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QUE RESTE-T-IL DE LA TOXICITÉ SYSTÉMIQUE

DES ANESTHÉSIQUES LOCAUX ?

Alain Delbos
Clinique Médipole Garonne, 45 rue Gironis 31100 Toulouse. E-mail  :
alaindelbos@wanadoo.fr

INTRODUCTION

L’incidence de la toxicité systémique des anesthésiques locaux (LAST) a


été grandement réduite ces dernières années par l’arrivée de l’échographie en
remplacement de la neurostimulation en bloc nerveux périphérique. Pourtant
l’existence de techniques telles que l’utilisation de blocs de diffusion entre les
plans musculaires à résorption rapide ou bien de multiblocs nerveux périphériques
ainsi que l’infiltration de grande quantité d’anesthésiques locaux périarticulaires,
rendent indispensable une bonne connaissance des anesthésiques locaux et
de leur risque de toxicité systémique qui bien que faible reste réel [1].

1. PREMIERS SYMPTÔMES DE LAST

Classiquement, les premiers signes de LAST sont représentés par des


symptômes subjectifs ou des signes d’excitation du système nerveux central
tels qu’agitation, confusion ou dysarthrie [2]. Puis, apparaissent des signes
neurologiques tels que convulsions ou dépression du système nerveux central
comme coma ou dépression respiratoire. Les signes initiaux de toxicité car-
diaque apparaissent ensuite et peuvent être très variés à type d’hypertension,
tachycardie, arythmie ventriculaire. Apparaissent enfin les signes de dépression
cardiaque tels que bradycardie, blocs de conduction, diminution de la contrac-
tilité myocardique et asystolie.
Une étude chez le volontaire sain [2] montre bien l’apparition des premiers
signes d’alarme neurologiques après injection continue de 10 mg.min-1 de
ropivacaïne 0,5 % ou de bupivacaïne 0,5 % jusqu’à apparition des premiers
symptômes. Cette étude montre que ces symptômes sont fréquemment
observés avant les manifestations cardiaques et qu’ils peuvent être considérés
comme les premiers signes d’alarme d’un LAST. Les premiers symptômes
de LAST apparaissent d’ailleurs pour une dose moindre avec la bupivacaïne
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qu’avec la ropivacaïne montrant ainsi une meilleure sécurité d’emploi face au


LAST de la ropivacaïne.
La concentration veineuse totale habituelle à ne pas dépasser se situe aux
alentours de 2,2 mg.l-1 pour la ropivacaïne et 2,1 mg.l-1 pour la bupivacaïne et
pour la partie libre, non liée aux protéines 0,15 mg.l-1 pour la ropivacaïne et
0,11 mg.l-1 pour la bupivacaïne. Dans cette étude également, aux doses provo-
quant des symptômes neurologiques, les modifications cardiovasculaires sont
moindres pour la ropivacaïne que pour la bupivacaïne.

2. INCIDENCE DU LAST

Entre 2006 et 2014, on note une diminution considérable de l’incidence


du LAST après blocs nerveux périphériques en chirurgie orthopédique [3].
Depuis 2012 et les recommandations de l’ASRA (American Society of Regional
Anesthesia) on note une nette augmentation de l’utilisation des intralipides dans
la gestion des LAST.
Si les symptômes neurologiques apparaissent comme isolés dans 45 %
des cas dans l’étude de Di Gregorio [4], l’auteur note que dans 44 % des
cas les symptômes cardiovasculaires sont également présents mais surtout
que 11 % des patients inaugurent un LAST avec seulement des symptômes
cardiovasculaires sans aucun signe neurologique préalable.
Il est à noter que selon l’anesthésique local utilisé, l’apparition des signes
cardiovasculaires est plus ou moins concomitante des signes cardio-vasculaires.
En effet, la lidocaïne est connue pour avoir un grand ratio Collapsus circulatoire/
excitation du SNC montrant des signes neurologiques bien avant l’apparition
des signes CV. Au contraire ce même ratio est beaucoup plus étroit pour la
bupivacaïne pour laquelle les symptômes CV apparaîtront plus rapidement
après une dose entraînant des signes neurologiques.
Mazoit [5] avait d’ailleurs comparé les effets électrophysiologies ventricu-
laires et en particulier l'allongement de la durée du QRS chez le rat avec des
doses croissantes de bupivacaïne, L bupivacaïne et ropivacaïne et obtenu des
ratios très différents en fonction des molécules. Si la bupivacaïne est donnée
pour un ratio de 1, alors la L-bupivacaïne était donnée pour 0,4 et la ropivacaïne
0,3 dans leur capacité à augmenter la durée du QRS chez le cœur de rat.
L’augmentation de la durée du QRS était fréquence dépendante dans les
mêmes proportions pour chaque anesthésique local.
Selon le type d’injection, l’arrivée des symptômes est plus ou moins
rapide [4] . Moins d’une minute dans 50 % des cas, elle est liée à une injection
intravasculaire de l’anesthésique local. Au-delà de 5 minutes dans 25 % des cas,
elle est alors liée à une résorption trop importante d’une dose trop importante
d’anesthésique local. L’intervalle de temps le plus grand d’apparition de LAST
dans la littérature n’a jamais dépassé 60 min après l’injection des AL.
Dans ce cas d’apparition tardive du LAST au bout de 60 min [6], une réin-
jections distale à 30 min avait été réalisée à la suite d’un échec partiel d’un bloc
poplité chez une patiente de 45 kg ayant déjà reçu un bolus initial de 187,5 mg
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de ropivacaïne. Il s’agit là d’un cas fréquent d’apparition de LAST chez un


patient de petit poids pour lequel, soit une dose totale proportionnellement trop
importante lors d’un multibloc ou d’un bloc bilatéral soit une réinjection pour
remédier à un échec, est réalisée.
Une attention particulière doit également être portée lors de la réalisation
de TAP bloc chez la femme enceinte après césarienne pour laquelle il a été
rapporté l’apparition de symptômes neurologiques malgré des doses classiques
de 150 mg de lévobupivacaïne ou de 200 mg de ropivacaïne utilisées [7]. Ceci
est probablement lié à la résorption rapide de zones richement vascularisées
et de la diminution des glycoprotéines par dilution chez la femme enceinte qui
entraîne une augmentation de la forme libre des anesthésiques locaux (AL)
dans le plasma.
Il est également à noter que l’injection préalable de fentanyl et midazolam
diminue la possibilité de détecter chez les patients les symptômes neurologiques
initiaux après injection intraveineuse d’AL [8]. A l’opposé, dans une étude récente
chez l’animal, il n’apparaît pas que l’injection préalable aux AL de remifentanil
soit en mesure de prévenir l’apparition des symptômes CV [9]
Malgré le fait que l’infiltration des AL en périarticulaire ne montre pas dans
certains travaux d’augmentation majeure de la concentration plasmatique des
AL au-delà des zones toxiques [10] après injection de 360 mg de ropivacaïne
0,2 % [11] il est à noter que cette technique est de plus en plus répandue et
peut entraîner des complications de LAST [12] de par l’extrême hétérogénéité
des pratiques. Ainsi la Société Française de chirurgie Orthopédique a publié
une recommandation (à retrouver sur le site de la SOFCOT) concernant cette
utilisation des AL à la suite de LAST rencontrés à plusieurs reprises après
infiltration durant les PTH et PTG par les chirurgiens et a rappelé les doses
maximales à ne pas dépasser.
Il est donc important de connaître parfaitement la dose toxique des diffé-
rents anesthésiques locaux utilisés en pratique clinique.
Produits Sans Adrenaline
Lidocaïne 500 mg (7 mg.kg-1)
Mépivacaïne 400 mg (5-6 mg.kg-1)
Bupivacaïne 150 mg (2 mg.kg-1)
Ropivacaine 225 – 300 mg (3 - 4 mg.kg-1)
Lévo-bupivacaine 200 mg (2,5 - 3 mg.kg-1)
Certains auteurs ont proposé l’aide de nomogrammes (Tableau en fonction
du poids et de l’AL utilisés) pour permettre de mieux déterminer la dose maximum
d’AL qui peut être utilisée chez un patient [13].
Ces doses d’AL varient d’ailleurs non seulement d’un patient à l’autre mais
également en fonction des blocs proposés. Ainsi, il a été bien montré qu’une
injection réalisée lors d’un bloc nerveux au-dessus de la clavicule comme en
bloc interscalénique augmente significativement plus la concentration artérielle
des AL qu’une injection réalisée sous la clavicule comme en axillaire [14] .
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Les analyses de l’ASRA [1, 15] concernant l’apparition des LAST montrent
clairement une diminution significative des LAST grâce à l’apport de l’échogra-
phie dans les blocs nerveux. Cette diminution est estimée de l’ordre de 65 %,
ramenant le risque de LAST à 2,6/10 000 patients. Toutefois, il est à noter que
l’utilisation de l’échographie n’a pas complètement éliminé le risque de LAST
dans la pratique de l’ALR. De même sa prise en compte doit rester importante
chez tous les cliniciens utilisant des AL [16, 17].

3. CONDUITE À TENIR DEVANT UN RISQUE DE LAST

La gestion des LAST a été grandement améliorée grâce à l’apparition de kits


lipidiques dans les chariots d’urgence dans tous les lieux ou sont utilisés les AL.
Ces kits comprennent outre les différentes drogues utiles en cas d’apparition
de LAST mais surtout la checklist de chronologie des évènements à réaliser en
cas d’apparition des premiers symptômes [18].
En effet Dureau [19] a bien montré que l’intralipide doit être administré le plus
rapidement possible dès les premiers symptômes afin de stopper l’augmentation
rapide vers le pic de concentration maximal des AL injectés. Plusieurs schémas
d’administration des intralipides 20 % ont été proposés, celui retenu par la SFAR
est un bolus de 3 ml.kg-1 dès le début de la procédure.
Le mécanisme d’action des lipides est essentiellement lié à leur capacité
à transporter les AL des zones de haut débit sanguin où les organes sont
très sensibles aux AL tels que le cœur et le cerveau vers des zones où les AL
seront stockés et dégradés tels que les muscles et le foie. Les lipides agissent
également directement sur la cellule cardiaque grâce à un effet cardiotonique
et permettent un conditionnement cellulaire apportant des effets cardio pro-
tecteur [20].
L’apport des lipides reste rarement controversé [21], il a été adopté par
la totalité des sociétés savantes pour son ratio bénéfice risque totalement en
faveur de son utilisation dans le LAST.
Toutefois, il est certain que la réanimation rapide, le fait de considérer tout
symptôme comme potentiel annonciateur de LAST après utilisation des AL et
la mise en place immédiate de la checklist sont également en grande partie
responsable d’une amélioration de la prise en charge du LAST depuis les
recommandations de l’ASRA [21]. La mise en situation grâce aux simulateurs a
également été une source d’amélioration des pratiques en matière de gestion
des urgences vitales au bloc opératoire [22].

CONCLUSION
La prévention du LAST doit recueillir toutes les attentions : injections frac-
tionnées, aspiration, vision directe constante de la diffusion grâce à l’échographie
mais aussi dose, volume et concentration des AL adaptés au patient, au lieu
d’injection, au type de bloc réalisé.
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La diminution du volume et de la concentration des AL doit faire l’objet


d’une attention particulière dans la pratique quotidienne.
Le diagnostic doit être rapide et tout patient présentant des symptômes
anormaux à la suite d’une injection d’AL doit être considéré comme potentiel-
lement atteint de LAST. Une prise en charge rapide et adéquate doit être mise
en place à l’apparition des premiers symptômes en utilisant les kits incluant la
checklist et doivent être présents dans tous les lieux ou sont utilisés les AL.

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