuse33. Par ailleurs, des tests épigénétiques sont déjà commercialisés
en dépit de l’état de la recherche qui est encore en cours et en dépit de la controverse
que nous avons cité plus haut. Epigenomics AG, une société qui développe et
commercialise des outils qui utilisent la biologie moléculaire pour dépister le cancer
propose déjà deux tests fondés sur l’épigénétique. L’un d’eux se nomme Epi proColon,
c’est un test sanguin qui vise la détection précoce du cancer colorectal. L’autre, se
nomme Epi proLung et c’est un test dit de confirmation afin d’aider au diagnostic du
cancer du poumon. L’entreprise prétend avoir pour objectif de répondre aux besoins
non satisfaits dans le dépistage du cancer, le diagnostic mais aussi la gestion des
patients34. C’est aussi cette entreprise privée qui a lancé le Human Epigenome Project
dont nous avons parlé plus haut et qui vise à cartographier l’épigénome humain. A
une heure où l’étude n’est pas encore achevée, on peut se poser la question de
l’intérêt de commercialiser des tests fondés sur l’épigénome de l’individu.

Valider et standardiser les tests génétiques devient une urgence, alors même que
la recherche avance encore. D’autres risques, spécifiquement liés aux sciences de la
génétique, peuvent déjà se trouver dans des recommandations erronées à cause d’un
manque d’information sur l’individu et de l’omission ou de la négligence d’autres
facteurs importants.

Au vu des applications de l’épigénétique envisagées à travers la nutrition


personnalisée et la vente de tests génétiques, il semblerait que l’on vise une
amélioration de la santé individuelle. Or, cette approche individualisée et préventive
est destinée à répondre aux problématiques de la santé publique. En vérité, la
personnalisation du régime alimentaire ne concernera certainement pas un individu
unique mais une catégorie de personnes avec des caractéristiques communes. Le

33NIH. Regulation of genetics tests [enligne]. Disponible sur : http://www.genome.gov/10002335. (Consulté le 16-
02-2015).
34Epigenomics. Diagnostics products [en ligne]. Disponible sur :http://www.epigenomics.com/en/products-

services.html. (Consulté le 20-02-2015).


42
champ disciplinaire de l’épigénétique est prometteur et fait justement l’objet de
recherche d’un programme actuel de santé publique qui s’intitule : les « 1000
jours »35.

3. Les mille premiers jours de vie : une période clé et un programme de


recherche mondial

3.1. Les « 1000 jours » : qu’est-ce que c’est ?

Les mille premiers jours de vie correspondent, comme son nom l’indique, à une
période de vie. Elle débute à la conception du fœtus jusqu’aux deux ans de l’enfant.
Elle représente une fenêtre d’opportunité pour optimiser la nutrition de la femme
enceinte et ainsi agir sur la santé future de l’enfant36.

Le concept de « programmation précoce » est à l’origine des découvertes réalisées


sur la fenêtre d’opportunité qu’offrent les mille premiers jours de vie. C’est dans les
années 1980 que la programmation précoce est mise en évidence par David Barker,
un épidémiologiste anglo-saxon. En effet, il met à jour un constat qui, comme toutes
découvertes inattendues et révolutionnaires, n’est pas prise au sérieux. Il découvre un
qu’un petit poids de naissance du à une sous-nutrition augmente le risque d’infarctus
du myocarde à l’âge adulte. Depuis, plusieurs organisations internationales effectuent
une recherche sur le lien entre la malnutrition (sur ou sous-nutrition) lors de la
grossesse et le développement de maladies, du statut corporel, mais aussi du
développement mental, moteur et social de l’enfant37.

L’initiative du programme de recherche « 1000 jours » (thousand days) a été


lancée par l’OMS pour répondre à l’explosion de l’ensemble des maladies chroniques,
pour lesquelles des relations avec l’environnement précoce ont été démontrées. Cette
initiative est suivie par la SF-DOHAD, ou la Société Francophone pour la recherche et

35 et 36
ThousandDays. ABOUT 1,000 DAYS [en ligne]. Disponible sur : http://www.thousanddays.org. (Consulté le
28-11-2014).

SF-DOHaD, JUNIEN Claudine. L’initiative des 1000 jours de l’OMS et l’origine développementale de la santé et des
37

maladies (DOHaD) [en ligne]. Disponible sur : http://www.sf-dohad.fr/. (Consulté le 15-01-2015).


43
l’éducation sur les Origines Développementales, Environnementales et Epigénétiques
de la Santé et des Maladies. Elle est en étroite relation avec la DOHAD
(Developmental Origins of Health and Disease), la société internationale de
Développement des Origines de la Santé et de la Maladie qui a été mise en place pour
promouvoir la recherche sur les origines fœtales et de développement de la maladie.
Elle implique des scientifiques de nombreux milieux. La SF-DOHAD, créé le 24 janvier
2012, est une ONG (Organisation non gouvernementale) sous forme d’association (loi
1901), totalement indépendante et fondée par neufs membres : des scientifiques des
sciences fondamentales et cliniques de disciplines variées qui ont toutes en commun
l’apport d’une expertise en rapport à la DOHAD38.

3.2. Les mille premiers jours de vie : mécanismes épigénétiques

La période de développement qui se déroule depuis la conception et jusqu’aux


deux ans de l’enfant est unique au niveau physiologique et physique. Le patrimoine
génétique issu des deux parents y participe mais le fœtus est, à ce stade, aussi très
sensible à son environnement. Des études ont démontré la sensibilité particulière de
cette période aux stimuli de l’environnement39. Sensibilité qui peut avoir une
influence sur l’expression des gènes et peut conduire au développement de certaines
maladies chroniques multifactorielles telles que l’obésité, le diabète, et
l’hypertension. Un des déterminants majeurs qui influence la santé de l’enfant et des
générations futures est l’alimentation « précoce », c’est-à-dire celle qui a lieu durant
les mille premiers jours de vie.

En cela, les « 1000 jours » représentent une fenêtre d’opportunité à saisir au


niveau préventif. Selon la SF-DOHaD, la période de sensibilité aurait récemment été
rallongée à l‘adolescence mais le programme reste centré sur les mille premiers jours.

En France, la SF-DOHaD, présidée par Claudine Junien, cherche à progresser dans :

- la compréhension des mécanismes épigénétiques liant le développement


précoce et la santé future de l’individu ;

38 SF-DOHaD, JUNIEN Claudine. L’initiative des 1000 jours de l’OMS et l’origine développementale de la santé et des
maladies (DOHaD) [en ligne]. Disponible sur : http://www.sf-dohad.fr/. (Consulté le 15-01-2015).
39 SCHEEN A.J. et JUNIEN C. Epigénétique, interface entre environnement et gènes. Rev Med Liège, 2012, p. 67.

44
- l’identification des fenêtres de sensibilité, très différentes d’une substance ou
d’un stress à l’autre ;

- la recherche de marqueurs fiables des situations les plus à risque ;

- les meilleures approches préventives et thérapeutiques.

L’épigénétique et l’avancée des découvertes qui en découlent sont encore à


approfondir mais elles permettraient d’agir à tous les âges de la vie. En septembre
2012, l’Institut de Recherche en Santé Publique publie « Question de santé publique
n° 18 », un article sur l’épigénétique et la SF-DOHaD. L’article40 montre à quels
niveaux préventifs les progrès dans le domaine permettraient d’agir. Trois niveaux
préventifs distincts sont alors présentés. Tout d’abord, une action préventive dite
primaire est possible. La protection maternelle et infantile (PMI) pourrait élargir son
champ d’action. Elle pourrait intégrer les femmes enceintes et celles en âge de
procréer dans ses messages de prévention. Ensuite, une action dite secondaire peut
œuvrer au niveau du recueil de l’histoire précoce des personnes les plus à risque afin
de dépister les stades infracliniques des maladies chroniques, c’est-à-dire des stades
symptomatiques qui ne se manifestent pas cliniquement mais décelables par l’analyse
biologique. Enfin, un troisième niveau préventif dit tertiaire occuperait la même tâche
que la prévention secondaire mais sur des malades déclarés à partir desquels on
pourrait aussi recueillir l’histoire précoce. C’est une nouvelle approche de la santé
publique qui pourrait alors être envisagée. Pour illustrer cette vision, l’exemple du
diabète est cité. En effet, son pronostic diffère chez une personne ayant souffert de
malnutrition dans l’enfance et chez une personne qui au contraire aura développé
une obésité précoce et étant née d’une mère diabétique.

Pour conclure cette partie, face au nombre croissant des maladies chroniques
liées à l’alimentation en France et dans le monde, l’épigénétique rendrait possible la
reprogrammation des génomes sans en modifier la séquence et ce, en utilisant
simplement l’environnement. Les aliments font partie de cet environnement et en
sont même la première composante que nous ingérons directement en nous. C’est
aussi la composante sur laquelle chacun pourrait agir.

40IRESP. Les origines développementales de la santé (DOHaD) et l’épigénétique, 2012, 4 p. [en ligne]. Disponible
sur : http://www.iresp.net/iresp/files/2013/04/120925150459_qspn-18-dohad.pdf. (Consulté le 20-02-2015).
45
Nous l’avons vu, des controverses demeurent encore sur le potentiel de cette
science, et les recherches doivent encore avancer. Quoiqu’il en soit, des tests
génétiques sont déjà disponibles dans le commerce et sont suivis de conseils
nutritionnels.

Notre travail de recherche bibliographique nous a, pour l’instant, permis de


constater que l’avenir de l’épigénétique serait envisagé vers une nutrition humaine
potentiellement personnalisée et vers une prévention des maladies chroniques à trois
niveaux d’action distincts dits primaires, secondaires et tertiaires.

Plus spécifiquement, notre cadre d’investigation constitué par la SF-DOHaD et


son programme de recherche de santé publique nous ont dirigés vers une période
particulièrement sensible aux marquages épigénétiques : les mille premiers jours de
vie. Cette dernière particularité nous amènerait à la prévention nutritionnelle
précoce. La nutrition précoce disposerait donc d’une fenêtre d’intervention
privilégiée pour aider au bon développement de l’organisme et agir sur la santé de
l’enfant, de l’adulte à venir et des générations futures.

Néanmoins, quand apparaît une nouvelle technologie, la société doit veiller à ce


qu’elle ne soit pas utilisée à mauvais escient, surtout lorsqu’il s’agit de technologies
puissantes capables d’impacter considérablement sur son fonctionnement. La mise en
application des recherches et des découvertes nutrigénomiques et épigénétiques,
ainsi que l’adaptation de l’activité des praticiens qui s’impose, ne pourraient pas avoir
lieu sans conséquences sur la société actuelle. Elles nécessiteraient de prendre en
compte leurs éventuelles répercussions éthiques, sociétales, économiques et
politiques. On peut alors se demander quels seraient les enjeux sociétaux et éthiques
qui composent avec l’application de l’épigénétique dans la prévention des maladies
chroniques et la prévention nutritionnelle précoce. Cette question sera approfondie
dans notre deuxième partie, par la poursuite de notre travail bibliographique, la
passation d’entretiens exploratoires auprès d’experts, et aboutira sur l’élaboration
d’hypothèses.

46
PARTIE 2 – LES ENJEUX ETHIQUES ET SOCIETAUX
SOULEVES PAR L’EPIGENETIQUE

47
« Agis de telle façon que les effets de ton action soient
compatibles avec la permanence d’une vie
authentiquement humaine sur terre. »

(Hans Jonas, Le principe responsabilité.)

48
Le potentiel de l’épigénétique dans l’enrayement des maladies chroniques liées à
l’alimentation, s‘il est confirmé par la recherche, prendrait son essor dans la
prévention et la nutrition précoce personnalisée. Dans cette partie, nous tenterons
d’avancer des réponses sur la question des enjeux éthiques, sociétaux et sociaux qui
accompagnent l’épigénétique dans ce contexte. Nous commencerons par aborder les
problématiques éthiques et sociétales liées au phénomène de généticisation, à la
confidentialité des informations génétiques et aux tests génétiques. Nous
continuerons avec les problématiques sociales et politiques soulevées par
l’individualisation de l’alimentation et par la responsabilisation et la culpabilisation
qui vont de pair avec la nutrition personnalisée que proposerait l’épigénétique. Pour
finir, nous émettrons des hypothèses sur la question des enjeux de société soulevés
par cette science dans un contexte de prévention nutritionnelle. Des entretiens
exploratoires viendront appuyer nos recherches bibliographiques.

Dans un souci de clarté, il est important de préciser que les informations qui vont
suivre ne concernent pas uniquement l’épigénétique mais plus généralement la
nutrigénomique dont l’épigénétique fait partie. En effet, la plupart des données se
rapportent à la nutrigénomique dans sa totalité. Par ailleurs, un programme de
recherche sur les implications législatives, sociales et éthiques de la génétique, ESLI
(Ethical, Legal and Social Implications)41, a été créé aux Etats-Unis en 1990 au sein de
l’institut national de recherche sur le génome humain (NHGRI : National Human
Genome Research Institute's). Il faisait partie intégrante du projet du génome humain
(HGP). Son but est de favoriser la recherche fondamentale et appliquée sur les
implications éthiques, juridiques et sociales de la recherche génétique et génomique
pour les individus, les familles et les communautés. Le programme gère les études et
soutient des ateliers, des consortiums de recherche et des conférences sur les
politiques liées à ce thème. Cette institution va nous servir de référence pour aborder
les questions éthiques, sociétales et sociales que soulève l’épigénétique, en particulier
dans le cadre des mille premiers jours de vie.

41
NIH. ElsiResearch Program [en ligne]. Disponible sur : http://www.genome.gov/elsi/. (Consulté le 20-02-2015).
49
Chapitre 1 : Questions éthiques, sociétales et
sociales soulevées par l’émergence de
l’épigénétique

Les nouvelles connaissances apportées par l’épigénétique sont en lien avec la


génétique et les technologies de clonage ainsi qu’avec l’application de thérapies
fondées sur les cellules souches, des thématiques de recherche faisant déjà l’objet de
controverses éthiques importantes.

1. Problématiques éthiques et sociétales

1.1. Le phénomène de généticisation

Toute science liée à la génétique pose la question du phénomène de


généticisation. Ce propos est confirmé par notre entretien exploratoire avec Monsieur
A, un sociologue spécialisé dans les changements alimentaires et notamment dans la
génomique nutritionnelle (Cf. Annexe A). Le terme « généticisation » désigne la
survalorisation du caractère prédictif des facteurs génétiques par rapport aux
facteurs socio-économiques sur la santé et la réussite sociale (Rouvroy, 2008, p. 111).
Le déterminisme de la génétique sur la santé et la réussite sociale renforce les
inégalités sociales et peut amener les banques et assurances à adapter leurs tarifs en
fonction du patrimoine génétique (voir plus loin). L’alimentation de l’individu
adaptée pour optimiser son épigénome redonne une actualité à l’eugénisme.
L’eugénisme se définissait comme la « science de l’amélioration des lignées
[humaines] permettant de conférer aux races et aux souches les plus convenables une
plus grande chance de prévaloir rapidement sur celles qui ne le sont pas »42. Au XXème

42 La Recherche. L’actualité des sciences. Eugénisme [en ligne]. Disponible sur :


http://www.larecherche.fr/ressources/mot-du-jour/eugenisme-16-02-2009-68410. (Consulté le 20-02-2015).
50
siècle, aux Etats-Unis et en Scandinavie, on stérilisait légalement les criminels et les
malades mentaux, en Allemagne on les exécutait. On contrôlait par ce biais la
reproduction et la lignée humaine. Puis les progrès génétiques ont montré la
présence de gènes délétères chez tous les individus. L’eugénisme n’est plus
applicable. Néanmoins, aujourd’hui, le fait de peut-être pouvoir influencer
l’épigénome par l’alimentation en vue d’améliorer la santé génération après
génération rappelle le but de l’eugénisme et présente le risque de faire réapparaître
cette science avec toutes les conséquences éthiques qu’elle représente.

Enfin, le déterminisme de la génétique sur la santé pousse les gens à penser


que tout peut se régler grâce à cette science. Comme nous l’a constaté Madame C, une
nutritionniste du CHU spécialisée dans les grossesses : « Maintenant tout le monde
pense à la thérapie génique. Mais c’est vrai qu’il y a une espèce de fatalité génétique qui
peut faire baisser les bras et en même temps la toute-puissance de la génétique, je ne
sais pas ce qu’il faut en penser, mais les patients l’exprime en consultation. » (Cf.
Annexe B). Elle précise que du fait, le danger ce sont les patients qui se découragent
très vite, ou qui comptent sur la science pour soigner leurs gènes. Ils sont dans
l’attente qu’on leur trouve une solution et aggrave leur état de santé pendant ce
temps. On peut penser que pour l’épigénétique c’est différent. Elle se fonde justement
sur l’interaction entre environnement et expression des gènes, et dépend donc de
notre comportement. On ne propose pas d’agir sur les gènes. Ceci amoindri le
phénomène de généticisation. D’autant plus que le réductionnisme génétique dont la
généticisation est issue est surtout dû à la négation du rôle des facteurs
environnementaux dans la réalisation du phénotype.

1.2. La Confidentialité des informations

L’utilisation de données génétiques pose la question de leur accès, de leur


diffusion et donc de leur confidentialité auprès d’institutions telles que les banques et
les assurances. Elle questionne aussi la gestion des biobanques comme l’a souligné
Monsieur A en entretien.

51
1.2.1. La discrimination sociale

Dès les années 1980, on prend conscience que détenir des informations génétiques
d’une personne peut représenter un risque de la discriminer dans de multiples
domaines comme l’emploi, l’accès aux soins et la couverture sociale d’assurance. Il a
alors été question de privatiser les données génétiques. Avec la nutrition
personnalisée envisagée par l’épigénétique et la nutrigénomique, le débat sur les
applications de la génétique fera apparaître de nouvelles questions. Par exemple, on
peut facilement imaginer que des assureurs soient friands de connaître les
prédispositions génétiques et épigénétiques de leurs clients et ainsi de proposer des
contrats d’assurance maladie ou d’assurance vie en fonction, ce qui serait révoltant.
Le cadre législatif dans lequel va évoluer l’épigénétique doit être bien posé. Il est à
noter comme la mise en application de telles mesures sous forme de lois peut prendre
énormément de temps. Aux Etats-Unis, une loi protège les américains de toute forme
de discrimination génétique dans le domaine de l’emploi et des assurances maladies.
Il s’agit de la loi GINA (Genetic Information Non discrimination Act of 2007)43 en
vigueur depuis mai 2009. Elle a nécessité treize ans de débats au Congrès. De même,
en Europe, un texte a été adopté en novembre 2008 sous la forme d’un Protocole
additionnel à la convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, relatifs aux tests
génétiques à des fins médicales44. Le texte protège toute personne d’être discriminée
selon son patrimoine génétique, et définit les directives quant à la divulgation des
données et aux conditions liées aux tests de dépistage.

Par ailleurs, les tests génétiques en nutrigénomique risquent de faire place à des
situations nouvelles et donc à des questionnements nouveaux. Par exemple, la
détection d’un caractère épigénétique ou génétique qui favoriserait le développement
d’une maladie liée à la nutrition posera de nouvelles questions aux professionnels de
santé du fait de sa transmission possible entre générations. Le médecin sera
confronté au problème de divulgation ou non de cette information aux autres
membres de la famille susceptibles de posséder le même génotype et les mêmes
marques épigénétiques. Il faudra se demander où se situe la priorité entre

43Genetics Home Reference.The Genetic Information NondiscriminationAct (GINA) [en ligne]. Disponible sur
:http://ghr.nlm.nih.gov/spotlight=thegeneticinformationnondiscriminationactgina. (Consulté le 20-02-2015).
44Conseil de l’Europe. Protocole additionnel à la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine relatif aux

tests génétiques à des fins médicales, 2008, 1 p. [en ligne]. Disponible sur :
http://conventions.coe.int/treaty/fr/treaties/html/203.htm. (Consulté le 20-02-2015).
52
confidentialité des données et assistance à personne potentiellement en danger. A ce
propos, le protocole additionnel européen cité plus haut prévoit et insiste sur
l’importance de prendre en charge la sensibilisation de la personne testée, et
d’informer ou non de manière systématique un membre de la famille. Il encourage
aussi à proposer des procédures alternatives qui n’impliqueraient pas la personne
réticente. Le choix de ces procédures est à déterminer par chaque Etat de l’Union
Européenne. Il est à préciser que cette réglementation ne s’applique qu’aux tests
génétiques à des fins médicales et non pour la recherche.

1.2.2. La gestion des biobanques

Les biobanques désignent une banque qui répertorie l’ensemble du matériel


biologique (sang, ADN, tissus, etc.) utilisé dans la conduite d’une étude, associé à des
données concernant l’état de santé ou les habitudes de vie des différents donneurs
(Wahli et al., 2011, p.181). La recherche en nutrigénomique et en épigénétique
nécessite la collecte de tissus pour obtenir les données, l’utilisation de tests
génétiques pour traiter ces données, le développement de biobanques et une
conduite adéquate d’études de populations. Les conditions dans lesquelles se
déroulent les études de populations doivent être réglementées pour informer les
volontaires, obtenir leur consentement, divulguer les tests et inclure les enfants dans
les études. En effet, la fenêtre d’opportunité majeure se situant dans les deux
premières années de vies, ce dernier point est très sensible. Les chercheurs dans la
conduite des études en nutrigénomique humaine sont soumis aux directives émises
par l’Organisation européenne de nutrigénomique NuGO (NutriGenomics
Organisation)45 qui se fonde sur des documents officiels ayant bénéficié d’un accord
international ou soumis à discussion au sein de groupes d’experts. Ces directives sont
aussi relatives à la propriété, au statut légal, à l’archivage, et au partage des
biobanques. Il faut noter que, malgré les lignes directives visant la sécurité et l’intérêt
des sujets d’étude ; à l’échelle internationale, la définition de l’anonymat de
l’échantillon n’est actuellement pas la même pour toutes les biobanques. En effet, le
nombre de codes de sécurité permettant de remonter à l’identité de l’échantillon
diffère entre les banques de données46.

45EuropeanNutrigenomicsOrganization (NuGO). The NuGO Bioethics Guidelines on Human Studies [enligne].


Disponible sur http://nugo.dife.de/bot/index.php. (Consulté le 20-02-2015).
46 OCDE. Lignes directrices de l’OCDE sur les biobanques et bases de données de recherche en génétique humaine,

2009, 57 p.[en ligne]. Disponible sur : http://www.oecd.org/dataoecd/41/1/44054924.pdf. (Consulté le 20-02-


2015).
53
1.2.3. Les tests génétiques, standardisation et validation

Comme nous avons pu le voir dans le chapitre précédent, des compagnies vendent
leurs services en analyse génétique et leurs conseils nutritionnels suite à l’envoi d’un
échantillon de salive comportant l’ADN. A ce jour, une grande majorité des
consommateurs n’ont pas connaissance de l’existence de la nutrigénomique, encore
moins de l’épigénétique et des tests qui en découlent comme en témoignent deux
études. L’une, réalisée au Canada, montre que seulement 7% des personnes
interrogées ont déjà vu le terme « nutrigénomique » et que seulement 2 % ont
connaissance de l’existence de sociétés qui commercialisent des tests
nutrigénomiques. L’autre, réalisée aux Etats-Unis, montre que sur cinq-mille
personnes interrogées, 14% connaissent l’existence des tests et 0,6% en ont déjà
utilisé (Wahli et al., 2011, p.161). En France, Monsieur A avait organisé un focus group
afin d’entrevoir la perception des participants vis-à-vis de l’émergence de la
nutrigénétique et de l’épigénétique. A l’issue de cela, les avis sont partagés, des
personnes adhèrent et d’autres non. Avec l’avancée scientifique et l’intérêt croissant
du public, il est essentiel de mesurer les implications, les objectifs, les dangers et les
bénéfices de tests nutrigénomiques. Les bénéfices et les risques associés aux tests se
retrouvent dans quatre domaines (Wahli et al, 2011, p.162) :

- Les résultats : analyse valide, clinique, et divulgation à l’individu ;

- Les réactions émotionnelles de l’individu : anxiété, honte, désespoir,


soulagement, motivation ;

- Les réactions comportementales de l’individu : changement des habitudes de


vie, léthargie, attitude fataliste, interventions médicales à outrance ;

- Les questions sociales plus larges abordées plus haut : système de santé,
assurances, responsabilité individuelle ou sociale, questions de privatisation
des données et discrimination génétique.

En ce qui concerne la validation, il reste des éléments à vérifier avant de faire passer
les tests nutrigénomiques du domaine de la recherche en commerce. De même, sept
entreprises proposant la vente de tests nutrigénomiques ont récemment été évaluées
et il a été montré que les conseils prodigués en termes d’alimentation et de mode de
54
vie manquent de preuves scientifiques suffisantes. Il faut protéger les consommateurs
contre les entreprises à visée purement commerciale qui effectuent des tests
invalides. Que la recherche biomédicale collabore avec l’industrie reste essentielle et
souhaitable, mais les deux ne doivent pas dépendre trop fortement l’un de l’autre au
risque que les grandes sociétés minent l’intégrité scientifique et éthique.

Ainsi, il serait nécessaire de procéder à plusieurs types de validation :

- Validation analytique des tests nutrigénomique pour éviter les résultats


faussés ;

- Validation clinique des tests pour interpréter significativement les risques de


développer une maladie, et prodiguer des recommandations nutritionnelles
conformes ;

- Validation de l’utilité clinique c’est-à-dire établir un cadre et des mesures


préventives fonction des résultats ;

Par ailleurs, concernant les implications des tests nutrigénomiques, un autre point
s’impose. Il s’agit de la question de la place des médecins dans ce cadre, qui est l’un
des enjeux importants à ne pas négliger. En effet, l’accessibilité directe et libre sur
internet de tests prédictifs de l’état de santé d’un individu risquerait d’évincer le
corps médical. Une nouvelle relation va naître entre l’individu et la gestion de sa
santé, une relation qui ne tiendrait pas compte des médecins puisque l’avis ou la
prescription médicale ne sont pas nécessaires lors de la procuration de ces tests. De
même, les compagnies commercialisant ces produits, fournissent aussi les
recommandations nutritionnelles en réponse et ce, sans solliciter le corps médical. Il
est probable que ces problématiques bioéthiques que nous venons d’évoquer
trouveront un cadre dans lequel se réguler, mais l’épigénétique dirigée vers la
prévention nutritionnelle soulève une problématique plus complexe car plus humaine
qui sont celles liées à l’accessibilité à la nutrigénomique et à la modification de notre
rapport à la nourriture.

55
2. Problématiques sociales

2.1. Responsabilité et culpabilisation

L’épigénétique est dépendante de l’environnement et se transmet aux générations


suivantes. Il en résulte donc un phénomène de responsabilisation entre générations
et un risque de sur-responsabilisation et culpabilisation des parents.

Tout d’abord, encore plus qu’en médecine, la nutrigénomique compte sur


l’observance des patients pour fonctionner (Ronteltap A. et al inWahli, 2011, p166).
L’observance exprime le respect par le patient des recommandations nutritionnelles
ou médicamenteuses données par un professionnel de la santé (dose, fréquence,
heure de prise) (Wahli et al, 2011, p.188). En nutrigénénomique, l’observance doit
opérer dans la vie de tous les jours et devra peut-être durer toute la vie si on prend en
compte le caractère instable des marques épigénétiques. Les mille premiers jours de
vie, qui constituent la fenêtre d’opportunité pour agir sur l’épigénome,
demanderaient une observance encore plus forte. En effet, cette période de vie est
très sensible du fait du nombre important de phénomènes épigénétiques qui se
déroulent lors de la phase de développement du fœtus et de l’enfant jusqu’à ses deux
ans. C’est le bon moment pour agir mais on peut aussi imaginer qu’un grand nombre
d’interférences puisse aussi avoir lieu. Ainsi le sentiment de responsabilité et de
culpabilisation associé à la non-observance serait d’autant plus important dans le
cadre d’une nutrition précoce personnalisée.

De plus, l’image que renvoient la femme enceinte et l’enfant de moins de deux ans
est celle d’êtres fragiles dont on doit prendre soin. Instinctivement, la femme
cherchera à protéger son enfant et le père à protéger la mère et l’enfant. On peut
penser que les règles visant à protéger la santé des êtres dont nous nous sentons
responsables sont d’autant plus culpabilisantes si elles ne sont pas respectées.

D’autant plus qu’ici, le rôle protecteur de la mère pour son enfant et du père pour
la mère et l’enfant sont des rôles attendus par la société. La responsabilité qui
pèserait sur les parents quant au respect des recommandations nutritionnelles serait
56
ainsi encore plus accentuée menant jusqu’à un sentiment de culpabilisation fort si la
règle n’est pas respectée.

Ce sentiment de culpabilité est renforcé par le fait qu’il est question d’un enfant
mais aussi de la santé des générations futures. L’autorité parentale, qui demande
notamment aux parents de l’enfant de veiller à sa santé et à sa sécurité, est une
opinion commune, véhiculée par la société et encadrée par des obligations légales qui
constituent les articles 371 et suivants du Code civil47. Ainsi, la responsabilité des
parents vis-à-vis de la santé de leur enfant est normée. Ces normes sont intériorisées
et partagées par les membres de la société française. Une norme ne peut pas exister
sans sanctions. Ces dernières sont nécessaires à la prospérité de la norme car elles la
cadrent et la matérialisent et ainsi lui permet d’exister. Le non-respect des lois
entrainent des sanctions juridiques. Ici, concernant la responsabilité des parents, on a
aussi à faire à une opinion commune assez forte au point que chacun se dise qu’il faut
faire quelque chose quand on voit un enfant en danger. L’individu, une fois parent ou
en devenir, fait face à ces normes intériorisées et s’applique alors lui-même des
sanctions d’ordre moral, telle que la culpabilité s’il n’a pas le sentiment de faire ce
qu’il faut. Or, la culpabilité exacerbée peut entraîner des états émotionnels instables,
voire dépressifs, ce qui n’est absolument pas le but de la santé publique.

La culpabilisation est indispensable à l’existence de la norme mais elle peut aussi


devenir névrotique lorsqu’on souffre pour rentrer dans la norme. Par exemple, un
obèse peut se sentir bloqué car il se sent hors norme mais il ne peut rien faire.
Néanmoins, pour qu’une norme existe, la sanction peut être positive en cas de
gratification symbolique telle qu’aider une personne âgée qui n’a pas assez d’argent
par exemple48. Ainsi, les parents devront jongler et trouver un équilibre entre
sentiment de gratification et culpabilité face au respect des recommandations
nutritionnelles rendues légitimes par les tests nutrigénomiques et l’épigénétique. Une
nutrition personnalisée de la femme enceinte serait d’autant plus normée que la
légitimation serait d’ordre scientifique. Cependant, encore faut-il qu’elle soit cadrée

47 Legifrance. Article 371-1. [en ligne]. Disponible sur :


http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000
006426468. (Consulté le 20-02-2015).
48 SERRA-MALLOL Christophe. Psychosociologie et communication. Cours de Master 1 Alimentation SSAA, ISTHIA,

Université Toulouse Jean Jaurès, 2014.


57
médicalement et par la santé publique pour être effectuée correctement et parfaire sa
légitimité.

Enfin, même si ce sont les deux parents qui transmettent leurs marques
épigénétiques et sont responsables de leur enfant, la mère endossera certainement
davantage la responsabilité de respecter les recommandations nutritionnelles. En
effet, durant la grossesse, la femme reste celle qui porte le fœtus, elle assure sa
fonction nourricière mais c’est aussi sur elle que le regard se pose lors de la
communication des recommandations prescrites en faveur de la santé de l’enfant. De
même, après l’accouchement, le nourrisson entretient un lien étroit nécessaire avec
sa mère. Si l’allaitement est choisi, ce qui sera surement recommandé par la
nutrigénomique, c’est encore la femme qui assure la fonction de nourricière. Ainsi, la
femme se sentirait donc plus responsable et responsabilisée par l’alimentation de son
enfant et ce, depuis le début de la grossesse. On peut donc penser que l’application de
l’épigénétique en nutrition personnalisée renforcerait le sentiment de culpabilisation
des parents vis-à-vis de la santé de leur enfant. Ce sentiment serait d’autant plus
présent chez la mère que chez le père. D’autant plus, qu’à l’heure actuelle, notre
entretien avec Madame C, nous montre que les femmes enceintes croulent déjà sous
les recommandations nutritionnelles contradictoires et culpabilisants qui font oublier
le plaisir de manger : « Il y a quand même beaucoup de messages qui peuvent être
culpabilisants et puis qui vont en sens contraire. Par exemple, au niveau de
l’alimentation, on a l’impression qu’elles ne peuvent plus rien manger, ce n’est quand
même pas évident. Par ce que si on fait gaffe sur les listérioses, la toxoplasmose, plus
tous les interdits – c’est vrai que si vous avez à votre table deux copines qui sont
enceintes vous pouvez plus rien leur faire à bouffer. Il n’y a même plus de plaisir : les
fromages vous pouvez pas (enfin ça dépend lesquels), c’est compliqué. »

2.2. Individualisation de l’alimentation et anxiété

L’application de l’épigénétique la plus envisageable étant la nutrition


personnalisée, elle rentre dans le mouvement de médicalisation de l’alimentation qui
accompagne la modernité alimentaire.

Pour reprendre la définition figurant dans le Dictionnaire des cultures alimentaires


rédigé sous la direction de Jean-Pierre Poulain, la médicalisation de l’alimentation
58
désigne généralement le processus par lequel cet acte de la vie quotidienne –
l’alimentation – est défini, décrit et pensé en termes médicaux. Visualiser un aliment
comme un ensemble de propriétés nutritionnelles entre dans ce processus. Les
raisons qui articulent les décisions alimentaires sont d’ordre médical. On peut citer
Ivan Illich qui avait fait la proposition d’un verre de cidre à une étudiante, à laquelle
elle avait répondu : « Non, merci, mes besoins en sucre ont été satisfaits pour la
journée ». La nourriture est, dans ce cas, associée à des molécules et à un nombre de
calories à ne pas dépasser. Le partage et le plaisir, pourtant valorisés dans la culture
française, ne font alors pas du tout écho dans la vision que l’étudiante a de l’acte
alimentaire. Pourtant, des travaux récents de Jean-Louis Flandrin (Poulain, 2008, p.
194) montrent qu’au cours des XVIIème et XVIIIème siècles, la remise en cause
scientifique de la diététique hippocratique, dont nous avons parlé dans le premier
chapitre de notre mémoire, induit que le goût devient le but principal de
l’alimentation française. C’est la naissance de la gastronomie française et de la culture
du goût.

Ainsi, des mouvements apparaissent et modifient nos rapports à l’alimentation.


C’est avec la modernité alimentaire que la médicalisation de l’alimentation est
apparue. Elle émerge dans le même temps que l’émancipation des femmes qui ont
beaucoup moins de temps pour cuisiner, l’évolution socio-économique des pays
développés, et l’industrialisation des produits alimentaires. C’est aussi le moment où
l'on observe une augmentation des maladies chroniques (diabète, obésité, maladies
cardio-vasculaires), et une multiplication des discours moralisateurs et diététiques
sur l’alimentation (Levenstein, 1993 in Poulain, 2012, p. 833-836). L’industrie
développe des aliments enrichis. La vente des vitamines, compléments alimentaires
et minéraux ne s’effectue plus que dans des endroits spécialisés type pharmacie mais
dans les grandes surfaces. Tout ceci participe au fait que les consommateurs associent
l’aliment à sa dimension de santé et ne visualisent plus très bien aujourd’hui la limite
entre aliment et médicament. Par ailleurs, l’industrialisation des produits
alimentaires augmente considérablement le choix alimentaire mais aussi, de fait,
l’anxiété qui accompagne les français face à une trop grande diversité de choix49. La
médicalisation de l’alimentation se traduit alors par le corps médical qui prend en

49TIBERE Laurence. Socio-anthropologie de l’alimentation. Cours de Master 1 Alimentation SSAA, ISTHIA,


Université Toulouse Jean Jaurès, 2014.
59
charge des personnes vivant dans un contexte pathologique et environnemental
spécifique comme c’est le cas du diabète par exemple. L’épigénétique, qui se dirigerait
sans doute vers une nutrition personnalisée, rentre tout à fait dans ce cadre et dans
tout ce qu’il implique, y compris au niveau du développement de produits spécifiques
par l’industrie alimentaire. Ces produits spécifiques pourraient prendre la forme de
pilules et ainsi éloigner encore plus le mangeur des aliments tels que nous les
connaissons depuis des générations mais aussi de la dimension « plaisir » des
aliments. Le plaisir gustatif, visuel et olfactif serait touché. Or, comme le précise Jean-
Pierre Poulain, la médicalisation de l’alimentation n’est problématique que si le côté
nutritionnel de l’aliment ne devient pas un aspect dominant par rapport à ces autres
spécificités telles que le goût, l’identité, la socialité (Poulain, 2008, p. 194).

Dans ce contexte, la nutrition personnalisée associée à l’individualisation de


l’alimentation devrait susciter des inquiétudes quant à la montée d’une pression
sociale lors du choix des aliments.

Tout d’abord, la société rendrait l’individu responsable de sa santé en le faisant


suivre des recommandations alimentaires. Si l’individu développe des maladies liées
à la nutrition, il sera suspecté de non-observance de ces recommandations. Les outils
nutrigénomiques risqueraient alors d’être utilisés dans le but de déplacer la
responsabilité de la santé de la société vers l’individu. Cette problématique peut être
illustrée par l’exemple d’une assurance maladie qui refuserait de prendre en charge
un traitement médical, parce qu’elle suspecte un non-respect évident des
recommandations nutritionnelles cliniquement prouvées être bénéfiques pour la
santé de l’assuré. Or, l’individu devra accepter et faire évoluer son comportement face
à la nourriture mais n’aura pas de moyen de se décharger de toutes responsabilités
en cas de consommation irrationnelle d’aliments.

De plus, un certain nombre d’enquêtes ont montré que le fait de déplacer les
décisions alimentaires au niveau de l’individu a pour effet, en France, d’augmenter la
demande en matière de conseils alimentaires (Poulain, 2008, p. 194). Or, les discours
nutritionnels diffusés à travers les médias sont souvent contradictoires et très denses
en informations, et donc impossible à assimiler dans leur totalité. Le mangeur se
trouve face à une « cacophonie alimentaire » et ne se retrouve plus parmi les
informations (Fischler, 1979, 1990, 1996 in Poulain, 2008 p. 195). De même,
60
concernant le corps médical, l’individu considère généralement que son médecin
généraliste le connaît bien et qu’il sera capable de lui fournir des réponses. Or, les
généralistes ne sont pas des spécialistes de la nutrition, même si leur cursus
universitaire compte plus de temps de formation en nutrition qu’auparavant.

Enfin, l’individu, en prenant ses décisions alimentaires de manière individuelle, ne


partage pas la responsabilité de sa décision avec les autres. Au sein d’une même
famille, chaque membre devra peut-être manger différemment selon son profil
épigénétique. L’anxiété qui accompagne déjà tout choix alimentaire en temps normal
risque de s’en trouver nettement augmentée. En effet, l’acte alimentaire est source
d’anxiété. Claude Fischler, sociologue spécialiste de l’alimentation et du risque
alimentaire, a développé le principe d’incorporation pour l’expliquer (Fischler, 2001,
p. 66-70). Malgré la banalité que constitue l’acte alimentaire, manger n’est pas
simplement ingérer des nutriments. Manger, c’est faire entrer en soi des éléments
extérieurs. « On devient ce que l’on mange » sur trois plans :

- objectif : via les acides aminés composant la nourriture et qui vont constituer
nos muscles et notre corps ;

- imaginaire : via les qualités symboliques de l’aliment projetées dans le


mangeur, comme la force du sang par exemple ;

- social : via l’intégration dans un groupe social par le partage d’un repas.

Pour aller plus loin, il est à noter que se nourrir constitue des risques à plusieurs
niveaux :

- objectif : avec le risque possible de maladie, de mort et de déplaisir constitué


par la nourriture ingérée ;

- social : avec les actes d’intégration et de commensalité dans un groupe social


qui partage le même repas ;

- symbolique : avec le risque de contamination par la nourriture proscrite par


l’éthique ou la religion ;

- identitaire : car si l’on ne sait pas ce que l’on mange on ne sait pas ce que l’on
incorpore et donc ce que nous devenons.
61
L’individualisation de l’alimentation s’éloigne de la commensalité, d’où le
renforcement du sentiment d’anxiété à ce niveau. En effet, la commensalité permet de
partager collectivement la décision alimentaire. La responsabilité associée s’en
trouve, elle aussi, partagée collectivement, et diminue les effets anxiogènes de l’acte
alimentaire. Lors de notre entretien exploratoire, Madame B, une sociologue
spécialisée dans l’alimentation enfantine, évoque l’hétéronomie, soit l’inverse de
l’autonomie. Dans le contexte de l’individualisation de l’alimentation, l’hétéronomie
traduit le fait que l’individu ne porte pas seul la responsabilité de son choix
alimentaire grâce à la commensalité. La commensalité porte la décision collective.
Ainsi, la perte de commensalité augmenterait le sentiment de responsabilité des
parents déjà submergés de devoirs et de recommandations. Néanmoins, concernant
les mille premiers jours, la femme enceinte et le tout petit ont déjà des alimentations
spécifiques. Individualiser la nutrition précoce serait donc moins difficile
qu’individualiser l’alimentation des populations déjà adultes. Toutefois, il demeure
que l’anxiété accompagnant l’acte alimentaire de la femme enceinte risquerait de ne
pas aller en diminuant.

Si la commensalité rime avec hétéronomie, l’individualisation de l’alimentation,


elle, rime avec autonomie. En effet, l’individualisation implique de faire des choix
individuels et donc une obligation d’autonomie si l’on veut que le choix soit bon.
L’autonomie relève de savoir faire le bon choix et donc d’avoir les bonnes
connaissances et d’être correctement informé. Aujourd’hui la perception de la qualité
des aliments par les mangeurs n’est plus certaine. Plus de 85% des produits
alimentaires ont subi au moins une transformation (Wahli et al., 2011, p. 170). Les
consommateurs de grandes surfaces ne savent plus ce qu’ils mangent. Aujourd’hui, la
distance créée entre l’industrie, principale productrice d’aliment, et les mangeurs, est
importante. Ajoutée aux crises alimentaires récentes comme celle de la vache folle,
cette distance a rompu la confiance entre mangeurs et aliments disponibles. Ce sont
les experts qui ont pour responsabilité de déterminer si un aliment est de qualité. Or,
les informations diffusées à ce sujet n’ont de cesse d’être modifiés. Si on prend
l’exemple du beurre, c’est un aliment simple de tous les jours qui a été critiqué puis
jugé utile et ce à maintes reprises en un siècle. Le constat est le même pour le pain
blanc, brun, entier, paysan, trois grains, six grains. Notre rapport à l’alimentation a
62
changé, et un individu qui souhaite faire attention à sa santé vit toujours en alerte,
dans un sentiment d’angoisse de ne pas savoir ce qu’il mange et s’il fait le bon choix.
Dans certains cas le sentiment de culpabilité qui en ressort est exacerbé et la
recherche d’une nourriture saine devient obsessionnelle. Les psychiatres et
nutritionnistes se retrouvent de plus en plus face à ce genre de pathologies
émergentes appelées orthorexie. Les orthorexiques sont obsédés par le fait de
manger sain. Ils se caractérisent par la planification incessante de ce qu’ils vont
manger et dans quelles conditions. En France, manger permet de se rassembler pour
partager un moment de convivialité. Les personnes atteintes d’orthorexie, vont avoir
tendance à s’isoler, le fait de manger, pour elles, nécessite une exclusion. En effet,
convaincus que leur régime alimentaire est la règle à suivre, ils supportent
difficilement de manger à table avec d’autres qui mangent différemment (Fischler,
2013, p.149-154).

L’épigénétique et la nutrigénomique étudie les interactions entre aliments,


génomes, épigénome et métabolismes. Elles peuvent apporter les preuves
scientifiques nécessaires pour mettre d’accord le corps médical au niveau des
recommandations alimentaires à apporter. Cependant, un individu bien informé ne
signifie pas un individu qui fera les bons choix pour sa santé. En effet, on pourrait
imaginer qu’un individu avisé fera des choix rationnels vers une alimentation
bénéfique pour sa santé. Dans le même sens, pouvoir déterminer son profil
épigénétique et en déduire le régime alimentaire adéquat représenterait une
approche bénéfique pour la santé de l’individu. Or, jusqu’à ce jour, la réussite des
campagnes visant à améliorer la santé et les habitudes de vie n’est pas satisfaisante.
Le bon sens entre en compétition avec nos propres goûts alimentaires, mais aussi
avec la nourriture de moindre qualité et de moindre coût disponible. Il est évident
que la question ne se résoudra pas en obligeant de choisir entre une alimentation
rationnelle recommandée pour la santé, et une alimentation épicurienne dictée par le
plaisir. Il s’agirait de rendre compatible le plaisir du partage, de la commensalité et du
« manger bien », avec le « bien manger » selon les préconisations faites en fonction de
notre génome, épigénome et des interactions nutritionnelles possibles. Pour que le
potentiel prometteur de l’épigénétique et de la nutrigénomique ne soit pas amoindri,
il faudra que les recommandations qui en découlent soient convaincantes et prises au
63
sérieux. Le danger serait de les assimiler aux autres conseils nutritionnels déjà
diffusés dans la presse et les magazines. On peut supposer qu’une responsabilisation
des médias soit nécessaire. En effet, il s’agira aussi de lancer des campagnes
préventives financées et politisées par le gouvernement en vue d’informer le public
notamment sur les aliments industriels représentant des effets néfastes pour la santé.
De même, les médias ne devront pas se corrompre face au lobby agroalimentaire et
devront suivre les politiques de santé publique. Il est nécessaire d’insister sur ce
dernier point car en 2009, certains conglomérats alimentaires se sont engagés en
signant une charte visant l’autorégulation de leurs pratiques publicitaires à
destination des enfants. Or, une étude a observé que les publicités diffusées lors des
programmes pour enfants sont composées à 80% de publicités pour produits gras et
sucrés50 51. Cibler et trouver le moyen d’atteindre les populations semblent ainsi être
l’une des plus grande problématique à prendre en compte si les pouvoirs publics
veulent faire de la nutrigénomique et de l’épigénétique les nouvelles sciences alliées
de la santé.

La question de départ de notre travail de recherche consistait à identifier les


enjeux sociétaux de l’application de l’épigénétique dans la relation alimentation-
santé. Les recherches bibliographiques traitant du potentiel de l’épigénétique dans le
lien alimentation-santé a permis de recadrer la problématique vers la prévention
nutritionnelle des mille premiers jours de vie. L’épigénétique questionne le
déterminisme de la génétique mais peut représenter un véritable potentiel pour la
santé de demain si la société prend en compte tous les enjeux sociétaux impliqués.

50EU Pledge. We will change our food advertising to children [enligne]. Disponible sur : http://www.eu-pledge.eu/.
(Consulté le 20-02-2015).
51Que Choisir. La réalité des engagements de l’agroalimentaire sur l’obésité infantile, la vérité sort du cartable des

enfants [en ligne]. Disponible sur : http://www.quechoisir.org/alimentation/nutrition/communique-realite-des-


engagements-de-l-agro-alimentaire-sur-l-obesite-infantile-la-verite-sort-du-cartable-des-enfants. (Consulté le 15-
02-2015).
64
Chapitre 2: L’épigénétique au service de la
prévention nutritionnelle

Au fil de nos recherches et au vu des enjeux sociétaux et éthiques que l’application


de l’épigénétique soulèverait si elle venait à devenir effective en prévention
nutritionnelle, il parait évident que des changements sont à prévoir dans la
formation des professionnels de santé. Pour l’instant, le programme de recherche des
« 1000 jours » de la DOHaD lancé par l’OMS axe les recherches épigénétiques sur une
prévention nutritionnelle depuis la conception jusqu’aux deux ans de l’enfant. Il
semble que la prise en charge des femmes enceintes lors du passage des
recommandations nutritionnelles doit changer. Ces constats et les questionnements
qui en découlent nous ont amené à construire la problématique de la façon suivante :
Comment faire évoluer l’épigénétique dans la prévention nutritionnelle en
considérant les enjeux sociétaux et éthiques impliqués, en particulier la question la
plus morale qui est la sur-responsabilisation des mères durant l’alimentation des
mille premiers jours?

Afin d’étudier cette question, et suite au travail de recherche bibliographique nous


avons émis deux grandes hypothèses.

Premièrement, la formation de professionnels de santé en génomique


nutritionnelle et en épigénétique sera nécessaire, d’une part pour accompagner
l’individu qui se retrouve patient avant d’être atteint de la maladie, et d’autre part
pour interpréter correctement les résultats et encadrer les recommandations
nutritionnelles délivrées.

Deuxièmement, les femmes enceintes constitueront le premier public cible en


termes de prévention nutritionnelle accompagnées par un risque de sur-
responsabilisation et de culpabilisation. Un programme de santé publique sera
spécifiquement à mettre en place et devra prendre en compte ce risque pour
fonctionner.

65
Ces deux hypothèses vont être précisées en nous appuyant sur le travail
bibliographique effectué jusqu’ici mais aussi sur un entretien exploratoire réalisé
avec une nutritionniste d’un CHU et spécialisée dans les grossesses.

1. L’épigénétique à la croisée des enjeux scientifiques et sociétaux

Le génome humain est capable de s’adapter à son milieu mais il lui faut beaucoup
de temps pour cela, des milliers d’années. On peut imaginer qu’il puisse s’adapter à
l’environnement obésogène dans lequel nous vivons. Cependant, les altérations de
notre environnement avec la pollution de l’air et de notre état nutritionnel avec les
régimes alimentaires riches en gras et en sucres, la présence d’additifs et d’agents
conservateurs dans les aliments, sont apparues très rapidement comparé à l’échelle
de l’évolution de l’espèce humaine. Ces changements apparus trop rapidement ne
laisseront pas le temps au génome humain de s’adapter. Ce temps cumulera beaucoup
de dépenses en santé et de vies sur son chemin suite aux nombreuses maladies
chroniques qui ne font qu’augmenter. L’épigénétique représente une opportunité
pour agir précocement dans le domaine de la nutrition. Pour faire de l’alimentation
un outil puissant de prévention des maladies chroniques, la société doit innover
socialement et au niveau scientifique. Le domaine de la nutrigénomique et de
l’épigénétique peut occuper une place centrale, au cœur des avancées scientifiques et
des problématiques sociétales mais aussi des exigences économiques fondées sur le
profit et les investissements financiers comme l’illustre bien la figure 5 (Wahli et al.,
2011, p.175-176).

66
Figure 5 La nutrigénomique au centre des problématiques sociétales et des avancées scientifiques

Source : Wahli et al., 2011, p. 176

Pour rendre concrètes les promesses de la nutrigénomique et de l’épigénétique, un


dialogue constructif et ouvert est indispensable entre médecine, sciences génétiques
et biologiques, agriculture, environnement, industries alimentaires, et sciences
humaines (Wahli et al., 2011, p. 177).

Comment les connaissances scientifiques sur les origines développementales de la


santé et l’épigénétique peuvent-elles nourrir les démarches de prévention auprès des
parents et des mille premiers jours ? Comment peuvent-elles aider les professionnels
à agir de manière plus individualisée et impliquée ?

2. Education et formation des futurs nutritionnistes et des praticiens ?

Les informations issues des tests génétiques sont importantes et ont des
conséquences sur l’alimentation ou sur le traitement éventuel du patient. L’individu
se retrouve patient et le test, qu’il soit bien ou mal interprété, peut avoir des
conséquences possible sur son état émotionnel et sur le comportement qu’il va alors
adopter (cf. Figure 6) (Wahli et al., 2011, p.163). L’accès de ces tests au public sans
encadrement et sans accompagnement reste véritablement discutable, tant au niveau
émotionnel qu’au niveau éthique et économique sur la question de l’évincement des
médecins.

67
Figure 6 Réactions comportementales possibles suite à la communication du résultat d'un test
nutrigénomique

Source : Wahli et al., 2011, p.163

Le caractère imprévisible des réactions de l’individu fait que les sciences


nutritionnelles fondées sur la génétique et l’épigénétique nécessitent un cadre
législatif mais aussi au niveau professionnel. Des professionnels de santé devront être
formés à la génomique nutritionnelle comprenant la nutrigénétique, la
nutrigénomique et l’épigénétique. Si la campagne de prévention opère en premier
lieu sur les mille premiers jours de vie, on peut supposer que tous les corps de métier
en contact avec la femme enceinte devront être sensibilisés, voire formés aussi, pour
conseiller leur patiente avec le même discours.

Plus spécifiquement, les métiers mêmes de diététicien et de nutritionniste se


verront complètement modifiés, peu importe le mode de diffusion des futurs services
de nutrigénomique : que l’accès soit direct et indépendant via internet ou par le biais
indirect de médecin. Si la génomique nutritionnelle devient opérationnelle
notamment grâce aux recherches en épigénétique, alors l’application de tests
génétiques sera sans doute quotidienne.

Le nutritionniste de demain devra être formé sur la génétique, la génomique, et


l’épigénétique mais aussi sur les questions légales et éthiques impliquées par sa
profession. Les pouvoirs publics auront le devoir d’étendre la formation des
professionnels de santé et des nutritionnistes dans cette optique. Pour s’y préparer et
68
parce que des tests génétiques et épigénétiques sont d’ores et déjà accessibles, des
cours de génomique nutritionnelles ont récemment été introduits dans les formations
aux Etats-Unis et au Canada. Aux Pays Bas, c’est depuis 2003 que des cours de
nutrigénomique sont proposés en formation continue pour les doctorants et post-
doctorants. En France, à l’Université d’Auvergne et à l’Université Blaise Pascal à
Clermont Ferrand, des unités d’enseignement traitent de la génomique nutritionnelle
(Wahli et al, 2011, p. 165). Le besoin de formation des professionnels de santé en
épigénétique et en nutrigénomique est nécessaire si la société souhaite prévenir la
santé et un bon état nutritionnel des individus. Cette idée a été soutenue par un
entretien exploratoire que nous avons effectué dans un CHU avec une nutritionniste
spécialisée dans les grossesses que nous appellerons Madame C « A l’heure actuelle, la
profession n’est absolument pas formée … et pourtant j’ai une collègue spécialisée dans
la génétique qui travaille effectivement sur les mille jours avec Bledina, des choses sont
en route mais la formation doit suivre pour les comprendre, c’est essentiel ! » (Cf.
Annexe B).

Enfin, et plus spécifiquement encore, les mille premiers jours constituant une
priorité en prévention nutritionnelle, alors ce sont les professionnels de santé amenés
à prendre en charge les grossesses qui doivent être formés.

3. Les 1000 jours : entre priorité de prévention nutritionnelle et sur-


responsabilisation des futures mères

L’un des enjeux de la Santé publique au niveau de l’épigénétique se situe au niveau


de la prévention nutritionnelle auprès des femmes enceintes et des mères de jeunes
enfants, comme en témoigne la création de la DOHaD pour répondre au programme
des « 1000 jours » lancé par l’OMS. Claudine Junien qui préside ce programme insiste
sur le caractère révolutionnaire de l’épigénétique par ses effets à long terme et
transmissibles sur plusieurs générations. En agissant précocement on optimise
d’autant plus la santé future des générations à venir.

69
Les femmes enceintes mais aussi les femmes en vue de l’être doivent être
sensibilisées par des professionnels formés. Cependant, il est bien connu que les
femmes enceintes et les jeunes parents croulent déjà sous les recommandations
nutritionnelles parfois contradictoires. Le corps médical ne fait office que de
conseiller et n’est pas en droit et en mesure de transformer ces recommandations en
obligations.

Le Plan National de Nutrition Santé (PNNS) œuvre depuis 2001 pour améliorer
l’état de santé de l’ensemble de la population en agissant sur la nutrition. Des guides
ont été publiés et sont disponibles sur internet. L’un d’eux vise à informer les femmes
enceintes52. Malgré l’effort effectué pour le rendre lisible et clair, des femmes même
avisées n’y comprennent pas tout, comme nous le confirme notre entretien
exploratoire avec Madame C : « Beaucoup nous disent ‘’oui, mais je ne comprends pas
tout’’, et voyez, même ma fille qui est pourtant orthophoniste, sans préjugé de ma part,
elle projette de faire un bébé et a lu le guide : elle m’a dit ‘’dis donc, maman, c’est
compliqué ton truc’’ donc voyez comme ce n’est pas évident de faire passer les
messages ». Les chiffres montrent que les pratiques ne suivent pas les
recommandations :

 Seulement 9% des femmes réalisent une consultation préconceptionnelle, qui


permet de faire un premier bilan de santé avant la grossesse53. Ainsi, la
majorité des femmes enceintes ne sont pas supplémentées en acide folique et
beaucoup ont des apports insuffisants en fer54.

 9,9% des femmes enceintes sont obèses et 17% sont en surpoids55.

 30% des femmes fument avant la grossesse et 17% continuent de le faire au


cours du troisième trimestre56.

52INPES. Le guide nutrition pendant et après la grossesse, 2007, 52 p. [en ligne]. Disponible sur :
http://www.inpes.sante.fr/CFESBases/catalogue/pdf/1059.pdf. (Consulté le 20-02-2015).
53,55 et 56Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes. Enquête nationale périnatale 2010, les

naissances en 2010 et leur évolution depuis 2003, 2011, 132 p. [en ligne]. Disponible sur :
http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Les_naissances_en_2010_et_leur_evolution_depuis_2003.pdf. (Consulté le 20-
02-2015).
54ANSES. Étude Individuelle Nationale des Consommations Alimentaires 2006-2007 [en ligne]. Disponible sur :

https://www.anses.fr/fr/content/inca-2-les-r%C3%A9sultats-dune-grande-%C3%A9tude. (Consulté le 20-02-


2015).

70
 Plus de 50% des moins de 3 ans57 et 70% des adultes ne mangent pas
suffisamment de fruits et de légumes58.

 Le passage au lait de vache est trop précoce : en moyenne à l’âge de 14 mois59,


alors qu’un apport en lait adapté est recommandé jusqu’à 3 ans.

 À partir d’1 an, apparaissent des risques d’apports insuffisants en acides gras
essentiels, fer, vitamine D et iode60.

 Seulement 60% des nouveau-nés sont exclusivement allaités à la sortie de la


maternité et ils ne sont plus que 35% à 1 mois61.

Selon l’avancée des recherches effectuées à la SF-DOHaD, c’est avant même la


grossesse que la femme doit agir, car les marques épigénétiques se transmettent au
fœtus et qu’elles influent le métabolisme maternel. L’idée est confirmée par les
propos de Madame C qui pense qu’une femme devrait vraiment se préparer bien
avant la grossesse afin d’optimiser son métabolisme et ses marques épigénétiques.
Par ailleurs, notre spécialiste reçoit principalement des patientes atteintes
d’obésité et de diabète mais, selon elle, les femmes minces sans problèmes
métaboliques ne doivent pas être oubliées. Bien souvent, ce sont celles qui font le
moins attention à ce qu’elles mangent, notamment parce qu’elles n’en ont pas
l’habitude et parce qu’elles savent qu’elles perdront leurs kilos après la grossesse. Elle
détecte même souvent des formes d’orthorexie chez ses patientes minces qui
maitrisent parfaitement leur volonté de maigrir ou non et qui s’autorisent un lâché-
prise durant la grossesse sans réaliser que la santé future de l’enfant risque d’en pâtir.
Les patientes minces développent souvent du diabète gestationnel par exemple. Les
femmes obèses, quant à elles, sont pour la majorité très anxieuses et demandeuses de

57TRND. Etude TNS SOFRES réalisée pour Blédina. Usage et attitudes 1 carnet de consommation 2011 sur
l’alimentation des 4-36 mois [en ligne]. Disponible sur : http://company.trnd.com/fr/presse/communiques-
presse/bledina-sachets-danone. (Consulté le 20-02-2015).
58 CREDOC. Le petit déjeuner en perte de vitesse, 2013, 4 p. [en ligne]. Disponible sur :
http://www.credoc.fr/pdf/4p/259.pdf.pdf. (Consulté le 20-02-2015).
59TNS SOFRES. Étude Nutri Bébé - SFAE 2013, 2013, 1 p. [en ligne]. Disponible sur : http://www.tns-

sofres.com/sites/default/files/2014.04.03-nutri-bebe-chiffres.pdf. (Consulté le 20-02-2015).


60 EFSA NDA Panel (EFSA Panel on Dietetic Products, Nutrition and Allergies).Scientific Opinion on nutrient

requirements and dietary intakes of infants and young children in the European Union, 2013, 103 p.
[enligne].Disponible sur : http://www.efsa.europa.eu/en/search/doc/3408.pdf. (Consulté le 20-02-2015).
61 InVS. Salanave, B. et al. Taux d’allaitement maternel à la maternité et au premier mois de l’enfant. Résultats de

l’étude Epifane, France, 2012, 2012, 5 p. [en ligne]. Disponible sur :


file:///C:/Users/Patate/Downloads/beh_34_2012.pdf. (Consulté le 20-02-2015).

71
conseils mais restent fatalistes et perdent difficilement les kilos préconisés avant la
grossesse. L’épigénétique représenterait une véritable opportunité d’optimiser le
patrimoine génétique malheureusement prédisposant à l’obésité et au diabète. De
plus, Claudine Junien dans son article sur la SF-DOHaD, informe que la fenêtre
d’opportunité des mille premiers jours a récemment été étendue à l’adolescence. On
pourrait alors imaginer que les jeunes filles mais aussi les jeunes garçons, en fin
d’adolescence et en âge de procréer puisse bénéficier d’une formation encadrée, à
l’école, sur la question comment se nourrir. Madame C propose même, sur le ton de la
plaisanterie, l’idée de revenir aux cours de nos grand-mères sur comment « être une
bonne ménagère ». Il s’agirait de connaitre les aliments qui nous entourent et
l’alimentation à adopter le plus sainement possible afin d’optimiser ses marques
épigénétiques et la grossesse future éventuelle. En effet, agir aussi tôt permettrait
d’informer un grand nombre de jeunes en âge de procréer, et de mobiliser très tôt les
garçons sur le fait qu’eux aussi transmettent des marques épigénétiques et sont
responsables de la santé future de leurs enfants.

Ainsi, dans le cadre de la mise en application de l’épigénétique en prévention


nutritionnelle des mille premiers jours, la sensibilisation des femmes enceintes est
primordiale mais reste à être encadrée pour minimiser le risque de sur-
responsabilisation et de culpabilisation déjà induit dans toutes formes de nutrition
personnalisée.

A ce jour, les deux grandes hypothèses envisagées et détaillées ci-dessus n’ont pas
pu être vérifiées, une étude de terrain est donc nécessaire. La partie qui suit va tenter
de proposer une méthodologie probatoire fondée sur des entretiens qualitatifs
permettant d’avancer sur les questions évoquées.

72
PARTIE 3 – PROPOSITION D’UNE METHODOLOGIE
PROBATOIRE

73
« Quelle que soit la posture adoptée, le souci des sociologues sera
toujours de construire des instruments d’enquête et de mesure
fidèles et fiables. »

(Xavier Molénat, 2009, La Sociologie)

74
Chapitre 1 : Présentation de l’étude probatoire

1. Problématique

En supposant que l’épigénétique puisse donner lieu à des tests suivis de


recommandations nutritionnelles, alors un programme de santé publique serait à
établir au vu des enjeux suscités par la santé des générations futures vis-à-vis des
maladies liées à l’alimentation. Les découvertes sur l’épigénétique et les origines
développementales des maladies laissent présager que les jeunes gens en âge de
procréer et les femmes enceintes seront les populations cibles visées par les premiers
programmes de santé émanant de l’épigénétique. De manière concrète, ce sont
probablement les femmes enceintes qui constitueront le tout premier public cible en
termes de prévention nutritionnelle des mille premiers jours. Nous pouvons donc
nous demander comment orienter l’épigénétique dans la prévention nutritionnelle
des mille jours, en considérant les enjeux sociétaux et éthiques impliqués, avec, en
particulier, la question la plus morale de sur-responsabilisation et culpabilisation des
futures mères, mais aussi le besoin de formation de tout professionnel de santé
amené à prendre en charge une grossesse sur le plan médical.

2. Hypothèses

Les hypothèses définies à l’issue de la problématique sont :

- Hypothèse A : les professionnels de santé amenés à prendre en charge une


grossesse sur le plan médical, les nutritionnistes et les diététiciens auront
besoin d’être formés en génomique nutritionnelle et en épigénétique, d’une
part pour accompagner l’individu qui se retrouve patient avant d’être atteint
de la maladie, d’autre part pour interpréter correctement les résultats et
encadrer les recommandations nutritionnelles délivrées.

- Hypothèse B : les recommandations nutritionnelles issues de l’épigénétique


seraient accompagnées par un risque de sur-responsabilisation et de
75
culpabilisation des futures mères déjà submergées par des informations
parfois contradictoires.

3. Objectifs

Pour l’hypothèse A, l’objectif global est de rendre compte du niveau de


connaissance de l’existence de l’épigénétique liée à la relation alimentation-santé par
les professionnels de santé amenés à émettre des recommandations nutritionnelles
aux femmes enceintes. Le but final est de montrer le besoin de formation en
génomique nutritionnelle et épigénétique.

Pour l’hypothèse B, l’objectif global est de rendre compte du ressenti des femmes
enceintes vis-à-vis de leur niveau de responsabilisation du lien alimentation-santé de
leur enfant, et entrevoir un aperçu de leur perception de l’épigénétique.

4. Méthodologie et population étudiée

La méthode probatoire choisie pour vérifier ces hypothèses sera constituée


d’entretiens qualitatifs semi-directifs.

En effet, pour étudier une situation vécue et un ressenti, la technique de


l’entretien semi-directif est la plus appropriée. La parole est le vecteur principal lors
de l’exploration des faits durant l’entretien. L’entretien semi-directif n’est ni
entièrement ouvert car canalisé par des questions ouvertes mais ni entièrement
guidé car non canalisé par de nombreuses questions précises et fermées. Les
questions servent de guide pour le chercheur qui doit laisser librement parler
l’enquêté et recadrer discrètement la discussion lorsque les propos s’éloignent trop
de l’objectif.

76
4.1. Définition de l’échantillon

Comme dans le cas de toutes méthodes scientifiques, les sujets enquêtés par
méthode qualitative doivent être représentatifs de la diversité de la population
étudiée. On ne parle pas de la même représentativité qu’en méthode quantitative
auquel cas on rechercherait la représentativité en nombre. Ici, la méthode d’enquête
semi-directive nécessite entre douze et vingt entretiens. En théorie, leur nombre
dépend du degré d’hétérogénéité de la population à étudier, de la diversité des
critères à représenter. En pratique, il dépend principalement du budget et du temps
dont on dispose pour réaliser la recherche. Si les personnes ont bien été choisies,
alors au-delà de vingt entretiens, le contenu semble redondant. D’où la nécessité de
procéder à un bon échantillonnage suite à une définition la plus précise possible des
critères de sélection des enquêtés62.

4.1.1. Hypothèse A

Dans le cas de l’hypothèse A, nous cherchons à enquêter sur les professionnels


de santé pouvant être amenés à émettre des recommandations nutritionnelles dans le
cadre de la prise en charge médicale d’une grossesse.

Les professionnels impliqués en périnatalité sont regroupés ou non en réseau


de santé, et constituent les sages-femmes et les médecins généralistes, les
gynécologues et les obstétriciens. Les réseaux de santé en périnatalité rassemblent
l’ensemble des professionnels hospitaliers, libéraux, du champ sanitaire et médico-
social, concernés par la prise en charge de la grossesse, de la naissance et de la petite
enfance. Parmi les missions de ces réseaux figure l’information des femmes ou des
couples tout au long de la grossesse. La grossesse peut être suivie, sur le plan médical,
par un médecin (généraliste ou gynécologue) ou une sage-femme, en libéral, à
l'hôpital ou dans un centre de protection maternelle et infantile (PMI).La sage-femme
peut assurer en toute autonomie la surveillance de votre grossesse, si celle-ci ne
présente pas de risques particuliers. Selon les besoins de la femme enceinte, pour des
raisons médicales, psychologiques ou sociales, le médecin ou la sage-femme peuvent

62SERRA-MALLOL Christophe. Collecte de données. Cours de Master 1 Alimentation SSAA, ISTHIA, Université
Toulouse Jean Jaurès, 2015.
77
l’orienter vers d’autres professionnels : médecin spécialiste, infirmier, psychologue,
assistante sociale.

En plus de la profession, nous ferons varier le nombre d’années d’expérience.


L’épigénétique émerge dans les médias depuis cinq ans environ, donc nous
distinguerons les professionnels diplômés depuis plus de cinq ans et depuis moins de
cinq ans.

Nous pouvons représenter l’échantillon souhaité dans le tableau suivant :

Tableau 1 : Echantillonnage hypothèse A

En En En Année d’obtention du
PROFESSIONNELS
Hôpital libéral PMI diplôme

3à4 3à4 3à4 <2010


Par une sage-femme
3à4 3à4 3à4 >2010

Par un médecin (généraliste ou 3à4 3à4 3à4 <2010

gynécologue) 3à4 3à4 3à4 >2010

4.1.2. Hypothèse B

Dans le cas de l’hypothèse B, nous avons choisi de composer la population


étudiée de femmes enceintes primigestes (première grossesse), en bonne santé et
dont la grossesse est désirée.

En effet, tout d’abord, nous ne souhaitons pas que le sentiment de responsabilisation


soit amoindri ou du moins influencé par une première expérience maternelle. De
même, il est préférable que la grossesse ait été désirée pour ne pas fausser les raisons
d’un sentiment exacerbé de responsabilisation ou au contraire inexistant.

Enfin, les femmes en bonne santé et dont la grossesse ne pose pas de problème de
78
déroulement se distinguent des femmes qui, dès le début de la grossesse ou au cours
de son déroulement auront besoin de soins complémentaires et seront orientées vers
une filière de soins spécifiques. Les femmes en obésité et diabétiques, notamment,
sont exclues car elles sont déjà sensibilisées aux recommandations nutritionnelles et
aux complications possibles liées à leur grossesse. Elles constituent une population
cible de la nutrigénomique qu’il serait intéressant d’étudier dans une seconde étude.
Ici, le but est d’estimer le ressenti des femmes enceintes en général. Il s’agit de
visualiser l’intérêt des femmes ignorant leurs prédispositions éventuelles aux
maladies liées à l’alimentation pour les recommandations nutritionnelles et la
nutrigénomique. Dans le cadre de l’étude de notre hypothèse, il est intéressant
d’observer l’impact des différents professionnels qui peuvent suivre médicalement
une grossesse et leurs différents lieux d’exercice. Ce sont donc les deux facteurs que
nous ferons varier lors du recrutement de l’échantillon. En effet, ces éléments ont un
lien direct avec le ressenti de la femme enceinte, il serait intéressant de voir, par
exemple, que les femmes suivies en PMI sont moins culpabilisées que les femmes en
hôpital. Nous pouvons synthétiser les caractéristiques de l’échantillon dans le tableau
suivant :

Tableau 2 : Echantillonnage 1 de l'hypothèse B

SUIVI En Hôpital En libéral En PMI

Par une sage-femme 3à4 3à4 3à4

Par un médecin (généraliste ou gynécologue) 3à4 3à4 3à4

Il faut au minimum trois personnes par combinaison de critères pour pouvoir


comparer les combinaisons entre elles et les critères entre eux.

On pourrait également mesurer l’influence du niveau de la catégorie


socioprofessionnelle des femmes enceintes. Or, les niveaux étant au nombre de
quatre, si on ajoute le critère des PCS (Professions et Catégories
Socioprofessionnelles), il faut multiplier par quatre le nombre d’enquêtés visualisés
dans le tableau. L’étude nécessiterait, pour que chacun de ces trois critères varient et
soient comparables entre eux, de compter au minimum soixante-douze enquêtées. Ce
79
critère est à envisager tout de même selon le temps imparti pour réaliser l’étude. On
obtiendrait alors le tableau suivant :

Tableau 3 : Echantillonnage 2 de l'hypothèse B

SUIVI En Hôpital En libéral En PMI Niveau de PCS

Par une sage-femme 3à4 3à4 3à4


1
Par un médecin 3à4 3à4 3à4

Par une sage-femme 3à4 3à4 3à4


2
Par un médecin 3à4 3à4 3à4

Par une sage-femme 3à4 3à4 3à4


3
Par un médecin 3à4 3à4 3à4

Par une sage-femme 3à4 3à4 3à4


4
Par un médecin 3à4 3à4 3à4

De même, pour l’hypothèse B, on peut envisager d’observer la différence entre le


sentiment de responsabilisation de la femme enceinte enquêtée seule et en couple. En
effet, la femme enceinte, une fois en couple, exprimera peut être moins ou au
contraire plus ce sentiment. Par ailleurs, l’épigénétique concernant également les
pères, il est d’autant plus intéressant de non seulement percevoir leur influence sur le
sentiment de sur-responsabilisation des mères en devenir, mais aussi, leur sentiment
de responsabilisation personnel. Il s’agira de suivre le guide d’entretien mais en
s’adressant au couple et non distinctement à la future mère ou au futur père. Nous
observerons par exemple lequel des deux répond en premier.

4.2. Modalités de recrutement de l’échantillon

4.2.1. Hypothèse A

Pour recruter les professionnels de santé répondant aux critères de


l’échantillon, il faudra prendre rendez-vous dans un centre PMI, un hôpital, et en
80
libéral, avec pour chaque lieu le même nombre de médecins généralistes, médecins
gynécologues et sages-femmes.

4.2.2. Hypothèse B

Pour recruter les femmes enceintes, nous nous rendrons dans une maternité :
lieu privilégié pour rencontrer des femmes enceintes suivies par des professionnels
variés, dont la grossesse est confirmée, et dont l’état de santé est déjà diagnostiqué.

Nous ferons un premier questionnaire afin de distinguer les femmes


primigestes, en bonne santé, dont la grossesse est désirée, et suivies par un médecin,
ou une sage-femme, en libéral, en hôpital ou en PMI.

Une fois que les femmes correspondantes aux critères sont isolées, nous
établiront un courrier de sollicitation qui leur sera transmis par le personnel de la
maternité si possible. Le courrier précisera mes coordonnées, et mon souhait de
rencontrer ces femmes dans le cadre de mon mémoire de recherche pour discuter de
la grossesse. Nous ne donnerons pas de précisions supplémentaires pour éviter
qu’elles préparent leurs réponses, ou effectuent des recherches préalables.

5. Limites de l’étude

Notre étude visant à observer le besoin de formation des praticiens de la


grossesse et le risque de sur-responsabilisation des femmes enceintes que suscitent
les recommandations nutritionnelles issues de l’épigénétique, présente plusieurs
limites.

Tout d’abord, dans le cas des deux hypothèses, la barrière de la langue est
inévitable : il faut parler français. Nous ne prendrons donc pas en compte les femmes
étrangères qui vivraient leur grossesse en France. Les professionnels représentés ne
concernent pas les sociologues du genre et les assistantes sociales qui pourraient
aussi témoigner de la sur-responsabilisation des femmes enceintes vis-à-vis de la
santé future de leur enfant. Enfin, l’étude aura lieu à Toulouse et ne prendra pas en
compte ni l’influence du milieu géographique, ni celle du mode de vie urbain ou rural.

Les outils élaborés auront besoin d’être testés en vue de les améliorer et de les
81
valider avant de commencer. Une maternité de Toulouse de niveau I, II et III peut
constituera notre terrain d’application.

Enfin, comme c’est le cas pour toute enquête de terrain, les contraintes de temps
et de budget ont été prises en compte et influencent la qualité de l’étude.

Chapitre 2 : Elaboration des guides d’entretien

1. Guide d’entretien : Hypothèse A

Le but est de vérifier si les professionnels de santé qui prennent en charge les
grossesses connaissent l’épigénétique et ont besoin d’être formés en génomique
nutritionnelle. Dans un premier temps, nous resterons assez général en discutant sur
la profession. Dans un second temps il s’agira de voir si les praticiens parlent d’eux
même de l’épigénétique en abordant le thème alimentation-santé. Nous tenterons
alors de tourner autour de la question en insistant sur le cadre de la grossesse. Enfin,
si l’épigénétique et la génomique nutritionnelle n’apparaissent toujours pas dans le
discours, nous ferons évoluer les questions vers l’évolution de la science, les besoins
et les sciences émergentes. Nous terminerons par une question plus fermée portant
sur la nécessité de mettre en place une formation en génomique nutritionnelle et en
épigénétique dans le corps de métier interrogé.

Le guide d’entretien suivra les thèmes suivants :

Thème 1 : La profession

 En général

 Dans le cadre de la prise en charge médicale de la grossesse

 Perception de l’image de la grossesse par les femmes enceintes

Thème 2 : Le contexte : alimentation et santé

82
 En général

 Dans le cadre d’une grossesse

 Le suivi des recommandations par les femmes enceintes

Thème 3 : les sciences émergentes et l’épigénétique

 Poser la question des sciences émergentes pour voir si dans ce cadre


l’épigénétique est citée

 Opinions sur la génomique et discussion autour de la nutrigénomique et des


tests nutrigénomiques

 Poser la question du besoin de formation en génomique nutritionnelle

2. Guide d’entretien : Hypothèse B

Le but étant de vérifier que les femmes enceintes risquent d’être davantage sur-
responsabilisées par la probable alimentation personnalisée issue de tests
épigénétiques ou nutrigénomiques, nous chercherons à montrer dans un premier
temps qu’elles se sentent déjà hyper-responsabilisée par les messages qu’elles
reçoivent actuellement et qui sont parfois contradictoires. Nous chercherons ensuite
à voir si elles ont déjà entendu parler de l’épigénétique ou la nutrigénomique, et si
elles seraient intéressées par l’utilisation de cette science pour leur émettre des
recommandations en fonction de leur gènes.

La femme enquêtée doit être guidée, et non influencée par les questions ou propos de
l’enquêteur. Nous commencerons la conversation par un thème global et des
questions générales, puis nous affinerons les thèmes pour arriver sur l’épigénétique
et constater aussi par la même occasion si l’enquêtée vient à en parler d’elle-même.
En effet, au vu de la communication que fait Bledina sur le sujet, il est possible que
certaines en parlent d’elles-mêmes.

Les thèmes abordés seront les suivants :

Thème 1 : La grossesse
83
 Image de la grossesse

 Vécu, sentiment général :

 Le but étant de faire parler la personne interrogée sur elle et de la mettre en


position d’introspection.

Thème 2 : La relation grossesse-corps médical

 Les professionnels de santé

 Suivi et vécu

Thème 3 : La relation alimentation santé

 Perception du lien alimentation santé

 Santé de l’enfant

 Sources d’informations nutritionnelles

 Suivi et vécu du rapport aux recommandations

Thème 4 : Perception et ouverture sur l’épigénétique

 Science connue ou inconnue

 Présentation

 Propositions de l’alimentation personnalisée envisagée

 Opinions sur le principe, les tests, la pratique

84
CONCLUSION GENERALE

Les perspectives de l’épigénétique, sur l’enrayement des maladies chroniques


liées à l’alimentation et sur la santé des individus ainsi que celle des générations
futures, suscitent de grands espoirs, mais soulèvent aussi des enjeux sociétaux,
éthiques et sociaux qu’il faudra prendre en compte.

L’étude bibliographique et exploratoire que nous venons de mener nous a


permis de mettre en évidence la dimension à la fois scientifique et révolutionnaire de
la science épigénétique, mais également ses enjeux éthiques, sociétaux, sociaux et
même moraux. Plusieurs objectifs étaient attendus dans ce travail de recherche. Nous
souhaitions tout d’abord montrer que le lien médicalisé de l’alimentation et de la
santé n’est pas que nouveau et que le concept existait avant notre ère. Puis, nous
voulions expliquer l’apparition de la génomique nutritionnelle en montrant que le
génome humain ne s’est pas encore adapté aux changements alimentaires subis
rapidement par l’espèce humaine notamment suite à la révolution industrielle.
Ensuite, nous souhaitions explorer la science épigénétique, son potentiel au niveau
de la santé humaine, ses perspectives d’application et ses enjeux. C’est ce que nous
retrouvons en première et deuxième partie et qui nous a permis d’aboutir à notre
problématique et nos hypothèses.

Nous avons alors appris que l’épigénétique représente un potentiel qui semble
pour l’instant s’avérer au niveau préventif et durant la grossesse et les deux
premières années de vie. La DOHaD, ou le concept des origines développementales de
la santé, est à la base d’un programme de santé publique, lancé par l’OMS, autour de
l’épigénétique qui s’intitule les « 1000 jours ». La nutrition précoce personnalisée
fondée sur l’épigénétique semble alors émerger et risquerait ainsi d’individualiser
l’alimentation des femmes enceintes et des jeunes enfants jusqu’à leurs deux ans. Les
recherches sont encore en cours. Néanmoins, de nombreux tests nutrigénomiques et
épigénétiques sont d’ores et déjà dans le commerce. Les choses évoluent vite et
malgré son aspect spectaculaire il ne faudrait pas négliger les enjeux sociétaux,
éthiques et sociaux impliqués par cette science qui touche le domaine du vivant, le
85
domaine de la génétique mais aussi le monde des assurances, et enfin le modèle
alimentaire français et la sur-responsabilisation des futures mères, si elle venait à
s’appliquer. Des troubles alimentaires telles que l’orthorexie s’observent déjà dans
notre société, notamment en réponse à l’anxiété que suscite l’acte alimentaire
aujourd’hui. Il ne faudrait pas gâcher le potentiel de la science épigénétique par
d’autres maux ou même par une non-application due à une mauvaise gestion de tous
les enjeux qu’elle représente. La formation des praticiens en génomique
nutritionnelle semble nécessaire, notamment au niveau de la prise en charge
médicale de la grossesse. Les parents devront également faire face à un renouveau
dans l’alimentation de la femme enceinte et du tout petit. Le sentiment de sur-
responsabilisation vis-à-vis de la santé de leur enfant et des générations futures
risquerait de s’accroître.

Enfin, mettre en application notre terrain d’étude et notre méthodologie


probatoire figurant en troisième partie nous permettrait de vérifier ou réfuter ces
hypothèses. Cette mise en application est envisagée pour l’année prochaine dans le
cadre du mémoire « professionnel » de Master 2. Une maternité ou une industrie
alimentaire spécialisée dans la nutrition infantile constitueraient des lieux de stages
adéquats. En effet, il s’agirait de prolonger cette étude sur les besoins des femmes
enceintes pour faire face à la sur-responsabilisation que l’on suppose augmentée par
une nutrition précoce personnalisée. L’entretien exploratoire réalisé auprès d’une
nutritionniste du CHU semble confirmer les hypothèses envisagées et questionne de
nombreuses autres thématiques comme l’obésité et la précarité qui n’ont pas été
traitées ici. L’exploitation de toutes les informations recueillies pourrait servir de
bases au cadrage théorique du mémoire de deuxième année. Elaborer ce mémoire de
recherche s’est révélé vraiment passionnant.

Ainsi, l’épigénétique pourrait jouer un rôle préventif déterminant pour la santé


et l’enrayement des maladies chroniques qui submergent de plus en plus les pays
développés mais aussi les pays en voie de développement, où la population meurt de
carences comme de diabète et de maladies cardio-vasculaires. Cependant, qui sait ce
que la recherche nous réserve ? Et qui sait la forme que prendra alors l’application de
la science épigénétique dans la santé ? La recherche est encore en cours et de
nouveaux paradigmes peuvent encore faire surface.

86
BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages et documents académiques :

BELLISARI A. Evolutionary origins of obesity.Paris: Éditions ObesRev 9, 2008, p 165-


180.

CLAUDIAN J. Evolution de l’alimentation humaine. in Dupin Henri et al., Alimentation


et nutrition humaines. Paris : Editions ESF Editeur, 1992, p. 39-50.

DUPIN Henri et LEYNAUD-ROUAUD Catherine. Evolution de la consommation des


divers aliments en France, au cours des dernières décennies. in Dupin Henri et al.,
Alimentation et nutrition humaines. Paris : Editions ESF Editeur, 1992, p. 51-56.

GOUDE Gwenaëlle. Evolution des comportements alimentaires des populations


préhistoriques. Que mangeait-on hier ? Que mangera-t-on demain ?, 30 janv. 2015.

FISCHLER Claude. Les alimentations particulières. Mangerons-nous encore ensemble


demain ?. Paris: Éditions Odile Jacob, 2013, 272 p.

FISCHLER Claude. L’Homnivore. Paris : Editions Odile Jacob, 2001, p.66-70.

POULAIN Jean-Pierre. Manger aujourd’hui. Attitudes, normes et pratiques. 2e édition.


Paris : Editions Privat, 2008,

ROUVROY Antoinette. Généticisation et responsabilité : les habits neufs de la


gouvernance néolibérale, in HERVE Christian et al., Généticisation et responsabilités.
Paris : Editions Dalloz, 2008, p. 111-120.

WAHLI Walter, CONSTANTIN Nathalie. La Nutrigénomique dans votre assiette.


Bruxelles : Editions De Boeck Université, 2011, 212 p.

87
TABLE DES ANNEXES

1. Annexe A : Tableau de synthèse des entretiens exploratoires réalisés ............................... 82

2. Annexe B : Entretien exploratoire avec une nutritionniste en CHU spécialisée dans les
grossesses .................................................................................................................................... 83

88
Annexe A : Tableau de synthèse des entretiens exploratoires réalisés

Expert rencontré, fonction, et date


Thèmes abordés Eléments de réponse
d’entretien

Les enjeux soulevés - Génétique Probléme de généticisation,


par l’épigénétique débordement éthique, stockage de base de données

L’aperçu de - Focus group : résultats : avis mitigés : « des


l’émergence de personnes adhèrent, d’autres non »
l’épigénétique
Monsieur A,

post-doctorant associé en sociologie, - Un camp avec Andràs Paldi qui rappelle que
spécialisé dans les changements L’existence de deux « l’épigénome évolue tout le temps donc il ne peut
alimentaires et notamment dans la camps dans la pas être codifié », et un autre camp qui prétend
génomique nutritionnelle, le 8 recherche pouvoir codifier l’épigénome comme on a pu codifier
décembre 2014. (80 min) le génome humain.

- Sur-responsabilisation des parents, culpabilisation,


Les enjeux sociaux
individualisation de l’alimentation

- La DOHaD et les « 1000 jours »

La recherche
- Le projet Epigenom humain : financé par l’UE, des
laboratoires et industries pharmaceutiques

- Le lien alimentation santé et l’épidémiologie


Madame B,

- Les normes issues de l’épigénétique vont aller contre les normes de


maîtresse de conférences en sociologie,
commensalité en France -> Auteurs conseillées (Béatrice Jacques et
spécialisée notamment en alimentation
Séverine Gojard)
enfantine, le 12 décembre 2014.(65
min)

Madame C,

Nutritionniste dans un CHU, spécialisée


dans les grossesses, le 19 février 2015 Cf. Annexe B
(90 min)

89
Annexe B : Entretien exploratoire avec une nutritionniste en CHU
spécialisée dans les grossesses

Moi : On peut commencer, vous avez une petite heure à m’accorder ?

C : Oui.

Moi : Donc je suis étudiante en Master Alimentation parcours Sciences Sociales


Appliquées à l’Alimentation et j’ai souhaité m’entretenir avec vous dans le cadre de mon
mémoire de recherche. Je m’intéresse aux femmes enceintes et à l’épigénétique. Pour
commencer, est ce que vous pouvez vous présenter s’il vous plait ?

C : Oui, donc je suis Françoise LORENZINI. Je suis médecin diabeto endochrino ou


nutrition c’est la même chose. Je travaille particulièrement depuis très longtemps sur la
grossesse des femmes diabétiques, puisque le diabète a une implication sur la grossesse
avec même des risques graves genre des malformations fœtales. On est donc habitué à
cette notion justement de préparation à la fois pré-conceptionnelle et conceptionnelle et
puis il y a une prise en charge pendant la grossesse. Et depuis une dizaine d’années moi
j’ai plutôt étendu mon champ de recherche sur les femmes obèses ou les femmes ayant
eu une chirurgie de l’obésité enceintes ou qui projettent une grossesse. Et je travaille sur
les notions de fertilité sur tous les facteurs de l’environnement d’une grossesse. Je suis
praticien hospitalier, j’ai 59 ans.

Moi : Une belle carrière … on va aborder le thème 1 : l’épigénétique, une science


émergente : Première question : Avez-vous déjà entendu parler de l’épigénétique avant
notre entretien ?

C : Oui. Mais en fait c’est vrai que moi bon j’ai a été formé il y a longtemps, mais ça ne fait
pas longtemps que l’on en parle ?! Nous on apprenait la génétique et après on a
commencé à parler un petit peu de l’épigénétique mais dans d’autres pathologies et en
fait maintenant on en parle de plus en plus.

Moi : Donc justement pensez-vous que, actuellement, l’épigénétique est une science qui
intéresse les nutritionnistes ?

90
C : Moi je pense que ça ne les intéresse pas encore beaucoup et pas assez ça c’est sûr !
Mais de temps en temps dans nos congrès de nutrition endocrino, il y a des petites
parties mais pas grand-chose. C’est encore un peu mystérieux mais ça commence à venir.

Moi : Est-ce que vous participez à des travaux de recherche sur la santé en lien à
l’alimentation ? Est-ce que l’épigénétique fait partie des thématiques abordées ?

C : J’ai participé il y a 7 ans à un projet hospitalier de recherche clinique interrégional


(Paris, Toulouse et Besançon) ça s’appelait ETOILE. Ce projet comparait l’évolution
pondérale des enfants entre 0 et 2 ans nés de femmes obèses chez qui on avait tiré au
sort une prise en charge classique avec des entretiens nutritions et diététiques et une
prise en charge en éducation thérapeutique en groupe structuré. Cette étude a montré
que l’on avait peu d’influence sur la grossesse mais je pense que l’on n’avait pas assez de
patientes, on en a eu 500 quand même dans les trois centres. Mais par contre on avait
une influence on avait moins d’enfants en surpoids à deux ans et moins de femmes qui
avaient gardé le poids de la grossesse. Le critère primaire c’était pas ça, c’était l’absence
d’accélération entre 0 et 6 mois de la courbe de poids, c’était très ambitieux, ça on n’a
pas pu trop le prouver, mais on a eu des résultats sur le poids à 2 ans. C’était quand
même pas mal, donc ça on est en cours de publication. J’ai donc participé la dessus et
puis là actuellement on essaie avec Bledina de tenir un travail sur notre activité
d’éducation thérapeutique avec une évaluation.

Moi : D’accords.

C : Et après je participe avec l’Université de Lausanne à une étude chez les femmes
opérées de l’obésité en chirurgie bariatrique enceintes, sur le devenir des enfants. C’est
quand même des femmes qui ont des grosses carences vitaminiques la plupart du temps.

Moi : D’accord, donc on va aborder le thème 2 : Où en est la recherche et quels en sont


les acteurs ? C’est un thème sur lequel j’espère vous pourrez m’aider. Donc, avez-vous
connaissance des organismes (et de « deux camps ») qui effectuent des recherches sur
l’épigénétique et qui avancent deux théories un peu différentes ? Je pense à Andràs Pàldi
et au projet épigénome Europe.

91
C : Je suis incapable de trancher là-dessus mais je lis des choses sur les deux choses. Mais
c’est vrai que c’est quand même différent dans les messages que l’on transmet aux gens
et aux femmes enceintes, car si vous dites à une femme enceinte « bah tout est joué de
toute façon, et votre bébé aura l’épigénome que vous lui donnez dans les 3 premiers mois
de vie intra utérine », moi j’avoue je n’y crois pas car il y a quand même des études
animales qui montrent que ça évolue après que ça peut être réversible pour certaines
choses. Une autre particularité ce sont les femmes ayant eu une chimiothérapie étant
gamine contre un cancer c’est sûr que ça, ça bouleverse complètement tout plein de
choses et en fait on sait que sur le plan clinique il y a plein de choses réversibles dans la
mal nutrition comme dans d’autres domaines d’ailleurs.

Moi : Donc avez-vous entendu parler de la DoHAD et de Claudine Junien ?

C : Oui, je suis membre de leur association en France, bon après j’ai du mal à suivre tous
les travaux et il n’y a pas de financement.

Moi : Vous avez vu le dernier colloque pour Bledina ?

C : Non justement, je n’ai pas pu y aller.

Moi : Je l’ai regardé en ligne, et ils font attention à dire que la recherche soit encore
avancer …

C : Je sais que ça préoccupe beaucoup par exemple mes patientes diabétiques, pour le
coup c’est autre chose. Parce que les toutes premières recherches que j’ai connu moi
c’est des recherches qui montraient que les enfants des mamans diabétiques même très
bien équilibrées, à l’âge adulte avaient plus d’insulino résistance, plus de problèmes
métaboliques, en dehors de toute génétique, et une fonction rénale diminuée, un risque
vasculaire plus augmenté. Et ça pour elles c’est vachement dur car ces femmes elles font
tous les efforts du monde et on leur dit c’est comme si vous faisiez rien globalement et
c’est vachement dur. Alors qu’en fait il y a des choses réversibles certainement et puis
voilà il y a d’autres facteurs qui jouent dans l’enfance et donc même dans la nutrition
infantile. On parle du début de la grossesse ou de la grossesse mais après il y a quand
même la façon dont on se nourrit.

92
Moi : Ok, savez-vous où en sont les industries pharmaceutiques et agroalimentaires par
rapport à l’épigénétique et à leur partenariat avec la recherche ?

C : Bah pas très bien. Bon après je pense qu’ils ne disent pas tout, il y a toute la
communication autour des « 1000 jours ». Parce qu’en fait on leur a demandé un
financement, enfin Bledina en particulier mais après je ne sais pas en détail je n’ai pas de
vue d’ensemble dessus.

Moi : Et donc Bledina ils communiquent beaucoup là-dessus et ils ont l’air assez moteurs

C : Oui mais je n’en sais pas plus.

Moi : Et est ce qu’il y a des industries pharmaceutiques, des industries plus tournées vers
les nutraceutiques ?

C : Non ça je n’en ai pas encore entendu parler encore mais il y en a peut-être.

Moi : Que savez-vous de l’implication des pouvoirs publics et politique dans ce domaine ?

C : Bah pas grand-chose je n’ai pas l’impression que ça les préoccupe beaucoup à part
certains projets de recherche clinique des choses comme ça qu’ils acceptent ou pas.
Même le PNNS il n’y a pas de choses là-dessus.

Moi : Le PNNS va beaucoup évolué apparemment …

C : Oui … vous savez en quoi ?

Moi : Non, il sort en septembre prochain, je ne sais pas encore mais on nous la dit en
cours de nutrition.

C : Moi là-dessus je ne sais pas.

Moi : Et avez-vous déjà entendu parler du phénomène de « généticisation » et qu’en


pensez-vous ?

C : Maintenant tout le monde pense à la thérapie génique. Mais c’est vrai qu’il y a une
espèce de fatalité génétique qui peut faire baisser les bras et en même temps la toute-
puissance de la génétique, je ne sais pas ce qu’il faut en penser, mais les patients
l’exprime en consultation.
93
Moi : Les patients l’expriment ?

C : Oui les patients l’expriment et perçoivent un petit peu la dualité du truc. Par exemple
une patiente me disait « de toute façon c’est la génétique je n’y peux rien enfin à moins
que l’on trouve quelque chose pour soigner mes gènes ». Mais du coup elle ne fait
absolument aucun effort, ce qui fait que quand même elle aggrave les choses. Mais si elle
faisait un tout petit peu plus attention on aurait pas besoin de dégainer 3 médicaments
au lieu de 2.

Moi : L’épigénétique permet de prendre en compte l’environnement donc le


comportement …

C : En même temps oui et ça responsabilise plus les gens aussi mais ça peut même les
culpabiliser, ça c’est un autre problème, c’est l’inconvénient.

Moi : On va aborder le thème 3 je voulais m’intéresser au statut nutritionnel des femmes


enceintes et leur santé, donc je vous ai fait un petit encadré :

Un domaine scientifique aujourd'hui en pleine expansion. Chaque semaine ou presque, de


nouvelles études viennent appuyer l'idée que l'alimentation de la mère, son
environnement ou son état psychologique pendant la grossesse auront un effet sur la
santé de son enfant, et surtout pourront accroître le risque que celui-ci, une fois adulte,
souffre de l'une ou l'autre de ces maladies. "Les constats épidémiologiques sont bien
établis. Il reste à en comprendre les mécanismes biologiques ; c'est le défi majeur des
années à venir", souligne Claudine Junien.

Moi : Avez-vous des chiffres nationaux et/ou locaux concernant l’état nutritionnel des
femmes enceintes ? J’entends par là la proportion de femmes en sous-nutrition, en
carence, en sur-nutrition ?

C : Il y a un peu près 10% de femmes en âge de procréer obèses (indice IMC), entre 25 et
30 % selon les endroits, les régions on a ça sur OBEPI sur internet, et ça rejoint nos
chiffres locaux. Depuis 2000 OBEPI ROCHE font tous les 3 ans un état de l’obésité et du
surpoids dans la population française et par région, avec l’évolution de la population, et
tout par tranche d’âge. Vous regardez les 15 45 ans et vous voyez le nom la proportion
94
chez les hommes chez les femmes et l’évolution dans les régions. C’est marrant qu’il y a
des régions par exemple en franche comté ils ont une obésité bien plus importante que
nous mais eux ils ont stagné nous on a monté ce qui fait que l’on va bientôt les rejoindre.
Et ils ont fait une corrélation avec la précarité, c’est très intéressant.

Moi : Donc vous m’avez dit 10% d’obèses.

C : Oui donc on a eu en maternité près de 500 obèses, et on a des obésités très sévères
au-dessus de 40. On a 1% des femmes qui ont été opérée de l’obésité et puis un petit
tiers de femmes en surpoids entre 25 et 30 ans. Ce qui fait quand même pas mal de
monde concerné par la question. Et là encore on ne regarde pas les femmes d’un poids
normal qui bouffent n’importe quoi. Car ce ne sont pas forcément les obèses qui mangent
le plus mal, ça aussi c’est un autre problème. Elles mangent des fois trop mais ce ne sont
pas celles qui mangent le plus mal. Par exemple les femmes très minces qui se
restreignent beaucoup et qui pendant la grossesse se lâchent et mangent n’importe quoi,
on en a qui prennent 30 kg et ça c’est péjoratif sur l’obésité de l’enfant. Quand j’alerte ces
femmes la dessus elles réagissent bien en général, souvent elles me disent qu’elles n’ont
pas été alerté la dessus vu qu’elles sont minces elles n’ont pas pensé à ça. On essaie de
former les sages-femmes et les obstétriciens qui les suivent pour les alerter un peu avant
que ce soit trop catastrophique. Car quand on me les envoie et qu’elles ont déjà pris 30 kg
je peux rien faire quoi, dans ce cas le bébé a reçu tous les acides gras etc ça on le sait car
une étude portugaise a montré qui a regardé les enfants à 8 ans et qui a comparé la prise
de poids de la maman pendant la grossesse et donc quel que soit le poids des mères
(minces grosses) celles qui avaient pris plus de 16 kg les enfants étaient 2 fois plus obèses

Moi : Donc là on parle de surpoids mais Qu’est-ce qu’il en est des problèmes de sous-
nutrition et de carence ?

C : Donc là justement on étudie les carences sur les femmes en chirurgie bariatrique, donc
là il y a des carences terribles avec surcroit de malformation, surcroit de complications
fœtales. Malheureusement c’est en train d’augmenter, d’autant plus que les femmes
obèses après plus personne ne les prend en charge car comme elles sont plus grosses bah
tout le monde s’en fou hein. Les acteurs locaux les médecins traitants ne connaissent pas
en fait, c’est pas qu’ils ne veulent pas faire, c’est qu’ils ne connaissent pas, ils banalisent
95
et nous on voit arriver des femmes multi-carencées. L’autre fois on a quand même vu une
femme avec un scorbut, un scorbut clinique quoi ! Une autre femme il y a eu une mort
maternelle et l’on soupçonne que c’est une cardiopathie liée au béribéri donc avec
carence en vitamine B c’était une femme avec une mal absorption jamais compensée
depuis 10 ans et elle a fait un accident hémorragique à l’accouchement. C’est horrible à
l’autopsie ils ont dit mais elle a un cœur on dirait un cœur de béribéri et en fait oui c’était
ça. Donc en fait on est confronté à des trucs que l’on n’aurait jamais pensés. Donc il y a
ça, et après il y a l’état de dénutrition, en France on a des cas mais pas tellement de gens
dénutris globalement en tout cas en état de grossesse mais on a quand même des
femmes qui ont vraiment des mal nutrition protidiques, vitaminiques.

Des fois les enquêtes alimentaires c’est un peu catastrophique, en particulier les femmes
qui sont en précarité, qui sont SDF et qui mangent aux resto du cœur, qui mangent
n’importe où et c’est pas toujours génial quoi. là justement Monsieur X a dirigé un
mémoire d’une sage-femme il y a 2 ans sur le lien entre précarité et l’équilibre
alimentaire, c’était pas mal, c’était intéressant. Notez-le aussi je peux essayer de le
trouver parce que j’étais au jury donc je dois l’avoir.

Moi : En proportion les nouveaux nés sont-ils plus trop « gros » ou trop « petit » ?

C : Non c’est difficile à dire, la macrosomie c’est défini en percentile donc de toute façon
c’est le même % pour tout le monde enfin je veux dire c’est ceux qui sont supérieurs au
90ème percentile donc y’en a 10%. Par contre les femmes obèses y’en a forcément
beaucoup plus y’en a entre 20 et 30%. Je sais pas s’il y a des chiffres au niveau national de
ça, nous ce qu’on sait c’est que les courbes qui ont été faites au niveau les courbes de
gens de croissance des bébés elles ont évolué au fil des années. Ça fait 25 ans que je fais
ce boulot. Avant on considérait qu’un bébé de 4kg à terme était un macrosome donc un
bébé trop gros maintenant on est à 4kg 3 ou 4kg 4. En fait les bébé grossissent donc voilà.
Mais je n’ai pas de chiffres la dessus.

Moi : Et les bébés grossissent peu importe si la femme est grosse ou mince ?

C : Ah si si, l’obésité et le diabète sont un facteur de risque et la prise de poids


gestationnelle et ça c’est un élément nouveau. Il y a une dizaine d’années on disait la
96
prise de poids pdt la grossesse ne compte pas et maintenant on s’aperçoit que ça compte
la courbe de poids.

Moi : Beaucoup de femmes font-elles du diabète gestationnel ?

C : Oui 10% environ. Les données de l’ACNAM de l’étude 2011 qui a été publiée, ils
disaient 6% mais ils avaient compté les femmes sous insuline mais en fait nous par
exemple chez nous c 10% en maternité au CHU et on n’est pas dans les plus importants
de France. Le diabète gestationnel c’est que du diabète qui survient pendant la grossesse
et pas diabétique avant, après c’est du diabète pré-conceptionnel c’est autre chose. Il y a
deux sortes de diabète pdt la grossesse il ya les femmes qui étaient déjà diabétiques
avant type 1 ou type 2 notamment type 2 obèse (entre 1 et 2 %). Et il y a des femmes qui
font du diabète gestationnel là c’est vraiment une inadaptation de la fonction d’insuno-
sécrétion à la grossesse. Ça se résout après la grossesse mais ce sont des femmes qui ont
plus de risque de tomber dans le diabète plus tard. Il y a aussi des diabètes que l’on ne
savait pas avant et que l’on découvre à la grossesse, y’en a un peu près 10% des 10% donc
1%. Les autres ce sont un problème fonctionnel pancréatique mais en fait ça augmente
quand même de plus en plus en particulier chez les femmes en surpoids ou les femmes
obèses ou quand l y a du diabète dans la famille

Moi : Et pourquoi la grossesse déclenche le diabète ?

C : Car pdt la grossesse le placenta qui fabrique plein d’hormones augmente l’insulino-
résistance. Ça c’est biologique c’est pour nourrir le bébé. Pendant la grossesse il y a 2
phases : le 1er trimestre de la grossesse, c’est le 1er trimestre de stockage de la femme, en
fait c’est les 3 ou 4 premiers mois elles prennent du poids dans la région utérine de la
graisse c’est hormonal en fait on a ça dans toutes les espèces de mammifères. Ca s’en va
après l’allaitement c’est les 2 ou 3 kg de réserve et ensuite l’organisme maternel est tout
tourné pour donner de l’énergie au fœtus donc fournir le glucose, les acides gras, pour ça
il faut que la mère fasse une insulino-résistance et donc sa fabrication d’insuline elle
fabrique plus d’insuline il marche moins bien pour nourrir le bébé. Le problème c’est que
le pancréas maternel a plus de travail il fabrique 2 à 3 fois plus d’insuline. Ça été fait avec
des plants les plants c’est une méthode où l’on met quelqu’un avec une glycémie
constante donc à 1 gramme et on regarde combien il faut d’insuline ça parait simple
97
comme ça en théorie mais en fait c’est des machines très compliquées à régler, et en fait
on regarde combien il faut exactement d’insuline pour rester avec une glycémie stable.
Quand vous êtes insulino-résistants il vous faut 3 fois plus d’insuline que quelqu’un
d’autre. Les gens diabétiques de type 2, les gens obèses, et chez les femmes enceintes il
faut 2 à 3 fois plus d’insuline que les autres. Alors en fait tout ça c’est parallèle à la
sécrétion d’hormones placentaires. Les hormones de fin de grossesse sont des hormones
qui augmentent l’insulino-résistance. Et tout ça, dès que les femmes accouchent, ça
redescends. Donc en fait des femmes qui régulent bien leur glycémie habituellement, au
prix d’une augmentation de l’insuline parce qu’elles sont en surpoids ou qu’elles ont dans
leur famille une insulino-résistance, pdt la grossesse comme il faut encore 2 fois plus,
elles ne vont pas y arriver. Leur pancréas n’arrive pas à avoir une plasticité suffisante.

L’organisme maternel, pendant la grossesse, est très modifié. Dès un mois de grossesse, il
y a un litre de sang en plus. Un litre de sang, c’est un kilo ! Cela demande du travail
cardiaque, les organes sont plus perfusés, pour fournir assez d’oxygène au fœtus.

Moi : En règle générale, les femmes se soucient-elles de leur alimentation ?

C : Oui ! Pendant la grossesse, oui. Il y a des femmes qui s’en fichent, ou alors qui au
contraire ne veulent pas qu’on s’en occupe ou qu’on leur en parle. En général ce sont
celles qui ont déjà un problème type trouble du comportement alimentaire, donc elles
n’ont pas envie qu’on les « gave » avec ça, notamment certaines femmes en surpoids ou
certaines femmes ex-anorexiques ; mais la plupart du temps, elles ont des questions. Elles
savent qu’il y a des choses qu’il faut éviter, qu’il ne faut pas manger.

Moi : Et par rapport à ces femmes « qui s’en foutent », vous faites comment ?

C : On essaie d’en discuter avec elles. Ce n’est pas notre rôle. Comme je suis spécialiste
nutrition, moi je vois les femmes qu’on m’envoie parce qu’elles ont un problème de
nutrition. Pendant la grossesse, il y a un examen qui s’appelle l’entretien du quatrième
mois, fait en général par les sages-femmes (ça peut être fait par un médecin aussi).
L’entretien du quatrième mois, c’est pour cerner tous les facteurs qui peuvent jouer sur
une grossesse, ça dure trois quarts d’heure. On regarde s’il n’y a pas trop de précarité, où
est-ce qu’elles en sont, si psychologiquement elles vont bien ; pour pouvoir les orienter
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vers des spécialistes pendant la grossesse s’il y a besoin. Si elles fument. Et la nutrition est
abordée. A partir de là, quelques fois, on nous envoie des gens qui ont des troubles du
comportement alimentaire. On essaie de réagir avec les psychiatres en même temps sur
les gens qui ont des addictions (qui ont des choses comme ça). Mais toutes les femmes ne
le font pas, cet entretien c’est facultatif. C’est un peu dommage car ça permet de cerner
les choses sur le plan de l’hygiène de vie globale mais aussi de la place qu’a le bébé. Si on
sent que c’est un bébé qui n’a pas été désiré, est-ce qu’il est accepté, s’il y a besoin d’un
soutien psychologique c’est bien de s’en apercevoir là et pas après l’accouchement,
quand la femme est en plein marasme.

Moi : En fait, finalement, c’est à ce stade là qu’il faudrait presque faire quelque chose ?

C : A mon avis, c’est déjà un peu tard pour l’épigénétique. On est au quatrième mois, mais
c’est déjà mieux que rien. En fait, l’assurance maladie essaie de mettre en place – et
« c’est marrant » mais moi, ça fait vingt ans que je dis ça – il y a vingt ans, c’était inaudible
– la consultation pré-conceptionnelle, comme nous on fait dans le diabète ; c’est-à-dire
que les femmes diabétiques, ici par exemple, on les prend une journée en hôpital de jour.
Quand elles ont envie de faire un bébé, qu’elles le disent à leur diabétologue, il nous les
envoie et pendant une journée elles ont plusieurs séquences d’éducation thérapeutique
sur les objectifs glycémiques de la grossesse : « pourquoi faut être bien équilibré,
pourquoi on fait tout ça, l’alimentation, l’insuline, … tout ça ». Ça, c’est pour les
diabétiques. Moi j’avais toujours dit qu’il me semblait que n’importe quelle femme qui
souhaite un bébé, c’est pas mal qu’elle fasse un petit bilan avant, qu’elle en parle au
médecin et qu’il y ait prise en charge pré-conceptionnelle. Une femme qui prend un
traitement pour la tension, pour l’épilepsie, une femme qui fume beaucoup … Il y a pas
mal de femmes qui ont besoin de faire le point avant sur leur santé et je pense que sur le
plan nutritionnel aussi c’est important. Alors, ça, ça commence à faire son chemin et je
trouve que ce serait là qu’il faudrait agir. Et ça ne culpabiliserai pas, comme ça, ce serait
une action positive de préparation et pas une attitude culpabilisatrice : « Vous mangez
n’importe quoi, vous buvez de l’alcool, c’est dangereux ! »

Moi : Et après, ça pourrait devenir un automatisme ?

99
C’est ça. Ma fille qui a 25 ans, qui est enceinte, c’est une fumeuse et elle aime bien faire la
fête. Avant de faire un bébé elle me dit : « je vais aller voir mon médecin parce que je
voudrais faire un bébé donc je voudrais être sûre, je veux m’arrêter de fumer, donc je
veux qu’il me conseille. Je vais bien-sûr arrêter de boire ». Et moi je trouve que c’est des
attitudes que maintenant ont les plus jeunes. Je lui ai dit aussi « fais le bilan de tes dents
car pendant la grossesse ça augmente le syndrome inflammatoire et ça augmente le
risque de pré-éclampsie. Ca va loin ! Notamment les infections des gencives. Et en fait
cette consultation pré-conceptionnelle pour l’instant n’est pas encore bien connue mais
ils veulent essayer de le promouvoir et je trouve que c’est une très bonne chose parce
que l’on agirait vraiment où il faut. Et nous on le voit, on a par exemple une consultation
qui s’appelle « Préambule » où on nous a envoyé des femmes qui en général ont un
problème de stérilité. Pas seulement. Mais de fait c’est surtout eux qui nous fournissent
la consultation et qui ont un problème de surpoids par exemple. Donc on leur dit, avant
de faire un bébé, avant de faire une FIV, il faut que vous perdiez du poids – car les FIV
marchent pas bien quand on est en surpoids – mais en même temps, nous on les prépare
aussi à la grossesse et il y a aussi maintenant des femmes qui nous sont envoyées par des
gynécos ou des médecins de ville parce qu’elles sont obèses et qu’avant la grossesse elles
ont besoin d’une prise en charge. Pas forcément perdre vingt kilos mais améliorer leur
hygiène de vie, remettre en place des activités physiques (on insiste beaucoup sur
l’activité physique) et c’est bien que ça se fasse avant la grossesse.

Moi : on peut aborder le Thème 4 : Responsabilisation et culpabilisation des femmes


enceintes : je vous avais écrit un petit encadré :

L’alimentation des femmes pendant et avant la grossesse laisse des traces sur l’ADN des
fœtus. Ce sont ces traces que l’on appelle marques épigénétiques. Il en est de même pour
le stress environnemental comme la pollution, mais aussi de la dépression post
gestationnelle.

Donc ça c’est des découvertes affolantes pour les futures mamans. Les chercheurs y
voient l'opportunité de combattre l'épidémie de maladies chroniques qui frappe nos
sociétés. Que pensez-vous des conseils que reçoivent les femmes lorsqu’elles sont
enceintes ?

100
C : Oui. Elles en reçoivent beaucoup, quelque fois contradictoires. Il y a quand même
beaucoup de messages qui peuvent être culpabilisants et puis qui vont en sens contraire.
Par exemple, au niveau de l’alimentation, on a l’impression qu’elles ne peuvent plus rien
manger, ce n’est quand même pas évident. Par ce que si on fait gaffe sur les listérioses, la
toxoplasmose, plus tous les interdits – c’est vrai que si vous avez à votre table deux
copines qui sont enceintes vous pouvez plus rien leur faire à bouffer. Il n’y a même plus
de plaisir : les fromages vous pouvez pas (enfin ça dépend lesquels), c’est compliqué.

Moi : C’est d’autant plus compliqué en France, où on associe le moment du repas à la


convivialité, au plaisir, au partage.

C : Oui et en plus on a une alimentation qui est très variée en France par rapport à
d’autres pays. Il y a des pays où on mange toujours la même chose, des trucs sous
cellophane, ça dérange personne. Nous, oui et donc en fait ce n’est pas évident. Elles [les
femmes enceintes] reçoivent beaucoup de choses un peu contraires et quelque fois, elles
ont un peu de mal à faire le point là-dessus. Et cela peut amener à rejeter tout. Moi, j’en
ai qui disent : « de toutes façons, puisqu’on me dit n’importe quoi … » Voilà ! Parce que
par exemple, on leur dit de manger du poisson, c’est bon pour les neurones du bébé ;
mais il ne faut pas manger du poisson de profondeur plus de deux fois par semaine. Il faut
manger des éléments qui contiennent du fer, mais pas d’abats, ou alors, pas du foie plus
d’une fois par mois. C’est impossible quand on y pense ! Comment peut-on mettre tout
ça dans son logiciel interne, si on n’est pas nutritionniste ? Je crois que ce n’est pas
possible. Cela manque de message simple, clair et facile. Et puis raisonnable. Je pense
qu’on en fait trop. Il y a une culpabilisation excessive. Si la fille boit un quart de verre de
champagne, c’est ridicule. On est d’accord qu’il ne faut pas se « saouler la gueule » quand
on est enceinte ni boire tous les jours ; mais il y a des messages qui deviennent … et quid
des polluants atmosphériques et du bisphénol parce que ça, on ne peut pas dominer, ce
n’est pas nous l’atmosphère, enfin on peut éliminer le plus possible…

Moi : D’ailleurs, est-ce vraiment l’alimentation l’élément le plus important ?

C : C’est une bonne question ! Je ne sais pas du tout. Je pense que c’est un élément très
important mais ce n’est pas le seul élément du tout. Je ne sais pas quelle est la
prépondérance. Par exemple, le professeur X – c’est la patronne d’endocrinologie
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pédiatrique de génétique médicale pédiatrique. C’est avec elle qu’on travaille sur ce dont
je vous avais parlé et c’est elle qui a les contacts avec Blédina. Elle est très très « 1000
jours » tout ça. Elle baigne là-dedans. [Passage de la discussion sur une éventuelle
rencontre, sur son contact et un potentiel stage]. Elle s’occupe du REPPOP (Réseau de
Prévention et de Prise en Charge de l’Obésité Pédiatrique). Au niveau français, c’est elle
dans le PNNS et c’est elle qui l’avait écrit. Donc elle donnait l’exemple en conférence sur
la puberté précoce. Les filles qui ont fait une puberté précoce ont tendance à l’âge adulte
à avoir du surpoids et des problèmes de fertilité. Elle disait que la puberté précoce est
très fréquente chez les filles qui ont été adoptées – les adoptions étrangères, en
particulier dans les Pays en Voie de Développement (en général quand on adopte c’est
plutôt dans les pays en difficulté). Et pourquoi ? Je pensais qu’il y avait une explication
psychologique. L’hypothèse la plus évidente, ce sont les polluants. Effectivement, on sait
bien qu’il y a des batraciens en Amérique du Sud qui changent de sexe avec les
pollutions. Et donc, elle dit que la puberté précoce est très fréquente dans ces pays là. On
lit des fois sur Internet des cas de filles qui ont des bébés à 10 ans. On peut penser que
c’est plus ça que l’alimentation. L’alimentation peut être polluée également. Elle a
beaucoup de réflexion là-dessus. Elle est très alimentaire, c’est son travail, elle me dit
qu’il y a sûrement d’autres choses qu’on ne domine pas bien. [Passages de discussions sur
le stage.] Je ne sais pas, les pollutions atmosphériques et autres, les produits chimiques,
les médicaments … Une étude vient de sortir sur les acides foliques. Vous savez, on en
donne, c’est la vitamine B9, aux femmes en prévention des anomalies des fermetures du
tube neural. On sait que dans les régions carencées en acides foliques il y a beaucoup plus
d’anomalies des fermetures du tube neural donc on le dit aux femmes dans tous les pays
occidentaux et partout. On vient de montrer – que c’est vachement bien mais – que les
femmes qu’on surdose en acide folique (et on est assez vite en surdosage : moi, quand je
fais les dosages, je fais sur les femmes opérées par exemple, on est vite au-dessus des
normes).En fait ça peut donner certains problèmes métabolique à l’âge adulte. On est
encore dans l’épigénétique ! Et c’est très emmerdant car une femme qui... Par exemple
vous, vous voulez un bébé, vous dites : « je vais arrêter ma pilule, je vais prendre de
l’acide folique à 0.4 mg » (c’est ce qui est recommandé). Tu mets un an à faire le bébé (ça
peut arriver), et bien tu es en surdosage au moment de la grossesse et il paraît que c’est
toxique. Ça vient de sortir hier ! Ca nous amène à gérer d’autres trucs. C’est sûr qu’il ne
102
faut pas que les femmes soient carencées en vitamine B9 mais après, comment faut-il
doser ? Car on leur dit de prendre ça jusqu’à trois mois de grossesse. Si c’est le mois
d’après qu’elles tombent enceintes, ça va, mais si c’est un an après, elles en ont trop.

Moi : Pouvez-vous me décrire comment se déroule les rendez-vous durant lesquels les
médecins conseillent les femmes enceintes sur leur alimentation ? Donc vous, vous voyez
celles qui ont un problème il vaudrait peut être mieux que je rencontre une sage femme
en charge des entretiens du quatrième mois. ?

C : Oui je peux vous faire ça. Moi, quand je les vois, il y a un schéma dans ma tête pour un
problème de surpoids ou d’obésité, qu’elles soient enceintes ou pas enceintes. Je fais
toujours un historique de l’obésité : « combien vous pesiez à la naissance ? Est-ce que vos
parents … ? » (je regarde les [antécédents des] parents) ; « Comment s’est passée la
grossesse ? « . Par exemple, les ex hypotrophes (les ex-bébés trop petits) ont aussi des
problèmes de poids après, à l’âge adulte, comme s’ils avaient appris à tout garder. Donc,
on trace la courbe : « Quand est-ce que vous avez grossi ? Maigri ? ». C’est vachement
important, d’abord cela raconte la vie des gens et c’est toujours important qu’ils le
verbalisent. Ensuite, ils repèrent ce qui les a fait grossir. On peut en discuter, et aussi,
quand il y avait des racines in utéro, et que ce sont des femmes enceintes ou qui veulent
être enceintes, ça leur met en évidence que ou on est dans le ventre de sa mère ou les
antécédents (phrase incompréhensible pour moi^^), ce n’est pas uniquement de leur
faute parce que ce sont des personnes qui ont toujours entendu : « tu bouffes n’importe
quoi ». Il faut l’entendre, c’est vachement dur. Ma dernière patiente me disait – ça fait six
mois que je la suis, elle a perdu dix kilos – « C’est la première fois que j’arrive à perdre du
poids. Mais aussi, la premières fois que l’on s’est vues, vous avez tout repris depuis le
début, et vous m’expliquiez pourquoi j’ai pris du poids ». C’était une ex-hypotrophe, elle
avait une sœur jumelle dans le ventre qui était morte, et elle faisait 1,8 kg à la naissance.
Elle a été sur-nourrie, surprotégée. Elle a été grosse dès la petite enfance. Elle s’est
toujours battue contre, mais battue n’importe comment, c’est-à-dire qu’on lui a fait faire
des régimes à cinq ans. On l’a séparée de ses parents pour l’envoyer dans un machin
pendant un an, où elle a maigri mais après, elle a repris encore plus. Et donc, on reprend
les choses complètement différemment … Pour moi, c’est l’étape la plus importante, qui
permet de poser les choses, pour que les gens sachent un peu où ils en sont. Il y a aussi
103
l’aspect psychologique. Pour moi, cela permet aussi de comprendre l’obésité : il y a aussi
des gens qui grossissent à vingt ans car ils ont eu une déception sentimentale et qu’ils se
mettent à bouffer, ou qui ont fait une anorexie et qui prennent trente kilos après. Il y a
plein de choses.

Moi : L’obésité, finalement, c’est vraiment individuel ?

C : C’est très individuel ! Et c’est important, sinon, on les mets dans le gros paquet des
obèses, c’est une manière de rejeter les gens, de ne pas les accepter, de les stigmatiser. Je
fais quand même l’enquête alimentaire. On discute un peu : je pars d’une journée
classique. C’est ce que je dis aux sages-femmes de faire notamment à l’entretien du
quatrième mois, quand elles abordent la nutrition : « comment vous mangez ? ». Moi, je
leur avais donné un petit repère en fait. Pour moi, c’est le plus important d’écouter les
gens. « Combien vous faites de repas par jour ? Est-ce que vous en faites trois ? Est-ce
que vous en faites dix ? Est-ce que vous mangez le matin ? Est-ce que vous mangez le
soir ? » En cinq ou six questions, on arrive à repérer la façon de manger des gens. Après,
on rentre dans les détails. Il y a par exemple une dame, diabétique type 2, qui veut une
deuxième grossesse – 110 kilos – elle est sous pompe à insuline … elle n’arrête pas
d’augmenter ses doses. Mais elle bouffe n’importe quoi, elle grossit tout le temps. Je lui
dis : « ça ne va pas », elle me dit « pourtant, je ne mange pas mal », alors, remise en
cause. Elle me dit comment elle mange, on est rentrées dans les quantités. Pour elle, la
ration normale de féculents, c’est ça (elle me montre), je lui dis que ça fait trop. « Une
ration de pain normale, c’est ça ». Elle est grande, costaud ; son mari aussi. Donc on
rentre dans ce genre de détails. Je ne crois pas que ce soit le plus important. Quand les
gens viennent en consultation nutrition, ils attendent qu’on leur parle de bouffe, donc il
faut leur en parler, mais je ne suis pas très sûre. Souvent, ils ont lu, ils sont allés sur
Internet, ils ont vu 50 000 diététiciennes surtout quand ils sont gros depuis toujours ! Je
ne suis pas sûre que ce soit le plus important ; le plus important, c’est de les restituer
dans leur démarche, et de les soutenir, de les aider.

Moi : Est-ce que vous pensez que si vous leur parlez du fait que leur alimentation actuelle
va jouer sur la santé future de l’enfant, cela va les motiver ?

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C : Oui, ça les motives, mais les femmes enceintes sont vite culpabilisées. Je ne veux pas
culpabiliser ces femmes qui ont toujours entendu dire qu’elles étaient nulles car elles
n’arrivaient pas à maigrir, que c’était n’importe quoi, qu’elles étaient grosses, qu’en plus
elles étaient moches …. Là, elles sont enceintes, elles sont heureuses d’être enceintes
comme les autres femmes. Et là, PAF ! tu leur casses le moral en disant que tout ce
qu’elles font, c’est nul pour leur bébé. Il faut vraiment le faire comprendre
tranquillement. Je leur demande si elles ont déjà envisagé que leur enfant ait des
problèmes de poids plus tard ; elles disent « ça nan mais ça je ne veux pas ». On en
discute, parce que je suis assez fan de l’allaitement maternel. On en discute pas mal, mais
les femmes obèses allaitent moins que les autres. Il y a plusieurs problèmes : d’abord,
problème balistique : en fait, quand il y a des gros seins, les bébés n’arrivent pas à
respirer. Donc, il faut que les femmes obèses mettent leur bébé différemment, on les met
en « ballon de rugby » (elles le portent comme ça). Et ça, si on n’en parle pas avant, elles,
elles se voient tenir leur bébé comme ça. Quand on porte le bébé comme ça et qu’on a
des très gros seins, ça écrase le nez du bébé, et il ne tète pas, il n’arrive pas à bien téter.
Deuxièmement, elles ont un complexe par rapport à – il y en a qui me disaient : « mais
attendez, sortir un joli petit sein pour donner le sein n’est pas un problème, mais vous
m’avez vue, moi ? ». Enfin bon, complexe quoi. Mais par contre, quand on les prépare
pendant la grossesse, quand on demande vraiment le choix de l’allaitement maternel, et
ça on en discute vraiment pendant la grossesse. C’est pour ça que les séquences
d’éducation thérapeutique que l’on fait, je pense que c’est intéressant à cause de ça.

Moi : Justement ce serait intéressant que je puisse assister à une séance d’éducation
thérapeutique.

C : Oui je vais vous mettre en contact.

Moi : Alors au niveau de la consultation où on conseille sur l’alimentation, comment les


femmes vivent elles ce moment ? Pouvez-vous me typer les différents profils que vous
rencontrez ?

C : C’est difficile. Il y a des femmes, quand on leur parle de cette proposition de


consultation pré-conceptionnelle qui n’ont pas envie d’être cataloguées comme des
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femmes enceintes obèses, elles n’ont pas envie qu’on s’occupe de ça pendant la
grossesse.

Moi : Elles veulent vivre leur moment de bonheur, oublier qu’elles sont obèses ?

C : Oui. C’est le seul moment de leur vie où si elles sont un peu grosses c’est pas grave
quoi, c’est normal elles sont enceintes. Et on les ramène encore à ça, c’est difficile. Moi
qui ai un peu de bouteille, j’arrive à faire passer les choses aux gens mais certains gynécos
ou certaines sages-femmes, quand les femmes arrivent, elles sont complètement
coincées. Je leur demande si elles acceptent qu’on en discute, si elles ne veulent pas, elles
ne veulent pas ; mais c’est très rare que j’ai des refus. Après, elles sont contentes d’en
avoir parlé.

Moi : Finalement, elles sont dans une attitude de refus, elles fuient ?

C : Oui, bien-sûr, elles pensent toujours que l’obésité va avec débilité, ce qui n’est pas le
cas. Les femmes les plus instruites savent un peu ce qu’on va leur dire, en théorie. Le
problème est d’arriver à les mobiliser vers quelque chose de plus positif par rapport à leur
poids et à leur bébé ; de les préparer à la naissance comme les autres. On sait que les
obèses vont moins chez le gynéco (la première chose qu’ils font, c’est de vous peser et de
vous engueuler), donc elles refusent. Quand elles sont enceintes elles sont obligées … Il y
a un défaut de soin et de prise en charge chez les femmes obèses.

Moi : Je voulais que vous me typiez les différents profils que vous rencontrez ?

C : Il y a de plus en plus de femmes qui viennent avant les grossesses avec des obésités
très sévères (150 kilos) pour être conseillées car on leur dit que leur poids risque de poser
problème. Celles-ci en général écoutent bien ce qu’on leur dit. Certaines sont contentes
d’elles quand on arrive à les accompagner pendant toute la grossesse, qu’elles n’ont pas
pris de poids et qu’elles ont même maigri et que leur bébé va bien. Elles ont envie de
continuer après. Ca ne tient pas à nous, il faut rester modeste. On arrive dans leur
parcours au bon moment. En général, ce sont des femmes pas très jeunes (plus de 30
ans), qui ont mûri les choses, qui ont déjà eu des prises en charge et qui savent ce qu’elles
veulent. Vous avez celles qui sont en révolte, car on leur a toujours dit qu’elles étaient
obèses, comme celle dont je vous parlais … T’as été placé à 5 ans, puis à 10 ans pi t’as
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repris 10 kg. Elles viennent nous voir à reculons. On essaie de les apprivoiser, ça prend
deux ou trois consultations. Le problème c’est que quand elles ont du diabète
gestationnel par exemple (elles en ont plus que les autres), elles sont obligées de venir
nous voir pour le diabète, et parler de poids devient difficile. La plupart des femmes, c’est
finalement une question d’ovulation. Par exemple, une femme que j’ai connue, avec un
problème de tyroïde, a eu deux bébés. Elle a perdu son troisième bébé à 4 mois et demi
de grossesse (on ne sait pas pourquoi). C’est une petite femme, obèse, elle est
institutrice, elle a 35 ans et a 35 d’IMC. Elle est grande. Elle a fait un diabète gestationnel
modéré et aujourd’hui elle est enceinte à nouveau. Elle est complètement dans le deuil
pathologique par rapport au bébé qu’elle a perdu et elle est complètement inaccessible
au problème de poids. Elle vient pour la tyroïde, pour le sucre mais quand j’ai suggéré
qu’il fallait qu’elle fasse attention à ne pas prendre encore dix kilos (elle avait déjà gardé
dix kilos de la grossesse précédente), elle s’est complètement fermée. C’était impossible
d’aborder cela, c’était inaudible pour elle. Je ne lui en ai pas parlé. Certaines femmes ont
un blocage et je pense que c’est parce que l’obésité correspond à quelque-chose qu’on
ne sait pas. Dans les obésités sévères, on a souvent (on ne sait pas dans quel pourcentage
les gens nous disent n’importe quoi) des sévices dans l’enfance, en particulier sexuels. Je
ne suis pas persuadée qu’il y en ait 50 % mais il y en a qui ont subi des choses très graves,
et quelque part, l’obésité les protège contre ces agressions. Il ne faut pas trop gratter
quand les gens ne peuvent pas. Quand on leur fait raconter leur vie, à part les gens que
l’on force à venir, on arrive à accrocher la relation. Mais leur faire la morale et leur sortir
une feuille de régime photocopiée avec que des haricots verts sans beurre, ça ne va pas
marcher.

Moi : Vous pensez que dans la profession, il y a des cas comme ça ?

C : Oui, chez les diététiciennes notamment. Elles sont formatées. Chez les médecins
nutritionnistes aussi, il y a des gens qui ont un problème avec la bouffe. Il y a des gens
très normatifs et culpabilisants.

Moi : Que pensez-vous qu’il soit possible de faire pour améliorer et optimiser les
moments de la communication et améliorer l’efficacité de vos échanges ?

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C : L’éducation thérapeutique de groupe : quand on arrive à amener les femmes à venir,
elles sont super contentes et ne lâchent pas. Le fait de rencontrer d’autres femmes qui
ont le même problème mais qui sont différentes, de pouvoir parler tranquillement entre
elles, c’est très important. Elles se sentent reconnues et ont un besoin de reconnaissance.
Pour tout ce qui est communication, je pense qu’il faut que ce soit le moins culpabilisant
et le moins normatif possible. Donc le petit livret du PNNS, il est pas mal fait. Mais il est
un peu trop complet. « Beaucoup nous disent ‘’oui, mais je ne comprends pas tout’’, et
voyez, même ma fille qui est pourtant orthophoniste, sans préjugé de ma part, elle
projette de faire un bébé et a lu le guide : elle m’a dit ‘’dis donc, maman, c’est compliqué
ton truc’’ donc voyez comme ce n’est pas évident de faire passer les messages ».

C : Nous on travaille beaucoup avec l’idée est d’éduquer les gens, qu’ils se mettent en
marche et qu’ils modifient leur alimentation ; pas qu’ils soient savants, mais qu’ils fassent.
Il y a une diététicienne qui travaille beaucoup avec des menus factices de restaurants ou
des jeux de cartes, ça marche beaucoup. On essaie d’être le plus concret possible.

Moi : Le groupe est-il aussi une bonne idée pour ces femmes qui ont souffert du manque
de convivialité et de partage ? Ces moments leur permettent-ils de réassocier
l’alimentation à un moment de plaisir et de partage ?

C : Tout-à-fait, d’autant qu’elles mangent ensemble avant de commencer la séquence, ça


met une bonne ambiance, on donne des conseils pendant ce temps, après on va faire une
ballade.

Moi : et vous avez combien de patientes en éducation thérapeutique ?

C : Pour l’obésité, pas encore trop, car on a du mal à motiver le collègue gynéco mais ça
arrive. On a des groupes de 6 à 8. Il y a aussi des femmes qui s’inscrivent puis se désistent,
notamment pour des problèmes de précarité, car les femmes obèses sont trois fois plus
touchées par la précarité que les autres. Elles se sentent mal habillés, veulent pas se
déplacer. On se demande si on ne doit pas aller directement dans les quartiers où elles
sont, hors les murs.

Moi : Vous pensez que sera possible ?

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C : Je pense mais il y a toujours des problèmes de financement, d’autorisation, de droit.

Moi : Au niveau de la sécurité sociale, comment cela se passe-t-il pour les obèses ?

C : Il n’y a rien pour les obèses. Il y a pour les diabétiques mais pas pour les obèses. Les
actions d’éducation thérapeutiques sont prises en charge par l’ARS (Agence régionales de
santé) qui donne un budget. Ces cours sont soumis à une action d’autorisation de l’ARS
qui verse, après cette autorisation, un budget de 150 € par an et par personne, ce qui
permet de faire fonctionner [ce programme].

Moi : Vous avez un quota maximum ?

C : Non, on peut avoir autant de personnes que l’on veut même si on ne voit pas des
groupes de vingt personnes. Pour le diabète gestationnel, j’ai eu une autorisation pour
éduquer trois cent personnes sur ce programme ce qui me permet de faire valoir mes
besoins, l’ARS le verse à l’hôpital et il faut se battre, normalement ça va au service
concerné mais il y a des voies impénétrables^^ (pas sûre que ce soit intéressant de mettre
ça). Il faut être agréé, mais l’obésité en fait partie puisque c’est une priorité de santé
publique. Les programmes hors les murs sont intéressants mais à faire par des acteurs
locaux (comme les médecins généralistes).

Moi : Pensez-vous qu’à l’avenir il serait possible de personnaliser davantage le suivi des
grossesses en l’adaptant notamment au contexte dans lequel chaque femme vit ? On
vient d’en parler un peu

C : Bien-sûr, c’est évident. C’est possible et surtout nécessaire. Mais c’est de plus en plus
difficile car beaucoup de femmes sont suivies n’importe où, par des sages-femmes en
ville, il y en a de très bien mais il y en a qui ne font pas bien leur boulot, pas sur le plan
gynéco mais qui n’accompagnent pas. Normalement les sages-femmes accompagnent
mieux que les médecins. Le suivi est un peu éclaté. Des femmes arrivent dans les endroits
où elles accouchent à 6 ou 7 mois [de grossesse]. Avant, elles sont suivies par des gens
individuels. C’est dommage car on perd la dynamique. Il faudrait adapter.

Moi : Comment imaginez-vous cette adaptation ? Pensez-vous qu’il faudrait, par exemple,
reformer les personnes ?

109
C : Le suivi de la grossesse est encore calqué sur les vieux schémas. Avant, [on considérait
que] plus la femme était enceinte, plus il fallait s’en occuper car on est près des
problèmes qui peuvent survenir en fin de grossesse : diabète gestationnel, hypertension
artérielle (qui touche 10 % des femmes et peuvent être très dangereuses pour le bébé et
la maman). Mais en fait c’est idiot car ces problèmes sont déterminés par le début de la
grossesse. Si au début de la grossesse, vous fumez ou vous avez un diabète, c’est à ce
moment que vous allez fabriquer vos futurs problèmes qui se démasqueront sept mois
plus tard. Donc, le suivi de la grossesse devrait basculer vers avant ou le tout début de la
grossesse. Ensuite, les femmes qui n’ont pas de risque peuvent être suivies par n’importe
qui et arriver le jour de l’accouchement sans problème. Les anglais, selon les
recommandations de NICE [National Institute for Health and Care Excellence], disent que
[les femmes ayant] des grossesses à bas risque (chez une femme mince qui va bien, et qui
a déjà eu un premier bébé dans de bonnes conditions) peuvent même accoucher à
domicile ! Il n’y a pas de bénéfice à ce qu’elles soient suivies dans un hôpital avec une
haute technicité. Comme cela, on grade : une femme hypertendue ou diabétique doit
accoucher dans un haut niveau de sécurité. En France, c’est le contraire. On fait suivre par
n’importe qui et on récupère les problèmes à six mois [de grossesse] quand on ne peut
plus rien y faire ! Je caricature car c’est en train de changer avec les nouvelles générations
d’obstétriciens qui essaient d’accentuer vers cela. A la maternité publique, on essaie que
les femmes viennent le plus tôt possible pour une première consultation (par une sage-
femme ou un médecin). On les oriente soit vers une sage-femme ou un obstétricien en
ville, et elles reviennent deux ou trois fois avant l’accouchement ; soit on détecte qu’elles
ont un risque et dans ces cas-là, on les voit. Je suis mes personnes diabétiques dès que le
test [de grossesse] est positif, car le diabète est vraiment un facteur de malformation très
important, donc il faut suivre dès le début. Mais de par ma formation j’avais déjà cette
idée, qui, maintenant, est en train de germer.

Moi : Ce serait une bonne idée de créer une procédure stricte (quand on veut un enfant,
on consulte son médecin généraliste ou son gynéco) ? De définir le rôle de chacun ? Et
même en parler au lycée ?

C : Alors, c’est en train d’être fait en préparation pré-conceptionnelle. Oui au lycée, on


devrait avoir une formation à ça, mais aussi aux premiers soins des bébés (savoir changer
110
une couche par exemple). Aujourd’hui il y a de plus en plus de femmes très jeunes qui
accouchent sans jamais avoir vu de nouveau-né. Avant, il y avait des familles très
nombreuses (avec des petits frères, des petites sœurs, des petits cousins). Aujourd’hui, ce
n’est plus le cas. Je trouve qu’on devrait faire une éducation au lycée, notamment sur
l’alimentation : c’est incroyable qu’on n’apprenne pas comment se nourrir et comment
vivre en couple alors qu’on apprend des tas de choses qui franchement n’ont pas une
utilité formidable.

Moi : Finalement, il faudrait revenir à ce que l’on apprenait avant ?

C : Oui « Pour être une bonne ménagère ». D’ailleurs, il faudrait l’apprendre aux hommes
aussi. Dans les pays très modernes d’Europe du Nord (Norvège, Suède, Finlande,
Danemark), les garçons et les filles ont des cours obligatoires, qui font partie de leur
cursus scolaire, sur l’éducation des bébés, les premiers soins, le secourisme, l’équilibre
alimentaire et même l’activité physique. Quant à une « procédure obligatoire », c’est
difficile car il n’y en a pas. Mes patientes diabétiques (sauf celles qui font un bébé à 16
ans) savent qu’elles se doivent de préparer la grossesse pour être très équilibrées, sous
peine d’avoir des problèmes. Elles le savent et malgré cela, une sur trois ne le fait pas.

Moi : Donc même le fait de savoir … ça ne permet pas forcément de changer les
comportements.

C : Alors après sans connaissance, on ne peut carrément rien faire. Mais après ok c’est pas
comme le tabac, mais quand même bon déjà l’addiction à la bouffe ça existe, mais même
changer complètement d’alimentation est difficile, il faut le faire progressivement
(d’abord les graisses, ensuite les protéines, etc …). Les habitudes alimentaires c’est
difficiles à changer. Moi si on me demandait de changer mon petit déjeuner le matin ce
serait dur, très dur.

Moi : il y a aussi le problème de quand on quitte le cocon familial aussi, on déstructure un


peu son alimentation. Moi, instinctivement je déjeune correctement chez mes parents et
ça fait un bien fou, on se sent bien mais je ne le reproduis pas chez moi, c’est comme ça,
je le sais mais ne le fais pas.

111
C : Oui, moi ma fille a repris ces habitudes une fois en couple, sinon oui elles mangeaient
n’importe comment. Il y a un moment où ça revient. Et j’ai un de mes fils qui est encore
complètement dans la junkfood à 28 ans quoi ! Parce qu’il se balade dans tous les coins
du monde. Alors sa petite amie, elle lui fait des légumes, parce que sinon. Et pourtant
avec moi il mangeait des légumes, il mangeait très équilibré. Mais après il y a le stress.
Après il y a aussi le moment de faire un enfant qui change les choses.

Moi : Oui alors je voulais aussi impliquer les pères dans mes questions car ils seraient
aussi porteurs de marques épigénétiques au niveau de leurs gamètes, à l’heure actuelle
que pensez-vous de l’implication des pères durant la grossesse ?

C : C’est encore plus compliqué. On l’aborde à la consultation préambule en


préconception. On voit les couples et on essaie d’en discuter pour ne pas mettre « la
faute » (c’est elle qui dit entre guillemets) que sur la maman. On essaie d’expliquer, sans
culpabiliser, que l’obésité du père compte. C’est difficile, d’autant que ces messieurs sont
très occupés.

Moi : D’où l’intérêt au final de remettre des cours au lycée, mais mixte avec les filles et les
garçons mélangés ?

C : Oui, en prévention. Moi mon fils je lui ai fait un topo, c’était marrant car c’est des
notions qu’il n’a pas, et pourtant il a fait une thèse, vous voyez. Mais voilà l’épigénétique
et la transmissions ils connaissent pas, j’ai un autre fils qui attend un bébé. Et personne
leur en parle, même moi je ne le leur ai pas appris et pourtant je suis nutritionniste … A
l’heure actuelle, la profession n’est absolument pas formée … et pourtant j’ai une
collègue spécialisée dans la génétique qui travaille effectivement sur les mille jours avec
Bledina, des choses sont en route mais la formation doit suivre pour les comprendre, c’est
essentiel !

Moi : Avez-vous envie de m’informer sur d’autres points auxquels je n’aurai pas pensé par
manque de connaissances ?

C : Peut-être sur les supplémentassions vitaminiques, de vitamines et risques de sur ou


sous dosage. On manque de valeurs normales, notamment pour les femmes enceintes.
On ne sait pas trop si ça marche les vitamines isolées ou supplémentées dans des
112
aliments. Par exemple, l’acide folique, on sait maintenant que ça marche, mais sinon
on ne sait pas. Par exemple, les antioxydants (vitamines C et E) : on pourrait faire une
prévention (par exemple, le régime crétois), mais ça ne marche pas, toutes seules ça
ne marche pas. Les américains avaient fait des gélules avec les antioxydants du vin.
Mais en fait ça ne marchait pas.

Moi : Bon on a terminé, je vous remercie vraiment du temps que vous m’avez accordé.

C : Mais je parlerais de vous à Mme X…Moi : Merci beaucoup en tout cas, l’entretien
était très intéressant et merci pour vos propositions et contacts.

113
TABLE DES FIGURES

Figure 1: Vision hippocratique de l'alimentation basée sur la théorie aristotélicienne


des quatre éléments........................................................................................................... 15

Figure 2 La Génomique Nutritionnelle............................................................................. 22

Figure 3 Schéma de synthèse des protéines depuis l'ADN en passant par l'ARN messager
............................................................................................................................................. 25

Figure 4 Marques épigénétiques : modifications chimiques de l'ADN ou des histones ..... 26

Figure 5 La nutrigénomique au centre des problématiques sociétales et des avancées


scientifiques........................................................................................................................ 67

Figure 6 Réactions comportementales possibles suite à la communication du résultat


d'un test nutrigénomique .................................................................................................. 68

114
LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Echantillonnage hypothèse A ........................................................................ 78

Tableau 2 : Echantillonnage 1 de l'hypothèse B .............................................................. 79

Tableau 3 : Echantillonnage 2 de l'hypothèse B .............................................................. 80

115
TABLE DES MATIERES

Sommaire ......................................................................................................................... 8
Introduction générale ....................................................................................................... 9
PARTIE 1 - Cadrage théorique : l’épigénétique et le lien alimentation santé ..................... 12
Chapitre 1 : Alimentation, Santé et Histoire .................................................................... 14
1. L’alimentation pour la santé : un concept historique ......................................................... 14

2. Bouleversements de vie et évolution de notre alimentation .............................................. 16

2.1. L’alimentation au Paléolithique ................................................................................. 16

2.2. La transition alimentaire au Néolithique ................................................................... 17

2.3. La révolution industrielle au XIXème siècle ............................................................... 18

Chapitre 2 : Alimentation, Génétique et Epigénétique ..................................................... 20


1. La génomique nutritionnelle .............................................................................................. 20

2. L’Epigénétique : empreintes génétiques et transmission ................................................... 24

2.1. L’épigénétique : qu’est que c’est ? ............................................................................ 24

2.2. L’épigénétique dans l’alimentation ........................................................................... 27

2.3. Epigénétique et transmission intergénérationnelle .................................................. 28

2.4. Epigénétique et régime alimentaire maternel .......................................................... 29

Chapitre 3 : Epigénétique : nouvelle alliée de la relation alimentation-santé ................... 30


1. Perspectives de l’épigénétique dans le lien alimentation santé ......................................... 30

1.1. Les maladies liées à l’épigénèse ................................................................................ 31

1.2. Le contexte multifactoriel des maladies : l’exemple du diabète de type 2 ............... 32

1.3. Le rôle déterminant de l’épigénétique ...................................................................... 32

1.4. La nutrition personnalisée : un défi de l’épigénétique .............................................. 33

2. L’épigénétique : une science révolutionnaire ..................................................................... 35

2.1. Une grande découverte : point de vue des scientifiques .......................................... 35

2.2. Quand la recherche mondiale s’empare du phénomène .......................................... 38

2.3. Les tests génétiques .................................................................................................. 41


116
3. Les mille premiers jours de vie : une période clé et un programme de recherche mondial 43

3.1. Les « 1000 jours » : qu’est-ce que c’est ? .................................................................. 43

3.2. Les mille premiers jours de vie : mécanismes épigénétiques ................................... 44

PARTIE 2 – Les enjeux éthiques et sociétaux soulevés par l’épigénétique ......................... 47


Chapitre 1 : Questions éthiques, sociétales et sociales soulevées par l’émergence de
l’épigénétique ................................................................................................................ 50
1. Problématiques éthiques et sociétales ............................................................................... 50

1.1. Le phénomène de généticisation .............................................................................. 50

1.2. La Confidentialité des informations .......................................................................... 51

1.2.1. La discrimination sociale ......................................................................... 52


1.2.2. La gestion des biobanques ..................................................................... 53
1.2.3. Les tests génétiques, standardisation et validation ............................... 54
2. Problématiques sociales ..................................................................................................... 56

2.1. Responsabilité et culpabilisation ............................................................................... 56

2.2. Individualisation de l’alimentation et anxiété ........................................................... 58

Chapitre 2: L’épigénétique au service de la prévention nutritionnelle .............................. 65


1. L’épigénétique à la croisée des enjeux scientifiques et sociétaux ...................................... 66

2. Education et formation des futurs nutritionnistes et des praticiens ? ............................... 67

3. Les 1000 jours : entre priorité de prévention nutritionnelle et sur-responsabilisation des


futures mères ............................................................................................................................... 69

PARTIE 3 – Proposition d’une méthodologie probatoire ................................................... 73


Chapitre 1 : Présentation de l’étude probatoire .............................................................. 75
1. Problématique .................................................................................................................... 75

2. Hypothèses ......................................................................................................................... 75

3. Objectifs .............................................................................................................................. 76

4. Méthodologie et population étudiée .................................................................................. 76

4.1. Définition de l’échantillon ......................................................................................... 77

4.1.1. Hypothèse A ............................................................................................ 77


4.1.2. Hypothèse B ............................................................................................ 78
117
4.2. Modalités de recrutement de l’échantillon ............................................................... 80

4.2.1. Hypothèse A ............................................................................................ 80

4.2.2. Hypothèse B ............................................................................................ 81

5. Limites de l’étude ............................................................................................................... 81

Chapitre 2 : Elaboration des guides d’entretien ............................................................... 82

1. Guide d’entretien : Hypothèse A ........................................................................................ 82

2. Guide d’entretien : Hypothèse B ......................................................................................... 83

Conclusion générale ....................................................................................................... 85

Bibliographie .................................................................................................................. 87

Table des annexes .......................................................................................................... 88

Table des figures ........................................................................................................... 114

Liste des tableaux ......................................................................................................... 115

Résumé ........................................................................................................................ 119

118
UNIVERSITÉ TOULOUSE - JEAN JAURES

INSTITUT SUPÉRIEUR DU TOURISME, DE


L’HÔTELLERIE ET DE L’ALIMENTATION

L’épigénétique : nouvelle alliée de la santé humaine et enjeux sociétaux

Résumé:
Notre santé et celle des générations futures dépendent de notre alimentation. Ce concept
existe depuis très longtemps, à la naissance même de la médecine. L’épigénétique est une science dont
le potentiel émerge et qui semble montrer un caractère révolutionnaire au vu de l’avis des
scientifiques et de la création des programmes de grande envergure. C’est une science qui étudie
l’influence de l’environnement, dont l’alimentation, sur l’expression des gènes. L’activité ou la non-
activité de certains gènes semblent en effet responsables de maladies d’origines développementales.
Ces dernières correspondent notamment aux maladies chroniques type diabète ; des maladies
enclenchées précocement durant la vie intra-utérine mais qui ne se déclarent qu’une fois l’âge adulte
atteint ou avec la vieillesse. La recherche continue d’avancer, notamment dans le cadre d’un
programme de recherche de santé publique : les « 1000 jours » mené par la DOHaD
(DevelopmentalOrigins of Health and Disease) et lancé par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé).
Ce dernier, envisage, pour l’instant, d’attribuer à l’épigénétique un rôle préventif sur la santé, via
l’alimentation personnalisée des 1000 premiers jours de vie, c’est-à-dire depuis le début de la
conception jusqu’aux deux ans de l’enfant. Même si la recherche doit encore avancer pour concrétiser
les applications éventuelles, on peut d’ores et déjà observer la vente de tests nutrigénomiques et
épigénétiques accessibles au public via internet. De même, la nutrition personnalisée durant les 1000
premiers jours de vie via l’épigénétique implique des enjeux éthiques, sociétaux, sociaux et même
moraux. Une formation des praticiens et la prise en compte du sentiment de sur-responsabilisation
éventuel que pourrait ressentir les femmes enceintes, déjà submergés par les messages, devront être
considérées. Ce mémoire s’articule autour du potentiel révolutionnaire de l’épigénétique sur la santé
ainsi que sur l’enrayement des maladies chroniques dans le monde et autour des enjeux impliqués.
Mots clés : Epigénétique – Alimentation&Santé – Maladies chroniques – 1000 jours – Individualisation

Abstract:
Our health and that of the future generations depend on our food. This concept exists for a
very long time, in the birth of the medicine. The epigenetic is a science from which the potential
emerges and which seems to show a revolutionary character in view of the opinion of the scientists
and of the creation of the large-scale programs. It is the science which studies the influence of the
environment, of which the food, on the expression of the genes. The activity or the non-activity of
certain genes indeed seems responsible for diseases of origins developmental. The latter correspond in
particular to the typical chronic diseases diabetes; diseases engaged prematurely during the life in the
womb but which declare themselves only once the reached adulthood or with the old age. The research
continues to move forward, in particular within the framework of a research program of public health:
“1000 days” led by the DOHaD (Developmental Origins of Health and Disease) and thrown by the WHO
(World Health Organization). The latter, intends, at the moment, to attribute to the epigenetic a
preventive role on the health, via the food personalized by the first 1000 days of life that is since the
beginning of the conception until two years of the child. Even if the research again has to move forward
to concretize the possible applications, we can already observe the sale of tests nutrigenomics and
epigenetics open to the public via internet. Also, the nutrition personalized during the first 1000 days
of life via the epigenetic involves stakes ethical, societal, social and even moral. A training of the
practitioners and the consideration of the feeling of on empowerment possible that could feel the
pregnant women, already submerged by messages, must be considered. This report articulates around
the revolutionary potential of the epigenetic on the health as well as on the enrayement of the chronic
diseases in the world and around the involved stakes.
Key words: Epigenetic – Food and Health – Chronic diseases – 1000 days - Individualization
119

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