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DOSSIER

FISCALITÉ

A quoi sert vraiment


l’impôt ?
HERVÉ LEHÉRISSEL*

L La fiscalité, en France comme ailleurs – et sans


doute plus qu’ailleurs – est devenue un
instrument à tout faire. Sa finalité originelle,
financer la dépense publique, est perdue de vue
parce que la décision budgétaire, en suivant sa
propre logique politique, tend à s’affranchir de
la contrainte fiscale. Sa fonction de régulation
de l’activité est illusoire dans les pays à fort
européenne et de la mondialisa-
tion : la fiscalité devient l'outil
privilégié d'intervention.

Toutes ces finalités sont-elles


légitimes ? Sont-elles de même
niveau ? Sont-elles compatibles ou
concurrentes ?

RÉHABILITER LA
FINALITÉ BUDGÉTAIRE

déficit public. Son rôle incitatif est rarement


efficace et parfois ambigu, par exemple en
L 'impôt est avant tout destiné à
financer les dépenses publiques.
C'est la seule justification que lui
matière de protection de l’environnement. donnent les textes constitutionnels,
à commencer par la Déclaration
L’interventionnisme fiscal n’est pas condamnable des droits de l'homme et du
en soi, ni nécessairement voué à l’échec, mais citoyen de 1789 :
exige prudence et transparence. « Article 13 - Pour l'entretien de la
force publique, et pour les dépenses
d'administration, une contribution
commune est indispensable ; elle doit

L 'impôt a-t-il pour finalité


unique le financement des
dépenses publiques, ou doit-il éga-
financer les dépenses publiques,mais
aussi pour contribuer à la régulation
de l'économie, procéder à une
être également répartie entre les
citoyens, en raison de leurs facultés.

lement contribuer à la réalisation redistribution sociale, encourager Article 14 - Les citoyens ont le droit
d'autres objectifs ? Ce débat tradi- les comportements écologiques... de constater, par eux-mêmes ou par
tionnel paraît s'être éteint. Face aux leurs représentants, la nécessité de la
Sociétal tenants de la neutralité de l'impôt, Cette évolution est certainement contribution publique, de la consentir
l'interventionnisme fiscal s’est liée au dépérissement des autres librement, d'en suivre l'emploi, et d'en
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imposé comme une évidence : la outils de régulation traditionnels déterminer la quotité, l'assiette, le
3e trimestre fiscalité est là, non seulement pour des Etats, du fait de la construction recouvrement et la durée. »
2001
Aujourd’hui, pourtant, cette évi-
* Avocat, associé de Andersen Legal. dence semble bien oubliée. En

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A QUOI SERT VRAIMENT L’IMPÔT ?

premier lieu, la pratique durable, aujourd'hui, réhabiliter la finalité met un terme à la neutralité de
dans différents pays et notamment budgétaire de l'impôt. l'impôt au regard des différents
en France, de déficits colossaux types de structures que peuvent
des finances publiques a réduit la LE DÉCLIN DE LA adopter les entreprises (surcroît
portée du rôle budgétaire de NEUTRALITÉ FISCALE d'imposition pour les chaînes
l'impôt. Elle a puissamment longues de détention). Corrélati-
contribué à affranchir la décision
budgétaire de la prise en compte
des contraintes fiscales. En effet,
D ès lors qu'une dépense sup-
plémentaire est à financer,
le choix des modalités du prélève-
vement, l'avoir fiscal est maintenu
intact pour les particuliers, alors
que les contraintes de neutralité
dès lors qu'elle peut être financée ment correspondant devrait être et de logique fiscale sont ici moins
par le déficit, la dépense n'a plus opéré d'abord en fonction de son lourdes.
de lien mécanique avec l'impôt. impact économique. L'impôt se
Elle peut être arbitrée en fonc- nourrissant de l'économie, un Tré- LES FINALITÉS
tion du jugement porté sur sa sor public normalement soucieux, ÉCONOMIQUES : UN
seule utilité publique supposée, et non seulement de ses responsabi- BILAN TRÈS INÉGAL
non en comparant cette utilité lités,mais simplement de sa richesse
avec la destruction de richesse future, devrait veiller à réduire
privée (et donc la « désutilité »)
que représente l'impôt.
autant que possible l'impact
négatif inévitable
I l paraît certes légitime que l'Etat
mette la fiscalité au service de
la régulation de l'économie. Mais
C'est seulement a En Europe, et du prélèvement sur tout interventionnisme doit être
posteriori, du fait des notamment en France, l'activité. jugé sur son bilan. Or, dans ce do-
limites internes et ex- maine, la sophistication excessive
la régulation
ternes que rencontre Or,le poids de cette des intentions semble avoir perverti
le déficit public, que la conjoncturelle par la considération dans le sens pratique.
relation entre dépense fiscalité est restée un la décision fiscale
et impôt se trouve est en nette régres- Tout d’abord, le mythe de la
pur discours – le
rétablie, les recettes sion. De très grands régulation conjoncturelle globale
fiscales devant être niveau des impôts progrès avaient été par la fiscalité occupe inutilement
ajustées à la dépense, résultant uniquement accomplis au milieu le terrain des idées. Pour qu'un
c'est-à-dire augmen- du XXe siècle avec commencement d'expérimentation
des limites de
tées. notamment l'intro- ait lieu, il faudrait qu'un gouverne-
l’acceptable par la duction de la taxe ment décide de baisser les impôts
C e t t e d é m a r c h e société civile. sur la valeur ajou- en bas de cycle, ou d'ajuster leur
quelque peu primitive tée, qui a mis un augmentation en haut de cycle,
retarde l'émergence de politiques terme aux distorsions écono- en fonction des besoins de régu-
publiques de qualité, qui devraient miques considérables résultant lation conjoncturelle. L'expé-
intégrer la contrainte de compé- des impôts sur la consommation rience en cours aux Etats-Unis
titivité du pays et utiliser les en cascade pratiqués antérieure- sera intéressante à cet égard. En
progrès des techniques d’aide à ment. Mais, depuis une vingtaine Europe, en revanche, cette régula-
la décision pour mesurer et d'années (en France du moins), mi- tion conjoncturelle est restée un
comparer systématiquement nimiser les inconvénients écono- pur discours – notamment en
l'utilité de la dépense et la miques de l'impôt n'apparaît plus France, où le niveau des dépenses
désutilité de son financement. comme une priorité.Ainsi ont pu publiques résulte uniquement de
L'indépendance complète de la se développer des formes de pré- l'utilité publique supposée de la
recette et de la dépense était au lèvement entraînant une destruc- dépense (quand ce n'est pas, plus
départ un principe de droit bud- tion de richesse sans commune simplement, des dernières pro-
gétaire, conçu pour éviter les mesure avec le produit fiscal ob- messes électorales), et celui des
gaspillages (la nécessité de la tenu.L'expérience de l'impôt sur la impôts des limites de l'acceptable
dépense publique doit être fortune est à cet égard instructive, par la société civile. De plus, là
établie indépendamment des de même que la pratique de taux encore, la pratique de déficits
capacités du pays à la financer).Ce marginaux très élevés d'imposition publics élevés vide largement de Sociétal
principe a été retourné par une des revenus. contenu la notion de régulation
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trop longue pratique du laxisme conjoncturelle par l’impôt, puis-
budgétaire : il est devenu, en se Plus récemment, la restriction qu'une telle régulation pourrait 3e trimestre
vulgarisant, une source de progressive de l'avoir fiscal au tout simplement résulter du 2001
confusion intellectuelle et de détriment des seules sociétés a pilotage du déficit.
moindre efficacité. Il faut donc, illustré cette dérive. Cette mesure

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DOSSIER FISCALITÉ

Quant aux incitations fiscales ont procédé à des ajustements corriger la position sociale du
ponctuelles, liées à tel ou tel com- structurels plutôt qu'à des mesures contribuable.
portement, diverses expériences incitatives ciblées.
montrent qu’elles peuvent réussir Certes, ces contradictions ne
lorsque l'avantage est significatif LA REDISTRIBUTION EST- sont plus ressenties aujourd'hui,
(défiscalisation des investisse- ELLE UNE FIN EN SOI ? tant est forte l'adhésion aux
ments outre-mer en 1986, régime concepts de la redistribution. Elles
des quirats en 1995).Elles montrent
aussi que ces succès font peur,
et conduisent généralement à
L a finalité sociale de l'impôt a
pris une importance croissante
au fil des années : la redistribution
n'en contribuent pas moins, de
manière souterraine, à détruire
les fondements mêmes de l'impôt.
remettre en cause des dispositifs apparaît aujourd'hui comme l'alpha
jugés trop avantageux. L'idéal et l'oméga de toute politique Par ailleurs, la redistribution fiscale
implicite de nos politiques de- fiscale. Elle tend même, dans le telle que nous la pratiquons
meure, en définitive, la mesure discours des politiques et des obscurcit sa propre finalité. Elle
fiscale incitative ciselée pour être médias, a devenir la finalité princi- tend à mesurer la performance
inefficace. Les techniques optimales pale de l'impôt. Corrélativement, sociale d'une politique en fonction
à cet égard sont les suivantes : une la simulation destinée à mesurer du volume prélevé sur les « plus
incitation à objet très l'impact de la me- favorisés », et non en fonction du
large, un effet limité sure projetée selon volume redistribué aux « moins
Dans la redistribution
et variable dans le les catégories so- favorisés » (la France est en haut
temps, et un plafon- fiscale telle que nous ciales est devenue du classement pour le prélèvement,
nement en valeur la pratiquons, la l'ingrédient princi- mais non pour la redistribution aux
absolue de l’avantage pal, voire unique, de plus pauvres, qui est plus impor-
performance est
accordé. De telles la décision fiscale. tante aux Etats Unis) – sans parler
mesures permettent mesurée par le volume Est bonne la me- de l'effet durable sur les compor-
d'alimenter les dis- prélevé sur les sure qui favorise tements, qui n'est ni mesuré ni
cours électoraux, les catégories so- étudié. Or une politique sociale
« plus favorisés »,
sans priver le Trésor ciales modestes. On devrait se juger sur les bénéfices
de ressources. et non par le volume comprend que cette concrets procurés aux « moins
redistribué aux vision engendre une favorisés », et non sur le volume
Il y a cependant des extrême perplexité redistribué.
« moins favorisés ».
exceptions. Ainsi, la lorsqu'on met en
politique fiscale menée chantier des ajuste- En France, en réalité, la finalité
par les gouvernements successifs en ments structurels tels que la sociale de l'impôt en cache une
faveur du développement du baisse de taux marginaux jugés autre. Si les prélèvements sur les
capital-risque (SCR1 et FCPR2 ) a excessifs… plus riches sont sans cesse accrus
doté notre pays d'un des régimes sans amener d'amélioration véri-
les plus incitatifs au monde, même La redistribution sociale est-elle table de la situation des plus
s'il est parfois excessivement une finalité normale de l'impôt ? Il pauvres, ce ne peut être par per-
complexe. Les pouvoirs publics est permis d'en douter. Tout pétuel accident. Si la finalité sociale
ont ainsi contribué à corriger d'abord, au plan des principes, une est aussi omniprésente, est-ce à
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Sociétés de une faiblesse traditionnelle de la telle conception constitue une cause de ses mérites propres, ou
capital-risque. France. sorte d'attentat intellectuel aux pour sa capacité à faire reculer
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droits fondamentaux du contri- les limites de l'acceptabilité des
Fonds
communs de
Mais cet exemple montre aussi les buable. Le principe d'égalité devant prélèvements ?
placement à limites de la mesure incitative l'impôt peut s'incarner dans des
risque. ciblée. Elle a permis un frémisse- acceptions diverses (égalité des Sortir de ce piège intellectuel
ment certain du capital-risque en prélèvements, égalité des sacrifices n’implique pas qu’on renonce à
France, mais le dispositif, pour être justifiant la progressivité...), mais améliorer la situation des plus
plus efficace, nécessiterait notam- suppose que l'objet de l'impôt soit démunis, bien au contraire. C'est
Sociétal ment une amélioration structurelle de financer des actions utiles à la en remettant leur situation au
de l'environnement réglementaire collectivité, et pas uniquement cœur de la décision, au lieu de
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et fiscal français. La comparaison d'appauvrir les uns pour enrichir l'idéal de la « redistribution en
3e trimestre des expériences nationales montre les autres. Le fondement même du soi », que la France pourra pro-
2001 que les pays qui ont tiré le plus de consentement à l'impôt se trouve gresser à la fois dans l'efficacité
bénéfices économiques de leurs intellectuellement détruit si la de ses politiques sociales et dans
politiques fiscales sont ceux qui finalité même de l'impôt est de la maîtrise de ses prélèvements.

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A QUOI SERT VRAIMENT L’IMPÔT ?

LA FISCALITÉ disponibles pour l'environnement, des citoyens à l'objectif de défense


ÉCOLOGIQUE : UNE puisque la TGAP s'est substituée de l'environnement ?
VOCATION AMBIGUË en partie à des taxes perçues
antérieurement. D'autre part, IMPÔT OPTIMAL
L a véritable nouveauté, dans le
domaine de l’interventionnisme
fiscal, est l’apparition de la finalité
cette non-affectation est en
contradiction flagrante avec le
caractère biodégradable de l'éco-
OU IMPÔT PUNITIF ?

écologique, avec notamment la


taxe générale sur les activités
taxe : si elle finance des actions
nécessaires indépendamment du
T oute réflexion sur la « bonne »
fiscalité doit donc soigneuse-
ment distinguer deux questions :
polluantes (TGAP) et la taxe sur degré de pollution, que se passera- quelle est la finalité de l’impôt en
l'énergie, pour l'instant avortée en t-il lorsque les recettes déclineront tant que telle ? Et quel est le mode
raison de la censure du Conseil du fait de l'adoption de meilleurs de taxation optimal du point de
constitutionnel. comportements environnemen- vue de l’intérêt collectif ?
taux ? Faudra-t-il supprimer les
Là encore, on ne voit pas d'objec- actions financées, même si elles La seule véritable finalité de
tion fondamentale à mettre l'impôt demeurent nécessaires, ou inven- l'impôt demeure le financement
au service de finalités écologiques. ter des recettes de substitution ? des dépenses publiques.
C'est même une véritable cure de Ainsi, la théorie du « double divi-
jouvence, pour cette très vieille dende » porte un coup sévère au Seule la nécessité de couvrir ces
discipline qu'est la fiscalité, que caractère novateur, vertueux et dépenses peut justifier, sur le
d'avoir enfin trouvé une assiette séduisant de l'écotaxe. plan moral, que la collectivité
« condamnable », que l'on peut impose aux citoyens le sacrifice
donc taxer,non sur le mode du mal D'autre part, comme l'a relevé d'une partie de la richesse qu'ils
nécessaire, mais sur celui du bien (et sanctionné) le Conseil consti- produisent ; et, en termes de
en soi. Sur le plan technique, en tutionnel, une tendance apparaît, gestion collective, que le pays
revanche, la finalité écologique dans la mise en œuvre, à choisir accepte les désutilités écono-
conduit la fiscalité à s'intéresser de des assiettes en réalité sans miques lourdes que représente
nouveau à des assiettes physiques, rapport avec la pollution, ou du l'impôt.
complexes à mesurer et à contrôler, moins qui ne varient pas en
et qu'elle avait peu à peu abandon- fonction du caractère plus ou Contester ou relativiser la finalité
nées par souci d'efficacité. moins polluant des comporte- budgétaire de l'impôt c'est,au fond,
ments et techniques. Le projet de faire de l'impôt une fin en soi, une
Mais la principale innovation de ce taxe sur l'énergie, annulé en sorte d'acte sacrificiel. Certes, nul
nouveau type de fiscalité est son décembre dernier, ne permettrait ne revendique ouvertement cette
caractère en principe « biodégra- en aucune manière aux contri- approche, mais elle est bel et bien
dable ». Dissuasif par nature, l'impôt buables d'alléger la charge fiscale présente, telle une image sublimi-
écologique doit, s'il réussit, voir en polluant moins, et n’établit nale, dans de nombreux discours
son assiette régresser à mesure de même aucune distinction entre et commentaires. L'impôt ne doit
l'adoption de comportements et les sources d'énergie en fonction pas être la continuation, par des
de techniques moins polluantes. de la pollution qu’elles engendrent. moyens plus pacifiques, d’une
L’idée est, a priori, vertueuse et guerre, perdue sur le terrain de
séduisante. Hélas, ses premières Le rapprochement de ces deux l’affrontement politique, contre
réalisations suscitent de forts « maladies infantiles » de l'écotaxe l'ordre social des sociétés libres.
doutes sur sa cohérence, voire fait naître un doute. Si l'on affecte Exprimer des réticences de prin-
sur sa finalité véritable. la recette à des dépenses perma- cipe à la limitation du fardeau fiscal,
nentes, et non à l'environnement, indépendamment de tout besoin
Tout d'abord, la théorie dite du tout en s'efforçant de retenir budgétaire précis,c’est révéler une
« double dividende », chère aux des assiettes indépendantes des conception guerrière et fort peu
promoteurs de l'impôt écologique, comportements polluants, ne démocratique des relations entre
conduit à affecter les ressources serait-ce pas parce que le but société civile et société politique.
ainsi collectées, non pas à des ultime recherché est autre que la Sociétal
actions en faveur de l'environne- réduction de la pollution ? La En revanche,dans la mise en œuvre
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ment, mais au financement par le finalité écologique serait-elle, elle du prélèvement public, les gouver-
budget général d'autres actions, en aussi, une ruse destinée à reculer nements ne sauraient s'interdire 3e trimestre
faveur de l'emploi. Le résultat est les limites d'acceptabilité des de rechercher un optimum collectif. 2001
paradoxal : l'écotaxe a d'abord prélèvements par la société civile, Ils doivent, d'abord, rechercher la
abouti à supprimer des crédits à la faveur de l'adhésion spontanée neutralité fiscale, en minimisant les

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FISCALITÉ
DOSSIER

dégâts économiques de l'impôt. soient économiques, sociales ou souvent à des résultats fort
C'est à la fois l'intérêt du pays écologiques), elles ne soulèvent éloignés de ceux qu’ils visaient.
(pour préserver la création de pas d’objection de principe. Mais La recherche d’une gestion pu-
richesses) et celui de l'Etat (pour elles supposent l'observation blique de qualité et d'un interven-
sauvegarder ses recettes futures). d'une certaine déontologie. tionnisme « vertueux » devrait
La France, on l’a vu, a encore des être le chantier prioritaire des res-
progrès à faire dans ce domaine. Tout d'abord, une exigence d'hu- ponsables publics. Elle suppose la
milité. La société et l'économie capacité de modéliser, puis de
VERS UNE sont complexes et mouvantes. Les mesurer le résultat de l’action. Le
DÉONTOLOGIE DE démarches mécanistes, qui mettent rituel rapport au Parlement sur les
L'INTERVENTIONNISME la fiscalité au service d'objectifs dépenses fiscales appartient à la
théoriques simples, mais ignorent préhistoire d’une évolution qui

Q uant aux inter ventions


fiscales positives (qu'elles
le contexte et les comportements
d'adaptation, aboutissent le plus
reste à accomplir.

Les cotisations sociales


sont-elles des impôts ?
Les cotisations sociales ont d’abord été les d’activités non salariées a-t-elle les mêmes effets
contreparties d’une assurance ou d’une économiques qu’un impôt sur le revenu du travail ?
prestation. Mais leur évolution au cours On ne peut répondre à cette question sans prendre
en compte les contreparties auxquelles les
des dernières décennies leur donne de cotisations donnent droit.
plus en plus le caractère d’impôts
supplémentaires sur les revenus du travail. Si le fait d’acquitter une cotisation sociale donnait
accès à une assurance que le travailleur aurait
Cotisations sociales et impôts constituent deux souscrite de toutes façons, ou à des prestations d’une
catégories juridiques assez largement distinctes, valeur équivalente à celle de la cotisation, l’ensemble
même si le cas de la CSG jette le trouble sur la constitué de la cotisation et de sa contrepartie
netteté de la frontière. Les impôts et taxes sont n’aurait pas d’effet économique : en réponse à
perçus par le fisc et le Trésor public, selon des l’imposition de la cotisation, assortie de sa contre-
règles données pour leur établissement et leur partie, le travailleur diminuera simplement sa
recouvrement. Les cotisations sociales sont consommation libre d’assurance ou diminuera sa
prélevées par les Urssaf et les Assedic selon consommation libre du produit objet de la
d’autres règles. prestation. La cotisation ne devrait ainsi pas être
considérée comme équivalente à un impôt.
Les cotisations sociales et les impôts ont cependant
un caractère commun, celui d’être obligatoires. L’obligation d’assurance existe pour protéger la
Dès lors que quelqu’un poursuit une activité et en société de l’imprévoyance de certains ou de la
retire un revenu, il n’échappe, sauf à se mettre en situation d’aléa moral dont d’autres pourraient
opposition à la loi et à encourir des sanctions, ni être tentés de profiter : par exemple, ne pas
au paiement de cotisations sociales sur ce revenu s’assurer contre le risque d’être en vie et sans
Sociétal d’activité ni au paiement de l’impôt sur le revenu. ressources au vieil âge, en pensant pouvoir
compter la compassion de la société ou l’assis-
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Le caractère obligatoire des cotisations sociales tance de l’Etat.
3e trimestre suffit-il à les ranger, du point de vue économique,
2001 dans la même catégorie que les impôts ? Une En 2001, force est de constater que les cotisations
cotisation sociale sur les salaires ou les revenus sociales en vigueur en France ne répondent pas à

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A QUOI SERT VRAIMENT L’IMPÔT ?

Deuxième exigence, la transpa- fiscales empreintes d'arrière- Encore faut-il que ces objectifs
rence des objectifs. C'est une pensées. La transparence est soient réels et sincères, et ne
condition fondamentale d'effica- d'ailleurs, dans le domaine fiscal, servent pas seulement à dissimu-
cité, car l'incitation fiscale une sorte de clé universelle : ler les efforts d'une « sphère
s'adresse à des êtres doués après tout, aucune finalité publique » anonyme pour ac-
d'intelligence et non à des imaginable de l'impôt ne peut croître son emprise sur la
choses. Les comportements être a priori exclue. Les hommes s o c i é t é e t l e vo l u m e d e s
d'adaptation et d'optimisation, sont libres et peuvent décider richesses qu'elle prélève sur le
dans une société libre, auront comme ils l’entendent des travail des citoyens. ●
toujours raison des mesures objectifs qu'ils lui assignent.

cette description et ne sont, pour l’essentiel, ni plus complémentaires, sont a priori les plus proches de
ni moins que des impôts sur le revenu du travail. la prime d’assurance, rendue obligatoire simplement
Ceci ressort de l’analyse des quatre grands pour que les impécunieux ou les égoïstes ne se
« risques » qu’elles sont censées couvrir : maladie, retrouvent pas à la charge de la collectivité dans
famille, chômage et retraite. leur vieil âge. Les pensions servies dépendent en
effet positivement des cotisations payées pendant
Les cotisations à l’« assurance » maladie ne donnent la durée de vie active, et de manière plus claire
pas réellement accès à une assurance, puisque celle- encore pour les régimes complémentaires fonc-
ci est désormais systématiquement octroyée aux tionnant par points.
résidents, sans condition de cotisation et à des
conditions de remboursement souvent plus avanta- Il existe toutefois une redistribution non négligeable,
geuses pour les non-cotisants (couverture maladie en raison de l’existence de pensions minimales, ou de
universelle). Les cotisations maladie sont par ailleurs réversions sous conditions de ressources, et plus
proportionnelles (et même progressives compte tenu encore du fait que les règles de liquidation sont loin
des ristournes sur les bas salaires), alors que les de respecter les conditions de neutralité actuarielle.
prestations n’ont pas de lien avec le revenu. C’est Surtout, les droits acquis sont verrouillés dans un
donc bien à un impôt que l’on a affaire. système dont on est sûr que le rendement futur sera
au mieux médiocre, compte tenu des perspectives
Les cotisations « famille »,proportionnelles au revenu démographiques françaises,et qui sera soumis d’autre
d’activité (progressives au bas de l’échelle des part à un aléa important, venant de l’incertitude sur
salaires), financent des prestations qui n’augmentent les modes qui seront retenus dans le futur pour
pas avec ce revenu. Au contraire, une partie de plus traiter les déficits des régimes.La « valeur » des droits
en plus importante, et aujourd’hui prépondérante, à pension acquis en contrepartie des cotisations n’est
des prestations familiales sont attribuées sous ainsi pas connectée de manière étroite aux cotisa-
conditions de ressources. On peut donc ranger les tions, qui constituent une forme d’hybride entre
cotisations « famille » dans la catégorie économique l’assurance obligatoire et l’impôt pur et simple.
des impôts sur le revenu du travail.
Au terme de cette brève analyse, on se rend compte
L’analyse des cotisations « chômage » et « retraite » que la question de l’assimilation des cotisations
est un peu plus délicate et son résultat plus nuancé. sociales à des impôts, sur le plan économique, n’a
Les indemnités versées par le régime d’assurance pas de réponse théorique et absolue, mais dépend
chômage progressent en effet avec le salaire soumis des situations d’espèce. Il y a quarante ans, en
à cotisation. Mais elles comportent aussi une partie France, les cotisations étaient calculées sur un
fixe substantielle. Surtout, les cotisations ne tiennent salaire plafonné, leur versement conditionnait
pas compte de la probabilité d’être au chômage, l’accès aux prestations, et celles-ci n’étaient pas
laquelle décroît sensiblement en fonction du niveau distribuées sous conditions de ressources. La
de qualification et donc largement de la position dans notion de prime d’assurance obligatoire avait une
l’échelle des revenus. La formule de calcul est donc certaine validité, comme celle de salaire indirect.
très éloignée de celle que donnerait le calcul d’une Aujourd’hui, les cotisations sont largement des Sociétal
prime d’assurance. Les cotisations « chômage » sont impôts supplémentaires sur le revenu du travail, et
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donc largement des impôts. tout particulièrement sur le travail qualifié.
3e trimestre
Les cotisations « retraite », qu’il s’agisse de la 2001
retraite de la Sécurité Sociale ou des régimes Didier MAILLARD

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