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THEME n° 3

Apprentissage de la lecture d'un arrêt de Cour de cassation


Méthodologie de la fiche d’arrêt

- Chronique de Jacques Voulet, « L'interprétation des arrêts de la Cour de cassation », JCP 1970, I,
2305.
- Lecture complémentaire (non reproduite) : Fiche méthodologique publiée par la Cour de cassation
sur « L’interprétation et la portée des arrêts de la Cour de cassation en matière civile », parue au
Bulletin d'information de la Cour de cassation (BICC) n° 661 du 15 mai 2007, disponible sur
Internet à l'adresse suivante : http://www.courdecassation.fr/IMG/pdf/Bicc_661-2.pdf

Vocabulaire :

- Action en justice : pouvoir reconnu aux sujets de droit (personnes physiques et personnes
morales) de s'adresser à un juge pour obtenir le respect de leurs droits ou de leurs intérêts légitimes,
y compris en discutant du bien-fondé de la prétention émise.

- Assignation : pour un justiciable (le demandeur/l’appelant), acte d’inviter son adversaire (le
défendeur/l’intimé), par acte d'huissier de justice, à comparaître devant une juridiction. (comp.
: « attraire en justice », « agir en justice »).

- Demandeur (demanderesse) : personne qui prend l'initiative du procès.

- Défendeur (défenderesse) : personne contre laquelle un procès est engagé par le demandeur.
Devant la Cour d'Appel, le demandeur est dénommé : « appelant » et le défendeur : « intimé ».

- Parties ou plaideurs : personnes impliquées dans un procès.

- Attendu / Considérant : nom donné à chaque paragraphe d'une décision.

- Fin de non-recevoir : moyen de défense permettant à un plaideur de soutenir que son adversaire
n'a pas d'action et que sa demande est irrecevable faute d'intérêt à agir, faute de qualité à agir, à
raison d’une prescription, à raison d’une forclusion ... Il n'y a pas d'examen au fond.

- Irrecevabilité : sanction d’une demande formulée sans respecter une prescription légale
(conditions de fond, de forme, forclusion...), se manifestant par le refus du juge de l’examiner.

- Jugement : décision rendue par une juridiction du 1er degré (tribunal administratif, tribunal
judiciaire, tribunal de commerce, …).

- Débouter : décider que la demande est mal fondée et rejeter les prétentions du demandeur. Le
tribunal « déboute ».

- Appel : voie de recours de droit commun visant à la réformation (infirmation totale ou partielle)
ou à l'annulation d'une décision. Ce mécanisme permet de porter un même litige devant une
juridiction de degré supérieur (cour d'appel) ou devant la même juridiction autrement composée
(appel des décisions rendues en premier ressort par les cours d'assises). Il est dit que l’appelant
« interjette appel ».

- Arrêt : décision rendue par une Cour (Cour d'appel, Cour de cassation), par une cour
administrative d'appel ou par le Conseil d’État.

-9-
- Arrêt confirmatif : arrêt d'une cour d'appel confirmant le jugement d'une juridiction du 1er degré.
Arrêt d’une Cour d’appel qui maintient le jugement attaqué : la Cour d'appel « confirme » le
jugement précédent (donne raison aux juges du premier degré).

- Arrêt infirmatif : arrêt d'une cour d'appel qui rend une décision contraire à celle rendue par une
juridiction du 1er degré. Arrêt d’une Cour d’appel qui réforme ou annule le jugement attaqué. La
Cour d’appel « infirme ».

- Juges du fond : juges des 1er et 2ème degré de juridiction (tribunaux, Cours d'appel).

- Pourvoi : recours adressé à la Cour de cassation ou au Conseil d’État contre une décision de
justice rendue en dernier ressort. Une (ou des) partie(s) au litige « forme(nt) » un pourvoi en
cassation : « former un pourvoi »

- Un mémoire : document contenant les conclusions, devant la Cour de cassation ou le Conseil


d’État (un mémoire ampliatif, un mémoire en défense, un avocat aux Conseils).

- La Cour de cassation « rejette » le pourvoi (donne raison à la cour d'appel) ou « casse » la


décision antérieure.

- Arrêt de rejet : arrêt de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi et, donc, approuve la décision
précédemment rendue.

- Arrêt de cassation : arrêt de la Cour de cassation qui accepte le pourvoi, casse (= annule) la
décision précédemment rendue et renvoie l'affaire devant une juridiction de même nature, de même
degré, que celle qui a précédemment statué. Formules utilisées aussi : la Cour de cassation
« censure l’arrêt d’appel » : elle rend un « arrêt de censure ». Dans un arrêt de censure ou de
cassation, il faut noter la présence d’un visa.

- Visa : « signalement » dans une décision du ou des textes qui sont pris en considération par la
Cour de cassation pour prendre sa décision. Texte(s) de loi interprété(s) par le juge et qui constitue
le fondement de la décision.

- Renvoi : décision par laquelle une nouvelle juridiction du fond va être désignée pour connaître
d'un litige. Un arrêt de cassation mentionnant un renvoi va imposer un examen du litige par une
autre juridiction de même nature et degré que celle qui a rendu la décision censurée.

- Faire grief : reprocher. C'est le motif de la critique adressée à une décision (Attendu qu'il est fait
grief à l'arrêt ( ... )).
Un « grief » c’est aussi un terme utilisé pour traiter du préjudice subi par une des parties au procès
en raison de l’irrégularité formelle d'un acte de procédure. Celui qui s'en plaint peut ainsi solliciter
la nullité de cet acte.

- Moyen : argument de droit par lequel l'auteur d'un pourvoi en cassation critique la décision
contestée. Il peut y avoir plusieurs moyens ; chaque moyen peut lui-même être divisé en branches.

- Les branches : les subdivisions d'un moyen.

- Assemblée plénière : formation plénière de la Cour de cassation comprenant un total de dix-neuf


membres : le Premier président, les six présidents de Chambres, les six doyens de Chambres
(conseiller le plus ancien dans l'ordre des nominations) ainsi qu'un conseiller de chacune des six
chambres. Elle intervient obligatoirement lorsqu'un second pourvoi est fondé sur les mêmes
moyens que le premier. (Pour des exemples d’arrêts d’assemblée plénière, V. en annexe).

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Bulletin d’information de la Cour de cassation (BICC), n° 702, du 15 mai 2009 :

Communications
Fiche méthodologique en matière civile

Comprendre un arrêt de la Cour de cassation rendu en matière civile


Par Jean-François Weber,
président de chambre à la Cour de cassation (m.a.s.)
Depuis la création du Tribunal de cassation, en 1790, des générations de conseillers à la Cour de cassation ont affiné une
technique de rédaction des arrêts très sophistiquée, dont les principales caractéristiques sont la concision, la précision
terminologique et la rigueur logique.

Les progrès de l’informatique permettent désormais de rendre accessibles, dans les bases de données, les rapports objectifs
du conseiller rapporteur, qui posent la problématique du pourvoi, ainsi que les conclusions des avocats généraux dans les
affaires publiées au Bulletin de la Cour. Ensuite, les moyens des pourvois auxquels répondent les arrêts, qui n’étaient publiés
que dans les arrêts de rejet car ils font alors partie intégrante de l’arrêt, sont, depuis décembre 2008, accessibles sur Jurinet
lorsqu’ils sont annexés à la décision1. A travers le développement des sites intranet et internet de la Cour de cassation, de très
nombreux documents relatifs aux arrêts rendus sont désormais accessibles en ligne.

Dans le souci de faciliter encore davantage la lecture et la compréhension des arrêts de la Cour, il est apparu utile de diffuser
la présente note méthodologique contenant un certain nombre de précisions techniques sur la rédaction des arrêts, et qui a
pour objet d’attirer l’attention des lecteurs sur la spécificité́ formelle des arrêts de la Cour de cassation. Cette nouvelle fiche,
comme la fiche déjà̀ diffusée sous le titre « Interprétation et portée des arrêts de la cour de cassation en matière civile », a
pour ambition de contribuer au dialogue nécessaire entre la Cour de cassation et les juridictions du fond. La version
électronique de cette fiche permet d’accéder directement à la plupart des arrêts cités.

Les difficultés de compréhension des arrêts

Les interrogations sur le sens des arrêts de la Cour de cassation

L’interprétation de ses arrêts suscite des questions et parfois des critiques, engendre des faux sens ou des hésitations.

Il est d’abord malaisé pour un justiciable de comprendre que la Cour :

- ne re-juge pas l’affaire, mais juge la conformité́ de la décision attaquée aux règles de droit (article 604 du code de procédure
civile) ;

- n’apprécie pas le fait, mais dit le droit.

Les avocats eux-mêmes ne commettent-ils pas parfois le contresens consistant à lire le moyen au lieu de retenir la réponse de
la Cour ? Combien d’arrêts sont invoqués, de plus ou moins bonne foi, dans des conclusions, comme des arrêts de principe,
alors qu’ils ne sont que des arrêts sans aucune portée normative en raison de l’appréciation souveraine des juges du fond ?
La mise en ligne par Légifrance de l’intégralité des arrêts a décuplé la fréquence de ce type d’affirmation.

Quant aux interprétations doctrinales, elles font parfois découvrir aux chambres de la Cour des innovations ou des
revirements que celles-ci n’avaient ni envisagés ni effectués.

De leur côté, les juges du fond s’interrogent souvent sur le sens d’un arrêt censurant leur décision, sur l’interprétation d’un
précédent jurisprudentiel ou sur la portée d’une décision. Ainsi peut-on se leurrer sur un rejet d’apparence satisfaisant pour
le juge du fond, qui constitue en fait un sauvetage de sa décision, par exemple grâce aux motifs présumés adoptés des
premiers juges. Inversement, nous savons bien que sont mal reçues certaines cassations pour défaut de réponse aux
conclusions : n’est-ce pas en effet un grief difficile à accepter par le juge d’appel qui s’est trouvé, dans un litige de droit
immobilier, devant une douzaine d’intimés, des actions en garantie, des appels incidents ou provoqués, conduisant à de très
nombreuses conclusions interminables, enchevêtrées et touffues ?

Pourtant, tous les magistrats du fond qui viennent en stage à la Cour de cassation se rendent bien compte que, même si le
taux de cassation en matière civile est de l’ordre de 30 % des pourvois, les magistrats de la Cour n’éprouvent aucun plaisir à
casser un arrêt. Mais, sauf à renoncer à sa mission propre, la Cour ne peut que casser lorsque la loi est claire et que les
circonstances de fait souverainement relevées par les juges du fond ne lui laissent aucune marge d’appréciation.

1
C’est-à -dire, pour les arrêts de cassation, pour les arrêts de rejet pour lesquels la Cour se contente de répondre au moyen si elle estime que
la solution s’impose à l’évidence, et même pour les décisions de non-admission.

- 11 -
Analyse des difficultés de compréhension des arrêts

Ces difficultés ont, pour l’essentiel, deux sortes de causes, relevant :

a) de la logique juridique des arrêts ;


b) de la politique et de la pratique judiciaire.

a) La logique juridique des arrêts

Si les arrêts de la Cour sont d’interprétation délicate, c’est en effet d’abord en raison de la mission de la Cour : aux termes du
sous-titre III du titre XVI du livre premier du code de procédure civile, le pourvoi en cassation est une voie de recours
extraordinaire qui tend, selon l’article 604, « à faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité ́ du jugement qu’il
attaque aux règles de droit ». Ainsi, comme toute décision judiciaire, un arrêt de la Cour de cassation correspond à la
formalisation du raisonnement de la Cour qui, partant de circonstances de fait souverainement retenues par les juges du
fond, est saisie d’une contestation de la décision des juges du fond au moyen d’un argumentaire juridique. Si elle approuve le
raisonnement des juges, elle rejette le pourvoi. Si elle le réfute, elle casse la décision attaquée.

Mais, contrairement à ce qu’elle exige des juges du fond, la Cour de cassation, juge du droit, n’exprime pas la motivation de sa
décision, en ce sens qu’elle « dit le droit » sans dire pourquoi elle privilégie telle ou telle interprétation de la loi. Cette absence
de « motivation » des arrêts est fréquemment critiquée par la doctrine, et la Cour de cassation n’est pas restée insensible à
cette critique. Depuis la condamnation de la France par la Cour européenne de Strasbourg, la Cour de cassation a
profondément modifié les conditions d’examen des pourvois, puisque les parties et leurs conseils ont désormais facilement
accès, ainsi que tous les magistrats pour les arrêts publiés, au rapport objectif du conseiller rapporteur et à l’avis de l’avocat
général2. La simple comparaison de ces éléments avec l’arrêt prononcé permet d’appréhender aisément la problématique du
pourvoi, les solutions envisageables et les éléments pris en compte par la Cour de cassation dans le choix de la solution. Mais
cet effort de transparence ne semble pas devoir aller jusqu’à transformer la nature de la mission de la Cour, qui lui permet de
faire évoluer la jurisprudence en fonction des mutations de la société́ telles que prises en compte par les décisions des juges
du fond.

Le lecteur, ignorant souvent tout de la technique de rédaction d’un arrêt de la Cour de cassation, risque de l’interpréter
inexactement. Afin d’éviter de faire dire à un arrêt plus que ce qu’il comporte, il convient de rappeler les limites dans
lesquelles la décision de cassation s’insère.

La Cour de cassation n’a aucune possibilité́ d’autosaisine d’une affaire, qui reste la chose des parties. Dès lors, le lecteur devra
être attentif à trois paramètres qui définiront les limites du champ d’intervention de la Cour :

- les parties : ne peuvent se pourvoir que les parties à la décision critiquée et qui y ont intérêt (article 609 du code de
procédure civile) ;

- les griefs : ne seront examinés que les chefs du dispositif de la décision attaquée expressément critiqués par le pourvoi. Les
chefs de dispositif non visés par les moyens ne seront pas atteints par une éventuelle cassation, sauf s’ils sont la suite logique
et nécessaire d’un chef de dispositif cassé ;

- les moyens : la Cour de cassation ne statuera, selon l’adage classique, que sur « Le moyen, rien que le moyen, mais tout le
moyen », d’où la nécessité́ de prendre connaissance des moyens présentés pour mesurer la portée d’un arrêt de la Cour. En
effet, aux termes de l’article 624 du code de procédure civile, « la censure qui s’attache à un arrêt de cassation est limitée à la
portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire ». Si la Cour de
cassation, comme elle en a la possibilité, sous réserve du respect du principe de la contradiction (article 1015 du code de
procédure civile), relève un moyen d’office ou rejette un pourvoi par substitution d’un motif de pur droit relevé d’office à un
motif erroné, cet élément sera nécessairement mentionné dans la décision elle-même, et donc le lecteur en sera informé .

Il résulte des limites du champ de la saisine de la Cour de cassation que, contrairement à ce qui est parfois perçu, un arrêt de
rejet n’a pas nécessairement pour effet une totale approbation par la Cour de cassation de la décision attaquée. En effet, si les
moyens n’ont pas visé certains chefs du dispositif ainsi que les motifs qui les justifient, la Cour n’a pas eu à les analyser ni, par
voie de conséquence, à se prononcer sur leur pertinence.

De la même façon, une cassation intervenue sur un moyen contestant, par exemple, la recevabilité d’un appel ne préjuge en
rien de la valeur de la démonstration juridique au fond de l’arrêt attaqué . En effet, certains moyens sont nécessairement
préalables à l’analyse des moyens de fond, tels que les moyens invoquant la violation du principe de la contradiction (article
16 du code de procédure civile) ou des règles de procédure, comme la validité́ de l’ordonnance de clôture. Une cassation sur
de tels moyens interdit l’examen des autres moyens, sur lesquels la Cour ne se prononce pas.

2
Sur Jurinet, les moyens sont accessibles par l’icône en tête de l’arrêt, à côté de la mention « texte de la décision », et sont placés après le texte
de l’arrêt. Le rapport objectif et les conclusions de l’avocat général sont accessibles par les icônes placées au pied de l’arrêt, à côté des noms
du rapporteur et de l’avocat général.

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L’exigence du raisonnement logique impose, comme devant les juridictions du fond, l’examen des moyens dans un certain
ordre (recevabilité avant le fond, principe de responsabilité avant l’indemnisation du préjudice, qui est nécessairement
préalable à l’examen des moyens portant sur les appels en garantie, etc.). Dès lors qu’un de ces moyens est accueilli, il interdit
l’examen des moyens qui, en pure logique, ne portent que sur une conséquence du chef de dispositif cassé . Cette situation
s’exprimera par l’indication, juste avant le dispositif, de la formule « Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les
autres moyens... ».

Les moyens sont, en général, décomposés en « branches », qui correspondent aux différents angles d’attaque que le
demandeur au pourvoi a trouvés pour contester le chef de dispositif attaqué par le moyen : ainsi, une condamnation à payer
une certaine somme peut être critiquée sur le fondement de la violation de l’article 1382 du code civil (première branche),
mais aussi pour manque de base légale au regard de cet article 1382, faute, par exemple, d’avoir caractérisé le lien de
causalité entre la faute et le dommage (deuxième branche), pour défaut de réponse à des conclusions qui contestaient la
réalité du dommage (troisième branche), etc. Pour qu’un moyen soit rejeté, il faut que la Cour examine chacune des branches
présentées et les rejette toutes. Si la critique d’une branche est fondée, la Cour n’aura pas à statuer sur les autres branches du
moyen, sauf s’il est possible d’écarter la branche pertinente en retenant que les motifs critiqués ne sont pas le seul fondement
de la décision attaquée, qui peut être sauvée par un autre motif non contesté , ce qui s’exprime par une formule du type «
abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant... ».

Cette logique, inhérente à la décision de cassation, trouve sa traduction dans la construction même des arrêts (cf. infra).

b) Les difficultés tenant à la politique et à la pratique judiciaire du traitement des pourvois

Il est également des causes de difficultés de compréhension du sens et de la portée des arrêts qui tiennent aux choix des
parties et de leurs conseils, ainsi qu’à la politique judiciaire au sens large et aux intérêts contradictoires à concilier. On
entend fréquemment dire : « Pourquoi n’y a-t-il pas davantage d’arrêts de principe ? »

C’est d’abord parce que les pourvois n’en donnent pas toujours la possibilité, car les moyens dits « disciplinaires » (cf. infra)
constituent une majorité des pourvois, et ensuite parce que la rigidité d’un arrêt de principe et l’ampleur, difficile à cerner, de
ses conséquences ont, de tout temps, incité la Cour de cassation à la prudence : la sécurité juridique, qui est la première
mission de la Cour, conduit à privilégier des évolutions « à petit pas » plutôt que des revirements spectaculaires, dont
l’application aux affaires en cours pose de redoutables questions, comme l’a montré le rapport du professeur Molfessis sur
les revirements de jurisprudence (Litec 2005). La Cour a néanmoins eu l’occasion de mettre en œuvre le fruit de ces
réflexions dans un arrêt de la deuxième chambre civile du 8 juillet 2004 (Bull. 2004, III, no 387), puis dans un arrêt
d’assemblée plénière (Ass. plé n., 21 décembre 2006, Bull. 2006, Ass. plé n., no 15).

S’y ajoute le fait que les rejets « d’espèce » dits de « sauvetage », dénués de véritable portée juridique et dont le nombre a
tendance à s’accroître, révèlent l’hésitation et les scrupules de la Cour suprême devant les effets dilatoires et souvent
déplorables des cassations de décisions qui, pour être imparfaitement motivées, n’en sont pas moins pertinentes quant à la
solution apportée. Comme le disait Mme le doyen Fossereau, « la Cour de cassation rejette les pourvois deux fois plus qu’elle ne
les accueille en cassant et c’est heureux, mais elle rend des arrêts d’espèce plus que de principe et c’est dommage ».

Ensuite, la Cour de cassation est nécessairement amenée à regrouper l’examen de certains pourvois. Comme devant toutes
les juridictions, un pourvoi qualifié de « principal » peut entraîner, de la part du défendeur, une réplique sous forme de
pourvoi « incident » ou « provoqué » (article 614 du code de procédure civile). La Cour choisira de répondre à ces différents
pourvois et aux différents moyens qu’ils comportent dans un ordre procédant de la simple logique juridique 3. Il existe
également des cas de connexité́ qui conduisent la Cour à joindre des pourvois et à répondre par un seul arrêt lorsque la
même décision est frappée de différents pourvois par des parties différentes4. Mais il est également possible que certains
moyens visent un arrêt avant dire droit et d’autres l’arrêt au fond, ou que certains moyens critiquent un arrêt ayant fait
l’objet d’un arrêt rectificatif, lui-même critiqué 5. Dans ces cas, la Cour ne rendra qu’un seul arrêt.

Par ailleurs, la Cour de cassation, par la force des choses, est composée de plusieurs chambres, et il ne peut être recouru à
tout instant aux chambres mixtes. Or, les chambres gardent une certaine autonomie compte tenu de leur spécialisation, ce
qui a justifié, ces dernières années, la mise en place de procédures internes pour limiter autant qu’il est possible les
divergences de jurisprudence entre les chambres. Néanmoins, lorsque plusieurs chambres sont conduites à traiter de la
même question, il est assez fréquent que le mécanisme de consultation officielle de l’autre chambre soit mis en œuvre
conformément aux dispositions de l’article 1015-1 du code de procédure civile. Dans ce cas, l’indication de la consultation
figure en tête de la réponse de la Cour et donne au lecteur la certitude de l’accord des chambres sur la doctrine ainsi
exprimée, qui devient ainsi celle de la Cour toute entière (2e Civ., 14 février 2008, Bull. 2008, II, no 36).

Certaines dispositions purement matérielles, qui paraissent une évidence pour les praticiens de la cassation, doivent être
explicitées, telles que l’indication, en haut et à droite, sur la minute de chaque arrêt, de son mode de diffusion. Pour identifier
le type de publication qui est décidé au terme du délibéré des chambres et qui correspond à l’importance que la chambre

3 Com., 10 fé vrier 2009, pourvoi no 07-20.445.


4 Soc., 4 mars 2009, pourvois no 07-45.291 et 07-45.295, et Com., 3 mars 2009, pourvois n o 08-13.767 et 08-14.346.
5 3e Civ., 11 mars 2009, pourvois no 08-10.733, 08-11.859 et 08-11.897, et 2e Civ., 22 janvier 2009, pourvois no 07-20.878 et 08-10.392.

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accorde à la décision qu’elle vient d’arrêter, les arrêts mentionnent des lettres suivantes, dont il faut connaître la
signification:

D = diffusion sur la base de la Cour, mais sans publication. Ce sont les arrêts qui, pour les chambres, n’apportent rien à la
doctrine de la Cour de cassation. Ils sont fréquemment qualifiés « d’arrêts d’espèce », même si une telle analyse n’a guère sa
place pour un arrêt de la Cour, qui ne répond qu’à des moyens de droit ;

B = publication au Bulletin d’information de la Cour de cassation (BICC, diffusé tous les quinze jours à tous les magistrats),
comportant le sommaire des arrêts qui seront publiés et dont la Cour estime nécessaire de porter rapidement la solution à la
connaissance des magistrats du fond. Le sommaire des arrêts est élaboré au sein de la chambre qui a rendu la décision et
tend à dégager ce qu’apporte l’arrêt à la doctrine de la Cour. Le lecteur avisé ne doit en aucun cas se contenter de la lecture
du sommaire, dont la concision peut conduire à des interprétations erronées, mais doit absolument se reporter à l’arrêt lui-
même, connaissance prise des moyens auxquels il est répondu ;

P = publication au Bulletin de la Cour de cassation, édité désormais uniquement en version numérique. Ce sont les arrêts qui
ont une portée doctrinale, soit par la nouveauté de la solution, soit par une évolution de l’interprétation d’un texte au regard
de la jurisprudence antérieure, soit enfin parce que la Cour n’a pas publié cette solution depuis longtemps (une dizaine
d’années) et qu’elle entend manifester la constance de sa position ;

I = diffusé sur le site internet de la Cour de cassation : il s’agit des arrêts qui, de l’avis de la chambre, présentent un intérêt
pour le grand public, parce qu’il s’agit d’une question de société ou parce que la solution a des incidences pratique évidentes
pour la vie quotidienne de nos concitoyens. Ils sont parfois assortis d’un communiqué qui en précise la portée ;

R = ce sont les arrêts dont la portée doctrinale est la plus forte. Ils sont analysés au rapport annuel de la Cour de cassation,
qui permet l’actualisation, en léger différé, de l’essentiel de l’évolution de la jurisprudence de la Cour.

Ces indications relatives au niveau de publication des arrêts se retrouvent sur Jurinet en tête des décisions, à l’exception de
l’indication de la mise sur Internet. Les arrêts publiés au Bulletin disposent d’un sommaire édité́ en italiques avant l’arrêt, et
la publication au rapport annuel est indiquée avec un lien direct avec ce rapport quand il est imprimé .

Comprendre la nature du contrôle exercé par la Cour de cassation

Il résulte des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’organisation judiciaire que la mission essentielle de la Cour de
cassation est d’assurer l’unité de l’interprétation de la loi sur tout le territoire de la République sans connaître le fond des
affaires, afin d’assurer l’égalité des citoyens devant la loi. La distinction du fait et du droit apparaît a priori comme une
évidence, comme un principe simple : la Cour de cassation contrôle l’application uniforme du droit et laisse aux juges du fond
l’analyse des faits. Cette distinction est plus complexe qu’il n’y paraît, et la lecture attentive des arrêts permet de comprendre
l’importance et les modalités de ce contrôle, qui détermine la liberté́ d’action des juges du fond.

La problématique du contrôle

Sur le principe du contrôle, certains soutiennent que la Cour ne pourrait pas exercer un contrôle nuancé : elle devrait
contrôler toutes les notions juridiques, mais ne pourrait pas contrôler ce qui touche aux faits souverainement appréciés par
les juges du fond. Les tenants de cette position considèrent que l’on doit apprécier un contrôle à son effet (la cassation) et
non à sa forme ou à son expression. Ils contestent donc le principe même d’un contrôle modulé . D’autres tentent de
distinguer le contrôle de forme (de procédure) du contrôle logique (vice de motivation, y compris la dénaturation), du
contrôle normatif (qui porte sur ce qui a été décidé́ au fond). Cette distinction séduisante ne semble pas pertinente puisqu’il
n’y a pas de hiérarchie entre les lois de procédure et celles de fond. Les moyens dits « disciplinaires », aussi irritants soient-ils,
relèvent du contrôle de la Cour de cassation au même titre que les moyens portant sur le fond du droit. La seule différence
est que les contrôles de forme ou de motivation sont tous de même intensité́ , alors que le contrôle normatif est le seul qui
puisse revêtir un niveau d’intensité variable.

Cette question du contrôle est particulièrement complexe et constitue un sujet d’incertitudes que seule la connaissance des
arrêts les plus récents de la Cour de cassation permet de lever. En effet, le niveau de ces contrôles n’est pas constant même si,
sur le plan théorique, la Cour de cassation est consciente que trop contrôler pervertirait sa mission. Lorsque l’on entre dans
la réalité́ des pourvois, il apparaît parfois difficile de s’en remettre à l’appréciation souveraine des juges du fond, sous peine
de renoncer au rôle unificateur d’interprétation du droit de la Cour de cassation. Or, au fil du temps, la doctrine de la Cour de
cassation peut évoluer : ainsi, lors de la promulgation d’un nouveau texte, la tentation existe d’en contrôler strictement les
conditions d’application, pour ensuite relâcher le contrôle.

Une intervention de l’assemblée plénière peut modifier la nature du contrôle : ainsi, la contestation sérieuse en matière de
référé, dont le contrôle, abandonné par la première chambre civile le 4 octobre 2000 (Bull. 2000, I, no 239), a été rétabli par
l’assemblée plénière le 16 novembre 2001 (Bull. 2001, Ass. plé n., no 13), au motif précisément que, « en statuant par ces
motifs, qui ne mettent pas la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle sur l’existence d’une obligation non
sérieusement contestable, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

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Suivant les matières et les chambres, la même notion peut être contrôlée ou non : ainsi en est-il de la faute qui, en matière de
divorce, n’est pas contrôlée, mais qui fait l’objet d’un contrôle léger dans les autres contentieux. L’analyse d’une chambre
peut également varier dans le temps : si la chambre sociale a longtemps considéré́ que le harcèlement était souverainement
apprécié par les juges du fond (Soc., 23 mai 2007, Bull. 2007, V, no 85)6, plusieurs arrêts du 24 septembre 2008, dans le souci
d’harmoniser les solutions souvent disparates des juges du fond, ont instauré un contrôle de qualification de cette notion
(Soc., 24 septembre 2008, Bull. 2008, V, no 175) : « Qu’en se déterminant ainsi, sans tenir compte de l’ensemble des éléments
établis par la salariée, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle sur le point de savoir si
les faits établis n’étaient pas de nature à faire présumer un harcèlement moral au sens des textes susvisés. »

Les différents types de contrôle

Les praticiens de la Cour de cassation (magistrats et avocats aux Conseils) distinguent classiquement le contrôle normatif, le
contrôle de motivation et le contrôle appelé par commodité « disciplinaire », qui tend à une véritable égalité des citoyens
devant la justice en faisant assurer un contrôle de qualité des décision judiciaires par la Cour de cassation.

1o) Le contrôle normatif

Le contrôle normatif, ou contrôle de fond, présente quatre niveaux :

- l’absence de contrôle lorsque le juge dispose d’un pouvoir discrétionnaire : le juge n’a même pas besoin de motiver sa
décision ; par exemple, en application de l’article 1244-1 du code civil pour refuser d’accorder des délais de paiement, pour
refuser de modérer une clause pénale (1152 du code civil), pour refuser une demande de sursis à statuer, pour fixer la charge
des dépens ou le montant des frais non compris dans les dépens. Dans ces cas, les arrêts mentionnent que le juge n’a fait
qu’user de son pouvoir discrétionnaire (Com., 16 septembre 2008, pourvois no 07-11.803 et 07-12.160, et 1re Civ., 11 février
2009, pourvoi no 08-11.337) ;

- le contrôle restreint à l’existence d’une motivation, compte tenu du pouvoir souverain des juges du fond : le juge du fond,
dès lors qu’il motive, apprécie la réalité des faits, et ces faits s’imposent à la Cour de cassation : par exemple, l’évaluation du
préjudice et des modalités de sa réparation. Les arrêts font fréquemment référence au pouvoir souverain des juges du fond
ou à leur appréciation souveraine des éléments de fait (2e Civ., 19 février 2009, pourvoi no 07-19.340 : « [...] c’est dans
l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des faits qui lui étaient soumis que la cour d’appel a décidé ́ que son attitude
était constitutive d’un abus de droit ») ;

• - le contrôle léger : c’est un contrôle de légalité qui intervient lorsque la cour d’appel a tiré une conséquence juridique de
ses constatations de fait qui était possible mais qui aurait pu être différente sans pour autant encourir la critique, et ce
contrôle léger s’exprime par une réponse au rejet selon laquelle le juge du fond « a pu » statuer comme il l’a fait (Com., 17
février 2009, pourvoi no 07-20.458 : « que la cour d’appel a pu en déduire que ce comportement était fautif et devait entraîner
pour M. X... décharge à concurrence de la valeur des droits pouvant lui être transmis par voie de subrogation ; que le moyen n’est
pas fondé ») ;

- le contrôle lourd : il intervient lorsque la cour d’appel ne pouvait, à partir de ses constatations de fait, qu’aboutir à la
solution retenue, sous peine de voir son arrêt cassé pour violation de la loi : les arrêts de rejet utilisent alors des expressions
trè s fortes, telles que « exactement », « à bon droit », lorsque le juge a énoncé́ pertinemment une règle (2e Civ., 19 février 2009,
pourvoi no 08-11.888 : « Mais attendu que l’arrêt retient à bon droit que ni l’indépendance du service du contrôle médical vis-à-
vis de la caisse ni les réserves émises par celle-ci sur le respect du secret médical ne peuvent exonérer les parties à la procédure
du respect des principes d’un procès équitable »). Le mot « justement » est utilisé de préférence lorsque le juge a correctement
tiré les conséquences d’un texte (1re Civ., 11 février 2009, pourvoi no 07-16.993).

2o) Le contrôle normatif de motivation : le manque de base légale

Le deuxième type de contrôle est à la fois normatif et pédagogique, et s’exprime dans les cassations pour manque de base
légale : dans ce cas, il est fait reproche aux juges du fond de n’avoir pas caractérisé tous les éléments permettant à la Cour de
cassation d’exercer son contrôle normatif. Un exemple classique est pris des éléments de la responsabilité́ civile (faute,
dommage et lien de causalité), qui doivent être caractérisés, faute de quoi la décision n’aura pas la base légale qui est
contrôlée par la Cour de cassation. Dans une telle hypothèse, la décision est peut-être excellente mais la motivation est
insuffisante, en ce qu’elle fait l’impasse sur des faits qui sont indispensables à l’application de la règle de droit. C’est en ce
sens que les cassations pour manque de base légale ont une vocation pédagogique pour tous les juges, et la cour d’appel de
renvoi pourra reprendre la même solution dès lors qu’elle la motivera correctement. Ceci explique qu’il ne peut y avoir de
rébellion d’une cour de renvoi après une cassation pour manque de base légale.

3o) Le contrôle dit « disciplinaire »

En dehors des contrôles qualifiés de normatifs, il existe également ce que la pratique appelle improprement le contrôle «
disciplinaire ». Les moyens disciplinaires sont ceux qui n’ont d’autre but que de faire censurer la décision attaquée pour un
vice de motivation, fréquemment au visa des articles 455 et 458 du code de procédure civile et, souvent, pour défaut de
réponse à conclusions. Certaines de ces critiques formelles dérivent de la méconnaissance des principes fondamentaux de la

6 « [...] la cour d’appel a constaté, par une appréciation souveraine, que les messages écrits adressés téléphoniquement à la salariée le 24 août
1998 et les autres éléments de preuve soumis à son examen établissaient l’existence d’un harcèlement ».

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procédure, tels que la détermination de l’objet du litige, le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction,
la publicité des audiences, la communication des causes au ministère public, la composition des juridictions ou la signature
de la minute. Dans tous ces cas, la Cour de cassation ne censure pas les juges du fond pour avoir mal jugé en leur dispositif,
mais elle censure la décision pour sa méconnaissance des formes ou de la méthodologie légales. La conséquence d’une
cassation « disciplinaire » est que la juridiction de renvoi pourra reprendre à son compte la même solution, mais après avoir
complété, amélioré ou modifié la motivation, ou après s’être conformée aux formalités requises.

De la même façon, le grief de dénaturation est généralement considéré comme un grief disciplinaire, puisqu’il soutient que le
juge a fait dire à un écrit clair autre chose que ce qu’il dit. La dénaturation d’un écrit ne sera sanctionnée par une cassation
que si l’écrit est clair, car s’il est ambigu, il appartient alors aux juges du fond de l’interpréter souverainement (3e Civ., 11
février 2009, pourvoi no 07-19.211 : « Mais attendu que c’est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que
l’ambiguïté des termes de la clause dite “réserve du privilège du vendeur et de l’action résolutoire” rendait nécessaire, que la
cour d’appel a retenu que l’exception d’irrecevabilité présentée par Mme X... devait être rejetée »).

Il convient d’attirer l’attention du lecteur sur la différence essentielle entre le manque de base légale, qui sanctionne une
insuffisance de motivation touchant au fond du droit, et le « défaut de motifs », qui sanctionne une absence de motivation7 et
qui trouve sa source non seulement dans des dispositions très claires du droit interne, mais aussi de la Convention
européenne des droits de l’homme et de l’interprétation qu’en a donné la Cour européenne de Strasbourg8. Si un chef de
dispositif de la décision attaquée n’est pas fondé sur un motif de la décision qui le justifie ou un motif adopté de la décision
des premiers juges qui est confirmée, la cassation interviendra pour violation de l’article 455 (et éventuellement 458) du
code de procédure civile, qui impose la motivation des jugements. Pour qu’il y ait un manque de base légale, il faut que la
décision soit motivée, mais que les motifs soient insuffisants pour la justifier en droit. La différence entre ces deux cas
d’ouverture à cassation n’est donc pas une différence de degré mais une différence de nature, car le défaut de motifs est un
vice de forme de l’arrêt, alors que le manque de base légale est un vice de fond.

À la lumière de cette analyse des trois types de contrôles exercés par la Cour de cassation, quelques exemples permettent de
comprendre comment la Cour contrôle les décisions des juges du fond, mais évidemment dans la limite des moyens
présentés par les parties :

- Les faits sont toujours souverainement appréciés par le juge du fond, qui doit seulement motiver sa décision (2e Civ., 5 mars
2009, pourvoi no 06-20 994). Toutefois, le respect des règles de preuve de ces faits, et notamment de la charge de la preuve,
est évidemment contrôlé, car il s’agit d’une question de droit (1re Civ., 3 décembre 2008, pourvoi no 08-10.718). Les
motivations portant sur un état psychologique ou sur une appréciation quantitative non règlementée, telles que l’occupation
insuffisante d’un local, le montant d’une provision, la valeur d’une exploitation agricole, la part contributive d’un époux aux
charges du mariage, ne sont pas contrôlés ;

- La qualification des faits est en principe contrôlée, car elle correspond à la mission essentielle du juge du fond. Mais ce
principe est tempéré́ lorsque certaines qualifications sont très imprégnées de fait et qu’un contrôle, même léger, serait
inopportun : si la faute fait en principe l’objet d’un contrôle léger9, elle est souverainement appréciée par les juges du fond en
matière de divorce, car, dans cette matière très sensible, la Cour préfère laisser les juges du fond apprécier souverainement la
faute des conjoints. L’aléa en matière d’assurance n’est plus contrôlé depuis un arrêt de la première chambre civile du 20 juin
2000 (Bull. 2000, I, no 189). Le trouble manifestement illicite, en matière de référé, fait, au contraire, l’objet d’un contrôle
léger, à la suite d’un arrêt d’assemblée plénière du 28 juin 2000 (Bull. 2000, Ass. plé n., no 6) qui est revenu sur les décisions
de l’assemblée plénière du 4 juillet 1986 (Bull. 1986, Ass. plé n., no 11)10 et celles, postérieures, de la deuxième chambre civile,
qui privilégiaient la notion de trouble (question de pur fait) sur le « manifestement illicite » (question de droit mais qui doit
être évidente : 2e Civ., 25 octobre 1995, Bull. 1995, II, no 255).

- Les conséquences juridiques de la qualification des faits retenus sont toujours contrôlées.

À titre d’exemple, un arrêt de la troisième chambre civile du 13 juillet 2005 (Bull. 2005, III, no 155) montre la diversité des
contrôles auxquels peut procéder la Cour et la richesse des enseignements que l’on peut tirer d’un arrêt de la Cour lorsque
l’on prend soin de l’analyser.
On y trouve successivement :
1o) Un contrôle normatif sur l’article 606 du code civil ;
2o) une appréciation souveraine de certains faits ;
3o) un contrôle lourd sur le raisonnement de la cour d’appel compte tenu de la pertinence des prémisses : « Mais attendu
qu’ayant relevé ́, (1) à bon droit, qu’au sens de l’article 606 du code civil, les réparations d’entretien sont celles qui sont utiles au

7 Ou une motivation incertaine, hypothétique, dubitative, contradictoire ou inintelligible (1 re Civ., 30 septembre 2008, pourvoi n o 07-
17.163), toutes situations qui reviennent à une véritable absence de motif « utiles ».
8 Article 455 du code de procédure civile, aux termes duquel « le jugement doit être motivé », et CEDH (X... c/ Espagne, 21 janvier 1999,
requête no 30544/96) : « La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante reflétant un principe lié à la bonne administration de la justice,
les décisions judiciaires doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. L’étendue de ce devoir peut varier selon la
nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce » (§ 26).
9 Il faut rappeler à cet égard l’exigence de motivation de la faute lorsque les juges du fond sanctionnent un abus du droit d’agir en justice
pour éviter de regrettables cassations pour absence de motivation de ce chef (3 e Civ., 25 février 2009, pourvoi no 08-10.280).
10 « Mais attendu que si la grève est licite dans son principe en cas de revendications professionnelles, il appartient au juge des référés
d’apprécier souverainement si elle n’entraîne pas un trouble manifestement illicite [...] ».

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maintien permanent en bon état de l’immeuble tandis que les grosses réparations intéressent l’immeuble dans sa structure et sa
solidité générale, et (2) souverainement retenu, par motifs propres et adoptés, que les désordres étaient dus à des dispositions
constructives inadéquates et que les travaux de remise en état de l’immeuble après les inondations, les travaux qui tendaient à
empêcher ou à limiter le risque d’inondation, les travaux de mise en conformité ́ de toitures et de réfection de l’installation
électrique, la reprise de la fuite d’eau en cave, la réparation d’une canalisation détruite par le gel en raison d’un manque de
calorifugeage et la remise en état de la couverture de l’appentis concernaient la structure et la préservation de l’immeuble, la
cour d’appel (3) en a exactement déduit que ces travaux étaient imputables au propriétaire dès lors que le contrat de bail
mettait à la charge du locataire les réparations locatives ou d’entretien, à l’exception des grosses réparations visées par l’article
606 du code civil ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ».

La claire perception par les juges du fond de la nature du contrôle tel qu’exercé actuellement par la Cour de cassation
semblerait de nature à permettre d’éviter, grâce à une motivation adéquate, des cassation inutiles.

La formulation du contrôle dans les arrêts de la Cour de cassation

Les précisions qui suivent ont pour objet de faciliter la compréhension des subtilités terminologiques habituellement
appliquées par les chambres civiles de la Cour de cassation, même s’il peut exister des décisions qui s’en écartent.

1o) Dans les arrêts de rejet :

Au regard des motifs de la décision attaquée, le terme :

- « a énoncé... » implique la reproduction exacte des termes de la décision attaquée et n’apporte aucune précision sur le
contrôle ;

- « a constaté... » correspond à une appréciation souveraine des faits par les juges du fond : l’indication de l’absence de
contrôle des faits procède de l’usage même de ce mot : un constat est nécessairement du fait ;

- « a relevé... » porte plutôt sur des considérations et circonstances de fait ;

- « a retenu... » correspond plutôt à une appréciation de fait ayant une incidence d’ordre juridique.

Mais, dans la rédaction, l’un de ces deux derniers verbes (relevé et retenu) est parfois utilisé d’une façon moins précise afin
d’éviter une répétition. Cependant, ces verbes relevé, retenu, jugé ou décidé ne déterminent pas, par eux-mêmes, la nature du
contrôle exercé par la Cour de cassation ; en effet, ils peuvent correspondre :

- soit à une appréciation souveraine des juges du fond. Ils sont alors fréquemment précédés de l’indication « a
souverainement relevé... », « a souverainement retenu... », « a souverainement décidé... », et la seule mention « a relevé... », « a
retenu... », « a décidé... » sous-entend une absence de contrôle, puisque cette formulation ne contient aucune critique et
implique la souveraineté́ des juges du fond.

- soit à l’expression d’un contrôle, qui est alors indiqué de la façon suivante :
- contrôle léger : a pu retenir..., a pu en déduire..., a pu décider que... ;
- contrôle lourd : a exactement retenu..., en a exactement déduit... ou a retenu à bon droit..., en a déduit à bon droit... a décidé à
bon droit...

2o) Dans les arrêts de cassation :

Par hypothèse, si une cassation est prononcée, c’est que l’arrêt attaqué présentait un vice faisant l’objet d’un moyen
pertinent, sur une question qui fait l’objet d’un contrôle de la Cour de cassation. L’expression de ce contrôle se trouvera dans
ce que l’on appelle le « conclusif » de l’arrêt, c’est-à -dire dans le dernier alinéa de l’arrêt, qui exprime la doctrine de la Cour de
cassation et qui débute par « qu’en statuant ainsi... » pour la violation de la loi ou par « qu’en se déterminant ainsi... » pour le
manque de base légale. Le contrôle normatif pour violation de la loi se concrétise à la fin du conclusif par l’expression « la
cour d’appel a violé le texte susvisé » (assemblée plénière, 13 mars 2009, pourvoi no 08-16.033, en cours de publication). Le
contrôle de motivation normatif et pédagogique s’exprime par la formule « la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa
décision » (chambre mixte, 20 juin 2003, Bull. 2003, Ch. mixte, no 4). Le contrôle disciplinaire, lorsqu’il correspond à une
violation d’un texte, s’exprime comme le contrôle normatif, puisqu’un texte s’imposant au juge a été violé . Lorsqu’il s’agit de
la violation des articles 455 et 458 du code de procédure civile, qui exigent que le juge motive sa décision, le conclusif se
termine, en général, par la formule : « qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé » (3e
Civ., 26 novembre 2008, Bull. 2008, III, no 188).

Comment sont construits les arrêts de la Cour de cassation ?

Pour lire aisément les arrêts de la Cour de cassation, il convient de connaître leur structure, qui est fondée sur un syllogisme
rigoureux.

Structure d’un arrêt de rejet

- 17 -
Le syllogisme d’un arrêt de rejet se présente ainsi :
- chef de dispositif de la décision attaquée critiqué ;
- moyens exposant les raisons juridiques de la critique ;
- réfutation par la Cour de cassation de ces critiques.
Il existe deux principaux types d’arrêts de rejet du pourvoi :

1o) Les arrêts dits « en formule développée » sont les arrêts de rejet, tels qu’ils sont publiés au Bulletin, qui ont suscité un
débat à la chambre et qui apportent quelque chose à la doctrine de la Cour de cassation. Ils comportent un exposé des faits, la
reproduction des moyens et la réponse de la Cour de cassation conduisant au rejet du pourvoi.

- L’exposé des faits ne contient que les éléments résultant de l’arrêt attaqué et, éventuellement, du jugement, s’il est confirmé.
C’est la raison pour laquelle l’exposé des faits est introduit par l’expression : « Attendu, selon l’arrêt attaqué... », pour bien
marquer que cette analyse des faits n’est pas celle de la Cour de cassation, dont ce n’est pas la mission, mais celle des juges du
fond. Sont éliminés de cet exposé tous les éléments factuels qui ne seraient pas nécessaires à la compréhension des moyens
et de la réponse de la Cour de cassation. Les juges du fond ne doivent donc pas s’étonner de ne pas retrouver dans l’arrêt de
la Cour de cassation tous les faits du procès qu’ils ont eu à juger. Il se termine souvent par l’indication de l’objet de
l’assignation et de la situation procédurale des parties.

- L’arrêt se poursuit par l’indication du chef de dispositif attaqué par le moyen : il n’est pas nécessairement intégralement
reproduit et est souvent simplement mentionné par une formulation du genre : « M. X... fait grief à l’arrêt de le débouter de sa
demande (ou d’accueillir la demande de M. Y...) », dès lors que la fin de l’exposé des faits a précisé la situation des parties11.

- Une fois le grief précisé, le moyen est introduit par la formule « alors, selon le moyen, que... ». C’est le moyen tel que formulé
par l’avocat aux Conseils qui est reproduit en caractères typographiques italiques sur la minute de l’arrêt et sur la publication
au Bulletin, chaque branche étant numérotée. S’agissant du texte établi par le conseil d’une partie, il n’appartient pas à la
Cour de cassation de le modifier, quelles que soient ses éventuelles imperfections.

- La réponse au rejet de la Cour de cassation s’exprime, en principe, par une seule phrase puisqu’elle est la réponse à un
moyen qui vient d’être reproduit, et est introduite par « Mais attendu... », dès lors que l’argumentation du moyen est réfutée
grâce aux motifs pertinents repris de la décision attaquée. En effet, sauf les cas rares où la Cour substitue un motif de pur
droit aux motifs de la cour d’appel (article 620 du code de procédure civile), la Cour de cassation doit trouver dans les motifs
de la décision attaquée ou, si l’arrêt est confirmatif, dans les motifs présumés adoptés des premiers juges les éléments
nécessaires à la réfutation de toutes les branches du moyen12. La doctrine de la Cour de cassation, qui s’exprime par la
reprise formelle des motifs des juges du fond, montre bien l’importance majeure de la motivation juridique des décisions des
juges du fond, qu’ils soient du second degré́ ou du premier, validés à la suite d’une confirmation du jugement en appel. Cette
observation est d’autant plus importante que la Cour veille à ne pas réécrire les décisions attaquées, dont la précision
terminologique, voire grammaticale, laisse parfois à désirer, ce qui est imputé ensuite, bien à tort, à la Cour de cassation.
Lorsque l’arrêt attaqué comporte un mot impropre que la Cour de cassation évite d’utiliser, le mot est mis entre guillemets
afin de bien marquer ses réserves sur cette expression impropre (par exemple : « compromis de vente » au lieu de promesse
de vente13). Il appartient au lecteur avisé de tirer, pour l’avenir, les conséquences de cette invitation discrète à veiller à la
précision terminologique.

Afin d’éviter de trop alourdir le style mais dans le souci d’écarter chaque branche du moyen, la réponse contient de
nombreuses incidentes telles que : « sans dénaturation », « sans violer l’autorité de la chose jugée », « abstraction faite d’un
motif erroné mais surabondant », « répondant aux conclusions », « sans être tenue de répondre à des conclusions que ses
constatations rendaient inopérantes », etc. C’est pourquoi, pour bien comprendre l’intégralité́ d’une réponse au rejet, il
convient de confronter chaque élément de la réponse avec les branches du moyen et les motifs contestés de l’arrêt.
Cependant, ainsi que nous l’avons vu, l’essentiel et l’intérêt d’une réponse au rejet ne réside évidemment pas dans ces
incidentes, mais dans la partie de la réponse dans laquelle la Cour reprend les motifs de la décision attaquée, en les
assortissant de l’indication du contrôle qu’elle entend exercer.

Si la Cour de cassation entend matérialiser l’importance doctrinale d’un arrêt de rejet, elle introduira dans sa réponse ce que
la pratique appelle « un chapeau intérieur ». Ce chapeau intérieur correspond à la formulation abstraite d’une interprétation
prétorienne de la règle de droit et est le pendant, pour un arrêt de rejet, du conclusif d’un arrêt de cassation pour violation de
la loi. Ce chapeau intérieur est placé en tête de la réponse de la Cour. Il est suivi immédiatement de la constatation que la
décision attaquée a fait une correcte application du principe ainsi énoncé́ (chambre mixte, 28 novembre 2008, Bull. 2008, Ch.
mixte, no 3). Lorsque l’assemblée plénière, réunie à la suite d’une rébellion d’une cour d’appel de renvoi, revient sur la
11 Il semble inutile d’alourdir la rédaction en mentionnant par exemple que « M. X... fait grief à l’arrêt de le condamner à payer 3 000 000 € de
dommages-intérêts avec intérêts à compter de la demande » sauf, bien entendu, si le moyen porte sur le point de départ des intérêts.
12 Ainsi, dans un même arrêt, un moyen peut être rejeté grâce à des motifs propres de l’arrêt attaqué et un autre moyen rejeté́ grâce aux
motifs adoptés des premiers juges (3e Civ., 18 juin 2008, Bull. 2008, III, no 105).
13 « Attendu [...] qu’en l’absence de clause de caducité ́ sanctionnant de plein droit le non-respect du terme prévu pour la réitération de la vente,
“le compromis” prévoyait que, passé ce délai, huit jours après la réception d’une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par la
partie la plus diligente sommant l’autre de s’exécuter et demeurée sans effet, l’acquéreur aurait la possibilité de contraindre le vendeur par toute
voie de droit, que M. X... avait sommé l’acquéreur par lettre recommandée du 1er juin 2005, laquelle avait, le 2 juin 2005, réitéré sa volonté
d’acquérir, la cour d’appel, sans dénaturation, en a exactement déduit que la vente intervenue le 16 septembre 2003 était parfaite » (3e Civ., 16
décembre 2008, pourvoi no 07-21.779).

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doctrine de la Cour de cassation et adopte la position de la seconde cour d’appel, elle rejette fréquemment le pourvoi en
formulant la nouvelle doctrine de la Cour sous forme d’un chapeau intérieur (assemblée plénière, 9 mai 2008, Bull. 2008, Ass.
plé n., no 3).

2o) Les autres arrêts de rejet n’ont aucune portée normative et sont le plus souvent examinés par une formation à trois
magistrats dès lors que « la solution s’impose », conformément aux dispositions de l’article L. 431-1 du code de l’organisation
judiciaire. Un tel arrêt, habituellement qualifié « d’arrêt rédigé en formule abrégée », ne contient pas d’exposé des faits et ne
reproduit pas les moyens. Il se contente de formuler la réponse de la Cour de cassation, et les moyens sont simplement
annexés à la décision. Les seules conséquences qui peuvent être tirées de ce type d’arrêt sont soit que l’arrêt attaqué était
conforme à la doctrine de la Cour, soit que les moyens n’étaient pas efficaces, comme contestant une appréciation souveraine
des juges du fond. Il faut préciser ici que, lorsque la Cour répond qu’un moyen « manque en fait », cette expression signifie
simplement que le moyen fait dire à l’arrêt qu’il attaque autre chose que ce qu’il contient : c’est donc le moyen qui, par
inadvertance ou délibérément, affirme une inexactitude, qui est sanctionnée par le rejet du moyen (3e Civ., 27 janvier 2009,
pourvoi no 08-11.401).

3o) Enfin, mention doit être faite des décisions de non-admission des pourvois, qui représentent actuellement environ 30 %
du volume des affaires civiles. Les décisions de non-admission, qui ne sont pas véritablement des « arrêts » puisqu’elles ne
comportent aucune réponse de la Cour si ce n’est le visa de l’article 1014 du code de procédure civile, ont les effets d’un arrêt
de rejet, mais sans aucune portée normative. La non- admission peut être fondée sur l’irrecevabilité évidente du pourvoi ou
sur l’absence de moyen sérieux de cassation. Une décision de non-admission exprime plus la faiblesse des moyens (ou de
certains moyens) présentés que la valeur de l’arrêt attaqué (3e Civ., 10 mars 2009, pourvoi no 07-20.691).

Il va de soi que ces différentes réponses de la Cour de cassation peuvent se combiner en fonction de la pertinence des
différents moyens présentés à l’occasion d’un pourvoi.

Structure d’un arrêt de cassation


Le syllogisme d’un arrêt de cassation se présente ainsi :
- La règle est celle-ci (le visa et le chapeau) ;
- La juridiction du fond a dit cela ;
- En statuant ainsi, elle a violé la règle (le conclusif).

C’est pourquoi un arrêt de cassation se décompose de la façon suivante :


Il débute par le visa « de la règle de droit sur laquelle la cassation est fondée » (article 1020 du code de procédure civile), ce
qui s’exprime par un visa du ou des textes en cause, ou, le cas échéant, d’un principe général du droit reconnu par la Cour14. Si
le texte est codifié , le numéro de l’article est mentionné, suivi du titre du code : « Vu l’article 1382 du code civil. » Si plusieurs
textes sont le support direct de la cassation, ils sont reliés par la conjonction de coordination « et » (assemblée plénière, 9
juillet 2004, Bull. 2004, Ass. plé n., no 11). Si un texte est le support direct de la cassation et qu’un autre texte apparaît
nécessaire dans la situation particulière, cet autre texte est précédé de l’expression « ensemble » (assemblée plénière, 24 juin
2005, Bull. 2005, Ass. plé n., no 7).

Après ce visa, est énoncée la règle de droit lui correspondant : c’est le « chapeau », ainsi appelé parce qu’il coiffe l’arrêt, et qui
est, en principe, la reproduction du texte visé . Lorsque le texte est long et complexe, la Cour en fait parfois la synthèse,
matérialisée par une formule du genre : « Attendu qu’il résulte de ce texte que » ou « Attendu selon ces textes... ». Pour les textes
très connus (articles 4, 16 et 455 du code de procédure civile, 1134, 1382, 1384, 1792 du code civil), l’habitude a é té prise de
se dispenser du chapeau, ainsi que pour les cassations pour manque de base légale. Les textes introduits dans le visa par le
mot « ensemble » ne sont pas reproduits dans le chapeau, qui ne reprend que le texte principal, fondement de la cassation. De
nombreux textes comportent des renvois en rendant la compréhension difficile : « ...visés au troisième alinéa de l’article 5 du
chapitre 6 du livre II du code... » ; une telle énumération incompréhensible est alors remplacée par l’objet qu’elle concerne.

L’exposé objectif des seuls faits constants qui sont nécessaires à la compréhension de l’arrêt se situe soit après le chapeau,
soit en tête de l’arrêt, lorsqu’il y a plusieurs moyens auxquels il convient de répondre. L’arrêt mentionne ensuite le grief fait à
la décision attaquée : « Attendu que, pour accueillir (ou pour rejeter) la demande, l’arrêt retient... » ; suivent les motifs erronés
qui fondent la décision et qui, parce qu’ils ne sont pas pertinents, vont conduire à la cassation.

L’arrêt se termine par le « conclusif », seul texte qui exprime la doctrine de la Cour de cassation, qui boucle le raisonnement
en retenant : « qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (chambre mixte, 25 octobre 2004, Bull. 2004, Ch.
mixte, no 3), ou « qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » lorsque la cassation
intervient pour manque de base légale (2e Civ., 19 février 2009, pourvoi no 07-18.039). Afin de faciliter la compréhension de
son arrêt, la Cour complète fréquemment le conclusif d’un élément d’explication qui se traduit, pour les cassations pour
violation de la loi, par la formule « qu’en statuant ainsi alors que... » (assemblée plénière, 27 février 2009, pourvoi no 07-
19.841, en cours de publication) et, pour les manque de base légale, en indiquant la nature du vice de motivation retenu, tel
que « sans rechercher..., sans caractériser... », afin que la cour d’appel de renvoi sache exactement ce qu’elle doit faire et
qu’avait omis la première cour d’appel (Com., 10 février 2009, pourvoi no 07-20.445).

14 Le professeur Morvan en a identifié 96, tels que « le principe du respect des droits de la défense », « le principe selon lequel nul ne doit causer
à autrui des troubles anormaux du voisinage » ou « le principe fondamental en droit du travail, selon lequel, en cas de conflit de normes, c’est la
plus favorable aux salariés qui doit recevoir application » (Le principe de droit privé, é d. Panthé on-Assas, 1999).

- 19 -
Il arrive parfois que l’interprétation de la règle se trouve dans le chapeau, notamment lorsque le chapeau, étant introduit par
une formule du genre « Attendu qu’il résulte de ces textes... », ne se contente pas de formuler une synthèse neutre des textes
mentionnés au visa, mais précise l’interprétation que donne la Cour de cassation de ces textes (1 re Civ., 16 avril 2008, Bull.
2008, I, no 114). Une telle présentation, plus « percutante », est parfois critiquée comme constituant une anomalie
méthodologique, car la Cour de cassation s’érige alors en pseudo-lé gislateur en affirmant d’emblée une interprétation
prétorienne, alors que cette affirmation doit, dans un processus judiciaire normal, être le résultat d’un raisonnement
déductif.

Le lecteur doit être attentif au visa et au contenu du « chapeau » au regard du conclusif de l’arrêt, car une cassation peut
intervenir dans deux hypothèses : soit parce que la cour d’appel a refusé d’appliquer un texte, soit parce qu’elle a appliqué un
texte alors qu’il n’était pas applicable.

- Si la cassation correspond à un refus d’application d’un texte, le visa et le chapeau correspondront au texte qui aurait dû
être appliqué et qui ne l’a pas été. Le conclusif indiquera, lorsque la formule traditionnelle « qu’en statuant ainsi, la cour
d’appel a violé le texte susvisé » ne suffit pas à la compréhension de la cassation, pourquoi le texte aurait dû être appliqué ,
grâce à une incidente introduite par « alors que... » (1re Civ., 18 février 2009, pourvoi no 07-21.262).

- Si la cassation intervient pour fausse application, le visa et le chapeau correspondront au texte que l’arrêt attaqué a
appliqué inexactement, et c’est le conclusif qui permettra de savoir la raison pour laquelle le texte visé n’était pas applicable.
Dans ce cas également, le conclusif sera souvent complété d’une précision introduite par « alors que... » (Soc., 3 mars 2009,
pourvoi no 07-44.794).

Autrefois, les arrêts de cassation précisaient fréquemment si la cassation intervenait pour refus d’application ou pour fausse
application. Ce type de précision est aujourd’hui plus rare, dans la mesure où il est admis que la nature de la cassation doit se
déduire logiquement du rapprochement du visa et du chapeau, avec le conclusif 15.

Comme dans toutes les décisions judiciaires, le dispositif est introduit par la formule « Par ces motifs », qui est
éventuellement complétée de l’indication destinée à purger sa saisine : « et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens
» si la cassation rend sans portée certains moyens qui critiquent des chefs de dispositif dépendant de celui qui est cassé
(chambre mixte, 3 février 2006, Bull. 2006, Ch. mixte no 1).

Si la cassation est totale, elle intervient « en toutes ses dispositions » (chambre mixte, 3 février 2006, Bull. 2006, Ch. mixte no
1). La cour de renvoi aura alors à re-juger l’intégralité́ de l’affaire à partir de la décision du premier juge. Si elle est partielle,
sa portée est précisée dans le dispositif : deux formules sont possibles : soit « casse, sauf en ce qu’il a... » (chambre mixte, 16
décembre 2005, Bull. 2005, Ch. mixte, no 9), soit « casse mais seulement en ce qu’il a... » (chambre mixte, 23 novembre 2004,
Bull. 2004, Ch. mixte, no 4, arrêt no 2). Le choix de la formule sera fonction de ce qui semble le plus clair pour permettre à la
cour d’appel de renvoi de déterminer ce qui reste à juger.

Comprendre la portée des arrêts de cassation

- Si la Cour de cassation rejette un pourvoi qui n’a fait l’objet que d’un moyen sur un chef de dispositif, elle n’approuve pas
pour autant la solution donnée sur les autres points, puisqu’elle n’en a pas été saisie. C’est pourquoi on trouve parfois dans
les arrêts la formule : « qu’ayant retenu par un motif non critiqué... », ce qui permet de sauver l’arrêt en rejetant ce moyen.

- Si une cassation intervient, c’est que l’arrêt n’est pas justifié par un autre motif, qui permettrait à la Cour de dire que le motif
attaqué qui va entraîner cette cassation est « erroné mais surabondant ».

- Si l’arrêt attaqué se contente de « confirmer le jugement », ce sont les chefs de dispositif du jugement qui servent de base à
l’articulation des moyens.

La Cour ne relève que rarement des moyens d’office de pur droit, mais, lorsqu’elle le fait, elle le dit et mentionne qu’elle en a
donné avis aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile (Com., 17 février 2009, pourvoi no 07-
17.711).

Donc, si la portée de la cassation semble ambiguë̈ , il faut revenir au dispositif de l’arrêt, et éventuellement du jugement, pour
le rapprocher du grief fait à l’arrêt par le ou les moyens sur lesquels la cassation est fondée.

Un gros effort a été fait par les chambres de la Cour pour préciser la portée de la cassation. Mais, pour être efficace, cet effort
doit être partagé : en effet, comment être précis dans la portée de la cassation si le dispositif du jugement et celui de l’arrêt
sont généraux ou se contentent de débouter le plaideur sans avoir précisé́ , au préalable, très précisément quelles étaient les
demandes qu’il formulait ? Un arrêt d’assemblée plénière du 13 mars 2009 (pourvoi no 08-16.033, en cours de publication)
vient de rappeler que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet d’un jugement et a été tranché
dans le dispositif, ce qui ne peut qu’inciter les juges du fond à une rédaction précise du dispositif des jugements, dont dépend
la détermination de l’étendue de l’autorité́ de la chose jugée. Néanmoins, la Cour de cassation n’hésite pas à rechercher
parfois dans le corps de l’arrêt des réponses distinctes à des chefs de demande correctement articulés mais qui font l’objet
d’un dispositif global du type « déboute X... de ses demandes », afin de limiter l’ampleur de la cassation. Mais il est vrai que,
15 Fausse application : 1re Civ., 11 mars 2009, pourvoi no 08-12.166 ; refus d’application : 1re Civ., 11 mars 2009, pourvoi no 08-13.390.

- 20 -
même si la cour de renvoi parvient à cerner les limites de sa saisine, il est souvent difficile d’obtenir des plaideurs et de leurs
conseils de se limiter, dans leurs écritures et leurs plaidoiries, à la saisine de la cour de renvoi. Il appartient à la cour d’appel
de renvoi, et notamment au conseiller de la mise en état, d’y veiller fermement, et il est tout à fait souhaitable que la cour de
renvoi définisse expressément les limites de sa saisine lors de la mise en état, puis dans le texte de l’arrêt.

Portée des cassations totales

Il faut savoir que si la Cour de cassation, fût-ce par erreur, prononce une cassation totale, la cassation est effectivement totale,
de sorte qu’il ne subsiste rien de l’arrêt attaqué .

Cette règle importante a été formulée par la deuxième chambre civile dans un arrêt du 25 novembre 1987, Bull. 1987, II, n
244 : la cassation prononcée d’une décision en toutes ses dispositions « investit la juridiction de renvoi de la connaissance de
l’entier litige, dans tous ses éléments de fait et de droit ». Depuis, la deuxième chambre civile a fermement maintenu cette
position, qui a été reprise par l’assemblée plénière le 27 octobre 2006 (Bull. 2006, Ass. plé n., n 13), et ce quel que soit le
moyen qui a déterminé́ la cassation (2e Civ., 21 décembre 2006, Bull. 2006, II, n 362). Dans cette hypothèse, d’une part, la
saisine de la juridiction de renvoi est aussi large que possible, puisqu’aucun des chefs de l’arrêt cassé n’a acquis l’autorité́ de
la chose jugée, alors même que certains moyens auraient été rejetés (1re Civ., 20 juin 1995, Bull. 1995, I, n 26516). Il est en effet
parfois nécessaire de rejeter un moyen de procédure qui est préalable (violation de l’article 16 du code de procédure civile
par exemple), puis de casser sur une question de fond qui entraînera la cassation totale de l’arrêt. D’autre part, la juridiction
de renvoi doit statuer sur tout ce qui lui est demandé . En ne le faisant pas, elle s’exposerait à une nouvelle cassation.

Cette jurisprudence comporte deux inconvénients évidents, l’un théorique, en ce qu’elle méconnaît l’article 624 du code de
procédure civile, l’autre pratique, en ce qu’elle prolonge ou complique le procès. Mais elle offre aussi l’avantage considérable
d’éliminer toute discussion sur l’étendue de la saisine de la juridiction de renvoi en cas de cassation totale.

Sur les points qu’elle atteint, la cassation replace les parties dans l’état où elles se trouvaient avant l’arrêt cassé . Devant la
juridiction de renvoi, l’instruction est reprise en l’état de la procédure non atteinte par la cassation. Dès lors, si, par l’effet
d’une cassation totale, l’ordonnance de clôture rendue avant l’arrêt cassé a cessé de produire ses effets, les conclusions prises
antérieurement n’en subsistent pas moins, de sorte que, l’intimé ayant demandé dans ses écritures que la clôture soit
prononcée et que l’affaire soit jugée au vu des conclusions de première instance, la cour d’appel est tenue de juger l’affaire en
fait et en droit, sur le vu de ces seules écritures (2e Civ., 20 janvier 2005, Bull. 2005, II, n 19).

Dès lors qu’une partie comparaît et conclut devant la juridiction de renvoi, celle-ci n’est tenue de répondre qu’aux
prétentions et moyens formulés devant elle. Cette règle trouve application même pour la procédure orale (assemblée
plénière, 26 octobre 2001, Bull. 2001, Ass. plé n., n 12). Mais à l’inverse, en cas de renvoi après cassation, la partie qui ne
comparait pas est réputée s’en tenir aux moyens et prétentions qu’elle avait remis à la juridiction dont la décision a été
cassée (2e Civ., 12 décembre 2004, Bull. 2004, II, n 63).

Portée des cassations partielles

En cas de cassation partielle et si certains chefs de la décision n’ont pas été attaqués, la cassation s’étend néanmoins à ces
chefs en cas d’indivisibilité́ ou de dépendance nécessaire (article 624 du code de procédure civile : 2e Civ., 26 août 2006, Bull.
2006, II, n 291). En revanche, dès lors qu’il n’y a pas indivisibilité́ ou dépendance nécessaire, les chefs non cassés subsistent,
même si la cour d’appel avait prononcé une condamnation unique correspondant à des chefs de demande distincts. Le juge
de renvoi est donc saisi de l’intégralité́ du litige, à l’exception des chefs de dispositifs non cassés qui ont acquis l’autorité de la
chose jugée. Ainsi, une cour d’appel statuant sur renvoi de cassation, après avoir relevé́ que la cassation intervenue ne portait
que sur le débouté d’une demande relative au dépassement de la quotité disponible, en a exactement déduit que le rejet des
demandes d’annulation d’une donation-partage devait être tenu pour irrévocable (1re Civ., 22 février 2000, Bull. 2000, I, n 52).

Mais la censure est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation. Ainsi, doit être cassé l’arrêt rendu sur
renvoi après cassation qui réévalue le montant d’une indemnité d’éviction due au preneur d’un bail commercial, « alors que
la cassation était limitée à la portée du moyen qui critiquait le chef de l’arrêt relatif à l’octroi des intérêts » (3e Civ., 23 mars
1982, Bull. 1982, III, n 76).

Les cassations pour des raisons de pure forme

Lorsque des cassations interviennent pour des raisons de pure forme, il appartient aux magistrats et fonctionnaires des
greffes d’en tirer toutes les conséquences afin d’éviter que les anomalies sanctionnées se reproduisent. Compte tenu du délai
nécessaire de traitement des pourvois, il apparaît souhaitable que chacun prenne en compte les erreurs des autres,
notamment grâce aux arrêts publiés au BICC, et tire les conséquences utiles des arrêts condamnant des irrégularités trop
16 « ... Attendu que, pour statuer ainsi, l’arrêt attaqué énonce que l’arrêt de la Cour de cassation du 14 février 1990 a rejeté le moyen pris en ses
trois branches faisant grief à la cour d’appel d’Agen d’avoir décidé l’attribution préférentielle de la maison d’habitation à M. X... et le partage en
nature du reste des biens indivis, et que la Cour de cassation avait ainsi indiqué, en prononçant le rejet et en motivant la cassation sur les autres
moyens, qu’elle entendait, quelle que soit la formule employée dans le dispositif de l’arrêt, la restreindre aux chefs qui étaient visés par ces
derniers ; Attendu qu’en se déterminant par de tels motifs, alors que l’arrêt de la Cour de cassation disposait que l’arrêt de la cour d’appel d’Agen
était cassé et annulé dans toutes ses dispositions, et les parties et la cause remises dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, la cour
d’appel a méconnu l’étendue de sa propre saisine, en violation de l’article susvisé ».

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fréquemment constatées.

Ainsi, le signataire se doit de procéder à la lecture intégrale de l’arrêt pour vérifier la régularité́ formelle de la décision, et ne
pas se limiter à la relecture de ses seuls motifs. Sauf à faillir à sa mission, la Cour de cassation ne peut pas ne pas sanctionner
sur des anomalies faisant que l’arrêt n’est plus une véritable décision de justice, même si l’erreur provient d’une mauvaise
utilisation du traitement de texte.

On ne peut que regretter les trop nombreuses cassations qui sont encore prononcées, tant en matière civile que criminelle,
pour des raisons purement formelles, tenant à des irrégularités constatées dans la composition des juridictions, à l’omission
de mentions obligatoires, aux absences des signatures nécessaires. Ces cassations, dont l’effet est catastrophique pour
l’image et le crédit de la justice, pourraient être facilement évitées, si des procédés de contrôle simples étaient mis en place
au sein des cours d’appel et si les documents élaborés par la Cour de cassation avec les cours d’appel étaient
systématiquement utilisés. Avec la mise en ligne sur Jurinet et la publication au BICC des arrêts sanctionnant ces anomalies, il
faut souhaiter que ce type de cassation disparaisse.

Les contraintes de la technique de traitement des pourvois imposant l’établissement de moyens distincts lorsqu’il existe
plusieurs chefs de dispositifs dans la décision attaquée, il serait sage que les juges du fond n’hésitent pas à rédiger des
dispositifs précis et détaillés, afin d’éviter que l’accueil d’un seul moyen ne conduise inutilement à une cassation totale. Si un
dispositif d’une décision au fond est établi comme le propose l’exemple donné ci-dessous, la cassation pourra n’être que
partielle et la cour de renvoi saura exactement ce dont elle est saisie.

1 Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;


2 Déclare X... et Y... responsables de l’accident... ;
3 Dit que Z... (victime) a commis une faute de nature à ... ;
4 Condamne in solidum X... et Y... à payer à Z... la somme de... ;
5 Condamne Y... à garantir X... ;
6 Autres dispositions statuant sur la contribution à la dette entre les coauteurs ; 7 Article 700 du nouveau code de procédure
civile ;
8 Dépens ;

La Cour de cassation souhaite que cette fiche méthodologique aide les magistrats du fond à mieux comprendre ses arrêts et
lui permette ainsi de consacrer l’essentiel de ses forces à sa mission d’interprétation de la règle de droit.

- 22 -
- 23 -
Civ., 3ème, 20 mars 2002, n° 00-16.015

Sur le moyen unique : (Visa) Vu l'article 545 du Code civil ;

(Attendu de principe dans un « chapeau ») Attendu que nul ne peut être contraint de céder sa
propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ;

(Faits et procédure) Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mars 2000), que Mme X... et M. Y...,
propriétaires de fonds contigus, sont convenus d'ériger une clôture mitoyenne ; que Mme X... a fait
assigner M. Y... pour non-respect de cette convention et violation de son droit de propriété ; que
l'expert désigné par le Tribunal a relevé un empiétement d'une partie de la clôture, de 0,5
centimètre, sur le fonds de Mme X... ;

(Décision de la cour d’appel) Attendu que pour débouter Mme X... de ses demandes, la cour
d'appel a retenu que l'empiétement était négligeable ;

(Décision de la Cour de cassation, le « conclusif ») Attendu qu'en statuant ainsi, alors que peu
importe la mesure de l'empiétement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs : (Dispositif) CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16
mars 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les
parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la
cour d'appel de Versailles.

NB : les indications figurant en italique cet arrêt ont été ajoutées par l’enseignant pour vous aider à
distinguer les différentes parties de l’arrêt.

!!! À voir sur le site de la Cour de cassation :

« Les réformes de la motivation et de la rédaction des décisions de la Cour de cassation


La Cour de cassation a adopté, à la fin de l’année 2019, de nouvelles normes de rédaction de toutes ses décisions. Le
style est direct, sans « attendu » ni phrase unique. Les paragraphes sont numérotés. Les grandes parties composites
de l’arrêt sont clairement identifiées : 1. Faits et procédure ; 2. Examen du ou des moyens ; 3. Dispositif. Les règles
concernées sont regroupées, explicitées et illustrées dans un "Guide" publié au sein cette rubrique (V. sur le site de
la Cour de cassation).
Par ailleurs, les arrêts les plus importants (revirements de jurisprudence, solutions de droit nouvelles, unification
de la jurisprudence, mise en cause de droits fondamentaux...) bénéficieront plus systématiquement, à l’avenir,
d’une motivation développée (enrichie). Il s’agira de mettre en évidence la méthode d’interprétation des textes
pertinents retenue par la Cour, d’évoquer les solutions alternatives écartées – lorsque celles-ci ont été sérieusement
discutées –, de citer les « précédents » pour donner plus de lisibilité aux évolutions de la jurisprudence, de faire
état, le cas échéant, des études d’incidences effectuées lorsqu’elles ont joué un rôle conséquent dans le choix de la
solution adoptée... L’ensemble de ces orientations est consigné dans une "Note" en ligne, au sein de ce dossier.
Enfin, la Cour s’est dotée d’une doctrine du contrôle de conventionalité au regard de la Convention européenne
des droits de l’homme. Un "Memento" propose de façon théorique et pratique, trames de motivation en renfort, un
séquençage du contrôle dit de ’proportionnalité’ à usage tant de la Cour de cassation, des juridictions du fond que
des avocats. Ce document est également disponible.
Ce dispositif articulé en ses trois composantes est le fruit d’une démarche collective, large et très ouverte, engagée,
à l’initiative du premier président Bertrand Louvel, par la Cour de cassation, dès l’automne 2014. Après une
première phase exploratoire et d’expérimentation, conduite par une commission de réflexion présidée par Jean-

- 24 -
Paul Jean, président de chambre, sa réalisation a été confiée à une seconde commission, pilotée et animée
par Bruno Pireyre, président de chambre. Ces travaux sont désormais achevés. »

V. ci-après, pour une même affaire, la rédaction de l’arrêt sous la forme de la


rédaction ancienne puis sous la forme nouvelle :
Rédaction ancienne :
RÉPUBLIQUEFRANÇAISE
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE,


a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par M. X... Y..., domicilié […],

contre l’arrêt rendu le 6 octobre 2015 par la cour d’appel de Nancy (1re chambre civile), dans le
litige l’opposant :

1°/ à M. Z... A..., domicilié […],

2°/ à la société Buckfast France, société par actions simplifiée, dont le siège est […], défendeurs à
la cassation ;

En présence de :

L’Association nationale des éleveurs de reines et des centres d’élevage apicoles (ANERCEA), dont
le siège est […],

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent
arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, en


l’audience publique du 23 mai 2017, où étaient présents : Mme Mouillard, président, M. Sémériva,
conseiller rapporteur, Mme Riffault-Silk, conseiller doyen, Mmes Laporte, Bregeon, M. Grass,
Mmes Darbois, Orsini, Poillot-Peruzzetto, M. Cayrol, Mme Champalaune, conseillers, M.
Contamine, Mmes Tréard, Le Bras, M. Gauthier, Mme de Cabarrus, conseillers référendaires, Mme
Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Sémériva, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade,


avocat de M. Y... et de l’Association nationale des éleveurs de reines et des centres d’élevage
apicoles, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. A... et de la société Buckfast France, l’avis de
Mme Pénichon, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Reçoit l’Association nationale des éleveurs de reines et des centres d’élevage apicoles en son
intervention volontaire, au soutien des prétentions de M. Y... ;

Sur le premier moyen :

- 25 -
Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui
n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le moyen relevé d’office, après avertissement délivré aux parties :

Vu l’article L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle, tel qu’interprété à la lumière de l’article


6, paragraphe 1 sous b), de la directive no 89/104/CEE du 21 décembre 1988, rapprochant les
législations des États membres sur les marques, ensemble l’article 620 du code de procédure civile ;

Attendu qu’il résulte du premier texte susvisé que le droit conféré par la marque ne permet pas à
son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, d’indications relatives à l’espèce,
à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l’époque de
la production du produit ou de la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux-ci,
pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou
commerciale ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et
économique, 24 juin 2014, pourvoi no 13-19.651), que M. A..., titulaire, pour l’avoir acquise de M.
B..., de la marque française « Buckfast » déposée le 8 avril 1981, régulièrement renouvelée depuis
et enregistrée pour désigner notamment des produits et services relatifs à l’élevage de reines et
d’abeilles, ainsi que des reines, abeilles et plus généralement des animaux vivants, a assigné M.
Y..., apiculteur, en contrefaçon de cette marque ; que la société Buckfast France, cessionnaire de la
marque, est intervenue aux débats ;

Attendu que pour accueillir l’action de M. A... et de la société Buckfast France en contrefaçon,
l’arrêt retient que M. Y... a utilisé le terme buckfast, ainsi que l’appellation buck, sans l’autorisation
de son titulaire, pour désigner et proposer à la vente des produits identiques à ceux énumérés dans
l’enregistrement de marque ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. Y... n’avait pas fait un
usage honnête d’un signe indispensable à la désignation du produit vendu, la cour d’appel n’a pas
donné de base légale à sa décision ;

Et vu l’article 627 du code de procédure civile, après avertissement délivré aux parties
conformément à l’article 1015, alinéa 2, de ce code ;

Attendu, selon les constatations des juges du fond, que M. Y... a fait paraître en 2003 dans les
revues spécialisées « Abeilles et fleurs » et « L’abeille de France et l’apiculteur » des annonces
mettant en vente des ruches peuplées « Buckfast », ainsi que des essaims et reines sélectionnées
issus des élevages « Buck » et qu’à l’époque de ces parutions, les termes buckfast et buck étaient
devenus usuels pour désigner un certain type d’abeilles ;

Qu’il en résulte qu’en indiquant, dans le cadre d’une offre de transaction entre spécialistes de
l’apiculture, l’espèce des abeilles en question, M. Y... a utilisé le signe en se conformant aux usages
honnêtes en matière industrielle ou commerciale, en faisant ainsi un usage que le titulaire de la
marque n’était pas en droit d’interdire, de sorte que l’action en contrefaçon n’est pas fondée ;

Et attendu qu’aucune faute précise n’étant reprochée à M. A... et à la société Buckfast France, la
demande de M. Y... tendant au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ne peut être
accueillie ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

- 26 -
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il rejette la demande de M. Y... en paiement de dommages-
intérêts pour procédure abusive, l’arrêt rendu le 6 octobre 2015, entre les parties, par la cour
d’appel de Nancy ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Déboute M. A... et la société Buckfast France de leur action en contrefaçon de marque ;

Condamne M. A... et la société Buckfast France aux dépens, incluant ceux exposés devant les juges
du fond ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera
transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et
prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille dix-sept.

Rédaction nouvelle en style direct :


(Voir l’intégralité du guide publié sur le site de la Cour de cassation : GUIDE DES
NOUVELLES RÈGLES RELATIVES À LA STRUCTURE ET À LA RÉDACTION DES
ARRÊTS (MERCREDI 5 JUIN 2019)

Extraits :

« Style direct et abandon de la « phrase unique » Quelle que soit la nature de la décision
(arrêt, ordonnance…), elle doit être rédigée en style direct (abandon de la phrase unique et
des paragraphes introduits par « attendu ».
Standards de rédaction
En première partie (« Faits et procédure »), il importe que la formule introductive mette l’exposé
(reprise) des faits pertinents à bonne distance de la Cour en l’attribuant clairement à la décision
attaquée. On préférera, en matière civile, à la formule « Il résulte de l’arrêt attaqué… », la formule
« Selon l’arrêt attaqué… ». Dans les paragraphes de cette même partie qui y feront suite, on ne
réemploiera plus cette formule. S’agissant, à tout le moins, des arrêts rendus par les chambres
civiles – quelle que soit la nature de l'arrêt : de rejet ou de cassation –, la mention « Selon l’arrêt
attaqué » sera suivie des références de l’arrêt placées entre parenthèses.
En deuxième partie (« Examen des moyens »), la présentation du moyen sera utilement introduite
par la formule : « Monsieur X… [La société Y…] fait grief à l’arrêt de (suivi du verbe à l’infinitif)
… alors que… ».
Le visa des textes est obligatoire en cas de cassation, conformément aux exigences prescrites à
l’article 1020 du code de procédure civile (« l’arrêt vise la règle de droit sur laquelle sur laquelle la
cassation est fondée »). Il prendra la forme suivante : « Vu l’article … : ». Le paragraphe considéré
ne recevra aucune numérotation.
L’usage de la formule « Mais sur le moyen… », qui précède la cassation (d’un moyen en telle de
ses branches) et fait suite au rejet de moyens (en telle de leurs branches), est à conserver.

RÉPUBLIQUEFRANÇAISE

- 27 -
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRET DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET


ÉCONOMIQUE, DU 5 JUILLET 2017

M. X... Y..., domicilié […], a formé le pourvoi n° U 15-28.114 contre l’arrêt rendu le 6 octobre
2015 par la cour d’appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l’opposant :

1°/ à M. Z... A..., domicilié [..],

2°/ à la société Buckfast France, société par actions simplifiée, dont le siège est […],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent
arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

L’Association nationale des éleveurs de reines et des centres d’élevage apicoles (ANERCEA), dont
le siège est [..], présente à l’audience publique, est intervenue volontairement au soutien des
prétentions de M. Y....

Sur le rapport de M. Sémériva, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade,


avocat de M. Y... et de l’Association nationale des éleveurs de reines et des centres d’élevage
apicoles, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. A... et de la société Buckfast France, et l’avis
de Mme Pénichon, avocat général, après débats en l’audience publique du 23 mai 2017 où étaient
présents Mme Mouillard, président, M. Sémériva, conseiller rapporteur, Mme Riffault-Silk,
conseiller doyen, Mmes Laporte, Bregeon, M. Grass, Mmes Darbois, Orsini, Poillot-Peruzzetto, M.
Cayrol, Mme Champalaune, conseillers, M. Contamine, Mmes Tréard, Le Bras, M. Gauthier, Mme
de Cabarrus, conseillers référendaires, et Mme Arnoux, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en


application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers
précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Nancy, 6 octobre 2015), rendu sur renvoi après cassation (chambre
commerciale, financière et économique, 24 juin 2014, pourvoi n° 13-19.651), M. A..., titulaire,
pour l’avoir acquise de M. B..., de la marque française « Buckfast » déposée le 8 avril 1981,
régulièrement renouvelée depuis et enregistrée pour désigner notamment des produits et services
relatifs à l’élevage de reines et d’abeilles, ainsi que des reines, abeilles et plus généralement des
animaux vivants, a assigné M. Y..., apiculteur, en contrefaçon de cette marque.

2. La société Buckfast France, cessionnaire de la marque, est intervenue aux débats.

Examen de la recevabilité de l’intervention volontaire de l’ANERCEA

3. Il y a lieu de recevoir l’Association nationale des éleveurs de reines et des centres d’élevage
apicoles (ANERCEA) en son intervention volontaire, au soutien des prétentions de M. Y....

- 28 -
Examen des moyens

Sur le premier moyen

4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer
par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n’est manifestement pas de nature à
entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d’office

5. Conformément aux articles 620, alinéa 2, et 1015 du code de procédure civile, avis a été donné
aux parties.

Vu l’article L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle, tel qu’interprété à la lumière de l’article


6, paragraphe 1 sous b), de la directive no 89/104/CEE du 21 décembre 1988, rapprochant les
législations des États membres sur les marques :

6. Il résulte du premier texte susvisé que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire
d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, d’indications relatives à l’espèce, à la qualité,
à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la production
du produit ou de la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux-ci, pour autant que
cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

7. Pour accueillir l’action de M. A... et de la société Buckfast France en contrefaçon, l’arrêt retient
que M. Y... a utilisé le terme buckfast, ainsi que l’appellation buck, sans l’autorisation de son
titulaire, pour désigner et proposer à la vente des produits identiques à ceux énumérés dans
l’enregistrement de marque.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. Y... n’avait pas fait un
usage honnête d’un signe indispensable à la désignation du produit vendu, la cour d’appel n’a pas
donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

9. En application de l’article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties qu’il est
fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de
procédure civile.

10. L’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de
cassation statue au fond.

11. Selon les constatations des juges du fond, M. Y... a fait paraître en 2003 dans les revues
spécialisées « Abeilles et fleurs » et « L’abeille de France et l’apiculteur » des annonces mettant en
vente des ruches peuplées « Buckfast », ainsi que des essaims et reines sélectionnées issus des
élevages « Buck », et, à l’époque de ces parutions, les termes buckfast et buck étaient devenus
usuels pour désigner un certain type d’abeilles.

12. Il en résulte qu’en indiquant, dans le cadre d’une offre de transaction entre spécialistes de
l’apiculture, l’espèce des abeilles en question, M. Y... a utilisé le signe en se conformant aux usages
honnêtes en matière industrielle ou commerciale, en faisant ainsi un usage que le titulaire de la
marque n’était pas en droit d’interdire, de sorte que l’action en contrefaçon n’est pas fondée.

13. Aucune faute précise n’étant reprochée à M. A... et à la société Buckfast France, la demande de
M. Y... tendant au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ne peut être accueillie.

- 29 -
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il rejette la demande de M. Y... en paiement de dommages-


intérêts pour procédure abusive, l’arrêt rendu le 6 octobre 2015, entre les parties, par la cour
d’appel de Nancy ;

Dit n’y avoir lieu à renvoi ;

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Déboute M. A... et la société Buckfast France de leur action en contrefaçon de marque ;

Condamne M. A... et la société Buckfast France aux dépens, incluant ceux exposés devant les juges
du fond ;

Rejette les demandes formées en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera
transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et
prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille dix-sept.

Cour de cassation
chambre commerciale
Audience publique du mercredi 11 décembre 2019
N° de pourvoi : 18-10790 18-10842
Publié au bulletin Cassation partielle sans renvoi

Mme Mouillard, président


SCP Bénabent, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat(s)

Jonction

1. Les pourvois n° 18-10.790 et n° 18-10.842, qui attaquent le même arrêt, sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 octobre 2017), la Société française du radiotéléphone (la société
SFR) a conclu les 31 mai 1996, 11 janvier 2002 et 30 décembre 2005 des contrats de distribution
de ses produits et services avec la société Electronique occitane, dont le gérant est M. L.... Il a été
mis fin à ces contrats le 31 décembre 2008. Un arrêt du 25 septembre 2012, devenu irrévocable
sur ce point, a reconnu à M. L... le statut de gérant de succursale et a condamné la société SFR à
lui payer diverses sommes, notamment des rappels de salaire de janvier 2004 à décembre 2005
et les congés payés afférents ainsi que des indemnités de rupture. La société SFR a assigné la
société Electronique occitane et M. L... en annulation des contrats de distribution, à titre
subsidiaire, en résolution de ces contrats pour inexécution, par la société Electronique occitane,
de ses obligations contractuelles et, plus subsidiairement, en réparation du préjudice causé par les
manquements contractuels de la société Electronique occitane, facilités par M. L..., correspondant
au montant des sommes versées à ce dernier en exécution des décisions de justice.

Sur le premier moyen du pourvoi n° 18-10.842

Énoncé du moyen

- 30 -
3. La société SFR fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation des contrats pour erreur
sur la personne alors « que l'erreur qui tombe sur la personne avec laquelle on a l'intention de
contracter est une cause de nullité de la convention dès lors que la considération de cette
personne est la cause principale de la convention; que l'erreur sur la personne peut porter sur les
qualités essentielles de celle-ci ; que la qualité de personne morale est essentielle lorsqu'une
partie a eu intention de contracter avec une société en raison de sa réputation et de son
expérience ; qu'en l'espèce, après avoir observé qu'il ressortait des dispositions contractuelles
liant la société SFR et la société Electronique occitane « que la société SFR [avait] entendu
souscrire les contrats de distribution avec la société Electronique occitane, représentée par M. O...
L..., son gérant », la cour d'appel a néanmoins cru pouvoir en déduire qu'aucune erreur sur la
personne de son cocontractant n'avait vicié le consentement de la société SFR lorsqu'elle avait
contracté avec Electronique occitane ; qu'en statuant ainsi, lorsqu'il s'inférait de ses propres
constatations que la société SFR n'avait pas entendu contracter avec M. L..., pris en sa qualité de
personne physique, mais uniquement avec la société Electronique occitane représentée par son
gérant M. L..., la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres
constatations, a violé l'article 1110 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir énoncé que les conditions de l'exécution ultérieure du contrat ne peuvent constituer
un élément caractérisant l'erreur sur le consentement au moment de la conclusion du contrat et
relevé que le contrat de distribution conclu entre la société SFR et la société Electronique occitane
stipulait qu'il était « conclu intuitu personae en considération de la personne morale de la société
[Electronique occitane] ainsi qu'en considération de son dirigeant » et qu'en conséquence, il « ne
pourra[it] être cédé en tout ou partie, sans l'accord préalable, exprès et écrit de SFR », l'arrêt
retient que la société SFR a entendu souscrire les contrats de distribution avec la société
Electronique occitane, représentée par M. L..., son gérant.

5. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit


qu'aucune erreur n'avait été commise par la société SFR sur la personne de son cocontractant.

6. Par conséquent, le moyen n'est pas fondé.

Mais sur le moyen relevé d'office

7. Conformément aux articles 620, alinéa 2, et 1015 du code de procédure civile, avis a été donné
aux parties.

Vu les articles L. 7321-1 à L. 7321-5 du code du travail :

8. Lorsqu'un fournisseur a conclu avec une personne morale un contrat pour la distribution de ses
produits et que le statut de gérant de succursale est reconnu au dirigeant de cette personne, le
fournisseur, condamné à payer à ce dernier les sommes qui lui étaient dues en application de ce
statut d'ordre public, auquel il ne peut être porté atteinte, même indirectement, n'est pas admis à
réclamer à la personne morale, fût-ce pour partie, le reversement des sommes ayant rémunéré les
prestations qu'elle a effectuées en exécution du contrat de distribution.

9. Pour condamner la société Electronique occitane à payer à la société SFR des dommages-
intérêts correspondant aux rappels de salaires et congés payés versés par cette dernière à M. L...,
outre les charges patronales, en exécution de l'arrêt rendu le 25 septembre 2012 lui ayant reconnu
le statut de gérant de succursale, l'arrêt retient que la société SFR a ainsi dû payer deux fois les
mêmes prestations et que si la société Electronique occitane avait exécuté l'ensemble des
obligations qui lui revenaient, le statut de gérant de succursale n'aurait pas été reconnu à son
gérant et la société SFR n'aurait pas été condamnée au paiement de ces sommes.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

- 31 -
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est
fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code
de procédure civile.

12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation
statue au fond.

13. Le principe énoncé ci-avant conduit au rejet des demandes formées par la société SFR.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour : CASSE ET
ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Electronique occitane à payer à la
Société française du radiotéléphone (SFR) la somme de 92 473,43 euros au titre du préjudice subi
et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le
11 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette la demande formée par la Société française du radiotéléphone en réparation de son


préjudice ;

Condamne la Société française du radiotéléphone aux dépens, incluant ceux exposés devant les
juges du fond ;

Rejette sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamne à payer à la société Electronique occitane et à M. L... la somme globale de 3 000


euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- 32 -
Méthodologie de la fiche d’arrêt (ou l’introduction d’un commentaire d’arrêt)

I - La phrase d’accroche

Elle n’est pas toujours exigée dans une fiche d’arrêt (cela peut parfois dépendre du chargé de TD).
Mais elle serait indispensable si la fiche d’arrêt sert d’introduction d’un commentaire d’arrêt. Dans
un commentaire d’arrêt en effet, il est bon d’avoir une (ou des) phrase(s) d’accroche de présentation
de l’arrêt.
Présentez l’arrêt : la juridiction, la chambre (s’il s’agit de la Cour de cassation, précisez ainsi
s’il s’agit d’un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, de la deuxième
chambre civile…, de la chambre commerciale de Cour de cassation…), la date, le thème.
Exemple : « La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 24 septembre
2009 venant préciser la notion de droit de rétention. »
Mais il faut surtout pour « accrocher » l’attention du lecteur de votre introduction que vous
mettiez en exergue l’intérêt de l’arrêt, son utilité, en quoi l’arrêt est important. Ce sont « des
phases d’accroche », on doit avoir envie de vous lire parce que cet arrêt apporte vraiment une
contribution utile, a un intérêt majeur ! Utilisez alors les formules adéquates : « Cet arrêt apporte
une contribution importante à la notion de… » ; « Nul doute que les praticiens du droit seront
fortement intéressés par cet arrêt qui porte sur une clause d’un contrat largement utilisée : la clause
d’indemnité dans une promesse de vente »). Ou alors vous indiquez précisément le thème de l’arrêt
et vous ajoutez : « Tel est tout l’intérêt de l’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de
cassation, dans son arrêt du… ». Si c’est un revirement de jurisprudence, c’est ici que cela doit être
souligné car, à l’évidence, un revirement de la Cour de cassation représente tout l’enjeu de l’arrêt
que vous allez commenter.

II - Les faits

Il faut résumer les faits de l’arrêt de manière chronologique. Il ne faut pas recopier les faits mais
relater les éléments qui sont importants (en vue de la problématique posée dans l’arrêt). Dit
autrement, il faut faire un tri dans les faits pour ne garder que les éléments strictement nécessaires à
la compréhension de l’arrêt et au problème de droit. Il faut veiller, cependant, à ne pas omettre
certains éléments qui auraient une incidence sur le problème de droit ou sa solution.
Attention, certains termes juridiques doivent apparaitre : « les mots clés » des faits, notamment si la
problématique ultérieure porte sur un acte précisément dénommé dans l’arrêt, indiquez cet acte, ce
contrat (la date de l’acte importe peu parfois, donc inutile de surcharger la présentation des faits par
des éléments qui n’ont aucune importance par rapport à la problématique qui suivra plus tard dans
l’introduction).
Vous devez qualifier juridiquement les faits, notamment distinguer les parties (si la
problématique de l’arrêt, qui arrive plus tard dans l’introduction, concerne un contrat de vente, vous
choisirez de présenter les faits en écrivant « en l’espèce, un vendeur/un acheteur…, plutôt que le
nom des parties M.X. et Mme Y…. ; si l’objet du litige et la question de droit qui en découle porte
sur une promesse de vente, écrivez « Dans cette affaire, un promettant/le bénéficiaire de la
promesse,…etc.). On parlera ainsi de vendeur, d’acquéreur, de bailleur, de preneur, d’emprunteur,
de prêteur, de promettant, de bénéficiaire, de créancier, de débiteur, de responsable, de victime, …
Il n’y a aucun intérêt à parler de M. X… ou de Mme Y…, car la problématique et la solution de
l’arrêt ne seront pas propres à M. X… et à Mme Y…, mais s’attacheront à leurs qualités juridiques.

Il faut résumer ces faits en s’arrêtant juste avant la saisine d’une juridiction, qui fait l’objet de
l’étape suivante de la fiche.

- 33 -
III - La procédure

La troisième étape consiste à retracer les différentes phases (dans l’ordre chronologique) devant les
juridictions successives. Ainsi, une fois les faits énoncés, l’assignation par le demandeur doit être la
suite logique des évènements. Vous devez commencer par :
- L’assignation, la partie demanderesse et le tribunal concerné (qui assigne qui, devant quelle
juridiction, objet de la ou des demande(s) ?).
- Puis décision de la juridiction du premier degré avec la date de ce premier jugement - Ex. : « Le
tribunal de commerce, dans son jugement du…. a débouté le vendeur de sa demande » ou « a fait
droit à cette demande. » (si l’arrêt fourni cet élément, ce qui n’est pas toujours le cas. Si vous lisez
un arrêt rendu par la Cour de cassation, le jugement de première instance est ainsi rarement évoqué,
puisque c’est l’arrêt de la cour d’appel qui est attaqué, sauf s’il y a la formule « attendu qu’il est fait
grief à l’arrêt confirmatif attaqué », ce qui signifie que l’arrêt d’appel a confirmé la décision du
premier degré. A l’inverse, il y aurait la mention « arrêt infirmatif » lorsque la cour d’appel infirme
la décision de première instance). – Poursuivez la chronologie : « Saisie de l’affaire, la Cour
d’appel de… » (indiquez précisément quelle cour d’appel (Ex. : la Cour d’appel de Paris) dans son
arrêt du (date) « a jugé que », « a estimé que », « considère que », « retient que » et la position
(solution) de l’arrêt d’appel. Ex. : « la Cour d’appel de Paris confirme le jugement dans un arrêt du
23 mars 2003, elle retient que l’auteur du dommage n’était pas doué de discernement et que sa
responsabilité ne pouvait par conséquent pas être engagée. ». Puis exprimez le pourvoi en cassation.
Qui forme le pourvoi ?

L’étudiant sera particulièrement vigilant à la terminologie employée, notamment :

Rappel !
Les juges du premier degré rendent des jugements ;
La cour d’appel et la Cour de cassation rendent des arrêts ;
Une partie interjette appel ;
Une partie se pourvoit en cassation ou forme un pourvoi en cassation ;
La cour d’appel confirme/infirme le jugement, elle rend un arrêt confirmatif/infirmatif ;
La Cour de cassation casse (ou « censure » l’arrêt ou rejette le pourvoi) ;
Les parties à l’instance sont le demandeur/la demanderesse (et non pas la demandeuse) et
le défendeur/la défenderesse (et non pas le défenseur, qui est l’avocat) ;
Devant la cour d’appel, les parties sont l’appelant et l’intimé ;
Devant la Cour de cassation, on parle de demandeur au pourvoi (et non pas de pourvoyeur) et
de défendeur au pourvoi.

IV - Les moyens des parties

Vous précisez à ce stade, les divers arguments de chacune des parties en présence. C’est à dire les
prétentions invoquées par le demandeur et celle du défendeur. Attention : Il faut bien distinguer les
moyens ce sont les arguments des parties, alors que les motifs sont les arguments donnés par la
juridiction. Si les moyens présentés par l’auteur du pourvoi sont trop nombreux, certains auteurs ne
rapportent pas (en introduction d’un commentaire d’arrêt) l’ensemble des moyens ou des
prétentions car l’introduction serait démesurée. Ainsi, l’analyse des moyens (des prétentions) est
parfois rapportée dans le développement d’un commentaire d’arrêt.

V - Le problème de droit

C’est l’étape la plus importante de votre fiche d’arrêt, indispensable : vous devez y prêter très
attention. Pour trouver le problème de droit, vous devez rechercher la question posée à la Cour de
cassation puis la reformuler. Pour ne pas se tromper, l’étudiant peut se mettre à la place des
magistrats de la Haute juridiction ou à la place de l’auteur du pourvoi pour savoir quelle question
est posée.

- 34 -
Généralement, il est présenté sous forme de question. La formulation de ce problème ne doit être ni
trop générale, ni trop spécifique. Il faut une question formulée en termes généraux mais
répondant spécifiquement au cas en l’espèce. Afin d’être certain que votre problème de droit est
adéquat, vous pouvez vérifier que votre question correspond bien à la réponse donnée par la Cour
de cassation. Il doit s’agir d’une véritable question de droit, c’est-à-dire posée sous la forme
interrogative directe et donc se terminant par un point d’interrogation (« La question est donc la
suivante : … ? »). Mais (même s’il s’agit de l’un des points les plus contestés parmi certains
enseignants), certains acceptent les problématiques posées sous la forme interrogative indirecte :
« En l’espèce, toute la question était donc de savoir si… »).

Selon les arrêts, il peut y avoir deux questions de droit (voire trois plus rarement), notamment
s’il y a deux moyens distincts dans l’arrêt de la Cour de cassation : la Cour va alors devoir répondre
à la question soulevée par le premier moyen puis à la question soulevée par le second moyen. Ce
peut être le cas aussi si un moyen est divisé en branches et que la Cour de cassation répond à
chaque branche d’un moyen unique (autant de questions que de branches).

VI - La solution de la Cour de cassation

La solution de la Cour de Cassation constitue les « motifs » de la juridiction. Il faut indiquer la


position retenue par la Cour de cassation, parfois (si c’est un arrêt de censure), cela passe par un
visa (« La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article… » ou « au double visa des
articles… »). Parfois, immédiatement, sous le visa, il peut y avoir (pas nécessairement) l’énoncé
d’un attendu de principe qui formule la ou les règles de droit. Il peut être rappelé : « La Cour de
cassation rappelle dans un attendu de principe que… ». S’il existe un attendu de principe, c’est-à-
dire une règle énoncée par la Cour de cassation en des termes généraux, le mieux est donc de le
recopier intégralement, entre guillemets.
Pour ensuite indiquez la solution de la Cour de cassation in fine (de l’arrêt ou à l’issue de chaque
moyen). Il faut reprendre les termes exacts donnés par la Cour de Cassation. Citez « … » la ou les
formule(s) de la Cour de cassation lorsqu’elle énonce ainsi sa position dans l’arrêt.
Rappel : dans un arrêt de rejet (par opposition à l’arrêt de cassation), il n’y a pas de visa et donc pas
d’attendu de principe, donc la solution de la Cour de cassation se situe seulement à la fin des
moyens ou de l’arrêt.
Ensuite, s’il s’agit d’un commentaire d’arrêt, il faut revenir à la ligne et annoncer son plan,
simplement les deux parties, dans une phrase ou deux. Ex. : « C’est dire que la Cour de cassation
précise ici……(I) tout en……(II). »

Quelques observations subsidiaires :

Ces éléments de la fiche d’arrêt sont ceux habituellement présentés. Mais la rédaction d’une fiche
d’arrêt peut parfois varier d’une université à l’autre, voire d’un enseignant à l’autre. Sont ici
rappelées les principales règles, celles qui font en général consensus…

Lorsque l’on discute des arrêts en TD ou pour réviser, il faut être particulièrement attentif à la
rédaction de la problématique et de la solution, car s’il ne fallait retenir que deux éléments d’un
arrêt, ce serait ceux-là. Souvent en TD, on manque de temps pour voir tous les arrêts et donc le
chargé de TD peut se concentrer sur ces éléments.

Et pour la suite…Le commentaire d’arrêt (voir la séance sur la méthodologie du


commentaire d’arrêt.

- 35 -
THEME n° 4
Apprentissage de la lecture d'une décision du Conseil d’État

Conseil d'État

N° 372057
Publié au recueil Lebon
10ème / 9ème SSR
Mme Paquita Morellet-Steiner, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats

lecture du lundi 1 juin 2015


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 septembre et 11 décembre 2013


au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'association Promouvoir, dont le siège est BP
48 à Pernes les Fontaines (84210) ; l'association demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 12PA00838 du 3 juillet 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté
sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 1021073/7-1 du 16 décembre 2011 par lequel le tribunal
administratif avait rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de la culture du 4
novembre 2010 accordant au film intitulé SAW 3 D Chapitre Final un visa d'exploitation comportant
seulement une interdiction aux mineurs de seize ans et à ce qu'il soit enjoint au ministre de la culture et de la
communication de prendre toutes les mesures nécessaires pour retirer ce film des salles ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du cinéma et de l'image animée ;
- le code pénal, notamment son article 227-24 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :


- le rapport de Mme Paquita Morellet-Steiner, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de l'sssociation
Promouvoir et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la ministre de la culture et de la communication ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée : " La
représentation cinématographique est subordonnée à l'obtention d'un visa d'exploitation délivré par le
ministre chargé de la culture./ Ce visa peut être refusé ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour
des motifs tirés de la protection de l'enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine.(...) " ;
qu'aux termes de l'article R. 211-10 du même code : " Le ministre chargé de la culture délivre le visa
d'exploitation cinématographique aux œuvres (...) cinématographiques (...) destinés à une représentation
cinématographique, après avis de la commission de classification des œuvres cinématographiques (...) " ;
qu'aux termes de son article L. 211-11 : " Le visa d'exploitation cinématographique vaut autorisation de
représentation publique des œuvres ou documents sur tout le territoire de la France métropolitaine et des

- 36 -
départements et régions d'outre-mer. (...) " ; qu'aux termes, enfin, de l'article R. 211 12 : " Le visa
d'exploitation cinématographique s'accompagne de l'une des mesures de classification suivantes : /1°
Autorisation de la représentation pour tous publics ; /2° Interdiction de la représentation aux mineurs de
douze ans ; /3° Interdiction de la représentation aux mineurs de seize ans ; /4° Interdiction de la
représentation aux mineurs de dix-huit ans sans inscription sur la liste prévue à l'article L. 311-2, lorsque
l'œuvre ou le document comporte des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence mais qui, par
la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité, ne justifient pas une telle inscription ; /5°
Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans avec inscription de l'œuvre ou du document sur
la liste prévue à l'article L. 311-2. " ;

2. Considérant que les dispositions de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée confèrent au
ministre chargé de la culture l'exercice d'une police spéciale fondée sur les nécessités de la protection de
l'enfance et de la jeunesse et du respect de la dignité humaine, en vertu de laquelle il lui incombe en
particulier de prévenir la commission de l'infraction réprimée par les dispositions de l'article 227-24 du code
pénal, qui interdisent la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, d'un message à
caractère violent ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine lorsqu'il est susceptible d'être
vu ou perçu par un mineur, soit en refusant de délivrer à une œuvre cinématographique un visa
d'exploitation, soit en imposant à sa diffusion l'une des restrictions prévues à l'article R. 211-12 du code du
cinéma et de l'image animée, qui lui paraît appropriée au regard tant des intérêts publics dont il doit assurer
la préservation que du contenu particulier de cette œuvre ; qu'il résulte de ce dernier article qu'il appartient
aux juges du fond, saisis d'un recours dirigé contre le visa d'exploitation délivré à une œuvre comportant des
scènes violentes, de rechercher si les scènes en cause caractérisent ou non l'existence de scènes de très
grande violence de la nature de celles dont le 4° et le 5° de cet article interdisent la projection à des mineurs ;
que, dans l'hypothèse où le juge retient une telle qualification, il lui revient ensuite d'apprécier la manière
dont ces scènes sont filmées et dont elles s'insèrent au sein de l'œuvre considérée, pour déterminer laquelle
de ces deux restrictions est appropriée, eu égard aux caractéristiques de cette œuvre cinématographique ;

3. Considérant que, par une décision du 4 novembre 2010, le ministre de la culture a accordé au film intitulé
SAW 3 D Chapitre Final un visa d'exploitation comportant une interdiction aux mineurs de seize ans, assorti
de l'obligation d'informer les spectateurs de l'avertissement suivant : " Ce film comporte un grand nombre de
scènes de torture particulièrement réalistes et d'une grande brutalité, voire sauvagerie " ; que l'association
Promouvoir a contesté, devant le tribunal administratif de Paris, cette décision en tant qu'elle autorisait la
diffusion de cette œuvre à des mineurs ; que, par un jugement du 16 décembre 2011, le tribunal administratif
a rejeté sa demande ; que l'association se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 3 juillet 2013 par lequel la
cour administrative de Paris a rejeté son appel dirigé contre ce jugement ;

4. Considérant qu'après avoir estimé que le film SAW 3 D Chapitre final comportait de nombreuses scènes
qu'elle a qualifiées de scènes de très grande violence en relevant notamment que des personnages y sont
soumis à " des jeux " et tués " dans des conditions particulièrement atroces ", la cour s'est ensuite fondée sur
ce que ces scènes suivaient toutefois " les codes propres à la mise en scène des films d'horreur dits " gore " ,
pour juger que, compte tenu " de la distance critique " des jeunes de plus de seize ans à l'égard des œuvres
appartenant à ce genre cinématographique, leur caractère outrancier " compensait, en partie, la représentation
très réaliste des sévices infligés " ; que, dès lors qu'elle avait relevé l'existence de passages caractérisant des
scènes de très grande violence, la cour ne pouvait, sans erreur de droit, estimer que ces scènes pouvaient
néanmoins justifier que le ministre de la culture délivrât à ce film un visa d'exploitation autorisant sa
projection aux mineurs de seize ans ; que les appréciations qu'elle a portées sur la manière dont ces scènes
sont filmées, si elles étaient de nature à justifier le choix entre le classement prévu au 5° et l'interdiction
simple aux mineurs de dix-huit ans prévue au 4° de l'article R. 211-12 du code du cinéma et de l'image
animée, ne pouvaient légalement lui permettre de regarder les scènes qu'elle qualifiait ainsi comme
n'appelant pas un visa autre que l'un de ceux-ci ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres
moyens du pourvoi, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris doit être annulé ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de
l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant que, lorsqu'une œuvre cinématographique comporte, comme tel est le cas du film SAW 3 D
Chapitre final, de nombreuses scènes violentes, il y a lieu de prendre en considération, pour déterminer si la
présence de ces scènes doit entraîner une interdiction aux mineurs de dix-huit ans, la manière, plus ou moins
réaliste, dont elles sont filmées, l'effet qu'elles sont destinées à produire sur les spectateurs, notamment de

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nature à inciter à la violence ou à la banaliser, enfin, toute caractéristique permettant d'apprécier la mise à
distance de la violence et d'en relativiser l'impact sur la jeunesse ;

7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le film SAW 3 D Chapitre final comporte un grand
nombre de scènes filmées avec un grand réalisme, montrant des actes répétés de torture et de barbarie et
représentant, de manière particulièrement complaisante, les souffrances atroces, tant physiques que
psychologiques, des victimes prises dans des pièges, mis au point par un tueur, où elles sont incitées à se
mutiler elles-mêmes soit pour échapper à la mort, soit pour sauver des proches ; que de telles scènes, sans
toutefois caractériser une incitation à la violence, comportent une représentation de la violence de nature à
heurter la sensibilité des mineurs et justifient ainsi une interdiction de ce film aux mineurs de dix-huit ans ;
que, par suite, le ministre de la culture a commis une erreur d'appréciation en interdisant la diffusion du film
en cause aux seuls mineurs de seize ans ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner ses autres moyens,
l'association Promouvoir est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa
demande tendant à l'annulation du visa délivré par le ministre de la culture à ce film ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :


9. Considérant que l'exécution de la présente décision n'implique pas que le ministre de la culture prenne les
mesures nécessaires pour retirer le film litigieux des salles ; qu'elle appelle seulement, après un réexamen
par le ministre, la délivrance d'un nouveau visa d'exploitation à ce film ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative :
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de
3 500 euros à verser à l'association Promouvoir au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de
justice administrative ;

DECIDE:
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 3 juillet 2013 et le jugement du tribunal
administratif de Paris du 16 décembre 2011 sont annulés.
Article 2 : Le visa délivré le 4 novembre 2010 au film SAW 3D Chapitre final par le ministre de la culture
est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à l'association Promouvoir la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du
code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association Promouvoir et à la ministre de la culture et de la
communication.

Dignité ou liberté : l’affaire du lancer de nain

Conseil d'État
statuant
au contentieux
N° 136727
Publié au recueil Lebon
Lecture du vendredi 27 octobre 1995

Vu la requête enregistrée le 24 avril 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'État, présentée


pour la commune de Morsang-sur-Orge, représentée par son maire en exercice domicilié en cette
qualité en l'hôtel de ville ; la commune de Morsang-sur-Orge demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler le jugement du 25 février 1992 par lequel le tribunal administratif de Versailles a, à la
demande de la société Fun Production et de M. X..., d'une part, annulé l'arrêté du 25 octobre 1991 par
lequel son maire a interdit le spectacle de "lancer de nains" prévu le 25 octobre 1991 à la discothèque
de l'Embassy Club, d'autre part, l'a condamnée à verser à ladite société et à M. X... la somme de 10
000 F en réparation du préjudice résultant dudit arrêté ;
2°) de condamner la société Fun Production et M. X... à lui verser la somme de 10 000 F au titre de
l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;

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Vu le code des communes et notamment son article L. 131-2 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n°
87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Laigneau, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Baraduc-Bénabent, avocat de la commune de Morsang-sur-Orge et de Me
Bertrand, avocat de M. X...,
- les conclusions de M. Frydman, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :


Considérant qu'aux termes de l'article L. 131-2 du code des communes : "La police municipale a pour
objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique" ;
Considérant qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre toute
mesure pour prévenir une atteinte à l'ordre public ; que le respect de la dignité de la personne humaine
est une des composantes de l'ordre public ; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale peut,
même en l'absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte au
respect de la dignité de la personne humaine ;
Considérant que l'attraction de "lancer de nain" consistant à faire lancer un nain par des spectateurs
conduit à utiliser comme un projectile une personne affectée d'un handicap physique et présentée
comme telle ; que, par son objet même, une telle attraction porte atteinte à la dignité de la personne
humaine ; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale pouvait, dès lors, l'interdire même en
l'absence de circonstances locales particulières et alors même que des mesures de protection avaient
été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette
exhibition, contre rémunération ;
Considérant que, pour annuler l'arrêté du 25 octobre 1991 du maire de Morsang-sur-Orge interdisant le
spectacle de "lancer de nains" prévu le même jour dans une discothèque de la ville, le tribunal
administratif de Versailles s'est fondé sur le fait qu'à supposer même que le spectacle ait porté atteinte
à la dignité de la personne humaine, son interdiction ne pouvait être légalement prononcée en
l'absence de circonstances locales particulières ; qu'il résulte de ce qui précède qu'un tel motif est
erroné en droit ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'État saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres
moyens invoqués par la société Fun Production et M. X... tant devant le tribunal administratif que
devant le Conseil d'État ;
Considérant que le respect du principe de la liberté du travail et de celui de la liberté du commerce et
de l'industrie ne fait pas obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir de police municipale interdise
une activité même licite si une telle mesure est seule de nature à prévenir ou faire cesser un trouble à
l'ordre public ; que tel est le cas en l'espèce, eu égard à la nature de l'attraction en cause ;
Considérant que le maire de Morsang-sur-Orge ayant fondé sa décision sur les dispositions précitées
de l'article L. 131-2 du code des communes qui justifiaient, à elles seules, une mesure d'interdiction du
spectacle, le moyen tiré de ce que cette décision ne pouvait trouver sa base légale ni dans l'article 3 de
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni
dans une circulaire du ministre de l'intérieur, du 27 novembre 1991, est inopérant ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal
administratif de Versailles a prononcé l'annulation de l'arrêté du maire de Morsang-sur-Orge en date du
25 octobre 1991 et a condamné la commune de Morsang-sur-Orge à verser aux demandeurs la
somme de 10 000 F ; que, par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter leurs conclusions tendant à
l'augmentation du montant de cette indemnité ;
Sur les conclusions de la société Fun Production et de M. X... tendant à ce que la commune de
Morsang-sur-Orge soit condamnée à une amende pour recours abusif :
Considérant que de telles conclusions ne sont pas recevables ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'aux termes de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 : "Dans toutes les instances, le
juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie la
somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte
de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d'office, pour des
raisons tirées de ces mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant, d'une part, que ces dispositions font obstacle à ce que la commune de Morsang-sur-
Orge, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à la société

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Fun Production et M. X... la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris
dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces
dispositions au profit de la commune de Morsang-sur-Orge et de condamner M. X... à payer à cette
commune la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
qu'il y a lieu, en revanche, de condamner la société Fun Production à payer à la commune de
Morsang-sur-Orge la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les
dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles du 25 février 1992 est annulé.
Article 2 : Les demandes de la société Fun Production et de M. X... présentées devant le tribunal
administratif de Versailles sont rejetées.
Article 3 : L'appel incident de la société Fun Production et de M. X... est rejeté.
Article 4 : La société Fun production est condamnée à payer à la commune de Morsang-sur-Orge la
somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Les conclusions de la société Fun-Production et de M. X... tendant à l'application de l'article
75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la commune de Morsang-sur-Orge, à la société Fun
Production, à M. X... et au ministre de l'intérieur.

- 40 -
THEME n° 5
Apprentissage de la lecture d'une décision du Conseil constitutionnel

Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971

Saisine par Président du Sénat


Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association

Le Conseil constitutionnel,

Saisi le 1er juillet 1971 par le Président du Sénat, conformément aux dispositions de l'article 61 de la
Constitution, du texte de la loi, délibérée par l'Assemblée nationale et le Sénat et adoptée par l'Assemblée
nationale, complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat
d'association ;

Vu la Constitution et notamment son préambule ;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le
chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Vu la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, modifiée ;

Vu la loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et milices privées ;

1. Considérant que la loi déférée à l'examen du Conseil constitutionnel a été soumise au vote des deux
assemblées, dans le respect d'une des procédures prévues par la Constitution, au cours de la session du
Parlement ouverte le 2 avril 1971 ;

2. Considérant qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et
solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe de la liberté
d'association ; que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au
contrat d'association ; qu'en vertu de ce principe les associations se constituent librement et peuvent être
rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable ; qu'ainsi, à l'exception des
mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories particulières d'associations, la constitution
d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être
soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité
judiciaire ;

3. Considérant que, si rien n'est changé en ce qui concerne la constitution même des associations non
déclarées, les dispositions de l'article 3 de la loi dont le texte est, avant sa promulgation, soumis au Conseil
constitutionnel pour examen de sa conformité à la Constitution, ont pour objet d'instituer une procédure
d'après laquelle l'acquisition de la capacité juridique des associations déclarées pourra être subordonnée à un
contrôle préalable par l'autorité judiciaire de leur conformité à la loi ;

4. Considérant, dès lors, qu'il y a lieu de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l'article
3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901,
ainsi, par voie de conséquence, que la disposition de la dernière phrase de l'alinéa 2 de l'article 1er de la loi
soumise au Conseil constitutionnel leur faisant référence ;

5. Considérant qu'il ne résulte ni du texte dont il s'agit, tel qu'il a été rédigé et adopté, ni des débats auxquels
la discussion du projet de loi a donné lieu devant le Parlement, que les dispositions précitées soient
inséparables de l'ensemble du texte de la loi soumise au Conseil ;

6. Considérant, enfin, que les autres dispositions de ce texte ne sont contraires à aucune disposition de la
Constitution ;

Décide :

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Article premier :
Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 de la loi soumise à l'examen du
Conseil constitutionnel complétant les dispositions de l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901 ainsi que les
dispositions de l'article 1er de la loi soumise au Conseil leur faisant référence.
Article 2 :
Les autres dispositions dudit texte de loi sont déclarées conformes à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Journal officiel du 18 juillet 1971, p. 7114

Décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013


Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe

Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la
Constitution, de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, le 23 avril 2013, par MM.
Christian JACOB, Élie ABOUD, Bernard ACCOYER, Yves ALBARELLO, Julien AUBERT, Olivier
AUDIBERT TROIN, Patrick BALKANY, Jean-Pierre BARBIER, Jacques Alain BÉNISTI, Sylvain
BERRIOS, Xavier BERTRAND, Étienne BLANC, Marcel BONNOT, Jean-Claude BOUCHET, Mme
Valérie BOYER, MM. Xavier BRETON, Philippe BRIAND, Bernard BROCHAND, Gilles CARREZ, Yves
CENSI, Jérôme CHARTIER, Gérard CHERPION, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Jean-
Louis CHRIST, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Philippe COCHET, Jean-François COPÉ, François
CORNUT-GENTILLE, Édouard COURTIAL, Jean-Michel COUVE, Mme Marie-Christine DALLOZ, MM.
Gérald DARMANIN, Olivier DASSAULT, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Pierre DECOOL, Bernard
DEFLESSELLES, Lucien DEGAUCHY, Rémi DELATTE, Patrick DEVEDJIAN, Nicolas DHUICQ, Mme
Sophie DION, MM. Jean-Pierre DOOR, Dominique DORD, David DOUILLET, Mmes Marianne DUBOIS,
Virginie DUBY-MULLER, MM. Christian ESTROSI, Daniel FASQUELLE, Georges FENECH, François
FILLON, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FOULON, Yves FROMION, Laurent FURST, Claude de
GANAY, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Mme Annie GENEVARD, MM. Guy GEOFFROY, Bernard
GÉRARD, Alain GEST, Franck GILARD, Georges GINESTA, Charles-Ange GINESY, Jean-Pierre
GIRAN, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Philippe GOUJON, Mmes Claude GREFF, Anne
GROMMERCH, Arlette GROSSKOST, MM. Serge GROUARD, Henri GUAINO, Mme Françoise
GUÉGOT, MM. Jean-Claude GUIBAL, Jean-Jacques GUILLET, Christophe GUILLOTEAU, Michel
HEINRICH, Antoine HERTH, Patrick HETZEL, Philippe HOUILLON, Guénhaël HUET, Sébastien
HUYGHE, Christian KERT, Jacques KOSSOWSKI, Mme Valérie LACROUTE, MM. Marc LAFFINEUR,
Jacques LAMBLIN, Jean-François LAMOUR, Mme Laure de LA RAUDIÈRE, MM. Guillaume LARRIVÉ,
Charles de LA VERPILLIÈRE, Thierry LAZARO, Alain LEBOEUF, Mme Isabelle LE CALLENNEC,
MM. Marc LE FUR, Pierre LELLOUCHE, Dominique LE MÈNER, Jean LEONETTI, Pierre LEQUILLER,
Philippe LE RAY, Céleste LETT, Mmes Geneviève LEVY, Véronique LOUWAGIE, MM. Lionnel LUCA,
Gilles LURTON, Jean-François MANCEL, Alain MARC, Laurent MARCANGELI, Thierry MARIANI,
Hervé MARITON, Olivier MARLEIX, Franck MARLIN, Alain MARSAUD, Patrice MARTIN-
LALANDE, Alain MARTY, Jean-Claude MATHIS, François de MAZIÈRES, Damien MESLOT, Philippe
MEUNIER, Pierre MORANGE, Pierre MOREL-A-L'HUISSIER, Jean-Luc MOUDENC, Alain MOYNE-
BRESSAND, Jacques MYARD, Mme Dominique NACHURY, MM. Yves NICOLIN, Patrick OLLIER,
Mme Valérie PÉCRESSE, MM. Jacques PÉLISSARD, Bernard PERRUT, Jean-Frédéric POISSON, Mmes
Bérengère POLETTI, Josette PONS, MM. Christophe PRIOU, Didier QUENTIN, Bernard REYNÈS,
Arnaud ROBINET, Camille de ROCCA SERRA, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Martial SADDIER,
Paul SALEN, François SCELLIER, Mme Claudine SCHMID, MM. André SCHNEIDER, Jean-Marie
SERMIER, Fernand SIRÉ, Thierry SOLÈRE, Michel SORDI, Éric STRAUMANN, Claude STURNI, Alain
SUGUENOT, Lionel TARDY, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Jean-
Marie TETART, Dominique TIAN, François VANNSON, Mme Catherine VAUTRIN, MM. Patrice
VERCHÈRE, Jean-Pierre VIGIER, Philippe VITEL, Michel VOISIN, Laurent WAUQUIEZ, Éric
WOERTH, Mme Marie-Jo ZIMMERMANN, MM. Arnaud RICHARD, Thierry BENOIT, Bertrand
PANCHER, Francis HILLMEYER, Franck REYNIER, François SAUVADET, Yannick FAVENNEC,
François-Xavier VILLAIN, Rudy SALLES, Philippe VIGIER, Jean-Christophe FROMANTIN, André
SANTINI, Charles de COURSON, Philippe FOLLIOT, Francis VERCAMER, Gilles BOURDOULEIX,
Maurice LEROY, François ROCHEBLOINE, Hervé MORIN et Yannick MOREAU, députés ;

- 42 -
Et le même jour, par MM. François ZOCCHETTO, Jean-Claude GAUDIN, Pierre ANDRÉ, Gérard
BAILLY, Philippe BAS, René BEAUMONT, Christophe BÉCHU, Michel BÉCOT, Joël BILLARD, Jean
BIZET, Pierre BORDIER, Joël BOURDIN, Mme Marie-Thérèse BRUGUIÈRE, MM. François-Noël
BUFFET, François CALVET, Christian CAMBON, Jean-Pierre CANTEGRIT, Jean-Noël CARDOUX,
Jean-Claude CARLE, Mme Caroline CAYEUX, MM. Gérard CÉSAR, Pierre CHARON, Alain
CHATILLON, Jean-Pierre CHAUVEAU, Marcel-Pierre CLÉACH, Gérard CORNU, Raymond COUDERC,
Jean-Patrick COURTOIS, Philippe DALLIER, Serge DASSAULT, Mme Isabelle DEBRÉ, MM. Francis
DELATTRE, Robert del PICCHIA, Gérard DÉRIOT, Mmes Catherine DEROCHE, Marie-Hélène DES
ESGAULX, MM. Éric DOLIGÉ, Philippe DOMINATI, Michel DOUBLET, Mme Marie-Annick
DUCHÊNE, MM. Alain DUFAUT, André DULAIT, Ambroise DUPONT, Louis DUVERNOIS, Jean-Paul
EMORINE, André FERRAND, Louis-Constant FLEMING, Bernard FOURNIER, Jean-Paul FOURNIER,
René GARREC, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, MM. Jacques GAUTIER, Patrice GÉLARD, Bruno
GILLES, Mme Colette GIUDICELLI, MM. Alain GOURNAC, Francis GRIGNON, François
GROSDIDIER, Charles GUENÉ, Pierre HÉRISSON, Michel HOUEL, Alain HOUPERT, Jean-François
HUMBERT, Benoît HURÉ, Jean-Jacques HYEST, Mmes Sophie JOISSAINS, Christiane
KAMMERMANN, M. Marc LAMÉNIE, Mme Élisabeth LAMURE, MM. Gérard LARCHER, Robert
LAUFOAULU, Daniel LAURENT, Jean-René LECERF, Antoine LEFÈVRE, Jacques LEGENDRE,
Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Jean-Claude LENOIR, Philippe LEROY, Gérard LONGUET,
Roland du LUART, Michel MAGRAS, Philippe MARINI, Pierre MARTIN, Mme Hélène MASSON-
MARET, M. Jean-François MAYET, Mme Colette MÉLOT, MM. Albéric de MONTGOLFIER, Philippe
NACHBAR, Louis NÈGRE, Philippe PAUL, Jackie PIERRE, François PILLET, Xavier PINTAT, Louis
PINTON, Rémy POINTEREAU, Christian PONCELET, Ladislas PONIATOWSKI, Hugues PORTELLI,
Mmes Sophie PRIMAS, Catherine PROCACCIA, MM. Jean-Pierre RAFFARIN, Henri de RAINCOURT,
André REICHARDT, Bruno RETAILLEAU, Charles REVET, Bernard SAUGEY, René-Paul SAVARY,
Michel SAVIN, Bruno SIDO, Mme Esther SITTLER, MM. Abdourahamane SOILIHI, André TRILLARD,
Mme Catherine TROENDLE, MM. François TRUCY, Jean-Pierre VIAL, Jean-Paul AMOUDRY, Jean
ARTHUIS, Jean-Marie BOCKEL, Jean BOYER, Vincent DELAHAYE, Marcel DENEUX, Yves
DÉTRAIGNE, Mme Muguette DINI, MM. Daniel DUBOIS, Jean-Léonce DUPONT, Mme Jacqueline
GOURAULT, M. Jean-Jacques LASSERRE, Mme Valérie LÉTARD, MM. Hervé MARSEILLE, Hervé
MAUREY, Jean-Claude MERCERON, Michel MERCIER, Aymeri de MONTESQUIOU, Mme Catherine
MORIN-DESAILLY, MM. Christian NAMY, Yves POZZO di BORGO, Gérard ROCHE, Henri
TANDONNET et Jean-Marie VANLERENBERGHE, sénateurs.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel ;
Vu la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;
Vu la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la
Constitution ;
Vu le code civil ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu le code rural et de la pêche maritime ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code du travail ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 2 mai 2013 ;
Vu les observations en réplique présentées par les députés requérants, enregistrées le 10 mai 2013 ;
Vu les observations en réplique présentées par les sénateurs requérants, enregistrées le 10 mai 2013 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi ouvrant le
mariage aux couples de personnes de même sexe ; qu'ils soutiennent que cette loi et, en particulier, ses
articles 14 et 22 ont été adoptés selon une procédure contraire à la Constitution ; qu'ils soutiennent aussi que
ses articles 1er, 7, 13, 14 et 21 sont contraires à la Constitution ; que les députés requérants contestent en
outre la conformité à la Constitution de son article 19 ; que les sénateurs requérants mettent encore en cause

- 43 -
la procédure d'adoption des articles 16, 17, 18 et 19 de la loi et la conformité à la Constitution de ses articles
8, 11 et 12 ;

- SUR LA PROCÉDURE D'ADOPTION DE LA LOI :

. En ce qui concerne l'étude d'impact jointe au projet de loi :

2. Considérant que les requérants font valoir que l'étude d'impact jointe au projet de loi n'a pas permis
d'éclairer suffisamment les parlementaires sur la portée du texte qui leur a été soumis ; qu'en particulier, cette
étude d'impact aurait omis d'indiquer les conséquences sociales, financières et juridiques des dispositions du
projet de loi ; qu'elle aurait également omis de présenter l'état de la législation comparée et la compatibilité
du projet de loi avec les conventions internationales conclues par la France ;

3. Considérant qu'aux termes des troisième et quatrième alinéas de l'article 39 de la Constitution : « La


présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions
fixées par une loi organique. - Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l'ordre du jour si la Conférence des
présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues.
En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l'assemblée
intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours »
; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 susvisée : « Les projets
de loi font l'objet d'une étude d'impact. Les documents rendant compte de cette étude d'impact sont joints
aux projets de loi dès leur transmission au Conseil d'État. Ils sont déposés sur le bureau de la première
assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent » ; que, selon le premier
alinéa de l'article 9 de la même loi organique, la Conférence des présidents de l'assemblée sur le bureau de
laquelle le projet de loi a été déposé dispose d'un délai de dix jours suivant le dépôt pour constater que les
règles relatives aux études d'impact sont méconnues ;

4. Considérant que le projet de loi a été déposé le 7 novembre 2012 sur le bureau de l'Assemblée nationale et
que la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale n'a été saisie d'aucune demande tendant à
constater que les règles relatives aux études d'impact étaient méconnues ; que les commissions des
assemblées ont procédé à de nombreuses auditions ; qu'au regard du contenu de l'étude d'impact, le grief tiré
de la méconnaissance de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 doit être écarté ; qu'il en va de même
du grief tiré de l'atteinte aux exigences constitutionnelles de clarté et de sincérité des débats parlementaires ;

. En ce qui concerne la procédure parlementaire :

5. Considérant que, selon les députés requérants, la fixation d'un temps législatif programmé pour l'examen
en deuxième lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale ainsi que le refus d'accorder un allongement
exceptionnel de la durée d'examen, qui était de droit dès lors que le président d'un groupe d'opposition avait
formulé une telle demande, ont porté atteinte aux exigences de clarté et de sincérité des débats
parlementaires ainsi qu'aux droits spécifiques des groupes d'opposition et minoritaires prévus par l'article 51-
1 de la Constitution ;

6. Considérant, d'une part, que, selon le dixième alinéa de l'article 49 du règlement de l'Assemblée nationale,
une fois par session, un président de groupe peut obtenir, de droit, un allongement exceptionnel de la durée
du temps législatif programmé dans une limite maximale fixée par la Conférence des présidents ; que cette
dernière a fixé cette limite maximale, en deuxième lecture, à vingt-cinq heures ; que le président d'un groupe
d'opposition a formulé une demande d'allongement exceptionnel en Conférence des présidents et que cette
demande a été satisfaite par la fixation du temps législatif programmé à une durée de vingt-cinq heures ; qu'il
résulte de ce qui précède que le grief tiré de l'absence d'octroi de l'allongement exceptionnel du temps
législatif programmé doit être écarté ;

7. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 51-1 de la Constitution : « Le règlement de chaque
assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein. Il reconnaît des droits
spécifiques aux groupes d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'aux groupes minoritaires » ; qu'en
l'espèce, la durée du temps législatif programmé pour l'examen en deuxième lecture du projet de loi a été
fixée à vingt-cinq heures ; qu'il en résulte qu'il n'a été porté atteinte ni à l'article 51-1 de la Constitution ni
aux exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires ;

- 44 -
. En ce qui concerne la place des articles 16, 17 et 18 dans la loi déférée :

8. Considérant que les sénateurs requérants soutiennent que les articles 16, 17 et 18 ne présentent aucun lien
avec le texte initial et ont été adoptés en méconnaissance du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution ;
qu'ils font également valoir qu'en raison de leur caractère financier, ces dispositions relèvent d'une loi de
finances ou d'une loi de financement de la sécurité sociale ;

9. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 45 de la
Constitution : « Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en
première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis » ;

10. Considérant que l'article 16, qui modifie l'article L. 88 du code des pensions civiles et militaires de
retraite, correspond au 2° de l'article 11 du projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 7
novembre 2012 ; qu'il en va de même de l'article 18, modifiant les articles L. 331-7, L. 351-4, L. 613-19, L.
613-19-1, L. 613-19-2, L. 711-9, L. 713-6, L. 722-8, L. 722-8-1 et L. 722-8-3 du code de la sécurité sociale,
qui correspond à l'article 14 du projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale ; que le grief tiré
de la méconnaissance du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution est inopérant ;

11. Considérant que l'article 17 a été inséré en première lecture à l'Assemblée nationale ; que cet article, qui
modifie les articles L. 732-10, L. 732-11, L. 732-12 et L. 732-12-1 du code rural et de la pêche maritime et
insère un nouvel article L. 732-10-1 dans ce code, prévoit, sous certaines conditions, en cas d'adoption, une
allocation de remplacement au profit des travailleurs non salariés agricoles sans considération du sexe des
bénéficiaires, à l'instar de ce que prévoyait l'article 14 du projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée
nationale pour les salariés relevant du régime général ; qu'ainsi l'article 17 présente un lien avec le projet de
loi initial ;

12. Considérant, en second lieu, que si les articles 16, 17 et 18 comprennent des dispositions ayant une
incidence sur les dépenses des régimes de sécurité sociale ainsi que sur celles du compte d'affectation
spéciale relatif aux pensions, ils ne relèvent pas pour autant du domaine exclusif des lois de finances tel qu'il
est défini par les articles 34 et 35 de la loi organique du 1er août 2001 susvisée ou du domaine exclusif des
lois de financement de la sécurité sociale tel qu'il est défini par l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité
sociale ;

13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les articles 16, 17 et 18 ont été adoptés selon une
procédure conforme à la Constitution ;

- SUR LES NORMES DE CONSTITUTIONNALITÉ APPLICABLES :

14. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant « l'état et la
capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités » ; qu'il est à tout moment
loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont
il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur
substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de
garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; que l'article 61 de la Constitution ne confère
pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du
Parlement mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des
lois déférées à son examen ;

15. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : «
La loi. . . Doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne
s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à
l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui
en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que si, en règle générale, ce principe
impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas
pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ;

16. Considérant que le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de
la Constitution de 1946 qui dispose : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires
à leur développement » ;

- 45 -
- SUR LE MARIAGE :

. En ce qui concerne le paragraphe I de l'article 1er :

17. Considérant que l'article 1er de la loi rétablit un article 143 du code civil dans le chapitre Ier du titre V
du livre Ier du code civil, consacré aux qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage ;
qu'aux termes de cet article : « Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même
sexe » ;

18. Considérant que, selon les requérants, l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe
méconnaît le principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel le mariage est l'union
d'un homme et d'une femme ; qu'ils font en outre valoir que la modification de la définition du mariage
porterait atteinte aux exigences du quatorzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;

19. Considérant que les sénateurs requérants font également valoir que l'article 34 de la Constitution ne fait
référence qu'aux « régimes matrimoniaux » ; que, par son caractère fondamental, la définition du mariage
relèverait de la compétence du constituant ; que le mariage entre personnes de même sexe méconnaîtrait un «
enracinement naturel du droit civil » selon lequel l'altérité sexuelle est le fondement du mariage ; que
l'ouverture du mariage à des couples de même sexe « détournerait l'institution du mariage à des fins
étrangères à l'institution matrimoniale » ; qu'enfin, l'importance du changement opéré par les dispositions
contestées dans la définition du mariage porterait atteinte, à l'égard des personnes mariées, à la liberté du
mariage et au droit au maintien des conventions légalement conclues ;

20. Considérant, en premier lieu, que les règles relatives au mariage relèvent de l'état des personnes ; que,
par suite, le grief tiré de ce que l'article 34 de la Constitution ne confierait pas au législateur la compétence
pour fixer les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage doit être écarté ;

21. Considérant, en deuxième lieu, que la tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour
soutenir qu'un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu'autant que cette tradition
aurait donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier
alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; que, si la législation républicaine antérieure à 1946 et les
lois postérieures ont, jusqu'à la loi déférée, regardé le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme,
cette règle qui n'intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni l'organisation
des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la République au
sens du premier alinéa du Préambule de 1946 ; qu'en outre, doit en tout état de cause être écarté le grief tiré
de ce que le mariage serait « naturellement » l'union d'un homme et d'une femme ;

22. Considérant, en troisième lieu, qu'en ouvrant l'accès à l'institution du mariage aux couples de personnes
de même sexe, le législateur a estimé que la différence entre les couples formés d'un homme et d'une femme
et les couples de personnes de même sexe ne justifiait plus que ces derniers ne puissent accéder au statut et à
la protection juridique attachés au mariage ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer
son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en matière de mariage, de cette différence de
situation ;

23. Considérant, en quatrième lieu, que les dispositions de l'article 1er ne portent aucune atteinte aux droits
acquis nés de mariages antérieurs ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte à la liberté du mariage,
composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, et au droit au
maintien des conventions légalement conclues, qui résulte de son article 4, doit être écarté ;

24. Considérant, en cinquième lieu, que les dispositions de l'article 1er n'ont ni pour objet ni pour effet de
déroger au principe selon lequel tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi
; que, par suite, les griefs tirés de la méconnaissance des principes du droit international public et du
quatorzième alinéa du Préambule de 1946 doivent être écartés ; qu'il n'appartient pas au Conseil
constitutionnel, saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la compatibilité d'une loi
avec les engagements internationaux de la France ;

25. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 143 du code civil ne
méconnaissent pas les exigences constitutionnelles précitées ;

- 46 -
. En ce qui concerne le paragraphe II de l'article 1er :

26. Considérant que le paragraphe II de l'article 1er de la loi insère après le chapitre IV du titre V du livre Ier
du code civil un chapitre IV bis, intitulé « Des règles de conflit de lois », et comprenant les articles 202-1 et
202-2 ;

27. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 202-1 du code civil : « Les qualités et conditions
requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle » ; que le
second alinéa du même article prévoit : « Toutefois, deux personnes de même sexe peuvent contracter
mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'État sur le territoire duquel
elle a son domicile ou sa résidence le permet » ;

28. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions qui introduisent, au profit du mariage de
personnes de même sexe, une règle de conflit de lois distincte de celle qui prévaut pour les mariages de
personnes de sexe différent, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi ; qu'ils soutiennent également
qu'elles auront pour effet d'inciter des étrangers à venir en France pour « contourner les empêchements de
leur loi nationale », de favoriser des « mariages blancs » en fraude à la législation sur l'entrée et le séjour en
France ainsi que la législation sur la nationalité, et entraîneront une augmentation du nombre de mariages
valables dans un pays et nuls dans l'autre ; que serait ainsi méconnu le principe de sécurité juridique ;

29. Considérant, en premier lieu, que, par les dispositions du second alinéa de l'article 202-1 du code civil
dans sa rédaction résultant du paragraphe II de l'article 1er de la loi déférée, le législateur a entendu
introduire un dispositif spécifique selon lequel « deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage
lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'État sur le territoire duquel elle a
son domicile ou sa résidence le permet » ; qu'il était loisible au législateur de permettre à deux personnes de
même sexe de nationalité étrangère, dont la loi personnelle prohibe le mariage entre personnes de même
sexe, de se marier en France dès lors que les autres conditions du mariage et notamment la condition de
résidence sont remplies ; que le législateur, qui n'était pas tenu de retenir les mêmes règles pour les mariages
contractés entre personnes de sexe différent, n'a pas traité différemment des personnes se trouvant dans des
situations semblables ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte au principe d'égalité devant la loi doit être
écarté ;

30. Considérant, en second lieu, que l'éventualité d'un détournement de la loi ou d'abus lors de son
application n'entache pas celle-ci d'inconstitutionnalité ; qu'il appartient aux juridictions compétentes
d'empêcher, de priver d'effet et, le cas échéant, de réprimer de telles pratiques ; que le grief tiré de l'atteinte à
la sécurité juridique doit, en tout état de cause, être écarté ;

31. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 202-1 du code civil, qui ne
méconnaissent aucune exigence constitutionnelle, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

- SUR L'ADOPTION :

32. Considérant que les articles 343 et 346 du code civil, applicables tant à l'adoption plénière qu'à l'adoption
simple, disposent, d'une part, que l'adoption « peut être demandée par deux époux. . . » et, d'autre part, que «
nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n'est par deux époux » ; qu'en outre, il résulte tant de
l'article 356 du code civil, applicable à l'adoption plénière, que de l'article 365 du même code applicable à
l'adoption simple, compte tenu de la portée que la jurisprudence constante de la Cour de cassation confère à
ces dispositions, que la faculté d'une adoption au sein d'un couple est réservée aux conjoints ; que, par suite,
l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe a pour conséquence de permettre l'adoption
par des couples de personnes de même sexe ainsi que l'adoption au sein de tels couples ;

33. Considérant que les articles 7 et 8 de la loi modifient les articles 345-1 et 360 du code civil afin de fixer
les conditions dans lesquelles un enfant ayant déjà fait l'objet d'une adoption par une personne peut
ultérieurement être adopté par le conjoint de cette personne ;

34. Considérant que l'article 13 de la loi insère dans le code civil un article 6-1 aux termes duquel : « Le
mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à

- 47 -
l'exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier du présent code, que les époux ou les parents soient de
sexe différent ou de même sexe » ;

35. Considérant que les requérants mettent en cause l'intelligibilité de ces dispositions, la conformité à la
Constitution de l'ouverture de l'adoption aux couples de personnes de même sexe et les modifications
apportées par les articles 7 et 8 aux dispositions du code civil relatives à l'adoption ;

. En ce qui concerne l'intelligibilité des dispositions relatives à l'adoption :

36. Considérant que les requérants font valoir que les dispositions du code civil qui font référence à la
filiation désignent distinctement « le père » et « la mère » ; qu'en prévoyant que le mariage et la filiation
emportent les mêmes effets, droits et obligations, que les époux soient de même sexe ou de sexe différent,
les dispositions de l'article 13 conduisent, d'une part, à ce que les mots « père » et « mère » puissent désigner
deux hommes ou deux femmes et, d'autre part, à ce que la portée de ces mots varie selon qu'ils sont ou non
placés dans le titre VII du livre Ier du code civil ; qu'il en résulterait une méconnaissance des exigences de
clarté et de précision de la loi ; qu'en permettant l'établissement d'un lien de filiation à l'égard de deux
personnes de même sexe sans modifier les dispositions du titre VII du livre Ier du code civil, ces dispositions
rendraient en outre inintelligibles certains articles du code civil, notamment ses articles 320, 330, 333, 336 et
336-1 ; que seraient également incompréhensibles les dispositions de l'article 310 du code civil relatives à
l'égalité entre les enfants ;

37. Considérant que les députés requérants font en outre valoir qu'en s'abstenant d'apporter les modifications
nécessaires aux règles relatives à la présomption de paternité, à la procréation médicalement assistée et à la
gestation pour le compte d'autrui, les dispositions contestées auraient en outre rendu l'ensemble de ces règles
incohérentes et inintelligibles ;

38. Considérant qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la
Constitution et, en particulier, son article 34 ; que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et
d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, impose au législateur
d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ;

- Quant au titre VII du livre Ier du code civil :


39. Considérant que, s'agissant des règles relatives à l'établissement et à la contestation de la filiation, le livre
Ier du code civil comprend un titre VII, consacré à « la filiation », et un titre VIII, consacré à « la filiation
adoptive » ;

40. Considérant que le titre VII distingue entre la filiation maternelle et la filiation paternelle ; que l'article
320 du code civil, qui figure au sein de ce titre VII, dispose : « Tant qu'elle n'a pas été contestée en justice, la
filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait » ; que, par
suite, les dispositions de cet article font obstacle à ce que deux filiations maternelles ou deux filiations
paternelles soient établies à l'égard d'un même enfant ; qu'ainsi, en particulier, au sein d'un couple de
personnes de même sexe, la filiation ne peut être établie par la présomption de l'article 312 du code civil ;
que le mariage est sans incidence sur les autres modes d'établissement de la filiation prévus par le titre VII
du livre Ier du code civil ;

41. Considérant qu'au sein du titre VIII, l'article 358, applicable aux enfants ayant été adoptés en la forme
plénière, dispose : « L'adopté a, dans la famille de l'adoptant, les mêmes droits et les mêmes obligations
qu'un enfant dont la filiation est établie en application du titre VII » du livre Ier ; qu'en prévoyant, à titre de
mesure générale de coordination, que la filiation adoptive emporte les mêmes effets, droits et obligations
reconnus par les lois, à l'exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier, que les époux ou les parents
soient de sexe différent ou de même sexe, les dispositions de l'article 6-1 du code civil n'ont pas entendu
faire obstacle à l'application de la règle selon laquelle, les enfants adoptés, que leurs parents soient de même
sexe ou de sexe différent, bénéficieront des mêmes droits que ceux dont la filiation est légalement établie en
application de ce titre VII ;

42. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que doit être écarté le grief tiré de ce que l'article 6-1 du code
civil entacherait le titre VII du livre Ier du code civil d'inintelligibilité ;

- Quant à l'article 13 de la loi :

- 48 -
43. Considérant qu'à l'exception des dispositions du titre VII du livre Ier du code civil, les règles de droit
civil, notamment celles relatives à l'autorité parentale, au mariage, aux régimes matrimoniaux et aux
successions, ne prévoient pas de différence entre l'homme et la femme s'agissant des relations du mariage,
des conséquences qui en résultent et des conséquences relatives à l'établissement d'un lien de filiation ; que,
par suite, en prévoyant que le mariage et la filiation emportent les mêmes effets, droits et obligations
reconnus par les lois, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe, sans supprimer
les références qui, dans ces textes, désignent les « père » et « mère » ou « le mari et la femme », l'article 6-1
du code civil ne rend pas ces règles inintelligibles ;

44. Considérant que, d'une part, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier la
portée des dispositions de l'article 16-7 du code civil aux termes desquelles : « toute convention portant sur
la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle » ; que, d'autre part, il résulte de l'article L.
2141-2 du code de la santé publique que l'assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à
l'infertilité pathologique, médicalement diagnostiquée d'un couple formé d'un homme et d'une femme en âge
de procréer, qu'ils soient ou non mariés ; que les couples formés d'un homme et d'une femme sont, au regard
de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe ; que le
principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes
dès lors que la différence de traitement qui en résulte est en lien direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que,
par suite, ni le principe d'égalité ni l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la
loi n'imposaient qu'en ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de personnes de même sexe, le législateur
modifie la législation régissant ces différentes matières ;

45. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de ce que l'article 13 de la loi serait entaché
d'inintelligibilité doivent être écartés ;

. En ce qui concerne l'adoption par des personnes de même sexe ou au sein d'un couple de personnes de
même sexe :

46. Considérant que, selon les requérants, la possibilité conférée à deux personnes de même sexe d'adopter
un enfant porte atteinte au « principe de valeur constitutionnelle de la filiation bilinéaire fondée sur l'altérité
sexuelle », proclamé par les lois de la République, ainsi qu'au droit constitutionnel de tout enfant à voir sa
filiation établie à l'égard de son père et de sa mère ; que l'adoption par deux personnes de même sexe
porterait en outre atteinte au droit de l'enfant de mener une vie familiale normale ainsi qu'à la protection de
l'intérêt supérieur de l'enfant ; qu'il en résulterait également une méconnaissance des stipulations de l'article
3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

47. Considérant qu'ils soutiennent encore que, lorsque l'enfant est adopté en la forme plénière par deux
personnes de sexe différent, l'effacement de la filiation antérieure garantirait la préservation du secret de
l'adoption et ferait entrer l'enfant dans la famille de l'adoptant « comme un enfant biologique » ; que la
possibilité d'une adoption par deux personnes de même sexe conduirait au contraire nécessairement à révéler
l'orientation sexuelle des adoptants et la nature adoptive de la filiation ; qu'il en résulterait une atteinte au
droit à la protection de la vie privée et à l'égalité devant la loi ;

48. Considérant qu'ils font enfin valoir que, compte tenu notamment des difficultés que rencontreront les
couples de personnes de même sexe pour adopter, la possibilité d'un établissement de la filiation à l'égard de
deux personnes de même sexe incitera ces couples à recourir à l'étranger à la procréation médicalement
assistée et à la gestation pour le compte d'autrui en fraude à la loi française ;

- Quant aux griefs tirés de l'atteinte au principe d'égalité et au droit de mener une vie familiale normale :
49. Considérant, en premier lieu que, d'une part, en permettant l'adoption par deux personnes de même sexe
ou au sein d'un couple de personnes de même sexe, le législateur, compétent pour fixer les règles relatives à
l'état et à la capacité des personnes en application de l'article 34 de la Constitution, a estimé que l'identité de
sexe des adoptants ne constituait pas, en elle-même, un obstacle à l'établissement d'un lien de filiation
adoptive ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du
législateur sur la prise en compte, pour l'établissement d'un lien de filiation adoptive, de la différence entre
les couples de personnes de même sexe et les couples formés d'un homme et d'une femme ;

- 49 -
50. Considérant que, d'autre part, en vertu de l'article 356 du code civil, l'adoption plénière confère à l'enfant
une filiation qui se substitue à sa filiation d'origine ; que le principe d'égalité impose que les enfants adoptés
en la forme plénière bénéficient, dans leur famille adoptive, des mêmes droits que ceux dont bénéficient les
enfants dont la filiation est établie en application du titre VII du livre Ier du code civil ; qu'une telle exigence
est satisfaite par les dispositions de l'article 358 du code civil précité ;

51. Considérant, en outre, que la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789 implique le
respect de la vie privée ; que, toutefois, aucune exigence constitutionnelle n'impose ni que le caractère
adoptif de la filiation soit dissimulé ni que les liens de parenté établis par la filiation adoptive imitent ceux de
la filiation biologique ; que, par suite, le grief tiré de ce que la possibilité d'une adoption par deux personnes
de même sexe porterait atteinte au principe d'égalité et au droit à la protection de la vie privée doit être
écarté;

52. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de
reconnaître aux couples de personnes de même sexe un « droit à l'enfant » ; qu'elles ne soustraient pas les
couples de personnes de même sexe aux règles, conditions et contrôles institués en matière de filiation
adoptive ; qu'en effet, ces dispositions ne modifient pas la règle, fixée par le premier alinéa de l'article 353-1
du code civil, aux termes duquel : « Dans le cas d'adoption d'un pupille de l'État, d'un enfant remis à un
organisme autorisé pour l'adoption ou d'un enfant étranger qui n'est pas l'enfant du conjoint de l'adoptant, le
tribunal vérifie avant de prononcer l'adoption que le ou les requérants ont obtenu l'agrément pour adopter ou
en étaient dispensés » ; qu'il n'est pas davantage dérogé à la règle, fixée par le premier alinéa de l'article L.
225-2 du code de l'action sociale et des familles, aux termes duquel : « Les pupilles de l'État peuvent être
adoptés soit par les personnes à qui le service de l'aide sociale à l'enfance les a confiés pour en assurer la
garde lorsque les liens affectifs qui se sont établis entre eux justifient cette mesure, soit par des personnes
agréées à cet effet, soit, si tel est l'intérêt desdits pupilles, par des personnes dont l'aptitude à les accueillir a
été régulièrement constatée dans un État autre que la France, en cas d'accord international engageant à cette
fin ledit État » ; que s'appliquent également les dispositions de son article L. 225-17 qui prévoit : « Les
personnes qui accueillent, en vue de son adoption, un enfant étranger doivent avoir obtenu l'agrément prévu
aux articles L. 225-2 à L. 225-7 » ; qu'ainsi, les couples de personnes de même sexe qui désirent adopter un
enfant seront soumis, comme ceux qui sont formés d'un homme et d'une femme, à une procédure destinée à
constater leur capacité à accueillir un enfant en vue de son adoption ;

53. Considérant, d'une part, que la conformité à la Constitution d'une loi déjà promulguée peut être appréciée
à l'occasion de l'examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son
domaine ; qu'en l'espèce les dispositions contestées affectent le domaine des articles L. 225-2 et L. 225-17
du code de l'action sociale et des familles ; que les dispositions relatives à l'agrément du ou des adoptants,
qu'ils soient de sexe différent ou de même sexe, ne sauraient conduire à ce que cet agrément soit délivré sans
que l'autorité administrative ait vérifié, dans chaque cas, le respect de l'exigence de conformité de l'adoption
à l'intérêt de l'enfant qu'implique le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; que, sous cette
réserve, les dispositions des articles L. 225-2 et L. 225-17 du code de l'action sociale et des familles ne
méconnaissent pas les exigences du dixième alinéa du Préambule de 1946 ;

54. Considérant, d'autre part, que les dispositions contestées ne dérogent pas aux dispositions de l'article 353
du code civil, selon lesquelles l'adoption est prononcée par le tribunal de grande instance à la requête de
l'adoptant si les conditions de la loi sont remplies « et si l'adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant » ; que
ces dispositions, applicables que les adoptants soient de même sexe ou de sexe différent, mettent en oeuvre
l'exigence résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 selon laquelle l'adoption ne
peut être prononcée que si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant ;

55. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de ce que les dispositions contestées
méconnaîtraient le dixième alinéa du Préambule de 1946 doit être écarté ; qu'il en va de même du grief tiré
de ce que les droits de l'enfant seraient inégalement protégés selon qu'ils sont adoptés par des parents de
même sexe ou par des parents de sexe différent ;

- Quant aux autres griefs :

56. Considérant, en premier lieu, que la tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour
soutenir qu'un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu'autant que cette tradition
aurait donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République ; que la législation

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républicaine antérieure à la Constitution de 1946 relative aux conditions de l'adoption et aux conditions
d'établissement de la maternité et de la paternité a toujours compris des règles limitant ou encadrant les
conditions dans lesquelles un enfant peut voir établir les liens de filiation à l'égard du père ou de la mère
dont il est issu ; que notamment, l'action en recherche de paternité a vu son régime juridique modifié par la
loi du 16 novembre 1912 sur la déclaration judiciaire de paternité naturelle et que l'action en recherche de
paternité des enfants adultérins a été interdite jusqu'à la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation ; que de
même les règles relatives à l'adoption de l'enfant mineur ont été modifiées par la loi du 19 juin 1923 sur
l'adoption ; qu'ainsi, en tout état de cause, doit être écarté le grief tiré de la méconnaissance d'un principe
fondamental reconnu par les lois de la République en matière de « caractère bilinéaire de la filiation fondé
sur l'altérité sexuelle » ; qu'il en va de même du grief tiré de la méconnaissance d'un principe constitutionnel
garantissant le droit de tout enfant de voir sa filiation concurremment établie à l'égard d'un père et d'une
mère ;

57. Considérant en deuxième lieu, que, si les dispositions de l'article 55 de la Constitution confèrent aux
traités, dans les conditions qu'elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni
n'impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des
lois à la Constitution ; qu'ainsi, en tout état de cause, doit être rejeté le grief tiré de la méconnaissance de la
Convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

58. Considérant, en troisième lieu, que l'éventualité d'un détournement de la loi lors de son application
n'entache pas celle-ci d'inconstitutionnalité ; qu'il appartient aux juridictions compétentes d'empêcher, de
priver d'effet et, le cas échéant, de réprimer de telles pratiques ;

59. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ouverture de l'adoption par des couples de personnes de
même sexe et au sein de ces couples n'est pas contraire aux exigences constitutionnelles précitées ; que les
dispositions des articles 1er et 13 de la loi déférée, qui ne méconnaissent aucune autre exigence
constitutionnelle, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

. En ce qui concerne l'adoption d'un enfant ayant déjà fait l'objet d'une adoption :

60. Considérant que l'article 7 de la loi insère dans l'article 345-1 du code civil un 1° bis afin de permettre
l'adoption de l'enfant du conjoint « Lorsque l'enfant a fait l'objet d'une adoption plénière par ce seul conjoint
et n'a de filiation établie qu'à son égard » ; que l'article 8 de la loi insère dans l'article 360 du même code un
troisième alinéa aux termes duquel : « L'enfant précédemment adopté par une seule personne, en la forme
simple ou plénière, peut l'être une seconde fois, par le conjoint de cette dernière, en la forme simple » ;

61. Considérant que les sénateurs requérants font valoir qu'en maintenant la règle selon laquelle un enfant
adopté ne peut faire l'objet d'une seconde adoption tout en levant cette interdiction pour permettre l'adoption
de l'enfant du conjoint, les dispositions des articles 7 et 8 porteraient atteinte à l'égalité devant la loi ;

62. Considérant que l'article 346 prohibe l'adoption par deux personnes si ce n'est par deux époux ; que le
deuxième alinéa de l'article 360 permet « s'il est justifié de motifs graves » l'adoption simple de l'enfant
ayant déjà fait l'objet d'une adoption plénière ; qu'il ressort du second alinéa de l'article 356 du code civil,
s'agissant de l'adoption plénière, ainsi que du premier alinéa de l'article 365 du même code, s'agissant de
l'adoption simple, que l'adoption de l'enfant du conjoint produit des effets identiques à ceux de l'adoption par
deux époux ; que les modifications apportées aux articles 345-1 et 360 du code civil fixent les conditions
dans lesquelles un enfant ayant déjà fait l'objet d'une adoption, peut ultérieurement être aussi adopté par le
conjoint de l'adoptant ; qu'en réservant cette possibilité à l'adoption de l'enfant du conjoint, le législateur a
pris en compte, comme il lui était loisible de le faire, la différence entre les adoptions au sein du couple et les
autres formes d'adoption ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte au principe d'égalité doit être écarté ;

63. Considérant que, par suite, les dispositions des articles 7 et 8 de la loi déférée, qui ne méconnaissent
aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

- SUR LES DISPOSITIONS RELATIVES AU NOM DE FAMILLE :

64. Considérant que l'article 11 porte sur les règles de dévolution du nom de famille ; que le 1° de son
paragraphe I complète le premier alinéa de l'article 311-21 du code civil, applicable à la filiation, par une
disposition selon laquelle « en cas de désaccord entre les parents sur le nom de l'enfant, signalé par l'un d'eux

- 51 -
à l'officier de l'état civil, au plus tard au jour de la déclaration de naissance ou après la naissance, lors de
l'établissement simultané de la filiation, l'enfant prend leurs deux noms, dans la limite du premier nom de
famille pour chacun d'eux, accolés selon l'ordre alphabétique » ;

65. Considérant que le paragraphe III du même article 11 donne une nouvelle rédaction de l'article 357 du
code civil relatif aux effets de l'adoption plénière sur le nom et les prénoms de l'enfant ; que, selon cet
article, l'adoption confère à l'enfant le nom de l'adoptant ; qu'en cas d'adoption de l'enfant du conjoint ou
d'adoption d'un enfant par deux époux, l'adoptant et son conjoint, ou les adoptants choisissent, par
déclaration conjointe, le nom de famille dévolu à l'enfant : soit le nom de l'un d'eux, soit leurs deux noms
accolés dans l'ordre choisi par eux, dans la limite d'un nom de famille pour chacun d'eux et, qu'en l'absence
de déclaration conjointe, l'enfant prend le nom de l'adoptant et de son conjoint ou de chacun des deux
adoptants, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d'eux, accolés dans l'ordre alphabétique ;

66. Considérant que l'article 12 de la loi déférée modifie l'article 361 du code civil rendant applicables à
l'adoption simple des dispositions relatives à l'adoption plénière afin de préciser que le dernier alinéa de
l'article 357 relatif aux prénoms de l'enfant adopté est applicable en cas d'adoption simple ; que le
paragraphe II du même article 12 donne une nouvelle rédaction de l'article 363 du même code sur le nom de
l'enfant en cas d'adoption simple ; que, selon cet article, en principe, et selon certaines conditions avec
l'accord de l'enfant, l'adoption simple confère le nom de l'adoptant à l'adopté en l'ajoutant au nom de ce
dernier ; que, lorsque l'adopté et l'adoptant, ou l'un d'eux, portent un double nom de famille, le nom conféré à
l'adopté résulte de l'adjonction du nom de l'adoptant à son propre nom, dans la limite d'un seul nom pour
chacun d'eux, et qu'en cas de désaccord ou à défaut de choix, le nom conféré à l'enfant résulte de l'adjonction
en seconde position du premier nom de l'adoptant au premier nom de l'adopté ;

67. Considérant que, selon les sénateurs requérants, la nouvelle rédaction de l'article 311-21 du code civil
résultant de l'article 11 de la loi déférée modifie « artificiellement les règles qui prévalent en matière de
dévolution du nom de famille pour tenter de trouver une solution à l'établissement de filiations artificielles »
; que ces dispositions, en raison de leur complexité, « conduiraient inévitablement à une multiplication des
noms de famille doubles » et « feraient ainsi disparaître des noms patronymiques en fin d'alphabet » ; qu'ils
soutiennent également que la différence dans l'attribution du choix du nom entre les enfants adoptés et les
autres enfants méconnaît le principe d'égalité devant la loi ; qu'ils font valoir, enfin, que les dispositions de
l'article 12 qui « relèvent de la même logique » sont inintelligibles et méconnaissent le principe d'égalité ;

68. Considérant que, par les dispositions des articles 11 et 12 de la loi déférée qui donnent une nouvelle
rédaction des articles 357 et 363 du code civil, le législateur a entendu, en particulier, tirer les conséquences,
sur la dévolution du nom de famille, de l'ouverture de l'adoption aux conjoints de même sexe ; que le
législateur a notamment prévu qu'en l'absence de déclaration conjointe mentionnant le nom de l'enfant, celui-
ci prendra le nom de l'adoptant et de son conjoint ou de chacun des deux adoptants, dans la limite du premier
nom de famille pour chacun d'eux, présentés dans l'ordre alphabétique ; que la modification apportée par
l'article 11 à l'article 311-21 du code civil prévoit une règle similaire pour les enfants dont la filiation est
établie selon les modalités prévues par le titre VII du livre Ier de ce code ; qu'en réservant l'application de
cette règle au cas de désaccord entre les parents signalé par l'un d'eux à l'officier de l'état civil au plus tard au
jour de la déclaration de naissance, le législateur a instauré une différence de traitement rendue nécessaire
par la différence entre des formalités relatives à la dévolution du nom de famille, d'une part, en cas de
filiation et, d'autre part, en cas de filiation adoptive ; que cette différence de traitement ne méconnaît pas le
principe d'égalité ; que, par suite, le grief tiré de sa méconnaissance doit être écarté ;

69. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions des articles 11 et 12, qui ne sont
entachées d'aucune inintelligibilité, ne sont contraires à aucune exigence constitutionnelle et doivent être
déclarées conformes à la Constitution ;

- SUR LES DISPOSITIONS RELATIVES AU CODE DU TRAVAIL :

70. Considérant que l'article 19 insère après l'article L. 1132-3-1 du code du travail un article L. 1132-3-2
ainsi rédigé : « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire
mentionnée à l'article L. 1132-1 pour avoir refusé en raison de son orientation sexuelle une mutation
géographique dans un État incriminant l'homosexualité » ;

- 52 -
71. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions qui sont dépourvues de tout lien avec le texte ont
été adoptées en méconnaissance du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution ; que les députés
requérants soutiennent en outre qu'elles obligent un salarié à dévoiler à son employeur son orientation
sexuelle, en méconnaissance de son droit au respect de la vie privée qu'implique l'article 2 de la Déclaration
de 1789 ; qu'elles porteraient également atteinte à l'égalité entre les salariés selon leur orientation sexuelle ;

72. Considérant, en premier lieu, que l'article 19 est issu d'un amendement inséré en première lecture à
l'Assemblée nationale dans le projet de loi initial et modifié en première lecture au Sénat ; qu'eu égard à son
objet il présente un lien avec le projet de loi initial ; qu'il a été adopté selon une procédure conforme à la
Constitution ;

73. Considérant, en deuxième lieu, que, par les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer une
protection aux salariés qui, en raison de leur orientation sexuelle, auraient refusé une mutation géographique
dans un État incriminant l'homosexualité ; qu'il appartient au salarié de décider de se prévaloir d'une telle
protection ; que les dispositions de l'article 19 ne portent pas, en elles-mêmes, atteinte au droit au respect de
la vie privée de ces salariés ; que, par suite, le grief doit être écarté ;

74. Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les dispositions
contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de traiter différemment des personnes placées dans la même
situation ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte au principe d'égalité doit être écarté ;

75. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 19 de la loi doit être déclaré conforme à la
Constitution ;

- SUR LE RECOURS AUX ORDONNANCES :

76. Considérant que l'article 14 autorise le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance certaines mesures
de coordination nécessaires pour adapter à la loi déférée l'ensemble des dispositions législatives en vigueur à
l'exception de celles du code civil ;

77. Considérant que, selon les requérants, l'introduction de cette disposition par amendement, qui aurait
permis de ne pas présenter d'étude d'impact correspondant à la demande d'habilitation, serait constitutive
d'un détournement de procédure ; que le champ et la portée de cette habilitation seraient définis de manière
insuffisamment précise, en méconnaissance de l'article 38 de la Constitution ; qu'enfin, en prévoyant une
entrée en vigueur immédiate des autres dispositions de la loi déférée alors que les dispositions prises par voie
d'ordonnance sur le fondement de l'article 14 doivent l'être dans un délai de six mois, le législateur n'aurait
pas assuré le respect des exigences constitutionnelles d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ;

78. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 38 de la Constitution : « Le
Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre,
par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi » ; que s'il
ressort de cette disposition que seul le Gouvernement peut demander au Parlement l'autorisation de prendre
de telles ordonnances, aucune exigence constitutionnelle n'impose que cette demande figure dans le projet de
loi initial ; qu'en l'espèce, l'article 14 résulte d'un amendement du Gouvernement qui a été inséré en première
lecture au Sénat ; que, dès lors, est inopérant le grief tiré de la méconnaissance des exigences relatives aux
projets de loi concernant leur présentation ; que l'article 14 a été adopté selon une procédure conforme à la
Constitution ;

79. Considérant, en deuxième lieu, que, si l'article 38 de la Constitution fait obligation au Gouvernement
d'indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu'il présente, la finalité des mesures
qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnance ainsi que leur domaine d'intervention, il n'impose pas au
Gouvernement de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu'il prendra en vertu de cette
habilitation ;

80. Considérant que l'autorisation délivrée au Gouvernement par le 1° du paragraphe I de l'article 14 porte
sur « les mesures nécessaires pour adapter l'ensemble des dispositions législatives en vigueur, à l'exception
de celles du code civil, afin de tirer les conséquences de l'application aux conjoints et parents de même sexe
des dispositions applicables aux conjoints et parents de sexe différent » ; que l'autorisation délivrée au
Gouvernement par le 2° du paragraphe I de l'article 14 a pour objet de permettre les mêmes modifications de

- 53 -
la législation, avec les adaptations nécessaires, à Mayotte, dans les collectivités d'outre-mer relevant de
l'article 74 de la Constitution, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises ;
que ces habilitations ont pour objet d'opérer des modifications d'ordre terminologique et des coordinations
qui leur sont liées ; qu'en raison de cet objet limité, ces habilitations, bien qu'elles concernent l'ensemble des
dispositions législatives, à l'exception de celles du code civil, sont définies avec une précision suffisante
pour satisfaire aux exigences de l'article 38 de la Constitution ; qu'elles ne peuvent pas dispenser le
Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont ainsi conférés, de respecter les règles et principes de
valeur constitutionnelle ;

81. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions de coordination introduites par l'article 13 de la loi
déférée dans le titre préliminaire du code civil à l'article 6-1, selon lesquelles le mariage et la filiation
adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, que les époux ou les parents
soient de sexe différent ou de même sexe, sont d'application générale ; que, néanmoins, le Gouvernement a
demandé à être habilité à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour adapter l'ensemble des
dispositions législatives en vigueur, à l'exception de celles du code civil, dans le but de modifier la rédaction
de certaines dispositions législatives pour tirer, de manière expresse et exhaustive, les conséquences de
l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de personnes de même sexe et, ainsi, d'améliorer la
qualité de la loi ; que, dans ces conditions, les griefs tirés de ce que, d'une part, la formulation de
l'habilitation serait insuffisamment précise et, d'autre part, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité
et d'intelligibilité de la loi s'opposerait à l'application immédiate de la loi doivent être écartés ;

82. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'article 14 doit être déclaré conforme à la
Constitution ;

- SUR LA VALIDATION DES MARIAGES ANTÉRIEURS À LA LOI :

83. Considérant qu'aux termes de l'article 21 de la loi déférée : « Le mariage entre personnes de même sexe
contracté avant l'entrée en vigueur de la présente loi est reconnu, dans ses effets à l'égard des époux et des
enfants, en France, sous réserve du respect des articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162, 163, 180 et 191 du
code civil. Il peut faire l'objet d'une transcription dans les conditions prévues aux articles 171-5 et 171-7 du
même code. À compter de la date de transcription, il produit effet à l'égard des tiers » ;

84. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions ont pour objet de valider des mariages conclus,
avant la nouvelle loi, en contrariété avec la loi qui était alors applicable et en créant ainsi « une insécurité
juridique manifeste » ; que cette validation, dont la portée ne serait pas strictement définie, ne répondrait pas
à un motif suffisant d'intérêt général ; que ces dispositions seraient en outre contraires à l'objectif de valeur
constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ;

85. Considérant qu'il résulte des travaux préparatoires que, par les dispositions de l'article 21, le législateur a
entendu préciser les conditions de reconnaissance et de transcription des mariages contractés à l'étranger
avant l'entrée en vigueur de la loi déférée ; qu'en l'état du droit antérieur à la promulgation de celle-ci, le
mariage célébré à l'étranger entre un ressortissant français et un citoyen d'un État qui reconnaît aux couples
de même sexe le droit de se marier n'est pas reconnu par le droit français ; que la reconnaissance, par l'article
21, du mariage contracté à l'étranger entre deux personnes de même sexe avant l'entrée en vigueur de la loi
ainsi que la possibilité d'en obtenir la transcription sont subordonnées au respect des règles relatives à la
validité du mariage prévues par les articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162, 163, 180 et 191 du code civil ;
qu'en outre, la transcription d'un tel mariage est soumise aux contrôles de l'autorité diplomatique ou
consulaire ainsi que du ministère public dans les conditions prévues par les articles 171-5 et 171-7 du code
civil ;

86. Considérant que, d'une part, ces dispositions ne portent atteinte à aucun droit acquis ; que, d'autre part, il
était loisible au législateur d'instaurer une exception à la règle selon laquelle la validité d'un mariage
s'apprécie au jour de sa célébration, en faisant produire des effets en France aux mariages célébrés à
l'étranger antérieurement à la promulgation de la loi ; que les dispositions contestées ne sont entachées
d'aucune inintelligibilité ;

87. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 21 doit être déclaré conforme à la Constitution ;

- SUR L'APPLICATION DE LA LOI OUTRE-MER :

- 54 -
88. Considérant que les requérants contestent l'article 22 qui rend applicables les dispositions des articles 1er
à 13 et 21 de la loi déférée en Nouvelle-Calédonie, dans les îles Wallis et Futuna et en Polynésie française ;
que cette extension, qui n'a pas été précédée d'une consultation des assemblées délibérantes de ces
collectivités, violerait les articles 74 et 77 de la Constitution ; que l'habilitation à légiférer par voie
d'ordonnance prévue par le 2° du paragraphe I de l'article 14 pour permettre d'adapter les dispositions
législatives autres que celles du code civil dans les collectivités d'outre-mer relevant de l'article 74 de la
Constitution et en Nouvelle-Calédonie permettrait de différer la consultation des assemblées délibérantes de
ces collectivités et, en outre, de vider de tout sens utile la portée de la consultation, qui ne portera que sur des
dispositions tirant les conséquences mécaniques de la loi déférée ;

89. Considérant que les dispositions de la loi déférée qui sont rendues applicables en Nouvelle-Calédonie,
dans les îles Wallis et Futuna et en Polynésie française portent sur l'état et la capacité des personnes ; que ces
matières relèvent de la compétence de l'État ; que les dispositions de la loi déférée n'ont pas pour effet de
modifier les règles applicables aux personnes soumises à un statut personnel distinct du statut civil de droit
commun ;

90. Considérant que le législateur ayant rendu applicables les dispositions de la loi déférée sans les assortir
de mesures d'adaptation tenant à l'organisation particulière des collectivités concernées, la procédure de
consultation des assemblées délibérantes de ces collectivités n'était pas obligatoire ; que, par suite, le grief
tiré de l'absence de consultation de ces assemblées délibérantes doit être écarté ;

91. Considérant que l'article 22, qui n'est contraire à aucune autre exigence constitutionnelle, doit être
déclaré conforme à la Constitution ;

92. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune autre question de
constitutionnalité,

DÉCIDE:

Article 1er.- Les articles 1er, 7, 8, 11 à 14, 19, 21 et 22 de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes
de même sexe sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Sous la réserve énoncée au considérant 53, les articles L. 225-2 et L. 225-17 du code de l'action
sociale et des familles sont conformes à la Constitution.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 mai 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis
DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM.
Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Valéry GISCARD
d'ESTAING, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.

Comprendre l’enjeu d’une QPC : illustration au regard du droit de propriété

Fondements légaux :

Art. 544 C. civ. : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus
absolue, pourvu que l’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

Ex-art. 809, al. 1e, C. proc. civ. : « Le président peut toujours, même en présence d'une contestation
sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit
pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »

Et depuis : Décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile :

V. Code de procédure civile :

- 55 -
Chapitre II : Les ordonnances de référé

Art. 834.- « Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux
de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures
qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. »

Art. 835.- « Le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les
limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire
en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un
dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder
une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation
de faire. »

Observer d’abord l’arrêt suivant :

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 20 janvier 2010
N° de pourvoi : 08-16088
Publié au bulletin

Sur le moyen unique :

Vu l'article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile, ensemble l'article 544 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 16 avril 2008), statuant en référé, que la société d'HLM
France habitation (la société d'HLM), propriétaire d'un ensemble immobilier, a assigné en expulsion
pour occupation sans droit ni titre M. et Mme X..., M. et Mme Z..., M. et Mme A..., M. et Mme B..., M. et
Mme C..., M. et Mme D..., M. et Mme E..., M. et Mme F..., M. et Mme G..., M. et Mme H... et M. et Mme
I..., qui s'étaient installés avec leurs enfants sous des tentes dressées sur l'aire de jeux de l'ensemble
immobilier; que l'association Droit au logement (DAL) et l'Association socio-culturelle et du logement de
la Coudraie (ASCLC) sont intervenues volontairement à l'instance ;

Attendu que pour rejeter la demande et renvoyer les parties à se pourvoir au principal, l'arrêt retient
que les personnes physiques assignées justifient toutes être, du fait de leurs difficultés de logement,
dans une situation précaire et indigne, que si l'installation de tentes méconnaît, au nom du droit de
revendiquer et d'obtenir un logement décent, le droit de propriété de la société d'HLM, qui n'a pas
donné son accord à l'occupation de son bien, fût-ce une aire de jeux située dans un ensemble
immobilier voué à la démolition, le seul constat de la méconnaissance du droit d'autrui n'établit pas le
trouble manifestement illicite obligeant le juge des référés à ordonner des mesures pour y mettre fin,
que la société d'HLM ne prouve pas d'atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, que les
occupants établissent que leur démarche, qui avait pour unique but d'atteindre l'objectif reconnu de
valeur constitutionnelle de disposer d'un logement décent, leur a permis de remporter quelques succès
contre l'inertie et l'indifférence, que cette action s'est accomplie sans violence, ni dégradation
quelconque, ni entrave à la circulation des occupants actuels des appartements de la résidence, que le
droit de revendiquer est le corollaire évident de celui d'exercer sa liberté d'expression, liberté publique
dont le juge judiciaire est le gardien, et qu'en présence de deux droits dont l'un correspond à l'exercice
d'une liberté publique et en l'absence de violence ou de gêne démontrée établissant le caractère illicite
du trouble occasionné, cette installation nécessairement temporaire de structures légères et nomades
caractérise une méconnaissance du droit de propriété de la société d'HLM susceptible d'ouvrir droit à
réparation, mais ne relève pas de mesures provisoires destinées à y mettre fin et qu'il y a lieu de
renvoyer la société d'HLM à se pourvoir devant le juge du fond seul compétent pour opérer un contrôle
de proportionnalité entre les droits respectifs en cause ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait une occupation sans droit ni titre d'un immeuble
appartenant à autrui, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres
constatations, a violé les textes susvisés ;

- 56 -
Et vu l'article 627, alinéa 1er, du code de procédure civile ;

Attendu que la situation litigieuse ayant pris fin, il n'y a plus rien à juger ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 avril 2008, entre les parties, par
la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Et par la suite… La définition de la « propriété » par le Code civil (art. 544 C. civ.) est
constitutionnelle :

Sur la QPC transmise par la Cour de cassation :


Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du jeudi 30 juin 2011
N° de pourvoi : 11-40017
Publié au bulletin

Attendu que la question transmise est ainsi rédigée :

"Les dispositions de l'article 544 du code civil, telles qu'interprétées de façon constante par la Cour de
cassation, portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment au
principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme
d'asservissement ou de dégradation, au droit de mener une vie familiale normale et à l'objectif de
valeur constitutionnelle que constitue le droit au logement ?" ;

Attendu que la disposition contestée est applicable au litige, lequel concerne une procédure
d'expulsion d'occupants de la propriété d'autrui ;

Qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une
décision du Conseil constitutionnel ;

Que la question posée présente un caractère sérieux au regard des principes constitutionnels
invoqués;

D'où il suit qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de


constitutionnalité ;

PAR CES MOTIFS :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

Sur la décision du Conseil constitutionnel : Décision n° 2011-169 QPC du 30 septembre


2011 (QPC posée par cinq personnes défenderesses à une procédure d’expulsion intentée par la
communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise et par vingt et une personnes défenderesses à une
procédure d’expulsion intentée par la communauté d’agglomération Val-de-France. La QPC porte sur les
dispositions de l’art. 544 C. civ.).

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 juin 2011 par la Cour de cassation (troisième chambre
civile, arrêts nos 997 et 998 du 30 juin 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la
Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée, d'une part, par MM. Pardaillan
M., Octavian M. et Mirca C., ainsi que Mmes Mindra S. et Ann Fruzina T. et, d'autre part, par M.
Gheorghe M., Mme Claudia G., M. Mihai G., Mme Martha G., M. Istrati G., Mme Lydia G., MM.
- 57 -
Viorel G., Elvis M., Bogdan M., Mares G., Lilian M., Dria G. et Lucian G., Mme Iliana G., MM.
Paul T. et Jun M., Mme Roxana T., M. Mihai N., Mme Argentina G. et Magarita G. et M.
Gheorghe S., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article
544 du code civil.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel ;
Vu le code civil ;
Vu le code de procédure civile ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les
questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par la SCP Alain-François Roger et Anne Sevaux,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 22 juillet et 5 août 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 22 juillet 2011 ;
Vu les observations produites pour la communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise par Me
Pascal Pibault, avocat au barreau du Val-d'Oise ;
Vu les pièces produites et jointes aux dossiers ;
Me Roger pour les requérants, Me Pibault pour la communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise
et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 6
septembre 2011 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 544 du code civil : « La propriété est le droit de jouir et
disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par
les lois ou par les règlements » ;

2. Considérant que, selon les requérants, le caractère absolu du droit de propriété conduit à ce que
toute occupation sans droit ni titre du bien d'autrui soit considérée par les juridictions civiles
comme un trouble manifestement illicite permettant au propriétaire d'obtenir en référé, en
application de l'article 809 du code de procédure civile, l'expulsion des occupants ; que, par ses
conséquences sur la situation des personnes qui vivent dans des résidences mobiles, la définition du
droit de propriété porterait atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne contre
toute forme d'asservissement et de dégradation, au droit de mener une vie familiale normale, ainsi
qu'à l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue le droit au logement ;

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de


1946 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur
développement » ; qu'aux termes du onzième alinéa de ce Préambule, la Nation « garantit à tous,
notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité
matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique
ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de
la collectivité des moyens convenables d'existence » ;

4. Considérant qu'il ressort également du Préambule de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la


personne humaine contre toute forme de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ;

5. Considérant qu'il résulte de ces principes que la possibilité pour toute personne de disposer d'un
logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de


1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et

- 58 -
imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à
l'oppression » ; que son article 17 dispose : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne
peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige
évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ;

7. Considérant, en outre, qu'aux termes du seizième alinéa de l'article 34 de la Constitution, la loi


détermine les principes fondamentaux « du régime de la propriété, des droits réels et des obligations
civiles et commerciales » ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, s'il appartient au législateur de mettre en œuvre
l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer
d'un logement décent, et s'il lui est loisible, à cette fin, d'apporter au droit de propriété les
limitations qu'il estime nécessaires, c'est à la condition que celles-ci n'aient pas un caractère de
gravité tel que le sens et la portée de ce droit en soient dénaturés ; que doit être aussi sauvegardée la
liberté individuelle ;

9. Considérant que l'article 544 du code civil, qui définit le droit de propriété, ne méconnaît par lui-
même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'en tout état de cause, il n'appartient
pas au Conseil constitutionnel d'examiner la conformité de l'article 809 du code de procédure civile
aux droits et libertés que la Constitution garantit,

DÉCIDE:
Article 1er.- L'article 544 du code civil est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et
notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 septembre 2011, où siégeaient : M.


Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy
CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de
GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 30 septembre 2011.


Journal officiel du 1er octobre 2011, page 16527, texte n° 109
Recueil, p. 478
ECLI:FR:CC:2011:2011.169.QPC

V. égal. Décision n° 2014-426 QPC du 14 novembre 2014


M. Alain L. [Droit de retenir des œuvres d'art proposées à l'exportation]

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 septembre 2014 par le Conseil d'État (décision du Conseil d'État n°
381813 du 8 septembre 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question
prioritaire de constitutionnalité posée par M. Alain L., relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit de l'article 2 de la loi du 23 juin 1941 relative à l'exportation des œuvres d'art.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel ;
Vu la loi n° 2595 du 23 juin 1941 relative à l'exportation des œuvres d'art ;
Vu la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation
et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les
questions prioritaires de constitutionnalité ;

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Vu les observations produites pour le requérant par Me Lionel Levain, avocat au barreau de Paris,
enregistrées le 30 septembre 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 30 septembre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Levain, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à
l'audience publique du 4 novembre 2014 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 23 juin 1941 relative à l'exportation des œuvres d'art :
« L'État a le droit de retenir, soit pour son compte, soit pour le compte d'un département, d'une commune ou
d'un établissement public, au prix fixé par l'exportateur, les objets proposés à l'exportation.
« Ce droit pourra s'exercer pendant une période de six mois » ;

2. Considérant que, selon le requérant, les dispositions contestées, qui permettent à l'État de retenir certaines
œuvres d'art au profit de collections publiques, portent atteinte au droit de propriété ; qu'il fait notamment
valoir que ces dispositions ne prévoient pas une juste et préalable indemnisation du propriétaire de l'œuvre
ainsi expropriée ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : «
La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité
publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité »
; qu'afin de se conformer à ces exigences constitutionnelles, la loi ne peut autoriser qu'une personne ne soit
privée de sa propriété qu'en vertu d'une nécessité publique légalement constatée ;

4. Considérant que la loi du 23 juin 1941 a régi l'exportation des œuvres auxquelles elle était applicable
jusqu'à son abrogation par la loi du 31 décembre 1992 susvisée ; qu'elle avait pour objet d'interdire la sortie
du territoire, sans contrôle, des objets présentant un intérêt national d'histoire ou d'art ; qu'en vertu de l'article
1er de la loi du 23 juin 1941, l'exportation de tels objets requiert la délivrance d'une autorisation du
secrétaire d'État à l'Éducation nationale et à la Jeunesse, qui doit se prononcer dans le délai d'un mois à
compter de la déclaration fournie à la douane par le propriétaire qui entend exporter ces objets ; que ce
régime d'autorisation est applicable aux objets d'ameublement antérieurs à 1830, aux œuvres des peintres,
graveurs, dessinateurs, sculpteurs et décorateurs antérieures au 1er janvier 1900 ainsi qu'aux objets
provenant des fouilles pratiquées en France ou en Algérie ;

5. Considérant que les dispositions contestées de l'article 2 de la loi du 23 juin 1941 instaurent, au profit de
l'État, le droit de « retenir » les objets dont l'autorisation d'exportation a été refusée en application de l'article
1er ; que ce droit peut être exercé pendant une période de six mois suivant la demande tendant à obtenir cette
autorisation d'exporter sans que le propriétaire ne manifeste aucune intention de les aliéner ; que, par suite,
cette appropriation par une personne publique de biens mobiliers entraîne une privation du droit de propriété
au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 ;

6. Considérant que la possibilité de refuser l'autorisation d'exportation assure la réalisation de l'objectif


d'intérêt général de maintien sur le territoire national des objets présentant un intérêt national d'histoire ou
d'art ; que la privation de propriété permise par les dispositions contestées alors en vigueur n'est pas
nécessaire pour atteindre un tel objectif ; qu'en prévoyant l'acquisition forcée de ces biens par une personne
publique, alors que leur sortie du territoire national a déjà été refusée, le législateur a instauré une privation
de propriété sans fixer les critères établissant une nécessité publique ; que, par suite, les dispositions
contestées ne répondent pas à un motif de nécessité publique ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la privation du droit de propriété permise par les
dispositions contestées méconnaît les exigences de l'article 17 de la Déclaration de 1789 ; que, par suite,
l'article 2 de la loi du 23 juin 1941 doit être déclaré contraire à la Constitution ;

8. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition


déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la
décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil
constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont

- 60 -
susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier
à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution
ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil
constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de
fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets
que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;

9. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 2 de la loi du 23 juin 1941 prend effet à
compter de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle peut être invoquée dans toutes les
instances introduites à la date de la publication de la présente décision et non jugées définitivement à cette
date,

DÉCIDE:
Article 1er.- Les dispositions de l'article 2 de la loi du 23 juin 1941 relative à l'exportation des œuvres d'art
sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la
présente décision dans les conditions fixées par son considérant 9.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans
les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 novembre 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis
DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM.
Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme
Nicole MAESTRACCI.

Rendu public le 14 novembre 2014.

JORF n°0265 du 16 novembre 2014 page 19330, texte n° 50

- 61 -
THEME n° 6

Initiation au commentaire d’arrêt

Le commentaire d'arrêt a pour objet de commenter une décision de justice. Nous raisonnerons ici
sur le cas courant du commentaire d'un arrêt de la Cour de cassation. Plusieurs éléments doivent
être commentés. Ils sont assemblés dans un plan précédé d'une introduction.

I - Les éléments du commentaire d'arrêt

A - L'introduction du commentaire d'arrêt

Comme on l’a vu (thème n° 3), l'introduction du commentaire d'arrêt est très formalisée. Elle
comprend plusieurs phases présentées dans un certain ordre. L’arrêt commenté donne souvent des
informations sur le « passé » du litige, sur ce qui a conduit les parties à se trouver devant la
juridiction qui a rendu la décision commentée. Un travail préparatoire doit vous conduire à
identifier certains éléments importants de la décision, sans jamais rien inventer, mais en épuisant
certaines des informations qui ont été mises à votre disposition, afin de les présenter dans un ordre
qu’il convient de respecter scrupuleusement. Il peut être efficace de présenter toute la fiche d’arrêt
au temps présent. En tout état de cause, il faut éviter d’alterner sans raison entre présent et passé.

Rappel des éléments de la fiche d’arrêt qui servent à l’introduction :

L'accroche - La première phrase ou les deux premières phrases doivent permettre de montrer
immédiatement que vous avez compris l'intérêt de l'arrêt. Il s'agit donc de résumer la solution de
l'arrêt en une phrase en montrant pourquoi, compte tenu du contexte, la solution est intéressante ou
importante.

Les faits - Que s'est-il passé ? Les faits pertinents doivent être rapportés chronologiquement.

La procédure - Qui a pris l'initiative de faire un procès à l’origine ? Pour demander quoi ? Devant
quelle juridiction ? le rappel de la procédure jusqu’au pourvoi en cassation doit respecter la
chronologie (conduit ainsi à retracer la trajectoire chronologique du litige, éventuellement devant
différentes juridictions. Attention ici à la précision du vocabulaire. A forme un recours devant une
juridiction de première instance ; B interjette appel devant une cour d’appel ; C forme un pourvoi
en cassation contre la décision de la cour d’appel.
1er degré : solution des juges de première instance si on la connaît.
Cour d’appel de… + date + la solution des juges du fond.
Pourvoi en cassation (A forme un pourvoi en cassation).

Les arguments du pourvoi - Il s’agit ici de se mettre intellectuellement à la place des parties au
pourvoi, d’identifier leurs prétentions et leurs arguments.

Le point de droit, ou question de droit - Le point de droit est la question de droit posée à la
juridiction – ici, la Cour de cassation. Il faut mettre en valeur la question juridique qui se pose et à
laquelle la Cour de cassation avait à répondre. Deux écueils principaux doivent être évités. Le
premier consiste à trop embrasser, à poser une question si large et si générale que la réponse est
évidente, même sans lire la décision commentée. La question de droit ne permettra pas alors
d’identifier la singularité de cette décision. Le second écueil consiste à se concentrer sur un point de
détail évoqué dans la décision, en passant à côté de l’un de ses aspects centraux. Il faut donc trouver
un bon équilibre.

- 62 -
La solution de la Cour de cassation, c'est-à-dire la réponse de la Cour de cassation au point de
droit formulé.

L'annonce du plan, qui se limite à l’annonce du (I) et du (II) de votre commentaire d’arrêt qui suit.
Les sous-parties (A – B) ne sont pas annoncées ici.

B – Les éléments à saisir pour les développements du commentaire (avant toute rédaction)

La reconstruction de la solution de l'arrêt - Intellectuellement, la première étape consiste à


reconstituer le raisonnement de la Cour de cassation. Quel raisonnement juridique l'a conduite à
adopter la solution retenue ? Quelles règles de droit a-t-elle mobilisées (dans les arrêts de censure,
c'est le visa qui en fournit l'indication) et comment leur application aux faits de l'espèce permet-elle
de justifier l'arrêt rendu ? Il ne s'agit pas de paraphraser l'arrêt mais d'expliciter le raisonnement
juridique (majeure, mineure, conclusion) suivi par la haute Juridiction. Si la Cour de cassation
énonce une règle nouvelle, il faut en préciser les conditions d'application ou les réserves qui
l'accompagnent.

La comparaison de la solution de l'arrêt avec le droit positif - Il s'agit d'apprécier comment


l'arrêt s'insère dans le droit positif connu et existant (loi et jurisprudence). S'agit-il d'un point qui
était déjà acquis ? D'une solution apportée à une question qui était auparavant sans réponse, ou qui
ne s'était jamais posée ? D'un revirement de jurisprudence ? D'une divergence de jurisprudence
avec la solution d'une autre juridiction ?

L'appréciation en opportunité de la solution de l'arrêt - Quelle que soit la réponse à la question


précédente, il s'agit de porter un jugement sur l'opportunité de l'arrêt. Est-il juste ? Quels sont les
avantages de la solution adoptée ? Quels en sont les inconvénients et les risques, par exemple les
risques de dérives ?

II - Le plan du commentaire d'arrêt

Le plan du commentaire d'arrêt est de préférence un plan en deux parties (I., II.) et deux sous-
parties (A., B.).

Les sous-parties sont d'importances diverses : dans l'ordre décroissant, le B. du I. (qui constitue
le cœur de l'arrêt et du commentaire), puis le A. du II., puis le A. du I., et enfin le B. du II. où
l'on peut compléter et ouvrir le devoir sur des points plus éloignés de l'arrêt.

S'agissant de la construction du commentaire, celle-ci peut parfois être déduite très simplement de
l'arrêt : par exemple si celui-ci contient deux moyens qui sont tous deux au programme de l'année –
sinon celui qui concerne un tout autre sujet (par exemple une question de procédure civile dans un
arrêt qui concerne fondamentalement le droit des contrats) doit être évacué en introduction –, ou
encore si l'unique attendu contient clairement un principe et des exceptions, ou un principe et son
champ d'application, etc., qui sont tous deux à commenter et tous deux d'égale importance.

Dans le cas contraire, il est possible, tout au moins dans la période d'initiation à cet exercice, de
forger un plan du type :
I. La solution de l’arrêt ;
II. Son analyse ou sa portée.

Certes il ne faut pas se contenter de ces intitulés trop banaux, mais la solution de l'arrêt peut être
énoncée de façon discursive dans la première partie (par exemple « L'admission de la nullité pour
erreur du mariage » ou « L'élargissement de la contestation de la paternité », etc.), de même qu'il est
préférable, en deuxième partie, de ne pas indiquer platement « La portée de l'arrêt » mais plutôt

- 63 -
d'expliciter les points à développer et à analyser (par exemple « Les difficultés d'application de la
solution », ou « Les conditions accompagnant la nouvelle solution », ou « Le domaine du principe
affirmé par la Cour de cassation »).

Il faut faire attention, lorsque l'on commente un arrêt de la Cour de cassation, de ne pas
explicitement commenter les décisions des précédentes juridictions ayant eu à connaître de l'affaire.
Il faut ainsi éviter les A. du type « La solution de la Cour d'appel » ou « La solution des premiers
juges ». Rien n'empêche en revanche de commenter ces solutions, dans la mesure où cela est
opportun, mais en jouant sur l'intitulé. Par exemple si, dans un arrêt de revirement, la Cour de
cassation affirme un nouveau principe, il est possible de faire un A. sur « Le rejet de tel principe »
ou « La condamnation de telle solution » (principe ou solution retenus par la Cour d'appel) car alors
les intitulés s'appliquent bien à la Haute Juridiction.

De façon générale, le A. du I. est destiné à replacer l'arrêt à commenter dans son contexte : il
permet soit de rappeler la jurisprudence antérieure dans laquelle s'insère l'arrêt, soit plus large- ment
le droit positif dans lequel s'inscrit l'arrêt (état de la législation, position du problème, etc.) ; le but
est d'expliquer pourquoi la question tranchée par la Cour de cassation s'est posée (loi nouvelle,
jurisprudence antérieure divergente, etc.).

Ce recadrage amène alors le B. du I. qui présente la solution de l'arrêt à commenter (laquelle doit
impérativement arriver dès la première partie) : il s'agit d'expliquer dans quel sens tranche l'arrêt à
commenter, et donc de présenter son apport.

Le II. permet alors de commenter et d'apprécier l'arrêt : il peut servir à préciser les difficultés
d'application de la nouvelle solution posée, ou à délimiter son champ d'application, ou plus
généralement à expliciter les questions découlant de la nouvelle solution. À côté de ce que l'arrêt dit
ou tranche, il est possible de commenter aussi ce qu'il n'a pas dit si ce silence paraît éloquent. La
deuxième partie permet aussi d'apprécier l'opportunité de la nouvelle solution : est-elle juste, quels
sont ses avantages et ses inconvénients, etc. Lorsqu'il s'agit d'un arrêt de censure, il est souvent
opportun, dans le B. du II., de s'interroger sur la marge de manœuvre laissée à la juridiction de
renvoi : cela suppose en particulier de prendre en considération le cas d'ouverture à cassation, pour
comprendre la critique précise formulée par la Cour de cassation à l'encontre de la décision
entreprise (c'est-à-dire examinée par elle).

Les intitulés des parties et des sous-parties doivent de préférence être sous forme de titres plutôt que
de phrases. Il faut a fortiori éviter les phrases coupées en deux dont chaque morceau constituerait le
titre d'une partie (des points de suspension annonçant la suite). Les titres doivent être tout à la fois
clairs (la thèse soutenue et l'articulation des parties doivent être compréhensibles à leur seule
lecture) et balancés (un plan est la clef de résolution d'une problématique), c'est-à-dire qu'ils
doivent se répondre l'un à l'autre.

L'esthétique des intitulés est importante, et ceux-ci doivent être travaillés. Ils doivent d'abord
respecter la règle du parallélisme des formes. L'intitulé du I. doit ainsi être construit sur le même
modèle que l'intitulé du II., et la même harmonie doit lier les A. et les B. à l'intérieur de chaque
partie. Si le I. commence par un article défini (« La » notion de...), il doit en aller de même pour le
II (« Le » régime de...). Si le I. contient un signe de ponctuation (par exemple deux points), le II
doit contenir le même (I. La solution de l'arrêt : la remise en cause de... ; II. Les difficultés
d'application de l'arrêt : un risque de...).

Il faut faire attention à ne pas faire une dissertation et donc à rattacher toujours les développements
théoriques aux éléments de l'arrêt.

Il n'est pas nécessaire d'avoir une conclusion dans un commentaire d'arrêt.

- 64 -
Et n’oubliez pas, si vous développez une argumentation (passage critique d’une jurisprudence
ou dans une dissertation, V. infra) d’avoir à l’esprit la structure de la démonstration :

En droit comme ailleurs, il importe de chercher avant tout à démontrer.

Vous devez prendre votre lecteur par la main, et l’emmener d’un point A à un point B, en suivant
un cheminement général, au terme d’une succession de petits pas. Ces derniers, qu’ils
correspondent à une sous-partie ou à un morceau de sous-partie de votre commentaire, suit toujours
la structure suivante – c’est, au demeurant, la même dans une dissertation.

a) Argument. Vous devez exposer votre argument en une ou deux phrases, en ne vous contentant
pas de restituer une connaissance, mais en disant quelque chose, en montrant que vous l’ambition
de démontrer quelque chose.

b) Exemple. En droit, l’exemple est souvent une disposition normative (Constitution, traité, loi,
acte réglementaire) ou un arrêt. Il permet d’étayer votre argument, de lui donner de la consistance,
une illustration, de montrer sa pertinence.

c) Bilan de l’argument et de l’exemple sous forme de transition vers l’argument suivant. Il


s’agit là d’un moment important pour la dynamique de votre démonstration, qui vous permet de la
fluidifier, de créer un lien avec le prochain passage, dans lequel vous suivrez cette même structure
a), b), puis c).

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