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Cours Stratégies Industrielles (semestre 6 parcours Gestion)

Mme Sakhraoui Bahija

Thème I : Les théories de la firme


La firme représente l’unité de base de toute économie. Quand on étudie la performance d’un
tissu productif d’une économie, on se pose la question : comment ce tissu se transforme-t-il
sous l’effet des stratégies des firmes. Il importe donc de comprendre les principaux
déterminants de leurs comportements stratégiques : quelle est la rationalité du décideur,
quels objectifs vise-t-il ? Qui prend les décisions dans l’entreprise ?
La théorie économique de la firme qui se développe à partir des années 1970 se pose
essentiellement une question : qu'est ce qu'une firme ? Cette question, qui semble pourtant
d'une grande simplicité, n'est pas encore complètement résolue aujourd'hui, tant du point
de vue théorique qu'empirique.

Alors que l'entreprise est un agent économique central, elle n'a occupé qu'une place
marginale en sciences économiques jusque dans les années 1970 et la redécouverte de
l'article de R. Coase de 1937.
L'entreprise est assimilée à une «boîte noire» ou un «point». En effet, la théorie économique
néoclassique a pour objet l'étude des marchés et des mécanismes de prix. La firme, pour les
néoclassiques, ne joue pas un rôle central dans ce cadre-là, seules importent la quantité de
ressources qui «entre» dans la firme, les inputs (capital, travail, matières premières...) et la
quantité de biens qui en «sort», les outputs, directement vendus sur le marché (d'où le terme
de «boite noire» pour qualifier l'entreprise). Cette conception de la firme néoclassique repose
sur des hypothèses fortes.
(i) L'entreprise est assimilée à un agent économique individuel. Rien n'est dit sur le
fonctionnement interne de l'entreprise et en particulier sur les conflits d'intérêt.
(ii) Le comportement de l'entreprise est assimilé à celui de l'entrepreneur. Celui-ci,
comme tout agent économique, a un comportement parfaitement rationnel (il a
une information parfaite et des capacités d'analyse infinies).
(iii) L'objectif poursuivi est unique : la maximisation du profit.
C'est l'irréalisme de ces hypothèses qui va justifier la remise en cause de cette vision de la
firme et le développement de conceptions alternatives de l'entreprise. Mais au final, on
retiendra aussi que la firme néoclassique est avant tout un acteur des échanges sur les
marchés et qu'elle n'a pas vocation à être elle-même sujet de l'analyse néoclassique.
L’ouvrage A. Berle et G. Means de 1932 est le point de départ de ce que l'on a appelé la «
révolutionmanagériale ». L'idée centrale de ces auteurs est de montrer que le développement
de la grande société par actions, et la dispersion de la propriété entre un grand nombre
d'actionnaires, tend à entraîner la séparation de la propriété et du contrôle de l'entreprise. Le

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pouvoir de décision appartient aux managers et la propriété aux actionnaires. Cette approche
inspirera par la suite la théorie de l'agence dans sa représentation de l'entreprise.
La deuxième approche est l'approche dite «behavioriste» de Cyert et March. Leur ouvrage de
1963 présente l'entreprise comme une organisation complexe, constituée de groupes aux
intérêts divers et caractérisée par des rapports simultanés de conflits et coopération. Les
auteurs précisent que la firme est aussi le lieu d'apprentissages collectifs, thème qui sera repris
par les approches évolutionnistes de la firme.
Enfin l'analyse d'A. Chandler à la fois dynamique et historique, va initier l'approche de R. Coase
en présentant la firme comme une institution complexe, fondée sur un système de
coordination administrative et hiérarchique.

1. L'approche contractuelle de la firme


L'approche contractuelle de la firme a pour objectif de définir la forme d'organisation la plus
efficiente compte tenu du contexte, en particulier informationnel. Trois approches
contractuelles différentes sont présentées dans cette première partie : la théorie des coûts de
transaction, la théorie des incitations (ou théorie de l'agence) et la théorie des contrats
incomplets. Les approches contractuelles présentées diffèrent en fonction de leur analyse des
comportements des agents et de leurs interactions (rationalité limitée ou parfaite) et en
fonction des hypothèses sur l'information dont les agents disposent (information parfaite ou
pas).Mais l'unité entre ces travaux vient d'une conception commune des rapports
économiques : ce sont des rapports contractuels entre des individus libres. Dans cette
perspective, la firme s'analyse comme un «noeud de contrats» entre individus.
La théorie des contrats se développe avec la volonté de dépasser certaines limites de
l'approche néoclassique de la firme, sans pour autant la remettre radicalement en question.
Elle a pour objectif de proposer une représentation plus réaliste de la firme. La théorie des
incitations est celle qui reste le plus proche de la théorie standard, en particulier parce qu'elle
ne rompt pas avec l'hypothèse de rationalité parfaite.
1.1. La théorie des coûts de transaction

1.1.1. R. COASE et la question de l'existence de la firme


Dans son article de 1937 "The nature of the firm", R. Coase est le premier économiste à poser
la question de savoir pourquoi les firmes existent et plus largement la question de la nature
de la firme. Pour Coase, la firme est un mode de coordination des transactions alternatif au
marché. Si le marché n'est pas l'unique moyen de coordonner l'activité économique, c'est qu'il
existe des coûts à recourir au système de prix, des coûts de transaction. Ces coûts de
transaction correspondent aux coûts de recherche d'information, de négociation des contrats,
de contractualisation répétée... Williamson proposera par la suite une définition précise de
ces coûts. La différence fondamentale entre marché et firme, est que sur un marché, la
coordination se fait par le système des prix, alors que la firme propose une coordination
administrative qui passe par l'autorité et la hiérarchie. Pour Coase, c'est l'autorité qui
caractérise fondamentalement une firme.

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Une fois posée l'existence de deux modes de coordination alternatifs, Coase s'interroge sur le
fait de savoir pourquoi les deux modes de coordination coexistent. En fait, si la coordination
marchande génère des coûts de transaction, la gestion internalisée des transactions entraîne
des coûts de coordination, en particulier parce que les rendements des activités managériales
sont décroissants. Ainsi, tant que les coûts de coordination interne sont inférieurs aux coûts
de transaction, la coordination se passe à l'intérieur de la firme, à partir du moment où ils
deviennent supérieurs, la coordination marchande est préférable.
1.1.2. O. WILLIAMSON et la définition des coûts de transaction
Les travaux de Williamson se situent explicitement dans le prolongement de ceux de R. Coase.
Ces travaux vont permettre d'expliciter le concept de coût de transaction et préciser certaines
hypothèses-clés pour comprendre en particulier dans quels cas la firme s'impose comme
mode de coordination, c'est-à-dire dans quelles conditions l'intégration d'une activité dans la
firme sera préférée au recours au marché.
Williamson pose deux hypothèses relatives aux comportements des agents.
(1) La rationalité limitée : les agents ont des capacités cognitives limitées. Lorsque
l'environnement est complexe, ils ne peuvent pas envisager tous les événements possibles et
calculer parfaitement les conséquences de leurs décisions.
(2) L'opportunisme des agents : c'est une conséquence de la rationalité limitée. Comme le
contrat ne peut pas prévoir toutes les alternatives possibles, un agent peut être tenté
d'adopter un comportement opportuniste pour favoriser ses intérêts au détriment de ceux
des autres.
Rationalité limitée et opportunisme augmentent les coûts de transaction, en particulier de
conception des contrats et de contrôle.
Williamson pose aussi des hypothèses sur les caractéristiques des transactions :
(3) La spécificité des actifs : un actif est dit spécifique s'il nécessite des investissements
spécifiques. Ce sont des investissements durables, effectués pour réaliser une transaction
particulière, et qui ne sont pas redéployables sans coûts vers d'autres usages.

(4) L'incertitude sur les conditions de réalisation de la transaction risque d'augmenter son coût
(incertitude liée à des perturbations exogènes à la transaction par exemple).
(5) La fréquence de la transaction : plus une transaction est répétée, plus les contractants ont
des occasions d'être opportunistes, ce qui augmente d'autant les coûts de transaction.

Compte tenu de ces caractéristiques des comportements et des transactions, il s'agit pour
Williamson de trouver la forme organisationnelle la plus adaptée, au sens où elle limite les
coûts de transaction. Ainsi pour Williamson, la firme est un système contractuel particulier,
un «arrangement institutionnel» caractérisé par un principe hiérarchique qui permet à la
direction de l'entreprise de prendre les décisions en cas d'événements non prévus par les
contrats, et qui permet de limiter les risques liés à l'opportunisme.
1.2. La théorie des incitations

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Cette approche contractuelle s'inscrit dans le cadre de la nouvelle microéconomie et plus
précisément dans le cadre de l'économie de l'information. Elle se distingue de la théorie des
coûts de transaction dans la mesure où elle préserve l'hypothèse néoclassique de rationalité
parfaite des agents. Elle place la détention de l'information et son partage entre contractants
au coeur de son analyse de la firme. A l'origine de cette approche, on trouve l'analyse de Berle
et Means (1932) et celle de Michael Jensen et William Meckling (1976).
La théorie des incitations repose sur la notion de relation d'agence. Une relation d'agence a
deux caractéristiques principales : c'est une relation de délégation et elle suppose une
asymétrie d'information. Une relation d'agence nait dès lors qu'une personne en engage une
autre pour remplir une mission qui nécessite une délégation de pouvoir. Celui qui délègue est
appelé Principal, celui à qui est confié la mission est appelé Agent. La relation entre un
actionnaire et un manager est une relation d'agence. L'actionnaire (le Principal) délègue la
prise de décision au manager (l'Agent).
La délégation est associée à une imperfection de l'information qui peut être de deux ordres :
le Principal n'a qu'une information limitée sur les caractéristiques de l'Agent (situation dite de
sélection contraire) et il observe imparfaitement son comportement (situation dite de risque
moral). L'asymétrie d'information caractérise donc toute relation entre le Principal et l'Agent.
Une relation d'agence génère trois types de coûts, appelés coûts d'agence :

(1) les dépenses de surveillance et d'incitation (par exemple les systèmes d'intéressement)
engagées par le Principal pour orienter le comportement de l'Agent.
(2) les coûts d'«obligation», supportés par l'Agent, c'est-à-dire les dépenses qu'il peut être
amené à engager pour pouvoir garantir qu'il ne mettra pas en oeuvre certaines actions qui
puissent léser le Principal, ou pour pouvoir le dédommager le cas échéant.
(3) la «perte résiduelle», qui correspond à l'écart, inévitable, entre le résultat de l'action de
l'Agent pour le Principal et ce qu'aurait donné un comportement de maximisation effective du
bien-être du Principal.
Au regard des hypothèses présentées, la théorie des incitations présente les organisations
comme des «noeuds de contrats», écrits et non écrits, entre des détenteurs de facteurs de
production et des clients (exemple la relation entre un employé et son employeur). Chaque
relation contractuelle est une relation d'agence dont il faut trouver la configuration optimale,
c'est-à-dire les règles contractuelles qui minimisent les coûts d'agence.

Cette vision proposée par la théorie de l'agence a plusieurs implications importantes en ce qui
concerne la représentation de la firme (cette représentation est utile pour le travail du
stratège surtout qu’il est amené à prendre des décisions à long terme).

(1) La firme n'a pas d'existence véritable (c'est une «fiction légale»). Elle n'est pas assimilée à
un individu (le propriétaire, l’entrepreneur), comme dans l'approche néoclassique. Ce qui est
importe pour comprendre la firme, ce sont les caractéristiques des différentes relations
contractuelles liant les individus.

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(2) Chaque facteur dans une firme est la propriété d'un individu. La firme est un ensemble de
contrats portant sur la manière dont les inputs sont associés pour créer les produits, et sur la
manière dont les recettes sont partagées entre propriétaires de ces inputs.
(3) Il n'y a pas de différence fondamentale entre firme et marché, en particulier les relations
contractuelles au sein de la firme ne supposent aucune relation d'autorité. En ce sens, la
relation d'emploi n'est en rien spécifique, le contrat de travail est comparable au contrat
commercial. Le contrat de travail met en relation le propriétaire d'un input (l'employé) et un
demandeur de ce travail (l'employeur).
Exemple de relation d’agence :
La société par action : celle-ci se caractérise par une relation d'agence entre actionnaires et
dirigeants (caractérisée effectivement par une délégation de décision et une asymétrie
d'information au bénéfice du dirigeant), susceptible de générer des conflits d'intérêt. Ce
conflit naît du fait que les actionnaires cherchent la maximisation des dividendes et le
manager la maximisation de son salaire, ces deux objectifs étant irréconciliables. Mais ces
divergences d'intérêt peuvent s'estomper si l'entreprise met en place un système de
rémunération des managers adapté, par un système de stock-option. Dans ce cas, les intérêts
des actionnaires et des dirigeants convergent davantage dans la mesure où ces derniers
détiennent dorénavant des actions de leur entreprise.

De même les outils d'analyse proposés par la théorie de l'agence sont particulièrement
adaptés à l'analyse de la relation entre employeur et salariés au sein des entreprises
capitalistes. Cette relation est une relation d'agence, et certaines procédures peuvent limiter
les problèmes de contrôle du comportement des salariés. Par exemple, l'employeur peut
inciter les employés à fournir un effort plus important en liant leur rémunération à leur
performance. L'initiative peut aussi venir de l'employé qui peut donner des informations en
vue de faire connaître la réalité de ses compétences et de son engagement. Par exemple,
l'employé a obtenu un diplôme qui n'est pas directement en lien avec son emploi, mais il
montre ainsi sa capacité à fournir un effort. Naturellement, toutes ces procédures ont un coût
que seul pourra supporter une personne récompensée par l'attribution d'une partie des
bénéfices de l'entreprise.
1.3. La théorie des contrats incomplets
Cette approche postule l'incomplétude des contrats. Un contrat est incomplet quand il n'est
pas possible de prévoir et donc d'écrire ce qui doit se passer dans tous les cas de figure
possibles. Les contractants ne peuvent pas dresser la liste de tous ces cas, ni même tous les
imaginer. Quand une circonstance imprévue se produit, il y a place pour une nouvelle
négociation en vue d'interpréter ou de redéfinir les termes du contrat. C'est cette
renégociation qui est le concept central des modèles de contrats incomplets. Notons que cette
hypothèse d'incomplétude des contrats est aussi celle faite par Williamson, dès qu'il postule
la rationalité limitée des agents.
Ce qui distingue néanmoins la théorie des contrats incomplets et celle des coûts de
transaction, ce sont les solutions proposées à cette incomplétude. Pour Williamson, c'est

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l'autorité qui donne à son détenteur un pouvoir discrétionnaire, c'est-à-dire le pouvoir de
prendre des décisions dans toutes les situations non prévues par contrat. Pour la théorie des
contrats incomplets, c'est l'affectation de droits de propriété qui donne le droit au propriétaire
de disposer de la ressource en cas d'incertitude.
Selon la théorie des contrats incomplets (Hart et Moore, 1990), les agents sont dans
l'incapacité de signer des contrats complets du fait de l'imperfection de l'information
(l'information est symétrique mais les agents manquent d'information). Personne n'est en fait
capable de vérifier ex post l'état réel de certaines variables caractéristiques des relations entre
les contractants (en particulier sur l'investissement en capital physique). C'est la possession
des actifs qui va permettre d'exercer sur eux un contrôle ex post.

La question de l'acquisition d'actifs renvoie à la problématique de l'intégration verticale avec


les questions associées : où arrêter l'expansion de la firme ? Quelle est sa taille efficace ? La
réponse consiste à comparer les coûts et avantages de l'intégration. La théorie des contrats
incomplets ne s'intéresse donc pas aux contrats qui lient les différents membres d'une
entreprise mais aux contrats entre clients et fournisseurs. La firme se définit ainsi comme la
collection des actifs non humains détenus par les individus constituant la firme (équipements,
capital...).
Les champs d'applications de la théorie des incitations sont désormais nombreux : les contrats
d'assurance, les contrats de franchise, les contrats de travail... La prédominance de la théorie
des incitations sur les autres approches contractuelles s'explique aussi par son degré de
formalisation mathématique, dans un contexte où celui-ci s'est fortement accru dans la
recherche économique depuis une trentaine d'années. La définition du contrat optimal, au
sens de contrat incitatif, en présence de sélection contraire ou de risque moral, nécessite de
développer des modèles d'optimisation sous contrainte. Le Principal s'engage dans une
relation contractuelle dès lors que le contrat lui permet de maximiser son profit, sous
contrainte que l'Agent accepte de participer au contrat (contrainte de participation) et qu'il
révèle ses caractéristiques (contrainte de révélation dans un contexte de sélection contraire)
ou soit incité à fournir un effort suffisant (contrainte d'incitation dans un contexte de sélection
contraire).
2-Les approches cognitivistes de la firme
Les approches alternatives à la vision contractuelle de la firme ont pour point commun de
mettre l'accent sur la production de connaissances et de compétences spécifiques par la firme
et les phénomènes d'apprentissage que cela implique. Ce courant plus hétérodoxe inclut
l'approche béhavioriste, l'analyse d’Edith Penrose et l'analyse évolutionniste. Avec ces
approches, on passe d'une vision de l'entreprise comme «noeud de contrats» à une entreprise
comme «noeud de compétences».
2.1. Les précurseurs
La question posée est celle de savoir pourquoi certaines firmes ont des performances
supérieures, plus précisément, pourquoi certaines firmes diffèrent durablement dans leurs

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caractéristiques, leurs comportements stratégiques et par conséquent dans leur
performance.
Trois courants marquent le développement de cette approche par les compétences :
(i) l'approche béhavioriste de H. Simon, R. Cyert et J. March ;
(ii) l'analyse d'Edith Penrose sur la croissance des firmes ;
(iii) l'analyse évolutionniste de R. Nelson et S. Winter.
L'approche béhavioriste s'inscrit dans un projet théorique global qui a pour ambition :
(i) d'abandonner le principe de maximisation et lui préférer celui de «satisfaction» ;
(ii) de considérer la firme comme un objet d'étude à part entière ;
(iii) de comprendre le comportement futur de la firme en fonction d'un ensemble
d'objectifs (en termes de prix, de production, d'allocation...) ;
(iv) de privilégier une analyse du processus de décision au sein de la firme.
La décision organisationnelle est placée au coeur de l'analyse béhavioriste de la firme. Cette
décision consiste à définir un objectif pour la firme, choisi parmi un ensemble de choix
possibles, en fonction de l'information dont dispose la firme et en fonction des apprentissages
antérieurs. Comprendre le fonctionnement de la firme revient à comprendre les processus de
décision des individus qui la composent et «l'histoire» de ces processus.
La firme béhavioriste a deux caractéristiques supplémentaires : elle est une coalition
d'individus (ce qui sous-entend l'adhésion de chacun à un objectif commun) mais cette
coalition est source de conflits internes à la firme.
Deux thèmes de l'analyse d'E. Penrose différencient sa conception de la firme de la conception
contractuelle : Penrose s'interroge sur les déterminants de la croissance des firmes et elle
attribue à l'entrepreneur un rôle déterminant dans l'explication de la dynamique des firmes.
Ainsi, la théorie de la firme de Penrose est avant tout une théorie de la croissance des firmes.
Pour Penrose, l'entreprise est à la fois une organisation administrative et un ensemble de
moyens de production. Elle a pour objectif général d'organiser l'utilisation des moyens qu'elle
détient en propre conjointement à l'utilisation de moyens provenant de l'extérieur, afin de
produire et de vendre des biens et en tirer des bénéfices. La structure administrative de
l'entreprise est créée par les individus qui la gèrent. Cette structure n'est jamais figée, elle
s'adapte aux besoins de l'entreprise, au fur et à mesure que celle-ci croît et se transforme.
Pour Penrose, la croissance des firmes naît de l'évolution de son potentiel productif. Ce
dernier change en fonction des opportunités de débouchés qui s'offrent à la firme. Ce
potentiel est d'autant plus important que «l'esprit d'entreprise» de l'entrepreneur est
développé.
2.2. L'approche évolutionniste

L'approche évolutionniste trouve ses références dans la biologie.

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(i) L'économie est marquée par des éléments de permanence ou d'hérédité. Ces «gènes»
sont pour les évolutionnistes les «routines» appliquées par les agents ; ces routines
fondent leurs comportements.
(ii) Le deuxième principe qui marque la vision évolutionniste est celui de mutations, de
variations. C'est ce principe qui pousse à l'évolution et à la dynamique des systèmes,
et aux comportements de recherche. On retrouve ce principe dans les innovations,
concept important de l'analyse évolutionniste.
(iii) Enfin un mécanisme de sélection agit sur les gênes et les mutations : il permet de
sélectionner parmi les évolutions possibles, celles adaptées à la firme et son
environnement.

A partir de ces principes généraux, l'approche évolutionniste définit la firme comme un


ensemble de compétences accumulées par apprentissage au cours de son développement.
L'apprentissage revêt différentes caractéristiques :

(1) Il est cumulatif : le savoir-faire des agents s'enrichit car les nouvelles connaissances
s'appuient sur celles acquises précédemment.
(2) Il est global au sens où c'est davantage un apprentissage collectif qu'individuel. Les
connaissances dépendent de la manière dont elles sont employées dans une organisation.
(3) Les connaissances acquises par apprentissage sont incorporées dans des routines, mais
compte tenu de leur complexité, ces routines ne peuvent pas être codifiées. Elles restent donc
tacites, détenues par les salariés qui les ont développées et partagées uniquement par
l'échange entre salariés et leur collaboration. Les routines étant tacites, elles sont difficilement
transférables. On peut donc les assimiler à des actifs spécifiques (cf. analyse contractuelle de
Williamson).
(4) Les nouveaux apprentissages apparaissent par la mise en œuvre de routines dites
dynamiques (nouvelles).
Le point commun des approches présentées comme alternatives à la conception contractuelle
de la firme, est l'idée que ce qui fonde la firme, la justifie et permet de rendre compte de sa
nature et de la diversité de ses formes, est qu'elle est le lieu de la gestion et de la production
de connaissances et compétences spécifiques. Ainsi avec ces approches, on passe d'une vision
de l'entreprise comme «nœud de contrats» à une entreprise comme «nœud de
compétences».

Cours de stratégies industrielles (S6) Parcours Gestion Mme Sakhraoui

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Thème I : La Théorie de la firme (partie 2)
La firme a connu des transformations profondes tout au long de l’histoire du capitalisme. Elle
est en effet devenue, dans les économies contemporaines, un système sophistiqué reposant sur
des configurations organisationnelles complexes, et des réseaux de relations et de pouvoirs
multiformes. On ne doit pas s’étonner, dans ces conditions, de ce que l’analyse de la « nature»
et des caractères de la firme moderne soulève de nombreuses questions et ait suscité de
multiples écrits.

Nous évoquerons dans ce chapitre, tout d’abord, des écrits anciens qui ont eu une influence
durable sur les analyses de l’entreprise (y compris les analyses stratégiques), à savoir
principalement l’ouvrage célèbre de Berle et Means d’une part, les écrits de Cyert, March et
Simon, qui fondent la théorie des organisations d’autre part. Nous aborderons ensuite les
théories contemporaines de la firme, les théories contractuelles et les théories fondées sur les
ressources ou les connaissances. Enfin, nous verrons comment ont été proposées des théories
visant à rendre compte des transformations de l’entreprise de ces dernières décennies, liées à ce
que l’on a parfois qualifié de « nouvelle économie ». En conclusion, nous évoquerons le
dépassement des théories économiques de la firme par la prise en considération des institutions.

A-Théories de la gouvernance et de l’organisation(la révolution managériale)

A partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, la grande entreprise, organisée en société par
actions, s’impose comme la forme d’organisation dominante de l’entreprise et comme une
institution centrale du capitalisme moderne. Il y a là une rupture radicale dans les caractères de
l’entreprise une « métamorphose dans la nature de la firme » comme le dit Edith Penrose. Une
des premières analyses majeures de la grande entreprise, et la plus influente, se trouve chez
Adolf Berle et Gardiner Means. Leur ouvrage publié en 1932, L’Entreprise moderne et la
Propriété privée, a eu une influence considérable.

La « révolution managériale »se manifeste ; le développement de la grande société par actions


et la dispersion de la propriété entre un grand nombre d’actionnaires tendent à entraîner la
séparation de la propriété et du contrôle de l’entreprise ; le pouvoir de décision passe des
actionnaires aux « managers ». Berle et Meansconstatent :

(1) la grande entreprise devient une institutionpublique, qui aurait donc vocation à être gérée
au service de la collectivité ;

(2) les caractéristiques et le fonctionnement de la firme se comprennent en considérant les


rapports entre différents groupes, aux intérêts propres, qui la constituent ou qui entretiennent
avec elle des relations étroites : en premier lieu les actionnaires et les managers, mais également
les salariés et les fournisseurs de crédits ;

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(3) une question centrale est celle de savoir qui contrôle l’entreprise?, le pouvoir économique
effectif ne reposant plus nécessairement sur la propriété ;

(4) le cadre institutionnel, en l’occurrence le système de la société par actions et la constitution


de marchés financiers, joue un rôle essentiel dans les transformations de la firme.

Les écrits de Galbraith, et notamment son ouvrage de 1963 « Le Nouvel État industriel »,
peuvent être vus dans la même perspective managériale. Mais Galbraith met l’accent non pas
tant sur le pouvoir des managers au sens strict (les dirigeants de l’entreprise) que sur le pouvoir
collectif de la « technostructure » détentrice des compétences et des connaissances qui
deviendraient (à la place du capital) le facteur de production le plus important.

Selon Galbraith, le capitalisme connait deux périodes de fonctionnement : une période dite
d'économie de marché, dans laquelle évolue la petite entreprise et durant laquelle les prix sont
flexibles ; et une nouvelle période qui émerge par la concentration des entreprises, le
développement du salariat, l'augmentation générale du niveau de vie et le changement des
modes de consommation. L'auteur tend à montrer que le fonctionnement du capitalisme change
par la modification de ses structures et en conclut que la loi de l'offre et de la demande est
caduque.

Il s'intéresse au modèle de la grande entreprise en particulier, considérant qu'il existe encore


des petites entreprises qui fonctionnent plus ou moins selon cette loi (la loi de l’offre et de la
demande). C'est notamment par les quatre changements principauxque l'économie de marché
ne fonctionne plus selon les lois de l'offre et de la demande :

(1)La Technologie : Les entreprises pour gagner en productivité appliquent une technique
toujours plus complexe et toujours plus élaborée dans le processus de production. Cette
application systématique de la science et de toutes les « connaissances organisées » (les
sciences humaines) à des tâches pratiques nécessite une division du travail de plus en plus
poussée. De fait, la technologie génère des changements dans l'organisation de la production.

Il y a tout d'abord une hausse des délais entre le début de la production et l'achèvement du
produit. Il faut 8 ans en moyenne à la fin des années 1960 entre le début et la fin d'un projet de
conception et de production d'une voiture.

Cette hausse des délais, l'utilisation des « connaissances organisées » et l'augmentation du


nombre de machines nécessaires entraîne une augmentation des capitaux nécessaires investis
dans la production. Même si les ouvriers de production sont globalement peu qualifiés (période
d'application du taylorisme), l'ensemble des salariés des grandes entreprises ont une
qualification moyenne qui augmente. Or plus ces salariés sont spécialisés et plus la production
industrielle est systématisée et plus un haut degré d'organisation est nécessaire. L'organisation
de la production devient elle-même une spécialité dont s'occupent les managers (la
technostructure : « tous ceux qui apportent des connaissances spécialisées, du talent ou de
l'expérience au groupe de prise de décisions »).

Cette augmentation des délais de production, cette spécialisation plus poussée, cette
organisation de la production plus complexe entraînent une nécessité de planifier la production.

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(2) La planification :dans une économie de marché, la production proposée attend la réaction
spontanée de la demande (loi de l'offre et de la demande). Dans le système industriel les délais
de fabrication sont beaucoup plus longs et les capitaux investis sont beaucoup plus élevés,
l'entreprise ne peut dès lors pas attendre la réaction du consommateur.

La grande entreprise se doit de prévoir une planification rigoureuse de l'ensemble des étapes
de production et de distribution. La planification se définit donc comme toutes les actions qui
permettent de prévoir les opérations et les actions entre le début et la fin de la production mais
aussi comme la prévision de tous les évènements... non prévus et de trouver des solutions.
L'objectif essentiel de la grande entreprise est que le procès de production se déroule sans
retards ou délais supplémentaires. Elle cherche donc à minimiser les incertitudes au niveau
de la production et de la vente (aversion au risque). Pour ce faire, la grande entreprise dispose
de moyens spécifiques.

La grande entreprise dispose naturellement de davantage de capitaux, financiers ou humains,


que la petite entreprise, ce qui lui permet d'absorber les chocs de croissance plus facilement
qu'une petite entreprise.

La grande entreprise pour minimiser les risques répond à l'objectif de polyvalence, elle ne se
spécialise pas sur un seul marché mais diversifie sa production et ses marchés, elle pratique
la concentration conglomérale. Elle se défait au maximum de la contrainte du prix de ses
consommations intermédiaires ou investissements par le rachat de ses fournisseurs. C'est la
stratégied'intégration verticale. La grande entreprise se défait aussi de la contrainte de prix de
vente de son produit par la stratégiel'intégration horizontale. La grande entreprise se retrouve
en situation de monopole ou d'oligopole devient alorsprice maker (fabricant de prix : celui qui
propose sur un marché le premier prix d’un produit) plutôt que pricetaker (preneur de prix : sur
un marché très concurrentiel les prix sont les mêmes ou très proches).

La seule incertitude que l'entreprise ne maîtrise pas pour l'instant est celle de savoir si le
consommateur achètera son produit. Galbraith estime que la grande entreprise exerce un
conditionnement de la demande spécifique (la demande liée à l'activité de l'entreprise). Or ce
conditionnement est d'autant plus facile que les besoins physiques élémentaires sont satisfaits,
c'est alors que la Demande se porte sur des besoins plus "psychiques" (effet veblen ou
snobisme). La grande entreprise dispose de divers moyens afin de conditionner la demande
spécifique. Ce conditionnement passe par la publicité et le rôle des médias de masse (télévision,
radio), par la mise en place de stratégies de vente, notamment par des techniques de
commercialisation telles que lemarketing mix ou le merchandising. Ainsi, en même temps que
se développe la grande entreprise, se développent des fonctions tertiaires. Galbraith expose
aussi sa théorie de filière inversée l’entreprise crée le produit et en parallèle crée la demande
par la publicité.

Cependant une incertitude demeure, la grande entreprise comme on l'a vu dirige la demande
spécifique mais pas le niveau de la demande globale; en d'autres termes, les consommateurs
auront-ils les moyens d'acheter les produits ? Pour s'assurer de cela la grande entreprise
entretient des relations avec l'État.

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(3)Les rapports entre la grande entreprise et l’Etat : l'entreprise est un acteur micro économique et
n'a donc par définition accès qu'à une seule partie de la Demande, l'Etat est un acteur macro-économique
et peut contrôler indirectement le niveau de la demande globale.

Le rôle de l'Etat est d'orienter la demande globale, il oriente cette Demande grâce à plusieurs
instruments notamment par la redistribution des revenus, la politique fiscale, la politique
conjoncturelle, par la fixation d'un salaire minimal ou par la signature de conventions
collectives. L'Etat crée les conditions d'une Demande solvable.

L'autre rôle de l'État est de répondre aux besoins de plus en plus forts d'éducation et de
technologie. L'utilisation de la technologie nécessite davantage de "connaissances organisées"
et de main d'œuvre qualifiée. La technologie est le résultat de la recherche; or la recherche
fondamentale n'est pas rentable car très coûteuse et non brevetable, c'est donc l'État qui se
charge de la financer pour permettre à la grande entreprise de financer la recherche
appliquée et les innovations. L'État se met à fabriquer des "compétences intellectuelles", ce
qui, dans le système industriel, est un "facteur de production plus décisif que le capital".
L'éducation est la nouvelle ligne de partage des classes sociales dans le système industriel. De
nouveaux rapports de pouvoirs s'instituent alors.

(4) Les rapports de pouvoir : Jusqu'au XVIIIe siècle, le pouvoir est lié à la Terre (la production étant
majoritairement agricole). Mais les différentes découvertes de Terres neuves font diminuer le pouvoir
lié à la détention de la Terre et le progrès technique de la révolution industrielle permet des
investissements rentables dans le capital (entendu ici comme facteur de production). Il y a alors une
hausse du pouvoir liée à la détention de capital. Ce passage de la Terre au Capital est dû au fait que
"d'une manière générale le pouvoir s'associe au facteur le plus difficile à obtenir ou le plus difficile à
remplacer". Depuis 1945, il y a eu un nouveau changement dans le facteur lié au pouvoir, ce n'est plus
la Terre, ni le capital (du fait du crédit bancaire qui permet de "créer" du capital; la grande entreprise
n'attend plus son capital des épargnants: "l'individu ne sert pas le système industriel en lui apportant son
capital mais en consommant ses produits") mais l'"intelligence organisée".

De fait, c'est la technostructure qui détient le pouvoir car dans la grande entreprise, les
décisions (surtout stratégiques) ne peuvent être prises que par un groupe d'individus car
le groupe l'emporte sur l'individu : se pose alors le problème de motivation pour que l'individu
travaille dans l'entreprise. Galbraith y distingue 4 types de motivations: par contrainte,
pécuniaire, par identification ou par volonté d'adaptation. Il y a "divorce" entre la détention du
pouvoir juridique (détenu par les actionnaires) et l'exercice réel du pouvoir (par les managers).

L'ensemble de la technostructure a pour objectif la croissance de l'entreprise. En effet la


croissance de l'entreprise permet de verser des dividendes "suffisants" aux actionnaires et les
tenir éloignés des décisions à prendre. L'augmentation de la taille de l'entreprise permet de faire
croître la technostructure et permet aux managers d'obtenir des promotions (en termes de
rémunération et de carrières) qui permettent une mobilité ascendante. Il y alors "unanimité
sociale" autour de la croissance. Si les managers recherchent la croissance de l'entreprise (par
l'augmentation du chiffre d'affaires) mais pas le profit maximum c'est parce que le profit
maximum amène des incertitudes qui pourraient empêcher de réaliser la planification mise en
œuvre et remettre en cause l'autonomie des managers. Les entreprises sont des agents faiseurs
de prix (qui fixent les prix non pas pour maximiser le profit mais pour minimiser les
12
incertitudes) et ce sont les managers qui décident des augmentations de salaire et non les
détenteurs de capitaux. Or, si les managers refusent les hausses de salaires ils s'exposent à un
risque de grève et donc de perturbation de la planification; augmenter les salaires permet de
favoriser l'adhésion des salariés aux objectifs du groupe (motivation pécuniaire)et ce ne sont
pas les managers mais les détenteurs de capitaux qui supportent cette hausse des salaires. Les
hausses de salaires sont donc plus facilement accordées dans le système industriel.(de nouvelles
manières de gestion stratégiques s’installent).

Les syndicats acquièrent de nouvelles fonctions telles que la gestion des négociations paritaires
(réunions entre syndicats de patrons et syndicats de salariés), la gestion des organismes de
protection sociale. Il en résulte une nouvelle ligne de partage dans la société qui n'est plus
délimité par la détention de capital mais par le niveau d'éducation, sanctionné par un diplôme.

Les ouvrages de March et Simon. et de Cyert et March, ont fondé la théorie dite behavioriste
de la firme. Ils constituent une deuxième étape essentielle dans l’histoire des théories de la
firme. C’est là que s’affirme la vision de l’entreprise comme une organisation complexe,
constituée de groupes aux intérêts divers, qui sont dans des rapports simultanés de conflits et
coopération. L’analyse de Cyert et Marchajoute à cela un autre aspect essentiel qui sera repris
et développé par les évolutionnistes : la firme est le lieu d’apprentissages collectifs. Ainsi
apparaissent les deux dimensions clés autour desquelles vont se construire les théories actuelles
de la firme : d’un côté, l’analyse des modes de gestion des conflits d’intérêts, de l’autre, les
conditions de constitution d’une capacité collective à produire. Parallèlement à ces avancées de
la théorie des organisations, Herbert Simon a élaboré une nouvelle approche des comportements
économiques, alternative à la théorie de la rationalité néoclassique et d’une portée considérable
pour l’analyse de la firme : la théorie de la rationalité« limitée » ou « procédurale ».

B-Les théories contractuelles

Coase, dans son article de 1937, soulève la question de « la nature de la firme » : qu’est-ce
qu’une firme et pourquoi les firmes existent-elles ? La réponse qu’il propose reste, dans sa
forme générale couramment admise, que la firme constitue un mode de coordination
économique alternatif au marché. Alors que sur le marché, la coordination des choix
individuels se fait par le système de prix, la firme se caractérise par une coordination
administrative, par la hiérarchie. Ces théories vont s’intégrer à une nouvelle microéconomie
qui se constitue à partir des années 1960, fondée sur une théorie économique des droits de
propriété et une théorie économique des contrats. De là va sortir la vision contractuelle
dominante jusqu’à aujourd’hui.

L’ensemble des organisations, comme des institutions, sont conçues comme le résultat
d’accords librement négociés(l’ensemble des contrats construits) entre individus. Les
questions clés concernent alors

(1) les problèmes de construction des contrats

(2) les conditions qui assurent la mise en œuvre effective des engagements contractuels

13
(3) l’identification des coûts qui en résultent (« coûts de transaction » ou « coûts d’agence »).

Dans cette perspective, la firme s’analyse comme un système particulier de relations


contractuelles entre individus, elle est un nœud de contrats. Les problèmes essentiels résultent
de ce que les individus appartenant à la firme ont des intérêts différents, et de ce qu’il existe
entre eux des asymétries d’information. Il faut alors rechercher le système contractuel le plus
efficient, en fonction de différents paramètres, et en particulier des contraintes techniques et de
la nature des informations détenues par les parties.

C-Théorie des coûts de transaction

Williamson se distingue des deux autres approches par ses hypothèses sur le comportement des
agents économiques et sur les caractères des contrats. Il abandonne en effet la théorie de la
rationalité parfaite de la microéconomie standard pour reprendre la théorie de la rationalité
limitée d’Herbert Simon(selon Simon et les auteurs qui lui ont succédé, il est très difficile de
prendre des décisions(des stratégies) tout à fait rationnelles car nos ressources pour traiter les
informations sont limitées, en particulier lorsque les problèmes sont complexes, comme cela
est souvent le cas dans la vie d’une organisation). Face à l'idée classique de "l'homme
économique" Simon a promu celui de «l'homme administratif», incapable de saisir la
complexité du monde et l'interrelation entre ses éléments. Selon Simon, la prise de décision
rationnelle consiste à résoudre des problèmes en choisissant l’alternative la plus appropriée parmi celles
disponibles. La décision sera d'autant plus correcte que plus il est probable que l'effet souhaité sera
obtenu et plus il sera efficace.

Cet auteur divise le processus de prise de décision rationnelle en trois étapes :


Premièrement, toutes les alternatives possibles sont identifiées;

Ensuite les résultats qui seraient obtenus avec chacun sont analysés.

Enfin, la solution la plus appropriée est choisie, en comparant l'efficacité et l'efficience de


chacune des options disponibles.

Cependant, nous ne pourrons jamais appliquer cette procédure de manière optimale car il est
impossible de déterminer toutes les solutions possibles à un problème, ainsi que de prévoir
correctement ses conséquences.

Dans ses travaux, Simon a dit que dans le comportement administratif et dans l'environnement
organisationnel ; Il est conseillé de privilégier l'efficacité par rapport à l'adéquation en
adoptant des solutions. Par contre, dans les décisions privées, cela n’est pas très important car
elles n’affectent pas le fonctionnement et les performances de l’organisation dans son
ensemble).

Il en déduit que les contrats seront, le plus souvent, des contrats incomplets, qui n’envisagent
pas tous les événements possibles. Le problème est alors de savoir ce qui va se passer, après
signature d’un contrat, en cas d’événement imprévu.

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Le propre de la firme est de donner le pouvoir de décision à la direction de l’entreprise, et cela
du fait de la spécificité du contrat de travail (relativement à un contrat commercial). La firme
acquiert par contrat le droit d’utiliser à son gré les compétences du salarié et de le diriger. Il y
a bien ainsi entre l’employeur et l’employé une relation d’autorité.

Pour Williamson, la recherche d’une protection contre les comportements opportunistes –


favorisés par l’incomplétude des contrats – est au centre des choix organisationnels. Ce
problème se pose tout particulièrement quand les agents doivent réaliser des investissements
spécifiques, c’est-à-dire des investissements non réutilisables en dehors de la transaction, qui
les rendent dépendants l’un de l’autre. Chaque partie peut alors craindre que l’autre tente de
s’approprier le bénéfice de la transaction. Une manière d’éviter ce risque est, pour une partie,
de prendre le contrôle de l’autre, et de substituer ainsi une relation interne, hiérarchique, à une
relation marchande.

Cela se fera essentiellement, selon Williamson, dans le cas où une transaction implique des
investissements fortement spécifiques. On peut estimer que la théorie des coûts de transaction
propose en fait deux explications de la supériorité (dans certains cas) de la firme sur le marché.
On trouve chez Williamson une « théorie de l’adaptation » selon laquelle le propre de la firme,
fondée sur un rapport d’autorité, est de donner à l’une des parties le pouvoir de prendre de
manière discrétionnaire les décisions adaptées aux événements, et donc de permettre une
adaptation de l’organisation, sans renégociation. Son avantage est d’accroître la rapidité
d’adaptation à un environnement incertain.

D-Théorie de l’agence

Des auteurs restant plus strictement dans le cadre de pensée néoclassique ont tenté de rendre
compte de la nature de la firme, sans remettre en question leurapproche de l’économie, et
notamment une représentation fondée sur des comportements individuels parfaitement
rationnels. Cela a été fait en développant une théorisation contractuelle qui s’appuie sur une
nouvelle théorie économique des droits de propriété et qui a trouvé sa forme la plus connue
dans la théorie de l’agence.

La théorie des droits de propriété, élaborée en particulier par Alchian et Demsetz, est au cœur
de l’approche néoclassique des institutions, qui s’est fortement développée depuis les années
1960. Son objet est de montrer comment les droits de propriété agissent sur l’efficience des
systèmes économiques, et que la propriété privée, combinée avec le marché, est seule de nature
à assurer une allocation optimale des ressources et le développement économique. Dans ce
cadre, la firme est caractérisée par une structure particulière de droits de propriété, définie
par un ensemble de contrats. Dans un article célèbre, ArmenAlchian et Harold Demsetz tentent
de démontrer sur ces bases que la firme capitaliste « classique », l’entreprise individuelle, est
la forme d’organisation la plus efficiente quand la technologie impose le « travail en équipe »,
c’est-à-dire quand le produit résulte de la coopération de différents agents, sans qu’il soit
possible de mesurer la contribution individuelle de chacun. La théorie de l’agence, marquée par

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l’article fondateur de Michael Jensen et William Meckling, est aujourd’hui le cadre d’analyse
standard des questions d’organisation dans les approches néoclassiques.

La firme est caractérisée fondamentalement comme un « nœud de contrats » entre les détenteurs
des différents facteurs de production, et comme une fiction légale (la firme n’a pas d’existence
réelle, seuls existent des agents individuels et les contrats qui les lient). Cela conduit à s’opposer
àCoase sur deux points :

(1) il n’y a dans la firme aucune relation d’autoritémais simplement des rapports contractuels
libres ;

(2) il n’y a pas d’opposition entre firme et marché : la firme n’est pas fondamentalement
différente d’un marché, elle est un « marché privé ».

E- Théorie des contrats incomplets et (nouvelle) théorie des droits de propriété

La théorie des contrats incomplets développée par Grossman, Hart et Moore, est la plus récente
et aujourd’hui la référence dominante dans la théorie économique standard. Elle se présente
comme un essai de formalisation rigoureuse de l’analyse de l’intégration par la théorie des coûts
de transaction. Elle va donc reprendre certains aspects de cette approche : la reconnaissance de
l’opposition entre firme et marché, et le fait que la firme se caractérise par l’existence d’un
pouvoir d’autorité sur les salariés. Pouvoir dont elle cherche à montrer les fondements, en
prenant en compte les rapports de propriété, absents chez Williamson.

Enfin, cette théorisation met l’incomplétude des contrats au centre de l’analyse, ce qui la
rapproche encore de la théorie des coûts de transaction. D’un autre côté, elle va, contrairement
à ce que fait Williamson, conserver les hypothèses comportementales standards : les agents sont
supposés être parfaitement rationnels.

La firme est définie comme un ensemble d’actifs (non humains), soumis à une propriété unifiée
et à un contrôle unifié. La répartition de la propriété des actifs est au cœur de l’analyse,
dans la mesure où elle affecte le niveau des investissements réalisés initialement par les agents.
C’est par là que pourra être déterminée quelle répartition de la propriété (séparation des actifs
entredeux agents ou unification sous le contrôle d’un d’entre eux) aboutit à l’optimum. On
notera deux points :

(i) contrôle et propriété sont assimilés ;


(ii) Il existe un certain flou sur la question de savoir qui est propriétaire des actifs. La
formalisation proposée semble impliquer que c’est un individu, et non pas la firme,
qui détient les actifs et passe des contrats avec d’autres parties, ce qui est clairement
contraire à la réalité juridique. L’importance de la propriété dérive directement de
l’incomplétude des contrats. Quand il n’est pas possible de spécifier à l’avance
l’usage d’un actif dans toutes les situations possibles, c’est la propriété qui
détermine qui aura le pouvoir de choisir : la propriété d’un actif est définie comme
la détention d’un « droit de contrôle résiduel », c’est-à-dire comme le droit de

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choisir les usages d’un actif, dans la limite de ce qui est permis par le droit, la
coutume ou des contrats antérieurs.
Ce qui permet à Hart d’écrire : « La propriété est source de pouvoir, quand les contrats sont
incomplets. »

Cette théorie reste centrée, comme toutes les approches contractuelles, sur l’analyse de relations
interindividuelles. D’où l’absence de prise en considération de l’entreprise comme entité
propre. La théorie des contrats incomplets considère la détention des actifs par des individus,
et non pas par l’entreprise, en ignorant une caractéristique essentielle de l’entreprise moderne :
le fait qu’elle détient elle-même les actifs productifs. De même que c’est la firme – et non pas
la direction ou le manager – qui entre dans une relation contractuelle avec les salariés, comme
avec d’autres parties. C’est aussi une entité qui peut elle-même faire l’objet d’une transaction
marchande (dans des opérations de fusion-acquisition), ce qui n’est pas une propriété mineure.
Il reste par ailleurs un aspect essentiel ignoré par cette théorie, comme par la plupart des
approches contractuelles : l’organisation de la production.

F-Théories de production, connaissances et compétences

Son origine principale se situe dans les travaux issus du champ du managementstratégique,
définissant une perspective dite « fondée sur les ressources » initiée par Edith Penrose. Celle-
ci converge avec la théorisation évolutionniste de la firme et des organisations, élaborée à partir
de Nelson et Winter. C’est là que l’on va trouver la recherche la plus systématique d’une théorie
alternative à la vision contractuelle, fondée sur les dynamiques d’apprentissages individuels et
collectifs.

Ces théories veulent initialement répondre à une question différente de celle de Coase :
« Pourquoi les firmes diffèrent-elles durablement les unes des autres dans leurs
caractéristiques, leur comportement et leurs performances? »

La réponse est cherchée dans les caractères des structures productives : les firmes diffèrent par
la nature des connaissances et des compétences spécifiques qu’elles sont capables de
produire et d’accumuler, et qui constituent leurs ressources essentielles. Ainsi, le trait commun
de ces analyses est de considérer la firme fondamentalement comme un « corps de
compétences » plutôt que comme un « nœud de contrats ». Ces analyses présentent trois traits
majeurs :

– elles considèrent la firme d’abord comme un lieu de production. Une question essentielle
étant d’expliquer comment se font la division et la coordination des tâches dans la firme

– une place centrale est donnée à la question de la connaissance et de l’apprentissage, par


opposition à l’accent mis sur l’information dans la perspective « entreprise nœud de contrats ».
Cela implique une double rupture. La première se situe dans l’importance donnée aux
connaissances tacites et aux connaissances spécifiquesà l’organisation. La seconde consiste à
considérer que la connaissance, à l’opposé de l’information, n’a pas le statut d’une description

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d’une réalité donnée, mais constitue une représentation construite, incluant une dimension
de croyance et de jugement

– elles se situent dans une perspective dynamique qui marque à la fois l’analyse des
comportements et des interactions entre les agents, et l’étude des organisations (et des
institutions).

G- Théories des compétences, apprentissage et routines

L’accent placé sur les compétences de la firme conduit à s’interroger sur les conditions dans
lesquelles elles se forment et évoluent. Cette question est abordée depuis longtemps par la
théorie des organisations ; elle est particulièrement développée par les évolutionnistes.

Leur analyse repose d’abord sur une théorisation des comportements individuels – centrée sur
l’analyse des processus d’apprentissage – construite dans la lignée de Simon et de March, et
mobilisant un certain nombre d’avancées des sciences cognitives.

Il reste ensuite à construire une théorie des apprentissages organisationnels, c’est-à-dire à


comprendre comment se réalisent dansla firme des apprentissages collectifs et se constituent
des compétences collectives, qui vont en particulier, dans la vision évolutionniste, se
matérialiser dans un ensemble de « routines organisationnelles ». L’analyse de la firme renvoie
aux modalités de coordination entre les individus et les groupes qui la constituent, mais il s’agit
de ce que l’on peut appeler une coordination « cognitive » visant à combiner les connaissances
et les compétences individuelles et à favoriser les apprentissages.

Dans ces théories, chaque firme détient des compétences propres, que les autres firmes ne
peuvent pas acquérir rapidement, parce qu’elles sont difficiles à imiter et qu’elles ne peuvent
être acquises sur lemarché. Cela en particulier parce que les compétences reposent en partie sur
des connaissances tacites, non formalisées qui sont difficilement transférables entre individus
ou entre organisations. L’accent est mis plus particulièrement par certains sur les compétences
dynamiques, qui donnent à la firme la capacitéà se transformer, à suivre et impulser les
changements technologiques et les transformations de l’environnement.

Ce type d’approche de la firme peut également apporter une réponse à la question du choix
entre firme et marché (stratégie d’internalisation ou d’externalisation). Une firme serait
conduite à choisir entre l’internalisation d’une activité et le recours au marché essentiellement
en fonction des compétences qu’elle détient : elle internalise les activités qui correspondent à
son corps de compétences propres. Ce qui signifie que deux firmes pourront, de manière
rationnelle, faire des choix différents.Plus généralement, il faut admettre que les firmes (sur la
base des choix stratégiques) pourront, y compris dans une même activité, avoir des structures
et des formes d’organisation différentes. Ce qui va à l’encontre de l’idée selon laquelle il y
aurait toujours, dans un contexte donné, un mode d’organisation efficient (un one best way) qui
devrait s’imposer à tous.

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L’accent placé par ces approches sur les problèmes de connaissances et d’apprentissage est à la
fois leur force et leur faiblesse. Leur force quand la capacité d’innovation est lacondition de
leur survie. Leur faiblesse dans la mesure où cela conduit à ignorer les dimensions conflictuelles
des rapports économiques, et le fait que les firmes sont des organisations particulières dont la
finalité n’est pas tant la production pour elle-même, que la recherche du profit.

H- La « Nouvelle économie » et théorie de la firme

À partir des années 1980, le capitalisme a connu des changements majeurs qui ont
profondément transformé les structures industrielles et les caractères des grandes entreprises,
en matière de gouvernance comme d’organisation. Deux éléments majeurs sont au centre de
ces bouleversements : d’un côté le développement de la finance de marché et des systèmes
financiers, de l’autre la montée de ce qu’il est convenu d’appeler une économie « fondée sur la
connaissance ».

La principale tentative de reconsidération de la théorie de la firme à la lumière de ces


changements a été formulée par Rajan et Zingales. Ces auteurs ont mis l’accent simultanément
sur la « révolution financière » et sur la position centrale occupée par le capital humain dans la
« nouvelle entreprise ». Ils ont tout d’abord élaboré une théorisation qui reconsidère la question
de la nature de la firme et des rapports entre propriété et pouvoir, en faisant de la relation
d’autorité la caractéristique première de la firme.

L’idée de départ est que l’entrepreneur – ou le manager – pourra acquérir un pouvoir sur les
travailleurs, c’est-à-dire sur le capital humain, en contrôlant, par la propriété ou par un autre
moyen, une « ressource critique », qui peut être un actif matériel ou immatériel. Le problème
majeur se pose quand cette ressource critique n’est pas un actif aliénable, susceptible d’être
contrôlé par des dispositifs légaux (par la propriété notamment), et susceptible d’être acquis sur
un marché.

De plus, ce qui est important n’est pas tant la possession que l’accès aux ressources critiques,
c’est-à-dire la capacité à les utiliser effectivement. Quand la connaissance et le capital
intellectuel deviennent, à la place des moyens de production, la ressource critique, les caractères
de la firme sont amenés à se transformer. Le contrôle des connaissances et des compétences
clés est placé au cœur de l’organisation de l’entreprise. C’est ce qui impliquerait de reconsidérer
profondément ce que doit être la gouvernance de l’entreprise.

Ce qui signifie pour eux une rupture majeure, en amenant à traiter la firme comme un tout,
construit autour d’un « capital organisationnel », et qui ne peut pas être créé instantanément
par de simples procédures légales. On est ici dans une caractérisation de la firme proche de celle
que l’on trouve dans les théories fondées sur la compétence, auxquelles les auteurs font des
références répétées. Avec, de plus, la prise en compte des questions de pouvoir et de contrôle
des connaissances et des compétences, des rapports entre conflit et coopération à l’intérieur de
l’entreprise ainsi que la question du partage du surplus créé par l’entreprise.

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Tout cela implique de considérer le rôle de l’organisation interne dans la création de la valeur
par la firme. (Michael Porter considèrela chaîne de valeur comme l’étude qui permet à l’entreprise
de mettre en évidence ses activités clés, c’est-à-dire celles qui ont un impact réel en termes de coût ou
de qualité et qui lui donneront un avantage concurrentiel.Pour Michael Porter, on peut distinguer
parmi les activités impliquées dans la chaîne de valeur :

• Les activités principales : celles qui concourent directement à la création matérielle et à


la vente du produit ;

• Les activités de soutien ou support : elles viennent en appui de l’activité principale et


forment l’infrastructure de la firme.

La valeur est la somme que les clients sont prêts à payer pour obtenir le produit ou service. Elle résulte
de différentes activités réalisées à la suite par les fournisseurs, la firme et les circuits de distribution.La
chaîne de valeur doit permettre à une entreprise de construire son avantage concurrentiel (un
ensemble de caractéristiques ou d’attributs (pour un produit ou une marque) offrant une
supériorité sur ses concurrents immédiats. Cette supériorité est une supériorité relative établie
par référence aux concurrents les mieux placés sur le segment.).

Chaque entreprise cherchera à obtenir dans la filière la position qui correspond aux activités lui
permettant de maximiser sa valeur contributive, et en parallèle à s'organiser pour maximiser
la chaîne de valeur interne de ses activités.

Les types principaux de stratégie de valeur :

• Une offre à des coûts inférieurs aux concurrents

• Ou une offre possédant des caractéristiques uniques que les clients sont prêts à payer
plus cher.

• Une offre s'adressant à un segment de marché spécifique très réduit dans le but de ne
pas attirer la concurrence)

Rajan et Zingales mettent en question le rôle de la propriété : la propriété des actifs par un
agent peut réduire son incitation à réaliser des investissements spécifiques. Le contrôle du
capital intellectuel soulève des problèmes totalement différents de celui du capital matériel, qui
pouvait être assuré par le système légal de la propriété. Outre le fait qu’il n’est pas possible de
s’approprier des individus comme on le fait de moyens de production, deux aspects de
l’évolution des structures économiques de ces trente dernières années contribuent à rendre ce
contrôle difficile.

Il s’agit, d’une part, de l’existence d’un large marché des compétences de haut niveau, qui sont
moins spécifiques à l’entreprise qu’elles ne l’étaient dans la grande firme managériale
jusqu’aux années 1970 ; et, d’autre part, de la plus grande facilité d’accès à des financements
importants du fait de l’évolution de la finance (l’expansion du capital-risque notamment).

Il en résulte qu’il serait possible d’exploiter les « opportunités de croissance », dans les
termes du Rajan et Zingales, ouvertes par la stratégie de l’innovation et l’évolution des

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marchés, en dehors des entreprises existantes. Ces deux facteurs font qu’il est devenu beaucoup
plus facile pour les salariés à haute qualification de quitter leur entreprise, soit pour aller dans
une autre, soit pour créer leur propre entreprise. Le contrôle du capital intellectuel doit donc
devenir une fonction centrale, si ce n’est la fonction la plus importante du système de
gouvernance de l’entreprise.

La conclusion qu’en tirent Rajan et Zingales est que, puisque la détention des actifs matériels
ne peut plus être la source essentielle du pouvoir de l’entreprise et de sa direction, cette dernière
doit se focaliser sur le contrôle et la cohésion des différentes composantes de l’entreprise,
reposant sur leur capital humain, et viser à assurer son « intégrité », du point de vue de sa
capacité de production et de croissance. Cela impliquerait de davantage se préoccuper des
rapports avec les salariés à haute qualification que des rapports avec les actionnaires.

Ce qui conduit à promouvoir une conception stakeholders(parties prenantes : l'ensemble des


acteurs ayant un intérêt dans l'entreprise. Il y a les acteurs internes à l'entreprise, les dirigeants
et les salariés et ceux externes, les clients, les créanciers et les actionnaires. Leurs intérêts
peuvent diverger)du gouvernement d’entreprise, celle vers laquelle se tournent le plus souvent
les critiques de la conception actionnariale aujourd’hui dominante, ou vers l’idée d’une
entreprise de type coopératif ou partenarial. Il est ainsi possible de mettre en question le modèle
légal dominant sur lequel a reposé l’entreprise capitaliste depuis plus d’un siècle : la société par
actions ouverte (la corporation). Il resterait alors à identifier précisément ce que pourrait être
l’entreprise radicalement nouvelleque semblent appeler ces réflexions.

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