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Explication

linéaire n°5

Le Mariage de Figaro, Beaumarchais

Acte V scène 3 de « Non, monsieur le Comte » à « me fussè-je mis une pierre au cou ! »

INTRODUCTION : En 1775, l’audacieuse gaieté de Figaro est au cœur du Barbier de Séville,


premier volet de la trilogie de Beaumarchais. Il faudra attendre six ans avant d’avoir la suite La
Folle Journée ou le Mariage de Figaro. Cette comédie se caractérise par la complexité de l’intrigue
avec néanmoins un fil conducteur, le mariage de Figaro et de Suzanne. Au dernier acte Figaro
pense que Suzanne va le tromper avec le Comte, à qui elle a donné un rendez-vous « à la brune,
sous les grands marronniers ». Il s’y rend pour les surprendre et avant leur arrivée, se livre à un
des plus longs monologues du théâtre français qui s’avère être une satire violente de la société
française de l’ancien régime, et en particulier des inégalités entre les classes sociales.

Lecture de l’extrait

! Problématique : Comment Figaro, ici porte-parole de Beaumarchais, se livre-t-il à une


réflexion à la fois profonde et touchante sur les injustices liées aux privilèges des
nobles ?

Annonce de la démarche

Les mouvements :

! Comparaison entre la situation et le caractère du Comte, et celui de Figaro. Critique de la


noblesse. « Non, monsieur le Comte (…) vous voulez jouter ! ».
! Retour à la situation du personnage et à sa souffrance. « On vient (…) qu’à moitié !».
! Récapitulatif de la vie du personnage par lui-même. « Est-il rien (…) une pierre au cou ».


« Non, Monsieur le Comte, ! Adresse directe au - Se place comme un adversaire
vous ne l’aurez pas… Vous Comte (absent). d’égal à égal en interpellant le Comte.
ne l’aurez pas. » ! Emploi du titre. Marque son désir de limiter le
! Répétition et négation. pouvoir du Comte (négation).

- Répétition qui marque une certaine


souffrance du personnage amoureux.

« Parce que vous êtes un ! Phrase exclamative - Emotion de colère de Figaro.


grand seigneur, vous vous ! Parallélisme « grand
- Refus de l’équivalence « grand
croyez un grand génie !... » seigneur » et « grand
seigneur » (naissance), « grand
génie ».
génie » (mérite) marqué par le
! Vous : le Comte ou
« croyez ». Révolte face à la morgue
toute l’aristocratie.
des aristocrates.

« Noblesse, fortune, un ! Enumération - Enumère les avantages des gens


rang, des places : tout cela ! Phrase exclamative nés en haut. « fier » : se croient plus
rend si fier ! » ! Si, insistance ironique. qu’ils ne sont.

« Qu’avez-vous fait pour ! Question rhétorique - Pose la question de la justice de


tant de biens ? Vous vous ! La peine de naître : cette société : ceux qui ont des
êtes donné la peine de ironie, ce n’est pas une biens ou des privilèges ne l’ont pas
naître, et rien de plus ; » peine de naître pour un mérité. Question des philosophes
enfant. des Lumières, annonce la
Révolution.

« Du reste, homme assez ! Formule rapide, - Jugement sur le Comte qui le


ordinaire ! » exclamation. ramène à la médiocrité. Contraste
entre sa valeur d’ « homme » et tout
ce qu’il a.

« Tandis que moi, ! Opposition - Comparaison avec Figaro lui-


morbleu ! perdu dans la ! Juron même qui souligne que rien ne lui a
foule obscure, il m’a fallu ! Phrase longue été donné : pour simplement
plus de science et de ! Hyperbole gagner sa vie, il lui a fallu une
calculs pour subsister intelligence extraordinaire
seulement, qu’on n’en a (soulignée par l’hyperbole).
mis depuis cent ans, pour Critique qui va se développer par la
gouverner toutes les suite d’une société qui rend tout
Espagnes ; » difficile aux gens simples.

« Et vous voulez jouter ! » ! Exclamation, prise à - Souligne l’absence de qualités de


partie du comte, la noblesse incapable de rivaliser
métaphore du combat avec un roturier. Colère.
chevaleresque.
- Comique car « jouter » est
normalement le privilège des
nobles.

« On vient… C’est elle…ce ! « on » : indéfini - Retour à la réalité de la situation,


n’est personne. » ! Hésitations et à l’obsession de Suzanne. Amour
souffrant.

« La nuit est noire en ! hyperbole - Retour à la situation.


diable, »

« Et me voilà faisant le sot ! Exclamation - Rappel de la situation et de sa


métier de mari, quoique je ! Jugement « sot » souffrance. Jalousie, se juge lui-
ne le sois qu’à moitié ! » ! Opposition « mari » et même. Côté pathétique et touchant.
« à moitié ».

« (Il s’assied sur un ! didascalie - Montre une certaine agitation.


banc) »

« Est-il rien de plus ! Exclamation - Amorce le récit de sa vie qui va


bizarre que ma ! Jugement « bizarre », suivre en émoustillant la curiosité
destinée ! » hyperbole. du spectateur. « destinée » mot
noble.

« Fils de je ne sais pas qui ; ! Rapidité et action du - Thème romanesque de l’enfant


volé par des bandits ! récit. trouvé, élevé par des brigands, et
Elevé dans leurs mœurs, je ! Présent de narration. qui a bon fond.
m’en dégoûte et je veux ! Exclamations
- Le « partout » montre qu’il est
courir une carrière ! Partout antéposé. impossible de faire une carrière
honnête ; et partout je suis honnête quand on n’a pas de

repoussé ! » parents : satire de la société.

« J’apprends la chimie, la ! Enumération - Montre l’ardeur au travail et les


pharmacie, la chirurgie ; » capacités intellectuelles de Figaro.

« Et tout le crédit d’un ! Antithèse « tout » « à - Opposition entre longueur et


grand seigneur peut à peine » difficultés des études et le résultat.
peine me mettre à la main ! Exclamation
- Passage obligé par « grand
une lancette
seigneur », le mérite ne suffit pas :
vétérinaire ! »
satire de la société.

« Las d’attrister des bêtes ! Opposition soulignée - Diversité de ressources dont


malades, et pour faire un entre « attrister des témoigne Figaro, et de son énergie,
métier contraire, je me bêtes malades » pour aboutir toujours à un échec.
jette à corps perdu dans le « théâtre » « à corps Ici reflet de Beaumarchais, auteur
théâtre ; » perdu ». de théâtre, entre autres.

- Effet comique : le théâtre est


l’inverse d’attrister des bêtes
malades : il est de réjouir des bêtes
en bonne santé ?

« Me fussè-je mis une ! Exclamation, - Annonce d’autres déboires.


pierre au cou ! » hyperbole.

CONCLUSION : Cet extrait du monologue de Figaro est donc une satire du fonctionnement de la
société française où il faut être bien né pour réussir : démonstration par l’exemple que le mérite
ne suffit pas pour faire carrière. Un homme du peuple très méritant échoue ; un noble médiocre
et très ordinaire a tout et réussit. Figaro montre à la fois dans cet extrait sa lucidité et son art de
la formule. Le valet montre ici une capacité de réflexion et d’analyse qui en fait le porte-parole
de Beaumarchais et des philosophes des Lumières, son intelligence dépasse le bon sens des
valets de Molière (qui s’appliquent à donner de bons conseils à leurs maîtres) et la finesse des
valets de Marivaux, qui sont lucides sur une situation précise, mais pas sur un système politique.
Parallèlement le personnage laisse transparaître de la souffrance dans ses allusions à Suzanne :
le valet souffre pour des raisons nobles (l’amour) comme les maîtres, ce qui est une évolution
majeure de son rôle traditionnel et annonce qu’il est vraiment un homme comme les autres.

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