Vous êtes sur la page 1sur 7

réalités Cardiologiques # 280_Octobre 2011_Cahier 1

Le dossier
Insufisance cardiaque du sujet âgé

Prise en charge de l’insuffisance


cardiaque du patient âgé :
de la phase aiguë
à la phase chronique

RÉSUMÉ : L’insuffisance cardiaque est une maladie grave, en particulier chez le patient âgé. Contrairement
aux idées reçues, sa prise en charge ne repose pas uniquement sur les diurétiques.
L’insuffisance cardiaque aiguë répond à des définitions et des critères objectifs et implique une prise en
charge aussi “agressive”, mais encore plus vigilante que chez le patient jeune. Si l’âge ne doit jamais être
le prétexte d’un abandon thérapeutique, il faut également veiller à ne pas sombrer dans un acharnement
thérapeutique qui ne serait aucunement bénéfique pour le patient.

L’ insuffisance cardiaque (IC)


est une maladie fréquente et
grave. Elle touche majoritai-
rement dans les pays développés des
lisée sur la prise en charge de l’insuffi-
sance cardiaque chronique [5].

patients âgés de plus de 75 ans [1-3].


Cette pathologie est associée à un fort [ Epidémiologie
et impact de l’âge
taux d’hospitalisation pour nouvelle
poussée d’insuffisance cardiaque, ce L’insuffisance cardiaque touche en
qui en fait une pathologie à la fois extrê- France près de 800 000 patients, même
mement invalidante pour le patient et si les chiffres sont imprécis [3]. Elle
très coûteuse pour le système de santé. touche plus de 10 % de la population
Sa sémiologie, comme son traitement, des plus de 80 ans, soit entre 1 et 2 %
sont actuellement bien codifiés dans de la population générale. L’insuffisance
les recommandations internationales. cardiaque est la cause de près d’un mil-
En dépit de cela, les prises en charge lion de nouvelles hospitalisations par
➞ P. Jourdain, S. YounSi, actuelles sont souvent parcellaires et an aux Etats-Unis. La durée de séjour
F. Funck
Service de cardiologie, extrêmement inhomogènes. est importante, elle est estimée à près de
Unité Thérapeutique d’Insuffisance 12 jours dans le registre français OFICA
Cardiaque (UTIC) et Ecole du cœur, Il faut rappeler que les recommanda- présenté à l’ESC 2010. Le taux de décès
Centre Hospitalier René Dubos,
PONTOISE. tions internationales ne proposent pas reste élevé dans ce même registre et est
spécifiquement de guidelines pour la de l’ordre de 9 %. Le taux de récidive à
population gériatrique [4]. Une recom- court terme (6-12 mois) est très élevé à
mandation de prise en charge du patient plus de 50 %.
insuffisant cardiaque chronique a été
réalisée en commun par la Société fran- En France, l’âge moyen des patients
çaise de gériatrie et la Société française atteints d’insuffisance cardiaque est
de cardiologie, mais celle-ci s’est foca- estimé comme étant de l’ordre de 70 ans

15
réalités Cardiologiques # 280_Octobre 2011_Cahier 1

Le dossier
Insufisance cardiaque du sujet âgé

et l’âge moyen des patients hospitalisés


Maladie coronaire ++
pour une poussée d’IC est quant à lui
plus élevé, entre 74 et 78 ans en fonc- Syndrome coronarien aigu, infarctus aigu
tion des études. L’élément marquant Infarctus du ventricule droit
dans cette population de patients hos- (dérivations droites ++)
pitalisés pour une poussée d’insuffi-
Ischémie silencieuse
sance cardiaque est le très fort taux de
comorbidités qui joue probablement un Maladies valvulaires +
rôle non négligeable dans le pronostic Rétrécissement aortique/mitral
sombre de ces hospitalisations (bron-
Insuffisance mitrale
chopneumonie chronique obstructive,
diabète, hypertension et tabagisme, néo- Endocardite insuffisance aortique
plasies, pathologies neuropsychiques).
Hypertension artérielle +
De même, le délai entre l’admission aux
urgences et l’injection d’un traitement Arythmies ++ Auriculaires et ventriculaires
diurétique est extrêmement long, avec Insuffisance circulatoire Sepsis grave, pneumonie
une médiane aux Etats-Unis de 7 heures.
Anémie shunts
Or, plus ce temps est long, plus la mor-
talité intrahospitalière semble élevée. Infections virales +++ Grippe, etc.
De même, parmi les facteurs de mor- Insuffisance rénale
talité précoce, l’absence de traitement
adéquat dès les urgences [6] multiplie Faible compliance
par 2 la mortalité des patients âgés dys- Régime salé
pnéiques en insuffisance cardiaque
Décompensation d’une BPCO
aiguë (ICA). Parmi les facteurs qui aug-
mentent ce délai, au-delà de la simple Alcool
arrivée nocturne du patient, on note
Tableau I : Causes de décompensations d’une insuffisance cardiaque préexistante ou sous-jacente à recher-
comme facteur majeur l’âge de plus de cher systématiquement. Ces différentes pathologies sont en fait le plus souvent intriquées. D'après [9].
75 ans. Si la mortalité intrahospitalière a
reculé au fil du temps, les réhospitalisa- L’ICA était antérieurement synonyme de souvent, s’aider de l’interrogatoire des
tions précoces n’ont malheureusement congestion, mais l’optimisation progres- proches, du médecin référent (notion
pas diminué. sive des thérapies dans l’insuffisance d’insuffisance cardiaque connue, de fac-
cardiaque chronique ainsi que la modi- teurs de risque cardiovasculaire) ou des
fication de la typologie des patients fait examens complémentaires, car l’omis-

[ L’insuffisance cardiaque
aiguë du sujet âgé
que, de plus en plus fréquemment, les
signes d’hypoperfusion sont au premier
sion d’un tel diagnostic ou a contrario
sa confirmation par excès ne sont pas
plan, ce qui rend le diagnostic parfois dénués de risques de iatrogénie, mais
1. Définition difficile, surtout chez le patient âgé chez également de mortalité.
qui la dyspnée est souvent tardive.
L’insuffisance cardiaque aiguë (ICA) Les signes cliniques sont essentielle-
est définie comme l’apparition rapide 2. Signes cliniques/Signes de gravité ment une dyspnée ou une polypnée,
ou la modification rapide des signes et ou encore des sibilants isolés (“asthme”
symptômes d’insuffisance cardiaque Les signes cliniques de l’insuffisance cardiaque dans un tiers des cas qui cor-
nécessitant le recours à une thérapie de cardiaque sont bien connus. Mais la respond en fait à une ICA sévère avec
façon rapide. Elle peut être soit en lien symptomatologie du patient âgé est par- congestion bronchique), une fatigue (au
avec la découverte d’une insuffisance fois difficile à mettre en évidence du fait, premier rang chez la personne âgée, mais
cardiaque, soit consécutive à l’aggrava- d’une part, des comorbidités au premier vraiment très peu spécifique), une perte
tion d’une insuffisance cardiaque sous- rang desquelles les pathologies pulmo- d’autonomie ou une altération de l’état
jacente. Son apparition peut être consé- naires et, d’autre part, de la difficulté de général, une prise de poids (élément non
cutive à des facteurs qu’il conviendra l’interrogatoire et de l’examen clinique obligatoire), des œdèmes des membres
de prendre en charge de façon concomi- (patient alité, cachectique, démence, inférieurs (souvent lombaires avec des
tante (tableau I). troubles cognitifs). Il faut donc, le plus jambes fines chez le patient alité ou

16
réalités Cardiologiques # 280_Octobre 2011_Cahier 1

grabataire), une turgescence jugulaire fus. la saturation initiale en air ambiant coque cette population particulièrement
(souvent présente) avec reflux hépato- est en règle générale < 90 %. C’est une fragile. Concernant les arythmies, il
jugulaire (assez spécifique), des crépi- situation grave et il faut rechercher des s’agit le plus souvent d’arythmies supra-
tants pulmonaires (peu spécifiques mais signes d’épuisement respiratoire qui ventriculaires qu’il n’est pas conseillé
assez sensibles) qui ne disparaissent pas nécessiteront une prise en charge adap- de réduire – sauf instabilité hémodyna-
quand on fait tousser le patient assis. La tée très rapide. mique – du fait de l’absence d’anticoagu-
tachycardie est fréquente, mais peut être lation préalable et des risques d’accident
masquée par les médications. >>> L’insuffisance cardiaque hyperten- vasculaire cérébral et périphérique lors
sive se définit comme l’association d’une de cette réduction. Chez le patient âgé,
Les signes de gravité sont les signes de insuffisance cardiaque avec congestion le risque est encore plus grand et il est
choc à rechercher systématiquement pulmonaire et dyspnée souvent sans habituellement impossible de pouvoir
comme une pression artérielle systo- signe congestif périphérique et d’une dater exactement la survenue de cette
lique < 90 mmHg ou une baisse supé- hypertension artérielle systémique. Le arythmie qui pouvait très bien être pré-
rieure à 30 mmHg par rapport à la pres- patient est euvolémique et l’apparition sente avant la décompensation et s’être
sion habituelle (souvent plus informatif), de cette IC comme sa correction par un accélérée jusqu’à devenir symptoma-
une tachypnée supérieure à 30/min, traitement adéquat sont rapides. Elle est tique très récemment.
des marbrures des genoux, une peau souvent associée à une insuffisance car-
froide, des troubles du comportement diaque à fonction systolique conservée. 4. Stratégie thérapeutique
qui peuvent être liés uniquement à un
syndrome confusionnel par bas débit et >>> Le choc cardiogénique est défini l La stratégie thérapeutique poursuit
qui ne doivent pas faire étiqueter abusi- par une hypoperfusion périphérique et plusieurs objectifs à court, moyen et long
vement le patient comme “dément”. De centrale persistant après remplissage et termes :
même, une désaturation sous oxygène correction des arythmies. La pression
au masque (SaO2 < 90 %) et des signes artérielle est inférieure à 90 mmHg et >>> La prise en charge immédiate (des
de lutte respiratoire (balancement tho- la diurèse est faible, voire inexistante premières 24 heures) : amélioration des
raco-abdominal, utilisation des muscles (<0,5 mL/h). Il y a souvent une association symptômes et de la dyspnée (vasodila-
accessoires, impossibilité de s’allonger à des signes congestifs, mais pas toujours. tateurs et/ou diurétiques) ; oxygénation
sous oxygène) et des sueurs (hypercap- (voire la ventilation au masque) ; per-
nie) doivent particulièrement alerter. En >>> L’insuffisance cardiaque droite iso- fusion viscérale adéquate ; limitation
pratique, les personnes âgées présentent lée caractérisée par un syndrome de bas de la iatrogénie des thérapeutiques, de
souvent des signes de gravité clinique débit sans congestion pulmonaire avec l’impact de la pathologie sur le système
initiaux. des signes droits très présents et des pres- cardiovasculaire (infarctus) et rénal
sions de remplissage gauches basses. (hypoperfusion, nécrose tubulaire ou
On distingue plusieurs cadres “diagnos- iatrogène par déshydratation et troubles
tiques” autour de la même pathologie, 3. Etiologie des décompensations hydro-électrolytiques) et du risque de
même s’il existe de nombreuses situations complications et la durée de séjour aux
intermédiaires et cela quel que soit l’âge : Les facteurs précipitant une décompen- urgences.
sation sont multiples et souvent intri-
>>> La décompensation cardiaque qués, en particulier chez la personne >>> La prise en charge intrahospitalière
correspond à une ICA associant une âgée chez qui les comorbidités sont nom- vise à stabiliser le patient, à optimiser la
congestion périphérique et une conges- breuses. Les causes curables et aiguës les thérapeutique, à initier les traitements
tion pulmonaire plus modérée que dans plus fréquentes sont la poussée hyper- de fond de l’IC (et donc pas les diuré-
le cas de l’œdème pulmonaire. Ici, les tensive (PAS > 140 mmHg), l’apparition tiques) qui ont prouvé leur bénéfice sur
râles ne dépassent pas les mi-champs d’une fibrillation atriale ou son accéléra- la mortalité à long terme (inhibiteurs de
pulmonaires. L’apparition de la décom- tion, l’ischémie myocardique, les infec- l’enzyme de conversion (IEC), bêtablo-
pensation est plus ou moins rapide en tions et les arythmies. quants) et à limiter la durée du séjour
fonction des patients et de l’évolutivité ainsi que la iatrogénie.
de leur pathologie. Les infections sont une cause particuliè-
rement fréquente, qu’elles soient virales >>> La prise en charge avant la sortie est
>>> L’œdème pulmonaire correspond à ou bactériennes. Insistons une nouvelle un élément majeur de la prise en charge
une détresse respiratoire avec tachypnée, fois sur l’intérêt majeur de vacciner du patient, car elle conditionne son trai-
orthopnée et des râles pulmonaires dif- contre la grippe ET contre le pneumo- tement au long cours. Elle permettra de

17
réalités Cardiologiques # 280_Octobre 2011_Cahier 1

Le dossier
Insufisance cardiaque du sujet âgé

planifier une stratégie (contact avec le de 95 %. La mise sous O2 est nécessaire cer, si pas de contre-indication, à la dose
médecin traitant) de prise en charge (que dès qu’il existe une tachypnée qui peut de trinitrine IVSE 1 mg/h à adapter pour
le patient sorte du service de cardiologie masquer une désaturation. En effet, si la une tension > 100 mmHg à l’efficacité et
ou de gériatrie), d’éduquer le patient vis- saturation est juste stabilisée au prix d’une à la tolérance toutes les 15 minutes.
à-vis de sa pathologie (par une éducation tachypnée, le patient va rapidement épui-
thérapeutique au sens du référentiel HAS ser ses réserves musculo-respiratoires. >>> Les inotropes positifs : ils sont indi-
2007 [7]) afin d’éviter une réhospitalisa- Chez l’insuffisant respiratoire, une satu- qués en cas de choc ou d’hypotension
tion précoce et d’améliorer la qualité de ration de 90 % est suffisante pour ne trop associée à la poussée d’insuffisance
vie et la survie à long terme. Le dosage majorer l’hypercapnie (qui sera en outre cardiaque. L’âge n’est en aucun cas une
du BNP à la sortie [8] peut être utile majorée par les diurétiques de l’anse). contre-indication à leur usage. En pre-
pour déterminer le pronostic à court et mière ligne, on préférera la dobutamine.
moyen terme et donc permettre d’opti- >>> Morphine : très utile en cas de Ils sont contre-indiqués en cas d’aryth-
miser, avec le médecin et le cardiologue douleur ou de dyspnée sans trouble de mie rapide ou de troubles du rythme non
traitants, la rapidité de prise en charge et conscience car elle possède une effet contrôlés (tableau III).
la cadence du suivi initial. vasoconstricteur bronchique. Débuter
à la dose de 2 mg SC ou IV, à réitérer si >>> Ventilation non invasive ou au
Toutes ces étapes sont importantes nécessaire. Elle nécessite un monitoring masque (Vni) : c’est un traitement qui
pour éviter une réadmission précoce continu de la saturation. réduit la précharge (soit avec la pression
du patient et surtout l’apparition d’une expiratoire positive expiratoire seule –
iatrogénie fréquente. Il est important de >>> diurétiques : à adapter à la dyspnée CPAP-VSPEP, soit en plus avec une aide
respecter ces étapes même si, faute de et à l’effet diurétique. A débuter une fois inspiratoire, bi-PAP, VSPEP-AI), aug-
place, de nombreux patients passent l’hémodynamique stabilisée. Le traite- mente les pressions intrathoraciques,
une partie importante de leur séjour en ment diurétique en cas d’ICA est un trai- favorise l’éjection du ventricule gauche
Unités de court séjour aux urgences. tement intraveineux (tableau II). et laisse ouverte les alvéoles (favorise
Cette stratification dans la prise en les échanges gazeux, améliore l’oxy-
charge montre bien que les traitements >>> Vasodilatateurs : principalement génation et diminue la capnie). Il faut
évoluent au cours de la poussée. A titre représentés par les dérivés nitrés en bien expliquer au patient l’intérêt du
d’exemple, les IEC ont toute leur place France. Ils sont recommandés dès la traitement et l’importance de réitérer
dans le traitement chronique ou à la sor- phase initiale, en dehors des cas d’hy- éventuellement les séances (toutes les
tie de la décompensation, mais ils n’ont potension ou d’instabilité hémodyna- heures initialement), car c’est un trai-
aucun intérêt, voire ils peuvent être dan- mique. Ils nécessitent un monitoring tement anxiogène. A l’initiation, il faut
gereux, au cours de la phase de prise en régulier de la pression artérielle. Ils sont débuter par une PEEP de 5 cm H2O puis
charge tout initiale (risques d’hypoten- très utiles pour contrôler la pression arté- majorer progressivement jusqu’à 10 avec
sion et d’insuffisance rénale). rielle en cas d’insuffisance cardiaque une FiO2 nécessaire pour une SpO2 supé-
hypertensive. Ils sont contre-indiqués en rieure à 92 %. Il faut essayer de maintenir
l La prise en charge thérapeutique à la cas d’hypotension, de choc ou de patho- cette VNI 30 minutes, puis réévaluer la
phase aiguë comprend : logie obstructive (cardiopathie hypertro- nécessité de recommencer des séances
phique obstructive, rétrécissement aor- séparées par une oxygénation au masque
>>> oxygène : à la dose suffisante pour tique). Ils devraient être plus largement à haute concentration 10-15 L/min. On
stabiliser la saturation en O2 au-dessus utilisés. En pratique, on peut commen- peut arrêter la VNI quand le patient

IC Phase 1 Alternative Nitrés Alternative VNI

Modérée Furosémide 40 mg IVD Bumétanide 1 mg IVD Non Non Non

Sévère Furosémide Bumétanide 1-4 mg IVD Risordan Nitroprussiate (si HTA Oui
40- 120 mg IVD IVSE 1-10 mg/h incontrôlable et OAP sévère)
0,3 µg/kg/min – 5µµg/kg/min

Réfractaire Hydrochlorothiazide Spironolactone 25-50 mg Risordan IVSE Nitroprussiate (si HTA Oui
Monothérapie 25-100 mg (privilégier si hypoK + 1-10 mg/h incontrôlable et OAP sévère)
diurétique et pas d’ins. rénale) 0,3 µg/kg/min – 5 µg/kg/min

Tableau II : Stratégie thérapeutique.

18
réalités Cardiologiques # 280_Octobre 2011_Cahier 1

[
Bolus Perfusion IVSE
L’Insuffisance cardiaque
chronique : le challenge
Dobutamine Non 2-20 µg/kg/minute de l’optimisation
Dopamine Non 3-5 µg/kg/min Si > 5 effet b-agoniste thérapeutique malgré les
et surtout risque comorbidités
de vasoconstriction

Noradrénaline Non 0,2-1 µg/kg/min


Même si l’amélioration des thérapeu-
tiques a permis à une majorité des sep-
Adrénaline Non sauf arrêt 0,05-0,5 µg/kg/min tuagénaires une vie sans limitation fonc-
cardiocirculatoire
tionnelle, la polypathologie est de règle
chez les patients âgés de plus de 75 ans.
Tableau III : Maniement des inotropes positifs.
Celle-ci induit une polymédication,
souvent majeure avec une prescription
présente une saturation sous oxygène 5. Médecine post-urgences, gériatrie moyenne de 10 spécialités différentes
> 90-95 % (importance de répéter les gaz ou cardiologie ? chez les patients institutionnalisés.
du sang). Les effets secondaires doivent Cette polymédication est d’autant plus
être particulièrement surveillés et en par- L’orientation des patients sera étroi- à risque que l’absorption, la fixation aux
ticulier l’aggravation d’une insuffisance tement dépendante de son hémody- protéines mais aussi les mécanismes de
cardiaque droite et/ou d’une insuffisance namique, de sa congestion, de leur clairance sont considérablement modi-
rénale et la survenue d’un pneumotho- réponse au traitement et des possi- fiés chez le patient âgé. La iatrogénie
rax. Les contre-indications sont le patient bilités locales. L’élément clef, c’est reste trop fréquente, elle est à mettre
agité, inconscient ou en choc et la néces- l’inscription du patient dans une en balance avec le surcroît de mortalité
sité de pratiquer une intubation immé- filière de prise en charge intra- puis induit par la sous-prescription de trai-
diate. Le patient ayant une insuffisance extrahospitalière qui lui permettra de tement de fond chez le patient de plus
respiratoire sous-jacente sera à particu- bénéficier d’un traitement optimal de de 80 ans comme cela à bien été mon-
lièrement surveiller. Chez le patient âgé, sa pathologie. Dans l’ICA, il faut certes tré par les essais HYVET dans l’HTA ou
cette technique permet de diminuer très normaliser la congestion, mais en fait SENIORS dans l’insuffisance cardiaque.
notablement les risques d’intubation et surtout éviter la récidive précoce. Une
de ventilation mécanique. Il est impor- prise en charge cardiologique (soit Le cardiologue et le médecin généraliste
tant de ne pas la proposer trop tard et dans un service, soit par un avis au correspondant sont donc en permanence
donc de bien identifier les patients pré- cours du séjour) est souvent associée dans l’analyse du rapport bénéfice/
sentant des signes de gravité dès leur arri- à un taux plus élevé de prescriptions risque. La loi 2004-806 du 9 août 2004
vée (hypoxémie ou acidose respiratoire). de traitements de fond de l’IC. Il est relative à la politique de Santé publique
donc important de proposer le patient a fixé comme objectif de parvenir à la
>>> Traitements antérieurs par bêtablo- au service de cardiologie qui, rappe- réduction de la fréquence des prescrip-
quants et iEc-ara2 (antagonistes des lons-le, ne doit pas faire ses “choix” tions inadaptées chez les personnes
récepteurs à l’angiotensine de type 2) : sur des critères d’âge, mais de gravité… âgées et à la réduction de la fréquence
Les bêtabloquants, en dehors du choc et des événements iatrogènes d’origine
de la nécessité d’un support inotrope, ne Si le patient sort directement après une médicamenteuse entraînant une hospi-
doivent pas être arrêtés, mais ils peuvent prise en charge en secteur de courte talisation. Pour autant, le risque de iatro-
être transitoirement diminués (50 %). durée ou post-MPU, il faut impérative- génie ne doit pas être le prétexte à une
Les IEC et ARA2 peuvent être transitoi- ment une échographie cardiaque et un sous-médicalisation des patients âgés.
rement arrêtés car, d’une part, le traite- avis cardiologique avant sa sortie ou, s’il
ment diurétique intraveineux amplifie est déjà suivi en ville, un contact avec L’absorption est modifiée dans les deux
le risque d’insuffisance rénale et, d’autre son cardiologue pour rééquilibration sens du fait du vieillissement du système
part, ces deux classes thérapeutiques on rapide. L’important est de considérer le digestif avec une modification du pH et
un effet à long terme et ne présentent pas patient âgé avec une ICA comme plus un allongement de la vidange gastrique.
d’effet rebond. sévère et de traitement plus difficile que Le transport et la distribution peuvent
le patient jeune. C’est donc le patient a être également considérablement modi-
>>> Bien sûr, la prise en charge d’un inscrire prioritairement dans une filière fiés avec, d’une part, une diminution
éventuel facteur déclenchant est essen- de soins et dans une action “de longue de l’eau totale et de la masse maigre
tielle. haleine”. de l’organisme, ce qui peut augmenter

19
réalités Cardiologiques # 280_Octobre 2011_Cahier 1

Le dossier
Insufisance cardiaque du sujet âgé

les risques de surdosage des drogues patient âgé, en particulier dans le traite- inclus dans l’étude fait que la population
hydrosolubles et, d’autre part, une aug- ment de l’hypertension artérielle. Leur “gériatrique” est peu concernée.
mentation de la masse grasse, ce qui peut utilisation dans la prise en charge de
accentuer les risques d’accumulation l’insuffisance cardiaque est également >>> Les digitaliques : ils n’ont pas
des drogues liposolubles avec un risque recommandée. Leur prescription sou- démontré de bénéfice sur la morbi-mor-
de relargage prolongé. Par exemple, pour vent conjointe à celle des diurétiques talité dans l’insuffisance cardiaque ; ils
les anti-vitamines K, la diminution de majore le risque de survenue d’une insuf- sont, en revanche, intéressants chez les
l’albumine circulante augmente la frac- fisance rénale et d’une dyskaliémie. Les patients en arythmie rapide. Leur poso-
tion libre active avec une augmentation posologies nécessitent une adaptation logie doit être réduite chez le patient âgé
du risque de toxicité pour un dosage si la clairance de la créatinine est infé- du fait de leur particulière sensibilité à
équivalent à celui d’un sujet plus jeune. rieure à 60 mL/min. Une augmentation cette classe et même si les dosages san-
de 20 % de la créatinine peut être tolérée guins ne mettent pas en évidence de sur-
>>> diurétiques : tous les diurétiques du fait du bénéfice escompté ; au-delà, dosage. Les signes de surdosage clinique
peuvent provoquer la majoration ou il faut diminuer les doses prescrites. A peuvent en effet être masqués (troubles
l’apparition d’une insuffisance rénale l’inverse, la kaliémie doit être surveillée digestifs). La toxicité des digitaliques est
chez le patient âgé. La diminution du de façon très attentive et l’adaptation majorée par les dyskaliémies et certains
débit de filtration glomérulaire fréquente des doses doit être immédiate en cas de antibiotiques comme les macrolides. La
à cet âge, qu’elle soit liée au vieillisse- kaliémie > 5,5 mEq/l. posologie de prescription doit être dimi-
ment ou aux nombreuses pathologies nuée au moins de moitié par rapport aux
du grand âge, est un élément majeur de >>> Les bêtabloquants : les risques de patients jeunes et la surveillance de la
ce risque iatrogène. Aucune méthode mauvaise tolérance augmentent en fonction rénale et de la kaliémie être
ou formule courante visant à estimer le théorie avec l’âge. Pour autant, dans extrêmement stricte.
débit de filtration et à adapter la dose des l’étude SENIORS, la iatrogénie liée aux
médicaments n’est totalement satisfai- bêtabloquants s’est révélée relativement >>> Les dérivés nitrés : ils exposent à
sante. La formule de Cockcroft est la plus faible et comparable à celle mise en évi- un risque d’hypotension orthostatique
couramment utilisée. Les laboratoires dence dans les études portant chez le majeur. Leur impact positif reste limité
de ville devraient donner leurs résul- sujet jeune. Il faudra se méfier de l’as- et ils devront être arrêtés dans la mesure
tats à partir de cette formule même si la sociation à des collyres bêtabloquants du possible.
méthode de calcul du MDRD (acronyme et des coprescriptions (digitaliques,
de l’étude ayant permis de la valider) est antiarythmiques). Comme chez le sujet >>> Les anticoagulants : ils sont source
plus précise (elle fait intervenir l’ethnie, jeune et comme pour les IEC, l’objectif d’une iatrogénie importante chez les
l’urée et l’albuminémie). Du fait de la est d’obtenir la dose maximale tolérée patients âgés. Les HBPM doivent être
polymédication pouvant inclure des en surveillant l’électrocardiogramme et systématiquement prescrites à demi-
médicaments à risque en cas d’hypo- ou la pression artérielle. doses chez les patients de plus de 75 ans
d’hyperkaliémie, il faut être particuliè- et sont déconseillées en cas d’insuffi-
rement vigilant sur l’évolution du taux >>> Les antialdostérones : ce sont des sance rénale sévère. Leur prescription
de potassium et la fonction rénale, le molécules prescrites en seconde ligne s’accompagnera donc d’une mesure de la
patient âgé étant vite déshydraté, surtout dans l’insuffisance cardiaque et donc en fonction rénale. La prescription d’AINS
si s’ajoutent une faible hydratation avec association aux bloqueurs du SRA. Ils en association est fortement déconseillée
disparition de la sensation de soif, une induisent un risque majeur d’hyperkalié- (comme pour les diurétiques et IEC).
dysautonomie, des vomissements ou mie et d’insuffisance rénale, d’apparition Pour les anti-vitamines K, il faut tenir
une diarrhée. L’hyponatrémie est aussi parfois brutale en particulier quand exis- compte du risque de iatrogénie en cas
volontiers négligée chez le patient âgé. tent des circonstances favorisantes (diar- d’hypoprotidémie et en cas d’associa-
Elle est souvent renforcée par un régime rhée, déshydratation). En pratique, leur tion aux macrolides. La surveillance doit
sans sel inadapté. Cette hyponatrémie posologie ne doit pas dépasser 25 mg/j être renforcée et adaptée au patient et à
implique une diminution de l’efficacité de spironolactone et les adaptations à ses troubles cognitifs éventuels.
des diurétiques et peut être responsable la baisse devront être très rapides, ce
d’une confusion mentale parfois sévère. qui nécessite une surveillance particu- >>> Les traitements électriques : le
lièrement stricte. L’étude EMPHASIS a défibrillateur n’est pas stricto sensu un
>>> Les inhibiteurs du système rénine- récemment montré l’intérêt de ces médi- traitement de l’insuffisance cardiaque,
angiotensine : ce sont des médicaments caments dès la classe 2 de la NYHA mais, mais il permet de prendre en charge de
qui ont prouvé leur efficacité chez le encore une fois, l’âge moyen des patients façon efficace les complications ryth-

20
réalités Cardiologiques # 280_Octobre 2011_Cahier 1

miques dont la mortalité est très élevée. détectée et correctement prise en charge. 02. COWIE MR, MOSTERD A, WOOD DA et al. The
epidemiology of heart failure. Eur Heart J,
La recommandation de la Société euro- Seule l’éducation thérapeutique permet
1997 ; 18 : 209-225.
péenne de cardiologie est qu’en l’ab- d’améliorer le pronostic des patients 03. DELAHAYE F, ROTH O, AUPETIT JF et al.
sence d’un pronostic engagé inférieur à insuffisants cardiaques à la différence Epidemiology and prognosis of cardiac
1 an, le défibrillateur doit être proposé de la simple information, aussi empa- insufficiency. Arch. Mal Cœur, 2003 ; 94 :
1 393-1 403.
aux patients. En pratique, les patients de thique soit elle. 04. DICKSTEIN K, COHEN SOLAL A, FILLIPATOS
plus de 75 ans n’ont que rarement accès à G ESC guidelines for the diagnosis and
ce type de thérapie. L’indication du défi- Au total donc, la prise en charge thé- treatment of acute and chronic heart fai-
lure 2008. European J Fail, 2008 ; 933-989.
brillateur sera à discuter au cas par cas, rapeutique du patient âgé atteint d’in-
05. KOMAJDA M, HANON O, AUPETIT JF.
l’âge en lui-même devant être intégré suffisance cardiaque chronique est Management of heart failure in the
dans la décision. Le pacemaker multisite particulièrement difficile et nécessite elderly : recommendations from the
est, en revanche, un traitement majeur beaucoup de finesse et d’adaptation. French Society of Cardiology (SFC) and
the French Society of Gerontology and
de l’insuffisance cardiaque systolique. Alors que c’est le patient le plus à risque Geriatrics (SFGG). J Nutr Health Aging,
Il permet, outre la réduction de la morta- d’événements, c’est celui sur lequel nous 2006 ; 10 : 434-444.
lité et de la morbidité, une amélioration disposons du moins d’études et chez 06. FORRESTER JS, DIAMOND GA, SWAN HJ.
franche et rapide de la qualité de vie chez qui la thérapie est la moins optimale. Il Correlative classification of clinical and
haemodynamic function after acute myo-
les patients bons répondeurs. A ce titre, conviendra aussi d’être plus strict que cardial infarction. Am J Cardiol, 1977 ; 39 :
à mon sens, l’âge ne doit pas entrer en chez le sujet jeune concernant la sur- 137-139.
ligne de compte dans la discussion des veillance clinique (pression artérielle 07. www.has.org
08. LOGEART D, THABUT G, JOURDAIN P.
indications debout couchée, auscultation des caro-
Predischarge B-type natriuretic peptide
tides, recherche de troubles cognitifs) et assay for identifying patients at high risk
>>> L’éducation thérapeutique (ETP) : biologique (fonction rénale, kaliémie), of re-admission after decompensated
elle est d’un intérêt majeur en cas d’in- ce qui en pratique est malheureusement heart failure. J Am Coll Cardiol, 2004 ; 43 :
635-641.
suffisance cardiaque chronique chez le trop peu mis en place. 09. MICHALSEN A, KONIG G, THIMME W et al.
patient âgé (c’est sur cette population Preventable causative factors leading to
spécifique qu’ont porté les premiers tra- hospital admission with decompensated
heart failure. Heart, 1998 ; 80 : 437-441.
vaux d’ETP). Elle nécessite parfois une
adaptation des techniques éducatives, Bibliographie
mais le message doit rester le même. La 01. STEWART S, MACINTYRE K, HOLE DJ et al.
More malignant than cancer ? Five-year
non observance est fréquemment retrou-
survival following a first admission for L'auteur a déclaré ne pas avoir de conflits
vée chez le patient âgé, et c’est un facteur heart failure. Eur J Heart Fail, 2001 ; 3 : d'intérêts concernant les données publiées dans
de risque considérable si elle n’est pas 315-322. cet article.

www.realites-cardiologiques.com
Pour nous retrouver, vous pouvez :

l soit vous rendre à l’adresse suivante : www.realites-cardiologiques.com

l soit utiliser, à partir de votre Smartphone, le flash code* imprimé sur la


couverture du numéro et dans cet encadré.

* Pour utiliser le flash code, il vous faut télécharger une application Flash code sur
votre Smartphone, puis tout simplement photographier, à partir de celle-ci, notre
flash code. L’accès au site est immédiat.

21

Vous aimerez peut-être aussi