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Dialogues d'histoire ancienne

Les Sères sont les soi-disant "Tokhariens", c'est-à-dire les


authentiques Arśi-Kuči
Monsieur Bernard Sergent

Résumé
La kritika ekzameno de la antikvaj tekstoj koncernante la lando de la Seroj montras ke ĝi povas esti nur la nuna Xinjiang, kaj ke
tiuj indentigâs al la popola grupo de la Arŝoj (Arśi) kaj Kuĉoj (Kuči), au "Tokaroj" (Tokharoi).

Abstract
The critical study of the ancient texts about the land of the Sères shows that this land can only be the contemporaneous Sin
Kiang. Then, this people is the same that the Arśi et Kuči's people, or "Tokarians".

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Sergent Bernard. Les Sères sont les soi-disant "Tokhariens", c'est-à-dire les authentiques Arśi-Kuči. In: Dialogues d'histoire
ancienne, vol. 24, n°1, 1998. pp. 7-40;

doi : https://doi.org/10.3406/dha.1998.2377

https://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_1998_num_24_1_2377

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Dialogues d'Histoire Ancienne 24/1, 1998, 7-40

Les S ères sont les soi-disant « Tokhariens »,


c'est-à-dire les authentiques Arái-Kuci*

Résumés
• L'examen critique des textes antiques concernant le pays des Sères montre qu'il ne peut
être que l'actuel Sin-Kiang, et que ceux-ci s'identifient aux groupes de peuples des Arsl et Kuči, ou
"Tokariens".
• The critical study of the ancient texts about the land of the Sères shows that this land can
only be the contemporaneous Sin Kiang. Then, this people is the same that the Arsl et Kuci's people,
or "Tokarians".
• La kritika ekzameno de la antikvaj tekstoj koncernante la lando de la Seroj montras ke gi
povas esti nur la nuna Xinjiang, kaj ke tiuj indentigâs al la popola grupo de la Aršoj (Arsl) kaj Kucoj
(Kuči), au "Tokaroj" (Tokharoi).

On appelle, imprudemment1, depuis la publication de textes brillamment


fournie à partir de 1908 par Emil Sieg et Wielhelm Siegling, "Tokhariens" les
locuteurs de deux langues apparentées, parlées autrefois dans la partie nord
(restriction à laquelle on apportera dans un instant un rectificatif) de la
dépression du Tarim (le "Sin-Kiang" de l'administration chinoise).
Les documents en ces deux langues ont été relevés par une série de
missions scientifiques allemandes, françaises, britanniques, russes, japonaises,
plus récemment chinoises, essentiellement entre 1900 et 1915 (Paul Pelliot,
Aurel Stein, Albert Grùnwedel et Albert von Le Coq, etc.). Ils consistent très
majoritairement en textes bouddhistes, directement traduits du sanskrit ; et,
subsidiairement, en documents privés (par exemple concernant les transactions
économiques), inscriptions, graffiti, etc. Les plus anciens remonteraient au
Vème siècle, les plus récents au VHIème siècle. On estime que l'on a continué à

* Bernard Sergent (CNRS). 3, rue Saint-Laurent. 75010 PARIS.


1. Cf. Meillet, 1914 ; Lévi, 1933 ; Konow, 1933 ; Bailey, 1936 ; Filliozat, 1947, 676 ; 1948 ; Tarn, 1951,
239, 515 ; Pinault, 1987, 23-25 ; Xu, 1995, 362, n. 13, fournit plusieurs références sur la dicussion
(P. Pelliot, W. B. Hennin g, I. Umnyakov, Wang Ching-Ju, H. B. Bailey, W. Thomas) ; cf. aussi la note
suivante.

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employer ces langues, sous domination chinoise un temps, jusqu'à la conquête


turque (Ouïgours) au Xème siècle au moins.
Le déchiffrement de ces langues, écrites dans des écritures d'origine
indienne, a été facilité par le fait qu'il s'agissait souvent de transcriptions, et
parfois littérales, des textes indiens évoqués. On découvrit alors qu'il s'agissait
de langues indo-européennes, d'un caractère original, à la fois conservant
beaucoup d'archaïsmes, très évoluées, et ayant subi l'influence des langues non
indo-européennes, en tout cas très différentes des langues indo-européennes,
indiennes et iraniennes, parlées dans la région ou la périphérie à la même
époque. On découvrit aussi les noms indigènes des locuteurs de ces langues :
les uns étaient les Kuči, dont la capitale, Kucâ, existe encore sous ce nom (chinois
K'u-ch'e) ; les autres étaient les Arši1.
Le vocable "tokharien" repose sur un rapprochement fragile : un texte
ouïgour disant qu'un texte indien, le Maitreyasamitinâtaka, a été traduit dans la
langue twgry, et les documents du Tarim ayant fourni ce texte précisément dans
une des deux langues en question, il a été conclu que twgry désignait le
"tokharien", et qu'ainsi ce nom de peuple, fourni par des auteurs antiques,
s'appliquait aux porteurs de ces deux langues nouvellement découvertes.
Or, la phonétique s'oppose à cette identification, comme le relevait Sylvain Lévi
dès la publication du travail de Sieg et Siegling, et il semble que twgry était
simplement le nom donné par des voisins à une partie des peuples du
Sin-Kiang. En fait, les textes antiques présentent les Tokhariens comme des
nomades, apparemment du groupe scythique, donc, en ce cas, de la famille
linguistique iranienne, et en tout cas dont la localisation ne coïncide nullement
avec celle des Arái et Kuči (ils étaient en effet à la fois à l'Est et à l'Ouest, selon
l'époque, au-delà en tout cas du quasi-cercle de montagnes qui entoure le
Sin-Kiang ; la question est cependant ouverte de savoir si, en leur première
localisation, vers le Кап-Su, à l'Est-Nord-Est du Sin-Kiang, ils ne constituaient
pas un prolongement du même groupe de peuples3). La prudence, en ces

2. Lévi, 1933, 4-6 ; Henning, 1978, 215 ; Pinault, 1987, 20-23.


3. La meilleure mise au point récente sur le "tokharien" est celle de Georges Pinault, 1987. - On tient
généralement les Tokharoi pour un peuple de langue iranienne, du groupe saka (scythe), sur la foi
des anciens (Strabon, XI, 8, 2 (511) ; Trogue-Pompée, dans Justin, Prol., 42), ainsi Laufer, 1917 ;
Konow, 1933 ; Herrmann 1936 (a), 1632 ; Bailey, 1937, 1985 ; Tarn, 1951, 239, 515-517 ; Sinor, 1990
(noter que, selon le troisième de ces auteurs, les Tokharoi étaient en fait une couche de sédentaires
dominés par les nomades Yiieh-Cih ; la plupart des auteurs identifient les Tokharoi à ces derniers,
ainsi Laufer, 1917, Tarn, 1951, 217 ; Bosch-Gimpera, 1961, 233-236 ; Haskins, 1961, 155 ; Narain,

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1967 b, 1990 ; Henning, 1978 ; André et Filliozat, 1980, 80 ; Sinor, 1988, 152-160 ; Xu, 1995 ;
Pulleyblank, 1995 ; etc.). Cela dit, leur langue originelle est inconnue (installés en Bactriane, ils
parlaient une variété de moyen-iranien connue aujourd'hui sous le nom de "bactrien", cf. Pinault,
1987, 24, mais, auparavant, en était-il déjà ainsi ?), et il n'est pas totalement impossible qu'ils
représentent, eux aussi un rameau du même ensemble linguistique que les Arái : en ce sens,
Henning, 1978, 225-226 ; Pinault, 1987, 25 ; Narain, 1990 ; Pulleyblank, 1995, 431-435. Adams, 1995,
402-403, considère la question comme encore indécidable. Dans le cas de la dernière hypothèse, les
Tokharoi auraient représenté, avant d'être chassés par les Hiung-Nu, с -170 (si, comme il y a de
fortes raisons de le penser, ils sont identiques aux, ou étaient dominés par les, Yueh-Cih des
documents chinois), le peuple le plus oriental, du côté de l'actuel Кап-Su, du groupe Arsl-Kuči. Sur
eux, cf. surtout Herrmann, 1936 a, et Tarn, 1951, 515-519. Je ne discuterai pas ici la thèse développée
dans son article de 1978 par R. Henning, et selon laquelle les Guti qui attaquèrent la Mésopotamie
dans les derniers siècles du Illème millénaire seraient les ancêtres des Arái-Kuči. Outre que ce débat
n'intéresse pas la question ici traitée, il implique des compétences en chinois que je n'ai pas. Certains
des arguments de Henning sont en tout cas intéressants, d'autre données paraissent s'y opposer. Je
signale tout de même de curieux arguments en faveur de sa thèse, qu'il a ignorés. Le premier (que
me fait remarquer Xavier Delamarre) est que le roi des Guti se donnait le titre de "roi des quatres
régions"
(Glassner, 1987, 260) ; or, les sources chinoises mentionnent une division en quatre du pays
Arái-Kuči, sous le nom "les Quatre Garnisons", Lévi, 1933, 29 ; et aussi dans les sources oOigour, cf.
Henning lui-même, p. 226. Le second est le suivant : dans un article assez spéculatif où il essayait de
démontrer que le foyer de dispersion des Indo-Européens avait été le nord du Proche-Orient,
I. J. Gelb a étudié la répartition du suffixe -ont-, formateur de participes présents, d'adjectifs, etc., en
indo-européen, dans cette région : il observe qu'on le trouve en Anatolie (ce qui est logique : on y
parlait des langues anatoliennes, hittite, etc., de la famille indo-européenne), mais nulle part dans le
Proche-Orient, hormis dans des noms de rois guti : l'un est appelé Jarlaganda, Jarlagan, Jarlagas,
formes qui peuvent remonter à *Jarlagan(ts) ; un autre nom royal Guti est Tirigan, et on a à Chagar
Bazar les noms Huhhan, Tarikan, qui peuvent être également guti et comprendre le même suffixe
(Gelb, 1953, 30) ; c'est un indice que les Guti parlaient une langue indo-européenne ; enfin, d'une
belle étude de François Vallat sur la géographie élamite, il ressort que le pays appelé Tukriš, dans les
sources mésopotamiennes devait se trouver au Ilème millénaire, en raison de ses productions et de
sa place dans les listes, "dans la partie du Kerman (sud de l'Iran) située entre la ville de Kerman et
celle de Siroft" ; or, cette région est celle également où il localise le pays de Simaški, mais, note-t-il, il
n'y a pas contradiction, car Simaški "n'est attestée qu'au Illème millénaire alors que Tukriš
n'apparaît dans les sources écrites qu'au Ilème millénaire quand Simaški n'est plus mentionnée que
dans les titulatures figées" (Vallat, 1985, 54) : c'est indiquer que Tukriš a remplacé partiellement
Simaški, ce qui s'interprète au mieux si Tukriš est le nom d'envahisseurs (les Tokharoi). Voilà autant
de données qui militent dans le sens d'Henning, sans toutefois emporter la conviction.
- Gamkrelidze et Ivanov, 1991, approuvent la thèse de Henning, mais sans apporter un seul élément
nouveau - ou, plus exactement, ceux qu'ils proposent à l'appui de cette hypothèse sont fallacieux
(par exemple, la présence de termes d'origine turque en "tokharien" indiquerait que les ancêtres de
ceux-ci ont traversé le Turkestan soviétique, en provenance du Proche-Orient, pour gagner le Sin-
Kiang ; les auteurs n'ont tout simplement pas tenu compte de la date de l'installation de locuteurs
de langues turques en Asie centrale ex-soviétique...). - Pinault, 1987, 25, rejette purement et
simplement la thèse de Henning, faute d'arguments en sa faveur. Soit. Mais je ne peux le suivre
lorsqu'il écrit que la langue commune des futurs Arái-Kuči se détacha de l'indo-européen et "fut

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conditions, est d'éviter - malgré l'habitude acquise - l'appellatif "tokharien", qui


est confusionniste, et d'employer les autoethnonymes connus, Arái et Kuči .
L'époque de l'installation des Arši et Kuči en leur territoire historique est
restée longtemps un mystère, mais des données nouvelles ont progressivement
réduit notre ignorance.
Les premiers furent linguistiques. Des documents découverts à l'est de
Khotan, donc dans le sud du Sin-Kiang, au pied du plateau du Tibet - alors que
les premiers, sur Tarai et le kuči, avaient été trouvés au nord -, et appartenant à
un royaume appelé Kroraina, limitrophe de celui de Khotan au Illème siècle de
notre ère, sont rédigés en une langue indienne (un prâkrit), mais truffée
d'emprunts à une langue dont l'affinité avec celles des Aréi et Kuči est manifeste. La
question de savoir si cette langue est l'une des deux déjà connues, ou bien une
troisième du même groupe, n'est pas encore résolue. En tout état de cause,
j'appellerai ici "Krorainique" la langue d'affinités ďarái-kuči, de l'ancien
royaume de Kroraina où elle paraît avoir été le "substrat", c'est-à-dire la langue
des indigènes, avant la mainmise indienne sur la région4.
La conclusion à tirer, déjà, de ces observations, est la suivante : bien loin
d'être un peuple, ou un couple de peuples, aléatoirement échoué au nord du
fleuve Tarim à la suite des mouvements des tribus scythiques et altaïques
(j'emploie ce dernier terme au sens linguistique, pour désigner les Turcs,
Mongols, Tunguz) qui remplissent l'Asie centrale à partir du Ilème siècle,
aboutissant d'abord à la conquête de l'Inde par les Kušan, et quelques siècles

gardée par des(ibid.).


Indo-Iraniens" populations
En effet,se(a)déplaçant
ces hommes
continuellement
disposaient, depuis
vers l'Est,
leursans
séparation
contactd'avec
ancienles
avec
autres
les
Indo-Européens, du cheval (cf. même ouvrage, p. 42), et l'on ne voit pas pourquoi ils auraient migré
lentement, "continuellement", vers la Chine, alors que les autres peuples indo-européens disposant
du cheval ont rapidement parcouru, surtout dans cette région du monde, d'immenses distances ;
(b) la culture d'Andronovo qui, depuis la fin du Hlème millénaire, couvre toute une partie de la
Sibérie du Sud-Ouest, est très vraisemblablement la culture-mère des peuples de langue iranienne :
si les ancêtres des Arái-Kuči avaient "continuellement" vécu sur le trajet qui mène des steppes
européennes à la Chine, ils auraient littéralement baigné dans un environnement iranien, sinon
in do- iranien - et cela se noterait dans leur langue bien davantage que ce n'est le cas. Dès lors, un
"détour", comme celui dont parle Henning, est plausible : ils ont pu ne pas gagner le Sin-Kiang
directement. Ou, s'ils l'ont fait, c'est qu'ils avaient "foncé" vers l'Est, longtemps avant que des
locuteurs des langues iraniennes ne prennent le même chemin.
4. Burrow, 1935 ; Pinault, 1989, 9-10, Adams, 1995, 399. Burrow appelait cette langue le
"Tocharien C".

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plus tard à celle de l'Europe par les Huns, jusqu'au Bassin Parisien, les Arái-
Kuči-Krorainiques apparaissent avoir constitué un groupe humain depuis
longtemps sédentarisé dans le Tarim, et dont la différenciation linguistique
semblerait s'être effectuée sur place.
Un autre indice linguistique de l'ancienneté de l'installation de ces gens
dans le Tarim est le suivant : on décèle une influence iranienne sur leur culture,
antérieure aux influences indiennes et chinoises. Ces dernières sont patentes à
l'époque des sources écrites : l'écriture est d'origine indienne, les textes sont
bouddhistes, ils témoignent de l'activité régionale de sectes issues du nord-
ouest de l'Inde, les rois Arái et Kuči portent des noms indiens, etc., tandis que
la pression politique vient des Chinois, qu'on écrit, entre autres, sur du papier
fabriqué en Chine, etc. Or, on trouve des mots d'origine iranienne dans les deux
langues en question, et leurs noms nationaux eux-mêmes, textuellement "les
Blancs, Brillants" pour les deux, paraissent avoir été des concepts dynastiques,
et rappellent alors étroitement les conceptions iraniennes sur la "gloire
lumineuse", le célèbre xvarana 5. Plutôt qu'à l'époque sassanide, où l'influence
indienne paraît être celle qui domine dans la région (cf. ci-dessus, le royaume
de Kroraina), cette influence iranienne peut remonter aux époques achémé-
nides, ou parthes, ou être due aux Scythes6 : en tout cas, dans les trois cas, cela
remonte à une époque antérieure à notre ère.
L'archéologie prend alors le relais de la linguistique. À partir des années
70, d'importants travaux d'infrastructure dans le Sin-Kiang ont révélé un
nombre important de cimetières, situés à la périphérie du bassin, qui ont livré
un grand nombre de "momies", c'est-à-dire de corps humains que les
conditions d'extrême sécheresse avaient admirablement préservé, bien qu'ils
remontent à une période antérieure à notre ère. La peau, les vêtements, sont
conservés. Mais, ce qui a frappé le plus les spécialistes, c'est que pratiquement
tous les crânes antérieurs à notre ère sont "caucasoïdes", c'est-à-dire de type
européen. On y distingue trois types, le plus ancien ayant quelques affinités
avec celui dit d'Afanasievo, d'un site de l'Âge du Bronze de Sibérie centrale, et

5. Pinault, 1989, 22.


6. Des Scythes (Saka) ont occupé un moment le Sud du Tarim, dans la région de Khotan, Adams,
1995, 399. D'autres ont occupé toute la région orientale, du côté de Кап-Su, cf. Mair, 1995, 292, et sur
ce, outre la question de l'identification des Yùeh-Cih, Tokharoi, Wu-Sun (cf. ci-dessus, n. 3) et des
Issédones (ci-dessous, n. 25), Ptotémée mentionne dans l'Est de la Sérique un peuple des Aspakarai,
au nom typiquement iranien, textuellement "armée de chevaux".

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avec ceux de Sibérie du sud, d'Asie centrale soviétique, de la basse Volga au


Chalcolithique ou à l'Âge du Bronze. Les plus récents ont des affinités avec le
type dit d'Andronovo, et doit représenter l'apport scythique7. Est-ce à dire que
le premier a quelque chose à voir avec les Arái-Kuči ?
La question est âprement discutée, mais deux arguments engagent à une
réponse positive : 1°) les traits physiques et les vêtements des "momies"
rappellent ceux des princes Arái et Kuči figurés dans les grottes bouddhistes de Qyzyl
et de Qumtura près de Kuča quelques siècles plus tard8 ; 2°) la chronologie des
tombes contenant ces corps va jusqu'au début de notre ère, ainsi jusque vers 200
au site de Mongghol Kôra sur la rivière Teres, qui devait se trouver sur ou tout
près du territoire des Kuči9 : or, on a dit comment les arguments linguistiques
engagent à penser que les Arši-Kuči étaient présents là dès les siècles antérieurs
à notre ère.
Dans ces conditions, comme ces cimetières commencent vers -1800, il
semble en découler que les ancêtres des Aréi, Kuči et autres du même groupe
sont arrivés dans le Sin-Kiang à cette date. Ce qui donne quelque consistance à
l'idée, défendue par James Mallory, que les Arái-Kuči sont issus de la culture
sibérienne d'Afanasievo, et se sont installés dans la région du Tarim bien avant
que ne commence l'expansion vers l'Asie, en provenance des mêmes régions
européennes, des locuteurs des langues indo-iraniennes10.
Concluons : on appelle (à tort, mais classiquement) "Tokhariens" un
groupe de peuples étroitement apparentés qui, depuis bien avant notre ère,
occupaient l'ensemble des terres fertiles (versant nord et versant sud) de la
dépression du Tarim.
Dès lors, je n'ai pas besoin d'écrire des pages et des pages pour exposer
un point qui m'est désormais tout à fait clair, aussi lumineux que la gloire
royale dont on parlait ci-dessus : à savoir qu'il y a coïncidence totale entre
ce que l'on sait à présent de la localisation et de la datation des Arši-Kuči-

7. Mair, 1995 ; Xu, 1995 ; Mallory, 1995. -Sur la civilisation d'Andronovo comme "matrice"
historique des peuples iraniens, Sergent, 1997, 175-178, avec les références. - Tout le numéro 23.3-4
du JIES, contenant les articles cités ici et ceux de Pulleyblank, Adams, Opie, Ringe, cités ci-dessus
ou ci-dessous, est un trésor d'informations tant sur ces momies que sur la question des Arái-Kuči en
général.
8. Mair, 1995, 299 ; Adams, 1995, 404.
9. Adams, 1995, 403 ; Opie, 1995 ; Pulleyblank, 1995.
10. Mallory, 1989, 226 ; 1995.

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Krorainiques et ce que l'on entrevoyait auparavant de la localisation des fameux


Sères, ces correspondants commerciaux de l'Empire romain à qui ils apportaient
la soie, laquelle, en notre langue, tire ultimement son nom du leur.
Que les Sères ne soient pas les Chinois, ainsi que cela a été longtemps
pensé, cela est couramment admis de nos jours, et Yves Janvier, entre autres, Га
nettement démontré11. Je renvoie à son exposé. Mais, si les Sères ne sont pas les
Chinois, qui sont-ils ? La tendance actuelle est d'estimer qu'il s'agit d'un mot
vague, désignant l'ensemble des peuples orientaux que la Route de la Soie
connectait au monde méditerranéen12. Y. Janvier incline vers les Tibétains, plus
le Cachemire et le Sin-Kiang, entre autres raisons parce que les textes anciens
disent que les Sères étaient doux et gentils, et que les Tibétains le sont
également... C'est un peu faible13. Mais je n'ai pas besoin de polémiquer ici
contre qui que ce soit, ni de discuter point par point toutes les hypothèses
- nombreuses - proposées autour du même sujet. J'ai à dire une évidence.
À part des apparitions sous la plume de poètes latins du 1er siècle, dans
des enumerations de peuples qui n'apportent rien à la question ici discutée
- sinon qu'Horace considère les Sères comme des voisins et des alliés potentiels
des Bactriens, et à ce sujet mentionne la "flèche sérique", ce qu'on a interprété,
peut-être hâtivement, comme un démarquage de la "flèche parthe" ou "scythe",
poncif littéraire14 -, ils sont mentionnés à la même époque par le géographe

11. Janvier, 1984. - À vrai dire, dès 1910, un Georges Coédès notait que les descriptions du pays des
Sères par les anciens correspondaiten bien mieux au Turkestan chinois qu'à la Chine (1910,
XII-XXIX).
12. Ainsi par exemple Sartre et Tranoy, 1990, 156.
13. Cf. Janvier, 1984, 288-289. L'affabilité des Tibétains n'est pas une donnée innée et éternelle ; son
histoire paraît faisable : elle est due à la fois à la conversion au bouddhisme et aux contacts avec la
cour de Chine, cf. Bacot, 1962, p. 14, 45, 49 n. 3, 97, 102. Antérieurement, ils étaient fort guerriers,
et ... anthropophages (ci-dessous) ! - Quant à l'article d'Yves Janvier, il est affaibli par ce qui semble
bien avoir été une idée préconçue : il lui fallait les Tibétains parmi les Sères ! - lors même, cf. ci-
dessous, que ces derniers sont des gens aux yeux bleus et aux cheveux rouges...
14. Horace, Odes, 1, 29, 9 ; or les Arái-Kuči ont bien été des guerriers, cf. Pinault, 1989, 23-24 (les
nobles arái-kuči, sur les fresques de Qyzyl, "sont des guerriers : ils portent avec aisance des armes
dans leur costume d'apparat - généralement un court poignard, ou une longue épée pour certains,
des armures dans les conditions de joutes et de batailles"). Ajoutons que ces hommes ont tenu le
Sin-Kiang quelque trois millénaires et demi : cela ne se fait pas sans de solides qualités militaires ; et
les Chinois ont eu bien du mal à vaincre les gens situés au nord du fleuve Tarim, aussi bien sous les
Han que sous les Tang, cf. Lévi, 1933 (ces observations vont contre celles de Hennin g, 1978, 215-216,
sur le manque d'énergie et de personnalité des locuteurs du "tokharien" !). En fait, avec les Tochari à
l'est, vers le Кап-Su, avant l'attaque des Hiung-Nu, et avec les Phrunoi, ci-dessous, à l'entrée d'une

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Strabon : après avoir évoqué les immenses conquêtes des rois (grecs) de
Bactriane vers l'Ariane (en Afghanistan) et l'Inde du nord-ouest, il termine son
paragraphe en disant que l'empire bactrien s'était également étendu "jusqu'aux
Sères et aux Phrunoi"15. Puisqu'il s'agit d'une autre direction que l'Inde, et
que cette direction ne se trouve évidemment pas vers l'ouest de la Bactriane,
les commentateurs ont justement conclu que l'auteur évoque ici des conquêtes
tournées vers l'Asie centrale.
Les Phrunoi, inconnus par ailleurs, ont naturellement fait l'objet de bien
des hypothèses. En dernier lieu, l'universitaire indien A. K. Narain rejoint
l'interprétation proposée dès 1884 par Arthur Cunningham, qui rapprochait
le nom d'une localité attesté en chinois, Phu-Li (dans les Annales des Han
antérieurs, avant notre ère, donc), actuelle Taš Kurghan, en chinois actuel P'u-li,
située à l'arrière du fond occidental de la dépression du Tarim, au sud de
Kašgar16. Une telle localisation fait des Phrunoi des voisins, au sens précis du
terme, des Kuči : si elle est exacte, elle fait des Phrunoi les gardiens d'un des
accès au pays de ceux-ci. En étaient-ce des alliés, ce que l'indication de Strabon
suggérerait ? Et dès lors, en était-ce aussi des parents, un rameau de l'ensemble
Arši-Kuči ?... De son côté, W. W. Tarn, l'historien des Grecs de Bactriane,
proposait de placer les Phrunoi à Khotan, car des mots grecs figurent dans les
documents trouvés près de cette ville17. Dans l'une et l'autre hypothèses, les
Sères sont situés dans le Tarim : soit, dans la première, que les rois de Bactriane
aient, en marche vers cette région, rencontré d'abord les Phrunoi - Taš Kurgan
est sur le haut Yarkand, au débouché de la route qui vient de Gilgit, à l'extrême
nord-ouest de l'Inde, par la passe de Kilik - puis ont débouché en pays kuči ;
soit qu'ils aient rencontré les Phrunoi à Khotan, dans le sud du Tarim : le pays
est celui du "substrat" du Kroraina, et voisin du pays des Kuči - dont les

des routes à travers le Pamir, tout se passe comme si le Sin-Kiang avait été "sanctuarisé" pendant de
longs siècles par les Arái-Kuči et leurs alliés (sinon parents...). - Liebermann, 1957, 174, notait la
pertinence du rapprochement géographique entre Sères et Bactriens dans Horace, mais invoquait
encore la Chine...
15. Strabon, XI, 11, 1(516).
16. Cunningham, 1884, 148-149 ; Narain, 1967 a, 26-27, 170-171 ; cf. François Lasserre, dans Strabon,
Géographie, édition des Belles Lettres, t. XI, 1975, p. 170. Narain, /. c, admet également, avec
Cunningham, que "Sères" désignait d'abord Kašgar (dans le Sin-Kiang), puis a été étendu à la
Chine : hypothèse inutile. C'était en gros celle de Coédès, 1910, XXII.
17. Tarn, 1951, 84-87.

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16 Bernard Sergent

documents les plus occidentaux ont été découverts à Maralbaši, un peu en aval
sur le Yarkand, à peu près entre Kašgar et Kucâ.
Strabon mentionne par ailleurs la longévité des Sères18, et, surtout, la
serica, "que l'on tisse en se servant de certaines étoffes décortiquées"19 : les
Anciens ignoreront, jusqu'à la fin de l'Antiquité, la nature et l'origine réelles de
la soie. On ne s'attardera pas ici sur les problèmes d'interprétation des textes, de
confusion vraisemblable avec le coton, etc.20 : car, de toute manière, les Sères
étaient en fait, à cette date en tout cas, des intermédiaires, entre les vrais
fabricants (Chinois) et les Occidentaux.
Un peu après Strabon, une localisation précise des Sères est fournie par le
géographe latin Pomponius Mela, contemporain, estime-t-on, de Claude :
"En Asie les premiers hommes que nous connaissons à partir de l'orient
sont les Indiens, les Sères et les Scythes. Les Sères habitent à peu près l'espace
médian de la partie orientale, les Indiens [et les Scythes] les extrémités ; ces
deux peuples occupant un vaste espace et ne s'étendant pas seulement en
direction de cette mer [celle que Pomponius Mela situe juste au-delà de notre
Asie centrale]. Les Indiens, en effet, sont aussi tournés du côté du midi et les
rivages de la mer indienne sont occupés longtemps, aussi loin du moins que
l'extrême chaleur ne les rend pas inhabitables, par la suite ininterrompue de
leurs peuplades. Les Scythes sont tournés également vers le septentrion et
occupent le littoral scythique, sauf là où le froid les en empêche, jusqu'au golfe
caspien"21.

Cette disposition est précisée plus loin22 :

18. XV, 1, 34 (701) ; 37 (702). Le thème sera longuement repris par la suite.
19. XV, 1, 20 (694).
20. Cf. Janvier, n. 25, p. 265 ; et la longue note d'André et Filliozat, 1980, pp. 75-76. Je ne rediscuterai
pas cette question ici, mais je note seulement que parmi les sources de confusion des anciens sur la
question de l'origine de la soie, il y a eu certainement mélange, quasiment à la source, avec la
fabrication du papier : celui-ci vient en effet - entre autres - du mûrier, directement (écorce), comme
la soie en vient (indirectement), et l'arrosage des "feuilles" dont parlent Pline (texte cité plus bas) et
d'autres auteurs antiques (cités par André et Filliozat, loc. cit.) s'applique bien à la fabrication du
papier. - Celui-ci est désormais attesté en Chine depuis le Ilème siècle (Temple, 1987, 81), et dans le
bassin du Tarim, à Niya, également dès le Ilème siècle (Hambis, 1967, 785).
21. Chorographie, I, (2), 11. Traduction A. Silberman.
22. III, (7), 60.

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Les Sères sont les soi-disant « Tokhariens »... 17

(Après mention et caractérisation des Scythes), "Viennent ensuite à


nouveau ces contrées désertes infestées de bêtes monstrueuses et qui vont
jusqu'à une grande montagne appelée mont Tabis, qui surplombe la mer. À une
grande distance de celle-ci s'élève le Taurus. Dans l'intervalle il y a les Sères,
race pleine de justice, très connue pour leurs échanges commerciaux, qui se font
hors de leur présence après qu'ils ont laissé leurs marchandises dans un lieu
isolé".

Commentaire :
La description de Pomponius Mela est extrêmement rigoureuse, sa seule
erreur venant de la méconnaissance complète dans laquelle étaient ses
contemporains vis-à-vis des contrées de l'Asie orientale (je suis ici l'interprétation,
judicieuse, d'Yves Janvier). Il ressort en effet de son texte que la Chine lui est
totalement inconnue : il la remplace par une mer, partie de cet Okéanos
périphérique directement issu de la géographie mythique grecque (et c'est ainsi,
par exemple, que la mer Caspienne devient "golfe caspien" ! car la géographie
grecque puis latine a longtemps pensé que la Caspienne était ouverte au nord,
sur cet océan périphérique). Pour le reste, il place, en latitude, à partir du sud,
trois grands peuples : les Indiens, les Sères, les Scythes. Les Indiens sont tournés
du côté du versant sud de la terre habitée, les Scythes du côté du versant nord.
Le pays des Sères est donc inséré entre eux ; et il est en creux - ce n'est donc
certes pas le Tibet ! - puisqu'il est compris entre deux grandes chaînes de
montagnes, le Tabis et le Taurus23. Ce dernier n'est donc que l'Himalaya, et tous
les massifs montagneux qui lui sont liés24.
La description est donc tout à fait précise, et l'identification du pays des
Sères évidente, une fois admis que Pomponius Mela ignore la Chine et la
remplace par l'Océan périphérique : puisque ce pays est compris entre le Taurus
au sud (l'Himalaya) et le Tabis, celui-ci ne peut être que l'immense chaîne des
Tien Chan, "Montagnes du Ciel", qui encadrent la dépression du Taurus au
nord, tandis que les montagnes dont le Taurus fait partie (Pamir, Tibet et monts

23. V. le schéma, dans Janvier, 1984, 266.


24. I, (15), 81 (Référence fausse dans Janvier, 265, n. 27) : le Taurus "forme avec sa chaîne la limite
entre de grands peuples et, après avoir séparé les terres, il aboutit à la mer. Le nom dont on a
désigné son ensemble est aussi celui que porte sa partie qui regarde vers l'orient, ensuite il s'appelle
Hémodès, Caucase, Propamisus, puis Portes Caspiennes, Niphatès, Portes Arméniennes, enfin de
nouveau Taurus, là où il touche à notre mer". Hémodès est la transcription d'un nom indien de
l'Himalaya, Hîmavant, Filliozat, loc. cit., n. 6, p. 79.

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18 Bernard Sergent

Kuen-Lun, Karakoram, Himalaya) forment sa limite méridionale. Les Indiens


sont au sud de cette montagne (et, si Pomponius a entendu parler des Tibétains,
il les a classés parmi les Indiens), les Sères occupent la dépression intermédiaire,
les Scythes sont au nord de la chaîne du Tabis, donc vers l'actuelle Dzoungarie.
Ainsi, il ressort de la description de Pomponius Mela, tout comme des allusions
de Strabon, que les Sères occupaient l'actuel Sin-Kiang. Et, comme ce ne sont
pas des Indiens (tels ceux du royaume de Kroraina) ni des Scythes (comme ceux
qui occupèrent un moment la région de Khotan), la conclusion à tirer
objectivement de ces textes est que les Sères ne sont autres que les Arši, Kuči, et
éventuellement, autres peuples apparentés.
Quant à la gentillesse des Sères, c'est un topos de la littérature d'époque
impériale. Or, il est remarquable que, dans ce qui paraît bien avoir été la plus
ancienne mention occidentale des Arši-Kuči, à savoir la description par
Hérodote du peuple des Argippaioi 25, il est dit d'eux :

25. Henning, 1978, n. 3. - Cette localisation des Argippaioi dans le Tarim, puisque le nom renvoie
déjà à celui de la ville d'Arsi, modifie toute l'interprétation géographique d'Hérodote, IV, 22-26
(cf. Legrand, Hérodote, Histoires, Les Belles Lettres, t. IV, 1913, pp. 61-63, qui suit Westberg, 1904,
184 ; cf. aussi Minns, 1913, 108 ss. ; Herrmann, 1916, col. 2241-2242 ; et Berthelot, d'Anville,
Tomaschek, Marquart, Pelliot, cités par Fontaine, 1977 (cf. ci-dessous, n. 71), 110-116), en faisant
tourner en quelque sorte les identifications d'un quart de cercle vers l'Est à partir des Boudinés :
après ces derniers (localisable en Russie d'Europe, et qui sont certainement des Baltes, cf. Gimbutas,
1986, 15), Hérodote parle de peuples situés à l'Est : d'abord les Thussagétai (donc vers l'Oural), puis
les Iurkai (en lesquels on reconnaît à juste titre des "Ougriens", il faut y voir alors ceux d'Asie, du
bassin de l'Ob, entre Oural et Altaï, ancêtres des Ostiak, Vogul et sans doute Magyar), puis un
groupe de Scythes, dans un pays qui, comme la Russie méridionale, est "une plaine à la glèbe
profonde", donc en Sibérie du Sud-Ouest (zone de tchernoziom), ensuite de quoi, après "une vaste
étendue de pays rocailleux", les hautes montagnes au pied desquelles vivent les Argippaioi : ces
hautes montagnes sont donc les Tien-Shan ; puis, "au-dessus" des Argippaioi, "de hautes
montagnes, inaccessibles, forment là une barrière que personne ne franchit" - excellente description
de l'autre côté du pays des Argippaioi = Arái (Kuči), à savoir les monts Kuen-Lun, limite
septentrionale du Tibet -et, selon les Argippaioi eux-mêmes, dans ces montagnes vivent des
hommes aux pieds de chèvres : donc, les Tibétains (dont la vie est intimement liée au yack :
confusion entre les hommes et eux ?) ; à l'Est des Argippaioi vivent les Issèdones (donc vers le Kan-Su,
ou, au-delà, la Mongolie ; comme on sait que le grand peuple qui occupait jusqu'au Ilème siècle le
Kan-Su, les Yueh-Cih des Chinois, Tokharoi/Tochari des Occidentaux, en a été chassé à ce moment
par les Hiung-Nu, qu'une partie se réfugia dans le bassin du Tarim, et que précisément Ptolémée,
au Ilème siècle de notre ère, nomme Issèdôn une localité de la Sérique, et évoque le "grand peuple
des Issèdones" comme l'un de ceux du Tarim, il s'ensuit que les Issèdones sont certainement les
Yueh-Cih - quelle qu'ait été, au demeurant, l'identité ethnique de ceux-ci. Hérodote ne se prononce
pas sur celles des Issèdones, mais selon Hékataios, cité par Stéphane de Byzance, Pline, VI, (XIX), 50,
Solin, XV, 131, IL, 7, ils étaient des Scythes. - Si l'on réunit les indications des anciens sur les
Issèdones, qui en font donc des Scythes, alors qu'il y a quelques raisons de penser que les

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Les Sères sont les soi-disant « Tokhariens »... 19

"Aucun humain ne les offense, car on les tient pour sacrés ; et ils ne
possèdent aucune arme de guerre ; ce sont eux qui tranchent les différends de
leurs voisins ; et quiconque, chassé de son pays, s'est réfugié chez eux, est à
l'abri de toute offense "26.
Voilà qui paraît contradictoire, si l'on identifie, avec Richard Henning, les
Argippaioi aux Sères, tant avec la "flèche scythique" d'Horace qu'avec la
campagne militaire des Bactriens contre les Phrunoi et les Sères. Mais, comme
l'a bien vu Philippe Legrand, le traducteur d'Hérodote aux Belles Lettres, "ce
qui est dit d'une tribu entière, si ce n'est pure imagination, ne devait être vrai
que d'une caste ou de personnages isolés"27. De fait, étant indo-européens, les
Aréi-Kuči ont fort bien pu avoir, avant leur conversion au bouddhisme, une
caste ou "catégorie socio-professionnelle" de prêtres, à l'instar des brahmanes
indiens, des mages iraniens, des druides celtiques. Ainsi s'explique que le même
peuple puisse être crédité d'une grande pacificité, et ait compris d'authentiques
guerriers28. De fait, les mots d'Hérodote sur les Argippaioi évoquent très
précisément certaines pratiques et institutions indo-européennes : l'existence
d'une caste religieuse tenue pour sacrée (les druides, les brahmanes, ont, chacun
en leur domaine, le monopole des sacrifices), qui ne participe pas aux activités
guerrières, qui est arbitre en cas de conflit29 ; et l'existence de sanctuaires
bénéficiant du droit d'asile est une donnée juridico-religieuse parfaitement
attestée en domaine indo-européen30.
Le motif de l'échange silencieux, dans Pomponius, est aussi un motif
traditionnel, depuis Hérodote, qui ne l'appliquait toutefois pas au même

Tochari/Tokharoipouvaient être apparentés linguistiquement aux Arsl-Kuči (ci-dessus, n. 3), on est


incliné à revenir à l'hypothèse d'Hermann, qui voyait dans les Yueh-Cih un peuple nomade
dominant des cultivateurs sédentaires, les Tochari : en ce cas, les Tochari, installés depuis très
longtemps dans le Кап-Su, au voisinage des Arái et Kuči du Tarim, auraient été soumis par une
population de langue scythe - dont on comprend mieux qu'elle ait adopté, parvenue en Iran, une
langue iranienne, le bactrien moyen-iranien signalé plus haut. Un tel tableau a une certaine
cohérence.
26. Hérodote, IV, 23 ; traduction Ph.-E. Legrand.
27. Legrand, loc. cit., p. 62, n. 3.
28. Cf. ci-dessus, n. 14.
29. Cf. Le Roux et Guyonvarc'h, 1986, 107-108, et Diodore, V, 31.
30. V. Caillemer, 1873, pour les données antiques ; ajouter des données slaves, Gubernatis, 1882, 77 ;
Léger, 1895, 94.

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20 Bernard Sergent

peuple. On douterait qu'il ait correspondu à une réalité, dans cette partie du
monde, et de plus sur la Route de la Soie (faute de connaissances, les Anciens
avaient tendance à les remplacer par des poncifs...), mais il y aura,
curieusement, une confirmation indirecte à l'assertion du géographe romain.
Et de même, il est possible que la confusion géographique, qui fait des
Sères les riverains d'une mer imaginaire orientale, ait eu quelques fondements :
à l'endroit où les contreforts des Tien Chan et ceux du plateau du Tibet se
rapprochent le plus, fermant partiellement la dépression du Tarim, un lac, le
Lob Nor, "Vieux Lac", est le reste l'une antique "mer" intracontinentale, dite
Si-Haï par les Chinois ("Mer de l'Ouest"), vaste marécage, oscillant en fonction
des saisons, et progressivement réduit durant les temps historiques ; Elisée
Reclus pouvait écrire :
"Encore aux premiers temps où commence vaguement l'histoire pour les
populations de l'Asie centrale, de véritables mers intérieures s'étaient
maintenues dans la cavité [du Sin-Kiang] : le Thien Chan Nan lou et le Thian Chan Pe
lou, des deux côtés de la pointe orientale des Monts célestes, avaient l'un et
l'autre leur vaste bassin lacustre dont les petits lacs épars de nos jours dans la
plaine ne sont plus que des restes"31.
Ainsi la cité ruinée de Lu-Nan, active pendant une grande partie de
l'époque de la Route de la Soie, était riveraine du lac : elle en est maintenant
éloignée. Pomponius Mela n'avait donc pas complètement rêvé.
À la génération suivante, Pline l'Ancien reprend largement les topoi
littéraires antérieurs, mais fournit un grand nombre de précisions supplémentaires.
Il faut le citer en entier :
Après le pays des Scythes et une contrée inhabitée, on a "la montagne
appelée Tabis, qui s'avance dans la mer. Ce n'est guère avant la moitié de la
longueur de cette côte orientée vers le nord-est que la région est habitée. Les
premiers hommes qu'on y connaisse sont les Sères, célèbres par la laine de leurs
forêts. Ils détachent le duvet blanc des feuilles en l'arrosant d'eau, et ainsi nos
femmes accomplissent la double tâche de dévider les fils et de les retisser : c'est
par un travail si compliqué qu'on obtient d'une contrée si lointaine ce qui
permet à une dame de paraître en public en robe transparente. Les Sères sont
policés, mais, semblables eux-mêmes tout à fait aux animaux sauvages, ils
fuient la société des autres hommes et attendent que le commerce vienne à eux.

31. Reclus, 1882, 114-115.

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Les Sères sont les soi-disant « Tokhariens »... 21

Le premier de leurs fleuves connus est le Psitharas, le second le Cambari, le


troisième le Lanos ; ensuite le promontoire de Khrysè, le golfe de Cirnaba, le
fleuve Atianos, le golfe et le peuple des Attacores, préservés de tout souffle
nuisible par les collines ensoleillées, sous le même climat que les Hyperboréens.
Amonetus leur a consacré une monographie, comme Hécatée aux
Hyperboréens. Après les Attacores viennent les peuples des Thuni, des Tochari et
- nous arrivons maintenant aux Indiens - les Casiri, tournés dans l'intérieur du
côté des Scythes (ce sont des anthropophages). Des Nomades de l'Inde viennent
aussi errer dans ces lieux"32.

Commentaire :
Autant le texte de Pomponius Mela est clair, autant celui de Pline est
confus et confusionniste. Sans doute le premier n'en savait-il pas plus que le
second sur ce qui se trouvait à l'est de l'Himalaya et des Tien Chan, mais au
moins il distinguait, dans son exposé, les choses. Elles se retrouvent mêlées
dans le texte de Pline, et l'on y assiste à un véritable va-et-vient entre l'Asie
centrale et la côte de l'Océan Indien :
- appartiennent à l'Asie continentale le pays des Sères et, sans doute, les
trois fleuves mentionnés avec lui ;
- appartiennent à l'Asie méridionale, maritime, le promontoire de Chrysè,
le golfe de Cirnaba33 ;
- puis, de nouveau à l'Asie centrale, le peuple des Attacori (et son
"golfe"), les Tochari, Casiri et Nomades de l'Inde.

En ces deux derniers, et en particulier les Casiri, "tournés dans l'intérieur


du côté des Scythes", et définis comme Indiens anthropophages, je verrais
volontiers les Tibétains, dont le vaste plateau forme en effet une avancée vers
l'Asie centrale, fermant en partie, je l'ai déjà dit, la dépression du Tarim : il est
connu qu'à d'innombrables reprises dans l'histoire, des Tibétains sont
descendus de leur plateau pour occuper, ou y nomadiser, le Sin-Kiang, le Kan-
Su, et autres basses terres de la périphérie occidentale de la Chine34. Quant au
cannibalisme, il est parfaitement attesté au Tibet, ainsi que parmi d'autres

32. Pline, VI, (XX), 53-55 ; traduction J. André et J. Filliozat.


33. V. les notes André-Filliozat, t. VI, 2ème partie, 77-78.
34. Sur ces incursions vers les plaines au nord du Tibet, innombrables sources ; entre autres Reclus,
1882, 71, 124, 127 ; Pelliot, 1961 (sources chinoises) ; 1990 (1933), 315-316 ; Hopkins, 1980, 33.

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22 Bernard Sergent

populations du groupe linguistique tibéto-birman35. Encore au début de ce


siècle, Alexandra David-Neel le signalait chez les Popa ("habitants du pays de
Po", dans le Tibet oriental), et divers témoignages en font état, au cours des
temps historiques36.
En sens en quelque sorte inverse, des populations du groupe scythique
- dont, peut-être, les Tochari - venaient effectivement jusqu'aux mêmes régions
que celles où "descendaient" les Tibétains, contournant les Tien Chan par le
nord et l'est.
Mais, ses confusions mises à part, les renseignements fournis par Pline
sont tout à fait intéressants.
Parlant du Tabis, il le définit comme une "côte orientée vers le nord-est" :
c'est effectivement la direction des Tien Chan, à partir du Pamir.
Il faut, dit-il, longer presque sur la moitié de sa longueur cette "côte"
pour trouver des habitants : description assez correcte du trajet qu'il faut faire
si, partant du sud de l'actuel Kazakhstan, on cherche un passage vers le Tarim :
le principal se situe à la passe de Torugart, assez loin à Г est-nord-est du début
des chaînes montagneuses.
Il mentionne trois fleuves en pays sère : de fait, la dépression du Tarim
comprend plusieurs fleuves, dont trois sont les principaux, le Kašgar, le
Yarkand qui rejoint le Tarim, et ce dernier, appelé dans son cours supérieur,
entre autres, Kum Arik (quel rapport avec le nom de Cambari ? ? ?)37.
Le nom des Attacori se retrouve dans Ptolémée, au siècle suivant, sous la
forme Ottokororai, et il les place directement dans le pays des Sères, la Sérique
(ci-dessous). Les indianistes ont reconnu en ce nom celui des Uttarakuru, peuple
localisé par les sources indiennes, de manière fort brumeuse, au-delà de
l'Himâvant, ou Himalaya. "Il s'agit d'un peuple tout aussi légendaire que les
Hyperboréens", écrit Jean Filliozat38. J'approuve, là contre, la remarque d'Yves

35. Selon Strabon, XV, 1, 56, citant Mégasthénès, les peuples qui vivent dans le "Caucase"
(l'Himalaya) mangent leurs parents décédés ; sur quoi Danielou, 1976, 216 : l'endocannibalisme est
attesté chez certains peuples tibéto-birmans.
36. David-Neel, (1927) 1983, 152 ; Perrin, 1978, 418 ; 26. Sur l'anthropophagie au Tibet ancien,
cf. Yule, 1875, pp. 302-305.
37. Le nom du Tarim est d'origine turque (ouïgoure), Pelliot, 1944 ; le Kum Arik pourrait être la
«turkisation» d'un nom antérieur.
38. André et Filliozat, /. c, n. 6, p. 79. Dans le même sens, Grossato, 1987, 251, n. 15 (les Uttarakuru
habitent le large plateau formé par le sommet du mont (mythique) Meru, à l'extrême nord de

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Les Sères sont les soi-disant « Tokhariens »... 23

Janvier : "On peut ne pas accepter l'affirmation (en question), selon laquelle les
Attacori seraient un peuple légendaire"39. En effet, les documents découverts à
l'est de Khotan sont à présent d'un apport décisif sur cette question : il y a eu à
côté de Khotan, au Illème siècle - mais depuis quand ? - un royaume de langue
indienne, le Kroraina. Que ce royaume ait été fort mystérieux, et chargé de traits
légendaires, par les Indiens de la péninsule et de la plaine indo-gangétique, rien
que de naturel. Mais, quand Pline, à la fin du 1er siècle, Ptolémée, au second,
mentionnent les Attacori au voisinage des Sères, on ne peut pas ne pas
rapprocher la constitution d'un royaume indien, antérieurement au Hlème
siècle, dans une région qui était précisément occupée par les locuteurs d'une
langue du même groupe que Tarai et le kuči. Et cela confirme que les locuteurs
de ces deux dernières langues, voisins de ce royaume de langue indienne,
étaient les Sères.
Les Tochari, que Pline mentionne après les Attacori et les Thuni, sont
généralement identifiés au peuple que les Chinois appelaient les Petits Yueh-
Cih, c'est-à-dire ceux des Yueh-Cih qui, après l'attaque les Hiung-Nu au second
siècle avant notre ère, n'avaient pas fui jusqu'à la Bactriane, mais s'étaient
réfugiés dans la zone montagneuse qui s'étend au sud du Кап-Su (monts Nan-
Chan), c'est-à-dire juste à l'est du Sin-Kiang40 : si les Attacori correspondent au
royaume de Kroraina, à l'intérieur du Sin-Kiang, et à l'est de Khotan, l'énumé-
ration de Pline suit un ordre logique, en gros d'ouest en Est.
Enfin les Thuni sont autrement inconnus : une correction Phuni a été
proposée, et l'on retrouverait alors les Phrunoi de Strabon, identiques sans doute
aux habitants de Phu-Li des Annales chinoises (ci-dessus) : pays au contact, on
l'a dit, du Tarim, sinon même dedans.
Ainsi, malgré son embrouillamini, la description de Pline reste donc
précise quant à la localisation des Sères, ils sont bien entre le Tabis (le Tien

l'Inde). - Renou, 1947, 372, parlait cependant des Uttarakuru et Uttaramadra comme de peuples
connus des Indiens et habitant "au Nord même du Himalaya", "sans doute au Kaçmir" (lequel n'est
pourtant pas au nord de l'Himalaya !), mais notait leur mythification, p. 527, 548-549.- En fait,
mythification mise à part, les données latines (Pline) et indiennes coïncident remarquablement, et
elles coïncident de plus avec la localisation du royaume de Kroraina : et la description idyllique que
fait Pline du pays des Attacori correspond au piémont du Tibet, sur le versant sud du Sin-Kiang,
ensoleillé et relativement abrité des masses d'air sibériennes.
39. 1984, p. 267, n. 32.
40. Sur les Yueh-Cih, cf. ci-dessus, n. 14.

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24 Bernard Sergent

Chan) et l'Inde (le Tibet), et ne sont nullement une expression vague pour
désigner toute l'Asie centre-orientale.
Le célèbre naturaliste donne ailleurs d'autres renseignements sur les
Sères ; d'une part, dit-il, ils envoient dans l'Empire romain du fer, en même
temps que des peaux et des étoffes41. Si les peaux étaient, vraisemblablement,
de provenance locale, le fer, lui, était assurément de même provenance que les
étoffes : celles-ci, de soie, venaient de Chine, et le fer également42.
Mais, surtout, nous devons au même auteur la seule description du
physique des Sères. Elle est essentielle, quoique obtenue par des sources bien
indirectes... Une ambassade des gens de Taprobane (Ceylan) dans l'Empire
romain, que Pline est seul à mentionner, était menée par un nommé Rachias
(= le nom propre pâli Rakkha ?), et celui-ci raconta que son pays faisait du
commerce avec les Sères, "au-delà du mont Hemodus" ; son propre père y était
allé:
"À leur arrivée, les Sères venaient au devant d'eux ; ils dépassaient la
taille ordinaire, ils avaient les cheveux rouges, les yeux bleus, la voix horrible et
ne parlaient pas aux étrangers. Le reste des informations concordait avec celles
de nos marchands : les marchandises étaient déposées sur la rive opposée du
fleuve à côté de ce qu'ils avaient à vendre et ils les emportaient si l'échange leur
convenait"43.

Les remarques qui s'imposent ici sont les suivantes :


a) le processus commercial est bien décrit, et entièrement plausible :
s'agissant d'un peuple situé au nord de l'Himalaya, les relations commerciales
ne pouvaient qu'être fort espacées, et prendre la forme d'une expédition :

41. XXXIV, (XLI), 145 ; et de même Orose, Adv. pagan., VI, 13, 2.
42. La Chine produisait de la fonte dès le IVème siècle, de l'acier depuis le Ilème (Temple, 1987, 42 et
48). On comprend alors l'importance du "déficit", en tout cas de la dépense, de l'Empire romain vis-
à-vis des Sères, Pline, XII, (XLI), 84. - Lieberman, 1957, 177, n. 19, a bien vu que la Chine vendait du
fer, et de la fourrure, aux Occidentaux. - Par contre Henri Gallet de San terre et Hervé Le Bonniec
écrivent (t. XXXIV de Pline, Hist. Nat., Les Belles Lettres, 1983, p. 365, n. 1 au paragr. 145) : "on en
ignore [du fer sérique] la provenance exacte ; peut-être était-il fourni par les habitants du Ferghana
(haute vallée du Syr-Daria)" : absurde ! Le Ferghana est, de toutes les manières envisageables, à
l'ouest du pays des Sères ; ceux-ci ne pouvaient en aucune façon être les intermédiaires entre le
Ferghana et l'Occident !
43. VI, (XXIV), 88.

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Les Sères sont les soi-disant « Tokhariens »... 25

ce qu'avait fait le père de Rachias. Le pays des Sères n'était pas de ceux où les
Ceylanais allaient tous les mois, ni même tous les ans...
b) le fait même d'une expédition de Ceylan à l'Asie transhimalayenne
n'est nullement impossible. Ceylan était un centre de relations commerciales
"internationales", d'abord interindiennes, puis outre-mer : si certains habitants
de Taprobane sont venus dans l'Empire romain, de l'autre côté, on sait que des
commerçants tamil ont gagné, par mer puis par terre, la Chine intérieure44. L'île
a été conquise par des Indo-Arya, sans doute vers le Vème siècle45 : la
linguistique a montré qu'ils provenaient du Gujerat, au nord-ouest de la péninsule du
Dekkan46. On peut présumer que les relations n'ont pas cessé avec cette région :
or, de là, des routes menaient au Cachemire, et, de celui-ci, une piste gagnait le
Sin-Kiang par Gilgit : celle-là même qu'on évoquait plus haut au sujet des
avancées bactriennes (grecques) vers l'Asie centrale.
c) le seul fait curieux est la confirmation d'un commerce muet, par une
source a priori indépendante des sources classiques. Il faut la prendre telle
quelle47. Mais l'essentiel est la description des Sères : grands, aux cheveux
rouges, aux yeux bleus - en clair, des Européens, et plus nordiques que
méditerranéens. Il faut rapprocher cela de trois données :
1°) l'aspect physique des Arái-Kuči est connu, par les fresques peintes
dans les sanctuaires de la région qu'ils habitaient. Ainsi, "dans des peintures
bien conservées, dans les sanctuaires de Qyzyl [au nord-ouest de Kucâ], les
cheveux des hommes sont d'un roux flamboyant, sans doute par l'effet d'une
teinture au henné : une coutume encore pratiquée de nos jours par certaines
populations du Pakistan et de l'Afghanistan48. On ne saurait souhaiter plus
éclatante confirmation : a) de ce que les Sères sont bien les Arši-Kuči ; b) de ce
que Pline rapporte consciencieusement le rapport des Ceylanais venus avec

44. Filliozat, 1969, 88.


45. Herrenschmidt, 1978, 96. - Hennig, 1935, 92, et Lieberman, 1957, 175-176, avaient déjà bien vu
qu'il s'agissait d'un commerce de Ceylan au Tarim par la plaine indo-gangétique et l'Himalaya. Un
commerce entre Ceylan et la Chine, notait le premier de ces auteurs, se faisait par voie de mer.
46. Sergent, 1995, 182.
47. Bogoras a signalé un tel commerce muet entre les Cukči et les Eskimo occupant l'autre côté du
détroit de Behring : 1904- 1909, 53, 95-96.
48. Pinault, 1989, 23 ; cf. von Le Coq, 1926, 113-114 ; Herrmann, 1936 (a) et (b) ; Hàrtel et Yaldiz,
1987, 170-171, d'après Grunwedel, 1912, 50, 56 ; Gamkrelidze et Ivanov, 1991, 288, et nombreuses
références n. 78. Coédès, 1910, XIV- XV, rapprochait déjà les Sères des hommes représentés sur des
fresques du Sin-Kiang, découvertes l'année précédente par A. von Le Coq.

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26 Bernard Sergent

Rachias ; с) qu'effectivement, parfois, des Ceylanais, tel le père de ce Rachias,


organisaient des expéditions lointaines jusqu'au-delà de l'Hemodus/Himâlaya,
c'est-à-dire au Sin-Kiang.
2°) Si la couleur de cheveux attribuée aux Sères peut tenir seulement au
henné (de fait l'emploi d'une teinture rend, effectivement, bien compte de l'un et
l'autre documents, la description de Pline et les peintures de Qyzyl), les yeux
bleus, eux, ne peuvent caractériser une population qu'originaire de l'Europe du
nord, où ils sont généralement associés à des cheveux clairs - ces
dépigmentations sont corrélatives. Or :
- les corps récemment découverts dans des cimetières pré- et
protohistoriques du Sin-Kiang ont révélé des traits communs, pour ceux qu'on
peut identifier aux Arái-Kuči, avec la population d'Afanasievo (ci-dessus),
culture qui est une émanation de celle des Kourganes de Russie. Et les gens
d'Afanasievo, comme les squelettes en question, sont grands ;
- de l'avis des indo-européanistes, le "tokharien" a des affinités, à
l'intérieur de la famille indo-européenne, avec deux groupes de langues
principalement : le germanique et le balto-slave49. On tire généralement de cette
double affinité l'idée que les ancêtres des Arái-Kuči ont vécu, en un moment de
la préhistoire, aux contacts des Germains et des Balto-Slaves50, et certains
linguistes, tel Vladimir Georgiev, vont plus loin : ils constituent une famille,
rameau de la famille indo-européenne, formée des Balto-Slaves, des Germains,
et des Tokhariens51 - or, les types physiques où s'observe la dépigmentation
sont précisément fréquents particulièrement parmi les locuteurs des langues
germaniques et balto-slaves. On verra difficilement dans ces faits des hasards52.

49. Schwentner, 1935 ; Krause, 1951 ; Adams, 1984 ; Jucquois, 1968 ; Thomas, 1985 ; Bonfante, 1987.
50. Porzig, 1954, 184, 187 ; Adams, 1984 ; Gimbutas, 1986, 18 ; Freu, 1989, 13.
51. Georgiev, 1981, chap. VIII. Cf. Sergent, 1995, 69.
52. Je ne retiens naturellement pas ici, pour les traits communs entre Sères et Arái-Kuči, le fait que
les Ceylanais leur attribuent un "horrible langage", alors qu'Hérodote dit des Argippaioi (qui sont
les Arái, voir supra) qu'ils "parlent un langage particulier" : s'il est vrai que les langues arái et kua
sont fort originales, on sait trop ce qu'il y a de subjectivité dans le jugement porté par le locuteur
d'une langue vis-à-vis d'une autre langue pour qu'il puisse y avoir là rien de pertinent.- D'autres
auteurs ont naturellement fait le rapprochement entre les Sères blonds et les hommes des fresques
du pays Arái-Kuči : Herrmann, 1921 ; 1936 b ; Hennig, 1935. Mais a) Hennig, qui ne prend en
considération que l'aspect physique, et non le cadre géographique, conclut de son rapprochement
que le terme "Sères" désignait en fait les Chinois et les habitants indo-européens du Tarim, c'est-à-
dire tous les participants au commerce de la soie (en fait, à son époque, l'évidence Sères = Chinois

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Les Sères sont les soi-disant « Tokhariens »... 27

Ajoutons trois choses, On vient de mentionner la parenté linguistique du


"tokharien" et du germanique. Or, d'une part, outre que la description que
Tacite fait des Germains rappelle trait pour trait celle que les Indiens de Pline
ont fait des Sères - "yeux farouches et bleus, cheveux d'un blond ardent
(textuellement, "rouges" : rutilae), grands corps"53 -, ces mêmes hommes se
décoloraient parfois les cheveux et les coloraient en rouge, avant le combat,
avec une substance dont le nom, emprunté par le latin (sapo), est à l'origine de
notre "savon"54 : il y a identité entre cette pratique et celle des Sères, si ce n'est
que ces derniers ont, sans doute, remplacé le sapo par le henné.
D'autre part, aux Argippaioi, qui sont certainement, on l'a dit, les Arái,
Hérodote attribue ce trait curieux, qu'on tient facilement pour légendaire :
"Chacun habite sous un arbre, pendant l'hiver, en enveloppant l'arbre
d'une couverture de feutre de couleur blanche, pendant l'été sans couverture" ;
l'historien mentionne peu après le droit d'asile qu'offre leur pays55.

était si forte qu'il ne pouvait pas directement s'y opposer) ; b) dès 1936, Herrmann lui répond que
les Sères ne sont pas les seuls blonds d'Asie Centrale, et peuvent être aussi bien, par exemple les
Wu-Sun, blonds selon les sources chinoises, et de même Tarn un peu plus tard opposa à cette thèse
que les hommes des fresques du Turkestan chinois ne sont pas les seuls blonds d'Asie Centrale, vu
que sources grecques et chinoises attribuent des cheveux clairs à plusieurs tribus scythiques
(Herrmann, 1936 (b) ; Tarn, 1951, 110). Richard Hennig avait pourtant raison : car ce ne sont pas les
Scythes, Roxolani, Wu-Sun ou autres, qui vendaient de la soie et du fer à l'Empire romain, mais bien
les Sères. Les Sères blonds ne peuvent être que des Arái et des Kuči, non des Scythes. Cf. encore
Lieberman, 1957, et Pelliot, 1959, 244-245 ; Lieberman ne s'écarte pas de l'interprétation de Hennig
(sans le citer), en pensant à une confusion entre habitants du Tarim et Chinois. Mais la première
mention des Sères (sous les rois grecs de Bactriane) est antérieure à la mainmise, commerciale ou
politique, des Chinois sur le Sin-Kiang. - Je suis évidemment aussi en désaccord total avec la note de
Filliozat, dans Pline, t. VI, p. 117, qui pense à une confusion (de Pline) avec le nom des Cerar du
Kerala, dans le sud du Dekkan : mais les gens du Kerala ont-ils les yeux bleus ? - Ce qui a gêné les
commentateurs (Filliozat, ou Janvier, 1984, 268) est que Pline fait dire aux gens de Taprobane qu'ils
faisaient "face aux Sères" (ab ipsis aspici) ; mais Pline dit bien que c'est ultra montes Hemodos ; on fait
donc un contre-sens sur le texte lorsqu'on prend "en face de" au sens strict. Je crois qu'il faut se
mettre dans les conceptions indiennes : les Sères sont, on le sait par ailleurs, voisins des
Attacori/Uttarakuru, et ceux-ci occupent, par rapport au mont Meru -lequel était, naturellement,
localisé parfois dans le massif himalayen - une position symétrique par rapport aux habitants de
Ceylan : à l'extrême nord dans un cas, à l'extrême sud dans l'autre. Que Pline ait lui-même mal
compris une telle chose, on ne saurait s'en étonner.
53. Germanie, IV, 1.
54. Drosdowski, Grebe et al, 1963, 634.
55. Hérodote, IV, 23.

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28 Bernard Sergent

Si l'on reconnaît en la description que fait Hérodote de ce peuple, non pas


celle de toute une population, mais celle d'un groupe spécialisé de prêtres (ci-
dessus), la comparaison s'impose à nouveau avec les données germaniques :
chaque sanctuaire des anciens Germains était une enceinte sacrée, point
nécessairement bâtie, mais en tout cas garnie d'un arbre (image de l'arbre
cosmique Yggdrasil), et occupée par un prêtre (en vieux-no rrois godhi) : elle
formait asile pour tout réfugié56. Ainsi, ces comparaisons donnent à voir
qu'Hérodote nous fournit d'authentiques renseignements sur la religion des
Arši-Kuči avant leur conversion au bouddhisme.
Enfin, on signalait plus haut comment les découvertes archéologiques
dans le Sin-Kiang avaient livré des corps particulièrement bien conservés, y
compris quant à leurs vêtements. Or, selon Victor Mair, l'archéologue américain
invité par les autorités chinoises à aller étudier ce matériel sur place, il y a
ressemblance, à la fois quant aux traits physiques et quant aux costumes, entre
ces corps ; - les Arái et Kuči figurés dans les grottes bouddhistes de Qyzyl et de
Qumtura près de Kucâ ; - les princes Kušan représentés au 1er siècle à
Khalchayan (entre Dušanbe et Samarkande) ; les Européens nordiques mille ans
plus tard, au Moyen Age57.
Tel est tout ce qu'on peut tirer de Pline. Et qui est fort éclairant.
Un témoignage, au Ilème siècle, de l'historien Florus, n'est pas
inintéressant : il parle d'une ambassade des Sères, commune avec les Indiens, qui aurait
mis quatre ans pour atteindre Rome, et, dit-il en parlant des premiers, "leur
teint même attestait pourtant bien qu'ils venaient d'un autre climat"58. Cela n'a
rien à voir avec les Dravidiens59, car, si les Sères avaient été des gens du sud de
l'Inde (ce que nos sources interdisent absolument de penser !), le voyage jusqu'à
Rome ne se serait pas compté en années, mais en mois. La durée de quatre ans
doit se comprendre avec départ du Sin-Kiang, traversée du Pamir, de la chaîne
des Karakoram et de l'Himalaya proprement dite, trajet jusqu'à un port indien,
et, de là, seulement, voyage relativement rapide jusqu'à la Méditerranée. Tous
les voyageurs dans l'Asie centrale, avant le XXème siècle, ont parlé de la lenteur
extrême des caravanes, de la difficulté de franchissement des montagnes, des

56. En dernier lieu, Boyer, 1992, 153 et 211.


57. Mair, 1995, 249.
58. Epitomé de Tite-Live, II, 34, traduction de Paul Jal, Les Belles Lettres, 1967.
59. Janvier, 1984, 268.

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Les Sères sont les soi-disant « Tokhariens »... 29

blocages hivernaux. Sur la Route de la Soie, la caravane de Maês Titianos


(ci-dessous) joignit l'Asie centrale à l'ouest du Sin-Kiang en 7 mois60. Au Vllème
siècle, le célèbre pèlerin bouddhiste Hiuan-Tsang met seize ans pour parcourir
l'Asie centrale (dont le Sin-Kiang et la Bactriane) et l'Inde (dont Ceylan). En 921,
une ambassade quitte Bagdad pour atteindre les Bulgares de la Volga, Ibn
Fâdlan en est le rapporteur : elle met un an pour y arriver, n'ayant pourtant à
traverser que de moyennes montagnes, comparées à celles qui séparent Sin-
Kiang et plaine du Gange61. Etc.62. En somme, la mention de la durée de quatre
ans est la meilleure preuve qui soit de la véracité du récit de Florus. Et cela
corrobore assez exactement celui de Pline sur l'expédition de gens de
Taprobane au pays des Sères.
Beaucoup plus curieux est le passage que Denys le Périégète, vers la
même époque, consacre aux Sères : ce sont, dit-il, "les fleurs multicolores de
leur contrée déserte" que les Sères utilisent pour s'en faire des vêtements
brillants63.
C'est assurément étrange. Et pourtant... deux données ont été ici réunies,
conjointes, l'une concernant les fleurs du désert, l'autre le vêtement des Sères.
Sur celui-ci, citons la description, par Benjamen Rowland, d'un "chevalier
donateur" de la grotte des Seize Porteurs d'Épée à Qyzyl, haut lieu, par ses
fresques, de l'art des anciens royaumes arši et kuči :
"Le chevalier porte un manteau long à larges revers évasés, taillé dans
une soie à motifs floraux, avec de larges bordures ornées de dessins variés. Sous
le vêtement, on distingue le pantalon effilé et les bottes peintes. Une longue
épée droite est attachée à une ceinture formée de disques, sans doute de cuir,
comme on en voit dans les portraits des rois Kouchans... Peut-être la main
droite portait-elle une offrande de fleurs"64.
Ainsi, les Arái-Kuči aiment les "vêtements brillants" - ce, depuis la
protohistoire, on le sait à présent -, et la parure... de fleurs, entre autres.
Quant aux fleurs du désert, il faut avoir été au printemps en Asie centrale
pour les connaître. L'archéologue Marie-Hélène Pottier décrit ainsi la floraison

60. Coédès, 1910, XX ; Lanoir, 1976, 26. Les lieux ont été fixés par von Richtofen, 1877, 595-597.
61. Ibn Fâdlan, [1988].
62. Cf. Pandry, 1996.
63. Pêriégèse, 752-757 (Millier, GGM, II, p. 151 s.).
64. Rowland, 1974, 176 ; et cf. Pinault, 1989, 22-23 ; Rachet, 1983, 522.

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30 Bernard Sergent

de tulipes dans la zone des steppes sèches de cette région du monde : au


printemps, des milliers de tulipes "couvrent tout l'espace d'un immense tapis
rouge" qui "marque la renaissance du sol après l'hiver glacial" ; la tulipe - mot
d'origine turque - est aujourd'hui le symbole du Turkménistan65.
Denys livre donc, en les conjoignant, deux faits qui ont pu frapper des
voyageurs au pays des Sères. - On aurait pu penser que si les Kuči des Vlème-
Vllème siècles (date de la fresque de Qyzyl) appréciaient tant les fleurs, ce
pouvait être dû à une influence indienne, par le bouddhisme : le texte de Denys
nous en dissuade. - Et, après tout, s'ils aimaient tant la parure, et les fleurs, les
Arši-Kuči n'auraient-ils pas mis, parfois, réellement, des tulipes sur leurs
vêtements de soie pour les décorer ?. . .
Au Ilème siècle également appartient Ptolémée, dont la Géographie fournit
la plus ample moisson de renseignements sur le pays des Sères. Il semble que
ses sources soient de bonne qualité : il cite Marinos de Tyr (vers 100 ?), qui lui-
même utilisait le rapport fourni par les agents d'un commerçant, Maês Titianus,
qui avait envoyé ceux-ci vers l'Asie centrale66. Il nomme ainsi le pays, la
Sérique, sa capitale, Sera, quinze autres villes, quinze peuples, plusieurs chaînes
de montagnes qui entourent le pays (chaînes de l'Anniba, des monts Auzakia,
Asmiraia, Kasia, Emôda), et deux grands fleuves, l'Oikhardês et le Bautisos, qui
ont chacun trois sources.
Il serait long, et oiseux, de le citer en entier67. Retenons les traits suivants :
a) l'idée que le pays des Sères est entouré de plusieurs chaînes de
montagnes est parfaitement exacte : la géographie contemporaine distingue les
Kuen-Lun, les Karakoram, le Pamir, les Tien Chan. Ces distinctions sont à la fois
une confirmation et un net progrès par rapport aux indications de Pomponius
Mela et (a fortiori !) de Pline.
b) Ptolémée compte deux grands fleuves, là où Pline en comptait trois :
c'est un supplément d'information par rapport à Pline, car de fait, l'un des trois
principaux cours d'eau du Sin-Kiang, le Yarkand, rejoint le principal, le Tarim.
Surtout, en leur attribuant trois sources à chacun, Ptolémée témoigne de la

65. Portier, 1984, 76.


66. Janvier, 1984,269.
67. Ptol., VI, 16 ; le texte complet est dans Coédès, 1910, 46- 51, et dans Ronca, 1971, 52-58. Coédès,
1910, XXII, a parfaitement vu comment les monts et fleuves de la Sérique de Ptolémée, ci-dessous,
correspondent au Sin-Kiang.

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Les Sères sont les soi-disant « Tokhariens »... 31

description de témoins directs : le Yarkand et le Karašar représentent la


confluence d'une foule de torrents, bien visibles sur une carte détaillée.
c) il n'y a nulle conformité entre les noms de fleuves de Ptolémée et ceux
de Pline. Ce n'est certes pas étonnant : la connaissance de la Sérique dépend
étroitement de ses accès, lesquels s'ouvrent vers l'Inde au sud (par une seule
piste), sur des pays de langues iraniennes à l'ouest et au nord, sans compter le
tibétain, le chinois... et les langues locales. Selon les informateurs, donc, les
noms des éléments naturels peuvent avoir été en arái ou kuči, en une langue
iranienne, ou indienne, ou tibéto-birmane, etc. - on note en tout cas l'assonance
entre l'un des noms fournis par Ptolémée, l'Oikhardês, et l'actuel Yarkand.
d) la plupart des noms de peuples cités par Ptolémée ne se laissent pas
identifier (et c'est très souvent le cas, à travers toute son œuvre, dans la foule de
toponymes et d'ethnonymes qu'il donne : pour l'Inde, par exemple, une faible
partie a été identifiée avec des noms connus par les sources indiennes). Mais
l'un des peuples est celui des Ottorokorai, en lequel on a reconnu celui des
Attacori de Pline : la source est indépendante, puisque la forme est différente,
et donc il se confirme que ce peuple habitait au voisinage des Sères (Pline),
c'est-à-dire en Sérique même (Ptolémée). On a vu plus haut qu'il s'agissait des
Uttarakuru des Indiens, à identifier assurément au royaume de Kroraina : de
fait, Ptolémée situe les Ottorokorai au sud de la Sérique, près des monts Emôda.
Dans l'est de la Sérique, Ptolémée situe les Issèdones - peut-être Scythes -
les Apsakarai - assurément Scythes -68, enfin, au sud, non loin des Ottorokorai,
les Bautai : notation tout à fait intéressante, car, de même que les Ottorokorai
sont les Uttarakuru des Indiens, ces Bautai ne peuvent être que les Bauta, Bhauta
ou Bhota des Indiens, c'est-à-dire très exactement les Tibétains, qui appellent
encore leur pays Bod (prononcé Pô dans le dialecte central), terme qui paraît à
l'origine de notre propre mot Tibet69. Or, il est connu que les Tibétains ont fait
en plusieurs occasions des incursions au pied septentrional du plateau, dans le
bas pays, et que des peuples de langue tibétaine s'y sont installés70. La
description de Ptolémée est ainsi entièrement conforme à ce que l'on sait de l'histoire
ancienne des confins orientaux du Sin-Kiang.

68. Ci-dessus, n. 6 et 25.


69. Stein, 1987, 9.
70. Cf. ci-dessus, n. 34. Les derniers furent peut-être les Tangoutes.

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32 Bernard Sergent

Et l'est et le sud de la Sérique ne sont nullement, ethniquement parlant,


l'est et le sud de la Chine !71
e) le chiffre de quinze villes s'accorde fort bien avec ce que l'on compte, à
travers les différentes périodes historiques, de villes-étapes le long des deux
longues routes, nord et sud, qui contournent la dépression du Tarim, des passes
occidentales du Sin-Kiang à la Chine. Il ne s'ensuit pas qu'elles soient
identifiables précisément : en quelle(s) langue(s) les agents de Maês Titianus
ont-ils recueilli leurs noms ? Quant aux quinze peuples, cela n'a pas lieu
d'étonner (le Sin-Kiang est grand comme à peu près trois fois la France), et, si
nous pouvons en compter sûrement quatre à l'époque en question (Arši et Kuči,
Indiens du royaume de Kroraina, Yiieh-Cih réfugiés identifiables aux
Issèdones), Ptolémée compte aussi en Sérique les peuples des montagnes
périphériques : or, l'une d'elles, le Pamir, est remarquable de nos jours par
l'extrême diversité des dialectes parlés dans ses vallées qui, isolées, ont été
autant de conservatoires.
On comprend dans ces conditions72 qu'un grand nombre de modernes
aient vu dans la description de la Sérique par Ptolémée celle du Sin-Kiang73 : il
n'y a pas d'autre possibilité, en effet, dans toute l'Asie centrale. Quant à
l'identification de sa capitale, Sera, j'y reviens ci-dessous.
Vers la même époque que Ptolémée, Pausanias, décrivant la Grèce, fait
une digression sur les Sères et la serica. Il est le premier auteur à avoir une idée
approchée de la réalité de la sériciculture (il connaît l'origine animale du
textile), mais, à l'instar de Pline, confondant ce qui est connu de l'Asie par la
voie maritime (donc méridionale) et la voie continentale (par l'Iran et la
Bactriane), il parle d'une île Séria, d'un fleuve Ser, situés "dans la partie la plus
reculée de la mer Erythrée" (la mer Rouge), il fait donc des Sères des gens de
race "aithiopienne", mais ajoute aussitôt : "il en est d'autres qui prétendent que,
loin d'être des Aithiopes, ce sont des Scythes croisés avec des Indiens"74.

71. Les Chinois sont par contre explicitement connus de Ptolémée : ce sont évidemment les Sinai,
situés par le géographe à l'est de l'Inde transgangétique, à la limite de la terre habitée vers l'orient
(VI, 16, 1 ; VII, 2, 1). Cf. sur ce Richthofen, 1877, 506-507 ; Pelliot, 1904, 142-149.
72. Pour une discussion d'autres aspects de la description de Ptolémée (aspect enfin continental de
la Sérique ; problème de la longitude), v. Janvier, 1984, 270-271 .
73. Yule (1875), Richthofen (1877, 452, 458, 467, 487), Herrmann (1921), Wolfgang Seyfarth (notes à
Ammien Marcellin, XXIII, 64, dans l'édition Loeb) - et même Janvier, 1984, 298, malgré sa
préférence pour l'hypothèse "Cachemire-Tibet"...
74. Paus., VI, 26, 6-9.

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Les Sères sont les soi-disant « Tokhariens »... 33

On est en droit de se demander si l'île Séria, habitée par des hommes à


peau noire (sens d'Aithiopes), n'est pas, enfin, issue d'une confusion avec
le pays de Cerar au Kerala, de population dravidienne75. Par contre, la
description des Sères comme croisés d'Indiens ne manque pas de sel : d'une part, parce
que des Indiens occupaient effectivement, à cette époque, le sud du Sin-Kiang
- le désormais fameux ici royaume de Kroraina, identifiable aux Uttarakuru -,
et que des Scythes ont habité des secteurs du Sin-Kiang (ceux de l'est, vers le
Кап-Su, en furent chassés au Ilème siècle par les Hiung-Nu). D'autre part, parce
que, vu l'ignorance complète qu'avaient les Anciens de la langue des Arši-Kuči,
voir en elle un "mélange" de deux langues était une solution élégante, et facile !,
mais montrait en même temps la conscience qu'on avait qu'ils ne parlaient
réellement ni l'une ni l'autre.
Le récit de Pausanias est donc de piètre intérêt quant à la question de la
localisation des Sères - sinon en cela qu'un croisement entre Indiens et Scythes
pouvait effectivement se produire au Sin-Kiang plus probablement qu'ailleurs -
et les autres auteurs contemporains ou postérieurs, même Ammien Marcellin,
ne livrent rien de nouveau, s'inspirant généralement de Pline ou de Ptolémée76.
Deux notations originales, cependant, au IVème siècle, et apparemment de
sources indépendantes des précédentes : selon l'évêque de Chypre Epiphane, de
la seconde moitié du IVème siècle, les Sères tressent leurs cheveux, et restent à
la maison parés, parfumés, pour plaire à leurs femmes, celles-ci par contre
coupent leurs cheveux et font tous les travaux des champs77. Et Ausone, à la
même époque, évoque le "Sère aux vêtements flottants", vestifluus Ser78.
Le parallélisme entre ces données et ce qu'on observe comme vêtements
et parures des nobles Arái-Kuči sur les fresques de Qyzyl est remarquable,
citons Georges Pinault :

75. Cf. ci-dessus, n. 52.


76. Janvier, 1984, 272-277.- Les notes erudites de Jacques Fontaine, qui forment le t. IV,
"Commentaire", de l'édition des Belles Lettres d'Ammien Marcellin (Paris, 1977), se fondent entièrement
(p. 110-116) sur l'identification des Sères aux habitants de la Chine -même si la description de
Ptolémée, dont s'inspire Ammien, "correspond plus au Tibet ou au Turkestan chinois" (p. 110)...
Dès lors l'Oikhardès devient l'Iénisséi, complété de la Selenga, etc., les Uttara-Kuru sont placés vers
Tchang-Tou et le Sse-Tchouan, etc. - Fort bien, mais les explorateurs grecs de la Route de la Soie
n'avaient aucune raison d'aller sur la Selenga et l'Iénisséi, et je ne sache pas qu'on ait signalé
de royaume d'origine indienne dans le Sse-Tchouan. Dans le Sin-Kiang, si : c'est le royaume de
Kroraina.
77. Epiphane, Contre les Hérétiques, III, 10.
78. Technopaegnion, X, 24 ; XI, 6.

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34 Bernard Sergent

"II faut mentionner ici l'aspect martial de la chevalerie tokharienne, dont


les représentations rappellent les scènes peintes plus à l'ouest, dans l'Iran
occidental, notamment en Sogdiane (Pendjikent). Les hommes de la noblesse
ont une tenue caractéristique : longue redingote serrée à la taille par une
ceinture, pantalon rentré dans les bottes hautes, cheveux courts avec deux
mèches réservées sur le front ; au témoignage des Chinois, seul le roi laisse
pousser ses cheveux, qui sont cachés au moyen d'une bande de soie ou de
brocard, retombant dans le dos"79.
Et Benjamen Rowland, cité ci-dessus, au sujet de ces mêmes fresques de
Qyzyl, décrivait le "manteau long à larges revers évasés" d'un chevalier.
Quant au cheveux, courts pour les guerriers, longs pour le roi, cela fait que
l'opposition qu'Epiphane note entre hommes et femmes sères se retrouve donc,
quelques siècles plus tard, entre roi et sujets, puisque les hommes, selon
Epiphane, le roi, selon les Chinois, ont les cheveux longs et sont parés. Il est
difficile d'interpréter cette différence, mais le parallélisme, en tout cas, est
étonnant.
Quant au travail agricole fait par les femmes, je ne sache pas qu'il soit
documenté chez les Arái-Kuči. Par contre, on signalait ci-dessus les
ressemblances entre Sères/ Argippaioi /Arái-Kuči et Germains : ce que Tacite dit de la
"division du travail" chez eux ressemble beaucoup à ce qu'Epiphane a rapporté
des Sères :
"Quand ils ne préparent pas la guerre, ils ne passent pas beaucoup de
temps à la chasse, davantage à ne rien faire, s'adonnant à dormir et à manger,
les plus braves, les plus courageux restant inoccupés, le soin de la maison, des
pénates et des champs abandonnés aux femmes, aux vieillards, aux plus faibles
de la famille ; eux-mêmes restent engourdis, par une merveilleuse contrariété
naturelle, qui fait aux mêmes hommes aimer à ce point le désœuvrement et haïr
le repos"80.

Et, par ailleurs, s'agissant du costume :


"Les femmes ne s'habillent pas autrement que les hommes, mais portent
assez souvent des vêtements de lin qu'elles rehaussent de pourpre"81.

79. Pinault, 1989, 22-23.


80. Germanie, XV, 1-2.
81. Id., XVII, 4.

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Les Sères sont les soi-disant « Tokhariens »... 35

Si les renseignements d'Epiphane sont contemporains de son époque, il


faut en conclure que les Arši-Kuči du IVème siècle gardaient une culture très
proche de celle des Germains, qu'ils avaient pourtant quitté deux mille, deux
mille cinq cents ou trois mille ans auparavant : ce que, on l'a vu, la
documentation archéologique confirme aujourd'hui.
Les dernières informations originales sur les Sères et leur pays sont du
Vlème siècle. Elles concernent l'épisode, célèbre, du vol d'œufs de vers à soie
opéré vers 551 ou 552 au profit de Justinien. Procope et Théophane de Byzance
s'accordent sur la localisation de l'épisode : c'est au pays des Sères (Procope
l'appelle Serinda). Ils divergent cependant quant au trajet et à l'identité des
"voleurs" : selon le premier, il s'agissait de moines qui venaient de l'Inde, et
avaient vécu en Serinda, laquelle est située au-delà de nombreux peuples
indiens ; selon le second, c'était un Perse, qui "venait de chez les Sères"82.
Cette double tradition est remarquable : elle mentionne en effet les deux
principales pistes qui, depuis le Ilème siècle avant notre ère, sont
continuellement évoquées lorsqu'il est question de relations entre les Sères et l'Occident :
celle entre Srinagar, au Cachemire, et le Sin-Kiang - où quelqu'un qui part de la
plaine indo-gangétique doit effectivement traverser "de nombreux peuples
indiens" - et celle qui, partant de Kašgar, à l'extrémité occidentale du Sin-Kiang,
allait droit vers l'ouest, puis se partageait entre une route vers le Ferghana, et
une autre vers le nord de la Bactriane : deux pays qui, à l'époque, étaient
iraniens. Cette dernière est la célèbre Route de la Soie. Les deux pistes
proviennent donc d'une même région : le Sin-Kiang, et aussi bien Yule que
Richthofen ont eu raison de placer la Serinda dans la région de Khotan, seule
ville hors de Chine où l'élevage du vers à soie était pratiqué au Vlème siècle83.

J'arrêterai ici la démonstration que je voulais faire : tous les textes


importants ont été envisagés84, et, part faite soit à l'ignorance, soit à la

82. Procope, Guerre des Goths, IV, 17 (sur le nom de Serinda, Herrmann, 1923, col. 1727-1728 ; Janvier,
1984, 277, n. 76) ; Théophane de Byzance, Histoires, livre XIX, dans Phôtios, Bibl., 64 (26 a-b) (René
Henry, dans l'édition des Belles Lettres, 1959, 1. 1, p. 77, traduit encore "Sères" par "Chinois").
83. Yule, 1866, XL VI ; Richthofen, 1877, 529, 550.
84. Un autre est celui de Bardesane, cité par Eusèbe, Préparation évangélique, III, 10 (et copié ensuite
par de nombreux auteurs : Césaire, Dialogues, II, 109 ; Georges Harmatole, 1, 19 ; Cedrenus, Hist.

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36 Bernard Sergent

confusion, tous les renseignements fournis par les anciens, tant en géographie
physique qu'en description de l'aspect et des mœurs des Sères, convergent vers
une, et une seule, interprétation : la Sérique était l'actuel Sin-Kiang, les Sères
étaient ses habitants "indigènes", antérieurs aux Scythes et aux Indiens, c'est-à-
dire les locuteurs des langues arái, kuči, "krorainique" - et éventuellement
autre(s).
Il me reste, pour finir, à faire une hypothèse, qui découle de ce qui vient
d'être dit, sur le nom même des Sères. Sachant que c'est non seulement un nom
de peuple, mais aussi, au féminin, un nom de ville (Sera, dans Ptolémée), on est
naturellement porté à penser au fait que les noms Arši et Kuči désignaient à la
fois des peuples et des villes (Kuči, nom de peuple, ayant donné précisément le
nom de ville Kucâ). Dès lors, le nom des Sères ne pourrait-il pas être simplement
le nom d'Arsi, avec métathèse des consonnes, et prononciation ionienne du -a- ?
La métathèse n'est pas rare dans la transcription des noms propres, comme
toutes les autres déformations d'ailleurs en cas d'emprunts de mots à des
langues inconnues85. À vrai dire, le nom de la «soie» a pu jouer son rôle : il est
sir en koréen, sirkek en mongol, sirghè en mandchou86, ce qui ne saurait être un
emprunt au nom des Arái. Mais il est tout à fait concevable que les Occidentaux,
recevant un produit (*ser vel sim) venant d'un pays des Arái, d'une ville Aráa,
aient fait la confusion onomastique87.
Quoiqu'il en soit de ce dernier point, je tiens à ce jour la question de
l'identité des Sères pour résolue.

Сотр., 154 A ; Phrantzés, Chron., III, 2, 49), selon lequel la loi des Sères défend meurtre, prostitution,
vol et adoration des images : si l'on ajoute que Celse parlait de leur athéisme (dans Origène, Contre
Celse, VII, 62), il y a là un ensemble de documents historiques importants, car ces imputations
pourraient évoquer la conversion, dès le IVème siècle, des Sères au bouddhisme. Mais ils ne
fournissent rien quant à leur identification.
85. Cf. par exemple ci-dessus, n. 20, le cas des Iurkai d'Hérodote, qui sont nos "Ougriens" (Ugra). - Si
le rapprochement fait ici entre le nom des Sères et la ville des Arái est fondé, il s'en suit, puisqu'au
Vème siècle Hérodote connaissait le nom des habitants de cette même ville sous la forme Argippaioi,
que le passage, en Arái-Kuči, de -g- (ancien, puisque la racine est celle de grec argus, vieil indien
arjuna, etc.) à -Š- s'est opéré entre le Vème et le Ilème siècle.
86.Coédès, 1910, XII, n. 1.
87. Cf. de même la formation du mot Tartares, en France, au XlIIème siècle, par conjonction des mots
Tatars et Tartare.

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