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Virginia DRUMMOND

Collection L’essentiel pour agir


Ressources humaines Virginia DRUMMOND
et management
LE MANAGEMENT
INTERCULTUREL

GÉRER EFFICACEMENT LA DIVERSITÉ


CULTURELLE DANS L’ENTREPRISE

Pourquoi certains impatriés réussissent mieux


leur intégration dans l’entreprise que d’autres ?
Peut-on parler d’intelligence culturelle ? Qu’est-ce
qu’une équipe multiculturelle ?

Si la globalisation des marchés a pu nourrir


l’illusion d’un monde sans frontières, les LE MANAGEMENT
différences culturelles persistent au sein des
équipes. Et leur impact sur la performance de INTERCULTUREL
l’entreprise est désormais reconnu par tous !

Appréhender les différentes cultures de vos GÉRER EFFICACEMENT


collaborateurs, reconnaître et déjouer les pièges
LA DIVERSITÉ CULTURELLE

LE MANAGEMENT INTERCULTUREL
de relations parfois complexes, adapter votre
management... Tels sont les outils de gestion que DANS L’ENTREPRISE
vous propose l’auteur pour vous aider à optimiser
la dimension interculturelle de vos équipes.

Actualisé au regard des études les plus récentes,


rédigé dans un style simple et accessible à tous,
cet ouvrage vous permettra de transformer les
différences culturelles en véritables ressources
pour votre organisation de travail.
4e édition
Virginia DRUMMOND est titulaire d’un diplôme supérieur
de droit international et professeur de management
international des ressources humaines. De double
nationalité brésilienne et française, elle prépare les
managers internationaux à leur future expatriation.

Existe aussi en version eBook


Édition
GERESOÉDITION

sur www.la-librairie-rh.com
Collection
ISBN : 978-2-35953-216-6 L’essentiel pour agir
GERESO
25 €
Le management interculturel

Collection « L’essentiel pour agir »


Le management interculturel
Gérer efficacement la diversité culturelle dans l’entreprise

Édition 2014

Ouvrage conçu et réalisé sous la direction de Catherine FOURMOND

Auteur :
Virginia DRUMMOND

Suivi éditorial, conception graphique : GERESO Édition


Photo de couverture : © Antonio_Sanchez /Thinkstockphotos.fr

© GERESO Édition 2006, 2008, 2010, 2014


26 rue Xavier Bichat - 72018 Le Mans Cedex 2 - France
Tél. 02 43 23 03 53
Fax 02 43 28 40 67

www.gereso.com/edition
e-mail : edition@gereso.fr

Reproduction, traduction, adaptation interdites


Tous droits réservés pour tous pays
Loi du 11 mars 1957

Dépôt légal : Avril 2014


ISBN : 978-2-35953-216-6
EAN 13 : 9782359532166
ISSN : 2111-0301

GERESO SAS au capital de 160640 euros - RCS LE MANS B 311 975 577
Siège social : 28 rue Xavier Bichat - 72018 Le Mans Cedex 2 - France
Dans la même collection :

• Crédit et stratégie commerciale


• Départs négociés et ruptures conventionnelles
• Développer et gérer son patrimoine en 200 questions
• Discriminations en entreprise
• Droit du travail, droits des parents
• Guide des risques psychosociaux en entreprise
• Knowledge Management en entreprise
• L’emploi des travailleurs handicapés
• L’entreprise au cœur du développement durable
• L’épargne salariale
• La gestion de crise en entreprise
• La gestion des risques en entreprise
• La gestion du risque crédit client
• La protection sociale en 200 questions
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• Le facteur risque de l’entreprise


• Learning Management System pour l’entreprise
• Les accidents du travail
• Les droits du salarié
• Management d’équipe projet
• Prévention et santé au travail
• Risques stratégiques et financiers de l’entreprise
À mes parents, Eliane et Evaldo
À la mémoire de Guy Guitel (†)
À mon frère, Léo, pour les dessins de la première édition
À mes élèves depuis 1999
À Martine Manfré-Itzinger
Sommaire

1re partie - Préparer le terrain - Comprendre la démarche


interculturelle et ses implications................................................13

Chapitre 1 - La gestion de la diversité culturelle,


une tendance confirmée pour le XXIe siècle............................................15

Chapitre 2 - Ce qu’il faut savoir avant de choisir une prestation


de conseil, coaching ou formation en interculturel..................................25
Comment savoir si je suis susceptible d’avoir besoin d’aide
pour la gestion d’une relation interculturelle ?................................30

Chapitre 3 - Ce qu’il faut savoir à propos des cultures :


différentes façons de voir le monde.......................................................35

Chapitre 4 - L’interculturel au sein de l’entreprise..................................47


L’étendue de l’influence des cultures nationales
et des cultures autres dans des situations concrètes....................47
Les choix fondamentaux du management organisationnel
et leurs implications interculturelles.................................................50
Comment rendre opérationnels les acquis interculturels ?
Les universités d’entreprise comme option.....................................52

Chapitre 5 - L’interculturel et l’individu..................................................57


Reconnaître quelques aspects d’une culture nationale
influençant l’activité professionnelle................................................57
Religion et contexte religieux.......................................................57
Formes d’expression : langages verbal et non verbal..................60

7
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Éducation.....................................................................................61
Bagage technologique et artistique.............................................64
Les systèmes : social, économique, politique…..........................64

Chapitre 6 - Mise en garde : réactions à la différence.............................69

Chapitre 7 - Les principaux pièges des situations interculturelles...........75


Piège n° 1...........................................................................................76
Stéréotypes : en avoir peur, s’y réfugier et s’y morfondre...........76
Piège n° 2...........................................................................................82
Rentrer dans une discussion des différences
(surtout si elles sont perçues comme inconfortables,
inappropriées, menaçantes ou illégitimes)...................................82
Piège n° 3...........................................................................................84
Prendre pour des « évidences partagées »
toute similarité apparente............................................................84
Piège n° 4...........................................................................................86
Créer une sorte d’homogénéité pour « masquer » les différences.....86

Chapitre 8 - Les conséquences de l’échec d’un rapport interculturel.......91


Identifier et éviter les « attitudes dangereuses ».............................92
L’universalisme (The Only Way)....................................................92
L’ethnocentrisme (The Best Way).................................................95
Le refus de son propre conditionnement culturel........................98

Chapitre 9 - Comment cela devrait-il se passer ?..................................101


Quelques conseils pour la réussite d’une relation interculturelle...... 101
La construction et la promotion de la confiance........................101
Le défi de la « négociation efficace » :
la valeur des rencontres face à face..........................................104
Investir dans les workshops pour promouvoir l’intégration
des équipes................................................................................109
Évaluations et feedback : la mise en cause permanente
de la coopération.......................................................................110
Le partage de l’apprentissage commun....................................111
Être conscient qu’en termes de relations entre les cultures,
le fait d’avoir de l’expérience à l’international
n’est pas un facteur suffisant.....................................................112

8
SOMMAIRE

2e partie - Passer à l’action - Se familiariser


avec les principaux outils et les appliquer...............................115
Chapitre 1 - Apprendre à identifier à quel type de culture vous
appartenez et à quel type de culture appartient votre interlocuteur.......117
Le temps, le contexte de communication et l’espace..................117
Perception et gestion du temps.................................................118
Le contexte de communication.................................................123
Gestion de l’espace : l’espace physique et la distance
personnelle................................................................................125
La distance personnelle de chaque individu..............................128
Cultures spécifiques, cultures diffuses et rapports publics
et privés.....................................................................................129
La classification des cultures selon Hofstede...............................133
La distance hiérarchique............................................................136
L’attitude face à l’incertitude......................................................139
Les cultures féminines et les cultures masculines.....................141
Le degré d’individualisme..........................................................143
Les cultures à long et à court terme..........................................145
Les sept dimensions de Trompenaars...........................................147
Règles et relations (ou les universalistes
versus les particularistes)...........................................................147
Quelques aspects spécifiques des cultures universalistes
et particularistes dans les affaires..............................................149
Les sentiments et les rapports...................................................151
Être versus Faire........................................................................153
Le contrôle de la nature : cultures volontaristes
versus cultures déterministes....................................................155
L’analyse des cultures basée sur les antécédents historiques :
une approche française...................................................................157
Aspects à prendre en compte pour travailler et négocier
efficacement avec des Français (Comprendre comment
fonctionne la « logique de l’honneur »)......................................158
Aspects à prendre en compte pour travailler et négocier
efficacement avec des Américains............................................161
Aspects à prendre en compte pour travailler et négocier
efficacement avec des Néerlandais...........................................161

9
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Chapitre 2 - Piège n° 5 : Le danger de la catégorisation des cultures.....167

Chapitre 3 - Identifier, susciter et développer une compétence


interculturelle personnelle et organisationnelle....................................173
Compétences organisationnelles...................................................173
Compétences de l’individu.............................................................174
Les savoir-faire essentiels au quotidien de travail.........................175

Chapitre 4 - La compétence interculturelle en tant que compétence


personnelle de l’individu......................................................................181
Proposition de composantes
pour une compétence interculturelle..............................................181
La sensibilité..............................................................................181
L’intérêt, la curiosité, l’ouverture d’esprit et le goût
des rencontres...........................................................................182
L’humilité, la tolérance, la patience............................................184
La volonté permanente d’apprendre, la bonne volonté.............184
La stabilité psychologique.........................................................185

Chapitre 5 - Intelligences multiples, intelligence émotionnelle


et intelligence culturelle (QC) et le Global Mindset................................187
L’intelligence culturelle et ses composants...................................190
Compétence interculturelle ou intelligence culturelle ?................191
Global Mindset : vers un « état d’esprit » global ?......................192

Chapitre 6 - La compétence interculturelle en tant que


compétence organisationnelle : vers une organisation
« interculturellement compétente »......................................................195
La compétence interculturelle de l’organisation
comme synonyme d’une prestation de service sensible
aux spécificités culturelles..............................................................196
La compétence interculturelle et le Knowledge Management :
vers une organisation interculturellement compétente.................197

Chapitre 7 - La compétence interculturelle et le leadership :


un atout essentiel du bon dirigeant......................................................201
Les compétences « globales » du leader.......................................202

10
SOMMAIRE

Une lecture culturelle du leadership,


les dimensions du projet GLOBE...................................................204
Pourquoi a-t-on besoin d’un leader ?............................................205
La compétence interculturelle et le leader.....................................206

Chapitre 8 - L’équipe multiculturelle : les déterminants culturels


à prendre en compte pour leur formation et leur gestion.......................209
Relations entre les rôles au sein d’une équipe
et les caractéristiques des cultures................................................214
Bilan général de la structure de l’équipe.......................................216
Les comportements à promouvoir au sein d’une équipe
multiculturelle pour garantir la réussite..........................................218
La reconnaissance.....................................................................219
La solidarité................................................................................220
La confrontation.........................................................................220
La loyauté...................................................................................221

Conclusion.......................................................................................223
Bibliographie....................................................................................225
Glossaire...........................................................................................227
Index.................................................................................................233
À propos de l’auteur.................................................................... 237

11
1re partie
PRÉPARER LE TERRAIN
Comprendre la démarche
interculturelle
et ses implications
Chapitre 1
La gestion de la diversité culturelle,
une tendance confirmée pour le XXIe siècle

La crise financière et économique a suivi la banqueroute de la banque


Lehman Brothers en 2008 a entraîné des modifications profondes dans
notre monde et qui sont loin d’être abouties. La chute vertigineuse des
bourses dans les États-Unis et au Royaume Uni s’est étendue partout
dans le monde et des fonds publics ont été débloqués en catastrophe
pour stabiliser les économies des pays au niveau local et mondial. Le
montant de ces fonds a été supérieur à plus de trois milliards de dollars
américains.

L’impact de cette crise néanmoins n’a pas été le même pour tous les
pays du monde. Le modèle régnant a été obligé d’être revisité à partir
du moment où les gouvernements des États-Unis et de la Grande
Bretagne ont dû intervenir pour empêcher un désastre encore plus
grand. Et depuis le monde est reparti, un peu sur les mêmes bases,
mais en ayant la conscience profonde que les choses ne seront plus
jamais ce qu’elles ont été un jour et que quelque chose devra changer.

Après les pires moments de la crise, les années qui ont suivi se
caractérisent par une reprise un peu fade dans un monde d’affaires, où
un grand enthousiasme n’a plus jamais eu lieu. Ceci car cette crise a
représenté non seulement une panne dans le système économique et
financier mais aussi car son avènement marque une profonde rupture
avec un modèle social et culturel dont la réussite était jusqu’alors
critiquée par certains mais dont l’hégémonie restait peu questionnée.

15
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Par conséquent, à ce jour, on avance timidement et en guet-apens


car tout le monde sait qu’un changement est inévitable mais personne
ne sait exactement ce qui devra changer pour que la panique ne se
reproduise plus, néanmoins, tous semblent être d’accord sur une
chose : le changement est là.

Le mot crise connaît une interprétation péjorative dans nos cultures


occidentales, cependant, dans les cultures asiatiques, la crise peut être
comprise comme une période de changement, une opportunité pour
qu’on révise un modèle implanté, et qu’on décide des modifications qui
doivent être apportées à ce modèle comme par exemple : si l’on doit le
garder, ou le mettre à l’écart. La crise offre la possibilité de changer de
cap et de continuer dans une autre direction.

La crise et les années qui ont suivi 2009 nous confirment qu’il est une
erreur de nous renfermer dans nos certitudes et nous incite à sortir
de notre zone de confort pour envisager d’autres façons de faire, de
penser, d’agir. Or, tel est justement le but premier d’une démarche
interculturelle véritable et réussie : rompre avec les certitudes et s’ouvrir
à la différence, sortir du familier pour envisager d’autres façons de faire
et de penser.

Depuis novembre 2009, nos paradigmes sont remis en question, et on


n’a pas cessé de chercher des possibilités ailleurs. À titre d’exemple,
on s’est posé, à un moment donné, beaucoup de questions à propos
d’un modèle de finance islamique en opposition à Wall Street. On
s’est aussi posé la question d’un système de microcrédit comme celui
créé en 1983 par la Grameen Bank au Bangladesh et qui n’a jamais
connu autant de popularité. En France on voit des discussions sur le
microcrédit, mais on a aussi pu assister à des créations de diplômes
de formation à la finance islamique, au sein de célèbres universités
et écoles de commerce. Outre à cela, il semblerait que les valeurs de
préservation, de durabilité et responsabilité deviennent de plus en
plus prioritaires et urgentes au détriment des valeurs de réussite et
profitabilité à court terme.

Ce profond changement qui en vérité, avait commencé il y a maintenant


plus d’une décennie, semble ne plus rester sur le plan du marketing
pour la promotion des entreprises et semble se consolider pour de
vrai et pour de bon : tout cela fait que l’interculturel dans ce nouveau
panorama mondial est plus que jamais à l’ordre du jour.

16
LA GESTION DE LA DIVERSITÉ CULTURELLE

Le changement qui a culminé avec la crise de 2009 remonte aux


attentats du 11 septembre 2001, car à la suite de ces attaques tragiques
qui ont montré au monde entier la vulnérabilité du modèle dominant,
deux grandes tendances se sont imposées comme indispensables
au management à l’international du XXe siècle depuis : la gestion du
risque au niveau international et les implications à tous les niveaux
des différences culturelles. La première découle d’un souci croissant
des entreprises et des dirigeants à propos des risques encourus par
ses installations et surtout par son personnel à l’étranger. Longtemps
bercées dans l’illusion qu’elles étaient à l’écart de représailles
politiques ou d’attaques terroristes, les entreprises réalisent à présent
qu’elles sont acteurs de ce monde où les attentats, les guerres civiles,
les enlèvements ne sont plus des phénomènes isolés, où s’installer sur
place, où envoyer des expatriés est devenu un enjeu beaucoup plus
complexe, du point de vue de l’investissement et de la gestion.

C’est un monde de 7 milliards d’habitants qui n’a jamais été aussi


compliqué, complexe et paradoxal, où 5,1 milliards ont un téléphone
portable, mais seulement 4,2 milliards ont une brosse à dents.
Un monde où 4,5 milliards de personnes ont accès à des toilettes
et parmi ceux-là, 2.5 milliards n’ont pas de conditions minimales
d’hygiène. 1,1 milliard font leurs besoins dans la nature.

La mobilité internationale augmente et la génération Y atteint la trentaine.


On commence à voir l’émergence d’un nouveau type de professionnels,
multiculturels, car les frontières physiques se rapprochent et, qu’on
préfère recruter sur place ou envoyer des professionnels ailleurs, on
doit pouvoir leur procurer les meilleurs outils de décodage du contexte,
afin qu’ils puissent mieux anticiper ou éviter les problèmes et gérer
les situations de conflit. Bref, les entreprises cherchent chaque fois
plus et le plus rapidement possible, à mieux connaître pour mieux
comprendre : les lieux, les spécificités, les hommes et cela pour
répondre à plusieurs questions : quel partenaire choisir, quelle stratégie
adopter, quel professionnel recruter dans le pays d’accueil ?

Outre cela, les contours démographiques du monde changent et les


centres de pouvoir suivent cette évolution. Les prévisions annonçaient
en début 2013 que la population mondiale devrait connaître une
croissance de 5,8 % soit 400 millions, dans un délai de 5 ans. Les
standards de croissance par pays ont changé ainsi que l’évolution
des populations au sein de plusieurs pays. On assiste à un déclin
croissant des populations dans les marchés mûrs de l’Europe et des

17
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

États-Unis, accru par un vieillissement rapide tandis que les pays


émergents comme la Chine et le Brésil, non seulement se caractérisent
par une croissance populationnelle mais aussi par un changement de
la répartition des richesses et de l’accès à l’éducation.

En Chine, on estime avoir 300 millions de personnes appartenant à


une classe moyenne tandis qu’au Brésil, 35 millions de personnes sont
sorties du seuil de pauvreté, ayant à présent accès à des meilleures
conditions de vie et envisageant le futur prochain de manière beaucoup
plus optimiste que la génération de leurs parents.

Un rapport de la société de conseil McKinsey1 sur la croissance


urbaine dans les 50 prochaines années nous révèle qu’en 2015, plus
de 45 % des grandes entreprises présentes dans la liste de Fortune
Global seront basées dans des pays émergents, dont 40 % en Chine.
En plus de cela, 330 nouvelles villes seront pour la première fois siège
d’une grande entreprise. Pour en finir, on aura trois fois plus de sièges
de grandes entreprises dans des pays émergents en 2015, comparé à
2010. Tout cela entraînera aussi des changements considérables dans
la mobilité des personnes travaillant pour ces entreprises.

Un nouveau professionnel nomade et global, issu de la génération Y,


bercé dans le changement et l’avènement des nouvelles technologies,
arrive dans le marché du travail pour naviguer dans ce nouveau monde
où les rencontres, les fusions, les alliances, n’ont pas cessé d’avoir lieu
et où de nouvelles entreprises ne cessent de naître.

L’analyse profonde des interactions au niveau des individus, au sein de


ce monde sans frontières, dans le cadre d’une alliance ou acquisition,
ou d’un simple contrat export, rend la gestion des problématiques
interculturelles encore plus nécessaire et digne d’attention. Interrogé
constamment pour savoir s’il se sent flatté d’avoir acquis tant de
reconnaissance dans le monde des affaires, le PDG de Renault, Carlos
Ghosn répond souvent à propos de son expérience au sein de Nissan,
que la seule chose qu’il regrette est le fait que dans tous les livres et
articles écrits sur lui, les auteurs ne reconnaissent pas assez ce qu’il
considère comme son plus grand atout et comme la véritable cause
de sa réussite dans le processus de la gestion du plan Nissan Revival :
« son management multiculturel ». En d’autres mots, sa capacité
à comprendre le fonctionnement de l’ensemble de cultures et à

1. Dobbs, Remes, Smit, Manyika, Woetzel et Agyenim-Boateng, Urban world : The shifting global
business landscape, MacKinsey Global Institute, 2013.

18
LA GESTION DE LA DIVERSITÉ CULTURELLE

comprendre les conséquences de leurs interactions dans le cadre de la


gestion de Nissan et lors de la mise en place du plan de redressement,
ce qui lui avait permis de mettre en cause les traditions locales au
Japon… tout en les respectant.

Voilà en quelques mots la dialectique récurrente qui résume tout l’enjeu


du management international où les connaissances en management
interculturel peuvent devenir un outil précieux pour aider à trouver la
bonne mesure entre le global et le local, tout en gérant les risques
et en étant responsable. Et cela à tous les niveaux de l’entreprise
et, en particulier, dans le management de ressources humaines à
l’international.

Le recours à des cabinets de consultants pour les formations à


l’expatriation et à la négociation semble s’imposer aujourd’hui comme
une démarche incontournable pour entreprises, qu’elles soient de
grandes multinationales ou des start-up, mais il serait mesquin d’y
réduire l’utilité et les applications du management interculturel.
Le management interculturel et le management international des
ressources humaines font bon ménage et cela n’est pas du tout étonnant.
En effet, il s’agit sous cette optique, dans le premier cas, d’identifier
les spécificités culturelles et les compétences qui en découlent pour
mieux en tirer parti et éviter les blocages et, dans le deuxième, d’obtenir
l’adhésion et la motivation permanente des hommes pour trouver les
meilleures pratiques de gestion de leur travail, de leurs carrières et
de leurs compétences. Ainsi, des pratiques de gestion de ressources
humaines à l’international comme le recrutement, la promotion, la
formation et la gestion d’équipes « multiculturelles », la mise en place
de système d’évaluation, de récompense, la sélection des candidats
à l’expatriation illustrent de manière concrète l’utilité de l’implantation
d’une démarche interculturelle outre la formation de préparation à
l’expatriation ou à la négociation dans un pays spécifique, caractérisé
ou non par un contexte social, politique et économique instable.

Ceci est d’autant plus vrai que l’on n’arrive toujours pas à expliquer, de
plus, le fait qu’un modèle d’implantation à l’international s’avère plus
approprié pour une simple question « d’affinité locale » qui échappe à
l’analyse de la spécificité des actifs et de la fréquence des opérations
préconisées par l’application répandue de la théorie de coûts de
transactions ?

19
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Comment justifier aussi le fait que, dans certains pays, certaines


démarches concernant les rapports avec des partenaires ou au sein
d’unités acquises marchent à merveille et dans d’autres sont un échec,
malgré des études préalables et toute l’expérience de l’entreprise
qui semblaient affirmer le contraire ? Comment savoir si le partenaire
qui se présente comme le meilleur dans le cadre de vos paramètres
possède les compétences les plus appropriées selon le jugement des
habitants du pays d’accueil ? Et encore, comment gérer une situation
de négociation avec les autorités locales où tout cadre juridique et
légal semble inutile et où les réseaux personnels semblent être la seule
règle valable ?

L’actuelle tendance à la standardisation du contenu de grandes écoles


et universités à travers le monde et la confirmation d’une hégémonie
américaine, le discours qui prône une élite mondialisée, l’émergence
d’un global mindset, ne semblent pas avoir résolu la question des
spécificités culturelles de certains comportements et pratiques qui
« résistent » aux quatre coins de la planète. De manière plus concrète,
les managers, malgré toute leur excellente préparation, ressentent de
plus en plus le besoin d’acquérir et développer de manière permanente
une sorte de « compétence interculturelle » dans leur travail.

Voici quelques exemples de situations critiques dans un contexte


international :
ŸŸ la disparition d’une grande somme d’argent dans un pays en
développement quelconque ;
ŸŸ les fournisseurs d’un pays d’Amérique latine ne donnent plus de
nouvelles ou ne respectent pas les délais ;
ŸŸ des employés locaux n’adhèrent pas aux normes et directives et
continuent de travailler comme ils l’entendent ;
ŸŸ certains contrats ne semblent avoir aucune légitimité ou validité
dans certains systèmes juridiques et des entreprises locales semblent
gagner des contrats de concession publique pour des raisons autres
que la qualité de leurs offres ;
ŸŸ on ne sait que faire en recevant une invitation à une pratique
douteuse, voire illégale, sous prétexte de « faire du local ».

Par ailleurs, le développement et la promotion d’une compétence


interculturelle ou d’une intelligence culturelle seront également
importants et utiles à l’intérieur de l’entreprise, d’un même pays. Par
exemple, quand on intègre des nouvelles valeurs issues d’un partenaire

20
LA GESTION DE LA DIVERSITÉ CULTURELLE

(étranger ou non) ou d’un siège lors d’une acquisition nationale ou


quand on doit travailler avec des professionnels d’un secteur différent
dans un projet transversal au sein d’un même groupe ou d’une même
entreprise. On reconnaît de plus en plus et d’une manière récurrente
la nécessité d’une telle démarche et cela depuis bien longtemps,
sans jamais pour autant vouloir s’y consacrer de manière sérieuse et
permanente, sans savoir comment s’y prendre, comment s’en servir.

Le concept de « culture » est loin d’être facile à définir et est souvent


regardé avec méfiance : on se sent attiré mais en même temps, on se
demande si c’est du sérieux, s’il s’agit d’une mode passagère, ou d’un
gadget américain inadapté aux styles de gestion français et européen,
ou même s’il s’agit d’une réflexion exclusive du domaine académique
donc, par conséquent, inapplicable dans la vie réelle. La culture ou les
cultures sont, la plupart du temps, ressenties comme une référence
secondaire et non déterminante dans l’entreprise, et on semble ne
pas avoir encore identifié comment elles interviennent exactement.
Les situations décrites ci-dessus sont souvent résolues sur le terrain,
avec ou sans le concours d’un consultant appelé en urgence, sans
aucun travail préalable de prévention, ce qui parfois peut avoir des
conséquences désastreuses.

La problématique existe depuis des années, mais les exigences du


contexte international actuel ne font que le confirmer de plus en plus et
l’on ne peut davantage ignorer le besoin d’une telle prise de conscience
sous prétexte qu’il est impossible de rendre la démarche opérationnelle.
Cependant, l’identification et le développement d’une telle compétence
chez des managers ne sont pas des tâches impossibles bien qu’elles
ne soient pas du tout faciles. Cela demande du temps et de l’argent,
bien sûr, mais de plus, une sensibilité, une ouverture d’esprit et une
remise en cause de pratiques et croyances, des prérequis qui ne sont
pas toujours faciles à trouver, ni chez les managers eux-mêmes, ni
malheureusement chez quelques consultants spécialistes.

Peu nombreuses sont les entreprises qui ont à présent réussi à relever
le défi, que ce soit au niveau organisationnel, stratégique ou de la
gestion internationale des ressources humaines. Cet ouvrage a pour
but de dégager le concept de son immatérialité et de sa perception
floue et insaisissable au sein des entreprises pour le rendre utile et
accessible aux acteurs du terrain afin de leur permettre le choix correct
d’une prestation de conseil dans la matière, ou pour les mettre en
garde sur les pièges qui peuvent émerger de la mauvaise utilisation

21
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

des outils existants. Ce livre veut aussi fournir aux managers confirmés
et aux managers juniors une base d’informations essentielles sur la
discipline, les approches existantes (opérationnelles ou non), pour
qu’ils agissent immédiatement et en profitent de manière concrète
dans le cadre spécifique de leurs interactions individuelles avec des
interlocuteurs étrangers au sein de leur entreprise ou en exerçant leur
mission à l’international.

Quoique nous considérions le management interculturel comme la


discipline qui traite toutes les interactions de toutes sortes de cultures
ou ensembles de valeurs dans l’organisation (interactions entre culture
nationale, culture d’entreprise, culture de métier, etc.), le présent
ouvrage consacre une priorité d’analyse aux relations entre des
cultures nationales, les problématiques qui peuvent en émerger et les
travaux qui leur ont été consacrés dans les champs francophone et
anglo-saxon, et qui peuvent être utilisés comme des outils dans des
situations pratiques (par exemple, le recrutement et la gestion d’une
équipe formée de plusieurs nationalités).

Nous essayerons de définir les situations concrètes, où les implications


interculturelles interviennent dans l’activité de l’entreprise, et les
paramètres pour la mise en place d’une démarche de développement
d’une compétence interculturelle à un niveau organisationnel et,
surtout, à un niveau individuel tout en cherchant les meilleurs moyens
de l’identifier et d’en faire un différentiel face à la concurrence.

Une petite mise en garde : le management interculturel n’étant pas une


fin en soi, mais un moyen pour résoudre des problèmes et répondre à
des questions apparemment déconcertantes et sans réponses, ce livre
ne peut prétendre donner des recettes toutes faites aux problématiques
d’ordre interculturel. Le but n’est pas de proposer une solution toute
prête, mais d’offrir une notion générale du sujet et des travaux existants,
de définir les pièges, de proposer des conseils opérationnels pour
l’identification et la valorisation de la diversité culturelle, qui une fois
intégrés de manière permanente et personnalisée dans le quotidien
de l’entreprise, peuvent correspondre à la petite lumière au bout du
tunnel.

22
LA GESTION DE LA DIVERSITÉ CULTURELLE

L’essentiel
•  Le contexte actuel caractérisé par la mise en cause de paradigmes,
le changement voulu ou subi et par une insécurité croissante rend
souhaitable, voire essentielle à l’entreprise, la prise en compte de sa
responsabilité vis-à-vis de ses salariés, à travers la définition et la
mise en place d’une politique de gestion de risques à l’international
et d’une prise de conscience d’un aspect interculturel aux niveaux :
stratégique, organisationnel et opérationnel.

•  La démarche interculturelle n’est pas restreinte au niveau


international, même si elle s’y vérifie le plus souvent. Elle peut se
développer à l’intérieur même d’un pays et à l’intérieur même d’une
entreprise entre différents départements.

•  Le management interculturel est intimement lié au management


international de ressources humaines, mais il relève aussi d’aspects
stratégiques et organisationnels : il est de grande aide dans le choix
de la structure et de la coordination des différents départements,
dans la définition du niveau de décentralisation stratégique et dans
celle du degré d’universalité d’application de directives et dans le
choix du mode d’implantation à l’international.

•  La démarche interculturelle peut être matérialisée et peut être


intégrée de manière permanente dans l’entreprise. Cela permet aux
différents acteurs de mieux anticiper les situations, de mieux les
gérer et aussi de constituer un portefeuille des connaissances, tout
en évitant le risque qu’encourt la pratique de régler les problèmes
« sur le tas ».

•  Le management interculturel n’est pas une mode. Il est un outil


pour répondre au besoin permanent d’équilibre entre le local et le
global et aussi entre « eux » et « nous ». Ce sont plutôt les tentatives
de rendre opérationnelle cette démarche qui peuvent correspondre
éventuellement à une mode.

23
Chapitre 2
Ce qu’il faut savoir avant de choisir
une prestation de conseil, coaching
ou formation en interculturel

Qu’est-ce que le management ? Pour Herbert Simon, « manager,


c’est faire faire quelque chose par un groupe d’individus ». Pour
des auteurs de Harvard Business School, le management est « un
ensemble de processus qui visent l’atteinte d’un objectif de création
de valeur grâce à une allocation satisfaisante des ressources
disponibles ». Pour les sociologues, dont, par exemple, Jean-François
Chanlat, le management est « un phénomène social qui vise le bon
fonctionnement de l’organisation pour atteindre le but de l’efficacité
(souvent économique) ». Quelle que soit sa définition, le management
se caractérise comme une activité entreprise par des hommes visant
l’atteinte d’un but.

La conception classique présente le management comme un système


de quatre processus intra-entreprise : planification stratégique,
organisation et structure, adhésion-gestion des salariés et contrôle-
vérification des résultats. Pour compléter cette approche, on peut
également ajouter par la suite les processus interentreprises comme
les relations en amont avec les fournisseurs, les relations en aval avec
les clients et les relations horizontales avec les partenaires. À tous
les niveaux, il y a des interactions humaines, par conséquent, à tous
les niveaux, il peut y avoir une problématique relationnelle d’ordre
interculturel.

25
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Comme tout système, le management possède des caractéristiques.


D’abord, il faut considérer qu’il y a toujours une finalité à atteindre, qui
correspond souvent à la création de valeur. Ensuite qu’il faut prendre
en compte un caractère global d’interdépendance, c’est-à-dire que
chacun de ces processus intègre un ensemble plus complexe. De
plus, le management est une représentation de la réalité, ce qui nous
amène à la dernière caractéristique (qui est très importante pour saisir
la grande difficulté de toute démarche interculturelle) : cette réalité
étant beaucoup plus vaste et complexe que ses représentations ne
le prétendent, tout modèle de gestion sera forcément incomplet et
simplificateur.

Les rapports interculturels dans l’entreprise relèvent de la prise en


compte au sein de celle-ci des relations entre les personnes. Les
préoccupations du management avec ce « facteur humain » ne sont
pas une nouveauté et ne datent pas d’hier. Déjà dans les années
1930, le précurseur Elton Mayo réalise une expérience dans l’un des
ateliers de la Cie Western Electric de Chicago, cela aboutit à ce que l’on
appelle l’effet Hawthrone. On a observé que les salariées de cet atelier
ont connu une augmentation de leur quota de production lors de la
présence in loco des chercheurs, ce qui atteste que leur performance
s’est améliorée parce qu’on s’occupait d’elles. Ce constat a apporté
la preuve que l’attention et la prise en compte des aspects humains
n’étaient pas à négliger. Cependant, toute l’histoire du management
semble nous confirmer que l’homme risque d’être perçu uniquement
comme un facteur de production : dépourvu d’histoire, de culture,
réduit à une simple variable économique dans une équation.

L’aspect interculturel intègre une des dimensions du facteur humain


du management. Cependant, les difficultés de l’aborder, voire de le
reconnaître sont nombreuses. Tout d’abord à cause d’une longue
tradition de rationalisation due à l’influence de la discipline économique
en management. En termes de gestion, on veut toujours pouvoir tout
expliquer et prévoir avec des chiffres et des modèles, ce qui permettra
par la suite une standardisation rassurante pour la mise en place des
stratégies.

Or c’est une tâche impossible de cataloguer et de standardiser des


comportements humains. Les travaux existants sur le management
interculturel, surtout ceux d’origine anglo-saxonne, ont succombé en
quelque sorte à cette tentation simplificatrice. En conséquence, ils sont

26
CE QU’IL FAUT SAVOIR AVANT DE CHOISIR UNE PRESTATION DE CONSEIL

par défaut incomplets, partiels et on ne peut s’en servir que comme un


cadre d’analyse parmi d’autres.

Même si un nombre restreint d’entreprises a réussi à intégrer de


manière permanente, à travers une démarche interne, la problématique
interculturelle dans leur quotidien pour en faire une compétence
distinctive, la plupart du temps, quand le besoin se vérifie, on cherche
encore une intervention à l’extérieur, auprès des cabinets de conseil et
de formation.

Par le passé, ce besoin d’aide pour comprendre les comportements et


pratiques des personnes issues d’une autre culture était souvent négligé
ou sous-estimé, mais à présent, il est traité au cas par cas, au cours
d’une négociation importante, lors de missions plus ou moins longues
à l’étranger le plus souvent. Ainsi, quand les difficultés deviennent
insurmontables, les comportements des partenaires impossibles à
décoder (ce qui empêche l’anticipation) et l’investissement ou l’enjeu
considérables, on fait appel aux services d’un consultant ou d’un
cabinet de formation.

Il y a plusieurs caractéristiques qui rendent le conseil en management


interculturel délicat. La première difficulté qui peut, dans certains cas,
causer une certaine frustration par rapport aux résultats escomptés
est le fait que les entreprises sont avides de réponses toutes faites
et que les consultants-formateurs, pour la plupart, sont prévenus
pratiquement la veille du début de leur intervention. Les négociations
dans leur grande majorité ont déjà commencé et les acteurs concernés
se sentent perdus et désorientés, car quelque chose à propos de « ces
étrangers et de leurs usages » leur échappe. Le consultant-formateur
est alors vu et attendu comme un maître nageur décodeur dont on
attend toutes les bonnes réponses qui vont permettre de « nous sauver
de la noyade ». À vrai dire, le consultant dans la matière intervient très
rarement de manière préventive, ce qui pourrait donner un résultat plus
satisfaisant.

C’est là où commencent les difficultés de la mise en place effective


et efficace d’une démarche interculturelle au sein de l’entreprise. Le
consultant-formateur n’a pas toutes les réponses aux problématiques
spécifiques de sa mission dès le départ, il ne peut pas les avoir. Le
management interculturel, comme son nom l’indique, traite des
interactions entre des personnes issues de cultures différentes. On ne
peut pas apporter des réponses à des problèmes liés à ces interactions

27
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

si on ne connaît pas toutes les circonstances dans lesquelles elles se


sont développées, ni les enjeux qu’elles concernent.

De plus, il faut ajouter les difficultés propres à la saisie, l’évaluation


et au contrôle d’une prestation de conseil de manière générale qui se
trouvent ici redoublées par l’aspect interculturel.

Une prestation de conseil en management interculturel, comme toute


prestation de service, est toujours caractérisée par son immatérialité.
Contrairement à des biens, qui sont quantifiables, le service ne peut
pas être « mesuré », ni « stocké ». Le seul moyen de matérialiser une
prestation de conseil est d’effectuer un parallèle avec des critères
qualitatifs utilisés lors de la négociation d’un bien, comme l’usage, les
buts à atteindre, pour établir une grille de satisfaction, la durée, les
critères d’évaluation d’un retour sur investissement.

Dans le cas d’une prestation de conseil en management interculturel,


cette immatérialité devient encore plus prononcée. C’est un service
difficile à vendre parce que la plupart des commerciaux responsables
de la vente de ce type de prestation dans les cabinets de conseil et
de formation ne connaissent pas tous les arguments pour expliquer
concrètement de quoi il s’agit, ni à quoi cela va servir dans le long
terme, ni pour combien de temps. De plus, le concept de culture, qui
est la base de la prestation interculturelle, reste très flou et indéterminé.
La problématique interculturelle est plus profonde qu’elle en a l’air
et a un rapport intime avec l’identité des individus et avec celle de
l’organisation. Elle implique une restructuration de notre regard, sur
nous-mêmes d’abord, et ensuite sur l’Autre. Ce n’est pas un sujet facile
à traiter, car il implique des remises en cause de pratiques ancrées et
d’auto-analyses systématiques.

De ce fait, si un enjeu interculturel gène le bon fonctionnement de


l’organisation, d’abord on n’arrive pas à l’identifier tout de suite, ensuite,
on ne veut souvent pas l’admettre, on préfère, la plupart du temps,
l’ignorer et faire comme s’il n’existait pas, ou n’était pas important,
même s’il dérange constamment, comme une égratignure. La plupart
des entreprises et des managers qui ont un vrai besoin de formation
ou de conseil en management interculturel n’en sont pas conscients.
Le problème est que l’égratignure à force d’être ignorée, peut devenir
une vraie blessure dont le traitement sera beaucoup plus coûteux et
qui pourra laisser des séquelles au niveau des affaires et au niveau des
carrières des personnes. Par exemple, un manager à la suite d’une

28
CE QU’IL FAUT SAVOIR AVANT DE CHOISIR UNE PRESTATION DE CONSEIL

négociation désastreuse avec des partenaires étrangers peut voir sa


carrière compromise s’il entend dire à son sujet : « On ne va pas lui
confier cette mission, parce qu’il n’a pas su mener l’affaire avec les
Chinois. »

En revenant à la question de l’intervention du consultant en


management interculturel, il faut rappeler ici qu’une prestation de
service d’une manière générale implique une relation de dualité : tout
service est coproduit par celui qui le rend et celui qui le reçoit. Il faut que
le client s’investisse pour que le service soit efficacement rendu. Dans
le cas précis, l’implication et la prédisposition du client deviennent la
clé et correspondent à presque 90 % de la réussite de la mission. Le
consultant a beau être très bien informé, préparé et tout savoir sur les
Hongrois ou les Russes, si le client se braque dès le départ face à la
remise en cause de ses propres pratiques exigée par le processus, ce
sera perdu d’avance et l’approche interculturelle ne pourra pas être
intégrée ni utilisée de manière satisfaisante. En tout cas, sans une vraie
compétence interculturelle du manager développée à long terme, cette
approche sera perçue comme un guide superficiel.

Le consultant-formateur en interculturel doit établir un vrai lien de


confiance avec l’entreprise et le client. Si certaines informations lui sont
omises ou cachées, il ne pourra pas personnaliser son intervention qui
sera forcément insatisfaisante. La démarche interculturelle requiert,
dans un premier temps, une prédisposition à la création d’un lien de
confiance.

La dernière caractéristique est que cette intervention sera toujours


hétérogène et ne peut en aucun cas être standardisée, ce qui renforce
son intangibilité. Cette prestation est hautement personnalisée et ne
sera applicable que dans un cas précis où certains ensembles de
valeurs s’interagissent : une culture d’entreprise propre, avec des
sujets issus de cultures nationales spécifiques, dans le cadre d’une
culture de secteur spécifique et d’une mission spécifique. Il est presque
impossible de retrouver à nouveau, même dans le cadre de la même
organisation, les circonstances qui ont caractérisé une mission.

Outre toutes les difficultés auxquelles doit faire face le consultant ou


formateur en management interculturel, la demande accrue de cette
sorte d’intervention sur le marché ces cinq dernières années (surtout
des demandes de préparation à l’expatriation et à la négociation à
l’international) a vu émerger des intervenants de toutes nationalités et

29
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

possédant tous les parcours. Il faut être prudent dans son choix, car
malheureusement, un grand nombre de ceux qui se présentent comme
consultant-formateurs en management interculturel ont beaucoup
d’expérience à l’international sans pour autant avoir une sensibilité
interculturelle, ni la prédisposition à la remise en cause permanente
exigée par le métier.

D’autres possèdent l’ouverture d’esprit et la sensibilité requises par


l’analyse interculturelle, mais ils n’ont pas encore cherché à acquérir les
bases théoriques propres au management d’une part, ni au management
interculturel, de manière spécifique, d’autre part. D’autres encore ne
possèdent aucune expérience pratique et n’ont comme seule vertu que
le fait d’être ressortissant d’une culture. Leur présence dans le cadre
d’une formation ou séminaire interculturel sur les pratiques d’affaires
de leurs pays peut sans aucun doute être utile, mais leur manque
de connaissances de l’étendue de la discipline et de ses possibilités
d’applications concrètes à tous les niveaux de l’organisation reste un
inconvénient. Leur intervention ne rend pas facile la diffusion de cette
démarche sérieuse et pertinente et renforce l’impression frivole d’un
simple guide de négociation à la dernière minute, comme ceux qu’on
trouve sur les étagères d’un kiosque à journaux à l’aéroport.

Comment savoir si je suis susceptible d’avoir besoin d’aide


pour la gestion d’une relation interculturelle ?

Le premier pas pour savoir si vous avez vraiment besoin de l’aide


d’un consultant ou d’un cabinet de conseil, c’est de vous situer
personnellement au niveau de votre entreprise, au niveau de votre
poste, de vos aspirations professionnelles, mais également au niveau
de vos responsabilités, de l’enjeu concernant des relations avec des
étrangers. Vous n’avez pas besoin d’être à l’étranger pour vivre une
situation interculturelle dans votre travail quotidien. Il suffit que vous
ayez affaire, même par téléphone ou par mail, à des personnes de
cultures différentes de la vôtre. Le besoin dans ces cas-là est peut-être
d’autant plus grand que les moyens de communication sont réduits et
les rencontres face à face pratiquement inexistantes.

Si vous êtes manager, secrétaire, cadre ou assistante de direction, si


vous travaillez dans une multinationale et êtes confronté tous les jours
à l’arrivée de collègues expatriés ou de visiteurs étrangers. Si vous avez
été ou souhaitez être expatrié vous-même, si vous venez d’arriver d’une

30
CE QU’IL FAUT SAVOIR AVANT DE CHOISIR UNE PRESTATION DE CONSEIL

expatriation. Si vous n’avez jamais été expatrié, mais voyagez souvent


à l’étranger en travail ou même si vous restez dans un bureau et avez
des communications fréquentes avec des partenaires commerciaux
étrangers, vous êtes sans doute concerné par l’interculturel. À un
moment ou à un autre de votre activité, vous serez confronté à un
choc culturel. La plupart du temps, cela n’est pas très grave et peut
être facilement géré de manière presque immédiate sans séquelles.
Le besoin s’installe quand une relation se consolide à long terme et
nécessite une attention permanente de la part des interlocuteurs. Ceci
parce que les investissements deviennent de plus en plus lourds, les
enjeux de plus en plus importants pouvant compromettre la carrière du
professionnel responsable.

Il est possible de faire un bilan pour se rendre compte d’une difficulté


permanente dans le cas d’une relation interculturelle. Il s’agit de
diagnostiquer les problèmes de communication avec le partenaire
étranger. C’est une pratique très simple.

Demandez-vous si vous êtes dans les cas suivants :

Petit bilan de la communication avec des interlocuteurs étrangers

1. Même en m’exprimant en français, je ne sais si mes interlocuteurs


m’ont bien compris.
2. Je ressens des doutes par rapport à un comportement ou une
attitude de mon interlocuteur.
3. J’ai l’impression que quelque chose m’échappe ou qu’on me cache
quelque chose.
4. Je me demande si je peux me fier à ces personnes.
5. Je me demande si j’ai bien compris ce que ces personnes ont
voulu dire.
6. Je suis insatisfait après nos entretiens.
7. Je ne sais pas comment m’y prendre.

Les situations décrites ci-dessus arrivent certainement lors de tout


processus de communication, qu’il soit interculturel ou non. La question
commence à devenir inquiétante quand cela arrive très souvent, voire
tout le temps.

31
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

La plupart des personnes ne s’inquiètent pas des proportions que


peut prendre ce qui semblait être un petit problème de communication
au départ. Si la communication est faite en anglais ou dans un autre
idiome, on estimera à 100 % le sentiment d’insatisfaction et le malaise
engendré par la difficulté de traiter affaires dans une langue étrangère.
Ce qu’elles ne savent pas, c’est que ce « tout petit souci » ne se réduit
pas à un problème de langue, ou un problème de médias (téléphone,
courrier électronique, fax…), mais il cache un univers beaucoup
plus étendu : une vraie différence de valeurs, de raisonnement, de
fonctionnement, bref, une tout autre vision du monde.

Malheureusement, l’entreprise ne se rendra compte de ces difficultés,


que lorsqu’elles apparaîtront dans les bilans chiffrés. Les personnes
concernées elles-mêmes ne s’apercevront de l’étendue de la question,
que lorsque la situation atteint des niveaux catastrophiques et leur
projet, voire même leur futur dans l’entreprise, commencent à être
menacés. À ce stade, la seule chose à faire à court terme, c’est de
solliciter l’aide externe ponctuelle d’un consultant ou d’un organisme
spécialisé.

Il est pourtant possible d’envisager une solution interne au niveau


de l’entreprise à long terme. Il s’agit de faire dans un premier temps
une évaluation du « potentiel interculturel » des salariés et ensuite de
vouloir, à travers l’analyse des acquis et des expériences antérieures,
faire le partage des informations et des vécus.

32
CE QU’IL FAUT SAVOIR AVANT DE CHOISIR UNE PRESTATION DE CONSEIL

L’essentiel
•  Comme toute représentation, le management a une tendance à
simplifier une réalité qui s’avère beaucoup plus complexe.

•  Les enjeux interculturels sont un sujet inconfortable et difficile


à traiter, car ils ont pour base le facteur humain de la gestion,
impossible à simplifier ou à rationaliser.

•  Il est impossible de standardiser une approche interculturelle


de manière valable. Cela n’existe pas. On ne peut qu’obtenir des
cadres de référence, jamais de modèles confirmés. Il faut faire
attention aux cabinets qui offrent des tests ou des questionnaires
standards comme des réponses toutes faites à votre problème. La
démarche interculturelle est coconstruite. Elle n’est pas gagnée
d’avance comme un paquet qu’on achète au marché. C’est un type
d’intervention qui exige une approche personnalisée par excellence.

•  Le besoin de conseil et de formation en management interculturel


existe et est récurrent, surtout si l’entreprise est tournée vers
l’international. Il est important de savoir l’identifier et le traiter avant
qu’il ne soit trop tard pour l’opération et pour votre carrière.

•  Acquérir et développer une compétence interculturelle est une


affaire risquée : elle exige une implication à 90 % du client et une
prédisposition à des remises en cause de ses propres pratiques,
comportements et valeurs. Si le client n’est pas prêt à assumer cette
responsabilité, la prestation ne sera pas réussie.

•  Comme toute prestation de service, le conseil et la formation en


management interculturel sont intangibles et difficiles à définir et
à contrôler. Il est important de bien choisir le professionnel qui va
intervenir ainsi que le moment où il doit intervenir.

•  Le consultant-formateur en management interculturel n’apporte


pas les réponses toutes faites, mais les outils avec lesquels il vous
aidera à les trouver dans votre cas concret spécifique.

•  Le premier pas pour savoir s’ouvrir à une démarche interculturelle


est de « se situer » par rapport aux exigences de votre poste ou votre
mission et par rapport à vos propres ambitions professionnelles.

33
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Développer une compétence interculturelle n’étant pas une chose


facile, il faut que l’effort vaille la peine d’être entrepris.

•  Si vous travaillez dans une entreprise multinationale ou dans un


endroit où vous réceptionnez ou côtoyez des étrangers, vous êtes
sans doute, concerné(e) par la problématique interculturelle. Pas
besoin d’être expatrié(e) à l’international pour cela.

•  La plupart du temps, les problèmes et malentendus d’ordre culturel


ne sont pas trop graves et n’ont que des conséquences immédiates.
L’enjeu devient important quand la relation interculturelle s’étend
dans le temps et exige des efforts d’entretien.

•  Le meilleur thermomètre pour saisir l’état de santé de votre


relation interculturelle avec un interlocuteur étranger est le bilan
de votre communication (orale, écrite) avec lui. Si vous ressentez
(malgré d’énormes efforts) une constante sensation d’insatisfaction,
il y a certainement un problème culturel.

•  La plupart des personnes tombent dans le piège qui consiste à


croire que les malentendus sont uniquement dus à un problème
de langue. Elles ignorent que ces problèmes cachent d’autres
dimensions correspondant à une totale différence de paradigmes,
paramètres et de valeurs qui n’est pas du tout négligeable.

34
Chapitre 3
Ce qu’il faut savoir à propos des cultures :
différentes façons de voir le monde

Un des grands enjeux du management consiste à faire en sorte que


les références et les concepts soient suffisamment clairs pour être
opérationnels. Or le concept de culture reste un des plus flous qui
puissent exister.

Il n’y a pas de mot plus difficile à définir. À vrai dire, on n’a pas
trouvé jusqu’à présent, une définition universellement acceptée de
« culture ». C’est un concept qui a beaucoup souffert et souffre encore
des désaccords sémantiques. Ainsi, par exemple, le mot culture en
Allemagne au XIXe siècle devient une représentation de l’identité
nationale, alors qu’en France, il reste longtemps confondu avec le mot
« civilisation ».

Le mot « civilisation » a son origine liée au mot « cité ». Les civilisations


sont nées et se sont développées avec la sédentarisation de l’homme, la
domestication des animaux, bref, l’apparition de villes. Elles recouvrent
l’ensemble des moyens qui ont permis à l’Homme de maîtriser le monde
extérieur, ses bases sont la science et la technologie. À ce propos, on
pourrait dire que les civilisations ont une validité universelle, ce qui
ne peut pas être dit de la culture, qui correspond plutôt aux aspects
particuliers quotidiens d’un peuple. Si la civilisation américaine,
caractérisée par de grands progrès techniques, est bien exportable
dans le monde, la culture américaine ne l’est pas, puisqu’elle est
basée sur un individualisme exacerbé, le concept de propriété privée
et le puritanisme protestant, c’est-à-dire des valeurs qui ne sont pas
valables pour toute la planète.

35
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Le point de départ pour traiter cette problématique serait, avant


d’essayer de saisir le concept de culture directement, de tenter de
comprendre ce qui représente l’aspect symbolique de l’univers humain.

Pour ce fait, nous vous proposons un petit exercice. Essayez de penser


rapidement à deux ou trois mots qui puissent correspondre à ce que
cette figure vous évoque :

Cette figure doit sans doute vous choquer et vous évoquer quelque
chose d’exécrable : peur, dégoût, guerre, génocide, mort, violence,
tristesse, honte, humiliation…

Cette figure représente une croix gammée et pour plus étonnant


que cela puisse paraître, elle n’évoque pas dans un premier temps
des sentiments négatifs partout dans le monde ! Svastika est un mot
d’origine sanscrite qui veut dire « bon augure ». Pour les Indiens,
adeptes de l’hindouisme, elle représente la nuit, la déesse Kali et
certaines pratiques magiques, mais également dans les Védas, les
quatre livres sacrés de l’hindouisme, la roue du soleil, un système
dynamique de renouvellement du jour. Pour les bouddhistes, la svastika
représente la mise en œuvre de la loi bouddhique, la bienfaisance et le
bonheur. Elle est aussi interprétée comme quelque chose de bénéfique
chez les Touaregs. Au Tibet, les paysans la dessinent sur leurs portes
pour chasser les mauvais esprits. Au Japon, on peut la trouver sur des
talismans avec la même valeur positive.

Dans deux versions, bras tournés vers la gauche (comme la figure


ci-dessus) ou bras tournés vers la droite, on la retrouve également
au sein d’autres cultures anciennes en Asie, et même en Europe
centrale, en Grèce antique et au Pays basque, ainsi qu’au Mexique
et à l’intérieur de certaines tribus d’Indiens d’Amérique du Nord. Dans
certains restaurants de Hong Kong, la svastika dessinée sur la porte
signifie tout simplement qu’il s’agit là d’un restaurant végétarien. Mais
alors, qu’est-ce qui fait la différence entre ce que vous voyez et ce que
voit un Chinois de Hong Kong ?

36
CE QU’IL FAUT SAVOIR À PROPOS DES CULTURES DIFFÉRENTES

L’Homme accorde du sens aux objets et aux signes, différemment


des animaux. Il produit des symboles. Cette aptitude à accorder du
sens, à interpréter et à se représenter est essentielle pour comprendre
comment se sont développées les cultures. Le symbole est un signe
figuratif, une figure comme celle qui a été présentée ci-dessus, un être
animé ou objet qui représente une chose abstraite. Il n’existe que parce
qu’on lui accorde un sens. La notion de culture introduit cette logique
symbolique, elle implique ce qui touche au sens, c’est-à-dire ce sur
quoi il est le plus difficile de trouver un accord.

Ainsi, plusieurs définitions de « culture » se sont développées ayant


pour base les différents sens qu’on lui accorde. On pourrait passer des
pages à citer les définitions les plus diverses du mot. Certaines sont
intéressantes. Prenons, par exemple, la première définition scientifique
de culture, qui date de 1871 par Edward B. Tylor, anthropologue
britannique qui la définit comme « ensemble d’habitudes acquises par
les hommes en société ». Ainsi, elle a été définie par Geertz (1973),
comme un système de significations ; pour Herskovitz (1955), elle est
tout ce qui est « humain ». Pour Geert Hofstede, un des grands auteurs
en management interculturel, « si l’esprit est le matériel informatique
(hardware), la culture est le logiciel (software) ».

Cette dernière définition suscite la peur et provoque des critiques


sévères, car elle place la culture comme une force externe qui nous
conditionne et à laquelle nous ne pouvons échapper, indépendamment
de nos volontés, car elle dicterait toutes nos actions. Cependant, la
vérité réside dans le fait qu’appartenir à une culture n’efface pas nos
traits individuels. Ainsi, tout comme deux personnes qui parlent la même
langue peuvent ne pas être d’accord, deux personnes appartenant à
une même culture peuvent ne pas partager la même opinion sur un
certain sujet.

Bref, il n’existe pas une définition universelle, mais plutôt des


caractéristiques et des fonctions globalement acceptées qui peuvent
caractériser la culture. Par exemple, on sait que la culture est
transmissible, mais aussi qu’elle est apprise, et non innée. On sait
aussi à présent, qu’il n’y a pas une culture qui soit meilleure ou plus
évoluée qu’une autre. Il y a juste des cultures différentes. On sait que
la culture à laquelle nous appartenons est un composant de notre
personnalité, qu’elle nous a été transmise dès notre naissance, à
travers les personnes qui nous entouraient, nos parents, notre famille
et plus tard, nos professeurs, nos amis. La culture se développe
à l’intérieur de nous, au fur et à mesure que nous établissons des
rapports avec l’environnement externe. Ainsi, les Eskimos possèdent

37
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

dans leur vocabulaire quotidien environ treize mots pour exprimer l’idée
de « neige ». La culture est aussi quelque chose qu’on partage avec un
groupe de personnes. Elle est en grande partie bien intériorisée dans
notre inconscient. Environ 90 % de la culture d’un peuple est hors
conscience collective.

On utilise souvent l’analogie de la culture avec un iceberg ou avec un


oignon formé de plusieurs couches. Si l’on revient à l’iceberg, la partie
visible correspondrait à la partie la plus facile et la plus superficielle
d’une culture, celle que l’on voit et que l’on comprend tout de suite,
comme les beaux-arts, la langue, la cuisine. La partie cachée de l’ice­
berg correspondrait à la culture profonde dont la plupart des per­
sonnes sont inconscientes. Cette partie cachée qui est aussi la plus
grande serait composée pour la plupart de l’interprétation des choses
abstraites : notre concept de justice, de péché, d’amitié, de ce qui
est honnête et de ce qui est immoral. Cette partie cachée de l’iceberg
serait la plus difficile et la plus longue à connaître et comprendre, la
source de la plupart des chocs culturels, des malaises et malentendus
dans les négociations avec des interlocuteurs étrangers.

Ceci arrive parce que ce que je considère comme « malhonnête » ou


« immoral » est pour moi quelque chose d’évident, mais pas forcément
pour l’Autre. De même, quelque chose qui pour l’Autre est « normal »
et presque inconscient, ne le sera pas forcément pour moi. Prenez
l’exemple d’un Japonais qui se déchausse pour rentrer dans une mai­
son. Pour lui c’est un geste normal, on n’a pas à lui demander au Japon
de le faire, ce sera automatique. Par contre, un Occidental mal informé
risque de manquer à cette règle de politesse, simplement parce qu’il
n’est pas au courant. Pour lui, ce n’est pas une évidence.

38
CE QU’IL FAUT SAVOIR À PROPOS DES CULTURES DIFFÉRENTES

Pour cela, le schéma, utilisé par plusieurs auteurs, qui compare la


culture à un oignon est très utile. Connaître une culture, disent-ils, est
comme éplucher un oignon. On le fait par étapes, couche par couche.
Les couches extérieures de l’oignon correspondent aux traits de la
culture que l’on voit tout de suite. C’est comme si nous descendions
à l’aéroport d’un pays pour la première fois, songez à ce qui au départ
pourrait attirer notre attention ? Le paysage, les couleurs, la langue,
les vêtements, les coiffures et les modes de vie des personnes, ce
sont là les premières impressions d’une culture. On pourrait ajouter
à ce niveau : la cuisine, la littérature, les productions scientifiques et
artistiques comme la musique ou les beaux-arts. Si nous continuons
à éplucher notre oignon, nous arrivons à la couche intérieure qui
correspondrait à des valeurs, dont les gens sont plus ou moins
conscients. Par exemple, le respect des personnes âgées, le respect
de la propriété individuelle, etc. Cependant, si nous arrivons au centre
de notre oignon, nous atteignons les « évidences » dont nous parlions
tout à l’heure, c’est-à-dire des aspects de la culture dont nous sommes
pratiquement inconscients et que nous avons tendance à considérer
d’une manière plus ou moins forte comme normaux et valables pour
tous.

Lors de la conversation avec un partenaire étranger vous pouvez faire


un petit test pour savoir si vous avez atteint le « cœur de son oignon »
ou « la partie cachée de son iceberg ». C’est facile à savoir, ce sont
des questions pour la plupart dérangeantes par leur simplicité, pour
lesquelles on n’a souvent pas de réponse, tout simplement parce qu’on
ne se les était jamais posées. Essayez de demander à un Japonais par
exemple, pourquoi il se courbe pour faire une révérence devant son
chef ou une personne plus âgée, ou encore, par exemple, essayez de
demander à un Italien « pourquoi il mange des pâtes en entrée juste avant
le plat principal », il vous répondra presque immédiatement que « c’est
parce que les pâtes sont bonnes ». Si vous insistez et lui demandez
« pourquoi les pâtes sont bonnes » et surtout encore « pourquoi les
manger avant un autre plat », la réaction va être un sourire ou un geste
d’impatience : « les pâtes sont bonnes on les mange comme ça et c’est
tout ! » Non, ce n’est pas tout. Votre interlocuteur italien ne se souvient
pas, mais il y a longtemps, quand il était tout petit, quelqu’un lui a dit
que les pâtes étaient bonnes et qu’il fallait les manger… et c’était le
plus souvent avant le plat principal. Seulement, pour lui, c’est quelque
chose de normal, il ne s’est jamais posé la question si l’on pouvait
le faire ou le penser autrement, et bien… si. L’exemple porte sur les
habitudes alimentaires, il paraît simple et insignifiant, mais il illustre

39
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

bien le type de situation considérée comme « évidente » ou « normale »


par nous, et qui ne le sera pas forcément pour les personnes d’une
autre culture.

Une autre caractéristique de la culture : elle est aussi évolutive, elle


peut changer, incorporer des éléments venus d’autres cultures, et
en abandonner d’autres, même si, d’une manière générale, elle a un
caractère durable et reste assez stable et ancrée dans l’inconscient
collectif pour être transmise pendant plusieurs siècles.

Quelques petits changements, la plupart du temps à caractère


périphérique, vont avoir lieu d’une manière plus ou moins lente selon
les différentes cultures. Ils vont provoquer de nouveaux comportements
qui, une fois intégrés de manière permanente, peuvent remettre
en cause certaines valeurs, qui structurent la culture. Prenons par
exemple, l’intégration dans le quotidien des Français du téléphone
portable. Beaucoup de personnes aujourd’hui en France affirment
ne plus être capables de vivre sans cet ustensile. Ce nouvel acquis
technologique venu surtout du Japon et des pays nordiques est rentré
dans l’univers quotidien des Français et a modifié leur comportement
de façon définitive.

Dans un deuxième temps, cela provoquera des changements de


comportements qui pourront encourager une remise en cause de
certaines valeurs qui caractérisent la façon de communiquer selon
la mentalité française : on peut y voir déjà une remise en cause du
caractère envahissant du téléphone, une remise en cause du degré de
respect de l’intimité et de la disponibilité des personnes, une remise
en cause de la nécessité ou de l’importance des conversations face à
face ou au bout du fil, etc. L’intégration de cette nouvelle technologie
va engendrer de nouveaux comportements individuels qui, une fois
regroupés, pourront bousculer les règles de conduite et même remettre
en cause des valeurs structurantes de la société, c’est là en quelque
sorte, l’évolution d’un aspect de la culture. Ainsi, comme une langue
qui évolue avec les ans et qui gagne et perd de nouveaux mots et
expressions, une culture est dynamique et de ce fait toute analyse faite
sur une culture quelconque ne peut être définitive.

La culture sert à beaucoup de choses, elle a des fonctions. Par


exemple, elle sert à résoudre des problèmes. Chaque groupe humain a
depuis le début de l’humanité développé des savoir-faire, des usages
propres qui ont fini par les caractériser, transmis d’une génération

40
CE QU’IL FAUT SAVOIR À PROPOS DES CULTURES DIFFÉRENTES

à l’autre : des façons de s’habiller, de cuisiner, des directives de


sauvegarde du type : « il ne faut pas toucher le feu », « il ne faut pas
manger cette sorte de graine », etc. Au départ, il ne s’agissait que de
consignes de survie dans un environnement hostile. Aujourd’hui, cela
représente des solutions collectives trouvées pour la résolution des
problèmes : comment produisons-nous nos richesses ? Comment les
répartissons-nous ?

Les solutions trouvées correspondent à des systèmes de règles sociales


qui se basent sur les valeurs profondes. Ce sont ces valeurs partagées
(une façon spécifique de voir le monde) qui ont inspiré les moyens
que nous avons trouvés pour structurer nos sociétés : nos systèmes
politique, économique, juridique, par exemple. La culture règle les
interactions personnelles au niveau des individus, la cristallisation de
ces interactions donne lieu aux institutions, donc à la société.

À chaque fois qu’un groupe intègre un nouveau système de règles


sociales de gré ou de force, importé d’une autre culture, il intègre
également malgré lui, un autre ensemble de valeurs qui sont la base
d’où émanent ces modèles : imaginez par exemple, la mise en place
d’un système politique basé sur des valeurs démocratiques dans un
pays qui n’a connu que des régimes d’autarcie. Il peut y avoir là, à
long terme, des remises en cause des comportements et des valeurs
profondes à la base de la culture, et dans ce cas il y aura certainement
une évolution de cette culture.

Pour un exemple concret dans une entreprise, prenons l’implantation


d’un nouveau modèle d’évaluation de la performance des salariés
basé sur la valorisation de compétences, dans une organisation où
l’ancienneté était, jusqu’à présent, le critère le plus répandu pour la
gestion des carrières. Mis à part les résistances immédiates, il y aura
des remises en cause profondes des comportements et mentalités à
moyen et long terme. Certaines valeurs seront abandonnées, d’autres
seront intégrées, la culture du groupe, la façon de voir l’entreprise se
transforment. Cette transformation peut se passer de manière plus ou
moins lente, plus ou moins bien réussie : l’« évolution » ici ne doit pas
forcément être comprise de façon positive, comme amélioration.

Il y a une dialectique permanente entre les institutions qui émanent


d’une culture et qui la confirment comme un acquis social et la culture
elle-même. La culture, vision subjective du monde, naît et se développe
dans les interactions individuelles, à travers un univers de significations

41
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

que chacun peut se construire en interagissant avec les autres et avec


l’environnement. La partie partagée de cet univers symbolique inspire
la mise en place de règles de vie, qui peuvent, de leur côté engendrer
de nouveaux comportements et mentalités qui remettront en cause
certains aspects plus ou moins profonds de cette vision initiale.

La culture sert à garantir l’appartenance au groupe, elle a une fonction


identitaire. À travers la culture, nous sommes en mesure de nous
intégrer dans une collectivité, de nous procurer une sorte de protection
au sein du groupe, de nous composer une identité en fixant les limites
entre ce qui est « nous » et ce que sont « les Autres ». Cette fonction
de la culture est la plus opérationnelle et la plus utilisée en matière de
gestion. En effet, la fonction identitaire de la culture d’entreprise sert de
ciment pour motiver et faire adhérer les hommes à un projet et à une
organisation.

La culture sert à communiquer. Selon Edward T. Hall, anthropologue


américain, la culture est un ensemble de filtres cognitifs à travers
lesquels nous voyons le monde et les autres. Ce qu’il ne faut pas
négliger est le fait que non seulement nos pensées et raisonnements
passent à travers ces filtres cognitifs, mais également nos émotions.

42
CE QU’IL FAUT SAVOIR À PROPOS DES CULTURES DIFFÉRENTES

Ainsi nos jugements ne seraient jamais impartiaux, mais fruit de notre


interprétation du monde à travers notre culture. La plupart des travaux
considèrent que la culture transforme l’individu malgré lui, mais la vérité
est que ce processus de transformation obéit à une autre dialectique
identitaire (au niveau de l’individu cette fois), interne et externe :
la culture transforme l’individu, mais elle est aussi constamment
transformée par lui. Il est possible d’intégrer volontairement ou non
certains aspects d’une culture. Parfois, il se peut, après un long séjour
à l’étranger, que nous intégrions malgré nous certains aspects de la
culture hôte qui nous accompagne à notre retour.

Combien de fois, au retour d’une mission d’expatriation, le manager


se surprend-il en train de se comporter exactement comme les
autochtones du pays où il a vécu trois ans, un comportement que lui-
même critiquait au départ ? Comment a-t-il pu intégrer, malgré lui, une
attitude pareille ? Le processus est complexe mais la réponse est très
simple, il a fallu le faire, inconsciemment ou non, pour s’intégrer, pour
survivre.

Est-il possible aussi de laisser tomber certains aspects de sa culture


que l’on n’aime pas ? Pas tout à fait. On peut décider volontairement,
par exemple, d’être toujours ponctuel, dans une culture où la règle est
d’avoir toujours un léger retard pour ses rendez-vous. À ce niveau de
transgression des règles, cela surprend, cela peut causer quelques
inconvénients au rebelle, mais sans trop de gravité. Quand le sujet
décide de manquer à un nombre plus expressif de petites règles
inconscientes, il deviendra tout à coup incompréhensible, indécodable,
« bizarre », « inconstant », « imprévisible » aux yeux de ses pairs.

Le plus dur pourtant est d’admettre qu’il y a aura toujours des


comportements trop ancrés, des attitudes trop inconscientes issues
de notre contexte culturel que nous ne pourrons jamais changer, dont
nous ne pourrons jamais nous débarrasser, car ils intègrent notre
personnalité, notre identité en tant qu’être humain. La culture est ainsi
intériorisée, « elle m’accompagne où que j’aille ». C’est une partie de
moi et non une force extérieure qui me dicte ce que je dois faire et
comment.

« Il se peut que je n’aie jamais quitté mon pays. Quand le comportement
de mon interlocuteur, issu d’une autre culture que la mienne, ne
correspond pas à mes attentes (pour la plupart inconscientes),
je n’arrive pas à expliquer pourquoi, je ressens une sensation de

43
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

frustration, de colère, d’impuissance voire de désorientation. » Il s’agit


là des symptômes d’un choc culturel.

Le choc culturel serait alors une sorte de panne de communication.


Identifier et nourrir une compétence interculturelle correspondrait au
défi de développer la capacité de communiquer en plusieurs cultures,
indépendamment de la capacité de communiquer en plusieurs
langues. Cela fait bien longtemps que l’on a compris que l’anglais était
la langue des affaires. Mais parler anglais couramment ne veut pas
dire que l’on puisse « communiquer » efficacement avec les Anglais
ou les Américains… Encore faut-il d’autres clés, d’autres codes pour
comprendre certains comportements et pratiques, la vraie question
est : comment les acquérir ou les développer ?

44
CE QU’IL FAUT SAVOIR À PROPOS DES CULTURES DIFFÉRENTES

L’essentiel
•  Il n’existe pas de définition universelle de la culture. La culture
relève de la capacité propre à l’être humain d’accorder du sens
à des choses et à des situations. Les différents sens accordés
correspondent à différentes façons de voir et ressentir le monde
extérieur.

•  La culture est transmise et non innée. Elle est aussi évolutive, mais
si son cœur reste assez durable pour endurer des siècles voire des
millénaires, elle est aussi partagée par un groupe de personnes.
90 % de la culture reste en dehors de la conscience collective.

•  La culture est composée de plusieurs couches comme un


oignon. La couche intérieure correspond à des évidences pour les
ressortissants de cette culture. C’est au niveau de ces évidences,
que l’on croit universelles, que la plupart des chocs culturels ont
lieu.

•  La culture est un acquis social dans le sens où elle inspire la


mise en place des systèmes de règles de vie en groupe et est
constamment confirmée par eux au quotidien.

•  La culture sert à communiquer avec les autres. À travers ma


culture, je développe des attentes par rapport à l’attitude de mes
semblables.

•  La culture a une fonction identitaire. À travers elle, l’individu


s’intègre dans un groupe, obtient protection et établit les frontières
entre ce qui est familier ou étranger.

•  La culture fait partie de notre personnalité. Elle est la façon de voir


le monde qui nous a été apprise par nos proches, nos amis, et notre
groupe. Elle nous intègre et nous accompagne où que nous allions.

•  La culture transforme l’individu mais est aussi constamment


transformée par lui. Dans une relation interculturelle, on peut intégrer
consciemment ou non, certains aspects d’une autre culture. Parfois,
il y a des aspects indésirables de notre culture dont on ne peut se
débarrasser.

45
Chapitre 4
L’interculturel au sein de l’entreprise

L’étendue de l’influence des cultures nationales


et des cultures autres dans des situations concrètes

Avant de nous concentrer sur les différences entre les cultures


nationales, il nous semble important de définir le concept d’interculturel
et d’identifier quels peuvent être les niveaux concrets d’implication
du phénomène d’interaction des cultures dans le cadre des activités
professionnelles et à l’intérieur de l’entreprise, pour mieux traiter les
types de cultures et sous-cultures existantes dans l’organisation.

L’interculturel peut être défini comme une dynamique d’interaction entre


les cultures. Ces interactions se produisent en permanence à l’intérieur
et à l’extérieur de l’organisation et non pas impérativement dans un
contexte international. L’interculturel ne se réduit pas aux rapports entre
les différentes cultures nationales. Dans leur ouvrage, les professeurs
d’INSEAD et HEC Genève1 nous rappellent que l’objet d’étude du
management interculturel est vaste et relève des problématiques
issues de l’interaction permanente de différentes sphères de cultures
et sous-cultures : différents ensembles de significations partagées
simultanément ou non par les individus.

Par conséquent, nous avons la culture nationale et les cultures régionales


qui unissent les individus dans une même référence par rapport à leur
origine. À ce stade, nous pouvons évoquer la vision du monde et les
finalités de l’existence qui fondent le concept général de culture.

1. S. Schneider, J.-L Barsoux, Managing Accross Cultures, Financial Times, Prentice Hall Europe,
1997.

47
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Par ailleurs, nous avons la culture professionnelle ou de métier, qui unit


à travers le savoir-faire, le contenu et le vocabulaire technique d’une
même profession, les personnes issues de différentes nationalités. Il y
a aussi la culture organisationnelle ou culture d’entreprise qui unit les
individus de professions et, même, de nationalités différentes dans un
même projet ou au sein d’une même organisation. La culture de secteur
caractérise le comportement plus ou moins compétitif ou innovant des
entreprises appartenant à un marché quelconque et par conséquent,
influence, dans la perception du monde du travail, des individus
travaillant au sein d’un secteur précis comme les cosmétiques, la
grande distribution ou l’agroalimentaire.

Enfin, il y a la culture fonctionnelle, bien illustrée dans l’axe de la théorie


des organisations, par les travaux de Lawrence et Lorsch dans les
années 1960. Les deux chercheurs ont constaté que la plus grande
segmentation interne provoquait un plus grand besoin de mise en place
des mécanismes de coordination de différentes activités de l’entreprise.
Ils ont ainsi mis en lumière le fait que les personnes travaillant au
sein de départements différents finissent par partager un ensemble
commun de valeurs qui leur sont propres et souvent inconnues des
membres d’autres départements. Il n’est pas difficile de constater
ce fait. Combien de fois, les membres du département marketing
d’un grand groupe n’ont-ils pas l’impression que leurs collègues du
département financier vivent dans un autre monde et parlent un autre
langage ? L’existence de ces différentes cultures fonctionnelles fait de
la communication entre les différents départements, et par conséquent
de l’intégration à l’intérieur de l’organisation, l’un des plus actuels et
importants défis du management.

Les différentes cultures seront plus ou moins prises en compte ou


utilisées comme des mécanismes identitaires ou comme outils de
résolution de problèmes au sein d’une structure. La culture de métier,
par exemple, peut exercer un rôle de catalyseur capable d’établir
une identité professionnelle commune. Cette identité servira alors de
référentiel dans un contexte de travail d’équipe formée de différentes
nationalités, mais elle aura des limites, car elle n’arrivera pas à obtenir
un nivellement des comportements individuels.

Afin de travailler ensemble, les individus cherchent à créer ou identifier


des référentiels communs. La culture de métier (comme les autres
cultures présentes dans l’entreprise) peut être utilisée comme outil
d’identification ou d’adhésion au groupe, de manière plus intense par

48
L’INTERCULTUREL AU SEIN DE L’ENTREPRISE

des Français, que par leurs partenaires Japonais, qui chercheront eux,
un autre référentiel plus fidèle à leurs paradigmes comportementaux,
qui puisse leur garantir la possibilité de création ou d’identification à un
ensemble de valeurs communes avec leurs collègues étrangers.

Quoi qu’il en soit, les cultures et sous-cultures sont un facteur très


important de la complexité organisationnelle. La meilleure description
de cette réalité reste celle du grand sociologue Renaud Sainsaulieu :
« l’entreprise est une institution de transformation culturelle par
l’intensité, la durée et la complexité même des rapports humains qu’elle
met en œuvre au cours de ses fonctions. » (1987)2. Par conséquent,
cela nous rappelle encore une fois, que les cultures interagissent et
transforment les individus : l’entreprise est le scénario d’un processus
de construction et de transformation permanente d’identités.

D’une manière concrète, les aspects interculturels (surtout ceux liés à la


culture nationale) peuvent influencer à trois niveaux dans des situations
concrètes d’entreprise :

1. Au niveau de la communication externe, du produit ou service


offerts par l’entreprise : la sensibilité culturelle permet à l’entreprise
de tenir compte des spécificités locales, des comportements et des
goûts des consommateurs. Il s’agit là d’une application concrète de ce
que l’on appelle le « marketing interculturel ».

2. Au niveau stratégique, la sensibilité culturelle permet aux


entreprises :
ŸŸ de mieux ressentir les avantages et inconvénients dans le choix des
partenaires et des modes d’intervention à l’international ;
ŸŸ de rendre plus efficace la préparation et le déroulement d’un
processus de négociation internationale ;
ŸŸ un meilleur jugement des niveaux de décentralisation d’autonomie
stratégique ;
ŸŸ de mieux organiser les délais de décisions et leurs mises en place
dans différents pays ;
ŸŸ de mieux prévoir quels seront les directives, les outils de gestion et
les pratiques à imposer de manière globale ou non.

2. P. Dupriez, B. Vanderlinden, O. Soumah-Mis, Balises pour le management interculturel, ICN-


Université Nancy 2, Recueil des interventions, Semaine internationale, 2002. Cet article peut
être lu sur internet à l’adresse suivante : http://mime.combell.com/files/docs/balises_pour_le_
management_interculturel.pdf

49
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

3. Au niveau du management organisationnel et du management


des hommes : recrutement, promotion, évaluation, mobilité
internationale… toutes les fonctions des ressources humaines sont
concernées.
Avoir une sensibilité interculturelle permet :
ŸŸ un meilleur recrutement local ou recrutement de candidats à
l’expatriation ;
ŸŸ une meilleure politique de promotion ;
ŸŸ l’évaluation des performances ;
ŸŸ l’élaboration ou adaptation des plans de carrière ;
ŸŸ la préparation à l’expatriation ;
ŸŸ la préparation au retour et à la réinsertion ;
ŸŸ la formation et le management d’équipes internationales ;
ŸŸ le choix des systèmes d’information et autres technologies les plus
appropriés aux contextes culturels pour la gestion des ressources
humaines ;
ŸŸ une meilleure compréhension des réelles pratiques au sein de
l’organisation (qui résistent à toute directive venue du siège), leurs
avantages et inconvénients ;
ŸŸ d’identifier les principales causes des dysfonctionnements et
d’élaborer les meilleures stratégies de correction et rendre plus rapide
et efficace le déroulement d’un processus de changement.

Les choix fondamentaux du management organisationnel


et leurs implications interculturelles

Les défis permanents du management organisationnel correspondent


au succès de cinq choix fondamentaux : le choix de spécialisation
du travail, le choix de décentralisation stratégique, le choix entre la
différenciation et l’intégration, le choix des mécanismes pour la
coordination des actions et le choix de répartition de l’autorité. Or,
les aspects interculturels de l’organisation vivent dans une interaction
permanente et pas du tout négligeable avec chacun de ces cinq
choix présentés dans le tableau ci-contre.

50
L’INTERCULTUREL AU SEIN DE L’ENTREPRISE

Les choix
fondamentaux
Les influences des aspects interculturels
du management
organisationnel
À vrai dire, il est difficile de préciser si c’est la spécialisation du
travail qui influence les cultures, ou bien le contraire. Une chose
est sûre : la plus grande spécialisation des professionnels
engendre des cultures de métier bien marquées.
Choix de
La culture de secteur et la culture d’entreprise peuvent aussi
spécialisation
valoriser certains métiers et créer des groupes avec des
du travail
références identitaires, des valeurs et habitudes spécifiques
importantes au sein de la structure, ce qui peut, en quelque
sorte, diminuer ou presque anéantir l’influence des cultures
nationales.
Une plus grande décentralisation des décisions est souvent
la conséquence de l’influence des cultures nationales
Choix de caractérisées par des rapports sociaux plus égalitaires.
décentralisation Il y a aussi un rapport entre les cultures nationales particularistes
des décisions et la tendance à la décentralisation des décisions, car on
envisage la possibilité d’adaptation locale des directives issues
du sommet stratégique.
Une plus grande différenciation est le résultat d’un
environnement extérieur plus instable. Par conséquent,
les cultures nationales ont une influence dans le degré de
Choix entre la
différenciation.
différenciation
D’autre part, la différenciation encourage le développement des
et l’intégration
cultures fonctionnelles et des cultures de métier, et augmente
les situations de choc interculturel lato sensu au sein de la
structure.
Le succès des mécanismes de coordination des actions est
dépendant des spécificités propres à chaque culture nationale :
- certaines cultures valorisent la communication orale, ce qui
Choix des
explique par exemple le succès des mécanismes informels
mécanismes
comme le courrier électronique.
de coordination
- d’autres plus hiérarchiques et plus formelles adoptent un
du travail
mécanisme de supervision directe des supérieurs, illustré par
le besoin des visas des documents écrits par les subordonnés
avant la prise de décision ou l’envoi aux clients.

Comme le choix de décentralisation des décisions, le choix


de répartition de l’autorité est très influencé par la culture
nationale : les chefs seront plus ou moins considérés comme
des individus ayant des prérogatives spéciales par rapport
aux autres, auront plus ou moins de pouvoir de décision et
Choix de répartition
d’influence sur la vie professionnelle et, parfois, privée de leurs
de l’autorité
employés.
De même la pratique très à la mode de l’empowerment (c’est-
à-dire délégation de l’autonomie et du pouvoir) ne sera pas
universelle : tous les subordonnés n’apprécieront pas trop de
liberté pour prendre des décisions et des responsabilités…

51
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Après avoir évoqué les phénomènes interculturels concernant toutes


les sortes de cultures au sein de la structure, revenons au sujet principal
qui traite des phénomènes interculturels au niveau de l’interaction entre
deux ou plusieurs personnes issues de cultures nationales différentes.
D’une manière consciente ou non, les personnes ayant vécu une
expérience interculturelle savent qu’il y a là toute une richesse issue de
la diversité, tout un savoir-faire à propos de différents modes et styles
qui restent inutilisés après la fin de la relation, qui la plupart du temps
se perdent avec le départ de ceux ayant directement vécu la situation.
La grande problématique pour les entreprises aujourd’hui ce n’est
plus de reconnaître l’influence de différentes cultures nationales dans
les pratiques de gestion, mais de trouver un moyen pour les rendre
opérationnelles et profitables par tous dans l’organisation.

Comment rendre opérationnels les acquis interculturels ?


Les universités d’entreprise comme option

C’est donc à ces trois niveaux (communication, stratégique et


organisationnel) que peuvent être envisagées des actions d’ajustement
concrètes aux différences culturelles. Les entreprises reconnaissent de
plus en plus leur importance mais le côté opérationnel de ces actions
reste encore à un stade germinal. À présent, elles peuvent être obtenues
de l’extérieur auprès des consultants-formateurs ou des cabinets de
conseil et formation en interculturel, un choix délicat qui encourt des
risques déjà mentionnés (Partie I - Chap. 2).

De plus en plus, la solution vient d’une intériorisation de la démarche


interculturelle à travers la création d’un centre de formation ou d’une
université interne, par exemple. Les entreprises reconnaissent de plus
en plus l’importance de la ressource rare et encore inexploitée que
représente la diversité culturelle, mais elles ne savent pas encore, ni
la valoriser de manière optimale en tant que compétence humaine
(en ce qui concerne les acquis d’expérience à l’international de leurs
expatriés), ni la transformer en compétence organisationnelle et la
valoriser en tant qu’actif intangible.

Le partage des connaissances et acquis en interculturel des expatriés


commence à se faire de plus en plus au sein des universités
d’entreprise. Mais que sont ces universités ? Ces centres peuvent être
composés par les salariés de manière exclusive ou avec le concours de
professeurs, consultants ou institutions d’enseignement spécialisées

52
L’INTERCULTUREL AU SEIN DE L’ENTREPRISE

dans la formation continue. Les universités internes gagnent de plus


en plus d’adeptes au sein de grands groupes, comme Danone, Accor,
Arcelor…

Ce sont des structures à vocation stratégique plus importante que


les centres de formation, car elles ont pour but le renforcement de la
culture d’entreprise comme référentiel au sein de l’organisation par
rapport aux autres cultures et sous-cultures existantes. La discussion
permanente des différences entre les cultures et sous-cultures permet,
par exemple, la mise en place plus facile des pratiques de transversalité
des équipes, une tendance confirmée du management de nos jours.
Outre une fonction identitaire, l’université interne est un espace de
discussion, de veille stratégique et d’apprentissage appliqué à la réalité
du quotidien et de l’entreprise.

Bien que les universités internes ne s’intéressent pas exclusivement


à eux, les phénomènes interculturels liés aux différences entre les
cultures nationales trouvent de plus en plus une place privilégiée au
sein de ces structures : la discussion de ces phénomènes permet
aux cadres expatriés de trouver une sorte de valorisation de leurs
acquis à l’international face à d’autres pratiques et comportements.
Cela renforce un sentiment de réintégration et corrobore leur adhésion
à l’organisation. Certaines entreprises font de l’observation et de
la discussion des phénomènes interculturels un véritable outil de
benchmarking comme le groupe Accor, qui a demandé à ses expatriés
de « plancher » sur les phénomènes interculturels et les différences
de pratiques entre sociétés pour identifier les meilleures expériences,
même si les entreprises concernées viennent de secteurs différents.
À travers son université interne, le groupe EADS offre des séminaires
interculturels comme Intercultural Awareness et Intercultural Mediation
destinés à sensibiliser les cadres aux différences culturelles et aider à
résoudre des difficultés existantes au sein des équipes internationales.

Bref, les grandes entreprises ont trouvé dans la création de ces


universités internes une manière concrète de valoriser les expériences
internationales de leurs salariés et d’identifier un ensemble de best
practices (meilleures pratiques) qui leur permet de se servir - ne serait-
ce qu’un tout petit peu - de la richesse des acquis de leurs salariés à
l’international. Cependant, la mise au point d’un vrai outil pour identifier,
valoriser, utiliser ou développer des compétences interculturelles de
manière permanente et de les intégrer de manière intime à l’identité
organisationnelle reste encore à venir. Les grandes multinationales ont

53
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

compris l’importance de spécificités et de petits détails idiosyncrasiques


dans le cas d’acquisitions plus ou moins réussies à l’étranger, mais elles
ne savent pas encore, jusqu’à présent, comment saisir et se servir de
ces ressources de manière optimale. Les universités internes peuvent
être le premier pas vers la vraie opérationnalisation de ces ressources
intangibles, y compris la ressource de l’expérience interculturelle
des expatriés et la ressource organisationnelle de l’expérience des
spécificités culturelles liées à l’implantation dans un pays quelconque.

La valorisation des acquis à l’international n’est pas un luxe que seuls


les grands peuvent se permettre. Toute organisation (y compris les
petites et moyennes entreprises) est également en mesure de profiter
de cette expérience. Elle peut identifier et développer les compétences
interculturelles de ses salariés dans un premier stade, et faire de même,
dans un deuxième stade, à propos de sa propre expérience en tant que
structure sur place à l’étranger, ou au long d’une relation de partenariat
de longue date avec des étrangers, en faisant ensuite un différentiel.

Lors du travail conjoint permanent avec des partenaires ou


interlocuteurs étrangers, les entreprises ou les personnes concernées
peuvent, de manière consciente et équilibrée, avec le concours des
partenaires, faire un bilan des « meilleures pratiques » et ensuite d’en
trouver les rapports directs avec les « façons de faire » et les « façons
d’être » des deux côtés. Ce bilan doit se faire après quelques mois,
mais il peut également être d’ordre préventif à l’aide d’outils qui
prennent en compte certains comportements ou savoir-faire comme
les schémas d’analyses stratégiques existant (SWOT et Porter). Dans
le cas des cultures et compétences humaines, il y a des travaux qui
offrent des cadres d’analyse des comportements ou tendances, outre
les études marketing sur les marchés et sur les pays. En entreprenant
ces démarches et en évitant certains pièges comportementaux, toute
organisation devrait être en mesure de faire de ses acquis à l’international
ou de son expérience de négociation avec des interlocuteurs étrangers,
une ressource dont l’usage soit réel et représentant sans doute un
différentiel face à la concurrence.

54
L’INTERCULTUREL AU SEIN DE L’ENTREPRISE

L’essentiel
•  L’entreprise est un complexe formé de différentes cultures et sous-
cultures qui interagissent et qui se transforment en permanence.
Ces cultures sont plus ou moins partagées de manière globale ou
partielle par les individus. L’objet du management interculturel ne
se limite pas à l’étude des différences entre les cultures nationales
et leurs implications mais englobe également toutes les cultures et
sous-cultures au sein de l’organisation.

•  Les différentes cultures auront une fonction identitaire et


de résolution de problèmes. Leur influence peut être plus ou
moins ressentie, plus ou moins encouragée ou valorisée par les
individus. La culture de métier, par exemple, joue un rôle catalyseur
d’identification pour les professionnels français (souvent ingénieurs)
travaillant au sein d’équipes internationales.

•  D’une manière concrète, les aspects interculturels influencent à trois


niveaux les situations d’entreprise : le marketing et la communication
externe, le management stratégique et organisationnel et la gestion
internationale des ressources humaines.

•  Les centres de formation et les universités internes sont des


options valables et non exclusives trouvées jusqu’à présent par les
grandes entreprises pour rendre opérationnelles leurs connaissances
en management interculturel. Cependant, toute entreprise, même
les petites et les moyennes, est libre de faire de cette démarche un
différentiel face à la concurrence.

55
Chapitre 5
L’interculturel et l’individu

Reconnaître quelques aspects d’une culture nationale


influençant l’activité professionnelle

La culture comme vision du monde correspond à un ensemble de


références symboliques, normes, rites et valeurs partagées. Cet
ensemble va être à la base des institutions qui finiront par régler la vie en
société : un système juridique, un système politique etc. Cet ensemble
va aussi servir de base à des jugements, mentalités et comportements.
On peut voir des signes de la culture au quotidien, dans les gestes les
plus simples, comme la façon de s’habiller, de préparer son café ou un
repas, de gérer un conflit ou de chercher et obtenir une information. Ce
qui nous intéresse dans le cadre de cet ouvrage, c’est d’appréhender
certains des aspects d’une culture nationale qui ont une vraie influence
(directe ou indirecte) dans l’activité professionnelle.

Religion et contexte religieux


Le premier de ces aspects est la religion ou le contexte religieux où
les individus sont nés. Les religions ont pour but de donner du sens,
une finalité dans la vie des personnes. Ce sont les références que
chaque groupe humain a trouvées pour répondre à des questions
métaphysiques : pourquoi suis-je là ? D’où viens-je ? Où vais-je ?
À quoi servent ma vie, mon travail ? Il est très intéressant de voir
que, même dans une société laïque, de manière indirecte et subtile,
les comportements et jugements dictés par une doctrine religieuse
(toujours présente en fond) restent très répandus et ancrés dans le
quotidien et l’inconscient des personnes.

57
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Le grand Max Weber l’avait déjà ressenti au début du XXe siècle dans
son célèbre ouvrage : L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme.
Comme le titre l’indique, le père de la sociologie moderne affirmait
que certains aspects des religions protestantes, surtout le calvinisme,
accorderaient un jugement de valeur aux croyants où l’enrichissement et
la réussite sociale ne seraient que le fruit du travail honnête et discipliné
qui rapprocherait l’Homme de Dieu. Un postulat de prédestination,
où seuls peu de privilégiés auraient accès à la gloire et au salut (la
valorisation du travail comme moyen d’élever son esprit vers Dieu) et
une discipline de vie ascétique seraient des éléments qui faciliteraient
l’épanouissement d’un système de création et accumulation de
richesses telles que le capitalisme.

Ainsi, les ressortissants d’une culture à contexte protestant, comme


les Américains ou les Hollandais par exemple, n’étant même pas
croyants dans leur intimité, n’éprouveraient aucun remords ou malaise
à produire des richesses, à faire beaucoup d’argent, à parler d’argent et
de salaire, par exemple, lors d’un rendez-vous d’embauche. Situation
pratiquement impossible dans un contexte français, laïque certes,
mais malgré lui, encore fortement imprégné d’une mentalité catholique
qui condamne vivement l’accumulation de richesses et l’attachement
à l’argent.

Reconnaître les rapports avec l’argent ne correspond pas


systématiquement à un péché pour certaines religions. Dans son
ouvrage sur les religions, Hesna Cailliau3 nous rappelle que le judaïsme
interdit l’usure (mais qu’entre juifs car la communauté entière devra se
porter garante du remboursement de l’emprunt) et que les musulmans,
en suivant le Coran, condamnent l’épargne et encouragent la
prodigalité.

Cette même prodigalité peut correspondre à un péché pour les


religions chrétiennes. Aux yeux de beaucoup d’Occidentaux, par
exemple, le comportement de certains musulmans aisés sera qualifié
de manifestations frivoles, ridicules et condamnables, propres à de
« nouveaux riches ».

Le contexte religieux interfère également dans l’appréhension de la


notion de temps et de contrôle sur les événements de la vie en général.
Ainsi, pour certaines religions, on ne peut pas disposer du temps,

3. . H. Cailliau, L’esprit des religions : connaître les religions pour mieux comprendre les hommes,
Milan, Toulouse, 2003.

58
L’INTERCULTUREL ET L’INDIVIDU

car on ne le possède pas. Le temps appartient à Dieu et lui seul peut


décider de combien de temps nous aurons pour discuter d’une affaire.
De ce fait, il semblerait que les Arabes ont du mal à se projeter dans
le futur et qu’ils vivent encore dans la nostalgie d’un glorieux passé.
Ils diviseraient le temps entre ce qui est accompli et ce qui ne l’est
pas, que cela corresponde à une heure ou des journées. À la fin, de
toute façon, tout reviendrait à Dieu, qui en dépit de sa bonne volonté,
est le seul capable de décider ce qui s’accomplira ou non. Inch’Allah,
cette expression confirme que tout se passera selon la volonté de Dieu
et irrite les hommes d’affaires occidentaux qui peuvent l’interpréter
comme un manque d’engagement, un simple « peut-être ».

Il est donc difficile de faire comprendre des logiques à long terme, car
on ne se sent pas capable de planifier le futur, celui-ci appartenant à une
force majeure qui nous échappe. D’autres comportements en affaires
peuvent aussi découler d’une notion du temps cyclique caractéristique
des religions orientales comme le bouddhisme ou l’hindouisme. Cette
notion se traduit par un cercle perpétuel qui développe le sens de
l’éternité : « tout naît, vit, meurt et renaît. » Il y a des lois dans l’univers
qui régissent un éternel recommencement. C’est la Bible qui nous a
apporté notre vision du temps linéaire avec un début, une fin et un sens.
Elle nous présente une ligne avec la marque d’événements uniques qui
se sont produits et qui ne se répéteront pas. Cette conception de la
Bible corrobore la grande importance dans nos cultures occidentales
de l’Histoire.

Elle explique en grande partie l’angoisse des Occidentaux face à l’avenir


et le grand poids d’un échec en Occident, l’aspect linéaire ne permet
pas aux fautifs de revenir sur leurs erreurs, de se rattraper, d’où quelques
difficultés préalables à la prise d’une décision dans certaines cultures.
La religion hindoue, par exemple, croit que l’Histoire est inintéressante,
qu’il n’y a pas d’événements uniques dans le temps, mais un cycle de
répétitions. Ces cultures vivent dans des raisonnements à cercles, et
leur encadrement du temps correspond au temps présent. Cela leur
garantit peut-être une souplesse par rapport à la conception et la mise
en place immédiate d’une action, mais il leur est parfois très difficile de
se projeter dans l’avenir de manière linéaire à l’occidentale, très difficile
donc, de faire de la planification stratégique à long terme.

59
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Formes d’expression : langages verbal et non verbal


Le deuxième élément de la culture qui a une grande influence dans la
vie professionnelle des personnes est le langage, verbal et non verbal.
Les formes de langages d’une culture correspondent à sa fonction
de communication. Il y a des cultures, comme la culture française,
où le langage écrit, la façon dont on écrit une lettre, un mail, ont une
grande importance. Les mots doivent être soigneusement choisis,
sinon mesurés. D’autres valoriseront plutôt les coups de téléphone,
les longues négociations orales. Ainsi, il est inutile d’envoyer des
mails à des ressortissants d’une culture qui valorise le langage oral.
Il faut trouver pour chaque culture, son canal de communication le
plus efficace, le média dont l’usage est le plus répandu. En ce qui
concerne l’interprétation du langage verbal et non verbal, le contexte
culturel permet d’accorder du sens à certains regards, certains bruits
ou gestes. C’est encore Edward T. Hall qui a introduit le concept de
contexte de communication. Selon lui, le contexte, déterminé par la
culture, joue un rôle important dans le traitement d’informations.

Ainsi, la culture protégerait le cerveau contre le dépassement de sa


capacité de traiter les informations reçues et déterminerait à travers
le contexte, les champs d’attention et les champs d’ignorance. Ce
dépassement serait une rupture du système qui se trouve alors, dans
l’impossibilité de traiter l’énorme volume d’informations auquel on le
soumet. C’est la situation que la plupart des managers travaillant à
l’international ont tous un jour connue, au milieu d’une discussion avec
des interlocuteurs étrangers, lorsqu’on a vraiment l’impression qu’on
n’arrive pas à communiquer ou que « quelque chose nous échappe »,
même si on est pratiquement bilingue. Si nous prenons l’exemple
des Brésiliens qui travaillent ou négocient avec des Français, nous
constaterons par exemple que, même avec une très bonne maîtrise de
la langue, les Brésiliens ne saisissent pas tous les non-dits du discours
français. C’est pour la plupart d’entre eux la plus grande difficulté
pour travailler avec des Français. Cela leur donne la sensation d’être
trop bêtes ou trop naïfs, qu’on les prend pour des idiots, les champs
d’attention et les champs d’ignorance n’étant pas les mêmes dans les
deux cultures. Ils ont alors l’impression que les Français ne disent pas
tout ce qu’ils pensent et retiennent l’information.

La langue est intimement liée à la culture d’un peuple, elle correspondrait


à un mode d’expression des mentalités. Il y a des mots qui n’existent pas
dans certaines langues, cela reflète bien ce qui est considéré important

60
L’INTERCULTUREL ET L’INDIVIDU

ou non par les cultures d’où elles émergent. Par exemple, il n’y a pas
de mot « liberté » dans le chinois classique. La liberté n’est donc pas
en Chine une valeur, puisqu’elle est intimement liée à l’individualisme
considéré comme répugnant. En arabe et en turc, le mot « avoir » est
remplacé par l’expression « il y a », ce qui montre que la propriété a
historiquement dans ces cultures moins d’importance qu’en Occident.
Certains mots nous révèlent la différence de valeur que l’on accorde
à certaines actions. Par exemple, le mot « copier » pour les Japonais
et les Chinois correspond à « apprendre ». Il est donc très difficile de
mettre en place un programme de contrôle de contrefaçons dans ces
pays. L’imitation, qui est une pratique condamnable en Occident, est
quelque chose de valorisé par ces peuples, qui y voient une façon
d’évoluer, d’améliorer, d’apprendre et de progresser.

Éducation
L’éducation, fonction de formation de la personnalité des jeunes et de
transmission des acquis, est aussi un aspect culturel très important qui
a une grande influence sur les comportements des professionnels dans
leur vie adulte. Elle peut correspondre non seulement à la transmission
pure et simple de valeurs, techniques et connaissances mais détermine
également, par exemple, les relations hiérarchiques, les rapports
entre les différents âges et entre les personnes de différents « niveaux
d’instruction » au sein d’une culture. L’éducation ne se restreint pas au
processus éducatif dans une école ou établissement, mais à la façon
dont les enfants sont dès leur naissance, intégrés comme membres du
groupe.

Prenons, par exemple, la différence de traitement que reçoit un enfant


dès son jeune âge en France et aux États-Unis ; traitement qui influence
en quelque sorte la construction de sa personnalité en tant qu’individu
et en tant que citoyen. En France, le processus de socialisation des
enfants commence très tôt. Dès qu’ils sont très jeunes, les parents
et toute la famille s’y impliquent pour leur apprendre d’une manière
collective, à vivre au sein du groupe. Ainsi, les enfants français ont
une liberté restreinte par rapport aux enfants américains. Ils doivent
toujours « être sages », « rester propres », « ne pas faire de bruit ».
Parfois, même des membres de la société qui n’ont pas de lien familial
avec les enfants se sentent concernés par ce processus collectif de
socialisation. Il n’est pas chose bizarre de voir par exemple, en France,

61
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

des personnes inconnues dans la rue, qui rappellent à des enfants avec
qui ils n’ont aucun lien : « ne fais pas ceci », ou « fais attention à ça ».

Quand les jeunes français atteignent l’adolescence, le processus de


socialisation est considéré comme fini, il leur est alors accordé une liberté
relative, un certain épanouissement qui leur permettra de s’affirmer en
tant qu’individu, de développer les caractéristiques individuelles qui
leur sont propres. Ils peuvent déjà sortir sans rendre compte de leur
vie privée ou de leurs actes, ils acceptent mal l’intervention des adultes
à cet égard. Si en arrivant à l’âge adulte, l’individu échoue ou n’arrive
pas à s’en sortir tout seul, la société inconsciemment imputera la faute
aux parents et au restant de la collectivité, qui n’ont pas su les élever
et leur transmettre les valeurs nécessaires pendant leur enfance pour
leur réussite sociale. Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis
et dans d’autres pays, l’adulte qui échoue en France est pris en charge
par la société : RMI, RMA, allocations… l’État, la collectivité remplacera
la famille. L’individu ne se sent à aucun moment le seul responsable de
son échec. Pour lui, c’est très simple : il est une victime du système,
on ne lui a pas appris à s’en sortir tout seul et la société doit garantir
sa subsistance.

Aux États-Unis, le processus est en quelque sorte inversé : aux


enfants très jeunes est accordée une grande liberté. On part du
principe que l’individu doit s’épanouir et ne pas être brimé afin de
pouvoir développer toutes ses capacités. Les parents américains,
dans ce premier stade, doivent lui donner tous les moyens pour qu’il
puisse s’épanouir, développer son individualité. Expatriée aux États-
Unis, une jeune femme française était choquée quand elle a, pour la
première fois, invité un couple américain et leur petite fille de trois ans
à la maison. La petite fille américaine a regardé les plats sur la table
et a dit : « C’est dégoûtant, je ne veux pas manger ça. » La jeune
française explique, surprise, qu’au lieu de réprimander leur fille comme
on ferait normalement en France, en lui disant : « Arrête de te plaindre
et mange » ou « Sois gentille et mange », les parents américains ont ri
face à ce qu’ils ont interprété comme l’expression spontanée de son
fort caractère et ont juste demandé si la jeune femme française ne
pouvait pas préparer quelque chose d’autre à manger pour leur fille,
puisque la petite n’aimait pas ce qu’on lui avait proposé.

Devenu adolescent, l’Américain perd un peu de sa liberté et le


processus de socialisation et de prise de conscience de la collectivité
s’installe. À ce stade-là, on part du principe que son individualité et sa

62
L’INTERCULTUREL ET L’INDIVIDU

personnalité sont formées, il a eu le temps et les moyens de développer


ses compétences et ses spécificités individuelles et il est temps, pour
l’école et pour les parents, de lui apprendre à vivre en société et prendre
en compte l’existence des autres. L’épanouissement et la liberté que
l’individu a connus en tant qu’enfant diminuent dans le sens où il faut,
maintenant, apprendre à respecter les droits d’autrui.

Arrivé à l’âge adulte, l’échec ne sera pas ressenti comme la faute des
parents, mais comme la faute de l’individu tout seul. Il sera alors un
loser, quelqu’un qui, malgré toute la liberté qu’il a connue pendant son
enfance pour développer ses compétences, n’a pas su en tirer profit
et évoluer. Or, les États-Unis connaissent depuis quelques années
un problème très grave de violence au sein de leurs établissements
scolaires. Des élèves en terminal, un jour, sans aucune explication,
prennent un revolver et tuent des dizaines de personnes à l’école à
la veille de leur remise de diplôme de fin d’études secondaires. Ces
actions violentes et apparemment sans aucun sens deviennent tout
à coup compréhensibles si l’on considère dans leur culture, le poids
de l’échec au niveau de l’individu. Si à la fin de ses études de base,
l’individu est définitivement classé et reconnu comme un loser, un
vaurien, quelles pourraient être ses chances pour l’avenir ? Quasiment
nulles, un poids trop lourd à porter tout seul, car contrairement à ce qui
se passe en France, l’échec n’est pas partagé avec le groupe, d’où le
recours à l’acte de désespoir.

Les matières scolaires les plus valorisées comme les mathématiques et


la langue française en France ou les mathématiques et la biologie aux
États-Unis, la façon dont les cours se déroulent d’une manière plus ou
moins participative dans les écoles primaires, collèges et universités, le
degré de formalité des rapports entre élèves et professeurs témoignent
aussi des différentes façons d’appréhender le monde et les autres et
influencent le comportement des personnes plus tard au travail (par
rapport à leurs supérieurs, collègues et subordonnés, par rapport à la
vision qu’elles auront de leur fonction dans l’entreprise et leur métier).

Certaines cultures valorisent énormément les compétences techniques


acquises sur le terrain. Le PDG d’un groupe industriel de métallurgie
en Allemagne, par exemple, sera certainement quelqu’un qui a une
éducation d’ingénieur métallurgique ou de technicien en métallurgie,
c’est-à-dire quelqu’un qui connaît l’activité de terrain. Tandis qu’en
France, le PDG d’un grand groupe de métallurgie sera plutôt un diplômé
d’une grande école, pas forcément un ingénieur, mais certainement un

63
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

manager, quelqu’un qui n’aura peut-être aucune expérience de terrain


en métallurgie, mais qui possédera un diplôme de la célèbre école HEC.

Cet individu pourrait être aussi bien le PDG d’un groupe agroalimentaire
ou d’un groupe de télécommunications. Ce ne sont pas ses
compétences techniques ou ses connaissances du terrain qui seront
prises en compte pour le poste, mais le statut que son diplôme lui
accorde. Pour la culture française, avoir fait une formation technique
ou avoir fréquenté un lycée technique, avoir été formé sur le terrain ne
sera pas forcément considéré comme quelque chose de très positif ou
très valorisant.

En outre, le système éducatif « apprend aux personnes à penser »


dans le sens où il encadre et privilégie également les formes de
raisonnement au sein d’une culture. En France, par exemple, les enfants
sont, dès leur jeune âge, entraînés à développer un raisonnement
cartésien synthétique et déductif. Dans d’autres pays, les enfants sont
plutôt entraînés à raisonner de manière analytique, pragmatique ou
inductive. Tout cela influence énormément le mode de fonctionnement
professionnel du futur adulte et sa méthode pour analyser des données,
résoudre des problèmes et prendre des décisions.

Bagage technologique et artistique


Les réalisations matérielles et technologiques correspondent à une
fonction de création d’une culture. Les ressortissants d’une culture
à forte tradition littéraire seront très sensibles à l’adoption et à la
bonne utilisation du langage oral et écrit, pouvant même démontrer
une certaine résistance à l’adoption plus rapide d’innovations
technologiques comme le courrier électronique. Les ressortissants
d’une culture orale, d’autre part, développeront une meilleure mémoire
et pourront être plus ouverts aux nouveautés, moins stressés avec le
changement.

Les systèmes : social, économique, politique…


Enfin, il ne faut pas oublier de mentionner les institutions émanant
d’une culture : le système économique (qui correspond à la fonction
de création et de répartition des richesses) et le système politique
(qui correspond à la fonction d’attribution et de gestion du pouvoir).
Ainsi, si notre société est caractérisée par de gros écarts sociaux dus

64
L’INTERCULTUREL ET L’INDIVIDU

à une mauvaise distribution des richesses et par un régime politique


dictatorial, cela se reflétera au sein de l’entreprise, où les rapports entre
les employés seront plus ou moins égalitaires et où le chef sera plus ou
moins accessible.

Les systèmes social et économique d’une culture vont déterminer les


critères selon lesquels les personnes valoriseront leurs ressources
et organiseront leur force de production. En France, par exemple,
comme dans la plupart des pays occidentaux ayant vécu la Révolution
industrielle, la maîtrise des coûts de production est un facteur très
important : on cherche toujours à diminuer des coûts marginaux en
augmentant la production, une mentalité bien héritée du fordisme et
des lignes de production du début du XXe siècle. Or, dans certains
pays, l’augmentation d’unités produites n’est pas synonyme de
réduction des coûts, mais plutôt le contraire. Cela se produit, parce
que l’organisation économique de ces cultures a préféré l’adoption
d’un système de production artisanale au détriment de la ligne de
production de masse.

Cela paraît très insignifiant et flou, mais les conséquences concrètes


sont très importantes et nettement ressenties par les professionnels du
terrain. Prenons l’exemple d’un importateur français de meubles et objets
de décoration au Maroc. Ancré dans ses paramètres occidentaux de
production, le Français demande au Marocain de lui faire un prix réduit,
s’il achète davantage de chaises, un raisonnement normal lorsqu’on
fonctionne dans une logique de production de masse. Or, le producteur
marocain travaille de manière artisanale, donc, produire davantage de
chaises signifie pour lui augmenter ses coûts de production. De ce
fait, il ne peut pas donner au Français la réduction qu’il demande. Si le
Français force la main et finit par persuader le Marocain de lui fournir
dix chaises pour le prix de six, ce dernier le fera certainement, mais en
ouvrant son container dans le port, le Français risque d’avoir la mauvaise
surprise de découvrir que parmi les dix chaises envoyées, il n’y en
aura que trois qui correspondront au modèle qu’il avait commandé.
Les sept autres chaises ne correspondront sans doute pas aux critères
de qualité pris en compte par le Français, lorsqu’il croyait avoir conclu
un accord. Pour le Marocain, c’est très simple : il s’est engagé à fournir
dix chaises, il l’a fait. Ce que le Français n’a toujours pas compris, c’est
que pour fournir dix chaises ayant les caractéristiques et les critères
de qualité souhaités par lui, le Marocain devra engager davantage
d’artisans et aura par conséquent, beaucoup plus de dépenses. Ce
n’est donc pas très intéressant pour lui.

65
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Ceci se passe souvent et finit mal, parce qu’il y a une totale ignorance
des différences de demandes et d’offres des systèmes économiques et
de l’organisation sociale de deux cultures. Beaucoup de malentendus
pourraient être évités si les deux parties étudiaient davantage le
fonctionnement de l’autre.

De même, le système législatif et judiciaire a une influence sur la façon


dont les gens se comportent ; il faut réfléchir avant d’extérioriser ses
conceptions profondes de justice et d’équité au sein de l’organisation,
de l’équipe ou de tout autre groupe humain intégré au sein de
l’organisation.

66
L’INTERCULTUREL ET L’INDIVIDU

L’essentiel
•  La culture correspond à un ensemble plus ou moins inconscient
de sens et valeurs partagés qui sont à la base des jugements,
mentalités et comportements. Elle se confirme à travers des
structures qui régissent la vie sociale mais se manifeste également
dans les gestes les plus simples du quotidien.

•  La culture ne peut être réduite à la religion, mais le contexte


religieux a une grande influence sur la façon de concevoir le monde.
Il influence profondément, par exemple, les rapports à l’argent ou la
conception du temps.

•  Le langage correspond à la fonction de communication d’une


culture. Il peut être verbal ou non verbal. Connaître le contexte
culturel d’un partenaire étranger offre des outils pour décoder plus
efficacement son langage. Bien parler une langue étrangère la
plupart du temps n’est pas suffisant pour obtenir une communication
efficace.

•  La façon dont les enfants sont élevés et éduqués varie selon


les différentes cultures. La formation et l’éducation des jeunes
déterminent en grande partie leur conception du monde, leurs
comportements et leurs références professionnelles.

•  Les structures qui régissent notre vie sociale et qui émanent de


notre culture confirment des paradigmes qui se reproduisent à
l’intérieur d’une organisation. Par exemple, les rapports hiérarchiques
au sein d’organisations issues des sociétés où il existe de grandes
inégalités sociales auront tendance à être très marqués et les chefs
seront difficilement accessibles.

67
Chapitre 6

Mise en garde : réactions à la différence

« On ne connaît jamais un être,


mais on cesse parfois de sentir que l’on l’ignore. »
Malraux

Il est indispensable de cibler le cœur de toute problématique


interculturelle, c’est-à-dire l’interaction de deux univers symboliques
différents à travers le contact individuel avec l’Autre. Il s’agit là de la plus
importante condition de la réussite de toute démarche interculturelle.
Nous ne pouvons pas échapper au choc culturel. Le premier pas, c’est
donc d’apprendre à identifier le moment où nous sommes en train d’en
vivre un.

L’interculturel est le résultat de la rencontre de deux univers de sens


différents. Même s’il se voit accordé une plus grande importance
actuellement dans un contexte mondialisé, l’interculturel a toujours
existé : les guerres depuis le début de l’humanité, les rencontres sur la
route de la soie, les grandes découvertes maritimes sont des exemples
de la dynamique interculturelle au cours de l’histoire de l’Homme.

En se rencontrant, les cultures s’influencent, se dominent, s’altèrent


et évoluent plus ou moins vite dans leur dynamique humaine. La
mondialisation a augmenté le nombre et la probabilité des rencontres
humaines, les distances physiques ayant été réduites par les progrès
techniques du XXe siècle. Les rencontres entre les personnes dans un
contexte professionnel ou non sont donc beaucoup plus susceptibles
d’avoir lieu à présent que par le passé, mais, cela ne veut pas forcément

69
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

dire que la découverte de l’univers symbolique de l’Autre ait vraiment


lieu à chaque rencontre.

Si nous reprenons la définition de culture comme moyen de


communication avec l’Autre et le choc culturel comme panne dans ce
processus de communication, cela devient plus facile à comprendre.
La communication est un processus bilatéral caractérisé par trois
éléments : un émetteur, un message et un récepteur. Pour qu’il y ait
communication, il faut que le récepteur ait reçu le message. Si cela ne
se produit pas, l’émetteur aura beau envoyer son message, il ne sera
pas en train de communiquer, mais de s’exprimer, tout simplement.

Les trois éléments fondamentaux de la communication :

Quand l’émetteur et le récepteur appartiennent à une même culture,


ils accordent au message le même sens ou presque, les risques de
panne de communication sont alors très réduits, donc le choc culturel
est pratiquement inexistant. Le problème peut émerger, quand le
sens accordé diffère, car l’émetteur et le récepteur ne partagent pas
le même ensemble de significations. Il suffit de très peu pour qu’un
malaise interculturel s’installe et compromette tout le reste. Ainsi,
par exemple, lors de la fusion d’EADS4, des équipes interculturelles
formées à la fois d’Allemands et de Français rencontrèrent d’énormes
difficultés à se faire comprendre et à travailler ensemble, car le sens du
mot « coopération » n’était pas le même dans les deux cultures : pour
les Français, coopération correspondait à des apports individuels pour
atteindre à la fin un résultat commun, tandis que pour les Allemands,
coopération correspondait dès le départ, à des apports communs
fruits d’un consensus pour l’atteinte des buts5.

4. European Aeronautic Defence and Space Company.


5. C. Barmeyer, U. Mayhofer, « Le changement organisationnel dans les fusions internationales : le
cas EADS », Gérer et comprendre, n° 70, décembre 2002.

70
MISE EN GARDE : RÉACTIONS À LA DIFFÉRENCE

L’Autre a un rôle de confirmation de notre propre identité personnelle


et nous ne pouvons pas nous empêcher d’être sensibles, la plupart
du temps inconsciemment, à sa réaction. Quand je communique
un message et que l’Autre le reçoit, j’attends en quelque sorte qu’il
m’envoie une confirmation de ce message, ce qui, dans une plus large
mesure, correspond à une confirmation de mon identité. Or, il se peut
que l’Autre :
1. ne reçoive pas mon message du tout ;
2. reçoive mon message, mais ne l’interprète pas comme j’aurais voulu
qu’il le fasse ;
3. reçoive ou interprète partiellement mon message ;
4. comprenne exactement le contraire de ce que j’ai voulu communiquer.

En envoyant le message, j’anticipe la réaction de l’Autre, par rapport


à mon contexte culturel. Or, quand l’Autre n’appartient pas au même
contexte culturel que moi, il ne peut pas réagir selon mes attentes, il
se peut même qu’il réagisse contre mes attentes. Cela veut dire que la
réaction que j’attends, et qui en quelque sorte est une confirmation de
mon identité, ne vient pas, je me sens vulnérable, déstabilisé, et vis la
confusion caractéristique d’un choc culturel. Pour retrouver mon calme
et ma stabilité identitaire, j’ai alors recours à des solutions d’urgence,
qui se présentent de manière presque automatique :

ŸŸ Je me sers des jugements de l’Autre qui m’ont été transmis par


ma culture et j’analyse immédiatement son attitude par rapport à ces
paramètres (ceci n’étant à la fin qu’un reproche que je lui fais de ne pas
appartenir à ma culture). Ce type d’attitude est facilement identifiable.
Combien de fois, ne vous surprenez-vous pas en train d’énoncer une
phrase du genre : « Ces Anglais sont si… » ou « Après tout, c’est
compréhensible : ce sont des Espagnols ». Il s’agit là d’un choc
culturel de petite ou moyenne envergure. Il y a là une deuxième chance
accordée à l’Autre de correspondre à mes attentes envers lui.

ŸŸ Quand le choc culturel est violent, cela veut dire que l’Autre se
comporte d’une manière incompréhensible pour moi. Son attitude va
contre toutes mes attentes. Alors, je le réfute vivement en lui collant
une étiquette de fou, de déséquilibré ou de malade en me refusant
systématiquement d’y revenir pour une deuxième analyse. Autre
réflexe, je le classe gentiment pour le réduire à autrui, en gardant ce
qui me plaît, en rejetant ce qui me dérange, je ne cherche pas à le

71
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

comprendre, ni à le connaître plus profondément, car cela est beau


coup trop dérangeant et je préfère ne pas y penser.

ŸŸ Autre option : désespérément, je cherche dans l’Autre quelque chose


en commun avec moi, qui puisse rétablir ma stabilité et me sortir du
malaise causé par sa réaction, ce point commun peut être : sa façon
d’analyser un projet, notre profession, ou même en dernière instance,
la « nature humaine » qui nous unit.

Enfin, la dernière solution réside dans le diagnostic réussi d’un choc


culturel. Cette dernière solution est aussi la seule qui me permettra par
la suite, d’établir une vraie relation productive avec L’Autre. Au lieu de
le juger, je me demande ce qui dans mon comportement a pu lui causer
cette réaction et surtout pourquoi je me sens si mal à l’aise. J’essaie
d’identifier quelles étaient mes attentes inconscientes envers lui qui
n’ont pas été comblées. C’est là le vrai premier pas pour réellement
envisager l’avenir sain de cette relation.

Rencontrer l’Autre est beaucoup plus que se rendre dans son pays,
échanger des cartes de visite, manger avec lui dans un restaurant local
ou visiter ses monuments et ses musées, c’est aussi et après tout, une
rencontre avec soi-même, une prise de conscience de ses paramètres
culturels inconscients, et leur mise en cause par rapport à l’univers
culturel de l’Autre. Sous prétexte de ne pas avoir le temps, actuellement,
les personnes se côtoient sans vouloir se connaître, surtout dans les
grandes villes ou dans les grandes entreprises. Elles se condamnent
ainsi à un processus dangereux permanent de réduction de l’Autre à
autrui. On veut prendre de l’Autre ce qui est agréable et non dérangeant.
Or, reconnaître l’Autre dans sa différence est une aventure beaucoup
trop risquée, que la plupart des personnes ne sont pas prêtes à tenter,
mais elle est la condition primordiale pour le développement d’une
compétence interculturelle concrète. Contrairement à autrui, l’Autre
n’est pas comme moi, il est différent et cela peut m’être déstabilisant,
antipathique et même insupportable, voilà ce qu’il faut avoir en tête
avant d’entreprendre ce type de démarche.

72
MISE EN GARDE : RÉACTIONS À LA DIFFÉRENCE

L’essentiel
•  Dans une relation interculturelle, le premier danger à éviter est la
non-prise en compte d’un choc culturel et des principales réactions
qu’il déclenche. La réflexion sur notre propre malaise par rapport à
l’attitude de l’Autre est la clef pour établir une relation fructueuse
avec lui.

•  L’Autre est au cœur de toute démarche interculturelle. Dans un


processus de communication, il joue le rôle de confirmation de notre
identité. Il peut avoir des caractéristiques qui nous gênent, qui nous
déstabilisent, et qui nous sont insupportables. En être conscient est
le premier pas pour essayer d’établir un rapport efficace.

•  Si la culture est un moyen de communication avec l’Autre, il faut


avoir en tête que communiquer implique la réception et le décodage
du message par son destinataire.

•  Si le message n’est ni reçu, ni décodé, il n’y aura pas de


communication, juste une expression pure et simple de la part de
l’émetteur.

•  Personne n’est à l’abri d’un choc culturel. Le fait d’habiter un


pays étranger depuis des années ou d’avoir une longue carrière
internationale n’empêche pas cette situation d’avoir lieu. On ne peut
pas l’éviter, mais on peut apprendre à en identifier les « symptômes ».

•  La plupart des chocs culturels se manifestent sous forme


d’émotions : frustration, colère, angoisse… d’où la difficulté de
maîtrise. Si lors d’une situation interculturelle vous ressentez
un sentiment qui dépasse votre raison, n’hésitez pas à sortir
physiquement du lieu : prendre un verre d’eau, prétendre passer
un coup de fil, ce sont des issues de secours qui vous permettent
d’avoir un peu de recul et de reprendre la situation en main.

73
Chapitre 7
Les principaux pièges
des situations interculturelles

Fusions-acquisitions, alliances, recrutement à l’étranger, organisation


et management d’équipes transversales, internationales… Dans
l’ensemble des situations concrètes de rencontre interculturelle, il y
a toujours toute une gamme d’obstacles plus ou moins importants à
franchir. Le chemin qui conduit à la synergie fluide et productive des
cultures et à la valorisation des compétences interculturelles dans les
organisations est accidenté et rempli de pièges du début jusqu’à la fin.

L’interculturel est un enjeu délicat, que ce soit à l’intérieur d’une


entreprise, à l’intérieur d’une équipe ou au sein des sociétés. Il n’y
a pas de recette universelle et le succès n’est pas gagné d’avance
(contrairement à ce que peuvent penser la plupart des personnes
concernées). Les défis liés aux situations interculturelles ne se limitent
pas aux phases d’approximation et aux premiers mois d’une situation
nouvelle : ils sont permanents, récurrents et s’étalent tout au long du
processus.

Il y a, en effet, des pièges propres aux premières rencontres, mais il y en


a d’autres qui sont spécifiquement liés au processus à moyen et long
terme. Quelques pièges du départ peuvent réapparaître tout au long du
processus, d’autres se trouvent imminents, voire menaçants, comme
des épées de Damoclès, probables et susceptibles de se produire,
du début jusqu’à la fin de la relation interculturelle. Être conscients de
ces pièges peut d’une part aider à prendre les précautions pour les
éviter si possible, et, d’autre part, permettre aux managers de mieux se
préparer à les vivre sans succomber à leurs effets.

75
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Piège n° 1

Stéréotypes : en avoir peur, s’y réfugier et s’y morfondre


Le premier piège interculturel est peut-être la peur des stéréotypes au
stade initial de la rencontre, suivi par le refuge dans ces stéréotypes
- comportement défensif face aux changements liés aux opérations.
Selon l’étymologie, le mot « stéréotype » vient du grec stereos qui
veut dire dur, solide et typos qui veut dire : gravure, modèle. Sorte
d’empreinte figée, les stéréotypes sont des expressions, des idées,
des jugements de valeurs qui nous ont été transmis avec tous les
autres aspects de notre culture. Les stéréotypes correspondent aux
jugements des comportements et des individus à travers nos propres
paradigmes culturels, ils font partie de notre bagage culturel.

Bien souvent, l’Autre n’est pas au courant de l’image qu’il peut nous
susciter. Cela semble nous étonner. Les stéréotypes sont transmis de
génération en génération, sous une optique universelle, sans connaître
de « mises à jour », et sans jamais être remis en question.

Ainsi, le stéréotype du Français aux États-Unis correspond à l’image


d’un parisien des années 1930 : un homme à vélo, portant une petite
moustache, une chemise rayée, un béret et une baguette sous le bras.

Un autre exemple illustre bien la spécificité culturelle d’un stéréotype.


Il y a quelques années, un opérateur français de téléphonie mobile a
adopté pour ses campagnes publicitaires à la télévision un personnage
d’une origine ethnique indéfinie, un peu efféminé, et présentant donc
une orientation sexuelle également indéfinie, de peau blanche avec
une énorme chevelure africaine et les yeux clairs, qui danse tout le
temps et parle avec un drôle d’accent. Le succès de ce personnage
fut tel, qu’il est devenu célèbre parmi des groupes de jeunes et même
indépendamment de la campagne qui l’avait lancé. Si vous demandez
à n’importe quel jeune français de quelle nationalité est Chico (c’est
le nom du personnage), ils répondent tous sans hésiter et en rigolant,
qu’il est brésilien. Or, les Brésiliens expatriés vivant en France et tous
les autres Brésiliens, qui éventuellement ont vu le personnage, ne
comprennent pas pourquoi il serait si évident de conclure que Chico
est brésilien. Ils ne se sentent pas proches de lui.

Interrogés sur la nationalité du personnage, des individus issus d’autres


cultures (des Polonais ou des Allemands) ont également eu du mal à

76
LES PRINCIPAUX PIÈGES DES SITUATIONS INTERCULTURELLES

tout de suite associer Chico à cette image de Brésilien. Cela veut dire
tout simplement qu’ils ne partagent pas la même image du Brésilien
que les Français. Informés du fait que ni les Brésiliens, ni les Polonais,
ni les Allemands n’accordent si aisément la nationalité brésilienne à
Chico, les Français sont surpris : ils n’ont pas réalisé jusqu’alors
que cette image du Brésilien incarnée par le personnage n’est guère
universelle ou partagée par les autres.

Les stéréotypes, en tant que partie de la culture profonde, ont des


caractéristiques et des fonctions. Ils sont partagés par l’ensemble des
individus, sont bien ancrés dans l’inconscient collectif, figés, atemporels
et jamais mis en question. La principale fonction du stéréotype c’est
de protéger l’identité des individus, individuellement et en tant que
membre d’un groupe, dans des situations menaçantes, changeantes,
déstabilisantes : par conséquent lors d’un choc culturel.

Les stéréotypes sont un mécanisme de défense naturel. Ils servent


également à encourager l’adhésion des personnes appartenant à un
même groupe, et à établir la frontière entre ce qui est « nous » et ce qui
est « hors nous ».

Jugements de l’Autre à travers nos propres paradigmes, les stéréotypes


visent les principales caractéristiques physiques et comportementales
de l’Autre qui nous paraissent bizarres, intéressantes, différentes : la
joie de Chico, par exemple, ou la pittoresque moustache du stéréotype
américain du Français. La majeure partie du temps, les stéréotypes ne
sont pas durables au cours d’une relation interculturelle, ni dangereux,
et une fois reconnus comme tels, peuvent devenir des caricatures et
être drôles. Cependant, des problèmes peuvent apparaître quand les
stéréotypes sont universellement pris au sérieux, comme des vérités
absolues et incontestables. Cette attitude peut engendrer de véritables
hécatombes comme la tragédie des Juifs lors de la deuxième guerre
mondiale, ou le génocide au Rwanda en 1994.

L’un des principaux pièges interculturels est aussi la peur du


stéréotype. Mot péjoratif, espèce de bouc émissaire, on le considère
souvent comme le seul responsable de l’échec des rapports humains,
lorsqu’il y a un échec dans un processus de fusion, acquisition,
partenariat ou toute autre démarche stratégique qui représente un
grand investissement financier. Les managers se préoccupent souvent
du développement d’un système de blocage des stéréotypes, à vrai
dire, l’idéal pour eux serait de carrément les éliminer. Un manager

77
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

confirmé d’une grande multinationale ayant une large expérience à


l’international se disait fatigué de tomber à chaque fois, malgré toute
une préparation interculturelle préventive à l’expatriation, dans le piège
du choc culturel. D’après lui si le mécanisme de déclenchement des
stéréotypes était éliminé une fois pour toutes, les chocs culturels ne
se produiraient plus jamais. Il m’a donc demandé comment faire pour
éliminer les stéréotypes une fois pour toutes. Or, les stéréotypes ne sont
pas une maladie à traiter en suivant une ordonnance médicale. Ils sont
des mécanismes naturels de défense : lors d’une première rencontre
et par conséquent de la production des premiers chocs culturels, les
stéréotypes se mettront automatiquement en route : il s’agit là d’un
processus naturel, sain et inévitable.

Toute relation interculturelle bien réussie doit passer par le premier


stade du recours aux stéréotypes. Ce sont eux qui nous permettent
de maintenir le calme face à l’altérité dérangeante et de garantir notre
sécurité identitaire pour nous lancer ensuite dans la découverte effective
de l’univers de l’Autre. Ce sont eux également qui nous serviront de
base pour la nouvelle vision de l’Autre qui finira par les remplacer et les
démentir une fois pour toutes.

Le recours aux stéréotypes nous permet également de nous rendre


conscients, lorsque nous nous trouvons confus et déstabilisés par
un choc culturel. Quand je commence à trop vouloir décrire l’Autre et
son comportement, c’est sans doute parce que je suis en plein choc
culturel sans m’en rendre compte. L’usage du stéréotype me permet
de surveiller la fréquence et l’intensité des chocs culturels qui émergent
de la relation et me permet aussi d’identifier dans quelles circonstances
précises cela arrive le plus souvent.

Comme nous l’avons précisé, le mécanisme se déclenche souvent


en réaction à un choc culturel et se caractérise par des affirmations
du type : « Les Anglais sont… » ou « Les Thaïlandais sont… » Nous
ne pouvons pas l’éviter, mais nous pouvons rester attentifs à notre
discours, à nos pensées, afin de mieux identifier ce qui nous a amenés
à dire ou songer ce genre de chose ou faire ce genre de commentaire.
On emprunte alors le bon chemin d’ajustement mutuel pour la suite, en
réfléchissant à nos propres paradigmes et jugements de valeurs lors de
notre relation avec nos partenaires.

Les stéréotypes font toujours surface dans les premiers mois d’une
coopération interculturelle, ils ne durent pas longtemps. Avec le

78
LES PRINCIPAUX PIÈGES DES SITUATIONS INTERCULTURELLES

temps, les partenaires reprennent confiance face à un choc culturel et


réajustent leurs regards sur leurs collègues étrangers, commencent à
construire une base de valeurs communes qui facilite la communication,
et, petit à petit, ne sont plus considérés comme des menaces. Alors les
stéréotypes n’ont plus aucune fonction et disparaissent naturellement
du discours des personnes et de leurs attitudes envers l’Autre. Il s’agit
là de la traversée plutôt réussie d’un premier stade d’une relation
durable.

Il se peut, cependant, que les choses tournent mal. Afin de pouvoir


communiquer efficacement, les interlocuteurs doivent pouvoir partager
au bout d’un moment un même univers symbolique, une sorte de
duo de communication interculturelle (Français-Anglais, Américains-
Français, etc.). Cet univers commun se construit avec le processus de
connaissance et de rapprochement réciproques.

Parfois, d’autres aspects spécifiques concernant l’opération en cours


- l’hégémonie économique d’un pays sur l’autre ou la domination
stratégique d’une entreprise sur l’autre dans les acquisitions, plans
sociaux dus à l’opération, ou autres aspects - font qu’une partie se
sent trahie, mise en position d’infériorité, endommagée ou négligée par
rapport à l’autre.

Des études réalisées dans les dernières années ont constaté que les
individus passent environ deux heures par jour au sein de l’organisation
à discuter des aspects concernant l’opération de fusion ou acquisition
qu’ils sont en train de traverser6. La pression sur les cadres dirigeants
est énorme et il n’est pas rare que la nouvelle organisation évolue tout
à coup avec deux directeurs financiers, deux directeurs RH, pendant
une période confuse, où les autres cadres et salariés restent mal
informés sur ce qui va se passer, ce qui va changer, quels postes vont
être créés ou supprimés. Ces situations de mauvaise information, de
crainte (« qu’est-ce qu’on va devenir ? », « qui sont donc ces gens ? »)
engendrent des sentiments qui augmentent l’insécurité et le besoin
de mécanismes de défense, et donc les stéréotypes pour se protéger
contre les « ennemis ».

Des recherches ont conclu que les êtres humains avaient trois besoins
vitaux : le besoin d’affection, le besoin de sécurité et le besoin de
nouveauté.

6. M. Lee Marks, P. Mirvins, « Revisiting the Merger Syndrome : Dealing with Stress », M&A Review,
vol. 31, Philadelphie, mai-juin 1997, p. 21-27.

79
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Tandis que le besoin d’affection, le plus important des trois besoins


fondamentaux, tient une place prépondérante et absolue dans la pointe
du triangle, les deux autres besoins se trouvent en égale position et au
même niveau d’importance à la base. S’ils ne se trouvent pas satisfaits
tous les deux à la fois, l’individu peut consentir à sacrifier l’un, pour
combler l’autre temporairement, dans un équilibre dynamique résultant
d’une négociation permanente. Par exemple, l’individu qui se résigne à
un emploi dans la fonction publique sacrifie son besoin de nouveauté
pour satisfaire son besoin de sécurité : il sait que son travail sera répétitif
et que ses chances d’évolution de carrière seront limitées par rapport
au privé, mais il aura comme compensation la sécurité de l’emploi. Il
se peut qu’un jour, le besoin de nouveauté se fasse plus fort, et que
l’individu décide de changer de vie et quitte son emploi.

Un autre exemple est celui du manager qui décide de partir travailler


à l’étranger et sacrifie son besoin de sécurité temporairement pour
combler son besoin de nouveauté. Il accepte de prendre le risque
de partir vivre dans un autre pays et de connaître une autre culture
pour satisfaire son besoin de nouveauté et sacrifie par conséquent, la
relative sécurité émotionnelle et d’emploi qu’il connaît dans son pays
d’origine. Certains individus sont plus prompts à sacrifier leur besoin
de nouveauté au profit de leur besoin de sécurité et vice versa. Cela
dépend d’une série de facteurs : le moment de vie de l’individu (jeune
diplômé ou cadre confirmé), ses responsabilités (père de famille, jeune
marié ou célibataire), sa personnalité (timide ou extravertie). Enfin, il
n’est pas exclu qu’un facteur culturel puisse aussi confirmer une
certaine tendance des individus au sacrifice d’un besoin au profit d’un
autre. Par exemple, les individus issus des cultures plus volontaristes
et mal à l’aise avec l’incertitude présenteront automatiquement une
légère tendance à favoriser le besoin de sécurité au détriment du
besoin de nouveauté, même s’ils reviennent sur leur premier jugement
plus tard pour mieux y réfléchir.

80
LES PRINCIPAUX PIÈGES DES SITUATIONS INTERCULTURELLES

Les besoins fondamentaux et les réactions qui découlent


du premier stade de rapprochement entre deux ou plusieurs
partenaires étrangers dans le cadre d’une fusion ou acquisition

Besoins fondamentaux Réactions au manque de satisfaction


Besoin d’être aimé, accepté Comportement : blocage, freinage, sabotage.
(besoin essentiel) Attitude : refuge dangereux dans les stéréotypes.
Comportement : fuite, « abandon du bateau ».
Besoin de sécurité
Attitude : normalement il ne reste pas assez de temps
(besoin négociable)
pour surmonter la phase des stéréotypes.

Comportement : attendre, voir, accepter une situation


Besoin de nouveauté d’insécurité passagère au profit de la curiosité et du défi.
(besoin négociable) Attitude : normalement il dépasse de manière réussie
la phase des stéréotypes.

Le dérangement de cet équilibre fragile provoqué par l’arrivée des


étrangers provoquerait parmi les salariés d’une entreprise des
comportements de blocage, sabotage, d’abandon du bateau. Afin
de trouver une réponse à leurs propres craintes et justifier leurs
comportements, les individus semblent alors avoir une tendance plus
grande à se réfugier, s’isoler et dans un cas plus extrême, se morfondre
dans les stéréotypes et de toujours culpabiliser l’Autre, ses coutumes
bizarres, ses comportements atypiques et pratiques dérangeantes.
À ce niveau, le refuge cherché dans les stéréotypes est nocif, un
cercle vicieux peut s’installer de manière dangereuse et voire même
irréversible. Cela donne des assimilations du type : « plus les étrangers
arrivent et s’installent avec leurs directives, leurs politiques RH, leurs
habitudes, plus les choses vont mal, plus je les déteste et plus j’associe

81
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

ce qui ne va pas à une espèce de confirmation de mes jugements et


suspicions initiales ».

Piège n° 2

Rentrer dans une discussion des différences


(surtout si elles sont perçues comme inconfortables, inappropriées,
menaçantes ou illégitimes)
En conséquence d’une opération de croissance externe (acquisition ou
alliance), les salariés d’entreprises aux cultures organisationnelles et
nationales différentes (dans le cadre d’opérations internationales) sont
amenés à travailler ensemble d’une manière ou d’une autre. Prenons le
cas d’une équipe formée de personnes qui doivent travailler pendant
un an sur un projet précis : une équipe transversale formée d’ingénieurs
et professionnels du marketing par exemple. Le scénario est propice
aux chocs culturels de toute sorte : nous avons dans ce cas-là, non
seulement des cultures nationales, mais également des cultures
organisationnelles et fonctionnelles différentes qui interagissent.
Cependant, lors d’une opération de cette envergure, où plusieurs
univers de cultures et sous-cultures se rencontrent, la culture nationale
reste toujours prépondérante mais se voit souvent désignée comme la
principale source de problèmes (même si on lui attribue éventuellement
le succès final).

La culture nationale intègre la personnalité des personnes. Les façons


de résoudre les problèmes, de réaliser une tâche, de communiquer, de
raisonner ne sont pas les mêmes et par conséquent, ces différences
ne peuvent constituer qu’une richesse. Le grand enjeu c’est de savoir
reconnaître toutes ces différentes pratiques, de pouvoir ensuite
sélectionner celles qui peuvent être plus ou moins encouragées pour
le bien de tous. Certaines ne peuvent pas être supprimées, d’autres
ne peuvent pas être imposées, nous revenons donc aux enjeux
fondamentaux du management de Fayol, c’est-à-dire le défi permanent
des choix les plus appropriés dans des situations spécifiques :
coordination, spécialisation, autorité, niveaux de décision et équilibre
entre intégration et différenciation.

Les personnes concernées par une expérience de travail interculturelle


le savent. De manière consciente, les managers valorisent la diversité

82
LES PRINCIPAUX PIÈGES DES SITUATIONS INTERCULTURELLES

culturelle et se sentent frustrés de ne pas savoir l’exploiter pour


améliorer leur performance et les résultats de l’entreprise.

Se préparer à être confronté à différentes façons de faire et de se


comporter, pour réussir à apprendre avec les étrangers est important,
cela suscite la curiosité et augmente la motivation, le défi et l’adhésion
au projet. Reconnaître la différence de l’Autre encourage aussi une
attitude plus humble, moins défensive (« Qu’est-ce qu’ils peuvent
nous apprendre de leur côté ? »). Tout cela ne peut être que très positif
et offrir un peu de pondération à la relation, quand le mécanisme
de défense des stéréotypes va se déclencher avec toute sa force.
Cependant, cette attitude peut devenir nocive en restant la seule règle
dans la construction d’une vraie synergie entre deux cultures.

Il s’agit là d’un sujet délicat. Dans le monde actuel, certaines sociétés,


comme la société américaine, ont adopté la discrimination positive
et le système de quotas par groupe ethnique dans les universités,
entreprises, etc. En voulant promouvoir la diversité, les Américains ont
joué sur les différences pour réussir une intégration au niveau global.
D’autres sociétés, comme la France, ont fait le choix de créer un
système de valeurs républicaines où les différences seraient effacées
ou moins importantes afin d’atteindre le même but d’intégration.

Les deux systèmes sont loin d’être parfaits et présentent de grands


dysfonctionnements. D’un côté, il y a la discrimination positive, qui
insiste sur les différences, augmente la ségrégation et la ghettoïsation ;
de l’autre, il y a le système français qui prêche l’égalité de tous devant
l’État, qui s’avère être impuissant face à la discrimination et celui-ci
ne peut rien faire pour éviter une ségrégation effective des individus
issus d’une origine étrangère au sein de la société. Par exemple, le
triste cas des jeunes diplômés français issus de l’immigration, qui
se voient refuser un emploi, même en ayant toutes les compétences
requises pour le poste et qui se rendent compte après une deuxième
candidature sous un nom typiquement français comme « Dubois » ou
« Dupont », que la cause de leur refus initial était seulement leur nom
de famille d’origine étrangère.

Masquer les différences n’est pas une solution, on ne peut pas


prétendre être égaux quand le choc culturel est une constante dans
nos relations. Insister excessivement sur les différences pour construire
quelque chose de positif et de durable représente également un piège.
Pour pouvoir créer un univers de valeurs communes qui deviendra une

83
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

sorte de sous-sous-culture de groupe et garantira leur cohésion en tant


qu’équipe, les individus ont besoin de se trouver des points communs,
tout en respectant ce qui est différent. C’est l’équilibre délicat entre la
gestion des différences et des similitudes pour ressentir de la confiance
envers les partenaires et s’investir davantage dans le projet.

Les différences existent, il faut en être conscient, mais si elles


commencent à être perçues par les membres des différentes cultures
comme des faits négatifs, des problèmes à régler, ou comme quelque
chose d’inacceptable ou illégitime, d’une part, le côté positif des
différences ne sera jamais envisagé, d’autre part, la vérité est que les
personnes n’arriveront pas à surmonter le stade initial. « Que sommes-
nous en train de faire, sinon juger les étrangers selon nos paradigmes
encore une fois ? Si leurs façons différentes de travailler, communiquer,
décider deviennent pour nous des pratiques inacceptables ou
illégitimes, nous sommes en train d’agir comme si notre façon de
faire était la seule valable, ou la seule qui fonctionne », il s’agit là
d’une attitude ethnocentrique, qui bloque le vrai développement
de la coopération. Juger l’autre est une tendance naturelle, mais la
pondération, la patience et l’humilité sont des atouts indispensables
pour pouvoir arriver à exploiter toute la richesse de la diversité culturelle
d’une situation spécifique. Encore ici, il faut être attentif à ses pensées,
son discours et il est important de se faire contrôler de temps en temps
par quelqu’un qui n’appartient pas au groupe, afin d’avoir un bilan sur
la relation et les perceptions en cours d’évolution.

Piège n° 3

Prendre pour des « évidences partagées » toute similarité apparente


La plupart des rencontres caractérisées par une altérité relative sont
plus dangereuses que celles caractérisées par une altérité absolue.
Que veut dire cela ?

Imaginons un Français qui veut se rendre au Japon pour y vivre et


travailler. Ses inquiétudes par rapport aux comportements et à la façon
de vivre des Japonais sont beaucoup plus conscientes et occupent
beaucoup plus sa pensée que celles d’un autre Français qui part vivre
et travailler en Italie, en Argentine, au Brésil ou en Espagne, ou même
d’un Parisien qui part dans le Midi dans les mêmes circonstances. Par
rapport à la France, le Japon, la Chine, les pays asiatiques en général

84
LES PRINCIPAUX PIÈGES DES SITUATIONS INTERCULTURELLES

sont consciemment tenus comme radicalement différents : leur culture


et leur façon de vivre sont très différentes, il s’agit là d’un cas « d’altérité
absolue ». Par conséquent, le Français qui part au Japon cherchera
plus à se préparer aux chocs culturels, car il sait, consciemment ou
non, qu’il devra faire face à des situations qui lui seront complètement
inconnues.

Or, la situation diffère quand le même Français part en Amérique latine,


ou dans un autre pays latin en Europe par exemple. Les Français,
comme les Italiens, ont tendance à penser que tous les peuples
d’origine latine ou ayant été colonisés par des Latins ont une racine
commune qui les unit et les rend pratiquement identiques : des peuples
à sang chaud, émotifs, un peu corrompus dans leur quotidien par
rapport aux Anglo-Saxons. Par conséquent, le Français qui s’expatrie
en Argentine est persuadé de pouvoir « maîtriser » la situation, car il
connaît l’« esprit latin » de l’Argentin. Certains vont encore plus loin en
affirmant que : « Les Argentins sont des Européens manqués. » Or, il
s’agit là d’une grande erreur. Notre Français qui part en Argentine ne
se prépare donc pas aux chocs culturels et quand ils arrivent, ils seront
plus forts et les difficultés qui en découlent seront plus grandes parce
que, dans le désir de s’en préserver, notre ami s’est créé une évidence
basée sur une pseudo-similitude. Parce qu’il est Français et « latin »
comme les Argentins, il croit pouvoir tout connaître et tout anticiper, eh
bien, c’est dommage, mais ce n’est pas le cas !

La même erreur se produit avec les pays qui ont été directement
colonisés ou qui en ont colonisé d’autres : la France et le Québec, le
Brésil et le Portugal ou les USA et l’Angleterre, par exemple. Persuadées
qu’elles sont très semblables au fond, parce qu’elles parlent la même
langue ou parce que leurs sociétés ont des racines très proches, ces
personnes ont tendance à créer une fausse évidence de similitude qui,
au fond, n’est qu’un produit de leurs propres stéréotypes. C’est là un
cas « d’altérité relative » et c’est dans ces cas-là que les problèmes
interculturels sont les plus nombreux et les difficultés les plus grandes.

La tentation de s’accrocher à une similitude apparente chez l’Autre


est énorme. Tout point commun avec l’étranger diminue l’angoisse
de la rencontre avec la différence et la mise en cause de nos propres
modèles. La solution ? Être très vigilant, ces perceptions ne sont
peut-être que des stéréotypes et il faut s’en méfier. Un bon exercice
est de se demander par exemple, si l’aspect qui semble vous rendre
« similaire » a la même signification pour vous que pour l’Autre. Par

85
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

exemple : « Je crois que les Français et les Italiens se ressemblent un


peu, parce qu’ils sont tous les deux des peuples latins. » Eh bien, si
vous vous surprenez en train de dire ou penser ainsi, posez-vous les
questions : que veut dire « latin » ? Est-ce la même chose pour l’Autre ?
Comment en êtes-vous sûr ? Ce petit exercice vous aidera à ne pas
penser pour l’Autre. Toute rencontre interculturelle est un voyage vers
l’inconnu. Lors de la préparation personnelle que l’on se doit avant
toute rencontre interculturelle, il faut avoir en tête que toute altérité doit
être considérée comme absolue.

Piège n° 4

Créer une sorte d’homogénéité pour « masquer » les différences


« Puisque nous et les Belges sommes différents et que nous devons
travailler ensemble, pour augmenter la productivité du groupe et
amortir l’investissement de l’alliance, nous avons communiqué aux
équipes formées des deux nationalités des valeurs qui devront guider
nos comportements ainsi que des directives pour représenter l’esprit
de notre groupe. D’ici quelques semaines, les différences entre les
cultures ne seront plus une préoccupation puisque nous aurons
atteint une homogénéité au sein des équipes. » Ceci fut le témoignage
d’un chef de projet, de nationalité américaine, dans le cadre d’une
coopération belge-américaine sur le choix adopté pour la gestion des
situations interculturelles, ce même choix ayant été proposé par la
partie américaine et corroboré par la partie belge.

La démarche semble digne de reconnaissance, le raisonnement très


simple, est le suivant :
1. nous sommes différents ;
2. être différent nous pose quelques problèmes ;
3. donc il faut retrouver une homogénéité à tout prix pour pouvoir
atteindre nos buts ;
4. créons donc une base de valeurs communes à l’aide des consultants
qui sont des experts des valeurs de deux cultures ;
5. suivons les directives sans les questionner ;
6. si tout le monde collabore, les différences ne dérangeront plus et
nous pourrons « oublier » qu’elles existent.

86
LES PRINCIPAUX PIÈGES DES SITUATIONS INTERCULTURELLES

Voici l’échec d’une tentative de rationalisation d’un vieux problème lié


aux interactions humaines propres à une opération à haut investissement
financier. Beaucoup d’entreprises confrontées à des situations
d’interculturalité au sein de leurs équipes interorganisationnelles optent
pour ce type de démarche. Dans le cas spécifique de cette coopération
belge-américaine, cela n’a pas très bien marché, et pourtant ils étaient
bien motivés au départ. Cherchons l’erreur…

La démarche adoptée n’est pas totalement erronée. Pour pouvoir


travailler ensemble et produire, il faut d’abord réussir à communiquer
efficacement. Pour communiquer efficacement, il faut avoir une base
de valeurs partagée, un univers symbolique commun, donc, cette
volonté est un facteur très important, positif et recommandable dans
ce type de situation. Ce qui n’a pas marché, c’est la façon dont cela a
été fait.

L’initiative pour la création d’une « sous-culture » commune a été


unilatérale, mais imposée par les Américains issus d’une culture
hantée par les résultats. Lors d’un processus de rapprochement et de
création de synergies entre les deux groupes, ce type de sous-culture
commune aurait dû émerger naturellement. Elle a émergé naturellement
du côté américain, certes. Mais en approfondissant le cas de cette
coopération, on s’est rendu compte que cette démarche a été en
quelque sorte imposée aux Belges, ainsi que les valeurs qui devaient
correspondre à la base de leur homogénéité et les directives à suivre :
tout a été dicté par la partie américaine. Tout était alors très imprégné
des pratiques et mentalités américaines : trois consultants ont élaboré
cette charte de valeurs. Même si l’un d’eux était belge, ils se sont
inspirés exclusivement d’approches américaines et anglo-saxonnes.
Dans leur volonté de coopération et consensus, les Belges ont décidé
d’accepter ce qu’on leur proposait, tout le monde se sentait soulagé
d’avoir pu trouver une « arme secrète » contre les chocs culturels, mais
l’homogénéité si désirée n’a pas pu avoir lieu.

Quelques semaines après la mise en place de cette « homogénéité »


artificielle, les problèmes sont apparus. Les membres des équipes
n’accordaient pas le même sens aux valeurs qui devaient être leur
base commune, leur support d’entendement n’était pas naturel et ils
n’arrivaient pas à s’accorder pour suivre les directives qui en découlaient.
Désespérés de voir que les différences n’étaient pas effacées malgré
cette volonté réciproque d’homogénéisation, les Américains n’ont pas
laissé transparaître leur malaise, leurs professionnels ont commencé

87
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

à quitter l’entreprise, le projet commun n’avançait plus. Les Belges


frustrés finirent par vouloir en rediscuter, mais pour les Américains, le
sujet « différence culturelle » était devenu tabou, car normalement, ce
problème avait déjà été réglé par la charte commune de valeurs du
groupe. Les résultats atteints étaient au-dessous du minimum tolérable
et la coopération a été terminée quelques mois à peine après son début.

Ce cas concret présente plusieurs dysfonctionnements et nombreux


sont les pièges qui l’illustrent :
ŸŸ le refus inconscient de son propre conditionnement culturel ;
ŸŸ l’universalisme exacerbé de la base de valeurs élaborée
unilatéralement par les Américains ;
ŸŸ la volonté d’homogénéité exprimée par les deux parties afin
d’échapper aux chocs culturels et de trouver une espèce de « baguette
magique » en forme de « charte de valeurs » élaborée par des
spécialistes pour anéantir toutes leurs différences.

Les deux groupes ont voulu croire que cette charte de valeurs
communes leur garantirait une homogénéité cruciale pour éviter les
ennuis dus aux chocs culturels.

À vrai dire, le désir de trouver une solution a été le seul vœu légitime
« homogène ». Ici encore, nous revenons à la problématique
permanente du management interculturel : il n’existe point de recettes.
Aucun consultant aussi doué ou expérimenté soit-il ne pourra proposer
une solution toute faite, prête à l’usage. L’interculturel est un acquis
permanent très spécifique à l’opération qui se construit au jour le jour
par les personnes concernées. Il faut travailler conjointement, surveiller
constamment au quotidien ses propres pensées, attitudes, discours…
et faire des efforts pour y arriver. Vouloir oublier les différences de
pratiques et de mentalités, les mettre de côté, les déléguer à un
professionnel pour qu’il les interprète et les règle, ne pourra pas vous
débarrasser du travail de les affronter dans une situation concrète à
moyen ou long terme. L’homogénéité n’est pas la clef, la vouloir c’est
utopique et peut engendrer d’énormes dégâts et compromettre le futur
du projet. C’est l’harmonie et l’intégration qu’il faut chercher, mais cela
ne tombera pas du ciel, ni ne viendra dans un paquet « prêt à l’usage »
des mains d’un cabinet de consultants. Le consultant ne peut que
jouer le rôle de médiateur et ainsi, par son expérience internationale et
sa compétence interculturelle, aider les deux parties à trouver le bon
chemin et à éviter les pièges qui peuvent être mortels.

88
LES PRINCIPAUX PIÈGES DES SITUATIONS INTERCULTURELLES

Dans le cas précédent, la démarche d’une sous-culture commune


comme base d’identification de deux groupes a été un acte unilatéral,
et non coconstruit. Les valeurs et les façons de faire qu’elle énonçait
ont été communiquées par des experts et non trouvées par les propres
intégrants de l’équipe. Après avoir conclu que cela ne marchait pas,
la frustration et le refus du propre conditionnement culturel n’ont
pas permis aux intégrants de l’équipe d’essayer une deuxième fois.
Bloquées et confuses, les personnes s’en sont désintéressées et ont
commencé à abandonner le bateau. L’homogénéité était artificielle et
avait été plaquée sur un champ plein de petits enjeux interculturels non
résolus, non discutés, le résultat final fut un désastre.

Insister sur les différences n’est pas la solution, mais les masquer peut
être encore pire. La base commune de valeurs doit être coconstruite
pour être légitime, et permettre à la relation de fructifier. En outre,
masquer les différences revient à nier la diversité culturelle. Or, nier
ou percevoir la diversité culturelle comme un « handicap » plutôt que
comme un « atout » signifie la perdre en tant que ressource potentielle
et avantage compétitif. Il n’y a pas de mal à vouloir s’agripper aux
similitudes pour retrouver une sorte d’équilibre dans un terrain où
on est en permanence déstabilisé par l’excès de non familiarité.
Cependant, en cherchant le Mac Donald à Shanghai pour y boire un
thé, nous risquons de ne pas voir, ne pas découvrir et de passer à
côté de tout un ensemble de maisons de thé traditionnelles qui nous
entourent. La richesse de l’expérience d’un séjour à Shanghai restera à
la fin compromis, par ce manque de prise de risque, cet aveuglement
à la différence. Et combien de ressources se perdent à cause de cette
attitude lors du rapprochement de deux entreprises, ou de l’arrivée
d’une nouvelle recrue dont le passé professionnel n’est pas pris en
compte par la nouvelle entité ?

89
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

L’essentiel
•  Toute démarche interculturelle est un enjeu délicat, rempli
de pièges du début à la fin. L’individu qui l’entreprend doit être
constamment sur ses gardes.

•  Contrairement à ce que l’on peut penser, les pièges ne se


limitent pas aux phases d’approximation et aux premiers mois de
la relation : ils sont permanents, récurrents et s’étalent tout au long
du processus.

•  Le premier piège et le plus célèbre est celui des stéréotypes, mais


il y en a d’autres dont les dégâts ne sont pas moindres.

•  Malgré le risque qu’ils représentent, les stéréotypes sont un mal


nécessaire : ce sont eux qui permettront l’ajustement du regard de
deux partenaires sur leurs cultures respectives dans un deuxième
stade.

•  Dans toute coopération, on se sert des similarités pour créer des


bases communes et des différences pour créer des options et des
synergies. Dans une coopération interculturelle, un des plus grands
dangers consiste à insister sur les différences, au détriment des
similarités, surtout si ces différences sont perçues comme gênantes,
immorales, illégitimes.

•  Faire des suppositions sur des évidences partagées est également


une pratique dangereuse : la meilleure manière de la prévenir est de
se demander si le mot ou l’expression que l’on considère comme la
base de nos prétendues similarités évoque la même chose pour son
interlocuteur. Par exemple, l’expression « tempérament latin » veut-
elle dire la même chose pour les Français et les Espagnols ?

•  Fabriquer une homogénéité artificielle pour masquer les


différences est aussi un autre piège dangereux. En effet, il faut qu’il
y ait la mise en place d’une base de valeurs communes, mais cela
est un processus long et naturel qui doit émerger de la combinaison
d’efforts de partenaires dans la relation. Si une base de valeurs
communes vient de l’extérieur et est imposée aux personnes, cela
ne pourra pas marcher. À force de vouloir uniformiser, on perd
des ressources et on passe à côté d’expériences nouvelles et
enrichissantes.

90
Chapitre 8
Les conséquences de l’échec
d’un rapport interculturel

Il y a des pièges qui découlent d’une certaine attitude adoptée


volontairement ou involontairement au départ, comme celui de mettre
en place une sorte d’homogénéité artificielle ou celui de la quête des
similarités apparentes transformées en évidences.

Dans ces deux cas, par exemple, avec le temps, l’écart entre la
prétendue similarité et l’intime conviction des différences augmente et
crée une situation inconfortable. Un peu dépassées par les événements,
les personnes n’arrivent pas à se rendre compte de ce qui leur arrive,
tout ce qu’elles peuvent comprendre c’est que quelque chose tourne
mal et que pour leur propre défense, il vaut mieux qu’elles gardent
leurs distances. Viennent alors les deux réactions les plus communes
qui peuvent empirer la situation et compromettre définitivement le
succès du projet :
1. Les individus prennent trop leurs distances et adoptent une
attitude de politesse improductive sans plus risquer de grands
investissements au niveau personnel (santé, carrière) ou financier (au
niveau de l’organisation).
2. Les individus appellent à l’aide en catastrophe et achètent des
recettes toutes faites espérant contrôler la situation : recours tardif
à des cabinets de consultants, coaching et experts de toute sorte :
financiers, juridiques, psychologiques, interculturels…

En conséquence, il y a une baisse de la prise de risque, ce qui compromet


le strategy intent, la motivation et l’adhésion des professionnels.

91
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Ensuite, il y a l’évitement permanent et maladif du conflit qui mène à la


stagnation du projet due à la réduction progressive du dénominateur
commun entre les partenaires, jusqu’au désengagement évolutif et à la
méfiance réciproque.

Les chiffres confirment ces constats. D’une manière générale, le taux


de non-réussite d’une fusion, acquisition ou alliance internationale sur
la durée est de 65 %, et le taux d’impact négatif sur le cours de l’action
est de 58 %.

Les facteurs sont nombreux mais les plus grands responsables sont
ceux liés à des problématiques exclusivement « humaines », de non-
adéquation culturelle, de manque ou de non-obtention de synergie.

En ce qui concerne l’expatriation, malgré une pratique plus répandue


de préparation et de formations interculturelles, le taux de non-réussite
reste autour de 70 %. Rappelons ici qu’une expatriation non réussie
coûte, en moyenne, 1 million d’euros par an à l’entreprise.

La perception de l’autre culture comme déviation par rapport à la norme


et la négligence de la diversité culturelle de la situation (si la diversité
n’est même pas reconnue, comment pourrait-elle être appréciée,
valorisée et utilisée ?) transforment ce qui pourrait être un différentiel en
un « handicap » et peuvent mener à l’échec. Aucune synergie entre les
cultures ne s’établit sur ces bases. Il y a des conduites à éviter pour ne
pas tomber dans les pièges d’une situation interculturelle. Mais avant
de les éviter, il faut déjà les connaître, comprendre ce qu’elles signifient
et savoir les identifier au sein de nos paradigmes et par conséquent à
la base de chacune de nos propositions et démarches. Ces attitudes
sont : l’universalisme, l’ethnocentrisme et encore une fois, la peur de
la remise en question de ses propres pratiques, c’est-à-dire le refus de
son propre conditionnement culturel.

Identifier et éviter les « attitudes dangereuses »

L’universalisme (The Only Way)


L’universalisme, c’est penser qu’il n’y a qu’une norme générale valable
pour tous, ou en d’autres termes, une personne universaliste dira
qu’elle fait quelque chose d’une certaine façon, parce que « c’est le
seul moyen de faire ».

92
LES CONSÉQUENCES DE L’ÉCHEC D’UN RAPPORT INTERCULTUREL

Dans leurs travaux sur les dimensions culturelles, les consultants Fons
Trompenaars et Charles Hampten-Turner rappellent que, par rapport à
l’adoption et au jugement des comportements, les personnes se voient
face à la dialectique suivante :
ŸŸ D’une part, on retrouve l’obligation d’adhérer aux standards que
notre culture a élus comme universels, c’est-à-dire des comportements
qui obéissent à des normes générales du type : « ne mentez pas », « ne
volez pas », « ne faites pas à autrui ce que vous n’aimeriez pas qu’on
vous fasse », etc.
ŸŸ D’autre part, on retrouve des obligations spécifiquement liées aux
personnes que nous connaissons. Le comportement choisi cette fois-
ci correspond au raisonnement suivant : « Untel est mon ami, alors je
ne dois pas lui faire du mal, lui mentir ou le voler. Ne pas être gentil et
loyal envers lui serait terrible pour lui et pour moi à la fois. »

Le premier choix est un comportement universaliste caractérisé par


l’abstraction. Essayez de traverser la rue quand le signal l’interdit aux
piétons en Allemagne ou en Suisse, même s’il n’y a aucune voiture
dans la rue. Ce que vous obtiendrez c’est un regard de réprobation
générale. Cela traduit l’intime conviction partagée que toutes les
personnes dans la société sont soumises aux mêmes règles et qu’il ne
doit pas exister d’exceptions, tout le monde doit être traité de la même
façon. Les exceptions sont mal tolérées car elles affaiblissent la norme
générale, et si l’on fait trop d’exceptions, le système ne marchera plus.

Le deuxième choix illustre un autre extrême, un comportement spécifique


ou particulariste, basé sur les relations. Les jugements particularistes
se basent sur les circonstances exceptionnelles du moment présent
où se déroule l’action. L’autre personne n’est pas simplement un
« citoyen », mais mon frère, mon ami, mon enfant ou une personne
qui compte beaucoup pour moi, dont le sort ou l’existence sont liés à
mes sentiments d’affection ou de haine. Je dois alors protéger, aider
ou éliminer les chances de cet individu indépendamment de ce que dit
la loi.

Ces deux types de comportements sont présents dans toutes


les cultures : on ne peut pas être complètement universaliste ou
complètement particulariste. Toutefois, certaines cultures auront une
légère tendance à être plus universalistes que d’autres, c’est-à-dire
qu’une fois convaincues que la façon dont elles font ou entendent
quelque chose est bonne et marche bien, les personnes issues d’une

93
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

culture à tendance universaliste seront persuadées que cette façon de


faire ou de penser est la seule valable et qu’il n’existe pas d’autres
options valables.

Faisons une parenthèse pour songer aux problèmes qu’une telle attitude
peut engendrer au niveau des politiques externes mondiales. Certains
peuples sont intimement convaincus que leurs choix politiques sont
les plus appropriés pour le bonheur de tous les habitants de la planète.
Ils se croient alors investis d’une certaine légitimité à faire comprendre
à ceux qui n’ont pas fait le même choix, que leur système à eux est le
seul susceptible de bien marcher… Au niveau des entreprises, cette
situation est très courante. Les situations interculturelles sont par
nature déstabilisantes et tendent à encourager les traits distinctifs qui
garantissent la cohésion au sein des groupes concernés.

C’est pourquoi, les personnes issues d’une culture à tendance


universaliste, ou qui ont toujours travaillé dans une entreprise
caractérisée par une tradition très forte, veulent régler les malaises
ou les situations de choc culturel par l’application immédiate de
leurs façons de faire. Elles ne le font pas de manière intentionnelle ou
méchante : elles sont vraiment convaincues d’avoir la bonne solution,
le bon choix.

Plus la situation est déstabilisante et les chocs culturels fréquents,


plus le trait universaliste se renforcera chez eux. Un comportement
universaliste exagéré est un grand danger qui peut compromettre
toutes les chances d’un rapport interculturel sain et réussi. Il est très
difficile de s’en protéger, mais pas impossible. Le meilleur remède est
la prévention et la mise en cause systématique de ses propres pensées
et attitudes vis-à-vis des étrangers. « Si je me rends compte que je suis
en train de parler plus que je n’écoute », c’est là un signe d’une attitude
plutôt universaliste. Encore une fois ici, il faut renforcer l’importance
d’une attitude humble face à l’Autre. Être humble ne veut pas dire être
faible. Cela veut juste dire que j’accepte le fait que l’on puisse faire
différemment et que cela puisse marcher. Cette attitude préventive ne
dépendra pas de l’Autre, mais de moi, de mon sens de l’observation,
ma propre capacité à questionner ce que je juge correct et infaillible.

Il faut remarquer que l’attitude préventive ne doit pas être confondue


avec la délégation de pouvoir. Certaines cultures à longue distance
hiérarchique ne fonctionnent pas bien si les chefs sont trop proches
des subordonnés et délèguent trop d’autorité. En le faisant ils risquent

94
LES CONSÉQUENCES DE L’ÉCHEC D’UN RAPPORT INTERCULTUREL

d’être considérés comme des supérieurs incompétents ou « mous ».


Être attentif au piège de l’universalisme exagéré n’est pas la même
chose que déléguer de l’autonomie pour « laisser l’Autre faire ce qu’il
entend dans une situation spécifique ». Cela est peut-être mon idée
de ce qu’il convient de faire, mais pas la sienne. Même si je juge que
l’excès d’autoritarisme n’est pas la bonne façon de faire, il me faut être
assez attentif au fait que les personnes sous mon autorité ne savent
pas travailler autrement. Dans un premier temps, je dois être capable
de sacrifier mes principes et agir de manière autoritaire pour, ensuite,
réussir à faire connaître ma vision et arriver à un compromis.

L’ethnocentrisme (The Best Way)


Aujourd’hui, les grands groupes et les entreprises multinationales en
général semblent avoir compris que le secret d’une gestion productive
au sein de leurs unités à l’étranger dépend de leur capacité à adopter
et mettre en place la « glocalisation », le célèbre Think global, act local.

Cette tendance s’est consolidée de manière définitive comme clef de la


réussite avec la publication des travaux sur l’entreprise transnationale
des chercheurs en management international Chris A. Barlett et
Sumantra Goshal7. Le secret du succès dépend de la capacité des
entreprises à s’adapter aux aléas et demandes locales tout en gardant
une cohérence qui puisse garantir leur identité et empêcher que leur
stratégie se disperse et que leurs activités se perdent dans le chaos.
De plus, l’adaptation relative aux traditions locales favorise l’interaction
avec l’environnement externe, mais également l’intégration de pratiques
jusqu’alors inconnues qui peuvent par la suite être communiquées au
siège en suivant le sens inverse.

Une fois conscients à 100 % de la pertinence de la « glocalisation »,


les entreprises et les managers ne devraient, a priori, plus tomber dans
le piège de l’ethnocentrisme. Toutefois, au niveau des interactions
individuelles, ce danger est toujours très présent.

L’ethnocentrisme correspond à l’idée de supériorité d’une culture sur


une autre. C’est un raisonnement ancien qui a accompagné les travaux
anthropologiques pendant très longtemps. Il nous semble pertinent de
faire un petit saut en arrière et raconter un peu l’histoire de l’analyse des
cultures. L’étude des cultures est le principal objet de l’anthropologie.
7. C. Bartlett, S. Goshal, Managing Accros Borders : The Transnational Solution, 2e éd., Harvard
Business School Press, Boston, 1998.

95
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Au XVIIIe siècle, l’anthropologie est une démarche liée à la découverte


du Nouveau Monde. Avec les grands voyageurs naît une réflexion
nouvelle sur l’altérité, la diversité des hommes, de leurs modes de
vie, leur physiologie et leurs croyances. Réflexion intellectuelle dans
un premier temps, l’anthropologie moderne se consolide en tant que
science au XIXe siècle avec les travaux de l’Américain Lewis Morgan
(1818-1881). Il lance l’idée de l’évolutionnisme, en proposant des
paradigmes pour justifier un classement des sociétés en « primitives »
ou « évoluées », ainsi que le fait qu’une culture puisse être plus évoluée
qu’une autre à un moment donné de son existence.

Cette idée de « cultures primitives » et « cultures évoluées » est restée


un bon moment comme base de toute analyse comparative entre
les cultures. En France, le terme ethnologie correspond longtemps
à l’équivalent anglo-saxon d’Anthropology, car le mot français
« anthropologie » était lié négativement, dans ce pays, il y a peu
encore, à l’idée de « morphologies de races » issue de l’idée d’évolution
culturelle. C’est Claude Lévi-Strauss qui introduira en France le terme
« anthropologie » dans le sens anglo-saxon, c’est-à-dire l’étude de
l’homme dans sa globalité et de la vie en société.

Au début du XXe siècle, cette idée évolutionniste des cultures perd


crédit et de nouvelles approches sur la diffusion et l’existence des
cultures émergent. Le grand changement de cap est effectué dans
les années 1930 par l’anthropologue américain d’origine allemande,
Franz Boas (1858-1942). Il détache l’idée de culture de celle des races
et de l’héritage biologique. Déjà, il fallait détacher l’idée d’évolution
des cultures d’un certain déterminisme géographique qui affirmait des
absurdités du genre : « les peuples des tropiques sont plus paresseux
à cause du climat et par conséquent leurs pays seront toujours sous-
développés, tandis que les peuples du Nord sont plus travailleurs à
cause du froid ».

Franz Boas va plus loin et fait comprendre que la culture en soi est
plus importante que les conditions biologiques (et climatiques) pour
comprendre les comportements et les attitudes des hommes. Une
de ces premières découvertes sur le terrain est que la culture est un
phénomène « appris » et non « inné ».

Ainsi, il instaure ce qu’on appelle « le relativisme culturel » en soulignant


que la suprématie de la culture occidentale dans les analyses de
cultures « primitives » ou « évoluées » n’est que le fruit d’une conclusion

96
LES CONSÉQUENCES DE L’ÉCHEC D’UN RAPPORT INTERCULTUREL

établie sur des paradigmes propres à cette même culture. Il n’existe


pas de « races » qui auraient une culture plus évoluée ou plus élaborée
que d’autres. Se conforter dans une telle attitude correspondrait à la
pratique de l’ethnocentrisme.

Malheureusement, l’ethnocentrisme se manifeste de nos jours encore


et toujours dans le cadre de situations interculturelles, y compris
les situations professionnelles. Plus dangereux que la pratique de
l’universalisme, le comportement ethnocentrique non seulement ne
prend pas en compte ce que peuvent apporter d’autres pratiques et
mentalités, mais s’approprie une attitude de « maître-professeur » par
rapport aux autres cultures, comme si « les étrangers étaient moins
évolués ou sous-développés et n’avaient qu’à apprendre avec eux ».

Par exemple, il est facile de le reconnaître dans les discours du type :


« Ils ne savent rien du tout et devraient plutôt se taire et apprendre
avec nous, car nous savons tout sur le marché, le client, le produit ou
le secteur ou la gestion » ou « notre expérience est plus large, notre
expérience ou notre civilisation plus ancienne et ils sont encore à un
stade inférieur que nous, du haut de notre expérience, avons déjà
surmonté ». Ce genre de discours se présente d’une manière plus
fréquente que l’on ne pourrait l’imaginer ou souhaiter, surtout quand
la situation atteint des états critiques, les personnes perdent le cap et
tout ce qui avait été construit ou rêvé s’en va en morceaux.

La pratique de l’ethnocentrisme apparaît le plus souvent dans les


relations entre les individus issus des pays industrialisés du monde
occidental : Europe et USA et les individus originaires des pays
en développement : Asie, Afrique, Amérique latine. Ainsi comme
l’universalisme, il a des conséquences désastreuses sur les relations
entre les différentes cultures et peut compromettre le succès de
l’opération. Il faut être très attentif à l’ethnocentrisme. Il se manifeste
lorsque le choc culturel est si violent et déstabilisant que je ne vois
d’autre justificatif que blâmer l’Autre, méconnaître mes paradigmes,
en jugeant son comportement primitif ou sauvage. Le mieux à faire
dans une situation pareille c’est prendre du recul, éviter de prendre
des décisions importantes et surtout ne pas adopter une attitude
supérieure dans ses actes et son discours.

97
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Le refus de son propre conditionnement culturel


Il est toujours très utile de revenir sur le concept de « filtres cognitifs »
ou sur le fait que notre culture nous fournit des « lunettes » à travers
lesquelles nous voyons et comprenons le monde. Cela nous rappelle
que nos pensées, nos jugements de valeurs ne sont pas et ne peuvent
pas être impartiaux, ils sont très influencés par notre culture et d’une
certaine façon, cela veut dire que nos actes et nos comportements le
sont tout autant. Bref, d’une façon ou d’une autre nous sommes tous
conditionnés culturellement.

Or, un des plus grands pièges qu’encourent les personnes en train de


vivre une situation interculturelle, c’est d’oublier ou de refuser le fait
que leur culture est partie intégrante de leur personnalité et qu’elle
les conditionne en quelque sorte. En effet, il est très désagréable
de songer que « je suis programmé malgré moi par un ensemble de
valeurs et paradigmes et par conséquent contrôlé par eux ». Certains
chercheurs en gestion s’opposent furieusement aux travaux existant
sur les implications des différences culturelles dans le management.
Cela est sans doute en grande partie dû au malaise que l’idée de
conditionnement culturel provoque chez les gens.

Ce qu’il faut garder en tête, c’est que la culture n’est pas extérieure
à nous, ce n’est pas une force externe étrange qui nous domine et
détermine notre comportement, elle nous intègre, elle fait partie de
nous, il ne faut pas la craindre et la percevoir comme quelque chose
de menaçant, ce n’est pas une domination totale à laquelle nous ne
pouvons échapper, c’est juste la façon de voir le monde qui nous a
été communiquée dès notre naissance, par nos parents d’abord, par
nos amis et professeurs ensuite. Certains aspects se manifestent de
manière inconsciente et nous sont révélés lors de chocs culturels.

Les gens ont tendance à craindre ce qu’ils ne connaissent pas,


c’est pourquoi ils refusent leur propre conditionnement culturel : « je
peux tout contrôler à propos de mes actes, mes pensées et mes
décisions. » C’est là une grande erreur. En adoptant ce comportement,
je ferme les portes de mon autoquestionnement et cherche dans les
comportements de l’Autre tout ce qui ne marche pas dans cette affaire
et je commence malgré moi, à vouloir le juger pour le comprendre et
le juger selon mes paradigmes, et à le culpabiliser de tout. Or, la vraie
démarche pour le développement d’une compétence interculturelle
n’est pas la recherche à l’extérieur de ce qui est susceptible de causer

98
LES CONSÉQUENCES DE L’ÉCHEC D’UN RAPPORT INTERCULTUREL

un problème ou un blocage, mais c’est en adoptant l’attitude de


l’autoquestionnement, que je pourrai comprendre mon partenaire, ses
actes et ses pensées par rapport aux miens. C’est en acceptant la
partie inconsciente de la culture qui influence mes jugements et mes
actes que je pourrai véritablement faire un pas vers l’Autre et avec lui
planifier les meilleurs chemins pour arriver à nos buts.

99
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

L’essentiel
•  Les différents pièges de la démarche interculturelle peuvent
engendrer des comportements qui compromettront définitivement
le succès d’une coopération.

•  Le premier de ces comportements à risque est la prise de


distance, une sorte de « politesse improductive » qui masque
en vérité le déclenchement d’un processus de désengagement
graduel des individus de la relation. Si, à un certain moment, les
personnes commencent à ressentir et à dire ouvertement que « cela
ne vaut pas la peine » ou « ne mènera nulle part », le mécanisme
de désengagement est déjà en route et le projet est fatalement
compromis.

•  Le recours à des recettes « toutes faites », dans un moment tardif,


et sans pour autant avoir la bonne volonté d’engager de vrais efforts
pour sauver la coopération mènera à quelque chose d’inutile et
d’inefficace. À ce stade, tout ce que l’on peut espérer du consultant,
c’est qu’il accepte de jouer le rôle de bouc émissaire pour justifier
l’échec de la relation.

•  Les mauvais comportements issus des pièges décrits ici


compromettent le futur du projet, l’adhésion et la motivation
des personnes, engendrent la méfiance et l’insécurité. Dans un
environnement de méfiance, une relation interculturelle n’aura
aucune chance d’être réussie.

•  Outre les pièges et leurs conséquences, les mauvaises pratiques


à éviter sont :
-- l’ethnocentrisme : votre façon de faire est la meilleure et les autres
n’ont qu’à apprendre avec vous ;
-- l’universalisme : votre manière de faire est la seule valable et la
meilleure pour tous ;
-- le refus de son propre conditionnement culturel : oublier que vos
analyses et jugements sont forcément influencés par votre propre
culture.

100
Chapitre 9
Comment cela devrait-il se passer ?

Quelques conseils pour la réussite d’une relation interculturelle

L’expérience et la recherche confirment qu’il existe des éléments et


des pratiques essentiels pour la réussite d’une relation interculturelle
entre deux partenaires. Ces éléments sont :
1. la construction d’une relation de confiance ;
2. la « négociation efficace » : la valeur des rapports ou rencontres face
à face ;
3. les équipes bien intégrées ;
4. la mise en cause permanente du processus de collaboration ;
5. le transfert et le partage des informations relatives à l’opération
conjointe.

La construction et la promotion de la confiance


Est-ce la bonne coopération qui est à la base de la confiance entre
les partenaires ou bien est-ce la confiance qui permet une bonne
coopération ? La meilleure réponse est la suivante : la confiance est
nécessaire à la coopération et une bonne communication est la base
de la confiance.

Essayons de comprendre cette logique. Selon la plupart des


dictionnaires, « confiance » est synonyme de « foi » et de « sécurité ».
Par conséquent, tout d’abord, il faut avoir la « foi » pour faire confiance, il

101
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

faut croire en des objectifs (qui, dans un premier temps, peuvent paraître
totalement irréels et lointains), il faut aussi éventuellement croire en la
coopération, l’enjeu commun (le fait que le choix du meilleur partenaire
a été fait) et enfin, le plus important : il faut croire son interlocuteur,
son partenaire, malgré ses différences et ses comportements bizarres
(croire que lui aussi, il travaille pour l’obtention d’un résultat satisfaisant),
que ce soit dans le cadre d’une simple conversation ou dans le cadre
d’un contrat complexe de transfert de technologie.

Dans une négociation complexe souvent caractéristique de grands


partenariats, les dirigeants et les managers se demandent souvent
jusqu’à quel point ils peuvent « faire confiance » à leurs partenaires.
« Croire » ne veut pas dire « être naïf » au point de se laisser voler des
savoir-faire ou des marchés. « Croire » veut juste dire qu’il faut tout faire
pour éviter le piège de l’ethnocentrisme, qu’il faut vraiment écouter
sérieusement ce que l’Autre a à dire à propos d’un investissement, d’un
marché, d’un client, etc. Il faut « croire » qu’il sait ce qu’il dit, comme il
faut « croire » qu’il a des intérêts à ce que l’enjeu commun fonctionne.
« Croire » tout simplement, c’est le premier pas pour s’investir, non
seulement financièrement, mais surtout personnellement.

Pour faire confiance, il faut en plus de « croire », pouvoir se sentir en


« sécurité ». Cela est crucial pour la construction d’une vraie base de
communication avec les interlocuteurs, ce qui permettra par la suite le
partage des valeurs propres à la relation. Si « je me sens en sécurité,
l’Autre ne représente plus une menace. Si l’Autre n’est plus une
menace pour mon identité et mon équilibre, je peux enfin communiquer
efficacement avec lui ». Communiquer est essentiel, car je ne peux pas
négocier sans communiquer.

Dans un processus de négociation internationale entre deux cultures,


les similarités servent à créer et renforcer la confiance et les différences
servent à créer des alternatives, des gains mutuels. Sans vouloir créer
une fausse « homogénéité », il est important d’identifier les similitudes,
car elles créent des rapports humains de qualité qui engendrent ou
renforcent la confiance.

La plupart des relations entre partenaires commerciaux portent


exclusivement sur des intérêts et négligent l’aspect humain. Pour
communiquer, il faut être attentif à son interlocuteur. Il faut s’assurer
qu’il a bien reçu le message. Trop occupés à atteindre leurs objectifs,
pour la plupart d’ordre financier à court terme, les managers finissent

102
COMMENT CELA DEVRAIT-IL SE PASSER ?

par oublier d’accorder l’attention requise aux personnes, à leurs


impératifs contextuels et culturels spécifiques. Citons un exemple. Au
Maroc, un producteur français dans le secteur des textiles ne savait
plus que faire pour que ses employés ne soient pas en retard et viennent
travailler à l’heure pendant une certaine période de l’année : « Nous
avons déjà mis à leur disposition des cars pour aller les chercher dans
les villages et les amener au travail, mais cela semble inutile. Nous
voulons les aider, mais ils ne veulent pas être aidés. » Caractérisés par
une culture collectiviste très forte où les besoins du groupe priment sur
ceux de l’individu, les Africains en général et, parmi eux, les Marocains
employés dans cette manufacture de textiles se sentaient obligés
d’aider leur village lors de la période de récolte. Cette obligation leur
était beaucoup plus forte et imposante que le devoir d’arriver à l’heure
au travail. En prenant seulement en compte leurs intérêts, les patrons
français avaient eu l’idée de mettre ce car à leur disposition.

Or, cette démarche servait seulement les intérêts et les impératifs


de l’industrie et n’était pas attentive aux besoins et au contexte des
employés. En envoyant un car les chercher, les patrons ont confirmé le
fait que seul l’intérêt économique de leur présence dans la manufacture
comptait pour eux. Ils n’ont pas eu la sensibilité pour comprendre une
telle conduite imposée par les spécificités de leur contexte culturel et
pour, ensuite, leur proposer de trouver ensemble une solution. L’année
suivante, plusieurs employés ont quitté l’usine en disant : « On ne
peut pas faire confiance à ces gens-là », ou « Je ne peux pas travailler
avec des gens qui ne m’inspirent aucune confiance ». Ensuite, les
entrepreneurs français ont quitté le pays, en affirmant entre autres
arguments économiques, que : « Les Marocains n’étaient pas dignes
de confiance ».

Dans cette situation, la solution trouvée a corroboré l’existence


d’un certain intérêt envers les employés, mais pas de l’attention. La
confiance ne peut pas s’établir dans un climat où l’intérêt est le seul
critère pour la gestion des rapports humains.

Une bonne option pour les patrons français dans cet exemple aurait
été de faire part à leurs employés de leurs préoccupations par rapport
aux conséquences de leur comportement et leur communiquer sans
crainte leurs impératifs financiers et ensuite, avant de leur proposer
l’idée du car, de leur demander des suggestions pour régler le problème.
Ils seraient à la fin peut-être arrivés à la conclusion que le car était
une bonne solution, mais cette conclusion aurait été acquise après

103
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

une discussion commune, une espèce de confirmation de l’attention


portée par les premiers aux seconds. Cette attention aurait forcément
été réciproque. Dans un premier moment, les employés en s’absentant
ne portaient pas assez d’attention envers leurs patrons. Cela arrivait
sans doute parce que pour eux, la relation était également basée sur
des intérêts personnels : avoir un travail, un salaire à la fin du mois.

La démarche serait le signe d’une vraie volonté de compréhension des


patrons envers les raisons de la conduite des employés. En agissant
ainsi, les patrons auraient consolidé la confiance : « Nous voulons
vous faire comprendre que pour nous, vos retards et vos absences
sont un grand problème, nous avons l’impression que vous avez
de bonnes raisons pour agir ainsi, et nous sommes sûrs que nous
trouverons une solution commune satisfaisante pour tous. Nous avons
pensé à un car, qu’en pensez-vous ? » Une telle attitude aurait sans
doute encouragé l’adhésion des employés aux buts de l’entreprise qui
auraient pensé : « il semblerait qu’ils s’intéressent à nous, à notre vie
et nos problèmes ». L’expérience démontre que la qualité des rapports
humains est payante à moyen et long terme. Pour consolider une
relation à long terme, il faut faire et inspirer confiance. Sans confiance,
il n’y a pas d’engagement, pas de motivation, pas de communication
entre les parties concernées. Et s’il n’y a pas de communication, les
choses ne peuvent pas aller bien loin.

Le défi de la « négociation efficace » :


la valeur des rencontres face à face
Depuis quelques années, on assiste à l’apparition massive de
nouvelles technologies de communication qui intègrent chaque fois
plus et chaque fois plus vite le quotidien des organisations. Des outils
comme le courrier électronique ou la téléconférence ont permis aux
entreprises d’économiser en déplacement de salariés à l’international
et d’organiser des réunions et des négociations plus fréquemment et
plus rapidement. Le contexte actuel corrobore la tendance de la vitesse
et de la flexibilité pour les entreprises qui souhaitent rester compétitives
et survivre dans la jungle de la concurrence. Les dirigeants, une grande
partie des managers ainsi que quelques professeurs et chercheurs
dans le domaine de la gestion, partageaient (et certains partagent
encore) l’idée que, face à cette nouvelle réalité, la « communication
face à face » se réduirait drastiquement au cours des années et serait
même entièrement remplacée par de nouveaux outils modernes de

104
COMMENT CELA DEVRAIT-IL SE PASSER ?

communication. Or, l’expérience semble démontrer le contraire. Plus


les médias deviennent modernes et permettent une communication
à distance plus efficace, plus les rencontres et réunions face à face
prennent de l’importance pour la signature d’un accord. Comment
expliquer ce paradoxe ?

De nos jours, d’une manière générale, la plupart des entreprises se


voient confrontées à cinq grands défis :
ŸŸ le défi de la flexibilité ;
ŸŸ le défi de l’apprentissage ;
ŸŸ le défi de l’autoconnaissance ;
ŸŸ le défi de l’organisation externe et interne ;
ŸŸ le défi de la « négociation efficace », c’est-à-dire la capacité de
créer et maintenir des relations de qualité avec des éléments internes
(salariés, salariés des unités acquises) et avec les éléments externes
(partenaires, fournisseurs, clients, sous-traitants).

Le défi de la flexibilité reprend un peu ce que nous évoquions plus


haut, c’est-à-dire l’idée que l’entreprise qui souhaite rester vivante
dans le marché doit être douée d’une grande capacité d’absorption
de nouvelles technologies, et d’une grande capacité d’intégration
de nouvelles tendances stratégiques émergentes issues des aléas
économiques d’un contexte globalisé. La capacité de l’entreprise
à être plus ou moins réactive voire proactive aux nouveautés et aux
changements dépendra bien sûr :
ŸŸ des cultures des secteurs (les entreprises du secteur des nouvelles
technologies, par exemple, sont beaucoup plus proactives que les
entreprises du secteur métallurgique, qui est plus conservateur) ;
ŸŸ de la culture d’entreprise ;
ŸŸ des cultures nationales (si une culture appréhende l’incertitude, a
tendance à avoir plus de résistance à innover, alors cela se reflétera
sans doute au niveau de l’organisation).

La tendance mondiale semble corroborer ce besoin d’être flexible à


tous les égards, même pour ceux qui sont plutôt traditionnels, même
pour ceux qui n’aiment pas changer ou qui ont peur des nouveautés
et du risque. Dans un environnement tel, la seule chose qui puisse
compenser cette volatilité de comportements et garantir la cohérence
reste la capacité à se différencier face aux concurrents d’une manière
ou d’une autre : à travers l’identification et la valorisation de ses

105
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

compétences et à travers la qualité des rapports établis à l’intérieur et


en dehors de l’entreprise.

Le défi de l’apprentissage découle du défi de la flexibilité. Non


seulement l’entreprise doit être assez agile pour changer de cap quand
les choses vont mal et ne correspondent pas aux résultats escomptés
dans une planification initiale, mais elle doit également être capable
d’apprendre de ses petits échecs. L’expérience est une ressource et
le défi de l’apprentissage consiste à savoir saisir et se servir de cette
ressource. C’est ce que les grands groupes essaient de faire à présent
avec les universités internes précédemment décrites dans cet ouvrage.

Le défi de l’autoconnaissance, c’est pour l’entreprise réaliser un


diagnostic interne efficace et savoir identifier les ressources, les
savoir-faire, les compétences, et ensuite, parmi ces compétences,
cela correspond à la capacité de pouvoir identifier les compétences
dites « clés », c’est-à-dire des actifs rares, difficilement substituables
ou imitables qui font toute la richesse et la spécificité de l’entreprise
face à ses concurrents. Ce thème de « compétence interculturelle »
est repris dans l’ouvrage. Il s’agit à présent d’envisager jusqu’à quel
point la qualité des rapports établis par l’entreprise peut constituer
une compétence qui fera la grande différence dans un environnement
instable et changeant.

Le défi de l’organisation interne et externe est ancien. Il se dédouble


dans les cinq choix fondamentaux du management organisationnel de
Fayol déjà traités précédemment. Nous arrivons enfin au défi de la
« négociation efficace » qui nous permettra d’expliquer l’importance
des relations et rapports face à face.

Le concept de négociation se définit par la création et le maintien des


relations. Négocier veut aussi dire « ajuster » et « adapter ». Toutes les
personnes négocient à tous les stades de la vie : un couple négocie
les tâches ménagères de tous les jours, les enfants négocient l’argent
de poche avec les parents, les adolescents, eux, négocient les heures
passées au téléphone et les sorties…

Négocier veut dire s’accorder, trouver un terrain d’entente où les


besoins des uns et des autres soient satisfaits. En négociant, on vise
toujours un but, ce but peut être commun ou pas. Le but correspond
à des intérêts propres à chaque partie de la négociation, mais un bon

106
COMMENT CELA DEVRAIT-IL SE PASSER ?

départ est déjà d’envisager une solution finale où toutes les parties
sont satisfaites.

Cela ne se passe pas toujours de cette façon, ni dans la vie, ni dans


les affaires. En ce qui concerne les différences de négociation entre les
cultures nationales, on peut déjà remarquer que le mot « négociation »
peut signifier une vraie « compétition » pour certaines cultures, un
« jeu » ou « amusement » pour d’autres, ou encore, un calvaire ou
quelque chose d’exécrable pour d’autres. Les gens se sentent plus
ou moins à l’aise pour négocier, pour se rencontrer, pour établir et
maintenir des relations.

Pendant longtemps on a cru que les règles de négociation issues de


la culture managériale américaine étaient globales et se résumaient à
l’application de cinq directives :
1. séparer les personnes des problèmes ;
2. se focaliser sur les intérêts et non sur les statuts ;
3. insister sur des critères objectifs ;
4. ne jamais céder à la pression ;
5. toujours inventer des options de gains mutuels.

Quoique la troisième, la quatrième et la cinquième directive soient


en effet conseillées à titre universel pour l’obtention d’un accord
sain à long terme, il est très difficile, voire impossible, dans certaines
cultures de dissocier les personnes des problèmes ou des sujets
discutés et par conséquent de ne pas prendre en compte les statuts
des participants. Certaines cultures accordent trop d’importance aux
statuts, aux rapports personnalisés et par conséquent, le stade crucial
de la négociation dépend alors de la création et de la consolidation des
rapports interpersonnels.

Un processus de négociation ordinaire est composé de six stades


essentiels :
1. préparation ;
2. construction des rapports interpersonnels ;
3. échange d’informations ;
4. persuasion ;

107
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

5. concessions ;
6. accord.

Ces stades seront plus ou moins longs, plus ou moins importants


selon les différentes cultures. Les Russes, par exemple, semblent
considérer les concessions comme un signe de faiblesse de la part de
leurs interlocuteurs. La négociation est pour eux un combat où le plus
fort doit être vainqueur. Pour les Arabes, en général, négocier est un
exercice sain et amusant. Ils peuvent passer des heures dans le stade
correspondant à la création des rapports interpersonnels ou dans le
stade de l’échange d’informations (sur l’objet de la négociation ou non).

Certaines cultures aiment négocier rapidement, car elles sont obsédées


par un résultat. D’autres prennent vraiment le temps de connaître
leurs interlocuteurs. Par exemple, les négociations de fin de guerre
entre les USA et le Vietnam qui ont eu lieu en France. Tandis que les
Américains ont loué des chambres dans un hôtel parisien pour une
semaine, les Vietnamiens ont loué un château pour toute une année.
Les Américains se virent alors sans cesse contraints à renouveler
leurs réservations jusqu’à la fin des négociations. Bien sûr, il y a ici
une différence de perception et de gestion du temps entre ces deux
cultures, mais aussi, et surtout, une importance très grande accordée
au stade de construction de rapports interpersonnels pour une des
deux parties. Avant de faire une concession ou de proposer quelque
chose, les Vietnamiens tenaient à connaître les Américains le mieux
possible. Nous voilà encore dans la question du besoin de la création
d’un climat de confiance.

Un expatrié originaire de la Suisse allemande, parti négocier dans un


pays asiatique, fut étonné quand un jour, lors d’un séjour de six mois,
son interlocuteur lui demanda de dormir une nuit dans sa chambre.
Pourquoi une telle situation ? La réponse est venue le lendemain. Son
interlocuteur a signé le contrat en lui disant : « Maintenant, je sais
que je peux vous faire confiance. J’ai pu fermer les yeux et dormir
tranquillement en votre présence. »

Il est facile de conclure que si l’importance accordée au stade de


construction des relations interpersonnelles n’est pas la même dans
les différentes cultures, il y aura un décalage, un écart, un défaut à
la base et la confiance ne pourra pas s’établir. Donc, la négociation
efficace doit prendre en compte les subtilités de cette étape : qu’elle

108
COMMENT CELA DEVRAIT-IL SE PASSER ?

soit plus courte ou plus longue, plus compliquée ou plus simple, selon
les différents points de vue, elle reste toujours essentielle pour le futur
de la relation.

Le cinquième défi et peut-être le plus grand à l’heure actuelle pour


les entreprises est le défi de la « négociation efficace » à tous les
niveaux. Dans un monde où les possibilités de rencontres et les médias
se multiplient, il est très facile pour toutes les personnes d’établir des
relations à tout moment. Ce qui va vraiment compter, ce n’est pas
la mise en place de ces relations mais la capacité à les maintenir
dans le temps. C’est la qualité, et non la quantité des relations que
l’entreprise pourra établir avec ses partenaires, ses salariés, ses clients
et ses fournisseurs, qui constituera en quelque sorte un différentiel par
rapport aux concurrents.

Quand les enjeux deviennent internationaux et par conséquent,


interculturels, ce sont les rencontres face à face qui continuent d’être le
moyen le plus sûr, jusqu’à présent, pour permettre aux négociateurs de
mieux se connaître et de se faire confiance. Cela devient d’autant plus
nécessaire que la plupart des relations établies aujourd’hui s’avèrent
ne pas être durables ou valables, d’où l’explication du paradoxe initial.
Les progrès techniques ont augmenté notre capacité d’expression
et de diffusion d’informations mais non pas notre capacité de
communication avec les autres. Pour communiquer, nous le savons,
il faut que le message soit reçu. En suivant la logique, pour arriver
à négocier efficacement il faut d’abord communiquer, et il est, à ce
stade, clair que la communication entre les différentes cultures n’est
pas chose facile.

Investir dans les workshops pour promouvoir l’intégration


des équipes
Encourager et consolider un bon niveau d’intégration des équipes
apparaît également comme un aspect essentiel des expériences
interculturelles et internationales bien réussies. En effet, en temps
de changements ou en situation d’insécurité face à la différence,
l’adhésion des personnes au projet et leur constante motivation sont
des enjeux considérables, qui doivent être pris en compte avant
toute décision concernant l’opération. Là où on a réussi une bonne
intégration, on pourra sans doute être plus exigeant et implanter de
nouvelles directives. Cependant, réussir l’intégration d’un groupe de

109
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

personnes issues d’une même culture nationale est déjà quelque chose
de très difficile, car des facteurs tels que l’âge, la profession, le milieu
social rendent assez difficile le processus. Quand à tout cela s’ajoute
le problème des différentes cultures nationales, les choses deviennent
encore plus complexes.

Il est donc important de garder en tête dans un premier moment, qu’un


bilan de chaque situation interculturelle doit être établi au niveau du
flux de communication et par conséquent de la qualité d’intégration
des équipes formées de deux ou plusieurs nationalités. Cela peut
s’analyser en considérant les buts atteints, le degré de coordination
des tâches (s’il n’y a pas deux ou plusieurs personnes faisant la même
chose au même moment sans le savoir), le rôle et la présence du chef
d’équipe (comment gère-t-il les autres, comment les autres sont-ils ou
se font-ils gérer ?).

L’intégration des équipes peut et doit être stimulée à travers des


workshops où les individus peuvent apprendre à mieux se connaître et
à discuter des sujets autres que le travail ou le projet qui les unit en tant
que groupe. Le choix de sujets de discussion divers comme le sport
ou le cinéma (en ayant toujours le soin d’éviter de parler de religion et
de politique) permet aux uns et aux autres de mieux s’accorder sur des
goûts et valeurs partagés, ce qui peut faire progresser le processus
vers des synergies.

Évaluations et feedback :
la mise en cause permanente de la coopération
Les évaluations et feedbacks semblent être aussi des pratiques
réussies de gestion et d’entretien des relations interculturelles dans
un quotidien de travail. Il est toujours important de faire un bilan de
son travail et de ses acquis à un moment donné, car cela permet aux
personnes de se rappeler :
ŸŸ qu’elles ont un but à atteindre ;
ŸŸ qu’elles intègrent un groupe plus grand ;
ŸŸ que leur participation individuelle et leur implication sont essentielles
pour atteindre des objectifs. Cela leur donne également la certitude
qu’on s’intéresse à leur travail, à leurs problèmes.

110
COMMENT CELA DEVRAIT-IL SE PASSER ?

Les bilans dans les coopérations interculturelles permettent aux


groupes d’affiner et consolider leur nouvelle base de communication
qui renforce leur adhésion au projet et leur sentiment d’appartenance
au groupe. Cela permet également aux participants et surtout aux chefs
d’équipe et de projet d’identifier les aptitudes de chaque membre et de
tirer parti de cette diversité comportementale.

Enfin, la remise en question de « l’enjeu commun » et des préoccupations


partagées permet aux parties, à tout moment, de confirmer cette base
coconstruite de coopération et de s’assurer que le sens accordé à ce
que l’on considère « commun » est le même pour les deux partenaires.

Il est très important de prévoir une réunion pour expliquer aux différents
participants impliqués dans la coopération ou le projet, l’importance
de la réalisation de réunions de feedback et de la mise en place d’un
système d’évaluation. Certaines cultures, dont la culture française,
n’aiment pas les évaluations. Les Français d’une manière générale
ont tendance à se sentir plutôt contrôlés et privés de leur liberté de
travail quand ils se voient dans un système de feedback permanent,
contrairement aux Américains, qui voient dans cette démarche une
preuve d’attention et d’implication du chef et de l’entreprise envers
eux.

De ce fait, il est très important de ne pas imposer un système


d’évaluation (piège de l’universalisme). La meilleure chose à faire
est de demander aux propres participants du groupe ou de l’équipe
d’établir eux-mêmes les critères d’évaluations qu’ils jugent pertinents
et la fréquence de ces bilans dans le cas précis de leur coopération.
Cet exercice leur permettra également d’avancer dans le processus
de création de valeurs communes nécessaire à la réussite de l’enjeu.

Le partage de l’apprentissage commun


Lors des réunions de feedback pour l’analyse et la discussion en
équipe des résultats des évaluations personnelles et des évaluations
de la performance du groupe, il est important de profiter du fait que
tous se retrouvent ensemble, pour faire une espèce de tabula rasa des
chocs culturels, des malaises dus aux comportements, attitudes et
discours des uns et des autres. Après le processus « digestif » des
chocs culturels, faire le bilan de l’apprentissage des différences et
similitudes et repartir à zéro, tout en discernant ce qui cause blocage,

111
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

ce qui encourage la synergie, ce qui est « problème », mais qui peut


devenir, à un moment donné, une solution sur mesure.

Il est enrichissant de partager aussi avec ses partenaires les acquis


en interculturel issus d’une expérience antérieure, même si cela
correspond à un actif intangible et éventuellement à une compétence
de l’entreprise. Encore ici, la construction et la consolidation de la
confiance sont en jeu pour qu’il y ait un échange équitable d’expériences
des uns et des autres.

De toute façon, dans une relation interculturelle, pour qu’il y ait progrès,
il faut que les deux parties apprennent au cours du processus. Si
l’apprentissage est unilatéral, cela risque de créer un grand décalage
entre les partenaires et la coopération ne pourra pas durer. Si en plus
d’apprendre chacune de leur côté, les parties se mettent d’accord pour
partager leurs acquis, les bonnes pratiques identifiées par les uns et les
autres seront partagées et la coordination du travail futur se fera d’une
manière plus efficace. Autre résultat de ce partage : l’intégration des
personnes dans une équipe et une meilleure définition des rôles et des
attributions de chaque membre.

Être conscient qu’en termes de relations entre les cultures,


le fait d’avoir de l’expérience à l’international
n’est pas un facteur suffisant
Le fait d’avoir derrière soi une large carrière à l’international ne veut pas
dire que la personne est douée de la sensibilité requise pour bien mener
une relation interculturelle. Malheureusement, l’expérience semble
démontrer qu’une grande partie des managers confirmés qui montent
dans la hiérarchie n’ont pas su développer au long de leurs expériences
internationales l’équilibre magistral entre la conscience de leur savoir-
faire et l’attitude humble de remise en question permanente de leurs
actes et de leurs pratiques, qui caractérise une vraie compétence
interculturelle.

Pour certaines personnes, surtout celles issues d’une culture


occidentale « individualiste » et « masculine » (cf. Hofstede), l’humilité
n’est pas une vertu, mais plutôt un synonyme de faiblesse. De ce fait,
les personnes qui atteignent des postes de direction très importants
dans de grands groupes internationaux adoptent, à un moment ou
à un autre, un comportement ethnocentrique du genre « j’ai assez

112
COMMENT CELA DEVRAIT-IL SE PASSER ?

d’expérience pour avoir connu toutes sortes de situations ». Elles


arrivent à croire qu’elles ont vraiment réussi à développer un modèle
de comportement universel, valable partout.

Trompenaars raconte l’histoire d’un expatrié anglais affecté à un poste


de direction dans une filiale nigériane, qui a remarqué que lorsqu’il
élevait la voix, tous les employés lui obéissaient. Il a cru que cette
façon de faire correspondait à une règle valable pour tous les autres
pays en développement en Afrique et ailleurs. Après cette expérience
au Nigeria, ce manager a été transféré en Malaisie. Il s’est mis à parler
de la même façon à ses subordonnés, convaincu que cela marcherait
aussi bien. Seulement, dans ce pays, « parler fort » signifie perdre la
face, donc par conséquent, ses collègues malais ne l’ont pas pris au
sérieux et il a dû être transféré.

Ce qui fonctionne dans un pays peut ne pas fonctionner ailleurs. Ici


encore, il faut que l’individu soit toujours mis en garde pour éviter les
pièges de l’ethnocentrisme, de l’universalisme, et ne se cache pas
derrière sa large expérience à l’international. Il est important qu’il soit
assez humble pour demander de l’aide (d’un collègue autochtone, d’un
consultant), s’il en ressent le besoin.

113
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

L’essentiel
•  Il y a de bonnes pratiques qui peuvent garantir le succès d’une
relation interculturelle : la promotion de la confiance, la négociation
efficace, la promotion de l’intégration entre les parties, le feedback
permanent et le partage des informations et acquis.

•  La confiance est intimement liée à la qualité de la communication


entre les partenaires. Une fois les bases d’une bonne communication
établies, la confiance peut accompagner l’engagement progressif
vers des objectifs et des valeurs partagés.

•  La « négociation efficace », un des grands défis du management,


correspond à la capacité à nouer des relations de longue durée avec
ses interlocuteurs. Elle peut être encouragée à travers les rencontres
face à face.

•  Il est important de faire régulièrement des feedbacks et des réunions


entre les personnes concernées par une relation interculturelle : pour
rappeler leur but commun, leur engagement envers le groupe et
aussi pour s’exprimer à propos de leurs malaises et insatisfactions
et repartir sur de nouvelles bases.

•  Faire circuler l’information et partager les acquis est un grand


pas dans la consolidation de la confiance et dans la création d’une
référence commune pour les personnes impliquées dans une
coopération interculturelle. Cette pratique doit être encouragée dans
le cadre des réunions de feedback. Lors de workshops, les membres
d’une équipe multiculturelle peuvent mieux se connaître et discuter
d’autres sujets différents du travail, car cela rendra leur processus
d’intégration plus rapide et réussi.

•  Une pratique essentielle au succès de toute démarche


interculturelle consiste à être conscient qu’en termes de relation
entre les cultures, on ne sait jamais assez. Un manager ayant des
années d’expérience à l’international peut avoir par exemple une
attitude universaliste et par conséquent ne pas avoir développé ou
acquis une vraie compétence interculturelle.

114
2e partie
PASSER À L’ACTION
Se familiariser avec
les principaux outils
et les appliquer
Chapitre 1
Apprendre à identifier à quel type de culture
vous appartenez et à quel type de culture
appartient votre interlocuteur

Le temps, le contexte de communication et l’espace

Après la deuxième guerre mondiale, les États-Unis ont établi un


programme d’aide international pour redresser l’Europe, le Plan
Marshall. Vu le succès de ce plan, le président Truman a proposé par
la suite en 1949, un programme d’aide au développement technique
et scientifique en Amérique latine, Afrique et Asie, qui s’est par la
suite révélé être une stratégie pour la mise en place de la politique
de l’endiguement (containment) de la menace communiste propre à la
Guerre Froide.

Le FSI (Foreign Service Institut) fut désigné par le Congrès américain


pour former les diplomates à l’implantation de ce nouveau projet.
Edward T. Hall fut l’intellectuel clé du programme d’entraînement du
FSI, où il a pu travailler et développer ses recherches entre 1950 et
1955.

Dans le cadre du FSI, Hall a conceptualisé de nouveaux paradigmes de


recherche, à l’aide de ses expériences personnelles de travail avec les
Indiens Hopis et Navajos dans les années 1930, son commandement
d’un bataillon de jeunes noirs américains pendant la deuxième guerre
et de ses études doctorales d’anthropologie à l’université de Columbia.
Les piliers centraux de la discipline furent lancés par son ouvrage,

117
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Le Langage silencieux8 II a ainsi développé un style de formation


participative et expérimentale de communication entre les cultures,
vers une approche interculturelle, mis en lumière l’importance du
langage non verbal, contribué à la compréhension d’un inconscient
culturel et ainsi consolidé la proposition du relativisme culturel contre
toute forme d’ethnocentrisme.

Tout au long des années 1960, un ensemble de chercheurs a


commencé à se réunir autour des idées de Hall et à organiser des cours
de communication interculturelle dans les universités américaines et
anglaises. Au départ, on s’intéresse à la communication interculturelle
d’une manière générale, puis on commence à traiter la communication
interculturelle professionnelle, les réunions et les négociations. La
décennie suivante s’est caractérisée par la recrudescence de ces
cours, l’apparition d’associations comme la SIE-TAR (The Society for
Intercultural Education, Training and Research) fondée en 1974. En 1980,
Hofstede publie son livre Culture’s Consequences and International
Differences in Work Related Values9 dans lequel il présente les résultats
de ses recherches comparatives sur les différents comportements au
sein d’IBM dans divers pays, en établissant définitivement le lien entre
la culture et le management.

Les grandes contributions de Hall à l’analyse opérationnelle de la


communication interculturelle sont les suivantes : les rapports que les
différentes cultures possèdent avec le temps, l’espace et la distance
interpersonnelle entre les individus, et la notion de contexte culturel de
communication déjà mentionnée dans cet ouvrage.

Perception et gestion du temps


Il est impossible de concevoir le management sans évoquer le temps.
Plusieurs travaux sont consacrés aux différentes notions de temps
selon les différentes cultures. Nous avons vu que le contexte religieux
a une énorme influence sur la perception et la gestion du temps. Hall
présente une dichotomie entre ce qu’il appelle les cultures plutôt
monochrones et les cultures plutôt polychrones. Les caractéristiques
propres à chacune de ces deux classifications détermineraient la façon
dont certaines cultures perçoivent et gèrent leur temps. S’ouvre alors le

8. Seuil, 1984.
9. Sage Publications, Londres, 1980. La version française a été publiée en 1987 en collaboration
avec Daniel Bollinger sous le titre : Les différences culturelles dans le management : comment
chaque pays gère-t-il ses hommes ?, Éditions d’Organisation.

118
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

débat sur les conséquences que ces différentes perceptions pourraient


avoir dans le quotidien professionnel des personnes issues de cultures
différentes impliquées dans une même mission ou un même projet.

La gestion du temps selon Edward Hall

Cultures monochrones Cultures polychrones


Mon « temps » : le temps m’appartient et
Notre « temps » : le temps se partage avec
j’en dispose comme bon me semble, je le
les autres, il n’appartient à personne.
contrôle.
Je fais une chose à la fois : raisonnement
Je fais plusieurs choses à la fois.
séquentiel, le temps se divise en unités.
Le temps est concret : je le perds, je le
Le temps se déroule et ne se compte pas.
gagne, je le dépense, je l’optimise.
Je m’organise avec des cycles naturels,
non pas avec des horaires.
Je m’organise avec des dates butoirs.
Délais souples, projets moins clairement
définis.
La spontanéité est considérée comme une
La spontanéité est bien appréciée.
interruption mal tolérée.
Le résultat est plus important que le Le processus est plus important que le
processus. résultat.

Ainsi, par exemple, les ressortissants de culture allemande auraient


tendance à être monochrones tandis que les ressortissants de culture
française ou latino-américaine seraient plutôt des polychrones. Il est très
important de garder toujours en tête qu’en matière d’interculturel il n’y
a pas de généralisation possible, d’où l’utilisation du mot « tendance »
lorsqu’il s’agit d’utiliser l’un de ces cadres d’analyse comparative, le
péril de catégorisation des cultures existant toujours d’une manière
très forte dans cette démarche. À vrai dire, les cultures ne sont pas tout
à fait dans un extrême ou dans l’autre, elles connaissent des degrés de
« monochronie » ou de « polychronie » différents.

Ainsi, les Italiens et les Brésiliens présentent tous les deux les
caractéristiques des cultures polychrones, cependant, les Italiens
semblent avoir un degré de polychronie plus élevé que celui des
Brésiliens, ces derniers se plaignent souvent que leurs réunions
communes (dans le cadre d’une grande multinationale italienne
implantée au Brésil) ne finissent jamais, car : « Les Italiens semblent ne
pas voir le temps passer quand ils sont engagés dans une conversation
ou un débat. » Il ne faut pas oublier non plus, que les cultures évoluent

119
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

et une culture qui avait un caractère très polychrone, il y a trente ou


quarante ans, ne l’est peut-être plus face aux changements de mode
de vie des individus dans le cadre du contexte actuel.

Le Néerlandais Fons Trompenaars - consultant et auteur d’un très


célèbre ouvrage sur le management interculturel et plus particulièrement
sur le caractère fonctionnel dans le milieu professionnel - présente
également une analyse des différentes façons de percevoir et de gérer
le temps entre ce qu’il a désigné comme cultures séquentielles et
cultures synchrones.

Son analyse est très proche de celle de Hall, excepté le fait qu’il
caractérise les cultures synchrones par leur tendance à la superposition
des temps présent, passé et futur. Pour lui, les synchrones ne peuvent
pas concevoir un but futur sans prendre en compte des événements
passés et présents, car ils conçoivent le temps non comme une ligne
séquentielle qui s’énonce vers l’avenir, mais plutôt comme des sphères
interactives. Cette approche nous ramène à la perception holiste et
récurrente du temps rencontrée dans certaines cultures orientales,
liée, comme nous l’avons déjà vu, à des aspects propres au contexte
religieux. Ainsi, le temps peut être assimilé à une suite d’événements
séquentiels, nous concernant à des intervalles réguliers, ou à un
phénomène cyclique et répétitif où le présent, le passé et le futur ont
des points en commun comme les saisons et les rythmes.

De même, pour Trompenaars, les cultures peuvent être plus ou moins


orientées vers le présent, le passé et le futur. Ici encore, il faut faire
attention aux extrêmes. La culture française aurait une légère tendance
à s’attacher au passé, sans pour autant laisser tomber certains aspects
liés à sa volonté de contrôle de l’incertitude (donc très orientés vers
l’avenir). Ci-dessous quelques éléments qui permettent l’identification
des cultures d’après leur orientation temporelle.

120
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

Orientation temporelle des individus selon Trompenaars

Passé Présent Futur


Les activités futures sont les
Parlent toujours d’histoire,
plus importantes. Discours Parlent toujours
de la tradition, de la
caractérisé par : de prospection, plans,
famille, entreprise ou
« après on verra », ou aspirations et résultats.
nation.
« le futur à Dieu appartient ».
Se sentent attachés
Projets rarement objectifs et Planifier est une activité qui se
à revivre un « passé
rarement suivis. fait avec joie et enthousiasme.
glorieux ».
Témoignent du respect Témoignent un grand intérêt Témoignent un grand intérêt
pour leurs ancêtres et les pour les rapports actuels, pour la jeunesse et les
personnes âgées. présents. potentiels pour l’avenir.
Utilisent le passé et le
Tout est vu à travers des Tout est vu à travers les
présent comme matériel pour
concepts de tradition et concepts de contemporanéité,
l’obtention d’un avantage
d’histoire. style et impact.
futur.

À l’intérieur de l’organisation, les différentes perceptions du temps ont


des implications directes et indirectes sur :
ŸŸ la conception stratégique ;
ŸŸ la mise en place des décisions ;
ŸŸ les types d’orientation stratégique adoptés ;
ŸŸ le temps interne de décision et circulation d’informations ;
ŸŸ la capacité d’intégration plus ou moins rapide des changements ou
innovations technologiques.

Mais elles touchent également le quotidien des personnes et arrivent à


interférer dans le rythme du discours des individus : le temps de parole
accordé, les interruptions, le silence réflexif plus ou moins long. Lors
des premières réunions avec des partenaires étrangers, ce sont là les
manifestations des différentes appréhensions du temps.

121
Implications de différentes
Orientation Orientation Orientation
perceptions du temps selon les Monochromes Polychromes
vers le passé vers le futur vers le présent
cultures

Hétéronome, Définition très Définition souple


Peu innovatrice, Volontariste, plutôt
souple, propice au précise des dates des dates butoirs,
Type de plutôt rigide rigide
changement butoirs Orientation préoccupation du
de l’entreprise
stratégie Stratégie plutôt Stratégie plutôt
Stratégie plutôt envers les résultats processus de mise
domestique globale
multidomestique escomptés en place
Stratégiques
Court, mise en Définition moins
Temps et Moyen, très
Plutôt long, très place immédiate Définition très précise des stades
processus de structuré sur les
structuré sur le soumise à précise des stades et buts
prise de prospections
passé évaluation et des buts Préoccupation du
décision futures
postérieure déroulement
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Difficulté de Projection Difficulté de


projection dans le systématique vers projection dans le Plutôt rigide et
Délai Négociable
futur Délai peu l’avenir Délai futur, Délai établi définitif

122
Organisationnelles respecté souvent respecté au fur et à mesure

Intégration Moyen à facile Facile


Difficile Grande
des Moyenne à faible Pratiquement pas Plutôt difficile Plutôt facile
résistance
changements résistance de résistance
Nostalgique, peu Beaucoup
Osé, innovateur, Ouvert peu Peu ou pas
Discours innovateur, d’interruptions
peu soucieux soucieux d’interruptions
soucieux spontanées
Communication
Communication
Flux d’information Flux d’information très biaisée
sans écran
Personnelles Flux d’information excessif fluide, voire Fort contexte
Flux Faible contexte
difficile Faible engagement excessif d’interprétation
d’information d’interprétation
Fort engagement envers l’entreprise, Moyen Tendance à la
et Excès
envers l’entreprise mais fort engagement rétention
engagement d’informations
et le projet engagement envers l’entreprise d’information
Fort engagement
envers le projet et envers le projet Fort engagement
envers le projet
envers l’entreprise
du temps dans le quotidien professionnel des personnes et au sein
Quelques implications concrètes de la perception et de la gestion
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

Le contexte de communication
Dans certaines cultures, on apprend aux individus dès leur jeune
âge qu’on doit dire tout ce qu’on veut vraiment dire et que rien ne
doit rester sous-entendu. Dans d’autres cultures, on apprend aux
personnes qu’on ne doit pas dire certaines choses, qu’on n’est pas
obligé de verbaliser tout ce qu’on voudrait dire, même si on le ressent
ou qu’on le pense. De ce fait, le contexte culturel de la communication
peut déterminer si un « non » veut vraiment dire : « non », ou encore, «
peut-être » ou encore « oui ». Les champs d’attention et d’ignorance
du cerveau n’étant pas les mêmes dans les différentes cultures, il est
très difficile, voire impossible, pour un étranger d’interpréter certains
messages verbaux ou non, liés au contexte.

Prenons par exemple, le cas d’un expatrié italien qui vient d’arriver
au Brésil. La première fois qu’il demande de l’aide à un collègue pour
la révision d’un rapport, la réponse est : « plus tard, on verra ça ».
Convaincu de la bonne volonté de son collègue brésilien, l’expatrié
italien revient une, deux, trois fois le voir pour lui demander de l’aide. Il
s’aperçoit après que son collègue brésilien le fuit et évite de répondre
à ses messages. Que se passe-t-il ? Impossible pour l’Italien de
comprendre un tel comportement.

Or, pour un Brésilien, il est très difficile de dire « non ». Habitué à vivre
dans un monde totalement structuré sur l’harmonie des rapports
interpersonnels, le Brésilien évitera à tout prix un conflit qui puisse
menacer la stabilité de son milieu, d’où sa difficulté à « nier » ou
« refuser ». Un Brésilien dira rarement le mot « non », mais ce n’est pas
pour autant qu’il ne refuse pas. Ainsi, pour marquer son désaccord ou
son refus, il dira plutôt : « plus tard », ou « on verra ». Si l’interlocuteur
insiste, il préférera le fuir ou disparaître pour ne pas risquer un conflit.
Un autre Brésilien, inséré dans le même contexte, aurait compris à la
première attente, qu’il s’agissait là d’un refus et n’aurait pas insisté
davantage, chose pratiquement impossible pour notre expatrié italien
issu d’un contexte culturel différent.

Selon cette approche, les cultures pourraient être classées ainsi :


ŸŸ d’une part, les cultures à riche contexte d’interprétation où la
communication fait fortement référence au contexte culturel ;
ŸŸ d’autre part, les cultures à pauvre contexte où la communication fait
faiblement référence au contexte culturel.

123
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Dans d’autres termes, dans les cultures dites de « contexte pauvre »,


un « non » veut toujours dire « non », tandis que dans les cultures dites
de « contexte riche », un « non » peut signifier : « non », ou encore
« peut-être », ou encore « oui », ce sera le contexte qui déterminera
l’interprétation valable.

Les cultures à contexte riche sont caractérisées par un implicite très fort
dans leur communication : un soupir, un simple regard peuvent avoir
un ensemble de significations. Le flux d’information est difficile et sans
écran. Les contacts interpersonnels sont souvent très importants et les
personnes ont tendance à avoir un comportement plutôt polychrone. Il
y a une grande tendance à la rétention d’information et à la prolifération
des bruits. La culture japonaise et les cultures latines - y compris la
culture française - sont normalement reconnues comme des cultures à
contexte très riche.

Dans l’autre extrême, les cultures à contexte pauvre sont caractérisées


par un flux d’information si fluide et une si grande surcharge
d’information qu’il est nécessaire de les sélectionner. Les messages
sont souvent explicites et la marge d’interprétation est réduite (un
« non » veut presque toujours dire « non »). Il y a peu de parasites et de
bruits et les personnes ont tendance à avoir un comportement plutôt
monochrone. La culture américaine par exemple est souvent reconnue
comme une culture à faible référence au contexte. Pour vérifier si une
culture est à fort ou à faible contexte, un bon moyen est de se baser
sur les productions cinématographiques de ces cultures. N’est-il pas si
simple de comprendre les films américains et parfois même d’anticiper
les scènes et dialogues ? Cela ne s’applique pas aux films japonais
ou français par exemple, pleins de scènes de silence et de non-dits la
plupart du temps incompréhensibles pour les spectateurs étrangers.

Il n’est pas difficile d’imaginer tous les malentendus interculturels qui


peuvent découler de la différence de contexte de communication,
surtout quand le moyen de communication ou le média choisi réduit
les chances d’interprétation. Les rencontres face à face sont toujours
une source plus riche d’informations car on y trouve également la
communication non verbale, qui peut offrir en quelque sorte, une
source supplémentaire d’interprétation aux interlocuteurs. Dans le cas
d’une équipe multiculturelle, formée de personnes issues de cultures
à contextes différents qui communiquent la plupart du temps par mail,
le risque de malentendu est pratiquement omniprésent. Ce média
restreint leurs chaînes d’appréhension d’information : ils n’auront ni le

124
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

visuel, ni l’oral, juste l’écrit et le plus souvent dans une langue autre
que la leur. La plupart des entreprises souhaitent gagner du temps et
de l’argent en réduisant les réunions face à face et les déplacements
de ses salariés à l’étranger. Il serait intéressant de se demander si les
économies réalisées à travers les vidéoconférences couvriraient le coût
engendré par un échec postérieur (échec dû aux mauvaises conditions
de communication).

Gestion de l’espace : l’espace physique et la distance personnelle


La culture étant un moyen de communication avec l’Autre, elle détermine
également les différentes façons de traiter l’espace extérieur (physique)
qui nous entoure et l’espace intérieur (personnel) propre à chaque
individu, les rapports avec l’espace font partie de la communication
non verbale. Ce que l’on nomme ici distance personnelle correspond
à l’espace que nous établissons entre nous et nos semblables pour
effectuer une communication efficace et correspond également à une
limite de notre identité. Là où finit mon espace personnel, commence
celui de l’Autre : la distance existante entre l’Autre et moi est un élément
indispensable pour qu’il y ait possibilité de communication entre nous.

La logique est la suivante : nous sommes tous entourés d’une espèce


de « bulle » qui correspond à notre espace personnel, nécessaire à
la définition et sauvegarde de notre identité individuelle au sein du
groupe. Cet espace personnel est caractérisé par des frontières plus
ou moins souples et sera préservé de manière plus ou moins intense
selon les différentes cultures. Ainsi, certaines cultures autorisent un

125
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

rapprochement « facile » et sont illustrées par l’allégorie d’une pêche à


chair tendre et noyau dur. Cela veut dire que ces ressortissants auront
un espace personnel plus large, qu’ils seront entourés d’une « bulle »
dont les frontières seront plus souples et faciles à franchir, les personnes
chercheront plutôt les contacts avec les autres. Les ressortissants des
cultures à rapprochement immédiat se sentent à l’aise en travaillant
dans des ambiances ouvertes, bien éclairées, avec des vitres partout
et peu de cloisons. Cependant, le noyau de la pêche est dur, ce qui
veut dire qu’il est difficile de pénétrer leur vrai espace intime, vu que
leur espace publique est vaste et facile à franchir.

À l’autre extrême, se trouvent les cultures à rapprochement plutôt


« difficile » dont les ressortissants ont un espace personnel plus réduit
avec des frontières plus rigides qui correspondent à de véritables limites
à ne pas franchir. Ces personnes se sentent plus facilement envahies
dans leur intimité, et se sentent mal à l’aise dans des endroits trop
éclairés et ouverts. Ces cultures sont illustrées par l’allégorie de la noix
de coco : dures à franchir de l’extérieur et tendres à l’intérieur (une fois
les frontières franchies, leur intimité se trouve pratiquement accessible
à 100 %). Encore une fois, nous pouvons faire un parallèle entre les
Américains et les Français : plutôt faciles à aborder, les Américains
habitent en banlieues dans des maisons vitrées qui donnent sur la rue
et d’où on peut facilement apercevoir l’intérieur. Les Français, d’autre
part, se renferment dans des maisons plutôt à l’écart, avec des grilles
et des cloisons, et se sentent souvent envahis quand on peut les voir
chez eux de la rue. Ainsi, pour les premiers, les « noix de coco » sont
souvent vues comme des personnes distantes, froides et snobs, tandis
que pour les seconds, les « pêches » sont souvent perçues comme des
individus superficiels et hypocrites.

Pour négocier avec des personnes Pour négocier avec des personnes
du type « pêche » du type « noix de coco »
N’interprétez pas la discrétion et la réserve
Le fait que ces personnes soient tout de
comme manque de bonne volonté ou
suite aimables et gentilles ne veut pas dire
comme de l’antipathie, ayez en tête que ces
qu’elles sont disponibles ou qu’elles vous
personnes ont besoin de plus de temps que
reconnaîtront et vous salueront plus tard
vous pour faire connaissance et se sentir à
dans une autre occasion.
l’aise.
Faites attention à votre sourire et vos
Le sourire et la proximité physique ne veulent manières, cela peut être mal interprété.
pas dire que ces personnes s’intéressent
sexuellement à vous, c’est juste leur façon de Évitez également de toucher et d’embrasser
« briser la glace » et se sentir à l’aise. ces personnes. Cela peut les braquer et être
interprété comme des avances de votre part.

126
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

Les entreprises qui adoptent une stratégie globale ont l’illusion de


réussir à imposer un mode de comportement uniforme à toutes leurs
unités à l’étranger et ainsi garantir leur cohésion au sein du groupe. Or,
elles oublient souvent l’aspect humain qui échappe à cette équation,
ce que les sociologues appellent « le système d’actions concrètes »1.
Cela veut dire que certaines directives globales ont beau être
imposées, si les autochtones se sentent mal à l’aise dans leur mode
de fonctionnement inconscient, ils trouveront toujours un moyen de
« dribbler » ces impositions et rétablir l’équilibre de l’espace culturel
qui leur est propre.

Voici un exemple concret concernant la gestion de l’espace. Un grand


groupe américain leader de l’industrie de dessins animés et activités
connexes, adepte de la stratégie globale, impose un layout de ses
installations à travers le monde. Cette entreprise, qui possède des
bureaux à Paris, est convaincue que les bureaux open spaces sont
le moyen idéal de transmettre les valeurs de l’entreprise et de faciliter
la communication interne entre les employés. De ce fait, ses bureaux
à Paris sont tous vitrés, les employés pouvant voir tout ce qui se
passe dans les bureaux de leurs collègues dans les deux étages de
l’entreprise. Or, se sentant très mal à l’aise dans des bureaux vitrés, les
salariés français de cette entreprise ont trouvé le moyen de rétablir leur
espace culturel en couvrant les murs vitrés de leurs bureaux avec des
affiches publicitaires de dessins animés, et ont ainsi réussi à regagner
leur distance qui avait été violée par les directives du groupe. À chaque
fois que le PDG américain vient rendre visite à la filiale française, c’est
la folie partout : tout le monde perd un temps fou à enlever les affiches
des murs et fait comme si rien ne s’était passé et qu’ils travaillaient
toujours dans l’ambiance open space initiale.

À quoi bon imposer ? Quelles sont les limites d’un concept global ? À
chaque entreprise de trouver sa juste mesure. L’exemple illustre bien le
fait que la résistance culturelle est une constante dans le quotidien des
personnes même si elles n’en sont pas conscientes. Cette résistance
culturelle se trouve, la plupart du temps, inoffensive et de ce fait ignorée
par les directions, mais parfois, elle devient la source de l’échec lourd
de grands investissements.

1. Crozier et E. Friedberg, L’acteur et le système (Les contraintes de l’action collective), Seuil, 1977.

127
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

La distance personnelle de chaque individu


Tout être humain a besoin d’établir une distance personnelle entre lui
et ses semblables pour pouvoir communiquer et se reconnaître en tant
qu’unité autonome. En établissant cette distance, l’individu protège son
identité et ses sentiments les plus profonds. La distance personnelle
n’est pas toujours synonyme de distance physique mais elle peut y
être très liée : c’est la limite du degré d’intimité que l’on peut ou non
accorder à autrui.

Chaque culture a développé des moyens de protéger ou rétablir


la distance personnelle et sauvegarder l’intimité de chacun. Par
exemple, pour les Américains, la proximité physique accompagnée
de silence implique un degré d’intimité important et voire même
une volonté d’établir un lien de nature sexuelle, d’où leur malaise de
rester longtemps dans un espace physique restreint (une cabine de
train ou un ascenseur) avec des inconnus sans chercher à entamer
une conversation quelconque. Dans un espace physique limité, c’est
la conversation qui permettra aux Américains de rétablir la distance
personnelle entre eux et les inconnus et de préserver leur intimité.

Or, pour les Français, c’est le contraire : la conversation est la


confirmation d’un lien avec autrui et donc, la réduction de la distance
personnelle. Pour un Français, dans une situation de distance physique
réduite avec des inconnus (un long voyage de train côte à côte ou
l’inconvénient d’un ascenseur en panne), ce sera sûrement le silence
qui lui permettra de rétablir la distance personnelle et de préserver
son intimité. Par conséquent, il cherchera le silence et évitera les
conversations.

Certaines cultures - comme la culture brésilienne - ont trouvé dans


la création d’un certain climat de familiarité avec autrui, le moyen qui
leur permet de maintenir intactes leurs émotions et de garder ainsi
leur distance personnelle. D’autres ont trouvé dans les formules de
respect et dans la pratique du vouvoiement, l’outil qui leur permet de
sauvegarder leur espace personnel. À chaque culture ses modes de
fonctionnement, d’où la grande difficulté de la préconisation d’une
recette universelle. Le grand enjeu, ici comme ailleurs, c’est de pouvoir
identifier les seuils et les limites d’espace de sa propre culture et les
mécanismes dont on se sert pour les sauvegarder. Cette prise de
conscience engendre une plus grande capacité de réflexion et de
gestion des chocs culturels.

128
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

Cultures spécifiques, cultures diffuses et rapports publics et privés


Dans son étude sur les « rapports entre les individus », Trompenaars2
présente une division complémentaire entre ce qu’il appelle les cultures
diffuses et les cultures spécifiques. Elle répertorie les différents degrés
d’engagement personnel des individus selon leurs cultures, au niveau
de leurs vies publique et privée. Il nous semble que cette dimension
est très proche de la gestion de l’espace personnel de Hall évoquée
ci-dessus.

Pour comprendre, il faut partir du principe que la personnalité de


chaque individu se confirme à travers leurs interactions avec les autres.
À chaque situation spécifique de la vie publique ou privée de l’individu
correspondra une « couche » de sa personnalité, c’est-à-dire une
sorte de « rôle » qu’il s’approprie et qui confirme son identité face aux
attentes du groupe.

Les personnes acceptent de jouer des rôles qui correspondent aux


positions qu’elles occupent dans la société. À chaque rôle joué par
l’individu correspond une espèce de couche qui intègre sa personnalité.
Les différentes couches de la personnalité pourront s’organiser de
manière spécifique à chaque situation ou de manière diffuse c’est-à-
dire globale, selon les différentes cultures. Qu’est-ce que cela veut dire
concrètement ?

Prenons par exemple, la position sociale du PDG d’un grand groupe


international. Il devra malgré lui, s’habiller d’une certaine façon, parler
en utilisant certains mots, fréquenter certains endroits et certaines
personnes, s’habituer à certaines manifestations de déférence de la
part des autres. Ceci correspondra au rôle qu’il devra jouer face au
groupe et simultanément à une « couche » de sa personnalité.

2. F. Trompenaars et C. Hampten-Turner, Riding the Waves of Culture, Londres, Nicolas Brealey,
1993. La version française de cet ouvrage s’intitule L’entreprise multiculturelle, Maxima, 1994.

129
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Individu : William Ball, 47 ans, marié, deux enfants, nationalité


américaine

Au sein de l’entreprise « Y » Monsieur, le PDG


Au sein de l’équipe de football Billy Ball
Dans le voisinage Bill
Au sein du groupe d’amis de la fac Bill
Au sein de l’université où il enseigne Monsieur, le Professeur Ball
Par son jardinier Monsieur Ball
Par la baby-sitter de ses enfants Monsieur William
Rôles assumés par l’individu de forme segmentée et indépendante

Or, dans certaines cultures, ce rôle de PDG correspondra à une


segmentation spécifique de la sphère de vie publique de l’individu et
ne s’étendra ni à d’autres segmentations publiques, ni à sa sphère
privée. Ainsi, Monsieur William Ball, le PDG de l’entreprise « Y » sera
tout simplement « Billy Boy » au sein de l’équipe de foot ou « William »
pour ses frères et son épouse et « Bill » pour ses voisins. Les différentes
divisions de son espace de vie publique sont bien spécifiques et cet
Américain ne sera plus M. le PDG William Ball, à partir du moment où il
quitte son bureau pour aller aux réunions de voisins de son quartier. Les
différentes divisions de la vie publique de cet individu ne se mélangent
pas, donc cela veut également dire que les personnes qui connaissent
« Billy » au club de foot ne peuvent pas se permettre de le contacter
dans son bureau de PDG car, elles n’appartiennent pas à cette division
de son espace publique, elles risquent même d’être ignorées si elles
essaient de le joindre dans le cadre d’une autre situation. Il s’agit ici
de la description de ce qui se passe dans le cadre des cultures dites
« spécifiques ».

L’individu en question, de son côté, assumera des rôles différents et très


spécifiques lorsqu’il sera dans le cadre d’une des situations décrites
dans le tableau. Ainsi, lorsqu’il sera au club de foot, il ne parlera ni ne
se comportera comme un PDG et par conséquent, il n’exigera pas des
autres la déférence que son poste de président lui confère. Dans cette
situation précise, il est juste « Billy ».

Dans le cadre des cultures dites « diffuses », l’important rôle social que
joue l’individu influence de manière considérable les autres divisions
de sa sphère publique et même de sa sphère privée. Ainsi, dans le

130
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

cadre de ces cultures, Monsieur le PDG continuera à l’être n’importe


où, même quand il quitte son bureau. Les personnes le traiteront avec
déférence et respect où qu’il aille car elles ne pourront pas oublier de
qui il s’agit, même si elles le rencontrent au supermarché, à la plage
ou au club de foot : il sera toujours M. le PDG de l’entreprise « Y » et
toujours traité comme tel. L’individu lui-même, impose par son attitude,
ce traitement dans toutes les situations, il assume à 100 % dans sa
vie privée comme dans sa vie publique, le rôle de président d’une
grande entreprise avec toutes les limitations et toutes les prérogatives
que cela implique. Ainsi, les cultures latines ont une forte tendance à
la diffusion du rôle social, tandis que les cultures anglo-saxonnes au
contraire, sont plutôt caractérisées par leur tendance à la spécificité.

Les interactions entre cultures diffuses et spécifiques peuvent engendrer


un choc culturel très fort par rapport à la gestion des espaces ou
sphères publics et privés. La sphère publique des cultures spécifiques
étant très large et segmentée, il est rare de constater des pénétrations
de leur sphère privée ou de leur intimité. D’autre part, les ressortissants
des cultures diffuses ayant une sphère privée qui s’étend aux situations
publiques et vice versa, risquent de voir leur vie privée envahie plus
facilement et leur intimité exposée de manière plus fréquente.

Les implications des différentes formes d’organisation des sphères


publique et privée de l’individu sont nombreuses. Au sein des cultures
spécifiques - où les frontières entre les segmentations sont bien
établies et où les segmentations publiques ne contaminent pas la
sphère privée -, les personnes ont une grande liberté d’utilisation du
discours direct et objectif. Ainsi, un Américain peut facilement faire des
remarques en soulignant qu’il ne s’agit pas d’une atteinte à la sphère
personnelle du sujet. Cependant ce type de remarque considérée
comme non personnelle peut facilement insulter un partenaire issu
d’une culture diffuse. Ces derniers considèrent une remarque publique
comme personnelle. Pour les cultures diffuses, il est très difficile d’aller
droit au but pour la simple raison qu’elles ne peuvent pas séparer ce
qui est personnel de ce qui ne l’est pas, d’où la peur de la confrontation
et le temps plus long de négociation.

Bien que les cultures spécifiques ne soient pas exclusivement des


cultures à faible contexte de communication, la plupart du temps,
le discours est objectif et part d’aspects spécifiques, et s’étend aux
aspects généraux en suivant un mode de raisonnement synthétique,
c’est-à-dire que l’on établit une logique, un raisonnement qui prend

131
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

en compte des éléments spécifiques et on le suit pour arriver à une


conclusion.

Par opposition, les cultures diffuses sont souvent caractérisées par


un fort contexte de communication et par un discours qui part des
aspects généraux vers les aspects spécifiques, en suivant un mode de
raisonnement analytique, c’est-à-dire que l’on parle un peu de tout au
départ pour essayer de trouver une logique. Les Serbes, les Finlandais,
les Suédois, les Américains, les Anglais et les Néo-Zélandais sont des
cultures plutôt spécifiques selon les résultats de l’enquête menée par
Trompenaars, tandis que les Brésiliens, les Argentins, les Japonais, les
Chinois et les Indiens sont des cultures plutôt diffuses. Comme ailleurs,
les catégorisations ne sont qu’indicatives, d’autres aspects relatifs à
la situation précise dans laquelle les rencontres interculturelles se font
(la culture d’entreprise, la culture fonctionnelle ou la culture de métier)
doivent être pris en compte pour une évaluation plus pertinente des
implications de différents points de vue et modes de raisonnement.

Il est important ici de préciser que les rapports avec les émotions et
les rapports avec les titres et statuts sociaux ont également été traités
par cet auteur et constituent des dimensions complémentaires. Il faut
différencier :
ŸŸ les cultures plutôt neutres et plutôt émotives ;
ŸŸ les cultures qui valorisent les statuts sociaux ;
ŸŸ les cultures qui valorisent les résultats.
Ces dimensions seront traitées en détail ultérieurement (Partie II -
Chap.1). Pour l’heure, analysons quelques différences entre les
cultures spécifiques et les cultures diffuses et leurs implications dans
le processus de négociation.

Pour identifier une culture diffuse, étudiez bien les rapports entre
les individus. Ils se manifestent de manière indirecte, apparemment
sans but précis, leur comportement est évasif, soigneux ou même
opaque, les principes de moral s’adaptent à la personne ou la situation
rencontrées. Par ailleurs, si les individus ont un comportement objectif,
vont droit au but dans leur conversation, sont précis, définitifs et
transparents et que les principes de morale sont valables pour tous les
individus indépendamment de la situation ou de leur position sociale, il
s’agit là d’une culture plutôt spécifique.

132
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

Se préparer à la négociation avec :

Une culture diffuse Une culture spécifique


Étudiez l’histoire, les antécédents, et la Étudiez les objectifs, les principes et les
vision future de l’organisation. chiffres.
Prenez votre temps et souvenez-vous que Soyez bref, direct, succinct et allez
tous les chemins mènent à Rome. directement au but.
Laissez la réunion suivre son rythme, Prévoyez une réunion avec un planning
en effectuant un léger contrôle de son (durée et pauses).
déroulement.
Respectez le statut, le titre, l’âge et N’évoquez pas des titres ou des statuts qui
les antécédents de votre interlocuteur, n’ont aucun rapport avec la question traitée.
indépendamment de la problématique
traitée.

Librement traduit et adapté de l’ouvrage Riding the Waves of Culture, 2e édition de


Trompenaars, 1998 (voir bibliographie).

À cela, il faut ajouter que pour les cultures spécifiques, manager c’est
concrétiser des objectifs et atteindre des buts. Les agendas privé et
professionnel sont séparés, les conflits d’intérêts qui ont un rapport
avec des statuts ou des caractéristiques personnels sont mal vécus.
Les directives sont souvent données de manière claire et précise. Plus
claires et détaillées seront les directives, mieux elles seront reçues par
les subordonnés ou les personnes concernées. Un feedback positif
ou négatif à propos des instructions reçues sera le bienvenu s’il garde
aussi une certaine clarté. Les rapports commencent souvent par un
résumé détaillé de la situation à venir. D’autre part, les cultures diffuses
comprennent le management comme un processus en déroulement,
grâce auquel on obtient une amélioration de la qualité. Les affaires
professionnelles et personnelles se mélangent et les situations
personnelles des employés sont toujours prises en compte avant
une évaluation ou jugement. Les directives sont souvent ambiguës,
subtiles et vagues, ce qui permet une interprétation personnelle par
chaque subordonné. Les rapports finissent souvent par une conclusion
générale de la situation.

La classification des cultures selon Hofstede

Les principaux travaux en management interculturel dans le milieu


professionnel (et par conséquent les plus opérationnels) restent sans

133
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

doute ceux de deux Hollandais : Geert Hofstede et Fons Trompenaars


cités précédemment. Actuellement en retraite, le premier a été
professeur à l’université de Limburg à Maastricht et directeur d’un
laboratoire de recherche nommé IRIC (Institute for Research on
Intercultural Cooperation). Le deuxième est un consultant, docteur
de la Wharton School of Management de l’université de Pennsylvanie
et directeur du Groupe de Management Interculturel Trompenaars-
Hampten Turner. Les travaux de Hofstede reçoivent, dans le milieu
universitaire, une reconnaissance que ne possèdent pas les travaux
de Trompenaars, rarement pris en compte dans des discussions ou
articles de recherche. Cependant, ces deux approches se ressemblent
sous deux aspects :
1. Ils offrent une classification des cultures selon différentes
dimensions, caractérisées par des aspects ou des comportements
opposés ou complémentaires : cultures collectivistes versus cultures
individualistes, par exemple.
2.Leur approche permet une opérationnalisation très facile des grilles
de lecture des différentes cultures et la conception de recettes toutes
faites, dont les entreprises sont si avides. Elles sont profondément
exploitées par des cabinets de consultants en management interculturel
surtout ceux d’origine américaine ou anglo-saxonne.

Ces efforts de classification sont le fruit de l’expérience professionnelle,


de l’observation et, dans le cas de Hofstede, d’une collecte phénoménale
de données au sein d’IBM pour identifier des paradigmes en se basant
sur l’analyse de questionnaires (110 000 questionnaires envoyés à plus de
140 pays), sur des comportements qui expriment les valeurs des individus
appartenant à une même culture. Ils représentent des outils efficaces pour
l’appréhension d’un univers culturel qui nous est complètement étranger
et permettent une anticipation relative grâce à une grille d’interprétation
initiale. Cependant, ils doivent être utilisés avec pondération, car ce ne
sont là que des approches incomplètes et partielles et non des vérités
absolues. Il faut toujours garder en tête, qu’en matière de management
interculturel, il n’existe pas de recettes toutes faites.

Les résultats de l’analyse des données obtenues par Hofstede et


Trompenaars et même les travaux de Hall sur les différentes tendances
culturelles de la gestion du temps, du contexte de communication
et de l’espace, proposent un regroupement de cultures ayant une
tendance à certains comportements. Ce qui est utile et intéressant
dans ces deux approches n’est pas le fait de pouvoir lire et anticiper

134
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

les comportements de l’Autre (« Si les Français sont individualistes »


ou si « Les Brésiliens appartiennent à une culture à forte distance
hiérarchique »), mais de réfléchir sur les résultats obtenus par l’analyse
des données de notre propre culture :
ŸŸ Pourquoi avons-nous été classés comme une culture individualiste ?
ŸŸ En quoi cela peut influencer mon jugement des situations
professionnelles ?
ŸŸ Comment cela se manifeste-t-il dans mon organisation ou mon
service ?
ŸŸ Qu’est-ce que cela peut engendrer comme malentendu ou malaise
dans une négociation avec des individus venus de cultures plutôt
individualistes ?

Les recherches de Hofstede ont été pour la plupart réalisées dans les
années 1970, celles de Trompenaars au début des années 1990. Elles
ne correspondent qu’à des « photos » d’une culture prises à un certain
moment de son évolution. Il ne faut pas oublier, que même dotées
d’une stabilité qui les rend durables, les cultures sont dynamiques, elles
évoluent. Ces travaux proposent des analyses figées de cultures à un
moment précis et dans un contexte donné. De plus, les questions qui
sont à la base de ces travaux et qui composaient les questionnaires,
instruments de collecte de données, ont été élaborées par les auteurs et
leurs collaborateurs, pour la plupart, occidentaux, qui les ont formulées
à travers leurs propres filtres cognitifs, leurs propres jugements de
valeur issus de leurs cultures. Elles doivent être considérées, mais
toujours en tenant compte de leur rigidité et leur relativité.

Hofstede a élaboré un questionnaire composé d’environ soixante


questions avec un degré variable de réponse :
a) tout à fait d’accord ;
b) partiellement d’accord ;
c) plutôt d’accord ;
d) pas d’accord ;
e) pas du tout d’accord.

Les questions pouvaient se classer dans quatre catégories :


1. des questions pour identifier le degré de satisfaction au travail
(« Aimez-vous votre travail ? ») ;

135
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

2. des questions portant sur les perceptions subjectives des aspects


de la vie professionnelle ou sur l’attitude face à une contrainte (« Est-ce
que vous vous sentez tendu ou nerveux au travail ? » ou « Est-ce que
votre chef estime que vous travaillez beaucoup ? ») ;
3. des questions sur les buts personnels et les croyances (« Est-il
important d’obtenir un salaire élevé ? ») ;
4. des questions signalétiques : nom, âge, sexe, niveau d’études,
temps de travail dans l’organisation.

Les questionnaires ont été traduits dans les langues des pays cibles,
les mots pouvant avoir un double sens ont été supprimés. Les résultats
obtenus avec les questionnaires ont été par la suite soumis à une
formule mathématique, ce qui a donné comme résultat le dégagement
de quatre indices qui ont permis la classification des cultures selon
quatre dimensions :
1. Les cultures à distance hiérarchique longue ou courte.
2. Les cultures avec fort ou faible confort face à l’incertitude.
3. Les cultures féminines ou masculines.
4. Les cultures communautaires ou individualistes.

La distance hiérarchique
La distance hiérarchique semble être la dimension qui s’est dégagée
la première de l’analyse des données. La question clé choisie pour
l’identifier dans le questionnaire était : « Là où vous travaillez, le
personnel craint-il d’exprimer son désaccord avec les chefs ? ».
Six autres questions corrélées permettaient par la suite de déterminer si
les ressortissants d’une culture privilégiaient une distance hiérarchique
plus ou moins longue.

Mais que veut exactement dire distance hiérarchique longue ou


courte ?

Pour expliquer cela, Hofstede part du principe que ce qui se manifeste


en société se reproduit au sein de l’organisation. Selon lui, depuis le
début, les hommes ont élaboré différents moyens d’organisation de
leurs activités qui ont défini par la suite leurs rapports avec l’autorité,
le partage du pouvoir, la distribution des richesses… Nous revenons ici

136
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

à l’idée des systèmes de régulation de la vie du groupe qui émanent


de la culture (et qui confirment ses principaux traits) déjà évoquée
précédemment (Partie I - Chap. 5). Pour lui, ces différences entre les
distances hiérarchiques se vérifient au sein des sociétés en termes
de classes sociales, du nombre d’années d’études, de professions.
Une société caractérisée par un partage inégalitaire des richesses, par
des classes sociales bien marquées est la confirmation d’une culture
à distance hiérarchique longue. Par ailleurs, une société caractérisée
par de moindres écarts sociaux où les différences entre les classes
sociales sont presque inexistantes, sera la confirmation d’une culture à
courte distance hiérarchique.

Hofstede énumère les traits d’une culture à longue ou courte distance


hiérarchique au niveau des systèmes sociaux et par la suite, applique
ses conclusions à la structure organisationnelle et aux comportements
des individus à l’intérieur de l’entreprise.

La distance hiérarchique

Longue  Courte 
L’inégalité est naturelle : chacun a droit à
une place. Ceux d’en haut et ceux d’en bas Les inégalités dans la société sont réduites.
sont protégés par cet ordre.
Les supérieurs sont inaccessibles. Les supérieurs sont facilement accessibles.
Ceux qui détiennent le pouvoir ou la
Ceux qui détiennent le pouvoir essaient de
richesse essaient de paraître moins
le démontrer autant que possible.
puissants qu’ils ne le sont.
Un conflit latent existe entre ceux qui
Une harmonie existe entre ceux qui ont le
détiennent le pouvoir et ceux qui ne l’ont
pouvoir et ceux qui ne l’ont pas.
pas.

Comme nous l’avons déjà évoqué, l’intérêt de ces travaux est de


pouvoir les appliquer à notre propre culture, en essayant par rapport
aux caractéristiques citées ci-dessus, de diagnostiquer notre cas et
de nous demander quelles pourront en être les conséquences dans un
milieu professionnel et quelles différences de vision du monde nous
pourrons avoir par rapport aux individus qui se trouvent de l’autre côté.

Ceci dit, ces catégories opposées représentent des points extrêmes,


quelques cultures peuvent se trouver selon la classification au milieu
du chemin entre un extrême et l’autre, présentant un caractère en
quelque sorte « hybride ». À titre d’information, d’après les résultats

137
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

de l’analyse statistique selon Hofstede, les pays présentant le plus


grand indice d’une longue distance hiérarchique sont : la Malaisie, le
Guatemala, le Panama, les Philippines et le Mexique. Ceux qui ont le
plus bas indice, correspondant à une courte distance hiérarchique
sont : l’Autriche, Israël, le Danemark, la Nouvelle-Zélande, l’Irlande et
la Suède. La France a obtenu un résultat intermédiaire, avec une légère
tendance à la catégorie de longue distance hiérarchique.

Les principales implications de cette première dimension de Hofstede


concernent surtout les rapports d’autorité dans l’entreprise et peuvent
être très utiles aux expatriés qui doivent exercer un poste de direction
à l’étranger. Ainsi, dans une culture à courte distance hiérarchique,
la gestion peut être plus participative, le chef doit rendre compte de
ses actes et peut accorder plus d’autonomie à ses subordonnés, qui
ne le considéreront comme un bon chef que s’il en fait autant. Dans
un pays à forte distance hiérarchique, le chef ne doit pas adopter un
comportement trop « familier » ou accorder trop d’autonomie, car ce
n’est pas ce qu’on attend de lui. Il pourra être jugé comme un mauvais
chef, un chef mou, pas assez fort ni compétent, s’il adopte une attitude
trop démocratique et s’il se montre trop accessible.

Une autre conséquence importante de cette première dimension


concerne l’application des règles : seront-elles les mêmes pour tous
ou s’appliqueront-elles seulement aux faibles ? Dans les cultures à
forte distance hiérarchique, les individus ont tendance à penser qu’il
est normal que certains individus, parce qu’ils sont chefs, aient un
traitement spécial et qu’ils aient certains privilèges, donc, des lois
spéciales.

L’égalité n’est pas une valeur pour les peuples dont l’organisation
sociale se caractérise par une longue distance hiérarchique, la
signification de certains mots liés au concept d’égalité peut être
associée à un rite d’obéissance. En chinois, le mot « solidarité » veut
dire « servir au maître ». Certains pays asiatiques et africains vivent
l’aide humanitaire ou les projets de développement comme une sorte
d’obéissance ou d’allégeance due à l’Occident. L’échec de certaines
démarches de développement dans certains pays africains semble
être aussi lié au fait que dans beaucoup de langues africaines le mot
« développement » veut dire désordre et chaos.

138
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

Voici encore quelques réflexions à propos de ces deux applications de


la distance hiérarchique dans une entreprise :

La distance hiérarchique

Courte Moyenne Longue


Le supérieur idéal est un
Le chef idéal est un Le chef idéal est un
« despote éclairé » ou un
« démocrate à 100 % » « démocrate à 60 % »
« bon père », quelqu’un
ou quelqu’un de fidèle à ou quelqu’un capable de
capable de donner les ordres
l’opinion du groupe. résoudre des problèmes.
et d’assurer la protection.
Tout le monde s’attend à ce
La loi et les règlements
La loi et les règlements que les dirigeants puissent
s’appliquent à tous de la
s’appliquent à tous, mais jouir de certains privilèges.
même façon.
on considère comme Il y a des lois et des
Il est inacceptable que normal que les supérieurs règlements spécifiques pour
les supérieurs puissent bénéficient de certains les supérieurs et d’autres
bénéficier de beaucoup de privilèges. qui ne s’appliquent qu’aux
privilèges.
subordonnés.

Les États-Unis comme le Japon sont considérés comme des pays


à distance hiérarchique moyenne. Le chef d’entreprise américain est
un démocrate qui se fait souvent appeler par son prénom, mais cette
prérogative ne doit pas être confondue par un expatrié français sous
ses ordres comme une carte blanche pour le contacter à tout moment.
Il y a une distance moyenne, donc des rites hiérarchiques à respecter.

Le chef japonais se mêle à son troupeau, en respectant la tradition


collectiviste de la culture japonaise, mais il ne se considère pas comme
l’égal de tous ses subordonnés pour autant. La hiérarchie est très
marquée au Japon, le P.-D.G. d’une grande entreprise est inaccessible
à certains petits employés, il se peut qu’ils passent toute leur vie dans
l’organisation sans oser passer devant sa porte.

L’attitude face à l’incertitude


Le contrôle de l’incertitude ou le degré de malaise face à l’incertitude
correspond à la deuxième dimension de Hofstede. Elle a été obtenue
de manière analogue à la distance hiérarchique. La question clé du
questionnaire qui permettait son identification était : « Vous sentez-
vous nerveux ou tendu au travail ? » Les possibilités de réponses
variaient entre « complètement » et « pas du tout ».

139
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Ainsi, certaines cultures sont plus à l’aise face à ce qui est nouveau,
étranger et face à l’angoisse du changement, de l’imprévu et de
l’inconnu, elles développent donc un certain confort face à l’incertitude.
D’autres cultures, au contraire, ont un faible niveau de confort face à
l’incertitude.

Hofstede part du principe que tous les individus ressentent de


l’angoisse face à l’inconnu et que chaque groupe humain a développé
et adapté des moyens de vaincre l’incertitude et d’obtenir un confort
relatif. Ce confort d’après lui peut être obtenu ou géré de trois façons :
à travers la religion, à travers les technologies et à travers les systèmes
juridiques. Dans le premier cas, la religion permettrait aux individus de
se désengager de l’angoisse de l’avenir en déposant leur futur dans
les mains de Dieu. Dans les deux autres cas (les technologies et les
lois), les individus pourraient trouver les moyens d’exercer un certain
contrôle sur le futur et d’anticiper les événements. Or, il s’agit là d’un
point de vue tout à fait occidental lié à une conception linéaire du
temps, déjà évoquée précédemment. Cette vision linéaire du temps
nous vient de la Bible et toutes les cultures ne partagent pas la même
notion du temps et ne ressentent pas la même angoisse.

Néanmoins, cette dimension de Hofstede est intéressante car elle


nous dévoile deux aspects importants dans le comportement et les
mentalités des personnes :
1. Il y a des cultures qui sont plus ouvertes à ce qui est différent,
nouveau, étranger, cela aura comme conséquence dans les affaires :
ŸŸ une plus grande facilité d’adaptation à des directives ou procédures
venues d’ailleurs ;
ŸŸ une plus grande facilité de réalisation de partenariats et de mise en
place des changements ;
ŸŸ une prédisposition pour la réception d’un nouveau produit ;
ŸŸ une résistance moins acharnée, voire une ouverture, à tout ce qui
vient de l’étranger.

2. Il y a des cultures qui se sentent très mal face à l’inconnu, à


l’imprévu. Les ressortissants de ces cultures seront plus résistants
aux innovations, aux changements, moins réceptifs aux étrangers.
Cependant, il sera facile pour eux de se projeter dans l’avenir car ils
ont une vision linéaire du temps et cherchent à contrôler le futur et
à l’anticiper, grâce à des planifications, à la gestion d’agendas et de

140
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

plannings (prises de rendez-vous et engagements à long terme). Le


marché des assurances est un bon moyen pour mesurer le degré de
confort face à l’incertitude d’une culture. Dans une culture avec faible
confort face à l’incertitude, les assureurs ont de gros chiffres d’affaires.

Les cultures féminines et les cultures masculines


Pour traiter cette dimension, Hofstede remonte à l’aube de
l’humanité pour évoquer les tâches qu’historiquement, les groupes
humains attribuent aux différents sexes. Étant donné les différences
physiologiques entre hommes et femmes, il part du principe que les
tâches attribuées aux hommes et aux femmes prennent en compte
certains éléments innés. Par exemple, les hommes dotés d’une plus
grande force physique et d’un plus grand sens de direction auraient
été, dès le départ, dans la plupart des cas, destinés à la chasse, tandis
que les femmes, ayant une plus grande habileté manuelle étaient plutôt
destinées aux travaux de tissage et de confection d’habits.

Ainsi, on pourrait parler soit d’un terrain propre au développement des


caractéristiques plutôt féminines et soit à celui des caractéristiques
plutôt masculines qui dans un sens plus large, finiraient par s’imposer
comme valeurs prépondérantes d’une culture. Ainsi, certaines cultures
seraient plus agressives, compétitives, ce qui les classerait comme des
cultures avec un grand indice de masculinité. D’autres cultures seraient
plus conciliantes, plus pacifiques, ce qui ferait d’elles, des cultures
avec un faible indice de masculinité ou plutôt des cultures féminines.

Au sein de cultures où les valeurs féminines sont prépondérantes, on


observe les éléments suivants :
ŸŸ une grande préoccupation des individus les uns envers les autres ;
ŸŸ la préservation de la nature ;
ŸŸ les hommes et les femmes ont le droit d’être tendres et émotifs ;
ŸŸ dans la famille, aussi bien la mère que le père s’occupent du matériel
et de l’affectif ;
ŸŸ l’échec scolaire n’est pas vécu comme une catastrophe.

Dans une culture avec un fort indice de masculinité, on observe les


éléments suivants :
ŸŸ la compétitivité ;

141
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

ŸŸ le succès matériel et le progrès ;


ŸŸ les hommes doivent se montrer forts ;
ŸŸ les femmes tendres et émotives ;
ŸŸ aux garçons ne serait pas accordé le droit de pleurer ;
ŸŸ l’échec scolaire serait vécu comme un désastre.

De plus, dans une culture féminine, on recherche modestie et


consensus et les individus ressentent une sympathie envers les
faibles et les infortunés, tandis que dans une culture masculine, cette
sympathie se tourne vers les forts, les individus ont le goût du combat.
Ici, comme dans les analyses précédentes, nous nous trouvons face
à deux extrêmes, il y a donc, des cultures qui se trouvent dans une
situation intermédiaire ou hybride.

Il est vrai que la compétitivité et la réussite matérielle ne sont pas


synonymes de valeur pour toutes les cultures. En Inde, par exemple,
l’homme que l’on admire n’est pas l’entrepreneur riche qui a réussi à
se bâtir un empire, mais le sage pauvre et nu qui vit dans une parfaite
sérénité. Devant lui, les riches et les pauvres se prosternent car il
incarne la plus haute réalisation possible de l’Homme.

Les résultats de cette recherche ont défini les pays les plus masculins : le
Japon, les USA, l’Autriche, l’Italie, le Mexique et la Colombie et comme
pays les plus féminins : la Norvège, les Pays-Bas, le Danemark et… la
France. Le fait que le Japon soit premier en liste pour la classification
des pays à fort indice de masculinité n’est pas du tout surprenant. Qui ne
se souvient pas d’avoir lu quelque part la tragique histoire des enfants
japonais qui se suicident à cause d’échecs scolaires ? Cependant,
le fait que la France soit classée comme un pays à culture féminine
suscite beaucoup de questions. Les Français semblent être, certes,
très sensibles à la préservation de l’environnement et ressentent de la
sympathie pour les faibles et les démunis, cela semble évident, quand
on possède l’un des systèmes de support social les plus développés
du monde.

Cependant, les Français sont également compétitifs et valorisent la


réussite sociale. Ils favorisent débat et argumentation, ce qui traduit un
penchant pour le « combat d’idées ». Mais ici encore, on doit rappeler
le fait que ces résultats sont vieux de trente ans et que les cultures
évoluent. Il est alors pertinent de savoir si, ces dernières années, la
culture française est devenue plus masculine - surtout dans le milieu

142
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

des affaires, après avoir intégré quelques valeurs venues des modèles
de gestion américains et japonais.

Cultures masculines et féminines


et leurs implications professionnelles

Cultures féminines Cultures masculines

On travaille pour vivre. On vit pour travailler.


Les managers se servent de l’intuition et Les managers doivent être autonomes. Ils
s’efforcent d’obtenir un consensus. doivent prendre des décisions.
On valorise l’égalité, la solidarité et la qualité On valorise l’équité, la compétition, la
de vie au travail. performance.
La résolution de conflits est obtenue par La résolution de conflits est obtenue à
l’engagement et la négociation. travers des discussions, voire des disputes.

Le degré d’individualisme
Le degré d’individualisme au sein des groupes humains correspond
à la dernière des quatre dimensions des travaux initiaux de Geert
Hofstede. Cette dimension a également été identifiée par Trompenaars.
La base de cette dernière classification est qu’il existe des cultures où
les intérêts du groupe priment sur ceux des individus. Hofstede donne
comme caractéristiques des cultures collectivistes3 :
ŸŸ un certain envahissement de l’intimité de l’individu par le groupe ;
ŸŸ les lois et les règles varient d’un groupe à l’autre ;
ŸŸ le pouvoir est tenu par des groupes d’intérêt.

Cependant, il ne peut pas s’empêcher d’associer son analyse à ses


propres convictions politiques, en affirmant que dans les pays à forte
culture collectiviste, la presse est souvent contrôlée par l’état et que les
idéologies communautaires prévalent sur les idéologies qui valorisent
la liberté individuelle.
L’approche collectivisme versus individualisme a des conséquences
très importantes dans le monde de la gestion :
ŸŸ dans le cadre de la mise en place des politiques de récompense et
punition des salariés ;
ŸŸ dans le processus de prise de décision et de négociation.
3.  Nous avons préféré garder ici le terme « collectiviste » à la place de « communautaire » car il
nous semble plus fidèle au terme anglais employé par l’auteur dans ses travaux : « collectivist ».

143
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Une grande multinationale américaine avait mis en place un système de


prime par performance individuelle pour ses vendeurs autour du monde.
La logique était très simple, le vendeur qui vendait le plus touchait une
prime à la fin de l’année. Dans une culture individualiste qui valorise
les résultats comme la culture américaine, le système avait marché à
merveille. Une fois exporté en Italie, cela s’est passé différemment. Dès
le départ, le directeur de la filiale brésilienne s’est manifesté pour dire
qu’il n’était pas d’accord que la prime soit accordée individuellement
et préférait la voir partagée entre les vendeurs membres d’une équipe.
Malgré cela, le siège insista sur l’aspect global de sa directive et
l’appliqua.

La première année s’écoula sans problème et à la fin, un vendeur


brésilien de 35 ans, nommé Marcos, fut élu « vendeur le plus
performant de l’année » et toucha la prime. Les autres membres de
l’équipe se sentirent plutôt fiers d’avoir un collègue si performant dans
leur groupe, et malgré quelques petites jalousies, le système semblait
bien marcher. La surprise arriva à la fin de la deuxième année. Les
patrons remarquèrent que Marcos n’était plus aussi performant et, par
conséquent, toute l’équipe. Or, angoissé vis-à-vis du groupe de se voir
attribuer deux fois de suite le poste de vendeur le plus performant,
Marcos fit en sorte que ses ventes ne soient pas meilleures que celles
des autres. Inconsciemment, les autres firent la même chose, car les
performances cette année-là atteignirent les niveaux les plus bas dans
l’histoire de la filiale brésilienne. Le système de prime fut alors revu par
le siège et une exception de prime collective fut accordée à la filiale du
Brésil.

Cet épisode illustre bien le décalage entre cette directive issue d’une
culture individualiste et le contexte culturel collectiviste. Les cultures
collectivistes ont une tout autre logique d’interprétation du monde.
Au Japon, par exemple, le créateur du walkman déclara qu’il avait
cherché à développer un mode d’écoute pour ne pas déranger les
autres personnes. Or, ce raisonnement est totalement opposé à celui
d’un jeune Occidental qui voit dans le walkman un moyen d’écouter
ses musiques préférées sans être dérangé par les autres. En Occident,
lorsqu’ils s’entraînent à la veille d’une grande course, les athlètes
mettent des masques pour ne pas se laisser contaminer par les autres,
tandis qu’en Chine et au Japon, les personnes enrhumées ou malades
portent des masques pour ne pas contaminer le reste de la population.

144
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

Lors d’échanges avec des interlocuteurs issus de cultures collectivistes,


les déplacements et les négociations se font forcément en groupe et
les décisions, pour la plupart, sont prises également après discussion
en équipe. Ces personnes tiennent beaucoup à leur image au sein
du groupe, donc, si vous avez des subordonnés songez à ce que les
réprimandes, les critiques ne soient pas faites devant les autres. D’une
façon générale, les primes, promotions et punitions sont partagées ou
subies collectivement. Il est facile de motiver et intégrer une équipe
formée de personnes issues d’une culture collectiviste. Généralement,
les liens interpersonnels au sein de ces équipes sont très forts et
renforcent leur adhésion et leur envie de travailler ensemble vers un
but commun.

Généralement dans les cultures individualistes, les individus négocient


seuls ou en groupes réduits de deux ou trois personnes. Ce sont des
individus très autonomes et indépendants, souvent bien taillés pour
des postes qui demandent une grande autonomie et une grande
initiative. Ces individus ont besoin de reconnaissance quand leur travail
est bien fait. Même si elles sont discutées en équipe, les décisions se
prennent plus rapidement grâce à un haut degré d’autonomie. Pour
se sentir motivé et intégré dans une équipe, un individu issu d’une
culture individualiste a besoin de connaître le rôle de ses qualités et
atouts individuels pour l’atteinte d’un but commun et de savoir que
sa collaboration sera considérée, au sein de l’équipe, en termes
d’évaluation individualisée de ses compétences.

Les cultures à long et à court terme


Il y a une cinquième dimension qui a, par la suite, été rajoutée aux
quatre précédentes. Dans les années 1980, Hofstede se rend compte
que son questionnaire était le fruit d’un esprit occidental, soumis à son
propre conditionnement culturel et qu’il n’était peut-être pas applicable
partout. En effet, il s’est aperçu que la plupart des membres des
pays asiatiques avaient répondu au questionnaire sans pour autant
avoir trouvé qu’il illustrait bien les valeurs qui leur étaient chères. Le
questionnaire n’était pas pertinent, car il manquait d’une certaine
adaptation. Avec un autre chercheur canadien travaillant à l’université
de Hong Kong, Hofstede prépare alors une version adaptée de son
questionnaire qu’il fait envoyer à tous les ressortissants des pays qui
avaient répondu au premier. Les résultats lui permettent de mettre
à jour une cinquième dimension, caractérisée par ce qu’il appelle

145
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

« dynamisme confucéen ». Les principales valeurs qui semblent se


dégager de cette nouvelle dimension et qui n’avaient pas été prises
en compte par les précédentes sont : la persistance (persévérance),
l’organisation sociale par statut, l’épargne et la préoccupation avec la
« face » et les apparences. Malgré son effort de compréhension des
cultures asiatiques, son analyse reste très occidentale et la majorité de
ces cultures semble toujours lui échapper.

La différence de perception du temps - qui est linéaire pour la plupart


des Occidentaux et cyclique pour la plupart des Asiatiques - n’est pas
le seul facteur d’altérité. À tout cela, il faut ajouter des différences de
valeurs accordées à tous les aspects de la vie : par exemple, le fait
que les Asiatiques valorisent le silence, tandis que les Occidentaux
valorisent la parole. Les managers occidentaux qui négocient avec des
Asiatiques se sentent normalement très gênés face aux longs silences
impénétrables qui s’installent lors des réunions. Pour la sagesse
chinoise, plus on parle, plus on s’éloigne de la vérité.

Invité à faire une conférence dans une grande entreprise japonaise, un


professeur américain s’est désespéré devant un public qui semblait
« dormir » profondément. Il a tout essayé pour attirer leur attention et
leurs regards, en vain. Désolé en quittant la salle de conférences, il
apprend que son intervention avait été très appréciée. « Comment se
fait-il ? demanda-t-il à son interprète. J’étais si monotone que je les
ai endormis. - Erreur, répondit le traducteur, ils ne dormaient pas, ils
vous écoutaient très attentivement. » La discussion a aussi d’autres
inconvénients : elle développe un esprit critique, ce qui est incompatible
avec la « sauvegarde de la face ». Perdre la face en Asie constitue quelque
chose de beaucoup plus grave qu’en Europe, c’est être déshonoré à
vie. C’est pour cette raison-là que la plupart des Asiatiques, surtout
les Japonais, ne disent jamais « non » directement. Si l’on n’est pas
d’accord avec son interlocuteur, on préférera utiliser une formule du
type : « on y pensera » au lieu de dire : « cela ne m’intéresse pas ».
À l’interlocuteur de saisir le contexte et de comprendre le message.

146
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

Les sept dimensions de Trompenaars

Les recherches de Trompenaars se basent aussi sur les réponses


obtenues dans un questionnaire, mais contrairement à Hofstede qui a
prévu des degrés de réponse variant de « tout à fait d’accord » à « pas
du tout d’accord », la plupart de ses questions comportaient comme
réponses « oui » ou « non ».

Un exemple de question serait : « Votre chef vous demande de venir


peindre sa maison un dimanche matin, irez-vous ? »

L’analyse de réponses positives et négatives lui a permis d’obtenir une


analyse statistique et d’identifier sept dimensions culturelles :
1. les relations et les règles (ou l’universel et le particulier) ;
2. le groupe et l’individu ;
3. les sentiments et les rapports ;
4. les cultures spécifiques et les cultures diffuses ;
5. les cultures basées sur le statut social et les cultures basées sur les
résultats ;
6. la gestion du temps : orientation vers le passé, le futur et le présent
et le séquentiel versus le synchrone ;
7. le contrôle de la nature : cultures volontaristes et cultures
déterministes.

Règles et relations (ou les universalistes versus les particularistes)


Trompenaars ne propose pas des dichotomies représentées par deux
types de comportement basés sur deux extrêmes qui permettent
par la suite une classification des cultures, ce consultant propose ce
qu’il appelle deux pôles de réconciliation complémentaires propres à
toute culture en permanent mouvement dynamique (voir le schéma
suivant). Seulement il part du principe que certaines cultures auront
tendance à être plus proches d’un pôle dans certaines circonstances
que dans d’autres. Ce qui peut déclencher des comportements plutôt
« particularistes » chez les uns ne le fera pas chez les autres. Toutefois,
malgré son effort holiste, son analyse des cultures n’échappe pas à la
classification par catégories à la Hofstede.

147
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Au cours de cet ouvrage, nous avons déjà évoqué et traité quelques


dimensions qui émergent des travaux de Trompenaars : la relation
entre les cultures diffuses et les cultures spécifiques, l’orientation des
cultures envers le passé, le présent ou le futur. Les dimensions qui
traitent du groupe versus l’individu et de la gestion du temps synchrone
versus séquentiel ressemblant énormément aux conclusions de
Hofstede et de Hall déjà évoquées, nous avons jugé bon de ne pas les
aborder. La dimension universalistes versus particularistes a également
été évoquée lorsque nous avons analysé le piège de l’universalisme, il
nous reste juste quelques remarques à faire à ce propos en ce qui
concerne la construction et l’entretien des rapports.

Comme nous l’avons vu, les universalistes partent du principe qu’il


existe des règles générales qui s’appliquent à toutes les personnes
sans exception, tandis que les particularistes se sentent plutôt « prêts »
à adapter ou sacrifier ces règles au profit d’une situation spécifique.
De ce fait, cette dimension peut également être présentée comme la
dimension : « règles versus relations ».
Pour bien illustrer l’effort cyclique de dynamisme complémentaire entre
les deux pôles voulu par l’auteur, nous nous proposons de reproduire
son schéma originel, qui existe aussi pour toutes les autres dimensions.

Réconciliation entre l’universalisme et le particularisme

148
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

À travers ce schéma4, Trompenaars affirme que tout extrême est nocif


et que la « dite » réconciliation consciente ou non entre les deux pôles
serait la clé des synergies productives dans une relation interculturelle.

Quelques aspects spécifiques des cultures universalistes


et particularistes dans les affaires
Le premier aspect qui démontre une différence est le contrat. Les
cultures à tendance universaliste sont très attachées à des contrats
écrits très techniques, très rigides et très détaillés, tandis que les
contrats élaborés par des cultures à tendance particulariste sont,
pour la plupart, plus souples et permettent une plus grande marge
d’adaptation et d’interprétation. La conception et la valeur des contrats
peuvent mettre en danger la relation entre deux partenaires à tendances
opposées. Par ailleurs, les cultures particularistes se basent sur les
relations interpersonnelles, et comme nous l’avons vu, la création et le
maintien de la confiance à ce niveau sont essentiels pour l’enjeu.

Cet aspect de la relation interpersonnelle est souvent méprisé ou


négligé par les ressortissants des cultures universalistes. Au Japon, par
exemple, John Thomson, un Américain, négociait dans le cadre d’une
joint venture. Après des mois chez les Japonais, estimant que Thomson
les connaissait assez pour leur susciter la confiance, le siège américain
juge que le moment est venu de consolider l’alliance et lui envoie
pour signature des Japonais un contrat de plus de cinquante pages
prévoyant toutes sortes de situations. Le correspondant américain,
qui commençait en effet à comprendre les Japonais, s’est heurté à la
réception de ses directives. Il savait qu’un tel contrat si précis et trop
complet serait interprété par ses collègues japonais comme un manque
de confiance évident des Américains envers leur parole. Désespéré, il a
appelé son patron aux USA et a essayé, en vain, de le dissuader de faire
signer aux Japonais le contrat. Inutile. Le siège voyait dans ce contrat, la
seule preuve de confiance envisageable dans la négociation. Thomson
décide alors de parler à son homologue japonais pour lui expliquer
l’importance d’un tel contrat pour les Américains. À sa surprise, après
l’avoir écouté, son interlocuteur lui demande simplement : « Monsieur
Thomson, après la signature du contrat est-ce vous qui continuerez
à être notre correspondant dans le cadre de cette alliance avec les
USA ? » Confus, l’Américain ne savait que répondre. Il n’avait pas
encore envisagé cette possibilité. Normalement il était au Japon pour

4. Basé sur Trompenaars, 1998, voir bibliographie.

149
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

la phase de négociation. Le Japonais continua : « Car, si c’est vous qui


continuez, ce n’est pas grave, nous signerons le contrat. »

L’exemple illustre bien les rapports entre une culture universaliste


basée sur les règles - comme la culture américaine où les accords
écrits deviennent des lois et priment sur les individus (les avocats, ne
sont-ils pas trop nombreux et puissants aux USA ?) - et une culture très
particulariste - comme la japonaise, où la qualité d’une relation établie
avec un interlocuteur étranger et la confiance sont les seules garanties
d’un compromis à long terme.

Un autre exemple est celui d’une entreprise des Émirats Arabes Unis
qui achetait des balles de base-ball à une petite entreprise canadienne.
Carl Simpson, un sympathique Canadien d’environ cinquante ans, était
le correspondant canadien qui avait réussi le contrat millionnaire de dix
ans sans interruption avec les Arabes. Cette prouesse lui a valu une
promotion et de simple représentant, Simpson a été élevé au poste de
directeur adjoint.

Par conséquent, son poste de correspondant aux EAU a été pris en


charge par quelqu’un d’autre. Puisque le contrat était déjà signé, c’était
une garantie non ? Quelle ne fut pas la surprise des Canadiens, quand
moins d’un an après, le client des balles ne passait plus de commandes
et ne recevait plus le produit. Interrogés par le correspondant remplaçant
de Carl, les Arabes ont répondu que le contrat n’était plus valable,
puisqu’ils avaient négocié avec Simpson et que Simpson n’y était
plus. Les Canadiens, plutôt universalistes, avaient vu dans leur contrat
en papier, une espèce de « loi » qui compromettait les deux parties
dans un engagement indépendamment de l’identité du correspondant.
Or, pour une culture à tendance particulariste comme celle des EAU,
ce sont les relations qui comptent. Comme Carl était parti, ils ne se
sentaient plus obligés d’honorer le contrat.

Une autre impasse peut apparaître au moment de primes ou d’évaluation


des performances des salariés. Par exemple, si une entreprise crée un
système de récompense par chiffre de ventes, qui mériterait le plus la
prime ? La vendeuse dévouée qui n’a pas une grande performance
parce que son fils est malade dans une chaise roulante et que son mari
est parti de la maison, ou le jeune vendeur peu engagé à long terme
avec l’entreprise, qui vend énormément, mais habite chez ses parents
et n’a pas de soucis d’argent ou des factures à payer ?

150
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

Dans une culture à tendance universaliste, c’est simple : celui qui vend
le plus aura la prime indépendamment des autres circonstances de
sa vie personnelle. D’autre part, dans une culture particulariste, les
choses deviennent un petit peu plus compliquées : les circonstances
qui caractérisent la situation personnelle de la vendeuse la rendent
plus digne de recevoir la prime aux yeux des autres salariés et cela
peut engendrer un vrai problème pour l’entreprise si, malgré tout, elle
décide de récompenser le jeune homme. Il faut être très attentif à cela.

Quelques conseils pour traiter avec des cultures universalistes


et des cultures particularistes5

Si vous êtes plutôt particulariste Si vous êtes plutôt universaliste


Préparez-vous à des arguments
Préparez-vous à des sujets personnels et
« rationnels », « professionnels » et des
banals qui vous donneront l’impression
présentations qui témoignent de votre
d’aller nulle part.
savoir-faire et de votre compétence.
Ne considérez pas un comportement
Ne prenez pas une attitude impersonnelle
personnalisé et un besoin de connaître
ou très « business » comme une offense ou
ou de se faire connaître comme des
un comportement rude.
« foutaises ».
Si vous avez des doutes, préparez bien Prenez bien en compte que les implications
le terrain et les aspects légaux avec un personnelles peuvent avoir une influence et
avocat. un impact sur vos contrats.

En ce qui concerne l’approche de Fons Trompenaars, il reste trois


dimensions pour l’analyse des différentes cultures.

Les sentiments et les rapports


Ce qui est intéressant et à la fois dérangeant à propos de notre culture,
c’est le fait qu’elle détermine non seulement notre façon de comprendre
rationnellement le monde qui nous entoure, mais également la façon
dont nous ressentons des émotions. Quelque chose de très émouvant
dans une culture, comme un symbole ou une musique, peut ne rien
signifier dans une autre.

Les êtres humains établissent des rapports les uns avec les autres
et avec le monde extérieur. D’une certaine façon, la culture vient
également régler l’intensité des émotions dans le cadre de ces rapports
entre les personnes, ou avec l’environnement externe. Certaines

5.  Source : Trompenaars, 1998.

151
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

cultures n’acceptent pas la démonstration publique des sentiments.


Démontrer ses sentiments à des étrangers est quelque chose de mal
vu, que l’on doit éviter. En Chine, par exemple, un parent embrassera
difficilement son enfant dans la rue, devant des inconnus. Au Japon,
les montagnes russes des parcs à thème importées des USA ont dû
être adaptées pour que les Japonais, trop préoccupés à retenir leur
joie et leur excitation, ne se cognent pas la tête pendant le trajet. Autre
exemple, les Anglais ont du mal à démontrer leur colère. S’énerver,
perdre le contrôle est considéré comme un manque de politesse pour
les uns, comme une faiblesse pour les autres.

Prenons l’incident de ce gentleman anglais, manager confirmé, la


cinquantaine, envoyé par une grande boîte d’assurance britannique
discuter un contrat avec des interlocuteurs saoudiens en Arabie
Saoudite. Doté dès le départ d’un planning très strict de trois jours de
négociation, il se sent énervé par le fait que ses hôtes veuillent discuter
davantage, de manière exhaustive, sur des points qu’il juge moins
importants. Bon gentleman qu’il est, il ne démontre surtout pas son
énervement. La rougeur qui monte sur ses joues est interprétée par
les homologues saoudiens comme l’effet de bouffées de chaleur. Huit
jours après, toujours pas de contrat signé, le manager anglais tombe
malade, il fait une crise cardiaque et est rapatrié d’urgence. Le fait
d’avoir retenu sa colère lui coûte trois semaines sous observation dans
un hôpital. L’exemple semble anecdotique, il est pourtant vrai.

Certaines cultures, comme la culture italienne, valorisent la


démonstration exacerbée des émotions. Ce comportement est vu
comme un signe d’authenticité. Les Italiens vivent et expriment leur
colère de manière chaleureuse, ce qui leur permet de résoudre plus
facilement des conflits. Dans le cadre d’un audit interculturel italo-
brésilien, un interviewé a affirmé : « Nous les Italiens, nous avons
besoin de discussion, de dispute. C’est notre façon de progresser,
nous avons besoin du conflit, sans conflit il n’y a pas de progrès. » Or,
l’évitement du conflit est une caractéristique marquée des Brésiliens,
qui ont peur d’entraîner avec la dispute, la perte de leurs réseaux
interpersonnels. Dans le cas précis de cette coopération, les Italiens
cherchaient à exprimer leur colère et à discuter sur tout, les Brésiliens
cherchaient à éviter cette situation de conflit, d’où le départ avant un
an d’une grande partie des expatriés italiens vers l’Italie, avec une
sensation « d’étouffement ».

152
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

Il y a certainement des rapports intimes entre les cultures diffuses et les


cultures spécifiques et les cultures plus émotives et plus neutres, il y a
également des rapports entre le particularisme et l’universalisme. Mais
le fait d’être une culture émotive ne veut pas forcément dire que l’on est
une culture diffuse et particulariste. Les Américains, par exemple, sont
très émotifs, et cependant, très spécifiques et universalistes.

Les Français séparent bien tout ce qui relève de la vie professionnelle


de ce qui relève de la vie personnelle et ce n’est pas pour autant qu’ils
ne sont pas une culture émotive.

Bien évidemment, les ressortissants d’une culture émotive jugeront


leurs interlocuteurs d’une culture neutre comme des gens insensibles,
hypocrites, distants, sans sens de l’humour. D’autre part, les
ressortissants d’une culture neutre trouveront les premiers exagérés,
sans contrôle, déséquilibrés. En fin de compte, il faut se rappeler tout
simplement que tout être humain ressent des émotions : dans tous
les pays du monde et dans toutes les cultures, on ressent la tristesse,
la joie, le stress, l’angoisse… Les émotions sont universelles, ce sont
les circonstances qui les provoquent et la façon de les exprimer qui
changent d’une culture à l’autre.

Dans une relation professionnelle, les émotifs auront tendance à tout


prendre personnellement : les critiques, les compliments. Cependant il
est plus facile de les motiver et de les attacher au projet et à l’entreprise
car ils développent un lien émotionnel avec leur travail. Les neutres ne
laisseront pas toujours transpercer leur colère et leur désaccord, ce
qui peut bloquer le processus ou refaire surface plus tard, comme un
souci non résolu au bon moment et qui prend des proportions énormes
et devient nocif. Le bilan de la relation est crucial pour permettre aux
participants de mieux comprendre à la fois leurs propres modes
d’expression de leurs sentiments et ceux de leurs collègues.

Être versus Faire


« À César, ce qui appartient à César », dit le dicton. Et César doit donc
être traité et reconnu comme tel partout. Cependant, les règles globales
de négociation préconisent la non-prise en compte des statuts. Ceci
est une des plus grandes gaffes interculturelles qui puissent avoir
lieu. Nous avons vu que certaines cultures se caractérisent par une
longue distance hiérarchique qui reflète souvent les inégalités de leurs

153
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

systèmes sociaux. Nous avons également constaté que certaines


cultures sont diffuses et que, par conséquent, les titres et les positions
sociales des personnes les accompagnent à tout moment de leurs vies.

Ne pas prendre en compte un titre, une certaine position sociale


d’un interlocuteur issu d’une culture diffuse et à longue distance
hiérarchique est sans doute un manque de sensibilité qui mènera
sûrement à un échec retentissant. Dans un processus de négociation,
les ressortissants d’une culture qui accorde de l’importance aux
statuts n’accepteront pas de négocier avec des personnes qui ne leur
ont pas réservé une certaine déférence. Ils n’accepteront pas non plus
de négocier avec des gens qu’ils considèrent inférieurs à leur rang.

Cette dimension de Trompenaars est intéressante car elle nous


rappelle également que dans la vie d’une entreprise - surtout en ce qui
concerne la politique de gestion de ressources humaines -, certaines
pratiques (la formation, la promotion, le recrutement) se focaliseront
sur l’importance accordée à certains diplômes de certaines écoles,
le sexe, l’âge, les antécédents familiaux et les statuts des personnes.
À l’opposé, se trouveront les cultures qui possèdent d’autres critères
tels que les résultats accomplis, ou les qualités personnelles et
compétences pour orienter leurs choix.

Résumons une illustration proposée par l’auteur. Anne Jones, une


jeune femme anglaise, a exercé brillamment son poste de directrice
adjointe de marketing dans le siège de son entreprise à Londres, ce
qui lui valut une promotion pour un poste de directrice marketing de la
filiale à Istanbul. Arrivée sur place, elle s’est vite rendu compte que les
salariés n’obéissaient pas à ses ordres, tandis que ceux de son adjoint,
Tariq, un Turc de quarante-cinq ans, étaient suivis immédiatement.
Tariq occupait avant elle la position de directeur du marketing : il était
d’une extrême gentillesse, mais d’une grande incompétence. À dire
vrai, le siège l’envoyait pour prendre les choses en main et ensuite le
renvoyer. Anne avait été bien reçue, mais après quelques semaines,
elle s’est vite rendu compte que sa voix n’était pas entendue. Elle a
donc commencé à faire passer ses directives par le biais de Tariq. À sa
surprise, les choses ont bien marché. Anne a donc contacté le siège
pour expliquer ce qui se passait et qu’en tant que femme et trop jeune,
elle n’arriverait pas à communiquer ses ordres sans passer par Tariq,
qui, lui, était un homme et plus âgé qu’elle. Dégoûtée, après quelques
mois, de jouer l’éminence grise, elle a décidé de quitter Istanbul.

154
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

Le plus embêtant pour les ressortissants des cultures qui valorisent


les statuts est le fait que leurs statuts ne soient reconnus que par les
autres membres de leur culture. Cela réduit donc ses manœuvres et
ses chances d’être convenablement recruté ailleurs grâce à eux. Un
bon exemple est celui du jeune diplômé polytechnicien français qui est
parti aux USA chercher un travail. Lors de ses entretiens d’embauche,
il tenait à répéter sans cesse qu’il avait fait l’École Polytechnique. Ses
recruteurs américains finirent par s’énerver et lui dire : « Très bien,
ça, vous nous l’avez déjà dit plusieurs fois, maintenant dites-nous
ce que vous savez faire. » Tout cela, parce qu’un diplôme de l’École
Polytechnique ne veut strictement rien dire aux USA. L’école française
la plus célèbre et dont le diplôme semble être le plus valorisé sur le
sol américain est la Sorbonne. De plus, les Américains accordent
moins d’importance aux diplômes que les Français, ils misent sur les
expériences antérieures de leurs candidats, même si ces expériences
ne viennent pas tout à fait du même type de poste pour lequel les
candidats sont en train de postuler. Bien sûr, un diplôme de Harvard
ou de Yale est une clé pour ouvrir plusieurs portes, mais ce qui compte
avant tout diplôme ce sont les choses accomplies, les initiatives, les
résultats.

De même, il est très difficile pour les ressortissants des cultures


étrangères de se faire embaucher dans un pays où les statuts sont
valorisés, car ils ne seront pas forcément au courant de la hiérarchie
de valeurs accordées à leur formation, âge, sexe, etc. Cela réduit
largement les chances pour eux qui n’ont pas intégré le système dès
leur jeune âge et peut signifier une perte de grands potentiels.

Le contrôle de la nature : cultures volontaristes versus cultures


déterministes
La dernière des dimensions traite des rapports avec la nature ou avec
l’environnement externe. De ce fait, il y a d’un côté, les cultures qui sont
plutôt volontaristes et qui veulent maîtriser le monde extérieur. Selon
leur logique, la nature doit se plier aux volontés des hommes. Cela est
très caractéristique des cultures occidentales. D’un autre côté, il y a
les cultures qui subissent la nature, c’est intimement lié à la religion6 :
« C’est la volonté de Dieu », « c’est écrit et on ne peut rien y faire ». Pour
les premiers, ceux qui subissent la nature sont des soumis, des faibles,

6. Cf. Partie I - Chap. 5.

155
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

des mous. Pour les deuxièmes, ceux qui veulent tout contrôler sont
des arrogants, des fous, des sauvages.

Il s’agit là encore de deux tendances présentes dans toutes les


cultures, certaines cultures ayant une tendance à être plus volontariste
que d’autres. Les deux comportements ont des avantages et des
inconvénients et également plusieurs implications :
ŸŸ dans le management stratégique et organisationnel : conception et
mise en œuvre des stratégies, des politiques et directives ;
ŸŸ dans le management des hommes : choix des leaders, types de
travail, comportements au sein d’équipes.

Les individus issus des cultures volontaristes adoptent normalement


une attitude dominatrice voire agressive dans leurs discours sur
l’environnement externe. Ils tiennent à faire de la résistance et n’hésitent
pas à créer ou gérer des conflits, car cela est pour eux une preuve
de la force de leurs convictions. Ces individus sont également très
centrés sur eux-mêmes, leurs positions, leur entreprise. Ils se sentent
très mal à l’aise dans un environnement changeant où tout semble
hors contrôle. D’autre part, les déterministes sont caractérisés par une
attitude flexible, une quête de compromis et d’entente. Ils cherchent
à être plutôt réactifs que proactifs, ils sont très centrés sur l’Autre : le
partenaire, le client, le collègue. Enfin, le changement et l’instabilité
sont pour eux des mouvements normaux, des cycles naturels.

Dans le quotidien de travail et lors de négociations, les volontaristes


considèrent que la chose la plus importante est d’atteindre ses
objectifs. Pour eux, dans la vie, il y a des perdants et des gagnants. Ils
n’hésiteront pas à tester la résistance et la capacité de riposte d’un rival
ou concurrent. Les déterministes sont plutôt souples et considèrent
que la politesse et la patience sont la clé pour obtenir une promotion.
Le plus important n’est pas d’atteindre un but, mais de sauvegarder
des rapports. Les victoires sont souvent ressenties comme des acquis
collectifs.

Il y a évidemment des liens entre ces deux types d’attitudes et les


contextes religieux, comme il y a des parallèles à établir avec d’autres
dimensions déjà traitées.

156
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

L’analyse des cultures basée sur les antécédents historiques :


une approche française

Le Français Philippe d’Iribarne a publié en 1989, le premier ouvrage sur


le rapport entre la gestion des entreprises et les cultures nationales.
Son livre intitulé La Logique de l’honneur présente une analyse de trois
cultures : la française, l’américaine et la néerlandaise. D’une manière
générale, il se base sur les antécédents historiques de chaque culture
pour essayer de comprendre certains comportements très ancrés dans
le quotidien du travail des personnes et, apparemment, inexplicables
ou illogiques.

Ainsi, le quotidien des relations dans une entreprise française


aujourd’hui reproduit les paradigmes de l’Ancien Régime. Si à l’époque
des rois, on était « noble » ou « pas noble », dans l’entreprise française
de nos jours, on est « cadre » ou « pas cadre ».

Les Américains, eux, sont les héritiers des premiers immigrants,


marchands puritains des classes moyennes aisées qui ont fui
l’Angleterre à cause des persécutions religieuses, et créateurs d’un
Nouveau Monde marqué par les principes de leur religion : l’équité et
l’égalité gardées par la suprématie d’un système de lois universelles,
d’où l’importance des règlements, des avocats et des contrats dans
l’actualité des organisations américaines.

Les Néerlandais, de leur côté, seraient les héritiers d’un long


processus de convivialité et compromis entre plusieurs religions et
plusieurs peuples différents vivant ensemble depuis le XVIe siècle. Cela
expliquerait leur lutte contre les discriminations, leur système égalitaire
et leur talent de compromis, ainsi que leur pratique du consensus dans
les affaires.

157
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Cultures  Française Néerlandaise Américaine


La bourgeoisie
Le chevalier entrepreneuriale Le pèlerin
Racines
du Moyen Âge et multiculturelle du Nouveau Monde
du XVIe siècle

Aspects à prendre en La logique du contrat


La « logique de La quête du
compte pour travailler « We have a deal »
l’honneur » consensus
et négocier avec Fair play
Deux types
d’autorités : servile Chaque niveau a
versus légitime Forte affirmation
ses responsabilités
de l’individu
Évaluation et et ses tâches.
Implications contrôle Absence de sanctions
La bonne foi
dans la gestion et récompenses
Tolérance et est une évidence.
gestion des conflits Écoute et négociation
Le patron apprécie
permanentes
La motivation l’initiative individuelle.
du métier

Aspects à prendre en compte pour travailler et négocier


efficacement avec des Français (Comprendre comment fonctionne
la « logique de l’honneur »)
Pour comprendre comment fonctionne le système de la « logique
de l’honneur », il faut rappeler quelques événements de l’Histoire.
En 1789, en France, la Révolution représente officiellement la fin de
l’Ancien Régime et des privilèges. Avant 1789, la société française
était divisée en trois états bien définis : l’aristocratie, le clergé et le
Tiers État. L’appartenance à chaque état dépendait de la naissance
(sauf pour le clergé). Chaque état avait ses devoirs et son rôle dans
l’organisation. La mobilité sociale était difficile et s’effectuait à travers
une sorte de rituel de purification, pour devenir chevalier, par exemple,
un écuyer devait passer toute une nuit en veille dans la chapelle pour
« se purifier » avant le sacre.

Avec la Révolution, les privilèges ont été abolis, mais la division de


la société en « états » est restée. Dans la France actuelle, la mobilité
sociale reste réduite et les modalités de rites de passage d’une couche
sociale à une autre ont été remplacées.

Pour « s’anoblir » désormais, on réussit des concours pour les


grandes écoles ou on reçoit une promotion « niveau cadre » au sein
de l’entreprise.

158
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

L’expression « logique de l’honneur » vient d’une citation de


Montesquieu : « La monarchie ne devient pas despotisme grâce à
l’existence d’une logique de l’honneur »7.

L’honneur est donc : « un préjugé de chaque personne et de chaque


condition avec ses devoirs ». Ce concept est fondé sur la tradition, lié
à la fierté que l’on a de son rang et la crainte d’en déchoir. Ainsi, tout
professionnel français est bien fier de son « rang », cela se traduit, par
sa profession, son métier et également par le milieu social qu’il intègre.
C’est pour cette raison que le contrôle et l’évaluation du travail d’autrui
sont souvent mal reçus par les salariés des entreprises dans ce pays.
Chacun est censé connaître son travail et ne se doit pas de vérifier ou
critiquer le travail des autres. La logique de l’honneur est renforcée
par quelques considérations de l’historien Tocqueville sur l’Ancien
Régime et la Révolution. Ce dernier nous rappelle que depuis le passé,
l’opposition entre ce qui était « vil » et « noble », « pur » et « impur »
est très forte dans la mentalité française. Nous pouvons l’apercevoir
encore dans notre vocabulaire quotidien. N’y a-t-il pas des expressions
courantes comme : « il fait un sale boulot », ou « il réalise une tâche qui
l’anoblit » ?

Dans la France pré-révolutionnaire, le commerce était une activité


réservée au Tiers État et par conséquent, vu comme une activité
vile et impure et cela reste encore ancré dans l’inconscient collectif
aujourd’hui. Normalement les philosophes et les intellectuels, les
ingénieurs sont bien considérés dans la société française. Ceux qui ont
fait des études de gestion dans une école de commerce restent encore
juste au-dessous dans la pyramide sociale, parce qu’ils sont des
« commerciaux ». Quoique les cultures évoluent et que les mentalités
changent, cela reste encore perceptible de nos jours. La hiérarchie
sociale en France a non seulement opposé celui qui a à celui qui n’a
pas, mais surtout celui qui est regardé comme vil à celui qui est regardé
comme noble. Cela explique aussi pourquoi les Français ont tant de
difficulté à parler d’argent. Il est très difficile pour un Français d’aborder
le sujet de son salaire et de sa rémunération lors d’un premier entretien
d’embauche. Celui qui parle d’argent, est en train de « s’avilir » et peut
perdre toute considération et se rabaisser aux yeux de son interlocuteur.

Pour un Français, la logique de l’honneur a des implications


importantes en ce qui concerne la perception de l’autorité. Elle permet
de comprendre la différence entre un pouvoir honoré et accepté et un

7. L’Esprit des lois.

159
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

pouvoir méprisé et craint. Pour obéir, le Français doit avoir l’impression


que le chef possède la légitimité d’occuper cette position, qu’il mérite
son respect. Selon la logique de l’honneur, « on n’obéit qu’à plus noble
que soi ». S’il a l’impression qu’il possède plus d’expérience et de
savoir-faire que son supérieur, il ne le respectera pas. Par conséquent,
le chef français est censé « tout savoir », il doit éviter de donner des
signes de faiblesse en demandant à un subordonné de l’aide lorsqu’il
ne sait pas.

Cela a des conséquences dans la gestion des relations avec les clients.
Beaucoup d’étrangers se plaignent que les serveurs et commerçants
français ne sont pas aimables et ne savent pas servir. Il se trouve que
ces serveurs « mal aimables » ne reconnaissent pas chez les touristes
la « noblesse » requise pour mériter leur allégeance. Inconsciemment,
le fait que les touristes aient de l’argent ne veut pas dire qu’ils soient
« nobles » et dignes de leur respect. Ainsi, les Français seraient plutôt
« serviables » dans une relation et non « serviles », ce qui les remettrait
dans une relation de pouvoir imposé non légitime.

Ce que les étrangers doivent savoir pour travailler efficacement


avec des Français

ŸŸ Inadéquation d’une approche contractuelle à l’américaine : le


contrat français est plus souple et moins détaillé, les détails viennent
avec des accords postérieurs ou au long de la relation sur la parole
d’honneur des parties.
ŸŸ Le Français ne fait affaire qu’avec quelqu’un qui appartient à
l’équivalent de son « rang » (sa profession et sa position sociale).
Les médecins, par exemple, ne fréquentent pas les infirmiers dans la
cafétéria d’un hôpital.
ŸŸ Rendre service sans être « servile » : la logique américaine où « le
client est le roi » se heurte à la logique française.
ŸŸ La force et la fierté des métiers peuvent faire obstacle, mais peuvent
aussi être une source de motivation.
ŸŸ Mobiliser : si vous allez gérer des Français, il vaut mieux ne pas
importer de directives étrangères, mais se baser sur les ressorts de la
logique de l’honneur.

160
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

Aspects à prendre en compte pour travailler et négocier


efficacement avec des Américains
Les fondateurs de la société américaine voulaient une libre association
de citoyens devant Dieu. Le contrat est donc sacré pour ces colons
protestants persécutés venus du Vieux Monde. Dès le départ ils ont
fondé un contrat pour vivre en société inspiré des idéaux puritains. De
plus, tout le monde peut s’élever et s’abaisser : l’avenir est ouvert,
on peut faillir et se racheter, on n’a donc pas peur de passer tout de
suite à l’action pour après réfléchir sur ce qui n’a pas marché, chose
improbable en France, où souvent, on ne vous accorde pas une
deuxième chance après un échec.

Ce que les étrangers doivent savoir pour travailler efficacement


avec des Américains

ŸŸ Il faut que la négociation soit un échange libre et équitable entre


égaux.
ŸŸ Ils possèdent une forme simplifiée de management par objectifs
alliée à une grande liberté de moyens.
ŸŸ On vend un travail pour un salaire, ce n’est pas gênant de parler
« argent » dès le premier moment.
ŸŸ La transaction doit être « fair » (juste).
ŸŸ C’est un « deal » permanent (ils vivent dans un éternel processus de
négociation et accord).
ŸŸ L’honnêteté et la bonne foi fondent la crédibilité et le respect.
ŸŸ Si les objectifs sont remplis, c’est suffisant.
ŸŸ Vérifier le travail est un signe de sollicitude et non de surveillance.

Aspects à prendre en compte pour travailler et négocier


efficacement avec des Néerlandais
Les Pays-Bas deviennent une nation après un accord entre provinces
en 1579 (Union d’Ultrecht). Ce pays a toujours été caractérisé par
un esprit à la fois d’indépendance et de compromis qui se manifeste
dans ses institutions. Cette union a été formée par des groupes biens
distincts se considérant comme égaux et refusant la domination de l’un
par rapport à l’autre. Leur organisation s’est caractérisée également par
une grande tolérance religieuse entre catholiques et protestants. Cela a

161
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

donné une organisation sociétale par piliers séparés mais chacun avec
ses propres droits indispensables l’unité nationale.

Ce que les étrangers doivent savoir pour travailler efficacement


avec des Néerlandais

ŸŸ Culture caractérisée par une forte affirmation de l’individu.


ŸŸ Au sein de l’entreprise, il y a une formalisation des responsabilités
à chaque niveau hiérarchique.
ŸŸ Un respect des attributions des subordonnés : on ne se mêle pas
du travail d’autrui.
ŸŸ Défense de l’individu traduite par une grande résistance aux
pressions hiérarchiques.
ŸŸ Absence de sanctions et récompenses.
ŸŸ Écoute, négociation et discussion permanente, le souci de l’opinion
des autres (expliquer c’est la manière efficace d’agir), toujours à la
recherche d’un consensus.

162
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

L’essentiel
•  Plusieurs travaux sur la communication interculturelle dont ceux
de l’anthropologue américain Edward T. Hall sur le temps, l’espace
et le contexte de communication sont d’une importance majeure
dans l’analyse des comportements des individus appartenant
à des cultures différentes et impliqués au niveau stratégique et
organisationnel de l’organisation.

•  Parmi toutes les approches qui traitent de la gestion du temps,


la dichotomie monochrones / polychrones et la classification selon
l’orientation vers le futur, le passé ou le présent constituent le plus
grand outil de compréhension des différentes perceptions du temps
et de leurs conséquences. La gestion du temps a des implications
très variées qui vont du type de stratégie adoptée à des effets sur le
discours et le temps de parole des individus.

•  Les cultures ne sont pas totalement « polychrones » ou totalement


« monochrones », ni totalement « diffuses » ou « spécifiques ». Il
y a des degrés et des tendances à observer. En termes d’analyse
interculturelle, on se doit toujours de faire très attention au danger
de catégorisation des cultures selon les classifications proposées.

•  Chaque culture possède une façon de gérer l’espace extérieur


et la distance personnelle entre les individus. Les différences
de perception et de gestion de l’espace sont source de grands
malentendus interculturels.

•  Les entreprises qui adoptent une stratégie globale oublient


l’existence d’un système d’action concrète local qui amènera les
individus à systématiquement rétablir leur équilibre culturel perturbé
ou menacé par des impositions mal calculées.

•  Il est très important de pouvoir identifier les caractéristiques de


sa propre culture pour la gestion du temps et de l’espace et ses
multiples implications pour mieux gérer les situations d’interaction
avec les individus des cultures différentes.

•  Le précurseur des travaux sur les implications managériales des


cultures nationales est le Hollandais Geert Hofstede. Son analyse de
données obtenues dans les années 1970 auprès de plus de 140 pays
a fait émerger quatre dimensions qui permettent une classification

163
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

des cultures par tendance comportementale. Il classifie les cultures


selon la distance hiérarchique, le degré de masculinité, le degré
d’individualisme et l’attitude face à l’incertitude. On part toujours du
principe que les comportements qui caractérisent un système social
se reproduiront forcément au sein d’une entreprise.

•  Les pays latins, comme l’Amérique latine, et les pays arabes sont
caractérisés par une longue distance hiérarchique. Les pays anglo-
saxons et nordiques comme les Pays-Bas, l’Angleterre, la Suède
et la Norvège, par une courte distance hiérarchique. D’autres pays,
comme les USA, le Japon et la France, présentent une distance
hiérarchique moyenne.

•  La distance hiérarchique permet la compréhension des rapports


entre patrons et subordonnés au sein d’une organisation et également
entre chef et membres d’équipe dans le cadre précis d’un groupe
de travail. Elle permet de définir certains comportements à adopter
face à la hiérarchie avec les interlocuteurs étrangers.

•  L’attitude face à l’incertitude sert d’indice pour la compréhension


de certains comportements et attitudes face à la prise de risques et
l’ouverture envers les innovations et les étrangers. Des pays comme
la France, par exemple, caractérisée par un faible confort face à
l’incertitude, démontrent une grande résistance aux changements,
et sont très attachés à l’élaboration d’un planning à long terme.
Dans ces pays, on constate également que les activités liées à la
prévention des risques, comme le marché des assurances, sont très
développées par rapport à d’autres cultures.

•  Le degré d’individualisme est de grande importance pour


comprendre les systèmes de punition et récompense, le processus
de prise de décision et le processus de négociation des cultures.
Ainsi, les Japonais, caractérisés par une culture collectiviste se
déplacent en groupe et font en sorte que les intérêts du groupe
priment toujours sur ceux des individus.

•  De ce fait, les membres d’une culture collectiviste seront plus


fidèles à leur entreprise que ceux d’une culture individualiste ;
prenons en exemple la difficulté pour les entreprises américaines de
garder leurs meilleurs professionnels.

164
APPRENDRE À IDENTIFIER À QUEL TYPE DE CULTURE VOUS APPARTENEZ

•  Un autre Hollandais, le consultant Fons Trompenaars, présente


également une classification des cultures dans le cadre de sept
dimensions comportementales. Son travail peut être utilisé
comme cadre d’analyse complémentaire à celui de Hofstede. Ses
classifications permettent un haut degré d’opérationnalisation dont
les cabinets de conseil d’origine anglo-saxonne spécialisés dans les
problématiques interculturelles sont très friands.

•  Les cultures universalistes favorisent les règles au détriment


des relations, contrairement aux cultures particularistes. Il est
important d’en être conscient pour la bonne gestion du processus
de construction de relations interpersonnelles propre à toute relation
interculturelle.

•  Les cultures volontaristes partent du principe que le monde peut


être contrôlé et que l’homme peut maîtriser la nature, contrairement
aux cultures déterministes qui acceptent l’idée de destin, mais sont
plus tolérantes et gèrent mieux les imprévus. Ceci est intimement lié
à la question du contexte religieux.

•  Certaines cultures valorisent les statuts accordés par leurs


institutions : les diplômes d’une certaine école, l’âge, le sexe, etc.
Il est très important de faire attention à cet aspect lorsqu’on vient
d’une culture qui valorise plutôt les résultats.

•  Les émotions et leurs expressions sont également déterminées


par notre culture. Certaines cultures valorisent l’expression publique
des sentiments, alors que pour d’autres, cela est très mal vu et
peut être considéré comme un manque de contrôle de soi. Si l’on
vient d’une culture plutôt émotive, comme la culture italienne, il faut
faire très attention de ne pas se rendre ridicule aux yeux de notre
interlocuteur.

•  L’analyse qualitative du Français Philippe d’Iribarne a dévoilé


quelques aspects importants du comportement des individus au sein
de l’entreprise actuelle. Le chercheur a trouvé dans les antécédents
historiques de trois pays, l’explication de certaines pratiques très
spécifiques à chaque style de gestion : France, USA et Hollande.

•  Les Français fonctionnent selon une « logique de l’honneur »,


qui leur confère, entre autres spécificités comportementales, une
grande autonomie professionnelle et une réticence aux évaluations.

165
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

La pratique de licenciement est une chose difficile, les Français


préférant transférer l’employé médiocre dans une autre unité plutôt
que le renvoyer.

•  Les Américains, eux, donnent beaucoup d’importance aux


contrats et à la bonne foi. Toucher de l’argent pour son travail est une
chose normale et juste et l’esprit pragmatique leur garantit une plus
grande tolérance face aux échecs. On peut toujours recommencer,
et se racheter, chose difficile dans d’autres pays.

•  Les Hollandais se caractérisent par la quête constante du


consensus, qui leur garantit une organisation où prévaut une forte
affirmation de l’individu et où les décisions sont prises dans le cadre
de négociations et discussions permanentes. Cependant, des effets
pervers de ce consensus peuvent engendrer un comportement de
retrait face aux engagements, une agressivité non verbale et une
excessive retenue.

166
Chapitre 2
Piège n° 5 :
Le danger de la catégorisation des cultures

Dans le film Le Cercle des poètes disparus, le professeur de littérature


interprété par l’acteur Robin Williams demande à ses élèves de monter
sur leurs pupitres pour avoir une autre vision de leur environnement
externe. Nous avons déjà parlé des perceptions et stéréotypes mais
il est très important de garder cela à l’esprit quand on se lance dans
l’analyse des travaux théoriques réalisés sur les cultures.

On se doit d’être doublement attentifs, car les conclusions sur l’analyse


de différentes cultures méritent une sorte d’attestation scientifique. Les
résultats des travaux ont leur utilité. Ce sont d’importants outils et des
références, mais ils ont bien évidemment des limites : leurs auteurs
sont des êtres humains, eux aussi insérés dans un contexte culturel
occidental, européen ou nord-américain, chrétien, musulman ou juif.

Après avoir travaillé un an avec des Français, voici les impressions


d’une équipe formée de Brésiliens et d’une équipe formée d’Américains.
Il est intéressant de remarquer que les impressions changent sur
certains aspects et sont identiques sur d’autres. Les Américains et
les Brésiliens n’ont pas toujours les mêmes impressions du Français.
Leurs jugements de valeur vont dépendre de leurs propres paradigmes
culturels.

167
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Les impressions des Américains et des Brésiliens après un an de


travail avec des Français8

« Les Américains disent « Les Brésiliens disent


que les Français… » que les Français… »
d’après les travaux d’après les travaux
d’André Laurent de Virginia Drummond
Se sentent supérieurs. Se sentent supérieurs.
Donnent des ordres mais sont prêts à
Donnent des ordres et négocient peu.
négocier davantage que le chef brésilien.
Ne respectent pas les délais, ni les Sont très stricts avec les délais et les
plannings. plannings.
Insultent et réprimandent leurs employés en Font beaucoup de critiques, jamais de
public. compliments.
Se croient des experts : croient tout savoir
Croient tout savoir sur tout le monde.
sur absolument tout.
N’ont pas le sens de l’urgence. Réprimandent leurs employés en public.

Ont un système de caste et travaillent Ont une ségrégation sociale bien marquée :
seulement avec quelqu’un de leur rang. on fréquente seulement ceux de son rang.
Sont incapables de séparer les affaires des
Ne mélangent jamais travail et vie personnelle.
sentiments.
Ne donnent pas beaucoup d’importance
Donnent beaucoup d’importance à ce qui est
aux contrats écrits mais aux « paroles
écrit, y compris les contrats.
d’honneur » : engagement moral.
Le protocole est très important ainsi que le
processus tandis que pour nous, ce qui
importe, c’est que le résultat soit atteint.

Ainsi, si les Français paraissent évoluer dans une culture communautaire,


très hiérarchique, émotive, diffuse et extrêmement particulariste pour
les Américains, les Brésiliens les trouvent plutôt individualistes, très
universalistes, neutres et moins diffus avec une hiérarchie moins
marquée qu’eux, puisque : « les Français arrivent à bien séparer les faits
de la vie privée de ceux de la vie professionnelle », chose considérée
pratiquement impossible pour un Brésilien. Un jeune stagiaire en
publicité de nationalité française dans une grande chaîne de télévision
au Brésil trouvait absolument scandaleux le comportement de son
8.  Recherches de l’auteur : « Elements of Cross culturel Influence in the behavior of Brazilians
Executives in France », article présenté lors du Congrès International de la LASA (Latin American
Studies Association) Université de Pittsburgh à Las Vegas, USA, 2004 et travaux du professeur
André Laurent, INSEAD, 2000, voir bibliographie (l’INSEAD est un des plus grands centres de
formation exécutive du monde basé en France, à Fontainebleau : www.insead.edu).

168
PIÈGE N° 5 : LE DANGER DE LA CATÉGORISATION DES CULTURES

patron qui se donnait le droit de confisquer et manger les barres de


céréales et les pochettes de biscuits de ses subordonnés pendant
la pause car il n’avait rien apporté et qu’il avait très faim. Les autres
stagiaires de nationalité brésilienne rigolaient de l’indignation du jeune
français et considéraient qu’il s’énervait pour rien.

Pour ce jeune français, il y avait là clairement un abus de pouvoir, un


manque de respect et une invasion de la sphère privée des salariés
qui se privaient de leur goûter pour nourrir le chef. Interrogée sur son
attitude tranquille par rapport à cet événement presque quotidien, une
stagiaire brésilienne haussa les épaules : « Je prévois déjà deux barres
de céréales avant de quitter la maison, car je sais qu’il viendra forcément
piquer la mienne lors du goûter. Il oublie toujours d’apporter un fruit
ou quelque chose à manger, car il dit qu’il a trop de préoccupations.
J’estime qu’il n’y a pas de problème à lui donner mon goûter après
tout, c’est lui le patron, c’est tout. »

En revenant sur la leçon du film, il faut toujours rappeler qu’il


existe plusieurs façons de voir la même chose, et donc différentes
interprétations du même événement. De ce fait, il est impossible de
s’approprier une classification parfaite et absolue des cultures. Bien
que les travaux des experts disent que la culture américaine est plutôt
universaliste et individualiste la plupart du temps, il faut toujours garder
en tête le conditionnement culturel de ceux qui énoncent ce jugement.
Edward Hall disait que la culture donne des filtres cognitifs, des lunettes
à travers lesquelles nous voyons le monde autour. Eh bien, si j’ai des
lunettes bleues, je verrai forcément le monde en bleu et non en jaune.
Ce qu’il faut absolument c’est ne pas oublier que le jaune existe et
qu’il est également une option valable. Par conséquent, si quelqu’un
affirme que les Espagnols ont une culture collectiviste, polychrone, à
forte distance hiérarchique, émotive et diffuse, il faut toujours se poser
la question : « Peut-être bien, mais par rapport à qui ? »

En guise de conclusion sur les travaux des grands spécialistes

Ces travaux ont été réalisés à un moment donné : ceux d’Edward


Hall dans les années 1950, ceux de Geert Hofstede dans les années
1970, ceux de Philippe d’Iribarne à la fin des années 1980 et ceux
de Fons Trompenaars au début des années 1990. Les cultures étant
dynamiques, certains aspects peuvent changer, évoluer et ne plus
correspondre à certains des résultats. Cela ne veut pas dire que les
cultures ont changé au point de ne plus correspondre aux données et

169
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

se « décaractériser » totalement. Pour mieux comprendre, imaginons


deux photos d’une même personne prises avec un écart de vingt ans. À
l’époque de la première photo, cette personne avait les cheveux longs,
était un peu plus mince au niveau du visage. Une photo plus récente
montre que cette personne s’est fait couper les cheveux, qu’elle a pris
des kilos… mais le plus important c’est qu’il s’agit toujours de la même
personne. Or, tous les travaux d’analyse des cultures sont comme des
photos des cultures prises à un stade de leur évolution.

Les travaux d’approche anglo-saxonne (Hofstede, Trompenaars) ont


été réalisés en suivant une méthode quantitative : leurs ouvrages
proposent de nombreux graphiques - des tableaux présentant
des corrélations d’index mathématiques. Il est intéressant de lire et
d’analyser ces chiffres, mais il faut toujours être attentif. Les chiffres
sont rassurants et comblent le besoin de rationalisation des managers,
mais il s’agit là d’un piège, il ne faut pas les prendre comme des
résultats scientifiques absolus qui justifieraient une stigmatisation des
cultures, il s’agit là juste de « photos » de ces cultures ! De plus, il
faut garder en tête que les auteurs n’ont pas élargi leur approche en
incluant d’autres formes d’appartenance culturelle comme les cultures
professionnelles ou organisationnelles (dans le cas de Hofstede, la
culture de l’entreprise IBM est complètement absente de l’analyse).
Or, nous savons bien que les cultures nationales interagissent entre
elles et également avec d’autres sortes de cultures dans le cadre
d’un environnement professionnel et qu’il est important de savoir
identifier, dans un contexte précis, quelle est la sphère de culture
prépondérante : cela peut être les cultures nationales, mais également
la culture organisationnelle ou fonctionnelle…

Les approches quantitatives par leur désir d’opérationnalisation et de


généralisation laissent passer des détails importants qui caractérisent
les traits culturels d’un groupe. Par exemple, les résultats de la
recherche de Hofstede placent la France et l’Italie comme des pays
individualistes et à forte distance hiérarchique. On pourrait penser,
en lisant ces résultats, que les cultures françaises et italiennes sont
pratiquement identiques, or nous savons très bien que la manière de
vivre à la française et très différente de la manière de vivre à l’italienne.

Les travaux de Philippe d’Iribarne et ses collaborateurs, à l’opposé,


suivent une méthodologie qualitative de recherche : les données ont
été obtenues à travers des entretiens et des contacts directs avec
des individus insérés dans un environnement quelconque et par

170
PIÈGE N° 5 : LE DANGER DE LA CATÉGORISATION DES CULTURES

conséquent ces analyses interculturelles sont plus profondes et plus


fidèles. Cependant ces travaux sont très spécifiquement liés à leur
contexte, pas très faciles à lire par des professionnels de terrain ou par
des personnes qui ne sont pas familiarisées avec la recherche ou le
milieu académique, peu opérationnels, très diachroniques. Il n’est pas
question ici de dire qu’une approche est plus valide ou meilleure que
l’autre. Il s’agit là juste de rappeler l’existence de deux points de vue
différents, sans doute liés aux spécificités culturelles des chercheurs,
qui valent la peine d’être lus et étudiés et qui peuvent être un outil
efficace dans une démarche concrète. Il suffit juste de se souvenir
à tout moment, que personne ne peut prétendre avoir toutes les
réponses, que les réponses existantes ne sont pas les seules possibles
ou probables, bref, qu’il y « a toujours une autre vision du monde du
haut du pupitre ».

171
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

L’essentiel
•  Maintenant que vous connaissez tous les travaux existants et leurs
aspects opérationnels, il est important de savoir les utiliser avec
modération. Le cinquième piège de la démarche interculturelle est
de prendre les analyses des catégories culturelles à titre universel
et de les intégrer dans son jugement en tant que vérités absolues,
bref, de les transformer en « stéréotypes » du genre : « les Allemands
sont mono-chrones » ou les « Américains sont universalistes ». Il
faut toujours se poser les questions : « par rapport à qui ? » et « par
rapport à quoi ? ».

•  Les cadres d’analyses culturelles sont utiles et peuvent servir à


titre prévisionnel à la réalisation d’audits culturels avant la signature
des contrats, avant le lancement d’un produit dans un marché
étranger ou avant un entretien d’embauche dans un pays étranger,
par exemple.

•  Face à une proposition de conseil ou formation, face à un


ouvrage sur les cultures, il faut toujours garder en tête le facteur du
conditionnement culturel de celui qui énonce une classification ou
un jugement quelconque. Il ne faut pas oublier que notre vision des
autres cultures est le fruit de notre propre interprétation du monde.

172
Chapitre 3
Identifier, susciter et développer
une compétence interculturelle personnelle
et organisationnelle

Compétences organisationnelles

Au début de cet ouvrage, nous avons défendu l’idée de l’identification


et de la promotion d’une « compétence interculturelle » au niveau
organisationnel et au niveau individuel. Dans le langage des entreprises,
on parle beaucoup de compétence, de valorisation des compétences,
de compétences clés, mais en fin de comptes, qu’est-ce qu’on entend
exactement par le mot « compétence » ?

À partir des années 1990, l’entreprise se rend compte que l’obtention


et la détention à long terme d’un avantage compétitif dépendaient non
seulement d’aspects sectoriels externes (analyse des cinq forces de
Porter), mais aussi de la qualité et de la cohérence d’éléments internes
liés à la définition claire du métier, d’une base de valeurs commune
étendue qui permettrait une plus grande réussite pour la coordination
du travail et l’atteinte de buts. Cela est dû à la réflexion qui suit les
travaux des chercheurs Hamel et Prahalad9 sur le succès des firmes
japonaises qui n’appliquaient pas le management occidental classique
préconisé par Taylor et Fayol. Il s’agit du courant qui identifie les
compétences organisationnelles essentielles dites « compétences
clés », qui pourraient garantir à l’entreprise l’obtention de cet avantage
compétitif durable par rapport à ses concurrents.

9. G. Hamel et C. K. Prahalad, La conquête du futur : construire l’avenir de l’entreprise plutôt que
le subir, Dunod, 1999.

173
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Une compétence est alors entendue comme un ensemble de


ressources et savoir-faire identifiés et déployés par l’entreprise pour la
concrétisation de ses buts.

Une compétence clé serait alors un ensemble de ressources et savoir-


faire à la fois rares, difficilement imitables et difficilement substituables,
idiosyncrasiques à l’entreprise.

Compétences de l’individu

En suivant la réflexion sur les compétences clés au niveau


organisationnel, certains chercheurs (économistes, sociologues) ont
développé le courant du « capital humain ». Cette démarche place le
personnel, sa qualification et ses spécificités, comme les ressources
indispensables parmi l’ensemble des ressources et compétences
organisationnelles repérées et développées par l’entreprise pour
l’obtention d’un avantage compétitif durable.

L’identification, le développement des « compétences humaines »,


ainsi que les mécanismes de rétention de ces compétences dans
l’organisation sont les grands, sinon les plus grands, enjeux de la
gestion des ressources humaines actuelle. Selon le sociologue français
Philippe Zarifian (1996), la compétence (humaine) serait la capacité
de l’employé à assumer une responsabilité personnelle face à des
situations productives (associées à l’application systématique de
cette capacité) c’est-à-dire de trouver des solutions spécifiques à des
situations inédites.

Les compétences humaines peuvent être regroupées en trois


dimensions : connaissances, aptitudes, attitudes, en prenant en
compte des aspects techniques, sociaux et comportementaux liés au
travail.

Connaissances : Informations détenues par l’employé sur les


produits et services, sa capacité à identifier les possibilités internes et
externes de l’action et le degré de complexité de ses attributions dans
l’entreprise.

Aptitudes : l’employé sait effectuer ses tâches, sait jouer son rôle à
l’intérieur de l’entreprise (l’employé agit de manière pertinente face aux
atteintes de l’organisation selon le poste qu’il occupe).

174
IDENTIFIER, SUSCITER ET DÉVELOPPER UNE COMPÉTENCE

Attitude : liée au « vouloir-faire », à l’initiative de l’employé à entreprendre


une action.

L’efficacité d’une compétence ne peut être mesurée que dans le


cadre d’une situation réelle, c’est-à-dire lors du déploiement de cette
compétence dans le milieu professionnel. Ainsi, le manager sera plus
ou moins compétent si son action est plus ou moins pertinente dans le
contexte et plus ou moins utile pour l’atteinte des buts de l’organisation.

La compétence interculturelle au niveau individuel correspond de


manière générale à l’aptitude de l’individu à se positionner par rapport
à un contexte et un interlocuteur étranger de façon rapide et efficace
et de réussir la mise en place d’une communication effective avec lui.

Les savoir-faire essentiels au quotidien de travail

La compétence interculturelle - en tant que capacité de communiquer


avec plusieurs cultures - ne se limite pas au processus interactionnel
entre deux ou plusieurs personnes, elle va au-delà et confère à l’individu
une plus grande aptitude pour analyser et saisir des informations et
élargit son champ d’action. Ainsi, elle se manifeste dans le cadre de
certains savoir-faire personnels spécifiques.

Une étude réalisée par le gouvernement canadien (The Canada


Conference Board)10 sur les besoins en capital humain des entreprises
mondiales du 3e millénaire a mis au jour l’ensemble des savoir-faire les
plus valorisés par les grandes entreprises. Cette étude a été menée
pendant plusieurs années dans le cadre d’un projet gouvernemental
nommé PRCE (Projet de recherche sur les compétences essentielles).
Plus de 3 000 entrevues ont été analysées, issues d’un éventail
composé par 180 professions différentes. Il nous paraît intéressant
de présenter les résultats pour réfléchir à ce que pourraient être les
pratiques lorsqu’on possède une compétence interculturelle.

10. Ressources humaines et développement des compétences, « The Canada Conference


Board », Profils des compétences professionnelles essentielles, http://www.15.hrdc-drhc.gc.ca.

175
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Les savoir-faire
essentiels
à l’activité Cela consiste à :
professionnelle
de l’individu
Lire et comprendre l’information sous diverses formes
(texte, graphique, tableau, etc.).
Écrire et parler afin de favoriser l’écoute et la
compréhension d’autres personnes.
Écouter et poser des questions afin de comprendre le sens
Communiquer et le point de vue des autres personnes.
Partager l’information à travers les diverses technologies de
l’information (courrier électronique, téléconférences).
Utiliser les compétences techniques, mathématiques,
scientifiques appropriées pour expliquer ou préciser des
idées.
Repérer, recueillir et organiser l’information en utilisant les
systèmes de technologie et d’information appropriés.
Gérer l’information Consulter, analyser et appliquer les connaissances et
compétences de diverses disciplines (les arts, les langues,
la science, les mathématiques, les sciences sociales et
humaines).
Décider de ce qui doit être mesuré ou calculé.
Observer et sauvegarder l’information en utilisant les
Utiliser les chiffres
méthodes, les outils et les technologies appropriés.
Faire des estimations et vérifier les calculs.
Évaluer les situations et cerner les problèmes.
Rechercher divers points de vue et les évaluer
objectivement.
Reconnaître les dimensions humaines, interpersonnelles,
techniques, scientifiques et mathématiques d’un problème.
Réfléchir et résoudre
les problèmes Être créatif et novateur dans la recherche de solutions.
Utiliser d’emblée la science, la technologie et les
mathématiques pour réfléchir, acquérir et partager le savoir,
résoudre les problèmes et prendre des décisions.
Adopter des solutions Confirmer l’efficacité d’une solution
et l’améliorer.
Bien vous sentir dans votre peau et être confiant.
Aborder les personnes, les problèmes et les situations de
façon honnête et morale.
Démontrer des
Reconnaître la valeur de votre travail ainsi que les efforts
attitudes et des
des autres.
comportements positifs
Prenez soin de votre santé.
Manifester de l’intérêt, faire preuve d’initiative et fournir des
efforts.

176
IDENTIFIER, SUSCITER ET DÉVELOPPER UNE COMPÉTENCE

Fixer des buts et des priorités tout en maintenant un


équilibre entre le travail et la vie personnelle.
Planifier et gérer votre temps, votre argent, et d’autres
ressources afin d’atteindre vos buts.
Être responsable
Évaluer et gérer le risque.
Être responsable de vos actions et de celles de votre
groupe.
Contribuer au bien-être de la communauté et de la société.
Travailler de façon autonome ou en équipe.
Effectuer des tâches ou des projets multiples.
Être novateur et ingénieux : rechercher et proposer
plusieurs façons pour atteindre des objectifs et accomplir
Être souple le travail.
Être ouvert et réagir de façon positive au changement.
Tirer profit de vos erreurs et accepter la rétroaction.
Composer avec l’incertitude.
Être disposé à apprendre et à croître.
Évaluer vos forces personnelles et déterminer les points à
améliorer.
Apprendre
Fixer vos propres objectifs d’apprentissage.
constamment
Identifier et recourir aux sources et occasions
d’apprentissage.
Fixer et atteindre vos objectifs.
Connaître les pratiques et procédures de santé personnelle
Travailler en sécurité
et collective et agir en conséquence.
Travailler avec les
Être capable de travailler en équipe.
autres
Planifier, concevoir ou mettre en œuvre un projet ou une
tâche, du début à la fin, en maintenant le cap sur les
objectifs et les résultats.
Tester, réviser, faire des feedbacks.
Participer aux projets
Choisir et utiliser les outils et la technologie appropriés au
et aux tâches
projet ou à la tâche.
Superviser des projets et des tâches et identifier des
moyens de les améliorer.
Vous adapter aux exigences de l’information changeante.

Ce serait une utopie de penser qu’un individu puisse avoir l’ensemble


des compétences réunies dans ce tableau. Mais le fait de posséder
une « compétence interculturelle » pourrait faire une grande différence
dans la qualité et le degré de certaines pratiques mentionnées ici.

177
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Il serait intéressant d’identifier - par rapport aux analyses des cultures


vues précédemment - les aptitudes qui pourraient se manifester plus
facilement dans certains types de cultures en dépit d’autres. Nous
verrons cela dans la partie qui traite des déterminants culturels et
de leurs influences dans les processus de construction et de gestion
d’une équipe multiculturelle.

Ce qui nous importe à présent ce n’est pas d’effectuer ce parallèle,


mais de vérifier la relation entre la manifestation et l’influence d’une
compétence interculturelle dans le cadre des pratiques ci-dessus,
la compétence interculturelle influençant d’autres savoir-faire et se
manifestant dans le quotidien des activités des professionnels. Pour
bien communiquer, par exemple, il ne suffit pas de parler la langue
des interlocuteurs… Avoir une compétence interculturelle permet aux
personnes de mieux effectuer l’ensemble des savoir-faire essentiels.

Les savoir-faire qui peuvent être concrètement améliorés lorsqu’on


possède une compétence interculturelle

ŸŸ Lire et comprendre l’information sous diverses formes (texte,


graphique, tableau, etc.), surtout quand il s’agit de l’analyse de
documents en langue étrangère.
ŸŸ Écrire et parler afin de favoriser l’écoute et la compréhension
d’autres personnes.
ŸŸ Écouter et poser des questions afin de comprendre le sens et le
point de vue des autres personnes.
ŸŸ Mieux, repérer, recueillir, sélectionner et organiser l’information : la
compétence interculturelle augmente le champ d’analyse et fournit
d’autres points de vue.
ŸŸ Évaluer les situations et cerner les problèmes.
ŸŸ Prendre en compte les divers points de vue et les évaluer
objectivement : bien comprendre le contexte et avoir conscience
de son propre conditionnement culturel permet au professionnel
de ne pas se laisser trop influencer inconsciemment et de ne pas
compromettre l’analyse objective, surtout pour ceux issus de cultures
particularistes.
ŸŸ Reconnaître les dimensions humaines, interpersonnelles d’un
problème.
ŸŸ Être ouvert et novateur dans la recherche de solutions.

178
IDENTIFIER, SUSCITER ET DÉVELOPPER UNE COMPÉTENCE

ŸŸ Aborder les personnes, les problèmes et les situations avec soin, en


accordant de l’attention aux personnes et leurs contextes spécifiques.
ŸŸ Manifester de l’intérêt et fournir des efforts.
ŸŸ Mieux travailler en équipe.
ŸŸ Être ouvert et réagir de façon positive au changement.
ŸŸ Tirer profit des erreurs et accepter la rétroaction.
ŸŸ Mieux gérer l’incertitude.
ŸŸ Être disposé à apprendre et à croître.
ŸŸ Évaluer vos forces personnelles et déterminer les points à améliorer.
ŸŸ Fixer les propres objectifs d’apprentissage.
ŸŸ Identifier et recourir aux sources et occasions d’apprentissage.
ŸŸ Tester, réviser, faire des feedbacks et remises en question
permanentes.
ŸŸ S’adapter aux exigences de l’information et de l’environnement
changeant.

179
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

L’essentiel
•  Aujourd’hui on parle beaucoup de « compétence » dans le monde
de la gestion. La compétence est un ensemble de ressources qui
constituent un savoir-faire spécifique, au niveau de l’organisation ou
au niveau de l’individu.

•  Une compétence organisationnelle correspond à un actif distinctif


propre à l’entreprise et à un avantage compétitif durable face à ses
concurrents.

•  Une compétence personnelle de l’individu correspond à ses


aptitudes, attitudes et connaissances spécifiques pour prendre la
décision la plus satisfaisante dans une situation précise tout en
prenant en compte les ressources disponibles.

180
Chapitre 4
La compétence interculturelle
en tant que compétence personnelle
de l’individu

Proposition de composantes
pour une compétence interculturelle

Comment faire pour développer cette compétence interculturelle ?


D’abord en identifiant l’existence des éléments qui la composent,
ensuite, en cherchant à améliorer ou renforcer les aspects faibles ou
manquants. Ainsi, les éléments essentiels qui, d’après nous, une fois
combinés, permettent le développement d’une vraie compétence
interculturelle sont :
1. la sensibilité ;
2. l’intérêt, la curiosité, l’ouverture d’esprit, le goût des rencontres ;
3. l’humilité, la tolérance, la patience ;
4. la volonté permanente d’apprendre, la bonne volonté ;
5. la stabilité psychologique.

La sensibilité
La « sensibilité interculturelle » correspond à la capacité de l’individu à
observer sans vouloir analyser, à « capter » et « ressentir » les moindres
détails de l’environnement qui l’entoure :
ŸŸ les contextes (social, politique, économique, régional, familial) de ses
interlocuteurs ;

181
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

ŸŸ les modes de communication non verbaux ;


ŸŸ les rites sociaux et leur degré d’importance ;
ŸŸ les expressions des visages ;
ŸŸ les bruits que font les personnes ;
ŸŸ bref, tout ce qui peut échapper à toute sorte d’analyse rationnelle
dans un premier moment.

L’individu doit être capable de saisir ces détails, il doit leur prêter
l’attention qu’ils méritent. Il doit faire en sorte que ses propres
paradigmes culturels ou ses propres filtres cognitifs ne viennent pas
« étouffer » ou « dévier » par un zeste de rationalité tout ce que sa
sensibilité a pu lui faire percevoir. Un individu doté de la compétence
interculturelle est capable de se passer de son « jugement rationnel ».
Non seulement il sélectionnera les détails spécifiques d’une situation
donnée, mais il s’en servira également à son profit : il aura, ainsi, la juste
mesure entre ce qu’il faut imposer et ce qu’il faut adapter localement
dans le cadre d’une expatriation, par exemple.

Cette pratique n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air. Le jugement et


l’analyse rationnelle sont des mécanismes de défense qui procurent
un certain réconfort lorsqu’on se sent déstabilisé11. Être assez fort et
conscient pour pouvoir s’en passer et laisser la sensibilité et l’instinct
prendre le dessus n’est pas une tâche facile pour des individus qui ont
été entraînés toute leur vie à aborder de manière rationnelle tout ce
qu’ils peuvent apercevoir à leur tour.

L’intérêt, la curiosité, l’ouverture d’esprit et le goût des rencontres


La compétence interculturelle implique l’intérêt et la curiosité envers
la différence, envers l’Autre. Votre degré de curiosité envers les autres
cultures peut être facilement mesuré par ces quelques questions :
1. Vous êtes-vous déjà intéressé(e) à d’autres pays et d’autres cultures ?
2. Êtes-vous né(e) dans une famille dont un des parents est issu d’une
autre culture ?
3. Avez-vous déjà fait un séjour à l’étranger de plus de six mois ?
4. Parlez-vous une ou plusieurs langues étrangères ?
5. Aimez-vous voyager ou vous trouver à l’étranger ?

11. Voir le piège des stéréotypes, Partie I - Chap. 7.

182
LA COMPÉTENCE INTERCULTURELLE : COMPÉTENCE PERSONNELLE

6. Quand vous voyagez à l’étranger, aimez-vous manger la cuisine


locale et être parmi les autochtones ?
7. Aimez-vous lire et assister à des programmes sur d’autres pays et
cultures ?
8. À l’école, vos meilleures notes étaient-elles souvent en langue
étrangère ?
9. Ressentez-vous quelque honte ou gêne en vous exprimant dans une
langue étrangère ?
10. Assistez-vous à des films en version originale au cinéma ?
11. Cherchez-vous à regarder des films étrangers (hormis les
productions hollywoodiennes) ? et à lire également les romans
d’auteurs étrangers ?
12. Quand vous regardez un film étranger, est-ce qu’il vous arrive de
pleurer, de rire ou de ressentir de fortes émotions ?
13. Aimez-vous parler à d’autres personnes très différentes ou à des
inconnus ?
14. Vous sentez-vous à l’aise lorsque vous êtes entouré(e) de personnes,
même si elles ont l’air très différentes de vous ?

Si vous avez répondu « oui » à la plupart de ces questions (à l’exception


de la question n° 9) vous devez sans doute avoir un « potentiel
interculturel » à développer. Si vous n’avez pas répondu « oui » à
toutes les questions, (excepté pour la question concernant l’origine
des parents qui ne dépend pas de vos efforts), c’est que vous pouvez
encore faire quelque chose pour améliorer votre potentiel.

Toutefois, pour arriver à une vraie compétence dans ce sens, il ne suffit


pas d’avoir de l’intérêt et de la curiosité, mais les avoir c’est déjà un
grand acquis. De même, les personnes susceptibles de développer une
compétence interculturelle doivent aimer le contact avec les autres :
les personnes antisociales, qui aiment la solitude auront difficilement
cette capacité à comprendre et fonctionner selon les paradigmes d’une
autre culture. Les timides qui souhaitent développer leur potentiel
interculturel doivent, de ce fait, faire de sérieux efforts à cet égard.

183
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

L’humilité, la tolérance, la patience


L’humilité est peut-être l’élément le plus important de la compétence
interculturelle. L’humilité n’est pas chose facile lorsqu’on est à un
poste de direction au sommet de la hiérarchie de l’organisation.
Cependant, cette qualité permet à l’individu de se défendre contre le
piège du « refus du propre conditionnement culturel », contre le piège
de l’ethnocentrisme et contre le piège qui consiste à penser « qu’on
possède assez d’expérience pour maîtriser la situation »12.

De même, la tolérance et la patience sont très importantes. S’énerver


contre des pratiques et des mentalités enracinées dans les mœurs
d’une culture depuis des siècles n’aidera personne à s’intégrer et ne
sera que source de stress et d’insatisfaction. « S’énerver » n’est pas
un bon départ si vous souhaitez avoir une compétence interculturelle.
Il est important d’être patient : envers les autres bien sûr, mais surtout
envers vous-même. Rome ne s’est pas faite en un jour. Ainsi, toute
relation interculturelle demande du travail et des efforts quotidiens.
Il y a des moments de désespoir, de malaise, mais il faut croire que
cela en vaut la peine et il faut se souvenir que c’est un apprentissage
permanent.

La volonté permanente d’apprendre, la bonne volonté


On ne sait jamais assez, surtout en ce qui concerne les phénomènes
interculturels. Lorsqu’on commence à croire que l’on est en train de
commencer à connaître le fonctionnement d’une culture étrangère,
notre interlocuteur étranger nous surprend avec un geste, un
comportement, une remarque qui remettent tout en cause et nous
plongent dans la confusion d’un choc culturel. Par conséquent, celui
qui souhaite approfondir cette démarche doit être prédisposé à être
constamment « surpris ».

La plupart des personnes (après le premier contact et la dissipation


des stéréotypes) finissent par se créer une sorte d’image ajustée
de l’autre culture qu’elles croient le reflet d’un jugement précis des
points de similitudes et de différences par rapport à la leur. Elles se
relâchent un peu, car ce nouveau jugement leur procure une sensation
de sécurité : « J’ai fait le tour, j’ai vécu des chocs culturels dont on
parle tant et maintenant, j’ai fait l’analyse critique des stéréotypes, et
maintenant, je connais. » Cela compromet leur capacité d’observation
12. Cf. Partie I - Chap. 7.

184
LA COMPÉTENCE INTERCULTURELLE : COMPÉTENCE PERSONNELLE

et d’apprentissage qui doivent toujours être en état d’alerte. Si l’on perd


la capacité à se surprendre et à apprendre, on ne peut plus avancer
dans une démarche de ce genre. Songez qu’il n’y a jamais de fin à la
découverte d’une autre culture. C’est un éternel recommencement.

Il faut également avoir de la bonne volonté, c’est-à-dire que la démarche


interculturelle, par le travail constant et quotidien qu’elle exige, ne peut
pas être une chose imposée. Ceux qui partent dans une aventure de ce
genre à contrecœur ne pourront pas aller très loin. Ce n’est pas du tout
aussi facile que l’on pourra le supposer au départ.

La stabilité psychologique
La rencontre avec l’Autre est un processus compliqué qui engendre
une remise en question de notre propre identité. Par conséquent, les
personnes qui souhaitent entreprendre cette démarche doivent au
minimum « être bien dans leur peau ». Les personnes émotionnellement
instables pourront difficilement réussir cette démarche.

Beaucoup de personnes cherchent à s’expatrier ou partir à l’étranger


pour fuir un problème quelconque : un divorce, un problème familial, un
deuil… Cependant, elles oublient que les problèmes sont à l’intérieur
de leur esprit et qu’elles les emporteront avec elles où qu’elles aillent.
Empirés par un choc culturel, ces problèmes risquent de prendre
des proportions gigantesques, de jeter les individus dans un état
de dépression dangereux et de compromettre non seulement leur
performance professionnelle et leur mission, mais aussi leur santé
morale et physique. Pour se lancer dans une aventure interculturelle,
il faut être bien avec soi-même, c’est là une condition essentielle,
souvent négligée.

185
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

L’essentiel
•  Quand on arrive à développer une compétence interculturelle, on
réussit à aller au-delà de son « jugement rationnel ». On sélectionnera
les détails spécifiques d’une situation donnée et on s’en servira
également à son profit.

•  Pour développer une compétence interculturelle, on doit aimer


le contact avec les autres : les personnes antisociales, qui aiment
la solitude, auront difficilement cette capacité à comprendre et
fonctionner selon les paradigmes d’une autre culture. À ce titre,
les personnes introverties sont fortement encouragées à faire des
efforts pour être plus sociables.

•  Toute relation interculturelle demande du travail et des efforts


quotidiens. Il y a des moments de désespoir, de malaise, mais il
faut se souvenir que c’est un apprentissage permanent. Il n’y a
jamais de fin à la découverte d’une autre culture. C’est un éternel
recommencement.

•  Beaucoup de personnes cherchent à s’expatrier ou partir à


l’étranger pour fuir un problème quelconque : un divorce, un
problème familial, un deuil… Avant de se lancer dans une telle
démarche, il est très important d’être émotionnellement stable et de
se sentir bien dans sa peau.

186
Chapitre 5
Intelligences multiples, intelligence
émotionnelle et intelligence culturelle (QC)
et le Global Mindset

Il y a quelques années maintenant, un nouveau concept a fait surface


dans le milieu académique et dans le monde du conseil en interculturel,
celui d’intelligence culturelle ou de quotient culturel (QC) en opposition
au célèbre QI. Quelles pourraient être les différences entre l’intelligence
culturelle et la compétence culturelle telle que nous l’avons présentée
jusqu’à présent ? Lequel de ces deux concepts est le plus adéquat
et le plus valable et intéressant à être identifié et implanté à long
terme ? Dans ce chapitre nous parlerons du concept d’intelligence,
pour, ensuite, visiter le concept très diffusé dans les années 1980
d’intelligence émotionnelle (QE) développé par Daniel Goleman,
enfin, pour arriver aux plus récents travaux sur les composants et le
développement de l’intelligence culturelle (QC).

En 1983, le psychologue Howard Gardner a écrit un ouvrage révélateur13


dans lequel il contestait les critères d’identification et de mesures du
niveau d’intelligence des individus. Selon lui, si une personne n’est pas
bonne en mathématiques, par exemple, cela ne veut nullement dire
que cette personne ne soit pas intelligente, mais tout simplement que
son intelligence se manifeste dans un autre domaine que celui de la
logique et des chiffres.

On part du principe alors qu’il n’y a pas un seul modèle d’intelligence


mais plusieurs, et que les êtres humains se différencient dans le
niveau de développement de différentes modalités d’intelligences.
13. Gardner H., Frames of Mind : The theory of multiple intelligences, 1983, Basic Books, New York.

187
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Ces travaux ont représenté une grande révolution pour les éducateurs
et les recruteurs et ont ouvert le chemin à l’avènement du concept
d’intelligence émotionnelle, très à la mode dans les années 1980.

Pour Gardner, l’intelligence est complexe à définir et fait appel à des


notions de biologie, de chimie mais aussi à des aspects philosophique
et psychologique. L’intelligence, traditionnellement, peut être comprise
comme un attribut, ou un talent, inné, contrairement à la compétence
qui est fruit de l’apprentissage uniquement. L’intelligence aurait une
capacité opératoire qui ne se modifie que peu avec le temps, l’âge ou
l’expérience. Pour Gardner, l’intelligence doit être comprise au sens
large et elle se manifeste de multiples façons, huit à ce jour, et dans
chaque cas, l’intelligence correspond à une capacité à résoudre des
problèmes ou à produire des biens de différentes natures ayant une
valeur dans un contexte culturel ou collectif. Les différentes modalités
d’intelligences n’ont pas la même valeur ni la même priorité au sein
des différents contextes culturels, ce qui fait que certaines modalités
d’intelligence se retrouvent négligées ou oubliées dans nos sociétés.

L’intelligence est perçue « comme un potentiel biopsychologique »


et chaque être humain a le potentiel de mobiliser l’ensemble de ses
facultés intellectuelles selon un rythme qui lui est propre. Dès sa
naissance, chaque individu aura un groupe d’intelligences, dont
chacune se développera selon un rythme qui lui est propre et en
adéquation avec le contexte qui pourra être plus ou moins stimulant.

Ainsi, un enfant de musiciens sera entouré dès son jeune âge d’une
atmosphère musicale, ce qui pourra stimuler sa faculté à apprendre
la musique et à devenir musicien lui-même plus tard, contrairement à
un enfant d’ingénieurs qui n’écouterait jamais de musique chez lui. Si
l’apparition de certaines intelligences est manifeste dès le jeune âge,
d’autres, comme les intelligences personnelles, mettent plus de temps
à mûrir.

Enfin, notons que les différentes intelligences ne se développent


pas toutes au même niveau. La situation la plus courante est
qu’une intelligence domine. C’est à partir de cette dominante que la
personne appréhende le monde et celle-ci peut être révélatrice non
seulement d’une personnalité, mais aussi d’une culture. Le niveau
de développement propre à chacune des intelligences explique la
différenciation des humains.

188
INTELLIGENCES MULTIPLES

Parmi les différentes modalités d’intelligence identifiées par Gardner,


nous aimerions ici citer, à titre d’exemple, ce qu’il nomme intelligence
intrapersonnelle et qui, avec l’intelligence interpersonnelle, est à la
base du célèbre QE développé depuis 1985 par Daniel Goleman.

Selon Gardner, l’intelligence intrapersonnelle correspond à la capacité


de l’individu d’accéder à ses propres sentiments et à reconnaître
ses émotions. La personne dotée d’intelligence intrapersonnelle a
une très bonne connaissance de ses propres forces et faiblesses.
Quant à l’intelligence interpersonnelle, elle correspond à l’aptitude à
discerner l’humeur, le tempérament, la motivation et le désir des autres
personnes et à y répondre correctement, de manière empathique, bref,
il s’agit de la capacité que certains individus possèdent de comprendre
et d’interagir avec les autres.

Une autre intelligence est l’intelligence kinesthésique, qui correspond


à la capacité de maîtriser les mouvements de son corps, comme la
danse, par exemple et à manipuler des objets avec soin, comme le
font certains artisans qui excellent dans leur métier. Il y a aussi une
intelligence linguistique, qui se caractérise par une facilité à apprendre
des langues, et identifier des sons, significations et fonctions des mots
et du langage.

Enfin, pour revenir aux mathématiques, il y aurait une intelligence logico-


mathématique qui se caractérise par la capacité à réaliser des calculs
complexes et à résoudre tout problème impliquant la logique. Cette
dernière modalité d’intelligence semble être une dominante (valorisée)
au sein de la culture française, et est souvent traduite par l’expression :
« logique cartésienne ». Selon cette modalité d’intelligence, tout doit
s’expliquer par la logique. Les individus dotés d’une grande intelligence
logico-mathématique sont sensibles aux modèles numériques et
ont une aptitude à soutenir de longs raisonnements. Si ce modèle
d’intelligence est valorisé au sein d’une culture, cela ne veut pas dire
que tous les ressortissants de cette culture l’auront comme dominante
ou le développeront au même rythme que les autres. Cela ne veut
pas non plus dire que certains individus ne sont pas intelligents,
tout simplement parce que leur modalité dominante d’intelligence ne
correspond pas à ce qui est valorisé au sein du milieu socioculturel au
sein duquel ils sont insérés.

Le concept d’intelligence émotionnelle émerge en 1985 deux ans


après la publication de Gardner sur les intelligences multiples et

189
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

devient par la suite un des plus célèbres modèles de leadership jamais


connus. L’intelligence émotionnelle se caractérise par une réunion des
intelligences intra et interpersonnelles précédemment expliquées en
plus d’une aptitude des individus à s’adapter au contexte dans lequel
ils se retrouvent sans éprouver trop d’angoisse ou trop de stress. À la
suite des travaux de Goleman sur le QE, il a été possible d’identifier une
typologie de styles de leadership selon le niveau de développement de
l’intelligence émotionnelle. Nous ne développerons pas davantage le
concept d’intelligence émotionnelle puisqu’il existe un autre concept
beaucoup plus adéquat à notre propos qui est celui d’intelligence
culturelle ou QC.

L’intelligence culturelle et ses composants

Les travaux récents les plus significatifs sur l’intelligence culturelle sont
ceux d’Ang et Earley (2003)14. Ils reprennent la notion d’intelligence,
notamment sur la base des recherches de Gardner (1999) et proposent
l’identification d’une modalité d’intelligence culturelle tridimensionnelle
d’un individu : la dimension cognitive, la dimension comportementale
et la dimension motivationnelle.

Il ne s’agit plus seulement d’une capacité d’apprendre et de comprendre


l’autre et soi-même, mais aussi d’une aptitude de transformation d’une
manière de comprendre le monde, d’un compris motivationnel et d’une
capacité émotionnelle de faire face à cette transformation, alliée à une
capacité d’agir de manière adéquate dans des situations concrètes.

Ci-dessous, nous présentons les principales caractéristiques de trois


dimensions constitutives de cette intelligence. La troisième dimension
implique l’apprentissage et la mise en situation des connaissances
acquises dans les deux autres dimensions, notamment dans la
dimension cognitive.

14. EARLEY, C. & ANG, S., Cultural Intelligence, Individual Interactions Across Cultures, 2003,
Stanford University Press.

190
INTELLIGENCES MULTIPLES

Compétence interculturelle ou intelligence culturelle ?

Est-ce que l’intelligence culturelle est la même chose que la compétence


culturelle ? Non ! Les deux concepts ne sont pas synonymes, mais ne
sont pas pour autant contradictoires.

Si l’intelligence nous renvoie à une approche systémique de l’être


humain dans ses conceptions biologiques, chimiques (en plus des
aspects sociaux et cognitifs) et représente même une capacité innée,
une propension naturelle au développement de certaines aptitudes
dont le QC, au détriment d’autres modalités d’intelligence face à
des stimuli, la notion de compétence nous renvoie à une approche
plus volontariste, moins déterministe d’un savoir faire qui peut être
acquis et développé par tout individu, indépendamment de son
niveau d’intelligence culturelle, émotionnelle, intrapersonnelle ou
interpersonnelle. La compétence interculturelle est un sujet ancien, qui
date des années 1950, mis en lumière dans le cadre des réflexions sur
la communication interculturelle. La compétence interculturelle peut
aussi être envisagée sous le point de vue de l’individu et sous le point
de vue de l’organisation. On peut parler d’un individu interculturellement
compétent comme on peut parler d’une organisation interculturellement
compétente.

191
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Global Mindset : vers un « état d’esprit » global ?


La notion de Global Mindset s’est développée en même temps que
les notions de compétence interculturelle et d’intelligence culturelle.
Certains auteurs allient ces deux concepts dans une quête de
meilleure compréhension d’un profil de leader global ou intelligent
interculturellement.

L’intelligence culturelle est un concept multidmensionel introduit par


Earley (2002) qui vise à analyser le processus à travers lequel un
individu s’adapte à de nouveaux contextes culturels, autrement dit,
l’intelligence culturelle est la capacité effective d’un individu de bien
s’adapter à différents milieux culturels15.

Depuis quelques années, on parle aussi d’un concept complémentaire,


d’un soi-disant « état d’esprit global » ou Global Mindset. Cette notion
a surtout été appréhendée sous trois axes différents mais néanmoins
complémentaires  : un axe culturel, un axe stratégique et un axe
multidimensionnel.

1) Axe Culturel
Le Global Mindset dans le cadre de cette optique prône l’importance
de la compréhension de la diversité et de la distance culturelle dont le
trait d’union serait le degré de cosmopolitisme des individus.

À titre d’exemple, cet état d’esprit peut être mesuré indépendamment


du fait que la personne appartient à une seule culture, soit insérée dans
un seul contexte ou pays, et il serait entendu comme la capacité de
comprendre, créer et implanter des critères de gestion pertinents et
appropriés à un certain négoce, en garantissant un niveau élevé de
performance individuelle dans un contexte global.

2) Axe Stratégique
Pour cet axe-là le Global Mindset n’est pas une capacité mais une
forme d’existence, une orientation voire une compréhension mentale
du monde que nous entoure que certaines personnes ont. Cet état
d’appréhension du monde donnerait aux individus une vision plus
globale et systémique et les pousserait à chercher sans cesse des
tendances nouvelles, inattendues et des opportunités émergentes.

15. Earley & Ang, 2003

192
INTELLIGENCES MULTIPLES

3) Axe multidimensionnel
Ce dernier axe intègre les deux précédents. Ici le global Mindset est
une combinaison de connaissances et d’habilités. Si la connaissance
est ce qui permet la compréhension et l’acceptation des différences
culturelles, les habilités permettraient aux individus de tirer le meilleur
avantage de ces différences. Ainsi le Global Mindset est une structure
cognitive complexe caractérisée par l’ouverture au nouveau et à la
différence, et par l’articulation de différentes réalités culturelles et
stratégiques dans un contexte global mais aussi dans un contexte
local, en tant que médiateur efficace face à cette dualité. Sous
cette perspective, l’ouverture et la prise de conscience seraient le
fruit de la connaissance acquise, ainsi l’articulation et la médiation
correspondraient aux habiletés de l’individu.

Si sous ce dernier axe multidimensionnel, le Global Mindset ressemble


à l’intelligence culturelle, il faut dire que cette dernière possède une
dimension émotionnelle que l’on ne retrouve pas dans le premier,
par conséquent, certains auteurs combinent les deux concepts en
cherchant une application de l’intelligence culturelle accrue d’une
mentalité d’orientation globale pour le business.

193
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

L’essentiel
•  Ainsi comme le concept de compétence, le concept d’intelligence
a dernièrement pris de l’importance dans le monde académique,
mais aussi dans le cadre des formations en entreprises et au sein
des cabinets de conseil en interculturel.

•  Selon la théorie des intelligences multiples développée par


Gardner, chaque individu aura un ensemble d’intelligences dès sa
naissance. Chacune de ces intelligences se développera selon un
rythme propre à l’individu et en adéquation avec le contexte qui
pourra être plus ou moins stimulant.

•  L’intelligence culturelle est la capacité d’apprendre et de


comprendre l’autre et soi-même, mais aussi une aptitude de
transformation d’une manière de comprendre le monde.

•  L’intelligence culturelle possède aussi une dimension


motivationnelle qui consiste en l’effort entrepris par l’individu pour
sortir de sa zone de confort pour comprendre un univers culturel
différent du sien.

•  L’intelligence culturelle détient également une dimension


émotionnelle qui permet à l’individu de faire face à des changements
et le rend capable d’agir de manière adéquate dans des situations
concrètes.

•  Les notions de compétence et d’intelligence sont différentes mais


non pas contradictoires. Si l’intelligence représente une capacité
innée susceptible d’être plus ou moins développée face à des stimuli,
la compétence représente un savoir faire dont l’apprentissage
pourrait volontairement être entrepris.

•  Le concept de Global Mindset correspond à une manière


stratégique de voir le monde de manière systémique et globale.
Cet état d’appréhension du monde pousserait les individus à
chercher sans cesse des tendances nouvelles, inattendues et
des opportunités émergentes. Compris sous une perspective
multidimensionnelle, il correspondrait aussi à des compétences
et habilités de compréhension des différences culturelles, sans
prendre en compte la dimension affective présente dans le cadre de
l’intelligence culturelle.

194
Chapitre 6
La compétence interculturelle
en tant que compétence organisationnelle :
vers une organisation « interculturellement
compétente »

Nous avons déjà défini le concept de compétence et nous n’y


reviendrons pas. Ayons en tête seulement qu’une compétence est
inhérente à l’action. Elle se traduit par un comportement efficace face à
un éventail de situations, qu’on arrive à maîtriser parce qu’on dispose à
la fois des connaissances nécessaires et de la capacité de les mobiliser
à bon escient, en temps opportun, pour identifier et résoudre de vrais
problèmes.

Une compétence comporte plusieurs connaissances, mais connaître


n’est pas suffisant. Il faut savoir agir et déployer ses connaissances
de manière adéquate. Une compétence est quelque chose que l’on
sait faire. Mais ce n’est pas un simple savoir-faire, c’est un « savoir-y-
faire », une habileté adaptée à un contexte. Une compétence est une
capacité stratégique qui se rend indispensable face à ces situations
complexes. La compétence ne doit pas être réduite à des connaissances
procédurales codifiées et apprises comme des règles absolues, même
si elle s’en sert lorsque c’est pertinent. Juger de la pertinence de la
règle fait partie de la compétence, autrement dit, savoir quand est-ce
qu’on doit « désobéir » à la règle fait partie de la compétence.

Avant de parler des organisations compétentes interculturellement,


il est nécessaire de définir certains termes qui sont inhérents à cette
réflexion, comme par exemple, le concept de sensitivité interculturelle

195
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

et celui de connaissance culturelle : les deux sont nécessaires à la mise


en place d’une compétence interculturelle, néanmoins, la connaissance
culturelle ou la sensitivité interculturelle seules ne sont pas suffisantes
pour la réussite d’une compétence interculturelle de l’institution.

Nous commencerons par parler de la compétence interculturelle qui se


consolide comme réputation d’une organisation qui prend en compte
les spécificités culturelles lors de la prestation des services. Pour mieux
comprendre la compétence interculturelle qui se manifeste lors d’une
prestation au sens large, on doit entendre par connaissance culturelle,
un certain niveau de familiarisation atteint par une certaine catégorie
professionnelle avec les us, coutumes, comportements, valeurs et
histoire propres à un autre groupe ethnique.

Pour les professionnels de santé comme les infirmiers et les


médecins, il s’agit des connaissances qui, utilisées à bon escient,
leur permettront une plus grande collaboration de la famille de leurs
patients lors de l’exercice de leur métier, comme par exemple, la
pratique d’une transfusion sanguine ou la réalisation d’un examen
prénatal. Communiquer des connaissances culturelles aux médecins
et aux infirmiers et même aux managers d’une organisation peut les
rendre moins universalistes et moins ignorants, mais non pas moins
ethnocentriques. Pour éviter cet écueil, il convient de développer la
sensitivité interculturelle de manière concomitante à la transmission de
connaissances.

Seul le développement d’une sensibilisation à l’interculturel permettra


à des catégories de professionnels, soient-ils médecins, infirmiers,
avocats ou managers, d’utiliser les connaissances culturelles acquises
de manière efficace au moment de rendre le service et de consolider la
réputation d’une institution interculturellement compétente.

La compétence interculturelle de l’organisation


comme synonyme d’une prestation de service sensible
aux spécificités culturelles

Ces travaux sur les organisations interculturellement compétentes sont


pour la plupart dédiés à des organisations prestataires de services, ce
qui correspond à la fonction commerciale de l’interculturel, que nous
avons déjà évoquée dans le cadre du présent ouvrage.

196
LA COMPÉTENCE INTERCULTURELLE : COMPÉTENCE ORGANISATIONNELLE

Il y a quelques années, dans le secteur de la santé, notamment dans


le secteur hospitalier, on a constaté une grande préoccupation du
développement d’une institution qui soit culturellement compétente,
mais qu’entend-on par compétence interculturelle dans ce sens ?

Une compétence interculturelle pour une organisation est ici entendue


comme un ensemble de comportements, attitudes et politiques
cohérents au sein d’un système, ou partagé par une catégorie du
personnel. Cette compétence leur permet d’exercer leur métier de
manière efficace lors des situations interculturelles. La compétence
interculturelle dans un hôpital ou une clinique correspondrait de
manière opérationnelle à l’intégration et la transformation des
connaissances sur les individus et des groupes d’individus au sein de
certains paramètres médicaux standardisés. Cette sensibilisation du
personnel qui deviendrait une réputation pour l’institution permettrait
une meilleure prédication des soins et services en tenant compte des
spécificités culturelles des patients.

La compétence interculturelle ici va au-delà de ce qui peut être compris


comme sensitivité culturelle ou connaissance culturelle, car elle implique
l’efficacité dans les choix des comportements et positionnement de
l’institution face à des contextes interculturels différents.

La compétence interculturelle et le Knowledge Management :


vers une organisation interculturellement compétente

L’interculturel peut aussi correspondre à un choix stratégique de


la gestion des ressources humaines. Notre propos n’est pas de
traiter le développement de la compétence interculturelle au niveau
organisationnel comme conséquence d’un choix stratégique, mais il
nous semble important de situer cette possibilité pour les entreprises.
Une fois que cette compétence est développée au niveau des individus,
rien n’empêche qu’elle devienne une ressource pour l’organisation tout
entière à travers la gestion des connaissances autrement connue sous
le nom de Knowledge Management.

Après avoir longtemps ignoré la problématique interculturelle, les


entreprises sont aujourd’hui conscientes de l’importance et des
implications de la gestion de la diversité des cultures. En interne comme
en externe, c’est une ressource de grande envergure, mais comment
en faire un atout face aux concurrents ?

197
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Les acquis et l’expérience que l’on peut qualifier de vraie compétence


interculturelle ont bien souvent pour socle une mission réussie
à l’étranger dans le cadre d’une expatriation ou une négociation
internationale ; cela a alors valeur d’apprentissage pour l’entreprise.
Malheureusement, la plupart du temps, ces informations ne sont pas
utilisées par l’organisation. Or, si un beau jour, un expatrié ayant réussi
une mission à l’étranger quitte l’entreprise, il emportera avec lui tout
son vécu, son expérience et ses connaissances sur les marchés et les
styles de gestion étrangers. Comment faire pour éviter cela et maintenir
ces connaissances au sein de l’organisation ? Une des solutions
retrouvées est de mettre en place un outil d’identification et de partage
des expériences des managers (un site intranet, l’université interne ou
université d’entreprise).

À ce stade, le fruit de l’expérience de gestion des cadres expatriés


devient un outil stratégique pour l’organisation (comprendre pourquoi
les acquisitions ont bien fonctionné en Inde, pourquoi elles ont échoué
au Brésil, etc.). Face à la concurrence, cela peut devenir un différentiel
intangible important propre à l’entreprise. Outre les pratiques de
gestion, la « négociation efficace » (création et maintien des relations)
constitue, elle aussi, un élément distinctif majeur. La qualité des relations
que l’organisation entretient avec ses fournisseurs, ses clients et ses
partenaires fait la différence. L’entreprise peut se servir de ces « acquis
interculturels » pour entretenir des relations durables et de qualité avec
des interlocuteurs étrangers. L’optimisation des connaissances des
expatriés et salariés dotés d’une compétence interculturelle peut donc,
à long terme, cesser d’être une compétence exclusive de l’individu et
devenir une compétence de l’entreprise, autrement dit, devenir un
avantage compétitif durable par rapport à ses concurrents.

198
LA COMPÉTENCE INTERCULTURELLE : COMPÉTENCE ORGANISATIONNELLE

L’essentiel
•  La compétence interculturelle peut être développée en tant
que compétence organisationnelle et en tant que compétence
personnelle.

•  En tant que compétence organisationnelle, elle peut être associée


à une capacité développée par certaines organisations de se
spécialiser au travers d’une prestation de service adaptée aux
spécificités culturelles des clients.

•  Cette spécialisation dans le processus de prestation de service


consiste dans le développement d’une compétence interculturelle
partagée au sein d’un système ou d’une catégorie professionnelle
et peut rendre l’organisation réputée comme interculturellement
compétente.

•  En tant que compétence organisationnelle, elle peut correspondre


aussi à la capacité de l’organisation à agencer et faire profiter à tous
ses employés de l’expérience des bonnes pratiques acquises par
ses expatriés et dirigeants à l’international (à travers l’université
interne, par exemple).

•  À ce titre, la compétence interculturelle de l’entreprise est un enjeu


stratégique et peut devenir une compétence clé, c’est-à-dire un
actif rare, difficilement substituable et difficilement imitable par les
concurrents, très spécifique à l’organisation.

•  En tant que compétence personnelle, la compétence interculturelle


correspondra à la capacité de l’individu à « communiquer en
plusieurs cultures », à être assez sensible et intuitif pour savoir
équilibrer adaptation et standardisation et percevoir les opportunités
que l’environnement externe peut offrir.

•  La compétence interculturelle de l’individu se manifeste dans la


réalisation de plusieurs activités et renforce la qualité de ses savoir-
faire par rapport à d’autres personnes.

•  Afin de développer une compétence interculturelle, l’individu doit


disposer de quatre caractéristiques essentielles : la sensibilité, la
bonne volonté, l’humilité et la volonté d’apprendre.

199
Chapitre 7
La compétence interculturelle et le leadership :
un atout essentiel du bon dirigeant

Les entreprises ont depuis longtemps compris, qu’il ne suffit pas d’avoir
un dirigeant qui soit un bon chef (c’est-à-dire qui sache imposer des
directives, se faire respecter et quelques fois même se faire craindre).
Ce qui garantit plutôt le succès d’une bonne direction, c’est la capacité
du chef à être également, et surtout, un leader pour ses subordonnés et
les personnes sous son autorité. La notion de leadership est également
importante pour ceux qui n’ont pas un poste de direction, mais qui
se voient à la tête d’une équipe, dans une situation où ils doivent en
quelque sorte prendre des initiatives et gérer un groupe d’hommes.

Le mot leader dérive du verbe anglais lead, qui a des origines anglo-
saxonnes dans le terme laedere qui veut dire : « gens en route » ou
« personnes en voyage ». Le professeur Nancy Adler nous fait un
parallèle avec le sens actuel adapté de cette première version du mot
leader dans la langue anglaise. Ainsi, le leader est « quelqu’un qui met
une multitude d’idées, gens, personnes, organisations et sociétés
en mouvement », « quelqu’un qui amène les idées, les personnes, le
commerce, les organisations et les sociétés en route ».

Les leaders sont des personnes qui affectent les pensées et les
comportements des autres, sans faire usage de coercition, mais plutôt

201
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

d’argumentations persuasives. Selon les travaux de Kurt Lewin16, les


vrais leaders ne s’imposent pas, ils sont plutôt imposés, des fois,
malgré eux, par le groupe, c’est-à-dire qu’ils sont élus inconsciemment
par le groupe. C’est la dynamique du travail en groupe qui permet aux
hommes de s’organiser et d’attribuer un rôle à chaque membre. Le
leader est inconsciemment choisi par la majorité, en vertu de certaines
compétences que le groupe lui reconnaît.

Les compétences « globales » du leader

Le leader doit correspondre à toute une série de comportements,


compétences et valeurs. Le bon leader pour les Américains, par
exemple, doit connaître l’organisation générale de l’entreprise, être
conscient de ses ressources, forces, faiblesses, objectifs à long et
à court terme, savoir s’exprimer oralement, conduire et motiver ses
employés. Pour les Brésiliens, il doit faire tout cela, mais aussi donner
les directives, prendre sur lui la responsabilité et en quelque sorte,
procurer une sorte de protection paternelle aux autres membres du
groupe.

Il y a des études qui présentent les différentes manières dont un leader


peut effectuer son rôle. La plus populaire de ces approches est celle
intitulée « leadership de situation ». Elle implique que le leader choisit
son style en fonction du niveau de préparation du groupe, c’est-à-dire
après avoir étudié les caractéristiques et les prédispositions du groupe
à assumer certaines responsabilités et certains rôles. Bref, selon cette
logique, le leader doit s’adapter au groupe. Ainsi, le leader adopte
une attitude autocratique et directive lorsque le groupe est formé de
personnes non disposées à prendre des responsabilités et en même
temps incapables de le faire.

On peut également faire le rapprochement entre les styles de leadership


et les caractéristiques culturelles de certaines équipes. Les Français,
par exemple, s’entendront mieux avec un leader qui respecte leur
conscience de métier et leur accorde de l’autonomie d’action tout
en leur fournissant les directives centrales et en gérant les éventuels
conflits.
16. Philosophe d’origine allemande vivant aux USA et docteur en psychologie, Kurt Lewin apportera
dans les années 1940 d’importantes contributions dans deux domaines de recherche : les styles
de commandement et leadership et la dynamique de groupes. Nous ferons encore référence
à lui en ce qui concerne le management d’équipes multiculturelles dans le cadre du présent
ouvrage.

202
LA COMPÉTENCE INTERCULTURELLE ET LE LEADERSHIP

Les compétences reconnues comme « compétences du leader »


ne peuvent que varier d’une culture à une autre. Les cultures plus
universalistes et volontaristes ont tendance à valoriser comme
compétence essentielle à un leader, sa capacité à prendre des
initiatives, son jugement d’équité, etc., tandis que dans d’autres
cultures plus particularistes et déterministes, la principale compétence
d’un leader correspond à une capacité d’écoute et de conciliation.

À titre d’exemple, prenons le cas des valeurs qui caractérisent les


compétences d’un leader en Chine. Le philosophe chinois Sun Tzu
définit dans son chef-d’œuvre L’Art de la Guerre, les cinq valeurs les
plus importantes dans cette culture pour un bon dirigeant chinois :
Ren, le bon cœur ou l’aspect humain, Yi, le sens de justice et équité,
Zhi, la sagesse et la connaissance, Yan, la discipline et la rigueur et
Yong, le courage. Des pratiques très propres à la gestion des hommes
à la chinoise se dégagent de ces valeurs profondes de la culture.

Les compétences d’un


bon dirigeant en Chine Mises en pratique
selon L’Art de la Guerre dans la gestion des hommes
de Sun Tzu
REN : Le rôle d’un bon dirigeant est de préserver son côté humain
le bon cœur, l’aspect (de ce fait les licenciements sont très difficiles, car cette
humain pratique est considérée comme inhumaine).
Le manager chinois est responsable de ses subordonnés.
YI : la justice, l’équité S’il y a un conflit entre l’un de ses subordonnés et la
direction supérieure, il se doit de lui porter tout son appui.
Cette sagesse ne se limite pas aux savoir-faire techniques,
ZHI : la sagesse, mais comprend également la capacité d’entretenir des
la connaissance relations interpersonnelles. Le statut des personnes âgées,
considérées comme plus sages, est très fort.
Agir sans hésitation, mais avec prudence et en prenant en
compte la sagesse (ZHI). Une décision audacieuse prise
YONG : le courage
sans réflexion signifierait pour son auteur la perte de la
« face ».
La distance hiérarchique est longue et les managers chinois
YANG :
de haut niveau sont rarement vus. On doit obéissance au
la discipline et la
chef, mais un bon leader doit savoir utiliser efficacement le
rigueur
pouvoir de sanction.

203
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Une lecture culturelle du leadership,


les dimensions du projet GLOBE

Le projet GLOBE (Global Leadership and Organizational Behavior


Effectiveness Research) a été fondé par un professeur de l’Université
de Pennsylvannie en 1993, Robert House. Il s’agit d’un groupe de
chercheurs qui s’est intéressé aux différences culturelles et leurs
conséquences pour le leadership. Lors de la première phase du
projet, on a cherché à élaborer une théorie à travers la diffusion de
questionnaires standardisés qui cherchaient une convergence de
réponses similaires pour les ressortissants d’une même culture et
par conséquent, une divergence des réponses pour les personnes
issues de différentes cutlures. Dans un deuxième temps on a essayé
de dégager un certain nombre de propriétés des leaders en relation
avec des zones culturelles. Ces questionnaires se sont inspirés des
dimensions de Hofestede vues préalablement dans cet ouvrage. Un
des aboutissements de ce projet a été la division de sociétés dans dix
zones culturelles regroupées par le degré de similitude des réponses
aux questions.

Ainsi, cette division par zone culturelle s’organise comme il suit :


1. Cultures anglo-saxonnes : Angleterre, Australie, Afrique du Sud
(échantillon blancs), Canada, Nouvelle-Zélande, et États-Unis.
2. L’Europe latine : Israël, Italie, Portugal, Espagne, France et Suisse
francophone.
3. L’Europe nordique : Finlande, Suède et Danemark.
4. L’Europe germanique : Autriche, Suisse, Pays-Bas et Allemagne.
5. L’Europe de l’Est : Hongrie, Russie, Kazakhstan, Albanie, Pologne,
Grèce, Slovénie et Géorgie.
6. L’Amérique latine : Costa Rica, Venezuela, Équateur, Mexique, El
Salvador, Colombie, Guatemala, Bolivie, Brésil et Argentine.
7. L’Afrique Subsaharienne : Namibie, Zambie, Zimbabwe, Afrique du
Sud (échantillon noirs), Nigeria.
8. Cultures Arabes : Qatar, Maroc, Turquie, Égypte, Koweït.
9. Asie du Sud Est : Inde, Indonésie, Philippines, Malaisie, Thaïlande
et Iran.
10. Asie Confucéenne : Taïwan, Singapour, Hong Kong, Corée du Sud,
Chine, Japon.

204
L’ÉQUIPE MULTICULTURELLE

Le projet a travaillé avec 825 organisations dans 62 pays différents.


Il a mis à jour neuf dimensions qui se mettent en exergue par leur
prédominance au sein d’une zone culturelle et aussi par ce qui les
rend différentes d’autres zones. À titre d’exemple, des pays comme
l’Espagne, les États-Unis ou la Grèce montrent une prédominance
dans leur dimension assertivité. D’autre part, les États-Unis, Taïwan
et la Nouvelle-Zélande semblent être des cultures tournées vers les
résultats. Les pays latino-américains et arabes seraient, d’autre part,
caractérisés par une tendance à être tournés vers les rapports au
détriment des résultats.

Les dimensions sur lesquelles s’est basé le projet sont les suivantes :
1. l’inconfort face à l’incertitude ;
2. la distance hiérarchique ;
3. le collectivisme sociétal ;
4. le collectivisme groupal ;
5. l’assertivité ;
6. le degré d’égalité entre les genres ;
7. l’orientation vers la performance ;
8. l’orientation vers l’humain ;
9. l’orientation vers le futur.

Pourquoi a-t-on besoin d’un leader ?

Le leader est nécessaire parce qu’il permet aux membres de


l’organisation de mieux se coordonner pour atteindre ses buts, de
trouver un modèle pour leurs comportements, de se construire une
représentation de leur propre rôle à l’intérieur du système. Le leader est
nécessaire pour la mise en route, la concrétisation des projets.

Les besoins semblent être universels, mais non les critères d’évaluation
des compétences exigées ou appréciées pour les satisfaire. Il faut
donc toujours être attentif car on peut être un leader « inné » dans notre
propre culture, mais on devra apprendre à devenir leader dans la culture
de notre partenaire. Les compétences que j’ai ne correspondront peut-
être pas aux compétences essentielles, voire nécessaires, pour un
poste de direction selon la culture locale.

205
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

C’est la compétence interculturelle qui permettra aux dirigeants


d’identifier quels seront les paramètres des compétences du leader
dans une culture étrangère, qui lui permettront par la suite de mieux
développer ou adapter leur capacité de leadership à cette culture.

La compétence interculturelle et le leader

Par conséquent, on pourrait se demander si la compétence


interculturelle est une compétence globale du leader. Cela est assez
perturbant quand on se souvient qu’en termes d’interculturel, rien n’est
global ou universel. Malgré cela, la capacité de communiquer dans
plusieurs cultures semble être une compétence réellement essentielle
à tous les leaders.

Le succès de la plupart des opérations de croissance externe est fruit


du talent de quelques hommes clés assez sensibles pour percevoir
leur environnement et équilibrer leurs perceptions et leur raison. Ces
managers ont l’art de céder ou d’imposer au bon moment, d’écouter
et de remettre en question leurs propres paradigmes, d’observer et
d’apprendre avec ces circonstances très spécifiques, d’adapter et
d’exercer leur leadership selon d’autres paradigmes et valeurs, bref de
faire attention aux détails qui feront toute la différence.

Qu’est-ce que cela, sinon la manifestation de sensibilité, tolérance,


ouverture d’esprit, bref d’une compétence interculturelle ? Et qu’est-ce
qui empêche l’entreprise d’augmenter le nombre de ses collaborateurs
et salariés ayant cette capacité ? Certes, tout le monde ne possède
pas les qualités d’un leader, mais la plupart des membres d’une
entreprise qui agit à l’international, détiennent certainement un potentiel
interculturel susceptible de devenir une compétence.

206
L’ÉQUIPE MULTICULTURELLE

L’essentiel
•  Jadis on avait besoin de « patrons », aujourd’hui on a besoin de
« leaders ». Les entreprises ont bien compris la différence.

•  Le leader ne peut pas être imposé, il est choisi par le groupe qu’il
dirige. Le leader est important car il est l’élément clé de la mise en
route, de l’avancement du projet.

•  Les caractéristiques d’un leader et les qualités qu’on lui reconnaît


changent d’une culture à une autre : pour les Américains, le leader
est quelqu’un qui n’hésite pas à prendre des décisions tout seul,
pour les Japonais, il est très important qu’il sache écouter sagement
avant de se prononcer sur un enjeu.

•  La compétence interculturelle en tant que capacité de


communication dans plusieurs cultures peut être en quelque sorte
considérée comme un atout d’importance globale pour les leaders.

207
Chapitre 8
L’équipe multiculturelle :
les déterminants culturels à prendre
en compte pour leur formation et leur gestion

Dans un ouvrage sur le management d’équipes, Florence Allard-Poesi17


nous rappelle encore une fois Kurt Lewin18, pour qui un groupe est un
ensemble d’individus interdépendants et ayant, par conséquent, une
influence les uns sur les autres.

L’interdépendance et l’influence se basent sur :


1. la communication et l’influence mutuelle que les individus exercent
les uns sur les autres (des salariés qui travaillent dans un même bureau
et qui discutent ensemble constituent un groupe) ;
2. le partage d’une même identité sociale, c’est-à-dire que les individus
se reconnaissent et se considèrent les uns et les autres comme étant
membres d’un groupe, ou en d’autres termes, les individus partagent
une sorte de « culture » commune propre au groupe ;
3. l’existence et le partage d’une même structure, d’un ensemble bien
établi et stable de rôles, statuts et comportements.

17.  F. Allard-Poesi, Management d’équipe, Dunod (Topos), 2003.


18. K. Lewin, Resolving social conflicts : Selected papers on group dynamics, New York Harper,
1948.

209
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Une équipe serait donc un groupe de personnes dont l’interdépendance


des membres repose sur la réalisation d’un objectif, le travail en
commun et la responsabilité des résultats.

Une équipe multiculturelle sera une équipe formée de membres


issus de différentes cultures nationales. Ces personnes seront donc
interdépendantes, devront avoir un but commun et devront unir leurs
efforts et leurs qualités propres pour l’atteindre. Afin de le faire de
manière efficace et pour pouvoir fournir des solutions à des problèmes
externes, les équipes multiculturelles se voient face à un grand défi :
leur intégration interne. Pour qu’elles puissent fonctionner, il faut
absolument :
1. que les membres du groupe se construisent une identité en tant que
membre de ce groupe pour pouvoir l’intégrer, faute de quoi elles auront
tendance à s’attacher excessivement à leur identité nationale et à se
réfugier dans les stéréotypes ;
2. que les membres de l’équipe puissent développer une base de
valeurs et de significations communes, qui sera indispensable à leur
communication : il faut que le sens des mots-clés qui caractérisent
l’objectif commun soit le même pour tous ;
3. que les membres du groupe soient capables d’identifier les similitudes
et les différences, pour se baser sur les premières et renforcer les bases
de leur culture commune, et pour se servir des deuxièmes pour créer
des options, définir les rôles et construire des synergies.

Les multinationales se caractérisent par une gamme très variée


d’équipes multiculturelles :
ŸŸ l’équipe marketing, normalement composée par des personnes de
plusieurs nationalités responsables du lancement d’un nouveau produit
ou service qui possède une potentialité internationale ;
ŸŸ l’équipe des directions régionales, qui réunit des personnes de
différentes nationalités présentes sur une même région et qui a pour
but la coordination stratégique de leurs actions ;
ŸŸ les équipes fonctionnelles où les membres de plusieurs nationalités
travaillent sur une aire ou département commun : R&D, qualité &
assurance ;
ŸŸ les équipes transversales qui réunissent le plus souvent dans le
cadre des joint ventures, des personnes de nationalités, professions

210
L’ÉQUIPE MULTICULTURELLE

ou fonctions différentes vers un but commun (réduction des coûts de


production dans le cadre d’un plan de redressement, par exemple) ;
ŸŸ les équipes de la haute direction, souvent composées également par
des personnes de plusieurs nationalités à la tête d’un grand groupe
international ;
ŸŸ il faudrait rajouter ici les équipes virtuelles ou les groupes
géographiquement dispersés que nous avons choisi de ne pas traiter
dans le cadre du présent ouvrage.

Malgré les grandes difficultés que leur gestion implique, l’intérêt de la


formation et de l’utilisation d’équipes multiculturelles est croissant. Cela
est facilement compréhensible quand on se souvient de la complexité
et de la mutation permanente du contexte mondial des entreprises.
Étant donné les circonstances de cet environnement, rien de plus
logique que de réunir des personnes ayant des paradigmes culturels
différents pour augmenter les points de vue et la qualité des décisions.

Susan Schneider et Jean-Louis Barsoux19, professeurs d’HEC Genève,


nous rappellent que pour la formation et le fonctionnement des équipes
multiculturelles, il faut non seulement s’intéresser à leurs objectifs
établis, mais également aux processus de formation des relations
interpersonnelles et de définition des rôles. Le travail d’une équipe,
multiculturelle ou non, n’est pas chose acquise et les personnes
doivent se concentrer sur ces deux aspects pour éviter la perte de
l’investissement en temps et ressources, pour éviter également la perte
d’opportunités et des résultats décevants.

Ils nous offrent donc un point de départ pour établir un « bilan culturel »
qui facilitera les choix de fonctionnement selon les spécificités du
groupe. Leur modèle est assez opérationnel, nous allons donc l’adapter
légèrement dans cet ouvrage. Il s’agit des stratégies pour la gestion
d’objectifs et des stratégies pour la gestion du processus entrepris
pour les atteindre. Ce travail nous permet, dans un premier temps, de
réaliser une sorte d’évaluation préventive des ressources disponibles
ou manquantes, en termes de tendances comportementales propres à
chaque culture présente dans l’équipe.

19. S. Schneider, J.-L. Barsoux, Managing Accross Cultures, FT Prentice Hall, 1997.

211
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Les questions concernant la Déterminants culturels


création et la gestion des objectifs des membres de l’équipe
d’une équipe multiculturelle1 à prendre en compte

Concentration sur le processus versus


concentration sur l’objectif (monochrones
Créer et consolider la mission de versus polychrones).
l’équipe
Cultures basées sur les statuts versus
Quelle est la mission de l’équipe ? cultures basées sur les compétences (être
Quel doit être son degré de précision dans la versus faire).
description des objectifs ? Distance hiérarchique longue ou courte.
Quels sont les objectifs de l’équipe ? Cultures diffuses versus cultures spécifiques.
Dans quelle mesure peuvent-ils être Individualisme versus collectivisme.
mesurés ?
Contexte riche versus contexte pauvre de
Quelles sont les priorités de l’équipe ? communication.
(budget, temps, qualité ?)
Gestion du temps (orientation vers le futur ou
vers le présent).
Structurer la mission
Dans quelle mesure le planning doit-il être
structuré ?
Dans quelle mesure les règles du
jeu doivent-elles être clairement
communiquées ?
Faible ou fort confort face à l’incertitude.
Qu’est-ce qui doit être fait et par qui ?
Comment le temps doit-il être géré ? Monochrones versus polychrones.

Quel est le degré d’importance des dates Contexte riche versus contexte pauvre de
butoirs ? communication.

Qu’est-ce qui se passe si les dates des Distance hiérarchique longue ou courte.
échéances ne sont pas respectées ?
Comment le travail va-t-il être partagé et
ensuite intégré ?
Qu’est-ce qu’on peut faire en groupe et
qu’est-ce qu’on peut faire tout seul ?

Attribuer les rôles


et les responsabilités
Qui fait quoi ? Qui est responsable de quoi ? Individualisme versus collectivisme.
Un leader doit-il être désigné ? Distance hiérarchique longue ou courte.
Sur quels critères ? Compétences, statut, Cultures diffuses versus cultures spécifiques.
position hiérarchique ?
Statuts versus compétences.
Quel doit être son rôle ? Prendre des
décisions ? Résoudre les conflits ? Obtenir Volontarisme versus déterminisme.
des ressources ? Orienter la discussion ? Règles versus rapports.
Qui a besoin d’assister aux réunions et
quand ?

212
L’ÉQUIPE MULTICULTURELLE

Réussir les décisions


Comment les décisions doivent-elles être Individualisme versus collectivisme.
prises ? À travers le vote ? Le compromis ? Contexte riche versus contexte pauvre de
Le consensus ? communication.
Qui est censé prendre des décisions : le Distance hiérarchique longue ou courte.
leader ? l’équipe entière ?

Les questions concernant la


Déterminants culturels
gestion du processus de formation
des membres de l’équipe
et de travail d’une équipe
à prendre en compte
multiculturelle (Team building)

Règles versus rapports.


Construction et consolidation de Cultures neutres versus cultures émotives.
l’équipe Monochrones versus polychrones.
Comment la confiance est-elle construite et Contexte riche versus contexte pauvre de
renforcée ? communication.
Combien de temps doit être consacré aux Rapprochement facile versus rapprochement
loisirs et aux activités sociales ? difficile.
Cultures spécifiques versus cultures diffuses.

Choisir la forme et les moyens de


communication Distance hiérarchique longue ou courte
Quelle est la langue de travail ? Qui doit le Individualisme versus collectivisme.
décider ? Contexte riche versus contexte pauvre de
Comment gérer les écarts de maîtrise dans communication.
la langue de travail ? Rapprochement facile versus rapprochement
Quel type de communication technologique difficile.
doit être utilisé ? Monochrones versus polychrones.
Qu’est-ce qu’une présentation efficace ?

Encourager la participation
Comment la participation de tous les
membres peut-elle être assurée ? Distance hiérarchique longue ou courte.
Dans quelles mesures et sur quels critères Rapprochement difficile versus
certains membres reçoivent-ils plus de rapprochement facile.
crédibilité et de respect que d’autres ? Individualisme versus collectivisme.
La contribution de certains membres est-elle Monochrones versus polychrones.
en train d’être ignorée ?
Qui écoute qui ? Qui interrompt qui ?

213
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Les questions concernant la


Déterminants culturels
gestion du processus de formation
des membres de l’équipe
et de travail d’une équipe
à prendre en compte
multiculturelle (Team building)

Résoudre les conflits


Comment le conflit est-il géré ? Est-il évité ?
Est-il ouvert ? Règles versus rapports.
Qui aide qui ? Les membres cherchent-ils la Cultures émotives versus cultures neutres.
coopération ? Sur quels critères ?
Cultures diffuses versus cultures spécifiques.
Dans quelle mesure négocient-ils ? La
négociation est-elle un jeu de win-lose Individualisme versus collectivisme.
(perdant-gagnant) ou un arrangement
équitable où tous sont gagnants ?

Évaluer les performances


Comment et quand évaluer les
performances ? Contexte riche versus contexte pauvre de
communication.
L’évaluation est-elle un processus
unilatéral ? Cultures diffuses versus cultures spécifiques.
Le feedback doit-il être direct ? Doit-il être Distance hiérarchique longue ou courte.
communiqué directement à l’ensemble Individualisme versus collectivisme.
du groupe ou à chaque membre
individuellement dans un premier moment ?

Relations entre les rôles au sein d’une équipe


et les caractéristiques des cultures

L’idéal pour le fonctionnement de toute équipe serait la présence de


membres ayant des capacités et caractéristiques complémentaires.
Une équipe multiculturelle par sa diversité augmente largement cette
probabilité. Les plus célèbres travaux sur ce thème sont ceux du
psychologue Meredith Belbin20. Nous vous en proposons dans le cadre
de cet ouvrage une version adaptée, élaborée par des consultants et
élargie par rapport à la réflexion interculturelle. De ce fait, pour qu’une
équipe fonctionne, il faut qu’elle présente huit types de rôles joués par
ses membres : un planificateur, un fédérateur, un novateur, un individu
réseau, un clairvoyant, un facilitateur, un garant et un moteur.

Outre les tendances comportementales propres à chaque culture, les


individus possèdent également des caractéristiques propres à leur
personnalité. Tous ces facteurs se mettront ensemble pour déterminer
au sein d’un groupe une de ces positions face à l’ensemble, qui sera
20. M. Belbin, Team Roles at Work, Oxford, Butterworth-Heinemann, 1993.

214
L’ÉQUIPE MULTICULTURELLE

accordée par tous à chaque individu et qui doit être également acceptée
par celui-ci. Nous avons vu que c’est le groupe qui choisit le leader.
C’est également le groupe qui attribue à chaque membre son rôle par
rapport à ses capacités et spécificités. Les tendances comportementales
culturelles ont certainement une influence dans cette répartition de
rôles au sein de l’équipe. Il se peut qu’il y ait déséquilibre par rapport
aux caractéristiques des membres : deux éléments fédérateurs par
exemple. Il se peut également qu’un seul individu accepte de jouer
deux ou plusieurs rôles. Cependant, il est important que l’ensemble
des rôles soit présent au sein d’une équipe pour qu’elle puisse bien
fonctionner21.

L’équilibre des fonctions Déterminants culturels


au sein d’une équipe à prendre en compte
Universalistes versus particularistes.
Monochrones versus polychrones.
Le planificateur : assure une Cultures diffuses versus cultures spécifiques
organisation efficace, apporte de la (raisonnement analytique versus raisonnement
méthode, recentre synthétique).
Cultures neutres versus cultures émotives.
Contexte riche ou pauvre de communication.
Rapprochement difficile versus rapprochement facile.
Déterministes versus volontaristes.

Le fédérateur : mobilise, unifie Cultures spécifiques versus cultures diffuses.


l’équipe, utilise au mieux les Distance hiérarchique longue ou courte.
ressources de chacun Universalistes versus particularistes.
Cultures émotives versus cultures neutres.
Contexte riche ou pauvre de communication.
Contexte riche ou pauvre de communication.
Fort ou faible confort face à l’incertitude.
Distance hiérarchique longue ou courte.
Le novateur : propose des idées,
Déterministes versus volontaristes.
apporte des solutions originales
Cultures spécifiques versus cultures diffuses.
Monochrones versus polychrones.
Universalistes versus particularistes.

21. J.-L Blondel, Manager votre équipe, INSEP Consulting Éditions, 2004, basé sur les travaux de
M. Belbin.

215
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

L’équilibre des fonctions Déterminants culturels


au sein d’une équipe à prendre en compte
Universalistes versus particularistes.
Statuts versus compétences.
L’individu « réseau » : relie
Contexte riche ou pauvre de communication.
l’équipe à des partenaires externes
Cultures spécifiques versus cultures diffuses.
Rapprochement difficile versus rapprochement facile.
Universalistes versus particularistes.
Contexte riche ou pauvre de communication.
Le clairvoyant : analyse, évalue
Statuts versus compétences.
les idées, assure l’esprit critique
Distance hiérarchique longue ou courte.
Déterministes versus volontaristes.
Universalistes versus particularistes.
Cultures spécifiques versus cultures diffuses.
Le facilitateur : écoute, met de Rapprochement difficile versus rapprochement facile.
l’huile dans les rouages, apporte un
appui, facilite les relations Contexte riche ou pauvre de communication.
Distance hiérarchique longue ou courte.
Cultures neutres versus cultures émotives.
Universalistes versus particularistes.
Contexte de communication riche ou pauvre.
Monochrones versus polychrones (concentration sur
Le garant : suit la réalisation
le processus versus concentration sur les résultats).
jusqu’à son terme et empêche
l’équipe de commettre des erreurs Cultures diffuses versus cultures spécifiques
(raisonnement analytique versus raisonnement
synthétique).
Déterministes versus volontaristes.
Monochrones versus polychrones (concentration sur
le processus versus concentration sur les résultats).
Le moteur : crée la dynamique, Déterministes versus volontaristes.
dirige l’attention sur les buts et sait
Universalistes versus particularistes.
rendre les efforts efficaces
Contexte riche ou pauvre de communication.
Statuts versus compétences.

Bilan général de la structure de l’équipe

Plus la diversité culturelle est grande, plus il est important d’effectuer


une évaluation courte et constante. Voici donc un bilan pratique basé

216
L’ÉQUIPE MULTICULTURELLE

sur quatre points clés afin de s’assurer que la structure d’une équipe
multiculturelle est solide. Il s’agit d’analyser les réponses aux questions
suivantes :
-- L’information est-elle claire et la communication est-elle fluide ?
-- Les rapports interpersonnels sont-ils bien établis ?
-- L’action collective est-elle promue ?
-- La cohésion de l’équipe est-elle réussie ?

Bilan de la structure de l’équipe multiculturelle

Partiellement,
Points clés Questions Oui Non
pourquoi ?

Tous les membres se connaissent-


ils et se parlent-ils ?
La langue de travail adoptée est-
elle dominée par tous les membres
de la même façon ?
Les personnes travaillent-elles
Rapports dans des lieux communs ?
interpersonnels Conviviaux ?
Y a-t-il des rencontres informelles,
des occasions de rencontres
hormis le travail ?
Y a-t-il de la polyvalence et
du partage du travail selon les
compétences ?
Y a-t-il des objectifs et tâches
communs à tous les membres de
l’équipe ?
Y a-t-il une préoccupation de fixer
des tâches communes ?
Action
collective Y a-t-il de la reconnaissance
pour la réalisation des tâches
communes ?
Y a-t-il deux ou plusieurs
personnes faisant le même travail
à la fois ?

217
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Partiellement,
Points clés Questions Oui Non
pourquoi ?
Les personnes sont-elles bien
informées sur les objectifs, les
fonctions et les rôles ?
Les personnes sont-elles bien
informées sur les résultats, le
succès ?
Information
La technologie choisie pour les
communications à distance est-
elle utilisée partout le monde ?
Les personnes sont-elles bien
informées sur l’environnement
externe ?
Y a-t-il un défi qui motive et
engage les membres ?
Y a-t-il un esprit d’entraide et de
Degré de
solidarité entre les membres ?
cohésion
Les membres de l’équipe ont-ils un
langage commun ou un symbole
qui les représente ?

Points forts à encourager


Points faibles à améliorer 
et reconnaître 

Les comportements à promouvoir au sein d’une équipe


multiculturelle pour garantir la réussite

Les éléments nécessaires à la réussite d’une relation interculturelle


à moyen et long terme ayant été précédemment traités (Partie I -
Chapitre 9 : la construction d’une relation de confiance, la « négociation

218
L’ÉQUIPE MULTICULTURELLE

efficace » et les rapports face à face, l’encouragement de l’intégration,


la mise en cause permanente du processus de collaboration et le
transfert et le partage des informations relatives à l’opération conjointe),
il nous reste pour finir à ajouter quatre comportements cruciaux pour la
consolidation des liens et la réalisation d’un travail efficace :
1. la reconnaissance ;
2. la solidarité ;
3. la confrontation ;
4. la loyauté.

La reconnaissance
La promotion de la reconnaissance est importante pour deux raisons :
elle permet aux personnes de prendre conscience de leurs points forts
et faibles et de mieux s’ajuster dans le cadre du travail commun et elle
est également source de motivation et d’engagement dans le projet et
dans le groupe.

La reconnaissance encourage également un processus plus souple


d’acceptation des différences et accélère ainsi la construction plus
efficace d’une culture spécifique du groupe. Cependant, il faut savoir
que si la reconnaissance est une pratique spontanée au sein de
certaines cultures nationales, elle doit être provoquée dans certains
cas : les Français, par exemple, sont connus pour leur esprit trop
critique et négatif. Les étrangers qui travaillent avec des Français, pour
la plupart, se plaignent d’un manque de compliments de leur part,
comme si les Français ne faisaient une remarque que pour signaler
« ce qui ne va pas ».

Cette économie de compliments est peut-être liée à l’application de la


logique de l’honneur, qui implique un grand respect de chaque métier
et de chaque professionnel. Ainsi, « pour ne pas suggérer que je me
permets de juger le travail d’autrui, je préfère me taire. Mon collègue
sait qu’il fait bien son travail et il n’a pas besoin de moi pour le lui dire. »
Par contre, « quand quelque chose n’est pas bien et peut compromettre
le travail de toute l’équipe, je me dois en tant que professionnel, de le
signaler », d’où la raison des critiques négatives.

En taisant les compliments, le Français démontre du respect pour


son collègue, mais cela n’est pas interprété comme ça pour ceux

219
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

qui n’appartiennent pas au même contexte culturel, cela traduit


l’importance de promouvoir la pratique de la reconnaissance dans le
cadre d’équipes formées de Français et d’autres nationalités.

La solidarité
La solidarité engendre un plus fort esprit de groupe et encourage la
construction de la confiance avec toutes les conséquences que cela
implique : « Si je peux compter sur mon collègue, je sais que le plus
important c’est ce que nous construisons en tant que groupe. »

La solidarité doit être artificiellement provoquée chez certaines cultures,


trop individualistes, masculines et compétitives : les membres du
groupe doivent se sentir à l’aise pour demander de l’aide et accepter
cette aide.

Le degré de solidarité est un bon thermomètre pour savoir si les


membres du groupe multiculturel ne sont pas en train de tomber dans
les pièges de l’universalisme, de l’ethnocentrisme et du « refus du
propre conditionnement culturel ».

La confrontation
La confrontation permet aux membres de l’équipe de faire un peu « le
ménage » au long du processus et de repartir sur de nouvelles bases.
En discutant ouvertement, les personnes finissent par communiquer
les faits qui les gênent, et ensuite par proposer des suggestions de
solutions concrètes pour ces problèmes.

Certaines cultures évitent le conflit, d’autres possèdent un contexte


de communication très riche, inaccessible à ceux qui n’y sont pas
insérés. Pour cette raison, les confrontations doivent également être
provoquées pour garantir la fluidité et favoriser la communication et la
coordination du travail.

220
L’ÉQUIPE MULTICULTURELLE

La loyauté
La loyauté doit être présente dans les objectifs de l’équipe et dans les
relations entre les autres membres. La loyauté entre les personnes nous
rappelle l’importance des phases de création puis de consolidation des
rapports interpersonnels pour la réussite d’une relation interculturelle.
À la suite de la construction de ces rapports, les membres d’une
équipe se créent un ensemble de règles propres au fonctionnement
du groupe.

Être loyal dans un groupe signifie donner la preuve d’appartenir à ce


groupe, donner la confirmation d’adhérer librement à ses règles et ses
valeurs. La loyauté nécessite une phase de construction déterminante
(les rencontres face à face) et doit être, rappelons-le, « provoquée »
chez certaines cultures trop universalistes et individualistes.

221
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

L’essentiel
•  Les équipes sont des groupes de personnes qui travaillent
ensemble pour atteindre un objectif commun. Les relations
interculturelles y sont déterminantes.

•  Les implications interculturelles peuvent se manifester à chaque


étape : lors de la fixation des buts et des paramètres selon lesquels
l’équipe doit fonctionner, pendant le processus de construction des
relations, de détermination des tâches et d’attribution des rôles.

•  La pratique d’un audit culturel permet une meilleure attribution


des tâches et des rôles en fonction des caractéristiques propres à
chaque culture.

•  Il est possible d’effectuer un bilan pour vérifier si les bases d’une


équipe multiculturelle sont solides. Il suffit de prendre en compte
la qualité des rapports interpersonnels, le degré de cohésion et
solidarité, la fréquence des actions collectives et la qualité des flux
d’information.

•  Enfin, quatre comportements sont indispensables à la réussite de


toute coopération internationale : la solidarité, la reconnaissance,
la loyauté et la confrontation. Cette dernière permet aux membres
d’une équipe de s’exprimer sur ce qui ne va pas et aide à surmonter
les blocages provoqués par les chocs culturels.

222
Conclusion

Ici se termine notre périple dans l’univers du management interculturel.


Même si les phénomènes interculturels concernent une grande partie
des rapports humains à l’intérieur et en dehors des entreprises,
travailler et vivre interculturel reste une tâche difficile. En effet, ces
relations ont un caractère à la fois dynamique et évolutif, et souvent très
idiosyncrasique au contexte où il s’insère. Quelle démarche adopter
alors ? Les recettes « toutes faites » offertes sur le marché des experts
sont incomplètes et la plupart du temps insuffisantes pour traiter
l’ensemble complexe d’une situation, puisque même l’analyse sérieuse
et spécifique d’un enjeu interculturel sera forcément diachronique,
c’est-à-dire systématiquement tributaire de son aspect temporel.
Fruits de l’interaction permanente de différents univers symboliques de
cultures et sous-cultures coexistantes, les phénomènes interculturels
ont des implications à plusieurs niveaux de l’activité humaine et de la
vie des entreprises. À l’intérieur d’une organisation, ils sont sensibles
au niveau organisationnel et au niveau interindividuel.

En ce qui concerne la sphère organisationnelle, le management


se concentre sur des aspects géostratégiques (la conception de la
politique générale, la gestion du risque, les choix d’implantation et
d’internationalisation des entreprises) et des aspects structurels (les
choix des pratiques managériales et des mécanismes de coordination
interne, l’adaptation à l’environnement externe).

Au niveau des relations entre individus, dans le milieu professionnel ou


privé, l’enjeu devient encore plus important. Quel est alors le profil du
professionnel du XXIe siècle ? Outre le besoin de maîtriser parfaitement
l’anglais, il doit savoir communiquer efficacement dans une culture
autre que la sienne et pouvoir gérer l’interaction des différents univers
culturels. Réussir à transformer les blocages et à en tirer les avantages

223
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

devient une preuve d’intelligence. Nous voilà donc face à l’émergence


d’une sorte de « QI interculturel » ou l’existence d’un Global Mindset
que toute entreprise ou toute personne devrait être capable d’identifier
et d’explorer. Telle est la clé de la réussite dans un monde chaque fois
plus complexe et plus globalisé !

224
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226
Glossaire

Coaching : Mot d’origine anglaise, souvent lié à l’activité sportive,


« coach » veut dire entraîneur. Le coach est quelqu’un qui enseigne
et oriente une autre personne à travers le conseil et l’encouragement.
Il met en place une discipline pour l’atteinte d’un but. Le « coach »
dans le monde des affaires se distingue du consultant par le simple
fait qu’il propose, outre son savoir-faire, une prestation exclusive, plus
personnalisée et plus flexible que le premier. Le consultant se focalise
surtout sur son savoir-faire et se trouve souvent contraint de respecter
les directives universelles des cabinets de conseil où il travaille.

Compétences globales : Depuis les années 1980, le concept de


compétence devient le centre de la GRH : les compétences de l’individu
correspondent à des savoir-faire techniques, mais également à ses
qualités relationnelles et à des connaissances du marché et du produit.
Croire qu’il existe des « compétences globales » correspond à l’idée
qu’il existe un ensemble défini de compétences valable pour tous les
pays, tous les secteurs et tous les individus, ce qui est absurde.

Conditionnement culturel : Le courant appelé « anthropologie


culturelle », né dans les années 1930 aux USA, se trouve à la base des
approches classiques dans le champ du management interculturel.
Ces premiers auteurs défendent l’idée selon laquelle tous les êtres
humains sont conditionnés dans leurs idées et actions par leur
contexte culturel, c’est-à-dire que notre personnalité, nos pensées,
notre vision du monde ne peuvent pas échapper à l’influence (presque
en totalité inconsciente) de notre culture. Ne pas être sensible au fait
que cette influence existe correspondrait, à notre avis, à compromettre
le développement d’une relation interculturelle réussie.

Culture déterministe : Développées par Fons Trompenaars et


Charles Hampten-Turner dans le cadre de leur modèle opérationnel

227
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

7-D pour la classification des différentes cultures, les cultures dites


« déterministes » correspondraient à celles caractérisées par une
tendance plutôt adaptative et respectueuse de l’environnement externe
(External Control Cultures). Par conséquent, les ressortissants de ce
type de culture auraient plutôt tendance à apprendre de la nature et
de leurs ennemis en faisant de leurs ruses la source de leurs forces. Ils
préféreraient cela plutôt que d’essayer de les « maîtriser » de manière
directe et complète comme le fait la culture volontariste (Internal
Control Cultures).

Culture volontariste : À l’opposé des cultures déterministes, les


ressortissants d’une culture volontariste (Internal Control Culture)
n’ont pas l’habitude naturelle de se plier aux forces externes, car ils
se croient capables de tout pouvoir prévoir, planifier et contrôler. Leur
approche est caractérisée par une grande agressivité et compétitivité,
cependant, leur malaise face à l’imprévu et l’inconnu leur empêche
parfois d’apprendre de leurs échecs et de leurs concurrents et de
mieux répondre aux besoins de leurs clients.

Culture diffuse : Trompenaars et Hampten-Turner se sont inspirés


des travaux du psychologue américain d’origine allemande Kurt Lewin
pour dégager cette dimension qui oppose les cultures diffuses aux
cultures spécifiques. Les ressortissants d’une culture diffuse ne sont
pas capables de séparer les sphères professionnelle et personnelle. En
conséquence, les critiques professionnelles sont souvent ressenties de
manière personnelle et leurs discours sont souvent caractérisés par
des propos flous, qui donnent souvent aux ressortissants d’une culture
spécifique, l’impression « qu’ils ne vont pas droit au but et tournent
autour du pot ».
Culture spécifique : Aux cultures diffuses, s’opposent les cultures
dites « spécifiques ». Les ressortissants de ce type de culture se
caractérisent par un discours objectif qui peut, quelques fois, être
interprété comme « froid et sec » par les ressortissants des cultures
diffuses. Pour ces personnes, les sphères privée et professionnelle
sont bien séparées et ce n’est pas embarrassant de faire une critique
ou une remarque sur le comportement d’un collègue ou subordonné
en public.

Degré de cohésion : Dans la chimie, la cohésion est une adhérence,


une force qui unit entre elles, les différentes parties d’un liquide par
exemple. Pour qu’une équipe marche bien, il faut que tous les éléments
s’y sentent adhérés. Ils doivent être bien engagés et motivés par le
projet sur lequel ils travaillent. Caractère d’une organisation logique,

228
GLOSSAIRE

le degré de cohésion est intimement lié à la division des rôles au sein


d’une équipe. Pour obtenir un haut degré de cohésion, il faut que
les membres d’une équipe se considèrent comme les composants
d’un ensemble plus complexe, au sein duquel leurs caractéristiques
spécifiques sont indispensables pour l’atteinte d’un but commun.

Déterminisme : Le « déterminisme » est une théorie philosophique


selon laquelle tous les phénomènes naturels et humains sont le fruit de
leurs antécédents. Pour les déterministes, l’état actuel des choses est
une conséquence du passé et permet également de prévoir le futur.
On ne voit pas d’échappatoire à cette préconisation. Dans le cadre
de notre ouvrage, les déterministes sont ceux qui se plient à ce que le
destin leur apporte et subissent ce qu’ils croient être les conséquences
d’une évolution historique naturelle ou d’une force supérieure à laquelle
on ne peut rien.

Ethnocentrisme : L’un des plus grands pièges de la relation


interculturelle, l’ethnocentrisme est l’attitude qui pousse l’individu
ou le groupe à valoriser sa culture en dépit de celle des autres.
L’ethnocentrique ne nie pas l’existence d’autres cultures et d’autres
façons de faire. Cependant, il est persuadé que sa culture et ses
façons sont plus évoluées et par conséquent, meilleures que celles de
son partenaire.

Feedback  : Synonyme de rétroaction, mot d’origine anglaise, le


feedback correspond à l’effet boomerang d’une action entreprise. À
travers le feedback, un manager peut savoir si les actions mises en
place dans le cadre d’un projet ou d’une opération ont été appréciées,
négligées ou désapprouvées par le terrain et les personnes concernées.

Formation en interculturel : Le marché français (et européen) connaît


depuis les cinq dernières années une augmentation du nombre
d’organismes spécialisés dans la formation en interculturel pour les
entreprises. Ces formations s’adressent pour la plupart aux managers
hauts potentiels et ont pour but leur préparation à un processus
d’expatriation ou de négociation à l’étranger. Quelques organismes
offrent également des formations pour la constitution et le management
d’équipes multiculturelles.

Hall (travaux de) : L’anthropologue américain Edward T. Hall a


entrepris dans le cadre de son programme de formation de diplomates
américains après la deuxième guerre mondiale, des études sur
l’influence de la culture dans le comportement humain. Ces travaux
représentent des avancées importantes dans la gestion du temps, de

229
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

l’espace et de l’influence du contexte culturel dans le processus de


communication.

Hofstede (classification selon) : Le hollandais Geert Hofstede est


le pionnier des travaux qui lient les cultures nationales aux pratiques
managériales. Il aboutit à l’émergence de quatre dimensions qui
permettent une classification des cultures : cultures masculines versus
féminines, à l’aise avec l’incertitude versus pas à l’aise, communautaires
versus individualistes, à distance hiérarchique longue versus courte.

Interculturel : Intimement lié au concept d’interaction, l’interculturel


peut être compris comme un processus dynamique de perpétuelle
rencontre et transformation entre différentes cultures. Au sein d’une
organisation, l’interculturel peut s’observer dans les interactions au
sein des cultures nationales, organisationnelle, professionnelle, etc.

Leader : Attitude de celui qui sait motiver les personnes et mener à


bien un projet, le leader doit incarner les valeurs des groupes qu’il
dirige. Il doit dégager dans son comportement des compétences
reconnues par l’ensemble du groupe. Les travaux sur le leadership
et les compétences d’un leader sont pour la plupart d’origine anglo-
saxonne. La problématique, aujourd’hui, est de se demander si les
compétences d’un leader américain, par exemple, ne sont que le fruit
de la propre culture américaine et donc si elles sont applicables ailleurs.

Logique de l’honneur : Concept introduit par l’ingénieur français


polytechnicien, chercheur au CNRS, Philippe d’Iribarne à la fin des
années 1980 dans un livre homonyme. En se basant sur le concept
d’honneur défini par Montesquieu et par les travaux historiques de
Tocqueville, d’Iribarne tente d’expliquer l’influence des traits culturels
dans les différents styles de gestion. Il adopte pour cela une approche
qualitative et historique bien différente de celle de Hofstede.

Management organisationnel : Si « manager » veut dire faire faire


quelque chose par un groupe d’individus, il faut bien pour cela
qu’une structure soit mise en place pour la définition des tâches et la
coordination de différentes parties de l’organisation. Ceci est le but et
la préoccupation du management organisationnel : mettre en place une
structure efficace pour que les ressources soient bien allouées, que la
stratégie puisse se déployer normalement et que les buts puissent être
atteints de manière satisfaisante.

Management stratégique : La stratégie correspond au processus


de planification pour l’atteinte des résultats dans le cadre d’une
structure. Le management stratégique s’intéresse à la conception et la

230
GLOSSAIRE

mise en place d’un plan visant l’atteinte d’un but à travers l’allocation
satisfaisante de ressources disponibles. Cela se fait le plus souvent à
l’aide de modèles d’analyse de l’environnement interne et externe de
l’entreprise (SWOT, cinq forces de Porter, etc.).

Monochrone : Caractère des individus qui voient dans le temps une


ressource concrète, divisée en unités qui leur appartiennent et dont ils
peuvent disposer. Les monochrones s’opposent aux polychrones. Ces
deux tendances comportementales dans la gestion du temps ont été
mises au jour par les travaux d’Edward Hall.

Multiculturel  : Qualité d’une situation, groupe, organisation ou


personne où tout un ensemble de plusieurs cultures se réunît.
Le « multiculturalisme » est un terme controversé car il peut être
erronément associé à la politique de discrimination positive adoptée
par les Américains dans leur société. L’idéal, c’est de ne pas se fixer
sur un idéal « multiculturel » où plusieurs cultures et sous-cultures
coexistent mais de passer au stade « interculturel » où ces différentes
cultures et sous-cultures interagissent et se transforment.

Négociation efficace : Dans le cadre de cet ouvrage, nous entendons


par « négociation efficace » la capacité de l’entreprise à créer et
entretenir des relations de qualité avec les éléments internes (salariés,
salariés des unités acquises) et avec les éléments externes (partenaires,
sous-traitants, clients, fournisseurs) et toute autre partie prenante de
l’organisation.

Particularisme : On entend par particularistes les individus qui


ont tendance à considérer d’abord leurs affaires personnelles et les
caractéristiques idiosyncrasiques à des situations et contextes précis,
au détriment des directives à caractère global et impersonnel, valables
pour tous sans aucune exception.

Polychrone : Tendance comportementale opposée à monochrone. Les


individus polychrones voient dans le temps, une variable insaisissable
qui leur échappe. Le temps ne peut pas appartenir à quiconque puisqu’il
est partagé entre tous. Les ressortissants des cultures polychrones
donnent beaucoup d’importance aux processus au détriment des
résultats et ont des difficultés à établir et respecter des dates butoirs
très précises.

Rencontre face à face : Rencontre entre deux ou plusieurs individus


dans un espace physique commun, ce qui leur permet d’appréhender
d’autres formes de communication que la forme verbale : le langage
des gestes, expressions faciales et rythmes de respiration. Ces formes

231
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

de communication alternatives permettent aux interlocuteurs de


trouver plus facilement des outils de décodage dans un environnement
culturel non familier.

Trompenaars (sept dimensions de) : Les consultants Fons Trompe-


naars et Charles Hampten-Turner les introduisent au début des années
1990 à la suite de la conclusion de leurs travaux de recherche et de
leur vécu professionnel. La classification des différentes cultures
dans sept dimensions correspond au célèbre modèle 7-D (cultures
communautaires versus individualistes, universalistes versus
particularistes, diffuses versus spécifiques, émotives versus neutres,
synchrones versus séquentielles, volontaristes versus déterministes,
orientées vers passé, présent ou futur).

Universalisme : Contrairement aux particularistes, les universalistes


croient que l’organisation des sociétés (et des entreprises) se base sur
des principes universels, partagés et validés par l’ensemble et valables
pour tous. Les universalistes n’admettent pas les exceptions à la règle,
car pour eux, cela signifierait une menace de collapsus généralisé du
système.

Université d’entreprise : Anciennement connus sous le nom d’instituts


de formation interne, les universités d’entreprise, corporate universities
ou universités internes sont des centres de formation, mais aussi
des lieux privilégiés de communication des politiques stratégiques
et valeurs de l’entreprise où les salariés peuvent vivre la diversité à
plusieurs strates (fonctionnel, national, professionnel) et ainsi élargir
leurs regards et développer une compétence interculturelle en plus
d’adhérer à un modèle commun de management.

Volontariste : Contrairement aux déterministes, les volontaristes ne


se croient pas victimes d’un passé ou des circonstances du présent
et cherchent à changer le futur ou l’état actuel des choses à travers
leurs propos et leur propension à agir de manière concrète sans trop
d’hésitations.

Workshop : Mot d’origine anglaise, les workshops sont des séminaires


éducatifs ou des séries de réunions où la règle est l’interaction
et l’échange d’informations entre un nombre souvent restreint de
participants.

232
Index

Adler, N. ............................................................................................201
Alliances .......................................................................................18, 75
Altérité
- absolue ....................................................................................84, 85
- relative .....................................................................................84, 85
Anthropologie .....................................................................95, 117, 227
Appartenance .............................................................42, 111, 158, 170
Apprentissage (défi de l’) ..........................................................105, 106
Aspect symbolique .............................................................................36
Attitudes dangereuses .......................................................................92
Autochtones .......................................................................43, 127, 183
Auto-connaissance (défi de l’) ..................................................105, 106
Avantage compétitif .........................................................173, 180, 198

Barlett, C. et Goshal, S. ......................................................................95


Belbin, M. .........................................................................................214
Benchmarking ....................................................................................53
Best practices (meilleures pratiques) .................................................53
Bilan culturel .....................................................................................211
Boas, F. ...............................................................................................96

Cailliau, H. ..........................................................................................58
Chanlat, J.-F. ......................................................................................25
Choc culturel ............................................31, 44, 69, 70 ,77, 83, 94, 97
Civilisation ....................................................................................35, 97
Cognitifs, filtres ...........................................................98, 135, 169, 182
Cohérence ..........................................................................................95
Collaboration ............................................................101, 145, 196, 219
Communication interculturelle ....................................79, 118, 163, 191
Compétence
- organisationnelle ....................................................52, 180, 195, 199

233
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

- interculturelle ......20, 22, 29, 33, 44, 72, 88 ,98, 106, 112, 114, 173,
175, 177, 181, 191, 195, 196, 199, 201, 206, 232
Comportements ...............................................................................218
Conditionnement culturel .....................................89, 98, 145, 169, 172
Confiance .........................................................................................101
Consultant-formateur .............................................................27, 29, 33
Coaching ......................................................................................25, 91
Contexte (de communication) ............................................60, 117, 123
Contexte religieux ...............................................................................57
Coopération .......................................70, 78, 84, 90, 100, 110,152, 222
Croissance externe (opérations de) .................................................206
Culture
- nationale ....................................................................22, 47, 57, 110
- professionnelle ...............................................................................48
organisationnelle ......................................................................484, 170
fonctionnelle ...............................................................................48, 132

D’Iribarne, P. .............................................................................157, 165


Décentralisation stratégique .........................................................23, 50
Démarche interculturelle ...................52, 69, 73, 90, 100, 114, 172, 185
Désengagement .........................................................................92, 100
Discrimination positive .......................................................................83
Distance hiérarchique .................................94, 135, 136, 164, 170, 205

Encadrement du temps ......................................................................59


Équipe multiculturelle ...............................................................209, 218
Ethnocentrisme ..................................................................................95
Ethnologie ..........................................................................................96

Facteur humain .............................................................................26, 33


Formation en interculturel ...................................................................25
Formes de raisonnement ...................................................................64
FSI (Foreign Service Institut) ............................................................117
Fusions-acquisitions ..........................................................................75
Geertz, C. ...........................................................................................37
Glocalisation .......................................................................................95

Hall, E. ..................................................................42, 60, 117 ,119, 169


Hawthrone (effet) ................................................................................26
Hofstede, G. .......................................................37, 112, 118, 133, 170
Homogénéité ......................................................................................86
Humilité ............................................................................................184

Intégration, intégrer ..........................................................................109

234
INDEX

Laurent, A. ........................................................................................168
Leadership, leader ....................................................................201, 204
Lévi-Strauss, C. ..................................................................................96
Lewin, K. ...........................................................................202, 209, 228
Logique de l’honneur ...............................................................158, 219

Management organisationnel .............................................................50


Marketing interculturel ........................................................................49
Mayo, E. .............................................................................................26
Mécanismes de coordination .....................................................43, 223
Mondialisation ....................................................................................69
Monochrones ...................................................................................231
Montesquieu .....................................................................................159
Morgan, L. ..........................................................................................96

Négociation efficace .........................................................................104


Négociation internationale .................................................49, 102, 198

Particularisme ...................................................................................148
Plan Marshall ....................................................................................117
Planification stratégique ...............................................................25, 59
Polychrones ......................................................................................118
Potentiel interculturel ..........................................................32, 183, 206
Production de masse .........................................................................65

Rapports
- interpersonnels ............................................................107, 132, 217
- humains ...........................................................................49, 77, 103
- d’autorité ......................................................................................138
Rationalisation ......................................................................26, 87, 170
Règles sociales ..................................................................................41
Relativisme culturel ....................................................................96, 118

Sainsaulieu, R. ....................................................................................49
Sensibilité ...................................................................................49, 181
SIE-TAR (The Society for Intercultural Education, Training and Research) ...118
Sphère
- publique .......................................................................................130
- privée............................................................................130, 131, 169
Stéréotypes ........................................................................................76
Stratégie globale ......................................................................127, 163
Strategy intent ....................................................................................91
Système d’action concrète ..............................................................163
Système éducatif.................................................................................64

235
LE MANAGEMENT INTERCULTUREL

Temps (gestion du, perception du) ...................................................118


Tocqueville, A. (de) ...........................................................................159
Transnationale ....................................................................................95
Transversalité (des équipes) ...............................................................53
Trompenaars, F. ..................93, 113, 120, 129, 132, 134, 143, 147, 169
Truman, président .............................................................................117
Tylor, E. ...............................................................................................37

Universalisme .......................................................................88, 92, 100


Université d’entreprise .....................................................................198

Valeurs
- profondes ...............................................................................41, 203
- partagées .................................................................................41, 57

Weber, M. ...........................................................................................58
Workshop .................................................................................109, 114

Zarifian, P. .........................................................................................174

236
Virginia DRUMMOND est titulaire d’un
diplôme supérieur de droit international.
Elle enseigne le management international
des ressources humaines et le management
interculturel à l’École de Management de
Lyon (EMLYON).

De double nationalité brésilienne et


française, elle a quitté le Brésil en
septembre 1998. Elle a ensuite exercé
en France en tant que consultante et
formatrice en management interculturel.

En 2001, elle a contribué au programme de dialogue interreligieux


de l’UNESCO et est également intervenue en tant que maître de
conférences vacataire dans de nombreuses et prestigieuses institutions
en France, et a dirigé plusieurs séminaires afin de préparer les managers
internationaux à leur expatriation future.

Titulaire d’un master en géopolitique et d’un master de recherche


en management stratégique de l’université Paris Dauphine, Virginia
DRUMMOND a soutenu sa thèse de doctorat en juin 2008, ayant pour
sujet l’apprentissage interculturel au sein des universités d’entreprise.

Particulièrement douée pour préparer les personnes à travailler au


sein d’environnements interculturels, ses domaines d’intérêt dans
l’enseignement et la recherche sont le management interculturel,
le développement international des ressources humaines, l’intelligence
culturelle, l’état d’esprit mondial et le développement international
des managers.

Contact auteur : drummond@em-Lyon.com

Contact éditeur : edition@gereso.fr

237
Prépresse : GERESO Édition 2014
Achevé d’imprimer par Dupli-Print - Domont 95330 en avril 2014
N° d’impression : 2014031941 - Dépôt légal : Avril 2014 - Imprimé en France
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leur intégration dans l’entreprise que d’autres ?
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équipes. Et leur impact sur la performance de INTERCULTUREL
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management... Tels sont les outils de gestion que DANS L’ENTREPRISE
vous propose l’auteur pour vous aider à optimiser
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Actualisé au regard des études les plus récentes,


rédigé dans un style simple et accessible à tous,
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4e édition
Virginia DRUMMOND est titulaire d’un diplôme supérieur
de droit international et professeur de management
international des ressources humaines. De double
nationalité brésilienne et française, elle prépare les
managers internationaux à leur future expatriation.

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