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2 : Analyse linéaire
Objectif : Comment la scène d’exposition met-elle en scène les relations complexes entre un
valet et son maître ?
Support : Scène 1, de « IPHICRATE, retenant sa colère. − Mais je ne te comprends point, mon
cher Arlequin. » à « car je ne t'obéis plus, prends-y garde. »
Arlequin et son maître Iphicrate viennent de faire naufrage sur une île gouvernée par des
esclaves révoltés. Inquiet, Iphicrate ordonne à Arlequin d’explorer l’île pour trouver d’autres
naufragés. Le valet, ivre et gagné par le souffle de liberté qui anime les lieux, refuse d’aider
son maître.
IPHICRATE, retenant sa colère. − Mais je ne te comprends point, mon cher Arlequin.
ARLEQUIN. − Mon cher patron, vos compliments me charment ; vous avez coutume de m'en
faire à coups de gourdin qui ne valent pas ceux-là ; et le gourdin est dans la chaloupe.
IPHICRATE. − Eh ne sais-tu pas que je t'aime ?
ARLEQUIN. − Oui ; mais les marques de votre amitié tombent toujours sur mes épaules, et
cela est mal placé. Ainsi, tenez, pour ce qui est de nos gens, que le ciel les bénisse ! s'ils sont
morts, en voilà pour longtemps ; s'ils sont en vie, cela se passera, et je m'en goberge.1
IPHICRATE, un peu ému. − Mais j'ai besoin d'eux, moi.
ARLEQUIN, indifféremment. − Oh ! cela se peut bien, chacun a ses affaires : que je ne vous
dérange pas !
IPHICRATE. − Esclave insolent !
ARLEQUIN, riant. − Ah ! ah ! vous parlez la langue d'Athènes ; mauvais jargon que je
n'entends plus.
IPHICRATE. − Méconnais-tu ton maître, et n'es-tu plus mon esclave ?
ARLEQUIN, se reculant d'un air sérieux. − Je l'ai été, je le confesse à ta honte, mais va, je te le
pardonne ; les hommes ne valent rien. Dans le pays d'Athènes, j'étais ton esclave ; tu me
traitais comme un pauvre animal, et tu disais que cela était juste, parce que tu étais le plus
fort. Eh bien ! Iphicrate, tu vas trouver ici plus fort que toi ; on va te faire esclave à ton tour ;
on te dira aussi que cela est juste, et nous verrons ce que tu penseras de cette justice-là ; tu
m'en diras ton sentiment, je t'attends là. Quand tu auras souffert, tu seras plus raisonnable ;
tu sauras mieux ce qu'il est permis de faire souffrir aux autres. Tout en irait mieux dans le
monde, si ceux qui te ressemblent recevaient la même leçon que toi. Adieu, mon ami ; je
vais trouver mes camarades et tes maîtres. Il s'éloigne.
IPHICRATE, s, courant après lui, l'épée à la main. − Juste ciel ! peut-on être plus malheureux
et plus outragé que je le suis ? Misérable ! tu ne mérites pas de vivre.
ARLEQUIN. − Doucement ; tes forces sont bien diminuées, car je ne t'obéis plus, prends-y
garde.
1. Se goberger : se moquer
Introduction
[L’Île des esclaves paraît en 1725, au XVIIIe siècle, siècle des philosophes des Lumières. Cette pièce est
une comédie qui se présente sous la forme d’une utopie : Les deux personnages arrivent sur une île
imaginaire, l’île des esclaves, où les rôles sont renversés, les esclaves deviennent les maîtres et les
maîtres les esclaves. Cette île qui n’existe pas va permettre au dramaturge d’exprimer ses idées
parfois subversives sans risquer la censure puisque le lieu, les personnages et les situations évoquées
ne renvoient à aucun référent connu et identifiable.]
Le texte étudié est extrait de la scène d’exposition. Nous étudierons la mise en place progressive de
l’inversion des rôles maître/valet et sa portée critique.
Le premier mouvement du texte de « Mais je ne te comprends point, mon cher Arlequin… » jusqu’à
« Esclave insolent ! » montre la naissance de la révolte d’Arlequin. Le deuxième mouvement du texte
s’apparente à une revendication de liberté du valet qui décide d’obéir aux lois de l’île et de
s’affranchir de son statut de valet : de « ARLEQUIN, riant. − Ah ! ah ! vous parlez la langue
d'Athènes » jusqu’à « prends-y garde ».
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Mouvements :
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« Eh ne sais-tu pas que je Phrase interrogative La phrase interrogative exprime la supplique d’Iphicrate qui
t'aime ? » souhaite obtenir l’aide d’Arlequin, en éveillant sa compassion.
Faisant preuve d’hypocrisie, Iphicrate se montre étonnamment
gentil et poli envers Arlequin, n’hésitant pas à affirmer qu’il
éprouve des sentiments forts d’amitié envers son valet, alors qu’il
ne le considérait jusque-là que comme un larbin qui devait lui
être totalement soumis.
« vos compliments me Ironie Arlequin a bien compris la raison qui pousse son maître à se
charment » montrer si gentil avec lui et ne tombe pas dans la mystification
d’Iphicrate. Il connaît trop bien le caractère de celui-ci pour croire
une seconde à ses paroles doucereuses, et n’hésite pas à se
moquer de ce brusque accès de politesse.
« mon patron » + Pronoms personnels La relation dominant-dominé reste d’ailleurs perceptible à
« vous » / « Arlequin » + de la 2ème personne du travers l’emploi des pronoms personnels : Arlequin est le
« tu » singulier et du pluriel serviteur d’Iphicrate puisqu’il le désigne par le rapport de
subordination qui le lie à son maître, et utilise le vouvoiement de
politesse, contrairement à Iphicrate qui le tutoie.
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2ème mouvement : Lignes 12 à la fin de l’extrait : Une revendication de liberté.
« se recul[e] d’un air Didascalie + Le fait qu’il se recule montre qu’Arlequin prend de la distance vis-
sérieux ». Longue tirade à-vis de son maître, qu’il se libère de lui.
d’Arlequin
La tonalité change. Arlequin cesse d’être comique. Le ton se fait
« sérieux ». Il monopolise la parole et prend définitivement le
dessus sur Iphicrate.
« souffert », « souffrir » Répétition Le verbe « souffrir » est répété pour souligner tout ce qu’a
enduré Arlequin, et l’injustice de la condition d’esclave.
« j’étais ton esclave » / Imparfait de l’indicatif / L’opposition des temps verbaux du passé et du présent et du
« je ne t’obéis plus » / Présent de l’indicatif / futur marquent la fin de l’asservissement pour Arlequin qui n’est
« tu vas trouver », « on futur plus dorénavant l’esclave d’Iphicrate, et qui se réjouit d’avance
va te faire esclave », que son maître devienne dans un futur proche esclave à son tour.
« nous verrons », « tu Il se réjouit de la bonne « leçon » de vie qui lui sera infligée.
m’en diras ».
Conclusion :
Cette scène d’exposition qui oppose Iphicrate à Arlequin est forte en intensité car elle joue sur
plusieurs tonalités. Le comique est présent avec l’ivresse et les insolences d’Arlequin mais, peu à peu,
le valet devient sérieux et se fait le défenseur des esclaves.
La leçon donnée est donc politique. De façon symbolique, le naufrage des personnages annonce le
naufrage de l’ancien ordre social et le renversement des conditions.
Cette scène fait ainsi réfléchir le spectateur sur l’injustice d’une société où les puissants assujettissent
les faibles, ceux qui ne sont pas de naissance noble.