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réalités Cardiologiques – n° 367_Décembre 2021

Revues générales

Dépistage du syndrome d’apnées


du sommeil par le cardiologue :
de la théorie à la pratique

RÉSUMÉ : Le syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) est extrêmement fréquent chez
nos patients vus en consultation. Passer à côté du diagnostic peut avoir des conséquences lourdes
alors même que les symptômes sont assez simples à repérer et que la polygraphie du sommeil est un
moyen fiable de faire le diagnostic.
Le traitement par pression positive continue (PPC) est bien toléré à condition de consacrer un temps
suffisant aux explications initiales et à la correction des phénomènes bénins d’intolérance.
Bien que les données disponibles sur la prise en charge du SAOS – à part dans l’HTA – peinent à entrer
dans le cadre de l’evidence-based medicine, les nombreux registres et cohortes vont tous dans le sens
d’une prise en charge, ne serait-ce que pour l’amélioration franche de qualité de vie apportée par la PPC.

L
e syndrome d’apnées du sommeil lations de patients vus en consultation,
(SAS) est devenu ces dernières la fréquence explose : 20 à 70 % de nos
années un sujet incontournable patients avec un problème de fibrilla-
pour le cardiologue. Cette mise au tion atriale (FA), 40 % des hyperten-
point est à visée très pratique pour nos sions artérielles (HTA) et 80 % des HTA
consultations tout venant. Elle traitera résistantes, 31 à 60 % des pathologies
uniquement des apnées obstructives du coronariennes, 57 à 75 % des accidents
sommeil (SAOS), laissant volontaire- ischémiques transitoires (AIT) et AVC,
ment de côté le SAS central auquel le car- 50 % des diabétiques de type 2, 50 à
diologue est confronté essentiellement 80 % des obèses, 69 % des insuffisances
dans l’insuffisance cardiaque et dont la cardiaques à fonction systolique préser-
prise en charge reste problématique suite vée et 50 % des insuffisances cardiaques
à l’échec des essais thérapeutiques avec tout venant. Enfin, 10 % des SAOS ont
M. MARAZANOF la ventilation auto-asservie (SERVE-HF). une hypertension artérielle pulmonaire
Cabinet de Cardiologie, PESSAC. et on a aussi pu noter une augmentation
de diamètre de l’aorte thoracique [1, 2].
Quelles sont vos chances
de découvrir un syndrome
d’apnées du sommeil ? Quelle perte de chance pour le
patient si vous ne faites pas le
En population générale, 14 % des diagnostic ?
hommes et 5 % des femmes ont un index
d’apnée/hypopnée (IAH) > 5. À la soixan- Le SAS est associé à une augmentation
taine, cela représente 1 homme sur 4 des pathologies coronariennes, des
et 1 femme sur 8. Mais dans nos popu- AVC, des morts subites, des troubles du

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rythme auriculaire et ventriculaire, et de


100
l’HTA [2].

IAH < 5 La mortalité d’origine cardiovasculaire


90 (fig. 1) du syndrome d’apnées du som-
IAH 5-15
meil sévère (IAH > 30/h) est de 18 %
à 12 ans [3] en l’absence de traitement
IAH 15-30 efficace, soit un RR à 2,87/sujet sain
80 (IC95 % : 1,17-7,51).
Survie (%)

La morbidité d’origine cardiovasculaire


(fig. 2) du syndrome d’apnées du som-
70 meil sévère (IAH > 30/h) est de 30 % à
12 ans [4, 5] en l’absence de traitement
efficace, soit un RR à 3,17/sujet sain
(IC95 % : 1,12-7,51).
60
IAH ≥ 30

Dépistage du SAS : êtes-vous


50 dans les recommandations ?
0 5 10 15 20 Les recommandations ESC incluent la
recherche d’un SAOS pour les facteurs
Années de suivi
de risque (2016), l’HTA (2018), la FA
(2020), soit la grande majorité de nos
Fig. 1 : Mortalité liée au SAS (Wisconsin cohort study).
patients.

35
  Comment allez-vous dépister ?

 30 R  !s
1. La clinique :
 quel questionnaire utiliser ?


 25 SA€" # $%% >>> Évaluer la somnolence



 SA€" %&èr L’échelle d’Epworth est une échelle de
 somnolence diurne pour l’apnéique.
 20
 Pourtant, 50 % des apnéiques sévères ne
 SA€" 'v( ))

sont pas somnolents et les patients du


15 cardiologue le sont souvent assez peu


(très faible sensibilité, 27-72 % selon les

 populations) mais cette étape est obliga-

 10 toire et médico-légale compte tenu du

 risque d’accident.

 5
 >>> Évaluer les symptômes

De multiples questionnaires ont


0
été évalués : Berlin, STOP-BANG…
0 36 72 108 144
Globalement, ils ont une bonne sensi-
 
bilité (70-90 %) mais des spécificités
souvent faibles (voisines de 30 %). Par
Fig. 2 : Morbidité liée au SAS avec et sans appareillage. ailleurs, attention à la présentation cli-

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nique chez les femmes pour lesquelles acceptée avec une bonne sensibilité tion, de faux négatifs et les logiciels n’ont
la fatigue, les insomnies, les céphalées et (80 %). Toutefois, il ne faudra jamais pas été suffisamment évalués. Il faudra
la tendance dépressive sont souvent au hésiter à passer à la polysomnographie en particulier vérifier le nombre d’heures
premier plan avec moins de ronflements, si la polygraphie est négative chez un d’enregistrement, supprimer les phases
d’apnées décrites par l’entourage ou de patient symptomatique [8], car elle d’éveil, les phases de signal non interpré-
somnolence que pour les hommes [6]. peut sous-estimer l’IAH et ne permet table, chiffrer l’importance des désatura-
pas d’enregistrer les micro-éveils. tions et redresser les faux diagnostics de
Quoiqu’il en soit, compte tenu de la La polygraphie ventilatoire doit être SAS central.
fréquence des troubles respiratoires du accompagnée d’un questionnaire d’ap-
sommeil, une consultation cardiolo- préciation subjective de la qualité du
gique devrait aujourd’hui au minimum sommeil et le tracé doit durer au moins Quel traitement proposer ?
poser la question de la qualité de som- 6 heures (fig. 3).
meil et de la fatigue diurne. En première intention, c’est l’appa-
3. Peut-on se fier à l’interprétation reillage nocturne par pression positive
2. Quels examens complémentaires ? automatique de la machine ? continue (PPC). En cas d’échec ou d’into-
lérance, on pourra proposer une orthèse
Selon les recommandations SFRMS On serait tenté de se fier à des algo- d’avancée mandibulaire [9]. Ces pres-
2010/American Academy of sleep rithmes de lecture automatique qui, criptions passent par une demande d’en-
medicine [7], la polysomnographie est globalement, donnent d’assez bons tente préalable à remplir par le médecin
la référence mais, compte tenu d’un résultats, mais la réponse est clairement prescripteur qui sera transmise à la
accès limité, la simple polygraphie est non car il y a un risque de sous-estima- Sécurité sociale. En France, l’IAH doit

Ronflement

Persistance d’efforts respiratoires

Arrêt du flux narinaire

Désaturation

Tachycardie

Indice de micro-éveil

Fig. 3 : Tracé de polygraphie. Définition de l’apnée obstructive : arrêt du flux narinaire de plus de 10 secondes avec persistance des efforts respiratoires. En cas d’apnée
centrale, les mouvements thoraco-abdominaux disparaissent. Hypopnée : baisse du flux narinaire > 50 % ou < 50 % mais avec désaturation > 3 %, ou micro-éveil
(uniquement en polysomnographie).

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– pour les véhicules légers de déconseil-


ler la conduite automobile en attendant
POINTS FORTS de vérifier sa disparition dans le 1er mois
d’appareillage des apnées ;
– pour les poids lourds et les profession-
❙ Au même titre que les facteurs de risque classiques, une
nels de la route la même règle s’applique
consultation de cardiologie ne devrait plus faire l’impasse sur la
mais il faut y ajouter l’obligation d’un test
recherche d’un SAS à l’interrogatoire.
de maintien de l’éveil (réalisé dans les
❙ La somnolence, bien que peu fréquente chez le patient centres du sommeil), obligatoire avant
cardiologique, doit systématiquement être recherchée en raison du la reprise du travail.
risque d’accident de la route.
❙ Pour les conducteurs professionnels, le test de maintien de l’éveil
est obligatoire. Quels patients adresser à des
confrères d’autres spécialités ?
❙ La tolérance de la PPC est bonne sous condition d’une prise en
charge optimisée lors du diagnostic et sur les premiers mois. 1. ORL

Tous les SAOS doivent avoir un examen


être ≥ 30/h mais accepté jusqu’à 15 en d’indication pour les patients asympto- au moins succinct des voies aériennes
cas de comorbidités cardiovasculaires. matiques dans les recommandations. À supérieures. Celui-ci devra être réalisé
l’inverse, plus de 80 % des patients symp- par un ORL en cas d’obstruction nasale,
Il faut systématiquement s’attacher à la tomatiques sont adhérents à 1 an [11, 12]. de suspicion de problème amygdalien
reprise de l’activité physique et à la perte ou si on envisage une orthèse d’avancée
de poids [2, 10]. On peut en attendre une 2. Seconde étape : mandibulaire (dans ce cas, la prise en
baisse de l’IAH de 6/h. la consultation du 4e mois charge est fréquemment assurée par le
dentiste).
Lorsque le SAS est positionnel – le plus Cette étape correspond au premier
souvent en décubitus dorsal – on pourra renouvellement de la prise en charge 2. Pneumologue
proposer des mesures positionnelles par la Sécurité sociale. Elle permet de
(artisanales avec édredon ou balle de vérifier l’efficacité et en particulier que l En cas de suspicion de BPCO (Overlap
tennis cousue dans le dos d’un T-shirt l’observance est à l’objectif (> 4 h/j, syndrome), les explorations fonction-
ou par un dispositif conçu spécialement sur 70 % des jours), que les apnées ont nelles respiratoires (EFR) sont alors
type PASULDO). disparu et que les symptômes se sont nécessaires car le mode de titration et de
améliorés. Il faudra traquer les effets ventilation va être différent (pas d’auto-
indésirables les plus fréquents et faciles piloté).
Comment faire adhérer à corriger :
le patient à son traitement – en cas de bouche sèche ou de rhinor- l Sur un terrain d’insuffisance respira-
par PPC ? rhée, mettre en place un humidificateur toire, il faudra traquer l’hypoxie : une
et/ou un circuit chauffant ; oxygénothérapie associée peut être
1. Première étape : l’adhésion initiale – en cas de respiration buccale, passer au nécessaire.
masque facial ;
Les principaux indicateurs de l’obser- – en cas de fuites, si besoin changer le l Chez l’obèse, il importe de traquer l’hy-
vance à 1 an sont l’adhésion initiale, l’effi- masque ; percapnie de l’hypoventilation alvéo-
cacité sur l’amélioration des symptômes, – en cas d’éructations ou de flatulences, laire (Pa O2 < 70, PaCO2 > 45 mmhg).
la sévérité du SAS initial, la bonne com- diminuer les pressions d’insufflation.
préhension des risques liés à la patho- 3. Centre du sommeil
logie. D’où l’importance majeure de la
consultation initiale d’explication avec le Permis de conduire : votre Il convient d’adresser le patient à un
cardiologue et de l’intervention du pres- responsabilité est engagée centre du sommeil lorsqu’une polysom-
tataire dans le 1er mois avec des passages nographie est nécessaire (symptômes
multiples pour la titration. Cela explique En cas de somnolence, vous êtes typiques mais polygraphie négative),
aussi les difficultés de traitement chez des tenus (décret au Journal officiel de en cas d’insomnie associée, si un test de
patients peu symptomatiques et l’absence décembre 2015) : maintien de l’éveil doit être réalisé ou

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un test itératif de latence à l’endormisse- ples, le cardiologue devrait aujourd’hui 8. G OTTLIEB DJ, P UNJABI NM. Diagnosis
ment (qui mesure la somnolence). intégrer le dépistage des apnées du som- and Management of Obstructive Sleep
Apnea: A Review. JAMA, 2020;323:
meil dans sa pratique quotidienne même 1389-1400.
s’il ne prend pas en charge leur explora- 9. DE VRIES GE, HOEKEMA A, VERMEULEN KM
Avez-vous des arguments forts tion ni leur traitement. et al. Clinical- and Cost-Effectiveness of a
en faveur du traitement des Mandibular Advancement Device Versus
apnées ? Continuous Positive Airway Pressure
in Moderate Obstructive Sleep Apnea.
BIBLIOGRAPHIE J Clin Sleep Med, 2019;15:1477-1485.
C’est dans l’HTA que le niveau de 10. GOTTLIEB DJ, PUNJABI NM. Diagnosis and
preuve est le plus fort avec une réduc- 1. LINZ D, MC EVOY RD, COWIE MR et al. management of obstructive sleep apnea:
tion de 2-3 mmhg, voire de 5 à 7 mmhg Associations of Obstructive Sleep a review. JAMA, 2020;323:1389-1400.
dans l’HTA résistante. Ce résultat, certes Apnea With Atrial Fibrillation and 11. CHAI-COETZER CL, ANTIC NA, ROWLAND LS
Continuous Positive Airway Pressure et al. Primary care vs specialist sleep
modeste, doit à long terme permettre une
Treatment: A Review. JAMA Cardiol, center management of obstructive
réduction du risque d’AVC et de patholo- 2018;3:532-540. sleep apnea and daytime sleepiness
gie cardiovasculaire de 4 à 8 % [13]. 2. JAVAHERI S, BARBE F, CAMPOS-RODRIGUEZ and quality of life: a randomized trial.
et al. Sleep apnea : types, mecha- JAMA, 2013;309:997-1004.
Le niveau de preuve est moins fort nisms, and clinical cardiovascular 12. PATIL SP, AYAPPA IA, CAPLES SM et al.
(manque d’essais randomisés mais qui consequences. J Am Coll Cardiol, 2017; Treatment of adult obstructive Sleep
69:841-858. apnea with positive airway pressure:
sont difficiles à réaliser car excluant en
3. Y OUNG T, F INN L, P EPPARD PL et al. an American academy of sleep medi-
général les SAS les plus sévères pour Sleep disordered breathing and mor- cine clinical practice guidelines. J Clin
des raisons éthiques évidentes) pour les tality: eighteen-year follow-up of the Sleep Med, 2019;15:335-343.
autres pathologies liées au SAS mais de Wisconsin sleep cohort. Sleep, 2008;31: 13. SCHEIN AS, KERKHOFF AC, CORONEL CC
nombreuses données plaident en faveur 1071-1078. et al. Continuous positive airway
de l’appareillage (études observation- 4. BARBE F, DURAN-CANTOLLA J, SANCHEZ-DE-LA- pressure reduces blood pressure in
TORRE M et al. Effect of continuous posi- patients with obstructive sleep apnea;
nelles, registres). Toutefois, dans un
tive airway pressure on the incidence of a systematic review and meta-anal-
certain nombre d’essais randomisés, l’ef- hypertension and cardiovascular events ysis with 1000 patients. J Hypertens,
ficacité semble démontrée si l’observance in nonsleepy patients with obstructive 2014;2014;32:1762-1773.
de la CPAP (Continuous Positive Airway sleep apnea: a randomized controlled 14. DRAGER LF, MCEVOY RD, BARBE F et al.
Pressure) est de plus de 4 h [2, 5, 14]. trial. JAMA, 2012;307:2161-2168. Sleep apnea and cardiovascular dis-
5. MCEVOY RD, ANTIC NA, HEELEY E et al. ease: lessons from recent trials and
CPAP for Prevention of Cardiovascular Need for team science. Circulation,
Enfin, chez les patients symptomatiques Events in Obstructiv e Sleep Apnea 2017;136:1840-1850.
l’amélioration de la qualité de vie est (SAVE). New Engl J Med, 2016;375: 15. L EWIS EF, W ANG R, P UNJABI N et al.
franche (état général, humeur, baisse des 919-931. Impact of positive airway pressure and
arrêts de travail) dans la grande majorité 6. PATAKA A, KOTOULAS S, KALAMARAS G oxygen on health status in patients
des cas [15], ce qui est particulièrement et al. Gender Differences in Obstructive with coronary heart disease, cardiovas-
Sleep Apnea: The Value of Sleep cular risk factors, and obstructive sleep
gratifiant pour le cardiologue non inter- Questionnaires with a Separate apnea: a HEARTBEAT analysis. Am
ventionnel qui, pour une fois, peut voir Analysis of Cardiovascular Patients. Heart J, 2017;189:59-67.
rapidement l’effet de sa prise en charge ! J Clin Med, 2020;9:130.
7. K APUR VK, A UCKLEY DH, C HOWDHURI
et al. Clinical Practice Guideline
for Diagnostic Testing for Adult
Conclusion Obstructive Sleep Apnea: An American
Academy of Sleep Medicine Clinical L’auteur a déclaré ne pas avoir de conflits
Compte tenu de la fréquence et des Practice Guideline. J Clin Sleep Med, d’intérêts concernant les données publiées
conséquences cardiovasculaires multi- 2017;13:479-504. dans cet article.

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