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Peter BEHRENS*
1 Introduction
2 La corporate governance comme concept analytique
3 La corporate governance comme concept normatif
4 La mondialisation de la corporate governance
1 INTRODUCTION
En ce qui concerne le droit des sociétés, c’est bien le concept de corporate
governance, concept d’origine américaine, qui est au centre de la mondialisation.
Avant de mesurer l’influence de ce concept sur le droit des sociétés (et des
entreprises), il faut le comprendre. La traduction de corporate governance par
gouvernement d’entreprise crée l’impression qu’il s’agit d’imposer aux entreprises
une structure hiérarchique et un contrôle centralisé. En verité il s’agit au contraire
d’une structure fondée sur des relations contractuelles et d’un contrôle décentralisé.
C’est pourquoi il me semble plus correct de parler de gouvernance d’entreprises,
comme je vais m’en expliquer. Le but de mon intervention est seulement de
contribuer un peu à clarifier ce concept.
Dans l’analyse du concept de corporate governance il faut distinguer deux
perspectives tout à fait différentes : une perspective analytique et une perspective
normative. Tout d’abord, le concept a été introduit dans le droit des sociétés par les
économistes pour permettre l’analyse économique des institutions (au sens large) du
droit des sociétés. Mais l’analyse économique est également fondée sur certaines
données théoriques qui peuvent facilement être utilisées dans un sens normatif. Je
vais traiter ces deux différentes perspectives séparement.
2 LA CORPORATE GOVERNANCE
COMME CONCEPT ANALYTIQUE
L’idée que toutes les relations légales sont assujetties à une certaine gouvernance
institutionelle a été introduite dans l’analyse économique du droit par Oliver
Williamson1, un des plus fameux économistes américains qui ont développé un
nouvel institutionnalisme économique. L’hypothèse fondamentale de cet
institutionnalisme économique est que le comportement humain implique toujours
des choix entre deux ou plusieurs alternatives et que le but des institutions légales est
d’influencer ces choix de façon à améliorer la satisfaction des besoins de tous. Cela
veut dire qu’elles contribuent à l’efficience économique dans l’utilisation des
ressources qui sont à la disposition de la société. Analysant le rôle que jouent les
institutions légales dans ce sens, l’institutionnalisme économique se sert du concept
d’homo œconomicus. Ce concept est d’une part individualiste au sens où les acteurs,
dont le choix est influencé et contrôlé par les institutions légales, sont des individus,
exclusivement intéressés par l’augmentation de leurs profits individuels. Et il est
d’autre part rationaliste au sens où l’homme est considéré comme un acteur toujours
capable d’évaluer et de peser les profits et les coûts d’un certain comportement avant
de faire un choix entre deux ou plusieurs comportements alternatifs.
C’est Oliver Williamson qui, le premier, a appliqué l’analyse économique aux
relations contractuelles de long terme. Du point de vue de l’individualisme métho-
dologique et de l’efficience économique, le problème le plus important dans les
relations contractuelles de long terme est la possibilité de comportement opportu-
niste de la part de chacune des parties contractuelles. Cela veut dire qu’une fois le
contrat conclu, chaque partie contractuelle peut, dans une certaine mesure, changer
unilatéralement les conditions du contrat en sa faveur, parce que la possibilité qu’a
l’autre partie de contrôler l’exécution correcte du contrat est toujours limitée. Même
si l’autre partie a les moyens de contrôler, ces moyens restent toujours limités, parce
qu’ils impliquent l’utilisation de certaines ressources rares – ne serait-ce que le temps
– qui ne sont alors plus disponibles pour d’autres usages. Du point de vue de
l’efficience économique, le contrôle de l’exécution du contrat suppose des coûts qui
ne sont justifiables que tant que les profits résultant du contrôle les dépassent.
L’opportunisme est particulièrement grave dans les relations contractuelles où une
partie (l’agent) doit remplir une obligation dans l’intérêt de l’autre (le principal). De
tels contrats – différents d’un contrat d’échange normal – sont toujours incomplets
au sens où ils ne peuvent déterminer à l’avance le comportement spécifique des
parties dans toutes les situations futures.
2. A. Hirschman, Exit, Voice and Loyalty – Responses to Decline in Firms, Organizations and States,
1970.
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dirigeants concurrents. C’est pourquoi on peut dire que la direction d’une société par
actions est contrôlée non seulement par certaines procédures internes qui peuvent
être initiées par les actionnaires, mais aussi par une diversité de marchés et plus
particulièrement par les marchés financiers. Il va de soi que ces marchés sont eux-
mêmes fondés sur des institutions légales. Aussi l’ensemble de ces institutions doit-
il être considéré comme la governance structure d’une entreprise moderne. En
somme, la gouvernance d’entreprise est caractérisée par une combinaison institu-
tionnelle de contrôles internes et externes de la direction.
3 LA CORPORATE GOVERNANCE
COMME CONCEPT NORMATIF
Eu égard au caractère analytique du concept de corporate governance, on pourrait
l’appliquer à tout système de droit des sociétés et de marchés financiers, afin
d’analyser ses structures institutionnelles. Le résultat d’une telle analyse serait
naturellement que ces structures sont très différentes dans les divers systèmes
nationaux. Il n’existe tout simplement pas de gouvernance d’entreprise homogène et
universelle. Au contraire : chaque système légal est caractérisé par une combinaison
différente et spécifique de contrôles internes et externes sur la direction. Il y a autant
de systèmes de corporate governance qu’il y a de systèmes de droit.
Par conséquent, l’introduction du concept analytique de corporate governance
dans le droit des sociétés en Europe n’est pas l’expression d’une « américanisation »
ou d’un « totalitarisme mondialiste ». Et ce n’est pas non plus le résultat d’un complot
contre les souverainetés étatiques. D’abord, c’est l’expression du succès théorique de
l’analyse économique des institutions légales. D’autre part, il faut reconnaître que la
théorie économique qui est fondée sur la notion d’efficience peut aussi être utilisée
dans un sens normatif. Dans une perspective normative, le concept de corporate
governance implique que les institutions légales qui sont destinées à établir le
contrôle de la direction doivent être organisées de façon efficiente. Les conséquences
de ce point de vue sont donc fondamentales.
Il est bien connu que le paradigme traditionnel du droit des sociétés de capitaux
est basé sur la fameuse constatation d’une dissociation entre la propriété (des
actionnaires) et le pouvoir (de la direction) dans les grandes sociétés qui font appel
au public. C’est pourquoi plusieurs générations de juristes ont essayé d’améliorer
tout d’abord le système de contrôle interne dans les sociétés, notamment en réformant
l’organisation des sociétés et en renforcant les droits des actionnaires. Mais l’effica-
cité de ces mesures a été assez limitée. On a sous-estimé le problème de l’opportu-
nisme et négligé l’apathie des actionnaires. Cette apathie est tout à fait rationnelle de
la part de l’actionnaire individuel, qui ne peut pas influencer la vie de la société mais
qui peut très facilement, s’il est mécontent, retirer ses fonds et les réinvestir dans une
autre société. C’est pourquoi on a commencé, tout d’abord en Amérique, à analyser
les marchés de capitaux dans leur rôle d’incitation sur les directeurs à gérer dans
380 _______________________________________________ Mondialisation et droit des sociétés
4 LA MONDIALISATION
DE LA CORPORATE GOVERNANCE
La mondialisation est bien évidemment un aspect du dévelopement des marchés.
C’est notamment l’internationalisation des marchés de capitaux et financiers qui a
contribué à la mondialisation. Cette internationalisation est le résultat d’une concur-
rence dé-régulatrice entre les grands centres financiers de Londres et de New York.
La force dé-régulatrice de cette concurrence des systèmes est telle qu’on n’a jamais
envisagé une convention internationale ou mondiale analogue aux conventions
mondiales qui caractérisent les marchés des produits ou des services et sauvegardent
la liberté des échanges sur ces marchés.
Plus les entreprises utilisent les marchés mondiaux de capitaux, plus elles sont
en même temps soumises aux exigences de ces marchés, qu’il s’agisse de la politique
de leur direction en termes d’information, de leur transparence et de leur comptabi-
lité. Dans la mesure où le droit national des sociétés détermine les droits inhérents aux
titres et valeurs qui font l’objet des transactions sur les marchés internationaux de
capitaux, les exigences de ces marchés ont nécessairement des répercussions sur les
droits nationaux des sociétés. En d’autres termes, c’est le marché mondial de capitaux
qui évalue constamment les titres et valeurs des sociétés immatriculées sous les
régimes des droits nationaux des sociétés. C’est pourquoi les systèmes nationaux des
droits des sociétés sont confrontés à une concurrence mondiale.
Cette concurrence exerce bien sûr une certaine pression sur les systèmes
nationaux des droits des sociétés. Le résultat n’est pas nécessairement l’uniformité
des systèmes. Mais il va de soi qu’aucun système ne peut exister à long terme sans
s’adapter aux exigences des marchés mondiaux de capitaux. Chaque système
national peut continuer à suivre son propre chemin et à sauvegarder certaines
caractéritiques nationales. Mais ce qui est indispensable c’est la compatibilité avec
Commentaire _________________________________________________________________ 381
les intérêts des investisseurs internationaux. Diversité des droits nationaux, mais
compatibilité internationale, telle est la devise.
Il faut dire de nouveau que ce dévelopement n’est pas une simple américanisa-
tion, mais plutôt une modernisation du droit des sociétés. C’est une réforme du droit
des sociétés, provoquée par la mondialisation des marchés de capitaux, mais qui est
motivée également par des exigences existant au plan national.