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3.2.

L’analyse économique de l’entreprise

January 11, 2021

1 Introduction
2 La firme comme boite noire
Dans l’approche néo-classique, la firme est une boı̂te noire qui se réduit à un producteur combinant efficace-
ment les facteurs de production (G. Debreu, Théorie de la valeur, 1959). L’objectif de la firme est seulement
de maximiser son profit. Pour Friedman (1953), même si l’hypothèse de cette modélisation est discutable,
l’important est qu’en pratique les entreprises se comportent comme si elles maximisaient leurs profits. Pour
F. Machlup (Essai de sémantique économique, 1971), l’objectif de la firme dans les modèles néo-classiques
est surtout de comprendre le processus d’allocation des ressources que la firme en elle-même. Plus un modèle
a des hypothèses réalistes, plus il est difficile de l’interpréter.

Toujours dans l’approche néo-classique, la firme permet de faire des économies d’échelles (A. Marshall,
Principes d’économie politiques, 1890). On parle de rendement d’échelle croissant quand l’augmentation des
inputs pour produire donnent à une augmentation plus que proportionnelle de l’output (1 ouvrier en plus
permettra de produire 2 fois plus de voitures par exemple). On distingue les économies d’échelles internes
(permises par l’optimisation de l’utilisation des ressources de la firme), des économies d’échelles externes
(la diffusion des techniques et des savoirs au niveau d’une branche qui permet d’augmenter la productivité
de toutes les entreprises de cette branche). Enfin, pour J. Viner (Costs curves and Supply curves, 1932), à
court terme, les possibilités de production de la firme sont limitées. En revanche, à long terme, la firme a la
possibilité d’augmenter sa productivité par des investissements. En particulier, dans le cas d’une production
à économies d’échelles (on doit construire une usine avant de produire des voitures par exemple), produire en
grande série permet d’amortir le coût fixe initial, jusqu’à un certain niveau, et donc la firme doit avoir une
taille minimale. Au-delà, le gigantisme devient une source de gaspillage : le niveau optimal de capacité de
production est celui qui minimise les coûts moyens. C’est la taille minimale efficiente. Cette vision théorique
peut faire écho à la vision coasienne. Pour H. Leibenstein (Allocative Efficiency vs. X-Efficiency, 1966) le
mode d’organisation de l’entreprise a un impact sur la productivité de l’entreprise. Il parle d’une efficience-X.

Ces théories ne s’intéressent donc ni à la firme en tant que telle, ni à l’entrepreneur. Or, pour W.
Baumol (Entrepreneurship in Eocnomic Theory, 1968), ”une théorie qui évacue les différentes fonctions que
peut remplir l’entrepreneur, c’est comme jouer Hamlet sans le prince”. La théorie économique s’est donc
intéressée à la firme : pourquoi les firmes existent ? pourquoi grandissent-elles ? quel lien avec l’innovation
et l’entrepreneur ?

3 L’approche transactionnaliste de la firme


3.1 R. Coase : les coûts de transactions
Pour R. Coase (La nature de la firme, 1937), la firme est une alternative au marché. En l’absence d’une
information transparente, le recours au marché génère des coûts de transactions. Ce sont des coûts associés au
transfert de propriété lors d’une transaction sur un marché, notamment la recherche d’information sur les prix

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et leur négociation. Ils y a trois types de coûts de transactions : ex ante (recherche d’information,élaboration
d’un contrat), ex post (coûts de surveillances) et institutionnels (mise en conformité du produit pour les
normes environnementales). Or, au sein d’une firme, le mécanisme d’allocation des ressources est fondé sur
la hiérarchie et l’autorité, et non les prix. Ce mécanisme permet de réduire les coûts de transactions au point
où la firme a intérêt à produire elle-même les biens et les services nécessaires à son activité. Cependant,
une firme a intérêt à grandir (c’est-à-dire étendre son activité selon ses besoins) jusqu’au point où les coûts
de transactions deviennent inférieur aux coûts de coordination interne dans la firme. Si la firme devient
beaucoup trop grande, il devient impossible de gérer l’activité de l’intérieur.

3.2 O. Williamson : la théorie des coûts de transactions (TCT)


O. Williamson (The economic institutions of capitalism, 1985) cherche à prolonger les travaux de Coase, en
élaborant la théorie des coûts de transactions.
Il fait deux hypothèses sur le comportement des agents :

• La rationalité des agents est limitée (H. Simon, 1951). De fait, les contrats sont forcément incomplets
car ils ne peuvent pas prendre en compte toutes les éventualités, et peuvent être remis en cause à terme.
• Les agents ont un comportement opportuniste. C’est la conséquence de la première hypothèse. Les
agents exploitent les incertitudes à leur avantage. Ce faisant, il ne peut pas y avoir de mécanismes de
coordination informels (loyauté, confiance, réputation) sur le marché, et il est nécessaire d’avoir recours
à des institutions pour limiter la sélection adverse et l’aléa moral.

Ces hypothèses en main, O. Williamson caractérise les transactions d’actifs sur le marché. Il distingue
trois caractéristiques :

• La spécificité de l’actif. Un actif spécifique est un actif non redéployable dont la valeur productive
s’accroı̂t concomitamment à son utilisation dans une entité particulière et, au contraire, décroı̂t dans
toute utilisation alternative. Par exemple, une machine qui ne peut produire qu’un seul type de bien
pour un seul type d’entreprise (une imprimante 3D qui n’imprimerait que des briques, et donc ne
pourrait pas être utilisée pour autre chose)

• La fréquence des transactions. Pour Williamson, des relations fréquentes sont associées à plus de
comportements opportunistes. La littérature tend à montrer que c’est l’inverse (Ménard, 1995) car une
mauvaise réputation empêche de signer des contrats.
• L’incertitude qui pèse sur les transactions.

En fait, dans la TCT, c’est la spécificité des actifs qui va jouer le plus grand rôle, les deux autres n’étant
que connexes. En effet, lorsqu’un actif très spécifique est en jeu dans une relation marchande, il peut y
avoir un risque de rupture de contrat donnant lieu à une perte irrémédiable (sunk cost). En effet, comme les
agents sont opportunistes, et les contrats incomplets, si un contrat fait l’objet d’une renégociation, un des
deux partis du contrat peut chercher à s’approprier la quasi-rente. La quasi-rente est définie comme le gain
que peut obtenir l’un des partis en renégociant les conditions initiales du contrat à son avantage dans le cas
où la rupture du contrat poserait trop problème à l’autre agent. Il peut être utile en effet qu’un agent prenne
en otage l’actif (le fabriquant de l’imprimante 3D la garde jusqu’à renégociation du contrat dans son intérêt
par exemple) afin de renégocier sachant toute l’importance de cet actif. Cette tentative d’appropriation peut
aller dans les deux sens, au point où on arrive à une situation de hold-up : les deux partis abandonnent le
contrat. Dans la TCT, il y a un sous-investissement dans les actifs spécifiques (pourtant nécessaire) car les
agents veulent éviter le sunk cost, et l’effet de lock-in c’est à dire être bloqué dans une relation commerciale
avec un agent dû à la spécificité de l’actif.

Par conséquent, il faut choisir la structure de gouvernance qui convient. Une structure de gouvernance
est définie comme un arrangement institutionnel qui minimise les coûts de transactions en fonction d’un
environnement donné. La structure de gouvernance doit permettre de contrôler le comportements des agents
et de consolider leurs engagements, et doit être adapté à la nature des transactions : spécificité des actifs,

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fréquence et incertitude.

Pour O. Williamson, les coûts de transactions sont une fonction croissante de la spécificité des actifs, et
on aura recours alternativement au marché, à une structure hybride ou à la firme selon les cas. La firme
existe chez Williamson à partir du moment où les transactions portent sur des actifs spécifiques, avec des
contrats fréquents et sur lesquels pèsent des incertitudes.

4 L’approche contractualiste de la firme


4.1 L’approche des droits de propriétés
A. Alchian, H. Demsetz, Production, Information costs and Economic organization, 1972.

Un des rôles du marché est de permettre d’égaliser la productivité marginale et le salaire. Cependant,
lorsqu’une production est collective, ce n’est pas possible. Par des effets de synergie, la productivité de
l’équipe est supérieure à la somme des productivités individuelles. Comme les individus peuvent bénéficier
de ces effets, il y a un risque d’aléa moral, notamment avec des passagers clandestins tire-au-flanc (M. Olson,
La logique de l’action collective, 1968).

Comment est-il possible d’éviter ces comportements ? L’avantage de la firme est de pouvoir nommer un
contrôleur (monitor) dont le but est de surveiller les performances individuelles. Néanmoins, qui contrôle le
contrôleur ? Lui aussi peut être un passager clandestin, ou agir contre les intérêts de la production. Pour
Alchian et Demsetz (1972), il faut donner le rôle de contrôleur à l’agent dont les intérêts dépendent le plus de
l’efficacité de la production : le créancier résiduel (le propriétaire de la firme). Le créancier résiduel est l’agent
qui touche les revenus nets de la production, après la rétribution de tous les autres facteurs de production.
Il a donc le plus intérêt à maximiser ce revenu, et minimiser les comportements opportunistes.
Dans cette vision, la firme est définie comme un mécanisme d’incitation pour maximiser l’efficience de la
production collective.

4.2 La théorie des incitations


M. Jensen, W. Meckling, Theory of the firm: Managerial behavior, agency costs and ownership structure, 1976

Pour ces auteurs, la firme est une fiction légale, c’est à dire un noeud de contrats entre tous les agents
(employés, fournisseurs, clients, créanciers, ...) qui lui sont associés. Ce statut de fiction légale permet
de minimiser le nombre de contrats nécessaires à la mise en relation des agents, par rapport au marché
notamment. Dans la vision de Jensen et Meckling, les agents sont liés par la firme, et le contrat le mécanisme
incitatif pour faire agir les individus en vu de la maximisation du profit de la firme. La firme est restreinte
à un rôle incitatif dans des relations d’agence multiples.
Cette vision de la firme comme un système incitatif est prolongée par B. Holmstrom et P. Milgrom. En
présence d’asymétrie d’information, il y a potentiellement un aléa moral et une sélection adverse, et donc un
problème d’agence (cf. cours sur les transformations des entreprises). Pour Holmstrom et Milgrom (Multitask

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Principal-Agent Analyses: Incentive Contracts, Asset Ownership, and Job Design, 1991), la firme dispose
d’un ensemble d’instruments incitatifs pour résoudre les problèmes d’agence : rémunération compensatoire
de l’effort (bonus), délégation de l’autorité, plans stratégiques, règles de travail, culture d’entreprise, contrôle
des réseaux d’informations, etc.
Dans leur article de 1994 (The firm as an incentive system), Homstrom et Milgrom considèrent que la
différence entre la firme et le marché ne réside pas tant dans les modes de coordinations à leur disposition
(l’autorité, le système de rémunération, et la structure des droits de propriétés). C’est simplement que
la firme les combine simultanément et de façon complémentaire pour orienter au maximum les efforts des
agents en vue de l’intérêt de la firme. La firme est donc un système d’incitation cohérent. D’autres types
d’incitations existent : promotions, incitations implicites, encouragements verbaux. La firme a donc pour
but de minimiser les problèmes d’agence inhérents à des activités complexes, organisées en système.
Pour eux, les incitations de la firme sont moins forte que les incitations individuelles du marché, mais
qu’elle permet une meilleure appréhension de production de groupes difficile à évaluer.

4.3 La théorie des contrats incomplets


Article principal : O. Hart, J. Moore, Incomplete Contracts and Renegotiation, 1988.

Par rapport à la TCT, ces auteurs maintiennent l’hypothèse d’information parfaite et de rationalité des
agents. Cependant, ils postulent l’incomplétude des contrats. Les contrats sont incomplets au moment de leur
signature pour deux raisons : l’impossibilité d’implémentation (prévoir tous les scénarios qui conduiraient à
une renégociation) et l’impossibilité d’exécution (faire respecter toutes les clauses du contrat).

• L’impossibilité d’implémentation est due aux coûts de transactions associés à la rédaction d’un contrat
qui prendrait en compte toutes les contingences futures possibles.
• L’impossibilité d’exécution tient au fait, que même si le contrat était complet, en cas de litige, la justice
aurait trop de difficulté à faire respecter le contrat, faute de pouvoir l’interpréter dans son sens initial.

Ils analysent la même situation que O. Williamson : que se passe-t-il quand on est en présence d’un
contrat entre deux partis portant sur un actif spécifique ? Le contrat est incomplet. Donc, comme les actifs
spécifiques peuvent dégager une quasi-rente, le contrat ne spécifie pas la répartition de cette rente. Dans
un équilibre coopératif de Nash, les deux partis se répartiraient également cette rente. Cependant, aucun
des partis n’a intérêt à jouer la coopération (dans les hypothèses de leur modèle), et comme chacun tente
de s’approprier la quasi-rente, cela conduit à une situation sous-optimale soit de hold-up (avec des pertes
irrémédiables) ou un sous-investissement dans l’actif spécifique par crainte du hold-up.
Ces auteurs préconisent l’attribution de la propriété (dans leurs termes : le droit résiduel) de l’actif
spécifique dans le contrat initial. En effet, s’il y a un hold-up, au moins un des partis peut toujours en garder
physiquement la propriété, donc maintenir le contrôle sur l’usage et l’usufruit. La conséquence de définir ex
ante la propriété de l’actif spécifique est que la parti qui dispose de la propriété de l’actif sur-investira dans
celui-ci, car il peut décider de la répartition des revenus ex post, et sera protégé en cas de rupture de contrat.
Symétriquement, le parti qui ne dispose pas de la propriété de l’actif sous-investira dans l’actif spécifique car
il aura moins à gagner (vu qu’il n’a pas de contrôle sur la répartition des revenus associés à l’actif spécifique,
il touchera moins).
La question est de savoir à qui donner la propriété de l’actif ? Il faut donner la donner au parti dont les
investissements ont le rendement net le plus élevé, de sorte à compenser le sous-investissement de l’autre parti.

De la même façon, ce modèle permet de comprendre les déterminants de l’intégration verticale. Par exem-
ple, lorsqu’une firme achète un fournisseur, elle a intérêt à surinvestir dans les actifs spécifiques (à la relation),
car elle augmente sa part dans la répartition du surplus ex post, mais cela diminue l’intérêt du fournisseur
à investir dans l’actif spécifique. Ce faisant, la condition pour qu’une firme en intègre une autre est que le
rendement marginal net du total des investissements dans l’actif spécifique si la firme intègre l’autre doit être
supérieur à ce même rendement lorsqu’il n’y a pas d’intégration. Du point de vue de la firme rachetée, ces
investissements en actif spécifique peuvent être dans le capital humain nécessaire à la production par exemple.

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Ces auteurs voient la firme comme une collection d’actifs-non humains. Pour ces auteurs, l’autorité
découle de la propriété. En effet, le propriétaire d’un actif spécifique peut exclure l’accès à l’usage de l’actif.
Or, comme les employés, ou la firme intégrée, ne dispose pas des moyens de production, ils sont obligés, dans
une certaine mesure, de se soumettre à l’autorité du propriétaire, précisément parce qu’il peut l’empêcher d’y
accéder. Cette vision a été critiquée, par les auteurs eux-mêmes, qui reconnaissent qu’elle échoue à expliquer
l’organisation interne de la firme.

Cela a conduit à un développement récent de Hart en 2008 sur le contrat comme point de référence.
Pour Hart, un contrat est signé initialement sur la base de critères de marché, puis le contrat va guider le
comportement des agents, notamment par des effets de lock-in. Une partie contractante est satisfaite si elle
estime obtenir son dû. Si ce n’est pas le cas, la performance non-contractuelle de l’agent sera beaucoup
plus faible, et seulement ce qui est imposé par le contrat sera respecté. Ce modèle permet de comprendre
notamment la relation employeur-employé.

Ces auteurs reconnaissent ainsi que des mécanismes de délégation et de responsabilisation, qui découlent
des contrats initiaux, complètent et pérennisent les relations contractuelles en suscitant l’engagement. A con-
trario, toute remise en cause de ces mécanismes serait perçue comme une rupture de promesse et briserait la
dynamique relationnelle (aggrievement). En présence de contrats incomplets, ces auteurs accordent un rôle
important aux normes sociales ainsi qu’aux variables non strictement contractuelles telles que la confiance,
l’honnêteté, ou encore les contrats implicites. Ces notions nouvelles sont au cœur des développements récents
du paradigme contractualiste.

Le paradigme contractualiste rend compte de l’idée que la confiance et l’honnêteté jouent un rôle complémentaire
aux contrats, en particulier si on les considère incomplet.

• Baker, Gibbons, Murphy (2002) : les contrats relationnels jouent un rôle fondamental dans l’organisation
interne de la firme. Ils sont définis comme des codes de conduites non-formels qui affectent le comporte-
ment des partis prenantes de la firme, et pallient les défauts de contrats de droits, sans avoir besoin
d’un recours à la justice.
• Pour Roberts (2004), les architectures informelles l’emportent souvent sur les architectures formelles
dans la coordination des relations économiques. La firme est institution créée pour servir les besoins
humains, et la performance passe par le développement de réseaux sociaux. Par conséquent, la culture,
les routines, etc. revêtent une importance fondamentale dans la firme et entre les firmes.
• R. Rajan et L. Zingales (1998) montrent dans leur théorie de la firme que les employés font un in-
vestissement en capital humain spécifique pour l’entreprise, et donc dispose donc d’un actif spécifique,
nécessaire à l’entreprise. Ils ont une propriété sur ce capital humain, ce qui leur donne une forme
de pouvoir. Cette théorie est à mettre en lien avec les débats sur la propriété de l’entreprise et la
gouvernance. D’une certaine façon, les employés investissent aussi dans la firme par leur travail, de la
même façon qu’un actionnaire fournirait des capitaux. Cela renvoie donc au débat sur l’intégration des
employés dans la structure de gouvernance.

5 Le paradigme cognitiviste
5.1 La théorie des compétences
5.1.1 E. Penrose
E. Penrose (The Theory of the Growth of the Firm, 1959) est la première auteur à mettre en avant une vision
dynamique de la firme. Pour elle, la firme est une collection de ressources productives (humaines et non
humaines) coordonnées de manière administrative par une structure de communication autoritaire afin de
produire des biens et de services marchands destinés à dégager des profits inter-temporels. La firme diffère
du marché au sens où elle institue une régulation administrative. Contrairement à la vision néo-classique,
lorsqu’une firme produit elle n’épuise pas forcément l’intégralité de ses ressources productives. De fait, en

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plus de ces ressources résiduelles, elle va dégager aussi des profits, et aura dès lors des ressources en excès.
Mécaniquement, la croissance de la firme, voir la diversification de celle-ci est l’emploi de ces excédents, dont
le coût est nul vu qu’il a déjà été assuré.

5.1.2 G. Richardson
G. Richardson (The organization of industry, 1972) critique l’équilibre concurrentiel néo classique. Pour lui,
les firmes sont envisagées comme des ı̂lots de coordination planifiée dans un océan de relations de marché
. Les firmes coopèrent entre elles. Pourquoi ? Parce qu’il existe une division cognitive du travail. Pour
comprendre ce qu’est la division cognitive du travail et sa raison d’être, il faut comprendre la nature des
activités des firmes.
G. Richardson distingue les activités similaires et complémentaires. Les activités similaires réclament des
compétences semblables quand les activités complémentaires sont des activités dont les compétences requises
sont différentes, mais se complètent au sein du processus de production. Les firmes se spécialisent dans des
activités similaires. Par exemple, BIC produit à la fois des stylos et des rasoirs car cela requiert les mêmes
compétences. A l’inverse, lorsqu’il y a des activités complémentaires au sein d’un processus de production, il
y a des transferts de technologies entre firmes sous la forme de ”réseaux de coopération”.

Les firmes peuvent se coordonner entre elle par la division cognitive du travail. La coopération entre
firmes est définie comme des organisations indépendantes mais qui ont des relations étroites dans le long
terme régulées par un certain nombre de plans préalables sans relations hiérarchique mais avec l’acceptation
d’un certain degré d’engagement.

5.2 La théorie évolutionniste


La théorie évolutionniste de l’entreprise a été introduite par Nelson et Winter (An evolutionary theory of
economic change, 1982). A la différence de la TCT ou la TCI, elle introduit une vision dynamique où
l’histoire et l’environnement jouent des rôles majeurs.

5.2.1 Évolution et compétences


Il faut reprendre la distinction de M. Polanyi (Personal Knowledge, 1958) : il y a des connaissances codi-
fiables et des connaissances tacites. Les premières sont des connaissances transférables d’une firme l’autre
et dont l’exécution pourrait être confiée à un robot. Les connaissances tacites quant à elle sont propres à
l’entreprise. Elles sont une forme de capital humain spécifique à l’entreprise, qui naı̂t du fait de travailler
dans l’entreprise (learning by doing). Ces connaissances sont découvertes à mesure que l’entreprise évolue,
et lui sont spécifique. Donc c’est du temps investi par les managers et les employés non-redéployable dans
une autre compagnie. Ce sont ces connaissances qui permettent aux entreprises de s’adapter et d’avoir un
avantage concurrentiel.

Comment transmettre ces connaissances aux employés ? Par des routines. Les routines sont des codes de
conduite fixées par l’entreprise pour permettre aux employés de faire face à l’environnement sans heurs, et
acquérir les compétences spécifiques de l’entreprise (une fois qu’elles sont connues).

Les compétences au sein de l’entreprise sont améliorées à partir d’un processus de recherche développement.
Cependant, même ce processus peut tendre à être routinier, ce qui peut freiner l’innovation à long terme. La
firme va évoluer selon ses compétences, et l’histoire de ses choix. Ainsi, une firme peut s’enfermer dans un
choix (effet de lock-in). Par exemple, à une très grande échelle, le fait d’avoir choisi des claviers QWERTY
/ AZERTY n’est pas du tout optimal, mais il serait trop coûteux de changer de système à présent.

5.2.2 Les régimes technologiques et la cohérence de la firme


Pour Winter, il faut distinguer deux types de régimes technologiques : le régime routinier et le régime en-
trepreneurial. Dans le régime routinier, l’organisation industrielle est dominée par des grandes firmes, qui

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détiennent un nombre important de compétences tacites, et les compétences codifiables sont largement dif-
fusées. Dans le régime entrepreneurial, les compétences codifiables diffèrent de celle du régime routinier :
elles sont nouvelles, mais elles ne sont pas tacites car l’innovation n’est qu’à ses débuts, et il faut du temps
avant d’accumuler assez d’expérience (learning by doing) pour pouvoir développer des compétences tacites.
Pour Dosi (1988), il y a une alternance entre régime routinier et entrepreneurial : la transition se fait par
le grossissement de firmes entrepreneurial qui réduisent l’incertitude sur le marché et augmentation des con-
naissances tacites par l’introduction de routines.

Dosi, Rumelt, Teece, Winter dans Understanding corporate coherence (1994) prolongent la théorie ini-
tiale (1982). Pour eux, une firme dispose de compétences foncières (c’est ce qui fait sa spécificité), et des
compétences auxiliaires (des compétences secondaires mais qui ne fondent pas le coeur de son activité).
Lorsqu’une entreprise est en proie à la stagnation, elle peut s’appuyer sur ses compétences auxiliaires pour
se diversifier, pivoter dans son activité ou innover.

Les firmes diffèrent car elles s’inscrivent dans des trajectoires spécifiques en fonction de compétences
tacites internes à la firme, et elles évoluent selon les opportunités technologiques, et l’environnement dans
lequel elles évoluent.
Exemple : L’industrie pharmaceutique. On était dans un régime routinier, dominé par des grandes firmes dont
les compétences foncières reposaient sur la chimie. Cependant à partir des années 1980, le développement
des biotechnologies a conduit à une rupture du paradigme technologique, et au passage à un régime en-
trepreneurial avec des petites firmes dont les compétences foncières sont les biotechnologies. Cependant, les
grandes firmes se sont maintenus car elles ont put s’appuyer sur leurs compétences auxiliaires (marketing,
stratégie, comptabilité) afin de pivoter et s’adapter à ce nouvel environnement.

6 L’analyse économique de l’entrepreneur


6.1 Dans la théorie
6.1.1 Chez les classiques
• Pour R. Cantillon (Essai sur le commerce en général, 1753), l’entrepreneur est celui qui achète et vend
à gage incertain . Il assume les risques associés au processus de production.
• Pour J. Bentham (Défense de l’usure, 1767), l’entrepreneur est un faiseur de projet dont le plaisir
découle du gain permis par le projet mais aussi du projet lui-même.

• Pour J-B Say (Traité d’économie politique, 1803), l’entrepreneur est un intermédiaire entre le savant
(recherche) et l’ouvrier (fabriquant). Il assume les fonctions d’organisation et de coordination des
tâches. Et il est la source principale de croissance dans une économie.

6.1.2 Chez F. Knight


F. Knight, Risk, Uncertainty and Profit, 1921.

Knight distingue le risque de l’incertitude. Le risque, c’est pouvoir associer des probabilités à des
évènements, et donc pouvoir prendre des décisions rationnelles selon ces probabilités. L’incertitude, elle,
est précisément l’impossibilité de pouvoir donner une probabilité à un événement. Ce faisant, en situation
d’incertitude, comment prendre une décision et la mettre en place ? Pour Knight, les agents peuvent se
fier à un jugement instinctif pour assurer la coordination sur le marché. Cependant, les individus diffèrent
dans leur capacité à prendre des décisions en cas d’incertitude. Il existe des individus dont les capacités de
jugement sont supérieurs à la moyenne. Ces individus se spécialisent donc dans la coordination des agents
en situation d’incertitude : ce sont les entrepreneurs. Ils ont deux qualités inséparables : la responsabilité et
le contrôle. Ils sont responsables car ils acceptent l’incertitude en créant une entreprise, où les travailleurs
perçoivent un salaire fixe. Et en vertu de leur responsabilité d’assureur, ils disposent d’un droit de contrôler
les activités des travailleurs dans la firme.

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6.1.3 Chez J. Schumpeter
J. Schumpeter, Théorie de l’évolution économique, 1912.
Le point de départ de Schumpeter est l’équilibre walrasien (ce qui revient à dire l’équilibre de marché
néoclassique). Le profit est nul car les prix sont égaux avec les coûts marginaux des firmes. Les agents
n’ont plus la possibilité d’emprunter car la masse monétaire est constante. Le niveau d’activité se reproduit
à l’identique de période en période. Schumpeter essaie de comprendre le passage de cet équilibre de court
terme à un déséquilibre à long terme. Dans sa vision dynamique des choses, le changement économique est
issu de l’introduction d’une innovation qui remet en cause les principes de fonctionnement de l’économie sta-
tionnaire. Pour ce faire, l’entrepreneur a besoin d’emprunter des capitaux, d’où un rôle central des banquiers,
du système de crédit et de la bourse. C’est le système financier qui va apporter à l’entrepreneur les capitaux
nécessaires à la mise en place de l’innovation. Mais que cherche l’entrepreneur en faisant une innovation ? En
situation de concurrence pure et parfaite, les innovations économiques sont induites par la recherche de profits
temporaires de monopole. Concrètement, les entrepreneurs cherchent à obtenir un monopole dans le secteur
de leur innovation, et de dégager une rente d’innovation pendant un certain temps, avant de subir la con-
currence du marché. C’est donc précisément pour échapper à la concurrence walrasienne que l’entrepreneur
va chercher à agir. Notons toutefois que Schumpeter prête aussi à l’entrepreneur des qualités morales, de
leadership, très spécifiques. Il en fait un un révolutionnaire de l’économie .

J. Schumpeter, Capitalisme, Socialisme et Démocratie (1942)

Dans Capitalisme, Socialisme et Démocratie (1942), J. Schumpeter a une position ambivalente sur le
capitalisme. D’un côté, c’est un système extrêmement flexible qui est capable de s’adapter. Par exemple, E.
Chapiello et L. Boltanski (Le nouvel esprit du capitalisme, 2001) montrent comment le capitalisme est capable
d’internaliser ses propres critiques. Par exemple, les événements de mai 1968 ont symbolisé la révolte contre
l’autorité,le besoin d’émancipation et la critique du capitalisme. Et c’est précisément à partir des années
1970 qu’on observe un essor du marketing de masse centré sur l’individu et le développement personnel. Le
capitalisme survit en absorbant ses contradicteurs (J. Baudrillard, Simulacres et simulations, 1985).
De l’autre côté, le capitalisme secrète lui-même des éléments qui lui sont destructeurs : une classe d’intellectuels
hostiles aux principes du capitalisme (liberté d’entreprendre, profit), le manque d’innovation des entrepreneurs
et le remplacement des petites firmes innovatrices, dirigées par leur fondateur, par des grands groupes bu-
reaucratiques. La bureaucratie remplace les entrepreneurs au sein de la firme, ce qui pour lui est synonyme
de la fin de la prise de risque. Cette situation correspond bien à la structure des grandes entreprises pendant
les Trente Glorieuses.
Comme le dit Schumpeter, ”le progrès économique tend à se dépersonnaliser et à s’automatiser. L’unité in-
dustrielle géante parfaitement bureaucratisée n’élimine pas seulement les firmes de tailles petite ou moyenne,
mais en fin de compte, elle élimine l’entrepreneur et exproprie la bourgeoisie. Les véritables pionniers du
socialisme ont été les Vanderbilt, les Canergie, les Rockfeller”.
Il y a chez lui l’idée qu’avec le système de planification communiste finira par absorber le système capital-
iste. Sur ce point, les années 1980 lui donnent tord, car en réalité il est impossible de planifier un système
économique complexe. Il y a eu cette illusion pendant les Trente Glorieuses, mais le ralentissement de la
croissance y a mis fin.

Enfin, le capitalisme est en déséquilibre constant du fait de l’activité des entrepreneurs qui détournent le
capital de son emploi routinier. Par là même, les membres de l’élite économique se renouvellent : Les classes
supérieurs de la société ressemblent à des hôtels ou à des autobus qui, certes sont toujours pleins, mais dont
la clientèle change sans cesse . Sur ce point encore, il est difficile de lui donner tord ou raison. D’un côté,
on ne peut pas nier la dimension de reproduction sociale, y compris dans l’entreprenariat. De l’autre, les
opportunités permises par le régime entrepreneurial (que cela soit au XIXe siècle, ou aujourd’hui) est aussi
un mode d’accès au pouvoir qui peut être transclasse.

6.1.4 Chez I. Kirzner


I. Kirzner, Competition and entrepreneurship, 1973
I. Kirzner synthétise en quelque sorte la vision de Schumpeter, et l’équilibre walrasien. L’entrepreneur est

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un individu capable d’identifier une opportunité de gain sur un marché, mais avec un risque de se tromper. Il a
une dimension schumpéterienne car il est la source de l’innovation. Mais il a aussi une dimension walrasienne
car il joue le rôle du commissaire-priseur de l’équilibre général par cette recherche d’opportunités, et participe
donc à l’équilibrage du marché.

6.2 Dans la pratique


6.2.1 L’entrepreneur s’appuie sur des capitaux
S. Boutillier et D. Uzinidis (L’aventure des entrepreneurs, 2011) mettent avant qu’au-delà de leur personnalité,
les entrepreneurs émergent aussi d’un contexte social. Ils bénéficient de trois capitaux :
• Le capital financier (patrimoine, emprunts)
• Le capital de connaissances (ensemble d’expériences, de savoirs, et savoirs-faire à leur disposition)
• Le capital social (relations, réseaux). Par exemple, James Watt fréquentait la Lunar Society (amicale
d’entrepreneurs et d’intellectuels anglais). De nos jours, les incubateurs de start-up servent ce rôle en
étant des hubs d’entrepreneurs.
L’émergence d’un entrepreneur (sur un marché) va dépendre : de la situation économique et sociale,
l’existence de mesures politiques favorables, la protection des structures de marché (barrière à l’entrée, acteurs
dominants), la configuration de l’offre (taille des entreprises) et de la demande, l’existence et le niveau de
diffusion des connaissances.
Il y a aussi un mythe du self-made man à partir du début du XXème siècle. Or, les grands entrepreneurs
sont souvent des héritiers sur le plan économique (e.g. Rockfeller)

6.2.2 Les entrepreneurs dans l’Histoire


T. Azzedine et A. Fayolle (L’odyssée d’un concept et les multiples figures de l’entrepreneur, 2009) font l’histoire
du concept d’entrepreneur. Alors que les entrepreneurs ont joué un rôle très importants pendant les deux
premières révolutions industrielles, leur rôle est déconsidéré pendant les Trente Glorieuses, avec la monté en
puissance des grandes firmes. Comme on cherche à routiniser l’innovation, on peut se passer de l’entrepreneur.
Cet effacement est constaté par J. Schumpeter, A. Berle et G. Means, ou encore J.K. Galbraith : propriété
n’est plus synonyme de contrôle de l’entreprise. Le symbole majeur de cette vision est le renvoi de Steve
Jobs par l’entreprise qui l’a lui-même créé : Apple. Cependant, le ralentissement de la croissance à partir des
années 1970 et 1980 a conduit à revaloriser la figure de l’entrepreneur. En effet, on tient pour responsable la
grande firme l’échec de stimuler la croissance et l’innovation face à l’épuisement de la demande. En particulier,
à partir des années 1990, l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC)
a conduit à un boom de start-up. Comme le dit P. Drucker, dans Les entrepreneurs (1985) : L’entrepreneur
est le sauveur du capitalisme . En particulier, la révolution des NTIC a notamment permis de baisser
considérablement le coût pour pouvoir créer une entreprise. Il suffit maintenant parfois de créer un site
internet pour pouvoir dégager un revenu.

6.2.3 L’organisation industrielle à l’ère de l’entreprenariat


Pour D. Audretsch (La société entrepreneuriale, 2007), l’organisation industrielle s’est modifiée sans être
transformée radicalement. Les grandes entreprises se sont maintenues et disposent de beaucoup de moyens.
Cependant, dans certains secteurs, c’est grâce aux petites entreprises qu’il y a eu de l’innovation (de produits
et de procédés principalement). De plus, on assiste à un phénomène de débordement des connaissances :
jamais il n’y a eu autant de connaissances disponibles, mais il n’y a pas forcément assez d’entrepreneurs pour
se les approprier.
En pratique, le comportement des grandes firmes va avoir beaucoup d’influence sur celui des petites. Afin
de se maintenir dans la compétition économique, les grandes firmes rachètent les petites structures novatrices,
et se débarrassent des filiales les moins efficaces. L’objectif d’être racheté par une plus grande firme peut être
la motivation d’une création d’entreprise. De plus, la logique d’externalisation des grandes firmes à partir
des années 1990 a aussi en partie stimulé la création de petites et moyennes entreprises.

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Ainsi, le vrai enjeu pour les start-up aujourd’hui est de parvenir à croı̂tre sans être rachetée par un géant
du numérique par exemple. C’est particulièrement vrai en France où les entreprises ont du mal à atteindre
une taille intermédiaire comme en Allemagne.

6.2.4 Les politiques de l’entreprenariat


L’État peut jouer un rôle dans le développement des entrepreneurs. Au Japon, au moment de l’ère Meiji,
il y a eu la volonté de créer une classe d’entrepreneurs, et des politiques favorables au développement des
entreprises.
Aux Etats-Unis, le Small Business Act (1953) a pour objectif de faciliter l’accès des petites entreprises aux
commandes publiques (avec des quotas), à l’information (par des guichets), et à l’accès aux prêts bancaires
(grâce à des garanties). Il existe aussi un lobby chargé de défendre politiquement les intérêts des petites
entreprises. Le Small Business Innovation Research (1982) oblige les grandes agences fédérales de recherche
américaines à consacrer une partie de leurs financements pour la recherche des PME. En France, il y a une
aide spécifique aux chômeurs créateurs d’entreprise depuis 2003, et le statut d’auto-entrepreneur (2008) qui
permet d’obtenir, entre autres, des avantages fiscaux au moment de créer une entreprise individuelle.

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