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Economie culturelle et territoire

Séquence 2: Introduction au cours de sociologie économique

Economie culturelle et territoire


Dr Absa Gassama
Séquence 2: Une sociologie du marché du travail par la méthodologie des réseaux sociaux

Introduction

Depuis la naissance de l’économie politique jusqu’aux théories modernes de l’équilibre général, les économistes
n’ont cessé de s’interroger sur une même question centrale : comment le marché peut-il rendre compatible une
série de comportements d’agents indépendants mais interagissant à travers un système de prix ? Quant aux socio
économistes, ils tiennent énormément compte du contexte dans lequel s’opère l’activité économique car c’est
cela qui explique la coexistence de diverses traditions nationales. Au Sénégal, l’importance du secteur informel
nous oblige à en tenir compte sur le plan économique et social et à développer une tradition nationale de
sociologie économique qui tient compte du dynamisme de ce secteur et de ses opportunités d’évolution.

En problématique, nous cherchons ici à comprendre par quel processus, le marché du travail d’un métier du
secteur informel réussit à se doter d’une représentation d’un futur légitime accepté par tous les acteurs comme
référence commune pour leurs anticipations : « un cadre commun de principes communs qui autorise les acteurs
à réprouver ceux qui ne respectent pas la convention » (Orléan, 2004, p.15).

L’analyse des formes de coordination et d’action observées, nous aide à inclure la dimension institutionnelle et
à tenir compte des formes de gouvernance au sein desquelles se déroulent les transactions économiques et se
nouent les relations marchandes. Nous allons donc faire une analyse structurale du réseau d’intermédiaires d’un
marché du travail domestique au Sénégal pour comprendre le passage de mondes sociaux du travail domestique
au groupe professionnel des travailleuses domestiques.

La pratique massive du travail domestique salarié au Sénégal a amené l’institutionnalisation de son mode
d’échange sur des marchés du travail appartenant à un système économique informel. L’étude de ces marchés
révèle la structuration du groupe des domestiques sur la base de leur métier et à partir de celle d’un réseau
d’intermédiaires qui en émerge. Il en résulte un groupe professionnel qui relativise la notion de « marchés du
travail fermés » (C. Paradeise) ou de social closure dans le langage néowébérien. Nous l’étudions grâce à la
méthodologie des réseaux sociaux.

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Un réseau social est un ensemble de relations d’un type spécifique (par exemple de collaboration, de soutien, de
conseil, de contrôle ou d’influence) entre un ensemble d’acteurs. L’analyse de réseaux est une méthode de
description et de modélisation inductive de la structure relationnelle de cet ensemble. Les relations entre acteurs
y sont donc premières et les caractéristiques ou attributs individuels ne viennent qu’en second lieu dans l’ordre
des priorités de l’analyse. Le raisonnement structural se distingue du raisonnement, dit « catégoriel », qui préside
à l’usage courant des méthodes statistiques. On parle de structures en partant de relations et non d’attributs. On
travaille avec des concepts (par exemple celui d’équivalence structurale, de cohésion, d’équivalence de rôle,
différentes formes de centralité et d’autonomie) sur lesquels la sociologie dite « structurale » s’appuie pour
développer une nouvelle théorie de l’action ou redonner un second souffle à des paradigmes classiques.

Pour comprendre pourquoi au Sénégal, même dans les familles de classe moyenne inférieure, on emploie
des domestiques, nous avons cherché à comprendre cette pratique sociale massive en analysant ses formes
de diffusion et d’institutionnalisation. Alors, partant des modifications des formes de solidarité familiale qui
garantissaient la production de travail domestique dans un cadre reproductif, nous avons cherché à
comprendre les formes contemporaines que prend l’échange du travail domestique. C’est ainsi, que notre
investigation s’est faite à partir des marchés du travail où nous avons observé les organisations par lesquelles
on tente de répondre à ces questions sociétales notamment, avec l’étude du marché de Liberté 6 où
l’organisation a révélé un réseau de relations informelles dont on a l’impression qu’il est en train de se
formaliser.

L’exemple du marché de Liberté 6 et de son réseau d’intermédiaires est un exemple des formes
d’organisation de l’échange du travail domestique et de leurs évolutions. Nous nous appuyons sur les
ressources de ce marché pour mieux le comprendre.

C’est un marché sur lequel, nous avons l’occasion d’observer la transformation des réseaux en marché à
partir du réseau initial de son fondateur Samaké. Cette transformation semble être le résultat de la
rencontre entre le désir d’agrandir son réseau de placement de domestiques et le besoin de fixation d’une
main d’œuvre qui, auparavant, s’offrait directement à la porte des employeurs, par petits groupes de
proches. Au cours de la journée de recherche d’emploi, les domestiques faisaient alors des haltes dans des
aires de repos comme celle de Liberté 6. Donc, lorsqu’un intermédiaire comme Samaké s’y installe, il trouve
une main d’œuvre supplémentaire à placer parmi les employées dont les techniques de recherche d’emploi
se sont transformées de façon paradigmatique : elles ne s’offrent plus de porte à porte, elles attendent
ensemble, seules ou sous la protection d’intermédiaires, que les employeurs viennent les chercher. C’est
ainsi qu’un intermédiaire qui s’installe dans une aire de repos parvient à transformer son réseau de
placement en marché. Néanmoins, il reste quelques traces de ces premières formes de recherche d’emploi
car, les employées continuent parfois de se déplacer de marché en marché.

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Et, lorsque les marchés sont déjà constitués, ils ont souvent tendance à continuer à s’élargir. Par exemple, au
marché du quartier de Liberté 6, plusieurs sous intermédiaires sont autour de Samaké, l’intermédiaire
principal. L’élargissement du marché a amené d’autres intermédiaires. Souvent, ce sont des chercheurs
d’emploi qui finissent par s’habituer à aider l’intermédiaire principal et à s’y spécialiser : Michelle une
ancienne domestique a évolué dans ce sens. Lorsque nous étions arrivée sur ce terrain en 2002, son rôle
d’intermédiaire n’était pas encore bien défini, on pouvait encore la confondre avec une domestique, nous
n’avions pas eu le réflexe de nous adresser à elle et personne ne nous avait dirigée vers elle, nous y avions
passé une journée entière, avions obtenu 4 entretiens (un avec Samaké, un avec le sous intermédiaire Djeli
et deux autres avec des employées) sans vraiment la remarquer. Au moment de notre départ, elle nous avait
alors interpellée avec une certaine vulgarité. En 2003, lorsque nous sommes retournée sur le terrain, elle
avait retravaillé son style, elle avait acquis une certaine distinction qui est plus en adéquation avec le rôle
qu’elle prétendait jouer, il était devenu difficile d’ignorer sa présence, elle sillonnait le marché toute la
journée, elle était habillée comme les employeuses, discutait avec elles avec une certaine familiarité, elle en
imposait. Sa position a changé grâce au travail qu’elle a fait pour avoir plus de charisme. On peut donc dire
que la légitimité des intermédiaires de marché du travail domestique s’impose souvent par le charisme.
Grâce à la légitimité charismatique, ils expérimentent des formes d’articulation d’intérêts et créent ou
contribuent à faire perdurer des marchés. Ainsi le marché du travail domestique peut être vu comme un
dispositif de confiance.

« Loin de la représentation économique conventionnelle, les dispositifs de confiance font surgir un univers
de délégués dont les jugements et les promesses, pour autant qu’ils se trouvent enveloppés de confiance, ne
cessent de dissiper l’ignorance et l’opportunisme et d’assurer, par-là, la formation et la continuité de l’ordre
économique. Par leur nombre, leur diversité, leurs domaines d’action, leurs relations de convergence et de
divergence, leurs formations et leurs effets ainsi que par leurs transformations dans le temps, ces délégués
délimitent un objet d’étude essentiel à la connaissance des formes de coordination. » (Karpik, 1996, p.547)

Michelle a aussi imposé « un code de déontologie » avec l’introduction du cahier de placement et


l’obligation pour les employeurs de verser une prime qui, jusque-là, était aléatoire. Elle a donc fait évoluer
les procédures des contrats ainsi que son pouvoir relatif en donnant plus de valeur aux preuves écrites et en
imposant la rémunération du service de placement. Michelle en recherche de pouvoir, va trouver les
chercheuses d’emploi, elle va vers elles, à la place où elles attendent. Samaké, en vieux chef, préside le plus
souvent, attend que les domestiques viennent se présenter et contrôle les sous intermédiaires qui émanent
de son marché mais, il lui arrive assez souvent d’aller vers les domestiques. On perçoit un agencement de
cercles de domestiques et, il se rend de cercle en cercle. Il va trouver les différents petits groupes et,

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lorsqu’on a un regard cinématographique1, les scènes de ses déplacements, de petit groupe en petit groupe
avant de revenir prendre place au centre, nous renvoient à une image de réseaux qui se sont formés autour
de lui. Les véritables réseaux ne correspondent pas toujours aux cercles de domestiques qui sont repérés sur
le plan physique mais cette vision topographique évoque comment des réseaux au marché, on passe à
l’élargissement des cercles d’information par sa centralisation.

Par ailleurs, on peut aussi noter l’émergence d’autres types d’acteur comme les domestiques les plus âgées
qui disent ne plus avoir la force d’entretenir une maison et qui se spécialisent dans le linge. Lorsque celles-ci
deviennent des spécialistes du linge, elles ont quelques familles employeuses pour qui elles le font
régulièrement mais elles doivent aussi venir régulièrement sur le marché pour de nouvelles opportunités.
Passer plus de temps sur le marché d’emploi, rentre alors dans l’organisation de leur travail comme pour les
intérimaires. Le marché du travail est donc un marché temporaire et un marché de longue durée. La
présence régulière des domestiques les plus âgées sur le marché leur donne un pouvoir. Elles ont des
stratégies pour occuper des positions dominantes sur les marchés. Elles occupent les meilleurs espaces et
tissent des liens cordiaux avec les intermédiaires. On peut aussi noter une consororité entre elles.

De façon générale, on peut dire que les domestiques les plus âgées constituent le segment professionnel le
plus homogène, celui qui se distingue le plus sur les marchés les plus ouverts. Pourtant, si l’âge rentre dans la
constitution des segments professionnels du travail domestique, ce n’est le seul déterminant. Le mandat ou
la mission négociée sur le marché, reste lié au cycle de vie et, la licence ou l’autorisation d’exercer vient aussi
du pouvoir que confère la division sexuelle du travail dans le cadre d’un ménage.

Les segments du groupe professionnel des travailleuses domestiques sont des formes de travail domestique
liées à l’appartenance de classe des employeurs et aux compétences nécessaires aux domestiques pour les
exécuter. Ces compétences professionnelles mises en valeur sur le marché sont acquises dans le cadre de
l’exercice du travail domestique salarié. Il y a une différenciation et une hiérarchisation des segments. La
différenciation porte aussi sur un type particulier d’organisation du travail pro moderne ou pro traditionnelle
sachant que l’organisation pro moderne implique également une organisation pro occidentale. Les
domestiques les mieux rémunérés travaillent dans les familles les plus modernes, chez des employeurs de
classe sociale supérieure, sont mieux rémunérés et appartiennent aux segments supérieurs de leur groupe
professionnel.

La représentation non négligeable des enfants ou Xalé sur le marché, correspond à des modalités d’insertion
sur le marché du travail. Les domestiques sont plutôt polyvalentes à l’entrée dans le métier et, selon leur
avancement en âge c’est-à-dire, qu’elles passent de Xalé (enfant), à Janx (jeune fille) ou Jègu (femme mûre),

1
Cf. film documentaire produit à partir des investigations
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elles tendent vers la spécialisation. L’intégration inégale des professionnels sur le marché du travail explique
alors le déroulement des carrières, même si elle est l’expression d’une pluralité de facteurs : qualité de la
formation initiale, lieu de résidence, origine sociale, ou encore talent personnel, irréductible à l’analyse
sociologique.

La présentation des domestiques en un temps donné, en un lieu unique, fait apparaître des différences de
qualité qui sont le reflet de l’expérience dans l’exercice du travail domestique salarié. Le caractère public des
informations concernant les prix et, les personnes placées contribuent à asseoir l’efficacité et la qualité du
marché.

Ainsi, nous glissant dans le sillage de Menger et ses travaux sur les artistes, nous distinguons aussi un noyau
regroupant les professionnels les mieux intégrés dans la zone B2 du marché. Les domestiques évoluant dans
cet espace du marché ont des valeurs communes basées sur la visualisation d’une carrière typique qu’elles
tentent de construire et qui constitue le « centre de gravité » (Menger, 1997, p.207) ou la « colonne
vertébrale » (Menger, 1997, p.139) du marché du travail domestique.

Représentation R.1 : La configuration du marché de Liberté 6

Jègu, Janx, Xalé

Les + âgés

Les sous
intermédiaires
Samaké

Légende : Jègu : femme mûre ; Janx : jeune fille ; Xalé : enfant

A partir de la construction sociale du marché de Liberté 6, qui se fait à partir du capital social et du réseau
d’intermédiaires, nous allons donc analyser la façon dont se structure le groupe professionnel des
domestiques.

2
Que nous mettrons en perspective par rapport aux zones A, C, et D, à la page 36-37 de ce document
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1-Une analyse en termes de réseaux sociaux de données issues d’une observation ethnographique

Nous étudions ainsi des marchés concrets, situés géographiquement en des sites où des personnes se
trouvent rassemblées afin d’y mener à bien leurs objectifs professionnels. Ces marchés sont liés à des formes
de régulation externe, culturelle, morale et politique mais, on peut aussi les traiter comme des marchés
abstraits en étudiant « les phénomènes d’interdépendance existant entre les divers marchés reliés les uns
aux autres pour former un système de marchés. » (Steiner, 2007, p.31) D’ailleurs, nous pouvons aussi faire
une approche empirique de ce système de marchés avec la pérégrination des domestiques lors de leur
recherche d’emploi, en essayant de comprendre pourquoi elles vont de tel marché à tel marché, ce qu’elles
cherchent dans l’un et l’autre, leur spécificité et leur complémentarité.

Partant de l’orientation interactionniste et non atomistique de l’individualisme méthodologique, nous avons


essayé de comprendre les effets de composition de leur agrégation. Ces effets résultent des interactions
entre acteurs et, nous optons pour l’analyse structurale, afin de prendre des distances avec le déterminisme
de la perspective sociologique holistique et d’éviter d’identifier les structures à priori.

En effet, le concept de réseau social tel qu’il a été initialement défini par John Barnes en 1954, visait à décrire
la structure sociale en dépassant ses aspects administratifs et économiques les plus formels pour explorer
ses dimensions plus informelles à travers le système d’interactions et d’interdépendance. Nous explorerons
donc les échanges interpersonnels et les éventuels rapports de force afférents, dans des cadres
professionnels.

Pourtant, notre investigation a essentiellement été ethnographique. Le marché tel qu’il nous apparaissait,
nous donnait une vision en termes de réseaux sociaux mais, ce n’est que lors de l’analyse que de réels
réseaux sociaux ont émergés. Notre analyse en termes de réseaux sociaux ne repose donc pas sur une
enquête sociométrique classique qui, le plus souvent, reste au niveau des relations entre individus mais sur
la récapitulation du comptage que nous avions systématiquement effectué lors de nos investigations.

Les concepts des réseaux sociaux nous permettent donc de formuler nos découvertes issues de l’enquête
ethnographique qui nous a également permis de connaître la véritable nature des relations de ces mondes.

Cherchant la structure d’associations locales, fortement intégrées pour des raisons historiques et sociales et,
ayant constaté une formalisation en dehors de règles légales tout en ne sachant que de façon imprécise, le
type d’association et la configuration des relations entre les acteurs collectifs en présence, l’analyse de
réseaux qui est une méthode de formalisation inductive a semblé être appropriée à notre analyse. En effet,
nous avons déjà montré ailleurs que ces liens informels entre partenaires contribuaient à diminuer les coûts
de leurs transactions. Dans le sillage de DiMaggio (1991 et 1992), nous nous sommes donc servit de l’analyse
structurale des réseaux sociaux pour théoriser le lien entre le structural et le culturel.

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A partir d’enquêtes ethnographiques, nous avons donc essayé de montrer des formes d’institutionnalisation
en mettant en évidence « des circuits de relations cachées et répétitives sur lesquelles reposent des
régulations inattendues qui finissent par avoir force de loi. Cette attention commune au fait que les acteurs
contribuent à construire les structures qui les contraignent et que les comportements sont largement
déterminés par le système de relations auquel ils appartiennent » (Lazega E., 1994, p.294)

Notre approche procède alors d’une démarche inverse à celle que l’on retrouve dans une analyse classique
en termes de réseaux car, nous ne partons pas de graphiques complexes pour en arriver à de plus lisibles
avec la réduction de la quantité d’informations. L’enquête ethnographique nous a d’emblée donnée accès à
la nature des relations et à un graphique lisible que nous avons testé avec les données du comptage
recueillies sur le terrain. En effet, Emmanuel Lazega défini un réseau social « comme un ensemble de
relations d’un type spécifique (par exemple de collaboration, de soutien, de conseil, de contrôle, d’influence)
entre un ensemble d’acteurs. L’analyse de réseaux est une méthode de description et de modélisation
inductive de la structure relationnelle de cet ensemble » (Lazega E., 1994, pp.293-320, p.293) et, n’ayant pas
procédé à des échantillonnages, nous avons procédé ici à un usage plus ponctuel avec le choix d’un niveau
d’analyse abordable en étudiant de façon complète, les relations entre les intermédiaires du marché grâce
au principe du lien et le réseaux de chacun d’eux, grâce au principe d’équivalence. Nous sommes consciente
des limites de ce choix mais, il nous permet de comprendre l’influence de cette dimension de la structure sur
la circulation de ressources contrôlées par ces mêmes intermédiaires. (cf. Lazega E., 1994, p.313)

Nous avons donc procédé à la « reconstitution de la morphologie du système de partition et description de


relations entre les sous-ensembles : l’analyse de réseaux reconstitue des blocs d’acteurs, mais aussi les
relations entre ces blocs, ce en quoi elle diffère de la sociométrie classique qui en restait au niveau des
relations entre individus. Ces procédures n’ « écrasent » pas le niveau individuel. Leur intérêt réside aussi
dans leur flexibilité qui permet un va-et-vient constant entre le niveau structural ou global et le niveau
individuel ou local. » (Lazega E., 1994, pp.293-320, p.295)

L’observation de l’échange de différents types de travail domestique et de modes de négociation ritualisés,


nous fait découvrir des réseaux de partenaires et des institutions légitimées par les acteurs des marchés qui
partagent des représentations et des croyances, coopèrent en coordonnant leurs actes de façon à laisser
apparaître des « schémas conventionnels » comme on peut le retrouver chez Howard Becker.

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2- Observations du nombre et du type de contact au cours d’une journée représentative : les bases d’une
analyse structurale des réseaux du marché

Pour observer ces interactions, nous avons choisi une journée, pendant laquelle, les négociations n’étaient
pas trop nombreuses pour nous permettre de les rapporter entièrement. Cette journée représentative des
autres journées en termes de comportement des acteurs, nous a permis de mettre en scène le
fonctionnement quotidien du marché, nous l’appelons journée expérimentale car, elle se présente comme
une des autres journées et, elle nous permet de rapporter les faits sociaux que nous avons supposé être
significatifs du fait de leur régularité lors des autres journées d’observation et, de tester les hypothèses que
nous avons fait à partir de ces faits sociaux. Ainsi retrouvant l’essentiel des éléments qui composent les
autres journées lorsque nous reconstituons les faits qui se déroulent sur une journée réelle, celle-ci est alors
assez semblable à un type idéal.

2-1- Nombre de négociations effectuées lors d’une journée

Au cours de la matinée expérimentale que nous avons choisi pour mieux partager le terrain d’investigation
avec nos lecteurs, nous notons 5 négociations concluantes, une dont l’issue nous a échappée et 3 refus ou
négociations non concluantes. Avec 49 employées et 9 négociations, un dixième des employées ont été
placées dans la matinée.

Au cours de l’après midi, nous notons 8 conclusions heureuses, une sans issue favorable, une dont l’issue
nous a échappée et un échange de domestique. Il y a échange de domestique quand un employeur a conclut
un accord qui n’est pas suivi d’effet. Cela se passe quand l’intermédiaire a été trop pressant avec une
chercheuse d’emploi peu motivée par une offre, elle acquiesce mais ne se rend pas à son travail. Alors,
l’employeur vient réclamer une autre employée à l’intermédiaire qui avait reçu une prime à cet effet. Au
cours de cet après midi là donc, sur 60 employées et 11 négociations, un huitième des domestiques ont été
placées. Nous pouvons noter que les employées sont plus exigeantes dans la matinée qu’au cours de l’après
midi.

Après avoir vue les négociations globales et le pourcentage de placement de notre journée expérimentale,
nous allons voir qui place qui et chez qui.

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2-2- Nombre de négociations menées par un intermédiaire au cours de notre journée expérimentale

Dans le tableau ci-dessous, + représente une négociation qui se termine par un placement, - une négociation
avec une issue négative, +/- représente un échange ou une issue qui nous a échappée. Il arrive souvent que
plusieurs intermédiaires se réunissent pour une seule négociation, on a donc l’impression qu’il y en a plus
qu’annoncées ci-dessus.

Tableau T.1 : Les négociations sur une journée

L’intermédiaire Samaké Doumbia Michelle Djeli Ndiago

Négociations - - +/- +/- +

+/- + + +

+ + - +

+ + +

+ + -

+/- +

+ +

Samaké est celui qui négocie le plus mais ses conclusions positives sont aussi nombreuses que celles de
Michelle qui n’hésite pas à laisser tomber une négociation dès qu’elle la trouve inintéressante. De même,
elle rejoint assez facilement une négociation qui lui semble annoncer une bonne issue. Doumbia évolue le
plus souvent dans l’ombre et la seule négociation ouverte que nous l’avons vu mener connaît une issue
négative. Ndiago négocie peu mais il a beaucoup d’acharnement, il traite les moins bonnes affaires et l’issue
est toujours positive. Djeli est jeune et populaire, il négocie plus que Ndiago mais ses conclusions positives
sont moins nombreuses.

Ces informations dénotent de la politique de marché des intermédiaires libéraux et coordonnés. La valeur
des marchés dont nous traiterons plus bas, en découle aussi.

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3- Les intermédiaires du marché

Les domestiques étant de nouveaux migrants à Dakar qui cherchent à être en contact avec une catégorie de
la population urbaine qu’elles ne connaissent pas, pour se faire employer par elle, se regroupent pour se
rendre visible et pour avoir plus de pouvoir dans les négociations et parfois choisissent un intermédiaire pour
faciliter ce contact. Cet intermédiaire est choisi en fonction de sa proximité avec le monde des domestiques
et celui des employeurs, il peut parler aux employeurs et comprendre leur demande et ces derniers lui font
confiance parce qu’ils savent que l’intermédiaire est plus à même de relayer leur demande car, les
domestiques lui feront plus confiance. « Les employeurs et les travailleurs potentiels préfèrent apprendre les
uns des autres à travers des sources d’information personnelles dans lesquelles ils ont confiance »3
(Granovetter, 2006, p.8) car, la qualité des services domestiques échangés est difficile à évaluer et, comme le
souligne North, « à mesure que les échanges entre individus deviennent plus spécialisés et complexes, les
contrats doivent être garantis par un tiers. » (Di Maggio P. J., Powell W. W., 1997, p.117).

L’intermédiaire maintient alors le lien entre les employeurs et les employées : les premiers s’adressent à lui
pour formuler leur demande de travail et lui, il propose la demande aux intéressées en la répartissant mais la
demande peut avoir plus ou moins de succès.

Les types d’interaction dépendent aussi de l’histoire de la relation entre employeurs et intermédiaires qui
met en perspective le capital social résultant non seulement « de négociations accumulées qui fondent une
confiance et simplifient la nouvelle négociation, » (Degenne et Forsé, 2004, p.134) mais encore de la
réputation qui fait que, même les nouvelles négociations reposent sur la confiance accumulée avec les autres
relations du même type. C’est cette diffusion qui entraîne la transformation du réseau en marché. Mais les
réseaux demeurent importants sur le marché où les relations ont tendance à se formaliser alors que la
relation de travail domestique repose davantage sur des liens personnalisés.

L’emploi de domestiques suppose une adaptation et une expérience, l’employeur a alors intérêt à faire
confiance à des proches de la salariée qui connaissent le travail domestique et recommandent sa
candidature. Cela se trouve être les intermédiaires qui ont aussi intérêt à recommander une personne
capable de donner satisfaction autrement, cet échec leur serait reproché et cela pourrait nuire à l’efficacité
du réseau et/ou à la construction sociale du marché.

Avec la construction sociale du marché, ces liens sont mis à la disposition de toutes les domestiques et, elles
accèdent aux informations que ces liens leur permettent et en disposent en fonction de leur expérience

3
Granovetter M., L’influence de la structure sociale sur les activités économiques, in Sociologies Pratiques n°13, volume 2, 2006,
p.9-36, Presses de Sciences Po, Penser les réseaux sociaux pour repenser l’action économique, p.8

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professionnelle. Ainsi, les intermédiaires sont capables de mettre en lien les catégories sociales inférieures
des domestiques avec celles socialement supérieures des employeurs.

Il reste donc à vérifier les conséquences de la force des liens que les intermédiaires entretiennent avec les
domestiques sur la qualité de l’emploi qu’ils leur trouvent à savoir, son caractère stable ou instable et, sa
position dans la hiérarchie socioprofessionnelle.

Pour cela, nous nous inspirons de la triade de Georg Simmel qui nous permet de mieux comprendre ce qui se
passe au moment de la négociation entre domestique, employeur et intermédiaire notamment, parce que
« L’accès à un emploi est une négociation entre un employeur et un salarié. L’employeur cherche à réduire
l’incertitude sur le comportement du salarié qu’il va embaucher, en vue d’une productivité maximale. Le
salarié cherche à obtenir des conditions de travail et de rémunération aussi favorables que possible, »
(Degenne et Forsé, 2004, p.133) et qu’ici, on fait aussi appel à un intermédiaire pour réduire cette
incertitude.

Dans notre travail, nous avons d’emblée parlé d’intermédiaire mais, l’analyse en termes de réseau nous aide
à affiner notre propos notamment, en nous appuyant sur Gould et Fernandez (1989) et en précisant ce que
nous entendons par intermédiaire. Par cette notion, nous entendons celui qui « relie des individus
appartenant à des cercles différents, lui-même relevant d’un cercle qui lui est propre » (Degenne et Forsé,
2004, p.149).

Sur plusieurs des marchés que nous étudions, l’intermédiaire a un intérêt matériel à la négociation qu’il
permet d’instaurer et ainsi, il profite plus ou moins de sa position en fonction du type de marché qu’il
contribue à animer. Les intermédiaires humanitaristes que nous avons trouvé chez les religieuses qui
animent d’autres types de marché que nous avons également observé, avaient plus une stratégie
d’articulateur4 et, n’hésitaient pas à montrer leur velléité de couper les ponts si cela s’avérait nécessaire.
D’ailleurs, c’est leur politique de marché de ne sélectionner qu’une petite minorité d’employeurs et de
domestiques à relier. Il leur arrive donc régulièrement de couper des ponts et de refuser de servir
d’intermédiaire.

Par ailleurs, les intermédiaires des marchés que nous étudions s’avèrent aussi être les représentants des
domestiques. Nous avons déjà dit qu’ils appartiennent au cercle des domestiques tout en ayant une
expérience urbaine suffisante pour comprendre la demande des employeurs qui placent leur confiance en

4
Pour une définition plus technique, voir ci-dessous, à partir de la page 31-32, dans le chapitre 5 : Capital social et équivalence
structurale dans les réseaux du marché

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eux pour trouver la domestique appropriée à leurs besoins. L’intermédiaire se présente alors aussi comme
un articulateur représentant le cercle de la domestique vis-à-vis du monde des employeurs. C’est la raison
pour laquelle, pour élargir son réseau en marché, Samaké s’est davantage appuyé sur des personnes
capables de tisser leur propre réseau de domestiques et d’employeurs pour garder la richesse en contacts,
de la prestation de ses services tels qu’il les pratiquait déjà.

En ce qui concerne Samaké tout particulièrement, il se présente comme le gardien de son marché, il est un
articulateur qui contrôle l’accès des autres intermédiaires à son marché. Il est alors le médiateur de son
marché, l’articulateur qui permet une communication entre les autres intermédiaires. Michelle le soutient
dans ce sens en lui proposant de s’appuyer sur un cahier pour plus de transparence alors que Doumbia est
celui qui tire le mode de fonctionnement du marché dans l’ombre. Le rôle de Samaké est d’autant plus
essentiel que la communication est souvent bloquée entre les sous intermédiaires. Il coordonne l’action
entre les intermédiaires pour que le marché puisse fonctionner.

Sachant que l’intermédiaire Samaké reste le médiateur de son marché, nous nous demandons également s’il
est un tertius gaudens à savoir, s’il bénéficie de la situation de tension entre les intermédiaires d’une part et
d’autre part, entre les domestiques et les employeurs. Nous savons que sa position de médiateur entre les
intermédiaires de son marché lui permet de contrôler son marché. Il tire ainsi avantage de sa position
structurale qui lui permet de jouer un rôle d’arbitre, de négociateur grâce à la non redondance de ses
relations ou à l’existence de trous structuraux, un trou structural étant ici une connexion entre des
intermédiaires ayant des réseaux différents c’est-à-dire, ayant des contacts différents, non directement
reliés entre eux (cf. Godechot, 2010, p.351).

Par ailleurs, s’il existait une relation positive entre les domestiques et les employeurs, il n’y aurait plus de
trou structural et, l’intermédiaire n’existerait pas en tant que tertius gaudens car, il ne serait plus en position
de contrôler un réseau d’échange de travail domestique ou ce qui y circule comme information. En facilitant
la circulation de l’information entre employeur et employée, grâce à une relation triangulaire qu’il noue avec
eux, l’intermédiaire « devient la source et le garant d’une information qui crée les conditions nécessaires aux
engagements contractuels. » (Karpik, 1996, p.532-533)

Cette construction collective d’où émane l’intermédiaire est fondatrice, « elle permet de surmonter, au
moins partiellement, l’incertitude enracinée dans l’ignorance des qualités comme dans le différé de
l’évaluation en capitalisant l’expérience des autres et, par là, elle autorise la rencontre raisonnée de l’offre et
de la demande. Le réseau est constitutif d’une économie du miracle : il convertit en effet, un marché
logiquement et théoriquement « impossible » en une forme d’échange qui s’inscrit bien souvent dans la
longue durée. Cette continuité manifeste clairement que le réseau est aussi en mesure de neutraliser les

Dr Absa Gassama 12
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Séquence 2: Introduction au cours de sociologie économique

menaces d’opportunisme5. Par son fonctionnement même, c’est-à-dire par la répétition des interactions, il
favorise les comportements dignes de confiance et cela d’autant plus que les avantages que procure la
continuité des échanges l’emportent sur les bénéfices qui pourraient résulter de comportements
opportunistes. Cette efficacité expliquerait le statut d’exception assigné au réseau : « I have argued that
social relations, rather than institutional arrangements or generalized morality, are mainly responsible for
the production of trust in economic life.»6» (Karpik L., 1996, p.532-533)

Représentation R.1 : L’intermédiaire dans la triade qu’il forme avec l’employeur et l’employée

- +

D + I = tertius gaudens

Légende : E comme employeur, D comme domestique et I comme intermédiaire

Samaké se présente et se représente aussi comme un chef protecteur, il montre son inquiétude en ce qui
concerne la santé des domestiques et émet de fortes injonctions pour se protéger du soleil hivernal réputé
être dangereux pour la santé, cela donne de la fièvre mais son rôle de protecteur s’arrête généralement à la
recommandation. Toutefois, il est entré en action en implantant une tente. Ainsi, par ses recommandations,
il maintient le capital santé des chercheuses d’emploi. Pourtant, ce capital santé, s’il est important pour
trouver du travail, son maintien ou son entretien, ne fait pas partie de la négociation.

L’organisation de l’échange du travail domestique salarié qui est actuellement en expansion, s’effectue en
public, avec un travail d’équipe par délégation d’autorité, autour d’une activité individualisée, en train de
changer de mode de fonctionnement. Les acteurs de cette organisation construisent un décor qui sert à
stabiliser leurs actions séparées et leurs interactions. « La construction de ce décor fait de routine rend
possible à son tour une division du travail entre chacun des deux acteurs, ouvrant la voie aux innovations, qui
exigent un plus haut niveau d’attention. » (Berger P. et Luckmann T., 1996, p.82)

La nécessaire coopération entre les intermédiaires est « indissociable de rapports de pouvoir ou de relations
d’autorité qui traduisent et entretiennent des niveaux différenciés de légitimité. » (Demazière et Gadéa,
2009, p.441) En position d’extériorité par rapport aux employeurs qui sont leurs clients, l’intermédiaire doit
acquérir reconnaissance et légitimité dans l’espace du marché.

5
Nous verrons dans quelle mesure.
6
Granovetter M., « Economic Action and Social Structure : the Problem of Embeddedness” American Journal of Sociology, 3, 1985,
pp. 481-510, p.491
Dr Absa Gassama 13
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Séquence 2: Introduction au cours de sociologie économique

Du fait de ces attributs, l’organisation de l’échange du travail domestique fait appel à plus de négociation ou
moyens pour obtenir que les choses se fassent7 et, cela semble passer par la transformation de petits
réseaux de placement de domestiques en coordination de réseaux et/ou en marché.

4- Les réseaux et les stratégies de fermeture du marché

Avec le marché du travail domestique, les intermédiaires essayent de tirer profit des avantages du réseau et
du marché. En cherchant à avoir de plus en plus de gain, les intermédiaires facilitent l’accès aux contrats en
les ouvrants à un plus grand nombre. Mais, cela entraîne une formalisation plus grande qui entre en
contradiction avec l’idée qui a fait germer le marché à savoir, l’idée de recommandation qui sous entend
qu’il faut bien connaître les personnes à placer d’où, une nouvelle forme d’informalité qui consiste à cacher
les recommandations des personnes que l’on connaît et les gains supplémentaires qu’on en retire, on peut
appeler cela l’informalité plus puisqu’il s’agit de règles informelles d’un marché du travail déjà informel.
L’élargissement d’un réseau en marché du travail domestique, entraîne une moindre densité du réseau mais,
le marché continue de conserver en son sein des îlots de réseau.

Diallo qui dirige un marché assez similaire à celui de Samaké mais en modèle plus réduit, arrive plus à
imposer ses normes mais, lorsque le marché s’élargit autant que chez Samaké qui cache en son sein des
réseaux dont le fonctionnement est à présent dissimulé, pour légitimer l’existence du marché, cela entraîne
des conflits au niveau du marché dont le mode de fonctionnement repose désormais sur la transparence.

Lorsque les réseaux sont dissimulés au sein d’un marché, cela entrave la transparence globale car, c’est
l’élargissement du réseau en marché et le dépassement des comportements opportunistes qui rendent plus
significative l’action collective. Cette construction du marché s’effectue alors avec les contradictions que
nous venons de noter notamment, en ce qui concerne la confiance qui a du mal à s’installer avec de
nouvelles personnes venant élargir le réseau. Mais, en contrepartie, il y a une professionnalisation du
marché avec l’imposition de normes pour aller au-delà des limites cognitives et émotionnelles coextensives
avec la confiance qui sous tend le fonctionnement des réseaux. Ainsi, avec l’élargissement des réseaux, les
liens faibles se renforcent avec la construction sociale du marché car, la structure sociale du marché qui se
met alors en place devient de plus en plus déterminante, du moins presque autant que la confiance qui
motive les liens forts des réseaux. Cependant, la recherche de rente des intermédiaires mercantilistes qui
développent des formes de clientélisme, témoigne encore de l’encastrement de l’économie des marchés du
travail domestique. L’embeddedness ou l’encastrement social est donc une modalité fondamentale de
l’échange économique (Polanyi, 1975 et 1983) du travail domestique.

7
Selon une définition sommaire de la notion de négociation que Strauss relève du dictionnaire
Dr Absa Gassama 14
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Séquence 2: Introduction au cours de sociologie économique

En effet, seule la prime donnée par l’employeur est ouvertement défendue mais, on note que certaines
employées sont très proches des intermédiaires et passent en priorité et, cela dépend aussi de la prime
souterraine à laquelle elles consentent. Des entretiens nous ont permis de savoir qu’elles donnent une
somme de 500FCFA voire parfois, 1000FCFA à l’intermédiaire en qui elles ont le plus confiance. Cette somme
représente en général la moitié de la prime établie pour les employeurs. Certaines filles justifient cette prime
qu’elles versent en expliquant que les intermédiaires prennent un risque à les recommander, elles disent que
si une domestique se comporte mal, c’est contre l’intermédiaire que le patron se retourne. D’autres filles
contestent même le fait que les intermédiaires reçoivent de l’argent des patrons en les plaçant. Elles disent
alors, qu’elles sont vendues comme des moutons. Les cas où l’intermédiaire répondait des actes des
domestiques que nous avons pu vérifier, étaient des cas où la domestique refusait de se rendre au travail,
après négociation et après que l’employeur ait payé une prime. Ce sont les cas où l’intermédiaire se sentait
obligé de lui trouver une autre domestique. Les intermédiaires non plus, ne nous ont pas fait part d’autres
cas plus complexes mais, pour justifier l’utilité de leur rôle, ils se prêtent peut-être plus d’importance qu’ils
en ont en réalité, auprès des employeurs et des employées. Notons que les intermédiaires reçoivent aussi
des cadeaux en nature de la part des marchands qui fréquentent le marché en fonction de ce qu’ils vendent :
boisson, desserts, repas….

Toutefois, ils ont aussi du pouvoir réel car ils peuvent contrôler les informations. Certaines informations,
souvent les meilleures, sont réservées alors que d’autres circulent plus librement. C’est ainsi que sur les
marchés les plus ouverts comme celui de Samaké, on retrouve des stratégies de fermeture. L’organisation du
marché permet l’articulation d’intérêts divergents en préservant les possibilités prospectives d’un univers
stable d’échange du travail domestique notamment, parce que dans cet univers, « l’individualisation des
comportements et l’interdépendance des acteurs vont de pair » (Menger, 1997, p.31).

Dr Absa Gassama 15
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Représentation R.3 : Situation du marché de Liberté 6 dans le marché global

Productif/valeur d’échange
B

T
Professionnalisation du travail domestique
R
A
V
A
I
L

D
O
M
Ouvert fermé
E
Socialisation initiale familiale S socialisation professionnelle continue

T
I
A C
Q
U

Reproductif/valeur
E d’usage

L’accès au noyau professionnel le plus intégré suppose d’être bien intégré dans des réseaux et/ou sur des
marchés. Le « noyau central » ou « la colonne vertébrale » (cf. Menger) se retrouve ainsi dans la zone B du
marché alors que les carrières qui s’en écartent le plus, se retrouvent dans les autres zones du marché, à
savoir A, C et D. En effet, dans la zone A, on retrouve les femmes qui font don de travail domestique. Dans la
zone C, il y a les femmes qui ont de l’expérience mais qui ne s’inscrivent pas suffisamment dans des réseaux
pour les faire valoir et avoir une carrière bien défini. On y retrouve aussi les domestiques qui ont connu un
long chômage pour cause de maladie par exemple ou pour cause de vieillesse. Dans la zone D, on retrouve

Dr Absa Gassama 16
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les femmes qui arrivent sur le marché du travail domestique avec des compétences acquises uniquement
dans leur famille d’orientation.

Ainsi, malgré les nombreux prétendants à l’activité qui rendent floues les frontières extérieures, des
frontières internes sont de plus en plus structurées et forment un squelette qui aide à la structuration du
marché. Cela semble être également lié à la mobilisation du groupe et à son action collective. D’où les
questions sur leurs conditions sociales à savoir, leurs ressemblances mais aussi, sur la solidarité des intérêts,
des origines et des occupations partagées. En effet, la culture professionnelle « désigne la communauté
d’expériences et de pratiques propres à un groupe social, qui s’incarne dans des comportements habituels et
des conceptions conventionnelles, partagées par tous » (Menger, in Becker, 1982, p.10). C’est donc, avec ces
notions de classe sociale wébérienne, que nous cherchons à comprendre les cultures professionnelles locales
qui se construisent à partir d’expériences partagées et de processus intersubjectifs.

5- Capital social et équivalence structurale dans les réseaux du marché

En partant alors du noyau où cette culture professionnelle semble être la plus homogène, nous allons donc
observer la structure et la densité de relations des intermédiaires qui le constituent.

A Liberté 6, les sous intermédiaires sont structuralement équivalents par rapport à Samaké et, pour accéder
au réseau de l’un d’eux, il n’a pas besoin de passer par un autre, il a une relation directe avec chacun d’eux.
En effet, « Deux acteurs sont structurellement équivalents s’ils ont les mêmes liens avec autrui et s’ils
reçoivent les mêmes liens d’autrui » (Steiner, 2007, p.82).

Par rapport aux domestiques et aux employeurs, les intermédiaires sont aussi structuralement équivalents
puisque les domestiques ont les mêmes liens avec les intermédiaires qui leur trouvent du travail et qui
reçoivent la prime versée par l’employeur. « L’équivalence structurale suppose que les individus regroupés
dans une classe aient exactement les mêmes relations avec les autres » (Degenne et Forsé, 2004, p.112).

Même si l’aura de l’intermédiaire fondateur du marché reste toujours présente, les domestiques ont
directement à faire à l’intermédiaire N et, l’intermédiaire N+1, s’il est bien situé hiérarchiquement par les
domestiques, n’intervient pas directement dans leur relation à l’emploi. Le réseau d’intermédiaires est donc
orienté vers Samaké et, si chaque sous intermédiaire a son propre réseau plus ou moins étendu, plus ou
moins exclusif sauf Ndiago, le fonctionnement du marché fait qu’ils ont des relations entre eux car, des
individus équivalents ne sont pas forcément liés. Nous appelons ces dernières formes de relation, des
relations de marché. Les relations de marché consistent au fait que, sur le marché, un intermédiaire puisse
laisser tomber une négociation au profit d’un autre intermédiaire.

Dans la matrice représentant le réseau social, les lignes et les colonnes des intermédiaires sont identiques,
nous pourrions donc en déduire qu’ils sont équivalents. Cependant, malgré l’équivalence structurale des
Dr Absa Gassama 17
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sous intermédiaires par rapport à l’intermédiaire principal et, malgré celle de leurs rôles, les intermédiaires
ne sont pas structuralement équivalents car, ils détiennent des capitaux sociaux différents. Si nous
constatons alors l’équivalence structurale sur le plan matériel (négociations, versement de prime à
l’intermédiaire qui a négocié), sur le plan symbolique et encore matériel, avec la redistribution inégale des
primes, il y a plutôt une hiérarchie structurale entre les intermédiaires.

Nous valuons donc les intermédiaires en leur attribuant des valeurs selon leur performance et l’importance
de la place qu’ils ont réussit à briguer dans le réseau organisationnel du marché, grâce à leur réseau
personnel. Nous tentons, par cette attribution de valeur, de classifier la place hiérarchique qu’ils occupent
sur le marché. Il était difficile de se décider entre les valeurs attribuées à Michelle et à Doumbia. Michelle
s’impose de façon plus visible en incarnant la seconde personnalité du marché alors que si Doumbia évolue
dans l’ombre, sa place est aussi prépondérante même s’il est plus difficile d’évaluer ses performances. Nous
avons finalement décidé de faire passer Michelle avant car, en plus de sa visibilité en termes de performance
et de place, elle sait aussi évoluer dans l’ombre comme Doumbia.

Avec des capitaux sociaux différents, les acteurs ne reçoivent et ne diffusent pas exactement les mêmes
informations. Pourtant, fonctionnellement, le marché autorise tous les intermédiaires à accéder aux mêmes
informations mais, avec les compétences et les caractéristiques qui leurs sont propres, ils ont réussi à se
différencier en capital social et, le contexte organisationnel aidant, ils se différencient structurellement alors
qu’ils ont des rôles similaires au départ.

Dr Absa Gassama 18
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Représentation R.3 : La structure du réseau d’intermédiaires du marché de Liberté 6

Michelle

Samaké
Ndiago - 5 → 1 1 ← 4 – Djeli
1

Doumbia

Finalement, ce qui fait que nous ne pouvons déclarer une équivalence structurale entre les intermédiaires
vient du fait que le marché repose aussi beaucoup sur la valeur du capital social détenu et pour parler
comme Ronald Burt [1992, chap.4, 1995], c’est à cause des trous structuraux que représente le capital social
des intermédiaires que nous ne pouvons les déclarer structuralement équivalents malgré l’équivalence de
leurs rôles. Ainsi, cette équivalence structurale est non seulement mise à mal par le rôle central de Samaké
sur le plan symbolique et hiérarchique mais aussi par la différence en capitaux sociaux. Le marché est né des
compétences et des caractéristiques appartenant en propre à un individu, Samaké et, il continue d’évoluer
avec le concours des compétences et des caractéristiques d’autres individus. Comme Burt, nous notons une
relation significative entre la structure du réseau de relations des intermédiaires et leur position sur le
marché. En effet, La promotion rapide et fulgurante de Michelle tient beaucoup au fait qu’elle soit une
femme qui, non seulement a su prendre sa place au milieu d’hommes dans le réseau d’intermédiaires du
marché mais encore, elle a su se tisser un réseau de clients auprès des patronnes en travaillant sur son hexis
corporel de façon à se rapprocher d’elles et, en faisant valoir sa connaissance du care. Auprès des
domestiques, c’est sa connaissance des compétences domestiques qu’elle met en valeur pour montrer
Dr Absa Gassama 19
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qu’elle les comprend. Elle le fait de façon assez plausible puisqu’elle-même, a été domestique pendant toute
sa jeunesse et au début de son âge mûr. Ainsi, avec ses compétences relationnelles, elle a réussit à se tisser
un réseau de relations soutenant sa promotion sur le marché contrairement à Ndiago qui a des compétences
relationnelles assez limitées.

Avec cette configuration du réseau d’intermédiaires, il peut alors être pertinent que les domestiques
s’adressent à plusieurs intermédiaires comme elles s’adressent déjà à plusieurs marchés pour trouver un
emploi car, avec les capitaux sociaux différents des intermédiaires, cela peut enrichir leurs informations.

Nous pouvons aussi nous demander si le pouvoir de Samaké renforce celui des sous intermédiaires ou si la
notoriété des sous intermédiaires renforce sa notoriété ? A cette question, nous pouvons répondre, les deux
puisqu’un intermédiaire comme Ndiago, dépourvu de talents de communication est quand-même légitimé
dans son rôle et que par ailleurs, Michelle, très talentueuse dans ce domaine et parfois recherchée pour elle-
même, renforce certainement la notoriété du marché de Samaké. La légitimité charismatique de Samaké se
vérifie encore lorsque sa femme vient chercher son revenu lorsqu’il est malade. L’élément majeur de la
routinisation du chef ici, correspond au passage du cadeau non imposé à une réglementation normalisée de
la rémunération du travail d’intermédiaire mais, il semble que les émissaires soient encore mandatés
charismatiquement (cf. Weber, 1995, p.323) car, nous retrouvons une direction administrative charismatique
qui n’est choisie ni en fonction d’un ordre ni en fonction de la dépendance domestique ou personnelle. Au
contraire, elle est choisie « en fonction de qualités charismatiques (…) ; « au « chef » en général, les
« hommes de confiance ». Il n’y a ni « nomination » ni « destitution », ni « carrière » ni « avancement » :
seulement un appel, selon l’inspiration du chef, sur la base de la qualification charismatique de celui qui est
appelé. (…) il n’y a (…) que des limites territoriales objectives du charisme et de la « mission » (Weber M.,
1995, T.1, p.322)

Ce mode de désignation des intermédiaires est d’autant plus important ici que les marchés sont des
dispositifs de jugement qui « n’échappent pas eux non plus, aux soupçons d’opportunisme et tous ceux qui
les produisent et les font circuler sont sans cesse condamnés à formuler les justifications de leurs propres
principes d’évaluation – invoquent l’expérience du passé, la communauté de valeurs, la faveur du public ou
toute autre raison – et à présenter les preuves de leur loyauté. Seul le jugement social en tant qu’il mêle le
réel et la croyance permet d’effacer le doute : l’autorité du délégué s’enracine dans la confiance qui lui est
portée. » (Karpik, 1996, p.539)

« Face aux menaces d’opportunisme qui ne peuvent être contenues par une autorité extérieure comme la
Justice trop lointaine et trop lente, deux stratégies complémentaires sont mises en œuvre fondées l’une sur
le calcul – la dispersion des risques par la dispersion des commandes – et l’autre sur la confiance : la
transaction ne peut durablement se maintenir qu’entre des partenaires dignes de confiance. Elle implique
Dr Absa Gassama 20
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Séquence 2: Introduction au cours de sociologie économique

donc des choix et, dans la mesure où la réputation, ce capital acquis au travers de l’expérience passée, ne
suffit pas à lever l’indétermination, (…) La méfiance n’est levée que sur un jugement sur la qualité de la
personne, en tant qu’elle seule paraît pouvoir garantir, dans les situations inattendues, la permanence de
l’équilibre du contrat : « We can trust old Max » (Macaulay,1963, 58). Dans sa forme extrême, elle lie si
étroitement l’échange à la personne singulière qu’elle conduit à associer le changement du partenaire à la
renégociation du contrat (Palay, 1985) » (Karpik, 1996, p.541). Les contrats du marché du travail domestique
sont assez liés aux personnes qui y président mais, ce n’est pas de façon exclusive. Le marché du travail
domestique est devenu un marché de référence, on y va chercher une domestique sans à priori sur
l’intermédiaire qui va la choisir et, pour l’instant, ces intermédiaires sont permanents et, la question de la
remise en cause d’un contrat du à la disparition d’un intermédiaire ne s’est pas encore posée. Cependant,
celle de la norme unilatérale se pose car, on se demande comment inscrire la confiance dans une relation
d’échange structurellement asymétrique.

A partir d’une distribution inégale de capital social entre les intermédiaires, nous donnons donc la structure
relationnelle qui permet de donner une définition relative de la grandeur et du volume du capital de
l’individu dans le réseau. Nous plaçons donc Samaké au centre d’un réseau en étoile avec un axe vertical où
Michelle se tient prête à succéder au chef et un axe horizontal plus faible. Le lien entre les différents
intermédiaires du marché de Liberté 6 est sous forme d’étoile à quatre branches avec Samaké au milieu. Il
s’agit d’un réseau de 5 intermédiaires où la centralité de degré de Samaké est de 1 et celle des autres
intermédiaires est censée être de ¼. Pourtant, nous savons que celle de Michelle et de Doumbia sont plus
importantes que celle de Djeli qui est aussi plus importante que celle de Ndiago qui se rapproche de 0. Nous
avons donc une combinaison de centralité de degré et d’intermédiarité.

Samaké a un indice de centralité d’intermédiarité plus élevé que celui des autres membres du réseau
d’intermédiaires et matériellement, cela s’appuie sur le partage des revenus avec la collecte du reversement
d’une partie de la prime de chaque sous intermédiaire. Ainsi, il se trouve toujours au milieu de deux sous
intermédiaires et gouverne leurs relations en les pacifiant. Il profite de sa relation privilégiée avec chacun et
des informations qu’il peut en tirer, il peut mobiliser directement ou indirectement les autres intermédiaires
car, c’est grâce à son capital social qu’il a fondé le marché et, il continue d’avoir le capital social le plus élevé
du réseau d’intermédiaires qui d’ailleurs, contribuent à le lui assurer, grâce à la configuration des réseaux du
marché.

La structure des réseaux du marché de Liberté 6 part du centre où se situe Samaké relié par des ponts ou des
liens faibles aux réseaux de ses sous intermédiaires. Chacun des sous intermédiaires étant plus fortement
relié aux membres de son réseau et, étant un articulateur pour le relier au réseau de Samaké qui, grâce à
cette configuration structurale, se confond avec le marché qui porte aussi son nom. Les autres intermédiaires

Dr Absa Gassama 21
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de son marché sont ainsi des articulateurs puisque la communication entre leurs réseaux passe par leur
relation à l’intermédiaire principal. Ainsi, les réseaux sont reliés et l’information circule. Nous retrouvons
donc « la force des liens faibles » de Granovetter chez les domestiques qui cherchent à contacter des
employeurs qu’elles ne connaissent pas personnellement car, les intermédiaires leurs permettent de sortir
du milieu étroit de leurs liens forts qui, de toute manière montrent assez vite leurs limites dans le milieu
urbain, nouveau et mal maîtrisé par elles. Les liens qu’elles ont avec l’intermédiaire par rapport à ceux
qu’elles peuvent avoir avec les employeurs sont alors nécessaires pour leur catégorie sociale peu ou pas
qualifiée à l’échelle des normes sociales formellement codifiées, ces liens remplacent les liens forts qu’elles
ont laissés dans leur village.

Le gérant principal dispose en plus de son réseau, du réseau des autres intermédiaires qui travaillent avec lui.
Samaké étant le seul à relier les réseaux qui ne sont pas de densité relationnelle uniforme, ils ne sont pas
trop connectés entre eux, cela lui permet de disposer de trous structuraux et de liens multiplexes qui servent
à la construction de son marché. Son « pouvoir représentatif [Vertretungsgewalt] (mandat) peut, suivant les
règlements en vigueur, 1° être approprié sous toutes les formes et degrés (mandat en propre), ou 2° être
alloué [zugewiesen] en permanence ou temporairement selon certains critères, ou 3° être transféré
[übertragen] en permanence ou temporairement par des actes déterminés de membres ou de tiers (mandat
statutaire) » (Weber M., 1995, p.86)

Avec les 5 partenaires du marché, nous avons 5(5-1)/2= 10 liens possibles entre eux, si l’on considère qu’ils
ne sont pas orientés mais, nous avons vu que les 4 sous intermédiaires sont subordonnés à Samaké. Nous
calculons donc la densité du réseau d’intermédiaires qui configure le marché, en ne tenant pas compte des 4
liens construits que Samaké entretient avec ses sous intermédiaires. Cela nous donne une densité de
6/10=0,6

Ainsi, en dehors des relations de Samaké avec ses partenaires, il existe une assez bonne densité de relations
de marché qui consistent au fait que, sur le marché, un intermédiaire puisse laisser tomber une négociation
au profit d’un autre intermédiaire. Les relations entre les sous intermédiaires sont donc des relations de
marché qui permettent d’échanger des clients.

Ces relations de marché entre sous intermédiaires sont des opportunités dont ils disposent selon leurs
capacités, elles sont parfois la seule ressource dont disposent ceux qui ont plus de mal à se construire un
capital social qui leur soit propre comme Ndiago, ou qui ont plus de mal à l’entretenir malgré les facilités de
contact qu’offre le marché car, le Capital social des intermédiaires prend de l’envergure sur le marché, c’est
la raison pour laquelle, Samaké et Diallo ont transformé leurs réseaux en marchés.

Dr Absa Gassama 22
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On peut alors retenir que le réseau de sous intermédiaires tient son efficacité du fait que chaque sous
intermédiaire agit directement malgré la centralité de la gouvernance du marché qui ne vient qu’ex-post.
Notamment, lorsque nous nous référons à Burt qui, en 2001, nous montre que la performance d’un groupe
est maximale lorsque sa structure interne est fermée c’est-à-dire, lorsqu’il y a clairement un leader ou une
forte densité de relations « tandis que sa structure de connexion avec l’extérieur est ouverte (les contacts
externes ne sont pas connectés entre eux).» (Degenne et Forsé, 2004, p.136)

En effet, cela correspond tout à fait à la configuration du marché de Liberté 6 qui repose sur un réseau
d’intermédiaires reliés par un leader tout en restant ouvert par rapport aux employeurs et aux domestiques.
En pleine éclosion du marché, la survivance informelle de modes de gestion en réseau, met alors en exergue
les trous structuraux et le mode de fonctionnement informel du marché.

Samaké n’est jamais très éloigné des autres, les chemins qui le relient à tout individu sont au plus de
longueur 2. C’est moins le cas pour Michelle, Doumbia, Djeli ou Ndiago qui sont parfois à des distances d’au
moins 3 des individus du réseau des autres intermédiaires.

Ainsi grâce à sa centralité de degré, Samaké réussit à développer une forme de communication au sein de
son réseau et, grâce à sa centralité d’intermédiarité et de proximité, il contrôle cette communication.

Les sous intermédiaires reversent une partie de leur prime à Samaké qui, non seulement jouit de la ressource
qui provient de ses contacts directs mais encore, de celui des premiers.

Le fait qu’on verse directement la prime à l’intermédiaire qui a négocié, qu’il le note dans le but d’un partage
selon des modalités distributives hiérarchisées, mêle une conception cohésive et réticulaire du capital social.
Ce mode de partage des gains assurant des revenus à chaque intermédiaire selon des modalités définies ex
ante que chacun respecte ou du moins, affiche la volonté de respecter (puisque par ailleurs, nous notons de
nombreuses stratégies de défection), relève d’une conception cohésive du capital social.

Quant au mode inégalitaire du partage des gains, relevant de la position hiérarchique occupée par
l’intermédiaire dans le réseau personnel et organisationnel [Burt, 1992 ; Lin, 2001], il relève du capital social
réticulaire.

C’est autour du noyau d’intermédiaires que s’unifie le projet commun du groupe des domestiques visant à
faire reconnaître les compétences du travail de ses membres et à leur assurer une position et une mobilité
professionnelle plus balisée. « Ne pouvant contrôler directement la qualité de la production, qui porte sur
des services et non sur des biens, les professions travaillent au contrôle de ce que Magali Larson appelle la
« production des producteurs », en standardisant le savoir professionnel. » (Champy, 2009, p.161) Mais,
pour le moment, les mises en place de formation sont peu standardisées et peu académiques, c’est le
marché qui joue le rôle le plus important en imposant son mode de sélection.
Dr Absa Gassama 23
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La sécurisation des compétences et leur valorisation économique est centrale dans le processus de clôture
des marchés et, cela permet de contrecarrer les risques d’exploitation du travail domestique dans son
passage de l’échange identique à l’échange équivalent.

Après avoir vu comment, la structure d’un champ est le résultat, à un moment donné, d’un rapport de force
entre des agents occupant des positions différentes, nous allons maintenant donner deux représentations
matricielles, la première retrace les relations de marché, la seconde, les relations entre intermédiaires. Car,
nous nous demandons si ce noyau central d’intermédiaires à partir duquel le groupe professionnel de
domestique semble se constituer, est une clique

6- Les intermédiaires du marché forment ils une clique

Tableau T.2 : Matrice de relations de marché

1 2 3 4 5
Samaké Michelle Doumbia Djeli Ndiago
1 - 0 0 0 0
Samaké
2 0 - 1 1 1
Michelle
3 0 1 - 1 1
Doumbia
4 0 1 1 - 1
Djeli
5 0 1 1 1 -
Ndiago

La matrice des relations de marché n’est pas une matrice de permutation, les lignes et les colonnes
contiennent chacune plus d’un 1 et, cela va dans le sens d’une non équivalence structurale des relations de
marché entre les intermédiaires puisqu’on ne peut permuter leurs places dans le réseau.

Dr Absa Gassama 24
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Tableau T.3 : Matrice de relations entre intermédiaires

1 2 3 4 5
Samaké Michelle Doumbia Djeli Ndiago
1 - 1 1 1 1
Samaké
2 1 - 0 0 0
Michelle
3 1 0 - 0 0
Doumbia
4 1 0 0 - 0
Djeli
5 1 0 0 0 -
Ndiago

Ainsi, ayant droit aux mêmes informations sur le marché, les intermédiaires en disposent avec plus ou moins
de succès. Malgré les places équivalentes qui leur sont attribuées sur le marché, les intermédiaires ne sont
pas substituables, ils ne sont pas structurellement équivalents et ne forment donc pas de clique au sens
stricte du terme malgré ce que nous montre la représentation matricielle qui permet de mettre en exergue
les relations qu’entretient chaque intermédiaire avec un autre intermédiaire. Mais, nous avons aussi précisé,
qu’en dehors de la relation que chaque sous intermédiaire entretenait avec Samaké, il y avait aussi une
relation de marché. Le marché de Samaké s’appuie sur les trous structuraux qui relèvent de la configuration
de son réseau d’intermédiaires or, il ne pourrait y en avoir s’ils formaient une clique. Mais, nous allons
encore vérifier ce point avec Warner qui a une définition plus souple de la notion de clique.

Warner, influencé par Radcliffe-Brown considère les cliques comme des groupements informels à l’intérieur
desquels il existe un sentiment commun d’appartenance et certaines normes de comportements reconnues.
Comme lui, ces liens informels nous semblent être plus fondamentaux que les liens formels, économiques ou
politiques pour décrire le mode de fonctionnement du marché et pour rendre compte de l’intégration de
certaines catégories socioprofessionnelles dans une ville en développement.

Son analyse rejoint la nôtre lorsque nous considérons les intermédiaires comme un noyau, entouré de
lingères et de domestiques. Les intermédiaires et les lingères étant eux-mêmes d’anciens domestiques.

Cela rejoint aussi l’analyse de Davis, qui a repris la recherche sur les cliques, étudiées comme intersection de
cercles sociaux par Warner lorsqu’il essaya de comprendre la structure interne des cliques en y distinguant

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Economie culturelle et territoire
Séquence 2: Introduction au cours de sociologie économique

trois niveaux similaires. Sur notre marché, nous en avons retrouvé trois et, à partir de cette définition et de
celle d’Alba et Kadushin (1976) qui « mesurent la cohésion entre deux acteurs par le degré de recouvrement
des cercles sociaux auxquels ils appartiennent » (Degenne et Forsé, 2004, p.99), nous notons ainsi une
grande cohésion entre les intermédiaires.

Après le noyau formé par les intermédiaires, arrive le cercle des lingères, anciennes domestiques comme les
intermédiaires et enfin les domestiques actuels. Ainsi, ceux du cercle le plus éloigné du centre, ont les statuts
sociaux les moins élevés et, s’ils forment un groupe (ce que nous cherchons à vérifier), il est en formation.
Les membres d’un cercle forment un sous groupe d’autant plus structuré que l’on se rapproche du centre.
Aussi, savons-nous désormais que, si la mobilisation des domestiques est nécessaire à la structuration de
leur groupe professionnel, cette dernière, se fait à partir du centre ou du groupe des intermédiaires. « On a
affaire à une structure emboîtée, c’est-à-dire à une série de périphéries de densités croissantes au fur et à
mesure que l’on progresse vers le noyau de plus forte densité. » (Degenne et Forsé, 2004, p.99)

Si pour le noyau de nos cercles concentriques, nous avons eu besoin de comprendre l’ensemble des liens qui
unissaient les membres d’un réseau d’intermédiaires en cohésion, pour les autres cercles, plus nous nous
éloignons du centre moins nous usons du principe du lien pour celui d’équivalence c’est-à-dire, nous tenons
davantage compte des relations que les domestiques ont entre elles, suivant qu’elles soient Xalé, Janx ou
Jègu, de celles qu’elles ont avec les lingères, les intermédiaires ou les employeurs. De même, nous
construisons nos cercles en observant les relations qu’entretiennent employeurs et intermédiaires,
intermédiaires et lingères, lingères et employeurs.

Nous réunissons dans le même cercle les Xalé, les Janx et les Jègu tout en sachant qu’elles appartiennent à
des catégories de domestiques différentes mais, les domestiques qui ont la même relation avec les
employeurs qui rémunèrent les services qu’elles effectuent auprès d’eux, sont structuralement équivalents.
La construction d’équivalence nous permet de voir les catégories qui ressortent des structures.

Avec cette configuration de réseaux sur le marché, nous utilisons donc des principes d’équivalence pour les
employeurs et pour les domestiques et, celui de liens pour étudier la façon dont les intermédiaires gèrent le
marché.

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Séquence 2: Introduction au cours de sociologie économique

Conclusion

Par rapport à l’ensemble des acteurs du marché, les intermédiaires constituent un noyau à partir duquel le
groupe professionnel des domestiques qui forme un cercle plus élargi autour de lui, se structure. L’entrée
dans le monde professionnel du travail domestique salarié semble se faire par « un processus de mise en
orbite » (cf. Strauss, 1992, p.276)8. Il en résulte donc un groupe professionnel qui relativise la notion de
« marchés du travail fermés » (C. Paradeise) ou de social closure dans le langage néowébérien.

La transformation du réseau principal en marché ou coalition de sous réseaux s’effectue avec une
transformation du mode de communication qui a tendance à se formaliser de plus en plus, pour suppléer à la
diminution de la densité de communication et à la force des liens forts reposant sur la confiance des réseaux
plus restreints. En effet, lorsque le nombre de clients devient plus important, que le nombre de relations
qu’un intermédiaire a la possibilité d’entretenir sur le plan cognitif est dépassé, on note des liens faibles plus
formels pour remplacer les liens forts entrain de disparaître.

Cependant, sur le marché, il survit des réseaux de liens plus ou moins forts où, l’information circule
rapidement comme dans une zone fermée à cause de la transitivité qui augmente avec la force des liens. Or,
cette transitivité aurait été une limite pour disposer de nouvelles informations (car, cela a tendance à créer
des zones fermées à cause justement de la force des liens) si ces réseaux ne coexistaient pas avec le marché
où de nouvelles informations arrivent régulièrement.

La transformation en marché augmente les ressources cognitives, il y a plus d’informations qui circulent mais
ces informations sont de moins en moins fiables, la marge de vérification de leur authenticité est de plus en
plus réduite. Cela diminue les ressources normatives comme la confiance qui fonde le principe de la
recommandation et qui est à la base de ce marché. Mais les deux types de ressources, cognitives et
normatives sont plus ou moins représentées et se combinent de manière différente selon le type de marché
car, il y a la coexistence de plusieurs types de marchés, plus ou moins concurrentiels.

Pourtant, avec la naissance des marchés, être intermédiaire devient une identité légitime qui constitue le
symbole d’une certaine qualité et fiabilité de la domesticité. Ainsi, Samaké qui se comporte parfois comme le
commissaire priseur de son marché, en régulant au besoin l’offre et la demande, par les prix, est aussi un
paternaliste confédérateur qui joue de son affabilité ; son organisation permet aux sous intermédiaires qui
sont relativement autonomes les uns des autres, de poursuivre leurs intérêts divergents.

Le marché dirigé par Diallo est assez similaire à celui de Samaké sur le plan fonctionnel et situationnel (son
marché se situe dans un quartier voisin où habite également, une classe moyenne) mais Diallo joue plus de

8
Strauss A., A social world perspective, in Norman Denzin (éd.) Symbolic Interaction, volume 1, CT: JAI Press, Greenwich, pp.119-
128
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Séquence 2: Introduction au cours de sociologie économique

son autorité et ses substituts ne tendent pas à jouer le même rôle que lui mais à le remplacer en cas
d’absence. Aussi, son marché ne s’agrandit pas autant que celui de Samaké.

Produit par et fonctionnant pour un groupe restreint composés d’intermédiaires dotés de caractéristiques et
d’intérêts particuliers, le marché de Samaké sur lequel nous nous sommes principalement appuyé, est ainsi
inséré dans l’ensemble du champ des réseaux de commercialisation de services domestiques.

Le marché est ainsi définit comme une structure de rôles qui se reproduisent de période en période. Cette
analyse nous a permis de souligner que les identités et les positions relatives des uns et des autres sont assez
stables, que la culture sur laquelle s’appuient les acteurs l’est également (cf. François P., 2008, p.98 9). Le
marché apparaît ainsi comme un champ réalisé, une institution selon Jacques Lagroye et Michel Offerlé qui
soulignent également l’importance des rôles dans les institutions.

Cette perspective morphologique (cf. François P., 2008, p.202-203) reposant sur la structure des réseaux du
marché nous montre alors comment la pratique sociale du travail domestique salarié s’institutionnalise sur
les marchés pour permettre l’émergence du groupe professionnel des travailleuses domestiques du Sénégal
à partir de leur monde social.

9
Ici, Pierre François se réfère lui-même à la théorie du champ de Fligstein
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