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Éditorial

Reçu le :
29 avril 2011
Accepté le :


Syndrome néphrotique idiopathique de

21 mai 2011
Disponible en ligne

l’enfant : de la cortisone au rituximab
29 juin 2011


Idiopathic nephrotic syndrome in children:

From corticosteroids to rituximab

Disponible en ligne sur

G. Deschênes


www.sciencedirect.com Hôpital Robert-Debré, 48, boulevard Sérurier, 75390 Paris cedex 19, France

D
ans le numéro du Journal of Clinical Investigation du John Luetscher a bouleversé le pronostic de la maladie mais il a
mois de décembre 1950, John Luetscher, qui avait apporté une première pierre d’angle à l’idée que le SNI n’était
découvert les substances minéralocorticoı̈des quel- pas une maladie rénale mais une maladie immunitaire dont la
ques années auparavant, rapportait l’effet de la cortisone seule expression clinique est une excrétion massive de protéine
sur le syndrome œdémateux de 11 enfants néphrotiques [1]. dans les urines. L’utilisation progressive des immunosuppres-
Son propos était de limiter l’activité surrénalienne pour réduire seurs cytotoxiques comme les moutardes azotées, des inhibi-
la sécrétion des substances minéralocorticoı̈des et augmenter teurs de l’activation lymphocytaire comme les antagonistes de
l’excrétion urinaire de sodium mais aussi pour réduire la pro- la calcineurine, des inhibiteurs de la prolifération lymphocytaire
téinurie dont l’amélioration après surrénalectomie avait été comme l’acide mycophénolique dans la stratégie de prévention
montrée dans des modèles animaux. Après un traitement de 5 à des rechutes chez les malades corticodépendants a encore
16 j, 6 malades avaient complètement perdu leur syndrome contribué à étayer l’existence d’une dysimmunité [3].
œdémateux au terme d’une crise diurétique et chez 5 d’entre L’origine du désordre immunitaire est encore très incertaine et
eux, la protéinurie avait brutalement décru au-dessous de 1 g/L. pourrait impliquer les cellules souches hématopoiétiques [4,5]
Dans 2 cas, l’amélioration de la protéinurie avait persisté et ainsi expliquer l’ensemble des anomalies qui ont été mises
pendant plusieurs semaines malgré l’arrêt du traitement. en évidence dans les lymphocytes T et B. Le lien entre la
Soixante ans plus tard, la prednisone est toujours le traite- dysimmunité et le dysfonctionnement glomérulaire est
ment universel de la première manifestation du syndrome encore plus difficile à saisir : les lésions sont limitées à un
néphrotique idiopathique (SNI) de l’enfant. Le bénéfice du effacement ultrastructural de l’arborisation podocytaire sans
traitement glucocorticoı̈de est double : infiltration de la structure glomérulaire par des cellules
 la régression rapide la protéinurie en moins de 10 j chez inflammatoires et dans la majorité des cas sans aucun dépôt
70 % des enfants et en moins de 4 semaines chez 90 % permet d’immunoglobulines (Ig) ou de complément. Le lien entre le
de prévenir efficacement toutes les complications du système immunitaire et les modifications morphologiques et
syndrome néphrotique ; fonctionnelles du rein est logiquement un facteur soluble et
 le calibrage de la dose cumulée de prednisone lors de la circulant dans le plasma, capable d’interagir avec une struc-
première poussée (3990 mg/m2 selon la recommandation du ture moléculaire de la paroi de filtration glomérulaire. Le
protocole de la Société de néphrologie pédiatrique) permet de paradoxe est que ce facteur, potentiellement responsable
maintenir 30 % des patients en rémission prolongée 2 ans d’une élévation de la clairance de l’albumine par 1000 ou
après le traitement et limiter significativement le nombre de 10 000 n’a jamais pu être isolé et identifié. La réalité de ce
malades corticodépendants par rapport à des doses infé- facteur repose sur des arguments cliniques quasi expérimen-
rieures, tout en évitant les complications majeures de taux mais qui concernent des situations extrêmes :
l’intoxication stéroı̈dienne chronique [2].  la récidive précoce ou immédiate d’une protéinurie
Aucun autre traitement n’a pu démontrer un bénéfice supé- massive chez les malades corticorésistants qui ont été
rieur depuis 60 ans. Non seulement le résultat rapporté par transplantés avec un rein provenant d’un donneur non-
néphrotique suggère qu’un rein normal peut acquérir la
e-mail :georges.deschenes@rdb.aphp.fr. maladie dans un environnement plasmatique anormal [6] ;

0929-693X/$ - see front matter ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
10.1016/j.arcped.2011.05.019 Archives de Pédiatrie 2011;18:843-845
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G. Deschênes Archives de Pédiatrie 2011;18:843-845

 la disparition très brutale de la protéinurie chez des adsorption du fragment Fc sur des colonnes de protéine A ou
malades non néphrotiques qui ont été transplantés avec un par immuno-adsorption spécifique sur de colonnes de
rein provenant d’un donneur néphrotique mort au cours d’une sépharose substituées par des anticorps anti-Ig humaines [12] ;
poussée de protéinurie massive suggère qu’un rein néphro-  le spectre des maladies glomérulaires associées aux
tique peut complètement récupérer après un temps de gammapathies monoclonales comprend classiquement les
rinçage par un plasma normal [7] ; amyloses (dépôts fibrillaires) et les glomérulonéphrites
 la protéinurie massive et le syndrome néphrotique immunotactoı̈des (dépôts microtubulaires). Une petite série
transitoire des nouveau-nés de mères néphrotiques en de malades néphrotiques avec une albuminurie massive et
poussée de protéinurie au moment de l’accouchement [8]. une pathologie monoclonale à chaı̂ne légère parfaitement
Une hypothèse marginale est que ce facteur pourrait être une identifiée a également été rapportée avec des lésions
chaı̂ne légère d’Ig : les Ig sont des molécules tétramèriques glomérulaires minimes [13]. Les premiers traitements qui
faites de 2 chaı̂nes lourdes et 2 chaı̂nes légères liées par des ont amélioré le pronostic redoutable des gammapathies
ponts disulfures. Elles sont synthétisées et assemblées dans le monoclonales ont également été les glucocorticoı̈des et les
réticulum endoplasmique des lymphocytes B et des plasmo- moutardes azotées ;
cytes. Les chaı̂nes lourdes libres sont normalement retenues  les manifestations allergiques des enfants néphrotiques
dans le reticulum endoplasmique par une chaperonne alors dont les taux circulants d’IgE sont normaux pourraient être
que certaines chaı̂nes légères l et k avec un domaine variable également expliquées par la présence de chaı̂nes légères qui
de conformation particulière sont sécrétées dans le plasma ont la capacité d’activer directement les mastocytes [14].
sous forme soluble. Leur faible poids moléculaire compris Ces différents éléments de la biologie des Ig et de la clinique
entre 25 et 27 kDa et leur point isoélectrique facilite leur des maladies rénales apportent un substrat scientifique
filtration à travers la paroi glomérulaire (approximativement indéniable à l’utilisation des anticorps monoclonaux anti-
20 % de la clairance de la créatinine) et elles sont secondai- lymphocytes B (anti CD20 commercialisés sous la dénomi-
rement récupérées par les cellules tubulaires proximales. nation du RituximabW) dans les formes corticodépendantes
L’équilibre entre la sécrétion lympho-plasmocytaire et l’excré- et dans toutes les formes prolongées du SNI. Ce traitement
tion urinaire des chaı̂nes légères génère une concentration se traduit pas une disparition complète mais transitoire
plasmatique comprise entre 5 et 25 mg/L. Leur rôle physiolo- pendant quelques mois des lymphocytes B circulants. Son
gique est inconnu mais elles peuvent interagir de façon non intérêt a été démontré de façon fortuite en 2004 et les
spécifique avec toutes les autres molécules de la superfamille publications confirmant son efficacité dans le SNI se sont
des Ig dont plusieurs molécules du diaphragme de fente font succédées à un rythme soutenu jusqu’en 2010. Plusieurs
partie. Elles peuvent aussi reconnaı̂tre des antigènes étroite- publications montrent que ce traitement a la capacité
ment spécifiques par le domaine hypervariable de leur épi- d’interrompre la maladie de façon prolongée (sinon défini-
tope. En revanche, elles n’ont pas la capacité d’« armer » une tive) au-delà de la réapparition des lymphocytes B circulants
réaction inflammatoire en l’absence de fragment Fc. chez 2/3 des malades corticodépendants [15,16]. Le Rituxi-
L’ensemble de ces propriétés leur confère un attrait certain mabW apparaı̂t de plus en plus comme le traitement que les
comme molécule-candidate pour jouer le rôle du facteur de néphrologues attendaient depuis longtemps pour prévenir
perméabilité glomérulaire tant recherché [9]. l’évolution prolongée, parfois jusqu’à l’âge adulte, des
Plusieurs faits cliniques peuvent étayer cette hypothèse qui enfants néphrotiques.
rapprocherait le SNI des maladies auto-immunes :
 le métabolisme des IgG est perturbé chez les malades
néphrotiques non seulement en rechute quand les malades Déclaration d’intérêts
perdent dans les urines des quantités considérables de
protéines plasmatiques circulantes mais aussi en rémission. L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation
Le niveau des IgG reste anormalement bas en rémission, avec cet article.
même plus de 6 ans après la dernière rechute, évoquant une
altération de la régulation de leur synthèse. Parallèlement la
quantité de lymphocytes B circulants est abaissée chez les
Références
enfants néphrotiques en rémission [5,10] ; [1] Luetscher JA, Deming QB. Treatment of nephrosis with corti-
 l’immunofluorescence permet de mettre en évidence un sone. J Clin Invest 1950;29:1576–87.
marquage des Ig dans la moitié des biopsies rénales d’enfant [2] Bérard E, Broyer M, Dehennault M, et al. Corticosensitive
néphrotiques et plus particulièrement d’IgM sans que le nephrotic syndrome (or nephrosis) in children. Therapeutic
guideline proposed by the Pediatric Society of Nephrology.
pronostic soit modifié par cette constatation [11] ;
Nephrol Ther 2005;1:150–6.
 la déplétion en Ig et en chaı̂nes d’Ig des malades en rechute
[3] Frange P, Frey MA, Deschênes G. Immunité cellulaire et traite-
après greffe rénale est associée à une diminution importante de ment immunosuppresseur du syndrome néphrotique idio-
la protéinurie quelle que soit la technique employée, par pathique corticosensible. Arch Pediatr 2005;12:305–15.

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Syndrome néphrotique idiopathique de l’enfant : de la cortisone au rituximab

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