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ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche
(24) Culture,
AlimentAtion
et insertion
soCiAle
en outre-mer
(24)
Culture,
Alimentation
et Insertion
sociale
en Outre-mer
Sommaire
p.03 Éditorial
Marion Zalay
Agriculture et alimentation
p.57 Quels enjeux pour l’Outre-mer après les États Généraux
de 2009 ?
Jean-Pierre BASTIE
p.60 La politique agricole en Outre-mer :
éclairage historique et agro-économique
Paul LUU
p.65 L’alimentation dans les DOM-TOM :
l’importance des dimensions culturelles
Laurence TIBERE
p.69 Pommes ou bananes ?
Pistes de réflexion autour de l’alimentation des jeunes
Marie-Hélène NEGRE
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3
éditorial
Le voyage de Sib
Michèle Fieloux
anthropologue (CNRS-laboratoire d’anthropologie sociale), GDR Image et anthropologie
Jacques LOMBARD
anthropologue et cinéaste, IRD, GDR Image etanthropologie
La contribution qui suit est un commentaire développé autour du film « Le Voyage de
Sib », 2005, réalisé par Michèle Fiéloux et Jacques Lombard, deux anthropologues éga-
lement cinéastes. Leur propos vient questionner le champ de l’inter-culturalité et les
conditions d’un dialogue entre les cultures, à travers le regard posé par un homme,
Sib Tadyalté, sur une autre culture que la sienne et les effets engendrés sur sa propre
culture par cette rencontre.
autel est une bonne façon d’aborder ce chef de maison responsable. L’autel
Le film. sujet, puisque la maturation sociale d’un sera descendu à l’intérieur de la maison
Sib Tadyalté, devin et guérisseur, homme lobi se fait en intrication avec la et garni progressivement d’objets, en
originaire du pays lobi au Burkina Faso construction des autels et avec les ob- fonction des événements, comme une
a été invité à reconstruire son autel jets de ces autels. sorte de projection ou de mise en scène
lignager original à l’aide de copies de de l’histoire de la personne. À sa mort,
Tout homme de cette société décou-
ses différents éléments, à côté d’une une partie de l’autel est transmise à ses
vre à un moment donné de son enfance
soixantaine d’autels du monde entier héritiers masculins.
un objet qui va attirer son regard, gé-
dans le cadre de l’exposition inaugurale néralement un objet en métal ; quand il L’objet le plus important de l’autel,
« Les autels du monde. De l’art pour deviendra jeune homme, on découvrira caché à la vue de tous, est enterré dans
s’agenouiller » organisée à Düsseldorf à l’occasion d’un événement particulier l’autel. Il n’a aucune valeur marchande,
en septembre 2001 par le Musée d’art que cet objet était un signe envoyé par il représente l’emblème de la puissance
contemporain. Le film, « Le Voyage de une certaine puissance du monde invi- (ici, c’est le bracelet).
Sib », est le récit de notre rencontre avec sible, qui sera un jour identifiée comme
Sib qui se développe à travers sa dé- Le film témoigne du fait qu’aucune
un ancêtre du groupe matrilinéaire de la
couverte de l’Europe, des autres autels culture ne peut être enfermée en elle-
personne (un oncle, une grand-mère…),
présents dans l’exposition, des regards même, parce que chaque culture est un
cet ancêtre devenant en quelque sorte
différents posés sur son propre autel outil qui nous permet d’approcher une
son répondant, son protecteur, son dou-
transformé à cette occasion en « objet autre culture. Chacun acquiert, à travers
ble de l’au-delà.
d’art » et qui va prendre place de cette sa culture, une manière d’être au monde
manière dans un marché mondial. qui permet de communiquer avec les
Le premier autel est installé sur la ter-
rasse de la maison, alors que l’intéressé autres, donc de changer soi-même et
« Le Voyage de Sib », Sélectionné au est encore un jeune homme célibataire. de changer les autres. En faisant ce film,
Bilan du Film ethnographique de 2006 ; Celui-ci dépose à cet endroit l’objet qui notre regard a lui-même changé.
au Festival du film ethnographique de le désigne comme un élu de l’ancêtre, et
Belgrade 2 007 et pour Le Mois du docu- On a beaucoup tenu à accompagner
il va y adjoindre deux éléments volon-
mentaire en France, École Normale Supé- Sib et Binaté Kambou, son assistant.
tairement sculptés de façon malhabile
rieure, Lyon. 2007, et au Musée du quai qui correspondent à son
Branly en 2008. Réalisateurs : Michèle statut : un jeune homme
Fiéloux, Jacques Lombard. Producteur :
Le film témoigne du fait qu’aucune culture
encore immature et sans ne peut être enfermée en elle-même, parce
IRD. pouvoir social.
que chaque culture est un outil qui nous
Visionner un extrait du film : Un autre objet, situé permet d’approcher une autre culture.
http://www.audiovisuel.ird.fr/fiches_ sur la terrasse, une clo-
film/voyage_sib.htm chette, est essentielle
pour ouvrir la communication avec On suivait leur regard et l’intérêt qu’ils
l’au-delà et reste muette tant que son portaient à telle ou telle chose. Nous
détenteur est un jeune homme sans n’avons pas été des guides, mais des ac-
Préambule, pouvoir. compagnateurs : on se laissait surpren-
Dans le cadre de nos recherches, dre, tout simplement, par leurs étonne-
Vers l’âge de trente ou trente-cinq
nous nous intéressons à la question de ments, leurs interrogations, par tout ce
ans, son père lui donnera son autono-
la construction du sujet social. Or, un qu’ils trouvaient très différent de chez
mie économique, et il deviendra un
6 Culture et dynamiques sociales
eux. Alors que nous avions nous-mêmes en quelque sorte, puisque vraisem- le consultant va voir un sculpteur et lui
tenté de comprendre, pendant des an- blablement volées quelque part, avec demande de fabriquer une sculpture de
nées, le fonctionnement de sa société, autour un dispositif de mise en specta- telle ou telle facture, sans lui expliquer
nous nous trouvions dans la position cle qui assure leur fabrication comme la raison de ce choix. Il existe à la fois
contraire avec Sib. objet d’art. un langage plastique relativement codé
(par exemple une sculpture avec les bras
C’est pour cela que nous avons laissé Or, ce qui nous a intéressés, c’est de
écartés signifie barrer le passage à tout
de la lenteur dans ce film, pour que le montrer un autel dans son ensemble,
ce qui peut apporter la mort, la maladie,
spectateur accompagne le mouvement, c’est-à-dire une construction extrême-
l’accident etc.) mais il est très difficile
les découvertes. ment élaborée, un formidable outil de
de connaître la raison exacte pour la-
communication à l’intérieur de cette
Nous avons utilisé deux musiques quelle cet objet sera mis dans l’autel à
société. Quand Sib reconstruit son autel,
pour le film. Le jazz est lié au voyage, au tel moment.
on ne peut pas lui demander comment
voyage de Sib, il fait le lien entre ce qu’il
il fait, puisque c’est en construisant Au cours de notre enquête nous
vit quand il est de retour en pays lobi
l’autel qu’il dit quelque chose, et que avons cherché à saisir, dans une certaine
avec les souvenirs qu’il a gardés de son
c’est à nous de comprendre. Par contre, mesure, les circonstances pour lesquel-
voyage.
le fait qu’il le reconstruise était une ma- les chaque objet avait pris place dans
La deuxième musique, c’est le bala- nière pour lui de le penser. Son autel a l’autel. Les questions posées étaient
fon, que l’on entend au moment où il été construit en 30 ans et personne n’a toujours formulées sur un mode indi-
prend ce bateau pour touristes sur le jamais passé 30 ans à étudier les diffé- rect, selon la logique d’expression com-
Rhin, le meilleur souvenir de son voya- rentes étapes de la construction ! Dans mune : quelle puissance (puisqu’il y en
ge : le voyage sur le Rhin le ramenait à la ce travail, le temps était subitement a deux dans l’autel de Sib) a demandé
Volta Noire, le fleuve frontière entre le raccourci… cet objet particulier, pourquoi l’a-t-elle
Ghana et le Burkina Faso, le fleuve que la demandé, etc. ? C’est en conservant ce
population lobi en provenance du Ghana mode d’énonciation qu’on a progressi-
a traversé dans la deuxième moitié du M. Fiéloux - On ne peut pas lui deman- vement compris que l’ensemble de ces
XVIIIe siècle. C’est auprès de cette Volta der comment il fait, ni lui demander objets constituait une somme d’infor-
Noire que se trouvent les sites cultuels « qu’est-ce que c’est que cet objet, à mations sur l’histoire de la personne et
les plus importants, ainsi que les lieux quoi ça sert ? », car on est absolument plus largement sur celle de son groupe
de l’initiation. C’est quelque chose de certain de n’avoir aucune réponse. Com- lignager.
tellement important pour Sib, qu’il n’a me dans la possession, la personne n’est
Et c’est d’ailleurs le motif de notre
voulu représenter en aucune manière ce pas censée vouloir elle-même mettre tel
voyage à Düsseldorf : que va « produi-
lien à la Volta Noire dans son autel de objet dans son autel, mais elle est cen-
re » dans la vie de Sib le fait de mettre
Düsseldorf, alors que, dans son propre sée répondre à la demande d’un ancêtre
en spectacle pour un large public « un
autel, ce lien est représenté par le fait qui intervient d’une certaine manière
autel » qui ne peut être vu que par
qu’il va de temps en temps chercher de dans son existence.
certains, tout en reconstituant l’ordre
l’eau dans la Volta Noire, à la source de
Il peut arriver dans la vie de Sib qu’il chronologique dans lequel ces objets
l’identité lobi et la verse ensuite dans les
fasse un cauchemar ou bien que se cu- avaient été installés dans son propre
poteries de son autel pour les régénérer
mulent un certain nombre d’incidents autel ? Nous nous sommes aperçus qu’il
en quelque sorte.
ou d’accidents qui paraissent bizarres en n’a pas respecté l’ordre chronologique
sorte qu’il consulte un devin (lui-même, pour nombre de raisons. Il y avait un
en tant que devin, peut dans une large danger pour lui à faire une copie trop
Question
mesure assurer une auto-consultation, parfaite de son autel original, il a « in-
Qu’est-ce qui vous a conduit dans l’ac- mais quelquefois il va voir un autre venté » un autel qui soit ressemblant
compagnement de ce voyage, est-ce devin pour confronter ses propres inter- mais pas identique, il a réalisé une sorte
que c’est la place particulière de Sib prétations). À cette occasion il peut ap- de reconstitution en trompe l’œil. Nous
(vous avez dit qu’il était devin et gué- prendre que tel ancêtre demande, pour avons pu comprendre cela, alors qu’il
risseur), ou est-ce, dans le fond, cette répondre à son problème particulier, ne nous a donné aucune explication.
perspective même de la confrontation qu’une sculpture, qu’un objet de telle D’ailleurs, ce qui est surprenant, c’est
des autels, à Düsseldorf avec dès le dé- facture soit fabriqué et mis dans l’autel. que personne n’ait posé la question de
part cette dimension de l’inter-culture ? C’est très important car dans la chambre savoir ce que pouvait bien signifier un
de divination et dans le cadre de cette tel autel. Lorsqu’à la fin du séjour, on a
relation triangulaire (le devin, le consul- demandé à Sib quelles étaient ses im-
J. Lombard - Les statuettes lobi que tant et le tiers invisible matérialisé par pressions sur ce voyage, il a fait remar-
vous voyez dans l’autel sont très prisées tel ou tel artefact), c’est toujours au de- quer que les gens semblaient réagir à
sur le marché des arts premiers. On pou- vin de deviner la raison pour laquelle le son autel, mais il se demandait pourquoi
vait les trouver pour des sommes fara- consultant est venu le voir. on ne lui en avait pas parlé…
mineuses il y a deux ou trois ans du côté Si nous faisons des images, c’est
Le consultant ne vient pas dire « je
de l’école des Beaux-arts à Paris. Ce qui parce que le discours ne peut arriver
viens vous voir parce que j’ai fait un rêve
donne une idée de l’aspect marchand à épuiser le sens des choses, même
qui me trouble », c’est au devin d’ex-
des choses. s’il est un élément déterminant pour
pliciter ses raisons par une procédure
Mais ces statuettes, dans ce contexte de divination. Une fois qu’il a été établi construire le sens, mais - et là l’exemple
commercial, ne sont présentées qu’indi- qu’une sculpture répondant au pro- de la construction d’un autel est très
viduellement, c’est-à-dire désincarnées blème posé doit être mise dans l’autel, important – nous voulions, à travers ces
Culture et dynamiques sociales 7
réalisations plastiques, tenir un autre la clientèle de son oncle Manko avait cet autel et le fait qu’il n’y avait aucune
type de discours, pour mettre en éviden- beaucoup augmenté, et qu’il fallait des explication, cela donnait envie de savoir
ce la manière dont, dans toute culture, aides, des personnes qui puissent l’aider ce qui était ressenti, ce qui passait mal-
un individu est aussi construit à travers pour aller chercher les plantes médicina- gré tout.
sa sensibilité : si on évacue le champ du les, recevoir les patients, etc.
sensible de ce que l’on a à dire des cho-
L’autel mettait en scène ce qui lui J.Lombard - L’hypothèse que l’on peut
ses, on évacue une partie fondamentale
était arrivé de bon après ce voyage, faire, exactement comme on le lit dans
de la réalité des choses. On ne peut pas
c’est-à-dire un renforcement de son la littérature coloniale ou précolo-
parler d’un groupe humain si on ne parle
statut de guérisseur, une niale – c’est-à-dire venant de gens qui
reconnaissance plus éten- possèdent eux-mêmes un sentiment
… dans toute culture, un individu est aussi due de ses compétences. religieux- est l’idée selon laquelle les
construit à travers sa sensibilité : si on éva- L’autel était son image. Africains disposent de liaisons directes,
cue le champ du sensible de ce que l’on a à immédiates, avec les forces obscures ;
dire des choses, on évacue une partie fonda- que c’est à la fois fascinant et dange-
mentale de la réalité des choses. J.Lombard - Il faut ajou- reux, et que la réaction que manifestait
On ne peut pas parler d’un groupe humain si ter à cela quelque chose le public, montrait que cet autel qui
on ne parle pas des affects qui lient les indi- d’important qui est le avait une force (et c’est là-dessus que
vidus entre eux. développement du tou- le commissaire de l’exposition voulait
risme. On a parlé de Sib, amener le public : il ne s’agissait pas
du film, de ce qu’on a tant, comme nous essayons de le faire,
pas des affects qui lient les individus
écrit sur lui – ainsi on a découvert un de donner des explications, que de lais-
entre eux. Et ces affects sont le produit
jour en se promenant dans les jardins ser fonctionner l’imaginaire européen
d’un apprentissage qui est le propre de
du Luxembourg trois grandes photos de dans une sorte d’introduction vers le
la culture : ce qui fait qu’un être humain
Sib- cela veut dire qu’il est maintenant monde de l’au-delà tel que présenté
apprend le chemin de sa propre liberté
« globalisé » dans le marché mondial dans un exemple de ce type. C’est com-
dans le monde dans lequel il vit. Ça ne
du tourisme. Vous pouvez consulter plexe à développer, mais c’est un élé-
passe pas simplement par le langage,
sur Google « autel de Sib » et vous allez ment de réflexion important s’agissant
par le discours, cela passe aussi par des
voir un certain nombre de choses. C’est des traductions entre cultures. Qu’est-ce
expressions matérielles qui permettent
une autre entrée qui est extrêmement qu’on lit dans une culture, par rapport
justement à des éléments sensibles de
intéressante parce que vous savez bien à ce que l’on connaît de proche, de
s’exprimer, et qui permettent aux gens
que les agences de tourisme cherchent différent ?
de communiquer entre eux. Et c’est pour
à vendre de l’authentique, et que l’accès
ça que le cinéma est important puisque
pour les touristes aux autels de ce type
l’image nous permet aussi de restituer
est extrêmement difficile. Donc Sib est Question
ou de tenter de restituer cela.
devenu une interface. D’ailleurs, dans un
Nous avons construit le film avec superbe exemple de l’architecture afri- Quelle approche inter-culturelle faites-
l’idée du pétrissage de soi qui va de caine qui servait d’« éco-musée », on a vous quand vous dites que les sociétés
pair – en miroir – avec le pétrissage d’un proposé à Sib de fabriquer aussi un faux ne peuvent pas rester enfermées et
objet, lequel renvoie en réalité à une autel, un autel bidon, en trompe l’œil, sont vouées à s’ouvrir pour survivre ?
puissance (là un ancêtre, Manko) qui est qui aurait pu être présenté dans une
le répondant, le double de Sib. maison traditionnelle.
J.Lombard - Les termes d’assimilation
Nous étions restés sur place de et de choc culturel pour moi ne veulent
décembre 2001 à février 2002. À no- rien dire, ils ne m’intéressent pas du
Question/réflexion
tre retour quelques années plus tard, tout. Aucun être humain n’est un indi-
en 2006, des centaines d’orpailleurs Le problème posé ici est celui de ces vidu perdu dans la nature, il appartient à
avaient envahi la région lobi, et on a objets qui ne sont pas des œuvres d’art, une communauté. Qui dit communauté
trouvé Sib très occupé : les orpailleurs qui sont transférés dans un espace qui dit une culture. Avoir une culture ce
venaient chercher auprès de lui des talis- est un espace « musée », qui leur donne n’est pas simplement avoir lu Molière,
mans protecteurs (il y avait beaucoup de un nouveau statut, et surtout qui les non, c’est avoir appris dans sa société à
conflits entre orpailleurs). Du coup, Sib décharge de toute sacralisation. être un être humain, parce qu’on com-
était devenu un véritable juge de paix, munique avec les autres, parce qu’on
il était celui qui résolvait les problèmes, sait survivre, parce qu’on sait fabriquer
qui pouvait répondre aux problèmes de M. Fiéloux - Il y a un point très impor- des choses, et parce qu’on sait produire
malchance, de jalousies etc. tant à évoquer : Sib, n’a pas emporté l’avenir.
Comme nous connaissions son autel un seul objet venant de
par cœur, nous nous sommes aperçus son autel original. Pour
autant, son autel muséo- Avoir une culture ce n’est pas simplement
qu’il y avait de nouvelles sculptures dans
graphié a créé une fasci- avoir lu Molière, non, c’est avoir appris dans
son autel. Il avait construit deux person-
nages en terre, qui étaient des neveux nation vis-à-vis du public. sa société à être un être humain, parce
de son ancêtre utérin, Manko. Nous lui On a calculé que chaque qu’on communique avec les autres, parce
avons demandé pour quelle raison son visiteur regardait dans le qu’on sait survivre, parce qu’on sait fabri-
oncle Manko lui avait demandé de faire Musée entre 5 et 7 minu- quer des choses, et parce qu’on sait produire
venir ses neveux. Il nous a expliqué que tes l’autel de Sib. Étant l’avenir.
donné la complexité de
8 Culture et dynamiques sociales
Chaque société est bâtie sur cet en- curiosité nous avions compté le nombre et que nous étions complices parce
semble qui fait que tout être va pouvoir de visiteurs et on s’est rendu compte que nous leur fournissions les poulets.
survivre. Dans certaines communautés qu’il gagnait énormément d’argent, Tout cela paraît totalement anecdo-
animales on peut lire certains modèles alors que c’était une société à tendance tique, sauf que la situation a pris un
de vie sociale, mais on ne peut pas lire égalitaire, sans chefferie centralisée, où tour presque dramatique puisque Sib
des modèles de vie culturelle au sens tout est fait pour qu’il y ait un relatif et son compagnon sont entrés dans
d’un imaginaire partagé même si cer- équilibre entre les personnes. une grande colère. Tous les Africains,
tains voudraient bien les voir. environ une vingtaine de présents, sont
Se mettre sur le devant de la scène
immédiatement devenus solidaires et
En sorte que cet héritage-là, c’est c’est prendre un risque pour soi et pour
ont demandé au directeur de l’hôtel de
un outil qui est donné à chacun pour les siens. À la fin de notre séjour, nous
présenter des excuses. Et cela a eu des
communiquer avec l’autre. C’est notre lui avons demandé ce qu’il avait l’inten-
effets évidents sur Sib : lui qui était tout
liberté. Notre outil c’est d’être ce que tion d’acheter, s’il avait un projet : il ne
content d’être en très bonne santé, car
nous sommes et à partir de là de pou- s’agissait plus pour lui d’investir en têtes
cela prouvait qu’il était bien à la bonne
voir échanger ; mais en échangeant on de bétail puisqu’il avait déjà acheté
place par rapport à ses puissances, s’est
se transforme ; et la transformation est plusieurs têtes de bétail qui avaient été
senti mal après cette histoire (mal à la
indispensable à la survie d’une culture. volées (le vol pouvant être pris comme
gorge, fatigue…) ; c’était un véritable
Aucune société du monde, aucune une sanction). Donc il avait renoncé au
choc. Si le directeur de l’hôtel n’avait pas
culture du monde ne peut vivre enfer- bétail mais il voulait faire construire en
présenté ses excuses, la presse aurait
mée sur elle-même. face de sa vieille maison dont il avait
été convoquée et les Africains auraient
hérité de son père, exactement en
Prenez l’exemple du Canada ; je pense arrêté de construire leurs autels.
face, comme une sorte de miroir, une
aux populations Kwakiutl, populations
maison sur le modèle de celle que font
aborigènes de la côte Ouest du Canada
construire les planteurs de café et de
qui ont perdu leur langue. Ce sont des Question
cacao à leur retour de Côte d’Ivoire, une
sociétés qui ont presque disparu parce
maison en parpaings avec couverture en Sib est filmé en train de découvrir une
qu’elles ont perdu leur langue. Mais
tôle etc. Pour Sib c’était important de société occidentale dont il ne connaît
elles ont survécu, et leur histoire est
construire une maison de ce type non pas les codes, on peut se demander
encore profondément présente dans le
pour y habiter mais en tant qu’objet de pour qui, pour quoi montrer Sib dans
Canada actuel, mais d’une manière dif-
prestige. une telle situation ?
férente. Cette population est devenue
canadienne, elle s’est transformée mais Par ailleurs, je voudrais apporter des
elle a constitué un apport très impor- informations à propos de la séquence
M. Fiéloux - Ce film n’est pas une com-
tant à la société canadienne, tout en se du sacrifice. On voit dans le film un
mande, nous sommes pleinement res-
transformant. prêtre vaudou venir photographier Sib
ponsables du film.
au moment où il tentait de dire à ses
Les Kwakiult sont connus de nous,
puissances que l’autel du Musée était C’est important de s’interroger sur
car ce sont les créateurs des superbes
un faux autel ; il se rassure (en les ras- la honte ou l’inconfort que l’on peut
totems avec les aigles. À Vancouver,
surant) et cela passe par un sacrifice. ressentir à voir telle ou telle scène. Nous
un musée leur est consacré. Ces prati-
Cet épisode avait été prévu par Sib, qui avons été confrontés depuis trente ans
ques-là ont totalement disparu en tant
avait demandé, comme condition de sa que l’on travaille sur cette société, sys-
que pratiques sociales, religieuses, éco-
venue, le droit de sacrifier trois volailles tème religieux, rituels funéraires etc., à
nomiques car elles étaient liées à une
de couleurs différentes ; chaque couleur de nombreuses situations de ce type.
ancienne organisation de leur société ;
ayant un sens : rouge, blanche et noire. Il
elles demeurent pourtant à travers des En 1990 nous avions réalisé un film
était impossible de trouver un seul pou-
productions artistiques, ce qui fait que sur les deuxièmes funérailles d’une
let noir dans tout Düsseldorf et nous
malgré tout, même si elle a perdu sa personne qui avait joué un rôle très
avons attendu avec Sib pendant douze
langue, c’est une communauté - et une important dans cette communauté,
à quatorze jours face à l’autel vide, puis-
culture - qui continue à exister et qui a puisqu’elle a été le premier chef de can-
que Sib avait refusé de commencer la
fécondé, à plusieurs niveaux, la culture ton sous l’administration coloniale, alors
construction de l’autel tant que les pou-
américaine. Culture américaine, appe- que la très grande majorité de la popu-
lets du sacrifice n’étaient pas apportés.
lons-la européenne, qui a d’ailleurs un lation a résisté pendant plus de trente
Comme Sib restait imperturbable, les
sentiment complexe à l’égard de ces ans. Et dans les archives qui concernent
organisateurs finirent par satisfaire sa
communautés. l’histoire de toute l’Afrique de l’Ouest,
demande.
la population lobi apparaît comme un
exemple tout à fait remarquable pour
M. Fiéloux - Pour en revenir à Sib, on ses capacités de résistance.
J.Lombard - Puis un débat s’est engagé
peut s’interroger sur son destin.
sur le rapport de l’animal à l’humain, les Donc c’était un personnage un peu
En effet, lorsque nous sommes re- mauvais traitements infligés aux ani- particulier qui a eu des funérailles spec-
tournés le voir en février 2009 pour maux etc. taculaires, que nous avons pu filmer ; il
compléter l’enquête avec lui, il était en avait plus de vingt femmes et plus de
Et le bruit a couru dans toute la ville
permanence dérangé par des touristes cent enfants.
qu’il y avait des sacrifices d’animaux
qui se succédaient chez lui pour voir
dans le musée et qu’il y avait des sacri- À cette époque, cela nous paraissait
et photographier les autels intérieurs
fices dans l’hôtel où nous étions logés, important de montrer ce film dans le
et extérieurs. Sib recevait pour chaque
que les murs étaient couverts de sang, lieu même où nous avions filmé.
visite tant de francs CFA par visiteur. Par
Culture et dynamiques sociales 9
Nous avons organisé une fête à base Le public lobi quant à lui, n’est pas
de bière de mil, un grand tissu blanc a écarté, nous sommes en relation avec
été mis sur le mur et puis, juste avant de les personnes qui travaillent dans le
montrer le film, des jeunes lobi de vingt, musée lobi, nous avons fait faire des
vingt-cinq ans qui vivaient à la ville et ne reproductions de toutes les photos an-
connaissaient pas grand-chose de leur ciennes retrouvées, nous avons fait faire
société, voire qui refusaient beaucoup une collecte systématique de tous les
de choses de cette société, nous ont dit travaux de recherche menés depuis 30 à
« j’espère que vous n’allez pas montrer 40 ans afin d’enrichir le musée.
des femmes portant des feuilles ». Nous
Des visites de lycéens sont organisées
avons répondu que bien évidemment
et ceux-ci sont ravis de découvrir des
ce serait le cas, puisqu’on les voit ainsi
éléments de leur histoire, de poser des
pendant le rituel.
questions à leurs parents etc.
Le ton est monté, « quelle image vous
Nous avions organisé un colloque
voulez transmettre de notre société au
à Ouagadougou où nous avions réuni
monde, c’est scandaleux… »
pratiquement tous les films qui avaient
Suite à cet échange, il a été décidé été faits sur ce pays depuis les années
qu’après la projection, un débat aurait trente, pour que les gens puissent dé-
lieu dans une radio locale sur cette couvrir quelle image on donnait d’eux à
question : ce que l’on peut montrer ou telle période.
ne pas montrer.
Quant à notre positionnement,
À cette occasion les veuves ont été même si on ne nous entend pas dans
invitées à participer au débat. Celles- le film, notre présence est dans la
là même que l’on voyait portant des construction du film et dans le travail
feuilles, parures lobi par excellence, que nous avons mené pour fabriquer le
puisque les femmes lobi ne s’habillent film. Un véritable travail d’anthropologie
avec des pagnes que depuis les années sans s’encombrer de commentaires, le
soixante-dix. Auparavant elles portaient film parle à sa façon par l’image.
un bouquet de feuilles attaché à une
ceinture en paille tressée. Les femmes
sont venues à la radio pour remercier les Pour visionner un extrait du film :
réalisateurs du film ; elles n’étaient pas http://www.audiovisuel.ird.fr/fiches_
du tout honteuses de s’être montrées film/voyage_sib.htm
comme cela puisque nous ne remettions
////////////////////////////////////////
pas en question les coutumes, les ma-
nières d’être… et que pour les lobi « les Propos tenus dans le cadre du Séminaire
morts » ne peuvent aller dans le pays « Action Culturelle et insertion en
des morts vêtus avec des costumes mo- Outre-Mer » retranscrits
dernes. Le mort doit porter les mêmes par Adrien Toreau.
parures que ses ancêtres. Finalement
le débat s’est poursuivi entre les jeunes
lobi et les femmes de la famille.
La question de la dignité d’un homme
ne tient pas au fait de le montrer se
servant d’une brosse à dents pour la
première fois, - c’était le cas de Sib. Par
contre il était intéressant de montrer
qu’il s’était adapté à la vie très conforta-
ble qu’il y avait dans cet hôtel. La dignité
était simplement de montrer que les
pratiques religieuses lobi étaient tout
autant recevables que n’importe quelle
autre pratique religieuse et qu’il faut
savoir comprendre et recevoir ces pra-
tiques à égalité de ce que sont d’autres
pratiques religieuses sous d’autres hori-
zons. Notre rôle en tant qu’observateurs
est de transmettre non pas de manière
brute, mais de rendre sensible à un pu-
blic européen en quoi une culture dif-
férente est aussi très proche de ce que
nous sommes.
10 Culture et dynamiques sociales
Comment la question interculturelle peut être traitée avec les jeunes à partir de leur
propre territoire et avec des territoires plus éloignés ? Quelles entrées thématiques,
quels supports d’expression peuvent être mobilisés pour développer un travail sur le
dialogue des cultures ? Le récit d’expériences proposé ci-après évoque quelques élé-
ments de réponse à travers des exemples de projets et de réalisations.
année de BTS ont été invités à solliciter linguistiques au service de la parole de traductions en corse, en créole marti-
et réaliser des entretiens auprès de per- l’Autre, tout en les initiant au monde de niquais, en tahitien et en breton, reste
sonnes de leur environnement proche la création, de la production et de l’édi- à trouver des volontaires pour les en-
identifiées comme « non réunionnai- tion. Un premier CD « Océan Indien » registrer. Une enseignante au LEGTA
ses ». Outre la collecte de souvenirs comportant six versions du conte (fran- d’Oponuhu en Polynésie est prête à pro-
forts, heureux ou difficiles, liés au pays, çais, créoles réunionnais, rodriguais et poser ce travail à ses élèves en atelier de
à la région d’origine, aux évènements seychellois, mahorais et malgache) est langue tahitienne. Le texte de ce conte
déclencheurs de leur migration vers cet- paru en décembre 2010 6. « Le pays d’en bas la mer » se prête
te Réunion de rêve, de transit ou d’exil, particulièrement à une réappropriation
Je conclurai ce long témoignage au
il leur était demandé de faire évoquer par des jeunes évoluant à proximité
goût de passation, par une invitation à
les objets, sons, odeurs, saveurs « repè- de l’environnement marin : bienvenue
nous rejoindre pour donner à cette ini-
res », associés à ces différentes étapes donc aux Antillais, Calédoniens, Poly-
tiative une nouvelle dimension :
de vie, afin d’alimenter notre inspiration nésiens, Saint-Pierrais et Miquelonnais,
en matière de scénographie. Cette ex- 2011, année des Outre mer : l’oppor- Wallisiens et Futuniens… mais aussi aux
périence humaine valorisante, vécue tunité d’une synergie plus large autour Basques, Bretons, Corses, Occitans… et
en tout début de cycle scolaire, s’est de ce projet solidaire : en fonction de aux musiciens qui enrichiront les tra-
avérée déterminante dans leurs prises la réactivité des partenaires potentiels, ductions par un environnement musical
d’initiative ultérieures. Quant à l’objectif sortie d’un CD spécial « Outre-mer » ou original !
d’intégration plus rapide des étudiants d’une compilation de toutes les contri-
butions « Langues régionales » disponi- Bienvenue aussi aux versions en
venus d’ailleurs, il a été rempli.
bles 7. anglais, allemand, italien, espagnol,
Pour les jeunes du club Théâtre Soli- portugais… La traduction et l’enregis-
daire, il y a eu la magie de voir un texte Il s’agirait pour les collègues de mo- trement du conte dans d’autres langues
prendre forme, puis vie, à partir des biliser les acteurs de la promotion des européennes seront un atout pour
pépites glanées ici ou là dans les textes langues et cultures régionales et les convaincre des éditeurs des pays concer-
et de leurs propres paroles spontanées. enseignants de langue pour réaliser une nés de s’impliquer dans des coéditions
Puis, avec l’aide de Lolita Monga, met- traduction et ou une adaptation audio ou des adaptations en noir et en braille
teur en scène et directrice du Centre musicale du petit conte « Le pays d’en du conte.
Dramatique de l’Océan Indien, une bas la mer » écrit par, Colette Gillieaux,
scénographie épurée a été élaborée auteur des Seychelles et thérapeute.
traduisant ces ressentis sous une forme Celle-ci a travaillé plus de 20 ans au Pour plus d’informations :
à la fois sensible et distanciée, sans sur- service d’enfants défavorisés ou handi- genevieve.ceccaldi@educagri.fr
charge affective. capés et conçu de petits textes de sensi-
bilisation sur le droit à la différence et à ////////////////////////////////////////
l’intégration, malheureusement épuisés
depuis longtemps.
À vos sens !… Il s’agirait également d’offrir au pu-
blic jeune, auditeur du CD l’occasion de
À vos langues ! goûter à la riche diversité de la franco-
phonie et des différentes langues ré- Bibliographie
gionales pratiquées par les populations
La notion de théâtre Solidaire étant • « Ancrés à Mafate ouverts sur le
d’outre mer… ou culturellement liées à
pour les jeunes du club solidarité un monde, regards d’enfants »,
la mer.
Éditions Orphie
facteur de motivation supplémentaire,
elle a inspiré à la rentrée 2009-2010 la Le CD regroupant toutes les versions • « D’une rive à l’autre… Regards
proposition d’adaptation d’un conte sur audio du conte sera édité parallèlement croisés sur le Sahel… »
le thème du handicap sous une forme à la publication d’albums bilingues Éditions Orphie
audio, tactile et visuelle adaptée à un français-langues régionales (en fonction • « Le Pays d’en bas la mer » :
public déficient visuel. Le succès de des partenariats établis), et d’un album -- version CD : Club Solidarité
cette initiative, nous a incités à élargir tactile dont le texte en français (en gros LEGTA St Paul
le projet initial par une dimension « lan- caractères et en braille) et les illustra- -- album jeunesse bilingue créole
gues et cultures régionales ». Il s’agit par tions seront accessibles à un public défi- réunionnais-français sortie fin
là d’offrir à tout enfant à la fois le plaisir cient visuel et non voyant. mai Orphie
de goûter à ce conte dans sa langue Hélène Labrousse, nouvellement en -- version française illustrations
maternelle, et l’opportunité de partir à poste au LEGTPA de Macouria en Guya- tactiles et braille : sortie début
la découverte de la riche diversité des ne, a adhéré avec enthousiasme à ce 2012 Ed Les Doigts Qui Rêvent
accents, des langues, des rythmes et projet (cf. ENCADRÉ).
instruments mobilisés au service de ce
message d’ouverture à l’autre dans sa Des bénévoles ont produit des
différence.
En impliquant nos jeunes dans la 6 Disponible sur demande.
création d’un CD et d’albums bilingues 7 Me contacter pour toute info complémentaire
pour la Jeunesse sur ce thème, nous les concernant les modalités et le calendrier de
incitons à mettre leurs compétences réalisation .
Culture et dynamiques sociales 15
Lettre de Guyane
d’Hélène Labrousse, professeur d’éducation socioculturelle au
LEGTPA de Macouria, Guyane
à Geneviève Ceccaldi, professeur d’éducation socioculturelle
au Legta St-Joseph, à la Réunion
En quête de…
Enquête sur l’art.
Du lieu Martinique, une
réflexion sur la poïétique
Valérie John
est déléguée académique pour les arts et la culture à l’académie de Martinique,
plasticienne et commissaire d’exposition.
L’auteur propose dans ce texte de s’interroger sur la naissance d’une histoire de l’art
en Martinique, en mobilisant le contexte politique et historique des Martiniquais et de
leur terre.
////////////////////////////////////////
Enjeux artistiques
et formes contemporaines
en outre-mer
Fabienne Pourtein
est consultante en ingénierie culturelle et directrice de projets auprès de structures associatives et de collectivités locales dans
des projets culturels de territoire. Elle accompagne des artistes de différentes disciplines (danse, théâtre, arts visuels) dans le
montage et le développement de leurs projets, notamment des artistes d’Outre-mer, ainsi que des Compagnies émergentes en France
hexagonale.
L’auteur nous propose d’identifier dans ce texte les enjeux artistiques en Outre-mer
dans leurs aspects de diffusion, de production, et de création. Ils rejoignent par bien
des côtés ceux rencontrés par les artistes en France hexagonale, notamment lorsqu’il
s’agit de faire entendre sa singularité artistique parfois en décalage avec les codes
esthétiques portés par l’époque. Par contre la question des lieux de diffusion, celle de
l’accès à la formation et plus généralement les questions de structuration de projets
artistiques et culturels sont de véritables enjeux de développement artistique pour
les artistes d’Outre-mer.
décentralisation et des choix qu’elles méthode pour l’analyse des cultures afro- La construction d’un regard
ont opérés, ont des conceptions plus américaines consiste non pas à partir de autonome
ouvertes : elles ont bien compris les l’Afrique pour voir ce qui reste en Amé-
multiples rôles de l’art et de la culture rique, mais à étudier les cultures afro- Cette vision a surgi au grand jour
pour le développement de leur territoire. américaines existantes pour remonter dans le monde artistique avec la Né-
Aménagement harmonieux du territoire progressivement d’elles à l’Afrique » gritude : les étudiants noirs venus des
à travers les services culturels offerts Antilles et d’Afrique, les Césaire, Damas,
aux habitants, attractivité, auprès des Une culture du manque : soutenu par Senghor, maîtres de la langue française,
visiteurs, image de la Région auprès des le regard colonialiste, le regard social inventèrent une littérature magnifique
entreprises, visibilité à l’international, pointait l’absence d’histoire, l’absence pour dire leur sensibilité et leurs terres
etc. autant de bonnes raisons pour de tradition (autres que des survivances d’origine. À l’occasion du passage d’An-
diversifier les contenus artistiques et extérieures), l’absence de racines, et dré Breton en Martinique en 1941, sur
culturels des politiques culturelles qu’el- l’absence de culte des morts et de reli- la route de l’exil de guerre, la rencontre
les assument directement, ou qu’elles gion spécifique, ces derniers éléments entre l’imaginaire surréaliste et celui de
soutiennent à travers les partenariats étant censés être fondateurs d’une la Négritude fut détonante, et se trans-
croisés entre collectivités et État 18. « vraie » culture. forma en catalyseur pour les caribéens,
renforçant leur détermination à explorer
Dans ce contexte global, la culture En 1952, Michel Leiris19 repère déjà
et étendre leurs propres voies.
comme pratique sociale a connu deux l’inadéquation d’un enseignement fran-
mutations importantes : co-français, qui tendrait à affermir le La culture des Antilles/Guyane
sentiment d’infériorité hérité de l’épo- construit dès lors ses propres défini-
• Les mutations intrinsèques de la que esclavagiste. tions, parallèlement au regard de l’Autre
société française, qui a vu évoluer
porté sur elle.
sa structure sociologique, et les Le regard artistique a largement
conceptions artistiques (succession contribué à la remise en cause de cer- La culture créole Le terme « créole »,
de courants, jusqu’à ceux de l’art taines idées : là où résidait l’idée de utilisé depuis le XIIe siècle a connu plu-
contemporain actuel). progrès, de haut vers le bas (art « pre- sieurs sens, à l’image de l’évolution du
• Et la présence durable de multiples mier »), concomitante avec le regard regard anthropologique et ethnologique
communautés d’origine immigrée : négatif sur les pratiques artistiques et posé sur les société créoles. Appropriée
elle rend visible et inscrit dans la culturelles des cultures non-occidenta- par les habitants des terres créoles,
réalité contemporaine d’autres les, les artistes modernes ont affirmé cette nouvelle définition met en exer-
faits culturels qui n’existaient pas, que l’art procède par ruptures et sauts. gue la création originale que sont les
ou étaient précédemment occul- L’art moderne (dont Picasso, Matisse, cultures créoles, mettant l’accent sur
tés, parfois tout en imprégnant le etc.) est allé se « ressourcer » dans les l’oralité (« l’oraliture »), dans ses dimen-
substrat culturel existant (culture arts « primitifs » : danse, arts visuels, sions populaires, qui les distingueraient
anthropologique – culture comme théâtre, musique… : la fonction de l’art de la scripturalité française. Paradoxa-
pratique sociale), ainsi que les prati- n’est pas de représenter le réel, ni de lement, la créolité a été reconnue dans
ques des artistes nés dans ce cadre décorer, mais c’est « un instrument pour les années quatre-vingt à travers ses
culturel. tracer des lignes de vie. (…). Défaire les écrivains (Patrick Chamoiseau, Raphaël
formes, préférer l’animal, accepter les Confiant)…
fissures qui violentent l’organisme, les
Le regard sur la culture des intensifier »20 est le fon-
Antilles/Guyane françaises : dement de la démarche il (E. Glissant) oppose à l’idée de « racine
Il a connu plusieurs épisodes. Bien
artistique. unique » à l’origine de la sédentarité, de
que le monde culturel de ces territoires L’Art comme mou- l’appropriation d’un territoire, y compris par
ait été peu étudié, du fait de la démar- vement : « l’art brut, la la conquête, le « rhyzome, racine démulti-
che assimilassionniste française, la sauvagerie, la liberté, ne pliée étendue en réseau (…) sans qu’aucune
culture des Antilles/Guyane a été vue doivent pas se concevoir souche y intervienne en prédateur irrémé-
successivement comme : comme des lieux, ni sur- diable », ouvrant sur le nomadisme, le scep-
Une culture de la survivance. Les pra-
tout des lieux fixes, mais ticisme, postures caractérisant les sociétés
comme des directions, créoles. Appliqué à la pensée, ce concept est
tiques culturelles étaient vues comme des aspirations, des ten-
un ensemble de restes des cultures à l’origine de la « Poétique de la Relation,
dances… (Dubuffet).
africaines et françaises portées par les selon laquelle toute identité s’étend dans un
habitants arrivés à partir du XVe siècle. rapport à l’Autre »
La posture a changé avec Roger Bas-
tide, qui dans son ouvrage les Amériques La créolisation L’idée est issue de la
Noires (1967) indique que « la meilleure pensée de l’écrivain Édouard Glissant,
s’inspirant des philosophes Deleuze
et Guattari : il (E. Glissant) oppose à
19 Il a réalisé pour le compte de l’Unesco une l’idée de « racine unique » à l’origine de
18 Financements croisés que la réforme des longue mission d’études, relatée dans son
collectivités territoriales restreint de façon la sédentarité, de l’appropriation d’un
ouvrage :
drastique, ce qui risque d’être particulièrement territoire, y compris par la conquête, le
20 Pierre Sterckx : de l’art moderne aux arts pre-
dangereux pour les artistes dø’Outre mer, pour
miers – hors série Télérama « les arts premiers
« rhyzome, racine démultipliée étendue
qui les collectivités sont la plupart du temps
les seuls partenaires financiers, aux côtés des entrent au Louvre » en réseau (…) sans qu’aucune souche y
DRAC aux crédits de plus en plus restreints intervienne en prédateur irrémédiable »,
Panorama et enjeux des formes artistiques en Outre-mer 23
ouvrant sur le nomadisme, le scepticis- la relation à l’espace qu’on pouvait « trahir » une appartenance si dure-
me, postures caractérisant les sociétés entretenir dans un territoire comme ment conquise ?
créoles. Appliqué à la pensée, ce concept la Guadeloupe où les limites géo- • Interroger le regard porté sur
est à l’origine de la « Poétique de la graphiques finies sont visibles en l’Outre-mer, le réactualiser à la
Relation, selon laquelle toute identité permanence, par rapport à un pays fois pour les ultramarins qui re-
s’étend dans un rapport à l’Autre »21. Et que trois jours de train suffisent à laient souvent très bien les images
celle-ci est en relation directe avec la peine à traverser (la Russie). d’Épinal les concernant, et pour
posture de l’artiste, chez qui « la ren- • Interroger des thèmes ayant trait les « autres » . Le travail en noir et
contre de l’Autre suractive l’imaginaire à l’histoire particulière de l’Outre blanc de photographes de Guade-
et la connaissance poétique »22. Partant, mer, notamment l’esclavage, ainsi loupe comme Daniel Goudrouffe,
le concept de créolisation trouve plus que son cortège de non-dits, de Jean-François Manicom, Nicolas
facilement des échos universels, et paradoxes, idées reçues etc. tout Nabajoth par exemple, contribue à
nombreux sont ceux qui se réclament en inscrivant ces questionnements détourner le regard des clichés (à
désormais de la pensée d’Edouard Glis- dans une universalité. Nombreux tous les sens du terme) vantant en
sant, surtout depuis que la bataille fait sont les artistes exposés dans les couleur plages et cocotiers, vision
rage autour des questions d’identité, en différentes éditions de Latitudes unique de l’Outre-mer.
bien des endroits du monde. qui ont adopté cette démarche23 . • Faire entendre et apprécier des
Tout comme le film : « le Pays à expressions aux socles originaux.
l’envers » de Sylvaine Dampierre 24 , Pour ma part, il m’a semblé que
qui a fait œuvre de documentaire
2 - Les enjeux sensible, à partir de la réalité histo-
la culture orale dont sont issues
les cultures d’Outre-mer, orientait
artistiques rique de la construction des noms
en terre d’esclavage ;
l’imaginaire et la sensibilité sur des
priorités, des expressions, différen-
• Créer un regard « de nous sur tes des cultures écrites dont relève
Pour les artistes d’Outre-mer, les en- nous », dans un contexte où l’ha- majoritairement l’Occident. Cela
jeux sont à la fois semblables à ceux des bitude est du regard de l’Autre sur passe en premier lieu par une quali-
autres artistes et particuliers dans un nous. Cette attitude est toujours té de présence corporelle, physique,
rapport à une réalité historique : à l’œuvre. Nous en voulons pour différente de celle vécue en d’autres
preuve le fait qu’à quelques excep- lieux, et s’exprimant notamment en
tions près (M. Jacky Dahomay, Mme danse, y compris la danse se voulant
Françoise Vergès), les intellectuels contemporaine.
donner forme à une créati-
interrogés lors des mouvements
vité individuelle :
sociaux qui ont mar-
Comme tous les artistes, ceux de qué l’Outre-mer de dans des sociétés où E. Glissant définit
l’Outre-mer ont à formuler leur propre Janvier à mars 2009 la tradition comme un « arrière-pays où
regard sur le monde, sur les questions étaient majoritaire- s’embusquer », qu’est-ce que la tradition
qui les interpellent, les amenant à in- ment de l’Hexagone, aujourd’hui ? comment produire du sens et
venter les formes qui disent cette vision. alors que l’Univer-
des pratiques contemporaines ? comment
Parfois, les artistes contemporains se sité Antilles-Guyane
trouvent en posture difficile vis-à-vis (pour ne parler que
s’y livrer sans « trahir » une appartenance si
de leurs sociétés ultramarines : la sen- de ce que je connais durement conquise ?
sibilisation à l’art contemporain y est à mieux) regorge d’his-
peine entamée, les lieux de monstration toriens, de sociologues, etc. qui
Ces enjeux artistiques sont partagés
manquent, et certaines questions qui travaillent sur ces questions depuis
entre ici et là-bas : faire entendre son
font débat dans la société peinent à être longtemps (Raymond Gama, Daniel
originalité culturelle est en France hexa-
entendues, y compris dans le champ Justin, Julien Mérion, Serge Mam
gonale aussi un enjeu, parce que cela ne
artistique ; Lam Fouk, Alain Yacou, M. Rauzduel
va pas de soi. L’histoire de l’art et de la
etc.)
culture en France, qui ont culminé, d’une
• Interroger les rapports, voire certaine façon, dans la formulation
faire entendre, à travers les tensions entre tradition et de « l’exception culturelle française »
cela, des problématiques modernité : dans des sociétés tendent à figer un regard, des codes
identifiées comme étant im- où E. Glissant définit la tradition artistiques à partir desquels toutes les
portantes, ici et maintenant : comme un « arrière-pays où s’em- productions artistiques sont jugées.
busquer », qu’est-ce que la tradition
• Interroger les formes et les sup- aujourd’hui ? comment produire Ceci n’est pas seulement valable
ports en relation avec un environne- du sens et des pratiques contem- pour les productions de l’Outre-mer :
ment donné : Le photographe Jean- poraines ? comment s’y livrer sans c’est un combat de la première heure
François Manicom, par exemple, des artistes qui s’écartent du chemin
s’est interrogé dans un projet sur (expérience vécue dans les années qua-
tre-vingt, dans le dialogue avec des jour-
23 Latitudes est une exposition d’art contempo-
rain, sur les Outre-mers dans leur environne- nalistes et diffuseurs autour d’un spec-
ment http://www.latitudes-ocea.org/ tacle de chorégraphes contemporains
21 Édouard Glissant « Poétique de la Relation », 24 Prix du patrimoine de l’immatériel au Festival français qui s’étaient aventurés à parler
Paris, Ed. Gallimard, 1990, p.23 du Cinéma du Réel à Beaubourg, en 2009
22 Édouard Glissant d’après Victor Ségalen, idem
24 Panorama et enjeux des formes artistiques en Outre-mer
d’une expérience africaine25), ou qui ne mobilité, à l’exportation, DLA 26, par les institutions en charge de la
proviennent pas du sérail (productions etc.) culture, les critiques, les publics,
artistiques issues d’artistes émergents -- la mise en place de véritables sans être enfermé dans des images
dans les banlieues, spécialement dans le filières de formation aux mé- d’Épinal27 : on attend de l’Africain
spectacle vivant). tiers artistiques, techniques, qu’il soit en costume traditionnel,
administratif et que son énergie nous emporte.
-- l’aide à la structuration, notam- Trop souvent encore on n’attend
ment l’ingénierie de projet : les pas grand-chose de l’Antillais,
4 - Les enjeux ultra-marins démontrent réguliè- puisqu’il est acculturé… Un col-
rement qu’ils sont capables de re- lectif de conteurs caribéens né en
professionnels : muer des montagnes à l’occasion Île de France en 2008, expliquait
d’un temps fort, mais la concep- qu’aux yeux de la plupart des pro-
tion et la mise en œuvre de projets grammateurs, on conçoit qu’il y
Il s’agit aussi pour les artistes pérennes demande un autre type ait une diversité d’expression chez
d’Outre-mer, c’est-à-dire de territoires les conteurs africains, mais qu’ils
où la reconnaissance de estimaient souvent qu’après avoir
l’art comme pratique Il s’agit aussi pour les artistes d’Outre- vu un conteur antillais, ils considé-
professionnelle est ré- mer, c’est-à-dire de territoires où la recon- raient les avoir tous vus…
cente, d’arriver à en faire naissance de l’art comme pratique profes-
• L’enjeu de cette acceptation, c’est
respecter les cadres pro- sionnelle est récente, d’arriver à en faire l’accès au champ professionnel
fessionnels et à en vivre. respecter les cadres professionnels et à en
Or, aujourd’hui encore, français et européen voire inter-
vivre. national : programmation, subven-
nombreux sont les par-
tenaires/acheteurs qui tions, co-productions, tournées…
rechignent à payer le juste prix – voire à Pour l’heure, les représentants
d’énergie, d’autres compétences, hexagonaux du Ministère de la
payer tout court – pour une exposition qui pour la plupart font défaut. Or
ou un spectacle. Des arguments du Culture, embarrassés, renvoient
à ce jour, aucun plan de formation, encore trop souvent les artistes et
type : « ça va vous faire de la publicité » aucune politique concertée entre
ou « pourquoi paierais-je quand je peux acteurs culturels domiens de France
l’État et les Collectivités n’arrivent Hexagonale vers les DRAC d’Outre
avoir la même chose ou presque d’une à émerger.
association de ma commune » sont en- mer…
core présents… Notons que des dispositifs parti-
culiers doivent être pensés (ou des
• Passer de l’amateur au profession-
nel : il existe en France des cadres
adaptations de cadres existants) dans Les enjeux
certains cas : le cadre social des prati-
économiques, sociaux, profession-
nels qui devraient s’appliquer en
ques culturelles traditionnelles ne relève sociétaux
ni des pratiques amateurs, ni du cadre
Outre-mer (déclarations sociales,
fiches de paie, cadres horaires,
professionnel, alors qu’ils en sont sou- et territoriaux :
vent le socle, sont porteurs d’une charge
prise en charge des défraiements,
symbolique forte et d’une vitalité réelle.
licences, etc.). Au-delà des moyens Vivant de plain-pied dans la proxi-
Par exemple, en Guyane, les pratiques
financiers limités des « acheteurs », mité des problématiques de leurs terri-
artistiques et culturelles du tembé dans
il est encore trop souvent difficile toires, les artistes d’Outre-mer sont plus
la culture Noir Marron, celles des Amé-
d’obtenir leur prise en compte par étroitement imprégnés des questions
rindiens ; aux Antilles : les danses et mu-
les partenaires locaux. sociétales et territoriales, qu’ils doivent
siques du ka et du bélè…
• Faire entendre les démarches, re- souvent affronter dans leur propre
• Faire reconnaître leurs pratiques
cherches et productions des artis- pratique :
par les institutions locales, notam-
tes et acteurs culturels comme des • Problèmes de formation : manque
ment les municipalités : un long tra-
champs professionnels, nécessitant de compétences dans les métiers
vail reste à accomplir pour aboutir à
des dispositifs d’appui, de diffusion d’appui à l’art (administration, tech-
une reconnaissance de l’art et de la
et des moyens, comme : nique), manque de formation artis-
culture autrement que comme ob-
-- des financements dédiés à l’art tique pour les productions d’équipe
jet de loisir, et à les dissocier d’une
et à la culture, dans leur pré- (théâtre, danse).
revendication identitaire au sens le
sence quotidienne (au-delà des
plus strict du terme : l’un et l’autre • Difficultés d’accès à l’art pour les
événements-phares comme les
enferment l’art dans des limites qui enfants et adultes de zones rurales
festivals),
l’empêchent de jouer son rôle, dans isolées ou de certains quartiers ur-
-- la mobilisation de dispositifs
la sphère individuelle comme dans bains : c’est ainsi que dans tous les
nationaux d’appui à l’art et à la
la sphère collective territoires d’Outre-mer, des artistes
culture (aides à la diffusion, à la
• Être accepté dans son originalité, essaient d’inventer des formes ou
du côté de la France hexagonale, des projets qui leur permettent de
toucher le public – majoritaire – qui
ne fréquente pas les lieux dédiés à artistes ne bénéficient pas des op- réseaux (européens, internationaux),
la culture : portunités offertes par la trame du auxquels jusqu’ici les artistes d’Outre
-- projet de la chorégraphe Léna secteur en France (petites salles, mer ont assez peu accès, du fait de leur
Blou : spectacles de danse échanges de services, diversité des méconnaissance de cette réalité, et des
moderne dans les communes expériences…) moyens de s’y inscrire, et/ou de l’ab-
(Guadeloupe) • Faiblesse des moyens mobilisables : sence ou l’insuffisance d’intérêt pour
-- Gerty Dambury, auteur et metteur la fragilité économique des territoi- les artistes d’Outre mer des institutions
en scène : Création de la pièce res d’Outre-mer vaut aussi pour le en charge de l’appui aux échanges
« Confusions d’Instants » dans secteur artistique et culturel : il n’y internationaux.
la cour d’une cité aux Abymes a pas de véritable co-productions
(Guadeloupe) possibles à l’intérieur des terri-
-- Programme d’art dans l’es- toires. Les productions s’appuient
pace public (Mairie de Fort de quasi exclusivement sur les finan- 6 - Et pour ne pas
France - Martinique)
-- Cie KS and Co en Guyane : travail
cements croisés de l’État et des
Collectivités.
conclure…
théâtral à partir des différentes
cultures présentes en Guyane, Dans ce contexte, l’importance de la
dans une démarche de théâtre présence de l’art en milieu scolaire, dès Bon nombre des enjeux traités ici
solidaire, qui a sollicité un label le plus jeune âge fait l’unanimité, sur le sont communs à l’ensemble des ar-
de l’Unesco, au titre de la sauve- principe. Tous ceux et celles qui ont l’ex- tistes, de l’Outre-mer ou d’ailleurs.
garde de cultures en danger de périence de la rencontre entre l’enfant Mais à l’heure où le secteur culturel
disparition et l’art, lorsqu’elle est convenablement d’Outre-mer cherche ses voies de dé-
-- Jo Ferly, plasticienne : ouverture construite, en connaissent les impacts veloppement professionnel, quand le
d’un lieu de résidences artistiques potentiels : modèle économique du secteur culturel
accompagné d’un programme • augmentation de la créativité hexagonal est en crise, et que la réforme
de sensibilisation des publics individuelle, des collectivités territoriales menace
(Guadeloupe) leur précaire équilibre, il serait intéres-
• impact positif sur la posture scolai-
-- Il est à noter que cette problé- sant que, dans ce domaine comme dans
re, réévaluation de soi-même dans
matique existe aujourd’hui en d’autres, artistes, acteurs culturels et
les cas d’échec scolaire,
France métropolitaine aussi, pour institutions cherchent à construire des
• impact sur la capacité d’insertion cadres innovants, s’appuyant sur des
d’autres raisons : il faut renouer
sociale, analyses fines des réalités ultramarines :
avec un public populaire qui a été
capté par des supports comme • capacité à intégrer des données leurs contraintes économiques, leurs
la télévision, alors que l’art et la culturelles nouvelles, capacité à besoins sociaux et territoriaux, leurs
culture s’orientaient vers des for- construire une vision critique. positions aux carrefours géographiques
mes pointues, sans qu’une média- de différents continents, leurs solida-
tion soit installée. Elle prend une rités et leurs dynamiques particulières,
importance particulière sur des 5 - Les enjeux les richesses de leur diversité.
territoires d’Outre-mer où d’autres
facteurs s’ajoutent : problème internationaux Plus d’informations sur les artistes de la
de langue, d’accessibilité (insuf-
fisance des transports publics), Caraïbes : www.gensdelacaraibe.com
de moyens financiers (une large Du fait de leur économie de petite
partie de la population vit avec les taille, les régions d’Outre-mer doivent Pour contacter Fabienne Pourtein :
minimas sociaux, sans parler de la impérativement tisser des relations avec La Maison des Suds -ingénierie cultu-
jeunesse qui n‘y a pas accès), d’autres pays, d’autres territoires, no- relle : contact@maison-des-suds.org
• Isolement de l’insularité : diffi- tamment ceux de leur environnement
cultés à monter des tournées, à géographique, pour que leurs initiatives ////////////////////////////////////////
sortir de l’une ou l’autre île, ou de soient viables, et pour entrer dans de
circuler à l’intérieur des régions véritables circuits d’échanges artisti-
plus grandes. Or la répétition des ques et culturels, qui nourrissent les
représentations, la confrontation pratiques professionnelles, sous toutes
avec différents regards critiques les latitudes.
(publics et professionnels) sont es- L’Océan Indien pour la Réunion, les
sentiels pour qu’une création vive, Caraïbes pour les Antilles et la Guyane,
et pour que l’artiste grandisse… ainsi que l’Amérique Latine pour cette
S’installe alors un cercle vicieux : dernière région (notamment le plateau
l’artiste en manque d’expérience des Guyanes : Surinam, Brésil) sont
pratique ne convainc pas les pro- les premiers terrains « naturels » de
fessionnels de l’Hexagone. À force dialogue pour les artistes et acteurs
de rencontrer les mêmes manques, culturels.
ces derniers tendent à généraliser
les insuffisances rencontrées, et Mais l’art aujourd’hui évolue dans
ne programment pas d’artistes la confrontation critique des regards,
d’Outre-mer… Sans voir que ces des cultures, à travers les échanges, les
26 Panorama et enjeux des formes artistiques en Outre-mer
KrÉyol Factory
Exposition au Parc
de la Villette
avril-juillet 2009
Claude David-Basualdo,
est conseillère artistique, chef de projet des expositions à la direction de la programmation culturelle du Parc de la Villette
Retour sur l’exposition Kréyol Factory, présentée en 2009 dans la nef de la Grande Hal-
le dont l’objet était d’inviter des artistes à questionner les identités créoles. Claude
David-Basualdo nous propose ici un éclairage sur l’élaboration de cette exposition,
l’approche thématique, les choix artistiques et les langages esthétiques présentés par
les soixante-deux artistes.
Philippe Thomarel
« Histoires parallèles », 2001-2008
© photo Jean-Marc Sicard
l’œuvre est liée à ces questions. L’expo- sur l’ensemble du parcours. Soit un en- soi – de loin, donnant à voir, à sentir
sition rassemblait les créations de 62 semble de 80 œuvres d’art plastique, les complexités d’un questionnement
artistes – plasticiens, vidéastes, photo- installations, deux vidéo-art et 250 pho- identitaire liées à l’histoire, à des pro-
graphes – originaires des Caraïbes et du tographies. Cette muséographie était cessus de créolisations et aujourd’hui
monde i ndo-océanique mais aussi pour complétée par 9 espaces de projection, aux effets de la mondialisation.
certains, d’Afrique ou des États-Unis. distribués selon les différentes théma-
Nos peuples trouvent leurs racines - ou
tiques, et présentant des montages
Qu’ils travaillent sur leurs terres plus exactement, peuvent retracer leurs
audiovisuels de documentaires - dont
d’origine ou dans un pays d’élection, ces « routes » ici et là - aux quatre coins du
certains produits spécialement pour
artistes, par leurs créations, écartent globe, en Europe, en Afrique et en Asie,
l’exposition -, films centrés principale-
tout regard en quête d’exotisme, toute et furent contraints de cohabiter dans
ment sur des témoignages de Caribéens
approche ethnologique située dans le quatrième « coin » : ainsi se forma la
et d’Indo-océaniens.
une perspective idéelle, sans lien avec « scène primitive » du Nouveau Monde.
l’histoire ou les contacts avec d’autres Pour la réalisation de cette expo- Les racines et leurs routes sont tout sauf
sociétés. Leurs œuvres, reformulant les sition, le Parc de la Villette a engagé, « pures ». La grande majorité est d’ori-
langages plastiques contemporains, outre sept commandes photographi- gine africaine, mais c’est une origine qui,
s’avèrent les témoins d’un réel dyna- ques, des commandes spécifiques comme l’aurait dit Shakespeare, va du
misme qui, par les voies de l’imaginaire auprès de plasticiens martiniquais. « nord au nord-ouest ». Nous savons que
et de l’esthétique, crée autant d’univers (Thierry Alet, Bruno Sentier), d’origine ce terme, « Afrique », est, en tout état de
symboliques. Se forgeant à l’écoute et réunionnaise (André Robèr) et haïtien cause, une construction moderne qui fait
dans la pensée du monde, les « identités (Mario Benjamin). référence à toute une variété de peuples,
créoles » se révèlent des espaces d’hy- de tribus, de cultures et de langages dont
L’exposition, scénographiée par Ray-
bridations et de possibles infinis. le point commun originel principal réside
mond Sarti, s’ouvrait par l’œuvre de Jane
dans la confluence du trafic d’esclaves […]
KrÉyol Factory permettait de décou- Alexander Intégration Programme : Man
vrir de nombreuses installations, certai- with TV, évoquant un des fils rouges de L’« Afrique » présente dans cette partie
nes faites d’accumu- du monde est ce que l’« Afrique » est de-
lation (Jean-François Se forgeant à l’écoute et dans la pensée du venue partout dans le Nouveau Monde.
Boclé, Ernest Breleur, Elle est passée, en même temps que des
monde, les « identités créoles » se révèlent des
Bruno Pédurand…), de éléments issus des cultures espagnoles,
espaces d’hybridations et de possibles infinis.
transformation et de anglaises, françaises, hollandaises, portu-
recomposition d’objets gaises, indiennes, chinoises et libanaises,
ou d’images (Mario Benjamin, Jorge Pi- à travers le vortex violent du syncrétisme
neda, Limber Vilorio…). KrÉyol Factory, l’imposition des valeurs colonial, dans une hybridité concoctée au
de la culture dominante dans le contex- cœur même de la marmite coloniale.
D’autres œuvres – huiles sur toile, te de la colonisation. Puis, l’extrait du
photographies, sculptures – procédaient Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Ce résultat hybride ne peut plus désor-
d’un registre autre : celui du détourne- Césaire, transposé plastiquement par mais être à nouveau séparé des éléments
ment/retournement d’images, de codes, Thierry Alet, signait l’hommage de l’ex- originaux « authentiques » qui le compo-
de signes religieux ou publicitaires, position au poète de la négritude. sent […] La logique culturelle ici à l’œuvre
réalisé sur le mode de l’humour, de la est manifestement transculturelle, c’est
causticité ou encore de la provocation La pensée de Stuart Hall, sociolo- celle d’une « créolisation »…
(Renée Cox, Bruno Peinado, Miguel Lu- gue britannique d’origine jamaïcaine,
« père » des Cultural Studies, a inspiré Stuart Hall
ciano, Fred Wilson…).
la structure de KrÉyol Factory en sept In Identités et cultures,
Des séries photographiques, desti- séquences : Traversées, Le trouble des Éd. Amsterdam - Paris, 2 007
nées à actualiser les représentations des genres, L’Afrique « communauté imagi-
mondes caribéens et indo-océaniques, née », « Noir Comment ? », Des îles sous
venaient ajouter un « effet de réel » influences, Les nouveaux mondes, Chez
28 Panorama et enjeux des formes artistiques en Outre-mer
Bruno Peinado
“The Big One World”, 2000
Collection FRAC Poitou-Charentes
© Adagp, Paris 2009/photo Christian Vignaud
Patrick Vilaire
« Baron Samedi », 1992
Audry Liseron Monfils © photo Rafaelle Castera/Imagine Ayiti
« Rétrovision IV », 2 007
© Photo Audry Liseron Monfils
Philippe Thomarel
« Histoires parallèles », 2001-2008
© photo Jean-Marc Sicard
Musiques Métisses :
un festival autre
Damien Gregoire,
chargé de communication 2007-2010 de Musiques Métisses
et chargé de production de l’événement Musicas Mesticas à Salvador de Bahia (Brésil)
L’année 2010 fût l’occasion de fêter l’anniversaire d’un festival d’un âge
honorable : 35 ans, trente cinq années en effet, que le festival Musiques
Métisses d’Angoulême existe et accompagne les artistes du monde entier.
Profitons de cet anniversaire pour tenter de mieux cerner cet événement
atypique.
Supplément
d’âme : le village
indéniables. Le public est lui-aussi fidèle internationale – dans son champ artis- Quartiers Lumières - opération bien
aux événements alentours. tique et tous ont participé à l’irrigation nommée – imaginée par Jack Lang,
culturelle de leur territoire de proximité. ancien ministre de la Culture, vise à ce
Pour le seul département de la Cha-
rente, trois exemples réputés : qu’aucun quartier ne soit laissé dans un
silence ségrégateur ; l’organisation de
• Festival de Confolens (arts et tradi-
tions populaires du monde) : 53 ans Les artistes concerts et d’actions dans toute la ville
et l’agglomération est chaque année
• Festival International de la Bande chaleureusement accueillie par le public.
Dessinée d’Angoulême : 37 ans
Pionnier dans la programmation d’ar- Pour rendre encore plus visibles et
• Blues Passion à Cognac : 18 ans
tistes stars pour les diasporas (Youssou populaires les actions, le festival a ima-
N’Dour pour les sénégalais, Salif Keïta giné le Village, comme point d’orgue à
Et un peu plus loin : pour les maliens, Kassav pour les an- chaque édition de Quartiers Lumières.
• Les Francofolies de La Rochelle : tillais…), Musiques Métisses valorise les
Le Village est le lieu de rencontre de
26 ans artistes en leur offrant des conditions
tous les publics, des artistes, des an-
• Les Francophonies en Limousin : de jeu, de répétition et parfois de créa-
goumoisins, des familles, des jeunes,
27 ans tion de qualité toujours professionnel-
des vieux… Durant le temps du festival,
les. L’accompagnement des artistes est
c’est tout le site de la manifestation
Chacun de ces festivals est devenu très souvent orienté vers une profes-
(Île de Bourgine, au pied d’Angoulême)
à sa manière une référence – parfois sionnalisation de leur pratique et une
qui devient une vraie et grande place
32 Panorama et enjeux des formes artistiques en Outre-mer
de village. On y trouve Véritable âme du festival, le Village est un Les publics cibles sont les personnes
plusieurs espaces de dis- lieu de rencontre et de partage, un lieu de défavorisées ou n’ayant aucun accès
cussion, de palabres, de détente et de découverte, d’éducation et de à la culture. Chaque année près de
débat. On y vient pour les 1 000 passeports sont ainsi distribués
citoyenneté.
concerts, les animations et donnent accès aux concerts à 3 000
de rue, les expositions, personnes.
pour manger et se désaltérer, pour écou-
ter des écrivains, participer aux débats,
se renseigner sur les associations… L’Espace des
Ciné Métis
Véritable âme du festival, le Village Solidarités
est un lieu de rencontre et de partage,
un lieu de détente et de découverte, En partenariat avec les salles de ci-
d’éducation et de citoyenneté. Catalyseur de forces et d’initiatives néma du département et l’association
de développement local ou interna- Ciné Passion 16 qui les fédère, nous
tional, cet espace est l’âme du Village. organisons une programmation de ci-
Jusqu’à trente associations par édition néma africain. Une première sélection
Cuisines sont accueillies et proposent exposi-
tions, animations, rencontres. Cette
est faite grâce à notre partenaire Poi-
tou-Charentes Cinéma (Région Poitou-
du Monde mise en avant est une vitrine annuelle Charentes) puis nous laissons les salles
exceptionnelle, qui permet de dynami- décider du choix de leurs films dans
ser significativement le tissu associatif cette sélection.
Projet impulsé par et pour le festival, régional.
Cuisines du Monde est le projet phare né Chaque projection est présentée par
de l’opération Quartiers Lumières. Tou- un intervenant (journaliste, sociologue,
jours dans l’idée de n’écarter personne, cinéaste), et se poursuit par un débat
avec les spectateurs.
de partager une même ville tout en va-
lorisant artistes et cultures Cuisines du
Littératures
Monde valorise les gens, les habitants. Métisses
Ici, il s’agit d’un collectif de femmes
habitant plusieurs quartiers populaires Un mois avant
d’Angoulême qui assurent la restaura- Comment écrit-on lorsque l’on vit
tion du festival et font découvrir leur dans un pays qui n’est pas le sien ? le festival :
cuisine, partie intégrante de leur culture. Comment écrit-on et décrit-on son pays
d’origine ou d’accueil ? Dans quelle lan-
opération
En proposant plusieurs plats à la
carte par repas pour l’équipe et les fes- gue ? Pourquoi ? décentralisation
tivaliers, Cuisines du Monde est vite de- Cet événement littéraire fait la part
venu un exemple d’initiative d’insertion belle à la découverte d’auteurs, de leurs
éco-citoyenne. œuvres, de leurs univers… En lien avec Depuis 12 ans, les opérations décen-
la programmation musicale, Littératures tralisées du Festival Musiques Métisses
Cuisines du Monde existe toujours :
Métisses a depuis 10 ans une thématique se sont affirmées comme de véritables
c’est aujourd’hui un projet d’insertion
qui permet aux auteurs de se découvrir outils de développement territorial et
qui fonctionne à l’année avec un restau-
des points communs à travers leur his- d’élargissement des publics.
rant ouvert midi et soir.
toire personnelle et leur écriture. L’enracinement des résidences d’ar-
tistes sur les territoires du département
a permis d’ouvrir ces actions au plus
Etik en Musique Passeport
grand nombre et de structurer de lar-
ges partenariats avec les collectivités
locales et les relais locaux : Pays, Com-
Il s’agit d’une association intimement
pour Tous munautés de Communes, Communes,
associations, écoles, lycées, collèges,
liée à Musiques Métisses, avec pour idée
structures culturelles…
principale la promotion d’un commerce
Imaginée il y a 12 ans plus tôt « Pas-
équitable, éthique, à base de produits Logés « chez l’habitant », les grou-
seport Pour Tous » est une opération
bio. Précurseurs de cette vague actuelle, pes invités animent, durant une à deux
qui fait appel à la générosité et à la phi-
Etik en Musique fut parmi les premiers semaines, des ateliers, débats, master
lanthropie d’entreprises, d’institutions
défenseurs de ces valeurs. On trouve classes en milieu scolaire ou associatif,
et de particuliers de la région. Le prin-
donc sur le stand du textile bio et équi- en amont d’une soirée spectacle orga-
cipe est simple : Musiques Métisses vend
table, du café et des produits équitables. nisée localement. Toutes les conditions
des « passeports » (pass 3 jours, soit 3
À l’ombre du stand, des débats sont de rencontres et d’échanges entre les
accès aux concerts payants de la Grande
organisés pour sensibiliser et question- publics et les artistes en résidence
Scène) à ces opérateurs ou particu-
ner le public sur la démarche, sur des sont réunies autour de ces opérations
liers qui les redistribuent ensuite aux
thèmes de société, et sur les questions interculturelles, pédagogiques et de
partenaires du festival agissant dans
de développement durable. diffusion. Au-delà de ces échanges, ces
le champ social et celui de l’insertion.
Panorama et enjeux des formes artistiques en Outre-mer 33
Logés « chez l’habitant », les groupes invités Christian Mousset Festival Musiques Métisses
animent, durant une à deux semaines, des ate- préside actuellement 36e édition - du 10 au 12 juin 2011
liers, débats, master classes en milieu scolaire Zone Franche, le ré- île de Bourgines – Angoulême
seau des Musiques www.musiques-metisses.com
ou associatif, en amont d’une soirée spectacle
du Monde qui vient
organisée localement. Toutes les conditions de de mettre en place
rencontres et d’échanges entre les publics et une cellule spécifique
////////////////////////////////////////
les artistes en résidence sont réunies autour de « visas artistes » pour
ces opérations interculturelles, pédagogiques aider les membres du
et de diffusion. réseau à débloquer les
situations complexes
actions permettent de tisser des liens
concernant la délivrance des visas.
entre des publics ruraux et urbains, de
travailler à la mise en place de relations Le réseau est aussi constitué des pro-
durables entre les différentes commu- fessionnels de la production que le fes-
nautés du territoire charentais. tival a su accompagner ou pour lesquels
il a contribué à déclencher la création
d’activités. Le passage à Angoulême
étant devenu une petite consécration
Un festival pour certains artistes, tout du moins un
tremplin à la diffusion et à la circulation
en réseau de leurs œuvres, les lauréats du prix RFI
et prix de l’Océan Indien sont invités à
chaque festival.
Le développement de Musiques Mé-
tisses est lié aux soutiens de longue date
des partenaires financiers, logistiques et
techniques. Pour conclure,
En premier lieu la complicité des col-
lectivités locales permet d’imaginer et
d’inventer de nouvelles actions tout en Le lien créé entre le festival, le public,
s’assurant du maintien de l’existant. les artistes, les partenaires, les profes-
sionnels a permis de maintenir et déve-
La ville d’Angoulême, la Communauté lopper un projet citoyen autour d’une
d’Agglomération, le Département de la programmation musicale exigeante. Il
Charente et la Région Poitou-Charentes est ambitieux de proposer des artistes
sont les premiers partenaires de la dé- rares, parfois méconnus à un public de
centralisation. Ces territoires sont acti- 50 000 à 60 000 personnes par an, dans
vement impliqués dans les actions hors une ambiance familiale.
les murs, notamment l’accueil d’artistes.
Le soutien financier qu’ils apportent aux L’ancrage territorial est extrêmement
actions et au fonctionnement du festi- important. Le travail de médiation date
val est indispensable à la pérennité de du début du festival, en 1976, et s’ampli-
l’association. fie chaque année. Les décentralisations
et l’élargissement à la littérature, au
Avec la DRAC, les collectivités finan- cinéma, permettent de toucher un pu-
cent le fonctionnement de l’association, blic toujours plus large et d’attirer ainsi
nécessaire à l’organisation et la coordi- l’attention sur les artistes qui se croisent
nation du Village, travail qui nécessite à Angoulême, depuis maintenant 35 ans.
des relations annuelles régulières avec
tous les intervenants. Cet événement s’est construit durant
35 années et le chemin est encore long
Les Ministères de la Culture et de espérons-le. D’ailleurs aujourd’hui, le
la Communication, des Affaires Étran- festival n’est plus seulement appré-
gères, l’Organisation Internationale hendé comme un lieu de diffusion de
de la Francophonie, Cultures France et concerts, mais comme un lieu de ren-
les Sociétés Civiles (SACEM, FCM, SPE- contre, de découverte, de solidarité et
DIDAM, ADAMI, CNV) apportent très de mixité.
régulièrement leur aide au montage de
la programmation musicale et d’actions Voilà un aperçu et un survol du
artistiques. festival au travers d’un texte… mais la
plus belle façon de découvrir Musiques
Le festival est membre de plusieurs Métisses reste de vivre l’expérience d’un
réseaux et contribue à améliorer ainsi festival. Vous y reviendrez !
la circulation et la diffusion des artis-
tes. À l’origine de nombres d’entre eux,
34 Panorama et enjeux des formes artistiques en Outre-mer
Libérer la parole,
La résidence d’artistes,
outil pédagogique
et lien avec le territoire
Isabelle Boursier,
Enseignante d’éducation socioculturelle, lycée agricole Saint-Joseph, La Réunion
Le référentiel du Baccalauréat Profes- problème mais la création artistique, l’ex- Tout le monde s’affaire ; oubliés, les
sionnel laisse une marge de manœuvre position au regard des autres… il avoue horaires habituels ponctués par l’agres-
confortable au professeur d’éducation sans honte être angoissé. Les explica- sive sonnerie ; le stage se tient dans les
socioculturelle pour la mise en place tions ont été données à maintes reprises vestiges de l’ancienne salle de spectacle,
d’une pédagogie de projet. À Saint-Jo- à ces lycéens, mais la méthode de travail transformée en salles de cours le temps
seph, dans le sud sauvage de l’île de La est tellement étrangère à leurs habitudes de la réhabilitation de l’établissement,
Réunion, la formule retenue et recondui- scolaires qu’il ne faut pas négliger une mais dont il reste une scène envahie par
te depuis plusieurs années parce qu’elle mise en sécurité psychologique, indis- du mobilier scolaire. Le soir, les trois ar-
fonctionne bien, est celle de la résidence pensable à leur adhésion, destinée aussi tistes proposent une répétition publique
d’artistes. Les élèves des trois classes à amoindrir la pression de l’évaluation du « vrai » Vavanger’s30 à leurs quaran-
de Bac Pro, mélangés pour l’occasion, (contrôle en cours de formation) et de la te-six stagiaires qui, petit à petit, pren-
participent ainsi à un stage intensif représentation finale devant leurs cama- nent conscience de l’ampleur du travail
d’une semaine, en fin de premier semes- rades et les adultes de l’établissement. nécessaire à la création d’un spectacle.
tre. Déconnectés du rythme scolaire
L’après-midi, Fabien ne se souvient Apprendre à dire, avec l’intonation, en
habituel, ils travaillent dans le domaine
plus du groupe auquel il appartient. Les adoptant une attitude corporelle adé-
artistique proposé par leur professeur
trois classes de terminale sont mélan- quate.
avec l’objectif d’une production collec-
gées pour recréer, de manière aléatoire, Faire vivre son texte,
tive, présentée en fin de semaine à un
trois groupes d’atelier. L’un se trouve avec Regarder son auditoire,
public composé des élèves de classes de
Sylvain en atelier d’écriture, un autre Trouver la dynamique, la rythmique ;
Première, de personnels de l’établisse-
avec Alex sur une composition musicale Être à l’écoute des autres,
ment et de partenaires de l’action. Au
autour d’un morceau d’Alain Peters inti- Avoir conscience de l’espace scénique.
commencement de l’action, la peur ; à la
tulé « Kaloubadia », le dernier avec Maya Mettre en musique, faire une ligne de
fin, le bonheur.
pour une mise en musique des premiers voix, tenir le morceau…
textes écrits le matin à partir des té-
Progressivement, les voix sortent, les
moignages qui avaient été recueillis en
corps se libèrent en passant par ce vec-
Ambiance-terrain amont par les jeunes.
teur magique qu’est la musique qui, par
Deux élèves sont concentrées sur contre, ne souffre pas l’approximation
l’écriture du film du stage qu’elles vont et exige une concentration implacable.
Le premier matin, les questions fu- réaliser en « tourné-monté » et deux
sent : « Madame, mais qu’est-ce qu’on autres lycéens sont avec Papa Kouyaté
va faire cette semaine ? J’ai un peu peur, en train de réfléchir aux questions scé-
moi ». Ludovic est un grand gaillard, niques, qu’elles soient techniques ou de 30 Vavanger’s : création collective (musique,
auquel le travail agricole ne pose aucun décor. chants et conte) en hommage à Alain Peters,
artiste réunionnais
Panorama et enjeux des formes artistiques en Outre-mer 35
« Vavanger’s » :
création musicale
et patrimoniale
À l’origine du projet, nous trouvons
une résidence artistique accueillie par
la commune de Saint-Joseph et finan-
cée par la DRAC. Elle réunit trois jeunes
artistes : Sergio Grondin, conteur ; Maya
Pounia, auteur-compositeur interprète -
elle chante accompagnée de sa guitare
ou de sa takamba32 ; et Alex Sorrès, mu-
sicien rappeur, réputé pour son heureux
métissage de rap et de maloya33 .
Le prétexte : Alain Peters et les 40 ans
du Cinéma Royal de notre petite com-
mune rurale et dynamique du Sud de la
Réunion. Alain Peters, installé à l’époque dans responsable du service culturel, me
le quartier de la Rivière Langevin, y en- souffle l’idée d’une résidence d’artis-
En 2008, la ville reprend la salle
registra de nombreux titres fredonnés tes. Brigitte Harguindeguy, conseillère
« quasi mythique » de plus de 400 fau-
aujourd’hui encore par les Réunionnais. DRAC, finance le projet ; le lycée agricole
teuils, en location, pour y relancer l’ac-
Le « poète maudit » a largement in- s’investira également et fera en sorte
tivité cinématographique en régie mu-
fluencé et contribué à la modernisation d’organiser au mieux emplois du temps
nicipale. Cinéma réputé dans les années
de la musique de l’île de La Réunion, et et disponibilité des salles.
quatre-vingt, l’endroit renfermait aussi
fut reconnu, tardivement, au-delà des
les Studios « Royal » dans ses sous-sols,
frontières de son île. Pour célébrer les
studios d’enregistrement de 1976 à 1979,
quarante ans du Cinéma Royal, la com-
véritable lieu de bouillonnement cultu-
rel et d’expérimentation musicale.
mune commande donc en 2009 une Contenu du projet
création collective autour des textes
d’Alain Peters aux trois jeunes artistes,
par le biais d’un partenaire culturel, « Vavanger’s » est un projet qui ré-
31 Alain Peters, artiste réunionnais, auteur-com- l’association « En Faim de Contes ». En pond aux recommandations pédagogi-
positeur-interprète, précurseur de l’ouverture septembre 2010, la première de « Vavan- ques du module d’éducation sociocultu-
musicale réunionnaise aux influences mondia- ger’s » est donnée au festival « Rumeurs relle de Bac Pro et vise à permettre aux
les dans les années soixante-dix
Urbaines » à Colombes. À Saint-Joseph, élèves de :
32 Luth africain utilisé par les griots du Sahel
les liens sont forts entre le lycée agri- • se découvrir, s’accepter et dévelop-
33 Musique traditionnelle réunionnaise, inscrite
au Patrimoine mondial de l’UNESCO cole et son territoire. Christine Assing, per leur sensibilité artistique
36 Panorama et enjeux des formes artistiques en Outre-mer
////////////////////////////////////////
Un exemple nous est proposé ici de positionnement d’un lycée agricole sur son terri-
toire comme un acteur de développement culturel local. Le lycée agricole de Pouem-
bout en Nouvelle-Calédonie fonctionne, dans le cadre de son volet culturel, comme un
centre culturel proposant à la communauté éducative du lycée, mais aussi à tous les
acteurs de ce territoire, (habitants, associations, collectivités…) une offre culturelle
diverse et régulière, que l’on peut qualifier de saison culturelle.
du pays, de l’Océanie et du Pacifique. Un comédiens, à une émission sur RFO-ra- est venu animer un atelier d’écriture
des tout-premiers projets d’utilité so- dio à Nouméa… De la même manière, pour les amener à réécrire les histoires
ciale que j’ai conduit a été une construc- certaines de nos actions ou réalisations dans un style littéraire. Sur les 24 textes
tion de case traditionnelle de 7 mètres peuvent être extériorisées. J’accompa- proposés par les élèves, l’intervenant en
de diamètre, au sein du lycée, avec la gne souvent des collègues d’Économie a choisi trois qui allaient être portés sur
contribution des anciens de la région. Familiale et Sociale (EFS), comme Isabel- scène par les jeunes.
Par ailleurs, nous avons valorisé le tres- le PY, dans des actions visant à valoriser
Parallèlement, la première promotion
sage et la vannerie en faisant intervenir des activités qu’elles mettent en place
de Bac Pro, accompagnée d’un interve-
des femmes des tribus pour apprendre et nous intervenons auprès de person-
nant en arts visuels, a eu à traduire les
aux jeunes à tresser. nes âgées, de personnes handicapées
trois histoires en images, pour en faire
et de la petite enfance, notamment
Afin de sensibiliser les élèves à cette des albums de jeunesse et concevoir
avec les classes de BEPA Services aux
pratique qui a tendance à disparaître, également des planches devant servir
Personnes.
nous avons effectué avec eux une visite de décor au spectacle des BTA.
au Musée de Nouvelle-Calédonie et au
Comme pour la réécriture, les illustra-
Centre Culturel Tjibaou ; ils ont mené
Projet 2 : tions sont réalisées lors d’une semaine
des recherches documentaires pour
banalisée. L’année d’après, les mêmes
réaliser des panneaux-photos explicatifs Avec une autre collègue d’EFS, une élèves ont pu bénéficier d’un autre sta-
sur le sujet. Les jeunes ont également classe de Bac Pro Services en Milieu ge collectif en infographie et proposer
participé, avec une association parte- Rural a participé au deuxième Salon de une mise en page pour chacun des trois
naire - Jë Vë Fata - à la confection de la l’horticulture, à Pouembout. Les élèves albums de jeunesse. Ils passeront le relai
plus grande natte du pays (50 mètres de ont été amenés à réaliser : un ques- à la promotion suivante qui sera char-
longueur sur 4 mètres de large). tionnaire en vue d’une enquête de sa- gée de la mise en son des trois histoires,
Au fil des années, et grâce aux pro- tisfaction, un dépliant comme support des enregistrements et de la réalisation
ductions collectives issues des pratiques de communication, une conférence de d’un premier film d’animation. Une
artistiques, nous avons constitué un presse en vue de la médiatisation et l’ac- dernière promotion de la même filière
patrimoine intéressant pour l’établis- cueil sur le site (billetterie, orientation réalisera les deux autres films d’anima-
sement. Les réalisations d’élèves sont et entretien avec le questionnaire). Les tion sur deux années consécutives et
régulièrement exposées au lycée et, élèves étaient enthousiastes et telle- toujours avec le même engouement que
parfois, à l’extérieur. Il nous arrive aussi ment impliqués qu’ils en sont venus, de chez les premières promotions.
de valoriser des travaux d’autres éta- leur propre gré, à réclamer des brouet-
blissements, comme ce fut le cas d’une tes pour transporter les plantes pour les
maquette de pirogue traditionnelle réa- visiteurs- acheteurs.
lisée dans un lycée de l’Éducation Natio- Tous les ans, une autre collègue d’EFS, La question de
nale, occasion de motiver nos élèves à Touriya TIDJINE, amène une classe de
effectuer des recherches sur le peuple- cette même filière à participer à la Foire
la valorisation
ment de la Nouvelle-Calédonie et sur la de Bourail, l’un des plus anciens salons
civilisation du Lapita36. Nous recevons d’agriculture et parmi les plus prisés du
régulièrement des expositions d’artistes Sur une initiative de la responsable
pays. Quant à moi, je les accompagne
du pays et parfois de la région Pacifique du CDI, Christine DAVEE, les élèves ont
parfois au niveau de la communication,
– comme l’exposition internationale été invités, par la bibliothèque Ber-
de la médiatisation (dossier de presse,
que nous a confiée, en 2007, le Consulat nheim, à prendre une part active au
conférence de presse, revue de presse
d’Australie, avec d’authentiques gra- 2e Salon International du Livre Océanien
etc.). Lors des conférences de presse
phismes du Détroit des Îles Torres. Nous (S.I.L.O.), dans le grand Nord, à Hienghè-
destinées à avoir un écho important
avons aussi la chance de continuer à ne. Ils étaient chargés d’accueillir le pu-
dans les médias (presse écrite – radio
travailler avec le Centre Tjibaou qui nous blic scolaire - 300 jeunes et moins jeu-
et télévision), les élèves sont en tenue
prête parfois des expositions et nous nes en deux matinées – et d’assister des
professionnelle.
fait profiter de l’accueil de certains ar- professeionnels du livre et de l’édition,
tistes comme ce fut le cas avec la com- à l’encadrement d’activités. Une démar-
pagnie de théâtre TALIPO, de la Réunion, che de communication grandeur nature
Projet 3 : a été mise en place : constitution d’un
qui s’est produite au lycée pour le plaisir
du grand public et avec qui nous avons Il concerne la conception et la réalisa- dossier de presse, conférence de presse
vécu des instants fabuleux : invitation tion de trois albums de jeunesse, abou- au lycée pour expliquer la commande et
et communication, accueil des acteurs tissement d’un investissement collectif l’action aux journalistes. Cela a supposé
et installation, participation des élèves, intense. Ce projet a associé, sur cinq un entraînement à la prise de parole
depuis Pouembout, en duplex avec les années, huit classes issues de quatre devant un public de professionnels, et la
promotions de la même filière « Services réalisation de jeux de rôles pour simuler
en Milieu Rural ». l’accueil du jeune public.
36 Civilisation du Lapita : le terme Lapita a été attri- Il a commencé avec la dernière pro- Cette initiation à l’action profession-
bué à la culture des populations austronésiennes
motion de BTA. Les élèves ont eu à col- nelle avait aussi pour objectif avoué,
originaires de Taïwwa qui ont peuplé l’Océanie, il
y a environ 3500 ans. C’est le nom donné au site lecter des contes, des légendes et des la promotion des albums de jeunesse
archéologique de Koné par où les premiers habi- mythes, dans leurs langues respectives en cours de réalisation. Nous avons
tants sont arrivés en Nouvelle-Calédonie. C’est avec leurs traductions en français. L’an- rendu service mais nous nous n’avons
là que les premières poteries de cette culture,
reconnaissables à leurs décors spécifiques, ont née d’après un intervenant en théâtre pas oublié de valoriser nos propres
été découvertes.
40 Panorama et enjeux des formes artistiques en Outre-mer
productions : dessins, tableaux de pein- Le projet est également présenté recherches sur les musiques tradition-
ture et autres écrits d’élèves… Nous au département « Langues et Cultures nelles à partir de bambous pilonnants
avons donc sollicité un espace d’expo- Régionales » (L.C.R.) de l’Université de la appelés aussi bambous « tempérés »38.
sition lors de ce salon ; notre stand a Nouvelle-Calédonie, où nous sommes Il s’agit d’une production collective qui
connu un beau succès et nous avons invités. nécessite une bonne cohésion du grou-
eu des encouragements de la part de pe. Les élèves ont ainsi créé plusieurs
Les étudiants présents sont enchan-
tous les visiteurs. Mon apport personnel mélodies pour les deux films d’anima-
tés du travail effectué. Nous avons éga-
concernait la communication et l’anima- tion issus des histoires kanak.
lement l’occasion d’échanger avec des
tion. Nous avons mis deux mois à conce-
tout-petits et leurs parents dans une Dans un premier temps nous avons
voir des tenues d’accueil ainsi que des
maison de quartier, à Montravel, en re- travaillé avec les moyens du bord. L’en-
chapeaux et des casquettes en feuilles
lation avec l’association S.E.L. (Solidarité registrement est effectué au lycée : les
de pandanus37 tressées.
par l’Échange Local). élèves sont conteurs, d’autres sont pre-
L’année d’après, la même classe neurs de son. Mais la qualité médiocre
Par la suite, le projet est présenté au
poursuit la publicité autour des albums du son obtenu, nous a amenés à faire
premier salon « Espace Oralité », puis
ainsi que la recherche de financements appel à R.F.O. Tous les enregistrements
au festival culturel du Mont Dore, une
pour l’édition des albums, sous la forme des voix et des musiques sont repris en
commune du Sud, dans le
studio avec un ingénieur du son ; ce qui
Grand Nouméa, et, enfin
Le projet est également présenté au dé- garantit aux trois films, une qualité so-
au Carrefour des associa-
partement « Langues et Cultures Régiona- tions, plus près du lycée, à
nore irréprochable.
les » (L.C.R.) de l’Université de la Nouvelle- Pouembout. Le projet est En conclusion, on peut avancer que
Calédonie, où nous sommes invités. bien reçu partout, aussi le plus important dans l’ensemble de
bien par les enfants que ces projets, n’est pas tant la production
d’une action professionnelle conduite
par les jeunes et les adultes. – même s’il faut avoir une exigence de
en pluridisciplinarité avec une collègue,
qualité - que l’assurance et la confiance
enseignante d’économie, Elisabeth LA- Nous poursuivons notre recherche de
que les élèves finissent par acquérir et
MARTINE. Des contacts sont pris auprès financements, avec la ferme intention
par réinvestir dans d’autres occasions
des institutions : courrier, téléphone, de passer à l’édition et à la publication
de leur vie scolaire, personnelle voire
fax, exposé oral, d’abord devant notre des trois albums accompagnés de leurs
professionnelle.
principal bailleur de fonds qu’est la Pro- CD et DVD, en français et mais aussi
vince Nord, puis en différents lieux, à dans les langues d’origine des contes. La Enfin, il est important de rappeler
Nouméa, la capitale. toute nouvelle structure, l’Académie des que l’ensemble de ces projets et la mul-
Langues Kanak, s’est engagée à nous tiplicité des partenaires impliqués ont
La classe est organisée en groupes de
faire traduire les textes par des locu- conduit, au fil du temps, à situer le lycée
4 ou 5 jeunes. Chaque groupe dispose de
teurs attitrés. Aujourd’hui, les albums comme un établissement ressource au
son propre diaporama et présente, selon
sont presque prêts et deux films sont sein de son territoire, tant vis-à-vis de
les lieux d’accueil, le projet des albums
terminés. Le troisième est en cours de la population proche, que des autres
de jeunesse ainsi que le film réalisé par
montage. Chacun des films est réalisé établissements scolaires ou des acteurs
toute la classe : Internat du Lycée du
sur 2 ans. culturels.
grand Nouméa, où nous sommes héber-
gés pour la semaine, collège Champa- Concernant les histoires figurant
gnat (catholique) où nous échangeons dans les albums de jeunesse, l’une vient Cela contribue à construire
avec une classe audiovisuelle ; Lycée de d’Ouvéa, en langue iaai ; elle raconte une image très positive de l’éta-
Do Kamo (protestant) ; Collège de Ma- la malédiction d’un enfant qui n’a pas blissement, comme un lieu de
genta (public) et Lycée Jules Garnier (pu- respecté les interdits de son clan. La
formation ouvert sur son envi-
blic). Les hôtes font remarquer l’aisance deuxième provient d’une langue de
des élèves dans la prise de parole devant Pouébo, au nord de la grande terre, le
ronnement et pleinement acteur
des publics différents. Ils sont surtout djawe ; elle raconte les souffrances et la
d’une politique de développe-
enchantés de visionner un film d’élèves délivrance d’une femme éprouvée par ment local.
et d’échanger directement avec les réa- la méchanceté de son mari. Quant à la
lisateurs qui sont aussi jeunes qu’eux- troisième, elle a été proposée par une
mêmes. élève originaire de Wallis et Futuna, un ////////////////////////////////////////
archipel polynésien dans le Pacifique. La
légende raconte l’aventure d’un enfant
né sous la forme d’une noix de coco et
rejeté ses parents ; il revient régulière-
ment hanter son île natale, à chacun de
ses anniversaires.
Les musiques d’accompagnement de
cette dernière histoire, ont été jouée par
des élèves Wallisiens et Futuniens du 38Bambous « tempérés » : instruments tradition-
lycée. Pour les deux autres histoires, des nels remis au goût du jour par Hervé LECREN.
rythmes sont produits grâce à l’assis- Ce sont des petits morceaux de bambous dé-
37 Pandanus : une plante tropicale à fibre de la coupés de différentes dimensions dont les jeu-
famille des Pandanaceae, répandue dans le Pa- tance d’un intervenant du Conservatoire nes jouent en frappant le sol. Les sons obtenus
cifique. Ses longues feuilles vertes et luisantes de musique, Hervé Lecren, qui a fait des - des sonorités vibrantes - sont différents selon
servent à faire de la vannerie (natte, sac…) la taille de chacun des morceaux de bambou.
Panorama et enjeux des formes artistiques en Outre-mer 41
L’appropriation
des situations :
une condition d’insertion
Patrick Mayen,
Professeur, Unité de Recherche « Développement professionnel et formation ». Eduter, Agrosup Dijon
La capacité de fréquenter les situa- se débrouiller, ou des Les situations sociales ordinaires nous
tions de la vie sociale et professionnelle situations qu’il pouvait sont si familières qu’elles nous paraissent
avec succès est une condition d’inser- assimiler à des situations naturelles et qu’il ne nous vient pas à l’esprit
tion sociale, scolaire, professionnelle connues mais qui lui ont
que cette familiarité résulte d’un processus
et citoyenne. Les déplacements hors demandé un gros effort
de son espace familier, les transactions d’adaptation. La situation
d’apprentissage.
administratives, les démarches de re- qui consiste à traverser innées ni des capacités qui se dévelop-
cherche d’emploi, les interactions de la rue dans une ville présente toutes les peraient de manière spontanée et iden-
soin, les situations professionnelles, caractéristiques d’une situation familiè- tique pour tous. Les situations sociales
les situations scolaires ou même les re. Nous n’avons pas besoin de réfléchir ordinaires nous sont si familières qu’el-
situations dites de loisir telles qu’entrer pour agir surtout quand nous nous trou- les nous paraissent naturelles et qu’il
au musée, à la piscine, au concert ou au vons dans un environnement familier. ne nous vient pas à l’esprit que cette
restaurant et bien d’autres encore, sont En revanche, dès lors que nous chan- familiarité résulte d’un processus d’ap-
susceptibles de causer de grandes, voire geons de pays, de système de signes prentissage. Pour chacun d’entre nous,
d’insurmontables difficultés. Le terme et de langue nous sommes obligés de certaines situations essentielles de la vie
d’exclusion prend alors tout son sens. changer de pratiques et d’adapter nos sociale ont été appropriées sans qu’il ait
modes de raisonnement et d’action aux été nécessaire d’y penser. Les conditions
conditions culturelles qui composent la ont été telles que de l’apprentissage
situation devenue moins familière. Tra- s’est fait, que des compétences se sont
Agir en situation, verser une rue devient alors une tâche construites (Goffman, 1974, 1991).
difficile ou plus risquée et nous devons
des capacités reconstruire le système de connaissan- Envisager les choses dans cette pers-
pective permet de considérer les situa-
méconnues ces, de règles et d’opérations en prenant
en compte les conditions particulières tions de la vie sociale et professionnelle
du nouveau contexte. comme des situations sociales, histori-
ques et culturelles, produits de l’histoire
Il est difficile pour ceux qui sont Nous voudrions insister sur le et de l’activité humaine. Se débrouiller
relativement bien insérés dans un en- constat, plutôt méconnu, selon lequel de ces situations relève de connaissan-
vironnement relativement stable de ces situations font l’objet, au cours de ces et de compétences définissables et
se représenter qu’il puisse être difficile la vie, d’un processus d’appropriation et non pas de savoir être ou de qualités in-
à d’autres de se repérer et d’agir dans que l’action dans ces situations exige définissables, renvoyant le plus souvent
de telles situations. Pourtant, chacun connaissances et compétences. Parler de à des caractéristiques personnelles :
devrait se souvenir des occasions où il processus d’appropriation signifie que intelligence, sens de ceci ou cela, pour
s’est trouvé dans des situations nou- les connaissances et compétences socia- lesquelles il n’y aurait rien à faire. En-
velles avec lesquelles il a eu du mal à les ordinaires ne sont pas des capacités tendues ainsi, les situations sont donc,
44 Insertion sociale et scolaire
pour les formateurs et les éducateurs, important. Nous avons des routines de conventions, les savoirs spécifiques à
également analysables et il est possible pensée et des routines d’action ; routi- la catégorie de situations qu’est la si-
de les prendre comme des objets d’ap- nes signifiant ici « automatismes ». tuation scolaire lui restent obscurs ou
prentissage et d’appropriation. inconnus. Je voudrais insister ici sur un
Nous sommes aussi confrontés à des
point essentiel : dans cet exemple de
Pour tout un ensemble de raisons qui situations nouvelles pour lesquelles
la situation scolaire de résolution d’un
relèvent des histoires individuelles ou de nous disposons de repères, même si
problème, dire que les connaissances
celles de groupes sociaux, le processus nous n’avons pas rencontré ces situa-
des « règles du jeu » de la situation sont
d’appropriation de telle ou telle classe tions auparavant, et nous arrivons plus
« très pratiques » est à prendre au pre-
de situations ne s’est pas déroulé de la ou moins vite et plus ou moins bien à
mier degré : elles sont pratiques parce
même manière pour tout un chacun, no- construire des comportements adaptés
qu’elles sont économiques (en temps et
tamment lorsque certaines conditions à partir de nos propres ressources. Nos
en effort) et satisfaisantes parce qu’el-
ont fait défaut. Les capacités qui assu- propres ressources ne sont pas faites
les sont presque toujours opératives.
rent un niveau satisfaisant de maîtrise que des modes de comportement que
des systèmes de signes, notamment les nous maîtrisons mais aussi de connais- L’école, ses situations et leurs règles
capacités de lecture, représentent une sances et compétences. constituent des situations peu familiè-
bonne part des capacités de maîtrise res, étranges et étrangères pour un cer-
Nous avons ainsi plus ou moins déve-
des situations. Mais il en existe un cer- tain nombre d’enfants et d’adolescents.
loppé des connaissances « secondes »,
tain nombre d’autres qui leur sont étroi- Une partie de ce qui s’y passe, de ce qui
non pas sur des types de situations,
tement liées dont nous allons parler ici. doit s’y faire, du pourquoi les choses
mais sur ce qu’est une situation et
se passent ou doivent se passer d’une
Dans ce texte, nous allons d’abord comment on peut faire pour y agir avec
manière et pas d’une autre, et comment
revenir sur le caractère familier et étran- pertinence et efficacité. Nous savons
on peut le faire leur échappe. Les efforts
ger que peuvent prendre les situations par exemple que toute situation sociale
qu’ils ont pu déployer se sont souvent
qui composent le fond de la vie sociale. publique a ses propres règles, qu’elles
avérés peu productifs. Ils ne se sont
Nous donnerons ensuite une définition peuvent être découvertes et connues,
appropriés ni la fonction, ni les lois de
de ce que nous entendons par situation ne serait-ce que par l’observation at-
fonctionnement, ni les règles. Ils n’ont
puis nous nous arrêterons sur certaines tentive du comportement des autres.
pas construit les manières de raisonner
connaissances et compétences sociales, Ce type de connaissance à portée géné-
et notamment sur ce qu’Oléron (1981) rale ne va pas de soi et il
appelle des « savoirs et savoir-faire n’est pas construit chez L’école, ses situations et leurs règles
psychologiques ». Nous verrons enfin chacun avec la même constituent des situations peu familières,
comment des médiations peuvent être efficacité, en particulier étranges et étrangères pour un certain nom-
mises en place pour relancer le déve- avec le même niveau de
bre d’enfants et d’adolescents.
loppement des capacités sociales et conscience.
l’appropriation de celles-ci. Le processus
L’un des exemples de différence et d’agir dans ces situations, ou bien ils
d’appropriation des situations peut,
entre ces deux types de connaissances ont construit des manières de raisonner
en effet, toujours être relancé et pour
vient de l’école. Un élève peut avoir des et d’agir qui ne semblent pas produire
chaque personne quel que soit son âge :
connaissances et comprendre l’énoncé les effets attendus, par eux-mêmes et
être repris, encadré, guidé et étayé. Les
d’un problème de science, de techno- par les autres. Il faut penser que nombre
conditions peuvent être organisées afin
logie ou de mathématiques, mais il de situations scolaires prennent des
que des apprentissages se produisent
lui est aussi très utile de savoir qu’une formes parfois un peu étranges pour
et permettent de conduire le processus
partie des réponses est contenue dans qui veut bien les regarder d’un peu
d’appropriation un peu plus loin.
l’énoncé ou encore que la lecture at- près. Leurs lois et règles de fonction-
tentive de l’énoncé correspond à une nement, les jeux de langage (façons
étape importante – et très pratique – de de parler et vocabulaire employé), les
Les situations : la résolution du problème. Il sait en ef-
fet, que poser le problème représente
modes de comportement semblent bien
spécifiques.
des univers un grand pas vers la découverte de sa
solution. Enfin, il sait qu’un énoncé,
familiers et des dans le contexte scolaire correspond
Les situations de
toujours à une leçon et que les moyens
univers étranges pour répondre aux questions posées par
la vie sociale : des
l’énoncé sont à rechercher dans la leçon.
situations sont pratiques, autrement Nous ne risquons pas ainsi d’attendre (par rapport à un médecin, en tous les
dit, fonctionnelles, économiques et poliment ou de sonner jusqu’à ce que cas) mais suffisantes pour faire bonne
efficaces. On n’a pas besoin de penser quelqu’un arrive. Nous savons que la figure et coopérer avec efficacité.
à ce qu’on doit faire ou penser ; en quel- règle sociale générale qui veut qu’on at-
Aaron Cicourel (1974) a réalisé une
que sorte, ça pense et ça agit tout seul. tende que quelqu’un nous accueille pour
étude dans un quartier de New York
Nous pouvons donc nous consacrer à entrer, n’est pas en vigueur dans cette
dans lequel des pédiatres étaient ame-
l’essentiel. situation. Nous savons
On n’a pas besoin ensuite que nous allons nés à recevoir de nombreuses mères
Nous savons ainsi, par d’origine portoricaine et récemment
de penser à ce qu’on attendre et repérons
exemple, nous comporter arrivées aux États-Unis, avec leur jeune
comme des patients effi-
doit faire ou penser ; la salle d’attente. Mais enfant. Une partie de ces pédiatres
caces lorsque nous allons
en quelque sorte, ça imaginons un instant que avaient tendance à dire que ces mères
chez un médecin. Pour pense et ça agit tout nous ne soyons jamais ne prenaient pas soin de leurs enfants.
seul. allés dans un cabinet
cela, nous disposons de Ils se basaient sur leurs observations
médical. Même si nous
nombreuses connaissan- pendant les consultations et déploraient
savons lire les mots, la notion de salle
ces dont nous n’avons même pas idée : les comportements manifestés par
d’attente n’est peut-être pas aussi évi-
nous savons lire le nom de la rue et le ces jeunes mères. L’étude de Cicourel
dente pour un novice qu’elle l’est pour
numéro du bâtiment où nous pouvons montre que celles-ci ne se comportent
ceux qui ont l’expérience de cette situa-
trouver le médecin car nous savons qu’il effectivement pas comme il est attendu
tion. Nous savons aussi que nous devons
existe des annuaires et une certaine de se comporter dans une situation de
attendre et que, s’il y a d’autres person-
façon de s’en servir. L’ordre alphabétique consultation pédiatrique en Amérique
nes, nous devrons surtout nous pré-
n’est pas qu’une convention pour ordon- du Nord. Elles ne connaissent pas les
occuper de repérer la personne qui est
ner les lettres. C’est aussi une conven- règles du jeu propres à la situation de
entrée immédiatement après nous pour
tion pour ordonner un grand nombre de la visite médicale et de coopération
veiller à ce qu’elle ne passe pas avant
phénomènes de la vie pratique. Cette avec leur interlocuteur médecin dans la
nous, mais nous devons aussi repérer
convention nous permet facilement et situation. La coopération avec les autres
tous ceux qui attendaient avant nous,
de manière économique de trouver des dans une situation donnée relève de
afin de ne pas risquer de vouloir passer
informations, de nous repérer dans des règles. Dans certains cas de situations
avant eux, ce qui serait une source assu-
tâches de la vie et également d’échan- inédites, les règles doivent être définies,
rée de conflit. Nous savons même que
ger des informations pratiques avec les négociées et ajustées au fur et à mesure
l’heure exacte du rendez-vous ne prime
autres selon cette même convention. de l’action, mais dans la plupart des si-
pas – la plupart du temps – sur l’ordre
Ces conventions, signes et systèmes tuations sociales, le système de règles,
d’arrivée. Toutes ces connaissances sont
de signes fonctionnent dans la société comme son nom l’indique, sert à réguler
des connaissances « d’arrière-plan »,
comme des instruments et des systè- les activités des uns et des autres, pas
rarement exprimées comme telles. Elles
mes d’instruments. seulement ce qu’ils font effectivement
résultent d’un processus d’apprentis-
ensemble : ajuster des mouvements, des
Continuons avec notre exemple : si sage dont il est difficile de retracer la
gestes et des paroles, mais aussi réguler
nous ne faisons pas confiance à notre dynamique précise.
l’interprétation de l’action de l’autre et
mémoire, nous pouvons consulter notre
Une fois entré dans le cabinet du la production de sa propre action. La
agenda ou un morceau de papier qui
médecin, nous connaissons le scénario : fluidité – relative – des interactions so-
nous sert de mémoire déléguée pour
nous nous assiérons là où le médecin ciales en dépend. Lorsqu’une personne
retenir les coordonnées précises du
nous le dira puis nous attendrons qu’il ignore trop et trop souvent les règles
cabinet médical. Nous pouvons même
nous donne la parole en nous deman- des situations avec lesquelles elle est
faire un nœud à notre mouchoir pour
dant ce qui nous amène dans son ca- en interaction, elle se retrouve dans le
qu’il nous rappelle que nous devons
binet. Nous savons que nous devons cours d’une vie de laquelle la fluidité
aller chez le médecin. Cet agenda ou
décrire les symptômes que nous ressen- sociale est absente : chaque situation
ce morceau de papier ou ce nœud au
tons, préciser les circonstances d’appa- reste mal déchiffrable, les interactions
mouchoir ou n’importe quoi d’autre
rition des symptômes, notamment en avec les gens et avec les choses et les
peut nous servir d’instrument. Plus
insistant sur le temps, et enfin exposer instruments sont heurtées, difficiles,
exactement, le véritable instrument est
ce que nous avons fait (prise de médi- tout demande un effort et les efforts
composé de notre mémoire, du moyen
caments, de température, etc.) Nous ne sont pas toujours couronnés de suc-
qui stimule ou soutient notre mémoire
savons que le médecin va nous poser cès. Les incompréhensions réciproques
et des connaissances que nous avons
des questions, nous dire de nous lever. sont nombreuses. En outre, le risque est
qui opèrent le lien entre le moyen artifi-
Cet inconnu nous demandera de nous grand de perdre la face, avec le cortège
ciel et notre mémoire « naturelle ». Nous
déshabiller et cela nous semblera tout de vexations et d’humiliations qui en
pouvons remarquer ici que les moyens
naturel et nous précéderons quelques- résulte.
sont « empruntés » au patrimoine social
unes des consignes en respirant fort,
disponible : agenda, nœud au mouchoir. Lorsque nous y sommes adaptés,
en toussotant, en ouvrant la bouche, en
D’autres peuvent être inventés par nous finissons par oublier, ou, plus
disant A ou 33.
chacun. exactement, il ne nous vient même pas
Nous disposons de connaissances qui à l’esprit que les situations familières
En arrivant devant la porte d’entrée
nous permettent d’agir de manière adé- que nous vivons ont pu nous être étran-
du cabinet médical nous pouvons lire
quate pour coopérer avec le médecin, gères, ou, pour le moins, pas tout à fait
que nous pouvons sonner et entrer, ce
et de connaissances pour interpréter ce familières et que nous nous en sommes
qui signifie implicitement que personne
qu’il se passe, interprétations plus ou approprié les caractéristiques, les règles,
ne se déplacera pour ouvrir la porte.
moins vagues et plus ou moins exactes les fonctions, les codes ; que nous avons
46 Insertion sociale et scolaire
développé des gestes et des routines système plus vaste : une situation admi- temporelles relèvent d’une catégorie
et que nous avons pu être malhabiles nistrative ou une situation de travail ne très particulière, tout comme c’est le cas
ou hésitants. Nous oublions aussi que sont que des sous- ensembles d’un sys- d’une livraison pour un professionnel,
nous avons appris ces situations dans tème plus vaste par rapport auquel elles ou d’une tournée de distribution de
un environnement qui nous a aidé à les existent et fonctionnent. Sans une idée, courrier pour un facteur : où commence
apprendre, qui a dirigé et soutenu notre même partielle, de ce fonctionnement la tournée ? Lorsque le facteur arrive sur
apprentissage. Pour certains d’entre d’ensemble, il est souvent impossible son secteur ou bien dès qu’il reçoit les
nous, l’apprentissage a été facile, im- de comprendre les buts et les règles, ce objets postaux (lettres, recommandés,
plicite, pour d’autres, il a été difficile. qu’on peut attendre et ce qui est exigé colis…) qu’il doit trier et organiser pour
Certains, enfin, n’ont par une la distribution ? Un trajet débute bien
pas réussi à s’approprier Certains, enfin, n’ont pas situation avant le déplacement effectif qui le
suffisamment certaines réussi à s’approprier suffisam- spécifique. concrétise.
situations pour pouvoir ment certaines situations pour Une si- Une situation est définie par des
y agir et en obtenir les pouvoir y agir et en obtenir les tuation est tâches à accomplir, mais les tâches ne
résultats légitimes aux-
résultats légitimes auxquels ils aussi défi- sont pas toujours définies, et pas ex-
quels ils auraient pu pré-
tendre. Dans une certaine
auraient pu prétendre. Dans une nie par un plicitement définies. Même dans une
mesure, ils en ont été ex- certaine mesure, ils en ont été espace. Cet situation professionnelle organisée
clus. Ils ont pu renoncer à exclus. espace est par des procédures strictes, une partie
physique : des tâches et des actions attendues ne
fréquenter ces situations
il occupe une certaine place relative à sont pas complètement définies. Dans
qu’ils n’ont pas réussi à s’approprier. Ils
d’autres espaces, il est situé en un lieu, les situations sociales et socio - profes-
s’en sont exclus ou s’en sont trouvés ex-
un bâtiment, une pièce dans un bâti- sionnelles, dans les situations scolaires,
propriés. Ils ne peuvent plus participer à
ment possédant certaines caractéristi- une grande partie des règles, des lois,
la vie sociale.
ques. Cet espace est aussi et toujours est implicite. Une partie des tâches
Il est difficile de décrire comment « institutionnel » et culturel. Il occupe garde un caractère peu ou mal justifié.
nous avons pu apprendre à nous com- une place dans un espace social plus Parler de tâche suppose que des objets
porter chez le médecin ou à traverser la vaste, et comporte des caractéristiques, et phénomènes sont en jeu. Les situa-
rue. Toutefois, pour prendre ce dernier notamment des caractéristiques sym- tions, parce qu’elles ont des fonctions,
exemple, il est sûr que nous ne l’avons boliques qui le qualifient comme espace « servent » à agir sur certaines choses.
pas appris seulement par essais et er- social ayant une certaine fonction. Une Des résultats peuvent être attendus,
reurs. Nous avons appris à traverser en grande partie des caractéristiques sym- des effets envisagés. Pour réaliser ces
compagnie de personnes adultes qui ont boliques relèvent du langage écrit et tâches, des outils sont disponibles et/ou
parlé, expliqué, montré, qui ont tiré ou de toutes sortes de systèmes de signes requis et leur usage doit être maîtrisé.
retenu avec le bras, qui ont exercé une que nous savons plus ou moins bien C’est une évidence en situation profes-
pression de la main pour donner le si- reconnaître. Les magasins ont des for- sionnelle mais c’est aussi vrai en toute
gnal de traverser et une autre pour mar- mes spécifiques qui les distinguent des situation sociale : utiliser les transports
quer une interdiction, etc. Nous avons bâtiments administratifs. Nous arrivons publics est une utilisation instrumentée
aussi, parallèlement appris à interpréter à distinguer une gare d’un hôpital, bien qui suppose aussi de savoir utiliser le
les systèmes de signes relevant du code que certaines formes architecturales ticket et le composteur, la carte des li-
de la route, des espaces publics et cela puissent nous induire en erreur. Mais au gnes et celle des horaires, les indications
nous a soutenu dans la construction de bout du compte, quand nous savons lire affichées dans et à l’extérieur d’un bus,
nos capacités pour traverser des rues. et quand nous savons rechercher puis par exemple.
interpréter les signes conventionnels
Une situation est définie par des
adéquats, nous arrivons à nous repérer.
règles et des principes (ou lois de fonc-
Quand nous n’y parvenons pas, nous
Qu’est-ce qu’une savons que nous pouvons demander et
tionnement). Celles-ci peuvent être
définies par la loi, par des règlements
nous savons comment le faire. Pourtant,
situation ? là encore, tout le monde ne dispose pas
ou par des règles et normes sociales.
Les règles définissent ce qui peut et
des mêmes ressources et même lorsque
doit être fait, ce qui est autorisé ou
nous disposons de certaines ressources
Une situation (Mayen, 2005) peut non, ce qui est admis ou pas, ce qui est
pour un environnement donné, nous
être définie d’abord par une fonction : obligatoire. Comme nous l’avons vu
pouvons nous retrouver très dépourvus
elle est là pour un certain usage. La dans l’exemple de la situation médicale,
dans un autre. Interroger quelqu’un
fonction est donc étroitement liée à un un grand ensemble de règles est en vi-
pour nous aider à nous repérer constitue
ou plusieurs buts. Une situation a donc gueur, qu’il faut connaître pour pouvoir
une situation enchâssée dans le cours
généralement une fonction dominante, interpréter les événements, les lieux,
d’une autre situation et cela suppose
et (au moins) un but socialement défini. les comportements, les propos, les do-
aussi des compétences qui ne se rédui-
Toutefois, socialement défini ne signifie cuments, les signes, puis pour pouvoir
sent pas seulement à parler à peu près
pas toujours explicite et le fait que plu- produire des actions, des propos adé-
la même langue.
sieurs buts puissent ou doivent cohabi- quats et efficaces. Lorsque nous maî-
ter, dont certains sont moins explicites Les limites d’une situation ne sont trisons une situation, nous n’avons pas
et certains moins dominants, ne facilite pas toujours faciles à définir, y com- besoin d’agir de manière consciente et
pas les choses lorsqu’une personne pris en terme d’espace, après tout un volontaire, l’action adéquate nous vient
cherche à se repérer. Les situations so- déplacement en métro ou un bus est sans que nous ayons besoin d’y penser.
ciales sont souvent inscrites dans un une situation et ses limites spatiales et Contrairement à ce qu’on pense parfois,
Insertion sociale et scolaire 47
qui est étendu à tous les responsables groupes d’élèves, d’adolescents, de jeu- activité. En l’absence de ces ressources
de la même catégorie d’entreprises, voi- nes adultes, à manifester des capacités que sont les connaissances et compé-
re à tous les employeurs potentiels. Le et des qualités inattendues pour les tences que nous pouvons qualifier de
refus est attribué à un rejet de soi, tout autres et pour eux-mêmes alors qu’ils sociales et de maîtrise des instruments
aussi global ou à un rejet de la catégorie n’avaient jamais été mis en situation essentiellement culturels et sémioti-
à laquelle on appartient : jeune ou ap- (et en conditions) de le faire. Les jeunes ques, nombre de situations peuvent
partenant à tel groupe social. adultes concernés se révèlent alors en- rester étrangères, menaçantes, insécuri-
gagés, intéressés et motivés, capables santes ou encore peuvent paraître « pas
Le travail des formateurs consiste
d’attention de longue durée, d’effort et faites » pour soi. Une des stratégies
alors à construire ce qu’on pourrait ap-
de travail au-delà des horaires prévus. intelligentes consiste à se tenir à l’écart,
peler des interprétations modalisées en
Ils se montrent capables de prendre soin en évitant de les fréquenter. Dans une
procédant à des entretiens relativement
des autres, lorsque les
serrés de co-interprétation de la situa- Le processus d’expropriation conduit au
projets concernent des
tion : il s’agit d’interpréter la non-accep- développement d’un cercle vicieux puisque
personnes à qui ils appor-
tation : peut-être le responsable est-il
tent quelque chose, ils l’appropriation d’une situation exige d’abord
absent, ou bien indisponible, mais plus
tard peut-être accepterait-il de recevoir
sont organisés, soigneux, de la fréquenter pour pouvoir l’apprendre.
minutieux, inventifs,
le jeune adulte, ou de lui donner un
apprennent ce qu’il faut
rendez-vous (pour plus tard), ou bien un
très rapidement, trouvent des solutions certaine mesure on peut parler d’expro-
autre employeur serait-il plus disponible
inédites et manifestent surtout des priation puisque la fréquentation des
à un autre moment. Le jeune adulte
capacités qu’ils n’avaient pas encore eu situations de la vie sociale est supposée
a-t-il observé s’il y avait du monde ou
l’occasion de manifester jusque-là. ouverte à tous. Le processus d’expro-
pas dans la boutique à ce moment-là ?
priation conduit au développement d’un
Quelle heure était-il ? Comment lui a-t-
cercle vicieux puisque l’appropriation
on formulé les choses, etc.
d’une situation exige d’abord de la fré-
On voit ici que ce sont les modes L’appropriation quenter pour pouvoir l’apprendre. C’est
de comportement sociaux qui sont pourquoi l’une des premières étapes
interprétés, et, en même temps le sys- des situations : de la médiation consiste à engager les
tème de connaissances des lois com-
portementales sociales en jeu. Ce type
une situation personnes à aller vers une situation, à
assurer une certaine sécurité pour le
d’intervention est accompagné d’un
soutien et d’une exigence qui incitent à
de formation faire, puis à proposer des moyens pour
connaître et agir avec et dans cette
recommencer, ailleurs, autrement, pour et d’éducation situation.
découvrir la variabilité des situations et
Dans certains cas, les difficultés ne
la possibilité de trouver des manières
proviennent pas d’une insuffisance
d’agir qui produisent des effets. Mais il La première partie de ce texte cher- de ressources. Il suffit de construire
comporte aussi un travail d’analyse avec chait à montrer que les situations de les conditions pour franchir le pas et
les jeunes adultes de ce qui a été dit, au la vie professionnelle, de la vie sociale, « pousser la porte d’une situation »
mot à mot. Cela semble constituer, en de la vie scolaire ne sont pas à prendre pour que les capacités arrivent de ma-
somme, une première pour certains qui comme des situations d’évidence que nière inattendue. L’aide consiste alors
découvrent un pan de ce qui se passe tout le monde maîtrise de la même à construire les conditions suffisantes
dans l’esprit des autres, dans leur pro- manière. Elles ne sont pas naturelles pour franchir le pas.
pre esprit, dans les conversations. Ils mais sociales, historiques
travaillent pour la première fois sur les et culturelles. Elles sont Dans certains cas, les difficultés ne pro-
mots, leurs significations, leurs possibili- constituées de règles et viennent pas d’une insuffisance de ressour-
tés, comme s’ils découvraient aussi une de conventions, et elles
part de leur pouvoir instrumental. On
ces. Il suffit de construire les conditions pour
sont saturées de signes
pourrait aussi évoquer l’utilisation du et de systèmes de signes.
franchir le pas et « pousser la porte d’une
téléphone, dont tous ont une maîtrise L’usage d’un grand nom- situation » pour que les capacités arrivent
sociale à la fois très développée et li- bre d’instruments, no- de manière inattendue
mitée. Elle est très experte dans les ré- tamment d’instruments
seaux familiers et réduite pour d’autres sémiotiques (langue écrite, documents Chacun des composants de ce qu’est
usages dans d’autres champs sociaux. de toutes natures, langue orale, lan- une situation peut être un objet d’ap-
Toutefois, il existe des continuités qui gages techniques, signaux, schémas, prentissage parce qu’il se peut que des
ne sont pas toujours perçues et des diagrammes, cartes, etc.) y est constam- besoins de connaissances et de compé-
différences ou ruptures qui doivent être ment sollicité. De nombreux systèmes tences y soient en jeu. Traiter chacune
travaillées. de connaissances et compétences sont des catégories de composantes n’exclut
requis pour s’en débrouiller et y agir pas de traiter ensuite l’ensemble de la
L’appropriation des situations peut
avec efficacité et de manière sociale- situation. Apprendre des situations sup-
aussi passer par la construction des
ment acceptable, même si ces connais- pose d’apprendre par confrontation et
conditions pour s’engager dans l’ac-
sances ou compétences sont souvent activité avec et en situation. Certaines
tion. On sait assez bien comment la
implicites, rarement présentes à la lois et certaines règles propres à des
proposition de s’engager et de réaliser
conscience. Elles sont le plus souvent situations ne peuvent pas être entiè-
des projets concrets, réels, utiles, et un
« incorporées », mais cependant organi- rement découvertes ou retrouvées par
encadrement minimal peut amener des
satrices des différentes formes de notre les personnes qui ne les connaissent
Insertion sociale et scolaire 49
Apprendre dans un
contexte de bilinguisme :
récit d’expérience.
Marie Beaupre,
ex-enseignante en Guadeloupe de 1984 à 2002,
Adjointe au directeur de la DRAC Guadeloupe de 2002 à 2009
Responsable du service du développement et de l’action territoriale à la Drac Île de France.
L’auteur de ce texte nous propose de partager quelques réflexions issues de son expé-
rience de dix-huit années d’enseignante en Guadeloupe – notamment à la Désirade –,
sur le statut de la langue créole et sur son évolution.
Les propos que je tiens ne sont basés Le créole ayant une place subalterne italien, que c’est mal parce qu’il risque
que sur l’expérience que j’ai vécue pen- dans le registre des langues, il n’est pas de faire des fautes eu égard à la proxi-
dant vingt-cinq ans en Guadeloupe où rare qu’il soit de surcroît taxé de vulgari- mité des langues. Bien au contraire,
j’étais maîtresse d’école pendant dix- té, de médiocrité voir d’ignorance. C’est on l’encouragera car on trouvera qu’il
huit ans, dont onze à la Désirade. ainsi que certaines personnes com- possède là un véritable atout, y compris
mencent par s’excuser de ne pas « bien pour maîtriser encore mieux les deux
Il ne s’agit là que du témoignage
parler », alors que leur propos en créole langues qu’il parle.
d’une expérience et pas d’une analyse
est de grande qualité. Elles ressentent
scientifique. Pour ma part, j’ai choisi dans ma
une forme de honte de ne pas maîtriser
classe de passer du créole au français
En 1984, le créole ne bénéficiait pas le français et s’en excusent en préam-
et inversement pour permettre à mes
de la reconnaissance actuelle et était bule comme pour attirer l’indulgence de
jeunes élèves de maîtriser les notions
considéré au mieux comme un patois. Il l’interlocuteur.
enseignées quelle que soit la matière.
était interdit aux enfants de s’exprimer
Ma réflexion porte d’ailleurs plus sur Entre les deux langues, de nombreux
en créole à un adulte, qui considérait
la valeur que l’on donne au créole car si, faux amis sont présents et par exemple
alors cela comme un manque de res-
partout ailleurs, le bilinguisme est consi- le verbe « baré » en créole se traduit par
pect. Pourtant c’est bien la langue de
déré comme une richesse, en outre-mer, « entourer » en français. Vous pouvez
communication la plus usitée par les
la pratique du créole était – est toujours aisément imaginer les contresens que
adultes comme par les plus jeunes.
– dévalorisée par rapport à celle du fran- cela peut provoquer, en mathématiques
Il faut dire aussi que la langue est un çais. On trouverait tout à fait normal comme en français. Certains ensei-
symbole politique et il n’est pas rare que qu’après six mois passés en Angleterre, gnants d’ailleurs, ne comprenant pas
les syndicalistes s’expriment en créole je parle anglais couramment. En Guade- la langue, invalidaient l’exercice car la
pour marquer et affirmer consigne était mal comprise. Même
leur différence et ainsi On trouverait tout à fait normal qu’après sans enseigner en mode bilingue, il
donner un poids identitai- six mois passés en Angleterre, je parle anglais suffirait souvent que l’enseignant
re à leurs revendications. n’ait pas d’a priori sur la cohabitation
couramment. En Guadeloupe, même après
des deux langues pour que tout se
Pourtant, force est de vingt-cinq ans, on me demandait où j’avais ap- passe bien, ce qui est heureusement
constater que les enfants pris à parler le créole. parfois le cas.
qui fréquentent l’école,
parlent plus facilement Il est évident que les poncifs vé-
le créole que le français, qu’ils compren- hiculés par le plus grand nombre (« si
loupe, même après vingt-cinq ans, on
nent d’ailleurs parfaitement, puisqu’ils mon enfant parle créole, il apprendra
me demandait où j’avais appris à parler
regardent la télévision en français sans mal à l’école » ; « le créole et le fran-
le créole. On ne dira pas à un enfant qui
difficulté. çais sont trop proches et les langues
parle français et espagnol ou français et
Insertion sociale et scolaire 51
se mélangent, donc il vaut mieux que qui n’est pas la leur et que la leur, leur message que le créole a toute sa place
mon enfant parle français car le créole fait honte. Par contre, dès qu’ils sont en dans la communication, la littérature ou
ne l’amènera nulle part », « parler créole confiance et reprennent leur langue ma- la recherche. Mais les habitudes et les
c’est vulgaire et ça ne sert à rien… ») ternelle, ils sont expansifs et communi- croyances sont souvent difficiles à faire
sont vite balayés d’un revers de main si quent parfaitement. évoluer et force est de constater qu’en
on considère la valeur des langues. vingt-cinq ans, la place du créole a évo-
Cela va d’ailleurs de paire avec le fait
lué certes, mais il reste encore beaucoup
Le créole n’est pas une « sous lan- que les programmes ne sont pas tou-
à faire.
gue » et comme toute langue, mais de jours adaptés à l’environnement de l’en-
façon peut-être encore plus prégnante fant. Les enseignants ont l’obligation de Ainsi, comme toute langue, le créole
qu’ailleurs, c’est le véhicule de la culture se référer aux programmes nationaux est vivant et évolue avec son temps
et de l’identité. et s’appuient souvent sur des manuels pour nommer des appareils ou des
pour faire cours. Mais ces manuels ne concepts nouveaux, à l’instar de toutes
Longtemps relégué au second rang,
prennent pas en compte le contexte les langues.
le créole a conquis sa place au registre
local et freinent parfois l’apprentis-
des langues grâce au militantisme de Pour ma part, le créole m’a souvent
sage de certains élèves qui n’arrivent
nombreux écrivains, philosophes, hom- permis de communiquer avec des Domi-
pas à trouver le point d’identification
mes et femmes de lettres mais aussi et nicais, des Haitiens, des Saint Luciens.
nécessaire. Je connais des adultes qui
surtout grâce aux auteurs/compositeurs
décryptent seulement maintenant À titre personnel, sans le créole, je ne
à l’instar de Pierre Édouard Décimus
certains concepts ou certains textes me sentirais pas en phase avec la cultu-
avec Kassav ou Patrick Saint Eloi qui ont
restés enfouis dans leur mémoire, qui re si riche de la Guadeloupe.
fait passer le message qu’on pouvait
ne voulaient rien dire pour eux quand ils
parler d’amour en créole sans manquer Il faut continuer à véhiculer l’idée que
étaient enfants, par exemple des phra-
de respect à l’autre. les outremers sont des pays bilingues
ses comme « la soupe qui fume dans
où l’enseignement doit être abordé en
Aujourd’hui, une option « langue et la cheminée », « le bûcheron qui part
prenant en compte cette situation parti-
culture régionales –LCR » et un CAPES dans la neige avec ses grosses bottes »,
culière, mais non exceptionnelle.
créole ont été mis en place à l’université ou encore « le pont d’Avignon où l’on
Antilles-Guyane. Mais cela ne veut pas danse » ? ? ? Autant de notions qui vo-
dire que toutes les difficultés sont apla- laient loin au-dessus de leur tête et qui
gênaient à la compréhension de ce que ////////////////////////////////////////
nies même si on parle maintenant de
« français régional ». le maître disait.
Il n’est pas rare de constater que cer- Les écrivains, poètes et enseignants
tains élèves sont totalement introvertis ont encore fort à faire pour briser la
en français car ils utilisent une langue barrière de la langue et faire passer le
52 Insertion sociale et scolaire
L’objet de mon propos est de présen- En effet, une grande partie des béné- cas d’échec. En effet, je ne connaissais
ter mon analyse de pratique relative à ficiaires avait besoin de sa carte d’iden- pas encore les problématiques liées à
la lutte contre l’illettrisme, et plus pré- tité pour écrire son nom et ne savait pas l’illettrisme, c’était un sujet peu connu,
cisément à l’éducation socioculturelle écrire le nom de sa commune. tout comme les questions d’« analpha-
comme outil au service des acteurs de bétisation ». D’ailleurs, la confusion est
ce champ, qu’ils soient formateurs ou souvent faite entre les deux termes.
bénéficiaires.
Je suis professeur d’ESC au CFPPA de
Mes débuts… Un analphabète est un individu qui
n’a pas été scolarisé. Les individus que
la Grande Terre en Guadeloupe et j’ai j’encadrais avaient été à l’école mais ils
conduit une mission sur la lutte contre Je suis venue à cette mission car avaient perdu leurs savoirs notamment
l’illettrisme durant huit ans. j’avais déjà travaillé avec des publics la capacité à écrire, le vocabulaire et la
qui devaient s’installer en tant que jeu- capacité à s’exprimer correctement à
Un jour, alors que je parlais avec un
nes agriculteurs et je m’étais aperçue l’oral. Cependant ils possédaient une
jeune, celui-ci me remet une pochette
que ces personnes porteuses d’une facilité à calculer mentalement assez
m’informant que tout ce que j’étais sus-
expérience de terrain n’arrivaient pas impressionnante.
ceptible de lui demander était dans cet-
te pochette. Je répliquai alors que tout à passer le seuil des tests d’entrée
ce que j’allais lui demander se trouvait permettant de suivre une formation
dans sa tête, que nous allions travailler
ensemble, que nous étions partenaires.
de 200 heures ouvrant les droits à
installation.
Me former moi
Un autre jour, il me tend à nouveau J’ai donc analysé les tests et j’ai avant d’aider
cette mallette. Cette fois-ci, je l’ouvre, essayé de comprendre ce qui posait
saisis un ensemble de documents et lui problème.
les autres…
dit :
Dans les consignes par exemple, j’ai
« Mais tout cela est personnel, même cherché à déceler d’éventuelles interac- J’avais déjà travaillé avec un public
si tu as confiance en moi, est-ce que tions par rapport aux situations profes- de toute nationalité en alphabétisation,
moi j’ai besoin de savoir ce qu’il y a sionnelles afin de faire des liens entre mais je voulais acquérir une formation
dedans ? » un cas d’étude et une situation profes- universitaire en illettrisme (DUIA Di-
« Mais il y a une dame j’ai l’habitude, sionnelle. J’ai également pris le temps plôme Universitaire en Illettrisme et
je lui donne tout, elle fouille elle prend de discuter avec les personnes, retenues Apprentissage avec une spécialité en lin-
ce dont elle a besoin. » ou non, afin de cibler les notions qu’elles guistique et médiation) même si ma ti-
devaient retravailler en formation et tularisation comme professeur de Lycée
Je lui dis alors que ce n’était pas ainsi vers qui elles pouvaient se tourner en
que nous allions travailler. Agricole en Éducation Socioculturelle et
Insertion sociale et scolaire 53
Technique d’Animation m’avait donné Tout d’abord, je ne maîtrisais pas à se demandaient même comment ils
une autre culture de l’apprentissage. l’époque les codes de ce public et les étaient parvenus à écrire de tels textes
éducateurs les connaissaient beaucoup et souhaitaient montrer au grand public
Pour autant, je tenais à améliorer ma mieux que moi. Par ailleurs, ce public leurs réalisations. Nous avons profité de
capacité d’intervention. Cette forma- était habitué à la rue mais pas au fait de « la journée des citoyens » à Pointe-à-Pi-
tion nécessitait d’avoir une expérience rentrer dans un « cadre » institutionnel. tre pour créer des panneaux et un film.
auprès d’un public en situation d’illet- Tous les gens du quartier les félicitaient
trisme. C’est ainsi que j’ai fait la connais- C’est en conservant une trace écrite
par des propos du type :
sance d’éducateurs de rue, en Guade- de toutes les entrevues et les discus-
loupe ; ils faisaient partie de l’équipe du sions réalisées (par enquête, avec eux « Tiens on t’a entendu et on t’a vu.
SERI (service d’équipe rue et d’insertion) et les éducateurs) que j’ai appris à com- C’est bien toi que j’ai vu ? Comment vous
et travaillaient avec des jeunes en diffi- prendre leur personnalité, à connaître qui étiez toujours debout, là, avaient pu
culté, déscolarisés. leurs centres d’intérêts, leurs projets, écrire et faire de si belles choses ? »
L’environnement géographique du Certaines personnes du quartier,
projet était celui des jeunes, leur quar- qu’ils connaissaient, ont décrété que
tier « d’habitation » : le quartier de Mor- ce n’était pas eux qui avaient fait les
A la rencontre des tenol à Pointe-à-Pitre. Je connaissais peu panneaux. Cela les a énormément
jeunes de rue… ce quartier, nous avons donc fait une
sortie pédagogique de découverte du
contrariés.
Nous avons donc fait un bilan. D’une
milieu qui m’était personnellement des-
manière générale, il en est ressorti un
Pour ce public, je savais que l’éduca- tinée en quelque sorte. Je les écoutais
aspect très important dans ce genre
tion socioculturelle par les situations parler, expliquer, décrire leur quartier.
de situation : la place accordée à la
pédagogiques qu’elle implique, par les Ils avaient des repères dans ce quartier.
confiance réciproque et à la confiance
champs qu’elle couvre (éducation à L’un de ces repères fut le bik : espace
que l’on s’accorde à soi-même.
l’environnement social, éducation artis- de parole libérée, lieu de rencontre et
tique, communication) pouvait m’aider. d’échange où d’autres individus se trou- Ces jeunes n’écrivent pas car ils ont
Cependant je manquais d’expérience sur vaient. Nous avons discuté avec ceux-ci. énormément de freins psychologi-
les aspects relatifs à l’illettrisme. Leur ressenti était exprimé clairement. Il ques, notamment certains souvenirs
y a une lutte de pouvoir qui règne dans douloureux de stigmatisation de leurs
Je me suis donc demandé ce qui ces quartiers : les jeunes engagés dans incapacités, de leurs échecs par certains
pouvait intéresser un public de rue pos- le projet allaient suivre une formation, enseignants. En effet, un certain nom-
sédant des codes spécifiques et très à allaient donc devenir plus « intéres- bre, « voit dans sa tête et à des difficul-
l’aise dans le « management de la rue ». sants » et allaient donc certainement tés pour dire ou écrire ». Lorsqu’ils me
Trouver un élément commun entre eux quitter le bik… faisaient part de leur incapacité, je leur
et moi était essentiel. répondais toujours qu’on allait d’abord
essayer. En parallèle de l’action, du « fai-
J’ai donc débuté par un projet cen-
re », lié au projet, j’ai beaucoup travaillé
tré sur l’environnement. Mon objectif
était de passer « en douceur » de l’oral
Les travaux et avec eux sur un plan plus cognitif, les
notions d’explicitation et d’évocation.
à l’écrit, en faisant émerger un ensem- les difficultés… Assez souvent, je leur demandais :
ble de connaissances communes leur
permettant de se socialiser. Cela leur « Quand tu fais ça, qu’est-ce que tu
permettrait aussi de sortir du premier - Le premier groupe était constitué fais ? Quand tu dis ça, qu’est-ce que tu
degré39 de leur situation d’illettrisme. par des jeunes de 14 à 18 ans. Le plus jeu- veux dire ? »
Les trois jeunes concernés étaient ne n’aurait pas dû faire partie du groupe Ils n’arrivaient pas toujours à for-
d’accord pour mener ce projet, savaient puisque l’illettrisme n’est officiellement muler des réponses mais au moins
que celui-ci se déroulait dans le cadre déclaré qu’à partir de 16 ans mais nous l’interrogation restait. Et c’est le début
de mon cursus de formation, et me per- l’avons accepté car il avait arrêté l’école d’une réflexion sur soi. Nous avons aussi
mettrait d’obtenir un diplôme. Je tra- et refusait d’y retourner. beaucoup travaillé la reformulation, le
vaillais avec eux le mercredi après-midi L’objet de l’un de mes travaux avec cadrage, les notions spatio-temporelles
et le samedi en salle. eux, a consisté à leur faire écrire un ré- car ce sont des éléments qui ne sont pas
cit d’après des images de leur quartier. acquis.
J’avais adressé une convention à la
responsable de l’équipe du SERI, lui ex- Dans le cadre de ce projet, les jeunes ont Par exemple, un jour, alors qu’ils
pliquant mon projet avec les jeunes et la souhaité que je fasse la connaissance de étaient toujours ponctuels, ils sont arri-
nécessité pour moi d’avoir deux éduca- leurs parents alors que les éducateurs vés avec trois quarts d’heure de retard.
teurs à mes côtés. de rue eux-mêmes n’avaient jamais Je leur ai fait part de mon inquiétude.
rencontré leur famille. De plus des élé- Ils m’ont répondu qu’ils étaient juste
ments de leur vie, de leur parcours qu’ils allés au supermarché. Ils n’avaient pas
n’avaient jamais évoqués auparavant calculé le temps nécessaire pour faire
39On ne parle pas « d’illettrisme » dans une ont émergé ce jour-là. Un pas a été l’aller-retour. Ces notions de repères
formation, on parle de « situation d’illet- franchi dans la confiance réciproque. spatio-temporels de la vie quotidienne
trisme » parce qu’il y a des degrés. Le degré
2 correspond à des personnes qui essayent J’ai été très agréablement surprise, viennent obligatoirement impacter le
de se débrouiller. Le degré 1 ressemble à de et les éducateurs également, par les travail plus « scolaire » d’écriture, de
l’analphabétisme. lecture, d’expression.
écrits qu’ils ont réalisés. Les jeunes
54 Insertion sociale et scolaire
- Avec le second groupe, qui était De manière générale, je les laissais parfois trop poussées et c’est alors très
composé d’adultes et de jeunes, j’ai dé- s’auto-corriger et n’intervenais que si contre-productif. Ils feignent parfois
cidé de travailler à partir des techniques cette correction était fausse. Le travail d’avoir compris en acquiesçant pour se
et problématiques proposées par le sur le texte et l’image a été très utile en débarrasser de la confrontation. Mais il
théâtre de l’opprimé 40. L’objectif était de terme d’apprentissage. Il a permis aux faut toujours passer par la reformula-
créer des apports socioculturels et des jeunes d’entrer dans l’écriture par le tion de ce qu’ils font ou disent.
échanges. support visuel, moins paralysant qu’un
J’ai instauré ce que j’appelle la
sujet à développer directement à partir
Deux raisons m’ont poussée à faire « pédagogie du coup de main ». Les
de son imaginaire.
ce choix. La première raison est liée aux échanges de savoirs favorisent la mise
relations problématiques entretenues Une chose est aussi très importante : en place d’activités selon une méthode
par ces publics à l’administration et s’appuyer sur le collectif pour valider pédagogique du « coup de main » par
inversement. des compétences et ne pas avoir peur de l’échange et le Programme d’Enrichisse-
valider des compétences très basiques, ment Individualisé (PEI).
La seconde a été exprimée par des
par exemple : associer un texte à une
adultes qui souhaitaient écrire à leurs
image. Nous avions à ce sujet, une es-
enfants qui vivaient loin d’eux mais
qui pour cela, étaient obligés d’avoir
pèce de boîte, que l’on pourrait appeler : Chacun est susceptible de
recours à des employés de La Poste. Il
« réserve de compétences ». donner « un coup de main »
y avait donc une perte de confidenti- « Tu sais faire ça ? Et bien c’est un et donc d’être en situation de
alité (et de temps) par le recours à ces acquis. Est-ce qu’il y en a d’autres qui pédagogue.
intermédiaires. savent le faire ? Si oui, ceux-là seront
responsables de cet atelier » atelier dont
La Poste est un relais important pour
ils maîtrisent la compétence associée. La Car les manques ne sont pas les
eux, ils s’y rendent régulièrement, c’est
responsabilisation de ces publics est une mêmes chez tous, et dans certains
l’endroit où ils récupèrent leur argent.
clé de réussite. domaines ces personnes ont une vraie
Stratégiquement, ils s’y font même des
expertise (exemple : les nouvelles
« amis », des employés avec lesquels ils Pour travailler les règles de gram- technologies). Mais face à leurs diffi-
ont développé un lien de confiance, ou maire, dont souvent ils se souvenaient cultés, ils élaborent des stratégies de
plus simplement qui savent être à leur – ce qui prouve qu’une mémoire est là « contournement ». Si nous n’étions pas
écoute. et qu’elle demande juste à être activée vigilants, nous n’aurions pas pu détecter
– nous nous servions des textes qu’ils certains problèmes. Par exemple, « les
Un jour, ils m’ont dit :
avaient rédigés comme base de travail grands mots » (des mots longs qui leur
« Mais Madame, les gens font comme
(au lieu d’aller récupérer de la documen- paraissent compliqué à écrire voire à
s’ils ne savaient pas que
tation). Nous prenions comprendre), comme ils les appelaient,
dans le pays il y a des « Mais Madame, le temps de les relire, étaient une de leurs principales difficul-
personnes qui ne savent
les gens font comme d’identifier les problèmes tés. Parfois devant ma propre difficulté
ni lire ni écrire. Quand
on va quelque part, ils
s’ils ne savaient pas éventuels dans la lecture. de compréhension de leurs termes,
font comme si on savait que dans le pays il y Ensuite, on travaillait ils me répondaient : « C’est l’écriture
tout. » a des personnes qui le contenu : le vocabu- contractée », stratégie pour masquer
ne savent ni lire ni laire, l’organisation, la l’ignorance de certaines orthographes
La chose intéressante à
écrire. Quand on va syntaxe… Cet exercice de mots.
relever dans le cadre de ce
projet théâtre tient dans quelque part, ils font participait à une remise
en mémoire de certaines
le fait que les participants comme si on savait
connaissances. J’adaptais
ont appris à mieux uti- tout. »
liser leurs corps (et par
cet exercice en fonction
du niveau. Si c’était un
Quels
conséquent à développer une meilleure
expression orale : son, prononciation)
niveau 3 ou 4, j’insistais sur la ponctua- changements
tion, les accords, les verbes, etc.
car les jeunes sont à l’aise en danse et
en musique et sont valorisés dans cette Par ailleurs, j’ai remarqué qu’ils
après la
compétence d’expression. avaient des difficultés avec les phonè- formation ?
mes (les sons). Leur difficulté à écrire
venait en partie de cela. Ils me disaient
assez souvent : Au début de la formation, beaucoup
Pour conclure sur « Madame, l’image que j’ai dans la
tête, je n’arrive pas à l’exprimer ».
d’entre eux « jobbaient 41 » et signifiaient
que la formation en elle-même « ne les
les deux exemples Je leur répondais alors :
« Si tu n’arrives pas à le dire, essayes
dérangeait pas » du moment qu’ils ga-
gnaient leur vie, mais le maigre salaire
peut-être de l’écrire, écris-le comme tu qu’ils touchaient les révoltait quand
peux ». même. Cependant, après la formation
Et nous repartions de là, de quel- ils ne sont pas restés figés dans une op-
40 Il s’agit d’une technique de théâtre participa- ques bribes, de quelques mots pour tique « job », parce qu’en formation, je
tive qui vise à la conscientisation et à l’infor- progresser… leur rappelais régulièrement qu’il fallait
mation des populations opprimées. Voir les
écrits d’Augusto Boal et son ouvrage publié en J’ai compris tout au long de ce travail
1971, « Le théâtre de l’opprimé ».
que les exigences à leur égard étaient
41 Avaient des emplois temporaires et précaires
Insertion sociale et scolaire 55
profiter de cette situation d’appren- épauler, de les accompagner d’être dans Quatrième point : la possibili-
tissage pour faire des démarches. Les une posture de pédagogue bienveillant. té de structurer les activités
démarches de ce type sont en général quotidiennes autour de com-
faites par téléphone car ces personnes
pétences et de capacités
ne sont pas à l’aise dans le face à face Deuxième point : l’éducation
avec un recruteur. Dans la situation où L’aspect cognitif pour le raisonne-
socioculturelle
l’entretien est inévitable, elles se font ment logique, le repérage dans l’espace
accompagner d’une personne qui se pré- Elle est un facilitateur social et a servi et dans le temps, la dimension linguisti-
sente et s’exprime bien. à donner du goût, à accompagner, à que pour la communication orale, écrite,
faire vivre le projet d’apprentissage par la lecture, le champ des mathématiques
La formation leur a permis d’acquérir la transversalité de ses domaines et sa pour le raisonnement et l’appréhension
davantage d’autonomie dans leur dé- finalité, pour que chaque homme puisse du réel, et le développement de « com-
marche professionnelle. Mais trouver œuvrer dans la vie sociale, culturelle et pétences sociales » pour favoriser l’es-
un emploi pour eux s’annonce difficile citoyenne. prit d’entreprise, l’autonomie…
sachant que la situation socio-économi-
que n’est pas stable et le chômage élevé. La formation tout au long de la vie
demeure aujourd’hui un moyen d’action
Je travaille avec les fiches ROME, ce Troisième point : La pédagogie dans la lutte contre l’illettrisme et ses
qui leur permet de mieux appréhender fonctionnelle du « coup de conséquences sociales d’exclusion et de
les métiers et les diplômes nécessai- main » discrimination.
res pour y accéder. Mais souvent, ces
Par son ancrage dans le milieu rural,
personnes ne mesurent pas l’état
puisqu’elle tire sa pratique de l’entraide,
du marché du travail et les nouvelles ////////////////////////////////////////
elle régule la vie du groupe, favorise la
contraintes liées à l’éloignement, et au
prise de parole, la tolérance, l’expres-
déplacement.
sion orale et écrite, démystifie l’erreur,
renforce le travail de groupe, en équipe.
Chaque membre devient une personne
Les autres à part entière, identifiée par son prénom
et ses compétences.
objectifs J’ai ainsi touché du doigt l’interrela-
tion entre l’environnement du formé
qui lui sert d’ancrage, le moment de la
Beaucoup de femmes venaient en rencontre avec le référent et la problé-
formation. Pour certaines, leur but était matique des attentes du candidat.
d’obtenir une qualification profession-
nelle, de travailler, de ne pas rester en
Guadeloupe. Mais pour la majorité,
l’objectif était de pouvoir travailler avec
leurs enfants le soir, pouvoir lire, com-
prendre, écrire à ceux qui sont en métro-
pole, aller à La Poste en autonomie.
De plus, avec l’informatique, certai- Éléments de sitographie :
nes femmes sont arrivées à retrouver
une complicité avec leurs enfants, avec
qui elles peuvent dorénavant passer « Parler Apprendre Réfléchir Lire Ensemble pour Réussir » (PARLER)
plus de temps. Inscrit dans le cadre de prévention de l’illettrisme et de l’échec scolaire
le programme P.A.R.L.E.R, a été réalisé par une équipe de recherche du
Laboratoire des Sciences de l’Éducation de l’université Pierre-Mendès-
France de Grenoble et menée par Michel Zorman (médecin et chercheur,
Ce que je retiens groupe cogni-sciences, de cette université et du centre de référence des
troubles du langage du Centre hospitalier universitaire de Grenoble).
de cette Une expérimentation académique en lien avec la recherche (académie
de la Martinique)
expérience…
http://eduscol.education.fr/cid54810/experimentation-parler.html
… et ce qui m’accompagne aujourd’hui http://www.cognisciences.com/rubrique.php3?id_rubrique=1
dans ma pratique professionnelle
Enseigner Outre-mer
Nouvelle rubrique : présentation de l’année des Outre-mer français et
Premier point : l’observation.
ouverture sur les ressources du Scéren-CNDP
Il est très important, avec les person-
nes en situation d’illettrisme, d’observer http://eduscol.education.fr/cid50309/outre-mer-accueil.html
les tâches qu’elles effectuent et de leur http://www.cndp.fr/outre-mer/
demander pourquoi elles les font, de les
Agriculture
et
alimentation
p.57 Quels enjeux pour l’Outre-mer
après les Etats Généraux de 2009 ?
Jean-Pierre Bastié
Suite au déroulement des ateliers des États Généraux de l’Outre-mer, plus de trois
cents propositions concrètes ont été examinées et analysées à la lumière des grands
enjeux pour ces territoires et des possibilités concrètes d’évolution vers un dévelop-
pement endogène, facilité, encouragé, et mieux maîtrisé.
Les lignes qui suivent proposent d’éclairer quelques aspects de la conduite des poli-
tiques publiques – notamment agricoles – en Outre-mer en développant une analyse
des écueils à éviter et des projets à développer.
De l’analyse des travaux issues des une avancée capitale pour les dévelop- mesures standardisées alors que leur
États Généraux de l’Outre-mer, est res- pements agricoles dans les territoires diversité est très forte. Il ressort très
sorti un ensemble de propositions porté d’Outre-mer, pour lesquels les problè- clairement des rapports des ateliers
par le rapporteur national, et regroupé mes sont depuis longtemps identifiés que cette logique doit cesser. Un traite-
en 10 thèmes que constituent les grands sans qu’il n’y ait eu encore une véritable ment standardisé aboutit en effet à une
enjeux identifiés : volonté politique de changement et un application de mesures généralement
• Favoriser la production locale face vrai début de solutions concrètement non optimales pour chacun des terri-
aux importations mises en œuvres. toires. Si les problématiques auxquelles
ceux-ci doivent faire face peuvent se
• Soutenir l’organisation des filières Il est cependant nécessaire, à ce
regrouper en dix fiches thématiques
de production locale stade du processus qui se rapproche de
communes, en aucun cas les disposi-
• Mieux valoriser la biomasse agri- la décision politique, d’éviter de tomber
tions opérationnelles qui découleront
cole et forestière et mieux gérer les dans quatre pièges bien connus et ayant
d’un engagement politique ne devront
déchets montré leurs conséquences négatives
être standardisées. Il est donc essentiel,
par le passé : 1) la généralisation « outre-
• Appuyer une effort de recherche- après cette première étape de remontée
mer », 2) la poursuite d’un modèle
développement et de formation des informations des territoires vers
préexistant, 3) l’absence de stratégie
• Diminuer le coût des intrants et la Paris, et de synthèse des propositions en
territoriale de développement et 4) la
dépendance énergétique grands thèmes fédérateurs, de redonner
vision à court terme.
la main aux priorités locales, notam-
• Protéger et développer le foncier
ment pour la définition des modalités
agricole productif
opérationnelles, dès le lendemain des
• Faciliter le financement des sec-
teurs agricole, forestier, et de la
Éviter la engagements pris lors du Comité In-
terministériel pour l’Outre-Mer (CIOM)
pêche
généralisation du 6 novembre 2009. Ce dernier devra
donc être un moment fort d’engage-
• Développer et valoriser la pêche et
l’aquaculture « outre-mer » ment politique- à traiter les problèmes
• Renforcer les rôles, missions et identifiés et à assurer la mise en œuvre
financements des Chambres
et répondre aux des solutions proposées, notamment
par l’identification des procédures et
d’agricultures spécificités des crédits nécessaires- qui devra néan-
• Appuyer la mise en œuvre d’un plan
moins laisser la définition des modalités
de développement agricole accéléré
de mise en œuvre se décliner librement
à Mayotte Trop souvent et depuis trop long- en fonction des spécificités de chaque
temps les territoires d’outre-mer ont territoire.
La mise en œuvre de ces proposi- été gérés par l’État comme une entité
tions concrètes sera sans nul doute unique et se sont vus appliquer des
58 Agriculture et alimentation
////////////////////////////////////////
60 Agriculture et alimentation
La politique agricole
en outre-mer :
éclairage historique et
agro-économique
Paul Luu
Directeur de l’ODEADOM.
dans quelques cas. De manière globale, totales. Des grandes tendances peuvent
Les évolutions on peut différencier plusieurs profils de être dégagées et sont à nuancer selon le
de l’agriculture couverture pour les filières agricoles et
agroalimentaires :
département ou la collectivité d’outre-
mer :
ultramarine • une autosuffisance pour les gran-
• une réduction du montant des ex-
portations agricoles et agroalimen-
des cultures d’exportation ;
taires globales ;
• une quasi-couverture des besoins
Bilan économique • une baisse de la part des exporta-
pour certaines cultures vivriè-
tions agricoles et agroalimentaires
L’évolution de la situation écono- res (manioc, igname, banane
dans les exportations totales ;
mique des filières agricoles et agroa- plantain…) ;
limentaires de l’outre-mer peut être • une stabilité ou un développement
• l’importation de l’Union européen-
appréhendée notamment par l’analyse du poids de l’industrie agroalimen-
ne et notamment de métropole de
de plusieurs grands indicateurs : taire compensant partiellement
la très grande majorité des produits
l’érosion des exportations de pro-
• la couverture des besoins alimen- alimentaires transformés consom-
duits de l’agriculture et de la pêche.
taires locaux ; més, du fait du faible développe-
• les exportations de produits agrico- ment de l’industrie de transforma-
La contribution à la valeur ajoutée
les et agroalimentaires ; tion agroalimentaire, induit par les
handicaps de l’ultrapériphéricité : Le poids du secteur agricole et agroa-
• la contribution à la valeur ajoutée.
coûts de revient élevés et étroitesse limentaire peut s’évaluer de manière
des marchés locaux. synthétique par sa contribution à la
La couverture des besoins alimentaires
valeur ajoutée totale des économies
locaux
Les exportations de produits agricoles régionales concernées. Des évolutions à
Pour de nombreuses filières, des pro- et agroalimentaires long terme peuvent être dégagées, tra-
grès ont été réalisés en termes de cou- duisant la tertiarisation de l’économie
L’importance des productions agrico-
verture des besoins alimentaires des dé- ultramarine, avec une importance crois-
les et agro-alimentaires ultramarines,
partements et collectivités d’outre-mer. sante des secteurs tertiaires marchands
la présence de débouchés commerciaux
La situation, très contrastée selon les (commerce, transport, tourisme, servi-
et leur compétitivité se reflètent direc-
filières et les territoires, reste cependant ces financiers…).
tement dans l’évolution observée des
toujours largement insuffisante, même
exportations, tant en volume et valeur, Les caractéristiques les plus notables
si une quasi-autonomie est atteinte
qu’en poids relatif dans les exportations de cette évolution sont les suivantes :
Agriculture et alimentation 61
• une forte réduction pour les DOM La Réunion Par ailleurs, les productions tradition-
(hors Mayotte) du poids de la valeur nelles, exportatrices et dominantes en
La Réunion a réussi à se doter depuis
ajoutée représentée par l’agricul- outre-mer, la canne à sucre et la banane,
25 ans d’une économie agricole diver-
ture et secondairement la pêche et ont enregistré une baisse marquée de-
sifiée. La filière exportatrice tradition-
la sylviculture (secteur primaire), puis 25 ans, renforçant ainsi la fragilité
nelle canne-sucre-rhum conserve une
avec une baisse relative minimale structurelle de l’économie agricole
importance significative malgré un net
de 30 % depuis dix ans, du fait des ultramarine.
recul. Les productions végétales, à l’ins-
difficultés des grandes filières de
tar de l’ananas, sont en progression et Le poids économique relatif de l’agri-
production
représentent un véritable potentiel de culture dans les régions ultramarines
• une légère progression, voire une diversification. Par ailleurs, les diverses est en recul face à la tertiarisation crois-
stagnation, du poids des industries filières animales ont su se professionna- sante des économies locales :
agroalimentaires, qui représentent liser et se structurer et contribuent de • les secteurs agricoles et agroali-
entre 1,6 % et 2,2 % de la valeur manière significative à la couverture des mentaires ne représentent qu’une
ajoutée totale. besoins locaux. part très limitée et décroissante de
Mayotte la valeur ajoutée des départements
Les évolutions par territoire et collectivités d’outre-mer ;
L’agriculture de Mayotte est tou-
La Guadeloupe • la balance commerciale agroalimen-
jours traditionnelle et vivrière. Elle
taire est très largement déficitaire ;
L’agriculture de la Guadeloupe reste reste caractérisée par des exploitations
familiales de petite taille, peu d’inves- • la couverture des besoins alimen-
toujours très dépendante de ses deux taires locaux est toujours trop par-
filières exportatrices traditionnelles. Si tissements et des filières encore trop
peu professionnelles et structurées. tielle, malgré des progrès observés,
après un cycle de baisse, la production à l’exemple des filières animales à la
de canne à sucre a quasiment doublé Les productions traditionnelles expor-
tatrices (ylang-ylang, vanille) subissent Réunion.
en 25 ans, la filière banane a subi depuis
près de quinze ans une chute sévère de un déclin depuis 25 ans. L’aquaculture
Évolutions contrastées selon les régions
son potentiel de production. Par ailleurs, représente une activité agricole récente
des succès notables ont été obtenus mais avec un fort potentiel commercial Un recul de l’activité agricole dans les
dans la filière fruits et légumes avec à l’exportation. DOM, tant en termes de potentiel global
des productions ciblées, alors que les de production que d’exportation, est
Saint-Pierre-et-Miquelon
filières animales doivent poursuivre leur observé depuis 25 ans à la Guadeloupe,
structuration. Malgré des conditions naturelles à la Martinique et même à la Réunion.
défavorables, les productions maraîchè- En Guyane, l’agriculture s’est fortement
La Guyane res, l’élevage principalement avicole et développée depuis 25 ans et peut bé-
l’aquaculture représentent pour Saint- néficier d’une extension de la surface
L’économie agricole de la Guyane est
Pierre-et-Miquelon une diversification agricole utilisée.
toujours duale, une agriculture tradi-
tionnelle et vivrière coexistant avec une économique, certes limitée en potentiel
Le potentiel agricole de Mayotte
agriculture mécanisée localisée sur la mais réelle, face au déclin irrémédiable
bénéficie d’une relative stabilisation,
bande littorale et qui a bénéficié d’un de la pêche.
tandis que les cultures demeurent à ce
fort développement depuis 25 ans. Dans jour trop peu mécanisées, intensives et
un contexte de progression démogra- professionnalisées.
phique marquée, la surface agricole uti- Synthèse sur les évolutions
À Saint-Pierre-et-Miquelon, le secteur
lisée (SAU) et le nombre d’exploitations constatées
ont fortement augmenté. Les filières agricole, qui a connu historiquement
L’agriculture ultramarine est au glo- des variations, était redevenu relative-
végétales, fruits et légumes et riz, se
bal en net recul malgré son importance ment marginal. Il a pu se développer
sont structurées et ont développé leurs
stratégique. Les principaux facteurs de plus récemment avec un potentiel li-
productions.
production de l’économie agricole ul- mité, à l’échelle de son marché local.
La Martinique tramarine sont fortement orientés à la
baisse depuis 1984 : La dépendance de l’agriculture
L’économie agricole de la Martinique ultramarine
est toujours dépendante de la filière • la surface agricole utilisée (SAU) et
banane exportatrice, qui a su se res- le nombre d’exploitations sont en L’économie agricole ultramarine est
tructurer et se professionnaliser pour très fort recul, hormis en Guyane et toujours caractérisée par son extrême
maintenir ses débouchés commerciaux, à Saint-Pierre-et-Miquelon ; dépendance. Celle-ci est multiple :
malgré l’impact d’une succession d’aléas • la population active agricole • dépendance produit, via une spécia-
climatiques. La filière canne-sucre-rhum, poursuit une évolution à la baisse lisation agricole de fait des DOM,
malgré le maintien d’une production de similaire. avec la concentration des activités
rhum significative et la mise en place Dans ce contexte, les exploitations se productives sur un petit nombre
de l’AOC, est pour sa part en net recul concentrent de manière croissante : de produits et de filières tradition-
depuis 25 ans. Hormis quelques produc- • les exploitations de plus de 20 hec- nelles historiquement dominantes :
tions de niche, les filières animales et tares ont un poids relatif accru en canne à sucre et banane ;
végétales de diversification n’ont pas termes de SAU et de production ; • dépendance commerciale, vis-à-
enregistré au global un développement vis de débouchés essentiellement
• l’agriculture ultramarine a ac-
marqué sur la période. limités à la France métropoli-
centué sa mécanisation et sa
professionnalisation. taine et à quelque pays de l’Union
62 Agriculture et alimentation
européenne avec un accès marginal Différenciation sur les mar- vis d’un petit nombre de produits,
au marché régional immédiat ; chés à l’export, couverture des essentiellement agricoles ;
• enfin, dépendance vis-à-vis des besoins en produits alimentaires • l’histoire de ces différents territoi-
fournisseurs, avec une limitation sur ses marchés locaux, sont res, qui est à l’origine de contraintes
des options d’approvisionne- les deux enjeux fondamentaux socioculturelles.
ment constituant un des han- et toujours d’actualité pour les
dicaps structurels des régions
filières agricoles et agroalimen- La reconnaissance par l’Union
ultrapériphériques.
taires de l’outre-mer. européenne
L’émergence progressive de la no-
Le besoin d’actions d’organisation et de
tion d’ultrapériphéricité s’est traduite
promotion
par la prise en compte progressive par
Le développement pérenne de l’agri- Des politiques les pouvoirs publics et la Commission
culture en outre-mer nécessite des européenne de la spécificité des RUP, de
actions fortes d’organisation et de pro- publiques leurs handicaps et de leurs conséquen-
motion. Tout d’abord, un programme de ces économiques négatives.
développement accru de la formation adaptées à Ainsi, le paragraphe 299.2 du Traité
professionnelle agricole locale est né-
cessaire, afin de doter du professionna- l’ultrapériphéricité consolidé des communautés euro-
péennes, intégré dans le Traité d’Ams-
lisme requis les futures ressources du
terdam en 1997, stipule que du fait de
développement agricole et de promou-
« facteurs dont la permanence et la
voir les carrières des filières agricoles et L’ultrapériphéricité
combinaison nuisent gravement à leur
agroalimentaires. La caractérisation de la notion développement », des « mesures spé-
La poursuite et l’intensification de la d’ultrapériphéricité cifiques » doivent être arrêtées pour
structuration des filières, avec le plus Les régions ultrapériphériques (RUP) limiter l’impact des conséquences éco-
grand nombre possible d’acteurs fédé- de l’Union européenne, comme les pays nomiques des handicaps des régions
rés au sein de groupements, d’organisa- et territoires d’outre-mer (PTOM), sont ultrapériphériques.
tions de producteurs et d’interprofes- caractérisées par des handicaps struc- Cette reconnaissance officielle justi-
sions, est une nécessité pour l’ensemble turels permanents spécifiques, dont la fie pleinement l’accès aux fonds structu-
des productions ultramarines. Par combinaison marque leur vulnérabilité rels et aux programmes horizontaux de
ailleurs, des stratégies marketing adap- et nuit à leur développement économi- l’Union européenne.
tées doivent être mises en œuvre afin de que. Cet état de fait traduit la notion
mettre en avant la qualité et la typicité « d’ultrapériphéricité ». Perspectives d’évolution
des productions ultramarines, via no-
Parmi les nombreux handicaps Les régions ultrapériphériques vont
tamment des actions de labellisation.
structurels qui frappent l’économie des devoir répondre dans les années à venir
Conclusion régions ultrapériphériques, dont font à de nouveaux défis dans un contexte
partie les DOM, et des pays et territoires économique et d’échanges commer-
Au final, l’agriculture ultramarine doit
d’outre-mer français, dont font partie ciaux en pleine mutation.
impérativement poursuivre sa mutation
et développer sa compétitivité et sa les COM, on peut évoquer : Les RUP vont devoir en effet faire
différenciation. En effet, le développe- • leur faible superficie, qui se traduit face, de manière encore plus forte que le
ment continu de la compétitivité est un par une limitation des surfaces agri- reste de l’Union européenne, à :
impératif constant dans un contexte de coles disponibles ; • une croissance démographique
concurrence internationale et d’ouver- • l’éloignement des grands marchés importante ;
ture accrues des marchés. internationaux : il constitue un • des effets du changement
Cette compétitivité pour l’économie facteur d’augmentation du coût climatique ;
agricole ultramarine doit passer, plus des intrants importés, des frais de
• la libéralisation croissante des
que par la recherche d’une seule pro- transport à l’exportation et gé-
échanges commerciaux dans
ductivité pénalisée d’emblée par des nère des coûts supplémentaires de
le cadre d’accords bilatéraux et
structures de coûts défavorables (han- stockage ;
multilatéraux ;
dicaps des régions ultrapériphériques), • l’insularité : elle se traduit par
• l’augmentation des coûts des ma-
par la différenciation de ses productions l’étroitesse des marchés locaux,
tières premières et de l’énergie.
et leur valorisation par le marché et les empêche le jeu des économies
consommateurs. d’échelle et renchérit les coûts de
transport ;
Il s’agit, par ailleurs, d’intensifier
largement les progrès récents, mais • les difficultés de climat et de relief :
somme toute encore limités, des pro- érosion des sols à vocation agricole,
ductions de diversification, qui peuvent effets dévastateurs des cyclones
bénéficier d’une demande alimentaire sur les équipements et les infras-
locale en croissance et de divers dispo- tructures de communication, créant
sitifs nationaux et communautaires de une plus grande pénibilité du travail
soutien à l’économie agricole de l’outre- et des freins à la productivité ;
mer. • leur dépendance économique vis-à-
Agriculture et alimentation 63
L’alimentation dans
les DOM-TOM : l’importance
des dimensions culturelles
Laurence Tibère,
Maitre de conférences en sociologie (Certop-CNRS, Université de Toulouse 2).
Manger n’est pas seulement une Au sens premier du terme, la créo- une société exprime sa structure et par
opération nutritionnelle ; c’est aussi et lisation alimentaire correspond aux lesquels ses membres construisent leur
sans doute avant tout, un acte social et formes d’entrecroisements culturels rapport au monde et aux autres (Tibère,
culturel, un acte symbolique par lequel intervenus après leur colonisation dans 2009). Partant de ce constat, je propose
se construisent et s’entretiennent les ces sociétés pour donner ce que l’on de réfléchir à la prise en compte du
identités collectives et les relations en- appelle localement les cuisines créo- statut culturel de l’alimentation dans
tre les hommes. Dans le cas des sociétés les ; ces hybridations se
ultramarines, le fait alimentaire s’inscrit poursuivent aujourd’hui À côté des raisons d’ordre matériel qui
dans des contextes socio-anthropologi- encore avec la globalisa- orientent les emprunts ou les rejets, les di-
ques singuliers du fait des interpénétra- tion et les migrations plus
mensions symboliques interviennent égale-
tions qui y ont eu lieu entre des groupes récentes. Plus largement,
d’origines culturelles différentes, dans le la créolisation alimentaire
ment, rappelant que la cuisine est un langa-
cadre de rapports sociaux inégalitaires, renvoie aux processus
ge, un système de signes et de symboles par
tendus voire violents et d’un contexte identitaires cristallisés lesquels une société exprime sa structure
politique particulier. En l’espace de trois dans les univers alimen- et par lesquels ses membres construisent
siècles, les métissages ont contribué taires des sociétés mul- leur rapport au monde et aux autres (Tibère,
à la création de sociétés complexes ticulturelles créoles. Elle 2009).
et variées, ayant pour dénominateur concerne les mécanismes
commun, la créolisation (Tibère, 2006). identitaires par lesquels un ingrédient, les sociétés d’Outre-mer dans deux
La créolisation est ainsi liée aux grands un aliment, une technique culinaire, un domaines dans le cadre desquels je suis
mouvements de globalisation interve- ustensile, un contenant, un mode de intervenue sur le plan professionnel. Le
nus à partir du XVIIe siècle, mettant en consommation sont adoptés ou non, premier concerne les transformations
circulation des ressources matérielles, ou mis en avant ou non, par tel ou tel des modèles alimentaires et les enjeux
des hommes et leurs cultures. Des uni- groupe cohabitant en situation de di- en termes de santé publique qu’ils im-
vers sociaux et culturels multiples se versité culturelle. Elle souligne le rôle pliquent. Le second porte sur la sphère
sont côtoyés, se sont souvent entrecroi- structurant de l’alimentation dans l’or- économique, plus précisément sur les
sés (Bastide, 1967). Ils ont donné nais- ganisation du vivre-ensemble entre dy- conditions de valorisation économique
sance à des productions matérielles et namiques intégratives et expression de des cultures alimentaires locales sur le
immatérielles, ainsi qu’à des formes de la différence. À côté des raisons d’ordre marché touristique.
cohabitation originales. Dans ce proces- matériel qui orientent les emprunts ou
sus, l’alimentation joue un rôle majeur les rejets, les dimensions symboliques
en tant que support de construction et interviennent également, rappelant que
d’expression identitaires. la cuisine est un langage, un système
de signes et de symboles par lesquels
66 Agriculture et alimentation
autant de compétences fragilisées au d’innovation dans les dynamiques de Je me suis intéressée aussi à ce qui
sein de certaines populations soit parce recomposition des patrimoines alimen- est choisi pour être proposé aux tou-
que les mutations sociétales ont été taires (Bessière et al., 2009). ristes, un peu comme des emblèmes
trop rapides pour que les dynamiques de cette spécificité créole : à côté des
J’illustrerai mon propos à travers
de transmission inter et intra-généra- préparations culinaires jugées emblé-
un exemple réunionnais, le réseau
tionnelles se déploient de façon satis- matiques et « abordables » par le client
« Villages Créoles », un dispositif de
faisante ; soit parce que les difficultés extérieur, à côté d’ingrédients ou de cer-
valorisation des patrimoines naturels
économiques et la précarité orientent taines techniques « incontournables »
les choix alimentaires vers des aliments telles que la cuisson au
qualitativement inférieurs. Les ateliers Autant d’aspects qui nous rappellent que feu de bois, on repère des
culinaires de type « roulotte du goût », le patrimoine n’est pas donné, il est sociale- composantes de la cultu-
ou « ateliers du mieux manger » à La ment construit et évolue au fil des reformu- re alimentaire locale plus
Réunion, ou encore, ateliers intergéné- lations liées aux contextes historiques et so- « exotiques », demandant
rationnels, mettant en situation d’ap- ciaux et aux interactions car sous le regard un effort d’adaptation
prentissage culinaire, enfants et parents du touriste, il se trouve réactivé. plus important de la part
voire même grands parents, en Polyné- du touriste métropolitain.
sie française en sont des exemples. Mais Ainsi certains professionnels proposent
et culturels locaux sur le marché touris-
d’autres supports tels que la télévision, à leurs clients de chambre d’hôte du
tique, adossé à une démarche de déve-
à travers des émissions de cuisine locale, riz chauffé, le matin ou l’après-midi. Le
loppement durable. Notre intervention
intégrant à la fois tradition, santé, mo- riz chauffé constitue aujourd’hui une
visait à accompagner les restaurateurs
dernité peuvent être intéressants. pratique résiduelle dans le quotidien
du réseau dans une réflexion sur le re-
alimentaire des Réunionnais et à ce titre,
nouvellement de l’offre de restauration
le choix de ces restaurateurs s’inscrit
dans le respect de la « tradition » créole.
pleinement dans une action de patrimo-
La valorisation Elle s’organisait autour de deux princi-
pales missions.
nialisation. Il est intéressant d’observer
l’attitude des touristes face à cette
économique et La première était de tracer avec les offre.
symbolique d’un acteurs impliqués dans l’offre de restau-
ration les contours de la « cuisine créo-
La seule évocation du « riz chauffé
que l’on fait revenir dans l’huile avec du
patrimoine le » : doit-on, à côté des plats tels que le
cari, le rougaï, composantes incontes-
sel, du piment et un peu d’ail » fait par-
fois grimacer le mangeur métropolitain
tées de l’univers culinaire créole, en pro-
dont certains sociologues soulignent la
poser d’autres tels que le massalé ou le
L’intérêt des touristes pour les cultu- « lipo-phobie » croissante. Les réactions
shop suey par exemple ? Les échanges
42
res alimentaires locales constituent immédiates face à tel ou tel plat, telle
et les débats autour de cette question
des leviers de développement local et ou telle pratique constituent des indica-
font écho au statut des populations
participent à la redynamisation des ter- teurs de proximité et de distance cultu-
réunionnaise, indiennes et chinoises,
ritoires en offrant des espaces de diver- relle, de la capacité à s’adapter. Autre
arrivées après la formation du « creuset
sification pour la production agricole dimension de la culture alimentaire, les
créole » (après 1848, après l’abolition
mais aussi l’artisanat (objet de la table, manières de table : certains profession-
de l’esclavage). Ils montrent bien le
ustensiles de cuisine…), les métiers de nels rencontrés n’hésitent pas en effet
rôle structurant de l’alimentation dans
bouche ainsi que les petites et moyen- à faire manger avec les doigts, « dans
les relations entre les membres des
nes entreprises agro-alimentaires. Ces les feuilles de bananier, comme le veut
sociétés. Un consensus s’est finalement
dynamiques de valorisation socio-éco- la tradition ». Manger avec les doigts
construit autour d’un « cœur » d’offre
nomique se prolongent dans l’univers demande un apprentissage que n’ont
créole et des éléments « créolisés »
du souvenir mais aussi grâce à la com- pas la plupart des touristes venant de
réunionnais.
mercialisation de ces produits dans les l’extérieur pour lesquels cette pratique
lieux de vie d’origine des touristes. est parfois difficile tant sur le plan tech-
nique que culturel.
A côté de ces aspects économiques,
d’autres, immatériels et symboliques 42 Cari : préparation à base d’oignon, ail, curcuma, La valorisation des manières de table,
thym, à partir de laquelle on prépare viandes ou
sont repérables localement. La mise en produits de la mer. Cari désigne plus générale-
en particulier le fait de manger avec
marché touristique des cuisines, des ment le repas, voire, « le manger ». Rougaï : le les doigts lors des piques niques trans-
plats, des ingrédients, des manières même terme désigne 2 types de préparations ; forme véritablement le « touriste de
l’une est un ragoût épicé (contenant moins de
de tables, des objets de la table etc. spectateur en acteur, il lui permet une
sauce généralement que le cari) servi en plat
s’accompagne en effet d’une prise de principal, l’autre est une préparation froide à rencontre intime avec une autre culture
conscience culturelle et participe de la base de piment et de condiments variés qui dans ce qu’elle a de plus concret et de
construction d’identité collective autour a fonction d’accompagnement. Le massalé plus savoureux, retrouvant la confusion
désigne à la fois un mélange d’épices amené
de l’alimentation. Autant d’aspects qui par les réunionnais originaires d’Inde et les étymologique de la saveur et du savoir »
nous rappellent que le patrimoine n’est préparations à base de ces épices ; aujourd’hui (Morin, 1962). L’univers des nourritures
pas donné, il est socialement construit sa consommation est largement répandue permet au touriste d’accéder à un autre
au sein de toute la population. Le shop suey
et évolue au fil des reformulations liées est originaire de Chine ; il s’agit d’un mélange
espace social alimentaire et de compren-
aux contextes historiques et sociaux de légumes sautés le plus souvent associé à dre comment le sien est organisé. Ici pas
et aux interactions car sous le regard de la viande ou des crustacés. Le shop suey de distance entre l’appareil photo et
s’est transformé dans le contexte local, il s’est
du touriste, il se trouve réactivé. Le tou- l’objet, pas de spectacle auquel on assis-
créolisé.
risme peut être envisagé comme vecteur te de loin, mais une situation qui plonge
68 Agriculture et alimentation
Pommes ou bananes ?
Pistes de réflexion autour
de l’alimentation des jeunes
Marie-Hélène Negre,
ingénieure d’études, spécialiste du fait alimentaire, École Nationale de Formation Agronomique, Toulouse
Ce texte nous propose d’aborder la question de l’alimentation chez les jeunes notam-
ment dans le cadre scolaire, d’après deux enquêtes menées en 2003 et 2005 dans des
établissements agricoles de Midi-Pyrénées. Ces enquêtes abordent les comportements
alimentaires des adolescents, tant dans leurs pratiques que dans leurs représenta-
tions associées.
Tirons quelques fils, évoquons quel- La température des plusieurs dimensions pour l’acte alimen-
produits peut influencer
ques caractères des comportements taire : la dimension biologique (manger pour
les choix des jeunes dans
alimentaires des jeunes auxquels nous
certains contextes. Lors
développer son organisme), la dimension
nous intéressons depuis quelques an- psychologique (la recherche du plaisir à tra-
nées à l’ENFA. Nous illustrerons notre d’un voyage en Finlande,
en fin d’hiver, (tempéra- vers son alimentation) et la dimension so-
intervention avec quelques résultats
tures négatives et mer ciale (la rencontre de l’altérité lors des prises
statistiques obtenus lors de deux en-
quêtes réalisées dans des lycées agrico- Baltique gelée) les préfé- alimentaires)
les de la région Midi-Pyrénées en 2003 rences des étudiants pour
années quatre-vingt-dix pour compren-
des aliments chauds ont été relevées.
et 2005 45 . Dans un second temps nous dre nos comportements alimentaires
Les jeunes interrogés alors déclaraient
évoquerons l’alimentation au lycée et ont identifié plusieurs dimensions pour
que « manger chaud » était le critère
les liens avec les enseignements. l’acte alimentaire : la dimension bio-
premier « du bien manger ». Sylvia Eloi-
logique (manger pour développer son
din, dans sa description des comporte-
ments alimentaires d’étudiants Antillais
46 O CHA : Observatoire Cniel des Habitudes Ali-
45 Pour plus d’informations sur ces enquêtes, mentaires, crée en 1992 par l’interprofession
marie-helene.negre@educagri.fr des produits laitiers
70 Agriculture et alimentation
• Dans la cadre du projet qu’ils avaient. Les normes d’esthétique tous les acteurs. Dans nos établisse-
d’établissement. développées chez les adolescentes par ments les élèves sont accompagnés vers
• Avec des partenaires territoriaux/ un phénomène d’auto surveillance (D. des choix éclairés de consommation,
acteurs et collectivités Guilhem et M. Sellami) les mènent vers y compris dans leurs comportements
des restrictions alimentaires. L’esthéti- alimentaires. Il parait juste d’insister sur
• Avec des professionnels, parents,
que et la diététique se rejoignent pour les liens inter et intra-disciplinaires mais
anciens élèves, experts sollicités.
diaboliser certains aliments et culpabi- aussi de valoriser toutes les démarches
liser certains mangeurs. Des processus et actions collectives portées par l’insti-
Citons également des démarches in-
de dévalorisation de soi se mettent en tution ou les groupes de pairs pour met-
novantes, pouvant servir d’appui,
place (L. Tibère). tre en place des situations d’échanges
• La note de service DGER N2009- qui permettront aux jeunes d’analyser
2065 du 10 juin 2009 « inciter les Dans nos enquêtes nous avons mis en
et de comprendre les enjeux de l’alimen-
établissements à participer aux évidence un lien entre l’état ressenti des
tation aujourd’hui et demain.
plans d’action régionaux pour une jeunes et leurs pratiques alimentaires,
politique de l’offre alimentaire sûre, ceux qui se sentent seuls ou trop mai- L’alimentation au lycée dépasse les
diversifiée et durable. » gres déclarent manger beaucoup plus prescriptions des référentiels et cette
fréquemment dans la journée. thématique peut être un terrain d’étude
• Les actions de la Direction Gé-
pour initier les communautés éduca-
nérale de l’Alimentation, comme Il serait juste d’évoquer la place de
tives à la prise en charge globale d’un
« un fruit pour la récré », le Pôle l’alimentation dans une stratégie de
fait d’actualité en lien avec leur projet
Accessibilité qui vise les populations promotion de la santé. La charte d’Ot-
d’établissement.
défavorisées tawa propose d’agir sur l’ensemble
• Les appels d’offre régionaux et ceux des déterminants de santé (biologie Les microcosmes que représentent
de réseaux de l’enseignement tels humaine, environnement, organisation nos établissements peuvent nous per-
que RESEDA… des soins de santé, modes de vie…) où la mettre d’observer comment ces espaces
dimension éducative n’est qu’une appro- sociaux sont investis par l’alimentation,
La cacophonie des discours nutrition- che parmi d’autres. L’émergence d’une et pourquoi pas, de les comparer avec
nels a perturbé les repères alimentaires. vision positive de la santé (selon l’OMS) d’autres lieux, d’autres territoires.
Les prescriptions peuvent conduire permet d’introduire une vision globale
Le bouleversement des pratiques
les adolescents à perdre des repères de la promotion de la santé perçue par
alimentaires que peut amener un éloi-
gnement de la matrice familiale ou
culturelle permet également de saisir
les spécificités de chacun. Les adapta-
tions individuelles et les métissages qui
Bibliographie en découlent permettent aujourd’hui
de faire un festin de nos diversités ali-
• Boutaud Jean-Jacques,
mentaires. Nous pouvons penser que
« Sémiopragmatique du goût », Cultures, nourri-
manger un Chawarma47 à Marrakech ou
ture ;Internationale de l’imaginaire n° 7,
un Chao men48 sur le port de Tahiti peut
maison des cultures du Monde, Babel, 1997
avoir une signification commune pour
• Corbeau Jean-Pierre, nos jeunes. Ces mises en scène codi-
« Socialité, sociabilité… sauce toujours ! », Cultures, fiées, à travers par exemple l’alimenta-
nourriture ; Internationale de l’imaginaire n° 7, tion de rue, témoignent d’une culture
maison des cultures du Monde, Babel, 1997 identitaire chez les adolescents. Et
• Eloidin Sylvia, nous, adultes, éducateurs, quel regard
« Alimentation des jeunes migrants originaires portons-nous sur l’alimentation de nos
des Antilles françaises, étudiants en France métro- élèves, étudiants et apprentis ?
politaine »,
texte exclusif mis en ligne sur
www.lemangeur-ocha.com, février 2009 / ///////////////////////////////////////
• Fischler Claude,
« l’Homnivore », éditions Odile Jacob, 1990
• Guilhem Dorothée et Sellami Meryem,
« Embellir son corps en mangeant- représenta-
tions et pratiques alimentaires des adolescents »
Alimentations adolescentes en France/Princi-
paux résultats d’AlimAdos, Cahier de l’OCHA
n° 14, sous la direction de N. Diasio, A.Hubert,
V.Pardo, septembre 2009
• Tibère Laurence,
« Obésité des adolescents : entre désamour et ac- 47 Sandwich fourré de viande grillée, garnie de
ceptation de soi », texte exclusif mis en ligne sur salade verte,tomate, oignons et frites, arrosé de
sauce ; origine Moyen-Orient
www.lemangeur-ocha.com, juin 2007
48 Sandwich composé de porc sauté, garni de
vermicelle, chou et verdure, arrosé de sauce ;
origine de la population chinoise de Tahiti
De
lieu(x)
en
lieu(x)
Valérie John
///////////////////////////////////////////////////////
Merci à Valérie John d’avoir accepté qu’une partie
de ses œuvres constitue l’identité visuelle de ce numéro
de Champs Culturels.
Contact
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59022 LILLE Cédex
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culturel » 68920 WINTZENHEIM 10120 ST POUANGE Basse-Normandie
DGER Tel :03 89 27 06 40 Tel :03.25.41.64.00
S/D des Politiques de Formation marc.oberheiden@educagri.fr fabienne.montaron@educagri.fr Stéphane BILLARD
et d’Éducation LEGTA de Sées
Bureau de la vie scolaire, Aquitaine Franche-Comté Rue du 11 novembre 1918
étudiante et de l’insertion 61500 SEES
EPL agro-environnemental Martine HAUTHIER DRAAF-SRFD Tel :02.33.8.74.00
du Tarn CRARC – DRAAF /SRFD Josiane DUVERNOY stephane.billard@educagri.fr
Site d’Albi Legta de Bergerac Immeuble Orion
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81000 ALBI 24240 MONBAZILLAC 25043 BESANCON cx
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et d’Éducation Site de Marmilhat - BP45 94234 CACHAN cédex Pays de la Loire
Bureau de la vie scolaire, 63370 LEMPDES
étudiante et de l’insertion Tél : 04 73 42 27 70 Vincent LEPLEY
Languedoc-Roussillon
1 ter, avenue de Lowendal catherine.heritier@educagri.fr LEGTA La Roche sur Yon
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