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Séance : analyse linéaire

Objectifs :
1) La satire sociale et la dénonciation des injustices sociales.
2) Une réflexion sur les conditions de vie précaires de l’écrivain au XVIIIème siècle.
Support : Acte V, 3 de « Las d’attrister des bêtes malades » à « me voilà derechef sans emploi », Le
Mariage de Figaro, 1784.

Acte V, scène 3

FIGARO [ … ] Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! … Noblesse,
fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous
êtes donné la peine de naître, et rien de plus […] Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ! Fils de je
ne sais pas qui ; volé par des bandits ; élevé dans leurs mœurs, je m'en dégoûte et veux courir une
carrière honnête ; et partout je suis repoussé ! J'apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie, et
tout le crédit d'un grand seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire ! – Las
d'attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le
théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou ! [ ... ] (Il se lève) Que je voudrais bien tenir un de ces
puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu'ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son
orgueil ! Je lui dirais... que les sottises imprimées n'ont d'importance qu'aux lieux où l'on en gêne le
cours ; que, sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ; et qu'il n'y a que les petits
hommes qui redoutent les petits écrits. (Il se rassied.) Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me
met un jour dans la rue ; et comme il faut dîner, quoiqu'on ne soit plus en prison, je taille encore ma
plume, et demande à chacun de quoi il est question : on me dit que, pendant ma retraite
économique, il s'est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui
s'étend même à celles de la presse ; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l'autorité, ni
du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra,
ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement,
sous l'inspection de deux ou trois censeurs.

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Introduction :

Le texte que nous allons étudier est un extrait du célèbre monologue de Figaro, issu de l’acte V,
scène 3 du Mariage de Figaro écrit par Beaumarchais en 1784. Le titre de cette comédie apporte
immédiatement le thème de l’intrigue en jeu, il s’agit d’exposer au spectateur un jour fondamental
de la vie du valet Figaro : son mariage avec Suzanne, sur laquelle son maître, le comte Almaviva,
entend exercer son droit de cuissage, malgré la promesse faite à Figaro de ne pas exercer ce
privilège. Dans cette scène, Figaro, qui a intercepté un billet fixant un rendez-vous entre le comte et
Suzanne, croit à la trahison de sa bien-aimée. Il laisse alors éclater sa jalousie, son chagrin, mais
surtout sa colère dans un long monologue.

Cette longue réflexion de Figaro permet à Beaumarchais de dénoncer les injustices sociales de son
temps, et est également l’occasion d’une vive critique de l’absence de toute liberté d’expression due
à la Censure qui reste très présente au XVIIIe siècle.

Nous montrerons comment Beaumarchais fait du valet Figaro un porte-parole qui dénonce les
injustices de son temps ==) Lecture du texte.

Annonce des 3 mouvements de l’extrait.


1er mouvement : Début de l’extrait à «me fussé-je mis une pierre au cou ! » : indignation et colère
de Figaro contre les privilèges liés à la noblesse

Parce que vous êtes un grand seigneur, Phrases exclamatives Les phrases exclamatives révèlent
vous vous croyez un grand génie ! … l’indignation et la colère de Figaro contre
Noblesse, fortune, un rang, des places, les privilèges injustes des nobles.
tout cela rend si fier !
Aposiopèses (points de Les aposiopèses dans le discours de
suspension tout au long du Figaro, marquées par des points de
monologue) suspension, expriment son émotion et sa
nervosité.

« il se lève » / « il se rassied » Didascalies Les mouvements du personnage rélèvent


également sa nervosité, renforçant ainsi
son émotion.
Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Question rhétorique Figaro met en évidence l’opposition
Vous vous êtes donné la peine de naître, flagrante entre les conditions de vie des
et rien de plus nobles et celles du peuple, en répondant à
une question rhétorique par l’adverbe
Adverbe « rien » « rien ». Cela révèle que les uns ont
bénéficié de privilèges de naissance,
tandis que les autres ont dû lutter sans
cesse pour survivre.
Vétérinaire + Las d'attrister des bêtes La diversité des métiers exercés par
malades Figaro, tels que vétérinaire, pharmacien,
dramaturge et journaliste, souligne les
je me jette à corps perdu dans le théâtre défis auxquels un homme du peuple doit
faire face pour acquérir une position
je le nomme Journal inutile. sociale et économique, n’ayant pas eu la
chance d’être bien né. Cela met en
lumière l’énergie avec laquelle Figaro a dû
lutter pour subsister.
volé par des bandits ; élevé dans leurs Pourtant Figaro méritait de réussir. Car
mœurs, je m'en dégoûte et veux courir malgré son passé auprès de bandits, il
une carrière honnête refuse de suivre la voie du vol et préfère
travailler honnêtement pour gagner sa
vie, démontrant ainsi sa bonne nature et
ses valeurs morales.

J’apprends la chimie, la pharmacie, la Enumération + asyndète Figaro démontre son intelligence à travers
chirurgie (présence de virgules au lieu ses études, où il excelle. La brièveté et la
de conjonctions de rapidité de la phrase, résultant de
coordination) l’absence de conjonctions et de
l’accumulation, mettent en évidence sa
facilité d’apprentissage et ses capacités
intellectuelles.

Enfin l’hyperbole exprime toute la


je me jette à corps perdu dans le théâtre Hyperbole motivation du personnage à réussir dans
la vie.
et comme il faut dîner Figaro a dû batailler pour sa survie et pour
répondre à ses besoins, tandis que le
comte est né dans l’opulence.
Le champ lexical de l’argent souligne
fortune, un rang, des places / tant de l’injustice et la disparité des richesses
biens entre la noblesse et le peuple.
Deuxième mouvement : de « il se lève » à « qui redoutent les petits écrits » : l’adresse de Figaro
aux puissants de ce monde.

Que je voudrais bien tenir un de ces Figaro présente un discours argumentatif


puissants de quatre jours dans lequel il s’adresse à un interlocuteur
fictif, potentiellement un censeur ou un
puissant perturbé par ses écrits.

Figaro aborde la difficulté d’être écrivain


Je lui dirais... que les sottises imprimées 3 propositions subordonnées dans une société dans laquelle on ne peut
n'ont d'importance qu'aux lieux où l'on en complétives (introduites par exprimer librement ses pensées. Il défend
gêne le cours ; que, sans la liberté de « que ») + présent de vérité alors la liberté d’expression et lance une
blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ; et générale pique aux puissants de ce monde qui se
qu'il n'y a que les petits hommes qui Antithèse entre « éloge » et sentent visés par les écrits des auteurs.
redoutent les petits écrits. « blâmer »
Répétition de « petits » L’antithèse entre « éloge et blâmer » met
en lumière l’importance de l’expression
libre sans censure, tandis que la répétition
de « petits » souligne la restriction
d’esprit des censeurs.

Troisième mouvement : de « il se rassied » à la fin de l’extrait : nouvelle critique de la censure


comme atteinte à la liberté d’expression.

Las de nourrir un obscur pensionnaire / Périphrases désignant la prison Figaro ironise sur son séjour en prison pour
pendant ma retraite économique / le prisonnier + ironie avoir déplu à un puissant par ses écrits,
utilisant des périphrases sarcastiques pour
décrire sa situation.

on me met un jour dans la rue ; et comme Subordonnée conjonctive Après sa libération de prison, Figaro se
il faut dîner circonstancielle de cause retrouve confronté à la nécessite de gagner
/ je taille encore ma plume (« comme il faut diner ») de l’argent pour survivre. Sans alternative, il
décide de se tourner vers le journalisme
pour répondre à ses besoins financières.
pourvu que je ne parle en mes écrits ni de Accumulation + répétition de L’accumulation de nombreux sujets
l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni l’adverbe « ni » interdits, montre que la censure règne et
de la morale, ni des gens en place, ni des qu’on ne peut finalement parler de rien en
corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des France à cette époque (absence de liberté
autres spectacles, ni de personne qui d’expression)
tienne à quelque chose

je puis tout imprimer librement, sous Antithèse « librement » / L’ironie amère de Figaro est perceptible à
l'inspection de deux ou trois censeurs. « censeurs » travers l’antithèse entre « librement » et
« censeurs ».
Beaumarchais, à travers le personnage de
Figaro sensibilise le public à la précarité du
statut d’écrivain : celui-ci n’est pas libre
d’écrire et d’exprimer ses pensées sans être
inquiété.

Conclusion :
Ce monologue de Figaro constitue un extraordinaire règlement de comptes avec la société du
XVIIIème siècle car il reprend les grands combats menés tout au long du siècle des Lumières par les
philosophes et les Encyclopédistes : les atteintes à la liberté d'expression et de penser sont ici
dénoncées, ainsi que les injustices et les inégalités sociales d’une société qui ne reconnaît que le nom
et la naissance au détriment du mérite personnel.

Ouverture possible : comparaison avec le valet Arlequin et sa révolte face à la tyrannie de son maître
Iphicrate.

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