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Cours de Philosophie du Droit

FACULTE DE DROIT CIVIL

Année académique 2022-2023

INTRODUCTION GENERALE

0.1. Définition : philosophie du droit quid ?

La philosophie du droit est l’étude et l’analyse des concepts et des principes fondamentaux du droit et
des lois. Elle est une discipline située à l’intersection entre philosophie, études juridiques et sciences
politiques. Elle est désignée en anglais, sous le nom de « jurisprudence » ou de « legal theory ».

Parmi les principaux courants de la théorie du droit, on peut citer le positivisme juridique, dont Hans
Kelsen (1881-1973) a fourni les titres de noblesse, le jusnaturalisme (Ronald Dworkin), le réalisme (le
juge Oliver Holmes aux USA ou Axe Hägerstrom en Suède), qui se rapproche parfois de la sociologie
du droit, en mettant l’accent sur les pratiques effectives des acteurs juridiques.

0.2. Les questions fondamentales de la philosophie du droit


La philosophie du droit analyse les questions fondamentales relatives au droit : qu’est-ce que le droit
? qu’est-ce que le juste ?, quel est le rapport entre droit et justice ? comment naissent les normes de
droit ? quel est le fondement de la validité (de leur caractère normative) du droit ? quel est le rapport
entre morale et droit (et notamment le débat sur les droits de l’homme et le rôle des valeurs éthiques
par rapport au droit positif, c’est-à-dire aux lois et textes réglementaires existants ?), faut-il s’opposer
à la loi injuste ? Dans ce cadre il y a lieu d’ajouter que la philosophie du droit doit avoir trois spécificités
: déontologique ou doctrine de ce que le droit doit être ; ontologique ou doctrine de ce que le droit est
; phénoménologique ou doctrine de l’évolution du droit dans la société (N. BOBBIO, Giusnaturalismo
e positivismo giuridico, Iusnaturalisme et positivisme juridique, Laterza Lecce 2011, p.42). Qui avait
proposé une telle orientation et la suivait, retenait très probablement d’avoir saisi la vraie nature,
l’essence de la philosophie du droit. En réalité cette tripartition voulait si pleinement indiquer, pas déjà
les buts et le travail de la philosophie du droit, mais les thèmes dont doit s’occuper et sur lesquels doit
se concentrer le philosophe du droit dans son enseignement universitaire. Au travail déontologique
correspond l’étude des « valeurs » qui inspirent l’ordre juridique, et sont habituellement résumés dans
la notion de « justice ». En cette première incarnation la philosophie du droit se présente comme une
théorie de la justice (en reçoit du fort de l’histoire des idéologies politiques). Au travail ontologique
correspond l’élaboration de la notion de droit et de toutes les notions juridiques générales, et celles
connexes comme « pouvoir », « devoir », « norme », « sanction », « ordonnancement juridique », «
Etat »,…Cette seconde incarnation de la philosophie du droit est celle que nous connaissons sous le
nom de théorie générale du droit, et que les Anglais appellent Jurisprudence (lien avec les disciplines
juridiques particulières). Enfin, au travail phénoménologique correspond l’étude du droit comme
phénomène historique et social, et fait partie de cette série de problèmes indiqués souvent sous le nom
de « rapport entre le droit et la société ». Avec cette troisième incarnation la philosophie du droit est
en lieu avec la sociologie juridique et les disciplines auxiliaires comme les sciences sociales). A ces
trois imputations ne figurait pas une série de problèmes toutefois considérés comme appartenant à la
philosophie du droit, en l’occurrence le problème méthodologique de la science juridique (lien avec la
théorie de la connaissance et de la logique). Nous essayerons de passer en revue ces quatre
configurations sans probablement trop aller en détail, mais avec une attention plus soutenue au
problème de la justice et du rapport entre droit et société. Comme on pourra le remarquer au long de
ces enseignements, le grand débat qui reste d’actualité entre le positivisme juridique et le jus-
naturalisme aura une ampleur considérable.

0.3. Philosophie du droit et théorie du droit

La philosophie du droit, terme qui provient des Principes de la philosophie du droit (1822) de Hegel,
est souvent distinguée de la théorie (Rechtiehre), bien que les critères utilisés diffèrent selon les
auteurs, et que la distinction soit bien souvent difficile à mettre en œuvre. On peut s’interroger sur la
valeur du « du » : s’agit-t-il d’un « de » genitif, ou bien objectif ? En d’autres termes, est-ce la
philosophie qui prend pour objet de droit, ou bien le droit qui exprime sa philosophie, ou encore, son
esprit ? Il y a là, de fait, un enjeu qui n’est autre que celui, pour reprendre l’expression de Kant, du
conflit des facultés. La philosophie du droit, historiquement, ne se confond pas avec l’interprétation
des normes juridiques, encore moins avec l’étude de la jurisprudence. C’est bien le philosophe, ou
plutôt les philosophes, qui jugent le droit d’un point de vue qui se veut fondateur (ou refondateur) pour
le droit lui-même. Selon cette conception, la philosophie du droit n’est pas une branche du droit, mais
bien de la philosophie. Certes, cela n’oblige pas à souscrire aux propos de Kant lorsqu’il estime, dans
sa Doctrine du droit, que le droit n’est en soi, indépendamment de la philosophie, qu’une belle tête,
mais sans cervelle.
Or la question de la hiérarchie de valeur entraîne un problème, de nature logique, redoutable que
chaque philosophie particulière du droit tente, explicitement ou implicitement, de résoudre. Si la
justice revient à hiérarchiser les différentes valeurs, à accorder à l’une une prééminence par rapport à
l’autre, il faut donc évaluer la valeur respective des différentes valeurs. Or comment évaluer une valeur,
qui n’est pas un contenu, mais une norme, du dehors de cette norme ? Il est évident que toute évaluation
constitue ne soi un jugement de valeur, et non de fait. Il faut, semble-t-il, supposer une valeur
fondamentale, à laquelle toutes les autres sont subordonnées.
La théorie du droit peut être assimilée, quoique de manière imparfaite, au positivisme juridique,
principalement représenté par Hans Kelsen et sa Théorie pure du droit, qui essaie de fonder une
véritable « science du droit » (fondement d’une théorie juridique et objective du droit), se voulant
descriptive et non prescriptive (principe de neutralité axiologique). Elle se contente de dire,
d’expliquer, d’exposer le droit tel qu’il est, et non de critiquer le droit existant au nom de valeurs
éthiques ou d’opinions politiques subjectives. Selon le positivisme, les critiques sur le droit, et ce qu’il
doit être, émanant de la position subjective des acteurs du droit et des politiques et non d’une question
de vérité. En ce sens, le droit est bien normatif, repose bien sur une norme fondamentale, mais le savant
n’a pas à faire siennes les normes qu’il étudie.
Par contraste, la philosophie du droit peut être assimilée au jusnaturalisme, qui affirme qu’il est
possible de connaître les principes moraux gouvernant le droit, et, par ce biais, d’enseigner ce que doit
être le droit, ce que doit être le juste.
Comme le disait Hegel, la philosophie ne trouve jamais son objet déjà préconstitué comme dans les
autres sciences. Le géologue s’occupe de la terre, le mathématicien des nombres... et il n’en est de tel
pour la philosophie. Littéralement philosophie est composée de la racine philo (amitié, amour) et
sophia (sagesse, connaissance). Au IVème siècle AV J.C., la figure fascinante de Socrates plus qu’un
sage s’autodéfinit une personne qui va à la recherche de la connaissance, de la sagesse. Le désir de
connaissance ne prétend pas d’arriver à la perfection, mais de progresser (comme dans l’expérience de
l’amitié, des fiançailles…) et le fait de connaître quelque chose est un préambule pour une
connaissance majeure et le fait même que la connaissance est inépuisable, tient fort le désir et
l’attraction. Pour les hommes, dire que j’aime la sagesse, c’est dire que mon rapport avec le savoir est
infini, inépuisable comme l’amour. L’objet, les questions de la philosophie sont toujours les mêmes
en tous les temps, peut varier le degré de sagesse de personne à personne… justement en rapport à
l’aspect infini de la vérité.

La science : chaque jour augmente la tendance de retenir comme science seulement celle positive, par
le fait qu’on retiendrait comme vraie connaissance seulement celle acquise avec une méthode
empirique et rigoureuse. Même la jurisprudence tend, ensemble avec les autres sciences
humanistiques, à épouser « des méthodes scientifiques » qui s’approchent au statut fort des sciences
positives. Sciences au sens générique signifie connaissance rigoureuse, sérieuse. Au sens spécifique,
elle s’affirme autour de 1500 avec la naissance des sciences modernes qui s’autoproclament comme
vraie forme de connaissance et non comme les pseudosciences de l’Antiquité. Galilée a pensé de
donner une méthode, un chemin volontairement choisi. Pour atteindre certaines connaissances, il faut
parcourir des chemins justes et appropriés. On adopte dès lors les critères de vérifiabilité de
l’expérimentation et l’adoption d’un langage rigoureux.
La philosophie du droit : droit et agir humain (rationnel et libre, sensé et responsable). L’agir de
l’homme se caractérise comme humain quand il est expression de sa rationalité et de sa liberté. Alors
il revêt de sens et de responsabilité. Nous, comme la philosophie, nous investiguons souvent sur le
sens de notre agir, de notre vie, du comportement altruiste. Aux animaux (comme aux choses) nous ne
demandons pas le sens de ce qu’ils font, nous ne demandons pas la raison de leur agir. Aux hommes,
oui !

La liberté est importante pour le droit, parce qu’il s’enracine sur elle. Enlever la liberté, c’est faire
disparaître le droit parce qu’en enlevant la liberté disparait la responsabilité (soit dans le bien, soit dans
le mal). Ainsi une action privée de liberté n’est pas imputable. Parce que nous ne pouvons pas percevoir
le sens, nous ne pouvons demander à un chien pourquoi il nous a mordu, tout au plus on demandera à
son patron pourquoi il ne le tient pas lié et au patron on attribuera la responsabilité de l’avoir laissé
libre et donc de nous payer les dégâts.

Notre but est d’étudier philosophiquement le droit. Qu’est-ce qui détermine le rapport « liberté » et «
droit » ? Quel sens cela a dans notre vie ? Quelle importance cela a pour l’homme ? Il pourrait ne pas
être de droit dans la personne humaine ? le droit est et il ne peut pas ne pas être puisque la juridicité
est un aspect essentiel de l’homme, comme la rationalité, la religiosité, la socialité. Expliquer le droit
comme dimension essentielle de l’homme est le but de la philosophie du droit.
Il est à préciser que le droit ne s’identifie pas avec la loi, les normes, les codes. Ceux-ci sont seulement
des aspects de ses manifestations. C’est parce que l’homme veut agir juridiquement qu’il fait recours
aux lois (par ex, pour devenir propriétaire d’une maison, d’une auto et on va voir les normes qui
m’assurent). Le droit utilise les lois, mais on ne peut le réduire à celles-ci, comme la médecine utilise
les médicaments mais elle ne se réduit pas aux médicaments. De fois, ce sont les citoyens qui délèguent
à une personne le pouvoir de promulguer des lois, en d’autres circonstances, s’arroge qui détient le
pouvoir politique, le souverain. En soi, souverain est un terme politique et non juridique et crée tant
de problèmes parce qu’il est hors de la logique juridique. De fait, pendant que la logique politique se
demande qui a le pouvoir, le droit se demande qui a tort ou qui est dans le juste, garantissant une parité
entre les parties en cause. Devant le juge, toutes ces distinctions ne sont pas importantes et il ne les
prend pas en considération parce qu’à lui intéresse qui est dans le juste. Cependant même le juge ne
peut pas agir comme souverain, mais il devra appliquer le droit, et s’il ne le faisait pas, le procès cesse
d’être juridique, juste et impartial ; et devient politique et injuste.

On peut comprendre l’immensité du problème du droit. Il est toujours latente la tentation de limiter le
droit à la seule loi. Le problème est la qualité, la justice du rapport interpersonnel. Evidemment il ne
s’agit pas seulement d’une question de justice formelle.

La tradition anglo-saxonne : Aux USA, l’influence de Hart (1907-1992) et de Ronald Dworkin


éclipsent largement celle de Kelsen. Sous le terme de « legal philosophy », la théorie du droit anglo-
saxonne relie étroitement philosophie du droit et jurisprudence. Selon ces auteurs, la jurisprudence se
définit comme la théorie et la philosophie du droit. Les spécialistes de la jurisprudence, c’est-à-dire les
« legal philosophers », désirent parvenir à une compréhension plus profonde de la nature du droit en
étudiant le raisonnement juridique ainsi que le fonctionnement des institutions juridiques. En France,
la tradition issue de Montesquieu peut être rapprochée de ce courant. Hart utilise notamment les outils
de la philosophie analytique pour développer une approche spécifique du positivisme, courant qui a
été critiqué par Dworkin, qui affirme le lien inhérent enter droit et morale.
0.4. Pourquoi une philosophie du droit ?

L’expérience humaine du droit nous pousse à nous interroger sur l’existence et le sens immédiat des
liens juridiques qui nous affectent ; mais aussi, nous sommes conduits à nous poser des questions qui
portent au-delà des préoccupations immédiates ; nous sommes tentés de nous interroger sur le sens, la
signification profonde du droit, et plus particulièrement sur les fondements du droit. Ce sont là des
questions philosophiques. Comme le note Tunc, le droit est vu comme le grand régulateur de la vie
sociale. Et on a de fait l’impression que le droit envahit l’ensemble de nos rapports sociaux. Nous
sommes presque dans une situation de droit : par exemple, quand je prends un taxi ou un bus, quand
j’achète ou loue une chose, il s’agit toujours d’activités qui sont réglées par le droit.

La philosophie du droit, parce qu’elle se situe au niveau le plus élevé, appelle les esprits à la
convergence, et à ce titre doit être considérée comme un facteur d’universalité et de progrès du droit.
Le droit comparé nous révèle cependant une diversité étonnante des conceptions du droit et de ses
rapports avec la politique, la morale et la religion. Dans d’immenses communautés humaines le droit
est lié non seulement à une morale, mais à une religion. Dans le monde musulman par exemple, le
droit n’est qu’une face de la religion. Dans la conception hindouiste et même juive, on ne voit pas les
choses d’une manière différente. Dieu est partie aux relations entre les hommes : le devoir à son égard
l’emporte sur les droits de ceux-ci. Si par exemple un débiteur néglige de payer sa dette, il méconnait
son devoir religieux. Ainsi en est-il du droit africain qui est sacralisé : l’élément juridique et l’élément
religieux sont indissociables.

Comme pour tout étudiant de philosophie, même le philosophe du droit sait que la première demande
qui lui est posée est celle-ci ; A quoi s’attend-t-on aujourd’hui d’une réflexion sur la philosophie
du droit ? De la philosophie du droit, il est licite de s’attendre à tant de choses bien diversifiées :
solides fondements épistémologiques en premier lieu, opportunes notions historiographiques,
indications théorétiques, brillantes références sociologiques… De manière univoque et engageante,
on doit s’attendre de la philosophie du droit une adéquate présentation et une justification de la
reconnaissance des droits humains comme principe juridique universel et métaculturel. Une
reconnaissance non aprioristique, non pathétique, non idéologique, mais une reconnaissance
fondée et donc juridique. Il est vrai que le thème de droits humains peut avoir une multiplicité de
valences, mais il s’agit de comprendre ce qu’est la valence spécifiquement juridique qui en consent la
compréhension plus authentique. C’est dans cette optique que nous entendons proposer les différents
thèmes de ce cours. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est opportun de dire un mot sur le fondement
du droit.

0.5. Le fondement du droit

Il y a deux questions qui nous intéressent ici et que nous entendons aborder sur le point de vue
philosophique : celle des rapports entre la loi et le droit et celle des fondements du droit. Ce sont des
aspects que vous connaissez déjà et que nous voulons répéter.
A. Rapports entre loi et droit

Loi et droits positifs : D’un point de vue juridique, comme nous l’avons déjà constaté, la loi écrite,
édictée par le législateur, constitue l’une des sources du droit, de même que les lois non écrites comme
la coutume, ensemble des règles non écrites, admises par le législateur comme obligatoires. C’est ce
que nous appelons le droit positif par opposition au droit qui serait antérieur au droit précisé par le
législateur. Le droit positif est constitué par l’ensemble de ces règles. Mais on peut se demander sur
quoi se fonde la loi qui émane du pouvoir législatif.

Le législateur n’agit certes pas par caprice, mais plutôt selon certaines exigences qu’il est conscient
d’être obligé de satisfaire. Il existe donc un double plan du domaine législatif ou juridique : d’une part,
ce que nous nommons droit positif qui repose sur les lois positives écrites ou non écrites ; d’autre part,
il faut bien trouver un fondement à ces lois et à ces droits dits positifs : nous parlerons alors de loi et
de droit naturels.

On entend par le terme « naturel » ce qui est indépendant de l’homme, ce qui n’est pas le produit de
l’esprit. Par exemple, il existe des forces naturelles comme le vent ou l’eau, et d’autres forces comme
l’énergie nucléaire, l’électricité… qui sont l’œuvre de l’homme. Comme l’écrit Foulquié : « Nous
pouvons donc caractériser la loi naturelle et le droit naturel comme antérieurs à l’activité législatrice
de l’homme et indépendants d’elle. Ils découlent de la nature même des choses : étant donné ce que
sont les choses, ils ne peuvent être autrement. Ils s’imposeraient à tout esprit comprenant bien cette
nature ; mais comme elle reste mystérieuse et sujette à discussion, les lois naturelles manquent de la
positivité des lois positives ; ce ne sont pas des données de fait, mais des conceptions de l’esprit ».

En théorie, on pourrait bien dire qu’une loi positive contraire à la nature des choses (ex au bien
commun) serait injuste, contraire au droit naturel non positif mais à un droit supérieur et antérieur à
toute loi humaine, i.e. au droit naturel.
Pour faire bref on peut dire que le droit est notre manière d’exister, ensemble à l’art, à la politique, à
l’économie…Sa qualité principale est de celle de garantir une relation entre personnes qui se
reconnaissant paritaires dans la dignité et dans l’égalité entre elles. L’injustice n’est rien d’autre que
l’altération de la parité entre les personnes. Quand une personne est humiliée, devient objet de violence,
nous percevons l’injustice. En tout cela la loi non a rien à avoir. La loi au contraire est la volonté du
législateur. La première expérience que nous avons de la loi est d’ordre, commandement, injonction,
norme… Devant telle situation il y a deux possibilités : obéir ou non. Si je n’obéis pas j’infrange la loi
et je dois répondre. Pour Saint Augustin : S’il n’y a pas de justice, que sont les Etats sinon de grandes
organisations délinquantes ? Ou l’Etat s’enracine dans la justice et mérite l’obéissance ou l’Etat est
une grande organisation délinquante.

Dans le rapport entre Loi et justice : la loi est sans doute la volonté du législateur mais elle n’est
absolument pas exonérable quand il faut rendre compte de sa justice. Il ne suffit pas de dire que le droit
est la loi. Pour nous le critère de la loi doit être la justice. Le législateur doit expliquer pour quelle
raison de justice il fait telle loi. S’il ne rend pas compte, la loi sera valide mais restera une plaie ouverte,
d’injustice, même si dans la plupart de cas on ne sait que faire. La justice est la parité dans le bien et
non la correspondance dans le mal. Il y a des lois mais pour quoi faire ? C’est pour répondre à la
complexité de la vie sociale et avoir des critères qui garantissent selon la justice la convivence sociale.
Les lois sont substantiellement des paradigmes de comportement avec lesquels la société réussit à se
structurer de manière optimale.

B. Le fondement du droit

Si nous tentons de répondre à la question de l’origine du droit non pas au sens historique, mais au sens
de source, il y a trois réponses : - le droit se fonde sur la force – le droit se fonde sur l’utilité – le droit
se fonde sur l’idéal de justice.

B.1. La théorie dite réaliste : Plusieurs philosophes depuis les sophistes de l’époque de Socrate
jusqu’à Nietzche en passant par Machiavel ont cru que le droit avait sa source dans la force. Il existe
une loi du plus fort et un droit du plus fort. Les représentants les plus reconnus de cette position sont
Hobbes et Hegel.

Thomas Hobbes (1588-1679) pense que les hommes à l’état de nature se croient le droit de tout faire ;
ils luttent ainsi les uns contre les autres dans une guerre sans merci et sans fin. Dans ces conditions le
seul moyen de réaliser la paix consiste à se mettre au service du plus fort qui lui, peut imposer sa paix.
Ainsi les hommes, abdiquent-ils en faveur du plus fort leurs droits individuels pour recevoir en retour
sa protection. Voilà l’origine et le fondement du pouvoir politique. Le maître fait la loi. Est bon ce
qu’il déclare être bon et mauvais ce qu’il juge être mauvais. Hobbes se fait ainsi le théoricien du
despotisme et de l’absolutisme : la force crée le droit. Ce qui fait la justice c’est la loi positive.

Friedrich Hegel (1770-1831) : D’après sa philosophie de l’histoire, le devenir de l’humanité est la


réalisation progressive de son essence, de l’idée qui lui est immanente. Cette idée s’incarne à chaque
grande époque dans une nation privilégiée qui a pour mission de la manifester. Or la puissance est le
signe même de cette élection. Au lieu d’être le contraire du droit, la force en est une expression
évidente. Une nation appelée à dominer le monde n’a pas à légitimer son impérialisme, les autres
peuples n’ont aucun droit à revendiquer en face d’elle. Ce serait enrayer le mouvement par lequel le
peuple le plus fort réalise, en vertu de sa force, une étape de la dialectique historique, du progrès de
l’esprit dans le monde. Ainsi le triomphe de la force est fondé en droit, la force est sacrée et c’est elle
qui fait le droit ou la justice.
B.2. L’utilitarisme : Peut-on fonder le droit sur les exigences et les nécessités de la vie sociale ? C’est
l’opinion des philosophes Stuart Mill et Herbert Spencer. Selon ce principe de l’utilitarisme : est bon
ce qui est utile ; ce qui signifie que c’est l’intérêt social qui est la source du droit. Les hommes
renoncent à l’exercice anarchique de leur liberté pour régler leurs rapports de sorte qu’ils puissent
bénéficier de l’ordre et de la sécurité sociale.

On pourrait approcher de cet utilitarisme la position de Rousseau pour qui la société repose sur un
contrat libre, réfléchi et réciproque des hommes qui la composent. Cependant, pour Rousseau, ce
contrat social est plutôt considéré comme une garantie des droits mais ceux-ci, on le sait déjà, reposent
sur la nature régie par la raison.

Notons en passant que la théorie de Durkheim sur l’origine du droit diffère aussi de l’utilitarisme de
Mill et Spencer. En effet, pour Durkheim, c’est la société qui est la source de la morale, des valeurs,
de l’idéal qui ne se réduit pas à l’utilitarisme et à l’intérêt collectif.

B.3. La théorie humaniste : Cette théorie considère qu’il y a dans l’essence humaine une nature
inférieure gouvernée par les instincts et une nature supérieure gouvernée par la raison et les inclinations
idéales. En ce sens, on parle de droit idéal inspiré par un idéal de justice et de dignité humaine. Ainsi
par exemple, Platon range la justice en soi (comme un modèle) au rang des essences éternelles ; le
droit positif n’en est alors que la copie changeante et multiple ; ce droit positif subit les fluctuations du
devenir historique et s’actualise diversement selon les conditions sociales et culturelles. Rappelons ici
la position de Montesquieu pour qui les rapports d’équité préexistent aux lois positives.

« Avant qu’il y ait des lois faites il y avait des rapports de justice possibles. Dire qu’il n’y a rien de
juste ni d’injuste que ce qu’ordonne ou défendent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on eut tracé
le cercle, tous les rayons n’étaient pas égaux ».

Ajoutons que naturel signifie ici le contraire de conventionnel, d’arbitraire, d’artificiel. S’il est vrai,
par exemple, que Rousseau considère que les conventions constituent la base de l’autorité légitime
parmi les hommes, encore faut-il que ces conventions soient établies en fonction des lois
fondamentales de la nature humaine, l’état de nature étant chez l’homme non pas la forme primitive
sous laquelle l’humanité se manifeste à l’origine des temps, mais l’ensemble des caractères spécifiques
attachés à l’essence humaine. Retrouver le droit naturel, c’est déterminer ce qui est juste et raisonnable
pour l’homme considéré dans son essence même et c’est du même coup s’appuyer sur les sentiments
les plus profonds et les plus puissants du cœur humain. Il s’agit, on s’en rend compte, d’une théorie
métaphysique que l’on retrouve chez tous les auteurs humanistes : Grotius, Montesquieu, Kant,
Rousseau. De plus, on la retrouve exprimée dans toutes les chartes des droits de l’homme de 1776 à
1948.

Partie I : Etude thématique

Chapitre 1 : le droit comme relation entre personnes paritaires


Il est clair que le droit est relation entre personnes qui se considèrent égales. C’est une relation non
personnelle, institutionnelle mais ouverte. Chaque personne de la terre est en relation juridique avec
moi : moi j’ai des prétentions envers tous les autres et les autres en ont aussi envers moi. (J’ai une
voiture et je prétends que tous doivent la respecter, que personne ne me la vole, et la même chose les
autres prétendent de moi). Comme on le voit le rapport de droit ne requiert pas un rapport personnel,
de connaissance ou d’amitié mais demeure une relation ouverte : tout homme est mon potentiel partner
juridique. Le commerce est une forme primaire de droit dans le sens qu’il intéresse tant qui sera
l’acheteur mais je recours à la forme juridique de l’achat-vente parce que s’il n’en est pas ainsi, il y
aurait recours à la violence et au mensonge. Le commerce est donc une forme très importante de
relation avec les autres où j’arrive à satisfaire mon désir avec l’opportunité que m’offre l’autre et vice
versa.

1. 1.Le droit est une relation institutionnelle : le rapport est réglementé par un principe « froid
» de parité : on parle aussi d’égalité mais le terme crée confusion parce que là où je veux garantir
absolument l’égalité des citoyens je dois enlever la liberté comme dans les systèmes marxistes; et là
où je veux garantir la liberté à tous les coups, on arrive à supprimer l’égalité des citoyens comme dans
le système américain où chaque citoyen est libre de penser à sa santé de mille manières. Egalité est
une parole clé de la politique et non du droit (tendance de la gauche). Le droit est une relation entre
semblables, une parité anthropologique, d’homme à homme. Il n’existe pas à proprement parler un
rapport juridique entre l’homme et l’animal. Les soi-disant droits des animaux sont des concessions
bénévoles que les hommes font, partant de leur sensibilité. La parité n’est pas à rechercher dans
l’identité physique mais dans l’être personne. Qu’est ce qui rend les personnes personne ? les rapports
injustes sont ceux où il manque la parité, quand l’un est plus de l’autre. Il est plus facile de percevoir
que qui se retient être plus de l’autre vive dans des rapports injustes avec les autres. C’est pour cela
que tout acte injuste est immoral puisqu’il offense la dignité humaine. La parité juridique est d’avoir
la même possibilité universelle (les mêmes opportunités), l’injustice est le fait d’exclure
volontairement le droit. Le droit garantit la valeur minime de la coexistence humaine.

L’idée de la dignité paritaire demeure aussi dans les formes humaines les plus atroces comme
l’esclavage. En latin il existe le servus, forme contrastée de servatus, et désignait le prisonnier de
guerre, qu’au lieu de le tuer, était condamné à vie ; et donc même dans cette expérience il demeure la
perception que l’autre est un homme. En outre, dans le droit romain on pouvait devenir liberto c’est-
à-dire réacquérir sa liberté, ou par acte patronal ou par testament.

La guerre ou toute violence est contre le droit parce qu’il s’agit de disparité ; c’est comme une
humiliation imposée à l’autre dans sa dignité. Au contraire tout acte juridique doit respecter la parité
ontologique. Es : le médecin devant le patient est en position avantageuse existentiellement parlant,
mais juridiquement le patient devient paritaire au médecin puisqu’il devient son employeur qui le
rétribue pour son service.
La vision chrétienne de l’homme comme sujet relationnel le considère comme être relationnel.
L’homme existe parce que voulu par Dieu, et donc il est en relation avec Dieu (aspect théologique) ;
l’homme est un être généré, donc il est toujours en relation avec ses parents (aspect biologique) ;
l’homme n’est pas autosuffisant, il dépend des autres, et donc il est en relation avec les autres (aspect
social). Aucun homme est un début : l’identité individuelle est donnée par les autres, elle résulte du
rapport avec les autres. Le langage en soi existe seulement parce que nous sommes en relation avec
les autres ; et je ne puis m’inventer un langage privé, il est le produit de notre vivre ensemble, il est
collectif. Les néologismes sont automatiques parce qu’accueillis dans des groupes et non parce
qu’imposés du dehors. La relationalité humaine a d’innombrables manières d’expression. Cette
ouverture sans limite différencie substantiellement l’homme de l’animal. Même les animaux ont une
relationalité, certains nous ressemblent mais la vraie différence est proprement dans leur détermination
biologique de type instinctuelle (leur nature coïncide avec l’instinct). L’animal vit dans le monde mais
il ne peut pas choisir sa manière d’être dans le monde. L’homme, au contraire est en continuelle
créativité, signe de son esprit infini. Je peux décrire le comportement d’un chat parce que prédéfini de
manière fixe dans sa nature ; et en effet le chat des années 1850 se comporte comme celui d’aujourd’hui
(le chat n’a pas d’histoire et les animaux ne peuvent pas se donner un nom et ils n’ont pas le sens de
l’individualité). Au contraire, chacun de nous est homme, homme en soi de manière irrépétible, une
personne distincte mais semblable aux autres. Voilà pourquoi le droit est une réalité ouverte qui a une
histoire.

1.2. Rapport entre droit, politique, amitié et charité

Relation personnelle relation institutionnelle

Relation fermée AMITIE POLITIQUE

Relation ouverte CHARITE DROIT

1.2.1. AMITIE : l’amitié est une expérience élémentaire dans sa compréhension


depuis le bas âge, mais pas facile dans sa description. L’amitié est une relation de
type personnel : cela signifie qu’elle implique une mise en jeu de notre propre
personne. S’il n’y a pas d’engagement personnel il n’existe pas d’amitié (je peux
dire de connaître, de sympathiser avec mon père, mais je ne peux pas dire d’être
son ami si je n’ai pas de rapport avec lui qui soit personnel et direct). L’amitié n’est
pas non plus une simple relation de contact (collègues de travail…).

Le cœur de l’amitié est dans le reconnaître dans l’autre une possibilité de relation avec lui qui qualifie
la vie de tous deux. L’ami est la personne qui t’aide à être toi-même, et vice versa. Pour cela s’active
la confidence, la complicité, la consolation (con-solare : se faire proche de qui est seul pour l’aider ;
paraklentos est celui qui est appelé pour être proche de qui est seul dans le procès. Tel est l’aspect
fondamental de l’amitié. L’amitié est un rapport pas seulement physique mais métaphysique. Être sans
amis est une des expériences amères d’une personne. Nous en avons tellement besoin que nous sommes
portés à nous laisser tromper sur les prétendus amis. Alors pourquoi c’est si difficile ? Parce qu’à l’ami
on tend à demander trop que ce nous sommes disposés à donner ; c’est – à-dire l’amitié implique un
engagement humain profond, qui coûte cher ; par exemple si l’ami tombe dans la misère ou va à
l’hôpital…, l’amitié est un don de soi. L’amitié est structurellement dualiste. Cela ne signifie pas qu e
je ne puisse avoir qu’un seul ami, mais qu’avec chaque ami j’ai un rapport absolument personnel. Rien
n’est plus faux que l’expression « groupe d’amis » non parce que c’est un groupe mais parce qu’il
n’existe pas une amitié de groupe. Le rapport de groupe est proprement politique. Il est
structurellement difficile d’avoir tant d’amis, il est impossible d’en avoir plusieurs. Il est plus facile
d’en avoir peu sinon peut être d’en avoir qu’un seul parce que c’est un engagement qui doit
continuellement être réchauffé, réaffirmé, renforcé autrement cela meurt. L’amitié est jalouse en sens
structurel et c’est ce qui attribue une valeur à un tel rapport. Si je suis indifférent envers mon ami cela
signifie qu’en réalité l’amitié n’existe pas ; et si au contraire cela m’intéresse, alors elle existe. Si
naissent d’autres amitiés, cela est un signal dangereux pour mon amitié. En effet si on peut trahir une
amitié cela n’arrive qu’à l’intérieur de relations humaines significatives comme l’amitié ou l’amour.
Tant l’amitié est vraie tant elle a tendance à se fermer.

L’amitié vient à contact avec la sphère du droit. Sur plusieurs points de vue, ordinairement l’amitié
rend nul le rôle du droit (ex. : il me suffit la parole de l’ami). Il est bien de recourir au droit même dans
le cas de l’amitié non parce que je n’ai pas confiance, mais plutôt en vérité parce que je ne me fie pas
absolument de moi-même. Aucun rapport juridique peut générer amitié ou amour mais les deux
peuvent être aidés par le droit.

1.2.2. POLITIQUE : La politique est entendue comme une relation


anthropologique, comme une relation de groupe social ou de masse.

. Au sens littéral originel on fait référence à la polis – à la civitas qui est l’ensemble de personnes qui
vivent dans l’Urbs (ensemble édifice, structure et infrastructure), percevant une forte union. La
politique nous intéresse parce qu’elle fait référence à la civitas, et nous pouvons donc distinguer entre
la politique comme relation de groupe et l’amitié comme relation personnelle entre paritaires.

. L’homme est un animal politique, et il a besoin de vivre ensemble, il est associatif et il ne peut qu’en
être ainsi. La relation de groupe naît pour une valeur, un principe agrégateur et qui ne peut être valorisé
que seulement à l’intérieur du groupe (ex. : les supporteurs d’une équipe de football). Le plaisir de
rester ensemble avec qui partage les mêmes valeurs est le mécanisme qui fait naître la réalité de groupe.
Le groupe comme tel ne dépend pas dans son existence d’une seule personne comme dans le cas de
l’amitié. La politique est une dynamique sociale spontanée (c’est dans ce sens qu’elle n’est pas le fruit
d’une organisation donnée par un singulier). Il faut un principe unificateur du groupe, un critère
d’identification qui est partagé (langue, jeu, intérêt, profession, religion…). De fois on peut observer
qu’il existe un principe assez engageant et fort, de fois un principe assez fragile. Le groupe peut naître
et aussi ne plus exister (voir les grandes idéologies dans le monde) sur base de la valeur attractive –
agrégative. Les agrégations ont leur force mais ont aussi de hauts et de bas. Non tous peuvent partager
les mêmes expériences politiques : par exemple le juriste et son cercle est différent de celui du médecin
mais de fois ils se retrouvent au stade pour faire les supporteurs de Milan ou à l’église pour le même
culte (multiplicité).

Comme dans le monde personnel, direct, constructeur d’amitié, ainsi dans le groupe il existe une
solidarité mais cette forme de solidarité est diverse. Tu es proche de l’autre non parce qu’il est ton ami
mais parce qu’il est de ton groupe. L’amitié doit être cultivée personnellement, le groupe n’existe que
par la force du lien qui l’unifie. C’est une logique de fermeture comme dans l’amitié. On ne peut pas
être supporteur de Milan ou de Barcelone simultanément. Le groupe est exclusif.

. L’Eglise d’une part est une réalité politique et il s’établit le critère de l’identification (ou tu es baptisé
ou tu ne l’es pas, ou tu es dedans ou tu es dehors), et cela est commun à toutes les religions ; d’autre
part l’Eglise est universelle, elle est catholique. Comme les Eglises protestantes, si l’Eglise romaine
abandonnait sa catholicité, elle n’existerait plus comme chrétienne. En tant que réalité sociale l’Eglise
a nécessairement une connotation politique (identification – distinction). Le paradoxe est dans sa
vocation d’universalité, à être l’unique famille avec Dieu comme Père unique et pour lequel chaque
homme est mon frère. Dans cette optique il devient peu important que l’autre ne puisse se reconnaître
comme tel (voir le comportement du bon samaritain). En effet la charité, et non l’amitié, ne requiert
pas de réciprocité ; mais cela est une logique purement évangélique.

Rapport entre politique et droit : un tel rapport n’est pas très facile mais plutôt désastreux ; parce que
la politique est une dynamique de groupe, par solidarité, par fidélité…, elle tend à utiliser tous les
moyens, même le droit en le manipulant, elle le fait à sa mesure et pour ses propres buts.

1.2.3. L’Etat est un concept qui a acquis le sens politique avec Machiavel. Les romains
connaissaient le status pour indiquer la condition d’une personne ; et Machiavel l’a appliqué au groupe
politique mettant en exergue une révolution culturelle. Pour les romains, la communauté politique (de
la polis, de la civitas) était la Res Publica ; après Machiavel le concept République désignait une forme
de gouvernement à côté de ceux de l’empire, de l’oligarchie, de la dictature… Le primat de la forme
politique de l’Etat est le fruit de l’époque moderne. Les Romains parlaient de Res Publica et
n’entendaient pas pour cela une « forme » de gouvernement comme aujourd’hui, mais cela indiquait
simplement l’agrégation politique (de la polis) des romains. Chose publique = qui implique tous
réellement. Un parti est une chose privée (une partie de citoyens et non tous). Le totalitarisme d’un
Parti est en effet la prétention d’être une chose publique, représentant tous. La chose publique implique
tous mais non comme référence aux Partis : nous sommes une communauté et il y a des intérêts qui
impliquent tous, et puis la gestion de la chose publique admet les intérêts particuliers. Pour cela c’est
la communauté qui a des liens qui intéressent tous, et sans intérêt public le statut communautaire
diminue.

A l’époque moderne Machiavel réfléchit sur la Res Publica dans une optique diverse et en dérangeant
le vrai sens. Il introduisit un élément retenu secondaire mais devenu primaire : le pouvoir tant à
l’identifier POLITIQUE = POUVOIR. Il soutenait que pour comprendre une communauté il fallait
regarder aux formes de pouvoir qui tiennent unie la communauté. Les Romains avaient deux
conceptions de pouvoir : (1) Auctoritas et (2) L’Imperium. Le plus simple est l’Imperium = le pouvoir
de qui est à la tête de l’armée. C’est pour cela que les deux consuls avaient tous deux l’imperium qui
était nécessaire pour un accord en vue d’une action de guerre. Auctoritas est une parole plus
intéressante. C’est une métaphore agricole. Le verbe augeo signifie faire croître ; c’est l’art de
l’agriculteur de faire croître les produits de la terre. Auctoritas sur le plan social est l’art de faire croître
le bien de la Res Publica. Le Sénat avait l’auctoritas, mais sans le pouvoir militaire. Les Romains
avaient pourtant deux formes distinctes de pouvoir. Pour Machiavel au contraire le pouvoir est unitaire
parce que doit réaliser l’unité de la République. Status identifiait originairement les personnes (mari,
consul, …) et était caractérisé par des symboles divers (vêtements, uniformes, médailles…) ;
Machiavel déduisit que le pouvoir consolide une situation de fait, crée un status de fait. L’Etat est un
pouvoir qui se cristallise, et la différence est énorme. L’Etat demeure un pouvoir tandis que la Res
Publica renvoie au Bien Public. Pour Machiavel le pouvoir s’autojustifie par le simple fait qu’il existe.
Par conséquent la question politique tourne autour de trois demandes : Que faire pour acquérir,
conserver et non perdre le pouvoir ? De cette manière il a scindé l’Etat et l’éthique : l’Etat mire au
pouvoir et l’éthique au bien personnel ou public. Jusqu’aujourd’hui politique est demeuré un terme
ambigu : d’une part il devrait mirer au bien commun, d’autre part il mire au pouvoir. Même là elle
proclame de poursuivre le bien commun, de fait il n’est jamais un bien commun mais un bien d’une
particulière communauté.

Donc pour Machiavel le droit ne peut être considéré que comme expression de qui détient le pouvoir,
et voilà le positivisme juridique. Qui a le pouvoir a en mains toutes les sources du droit. La provocation
est énorme, surtout par le fait que le pouvoir n’a pas besoin d’être justifié parce qu’il se justifie de soi,
ou s’autojustifie mais en mentant. Es. : Dans les campagnes électorales personne ne se présente avec
le style ou dans la vérité de Machiavel disant : votez pour moi puisque je veux le pouvoir ! Chaque
communauté perçoit intuitivement le bien commun et discerne les recherches narcissiques du pouvoir
de chacun. Que le pouvoir s’autojustifie, tel est le problème aujourd’hui. Sur un tel aspect que se
bousculent les courants de pensée du jus positivisme et du jusnaturalisme. Le jusnaturalisme reconnaît
que les lois viennent du Souverain, du Parlement ou du Législateur ou encore du Pouvoir, mais il exige
que celles-ci aient une raison juste ou soient justifiées, tandis que le jus positivisme exprime une pensée
machiavelissante : qui a le pouvoir a le pouvoir ! Il est inutile de demander la raison, c’est cela et rien
d’autre. Au même niveau se situe le relativisme. En effet, le jus positivisme dit que toute loi de
l’autorité va bien, tout va bien… nous vivons dans une culture polluée de relativisme.

Chapitre 2 : Le caractère interpersonnel du droit

2.1. Du droit à la justice : que le droit soit en soi, pour sa structure intime, relationnel, cela est une
notion enseignée dans les Facultés de Jurisprudence déjà au premier jour d’entrée dans les auditoires.
Que la relationalité consiste ou du moins tende vers une interpersonalité, qui implique la
reconnaissance de la valeur infinie de la personne humaine, ceci est au contraire un enseignement
moins fréquent et de toute manière plus étouffée. Et pourtant la dignité du droit se fonde proprement
sur cette ouverture de la relationalité à l’interpersonalité. Mais le cheminement de la première porte à
la seconde n’est évidemment pas facile et immédiat, ni dans les faits ni dans les consciences.

2.1.1. La relationalité : dans une première approximation, on peut affirmer que la relationalité est la
portée du caractère éminemment social de l’être de l’homme, elle est pour ainsi dire, la forme que la
socialité tend spontanément à assumer. Ubi societas ibi jus : cet antique dicton exprime de manière
plus nette et plus sobre ce principe. Expliquer la relationalité à partir de la socialité équivaut au fond à
expliquer la socialité partant de la relationalité (ubi ius ibi societas), cela équivaut à substituer une
catégorie avec une autre, apparemment évidente de la première, mais en réalité également sommaire
et en soi problématique. Enfin de compte que le caractère relationnel du droit ne soit absolument pas
auto-évident, le démontre le fait de la discussion avec des arguments raffinés de l’hypothèse
robinsonienne. Un homme comme Robinson Crusoe, qui vit dans une île déserte, est certainement hors
de toute possibilité de rapport social ; peut-on aussi dire qu’il lui manque toute possibilité de rapport
avec le droit ? Robinson, dans sa vie quotidienne, cesse-t-il d’agir juridiquement ? Lui, en réalité, se
donne un code de vie, se soumet à des règles qu’il entend observer scrupuleusement, il est en même
temps législateur et sujet de soi-même. Pourquoi alors nier à ces règles un caractère juridique ?

L’hypothèse, clairement, est scolastique ; mais propre pour cela elle est intellectuellement provocante.
Ce qui est certain – admise la possibilité en Robinson d’une sorte de duplication interne, en grade de
poser l’ardue et indispensable distance entre son moi normand et son moi normatif – est que vivant as
regular as possible, Robinson maintient efficacement une relation de principe avec ses concitoyens
lointains, vers qui il n’a pas la certitude de pouvoir un jour tourner à vivre, mais pour qui il ne peut et
ne veut perdre sa dignité d’homme civil.

Même le solitaire, comme l’ermite expérimente donc une sorte de relationalité, pour le moins idéale,
avec le reste de ses semblables : cela signifie sortir de la relationalité, semble autant impossible que
sortir de la condition humaine même. Mais si cela est vrai, il s’ensuit que la catégorie de la relationalité
est bien plus complexe. Elle ne fait pas référence à un pur fait mais à un principe (l’être homme parmi
les hommes) qui pourrait, comme dans le cas de Robinson, ne pas trouver de correspondance dans la
réalité. De telles considérations ne nous aident pas beaucoup à répondre à la question du départ mais
certainement nous aident à percevoir tant soit ardu le nécessaire, le long travail de creuser qu’il faut
porter en avant, si de la relationalité nous voulons en faire une idée adéquate, une idée complexe
comme en est complexe la réalité.
La théorie du droit tend au contraire, de par sa nature, à simplifier la complexité de ce problème, avec
le résultat d’élaborer une conceptualisation objectivement pauvre de la relationalité. Considérons la
théorie du droit prédominant, celle normative. Une telle théorie nous a habitués à penser au droit
comme à un système de normes. Et puis selon la formule sur laquelle retourne avec insistance Kelsen
(kein imperativ ohne imperator), puisqu’il ne peut exister un commandement sans commandant ; il
s’ensuit la nécessité, de penser au droit, de penser à une pluralité de sujets (ubi societas ibi ius), mais
qui sont hiérarchiquement relationnels entre eux.

Comme on le voit, une telle manière d’orienter la réflexion sur la relationalité de l’expérience juridique
a cependant certaines limites. D’une part, elle exaspère indébitemment la dimension normative du
droit, elle tend à faire de l’expérience juridique une expérience fondamentalement légale, dirigée par
un double axiome : la loi est tout le droit, la loi est en tout droit. C’est une perspective commode
opérativement, mais théoriquement fragile, qui frise le réductionnisme. D’autre part, elle nous porte
par inadvertance, à voir la relationalité juridique de manière caractéristiquement partielle, comme une
relationalité verticale, existant entre le souverain et le sujet ; et toute relation horizontale comme celle
qui aurait dû s’instaurer entre deux contractants, serait retenue apparente : elle subsisterait seulement
parce que garantie autoritairement par le souverain.

Il n’est pas un hasard certainement que dans l’iconographie plus commune, la justice soit pour le plus
représentée comme ayant en main une épée, indication éloquente qu’en définitive seul qui a le
monopole de la force puisse administrer la justice ; mais à ne pas oublier qu’à l’autre main elle porte
une balance et qu’il est arbitraire de donner à un symbole le primat sur l’autre. Le normativisme, en
effet, contient en soi un implicite paradoxe, celui par lequel, le souverain, par définition, ne serait en
aucune manière obligé par le droit, étant lui la source. Le souverain, garant de toute relation, serait
pour autant qu’il tienne à lui seul, incohérent, mais perverse conséquence que nous ne pourrions
disposer d’aucun critère de justice pour juger la volonté de celui qui détient le pouvoir. Mais à
l’expérience commune la classique devise du pouvoir arbitraire, le si lebet licet qui est toujours apparue
répugnante. La théorie normative fait référence à la relationalité mais en un sens extrêmement marginal
et qu’à la limite elle peut acquérir une valence déformante en rapport à ce qui est la portée plus propre
de la tradition juridique. Quand on affirme traditionnellement le caractère relationnel du droit, on le
fait présupposant qu’une telle relationalité doit être juste. Ce qui signifie l’antique définition thomiste
du jus : ipsa res iusta. Les classiques ont toujours pensé au droit et à la justice pensant aux problèmes
qui naissent de l’être ensemble des hommes, problèmes que certainement demandent l’intervention de
la sagesse du législateur, mais qu’au même moment et en premier lieu pour être affronté, présupposent
la confiance dans la bonne volonté des associés, dans le sens inné de justice. L’honnête vivre, le
premier de trois célèbres juris praecepta, n’a nul de morale : il implique la référence à une capacité
intrinsèque et propre des hommes, celle de juger la coexistence humaine à partir d’un principe
spécifique, celui de la justice. Tous les hommes sont originairement fournis d’une telle capacité comme
ils le sont dans la capacité d’individualiser ce qui est beau ou ce qui est utile. C’est dans ce sens qu’il
faut comprendre la classique définition du droit comme objectum justitiae ; une définition classique,
mais non archaïque.

2.1.2. Donner à chacun le sien

A partir de ce titre, on comprend pourquoi Aristote, réfléchissant sur le droit comme philosophe, est
allé directement à la racine du problème, prenant en considération le droit en référence à la justice et
considérant la justice comme une vertu. Pour l’instant nous ne traitons pas de la dimension strictement
éthique de ce concept, nous intéresse de plus sa dimension opérative et relationnelle. En rapportant le
droit à la justice comme vertu, Aristote montre comment la relationalité intersubjective est quelque
chose qui naît d’un agir non casuel, ni instinctif mais intentionnel, médité de l’homme. Dans «
L’éthique à Nicomaque » Aristote écrit que la justice, parce qu’elle nous rapporte aux autres, non
seulement est la plus importante parmi les vertus, mais elle est la plus belle, belle comme la lune du
soir et l’étoile du matin.

Pourquoi le primat de la justice ? N’est-il pas plus ardu pour l’homme être tempérant, être fort, être
sage plutôt qu’être juste ? Si on va à la tradition orientale, on découvrira que plus sur la justice et sur
l’altérité qu’elle porte en soi, une telle tradition insiste plutôt sur le moi intérieur, sur le contrôle de
soi, sur la domination de soi ; la relationalité pour les Orientaux, est le domaine de la dispersion dans
lequel on se perd. Dans cet horizon, non le juste mais le sage à avoir le primat. L’Orient n’ignore
certainement pas le droit ni la justice, mais lie l’un et l’autre, et en générale la coexistence – comme
formes inauthentiques d’existence, méritant peu d’attention. A travers les pages de l’éthique à
Nicomaque (livre V), Aristote fonda la manière de penser l’homme comme cet être dont la vertu
maximale est dans l’exercice de la justice et dans la reconnaissance de l’altérité.

Justitia est ad alterum : que signifie exactement pour qui réfléchit sur la justice l’attention à l’altérité.
Il ne s’agit certainement pas de la présence inéliminable des autres à côté de nous. L’autre dont l’image
est évoquée par la justice n’est pas simplement le différent de moi, celui que je peux ignorer, à partir
de la diversité entre lui et moi. L’autre n’est pas non plus celui qui est avec moi. L’autre auquel la
justice m’impose de me référer, est celui qui prétend de moi la reconnaissance d’une dette ; celui qui
exige que moi je lui reconnaisse son appartenance, que je lui reconnaisse et lui attribue ce qui est sien.
Le principe qui individualise la justice est de reconnaître unicuique suum. L’homme ne trouve en lui-
même que le principe de son identité, et tout ce qui va au-delà de ce principe, tout ce qui le constitue
dans son histoire personnelle d’homme, doit lui être reconnu et donné par un autre homme comme une
dette de justice.
Si nous retenons pour vraies les affirmations précédentes, il est loyal de tirer une conséquence
d’extrême importance d’une part et qu’objectivement requiert un effort intellectuel et éthique pour être
compris et accepté : Dans le concept de justice comme formulé par Aristote et dans le concept de
relationalité qu’à la justice fait référence, il n’y a pas de symétrie. Cela signifie que mes prétentions,
même fondées, ne peuvent être égales à mes dettes, et que la non réalisation de celles-là ne m’autorisent
à ne pas m’engager pour celles-ci. C’est seulement dans un monde idéal, abstrait, hors de l’histoire, un
monde dans lequel tous les rapports intersubjectifs sont cristallisés et immutables ; c’est seulement
dans ce monde qu’on pourrait penser à une justice pleinement symétrique. Dans notre monde en
continuelle évolution biologique et culturelle dans lequel chaque sujet devient continuellement un
autre en soi, la justice n’est jamais une reconnaissance satisfaite d’une symétrie consolidée ; elle est
une continuelle et angoissante reconnaissance de notre incapacité d’égaliser les comptes, de rendre
pleinement à l’autre ce qui lui revient de droit. Dans le monde historique, pour autant qu’on réussisse
à payer ses propres dettes, on reste toujours débiteurs. Nous restons éternellement débiteurs de qui
nous a donné la vie et nous a nourris, nous a éduqués et conseillés ; nous restons débiteurs de quiconque
qui a eu avec nous un rapport non formel, mais proprement humain. C’est dans ce sens que Vladimir
Jankélévitch a écrit que tous ont des droits sauf moi : vers tous, moi je suis appelé, par devoir de justice,
à reconnaître une dette, même quand, par la pauvreté de mes forces humaines, je sais que je ne réussirai
pas à la payer.

C’est une doctrine qui peut paraître scandaleuse à la grande partie des juristes, mais elle décrit de
manière plus précise la dynamique d’une altérité non déformée par l’égocentrisme. C’est même le sens
ultime du message du Georgie platonique où nous lisons qu’il est mieux de subir que commettre
l’injustice, un principe que Aristote fait sien. Si l’autre existe indépendamment de moi, et si dans la
relation avec l’autre que moi je constitue mon moi, cela implique que l’autre a par rapport à moi un
primat (paradoxal). Dans l’herméneutique contemporaine, ce principe trouve une profonde
correspondance dans le primat de la demande sur la réponse dont Gadamer a écrit : « L’homme n’est
pas principalement l’être qui attend les réponses, mais l’être qui pose les demandes ; et la certitude de
ne pas avoir une réponse adéquate n’est pas un motif suffisant pour cesser de demander, pour éteindre
le rapport dialogique ».

Ce qu’il y a d’admirable dans la justice est le fait que moi, sujet égocentrique, porté à maximaliser
mon moi, à construire le monde sur la mesure de mes nécessités, à faire de mon utile la loi suprême de
mon agir, puisse reconnaître les attentes des autres, même quand sans en tirer profit, même quand – à
la limite – une telle reconnaissance va contre mes désirs, mes intérêts et mon plaisir. Dans l’acte de la
justice, se vérifie une situation réellement anthropologique, irréductible dans le domaine de la pure
naturalité, de constitutif de l’humanum et de ce qui est la racine ultime de sa dignité. Et puisque l’acte
de la justice – donner à chacun le sien – est vraiment tel quand il est libre et conscient, nous nous
trouvons très loin de Kant pour qui, seulement l’exercice de la liberté qui continue in nuce la dignité
de l’homme.

2.1.3. Via caritatis

Bergson a fait observer que pour les grecs la justice est restée au stade d’un idéal à respecter, mais tel
qu’il n’y ait pas à penser qu’elle puisse être réalisée. Naturellement Bergson n’entendait pas par rapport
au monde classique, que dans notre monde moderne, la réalisation de la justice soit chose faite ou du
moins facile. L’essentiel de sa pensée est tel que les Grecs n’ont pas individualisé la dignité humaine
dans la réalisation de la justice. La reconnaissance de l’altérité, dans laquelle les Grecs voyaient la
racine de tout comportement juste, est toujours demeurée, pour eux caractéristiquement suspendue
dans les limbes d’une spéculation peureuse d’aller jusqu’au bout dans la reconnaissance de son
universalité. La dignité pour les Grecs est une conquête de l’homme et non certes un présupposé. La
nette affirmation de Platon sur la fraternité universelle des hommes – comme fils de la terre – est
proposée par le philosophe comme utile à la polis, mais n’a pas, à son avis, d’autre fondement que le
mythe et reste par conséquent un mensonge.

Se demander qui est l’autre a été une demande essentielle pour la philosophie grecque mais la même
philosophie n’a pas réussi à l’affronter avec honnêteté jusqu’au fond. Elle est demeurée une question
ouverte. Pour aller au- delà de l’horizon classique, Bergson pense qu’il était nécessaire un élan plus
qu’une intégration spéculative, qu’il était nécessaire une force adéquate à vaincre une fermeture. Parce
que se trouvant en face à la demande qui est l’autre en tant que tel, c’est-à-dire sur son identité de
prochain, il était nécessaire attendre l’avènement de l’Evangile, il était nécessaire d’écouter la parabole
du Bon Samaritain. La parabole du Bon Samaritain est exemplaire parce qu’à la demande : « qui est
mon prochain ? Jésus donne une réponse caractéristiquement anti-spéculative qui trouve sa substance
dans la célèbre inversion des termes de la question : lequel s’est-il fait le prochain, demande à son tour
Jésus au docteur de la Loi qui l’interroge, qui s’est-il fait le prochain de l’homme assailli par les
brigands ? Qui parmi les passants a senti l’appel de la justice, qui s’est senti obligé vers lui, qui a retenu
le devoir de le secourir ? Qui parmi le prêtre, le lévite et le samaritain a renversé le comportement de
Caïn (je suis force le gardien de mon frère ?).

La question de l’autre est résolue une fois pour toute, non à travers la philosophie mais à travers
l’évidence d’une possibilité exemplaire. C’est dans la même possibilité de l’existence d’un Bon
Samaritain que nous tous, si nous laissons que notre conscience s’ouvre, nous apprenons la réponse à
la demande sur qui est vraiment l’autre et quelles sont ses irréductibles attentes. Nous savons que la
parabole du Christ - dans ce cas tout comme dans plusieurs autres aussi - ne naît pas d’un vide de
sentiments et de valeurs, mais trouve ses racines dans la séculière pédagogie exercée par Dieu envers
Israël. Nous savons aussi que cette pédagogie, avec un continuel scandale de plusieurs, a assumé,
depuis le début, les formes de l’expérience juridique. Le problème, naturellement, n’est pas si simple
et nous devons prendre acte que toutes les tentatives de reporter la lecture théologique du berit, du
pacte entre Dieu et Israël, à une dimension agapique n’ont pas réussi à en avoir une incidence sur
l’irréductible dimension juridique. La logique du droit appartient à la logique du salut ; et Jésus quand
il stigmatise les Pharisiens, veut attaquer dans leur hypocrisie l’injustice, et non la loi en soi. Saint
Thomas quand il écrit qu’en Christ la loi antique est dépassée en tant qu’antique, et non, en tant que
loi, identifiant avec la grâce la loi nouvelle, la loi du Christ, il nous invite implicitement à réfléchir sur
la catégorie de la juridicité même dans la perspective chrétienne.

Berit signifie pacte, alliance, contrat ; c’est un terme typiquement juridique. Mais dans ses valences
sémantiques, intervient aussi une dimension que nous chercherons en vain dans la pure tradition
juridique classique. Berit n’est pas un pacte extrinsèquement formel, il présuppose au contraire une
reconnaissance forte de l’autre en tant qu’autre. Dans l’ancienne Alliance Dieu ne se présente pas
comme l’autre absolu mais comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Moïse fait de même quand
il parle au peuple pour présenter le Décalogue (Dt5,2.3). Dans toute l’ancienne alliance, cette constante
individualisation de l’autre dans sa singularité, dans son irrépétibilité, dans son irremplaçabilité, croît
irrésistiblement. Quand le roi David se reconnaît ami de Jonathan et vice versa c’est parce qu’ils
s’aiment de tout cœur – ils concluent une alliance, ils se posent l’un et l’autre sous la garantie du droit,
comme sous la garantie du droit est posé le berit entre Israël et son Dieu. Même les prophètes vont
dans la même direction : ils stigmatisent Israël pour son infidélité au pacte : l’injustice d’Israël est
abominable, parce que c’est une injustice authentique, parce que Israël ne reconnaît pas à Dieu ce qui
est sien et qu’il a demandé que cela lui soit reconnu non à travers un acte de souveraineté irrésistible,
mais en descendant à conclure un pacte avec son peuple. En ce sens l’infidélité d’Israël n’est pas la
reconnaissance manquée de la souveraineté de Jhwh, mais le manque d’observance de l’alliance
contractée avec lui.

L’incarnation de Dieu – mystère théologiquement inépuisable – acquiert ainsi, dans notre contexte
aussi une valence juridique : celle d’une extrême fidélité de Dieu aux promesses juridiques de
l’Alliance. En s’incarnant, Dieu s’acquitte de manière définitive et conclusive d’une dette contractée
sur le Sinaï à travers Moïse avec Israël et à travers Israël avec tous les hommes. L’incarnation, acte de
sublime miséricorde, est en même temps un acte de justice absolue, parce qu’en Dieu justice et
miséricorde coïncident pleinement. Dans l’amour, comme le dit saint Paul (Rm13,10) ; le droit n’est
pas renié mais il est définitivement appréhendé dans son essence de reconnaissance de la valeur infinie
de la personne, dans son essence de via caritatis (selon la belle formule synthétique de la doctrine
thomiste du droit).

Le droit ne s’oppose pas à la charité mais s’émeut dans la même direction qu’elle, le droit ne sait pas
aimer pas mais reconnaît la valeur infinie de la personne et sans cette préalable reconnaissance, aucun
acte d’amour sera authentique et possible. Le droit peut ou ne pas s’élever à la compréhension des
exigences de la charité, mais s’il est fidèle à lui-même, il en préparera toujours le chemin.

2.2. Conclusion
La catégorie de personne avec trop de facilité et d’indifférence ne naît pas dans la culture occidentale
de manière simple et linéaire ; elle est le fruit d’une longue confrontation entre l’expérience juridique
classique et la sensibilité judéo-chrétienne. De cette confrontation est émergé un principe qui est
devenu le point focal du monde moderne :le principe selon lequel dans la personne je vois certainement
l’autre, dans lequel et avec lequel je me confronte et avec qui j’instaure des rapports sociaux ; mais je
vois – et nécessairement – aussi quelque chose de plus : celui qui a et auquel je reconnais une attente
originale et irréductible, non en vertu de ce qu’il fait, mais simplement en vertu de ce qu’il est, non
pour son agir, mais pour son être : une attente qui est en même temps éthique et juridique. Tel est le
postulat ontologique sur lequel se fonde le monde moderne et que, avec la même force, s’impose à
l’attention du philosophe et du juriste, chacun pour la part de responsabilité qui l’attend ; un postulat
auquel la modernité a toujours été infidèle de manière infinie, que la modernité a déshonoré, mais un
postulat auquel la modernité a toujours voulu retrouver toutes les fois qu’elle a eu besoin de redécouvrir
ses racines et de faire encore des comptes avec soi-même.

Nous savons bien que la liberté quand elle se radicalise, produit des inégalités insupportables et nous
savons aussi bien que l’inégalité quand elle se radicalise supprime la liberté. Walter Dirks a justement
observé que liberté et égalité demandent d’être médiées par la fraternité. Une fraternité à considérer
non comme une pure valeur éthique, ou encore comme une valeur psychologicoindividualiste, mais
comme un principe activement opérant sur le plan des institutions et du droit ; comme le fondement
juridique de la valeur sociale de la solidarité, comme le fruit plus adéquat du caractère interpersonnel
du droit.
Les chrétiens savent pourquoi et cela est l’enseignement leur imparti, et qu’il n’existe pas de fraternité
sans paternité commune, et que leur travail dans l’histoire se réduit au fond à répéter au monde cette
vérité (avec intelligence, avec cœur et avec les œuvres et non seulement avec les paroles). La
responsabilité est noble et urgente surtout quand observe Rema Bodei que l’époque moderne cherche
de nous convaincre que pour affirmer la fraternité il est indispensable de tuer le père, en contemplant
le trône vide, de jouir de l’exécution du roi sur la guillotine. Mais les chrétiens savent qu’un frère qui
ignore le Père, même par sa propre faute, ne cesse pour cela d’être un frère. Au fils prodigue qui
retourne à sa maison le père n’offre pas seulement amour et pardon, il continue à lui offrir aussi la
reconnaissance de fils, ce qui est sien de manière totale. Pour n’avoir pas compris cela, le fils majeur
a été consigné à la méditation universelle comme exemple de manque de perspicacité (esprit obtus)
spirituelle ; un manque de perspicacité force humainement compréhensible mais non pour cela moins
déplorable. A vaincre ce manque de perspicacité du frère majeur, tous les juristes, déjà les étudiants
de droit, et en particulier ceux catholiques. Extirper définitivement l’idée tant enracinée en nous tous,
qu’au nom de la justice il soit licite de renier un homme, une personne et un frère.

Chapitre 3 : DROIT ET MORALE

3.1. Problème de méthode

Pour autant qu’il assume à notre époque certaines configurations particulières, le problème de rapport
Droit-Morale appartient au nombre restreint des questions fondamentales de la philosophie du droit,
celles pour ainsi dire métahistoriques, autour desquelles chaque époque s’est caractéristiquement
engagée, avec le résultat de produire un éventail extrêmement ample de thèses et antithèses
spéculatives, rendu plus articulé par le fait qu’aucun de deux termes mis à confrontation, le concept de
« droit » d’un côté et celui de « morale » de l’autre, ait joui d’un statut sémantique univoque.

3.2. Trois modèles et un post modèle

Selon une perspective fréquemment adoptée, le droit et la morale sont considérés comme des systèmes
normatifs dotés d’une perspective cohérente intrinsèque. Dans un aspect strictement formel, le
problème de rapport entre les deux systèmes admet seulement trois solutions : celle de l’insignifiance
réciproque et celles – symétriques – du primat de l’un de deux sur l’autre. Il en résulte ainsi la définition
de trois modèles : a) le primat de la morale sur le droit, b) l’insignifiance du droit pour la morale et de
la morale pour le droit, c) le primat du droit sur la morale. Toutes les trois solutions peuvent être
esquissées recourant à certaines considérations historiques et systématiques. Dans la société
occidentale, il est possible d’individualiser trois grandes phases : celle de l’époque antique et
médiévale, celle de l’époque moderne et enfin celle de l’époque contemporaine, époques à travers
lesquelles chaque modèle a eu son impact.

3.3. La moralité du droit

L’époque antique et médiévale : le droit est considéré en fonction de la morale, c’est-à-dire qu’on
donne une identité catégoriale du droit et de la morale, une identité qui n’est pas relevée dans les
contenus matériels de l’un et de l’autre, mais dans le principe commun de l’intelligibilité. Jus est ars
boni et aequi ; juris praecepta sunt tre : honeste vivere, alterum non laedere, suum cuique tribuere (ne
pas offenser l’autre – accorder ou donner ce qui est propre). Dans ces citations, les juristes romains
mettent très bien en évidence cette caractérisation éthique du droit que dans la seule spéculation
patristique et scolastique trouvera sa définitive configuration philosophique. Non est lex quae justa
non fuerit, écrit Saint Augustin, soulignant le primat de la dimension substantielle – celle éthique – du
droit par rapport à sa dimension formelle – autoritaire ; jus est obiectum justitiae, écrit saint Thomas
reconduisant encore plus nettement le droit à une dimension, comme celle de la justice, que dans sa
perspective, peut être comprise et thématisée seulement à travers la conceptualisation – typiquement
éthique – de la vertu.

Parlant d’identité catégorielle entre le droit et la morale, nous ne voulons pas évidemment soutenir que
dans le monde antique tout précepte éthique avait une signification juridique, ni à majeure raison, que
tout commandement politique acquérait une morale obligatoire. Par identité catégorielle on entend
l’incapacité de penser le droit se non à partir des catégories fondantes de la morale. Dans le monde
antique il n’y a pas d’autre possibilité de justifier les normes juridiques se non en les reportant à un
ordre méta positif, un ordre « jus naturaliste », un ordre qui peut aussi concrètement coïncider avec
celui historiquement déterminé de polis ; accepté non parce qu’imposé par le pouvoir mais parce que
reconnu par le citoyen comme substantivé de cet éthos qui est le sien.

Quand Socrate refuse de fuir de la prison, tout en étant conscient de l’iniquité de la condamnation qui
lui est infligée, c’est parce que dans sa fuite, il se substantiverait objectivement en une violation de lois
de sa cité, et à cela Socrate ne veut pas y arriver puisqu’il reconnaît dans l’ethos des lois d’Athènes ce
domaine de moralité concrète dans lequel lui a été éduqué, et d’où dérive son identité humaine, et qu’il
ne veut en aucune manière violer même si cela doit lui coûter la vie. De ce point de vue, dans le monde
classique et médiéval, les lois sont toujours, de quelque manière, méta positives, parce que pour les
identifier, il n’est pas nécessaire d’accepter la volonté positive du législateur. Ces lois existent, pour
utiliser un langage platonique, comme « idées », elles ont une existence infiniment plus corsée de ce
que pourrait paraître à l’homme du commun qui n’est pas en mesure de les contempler, puisque leur
raison d’être est perceptible universellement par la raison, tandis que celles d’un pur décret normatif
est contingent dans le temps et dans l’espace.

Ces aspects développés – modelés explicitement sur le modèle spéculatif socratique – platonique –
résument suffisamment une orientation diffuse dans le monde antique et médiéval, même si
évidemment très articulé. Une telle orientation connaît des variantes significatives qui ne constituent
pas cependant des alternatives authentiques au modèle dont nous parlons. Pour Aristote par ex
l’éthique possède en rapport au système du droit positif, fermé à l’intérieur des frontières de la cité,
une dimension universelle, empiriquement déterminée. Le juste selon la nature est appréhendé par lui
à partir de la constatation factuelle que certaines lois sont retenues telles quelles par tous les hommes
et tous les peuples (ligne suivie par Ulpien qui soulignera le caractère naturaliste commun aux hommes
et animaux de certaines normes plus générales). Les sophistes, dans leur réalisme empirique insistent
sur le juste de nature qui privilégie le plus fort par rapport au plus faible, trouve sa justification ultime
à prévaloir mais celle impersonnelle d’un cosmos qui a diversement réparti entre les hommes les
fonctions et les puissances. Dans un cas comme dans un autre, la pure volonté du souverain n’est pas
retenue le fondement ultime de la normativité. L’on comprend pourquoi un tel modèle, avec quelques
adaptations, fût adopté par la pensée chrétienne.

3.4. La séparation du droit de la morale

La crise du paradigme classique a porté sur le plan historique et théorétique l’affirmation d’une nette
distinction entre la logique du droit et celle de la morale. Celle-ci ne doit pas être interprétée, comme
on l’affirme souvent, comme conséquence de la crise du sentiment moral, produit de la grande crise
de la Réforme. Il n’y a pas de doute que l’invention du droit international (Grotius) ait été sollicitée
par la nécessité de trouver un système de communication objective et trans confessionnelle, destiné à
substituer, à l’époque moderne, celui de l’époque médiévale, dans la conscience d’appartenir à
l’universalité de la communitas christiana et du désir de reconnaître les lois communes. Mais les
principes spéculatifs qui ont rendu possibles la théorie de Grotius d’un système de lois naturelles
valides en soi (etiamsi daremus non esse Deum, aut non curari ab eo negotia humana (§ 11
prolégomènes au De jure belli ac pacis) remontent bien d’avant la Réforme (voir les théologiens de la
tarde Scolastique : Grégoire de Rimini et Gabriel Biel).

Les juristes, à l’époque moderne, assument le rôle de conseillers du Prince, un rôle d’avant-garde
comme créateurs de la grande figure de l’Etat moderne destiné à s’affirmer comme laïc et
pluriconfessionnel, comme Etat de droit avec le monopole de la force. La moralité du droit reconnaît
à l’éthique traditionnelle, une éthique strictement privée. Le droit, à l’époque moderne, est appelé à
construire le système d’actions sociales comme actions objectives et vérifiables, destinées à se
coordonner et à se potentialiser réciproquement, à être soutenu par la menace et l’application des
sanctions. A l’éthique on laisse le soin des âmes, la direction des consciences, l’enquête fine et
interminable des conflits spirituels.
En Kant la séparation entre droit et morale trouve le confort des systèmes spéculatifs articulés et
complexes. Dès lors les distinctions comme celle entre « législation externe » et « législation inter ne
» (la première positivement sanctionnée par le pouvoir étatique et typique du droit, la seconde, typique
de la morale et privée de sanction se non celle psychologique du remord) ou entre « impératif
catégoriquement », dictée par la conscience (la loi en sens éthique) ou « impératif hypothétique » dicté
par le législateur (la loi en sens juridique) sont devenus communs entre les juristes. Pour la plupart, la
séparation entre le droit et la morale justifie une praxis opérative professionnelle de caractère
strictement technique et fondamentalement formalistique. Cela montre la raison de l’enracinement du
sentiment anti-juridique répandu dans le monde moderne et contemporain, sentiment qui condamne
dans le droit une forme d’agir extrinsèque, souvent hypocrite et toutefois inauthentique.

C’est en cette époque que le droit coutumier dépérit inéluctablement et acquiert, dans la conscience
collective, l’image d’un droit archaïque. Et l’époque où surgit le droit moderne processuel, la forme
plus raffinée et en même temps plus abstraite et artificielle de résolution des controverses individuelles.
L’époque se conclut avec le grand processus de la codification du droit privé et avec la proclamation
positive des droits de l’homme ; un processus dans lequel la raison juridique démontre soit la capacité
de savoir se poser comme système intégralement positif, logiquement cohérent, fondé iusta propria
principia, soit comme capacité de savoir occuper tous les espaces possibles où l’existence individuelle
acquiert une importance sociale. Le Code civil de Napoléon vient à assumer le semblant d’une Summa
de l’éthique laïque entendue au sens matériel. La même terminologie que ce Code réussit à diffuser
(obligation, bonne foi, sanction, responsabilité, devoir, faute, charge…) reproduit celle de l’éthique
chrétienne traditionnelle, la résiliant cependant de son fondement transcendantal, c’est-à-dire la
sécularisant et la chargeant d’une nouvelle formule : celle pour laquelle, du mal on répond devant la
société avant tout que devant Dieu.

3.5. Le primat de la morale sur le droit


Nous sommes à l’époque contemporaine. En une première approche on relève que le phénomène de la
positivisation intégrale du droit, associée à la sécularisation plus répandue ou articulée de la morale
chrétienne, a fourni à l’opinion public des années 1900 et 2000 l’idée d’arriver finalement en
possession d’un minimum éthique réel, celui véhiculé par le droit et grâce auquel est définitivement
garantie la coexistence humaine civile (dans les colonies, le discours est fait diversement : le sauvage
dans l’opinion commune du siècle dernier, tout comme de ce siècle, ne peut pas comprendre le droit
et est sensible seulement à l’usage de la force). Le phénomène du XIXème siècle, mais surtout du
XXème, avec la multiplication des « Chartes de droits », des proclamations constitutionnelles et méta-
constitutionnelles des droits de l’homme a une importance surtout sous ce profil : c’est le signe du
triomphe de ce qu’on a appelé « la moralité du droit », comme moralité méta-éthique et métaculturelle,
comme moralité publique. Pour une dynamique bien compréhensible, le fait que la proclamation des
droits ait rencontré en nombreuses circonstances (pensons aux diverses déclarations de l’ONU) une
adhésion universelle, ait créé une hiérarchie de valeurs, dégradant les éthiques traditionnelles et
nationales (surtout celles extraeuropéennes), incapables d’assimiler ces nouveaux principes, à
phénomènes provinciaux et en définitive régressives, et donnant au contraire un nouveau et robuste
fondement à tous les systèmes éthiques en mesure de les recevoir.
Il suffit d’observer avec quel respect on écoute aujourd’hui la voix du Pontife romain quand il se lève
à défendre la dignité de l’homme selon le schéma de la « Déclaration universelle des droits de l’homme
» de l’ONU, et combien de critiques quand plutôt il proclame une vérité éthique propre du
Christianisme, et donc non universellement partagée (par ex La condamnation du divorce et de
l’avortement). Il semble que la culture contemporaine reconnaisse un espace à l’éthique, mais dans les
limites où celle-ci reconnaît le primat du droit et se modèle sur des principes juridiques universellement
acceptés (même si pas toujours effectivement opérants) ; dans les cas où à l’éthique vient à manquer
cette confirmation d’universalité juridique, elle est abandonnée à l’imaginaire des singuliers et
délégitimée totalement au niveau collectif.
Décrivant de telle manière les dynamiques propres de la modernité, nous nous sommes clairement
posés dans une perspective fondamentalement historico-sociologique, qui n’est pas, de soi-même, en
mesure d’expliquer efficacement pourquoi l’époque contemporaine tend à se reconnaître de manière
ainsi voyante en documents juridiques, comme les déclarations, se cache un désir obscur, mais fort,
répandu dans toute l’humanité contemporaine, celui de reconquérir une unité perdue. Seulement de
cette façon il est possible expliquer comment l’époque qui a vu la transformation de l’ethnographie en
anthropologie culturelle et qui a théorisé le relativisme culturel, coïncide pleinement avec l’époque
que, dans les déclarations des droits, a demandé une série d’attentes objectives, transculturelles, et
absolues de tous les hommes. L’unité perdue qu’il faut reconquérir, est l’unité pas seulement morale
et juridique, mais aussi culturelle, religieuse, axiologique de l’humanité ; elle est en définitive l’unité
même du sujet universel, jamais mise en question dans les époques précédentes, mais devenue un
problème de l’époque de la sécularisation. C’est pour cela que de sociologique notre problème ne peut
que retourner à être résolument spéculatif.
3.6. L’expérience contemporaine
Selon Adorno, l’éthique contemporaine est dominée par un nouvel impératif catégorique : « Que
Auschwitz ne se répète plus ». Pour qui fait une réflexion sur l’expérience juridique, un tel impératif
peut être traduit en diverses modalités, toutes cependant fondamentalement équivalentes : le droit ne
doit plus jamais s’identifier avec la pure force ; plus jamais il doit être un instrument de l’injustice et
de l’oppression, bref de la déshumanisation ; aucun ordre juridique peut s’ériger des propres normes
fondamentales sur une prétention d’extranéité à la raison et à l’éthique, mais il doit assumer à son
fondement la reconnaissance de la dignité de l’homme. Ce sont toutes des formules essentiellement
équivalentes d’un point de vue axiologique ; toutes convergentes prenant au sérieux l’expérience
historique du 19ème siècle.

La chance dont jouit aujourd’hui auprès des juristes la référence à la thématique des droits humains est
un indice non de particulière intelligence méthodologique, mais de l’intériorisation de spécifiques
aprioris éthiques. Peut-il se radicaliser ici le nouveau modèle post moderne de rapport entre le droit et
la morale ? En rapport à l’éthique, les systèmes juridiques contemporains ont renoncé à la prétention
d’absolu. Ils ont plus d’une fois – même si pas toujours – adopté en confrontation aux droits humains
– la technique de la constitutionnalisation pour les rendre plus faciles et rapides dans la défense, mais
bien peu de juristes retiennent que de tels droits subsistent en tant que droits parce que seulement ils
sont constitutionnalisés.
Le droit contemporain, du reste, est un droit toujours plus ouvert à l’intégration réciproque entre divers
systèmes juridiques étatiques, à la construction même difficile, d’un nouveau droit privé universel. On
rappelle ici la fonction de grandes organisations internationales dans la défense des droits humains
même quand elles sont butées devant les fortes pressions politiques. C’est comme si l’humanité
contemporaine concordât en reconnaissant qu’il existe une éthique minimale, celle de la dignité
humaine, et que cette éthique est de fait, au moment historique actuel, véhiculée par le droit. Parler
d’une éthique minimale peut porter perplexité, parce que pour certains, l’expression n’est pas cordiale
puisque l’éthique est telle à demander à l’homme toujours le maximum et il n’existe pas une éthique
minimale qui soit suffisante pour agir moralement. On peut cependant observer quelque chose de plus
et de diverse ; si l’éthique du droit, comme éthique de la dignité de l’homme, est réellement définissable
comme une éthique minimale ; c’est parce qu’elle constitue la condition réelle de possibilité de tout
agir ultérieur éthique, comme un agir historiquement déterminé. Voilà pourquoi l’anti-juridisme est
une doctrine théorétiquement fragile ; voilà pourquoi la loi positive (quand elle est vraie loi et non
corruptio legis) est toujours, de quelque manière, obligatoire en conscience. Ce qui fait peur pour
l’anarchie comme a-no-mia, n’est pas seulement le fait qu’elle ne fournit aucune garantie et protection
des biens, et à la limite de la vie même des individus, mais le fait que quand elle domine, on n’a pas
même la possibilité d’expérimenter une quelconque forme de vie éthique réelle.

Si telle est la dynamique des rapports droit – morale dans les régimes occidentaux contemporains, l’on
doit croire toutefois que quelques problèmes existent. En partie la caractérisation majeure de cette
société comme société technologique avec la conséquence de l’affirmation de la rationalité
instrumentale comme forme suprême de rationalité. Ici s’enracine la tentation d’enlever à l’éthi que
minimale de la dignité humaine tout fondement absolu, pour lui donner en échange un fondement
strictement pragmatique, retenu plus réaliste parce que non métaphysique. On cherche de soutenir que
le droit est appelé à défendre la dignité humaine non en soi, mais en tant qu’une telle défense puisse
être calculée comme utilitairement avantageuse à l’ensemble de la collectivité. De telles positions
(éthique utilitariste) restent dominantes dans la culture anglo-saxonne. De telles positions demeurent
particulièrement vraies en apparence parce qu’elles résultent raisonnables quand elles sont
exemplifiées en recourant à la dimension plus commune, celle quotidienne de l’expérience juridique,
mais elles montrent leur limite quand on en demande l’application aux cas plus difficiles de la
coexistence, aux cas limites.

Il n’existe pas des justifications authentiques de caractère exclusivement pragmatique et/ou


socioéconomique qui expliquent par exemple pourquoi le droit doit défendre, à coût de graves charges
sociales, les handicaps, les minorités, les vieillards… Et si la justification, on veut la découvrir en une
prétention utile du genre humain en général, il est facile d’individualiser comment l’argumentation
perd tout timbre utilitariste, par le fait que non calculable ; un pareil utile peut être seulement postulé,
et vient à acquérir un fondement non empirique, mais excellemment aprioristique. Le fait que c’est la
vocation ultime du droit, en notre époque, n’est pas de défendre l’homme seulement pour maximiser
l’utilité sociale, mais de le défendre en tant qu’homme. Aucune époque comme la nôtre semble être
ainsi sourde à tout discours sur l’utile pour s’en tenir fermement à celui sur les principes. Si on a le
courage d’adopter le langage de l’utopie, on peut affirmer que l’histoire a commencé à mouvoir ses
premiers pas pour marcher vers la construction de cet intégral Etat du droit, de cet Etat « universel et
homogène » dans lequel et seulement dans lequel, selon la lucide analyse d’Alexandre Kojève, il est
possible hypotiser/ une reconnaissance universelle – non utilitariste, mais homogène – des hommes.

3.7. Conclusion : Comment argumenter une affirmation ainsi engageante ?


Recourons à une preuve logiquement faible, mais significative sur le plan de la conscience commune.
Nous observons que les mêmes problèmes éthiques-juridiques plus déchirants de notre temps, ceux
qui divisent le plus les consciences - l’avortement et l’euthanasie - ne viennent presque jamais imposés
par ceux qui en soutiennent la dépénalisation – niant que la dignité humaine du fœtus ou du malade
terminal, méritent d’être protégé par le droit, mais affirmant que le fœtus peut être sacrifié propre parce
qu’il n’est pas encore une personne, ou soutenant que l’euthanasie est en réalité une manière, tragique,
de défendre la dignité du mourant. Et la même considération peut se faire à propos de la peine de mort.
Ceux qui s’opposent ou la retiennent moralement et juridiquement aberrante, sont de l’avis qu’une
telle peine doit être répudiée – parce qu’indépendamment de son efficacité intimidante – parce
incompatible avec le respect qu’on doit avoir pour la vie et la dignité de l’homme.

Mais il y a aussi ceux qui défendent cette peine. Pour autant atroce qu’elle puisse être, la peine de mort
n’enlève pas la dignité au condamné, puisqu’il constitue en cas extrêmes l’unique manière pour lui
faire expier la faute commise, et pour lui redonner, à travers l’expiation, la dignité détruite par le délit.
Même dans ce cas, on peut relever que la polémique n’a pas proprement pour objet deux diverses
manières d’appréhender le droit (l’une respectueuse, l’autre non de la dignité humaine), mais deux
diverses manières de concrétiser, d’authentifier la catégorie « dignité humaine ». Si on en vient aux
deux théories de la dignité humaine aujourd’hui, à savoir, celle de la dotation et celle de la prestation,
la construction d’un équilibre est indispensable de peur de tomber dans le relativisme. En effet, selon
la théorie de la dotation naturelle, la dignité humaine est un attribut et une qualification de la personne
humaine en tant que telle et donc de toutes les personnes. Celles-ci, par définition, ne peuvent ne pas
avoir une dignité intrinsèque et égale pour toutes, faisant abstraction des conditions concrètes de
chacune. Selon la théorie de la prestation, la dignité est constituée dans sa concrétisation en référence
à chaque personne. C’est quelque chose que chacun doit acquérir, c’est la position que l’homme
recouvre dans la société. Comme on le voit, la première acception est de nature ontologique et la
seconde indique une valeur. La dignité est donc connectée soit au fait que l’homme est différent du
reste du constitutif de la nature parce qu’il est l’unique animal rationnel, soit du fait qu’il est différent
d’autres hommes, à cause du rôle qu’il recouvre dans la société et dans la vie publique, rôle qui lui
confère une certaine valeur.

Pour retourner à l’argumentation de la différence entre droit et morale, il sied de dire que dans les cas
de ce genre, n’entrent pas en conflit le droit et la morale, mais deux diverses lectures – à leur manière
toutes deux respectables – de l’essence commune plus vraie et plus forte sur laquelle viennent à se
fonder dans le monde d’aujourd’hui, et le droit et la morale. Plusieurs conflits communément retenus
éthiques sont à proprement considérer conflits herméneutiques. Mais est-il possible de résoudre le
conflit des interprétations ? Comme on peut le voir, ceci est la croix de la grande part de la philosophie
contemporaine.

Chapitre 4. Justice - Charité - Peine

4.1. Justice et charité

Bobbio : "La valeur suprême laïque, en alternative à la charité, est la justice. S'il y avait plus de justice
dans le monde, on n'aurait pas besoin de charité". Ainsi Bobbio s'exprime avec une affirmation qui
semblerait péremptoire si elle ne venait subitement à être assouplie par une considération ultérieure :"
cependant c'est une réponse qui peut laisser perplexe, puisque la justice n'est pas de ce monde... "
[elogio del dono, éloge du don in Campus, IX, Septembre 1997, pp.1620). La limite de la réflexion de
Bobbio est précieuse. Elle s'ouvre avec une orgueilleuse affirmation de l'autonomie de la justice et
conclut tristement, mettant en doute la possibilité de la justice même. Il arrive force par inadvertance,
au paradoxe : si la justice n'est pas de ce monde, elle ne pourra appartenir qu'à l'autre monde, auquel
appartient la charité. L'affirmation est vraie d'une certaine manière : toute expérience humaine ne serait
pas authentique si à la dimension ontique (dimension que nous expérimentons en ce monde) il ne
correspond pas un fondement ontologique (dans un autre monde). Mais le point est ailleurs : que la
justice n'est pas, comme le retient Bobbio et tant d'autres avec lui, alternative à la charité. Elle en
représente plutôt la première (et la plus pauvre) des conditions de possibilité.

Le droit ne s'oppose pas à la charité, mais il s'émeut dans la même direction qu'elle : il est universel
comme est universelle la charité. Diversement de la charité le droit ne sait pas aimer, mais comme la
charité, il sait reconnaître l'infinie valeur de la personne (valeur que le droit nomme dignité) et sans
cette préalable reconnaissance, aucun acte d'amour ne sera jamais authentique ou possible. Le droit
n'est pas en mesure de réaliser les paradoxes splendides de la charité, mais il réussit à les présag er, à
sa manière, à les imiter et à les garantir : ce qui dans la charité est don, devient donation dans le droit.
" Par le moyen de la charité le droit est ainsi dépouillé de son esprit charnel, mais non de la propre
structure – qu’au contraire, grâce à ce dépouillement, il trouve disponible à atteindre sa propre
plénitude" (S. Cotta, il diritto al traguardo dell'escatologia, in Cotta, Itinerari esistenziali del diritto,
Le droit au regard de l’eschatologie, itinéraires existentiels du droit. Morano, Napoli 1972, p.119s).
L'injustice, par contre, étouffe toujours la naissance de toute possibilité de charité.
4.2. La justice pénale

Il existe dans les raffigurations de la justice (une femme avec une balance en une main – justice civile
– une épée dans l’autre – justice pénale). La première chose que les enfants comprennent des tribunaux
est la figure du juge qui peut t’envoyer en prison, te donner une peine avant même qu’il ne résolve les
questions civiles. Seule la désobéissance à la norme juridique porte à une sanction publique. Que
signifie sanction ? Il est plus clair le concept de peine qui relie à la douleur et on le comprend
immédiatement. Sanction est un terme entré dans le lexique romain avec une valence technique non
privée d’une certaine ambiguïté. Du point de vue linguistique il est curieux de voir comment s’est
formé le concept latin SANCTIO. C’est la substantivisation d’un participe passé SANCTUM du verbe
SANCIRE (censurer). Sanctum embrasse deux valences sémantiques en latin traduites en italien par
santo (saint) et sancito (censuré). Dans la langue indoeuropéenne sak= donner existence, faire vivre.
Nous observons que quand une personne a un comportement public inacceptable, le juge la sanctionne.
Alors nous pouvons induire qu’à l’origine il y a l’idée que certains comportements sont indifférents,
d’autres juridiquement importants parce que les personnes leur donnent importance. Cela signifie
prendre au sérieux la gravité d’un comportement social. La sanction en sens générique, est une
reconnaissance de l’auteur d’un comportement socialement important. La sanction est une technique
juridique pour résoudre le dommage opéré par l’illicite juridique. Dans le cas du délit pénal le vrai
problème est la lacération de l’ordre social qui ne touche pas seulement la victime mais aussi toute la
société.

Dans la théorie générale de la peine il y a des visions qui soulignent seulement les aspects fonctionnels
de l’intimidation comme théorie de caractère psychologique : la peine est une souffrance infligée au
criminel, mais à aucun plaît la souffrance. Donc le potentiel criminel peut désister de poser l’acte et
par peur de la peine, il peut conduire une vie légale. Cela peut être vrai mais le problème réside dans
le fait qu’exaltant trop une telle vision on peut produire des effets dangereux pour la justice.
L’intimidation fonctionne tant mieux, tant la peine est grave. Seulement non tous les délits sont
susceptibles d’intimidation. Ceux prémédités oui mais pas ceux de type passionnel par exemple non.
La peine est telle quel non parce qu’elle intimide mais pour la nécessaire réparation de la justice
juridique ; la rééducation : la peine sert à rééduquer le criminel. Certes ! la fonction rééducative est
explicable mais elle n’est pas implicite ontologiquement dans la peine. On soutient que le criminel est
un sujet qui n’a pas la conscience éthique sociale et donc il peut être comparé à un enfant que les
parents n’ont pas réussis à bien éduquer, et la peine devrait le récupérer. En certains cas cela est vrai
mais pas en tous les cas. Une telle théorie s’adapte bien à la criminalité infantile mais elle est
presqu’impossible pour la criminalité mafieuse économique, idéologique, financière…la limite de la
théorie se révèle dans le présupposé que le criminel soit toujours un sujet pédagogiquement faible ; la
prévention comme théorie sociologique : les citoyens évaluent la validité des normes sur base du fait
que celles-ci soient sanctionnables ou non. Donc avec la peine on envoie un message aux citoyens de
l’authenticité et du sérieux de la loi. L’obéissance aux normes n’est pas vraiment motivée par la
menace de sanctions mais par la capacité d’être intériorisée par ses destinataires. (ex: le vol est plus
populaire en pourcentage mais demeure assez souvent impuni); la défense sociale : l’insécurité de la
société ne dépend pas seulement du délinquant, il y a d’autres choses qui dérangent la stabilité de la
société et ne prévoient pas de peines comme pour l’homme de la drogue. C’est un principe de justice
qui veut que la peine soit infligée à qui commet le délit et non à qui a l’intention de le faire. La défense
sociale doit être raisonnable et non à venir à travers les instruments pénalistes.

Que le droit constitue la première forme d'ouverture dans les rapports avec la charité, cela peut être
démontré paradoxalement par une réflexion sur le droit pénal, c'est-à-dire sur cette dimension du droit
qu'est certainement la plus problématique. En effet, il n'y a pas de doute que parmi les multiples fautes
historiques de l'humanité, on mette aussi divers systèmes pénaux, qu'aveuglés par l'anxiété de réprimer
les délits, n'ont pas hésité à recourir à une cruauté inouïe et aux sévices. Néanmoins, non seulement
dans le principe, mais aussi dans l'histoire pour autant tourmentée par le droit pénal, émerge toutefois
la conscience profonde, même si souvent non réflexible, que les hommes ont souvent eue du nœud
entre droit et dignité humaine. Pour comprendre ces nœuds, il suffit de penser au fait que la fin propre
du droit pénal n'est pas celle de la pure intimidation, ni celle de la prévention des fautes ou de la défense
sociale, ni moins encore celle de la rééducation du coupable. Ces finalités, ou sont indignes en soi ou
font référence à d'autres domaines d'expérience et de pratique sociale, et ne concernent le droit que
seulement indirectement. Il est évident qu'à la rééducation ou à la prévention sociale des fautes
prévoient mieux de ce que sait faire le droit pénal, l'école ou une adéquate politique sociale.

Quand le droit pénal intervient sur le coupable et le punit, à cause de la faute qu'il a commise, il souligne
implicitement la responsabilité et par conséquent la liberté (il n'y a aucun sens à punir un irresponsable,
comme un mineur ou un malade mental : il y a un sens à les contrôler si dans leur irresponsabilité, ils
sont socialement dangereux ; mais les éventuelles mesures de sécurité à appliquer à leur endroit ne
peuvent, ni ne doivent avoir un caractère pénal).

Pour le droit pénal, en bref, l'homme mérite la peine parce qu'il est libre, ou plus exactement parce qu'il
a mal utilisé sa propre liberté, en l'orientant au mal (que le droit appelle faute) plutôt qu'a u bien (que
le droit identifie avec le licite). Symétriquement, quand le sujet oriente la propre liberté au bien, c'est -
à-dire quand il agit selon le droit, le droit valide socialement son action (la reconnaissant valide en en
défendant les effets) et - à la limite - la sanctionne positivement, avec de vrai et propre prix. On ne
blâme ni ne punit un mécanisme qui ne fonctionne pas ; on le répare ou on le détruit ; et analogiquement
on ne loue pas ni ne récompense une horloge ponctuelle, on se limite à l'utiliser. Blâme et sanction,
gratification et louange seront éventuellement à réserver à la personne qui a construit le mécanisme en
y mettant sa bonne ou mauvaise volonté d'artisan.

Dans cette perspective, on peut bien soutenir que le droit pénal a comme propre finalité spécifique
l'expiation de la faute et par conséquent la récupération sociale du coupable. Mais comme dit, il est
implicite que pour le droit cette récupération ne pourra jamais avoir lieu à travers le recours à de pures
techniques psychopédagogiques, mais plutôt à partir du respect pour cette dignité humaine du
coupable, qu'aucune faute, pour autant grave qu'elle soit, ne pourra jamais effacer. La peine faisant
souffrir le coupable, lui offre une occasion dure et efficace pour interroger soi-même et prendre
conscience du comment il ait abusé de sa liberté : et en cela proprement que consiste l'expiation. Le
droit pénal ne peut pas évidemment la garantir, parce qu'elle n'a pas la possibilité de scruter la
conscience du coupable ; et aucun système social pourrait le faire.

Le droit pénal présupposera que, remise la peine, le coupable ait expié ; et à travers cette présupposition
renouvellera la propre confiance en qui, remise la peine, ait payé sa dette envers la société ou ait
regagné l'innocence, le réinsérant dans le libre jeu de la société civile. Même sous ce profil, on perçoit
bien que le droit, avec ses limites, parce qu'il possède en son intérieur, dans le droit pénal, une
technique pour redonner innocence aux coupables, croit en l'homme. Quand on élabore jusqu'au fond
cette conscience, il devient clair qu'il soit l'unique argument valide contre la peine de mort. La peine
de mort est inacceptable non parce qu'elle n'ait pas une puissante charge intimidatrice ; non parce que
la légitimant on court le risque de condamner des innocents ; non parce que l'Etat n'ait pas le droit
d'ôter la vie à ses propres citoyens, non enfin parce que l'échafaud soit atroce. L'unique raison pour
dire non à la peine de mort consiste dans le fait que cette peine, tuant le coupable, donne illégitimement
pour remis que le délit, évidemment très grave, que celui-ci a commis et qui est sanctionné par le
supplice de l'échafaud, l'a rendu à tel point indigne, de lui priver du droit de faire partie de la
communauté des êtres humains.

Mais celle-ci n'est pas une communauté dans laquelle on peut être admis ou de laquelle on peut être
expulsé : elle se condense en chacun de nous et d'elle nous en faisons partie tous, bons et mauvais,
saints et pécheurs. Il existe une solidarité (pour beaucoup, si on veut, obscure, étant donné que son
fondement est en dernière analyse théologique), une solidarité entre les êtres humains qui nous
fraternise, qui nous rend réciproquement responsables, que selon des dynamiques fluides et souvent
inobjectivables - attribue à tous les mérites de chacun et réverse sur tous les fautes de chacun. Le
système pénal, à travers l'expiation, prend au sérieux cette solidarité : au même moment où il punit le
coupable, il lui annonce sa réintégration dans le social. La peine de mort, en retirant au coupable cette
possibilité, le frappe objectivement avant même encore dans la valeur de la vie, en cette valeur encore
plus grande qui est son appartenance commune au genre humain. Elle prétend de lui retirer quelque
chose que non seulement ne devait pas être retirée, mais qu'en dernière instance ne peut lui être retirée.
Sous ce profil, la peine capitale n'appartient pas à la logique expiatoire du droit pénal, mais à celle
bien plus dure, sinon impitoyable, de l'exclusion politique.

4.3. Les limites du droit

L'analyse faite à charge du droit, si elle en a individualisé la structure, elle en a individualisé aussi les
limites. Les deux plus importantes : le droit est une structure fragile et froide ; elle ne donne ni la
garantie corsée des liens politiques, ni la chaleur existentielle de rapports amicaux. La conscience de
ces limites a toujours fait surgir la tentation de reconduire le droit à l'intérieur d'une diverse forme co-
éxistentielle, en en faisant, pour ainsi dire, une variante subordonnée de la morale ou de la politique.
Dans la déclaration de Rousseau " Le contrat social", éthique et politique sont confondues dans la
volonté générale, il semblait que le problème de limites du droit était résolu une fois pour toutes. Une
communauté d'hommes libres qui s'autodéterminent sans besoin des restrictions aprioristiques ou
formelles, parce que leurs volontés s'accordent spontanément en vertu de la réciproque solidarité, c'est
cela qui domine plus ou moins consciemment autant d'intellectuels de notre temps - si de manière
cohérente affirmé et poursuivi, il se révèle non seulement déformante de la structure du droit mais
aussi tragiquement oppressive.

A part le fait que dogmatiquement on exclut de cette manière comme problème important celui de la
divergence éventuelle du vouloir de certains singuliers par rapport à la volonté générale, il reste qu'à
la racine du projet de Rousseau et du mythe de la volonté générale, il se pose une aberrante dislocation
de l'origine de la liberté, qui n'est plus prêchée comme du singulier, mais primairement comme d'un
sujet mystique, le Tout collectif (qui peut assumer le nom de Nation, Peuple, Classe...). Les
expériences plus tragiques de la modernité (totalitarisme, nazisme, stalinisme... dans toutes leurs
diverses variantes) ont toutes la même racine rousseauenne et anti-juridique. Voilà pourquoi la lutte
pour le droit acquiert un caractère éthico-pédagogique, qui est encore d'actualité absolue : lutter pour
le droit, parce que sa structure propre ne vienne à subir violence, signifie lutter pour la reconnaissance
que l'homme est un être libre et que la liberté est un tremplin pour l'homme en tant que singulier, un
singulier qui se rapporte Co existentiellement à d'autres singuliers et non à un Tout collectif. Par
conséquent la lutte pour le droit aura comme objectif celui d'en reconnaître la fonction non comme
forme suprême de rapport entre les hommes, mais simplement comme forme non succédanée par les
autres. Comme la liberté, indispensable à l'homme pour vivre comme homme, mais nécessitant des
contenus qu'elle seule n'est pas capable de se donner, et que seulement dans l'ouverture de l'homme à
l'absolu il peut trouver son équilibre.

Chap. 5. L’objection de conscience

5.1. Nulla lex satis commoda omnibus est : ainsi affirmait sobrement Marc Catonne, prenant la parole
pour défendre la Lex Oppia, dont les tribunes de la Plèbe demandaient -vue son caractère odieux -
l'abrogation. Et il continuait :"si on admet que quiconque puisse démolir ou annuler une loi que
personnellement lui est un dommage, à quoi servirait voter avec le consentement de tous des lois qui
peuvent être abrogées par ceux en sont frappés ? (Tito Livio, 34.3). Un tel raisonnement reste encore
impeccable à plusieurs siècles de distance. La tragédie de Sophocle dans Antigone, résume tous les
termes du problème : « le roi Œdipe devait abandonner la cité de Thèbes et l'affilier aux fils jumeaux
masculins. Ceux-ci s'accordent de gouverner chacun 6 mois, mais le frère majeur ne respecte pas
l'accord. Donc le second jumeau réunit l'armée et fait la guerre pour aller au trône, et n'y réussit pas,
et ainsi la tragédie se conclut dans un duel où les deux frères meurent. Au trône succède l'oncle Creonte
et ordonne directement les funérailles de l'aîné parce que mort pour la défense de la cité, et la peine
sévère au second de la non sépulture, pour avoir initié la guerre contre son peuple, et ainsi considéré
comme un traître. La première sœur Ismène accepte le sort (le pouvoir est entre les mains des hommes
et il n'y a rien à faire). Antigone au contraire n'accepte pas la disposition de l'oncle et veut enterrer son
frère. L'autre sœur la met en garde de subir la peine de mort pour qui désobéit à la loi de l'oncle
Creonte. Creonte évidemment ne recule pas et menace de peine de mort. Antigone réplique par
référence au droit divin de la sépulture et l'oncle réplique : « je suis le roi et tu n'es qu'une femme, tu
dois obéir, et d'ailleurs les dieux veulent que les citoyens obéissent au roi ». Antigone est en difficulté
surtout pour le second argument de l'obéissance au roi. Elle ne nie rien, cependant son frère, elle ne
peut pas le laisser sans sépulture. A la non observance de la loi, Créonte fait tuer Antigone.

En effet, le mode plus fréquent - et plus banal - d'objecter, c'est-à-dire, étymologiquement, d'opposer
aux lois un non, n'est pas théorétique, mais banalement pratique ; il n'est pas finalisé à le contester,
mais simplement à le transgresser. Qu'elle ait ou non un succès, la transgression était de fait que ce
mode d'objecter a une racine qui est en premier lieu psychologique, contre laquelle même pas
l'argumentation de Catonne réussirait à faire valoir : elle naît d'un élan profond et incontrôlable de la
volonté et ne change pas de nature par le fait qu'il réussisse ou moins à se concrétiser en actes.

Par principe, c'est-à-dire comme réponse à un appel au devoir, forgée dans la conscience, l'objection
apparaît comme un phénomène prémoderne. L'objecteur dit non aux lois parce qu'il les fait coïncider
avec le droit ; dit non aux lois parce qu'il le retient une méchante détermination du droit de la part du
législateur ou de qui détient le pouvoir. L'objection se fonde sur l'idée que la vérité du droit n'est pas
un produit de l'activité politique du détenteur du pouvoir, plutôt son principe. En ce sens, l'objection,
si elle est toujours de la partie du droit, elle est aussi paradoxalement - de la partie du législateur parce
qu’elle le rappelle à être fidèle à sa compétence spécifique.

L'objecteur n'est pas un révolutionnaire qui veut détruire l'ordre constitué et instaurer un nouvel ordre
social ; il se limite à porter avant - désobéissant aux lois retenues injustes -une indirecte, mais dure
exhortation au bon usage du pouvoir. L'objection réaffirme en somme la légitimité de principe de
l'œuvre du législateur et sa nécessité comme moment de médiation entre la vérité du droit et la
dynamique concrète de l'histoire (dont se chargent les lois positives). Antigone ne conteste pas Créonte
comme roi, il se limite à en contester les décrets pervers.

La logique de l'objection est donc implicitement et irréductiblement dualiste (et sous cet aspect elle
devrait rentrer dans la ligne du jus-naturalisme) : l'objecteur n'a aucun doute sur la validité du principe
Auctoritas, non veritas facit legem, mais pose immédiatement un autre : Veritas, non auctoritas facit
jus. La vérité du jus peut être concrétisée de manières diverses par la lex à travers l'auctoritas du
législateur ; mais en aucune manière la lex peut manipuler une vérité, comme celle du jus, qu'en
principe ne lui appartient pas. En tant que témoin du droit contre la loi, la figure de l'objecteur tend de
conséquence à s'approcher et en certains cas à s'identifier avec celle du martyr, comme témoin de la
vérité.

Les martyrs chrétiens des premiers siècles se faisaient tuer pour n'avoir pas brûler un peu d'encens
devant la statue de l'Empereur. Il s'agit d'actions insignifiantes matériellement, mais non
phénoménologiquement, pour autant qu'elles véhiculaient un sens univoquement absolu : les
commettre impliquait reconnaître dans le pouvoir politique la source de la vérité ; refuser de les
commettre impliquait rendre un témoignage inéquivocable en faveur de la vérité. Pour la vérité il
n'existe pas de compromis, sinon on tombe dans le mensonge. Aristote le savait bien quand il observait
que contredire à la vérité implique contredire la justice, puisque, il expliquait :" injuste vaut le même
que faux" (Politique, Livre III, 1276a).

5.2. L'objection et le pouvoir : la voie de la neutralisation

L'auctoritas est sujette à une spécifique et éternelle tentation, celle d'oublier que la propre mission ne
consiste pas dans l'auto-puissance mais dans la puissance d'autrui, qui rend évidente de manière
inéquivocable : étymologie oblige : auctoritas vient de augeo : faire croître, augmenter. Quand il perd
les propres raisons constitutives, auctoritas devient implacablement hostile à l'objection, parce qu'elle
la perçoit comme relative et un rappel incessant à assumer ses charges propres et spécifiques,
l'auctoritas est toujours sujette à la tentation de devenir un pur exercice de pouvoir. Et le songe de qui
détient le pouvoir n'est pas celui de servir la vérité mais de la dicter - pensons au logion de Jésus
(Lc22,25-26 : les rois de nations les dominent...). C'est la tentation irrésistible de l'époque moderne et
il existe un grave dommage qu'une grande partie de la science politique moderne, celle qui voit en
Machiavel son propre fondateur et qui se complaît du propre caractère de "science nouvelle", assumant
le thème de l'autoréférence du pouvoir, c'est-à-dire d'un pouvoir qui a comme objectif primaire sinon
unique, celui de s'affirmer soi-même. L'objection n'use pas la force mais fait appel à la vérité et la
force de la vérité reste dans le principe de ne pas avoir besoin de la force. Le pouvoir devant l'objection
peut démontrer diverses faces (sourd, aveugle, peu important...) faisant semblant de montrer la
clémence. Comme le pouvoir peut réprimer la proteste des objecteurs proclamant de vouloir agir au
nom de la même vérité dont se réclament les objecteurs.

A l'époque moderne, la voie que le pouvoir aime utiliser pour confronter l'objection est celle de la
neutralisation, c'est-à-dire de la réduction axiologique des prétentions du politique. A l’époque
moderne le pouvoir atteint sa pleine neutralisation seulement dans l’affirmation de l’Etat
démocratique. Aristote l’a justement observé que la démocratie fait référence à un seul paramètre :
celui du nombre (Politique, VI.2, 1371 b). En démocratie la qualité de choix est masquée derrière des
critères strictement quantitatifs qui gouvernent les systèmes électoraux (ou derrière les formalités de
procédure qui règlent l’équilibre des pouvoirs). Ici règne la priorité de la démocratie sur la philosophie.
La philosophie divise, la démocratie unit, la philosophie génère des conflits, la démocratie garantit la
paix. La démocratie atteint sa propre maturité quand elle se reconnaît fondée non sur – pour autant
noble – la philosophie ou théorie politique (dignité humaine, droit de liberté), mais seule sur la justice
en sens procédurale, c’est-à-dire sur soi-même. Il faut appliquer à la philosophie même le principe
politique de tolérance et réglementer à travers la justice procédurale les conflits des idéologies
philosophiques. L’Etat démocratique assume la tolérance à son principe, respecte toute affirmation de
vérité, mais il ne peut accepter que soient revendiquées les raisons de refus, soient soumises à la
dialectique absolument neutre du jeu démocratique, parce que cela impliquerait la négation de ce
principe même de tolérance qu’il pose à ses propres bases.

Quand la conscience renonce à faire appel à la vérité, elle se transforme en un temps bref en une pure
instance de contrôle de l’unité du sujet, finalisé à réduire les innombrables potentialités du moi à une
cohérente représentation individuelle, en une sorte de mécanisme de non culpabilité, nourri de sécurité
pseudo-rationnelle, tressée d’autojustification, de conformisme et de paresse. Elle cesse d’être une
voix pour devenir une fonction qui cherche une formule de vie qui unit le passé et l’avenir.

5.3. L’objection post moderne

Au soir de la prétention neutralisante de la modernité s’ouvre la voie à un processus authentique de


laïcisation de la politique : une laïcisation qui ne devra être obtenue, non mettant entre parenthèses la
philosophie, mais à travers un effort philosophique ultérieur, qui tourne à penser le nœud constitutif
entre politique et vérité, à reconquérir la conscience qu’entre le plan de la politique et celui de la vérité
(entre le plan ontique et celui ontologique) il y a une distinction nette, mais qui ne comporte pas de soi
une réciproque incommunicabilité.

Une objection post-moderne devra se vider en premier lieu de toute compromission non seulement
avec les puissants, mais surtout avec le pouvoir ; elle devra retourner de la praxis au témoignage. Elle
devra réussir à confirmer que la vérité est un principe et non une conséquence de l’exercice du pouvoir
(ou si on veut, que le droit est un principe de la politique et non un instrument à son service). Elle
devra montrer au législateur comment il est appelé à orienter la praxis sociale dans le respect de la
vérité et comment la loi ne peut prétendre de dicter ce qui soit la vérité, c’est-à-dire de substituer la
vérité par une option idéologique. Le conflit des idéologies va avec l’opportunité et non avec la vérité.
Pour autant importante que puisse être l’individualisation de la solution plus opportune d’un problème
politique, cela ne doit jamais mettre en jeu la cause de la vérité. La vérité dont on parle ici est celle qui
n’est pas vérifiable empiriquement parce que celle-ci est le fondement de toute empiria, celle qui ne
peut se réduire au contrôle de pures procédures logiques, parce qu’elle est même le fondement de tout
logos : cette vérité qu’en la cherchant les hommes cherchent de puiser le sens même de choses et de
l’agir, ce sens de choses qui demeure compromise aux enquêtes des sciences modernes.

5.4. L’avortement et l’objection de conscience

Une de grandes controverses de ces ultimes décennies touche le problème de la dépénalisation de


l’avortement volontaire et de l’objection de conscience que les médecins appelés à pratiquer
l’avortement peuvent mouvoir contre la loi qui les autorise et les oblige à le pratiquer. Quiconque est
convaincu de la distinction de principe entre le droit et la morale retiendra non adéquate
l’argumentation qui souligne le caractère immoral des pratiques d’avortement comme fondement de
leur répression pénale. Il est évident que le choix de la criminalisation ou de la dépénalisation de
l’avortement ne met pas en cause des questions éthiques, mais juridiques ; diverses peuvent être les
voies strictement juridiques pour en poser la solution. Une seule voie est interdite au législateur parce
qu’il n’en a aucune compétence : celle de gérer le problème social de l’avortement donnant au
phénomène une qualification ontologique et conséquemment axiologique.

Le législateur moderne, en général, dépénalisant l’avortement, a pour le plus choisi une autre voie : il
a reconnu un primat ontologique de la mère par rapport à l’enfant qu’elle porte dans son sein (ventre)
et en a tiré la conséquence de lui autoriser à avorter à partir de sa déclaration de volonté, et non partant
d’une évaluation objective de la grossesse et du contexte dans lequel elle vit. Le point de discussion
ici n’est pas de savoir s’il existe réellement ou non un primat de la mère sur l’enfant ; et il n’appartient
pas au législateur de proclamer un tel primat, pour en tirer une série de conséquences, comme il ne lui
appartient pas de proclamer la supériorité de la musique sur la mathématique par exemple. Voilà
pourquoi, sur le plan hypothétique, un médecin pourrait refuser de pratiquer l’avortement même en
présence d’une spécifique prévision législative, sans devoir revendiquer pour soi-même le rôle
d’objecteur de conscience à la loi qui l’y oblige. Pour motiver son refus, il lui suffirait simplement de
souligner que le meurtre direct n’est pas la pratique spécifiquement médicale (thérapeutique) dans
laquelle tout médecin devrait reconnaître la spécificité de la profession à laquelle il s’est dédié.

Les médecins qui pratiquent l’avortement en suivant les procédures normatives qui les autorisent en
ce sens, abdiquent, sans se rendre compte, à la spécificité de leur science et par conséquent à la vérité
: ils délèguent au pouvoir la définition de ce qu’est la vie humaine, de ce qu’est la maladie, la thérapie,
et en général l’activité médicale qu’ils sont appelés à exercer. Pour cela, ils cessent d’agir proprement
comme médecins. Dire que le médecin qui fait objection à une loi sur l’avortement défend la valeur
de la vie est donc dire une chose exacte, pourvu qu’au même moment lui défende quelque chose qui
est paradoxalement plus importante de la vie et que l’unique chose qui mérite d’être défendue : la
source même de toute valeur, c’est-à-dire la vérité. Le médecin qui objecte, témoigne non seulement
que la vie est une valeur grande et à la limite une valeur maximale, mais que la défense de la vie n’est
pas une exigence idéologique, un problème d’opportunité juridicosociale, mais une cause de vérité :
de vérité de la médecine (pour laquelle la mission dans la défense de la vie est un apriori, sinon la
chute dans la barbarie) et plus en général de la vérité de l’homme.

Chapitre 6. Les droits humains 6.0. Prémices

Le grand thème de droits humains comme certains hommes de science l’ont attentivement relevé, est
intrinsèquement équivoque et ambigu. Les usages linguistiques peuvent activer des incompréhensions
: il est hors de doute qu’il peut venir à l’esprit de plusieurs l’idée du tout infondée que le terme « droits
» soit le pluriel du terme « droit ». Ce qui peut apparaître comme une évidence lexicale et grammaticale
change complètement la nature si on cherche de la transformer en une évidence théorétique. Comme
le concept Dieu – dans une logique monothéiste – possède effectivement un pluriel grammatical, mais
non pas un pluriel pour ainsi dire ontologique. Ainsi le terme « droit » ne trouve pas son pluriel en une
liste de droits spécifiques singuliers personnels et inaliénables. Les droits sont des prétentions
subjectives, le droit est un système relationnel objectif. Le droit appartient à l’identité même de
l’être de l’homme et possède donc un caractère structurel et métahistorique ; les droits sont au contraire
émergences de notre histoire et peuvent être pas seulement revendiqués, défendus ou offensés
seulement dans une logique de contingence politique, mais concrètement thématisés en cette telle
logique. Cela explique pourquoi, pendant que la conscience juridique est, pour ainsi dire, atemporelle
(comme cela se démontre par le fait qu’en chaque époque il s’est nourri la conscience de l’antinomie
entre justice et injustice), seule en l’époque moderne il est venu historiquement à se déterminer la
théorie des droits humains fondamentaux.

En tant que structure humaine le droit est la condition nécessaire pour que la liberté humaine puisse se
manifester dans l’histoire ; il est donc, selon une heureuse perception de COTTA, une réalité ontique
(et cela explique pourquoi il n’y a pas de droit au paradis !), mais qui possède un fondement
ontologique (le fondement de la liberté, qu’au paradis se réalisera en toute sa plénitude). L’engagement
des juristes est celui de travailler sur le plan de l’onticité (c’est-à-dire sur le plan de l’histoire) à travers
l’élaboration de leurs concepts, de leurs catégories, de leurs doctrines. Aux philosophes il appartient
de montrer au contraire comment un tel plan possède son authenticité seulement s’il est enraciné sur
le plan ontologique de la vérité de l’homme ; aux théologiens, enfin, il appartient de réfléchir sur
comment ce qui apparaît aux philosophes comme authenticité possède sa vérité ultime dans la bonté
divine, qui a créé l’homme. Mais les droits de l’homme posent d’autres problèmes qui ne seront pas
discutés en ce cours, à savoir le caractère de l’universalité, le fondement anthropologique des droits et
le caractère de sécularisation.

6.1. Comment se racheter de Auschwitz

Parlant à la 34ème Assemblée générale de l’ONU, le 2 octobre 1979, le pape Jean Paul II, partant de son
pèlerinage fait à Auschwitz quelques mois avant, a affirmé que proprement à cause de ces terribles
souffrances de milliers de personnes qu’on est arrivé à la proclamation de la Déclaration Universelle
des droits de l’homme le 10 décembre 1948, et qu’une telle proclamation constitue la pierre angulaire
de l’ONU. Une telle Déclaration devrait conduire tous les hommes à se battre pour sauvegarder ce
patrimoine de valeurs qui constitue l’unique manière pour l’humanité de notre temps, de prendre au
sérieux, si cela était possible, la honte dont se sont maquillée les constructeurs des camps
d’extermination.
L’observation du Pape Jean Paul II est précieuse sur divers points de vue. Elle est précieuse, en premier
lieu, en vertu du fait du discours en tant que tel, sans peur de se contredire, au nom d’une patiente
confiance dans le logos, avec « cette impossibilité de parler qui est force l’expérience plus
incontestable de notre époque », tant amèrement soulignée par Levinas (E. Levinas, Sans identité, in
E. Levinas, Humanisme de l’autre homme). L’observation est précieuse historiquement parce que de
manière certaine que « fut l’horreur du monde entier à la vue de morts atroces, de ces squelettes, de
ces fours – à conduire à la Déclaration Universelle des droits de l’homme ». Mais elle est encore plus
précieuse sociologiquement puisqu’elle nous dit que si notre temps est celui des droits humains, cela
est la portée non de l’affirmation d’une particulière spéculation philosophique, non du triomphe d’une
doctrine, mais d’un sens éthique concret, que seulement en notre temps, a réussi à se catalyser et à
s’installer définitivement dans les consciences. C’est comme si la confiance dans les valeurs, qui a
semblé abandonner tant de penseurs de notre époque, se soit au contraire enracinée dans l’opinion
commune, grâce à la tragédie historique de l’holocauste, venant à constituer une sorte d’éthique
universelle jamais connue avant, un décalogue pour au moins cinq milliards d’individus, un décalogue
que Th.W. Adorno a efficacement résumé en un impératif catégorique très dense : « que Auschwitz ne
se répète plus ».

Devant ce donné de fait – encore non pleinement explicite – mais en soi non contesté par les chercheurs
peu sentimentaux – perd l’importance soit la crise du jus-naturalisme, c’est-à-dire le traditionnel
fondement théorétique des droits de l’homme, soit la lente mais constante diffusion d’un nihilisme
sournois, peu importe la diversité des lexiques et des cultures, qu’encore divisent les hommes. La
confiance dans les droits humains se révèle en notre temps activement et généreusement opérante, se
révèle comme le vrai « courant chaud », capable de convertir la pensée en praxis, de construire une
nouvelle page de l’histoire. Déjà au temps du nazisme, ce fut l’appel aux droits de l’homme (en plus
de la foi catholique) à motiver idéalement l’un de peu de mouvements de résistance contre le génocide
des frères Scholl ; le mouvement antiségrégationniste de Martin Luther; sur les droits humains, sur
leur défense universelle, sur leur universelle promotion, s’est toujours concentré, même à prix de mille
difficultés, le nouveau droit international lequel, se libérant de vieux mythes constitutifs, comme celui
« du sacré égoïsme de la patrie » a découvert proprement dans la dignité de l’homme son nouveau
objectif central. C’est sur la défense des droits humains (au-delà de tout particularisme national et
idéologique) se fonde l’universelle autorité conquise dans le monde entier par les Organisations
comme Amnesty international. En somme, les droits humains – le miracle de l’époque moderne –
(comme l’a défini I. Macini, Diritti dell’uomo et diritti cosmici, in Mancini, Diritto e società, Urbino
1993, p.97), représentent réellement une révolution culturelle aux proportions incalculables.

6.2. Les droits : irrévocables et irréalisables

Les considérations à peine faites ne doivent pas avoir un caractère triomphaliste parce que si d’une
part la thématique des droits humains est culturellement irrévocable, c’est-à-dire définitivement
incarnée dans le monde contemporain, d’autre part une observation froide nous les montre
historiquement irréalisables. Il semble en effet – comme avisé par plusieurs – que la traduction en
termes juridiques de l’idée philosophique des droits de l’homme n’en ait pas augmenté la garantie et
l’efficacité pratique et concrète.

C’est propre dans cette dialectique entre irrévocabilité et irréalisation que se lie le tourment de notre
temps, que s’enracine l’impératif éthique plus significatif de notre époque.
La question se pose de savoir pourquoi les droits humains sont en grande partie irréalisables ou s’ils
sont réalisés, pourquoi sont-ils mal réalisés ? Il n’est pas facile de répondre à une pareille question. Il
existe certainement de précises motivations historiques de la violation des droits de l’homme, qui
varient de pays à pays, de régime à régime, et qui demandent des analyses méticuleuses. Mais les
raisons les plus profondes de difficultés de la pleine réalisation des droits sont en définitive
métahistoriques, c’est-à-dire à la manière même de penser de tels droits.

6.3. Les limites des droits humains

En premier lieu nous pouvons souligner que les droits connaissent une limite essentiellement politique,
sur lequel a lucidement insisté, avec efficacité et véhémence, Karl Jaspers. Les droits humains valent
en effet aujourd’hui seulement pour les citoyens d’un Etat qui s’est engagé formellement à les
reconnaître. En somme la garantie à l’intérieur d’un Etat ne se rapproche à une garantie analogue pour
l’homme qui revendique la violation de ses droits fondamentaux contre l’Etat. Tant qu’il n’existera
pas une nationalité planétaire, la réalisation des droits sera toujours structurellement limitée. Les
fermetures étatiques et le particularisme politique représentent donc un premier objectif et une grave
limite à la pleine réalisation des droits humains.

Un second problème est celui de caractère structural qui atteint à la logique proprement juridique dont
est subordonnée l’effective institutionnelle des droits. Tous les juristes savent qu’il est possible de
définir le droit comme un système tourné à médier des prétentions individuelles conflictuelles. Dans
le domaine de la définition de Kant, le spécifique du droit est donné proprement par cela, que cette
médiation arrive institutionnellement dans le signe de la maximation de la liberté de tous.

Un système qui veut reconnaître, protéger et promouvoir les droits humains rencontre une certaine et
préliminaire difficulté : il semble qu’aucun droit singulier puisse être revendiqué par un sujet sans qu’il
ne soit de quelque manière limité par un droit concurrent d’un ou de plusieurs sujets. La réalisation de
droits humains serait donc constitutivement partielle et donc, de quelque manière, inadéquate sinon
vraiment trompeuse (par rapport aux aspirations). La difficulté naît probablement en confondant le
statut spécifique du conflit de droits avec celui du conflit de valeurs ; et puisque les valeurs sont
généralement considérées non hiérarchisées, il s’ensuit cohéremment l’impossibilité de résoudre en
termes de justice toute controverse qui les touche, sinon recourant à un acte décisioniste, c’est -à-dire
un acte qui peut mettre fin à la question mais seulement pour la tronquer brusquement, et non parce
qu’il reconnaît quelles sont objectivement les attentes de chacune des parties en conflit.

Si cependant on ne moralise pas le droit, si on voit le conflit des droits comme un conflit entre
prétentions juridiques subjectives opposées, et non entre valeurs opposées, la solution à l’antinomie
peut être résolue. Le conflit entre droits peut être résolu recourant au critère de l’universalité. Mais le
problème demeure et l’on pense que toute connexion avec le concept de dignité humaine vient à point
nommée. En effet, quand on touche à la question de l’universalité de droits humains, il apparaît
plausible que documents comme le statut de l’ONU (1945), la Déclaration universelle (1948), la
Constitution de l’Allemagne (1949) et autres documents encore avec leur référence aux droits
intrinsèques, inaliénables, naturels ; sont de témoignages de la consolidation d’une perspective
jusnaturaliste, aujourd’hui dotée d’une positivité juridico-normative. Décrire l’homme comme doté
par nature, ou par création, de dignité de laquelle dérivent des droits non négociables, signifie
habiliter une telle conception soit purement minimale de nature humaine, et que la pensée moderne
tend au contraire à non reconnaître.
Dans le domaine du droit positif tout comme dans les années après la seconde guerre mondiale, chaque
personne doit être reconnue comme égale à tout autre personne. Ce qu’on a tenté de récupérer, en
termes plus amples, dans l’Europe désorientée de la seconde guerre mondiale, est un sens de
l’humanitas, qui pouvait clairement contempler la différence individuelle sans pour autant l’évaluer
comme importante sur le point de vue juridique. Il résulte en effet intéressant de retourner à réfléchir
sur les droits humains dans une perspective jusnaturaliste caractérisée par l’ambition d’étendre de
manière maximale la valeur de la dignité en termes définis au préalable, propre comme un principe
intrinsèque à la nature humaine. L’idée existe sur la carte mais elle doit exister aussi dans les
consciences. La lutte pour la promotion et la défense des droits humains vient ainsi à coïncider
fondamentalement avec la lutte pour la reconnaissance de la dignité humaine, en ce qui est sa
dimension institutionnelle minime et fondamentale : la capacité de tout homme d’être sujet de rapports
; la capacité de tout homme en tant que personne, d’être constitution de sens. Avant même que valeurs
politiques, morales et sociales, les droits humains sont à comprendre pour ce qu’ils sont effectivement
: vivantes manifestations, dans le sujet, du principe du droit. Et le droit, saisit finalement dans son
intrinsèque puissance d’universalité relationnelle, qui nous fournit l’unique clé effectivement à notre
disposition pour revendiquer et défendre les droits humains.

6.4. Conclusion : En 1978, à la célébration du trentième anniversaire de la Déclaration universelle des


droits de l’homme, l’ONU a publié un document officiel avec 88 textes de déclarations des droits
humains, partant du Bill of Rights (1689) à la déclaration des droits des inadaptés (1975). Avec cette
multiplication se révèle l’exigence profondément respectable de maximiser la défense des individus,
en énumérant avec précision leurs attentes. Aujourd’hui les efforts de l’ONU de déterminer toujours
mieux les attentes fondamentales des hommes restent louables. Toutefois la voie maîtresse est une
autre et passe à travers la conscience que tous doivent contribuer à défendre, que l’homme est garanti
vraiment, seulement quand tous les droits qui lui sont reconnus sont reconduits à un unique, stable
fondement : le droit d’avoir des droits – pour utiliser une emblématique expression de Hannah Arendt
- ; ou plus simplement encore, quand tout homme est reconnu pour ce qu’il est vraiment comme homme
: personne. C’est en sachant thématiser les attentes des personnes – dans leur paradoxale statut de «
multiplicité non additionnable d’être uniques » (E. Levinas, Les droits de l’homme et les droits
d’autrui, in Indivisibilité des droits de l’homme, Actes du II Colloque Interuniversitaire, Fribourg
1985, p.37) – que se manifeste en son grade plus haut la sagesse des juristes.
L’histoire de droits humains ne peut être considérée en soi une histoire neutrale. Voilà pourquoi on
insiste que l’universalité de droits devienne une concrétisation, une plateforme d’une éthique du droit,
commune à toute l’humanité. C’est cela le défi le plus fascinant devant lequel nous nous trouvons tous.
Le problème est énorme et il revient en premier lieu de reconnaître les limites culturelles inhérentes à
la Déclaration ; en second lieu, le travail plus noble encore, est celui d’inventer un langage nouveau, à
travers lequel, des cultures, qui hier et à travers des siècles, se sont ignorées ou combattues, peuvent
s’enrichir réciproquement, demeurant chacune dans sa propre identité.

Revenant sur le concept de dignité, nous pouvons dire que la dignité n’est donc pas un droit
fondamental parmi les autres ni une super norme. En suivant l’histoire de l’évolution juridique, on se
rend compte qu’elle est venue à s’intégrer parmi les principes fondamentaux déjà consolidés de liberté,
d’égalité ou de solidarité, faisant corps et en imposant une réinterprétation dans une logique
d’indivisibilité. Comme le veut la bonne science, la reconstruction complexe d’un système, exige
qu’on en saisisse les dynamiques, les modalités à travers lesquelles chaque composante redéfinit toutes
les autres, donnant à chacune une nouvelle force et des liens plus solides avec la société. De la
symbiose continuelle de ces principes, tous fondateurs, par leur réciproque illumination, cet homo
dignus reçoit majeure plénitude de vie et, donc une plus intense dignité humaine.

L’exigence d’individualiser un groupe de droits particulièrement liés à la dignité humaine est sans
doute à partager, mais malheureusement, et de fois, la violation de droits humains est directement liée
à détruire ce qui est humain dans l’homme et elle n’est pas seulement une quelconque prérogative. De
fois on cherche à humilier l’humanité qu’est l’homme pour le priver de l’estime de soi et du sens de la
pudeur, en le réduisant à un objet dépouillé d’intimité. La dignité doit être à fondement théorétique des
droits humains. Mais cela ne veut pas dire renoncer à donner valeur à cette forme, même minime, de
fondement empirique constitué par le consensu omnium gentium. Comme cela s’avère pour tous, le
droit international, sous diverses formes, ne peut plus être conçu comme pure et simple appendice du
droit interétatique, et ainsi il acquiert de plus en plus majeure autonomie. Il faut un travail de longue
haleine qui requiert de nouvelles charges à la loi de la raison, soit pour justifier les principes du jus
cogens qui s’ajoutent aux sources traditionnelles du droit international coutumier, soit dans la
recherche d’une fondation de l’autorité internationale. Une telle ligne de démarcation trouve déjà des
précédents dans le jus gentium quand il est considéré comme un noyau de principes supérieurs aux
intérêts nationaux des Etats, et en même temps enraciné dans la société humaine universelle.

Il n’y a pas de doute que les thèmes actuels de la justice internationale, partant de la distribution et de
l’usage des ressources naturelles aux règles communes dans les domaines de la bioéthique, de
l’écologie, de la technologie et de l’économie, ne peuvent être affrontés sans activer des discours, que
d’une certaine manière, appartiennent à la tradition du droit naturel. Mais on ne peut trop prétendre
d’arriver à la totalité du savoir ; en démontrant la totale perspective avec laquelle la dignité soit
réellement fondement des droits humains. La totalité du savoir, même celle juridique, n’est jamais
quantitative mais qualitative ; elle n’est pas confiée à la méticulosité de la normative, mais dans le
savoir prendre en profondeur les exigences et les lignes portantes de la réalité qu’elle est appelée à
réglementer. C’est pour cela, qu’en toutes ses dimensions, comprise celle juridique, la sagesse comme
capacité d’unifier le multiple, de donner un nom à l’intime unité du réel, procure merveille, respect et
admiration.

Partie II : Les principales théories de la philo du droit et les points de vue des auteurs II.0.
Introduction : Pourquoi faire de la philosophie du droit ?

Comme nous l’avons déjà dit : c’est pour réfléchir à la définition du droit et aux notions générales
utilisées en droit : l’importance des diverses conceptions générales du droit et du rôle qu’y joue le bien,
à cause des conséquences que ces conceptions peuvent avoir lors de l’examen de questions pratiques
(on verra par exemple les visions juridiques du monde très différentes de Hottois et de Jonas et les
conséquences de ces différences sur les positions de ces auteurs en matière de bioéthique ; donc enjeu,
pour la philosophie du droit, non seulement théorique mais aussi pratique (but : être capable de relier
telle ou telle position concrète, en matière de bioéthique par exemple, à la philosophie du droit sous-
jacente).

II.1. Nature et méthode de la philosophie du droit


Dans un sens traditionnel, la philosophie est un effort de réflexion et de connaissance sur le monde et
sur l’homme (en particulier sur l’action humaine), qui s’inscrit dans le prolongement de la réflexion et
de la connaissance que chacun de nous développe spontanément (absence de point de départ absolu,
qui serait pris à l’extérieur de l’expérience, à l’extérieur de cet exercice spontané de l’intelligence
présente dans les activités de perception des sens et dans l’usage ordinaire du langage). Suivant John
Rawls, « les aspects socratiques de la méthode en philosophie », l’approche constamment adoptée dans
le passé pour réfléchir sur l’action humaine, consiste à partir de sa propre expérience et de sa propre
réflexion spontanée, et en particulier, dans cette expérience, des appréciations et jugements les plus
assurés, ceux qui sont effectués dans les circonstances les plus favorables à l’objectivité (Rawls donne
comme exemple l’appréciation faite par Lincoln en 1848 sur le caractère inacceptable de l’esclavage).
Ces appréciations et jugements, que Rawls désigne comme des « jugements bien pesés », sont ensuite
confrontés avec des théories et des conceptions complexes en matière éthique, juridique et politique,
afin que l’ensemble soit développé vers ce que Rawls appelle une situation « d’équilibre réfléchi »
entre ces jugements bien pesés, d’autres jugements et les principes formulés par la théorie qui
apparaîtra comme la plus adéquate.

Le but est d’arriver à une compréhension critique du droit et des autres notions générales utilisées en
droit en partant de la pratique du droit ; le but est d’arriver à une philosophie du droit qui se présente
comme une réflexion sur cette pratique : s’il est vrai que le droit n’est pas un point de vue sur la société,
mais une pratique (des tribunaux, des administrations, des juristes…), il faut peut-être se tourner vers
cette pratique pour savoir ce qu’est le droit ; il faut examiner à quoi tend pratiquement l’œuvre du
juriste (juge, avocat, fonctionnaire, arbitre…), quelle est sa fonction, son utilité, sa fin… En adoptant
ce type d’approche dans la réflexion sur le droit, on développe une philosophie du droit différente de
la sociologie du droit d’une part, et de la théorie du droit, d’autre part.

Chapitre 7 : Les positions philosophiques des auteurs

7.1. Introduction

7.1.1. Le positivisme radical ou exclusif : Hobbes – Hottois : le droit comme liberté illimitée, désir,
puissance, primat de la volonté.

7.1.2. Le jusnaturalisme : Aristote – Finis – Jonas : le droit ne repose pas sur la volonté :ni celle
individuelle, ni celle du législateur mais il repose sur la reconnaissance de certains biens. A la base il
y a un jugement de valeur objectif. Si le droit repose sur cette idée, cela veut dire qu'il y a de la
connaissance possible à ce niveau, il y a un cognitivisme possible.

7.1.3. Le positivisme juridique ou méthodologique : Hart - Grotius : L'idée générale du positivisme


juridique est qu'il est possible de construire une science du droit sur le modèle des sciences de la nature,
ce qui implique d'abord une distinction nette entre le droit et la science du droit; ensuite que le juriste
doit se borner à connaître son objet, sans chercher à porter sur lui des jugements de valeur; en troisième
lieu que cet objet ne peut être que le droit positif, c'est-à-dire le droit posé par des autorités politiques,
à l'exclusion du droit naturel ou de la morale; en quatrième lieu enfin, que la science du droit doit
êtrecomposée de propositions vérifiables ou réfutables selon des procédures analogues à celles admises
dans les sciences de la nature. Positivisme juridique et théorie analytique. Les deux expressions sont
parfois employées l'une pour l'autre, spécialement dans les pays anglo-saxons et en Italie. La littérature
anglo-américaine contemporaine utilise l'expression "positivisme" pour désigner une ou plusieurs des
thèses suivantes :1. Les règles du droit sont des commandements émanant d'êtres humains; 2. Il
n'y a pas de connexion nécessaire entre droit et morale, ou entre le droit tel qu'il est et le droit tel
qu'il devrait être; 3. L'analyse ou l'étude des significations des concepts juridiques constitue une étude
importante qu'il faut distinguer (bien qu'elle ne lui soit en aucune manière hostile) des recherches
historiques, des recherches sociologiques, et de l'évaluation critique du droit au regard de la morale,
des finalités sociales, des fonctions...; 4. Un système juridique constitue un "système logique fermé"
dans lequel des décisions correctes peuvent être déduites, par des méthodes exclusivement logiques,
de règles juridiques prédéterminées;
5. Des jugements moraux ne peuvent, contrairement aux jugements de fait, être émis sur base d'une
argumentation rationnelle, d'une évidence (non-cognitivisme dans le domaine éthique).

7.1.4. L'utilitarisme : Bentham : suivant cette position, la base de toute règle en matière d'éthique et
de droit est un calcul d'utilité ; et ce calcul est à la base de toute norme, même celle relative à la torture.
On fait toujours ce qui est plus utile. Dans " Anthologie historique et critique de l'utilitarisme", au
chapitre 1 qui traite du principe de l'utilité, on lit : la NATURE a placé l'humanité sous l'égide de deux
maîtres souve-rains, la peine et le plaisir.C'est à eux seuls d'indiquer ce que nous devons faire aussi
bien que de déterminer ce que nous ferons. A leur trône, sont fixes, d'un côté, la norme du bien et du
mal (right and wrong), de l'autre, l'enchaînement des causes et des effets. Ils nous gouvernent dans
tout ce que nous faisons, dans tout ce que nous disons, dans tout ce que nous pensons : tout effort que
nous pouvons faire pour secouer le joug ne servira jamais qu'à le démontrer et à le confirmer.
Quelqu'un peut bien prétendre en paroles renier leur empire ; mais il leur restera en réalité
constamment soumis. Le principe d'utilité reconnaît cette suggestion et la tient pour le fondement du
système dont l'objet est d'ériger l'édifice de la félicité au moyen de la raison et de la loi. Les systèmes
qui tentent de le critiquer produisent plutôt des sons que des sens, du caprice plutôt que de la raison,
de l'obscurité plutôt que de la lumière.

Par le principe d'utilité, on entend ce principe qui approuve ou désapprouve toute action quelle qu'elle
soit, selon la tendance qu'elle semble présenter d'augmenter ou de diminuer le bonheur de celui ou de
ceux dont l'intérêt est en jeu ; en d'autres termes qui reviennent au même, de promouvoir ce bonheur
ou de s'y opposer. Je parle de toute action quelle qu'elle soit ; par conséquent, non pas seulement de
toute action de l'individu privé, mais aussi de toute mesure prise par un gouvernement.

On entend par utilité la propriété présente en tout objet de tendre à produire bénéfice, avantage, plaisir,
bien ou bonheur, à empêcher que dommage, peine, mal ou Malheur n'adviennent au parti dont on
considère l'intérêt ; si ce parti s'étend à la communauté dans son ensemble, l'utilité sera alors le bonheur
de la communauté ; si elle se confond avec un individu particulier, l'utilité sera alors le bonheur de
l'individu.

L'intérêt de la communauté est l'une des expressions les plus générales que l'on puisse rencontrer dans
la phraséologie morale. Il n'est pas étonnant que le sens en ait souvent été perdu. Quand cette
expression a un sens, c'est le suivant : la communauté est un corpus fictif qui ne se compose de
personnes individuelles considérées comme le constituant à titre de membres. Qu'est-ce donc que
l'intérêt de la communauté ? La somme des intérêts des divers membres qui la composent.

7.2. Déclaration de l’Etat de Virginie du 12 juin 1776 1) Tous les êtres humains sont par nature
également libres et indépendants, ils détiennent des droits qui leur sont inhérents, dont ils ne
peuvent pas priver ou déposséder leurs descendants, par quelque accord que ce soit, quand ils
entrent en société.

2) Tout pouvoir appartient au peuple, et, en conséquence, dérive du peuple ; les magistrats sont
les chargés d'affaire et serviteurs du peuple, et peuvent en tout temps être amenés à lui rendre
compte.

3) Le gouvernement est, ou doit être, établi pour l'avantage, la protection et la sécurité commune
du peuple, de la nation ou de la communauté.

4) Les charges publiques ne sont pas héréditaires.


5) Séparation du législatif, de l'exécutif et du judiciaire.
6) Elections libres
12) La liberté de presse est l'un des plus importants éléments de la liberté et ne peut jamais être limitée,
sinon par un gouvernement despotique

13) Liberté de religion

La Déclaration d'indépendance : Extrait du document de 1776 par lequel les colonies américaines se
sont déclarées indépendantes de la Grande Bretagne : " Lorsque dans le cours des événements humains,
il devient nécessaire pour un peuple de rompre les liens politiques qui l'unissent à un autre et de
prendre, parmi les puissances de la Terre, le rang d'indépendance et d'égalité auquel les lois de la nature
et du Dieu de la nature lui donnent droit, un juste respect de l'opinion des hommes l'oblige à déclarer
les causes qui les poussent à cette séparation.

Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont
dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables parmi lesquels se trouvent la vie, la liberté et la
recherche du Bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et
leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Si un gouvernement, quelle qu'en soit la
forme, vient à méconnaître ces fins, le peuple a le droit de le changer ou de l'abolir et d'établir un
nouveau gouvernement, en le fondant sur tels principes et en l'organisant sous telle forme qui lui
paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur.

Les dix premiers amendements ajoutés à la Constitution des Etats Unis en 1791 pour protéger les
droits de la personne et ceux des Etats

Premier amendement : Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l'établissement ou interdise le libre
exercice d'une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu'a le peuple
de s'assembler pacifiquement et d'adresser des pétitions au Gouvernement (...)

Deuxième amendement : Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un Etat libre, le
droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé.

7.3. Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789

Les Représentants du peuple Français, constitués en Assemblée nationale, considérant que


l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et
de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits
naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous
les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs; afin que leurs actes
du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but
de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées
désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution
et au Bonheur de tous.

En conséquence, l'Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices


de l'Etre suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen

Art. l. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent
être fondées que sur l'utilité commune.
Art.2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles
de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.
Art.3. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu
ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.
Art. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l'exercice des droits
naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la
société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la
loi.
Art. 5. La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu
par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation
ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.

7.4. Déclaration Universelle des Droits de l'homme du 10 décembre 1948

Art. 1. Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison
et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Art. 2. Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamées dans la présente
Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion,
d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance
ou de toute autre situation.
De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du
pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant,
sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté.

Art. 3. Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne.


Art. 4. Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits
sous toutes leurs formes.
Art. 29.
§1 : L'individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement
de sa personnalité est possible.
§2 : Dans l'exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n'est soumis qu'aux
limitations établies par la loi exclusivement en vue d'assurer la reconnaissance et le respect des droits
et libertés d'autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l'ordre public et du bien-
être général dans une société démocratique.
§3 : Ces droits et libertés ne pourront, en aucun cas, s'exercer contrairement aux buts et aux principes
des Nations Unies.

Partie III : Quelques cas pratiques : analyses et considérations

III.1. L'arrêt Perruche

- 1982 : Le médecin de famille de madame Perruche (26 ans, enceinte) suspecte une rubéole, mais
après analyses conclut (à tort) à l'absence de cette maladie, qui a toujours des conséquences
extrêmement graves pour le fœtus. Madame Perruche avait informé son médecin de sa volonté
d'interrompre la grossesse au cas où le diagnostic de la rubéole serait confirmé (il n'existe pas
de traitement, et c'est la seule mesure à disposition des parents qui souhaitent faire quelque chose
pour éviter la naissance d'un enfant handicapé).

- 14 janvier 1983 : naissance de Nicolas : il est lourdement handicapé (syndrome de Gregg ayant
pour origine une rubéole contractée pendant la grossesse).

- 13 janvier 1992 : le Tribunal de grande instance d'Evry accepte la demande en dommages-


etintérêts de Nicolas (représenté par ses parents), en compensation du dommage résultant de son
état de santé (dommage corporel). Le Tribunal retient qu'il y a "un lien de causalité entre les
fautes du médecin et du laboratoire et la perte d'une chance pour l'enfant d'éviter de supporter
les conséquences de la rubéole ..."; le médecin et le laboratoire sont reconnus "responsables de
l'état de santé de Nicolas Perruche" et condamnés à lui payer une avance de (75.000 euros) à
valoir sur son préjudice corporel et à payer FF 1.851.128 à la CPAM de l'Yvonne au titre des
prestations versées (l'assurance publique qui couvre l'invalidité de Nicolas, et qui s'est associée
à l'action judiciaire de Nicolas). Ils sont aussi condamnés à payer une indemnité pour tort moral
aux parents de Nicolas.

- 17 décembre 1993 : La Cour d'appel de Paris considère que Nicolas ne peut pas invoquer à titre
personnel un préjudice réparable et dit que les montants qui ont été versés, à lui-même et à la
CPAM, doivent être remboursés.

- 26 mars 1996 : La Cour de cassation décide que les fautes commises sont "génératrices du
dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère" et casse la décision de la Cour
d'appel de Paris.

- 5 février 1999 : La Cour d'appel d'Orléans, à laquelle l'affaire a été renvoyée, dit dans un arrêt
de "rébellion" contre la Cour de cassation que "l'enfant Nicolas P. ne subit pas de préjudice
indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises..." que " la seule conséquence en
lien avec la faute des praticiens est la naissance de l'enfant", et que "sa naissance ou la
suppression de sa vie, ne peut être considérée comme une chance ou une malchance dont il peut
tirer des conséquences juridiques".
- 17 novembre 2000 : La Cour de cassation casse la nouvelle décision, en considérant que " dès
lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l'exécution des contrats formés
avec Mme Perruche avaient empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse afin
d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier peut demander la réparation du
préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues".

- 29 mai 2001 : Avis du Comité Consultatif National d'Ethique (CCNE) qui considère que la
reconnaissance d'un préjudice dont l'enfant serait victime "conduit à la déduction qu'il eût mieux
valu qu'il ne naquît pas, voire qu'il avait un droit à ne pas naître handicapé, compte tenu de la
piètre qualité de la vie qui lui est imposée". Le CCNE considère que la décision de la CPAM de
l'Yvonne de se porter demanderesse pour obtenir le remboursement de son engagement financier
s'agissant de la couverture des frais d'invalidité de Nicolas, constitue "une prise de position
explicite en faveur de la reconnaissance d'un droit à ne pas naître handicapé, puisque
l'engagement de la Caisse ne pouvait être considéré comme indu qu'en regard d'un tel droit que
le CCNE considère non recevable". Le CCNE relève en effet que "selon un certain courant, se
dessine aujourd'hui une interprétation différente selon laquelle la logique de la loi (la loi du 17
janvier 1975 sur l'interruption volontaire de grossesse pour motif thérapeutique) serait celle de
la reconnaissance d'un droit "subjectif" de l'enfant à ce qu'il lui soit évité une vie préjudiciable".
Dans un document joint à l'avis du CCNE, le membre Henri Caillavet soutient que le droit pour
une femme de ne pas donner naissance à un enfant, parce qu'elle juge en conscience qu'un
handicap serait une épreuve trop lourde et inhumaine à supporter pour son futur bébé, "devient
tout simplement un droit virtuel appartenant à l’handicapé. La mère délègue à son enfant
"anormal" son propre droit. Précisément cette délégation n'est pas choquante, moralement,
puisqu'elle ne concerne qu'un humain handicapé potentiel...". 13 février 2000 : Proposition de
Loi du professeur Mattei, député au Parlement, en réaction face à cette jurisprudence : " La vie
constitue le bien essentiel de tout être humain, nul n'est recevable à demander une indemnisation
du fait de sa naissance. Lorsqu'un handicap est la conséquence d'une faute et non de la nature, il
est ouvert droit à réparation dans les termes de l'article 1382 du Code Civil".

- 4 mars 2002 : Loi n° 2002-303 relative aux droits des maladies et à la qualité du système de
santé.

"Art. 1er
1. Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice de seul fait de sa naissance. La personne née avec un
handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a
provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles
de l'atténuer. Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagé
vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une
faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce
préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce
handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale".

- 29 mars 2002 : Les indemnités pour tort moral dues par le médecin et le laboratoire à la famille
Nicolas Perruche s'élèvent à FF 300.000 pour sa mère et son père et à FF100.000 pour sa sœur (ce
point n'avait pas fait l'objet du recours du médecin et du laboratoire).

- 11 décembre 2002 : La Cour d'appel de Paris confirme le jugement de première instance en ce qui
concerne la demande de Nicolas P. (sauf si la CPAM de l'Yvonne venait à se désister)
Considérations conclusives : Est-ce que l'existence d'une vie est un dommage ?

1 . Selon la thèse des promoteurs de l'Arrêt Perruche on peut séparer la vie de l'enfant et son
handicap. Selon eux il faut regarder le projet de vie de sa mère de ne pas mettre au monde un enfant
handicapé : le médecin, avec son erreur, n'a pas respecté ce projet et il a causé un dommage (nonrespect
du vouloir de la mère). L'enfant handicapé peut en conséquence demander réparation pour son
préjudice, un préjudice qui n'aurait pu être évité que par un avortement, et qui est donc un préjudice
subi du seul fait de sa naissance. Les parents ne sont pas de l'assurance invalidité car, selon eux, avec
plus d'argent ils auraient pu placer l'enfant dans de meilleures structures.
2 . Est-ce que le juge peut suivre le raisonnement des parents ? Pour le législateur français,
avec l'introduction de la Loi, les parents peuvent demander une indemnité, mais au titre de leur seul
préjudice, si l'enfant naît avec un handicap qui n'a pas été découvert pendant la grossesse à cause d'une
faute médicale caractérisée. En spécifiant que nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa
naissance, la Loi du 4 mars 2002 a mis en échec, dans le cas précis de la naissance d'un enfant
handicapé alors que la mère avait décidé en faveur d'un avortement en cas de problèmes, cette
conception qui fait dériver le droit de la liberté la plus absolue, en particulier la liberté de se refuser
soi-même; elle l'a fait au nom d'une autre philosophie du droit qui assigne au droit une fonction limitée;
il s'agit d'une vue modeste de la fonction du droit, de l'office du juge et du législateur, à l'antipode de
l'exaltation du droit comme droit subjectif de ne pas naître, comme liberté radicale de ne pas être.
Suivant cette autre conception, nul n'est fondé à juger en droit, de la légitimité des vies humaines
(Mattei). Suivant cette conception, le droit ne peut jamais partir du point de vue que l'existence de
telle ou telle personne est un dommage, que sa vie est une "wrongful life” ; ce que la Loi française de
2002 formule en avançant que "nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance".

Le primat du bien qu'est la vie et l'intégrité corporelle, par rapport à la liberté sans limite de l'individu,
aux choix individuels et aux droits subjectifs.

3 . Suivant les partisans de la décision prise par la Cour de Cassation, il existerait un droit de
ne pas naître de l'enfant handicapé : droit subjectif, virtuel concrétisé par la décision d’avorter de la
femme enceinte, et ce droit devrait être considéré comme figure fondamentale de la liberté absolue,
qui depuis la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1789, serait au cœur de tout le droit.

La particularité de cette affaire ne consistait pas seulement dans le fait que l'enfant handicapé,
représenté par ses parents, agissait en réparation de son propre dommage corporel, mais surtout dans
le fait que la caisse d'invalidité qui devrait supporter une charge financière du fait de l'obligation légale
dans laquelle elle était de couvrir l'invalidité de Nicolas P., s'était portée demanderesse dans la
procédure pour obtenir le remboursement des charges représentées par la couverture du cas d'invalidité
que constituait l'enfant.

La Cour de cassation a accepté ces demandes d'indemnité, mais pour rendre cette approche impossible
à l'avenir, le législateur français a ensuite réagi en promulguant une Loi qui exclut toute indemnité
lorsque le préjudice tient au seul fait de la naissance. Une telle Loi transforme par-là l'indissociabilité
de fait entre handicap congénital et vie, en une indissociabilité de droit.

4. Deux positions diamétralement opposées sur l'opportunité de dissocier juridiquement vie et


handicap.

4.1. La conception de la Cour de cassation et ceux qui la soutiennent : le dommage est


exclusivement conçu comme la privation d'un choix (la privation du choix de la mère en
faveur de l'absence de vie, du non-être, avec l'avortement, et la privation du droit de
l'enfant de bénéfices de ce choix).

Le droit de ne pas être de l'enfant handicapé : le droit de bénéficier des avantages qu'il y a à n'être pas,
un droit subjectif virtuel qui procède du choix de la mère d'avorter, devrait être considéré comme une
figure fondamentale de la liberté radicale et absolue qui, depuis la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen de 1789, serait au cœur de tout le droit. Dans les textes relatifs aux droits de l'homme, la
liberté de l'individu est conçue comme sans limite pour tout ce qui ne relève pas de l'exercice de cette
liberté dans un contexte social.

4.2. Le législateur français : la Loi fait en sorte qu'il ne soit plus possible à l'avenir, pour
les tribunaux, de séparer "moralement" handicap et vie. Le lien de fait qui existe entre
les deux dans la réalité concrète de la personne handicapée, devient un lien de droit. Il
remet au premier plan, s'agissant du régime de la responsabilité civile et de la notion de
dommage, l'idée que le dommage au sens juridique du terme résulte d'une atteinte portée
à un bien, l’idée que la notion même d’atteinte présuppose que l'on reconnaisse
préalablement que ce qui est atteint est un bien ; un bien qu'a une priorité par rapport au
reste, notamment par rapport au choix de la non vie, est un bien fondamental.

4.3. Les argumentations de deux différentes thèses d'un point de vue philosophique :
Perruchistes et
Anti-perruchistes
a. Ce que les Perruchistes reprochent à leurs adversaires (surtout au
législateur français), c'est le positivisme radical ou exclusif. Le coût d'une
entière vie peut être vue comme un dommage : cette thèse est pour les anti-
perruchistes une sorte d'eugénisme libéral (eugénisme : science qui étudie et
met en œuvre les moyens d'améliorer l'espèce humaine, en cherchant soit à
favoriser l'apparition de certains caractères (eugénisme positif), soit à éliminer
les maladies héréditaires (eugénisme négative), fondée sur les progrès de la
génétique.).

b. Selon les Perruchistes les adversaires vont contre les droits de l'homme. Ils
font ce lien parce que pour eux le cœur des droits de l'homme est la liberté de
l'individu, et la liberté individuelle est mise en jeu quand il s'agit des questions
qui intéressent un choix entre la vie et la mort (se suicider ou pas). Un autre
exemple d'idée radicale de la liberté individuelle c'est quand la mère choisit
d'avorter. La liberté individuelle est vue comme une liberté moderne ; un
fondamentalisme libéral enlevé de toute idée morale et religieuse, (courant
d'idée appartenant à Hottois et Hobbes)

c. Les Perruchistes disent des adversaires qu'ils rejettent toute idée


subjective de liberté de l'individu - ils rejettent l'ordre juridique établi déjà à
partir de la Révolution française portent une attaque contre l'individualisme
libéral.

d. La critique des anti-perruchistes aux perruchistes : (position du jus-


naturalisme) : Les anti-perruchistes sont ceux qui soutiennent le Législateur
français. Les anti-perruchistes n'acceptent pas ce positivisme radical, cette
conception qui met la liberté au-dessus de la vie. La vie est un bien essentiel et
la conception radicale met en avant plan une subjectivation du bien à la liberté.
Celle des Perruchistes est une position de positivisme exclusif inacceptable et
relève d'une conception fondamentaliste des droits de l'homme ou de la
liberté dans les situations critiques entre le choix de la vie et de la mort. Les
Perruchistes arrivent à une idée d'homme au sommet, d'homme au centre de
tout. L’idée avancée par les anti-perruchistes n’est nullement religieuse. Pour
le Législateur français, le point du départ est clair : " Nul ne peut se prévaloir
d'un préjudice du seul fait de sa naissance". Le Législateur français ne porte pas
atteinte au droit à l'avortement mais il part d'un jugement préalable : La vie est
un bien essentiel et toute naissance est quelque chose de positif. Par cette loi,
le Législateur a refusé la conception philosophique de la Cour de cassation
et a défendu d’octroyer des dommages-intérêts dans des cas semblables pour
l'avenir. Dans l'affaire Perruche, la personne est déjà née, et si la vie est un bien
essentiel alors la vie ou le coût de la vie ne peut pas être un dommage et on ne
peut pas partir du fait que la mère avait choisi en faveur de l'avortement. Pour
toute argumentation, on ne peut partir du fait que l'enfant est déjà né. Faire
autrement, c'est donner au juge la possibilité d'apprécier entre des vies qui sont
positives et celles qui ne le sont pas. Affirmer la liberté à la vie c'est donc une
conception modeste du travail des juges et de la fonction du droit. L'ordre
juridique ne peut partir que de l’idée qu'une vie est fondamentalement positive,
donc le coût d'une vie ne peut jamais être un dommage. Pourquoi mettre une
priorité dans l'existence et quelle est la nature du droit ?

e. Pour les Perruchistes c'est la liberté subjective, totale, restreinte seulement


de la liberté d'autrui. Mais le Législateur français, partant d'un bien comme
celui de la vie, et en le définissant ainsi, va-t-il imposé une échelle de valeurs ?
(C’est le débat entre le positivisme radical ou exclusif et le jus-naturalisme.
Pour Hobbes, il y a autant de droits subjectifs qui sont libres et donc, pour sortir
de l'état de guerre où tous les individus avec leur liberté excessive se trouvent,
il faudra qu'ils passent un contrat social. Chacun a son avis car on n'a
pas dans le domaine juridique, une objectivité possible. A chacun est laissé son choix. Il n'y a
pas de valeur métaphysique qui va au-delà de l’humain ; et les croyances d'une personne sont
des croyances sociales qui appartiennent toujours à un groupe. Un tel courant a postulé
l'impossibilité du cognitivisme moral c'est-à-dire l'impossibilité d'objectivité au niveau moral.
Il n'y a pas de vérité ultime. Toutes les valeurs qui existent, ne sont qu'imposées, ne partent
que de la volonté de celui qui les impose. L'objectivité est possible seulement dans le domaine
scientifique, naturel. Tout est perçu dans le cadre du principe de la volonté exclusive et
individuelle, soit dans l'affaire personnelle ou dans celle du souverain et du Législateur ; les
choix sont dictés par leur volonté. Hottois : Si on est dans le positivisme radical, le droit c'est
la liberté, le primat de la volonté, le désir et la puissance.

Conclusion générale

Les sources anciennes du droit soulignaient l’importance de la personnalité du juge à partir de sa


fonction de juger. « Non est iudex, si non est in eo iustitia ». La même tradition n’a pas cessé de répéter
: « le juge est la justice animée même ». La parole clé est la justice. On ne peut parler de justice sans
faire allusion à la dignité humaine comme fondement des droits humains. De manière intuitive nous la
connaissons très bien la justice, et dans la substance elle apparaît plusieurs fois comme une énigme
insolvable. La difficile déterminabilité de la justice n'est pas un discours contre la justice, mais contre
les limites de notre capacité rationnelle. Scepticisme et relativisme dominent mais à aucun il vient à
mémoire, par exemple, de fermer les hôpitaux parce qu'il manque la confiance aux médecins.

Aujourd'hui, on a un comportement étrange de penser de vouloir vivre dans le droit sans faire un
discours sur la justice et sur la dignité humaine. Tant de juristes n'en font jamais recours dans leurs
paradigmes pensant de pouvoir la substituer avec par exemple le contrat social (nous ne savons pas
que faire, mais si nous nous mettons d'accord, alors nous sommes au point). Il est dangereux de faire
une réforme injuste de la Constitution même avec l'appui de la majorité. Ce n'est pas l'accord des
médecins mais la vérité du diagnostic en rapport à la maladie qui compte. Ainsi, ce n'est pas l'accord
social, mais la justice en rapport au comportement qui mérite l'entrée dans la Constitution.

Platon depuis vingt-quatre siècles, répond :la réforme des lois est inutile si ceux qui doivent les
appliquer manquent de la formation nécessaire pour appliquer ces lois réformées, car le juge bien formé
rendra une bonne justice, même avec une loi mal faite ; le juge mal formé rendra une mauvaise justice,
même avec une loi excellente » (Platon, Les lois, 1IX, 876 c). La réponse de Platon vaut pour tous les
temps, parce qu’elle est fondée sur la nature de la loi et sur la nature de l’homme qui doit l’appliquer :
la nature ne change pas.

Aussi, il n'est pas nécessaire être tellement arrogant pour toujours savoir où réside la justice des choses.
La justice est difficile, ardue, pesante. On doit réfléchir tellement sur les grandes œuvres de
personnages illustres, pour voir avec quelle fatigue ils ont réussi à porter quelque chose à l'humanité.
Trouver la juste solution des choses coûte de la fatigue. A nous plaisent les chemins raccourcis parce
que nous ne voulons pas la fatigue, et nous pensons d'abréger et d'errer, et notre divagation se
transforme en erreur grave. Aimer la justice, c’est, avant tout la connaître et pour la connaître, il ne
faut épargner ni temps, ni travail, ni fatigue. La formation doit comprendre tous les secteurs et doit être
générale parce que sans une culture générale, humaine, un homme ne peut juger humainement d’autres
hommes.

Ne pas tomber dans le relativisme : la justice n'existe pas ! Ainsi tout va bien. Il est inutile de rester à
méditer sur des preuves et des actes pour faire une sentence ou un arrêt s'il n'y a pas de justice. Au
contraire il faut s'engager à fond, avec énergie et détermination pour atteindre la fin. Cela vaut la peine.
Nous avons la certitude que la justice existe et si nous ne l'atteignons pas à cent pour cent, cherchons
au moins à la toucher. Aucun parent a la prétention d'être parfait mais il existe la conviction de pouvoir
bien faire les choses. La vérité du droit s'appelle justice. Nous devons nous y orienter et la rechercher
comme un objectif réel. Qui est sans perspective et idéal et ne voit pas la possibilité de l'atteindre
devient un désespéré. Un juge sans espérance dans la justice sera un juge injuste. Le droit est une
expérience universelle et humaine. Notre identité chrétienne nous offre la possibilité d'être plus juriste
que les autres, avec l'espérance dans la justice et dans le bien.

Bibliographie

Villey Michel, Philosophie du droit, Dalloz, Paris 1979


Idem, Le droit et les droits de l'homme, PUF, Paris 1983
Idem, Questions de saint Thomas sur le droit et la politique, PUF, Paris 1987
Idem, Réflexions sur la philosophie et le droit, Les Carnets, PUF 1995
Brimo Albert, Les grands courants de la philosophie du droit et de l'Etat, Paris 1978
S. Guyard Fabre, Les grandes questions de la philosophie du droit, PUF, Paris 1986 et 1993
Prof. A. Darius Bamuene Solo
Universités de Lugano – UCC - UKV

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