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Chemins d'Hécate
Portes, routes, carrefours et autres figures de l'entre-deux
Athanassia Zografou
DOI : 10.4000/books.pulg.1641
Éditeur : Presses universitaires de Liège Édition imprimée
Lieu d'édition : Liège ISBN : 9782960071771
Année d'édition : 2010
Date de mise en ligne : 25 octobre 2017
Collection : Kernos suppléments
ISBN électronique : 9782821896420
http://books.openedition.org
Référence électronique
ZOGRAFOU, Athanassia. Chemins d'Hécate : Portes, routes, carrefours et autres figures de l'entre-deux.
Nouvelle édition [en ligne]. Liège : Presses universitaires de Liège, 2010 (généré le 02 novembre 2017).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pulg/1641>. ISBN : 9782821896420. DOI :
10.4000/books.pulg.1641.
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Supplément 24
Chemins d’Hécate
Portes, routes, carrefours
et autres figures de l’entre-deux
Athanassia ZOGRAFOU
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Correspondance et informations
Revue Kernos, Université de Liège, 7, place du 20-Août, 4000 Liège (Belgique)
Tél. : + 32 (0)4 366 55 68 (Vinciane Pirenne-Delforge)
Télécopie : + 32 (0)4 366 58 41
E-mail : v.pirenne@ulg.ac.be
http://www.kernos.ulg.ac.be/
Couverture :
Cortège des noces de Thétis et Pélée. Cratère 2893 (tombe 617 V.T.). Musée archéologique
national de Ferrare (photo du Musée). Avec l’aimable autorisation du Ministero per i Beni e le
Attività Culturali.
ISBN : 978-2-9600717-7-1
D/2010/0480/22
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Supplément 24
Chemins d’Hécate
Portes, routes, carrefours
et autres figures de l’entre-deux
Athanassia ZOGRAFOU
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Avant propos
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Table des matières
Abréviations.................................................................................................................. 11
Introduction ............................................................................................................. 13
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Table des matières 9
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12 Abréviations
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Introduction
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14 Introduction
contre le piège qui consiste à forcer les données concernant chaque divinité afin de donner une
image harmonieuse de l’ensemble. L’approche « expérimentale » proposée par M. Detienne, qui
insiste sur le « détour par les détails les plus concrets et les segments de situations », constitue
peutbêtre l’antidote contre toute schématisation erronée des puissances divines et de leurs
associations ; voir Detienne 1997 : 57b72.
6 Kraus 1960 : passim. L’auteur s’intéresse surtout aux origines d’Hécate et à son type trimorb
phe ; en ce qui concerne l’éventuelle influence exercée par l’Ε(z)ν(ν)οδ!α thessalienne, voir ibid., p.
82b83.
7 Kraus 1960 : 12 sq. et 54b55, suit la plupart des spécialistes, lorsqu’il accepte la théorie de
l’origine orientale d’Hécate, fondée sur l’importance de son culte à Lagina à l’époque hellénistique
ainsi que sur le grand nombre des noms théophores en Carie (Sitting 1912 : 62 sq.). Hécate serait
en Carie une déesse aussi importante que Cybèle en Phrygie. Voir aussi Johnston 1999 : 205b206.
Contra Berg 1974. Voir infra, p. 50.
8 Voir, notamment, Clay 1984 : 27b38 (Hécate médiatrice dans la Théogonie d’Hésiode) et
Aronen 1987 : 59b70 (le rôle d’Hécate dans des textes archaïques confronté à celui qu’elle joue
dans la magie, la théurgie, les cultes à mystères et la philosophie néoplatonicienne) et Fauth 2006.
9 Voir Johnston 1990 : 21b26 et Johnston 1991, consacré aux carrefours (« the key to explainb
ing rituals at crossroads […] is remembering that crossroads are liminal points or transitional gaps
between defined, bounded areas…» 217).
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Introduction 15
Hecate brought with her from Asia Minor » et « her association with the souls
of the unhappy dead, who lingered at the doorways », elle souligne encore une
fois la présence de la déesse aux entrebdeux spatiaux10.
Un autre livre, celui de Robert Von Rudloff, Hekate in Ancient Greek Religion,
paru en 1999, présente une structure partiellement analogue à notre étude et
traite souvent des mêmes sources11. Toutefois, l’orientation de cet ouvrage est
complètement différente de la nôtre et peut parfois s’avérer complémentaire.
Bien qu’elle ait le mérite de résister à certaines idées reçues, cette monographie
propose une présentation plutôt condensée de la documentation, afin de
dresser l’inventaire des lieux de culte et de ce que l’auteur identifie comme cinq
fonctions majeures12. En revanche, la présente étude est fondée sur l’hypothèse
qu’Hécate, ainsi que toutes les divinités grecques, peut fonctionner comme un
opérateur éclairant une pluralité de personnages et de motifs.
Le livre de W. Fauth, Hekate Polymorphos…, paru en 2006, est surtout utile
pour ceux qui s’intéressent à l’Hécate de l’Antiquité tardive, figure très imporb
tante dans les papyri magiques et dans la gnose13. Ce savant essaie avec beaub
coup de courage et d’érudition de démêler l’écheveau d’un syncrétisme tardif,
comme il l’a fait pour la figure divine d’Hélios14. Dans ce but, il fait précéder
son étude d’un court chapitre présentant les témoignages sur Hekate in der
griechischen Dichtung vor der spätantiken Epoche. W. Fauth a beau constater que la
polymorphie est le lot d’Hécate bien avant l’union syncrétique de la déesse avec
Korê Kosmou, Sélénè ou Isis, il cherche avant tout en elle une déesse de la magie
et du monde d’en bas. Son rapide portrait d’Hécate archaïque et classique nous
paraît assez elliptique et imprégné des couleurs sombres des époques postérieub
res.
Enfin, une direction qui paraît ouvrir un horizon heureux à l’étude d’Hécate,
est celle de la religion moins réglementée de la maison et/ou de la famille,
direction qui croise l’intérêt pour la religion « non autorisée », en particulier,
pour la magie15.
10 Johnston 1999 : 247. Cf. 204 sq. Sur l’épiclèse de κουροτρ,φος ainsi que le rôle d’Hécate
dans les accouchements, voir infra, p. 99b100, n. 42b44.
11 Rudloff 1999.
12 Nous trouvons, toutefois, très schématique et parfois même arbitraire la façon dont
l’auteur sépare ou associe les différents rôles de la déesse. Pourquoi, par exemple, ses rôles
d’Enodia et de Trioditis seraientbils à mettre en rapport avant tout avec son aspect « chthonien »
plutôt qu’avec son rôle de déesse des transitions ? C’est dans le chapitre intitulé « Hekate
Chthonia : Dread Goddess of the Underworld » que l’auteur aborde aussi le problème de la
triplicité et le rapport de la déesse avec le chien, un choix qui nous semble peu pertinent. Cf.
Johnston 2000.
13 Fauth 2006.
14 Fauth 1995.
15 Voir, entre autres, Parker 2005 : 18b20, 124b126, Boedeker 2008 : 237, Faraone 2008 : 210b
211, 222b223. L’intérêt pour les rites domestiques, tels les purifications ou les sacrifices privés
touche fatalement au rôle des hekataia postés devant les portes des maisons, à savoir entre
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16 Introduction
Mettre en évidence les interactions entre notre figure divine et une série
d’objets et de catégories liés à l’expérience quotidienne des entrebdeux spatiaux,
ne signifie pas, pour autant, occulter les autres voies qui restent ouvertes à la
recherche : non seulement les portes et les routes concernent une multitude
d’autres puissances, mais Hécate ellebmême ne peut nullement être réduite à
« l’incarnation de l’intermédiaire », même si ce sont cet aspect de la déesse et ses
ramifications complexes qui nous occuperont dans cette étude. Sans chercher
en aucun cas à remplacer « Hécate magicienne » ou « Hécate chthonienne » par
une « Hécate des entrebdeux », nous avons fait le choix d’éclairer cette facette
particulière de la déesse.
Essayons d’expliquer ce choix. Si les longs développements et les grands
sanctuaires apparaissent rarement dans le corpus des sources concernant cette
déesse, le grand nombre de ses statuettes témoigne d’une présence importante
dans le monde grec. Afin d’exploiter cette richesse, notre attention s’est portée
sur tous les témoignages (des mentions brèves des inscriptions aux données
iconographiques) qui associent la déesse en question à un emplacement. Il s’agit
d’un ensemble de données qui, traversant des milieux et des contextes fort
l’espace privé et l’espace public. Chez Dillon 2002 : 170b175 et 246, l’implication d’Hécate dans
les rites domestiques croise son rôle dans la vie des femmes. Les études sur la magie soulignent
tantôt l’aspect « chthonien » d’Hécate (notamment dans les defixiones) tantôt son rapport avec
Médée (surtout chez Euripide, Apollonios de Rhodes et dans les Argonautiques orphiques) et son
identification avec Séléné chez Théocrite, tantôt son rôle tardif dans le monde grécobromain
(surtout dans les PGM). Voir, entre beaucoup d’autres, Graf 1994 : 316 (index, s.v. Hécate),
Collins 2008 : 70b72 et passim, Ogden 2008b, 33b36, 40, 130, 163. Martin 2005 : 169b177 essaie de
présenter un portrait global à partir les sources littéraires concernant la déesse, après avoir
reconnu que la personnalité de la déesse « demeure encore… relativement méconnue ».
16 Detienne 1997 : 72.
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divers, sur plusieurs siècles, confirment la prédilection d’Hécate pour les portes,
les routes, les triodoi et d’autres positions intermédiaires calquées sur cellesbci. Si
Hécate Προθυρα!α, Sνοδ!α et Τριοδ‚τις était déjà connue, nous avons entrepris
de l’observer attentivement au sein de ses associations avec d’autres puissances
divines (comme Apollon, Hermès ou les Charites), ainsi que dans divers milieux
et situations (espace de la maisonnée, fortifications de la cité, enceintes et voies
sacrées, itinéraires de voyage, errances et exclusions, mise en ordre du cosmos,
initiations et révélations divines, rites de purification) et de porter un regard
neuf sur certains de ses traits caractéristiques (port de torches, compagnie des
chiens, triplicité).
Ensuite, réfléchir sur l’espace est apparu comme l’une des manières les plus
intéressantes de sortir Hécate de son isolement en montrant que sa figure peut
être utile tant au dialogue comparatiste entre cultures différentes qu’à une
problématique actuelle. Nous assistons aujourd’hui à la multiplication des espab
ces neutres, espaces de transition, espaces « décontextualisés », réels ou virtuels,
que l’on parcourt en solitaire. Comment le sentiment de l’indéfini et l’expéb
rience d’une identité flottante ontbils été vécus jadis ? Comment les entrebdeux
(à la fois éclats d’un paradis indifférencié et marges chaotiques) révèlentbils leur
dynamique ambivalente à travers une figure divine du système polythéiste grec ?
Sans aborder directement ces questions, notre étude espère préparer un terrain
propice aux débats futurs.
L’interrogation sur la spatialité d’Hécate portera sur tout ce qui fait la spécib
ficité des entrebdeux : les attitudes, les objets, les situations qui en constituent la
« matière » ainsi que leurs habitants, leurs emblèmes, leurs transgresseurs, la
façon dont les puissances divines collaborent ou rivalisent autour d’eux. Il
convient aussi de se demander si la mise en ordre spatiale correspond, avant
tout, à une certaine division du temps et quelles sont les conclusions que nous
pourrions tirer du rythme des rituels hécatéens. Une dernière question doit
encore être affrontée, celle de savoir si le modèle spatial a quelque influence sur
la construction des panthéons et des groupements divins, et quel serait, dans ce
cas, le fonctionnement des figures qui jouent le rôle d’articulateur (divinités
servantes, acolytes, messagers et groupes qui jouent un rôle d’encadrement).
Toutes ces questions sont liées aux problèmes concernant Hécate, à savoir
sa relation avec l’impur, son intérêt pour les femmes et les enfants, les formes
qu’elle revêt lors de ses apparitions, la façon dont peintres et sculpteurs l’ont
représentée, sa position par rapport aux autres déesses parfois très proches
(Artémis, Perséphone, Déméter et la Mère des dieux), son identification avec
Iphigénie, son voisinage avec Hermès et Apollon, sa parenté avec la race
canine, la longévité de sa figure et son expansion tardive.
Même si l’étude des entrebdeux spatiaux dans leur forme la plus triviale
constitue le cœur de ce livre, elle est précédée de l’analyse du passage de la
Théogonie consacré à Hécate ainsi que de l’Hymne homérique à Déméter. Ce choix a
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18 Introduction
été dicté par l’envie de nous placer d’entrée de jeu dans le débat déjà ouvert sur
Hécate. Il vient aussi de la conviction que la lecture attentive de ces textes
permet de tenter un vabetbvient fructueux entre le plan conceptuel et le plan
rituel de la religion grecque. Dans les deux premiers chapitres, nous toucherons
donc à des problèmes déjà largement posés pour la plupart, à savoir pourquoi
Hésiode accorde autant d’importance à une figure ignorée par l’épopée homéb
rique, quelle est la place d’Hécate dans le règne de Zeus, quelle pourrait être son
implication dans le mythe de Perséphone ainsi que dans les Mystères d’Éleusis
et comment expliquer son importance dans les images illustrant le rapt de
Perséphone et son retour.
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Introduction 19
17 Steuding – Rocher 1884b1937 : col. 1885b1910, Heckenbach 1912 : col. 2769b2782, Sarian
1992 : i, 985b988, Rudloff 1999 : 33b59. Larson 2007 : 165b167, offre aussi une bonne synthèse sur
les cultes d’Hécate. Cf. Johnston 1999 : 204b211.
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Hécate dans la poésie archaïque
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Chapitre I
Le lot exceptionnel d’Hécate dans
la Théogonie d’Hésiode
1 Le tout premier témoignage sur le culte d’Hécate est un autel archaïque avec dédicace dans
le sanctuaire d’Apollon ‰ελφ!νιος à Milet. Voir infra, p. 138.
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24 Hécate dans la poésie archaïque
naissance de Zeus et à son accession au pouvoir – qui, eux, sont plus dévelopb
pés. Si Hécate n’est pas la seule à profiter d’une digression lors de l’exposé
généalogique – les Muses, Aphrodite et Styx jouissent également d’un traiteb
ment privilégié –, le passage qui lui est consacré en constitue pourtant l’exemple
le plus impressionant et le plus complexe.
Paradoxalement, les raisons qui fondent l’intérêt exceptionnel des vers que
la Théogonie consacre à Hécate sont cellesblà mêmes qui ont conduit le passage
en question à être longtemps suspecté. Surpris tant par son style que par son
contenu, philologues et historiens de la religion étaient plutôt réticents à reconb
naître son authenticité2.
Cependant, les condamnations, même au début du siècle, n’étaient pas
unanimes. Déjà dans un article de 1929, F. Pfister avait avancé un argument de
poids en faveur de l’authenticité de l’« hymne » en le reliant, à juste titre, à l’un
des motifs importants de la Théogonie, à savoir la répartition des τι α!,
« honneurs »/« prix » entre les dieux3. F. Solmsen, lui aussi, dans son étude
comparative de 1949 sur Hésiode et Eschyle, a défendu le contenu du même
texte en évoquant sa contribution au thème de l’exaltation de Zeus qui
constitue l’axe central de la Théogonie4. Il semble que ce soit également l’opinion
de P. Mazon qui observe, déjà dans la notice à son édition de 1928, que le trait
commun des cinq épisodes (sur un total de six dont un est celui d’Hécate), qui
interrompent l’exposé généalogique, est d’affirmer directement « le pouvoir
souverain de Zeus »5.
Une étape très importante pour la critique a été atteinte lorsque M. L. West a
entrepris, dans le commentaire de son édition6, de répondre consciencieusement
aux arguments stylistiques de I. Sellshopp7, mais surtout de G. S. Kirk8 contre
l’authenticité de l’« hymne » pour conserver le passage dans son intégralité
(comme le faisait aussi l’édition de P. Mazon). Cette victoire des partisans de
l’authenticité a été décisive. Non seulement l’« hymne » a retrouvé sa place dans la
Théogonie, mais une série d’études plus récentes ont considérablement contribué à
sa compréhension.
2 Pour le partage des spécialistes en ce qui concerne l’authenticité du passage, voir Solmsen
1949 : 51, n. 169 ; Kraus 1960 : 58, n. 276 ; Clay 1984 : 1, n. 1b3. Parmi les savants qui condamnent
le passage nous trouvons Schœmann 1868 : 190 ; WilamowitzbMoellendorff 1976 : 168 (cf.
WilamowitzbMoellendorff 1970 : 131, n. 2) ; Nilsson 1967 : 723 (cf. Nilsson 1949 : 204b205 et
Nilsson 1978 : 90) et Jacoby 1930 : 162b164.
3 Pfister 1929 : 1b9 à la suite de Friedländer 1914 : 1b16.
4 Solmsen 1949 : 51b54.
5 Mazon 1928 : 19.
6 West 1966 : 278b279. Contre une lecture analytique, voir aussi Tsagalis 2006 : 178 qui consib
dère en outre ce passage comme une σφραγ!ς littéraire témoignant de l’authenticité de la Théogonie.
7 Sellschopp 1934 : 52.
8 Kirk 1962 : 80, cf. 84b86.
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 25
9 Voir aussi la présentation du débat de façon systématique par Stoddard 2004 : 7b15 et
Tsagalis 2006 : 173b179. Cf. Rudloff 1999 : 6b21 et Fauth 2006 : 1b3. Parmi les approches qui
prennent en considération les données cultuelles ou mythologiques, voir aussi Boedeker 1983,
Judet de La Combe 1996, Clay 1984 et Clay 2003 : 129b140.
10 Voir l’analyse exemplaire par Pironti 2007 : 21b104 quant à Aphrodite.
11 Parmi les Titans, seuls Crios et Japet n’épousent pas leurs propres sœurs.
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26 Hécate dans la poésie archaïque
hommes »12. En examinant dans la Théogonie la série des unions qui permettent à
Zeus d’assurer son pouvoir, nous constatons, comme l’observe A. Bonnafé,
que Zeus n’a que des rapports plutôt indirects avec la mer, domaine réservé
d’une part aux descendants de Pontos et d’autre part à Poséidon, son rival
traditionnel13. Ainsi, bien qu’il se trouve lié par une union amoureuse à presque
toutes les Ouranides issues de la Terre et du Ciel, il ne l’est pas à la race issue de
Crios et de la Pontide Eurybiè14. Hécate peut donc se présenter, du point de
vue généalogique, comme le chaînon manquant d’un pouvoir qui veut tout
englober, comme une alliée précieuse méritant un traitement exceptionnel.
Cependant, dans la Théogonie, Hésiode ne met pas particulièrement en valeur
la parenté de notre déesse avec Pontos ; l’exposé généalogique fait plutôt
ressortir sa parenté avec le ciel étoilé. Impossible de ne pas remarquer que les
enfants de Crios sont cités juste après les enfants d’Žπερ!ων, « Quibparcourtb
lesbHauteurs » et de Théia, sources de la lumière céleste, à savoir •λιος, « le
Soleil », Σελ(νη, « la Lune », ‘’ς, « l’Aurore » (race à laquelle Zeus ne s’allie
pas non plus par mariage). Le rapprochement entre les fils de Crios et cette
famille lumineuse sera consolidé par l’union de l’un d’eux, Gστρα‚ος, « l’Étoilé »
avec Éos dont naîtront les vents ΖTφυρος, ΒορTης, Ν,τος, l’étoile du matin,
Nωσφ,ρος ainsi que les astres qui « couronnent » le ciel.
Certains trouvent dans le nom même de ΠTρσης, le père d’Hécate, des conb
notations astrales ou solaires15. Cela est suggéré par les scholies de la Théogonie
qui rapprochent ce nom de πTρω/περKω, « aller jusqu’au bout, achever » : « Il
appelle Persès – ΠTρσην – le soleil, parce qu’il se lève et après avoir achevé –
περαι’σας – son itinéraire, il laisse les étoiles briller »16. G. Derossi s’appuie sur
le rapprochement avec πTρθω, « détruire, ruiner par le fer et le feu » (déjà
proposé par les anciens lexicographes) pour conclure que le nom exprime « le
pouvoir dévastateur du feu cosmique »17. D’autres voient un rapport entre
ΠTρσης et π! πρη ι, dont l’aoriste –πρεσε aurait inspiré un premier nom comme
12 Rappelons qu’aux dires d’Apollonios de Rhodes, dans le Catalogue des femmes – Hés., fr. 262
(MerkelbachbWest) = schol. Apoll. Rhod., Argon., IV, 825b831g (Wendel) − Hécate est la mère
d’un monstre marin : ˜ν δ™ τα‚ς εγKλαις ‘ο!αις Φ,ρβαντος κα› NκKτης œ ΣκHλλα. Acousilaos,
FGrH 2 F 42 (Jacoby), accepte cette tradition en changeant le père en Phorkys, connu comme
étant le père de ΣκHλλα de l’Odyssée, tandis que Apollonios de Rhodes (Argon., IV, 828b829)
confond Hécate avec Κραται!ς, la mère de ΣκHλλα dans l’Odyssée (XII, 124b125). Cf. scholies ad
loc. : ΚρKταιιν Σˆ ,ς φησιν NκKτης κα› Τρ!τωνος, Κρατα!ιδος δ™ κα› ‰ε! ου ΣκHλλαν.
13 Pour la rivalité entre Zeus et Poséidon, voir Homère, Il., XV, 186 (I ,τι ος), 209
(zσ, ορος, I ž πεπρω Tνος αŸσ ).
14 Bonnafé 1985 : 93b94 et 95.
15 Schoemann 1857 : 232b233, qui présente plusieurs essais d’interpétation étymologique du
nom de Persès. Cf. Rudloff 1999 : 78 sq.
16 Schol. Hés., Théog., 409b² (Di Gregorio). Cf. Schoemann 1857 : 233 (rapprochement avec
π! πρη ι).
17 Derossi 1971b74 : 13 et 61, n. 90. Cf. Nagy 1990 : 74b75.
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 27
ΠρεσεHς. Finalement, une origine étrangère n’est pas exclue, si bien que la
véritable étymologie de ce nom reste – comme il arrive souvent – obscure18.
Il existe, pourtant, une association traditionnelle entre le nom ΠTρσης – et
ses féminins Περση!ς ou ΠTρση – et les astres en tant que sources du « feu » et
de la lumière célestes qui ne peut qu’être significative pour Hécate, souvent
appelée Περσα!ου θυγKτηρ, Περση!ς ou Περσ ε !α/η19. La Théogonie, en suivant
la tradition déjà connue par Homère, mariera Hélios à l’océanide Περση!ς
(ΠTρση dans l’Odyssée20) dont le nom coïncide avec le patronyme que recevra
Hécate chez Apollonios de Rhodes. De cette union naîtront Circé et Aiétès ;
Médée sera la fille de ce dernier21. Les correspondances entre les noms des deux
familles (celle de Persès et celle d’Aiètès) sont d’autant plus intéressantes que
Médée sera (dans la littérature postérieure à Hésiode) constamment associée à
Hécate22. Elle sera tantôt son adoratrice, tantôt sa prêtresse23, ou encore sa
fille : dans la version de Dionysios Scytobrachion, qui entremêle le mythe
d’Iphigénie en Tauride à celui de Médée, Persès est assimilé à un fils d’Hélios,
roi des Taures, et Hécate, sa fille (bellebfille d’Hélios), mariée à Aiètès, donne
naissance à Circé et à Médée24. Un jeu de correspondances entre les noms se
rapportant au soleil et aux astres existe également entre Persès et Astéria dans la
Théogonie et des figures inscrites dans un autre contexte mythique, Pasiphaé, fille
d’Hélios et de Perséis, et Astérios (ou le Minotaure), son fils25.
L’étrange affinité entre Persès et la race d’Hélios est, finalement, évoquée
dans la Théogonie par une correspondance subtile de termes désignant le savoir.
Persès, selon Hésiode, est « celui qui entre tous se distinguait par son savoir –
zδ οσHν σι »26. Nous pouvons voir, dans cette mention, outre une allusion
ironique à ν(πιος, « puéril », Persès, frère homonyme d’Hésiode (à qui le poète
s’adresse constamment dans les Travaux), l’évocation d’une qualité qui caractéb
rise la race d’Hélios. En effet, dans l’Iliade, Hélios luibmême est celui qui « voit
et qui entend tout »27 ; selon la Théogonie, Aiètès, son fils, prendra pour femme
¢δυ‚α, « la Savante », qui mettra au monde Μ(δεια, « HabilesbDesseins »28. Il
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28 Hécate dans la poésie archaïque
29 Dans une inscription du IIIe s. av. J.bC. nous trouvons pour la première fois ε•’νυ ος,
qualificatif d’Astéria hésiodique, comme épithète d’Artémis : Arvanitopoulos 1914 : 20, n° 225,
Λαοδ!κη GρτT ιδι Ε•ωνH ωι ¦Tρεια, cf. n° 221. West 1966 : 281 traduit ε•’νυ ος par « whom it is
good to speak of », par opposition à δυσ’νυ ος. Cf. Leclerc 1993 : 66b67. C’est sous le bon augure
de ce nom qu’Hécate va naître.
30 Pour le ciel Jστερ,εις, voir Hés., Théog., 106, 127, 414 (parmi les sphères où Hécate a une
part d’honneur), 463, 470, 737.
31 Hom., Il., Ι, 43 ; Ι, 64 ; Ι, 72 etc. Hécate aussi sera tardivement appelée, entre autres, Φο!βη :
Jean le Lydien, De mois, III, 10, 3 = Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, IV, 23, 7. Quant au
nom de Κο‚ος, grandbpère maternel d’Hécate, s’il se rattachait au verbe κοTω, « percevoir,
comprendre », il aurait la même origine que le terme indien kavib, « poète/devin », ce qui nous
rappelle la relation entre Apollon et la mantique. Les gloses d’Hésychios, respectivement aux
entrées πυρκ,οι et κο!ης, renforcent cette opinion. Voir Chantraine 1999 s.v. κοTω et, entre autres,
Nagy 1990 : 76.
32 Voir infra, p. 148.
33 Callimaque, Hymnes, IV (à Délos), 36b38.
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 29
34 Musée, 2 B 16 (DielsbKranz) = schol. Apoll. Rhod., Argon., III, 1035 (Wendel), cf. id., III,
467 : Gστερ!ας κα› ‰ι¨ς (θυγατTρα ε©ναι τªν NκKτην). West 1983 : 43, date ΕMNολ̟Qα, le poème d’où
provient notre fragment, des environs de la deuxième moitié du IVe s. av. J.bC. Selon M. L. West,
le but du poème était surtout de placer dans un contexte théogonique les figures importantes de
la mythologie d’Éleusis. Selon cette source, Hécate aurait donc un sort identique à celui d’Ion, fils
d’Apollon à l’insu de son « père » mortel. D’autres sources font d’Hécate la fille de Zeus et de
Déméter. Voir infra, p. 86b87.
35 Rudhardt 1993 : 205b208 et passim.
36 Hés., Théog., 918b919.
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30 Hécate dans la poésie archaïque
qu’offre le ciel étoilé, (415) et elle est exceptionnellement honorée parmi les dieux
immortels. Aujourd’hui encore, tout mortel d’icibbas qui veut par un beau sacrifice,
offert selon la règle, implorer une grâce invoque le nom d’Hécate ; et celuiblà dont la
déesse a reçu les prières avec bienveillance se voit suivi d’un immense honneur, sans
aucune peine. (420) Elle lui octroie la prospérité, ainsi qu’elle en a le pouvoir ; car de
tous enfants de la Terre et du Ciel qui ont obtenu des honneurs en partage, lui
revient un lot. Le fils de Cronos même s’est envers elle abstenu de violence ; il ne lui
a rien arraché de ce qu’elle avait obtenu en partage parmi les premiers dieux Titans :
(425) elle conserve ce que lui avait au début donné le premier partage. Pour être fille
unique, la déesse ne jouit point de moins d’honneurs et d’apanages sur la terre, au
ciel et sur la mer ; elle en a plus, au contraire, car Zeus l’honore. (429) À qui elle
veut, largement elle accorde son secours, veillant à ses côtés. (434) Au tribunal, elle
siège à côté des rois révérés. (430) À l’assemblée au milieu du peuple elle fait briller
qui elle veut. Quand pour la lutte meurtrière s’équipent les guerriers, elle vient au
secours de qui elle veut ; (433) ainsi de bon gré donnebtbelle la victoire et octroiebtb
elle la gloire. (439) Elle sait, parmi les cavaliers, se tenir à côté de qui elle veut. (435)
Elle sait aussi, quand les hommes joutent dans un concours, être à côté d’eux et les
secourir, et celui qui triomphe par sa force et par sa vigueur, (438) aisément et
allègrement obtient pour lui le beau prix, en même temps qu’il octroie grande gloire
à ses parents. (440) À ceux qui exploitent la vaste mer aux chemins périlleux, s’ils
invoquent Hécate et le retentissant Ébranleur de la terre, la noble déesse octroie
sans peine une abondante proie, comme sans peine aussi elle la leur ravit, selon ce
qu’elle veut en son cœur. Elle sait, avec Hermès, dans les étables faire croître le
bétail : (445) les troupeaux de bœufs, les vastes troupeaux de chèvres, les longues
colonnes de brebis laineuses, si elle le veut en son cœur, elle en fait de peu beaub
coup et en réduit beaucoup à peu. Ainsi elle a beau être fille unique de sa mère, elle
est parmi les Immortels honorée à la fois de tous les apanages. (450) Et le fils de
Cronos a fait d’elle la nourricière de la jeunesse pour tous ceux qui, après elle, ont
vu la clarté de l’Aurore, qui luit à d’innombrables yeux. Ainsi futbelle depuis les
premiers temps nourricière de la jeunesse ; voilà ses honneurs ».
La prolifération des termes appartenant au champ sémantique de la répartition,
comme τι (, « honneur, prix », τι Kω, « honorer », τ!ω, « honorer, estimer », γTρας,
« présent, marque d’honneur », δ[ρον, α©σα, « lot, destinée », ο‚ρα, « part,
portion », ε!ρο αι, « obtenir en partage », λαγχKνω, « obtenir par le sort » et
δασ ,ς, « partage », tout au long du passage cité cibdessus37 n’est pas surprenante ;
ces termes se réfèrent, au thème central du passage, à savoir les « honneurs »
attribués à la déesse lors des partages entre les anciens et les nouveaux dieux. Qu’il
s’agisse de l’ancien partage titanique ou du nouveau partage entre les Olympiens,
c’est l’autorité de Zeus qui donne ou confirme les « honneurs » en question.
Dans sa défense de l’originalité de l’« hymne à Hécate », F. Pfister fut le
premier à remarquer, comme on l’a vu, l’accent mis sur les « honneurs » de la
déesse, ce qui renvoie en effet à un thème récurrent de la Théogonie. Les mots
τι ( et γTρας, aussi bien que le concept qu’ils expriment, constituent une des
37 Le texte grec est repris dans l’annexe I, tel qu’il se présente dans l’édition de M. L. West.
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 31
clés les plus importantes, non seulement pour la compréhension de l’« hymne à
Hécate », mais aussi pour la compréhension générale du poème38. Avant
d’étudier la signification des « honneurs » et de leur répartition dans le passage
consacré à Hécate, il convient donc d’examiner comment se présente ce même
thème dans l’ensemble de la Théogonie.
C. Angier compte vingtbneuf occurrences des formes γTρας, τι (, τι Kω, τ!ω
tout au long du poème et tente d’en expliquer la répétition : « Not only is the
Theogony a chronicle of the birth of the gods but it is also the story of how they
acquired their positions in the divine hierarchy. Hence words connected with
‘office’, ‘function’, or ‘honor’ keep recurring throughout the poem »39. M.bC.
Leclerc s’est penchée, elle aussi, dans un article particulièrement intéressant, sur
le problème du partage des lots dans la Théogonie : parmi les cinquante occurrenb
ces des termes relatifs au partage qu’elle compte dans l’ensemble du poème,
dixbneuf proviennent du passage consacré à Hécate40.
Dans le proème de la Théogonie, la répartition des τι α! est d’abord mentionnée
comme l’œuvre de Zeus qui sanctionne son triomphe ; non seulement elle signale
le moment à partir duquel le chant des Muses peut commencer, mais elle
constitue aussi son contenu ultime : « lui il règne au ciel […] depuis qu’il a, par sa
puissance, triomphé de Cronos, son père, puis aux Immortels également réparti
toutes choses et fixé leurs honneurs – διTταξε ν, ους κα› ˜πTφραδε τι Kς. Et c’est
là ce que chantaient les Muses… » (v. 71b74)41. Inspiré par les Muses, Hésiode
suivra leur exemple. En demandant aux déesses de lui « raconter » tout ce qui
constituera le contenu de son propre poème, il énumère les enfants de Gaia,
d’Ouranos, de la Nuit et ceux « nourris par Pontos », tous étroitement liés aux
éléments de la nature, la terre, les fleuves, la mer, les étoiles et le ciel, puis les
Olympiens nés par la suite, leur triomphe et, en dernier lieu, la façon dont ils ont
partagé entre eux les τι α! : « comment ils partagèrent leurs richesses – aφενος
δKσσαντο –, comment entre eux ils répartirent les honneurs – τι ¯ς διTλοντο – et
comment ils occupèrent d’abord l’Olympe aux mille replis » (v. 112b113).
Le thème de la répartition des τι α! a une grande importance dans l’épisode
de Styx qui précède et prépare celui d’Hécate42. Le partage n’est pas évoqué
cette fois comme une réalité établie, mais plutôt comme une promesse faite par
Zeus qui ne se réalisera qu’après la titanomachie. C’est la première fois que
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32 Hécate dans la poésie archaïque
43 Zeus, défini dans l’épisode de Prométhée comme aφθιτα (δεα εzδ’ς (v. 545, 550, 560), va
jusqu’à avaler la déesse Μˆτις (v. 890) ; pour la façon dont les armes de ruse servent à la conquête
et au maintien du pouvoir, voir Detienne et Vernant 1974 : 61b125 et passim. L’épisode de
Prométhée révèle plus particulièrement le lien entre l’art de la répartition et la ruse : cf. Vernant
1979 : 39b40, 48.
44 La phrase d’introduction µτ’ ˜κρ!νοντο θεο› θνητο! τ’ aνθρωποι | Μηκ’ν (v. 535b536) fait
allusion à un conflit qui aboutira à la séparation entre hommes et dieux et à la répartition de leurs
statuts respectifs. Mécôné est, d’ailleurs, selon d’autres traditions, le lieu où s’est effectué le
partage des τι α! entre les dieux : schol. Pindare, Ném., IX, 123 (Drachmann) ; schol. Hom., Il.
XV, 21 situe le partage à Sicyone, là où se trouvait Mécôné. Cf. Rudhardt 1970 : 6b8.
45 Sur la « marginalité » de l’épisode de Prométhée, voir Vernant 1979 : 53b54. Quoique l’épisode
appartienne à un autre ordre de temporalité que celui des dieux, nous ne sommes pas d’accord avec
la conclusion de J.bP. Vernant, selon laquelle il « introduit dans la sphère des dieux une dimension
d’existence, une qualité d’être, qui touchent trop étroitement à l’humain pour s’intégrer parfaitement
dans l’ordre hiérarchique des puissances divines ». En effet, il y a dans la Théogonie une place pour
cette dimension plus « humaine » des dieux, comme le démontre l’épisode d’Hécate symétriquement
opposé à celui de Prométhée.
46 Il est intéressant, de ce point de vue, de rappeler qu’une scholie aux v. 535 sq. de la Théogo*
nie (Di Gregorio) explique la crise de Mécôné comme une définition des droits des dieux sur
l’humanité : ˜ν τž Mηκ’ν ˜κρ!νοντο τ!νες θεο› πο!ους Jνθρ’πους λKχοιεν.
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 33
Dans la Théogonie, les termes γTρας, ο‚ρα et α©σα sont utilisés alternativeb
ment pour désigner les lots des dieux, si bien qu’ils deviennent presque synob
nymes. En effet, on ne peut pas distinguer les deux étapes du partage homérib
que qui suivent le rassemblement de tout le butin, à savoir le prélèvement des
γTρα, « parts de distinctions, privilèges » et la désignation des ο‚ραι, « parts
désignées par le tirage au sort »49. ΓTρας, ο‚ρα et α©σα deviennent tous des
τι α!, « parts d’honneur ». Mais quel est exactement le contenu des τι α! dont le
partage préoccupe tant la Théogonie ? La difficulté de traduire le mot – « prix »,
« honneur », « apanage », « fonction » – donne une idée de la complexité du
concept. En comprenant l’ensemble des attributions, des fonctions et des
pouvoirs de chaque divinité, les τι α! correspondent à l’ensemble des niveaux
cosmiques, éléments naturels et puissances qui gèrent le monde – qui, décrits en
termes généalogiques, coïncident souvent avec les êtres divins euxbmêmes –,
bref à l’ensemble des constituants du monde50. En conséquence, « la bonne
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34 Hécate dans la poésie archaïque
Dans le passage consacré à Hécate sont évoqués tous les partages de la Théogo*
nie : (a) l’ancien partage – ετ¯ προτTροισι θεο‚σι – (v. 425 et 452) ; (b) le partage
entre les Olympiens effectué par Zeus – qui présuppose, comme on l’a vu, un
« partage » violent et inégal entre eux et les Titans vaincus – (v. 411b415, 421b423,
426b428, 448b451) ; (c) le partage inhérent à la pratique sacrificielle (et, en ce cas,
implicite), lié à la répartition du monde humain en sphères d’influence divine
(v. 416b420). Ce dernier serait d’ailleurs davantage un autre aspect de la répartition
faite entre les dieux vainqueurs qu’un partage indépendant.
mot κ,σ ος, voir, entre autres, Haebler 1967 : 101b118. Κ,σ ος en tant qu’ « ordre cosmique » –
par ex., Héraclite, 22 B 30 (DielsbKranz) – devient presque synonyme de notre « partage d’honb
neurs » en s’opposant à aφενος, « richesse », « butin » qui est la seule expression dans la Théogonie
désignant l’ensemble du monde avant son partage (et donc sa mise en ordre) définitif.
51 Bonnafé 1981 : 158, n. 8.
52 Rudhardt 1970 : 7.
53 HhDem., 311b312 et Ps.bApollod., Bibliothèque, III, 14, 1 (antagonisme entre Athéna et
Poséidon pour la possession de l’Acropole). Voir aussi Hdt., I, 118, 2 ; I, 90, 2 etc. Au sujet de la
τι ( au sens de « culte », voir Nagy 1994 : 153, § 1, n. 2 et 189b190 ainsi que Rudhardt 1970 : 6b7.
Cf. Cornford 1912 : 21b23, 38.
54 Pour le sens spatial des ¹θεα, « séjours » ou « demeures », cf. Hés., Trav., 167, 222, 525.
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 35
55 West 1966 : 282, « The way he has expressed himself suggests either that the sky was an
afterthought, or that he wished to give it special emphasis ».
56 Selon Mondi 1986 : 42b43, ces quatres éléments, à savoir la terre, la mer, le ciel et le monde
d’en bas représentent l’ensemble du cosmos dans la poésie archaïque.
57 Selon PellikaanbEngel 1974 : 13b15 et 18, Olympe et Tartare constituent des extrémités de
la terre diamétralement opposées entre elles. Cf. Hés., Théog., 841 : τKρταρα γα!ης.
58 Nous trouvons souvent la triade terre, ciel, mer dans l’Hymne homérique à Déméter : 13b14 (le
ciel – ο•ραν,ς –, la terre – γα‚α – et l’« âcre gonflement de la vague marine » – Jλ υρ¨ν ο©δ α
θαλKσσης – se réjouissent du parfum du narcisse) ; 33b34 (Perséphone aperçoit la terre – γα‚α –, le
ciel – ο•ραν,ς –, la mer – π,ντος ; 69b70 (Hélios « du haut de l’éther divin » – αzθTρος ˜κ δ!ης –
surveille la terre – χθ’ν – et la mer – π,ντος).
59 Schol. Hés., Théog., 112 (Di Grigorio).
60 Voir West 1966 : 283.
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36 Hécate dans la poésie archaïque
n’étaient pas encore devenus des sphères d’influence divine séparées les unes
des autres. Néanmoins, aux v. 412b413, Hésiode laisse entendre que c’est Zeus
qui lui accorde ce triple pouvoir : π,ρεν δT ο¦ Jγλα¯ δ[ρα | ο‚ραν –χειν γα!ης
τε κα› JτρυγTτοιο θαλKσσης. Quant à la fonction de κουροτρ,φος, elle est
successivement désignée comme un apanage offert par Zeus et comme un
privilège remontant à une époque plus ancienne : θˆκε δT ιν Κρον!δης
κουροτρ,φον, ο½ ετ᾽ ˜κε!νην | ¾φθαλ ο‚σιν Ÿδοντο φKος πολυδTρκεος ᾽ΗοÀς. |
ΟÁτως ˜ξ Jρχˆς κουροτρ,φος, α½ δT τε τι α! (v. 450b452). Cette fois la contrab
diction apparente est soulignée par le texte luibmême : Zeus n’aurait pu
accorder la fonction de « nourrice » à Hécate pour tous ceux qui naîtraient
« après elle », car il est, lui aussi, né après elle. Loin de constituer la preuve de la
maladresse ou de l’anhistoricité du récit hésiodique61, cette ambiguïté de la
provenance des « honneurs » d’Hécate est plutôt voulue : elle s’inscrit dans un
effort pour concilier la maîtrise de Zeus sur le monde avec l’ancienneté de
celuibci et, du même coup, pour auréoler la royauté du « père des dieux et des
hommes » du prestige des origines62. La difficulté se résout d’ailleurs si l’on
pense que Zeus, en validant le lot ancien d’Hécate, lui « donne » en même
temps ce dont elle disposait déjà, artifice digne de son génie de la répartition.
Le recensement des τι α! dans l’« hymne à Hécate », depuis les grandes
entités primordiales jusqu’aux parcelles du microcosme humain, évoque en
même temps une mise en ordre de l’univers. Les trois éléments, terre, mer et
ciel, constituent des macroblots cosmiques, de la différenciation desquels
semble découler toute l’étendue des domaines d’intervention divine dans le
monde humain. Celuibci est un monde de variations, mais aussi un monde
hiérarchisé, consolidé par ses lois et ses règles propres. Plusieurs catégories
d’hommes sont mentionnées aux v. 430b447 : les roisbjuges, ceux qui parlent à
l’assemblée, les guerriers, les cavaliers, ceux qui participent aux compétitions
61 C’est l’opinion de West 1966 : 284 (à propos du vers 422, « The important thing for Hesiod
is the extent of Hecate’s power now : his first impulse is to explain it as the ordinance of Zeus,
and a little further on he decides to claim a higher antiquity for it, not realizing the contradicb
tion ») et 289b300 (à propos du vers 450, « and we must suppose that Hesiod … was so
unpractised at thinking historically, that he failed to realize that an adjustement was necessary in
speaking of the period of the Titans’rule ». Cf. la critique de Bollack 1997 : 421, n. 229.
62 Boedeker 1983 : 82 en comparant Hécate avec Aphrodite et Styx, déesses du monde
préolympien, souligne que c’est seulement Hécate qui a sa τι ( « both from the beginning (from
the Titans) and from Zeus ». Zeitlin 1996 : 369, 371, 373 et n. 40, croit qu’en « recréant » le
pouvoir d’Hécate, Zeus lui confère une « existence double » qui combine « les catégories de
l’ancien et du nouveau, du premier et du dernier » ; elle souligne aussi (373) l’extrême utilité que
cette « existence double » peut avoir pour Zeus, le dernierbné des enfants de Cronos : « la
prétention de Zeus à l’hégémonie réside dans son statut de dernier et de plus développé des dieux
Olympiens. Pourtant, il doit d’une manière ou d’une autre acquérir le prestige des origines […]
Hécate est indispensable pour résoudre ces dilemmes… Ayant reçu ses honneurs deux fois, dès le
début et maintenant encore de Zeus, elle illustre de façon anticipée, de par son statut, une
solution au paradoxe de l’être à la fois premier et dernier ».
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 37
athlétiques, les marins et les éleveurs63. Comme le note M.bC. Leclerc, « il est
clair qu’il y a là […] une société avec ses classes d’âge, ses professions, sa
hiérarchie, ses lois humaines (le tribunal) et divines (prières et sacrifices) »64.
Parmi les activités que l’Hécate hésiodique surveille de près, la pêche et
l’élevage des animaux en seraient les plus humbles, étant donné qu’elles figurent
à la fin de la liste et qu’elles ne visent qu’à la survie sans augmenter le κÀδος ou
la τι ( des hommes qui les pratiquent. Ces derniers sont d’ailleurs à peine
nommés. Si les marins et les pêcheurs sont désignés par une subordonnée
relative, το‚ς ο½ … ˜ργKζονται, les bouviers, les chevriers et les bergers sont à
deviner derrière leurs troupeaux respectifs. Cependant, ces deux catégories
d’activité impliquent toute la surface de la mer (domaine de Poséidon) et les
pâturages de la campagne (domaine d’Hermès), étendant ainsi l’influence
d’Hécate loin du centre civique des communautés humaines65.
L’absence de mention explicite des femmes n’est pas étonnante, car la femme
ne participait apparemment pas aux activités en question. Hésiode ne trouve
d’ailleurs aucune vertu dans « les races des femmes » et se plaint, dans le mythe de
Pandore, de ce qu’elles ne font que profiter de la peine des hommes sans
contribuer à quoi que ce soit66. Cependant, la mention des parents au v. 438
suggère que les femmes existent bien dans ce monde humain auquel se réfère
l’« hymne ». En outre, en dehors de la liste des vers 430b447, nous trouvons deux
indices qui font allusion à la vie féminine. Il s’agit, d’abord, de la première allusion
au mariage à travers le titre d’aκοιτις donné à Astéria au vers 410, juste avant le
début de l’« hymne »67. Ensuite, vers la fin de l’« hymne », la fonction de
« nourrice » d’Hécate (sur laquelle nous allons revenir) évoque clairement la réalité
de la naissance (v. 450b451), commencement de la vie de tous les êtres.
Plus surprenante est l’absence de l’agriculture dans l’ensemble des activités qui
nécessitent l’intervention d’Hécate, surtout si l’on pense à la place qu’elle tient
dans les Travaux. En effet, c’est probablement dans cette œuvre d’Hésiode qu’il
faut chercher l’explication de ce manque. Comme l’a montré M. Detienne, la
pratique de l’agriculture est parallèle à celle du sacrifice en ce qu’elle peut « ajuster
les rapports entre les dieux et les hommes »68. Le travail agricole, vu par Hésiode
63 Boedeker 1983 : 83b86, ajoute à la liste les participants au sacrifice (416b420) les κοÀροι –
dont la présence se déduit de la fonction de κουροτρ,φος – (450b452) et constate une
organisation tripartite (selon le modèle trifonctionnel de G. Dumézil) qui exprimerait l’idée
qu’Hécate aide finalement toutes les catégories d’hommes. Cf. Clay 2003 : 133 sq.
64 Leclerc 1993 : 140.
65 Les références explicites à Hermès et à Poséidon ne sont peutbêtre pas sans rapport avec
les associations d’Hécate en dehors de la Théogonie, voir infra, p. 84 et 153b201. Cf. Rudloff 1999 :
80b82 et 85b86.
66 Voir Zeitlin 1996 : 350b357 qui recherche dans l’économie de la société hésiodique les
raisons du rejet de la femme.
67 Voir Hamilton 1989 : 109, n. 29.
68 Detienne 1963 : 32b51.
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38 Hécate dans la poésie archaïque
comme une vraie pratique religieuse, peut améliorer le sort humain. Aussi l’agrib
culture ne constituebtbelle pas une activité qui puisse être énumérée avec les
autres ; Hésiode préfère lui réserver une place à part69.
L’« hymne à Hécate » consacre en somme vingtbneuf vers (sur un ensemble de
quarantebetbun) aux humains. Néanmoins, nous ne croyons pas qu’un de ses
objectifs soit d’introduire le monde humain dans la Théogonie70. L’évocation des
réalités humaines est avant tout nécessaire pour accéder aux honneurs « visibles »
des dieux. La liste des activités humaines correspond au partage de la surface de la
terre en enceintes sacrées et en zones d’influence. Non seulement la mention de
l’acte sacrificiel en tête de cette liste est révélatrice à cet égard, mais encore, en
énumérant les catégories d’activités humaines, Hésiode prend soin de justifier
chaque fois – on y reviendra – le recours au sacrifice et à la prière, ce qui
transforme chaque domaine d’activité en domaine d’intervention divine.
À l’intérieur de chaque catégorie, nous pouvons distinguer ceux qui gagnent
aux dépens de ceux qui perdent, ceux qui ne font que s’enrichir par opposition
à ceux qui s’appauvrissent, selon que la déesse les soutient ou non. La libre
volonté (Ã δ᾽ ˜θTλ , ˜θTλουσK γε θυ Ä etc.) et la facilité (Åε‚α, Åηιδ!ως) avec
lesquelles Hécate accorde ou refuse sa faveur aux hommes ne constituent pourb
tant pas un mode d’intervention propre à elle seule ; ce sont des caractéristiques
qui, dans la poésie hésiodique, différencient en général les interventions des
dieux de la contrainte, la douleur et la fatigue qui sont le lot des hommes71.
Zeus luibmême incarne, dans le proème des Travaux, ce modèle de comporteb
ment face aux mortels : « par qui (Zeus) tous les mortels sont obscurs ou
illustres, connus ou inconnus, au gré de Zeus puissant. Aisément, il donne la
force et aisément abat les forts, aisément il ploie les superbes et exalte les
humbles, aisément il redresse les âmes torses et sèche les vies orgueilleuses »72.
69 Nous ne saurions être d’accord avec la proposition de Bollack 1997 : 177 selon laquelle
l’agriculture serait laissée de côté parce que, à la différence des autres activités mentionnées, son
résultat n’est pas incertain. Marquardt 1981 : 258 croit qu’Hésiode a voulu éviter d’assigner à
Hécate un honneur du domaine de Gaia, divinité dont il connaîtrait un culte établi. De même,
Boedeker 1983 : 85 a avancé que l’agriculture serait absente, soit à cause de l’emprise de Déméter
sur ce domaine, soit à cause de la parenté d’Hécate avec la figure de la Π,τνια Θηρ[ν. Ces
arguments sont annulés par la grande capacité de l’Hécate hésiodique d’agir de concert avec
d’autres dieux (par ex. avec Poséidon, aussi important pour la mer que Déméter l’est pour la
terre). Quant à la relation d’Hécate avec la Π,τνια, elle est trop problématique en soi pour fournir
une explication (Hécate n’est pas particulièrement liée aux animaux).
70 Voir Arrighetti 1976 : 7b9 d’après qui la Théogonie ne parle du monde humain que dans la
mesure où les τι α! divines sont concernées. Cf. Detienne 1988 : 168, « Pour Hésiode, le vrai
discours sur l’Être, ce sont les dieux… » et Thalmann 1984 : 42 qui juge que dans la Théogonie
prévaut le point de vue cosmologique.
71 Voir, par exemple, le mode d’intervention des Muses : Théog., 81, 87, 90, 96, 103. West
1966 : 288 donne plusieurs exemples, en dehors d’Hésiode, où il est dit d’un dieu qu’il peut faire
selon sa volonté une chose ou son contraire : « A god’s power is often emphasized by saying that
he can do either of two opposite things ».
72 Hés., Trav., 3b7.
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 39
C’est pour cette raison que nous avons du mal à voir dans l’Hécate hésiodib
que la déesse particulière de l’accidentel ou du contingent73, la conceptualisation
de la chance (comme le veut J. Bollack74), ou encore la déesse de la (bonne)
volonté75. Les échos de l’« hymne » que nous trouvons dans les vers cités du
proème des Travaux ont pu mener à la conclusion qu’il y a un jeu de mots
rapprochant plus précisément l’expression ±κητι ‰ι¨ς et le nom ÈΕκKτη que
nous trouvons dans l’« hymne »76. Quoique, à notre avis, les deux passages
soient trop éloignés pour qu’on puisse déceler dans leur ressemblance une
tentative pour retrouver l’étymologie du nom d’Hécate, leur comparaison nous
permet de percevoir la proximité d’Hécate et de Zeus dans la poésie d’Hésiode.
En répétant qu’Hécate accorde son soutien « sans peine » et « selon son gré »,
Hésiode souligne en réalité la distance qui sépare la race des mortels de celle des
immortels. Il s’ensuit que la division du monde humain en gagnants et perdants
n’est pas l’expression d’une « nature capricieuse » : non seulement elle s’inscrit
dans la logique de la différenciation qui définit l’ensemble de l’« hymne », mais
elle justifie aussi le recours au sacrifice et à la prière déjà mentionnés77.
Les honneurs que les hommes offrent à chacun des dieux ne peuvent être
fondés, dans la pensée d’Hésiode, que sur l’incertitude de la vie humaine. Hésiode
ne parle pas de l’accomplissement des vœux qui accompagnent les sacrifices.
Certes, le culte ne constitue pas une contrainte pour le divin et celuibci reste
imprévisible. Néanmoins, faute d’autres moyens pour tenter une alliance avec les
dieux, le système sacrificiel est envisagé dans l’« hymne » dans ses aspects positifs.
Du point de vue humain, l’Hécate hésiodique est présentée comme la divib
nité à invoquer en toute occasion, redoutable comme l’est le divin en général,
mais bénéfique, aussi, comme peu de dieux sauraient l’être. Si elle reçoit de
Zeus des dons exceptionnels, elle sait aussi les transmettre au monde des
73 Voir, par exemple, Judet de la Combe 1996 : 279 (comparaison de l’« hymne à Hécate »
avec l’épisode de Mécônè et de Pandore) : « Déesse du hasard et de l’indéterminé, Hécate
réintroduit également au sein du monde réglé par Zeus un principe de désordre … »
74 Bollack 1997 : 177.
75 Parmi les savants qui expliquent le nom d’Hécate comme « la déesse qui agit de son plein
gré » ou « la déesse de la bonne volonté » par rapprochement avec ˜θTλω, ²κοÀσα ou ±κητι, voir
Prellwitz 1929 : 146b147 ; Walcot 1958 : 11 ; Derossi 1971b1974 : 18b26 ; Arrighetti 1987 : 27b28. Cf.
Marquardt 1981 : 247b249 qui souligne, elle aussi, la répétition du thème de la libre volonté.
Pourtant, nous ne croyons pas que le thème de la volonté permette de percevoir la particularité
d’Hécate dans la Théogonie ; pour l’étymologie d’ÈΕκKτη par ²κ’ν ou d’Fεκατ − voir infra, p. 148 sq.
76 Voir Clay 1984 : 35 qui finit par expliquer le nom d’Hécate comme « the one by whose will
– ±κητι – prayers are fulfilled », cf. Clay 2003 : 135b136. Hamilton 1989 : 22 et 110, n. 8 écrit à ce
sujet : « if the connection (entre Hécate et « Zeus’ causality ») indeed exists, Zeus is much more
present than at first appears, and we might explain Hecate’s universal power » ; le même auteur
propose également une connexion entre le nom de ÈΡε!η, mère de Zeus (début du vers 453, juste
après la fin de l’« hymne »), et l’adverbe Åε‚α, par lequel commencent les vers 438 et 443.
77 Leclerc 1993 : 153b154, par une autre voie, conclut que la prière marque l’inégalité entre les
hommes et les dieux : les uns ne peuvent que prier, tandis que les autres commandent selon leur
« bon vouloir ».
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40 Hécate dans la poésie archaïque
humains78. Elle octroie tout ce dont elle dispose : honneur, prospérité, distincb
tion, victoire, prestige79. Prononcer son nom au cours de chaque sacrifice est
indispensable pour que la prière soit reçue, comme le montrent les vers 416b
419 : µτε ποH τις ˜πιχθον!ων Jνθρ’πων | –ρδων ¦ερ¯ καλ¯ κατ¯ ν, ον ³λKσκηται,
| κικλ(σκει ÈΕκKτην : πολλ( τε ο¦ –σπετο τι ª | Åε‚α Kλ᾽, Ã πρ,φρων γε θε¯
³ποδTξεται ε•χKς …80.
Cependant, c’est le point de vue divin et cosmologique qui prévaut dans
l’« hymne ». Grâce à l’« omniprésence» d’Hécate, l’aφενος des dieux s’explicite et
se rassemble non seulement à travers les sphères cosmiques, mais aussi à travers
chaque parcelle de l’univers humain. Il est clair que le partage, selon le modèle
que propose l’« hymne », est une récapitulation et une mise en ordre du monde
sans pour autant être une séparation81. Autrement dit, dans la figure d’Hécate,
78 Sur ce point, voir aussi l’étymologie proposée par Schoemann 1885 : 414 qui suit en cela
Klausen : « Hécate ellebmême représente la force divine, à l’aide de laquelle les habitants du ciel
agissent de loin, ±καθεν, sans rapprochement matériel. C’est pourquoi […] aussi on a soin, en priant,
de ne pas l’oublier ». À cette hypothèse nous pouvons objecter qu’Hécate n’est pas la seule divinité
qui peut se rapprocher des hommes (voir, par exemple, les v. 80b81 à propos des Muses). Hésiode,
contrairement à Homère, ne s’attache pas, en général, à présenter l’action divine dans le monde
humain. Nous ne croyons donc pas que la proximité avec les mortels, quoique soulignée par
l’« hymne », constitue le trait le plus important de la figure d’Hécate dans la Théogonie.
79 Rappelons que dans l’Iliade l’« honneur » et le « prestige » sont des dons de Zeus : ˜κ ‰ι¨ς
τι ª κα› κÀδος ¾πηδε‚ (XVII, 251).
80 Nous ne pouvons pas imaginer une réalité cultuelle à laquelle correspondrait cette invocab
tion d’Hécate, comme le proposent Marquardt 1981 : 244 et surtout Clay 1984 : 35b36 qui pense
qu’Hésiode a été inspiré par la coutume d’offrir, avant une série de sacrifices, un πρ,θυ α,
« sacrifice préliminaire », à une déesse Κουροτρ,φος. Cette hypothèse se heurte, d’abord, au fait
que la déesse Κουροτρ,φος (honorée surtout en Attique) à qui s’adressait le πρ,θυ α ne se trouve
nulle part identifiée à Hécate. Il est d’ailleurs clair, comme le signale J. S. Clay, que dans le
calendrier du dème d’Erchia (LSCG, 18) la déesse Κουροτρ,φος est indépendante d’Hécate.
Ensuite, le texte de la Théogonie parle d’une invocation d’Hécate et non d’un sacrifice qui lui est
offert. Ce dernier point nous paraît d’autant plus important que le verbe utilisé est κικλ(σκω, qui
signifie normalement chez Hésiode « appeler par un nom » (Leclerc 1993 : 64). La clé de la
compréhension des vers 416b419 réside peutbêtre dans la déclaration selon laquelle tous les
hommes ne peuvent pas nommer tous les dieux (en l’occurrence tous les dieuxbfleuves), mais
seulement ceux de leur entourage (Théogonie, 369b370 ; voir aussi Leclerc 1993 : 152b154, qui voit
dans la Théogonie une dégradation menant, pour ce qui concerne les hommes, d’une « ancienne
capacité verbale » partagée avec les dieux à une « parole imparfaite » réduite à la prière. Le nom
d’Hécate résisterait alors au morcellement de la connaissance humaine comme s’il était un nom
connu, facile à prononcer, de la même façon que la part d’honneur de la déesse résiste à la règle
de la répartition. Par conséquent, l’invocation d’Hécate, loin de remplacer les invocations aux
autres dieux, en constituerait le paradigme. Le rapprochement entre NκKτη et ²κKστη (voir infra,
p. 48) corroborerait cette interprétation : les hommes prient Hécate, comme ils prieront chacune
des divinités.
81 Cette récapitulation des provinces du cosmos juste avant la naissance de Zeus et, en outre,
à l’occasion de la présentation d’une déesse qui recevra, entre autres, le titre de κουροτρ,φος,
« nourrice des jeunes », nous rappelle les chants généalogiques hawaïens, composés par les
bardes, lorsque la princesse est enceinte, afin de revêtir l’enfant du prestige des origines, Eliade
1997 : 37.
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 41
le patrimoine divin s’articule tout en restant uni82. Aussi estbil que le lot
d’Hécate se substitue – dans une moindre échelle – à une sorte d’indivision
originelle83, comme une cellule qui contiendrait, diraitbon aujourd’hui, le « code
génétique » de l’univers.
Dès lors, Zeus se révèle maître du monde en offrant à Hécate son lot excepb
tionnel, et cela sans prendre le moindre risque. Si la déesse, avec son pouvoir
étendu, fait exception à la règle de la répartition des fonctions entre dieux, ce
n’est pas uniquement, comme l’affirme M.bC. Leclerc, pour consolider la
répartition entre les hommes84 ; c’est surtout pour le faire entre les dieux euxb
mêmes : l’inventaire détaillé de son patrimoine indivis, à la fois, ménage la
suprématie de Zeus et rend possible le partage entre les autres dieux.
D’autre part, même si Hécate est omniprésente, elle n’est aucunement touteb
puissante. Ses domaines ne lui sont pas exclusivement réservés. Comme le
montrent les exemples de son association avec Hermès ou avec Poséidon que
donne Hésiode (aux v. 441 et 444 respectivement), la déesse peut coexister avec
d’autres dieux sans empiéter sur leur propre pouvoir85. En outre – et c’est une
remarque qui revient souvent dans les études sur l’« hymne » –, Hécate est
« isolée socialement » dans la Théogonie : elle est dépourvue de frères, d’époux,
ou de progéniture mâle qui pourraient s’allier à elle pour menacer le règne de
Zeus. La sphère d’influence de la déesse se borne à refléter chaque facette de
celle de Zeus, mais elle n’en demeure qu’une micrographie86.
Force est, toutefois, de constater qu’il s’en faut de peu que le pouvoir
d’Hécate ne perturbe l’équilibre du monde olympien. Or le fantôme d’une
Hécate très puissante que nous trouvons dans une tradition, selon toute
évidence postérieure à la Théogonie, exprime une inquiétude latente générée sans
doute par le portrait de l’Hécate hésiodique. Cette tradition – rapportée par
l’historien Néanthès de Cyzique – semble avoir décelé dans la figure d’Hécate la
neutralisation d’un concurrent mâle destiné à dompter Zeus. Tel qu’il est cité
par l’Etymologicum Magnum, le texte ne fait pas sens parce qu’il donne le même
nom à la mère et à son enfant : « Néanthès dans le premier livre de son œuvre
Des Initiations dit qu’un oracle a été donné à Zeus selon lequel celui qui naîtrait
de la matrice d’Hécate – ˜κ τˆς (τρας τˆς NκKτης – le détrônerait ; ainsi,
quand Hécate est née – γεννηθε!σης δ™ τˆς NκKτης –, les jeunes filles qui
82 Bollack 1997 : 178b179 : « L’omniprésence mobile (d’Hécate) confond les fiefs séparés, et,
préservant l’avenir de l’origine, supprime sans cesse les frontières figées de l’univers ».
83 Ce rôle est d’autant plus important qu’au début de la cosmogonie hésiodique il n’y a rien qui
puisse représenter la plénitude originelle à la façon de l’Œuf orphique, voir Detienne 1988 : 168.
84 Leclerc 1993 : 141.
85 Voir Clay 1984 : 31. Ce mode d’intervention n’est pas sans rappeler le modèle d’un type de
famille où plusieurs enfants cultivent un patrimoine commun : Detienne 1963 : 23.
86 Selon Boedeker 1983 : 90b92, Hécate est une sorte de petit Zeus, « providing a model for
Zeus synthesis of powers ». Voir aussi Arthur 1982 : 68 et Zeitlin 1996 : 371b373.
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42 Hécate dans la poésie archaïque
assistaient l’accouchée ont crié briton, c’estbàbdire ‘bon’et la déesse a été nommée
d’après ce cri »87. F. Jacoby propose de remplacer γεννηθε!σης δ™ τˆς NκKτης
par γεννηθε!σης δ™ τˆς GρτT ιδος. Nous croyons, pourtant, que la proposition
de K. O. Müller de remplacer (τρας par ητρ,ς est plus soutenable88 : Hécate,
née à la place d’une progéniture mâle qui selon l’oracle détrônerait Zeus, est
saluée comme un enfant qui portera bonheur, βρ!τον, appellation qui justifie
son identification avec Britomartis89.
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 43
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44 Hécate dans la poésie archaïque
l’objet de l’attention particulière des spécialistes. Quel est l’intérêt, pour Hécate,
d’être « fille unique » et pourquoi sa fonction de « nourrice » se démarquebtbelle
ostensiblement de toutes ses autres fonctions ?
Une pléthore d’explications a été proposée pour ουνογεν(ς96. Du point de
vue social, la situation d’Hécate a, par exemple, été comparée à celle d’une
˜π!κληρος κ,ρη, c’estbàbdire d’une héritière unique du patrimoine de sa famille97.
Seulement, au lieu de se marier comme une vraie ˜π!κληρος avec un homme de
sa famille (l’institution n’existait de toute façon pas à l’époque d’Hésiode),
Hécate transmettra son héritage à Zeus comme si elle était une de ses filles ;
l’effacement du père dans l’expression ουνογενªς Tκ NητρXς, « fille unique de sa
mère », ne fait que faciliter cette sorte d’adoption par l’oncle maternel (ce qui
n’empêche pas Hécate de jouir d’un statut plus autonome que celui des filles de
Zeus). M. Arthur, la première à proposer cette mise en parallèle, pense que c’est
à une sousbévaluation sociale qu’Hécate doit sa récompense par Zeus98. Nous
ne saurions, dans le cadre de la présente étude, discuter en termes de masculin/
féminin la particularité des « honneurs » d’Hécate, comme le fait M. Arthur
dans un article original. Certes, l’exemple de l’˜π!κληρος, bien qu’il n’épuise
aucunement la signification de la ουνογεν(ς, n’est pas dépourvu d’intérêt car il
permet de considérer Hécate comme la « fille unique » par qui la fortune entière
de l’ancienne génération passera au règne de Zeus.
Une autre possibilité existe : voir dans l’attribut en question un rapport thémab
tique, d’abord, avec la situation personnelle d’Hésiode (l’homonymie entre le
frère d’Hésiode et le père d’Hécate encourage cette tentative) et, ensuite, avec la
réalité historique (économicobsociale) de son époque, décrites l’une et l’autre dans
les Travaux. Or, le litige à propos de la division du bien paternel qui oppose
Hésiode à son frère n’aurait pas eu lieu si, comme l’observe P. Walcot, il n’y avait
eu qu’un seul héritier, autrement dit si Hésiode (ou Persès) était ουνογεν(ς99. En
vérité, le problème dépasse le niveau autobiographique car il correspond, comme
l’a très bien montré M. Detienne, à la crise économique que décrivent les Travaux.
À l’origine de cette crise il y a non seulement le manque de terres, mais aussi la
division de la propriété familiale lors des partages successoraux100. Dans une
économie de pénurie la prolifération des enfants serait naturellement considérée
comme une menace101. Aussi l’héritier ουνογεν(ς représenteraitbil la seule solub
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 45
tion face à l’éclatement des petites propriétés, solution qu’Hésiode n’hésite pas à
prôner explicitement : « Puissesbtu n’avoir qu’un fils – ουνογενªς δ™ πKις εŸη –
pour nourrir le bien paternel – ainsi la richesse croît dans les maisons »102. De
même que le rapprochement avec ˜π!κληρος, cette explication associe la qualité
de ουνογεν(ς à la sauvegarde du patrimoine dans son intégrité.
Dans l’« hymne », le fait d’être ουνογεν(ς est chaque fois mis en contraste
direct avec l’ampleur de l’héritage d’Hécate qui englobe tout le monde : ο•δ᾽, µτι
ουνογεν(ς, Ìσσον θε¯ – ορε τι ˆς […] Jλλ᾽ –τι κα› ̟ολY NZλλον, ˜πε› Ζε·ς τ!εται
α•τ(ν. (426b428) et … κα› ουνογενªς ˜κ ητρ¨ς ˜οÀσα | ̟Zσι Nετ] ^θαν`τοισι
τετQNηται γερ`εσσι (448b449). Cependant, comme le montrent bien les comparaib
sons avec la fille ˜π!κληρος ainsi qu’avec l’héritier ουνογεν(ς, il ne s’agit pas d’une
véritable opposition : en tant que fille unique, Hécate serait naturellement plus
fortunée ; le contraste ne sert donc qu’à faire ressortir la conciliation exceptionb
nelle de l’un et du multiple dans le lot d’Hécate et, dès lors, dans l’ensemble du
cosmos. Dans la Théogonie, où le monde prend forme à travers les partages
successifs, la figure de cette déesse ουνογεν(ς permet de discerner l’unicité dans
le morcellement.
J. Bollack signale des occurrences du terme ουνογεν(ς dans des textes philob
sophiques103. Étant donné la valeur cosmologique de l’attribut, la démarche est
justifiée ; elle se révèle, par ailleurs, très instructive. Car dans la tradition philob
sophique être « un » ou « unique » se révèle être une condition pour prétendre à la
plénitude. Dans le Timée, par exemple, l’unicité du Ciel platonicien (ο•ραν,ς,
« ciel » désigne l’univers en alternance avec κ,σ ος, « ordre du monde » et π¼ν,
« tout ») exprimée par les attributs εÍς et ονογεν(ς est à la base de sa capacité à
englober tout : τ¨ γ¯ρ περιTχον ̟`ντα Iπ,σα νοητ¯ ζÄα εθ᾽ ²τTρου δεHτερον ο•κ
aν ποτ᾽ εŸη : πKλιν γ¯ρ Îν ±τερον ε©ναι τ¨ περ› ˜κε!ν° δTοι ζÄον οÏ Tρος Îν εŸτην
˜κε!νω […] εbς µδε Nονογενcς ο•ραν¨ς γεγον’ς ˜στ! τε κα› –σεται, « En effet, ce
modèle, qui enveloppe tout ce qu’il y a de Vivants intelligibles, ne peut jamais être
à la seconde place, venir après un autre. Car alors, il faudrait encore un autre
Vivant, celui qui envelopperait ces deuxblà, et dont à leur tour, ceuxblà seraient
parties […] Mais ce Cielbci est un, seul de son espèce. Tel il est né et tel il contib
nuera d’être »104. On songe également au Zeus orphique dans le corps duquel,
selon un mythe théologique, l’univers tout entier serait unifié105. Sa capacité de
102 Hés., Travaux, 376b377. Ne pas avoir d’enfant du tout n’est pas une solution ; en ce cas,
précise Hésiode, le bien d’un homme se trouvera après sa mort partagé « entre parents éloignés »
(Théog., 606b607).
103 Bollack 1997 : 420, n. 226 renvoie à ˜,ν de Parménide, 28 B 8, 4b5 (DielsbKranz) qualifié
de οÐλον et de ουνογενTς (voir l’apparat critique) ainsi qu’à ονογενªς ο•ραν,ς de Platon (voir la
note suivante).
104 Pl., Tim., 31b.
105 Voir West 1983 : 88b90, 109 ainsi que Detienne et Vernant 1974 : 131b133 : en avalant
Mètis qui porte en elle le germe de toute chose, Zeus orphique, « né le premier et le dernier »
(Orph. fr. 168, 1b2 [Kern]), devient Maître du cosmos.
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46 Hécate dans la poésie archaïque
tout contenir va de pair avec son unicité très souvent exprimée par les attributs
οÀνος ou εÍς : Nοdνον δ᾽˜σ,ρα κ,σ οιο aνακτα. | εbς –στ᾽, α•τογεν(ς, eνfς –κγονα
̟`ντα τTτυκται, « regarde l’unique roi du cosmos : il est un, né de soibmême et
toute chose a surgi de lui »106.
Comme nous l’avons déjà observé, l’une des conditions pour que le pouvoir
d’Hécate ne perturbe pas la souveraineté de Zeus est sans doute que la déesse
reste sans descendance. M. Arthur et F. I. Zeitlin voient dans l’attribution du titre
de κουροτρ,φος un moyen utilisé par Zeus afin de ménager le danger que
représente la maternité pour la stabilisation de son règne : Hécate, dépourvue elleb
même de progéniture, constituerait le modèle d’une fécondité sublimée, « expresb
sed […] in abstracto », selon lequel « lifebgiving has become lifebsustaining »107. Sans
dénier à la fonction de « nourrice » sa dimension de maternité transposée au
profit de l’ordre patriarcal de Zeus, nous voudrions, pour notre part, démontrer
quel est l’apport de la fonction de κουροτρ,φος à la constitution du lot excepb
tionnel d’Hécate où toutes les catégories sont en même temps séparées et
unifiées.
Cette fonction est attribuée à Hécate en dehors du corps central des unités
(a) et (b) parce qu’elle s’applique sans doute autant au monde des mortels qu’à
celui des immortels. C’est au moins ce que nous laissent comprendre les vers
450b451, κουροτρ,φον, ο½ ετ᾽ ˜κε!νην | ¾φθαλ ο‚σιν Ÿδοντο φKος πολυδTρκεος
‘οÀς. Elle regroupe, par conséquent, mortels et immortels, hommes de toutes
professions et positions sociales, dans l’unique catégorie de « ceux qui ont eu
une naissance ».
Toutefois, le critère de la naissance, bien qu’il unifie toutes les catégories,
différencie définitivement chaque individu, né « tout seul » de sa propre mère, à
l’intérieur de chacune108. Dans la description de la naissance des enfants de
Rhéa, six vers plus bas, cette différenciation par la naissance est soulignée par
l’emploi du pronom distributif : Ñς τις gκαστος νηδHος ˜ξ ¦ερˆς ητρ¨ς πρ¨ς
γοHναθ᾽ Òκοιτο, « dès l’instant où chacun d’eux du ventre sacré de sa mère
descendait à ses genoux » (v. 459b460). Enfin, le rôle de la « nourrice », tout en
introduisant le critère de la naissance, s’interpose entre la mère et l’enfant
comme pour parachever leur séparation commencée au moment de
l’accouchement109.
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 47
110 Boedeker 1983 : 89, « The Theogony is a poem of the many and the one. It records the
births of myriad gods who populate the universe, and describes the primacy of the one ‘father of
gods and men’ who rules them all. How does the Theogony reconcile the diversity of the divine
world with its unity and stability? The paradox is resolved in part by the process of dasmos,
distribution or apportioning of powers…».
111 Voir Sahlins 1972 : 102 et Bottin 1979 : 21b22.
112 Hom., Il., XV, 189 (τριχθK δ™ πKντα δTδασται) ; XVIII, 511 et XXII, 120. (aνδιχα πKντα
δKσασθαι). Od. II, 335 (κτ( ατα … πKντα δασα! εθα) II, 368 (πKντα δKσονται) ; XVII, 80 (πατρ’ϊα
πKντα δKσωνται). Cf. Il., XXII, 352b354 (κHνες τε κα› οzωνο› κατ¯ πKντα δKσονται) et Od., XV, 12b
13 (κατ¯ πKντα φKγωσι | κτ( ατα δασσK ενοι). Voir aussi Stésimbrote de Thasos, FGrH 107 F 24
(Jacoby) = schol. Hom. Il. XV, 189a : πKντα ο¸τως δTδασται.
113 Voir, par exemple, Hom., Il., I, 123b126 où Achille essaie de démontrer le caractère
inadmissible de la revendication d’Agamemnon sur un lot supplémentaire – γTρας – en évoquant
l’exhaustivité du partage effectué : « Nous n’avons pas, que je sache, de trésor commun en
réserve. Tout ce que nous avons tiré du sac des villes a été partagé – τ¯ δTδασται : siedbil que les
gens de nouveau le rapportent à la masse ? ». Cf. Il., XXII, 120 où la validité du partage semble
également dépendre de son exhaustivité : « j’obtiendrai le serment de ne rien dérober et de faire
deux parts de toutes les richesses – aνδιχα πKντα δKσασθαι ».
114 Hom., Od., VI, 188b189.
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48 Hécate dans la poésie archaïque
et à Épiméthée de partager les différentes qualités entre les races des vivants :
κοσ ˆσαι τε κα› νε‚ αι δυνK εις eκ`στοις Ôς πρTπει115.
Le partage des « honneurs » entre les dieux obéit à la même règle en définisb
sant le statut propre à chacun d’eux. Dans l’Iliade, nous lisons, à propos du
partage entre Zeus, Poséidon et Hadès : τριχθ¯ δ™ πKντα δTδασται, gκαστος δ᾽
– ορε τι ˆς, « le monde a été partagé en trois ; chacun a eu son apanage »116.
La Bibliothèque se sert de termes analogues pour décrire le partage divin du
temps de Cécrops : « les dieux décidèrent de prendre possession de cités dans
lesquelles chacun recevrait des honneurs de culte spéciaux – τι ¯ς iδQας
gκαστος »117. Les scholies de la Théogonie décrivent, enfin, ainsi le partage des
« richesses » divines : « aphenos est, au sens propre, la richesse accumulée en
l’espace d’un an, mais ici le poète entend par aphenos la terre, le ciel et la mer ; et
comme il le raconte, ils l’ont divisée et chacun en a obtenu sa propre part
d’honneur – κα› µπως φησ!, διε ερ!σαντο κα› –σχεν gκαστος τªν eαυτοd τι (ν »118.
Tant par sa structure que par son vocabulaire, l’« hymne à Hécate » fait allub
sion aux principes contradictoires du partage tout en essayant de les concilier.
Hécate a un lot de « tout » et de « chaque chose séparément ». À travers ce lot
±καστα et πKντα se révèlent deux aspects complémentaires du monde sous le
règne de Zeus119. Si l’« hymne » n’utilise pas le terme ±καστος pour souligner
cette ambivalence, c’est peutbêtre parce que ce pronom distributif est évoqué
par le nom même d’NκKτη. Il est donc fort intéressant que les scholies de la
Théogonie soulignent le caractère à la fois exhaustif et différencié des « honb
neurs » d’Hécate en associant directement son nom à ±καστοςbηbον : « elle s’apb
pelle ainsi car elle veille à chaque chose – ²κKστου. Car le destin a un pouvoir sur
tout – πKντων – sur la terre et dans la mer »120. Une autre interprétation ancienne
du nom d’Hécate qui semble aussi avoir été inspirée par l’« hymne » ajoute :
« NκKτη : la déesse, comme si elle était chacune – ²κKστη ; celle qui est reçue à
chaque occasion – ±καστα – et qui aide partout – πανταχοÀ ; ou parce qu’elle
participe aux honneurs de chaque dieu – eκ`στου θεοÀ »121.
Pour comprendre les raisons de cette insistance sur ce point, il suffit de se
rappeler les inconvénients du partage homérique selon lequel la division du
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 49
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50 Hécate dans la poésie archaïque
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 51
la déesse agit à un niveau différent de celui des dieux homériques, qu’elle peut
exister indépendamment de leur société bienheureuse135. Hésiode interprète son
indépendance par son antériorité : son Hécate n’est pas une déesse nouvelle, elle
est, bien au contraire, née avant les Olympiens, elle sort du monde oublié des
Titans. Se prenant un peu pour Zeus, le poète d’Ascra la réhabilitera parce que
son autonomie lui permet de l’utiliser comme la force de cohésion d’un univers
« bien réparti ». De cette façon, Hésiode répondrait au problème non résolu du
partage homérique au moyen de la figure méconnue d’Hécate.
D’autre part, étant donné qu’Hécate, d’après nos sources les plus anciennes,
ne semble pas avoir de grands sanctuaires à elle ni de grandes fêtes organisées en
son honneur, il est fort probable qu’à l’époque d’Hésiode – comme plus tard
d’ailleurs – elle ait surtout été honorée dans les sanctuaires des autres dieux ainsi
que dans de petits sanctuaires privés. Ce type de culte serait compatible avec le
modèle d’un pouvoir omniprésent, mais non total, tel que le dessine Hésiode.
sociales inférieures. Cf. Weber 1933 : 180, n. 2 pour qui Hécate n’aurait pas de place dans la
poésie chevaleresque d’Homère.
135 Selon Griffith 1983 : 53, « …Hecate’s very absence from the Homeric pantheon, with its
compartimental separation of divine functions and spheres of activity, made it easier for her to be
given a wide range of interests here ».
136 Voir infra, p. 99b100, n. 42b44.
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52 Hécate dans la poésie archaïque
système orphique et dans les papyri magiques. Les hymnes orphiques, par
exemple, associent sans hésiter le pouvoir transcosmique aux autres caractères
hécatéens ignorés par la Théogonie : Εzνοδ!αν NκKτην κλ(ιζω, τριοδ‚τιν, ˜ρανν(ν,
| ο•ραν!αν, χθον!αν τε κα› εzναλ!αν …, « J’invoque Hécate la déesse des routes et
des carrefours, aimable, céleste, terrestre et marine … »137. Ces vers orphiques
trouvent un parallèle dans les papyri magiques. La ressemblance est impressionb
nante : ο•ραν!α, λι ν‚τι, ¾ρ!πλανε, εzνοδ!α τε …, « céleste, déesse des ports, qui
erres dans les montagnes, déesse des routes … »138. Un autre passage du
papyrus de Paris évoque également le triple pouvoir cosmique d’Hécate
rehaussé au niveau d’un pouvoir créateur total : σ· τ¯ κοσ ικ¯ πKντα τTθεικαςÖ |
γενν×ς γ¯ρ σ· πKντα ˜π› χθον¨ς ´δ᾽ Jπ¨ | π,ντου κα› πτην[ν δ᾽ ²ξˆς παντο‚α |
γTνη, « C’est toi qui as mis en ordre toutes les choses du monde ; | car c’est toi
qui engendres tout ce qui est sur terre et | qui vient de la mer, et parmi les
oiseaux les espèces | de toutes sortes »139.
Finalement, l’alliance d’Hécate avec Zeus dans la Théogonie – « même si on
accepte qu’elle a été inventée par Hésiode pour servir d’éloge au dieu souveb
rain » – ne restera pas un trait isolé dans l’histoire de la déesse. Non seulement
d’autres traditions, déjà mentionnées, feront de Zeus le père d’Hécate, mais le
culte (à partir de l’époque hellénistique) propose aussi des attestations d’une
association explicite entre les deux divinités140. L’exemple le plus célèbre sera le
culte d’Hécate à Lagina, où la déesse sera honorée à côté du Zeus de Panamab
ros. Les frises du temple de Lagina font directement allusion à la Théogonie en
impliquant Hécate dans l’épisode de la naissance de Zeus ; elles montrent
également Hécate participant à la Gigantomachie141. Or l’implication d’Hécate
dans la guerre contre les Géants (dont Hésiode ne parle pas), attestée par plub
sieurs sources, complète le tableau de son alliance avec Zeus et avec l’ordre
olympien.
Ensuite, si certains traits caractéristiques d’Hécate sont absents de l’« hymne »
hésiodique, ils ne sont pas pour autant en contradiction avec le portrait que
dessine Hésiode. L’absence des torches, par exemple, qui deviennent, à partir de
l’Hymne homérique à Déméter, l’attribut le plus courant de la déesse – souvent
surnommée Φωσφ,ρος, « Porteblumière » – est compensée en partie par le lien
137 Hymn. orph., I, 1b2, cf. 7, παντ¨ς κ,σ ου κληιδοÀχον, « portebclés de tout le cosmos »
(Quandt) et Orph. fr., 316 (Kern). D’autres aspects de cette Hécate du premier hymne orphique –
Περσε!α (4) et κουροτρ,φος (8) – rappellent la Théogonie. Sur la figure de la déesse dans les Hymnes
orphiques, voir aussi Rudhardt 2008 : 313b325 qui constate, dans le corpus en question, l’identificab
tion d’Hécate avec Artémis, Perséphone et Mélinoé.
138 PGM, IV, 2562b2563 = IV, 2853b2854. Cf. Morand 2001 : 182b188 et Rudhardt 2008 : 324b
325.
139 PGM, IV, 2552b2555, cf. IV, 2836b2838 : Jρχª | κα› τTλος ε©, πKντων δ™ σ· οHνη |
JνKσσεις, « commencement et fin, toi seule règnes sur tout ».
140 Voir, par exemple, une inscription de Chalkê IG, XII, 1, 958, cf. IG, XII, 1, 914.
141 Voir Chamonard 1985 : 235b262.
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Le lot exceptionnel d’Hécate dans la Théogonie d’Hésiode 53
Conclusion
Par sa généalogie l’Hécate hésiodique, cousine des Létoïdes, est dotée d’un
héritage astral, mais aussi de racines dans les trois royaumes du cosmos, à
savoir, la terre, la mer et le ciel. Interposée entre l’ancienne ère divine et la
lignée de Cronos, elle est présentée dans la Théogonie avant Apollon et Artémis.
Les τι α! que Zeus lui accorde lui permettent de participer à tout, sans, pour
autant en faire une divinité toutebpuissante. Le texte est clair : dans la mesure où
son pouvoir croise celui des autres divinités Hécate aura à collaborer avec elles.
La description de son lot unique et conforme à son ascendance est donc un
moyen astucieux d’expliciter l’aφενος des dieux, un trésor qui s’étend depuis les
sphères cosmiques jusqu’aux parcelles variées de l’univers humain. C’est aussi
une façon de poser l’éternel problème philosophique de l’un et du multiple dans
une dimension à la fois « politique » et cosmique, en répondant à deux
questions : (a) comment procéder à un partage équitable tout en gardant un
contrôle sur tout, (b) comment garantir la cohésion d’un monde qui se
différencie progressivement. Cette lecture de l’« hymne » hésiodique à Hécate,
non seulement permet de mieux saisir le sens des deux titres attribués à la
déesse de façon emphatique ( ουνογεν(ς et κουροτρ,φος), mais met aussi en
142 Cf. Clay 1984 : 37 qui conclut que l’Hécate hésiodique a une fonction de médiation
importante : « Hecate mediates not only between the old and the new order, the Titans and the
Olympians : her powers bridge the three spheres of the cosmos, and she forms the crucial
intermediary between gods and men ». Johnston 1990 : 22 essaie de reconnaître dans l’Hécate
hésiodique certains traits de l’Hécate des oracles chaldaïques.
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54 Hécate dans la poésie archaïque
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Chapitre II
L’Hymne homérique à Déméter.
Bienfaits de la médiation
1 Nilsson 1906 : 395 (n. 2), 396 ne consacre que quelques lignes à l’Hécate de l’Hymne homéri*
que à Déméter (désormais désigné par Hymne dans le présent chapitre) en soulignant sa nature de
Gespenstergöttin ; Kraus 1960 : 63b64, trouve son rôle dans l’Hymne décevant. Heckenbach 1912 :
2770 ne fait aucun commentaire sur sa présence et Cassola 1975 : 470 la considère comme
superflue.
2 Richardson 1974 : 155b156 est d’accord sur ce point avec T. Kraus. Quant aux problèmes
d’une approche qui considérerait le récit de l’Hymne comme le simple λεγ, ενον d’un δρ’ ενον
éleusinien, voir Calame 1997.
3 Déjà Schwabl 1963 : 21 critiquait T. Kraus pour le peu d’attention qu’il prêtait au rôle
d’Hécate dans l’Hymne homérique. Parmi les études qui réexaminent « le dossier d’Hécate », Clay
1989 : 203, 217b221, 257b258 refuse la quête de correspondances trop directes entre mythe et
culte proposée par d’autres études de l’Hymne et examine l’apport d’Hécate au déroulement de la
narration ainsi que l’évolution de son statut entraînée par le dénouement. Foley 1993 : 79b211
essaie surtout d’interpréter le rôle d’Hécate à travers les alliances féminines qui se nouent dans un
récit où les problèmes cosmologiques sont liés à ceux du conflit des sexes et du mariage. Elle
essaie aussi d’évaluer en termes psychologiques la contribution de la déesse à l’évolution des
rapports entre Déméter et Coré.
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 57
8 Szepes 1975 : 32, en suivant W. Otto, fait remarquer la suggestion d’affinité que cache le
couple Περσα!ου θυγKτηρ – Περσεφ,νη. L’opinion de Clinton 1986 : 44 selon laquelle l’utilisation
du nom Perséphone est une originalité de l’Hymne par rapport à la pratique éleusinienne (qui veut
qu’on désigne la fille de Déméter par « Coré » ou « la plus jeune » ou « la fille ») a été critiquée par
Parker 1991 : 16, n. 22 et Foley 1993 : 173 et n. 289. En effet, le nom de « Perséphone » apparaît
dans des documents très anciens en contexte éleusinien.
9 Si dans la pensée grecque ancienne tout ce qui émet de la lumière peut être conçu comme
un œil (voir, entre autres, Mugler 1960 : 59b69 et 49), Hélios, la source toutebpuissante de lumière,
est l’œil du ciel par excellence (cf. Hymn. orph. VIII, 1, Quandt). Inversement, l’œil est « de tous les
organes, le plus semblable au soleil » (Pl., Rép., VI, 508a), « le calque du disque solaire » (Ar.,
Thesm., 17). Quoique l’opinion que les yeux sont de meilleurs témoins que les oreilles – par
exemple Héracl., 22 B 101a (DielsbKranz) et Hdt., I, 8 – soit courante en Grèce, l’Hymne ne paraît
pas disqualifier le témoignage d’Hécate, décisif lui aussi, pour la découverte de la vérité. Par
ailleurs, Hélios pouvait lui aussi « avoir entendu », pas tellement parce que dans l’Iliade il « voit
tout et entend tout » (Il., III, 277), mais plutôt dans le sens que − comme l’Hymne et l’expérience
mystique le montrent − la vision présuppose et englobe l’expérience auditive. Sur la vision en tant
que mode de connaissance privilégié par les historiens, voir Hartog 2001 : 396b407.
10 Richardson 1974 : 157. Cf. Eur., Suppl., 258b262 où les torches associées au soleil sont celles
de Déméter : θεοHς τε κα› γˆν τ(ν τε πυρφ,ρον θε¨ν | ‰( ητρα θT εναι Kρτυρ᾽ œλ!ου τε φ[ς.
11 Sophocle, fr. 535 (Radt) = fr. 492 (Nauck), discuté et cité infra, p. 109. Kraus 1960 : 55
soupçonne des racines solaires pour son Hécate d’origine. Quant aux témoignages tardifs,
signalons le triple hekataion de marbre de la collection Bruckenthal (IIe s. après J.bC.) : sur la
décoration de l’une des trois figures nous voyons des figures qui portent des torches associées à
un buste d’Hélios (tête radiante), voir Petersen 1881 : 68b69 ainsi que Guidoni Guidi 1980 : 45.
Pour d’autres représentations d’Hécate de l’époque romaine avec des éléments solaires, voir
Sarian 1992 : 1009, nos 286, 287.
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58 Hécate dans la poésie archaïque
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 59
bien que selon l’Hymne homérique à Déméter le lieu de l’enlèvement soit la plaine de Nysa et que, par
conséquent, le gouffre original à travers lequel Hadès a emmené Perséphone dans l’aubdelà ne
puisse coïncider avec la grotte du Ploutonion, cette dernière était un lieu approprié au drame sacré,
renouvelé chaque année à Éleusis.
18 Ar., Thesm., 17b18.
19 La critique littéraire a souvent opposé la vue à l’ouïe (cette dernière considérée, de même
que le toucher, comme caractéristique d’un savoir « féminin ») en utilisant des termes spatiaux.
Voir, par exemple, Sartiliot 1994 : 128 : « si la vision est fondée principalement sur la division, la
séparation, l’ouïe, elle, est fondée sur la combinaison, le rapprochement entre le dedans et le
dehors ». Sans discuter le problème de la réalité d’une « connaissance » ou d’une « écriture »
féminines qui ne touche pas vraiment notre approche, nous nous réservons d’observer que la
faculté de la vue, sens privilégié par la philosophie grecque en tant que plus objectif (voir, par
exemple, Aristote, Métaphysique, 980a 26b27 ; Problèmes, 6, 5) est ici accordée à une divinité
masculine. Il faut tout de même remarquer que l’Hymne évalue très positivement le rôle de la
perception auditive dans l’aquisition de la connaissance tout en l’attribuant à des divinités
féminines (Hécate, Déméter). Sur la « féminité » de l’ouïe et le privilège masculin de la vue dans
l’Hymne, voir Foley 1993 : 38b39.
20 Sur l’epopteia, voir Clinton 2003 : 56b67 ainsi que SourvinoubInwood 2003 : 36b37.
21 Le couple lumièrebobscurité (avec ses alternatives visiblebinvisible, apparitionbdisparition, vieb
mort) est primordial non seulement dans l’Hymne, mais aussi, d’après le peu que nous en
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60 Hécate dans la poésie archaïque
connaissons, dans les mystères d’Éleusis. Voir Motte 1997 : 101b115 passim. Quant à l’importance de
la lumière dans les cultes à mystères en général, voir Bultmann 1948 : 29b36. Plutarque, fr. 178
(Sandbach) en comparant les aventures de l’âme après la mort, décrit la succession de la lumière à
l’obscurité : « Au commencement, il y a des errances et des courses circulaires fatigantes et des
marches vaines à travers les ténèbres − δι¯ σκ,τους − et, exactement avant la fin, toutes les
horreurs, frissonnements et tremblements, sueur et stupéfaction. Ensuite, une lumière merveilleuse
rencontre le vagabond − φ[ς τι θαυ Kσιον Jπ(ντησεν − accueilli par des endroits purs et des prairies
où il y a des voix et des danses et la solennité d’auditions sacrées et d’apparitions pieuses. »
Remarquons l’utilisation du verbe (Jπ)αντKω dont nous allons parler par la suite (cf. HhDem., 52).
22 Pl., Rép., VII, 514ab515a, dans une allégorie fameuse, décrit une caverne obscure d’où on
ne voit − grâce au pauvre reflet de la lumière du soleil − que les ombres des objets réels. Selon
Schuhl 1947 : 57b63, Platon n’ignore pas la longue histoire du thème de la caverne, thème indisb
sociable de celui de l’obscurité et du spectacle ; il se peut même qu’il s’inspire de certains
spectacles des mystères.
23 Contra Derossi 1971b1974 : 28b29 qui refuse lui même l’idée que l’emplacement d’Hécate la
consacre aux Enfers ou l’assimile à une DéessebLune.
24 Sur l’importance de ce thème dans l’Hymne, voir Clay 1989 : 208, 256 sq., 261, 266.
25 Borgeaud 1979 : 77.
26 Rappelons finalement la légende que rapporte Pausanias (VIII, 42, 1b3) à propos de l’antre
de Déméter ΜTλαινα à Phigalie : Déméter, grièvement offensée par l’impiété des Phigaliens, les
condamne à la famine en s’isolant dans une grotte du Mont Elaïon. Voir Jost 1985 : 312b317 et
PirennebDelforge 2008a : 103b108.
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 61
27 Germain 1954 : 13, cf. Clay 1989 : 217 et n. 6. Les Grecs conquirent Troie au bout de neuf
ans. Cf. Hés., Théog., 721b722 et 789b804. Au demeurant, nous trouvons des passages parallèles
chez Homère, où Aurore arrive « pour la dixième fois » : Hom., Il., XXIV, 784b785 et 610b612.
28 Voir Richardson 1974 : 169.
29 Hécate est liée à ‘’ς (… et non pas à la lune) en tant que porteuse de lumière. Rappelons
que, chez Homère, Aurore et l’étoile du matin qui lui est apparentée « annoncent la lumière »
(voir respectivement Il., II, 49 : φ,ως ˜ρTουσα ; Od., XIII, 94 : JγγTλλων φKος) aux mortels et aux
immortels. Dans l’Hymne orphique à Êôs, LXXVIII, 3 (Quandt), cette dernière est JγγTλτειρα θεοÀ
εγKλου ΤιτKνος JγαυοÀ, « messagère d’un grand dieu, de l’illustre Titan ». Nous croyons
qu’Hécate avec son σTλας imite ces sources lumineuses qui précèdent l’arrivée du jour, en
devenant essentiellement une « messagère » de la lumière éblouissante d’Hélios. Rudhardt 1993 :
212 remarque que les associations HécatebAurore ainsi qu’HécatebHélios s’accordent avec la
Théogonie. En effet, chez Hésiode ‘’ς et Hélios (enfants des Titans, Hypérion et Théia) sont des
cousins d’Hécate, qui, d’ailleurs, reçoit de sa propre mère, Astéria, des influences astrales. Quant
au participe JγγελTουσα qui répond à l’aγγελος du v. 46, voir aussi infra, p. 141b142 et 183b190.
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62 Hécate dans la poésie archaïque
30 Voir la discussion dans Clay 1989 : 218 sq. et n. 62 dont la conclusion est que Hécate joue
un rôle important dans la découverte progressive de la vérité.
31 Pour l’implication d’Hécate à la provocation de la folie, voir infra, p. 172b173.
32 Etym. M., 111, 49 (Gaisford) : κα› œ NκKτη ˜πιθετικ[ς, « Hécate a aussi l’épithète d’antaia »
ou « Hécate est appelée antaia en tant que déesse qui attaque ». Hsch., s.v. Jντα!α (Latte) : ˜νKντια.
¦κTσιος ση α!νει δ™ κα› δα! ονα. κα› τªν NκKτη δ™ Gντα!αν λTγουσιν, Jπ¨ τοÀ ˜πιπT πειν α•τK,
« … qui est en face de, qui concerne les suppliants » (ou « à qui s’adressent les suppliants ») ; il
désigne aussi les démons ; Hécate est également appelée Antaia, parce qu’elle les envoie » ; cf.
Eschyle, Sémélè, fr. 223 (Nauck) 361abb. Chez Soph., fr. 334 (Radt) = fr. 311 (Nauck), l’Jντα!α
θε,ς en rapport avec δε‚ α, « frayeur » est probablement Hécate. Pour une Hécate ε•Kντητος dans
la dédicace d’un autel à Aphrodisias, voir Robert 1965 : 285b286, pl. 25. Le double sens de
l’épithète (adversaire/facile à implorer, accessible) est transmis aussi par les schol. Apoll. Rhod.,
Argon., I, 1141b1148a, à propos de Rhéa Gντα!α. En fait, cette épithète peut être attribuée à
plusieurs divinités, cf. Rudhardt 2008 : 286b287.
33 Pour la peur des rencontres avec des êtres malfaisants, voir Robert 1990 : 465b506 ainsi que
Robert 1974 : 83b88.
34 Pour les rapports entre Cybèle et Hécate, voir infra, p. 191b198.
35 Hymn. orph., XLI, 9b10 (Quandt).
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 63
36 Artémidore, Clé des songes, II, 37, trad. Festugière 1975 : 152 sq.
37 IG, XII, 1, 914 et Anthologie Palatine, VI, 199 respectivement.
38 Hés., Théog., 450 et 452. Cf. Richardson 1974 : 154.
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64 Hécate dans la poésie archaïque
limites cosmiques, mais aussi parce que, en tant que nourrice, elle partage le
souci de Déméter.
Un indice de la complicité entre Hécate et Déméter est le fait que la preb
mière fonctionne vraiment comme un miroir de la seconde ; leur alliance
évoque, plus que le couple jadis inséparable de DéméterbCoré, la façon dont
une prêtresse prendrait les airs de sa déesse. Hécate elle aussi est en route, elle
aussi porte des torches et pose la question qui doit littéralement hanter
Déméter, à savoir « qui a enlevé Perséphone ». Déméter écoute alors ce qu’elle
aurait dit ellebmême si la souffrance ne l’avait pas rendue muette39. Tout en
confirmant la crainte de la mère malheureuse, Hécate précise automatiquement
le problème rien qu’en l’exprimant à haute voix : « J’ai bien entendu sa voix […]
mais je n’ai rien vu de mes yeux – Jτ¯ρ ο•κ Ÿδον ¾φθαλ ο‚σι » (v. 57) ; il manque,
par conséquent, un témoin visuel. Tout se passe comme si Déméter avait
besoin du dédoublement d’ellebmême pour se réveiller de son deuil prématuré.
Effectivement, après le petit discours d’Hécate et sans perdre de temps pour lui
répondre (la proximité entre les deux déesses est telle qu’elle ne permet pas de
vrai dialogue), elle donne une orientation plus concrète à sa recherche avec un
nouvel élan : « ainsi parlait Hécate ; la fille de Rhéa aux beaux cheveux ne
répondit mot, mais s’élança bien vite avec elle, en tenant en mains des torches
ardentes – αzθο Tνας δαΐδας » (v. 59b61). Déméter et Hécate unies se dirigent
maintenant, d’un accord unanime et silencieux, vers la source ultime de la
lumière et de la vérité, le Soleil. Hécate ayant, comme l’affirme Hésiode, un lot
sur la mer, le ciel et la terre, elle peut facilement passer d’une zone à l’autre afin
d’introduire Déméter auprès du Soleil.
Une fois arrivée devant les chevaux du char d’Hélios, Déméter reprend
presque les paroles d’Hécate pour exposer le fait : « l’enfant de mes entrailles …
je viens d’entendre sa voix déchirante – Jδινªν Ùπ’ aκουσα – traverser l’éther
inlassable, comme si on lui eût fait violence ; mais je n’ai rien vu de mes yeux –
Jτ¯ρ ο•κ Ÿδον ¾φθαλ ο‚σι » (v. 66b68). Ces paroles conduisent naturellement à
la demande d’un témoignage visuel : « Or toi qui, du haut de l’éther divin,
plonges les regards de tes rayons – καταδTρκεαι Jκτ!νεσσι – sur la terre entière et
l’étendue des mers, disbmoi franchement si tu as vu – Ùπωπας – en quelque lieu
celui qui, dieu ou homme mortel, s’est enfui en m’arrachant, malgré elle et par
la violence, mon enfant » (v. 69b73).
Le miroir qu’a dressé Hécate en face de Déméter a finalement provoqué une
sorte de prise de conscience en aidant Déméter à sortir de l’impasse. Néanb
moins, cela n’épuise pas le rôle de la déesse. Hécate ne reste pas seulement un
39 Sur la congruence HécatebDéméter, voir Scarpi 1976 : 17b18 et n. 27. Il est caractéristique
qu’une autre version, transmise par une source plus tardive, mette la question, discrètement
modifiée, dans la bouche de Déméter. Orph. fr., 49, 103b105 (Kern) : τ!ς θε¨ς ο•ρKνιος ´™
θν η τ[ ν Jνθρ’b |πων Üρπασε Φερσεφ , νην κα› ²¨ν φ!λον ¹παb | φε θυ ,ν; « lequel des
dieux célestes ou des hommes mortels a ravi Perséphone et a trompé son cœur ? »
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 65
40 Selon Derossi 1971b1974 : 34, « l’impiego eccezionale − nel suo caso − dell’astratto σTλας
al posto di δαÝδας illumina senz’altro il significato simbolico di tutto il contesto ».
41 Selon Chantraine 1933 : 422, beaucoup d’abstraits en bας, comme en l’occurrence ceux
désignant la lumière ou l’obscurité, dénomment « des notions essentielles, traditionnelles, implib
quant plus ou moins une nuance religieuse ». Concernant les usages précis du mot, voir Ciani
1974 : 14b18 et 92b94 et Graz 311. Malgré la ressemblance σTλας – σελ(νη, le mot n’est utilisé
qu’une seule fois dans la poésie homérique pour désigner la lueur de la lune (σTλας … (νης) ;
nous ne nous sentons pas, par conséquent, obligée d’y voir un élément lunaire.
42 HhDem., 189. Outre le mot σTλας, le lieu de l’épiphanie serait aussi une vague réminiscence
d’Hécate.
43 Voir Prückner 1968 : 82 sq., fig. 15. Cf. Beschi 1988 : 882, n° 458 (Déméter) et Richardson
1974 : 168b169. Schauenburg 1955 : 44b45 interprète la figure PortebTorche comme Déméter, ce
qui ne donne pas une explication satisfaisante à la scène.
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66 Hécate dans la poésie archaïque
sans doute, à quelque copiste chrétien) en tant que symbole du bonheur post
mortem des initiés44.
L’« insuffisance » des torches est par ailleurs compensée par le fait qu’elles
sont maniables ( ετ¯ χερσ!ν ou ˜ν χε!ρεσσιν), transportables et accessibles à
tous. Leur ambiguïté, fruit d’une nature mixte faite de composantes terrestres et
célestes, leur confère un rôle médiateur ; elles peuvent diffuser la lumière à
partir d’une source principale et la communiquer de main en main. En introb
duisant la lumière dans l’obscurité la plus profonde, elles réunissent le jour et la
nuit. En servant tant aux mortels qu’aux immortels, elles entremêlent la réalité
divine et la réalité humaine, et deviennent un des plus importants instruments
rituels. En fait, les torches d’Hécate dans l’épisode du récit de l’Hymne que nous
examinons pouvaient correspondre, sur le plan rituel, à celles des mystes et des
δαδοÀχοι dans la mise en scène de la quête de Perséphone qui avait lieu chaque
année au sanctuaire d’Éleusis45.
Bien sûr, pour ceux qui ont vécu l’expérience mystique où se mêlent le
φρικωδTστατον et le φαιδρ,τατον46, il est possible que le σTλας d’Hécate évoque
également certains des φKσ ατα κα› δε! ατα, « apparitions et horreurs » qui
inspiraient la crainte sacrée, un sentiment lié à la naissance de l’espoir47. Il n’est
pas impossible, par exemple, qu’Empousa – un monstre considéré soit comme
un aspect d’Hécate soit comme un spectre envoyé par elle48 – ait pu, dans
l’imagination des initiés, emprunter sa figure aux φKσ ατα des mystères. Dans
son étude de la scène d’Empousa dans les Grenouilles d’Aristophane, G. Brown
conclut : « I suggest that the initiands were confronted by something suggesting
some sort of female monster, perhaps with snaky hair, perhaps with other
animal aspects. Some of the worshippers unterstood this figure to be Hecate,
others Empousa, still others an Erinys, and so on »49. La connexion entre
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 67
3. Déméter nourrice
Le comportement et les attitudes de Déméter continuent, cependant, à
rappeler vaguement sa parenté avec Hécate. En entreprenant avec acharnement
son œuvre de nourrice, elle se révèle complice d’Hécate, connue par la Théogonie
comme Κουροτρ,φος53. Pleine de bonne volonté, elle promet à Métanire : « Je
me chargerai volontiers de ton fils et je ne pense pas que l’imprudence de sa
nourrice doive le laisser pâtir des sorts – ˜πηλυσ!η – ni du mal rongeur –
³ποτα ν,ν : je sais – ο©δα – un antidote – Jντ!το ον – bien plus fort que le
Percebbois – ³λοτ, οιο ; je sais – ο©δα – un bon remède – ˜ρυσ ,ν – qui écarte
les sorts malfaisants » (v. 226b230). Le pouvoir de la Déméter de l’Hymne contre
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68 Hécate dans la poésie archaïque
les maux qui menacent les enfants dévoile la dimension « magique » que la
fonction de nourrice peut assumer en nous suggérant des liens possibles entre
l’Hécate nourrice et l’Hécate « magicienne »54. La répétition du verbe ο©δα,
comme il a été souvent souligné, renvoie au savoir « magique »55. Ensuite,
comme d’autres déesses de l’enfance, Déméter nourrice est aussi une « Porteb
torche », et cela d’une façon originale. L’image de la torche, qu’on a vu
s’interposer entre nuit et lumière, devient le symbole du passage de l’humain au
divin lorsque Déméter, dans son effort d’immortaliser l’enfant Démophon, le
manie ´Hτε δαλ,ν, « comme une torche » (v. 239).
Enfin, l’apparition lumineuse de Déméter aux portes du palais de Célée
(apparition qui prépare son épiphanie dans toute sa splendeur divine) met en
relief la sacralité de cet endroit hécatéen par excellence : « la Déesse toucha le
faîte de la grande salle en posant le pied sur le seuil – ˜π’ ο•δ¨ν –βη ποσ! –, et
répandit sur la porte une divine clarté – πλˆσεν δ™ θHρας σTλαος θε!οιο – saisie
d’étonnement et de respect la mère pâlit de crainte » (v. 188b189).
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 69
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70 Hécate dans la poésie archaïque
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 71
moins, nous avons l’impression qu’il s’agit dans l’Hymne de l’application d’un
pouvoir antérieur plutôt que d’un honneur – τι ( – attribué par Zeus. Il est à
noter, à cet égard, qu’Hécate, sans désobéir à la volonté de Zeus (à vrai dire,
son intervention garantit l’arrangement final), fait preuve d’une autonomie
remarquable. À l’encontre des autres messagers divins de l’Hymne, dont
Hermès, elle n’agit que de sa propre initiative, n’hésitant pas à se ranger aux
côtés de Déméter furieuse et révoltée.
66 Clinton 1986 : 45 ainsi que Clinton 1992 : 116b120. En revanche, nous trouvons Hécate
associée aux déesses d’Éleusis dans le dème de Paiania (IG I3, 250). Selon une hypothèse qui rend
compte des rapports entre ces trois déesses dans leur ensemble, Hécate aurait un petit sanctuaire
à côté de l’Éleusinion d’Athènes. Cette hypothèse est corroborée par la découverte de deux reliefs
du IVe s. représentant probablement Hécate. Voir Miles 1998 : 60, 67, 219 (et Cat. III, nos 11b12).
67 Selon Orph. fr. 42 (Kern) = schol. Théocrite, Idylles, II, 12 (Wendel) = Call., fr. 466 (Pfeifb
fer), Hécate a été chargée de descendre dans l’Hadès pour chercher Perséphone, cf. Richardson
1974 : 84.
68 Foley 1993 : 175b178. Pour le « panhellénisme » des Hymnes homériques en général, voir Clay
1989 : 9 sq. et Nagy 1990 : 36b82.
69 Voir Richardson 1974 : 80 : la fin du fragment « orphique » le plus complet parmi ceux qui
concernent le mythe de Perséphone – Orph. fr., 49, 115 sq. (Kern) – transmet probablement ce
motif. Cf. Paus., I, 14, 3.
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72 Hécate dans la poésie archaïque
d’Hécate au lieu des habitants d’une localité précise signifie, entre autres, la
volonté de ne pas suggérer, dès le début du poème, les privilèges religieux de tel
ou tel endroit spécifique. Car nous pouvons dire que l’Hécate médiatrice
constitue le lieu géométrique où se reflète l’organisation du cosmos telle que la
décrit le poème. Elle a incarné le message de l’Hymne tel qu’aucun culte local
n’aurait pu l’exprimer, sans pour autant devenir une parfaite abstraction philob
sophique. Aussi le rôle attribué à Hécate après les retrouvailles (˜κ τοÀ…) ne
renvoiebtbil pas non plus à un culte local de la déesse. L’attribution qui lui est
faite des titres πρ,πολος et ¾πKων est très significative principalement parce
qu’elle correspond à certaines caractéristiques récurrentes (port des torches,
mouvement, attachement à une autre divinité féminine) à travers lesquelles
notre déesse était probablement reconnaissable par une grande partie des cités
grecques. Cependant, cette interprétation ne saurait nier à l’Hécate de l’Hymne
toute représentation dans les mystères d’Éleusis. Malgré l’absence d’un culte
personnalisé, il pourrait avoir existé une sorte d’homologue rituel de la déesse
dans les cérémonies des mystères.
Nous avons déjà parlé des possibles échos des rôles de témoin auditif,
d’accompagnatrice de Déméter et de portebtorche dans les cérémonies éleusib
niennes. Plus que tout autre, les titres de πρ,πολος et ¾πKων, corollaires de sa
participation aux aventures des deux déesses d’Éleusis, font clairement appel aux
prêtresses (ou aux simples fidèles) consacrées au service de Déméter et de Coré.
Nous savons que le terme πρ,πολος peut désigner de manière générale
l’agent cultuel et qu’il était, de fait, utilisé pour les prêtresses de Déméter et de
Coré70. Nous lisons, par exemple, sur une inscription du milieu du Ve siècle av.
J.bC. qui provient probablement de l’Éleusinion d’Athènes : « La fille de
Stephanos, Lysistrate, propolos de vos initiations secrètes – τελετˆς πρ,πολος σˆς
–, noble Déo et ta fille, a consacré cet ornement pour décorer votre vestib
bule »71. Très intéressante, quoique moins ancienne, est une inscription de
Rome consacrée à la femme d’Hérode Atticus. La défunte serait honorée dans
le sanctuaire de Déméter (Déméter est ici identifiée à Faustina) en devenant sa
servante : « que la déesse (DéméterbFaustina) lui accorde d’être une servante
d’honneur – J φ!πολον γερKων – et une nymphe de sa suite – ¾πKονα νH φην ;
car ni l’Archère au beau siège n’a refusé cet office à Iphigénie, ni Athéna au
terrible regard à Hersé »72. Ce ne sont pas seulement les termes J φ!πολος et
¾πKων, mais aussi la comparaison avec Iphigénie, la πρ,πολος d’Artémis, qui
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 73
Le problème de l’identificab
tion d’Hécate dans les scènes
éleusiniennes est indissolubleb
ment lié au problème de
l’ambiguïté des figures fémib
nines qui portent des torches
dans l’ensemble des scènes en
question. Les porteuses de
torches, malheureusement le
plus souvent anonymes, partib
cipent surtout aux scènes du
rapt de PerséphonebCoré, aux
Fig. 2
scènes de son retour, aux
scènes du départ de Triptolème et aux diverses scènes rituelles comme le pinax
de Ninnion. Nous disposons, à notre connaissance, seulement de trois images où
la présence d’Hécate Portebtorche est confirmée par son nom inscrit. Il s’agit,
d’abord, du fameux cratère de New York (440 av. J.bC., Fig. 2), qui illustre
73 Iphigénie, devenue prêtresse / suivante d’Artémis, a été identifiée à Hécate. Voir infra,
p. 287 sq.
74 Voir, par exemple, IG, II2, 3411, 1b2 et Kavvadias 1883 : col. 26, n° 1.
75 Voir Strabon, X, 3, 11 (Satyres, πρ,πολοι de Dionysos et Courètes, πρ,πολοι de Zeus) et
12 (Courètes ou Corybantes, πρ,πολοι de la Mère des dieux) etc. Sur des πρ,πολοι humains, voir
la note suivante.
76 Strabon, X, 3, 10.
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74 Hécate dans la poésie archaïque
77 Cratère en cloche, New York, MMA, 28. 57. 23 (ancienne collection Del Vasto). Cf.
Metzger 1965 : 11, n° 7, Bérard 1974 : 129b130, pl. 15, fig. 50 et Kraus 1960 : 93.
78 Bérard 1974 : 100b101 et 130 les appelle « torches d’appel » ou de « réveil » et les considère
comme le substitut aux mailloches figurant dans les scènes d’anodoi auxquelles participent des
satyres.
79 Fragment de cratère en cloche, Athènes, Musée National d’Acropole 732 ; Metzger 1965 :
11, n° 8 ; Bérard 1974 : 133, pl. 17, fig. 60. Restauration de Schwarz 1971 : 178 sq.
80 Cf. Edwards 1986 : 313, n. 45. Cependant, Bérard 1974 : 133 considère comme plus
probable pour cette date reculée la version horizontale de l’anodos.
81 Bérard 1974 : 130.
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 75
sant, par conséquent, dans les porteuses de torches qui y figurent de simples
prêtresses. C. M. Edwards critique cette attitude en observant : « In general,
Bérard makes too strict a distinction between representations of myth (‘anodoi
divines exemplaires’) and ritual (‘anodoi initiatiques’). Since the meaning of the
anodos depends on the viewer’s identification with the god’s experience, there
can exist, iconographically, no independent level of ritual »82.
Ainsi, suivant C. M. Edwards sur Fig. 3
ce point, nous ne voyons pas à quoi
les deux figures féminines de l’anodos
sur le fragment du couvercle de la
lékané de Berlin du Ve siècle av. J.bC.
– l’une monte du sol et l’autre la
regarde en tenant une torche dans
chaque main – diffèrent du couple
PerséphonebHécate de la scène du
cratère de New York83. La porteb
torche en question correspond parfaib
tement à la πρ,πολος de Perséphone,
qu’elle soit une prêtresse qui incarne
Hécate, Hécate qui fonctionne
comme une prêtresse ou les deux en
même temps. Si, dans la peinture, la
différence entre un drame sacré
illustrant le mythe et une scène située
directement au niveau mythique tend
à s’estomper, nous pensons qu’il faut
respecter cette fusion.
Une autre image d’anodos qui pose
les mêmes problèmes est celle du
lécythe aryballisque d’Athènes datant
de la fin du Ve siècle av. J.bC. (Fig. 3), considerée généralement comme une
version abrégée de la scène du cratère de New York. Si la figure qui sort de la
terre a tout de l’apparence de Perséphone, la porteuse de torches est légèrement
différente de notre Hécate πρ,πολος habituelle : elle n’est pas coiffée de
chignon et elle dirige ses torches longues, l’une vers le haut, l’autre vers le sol
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76 Hécate dans la poésie archaïque
(maniement rituel éleusinien ?). Dans ce cas, cette figure qui, malgré tout, évob
que Hécate pour les spectateurs a, en effet, assimilé certains éléments apparteb
nant au rituel84.
Nous devons aussi classer
parmi les images d’Hécate
participant à l’anodos la fameuse
« running maiden from
Eleusis » (Fig. 4), longtemps
censée appartenir à une repréb
sentation du rapt de Perséb
phone85. Cette statuette du
début du Ve siècle av. J.bC.
provient probablement du
fronton d’un bâtiment du
sanctuaire éleusinien, et selon
l’ingénieuse restitution de C. M.
Edwards – que nous acceptons
–, est plutôt à identifier avec
Hécate : des petits fragments de
marbre sur son peplos prouvent
qu’elle portait des torches,
tandis que son regard vers le
bas rappelle Hécate sur le
Fig. 4
cratère de New York86.
Le rôle d’accompagnateur du char d’Hadès lors du rapt de Perséphone est
fréquemment confié à Hécate par l’imagerie éleusinienne. D’après l’Hymne,
Hécate n’était pas présente lors de l’enlèvement de Perséphone, mais elle le
serait lors de ses descentes périodiques. Du moment où le rapt constitue le
modèle exemplaire de la descente annuelle de Coré, il est donc logique que
notre déesse y participe. Un skyphos mutilé d’Éleusis (430 av. J.bC., Fig. 5)
illustre le rapt87 : sur les fragments conservés une portebtorche qui ne peut être
84 Lécythe aryballisque, Athènes, MN 1414 (CC 1434). Cf. PeschlowbBindokat 1972 : 94,
n° V90 (cf. V92), Metzger 1965 : 12, n° 9 et Sarian 1992 : 991, n° 15 qui y reconnaissent Hécate,
tandis que Bérard 1974 : 101, pl. 9, fig. 32 l’identifie comme une prêtresse. Kourouniotis 1933b
1935 : 1, fig. 1b2, sans lui donner un nom, pense que la portebtorche face à Coré est prête à lui
servir de compagne et de guide ; selon le même auteur (5), l’absence de Déméter et d’Hermès est
due au manque d’espace à peindre sur le petit lécythe.
85 Statue, Éleusis, Mus. 5235 (485b480 av. J.bC.).
86 Edwards 1986 : passim.
87 Skyphos attique en fragments dédié par une certaine Xanthippè, Éleusis, Musée 1244 ;
Metzger 1965 : 11, n° 6 ; Sarian 1992 : 989, n° 1.
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 77
qu’Hécate précède le char d’Hadès emportant la jeune fille, suivi par Hermès,
Déméter, Éros et au moins une Océanide88.
Fig. 5
Une série de vases apuliens du IVe siècle av. J.bC. montre un lien très étroit
entre la porteuse de torches et le quadrige d’Hadès. Dans ces images, cette
portebtorche qui est en toute probabilité Hécate et qui est toujours couplée à
Hermès semble vraiment indispensable à la scène. Force est de constater que
cette figure est représentée dans ce groupe de vases avec la plus grande variété.
Elle porte d’habitude un chitôn court, mais nous la trouvons aussi avec un chitôn
long (Fig. 6)89 ; la plupart du temps elle a un chignon, mais elle peut exceptionb
nellement porter un bonnet phrygien90 ; elle porte deux torches simples ou une
torche en croix91 ; normalement elle précède ou elle suit le quadrige de
l’enlèvement et s’oppose symétriquement à Hermès, mais exceptionnellement,
nous pouvons la trouver du même côté que celuibci92. Il est très difficile d’interb
préter l’attitude de cette figure visbàbvis de l’événement. Sur certains vases, elle
paraît vraiment opposée à Hadès : semblable à une Furie, elle brandit ses torb
ches comme si elle voulait arrêter le char93 ; sur d’autres, elle ne semble pas
agitée du tout, elle donne même l’impression de contribuer au passage du char
en en éclairant le chemin94.
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78 Hécate dans la poésie archaïque
Fig. 6
Cette divergence des représentations d’Hécate sur les vases apuliens dépend
peutbêtre du point de vue à partir duquel est envisagé le mythe de Perséphone.
Si l’artiste met l’accent sur la violence, Hécate, en tant que compagne de Perséb
phone et complice de Déméter, prend naturellement la défense de la victime.
S’il voit la scène comme le modèle des descentes périodiques de Perséphone, la
tension disparaît et Hécate portebtorche se contente d’offrir sa lumière rassub
rante. S’il veut, finalement, faire ressortir la ressemblance de la scène avec celle
d’une procession nuptiale (à remarquer la présence fréquente d’Éros survolant
les protagonistes), nous voyons Hécate porter la torche en l’honneur d’une
nouvelle mariée. La figure d’Hécate est apte à refléter les multiples facettes de
l’aventure de Perséphone, d’autant plus qu’elle est conçue, ainsi que nous
l’avons vu, comme un élément opérant entre le mythique et le rituel.
Selon un autre schéma de représentation que nous trouvons sur certains
bols « mégariens » d’époque hellénistique et qui privilégient les thèmes des
enlèvements, la portebtorche du cortège (très probablement Hécate) qui fait
partie des compagnes de Perséphone (Athéna et Artémis) est, exceptionnelleb
ment, éloignée du char95. Le caractère de la scène est manifestement violent et,
entre la lance menaçante d’Athéna et l’arc tendu d’Artémis, les torches d’Hécate
y deviennent une arme de protection ou un signal d’alerte. Hermès seul assume
le rôle du guide.
Aussi la présence simultanée d’Hermès et d’une portebtorche (Hécate ?)
dans des scènes semblables aux processions nuptiales suggèrebtbelle parfois qu’il
s’agit des représentations du mythe de Perséphone. Cette hypothèse semble
95 Tel est le cas d’un bol à reliefs moulés d’époque hellénistique, autrement dit « mégarien »,
(Londres, British Museum), cf. Murray 1902 : 2 sq. et Kahil 1984 : no 1289. Des fragments de bols
« mégariens » représentant l’enlèvement ont été trouvés à l’Agora d’Athènes. Rotroff 1982 en
publie quatre dans son catalogue dont deux (67b68, nos 194b195, Musée de l’Agora, P 28545 et P
26150 respectivement) montrent une porteuse de torche que l’auteur interprète comme
« Déméter ou Hécate ».
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 79
96 Cratère à f. r., Bologne, Mus. Civ. P 236, cf. Bérard 1974 : 133, pl. 17, fig. 59. Selon une autre
hypothèse, il s’agirait des noces d’Hermès avec la fille de Dryops ; voir Metzger 1965 : 12, n. 1.
97 Voir Jenkins 1983 : 137b145.
98 Le geste en question, correspondant à un rite de mariage imitant un enlèvement (Jenkins
1983 : 137 et passim) trouverait son αŸτιον dans le mythe de Perséphone. Normalement, c’est le
mari qui conduit sa femme par le poignet, mais il peut exceptionnellement être remplacé par un
νυ φαγωγ,ς (Oakley et Sinos 1933 : 28) ; outre les scènes de mariage, ce geste se trouve dans les
scènes de conduite des jeunes filles à l’autel sacrificiel (Iphigénie, Polyxène) ainsi que dans la
scène de la conduite d’Alceste aux enfers (Jenkins 1983 : 141).
99 Pied de vase à f. n., Athènes, Musée National de l’Acropole 1222, cf. Graef et Langlotz
1909 : 136, n° 1222, pl. 70.
100 Bérard 1974 : 134.
101 Dans la même catégorie, nous pouvons mentionner une scène sur une hydrie attique à f. r.
du milieu du Ve s. av. J.bC. (Würtzbourg, WagnerbMus. L 535), classée parfois comme rapt de
Perséphone malgré les facteurs pesant plutôt en faveur d’une scène de mariage : manque de
tension, absence d’Hermès, autel représentant probablement la maison des nouveaux mariés) ;
enfin, la portebtorche figurée à gauche du quadrige sur une base carrée fait pourtant penser à une
statue d’Hécate marquant le départ de la procession. Selon Hölscher 1980 : 173b79, pl. 42, 1b3, il
s’agit du rapt de Coré, la statue d’Hécate indiquant l’entrée du sanctuaire ; Edwards 1986 : 316.
ARV2 II, 1112, 6, Bazant 1985 : 27 (pl. 47abb) et Sarian 1992 : n° 46 y voient une scène de
mariage.
102 Sarian 1992 : n° 14, n° 10 et n° 12, intègre les images sur le cratère de Bologne et le pied
de vase d’Athènes à son catalogue des représentations d’Hécate et les groupe parmi les images
des anodoi.
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80 Hécate dans la poésie archaïque
Fig. 7
Dans deux représentations, une inscription indiquant le nom de la déesse ne
laisse aucun doute sur l’identité du personnage figuré. Il s’agit d’abord de
l’hydrie de Londres du troisième quart du Ve siècle av. J.bC. (Fig. 8)105 : Hécate
est une des deux porteuses de torches qui, placées symétriquement sous
chacune des deux anses, encadrent la triade PerséphonebTriptolèmebDéméter.
Figurant à droite de Déméter, elle fait pendant à une jeune fille tenant égaleb
ment deux torches et située à gauche de Perséphone. Sans l’inscription, on
aurait sans doute identifié cette dernière à Hécate, que nous rencontrons le plus
103 Shapiro 1989 : 77 croit que, d’après les vases, le mythe a été inventé à l’époque de Pisib
strate.
104 Isocrate, IV, 28 ; Démosthène, LX, 5 (Rennie) ; Xénophon, Hell., VI, 3, 6, cf. Foley 1993 :
100.
105 Hydrie, Musée Britannique E 183, cf. Metzger 1965 : 16, n° 29 ainsi qu’Edwards 1986 :
316, pl. 22, 14.
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 81
Fig. 8
Comme le signale H. Metzger, la complexité des représentations de l’épisode
de Triptolème et la multiplication des porteuses de torches anonymes qui y
participent rendent leur lecture difficile108. Il est impossible de décrire ici toutes
les images de la mission de Triptolème susceptibles d’inclure Hécate parmi les
personnages. La plupart du temps l’identification reste ambiguë. La porteuse de
torches, par exemple, que nous trouvons régulièrement derrière le char ailé du
héros peut être interprétée aussi bien comme Hécate que comme une princesse
d’Éleusis, une prêtresse anonyme ou l’une des déesses d’Éleusis109.
106 Edwards 1986 : 316 pense que « this girl corresponds in her placement and attributs to
Hekate but cannot be she. Rather she serves as hierophantis, the priestess of Eleusis ». Selon
Clinton 1992 : 112, la différence de vêtements entre les deux figures, peplos pour Hécate, himation
et chitôn pour la jeune fille, sert probablement à indiquer le statut mortel de la deuxième.
107 Cratère en calice, Duke University, Art Museum, cf. Raubitschek 1982 : 115, n. 36, Schwarz
1997 : n° 128 et Clinton 1992 : 118 et n. 21.
108 Metzger 1965 : 17.
109 La figure derrière le char du héros porte tantôt deux torches courtes (cratère en calice à
Ferrare, MN 2891 (T313), cf. ARV2 602, 24), tantôt un bouquet d’épis dans la main gauche et une
torche dans la main droite (cratère à volutes à Paris, Louvre G 343, cf. ARV2 600, 171) et tantôt
deux longues torches dont l’une est dirigée vers le sol (cratère à colonnettes, Wurtzbourg,
WagnerbMus. L 529, cf. ARV2 1117, 5). Voir l’analyse de Edwards 1986 : 316b317 sur le cratère en
calice de Ferrare. Sarian 1992 : n° 14 interprète toutes ces porteuses de torches comme des
représentations d’Hécate.
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82 Hécate dans la poésie archaïque
110 Edwards 1986 : 317 croit que l’importance d’Hécate dans l’iconographie de la mission de
Triptolème « has to do with her nature as a goddess of transition points from one realm to the
next ».
111 Simon 1985 : 271b284, 277b279 et Edwards 1986 : 317b318, n. 87b88. Sur un relief de Paros
de la deuxième moitié du IVe s., dédiée aux Nymphes, la porteuse de torches représentée derrière
le couple DéméterbCoré, parmi un grand nombre des divinités, est probablement à identifier avec
Hécate, voir Larson 2001 : 180b181.
112 Stèle votive en marbre attique, Éleusis, Mus. 5085, 480b475 av. J.bC.
113 Mylonas 1961 : 191b192, fig. 67, cf. Sarian 1992 : n° 25 qui, lui aussi, y reconnaît Hécate.
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 83
114 Coupe sans tige au Musée de Naples H 2642, cf. Metzger 1965 : n° 50, pl. 17.
115 Metzger 1965 : 25.
116 Tableau en forme de naïskos peint selon la technique de la figure rouge (première moitié
du IVe s.). Mylonas 1961 : 213b221 et Metzger 1951 : 236b237 reconnaissent Perséphone dans la
figure en question.
117 Paus., I, 38, 6 : « À Éleusis il y a un temple de Triptolème, un autre d’Artémis Propulaia et
de Poséidon le ‘Père’… », cf. ibid., VIII, 37, 6 (sur la tradition, selon laquelle Artémis est fille de
Déméter). Kraus 1960 : 63, n. 305, souligne la ressemblance fonctionnelle entre Hécate et
Artémis. Sur Artémis Προπυλα!α, voir aussi Simon 1996 : 162.
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84 Hécate dans la poésie archaïque
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 85
Hécate le titre exceptionnel de θαλKττιος : « Mélanthios dans son ouvrage Sur les
Mystères d’Éleusis rapporte qu’on sacrifiait le moulet rouge – τρ!γλη – et la mendole
– αιν!ς – à Hécate, car elle était aussi une déesse de la mer – θαλKττιος »125. Il est
probable que Mélanthios se référait à ces offrandes à titre d’exemple sans les
situer dans un contexte éleusinien, comme le note K. Clinton.
Mais, même si Mélanthios se réfère à l’interdiction de certains poissons
(dont la τρ!γλη) imposée aux mystes durant leur initiation126, il reste que le titre
θαλKττιος rappelle l’exemple des mystères de Samothrace où Hécate revêtait
probablement un aspect marin la rapprochant de Poséidon. Or, il semble que
l’arrêt du mauvais temps par les mystes était si fréquemment évoqué qu’il est
devenu proverbial : « faire de la tempête et de l’accalmie … par des initiations –
˜κ τελετTων »127 ; en cas d’orage, la responsabilité pouvait même être rejetée sur
celui des voyageurs qui ne s’était pas initié : …εŸ τις ª ε Hηται τ[ν
πλε,ντων128 ; l’expression, dérivée probablement d’une formule hiératique, a été
particulièrement liée aux mystères de Samothrace et au culte local d’Hécate et
des Cabires129 où se protéger des mauvaises humeurs de Poséidon faisait partie
des espoirs des initiés : « car les initiés croyaient que ces chosesblà pouvaient les
sauver des maux et des contretemps »130. Toutefois, nous n’avons aucun indice
d’une implication complémentaire d’Hécate dans les mystères d’Éleusis en
fonction de conceptions analogues et son culte aux propylées reste aussi
hypothétique que son association avec Poséidon dans le contexte éleusinien.
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86 Hécate dans la poésie archaïque
Hécate et Perséphone que la ressemblance est la plus forte. Parmi les analogies
entre l’Hécate hésiodique et la Perséphone de l’Hymne relevées par H. Foley,
citons les suivantes : « Each goddess is an only female child (mounogenês,
Théogonie 426, 448) who is rewarded with special honors in the three realms of
the universe (Théogonie 412b15, 427, Hymne à Déméter 364b69). Like Persephone,
when Hekate is gracious (prophrôn, Hymne à Déméter, 487, 494) to mortals, she
bestows happiness and wealth (olbos) on them (419b420) and serves as a nurse
to the young (kourotrophos, 450b452). Again Hekate, unlike an epiklêros, is not
married off to produce a male heir for her father’s line ; her special honors from
Zeus relate to her role as the only daughter of her mother (Théogonie 448), and
her birth is unusually recounted in conjunction with the genealogy of her
mother »131. La fonction de Κουροτρ,φος, partagée surtout par Déméter mais
peutbêtre aussi par Perséphone (en même temps figure virginale et mère chez
les orphiques)132, et surtout le reste de la liste dressée par H. Foley, peuvent
vraiment conduire à une association très étroite des deux déesses. Or si Hésiode
donne comme parents d’Hécate Persès et Astérie, d’autres sources font d’elle la
fille de Zeus et d’Astérie, ou encore de Zeus et de Déméter.
C’est dans une tradition orphique que puise Callimaque dans un passage qui
fait d’Hécate la fille de Zeus et de Déméter, et qui dit qu’elle a été envoyée par
son père dans l’Hadès afin de trouver Perséphone : « s’unissant à Déméter Zeus
a mis au monde Hécate, distinguée parmi les dieux pour sa force et sa taille.
Cellebci a été envoyée par son père sous la terre en vue de chercher Perséphone
et, par conséquent, elle s’appelle Artémis et Gardienne et PortebTorche et
PortebLumière et Chthonienne – κα› ΦHλαξ κα› ‰αιδοÀχος κα› Φωσφ,ρος κα›
Χθον!α »133. La généalogie orphique d’Hécate est transmise aussi par les Scholies
aux Argonautiques d’Apollonios de Rhodes : « certains disent qu’elle est fille de
Zeus. Dans les Orphiques elle descend de Déméter : ‘et alors Dêô a enfanté
Hécate, fille de père illustre’ »134. Nous ne saurions dater avec exactitude ces
données, mais le fait que les Athéniens sont en mesure de reconnaître une
Εzνοδ!α (épithète d’Hécate) fille de Déméter, au plus tard à l’époque de l’Ion
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 87
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88 Hécate dans la poésie archaïque
142 Sur le verbe ˜ βρι Kο αι, voir Skeat – IdrisbBell 1935 : 10b13 ainsi que Theodoridis 1985 :
35b36.
143Luc., Ménippe, 20.
144Clém., Protr., II, 15, 1b3 (Marcovich). Cf. scholies ad loc. « Brimô : épithète d’Hécate ».
145 Hippolytus, Refutatio omnium haeresium, 5, 8 (Marcovich). Clinton 1992 : 91b94 associe la
formule aux Thesmophories.
146 Mylonas 1961 : 306b310 se rapporte aussi à une tradition orphique, mais propose Rhéa et
Attis pour Βρι ’ et Βρι ,ς ayant identifié Βρι ’ de Clément avec Rhéa sur la base d’Orph. fr., 58
(Kern). Selon F. Graf, « the mother of a mighty child », dans un contexte éleusinien ne pourrait
être que Déméter, voir Graf, Johnston 2007 : 151, 211 (n. 91). Bernabé, Jiménez San Cristobal
2008 : 155b156, identifient la déesse de la lamelle avec Perséphone.
147 Lyc., Alex., 698 et scholies ad loc. Sur ¾( )βρι ,θυ ος attribué à plusieurs divinités, voir
Hymn. orph. XVIII, 1, XIX, 7, LXVI, 1 et Orph. fr. 169, 12 (Kern).
148 Chrysostomou 1998 : 211 sq.
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L’Hymne homérique à Déméter. Bienfaits de la médiation 89
Conclusion
La présence d’Hécate dans l’Hymne homérique à Déméter serait passée quasib
inaperçue, si la petite phrase ˜κ τοÀ πρ,πολος κα› ¾πKων –πλετ᾽… n’avait pas
donné l’alerte vers la fin du récit. Cette phrase invite clairement à réfléchir sur le
lien entre le rôle étrange assumé par Hécate dans l’Hymne et celui qu’elle aurait
pu jouer, si non dans la célébration des mystères, au moins dans la riche
symbolique éleusinienne. Surgie spontanément d’une grotte, Hécate ressemble,
de prime abord, à une Nymphe ayant un intérêt de κουροτρ,φος pour le couple
divin mèrebfille. Cependant, son antre, de même que son σTλας, situés entre
lumière éclatante et obscurité profonde, sont emblématiques aussi bien de son
rôle d’accompagnatrice de Perséphone lors de ses éternels allerbretours entre les
deux niveaux du cosmos que de l’expérience des initiés − ainsi que de l’espoir
qui en résulte. Les brèves mentions d’Hécate au fil du poème la rapprochent,
d’abord de Déméter, puis de Perséphone. C’est grâce à un jeu très subtil de
miroir et de dédoublement qu’Hécate s’interpose entre la mère et la fille,
rendant possibles tant leur séparation que leurs retrouvailles. Or, plusieurs
149 Rappelons que Perséphone est nommée avec insistance ουνογεν(ς dans la tradition
orphique : Orph. fr., 190 (Kern) et Hymn. orph. XXIX, 2 (Quandt). Pour des sources attestant une
déesse ΜουνογTνεια, fille de Déméter en Thessalie, voir Chrysostomou 1998 : 216, n. 820, cf. 244,
n. 969.
150 Hymn. orph., I, 6 (Quandt).
151 Procl., In rem publ., 614 d (Kroll) = Orph. fr., 316 (Kern).
152 En ce qui concerne Sophron et Hécate Xγγελος, voir infra, p. 183 sq.
153 Selon Diod. Sic., V, 2b5, non seulement les déesses d’Éleusis étaient d’origine sicilienne,
mais aussi la culture du blé a d’abord été connue dans cette île. Sur le lien entre la production
orphique et la Sicile, voir Orph. fr., test. 173b179 (Kern) et Graf 1974 : 143b144. Cf. Kingsley 1995 :
243, sur les liens locaux entre Hécate, Déméter et Perséphone.
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90 Hécate dans la poésie archaïque
sources postérieures à l’Hymne décèlent une très grande affinité entre les trois
déesses qui se rencontrent aussi dans la figure orphique de Βρι ’.
L’analyse de l’iconographie éleusinienne nous encourage à chercher l’équivab
lent rituel de l’Hécate de l’Hymne dans le rôle d’une prêtresse porteuse de
torches prenant en charge les initiés lors de leur aventure mystique à la fois
effrayante et salvatrice. La seule trace possible d’un culte d’Hécate à Éleusis
réside en l’identification de la déesse à l’Artémis Προπυλα!α du sanctuaire.
L’hypothèse est renforcée par la grande parenté aussi bien entre Artémis et
Hécate sous leur aspect de gardiennes des portes qu’entre leurs sanctuaires
respectifs à Éleusis et à Sélinonte.
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L’espace et le temps d’Hécate
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Chapitre I
Les lieux de prédilection d’Hécate :
portes, routes et triodoi
1 C’est le plus souvent ArtémisbHécate et non Hécate qui lie son nom à celui d’une localité.
Selon Hsch., s.v. ΖTα (Latte), le port de Zea en Attique emprunte son nom à l’Hécate proche
d’Artémis de Mounichie ; c’est, sans doute, à son identification avec cette Artémis qu’Hécate doit
l’appellation Μουνυχ!α dans Argon. orph., 935. Nous savons aussi que dans NκKτης νˆσος (Île
d’Hécate), les deux déesses se confondent et que l’île est dite tantôt « d’Artémis », tantôt
« d’Hécate » ; voir Bruneau 1970 : 176b180, 202. Cependant, il y a en Asie Mineure à partir de
l’époque hellénistique de vraies exceptions qui inscrivent explicitement Hécate dans un espace
géographiquement et historiquement défini. Ainsi Hécate, très importante déesse à Lagina
carienne (voir, entre autres, Laumonier 1958 : 344b425 ainsi que Kraus 1960 : 42 sq.), donne son
nom à la ville voisine d’Idrias : Steph. Byz., s.v. Nκατησ!α (Meineke), cf. Lœwe 1980 : 73.
2 Nous traduisons les deux premières épithètes par « celle qui se trouve devant la porte » et la
troisième par « celle qui se trouve devant la maison ». Il faut, néanmoins, signaler que le mot
θHρα/αι, « porte de la maison » se distingue en principe de πHλη/αι, « porte de ville » qui, elle,
peut aussi désigner les portes des temples ou des sanctuaires et, occasionnellement, les portes des
palais. Le premier terme, plus que le deuxième, est lié à l’idée du dehors (θHραζε, « à la porte » ou
« aubdehors », θυρα‚ος, « étranger »), comme si la porte était vue de l’intérieur d’un foyer. Le
deuxième, trouvé parfois dans les toponymes, peut signifier « passage », « entrée dans un pays » ; il
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94 L’espace et le temps d’Hécate
La porte, par sa construction même4, est marquée par une double ambiguïb
té : d’une part, elle oppose l’intérieur à l’extérieur, et de l’autre, par sa position
d’ouverture ou de fermeture, elle offre respectivement la possibilité de la
communication ou de l’isolement5. Les portes homériques sont, avant tout,
bien construites et inviolables, – πυκινα!, « stables », πυκιν[ς Jραρυ‚αι, « bien
ajustées » et φαεινα!, « de métal brillant »6 –, voire garanties par la technique
divine d’Héphaistos7. L’idée de l’isolement, inhérente aux portes fermées,
caractérise notamment celles de l’Hadès πυλKρτης, « celui qui ferme la porte »8
ou du Tartare.
Au contraire, le πρ,θυρον, « vestibule » est le plus souvent vu comme un lieu
d’ouverture exceptionnelle ; c’est l’endroit transitoire d’où les nouveaux
arrivants adressent leurs salutations et leurs premières paroles, comme le
montre la formule homérique –στη ˜ν(›) προθHροισι9, endroit qui aura, plus tard,
un rôle majeur dans l’espace scénique10.
est dit aussi pour les portes de l’Hadès, les portes du ciel, les « portes des hymnes », etc. Quant au
substantif δ, ος, deuxième composé de l’épithète Πρ,δο ος, selon É. Benveniste, il est à
distinguer du latin domus, car il désigne plutôt l’édifice que le « chez soi » (ce dernier est exprimé
par le mot ο©κος) ; πρ,δο ος en tant que substantif désigne en général le vestibule : Hom., Od.,
IV, 302 et 297, Etym. M., s.v. πρ,δο ος, 688, 35 (Gaisford), cf. Chantraine 1999, s.v. θHρα, πHλη,
δ, ος, Benveniste 1969 : 296b307, 311b314 et Christopoulos 2006 : 303b304 concernant αÁλειος
θHρα en tant que limite entre l’espace privé et l’espace public. Sur les portes et les zones de
transition chez Homère et chez Apollonios de Rhodes, voir RougierbBlanc 2003 : 91b108. Quant
à la distinction entre πρ,δο ος et αŸθουσα homériques, voir RougierbBlanc 1996 : 44b65. Dans le
cas des dieux Προδο ε‚ς de Mégare, contrairement à celui d’Hécate Πρ,δο ος, le préfixe προb
semble avoir un sens plutôt temporel et final que spatial.
3 Sur les rites et les croyances associés à la porte et au seuil, voir MacCulloch 1911 : 846b852.
En ce qui concerne le monde grécobromain, voir Ogle 1911 : 251b271 et Norden 1939 : 171b172.
Quant à la valeur religieuse des portes des murailles, reste capitale l’étude de Picard 1962 : 13b41
(présentation des portes à images divines de Thasos). Cf. HalmbTisserant 1995 : 473b503
(représentation des portes sur les vases grecs).
4 Sur la construction et les différents types de portes en Grèce, voir Pottier 1899 : 603b607.
5 Selon Artémidore, Clé des songes, III, 54, les clés servent à fermer les portes, car « autrement
on n’aurait pas besoin de clé ni même de portes ».
6 Hom., Il., XV, 167, 169, 339, Od., XXI, 382, etc. Nous avons traduit φαειν,ς par « de métal
brillant », car cet adjectif s’attribue très souvent, bien que non exclusivement, aux objets métalb
liques, voir LSJ, s.v. φαειν,ς.
7 Sur les portes de la chambre nuptiale de Zeus et Héra, voir Hom., Il., XIV, 166b169 ; 357b
340, cf. ibid. XXIV, 564b567 et 445b447 où c’est Hermès qui ouvrira miraculeusement les portes
du camp des Achéens.
8 Hom., Il., VIII, 367.
9 Hom., Od., XVI, 11b12, X, 220, 310 et VIII, 325, cf. Il., XI, 644 (θHρ σιν ˜φ!στατο) et Eur.,
I.T., 1304b1306 (˜ν πHλαις πKρει ι). Voir Edwards 1975 : 51b72. Précisons que chez Homère le
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 95
πρ,θυρον peut se situer tant devant les portes de l’enceinte de la maison, αÁλειαι θHραι, que
devant les portes intérieures de la maison, πρ[ται θHραι ; voir Palmer 1948 : 92b94 et Rougierb
Blanc 2003 : 92 sq. Sur l’habitude des Troyens de se rassembler pour délibérer devant les portes
de Priam, voir Hom., Il., II, 786b788, VII, 345b346.
10 Du moment où l’on « sort » du bâtiment scénique pour entrer en scène et où l’on « entre »
pour en sortir, le πρ,θυρον devient un lieu doublement propice à la communication en abritant
souvent des scènes d’intérieur, cf. Rees 1915 : 117b131.
11 Hom., Il., XXII, 64b71. Dans cette image cauchemardesque, l’ambiguïté inhérente aux
portes, mise en parallèle avec le caractère également ambigu du chien est poussée à l’extrême ;
Vermeule 1979 : 106b107 y voit exprimée la peur d’une trahison dans le palais même de Priam.
Concernant le caractère équivoque des fameuses Portes Scées, liées au mauvais sort d’Hector
ainsi qu’à celui d’Achille, voir Hom., Il., XXII, 5b6, 358b360 et 438.
12 Énée Tacticien, Poliorcétique, ch. 18 et 20 en particulier. Sur les πυλωρο!, voir Robert 1944 :
17b18.
13 Le latin foris est l’équivalent du grec θHραζε : Benveniste 1969 : 311 sq., cf. Chantraine 1999 :
446 sq., s.v. θHρα. Sur l’opposition θυρα‚οςbοzκε‚ος et la symbolique de la porte dans l’Alceste
d’Euripide, voir Buxton 1987 : 167b170.
14 Voir, par exemple, Hsch., s.v. θυρKγ ατα (Latte). Selon Pollux, il incombait au portier
(πυλωρ,ς) de nettoyer toute la maison : Pollux, X, 28b29, (Bethe). Eur., Phaethon, 54b55 (Diggle),
témoigne d’une fumigation devant les portes de la maison.
15 Hom., Od., XVII, 296b299, cf. Duchêne 1992 : 56b57.
16 Voir LSCG, 115, l9b20 où il est question ici du fermage du jardin d’Héraclès : le locataire,
« assurera la propreté de l’espace devant les portes » − τ¯ πρ¨ τ[ν πυλα!ων πKντα καθαρ¯ παρTξει.
Cf. Duchêne 1992 : 46b50 ainsi que 41b42, 56b57 et Cole 2004 : 54b55.
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96 L’espace et le temps d’Hécate
ment, dans certains cas, rejetés à la porte ou déposés sur le seuil17. La purificab
tion avant l’entrée est naturellement d’importance majeure dans le cas de l’accès
aux endroits sacrés, comme en témoigne singulièrement l’emploi des περιρρανb
τ(ρια, instruments servant aux lustrations18. Un exemple de cérémonie de
purification réalisée ˜π› τ[ι éδ[ι, « sur le seuil » nous est offert par la loi sacrée
de purification de Cyrène (fin du IVe siècle), découverte en 192219.
Diverses pratiques et croyances démontrent que la porte est conçue comme
une limite cruciale20. Platon nous apprend que des figurines d’envoûtement en
cire étaient placées devant les portes21, tandis que Sophron aussi bien que
Théocrite se réfèrent à l’usage de répandre de substances magiques sur le dessus
du seuil − ou, plus souvent de les enterrer de la maison visée par une opération
magique. L’« ouverture des portes » – aνυξις θHρας – est d’ailleurs un truc très
courant dans les recettes spéciales des magiciens22. Aux pratiques agressives
accomplies devant la porte de la maison répondent naturellement les différents
portebbonheur, φυλακτ(ρια et JλεξιφKρ ακα à proximité des portes de l’enceinte
de la maison, accrochés à la porte ou enterrés sous le seuil23.
22 Sophron, fr. 3 (KasselbAustin) attribué au mime Taw γυναxκες αy τzν θεXν φαντι TξελZν
(|̟οκατ}ρυκται δ™ ˜ν κυαθ!δι τρικτ·ς Jλεξιφαρ Kκων), Théocr., Idyll., II, 58b59 (…τ¯ θρ,να ταÀθ’
³π, αξον | τ¼ς τ(νω φλιZς καθ’ |̟:ρτερον), cf. PGM, XII, 100. Sur l’ouverture « magique » des
portes, voir Eitrem 1925 : 15, 111b113. Sampter 1911 : 189 sq. offre des exemples des rites
magiques impliquant les portes dans d’autres cultures.
23 Voir, par exemple, Ar. fr. 266, Kock (̟ρfς τfν στροφ:α τ~ς αMλεQας σχ!νου κεφαλªν
κατορ•ττειν), Théophr., Histoire des plantes, VII, 13, 4, 6b8, Wimmer (̟ρf τ€ν θυρ€ν τ~ς εiσXδου
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 97
Projetées dans l’espace cosmique, les portes marquent les limites entre les
différents niveaux du monde et assurent son organisation : les haïssables portes
de l’Hadès enfoncées dans la terre24, les portes du Tartare représentant l’extrême
limite du monde souterrain25, les portes du Ciel et les portes du Soleil26, celles de
l’Olympe27 et celles où se croisent le Jour et la Nuit inscrivant le cycle du temps
dans un espace imaginaire28. Les portes cosmiques sont souvent décrites comme
inviolables, enracinées, disposant d’un seuil d’airain ou de pierre et de leurs
propres gardiens divins : selon le cas, Cerbère, Dikè, les trois êραι et, comme on
le verra, Hécate.
Associées aux dangers de l’extérieur, les portes garantissent en même temps
la sécurité d’une maisonnée, d’une ville ou d’une région cosmique dont elles
finissent souvent par devenir le symbole ; c’est leur aptitude à symboliser des
passages non matériels ou invisibles qui les implique dans les morts, les
naissances, les mariages ; en tant que lieux de passage elles sont également des
lieux épiphaniques, leur ouverture automatique signalant souvent l’apparition
divine29 ce qui implique sans doute un rôle au niveau du rituel, lors des
cérémonies qui comportaient des initiations et des révélations. L’abondance des
φυτευθε‚σαν − sc. τªν σκ!λλαν − Jλεξητ(ριον ε©ναι τˆς ˜πιφερο Tνης δηλ(σεως), Cassianus Bassus,
Geoponica, XV, 1, 31 (σκ!λλα ξηραινο Tνη, κα› Tν τ• ̟ροθ•ρh τ~ς οiκQας κειN:νη − sc. φθ,νον κα›
˜πιβουλªν ˜λαHνει) ainsi que id., XV, 8, 1, Beckh (ëνου Tλανος Iπλªν τοÀ δεξιοÀ ì ου κατXρυξον
|̟f τfν οMδfν τˆς εzσ,δου, κα› ˜π!χεε…) et XIII, 8, 4 et 15, 8 où il est question des formules
apotropaïques à écrire sur les portes, cf. note précédente. Concernant le pouvoir apotropaïque de
la scille, voir aussi Svoronos 1923 : 159b161.
24 Hom., Il., IX, 312 (˜χθρ¨ς γKρ οι κε‚νος I [ς Gΐδαο πHλ σιν), XXIII, 71b74 et VIII, 367.
À l’époque romaine, la stèle funéraire en forme de porte, type de monument très répandu en
Phrygie, évoque tant les portes du tombeau que celles du monde d’en bas, voir Cumont 1913 :
98b102, nos 77b79.
25 Elles sont, selon Hom., Il., VIII, 13b16, à la même distance de l’Hadès que la terre l’est du
ciel : τ,σσον –νερθ᾽ Gΐδεω µσον ο•ραν,ς ˜στ᾽ Jπ¨ γα!ης. Cf. Hés., Théog., 736b745 et 811b814.
26 Hom., Il., V, 749 et VIII, 393 (πHλαι … ο•ρανοÀ íς –χον êραι) et id., Od., XXIV, 12. Cf.
infra, p. 239, n. 62, sur une épigramme de Cyrène.
27 Hom., Il., VIII, 409b412.
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98 L’espace et le temps d’Hécate
Rien de suprenant, dès lors si les reliefs, les niches, les statuettes et les autels
– aménagés dans le dispositif même de la porte ou à sa proximité – sont si
fréquents. D’autres divinités qu’Hécate, postées devant les portes des maisons
ou des villes, peuvent également être l’objet d’un culte32. Le culte de différents
héros peut également y avoir lieu33, tandis que les groupements de tombeaux et
les vraies nécropoles se situent le plus souvent à proximité des portes des
villes34.
Comment Hécate, se manifestebtbelle en tant que déesse des portes ? 35. Le
théâtre d’Aristophane met en lumière la familiarité avec la quotidienneté humaine
que peut comporter le rôle de Προθυρα!α. Dans les Guêpes, pour donner une idée
des δικαστηρ!δια, « petits tribunaux » que pour un peu chacun finirait par ériger
devant sa propre porte, tant les Athéniens sont férus de procès, Philocléon
évoque les statuesbsanctuaires d’Hécate : Ñσπερ NκKτειον πανταχοÀ πρ¨ τ[ν
θυρ[ν36. Nous pourrions voir dans ce passage, outre l’évocation de la multiplicab
30 Voir McLeish 1980 : 44 concernant les portes dans le théâtre d’Aristophane. Dans la tragéb
die, également, les portes constituent le décor scénique habituel de l’action, et nous serions tentée
d’y reconnaître une des raisons pour laquelle il y a chez les tragiques de relativement nombreuses
évocations d’Hécate, cf. Mooney 1914 : passim.
31 HalmbTisserant 1995 : 479 et passim.
32 Sur la pratique de la consécration des τε Tνη situés devant les portes des villes aux divinités
diverses, voir PugliesebCarratelli 1965 : 5b10. Quant à la mise sous la protection divine des portes
et des murailles des villes − notamment celles de Thasos −, voir aussi Martin 1947b1948 : 108b
111, Maier 1961 : 93b104 et Picard 1962. Sur le héros ΠροπHλαιος, voir Seure 1912 : 382b390 (IIe
partie) et Wenreich 1913 : 62b72. Nous trouvons aussi beaucoup d’exemples de dieux protecteurs
des portes chez Graf 1985 : 173 sq. ainsi que Faraone 1992 : 7b9 et 57 sq., Ellinger 2005 : 89b90.
Les auteurs insistent surtout sur le cas des dieux qui protègent les portes des villes, mais ils citent
aussi des dieux situés devant les portes des maisons privées, notamment Hécate Προθυρα!α,
Hermès Προθυρα‚ος et Apollon GγυιεHς ; Héraclès − surtout en tant que Kαλλ!νικος − veille aussi
sur les abords de la maison, cf. Wünsch 1909 : 29 sq., Weinreich 1915 : 8b18 et Bruneau 1964 : I,
165b166. Sur les cultes des héros « domestiqués » à proximité des maisons privées, voir aussi
Rusten 1983 : 289b297, cf. note suivante.
33 Pour le culte des héros à proximité des portes, voir, par exemple, Hdt., VI, 69, 14b16
(sanctuaire d’Astrabakos) avec l’analyse de Christopoulos 2006 : 303b312. Cf. Curtius 1894 : 85 sq.,
Rohde 1952 : 163, n. 1b2, Kearns 1989 : 54, Larson 1995 : 33, 75, 194 (n. 61). Ogle 1911 : 265 sq.
donne aussi des exemples d’enterrement près des portes.
34 Kurtz et Boardman 1971 : 49, 70, 92 et passim.
35 Johnston 1999 : 206 sq. se penche aussi sur le rapport d’Hécate avec les portes.
36 Ar., Guêpes, 804 : κJν το‚ς προθHροις ˜νοικοδο (σοι π¼ς Jνªρ | α³τÄ δικαστηρ!διον ικρ¨ν
πKνυ, | Ñσπερ NκKτειον πανταχοÀ πρ¨ τ[ν θυρ[ν, cf. schol. Ar., Guêpes, 804b (Koster). Cf. Ar.,
Lys., 64, où, selon la correction de Bentley, l’expression θο•κKτειον ¹ρετο montre l’intimité qui
pourrait se développer entre les habitants d’une maison et une présence divine si proche ; il s’agit
de la femme de Théagène qui n’a pas manqué de consulter la statue d’Hécate avant de sortir. La
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 99
correction du texte a été faite par rapprochement avec une sorte de proverbe conservé par la
Souda, s.v. NκKτειον (Adler)… ΘεαγTνους NκKτειον· οÏ ˜πυνθKνετο πανταχοÀ Jπι’ν. Cf. Parker
2005 : 19.
37 Voir Bowie 1993 : 89. Notons qu’aux v. 875b878, Bdélycléon évoque aussi Apollon GγυιεHς,
voisin habituel d’Hécate devant les portes des maisons privées.
38 Ar., Lys., 700b704 : àστε κJχθ™ς θ´κKτ ποιοÀσα παιγν!αν ˜γæ τα‚σι παισ› τªν ²τα‚ραν
˜κKλεσ᾽ ˜κ τ[ν γειτ,νων, « c’est au point qu’hier encore, comme je donnais une fête en l’honneur
d’Hécate, j’avais invité dans le voisinage la camarade de mes enfants… ». Chez Platon nous
trouvons l’expression ˜ν,πλια πα!γνια se référant aux danses armées des Courètes (Lois, 796b)
ainsi que les termes παιδιK (synonyme de παιγν!α) et χορε!α associés au culte des Corybantes
(Euthydème, 277dbe) ; celuibci pouvait parfois avoir un caractère privé, cf. Linforth 1946 : 123 et 157
ainsi que Voutiras 1996 : 248. Sur le terme πα!γνιον et sur la tradition des πα!γνια, « trucs »
magiques, voir Heller 1943 : 215b268 et Bain 1998 : 262b268 respectivement.
39 Ar., Gren., 1366b1369 parodie une monodie crétoise d’Euripide : une femme victime de vol,
après avoir fait appel aux Nymphes, aux enfants d’Ida et à Artémis, invoque finalement Hécate
qui pourrait éclairer, à la lumière de ses torches, la recherche du coq volé par une voisine. Sur le
thème de la lamentation pour un coq, voir Spanoudakis 2007 : 13b28.
40 Ar., Thesm., 858 ; Assemblée des femmes, 70, 1097 ; Ploutos, 764, etc.
41. Ménandre, Inc., fr. 740 (Kock) : « ¯ τ¨ν Gπ,λλωνα τουτον› κα› τ¯ς θHρας », cf. Hymne
homérique à Hermès, 383b384.
42 La première mention d’Hécate Κουροτρ,φος se trouve dans le passage hésiodique que
nous avons déjà étudié. Chez Apollonios de Rhodes, Bρι æ Κουροτρ,φος n’est autre qu’Hécate :
Argon., ΙΙΙ, 861 (Sur Βρι ’ = Hécate, voir ibid. III, 210). La déesse Κουροτρ,φος honorée à une
τρι,δος à Samos semble également très proche d’Hécate : Vit. Hdt., 410b411 (Allen). Selon le
calendrier du dème attique d’Erchia (LSCG, 18 B, 6b13), la divinité nommée Κουροτρ,φος ainsi
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100 L’espace et le temps d’Hécate
vie de chaque individu est ici mise en rapport avec l’omniprésence d’Hécate
devant chaque porte privée et la surveillance infaillible qu’elle peut exercer à
partir d’un tel observatoire. D’autre part, il n’y a rien de surprenant au fait
qu’Hécate, par sa place devant la porte comme gardienne du foyer, soit
concernée par la protection des enfants. Cette fonction importante est d’ailleurs
étroitement liée à son rôle dans l’accouchement, première traversée inquiétante
de l’être humain43. Or le contrôle des ouvertures et des fermetures semble
comporter, par principe de sympathie, le pouvoir d’intervenir dans l’enfanteb
ment. De ce point de vue, il est caractéristique que l’Hymne οrphique à Προb
θυρα!α (divinité identifiée par l’hymne luibmême à Eileithyia et à Artémis)
dessine clairement une divinité de l’accouchement44.
Le rôle matrimonial d’Hécate, comme en témoigne l’image d’un mariage sur
une coupe attique du Ve siècle, n’est pas non plus sans rapport avec celui de
Προθυρα!α ; sur ce vase le mariage est représenté comme une procession d’une
porte à une autre et la figure qui accueille la jeune mariée au seuil de sa nouvelle
maison a l’apparence d’Hécate45. Même s’il ne s’agit pas d’une identification
que Artémis Hécate reçoivent chacune un sacrifice le même jour et, probablement, au même
endroit, à savoir au sanctuaire d’Hécate. Ce rôle d’Hécate est d’ailleurs confirmé, comme on le
verra, par son rapport tant avec Artémis de Mounichie (notamment dans la célébration d’J φιb
φ[ντες) qu’avec Iphigénie. Voir, enfin, Robert 1955 : 115, n. 2 (dédicace phrygienne d’époque
impériale, faite ³π™ρ πα!δων), cf. MAMA, IV, 2.
43 Concernée par l’enfance, la jeunesse ou l’accouchement, Hécate s’avère très proche d’Artémis.
Dans Esch., Suppl., 674b678, le chœur souhaite qu’Artémis Hécate veille aux nouvelles naissances
(première occurrence que nous connaissions d’une Artémis Hécate) : τ!κτεσθαι δ’ ˜φ,ρους γ¼ς |
aλλους ε•χ, εθ’ αzε! | Xρτε ιν δ᾽ NκKταν γυναι|κ[ν λ,χους ˜φορεHειν, « puis, que de nouvelles
naissances, si le Ciel entend mes vœux, viennent sans cesse donner des chefs à ce pays ; et
qu’Artémis Hécate veille aux couches de ses femmes » ; l’importance du thème de la surveillance,
exprimée par la répétition − ˜φορεHειν, ˜φ,ρους −, met en rapport l’intervention d’Hécate dans la vie
privée (par son implication dans accouchement) et le gouvernement de la cité tout en renvoyant à
Hécate –φορος πKντων, mentionnée par les scholies des Guêpes. En dehors d’Artémis, d’autres
divinités de l’accouchement ont été associées à Hécate : Hsch., s.v. Γενετυλλ!ς (Latte) observe que
cette déesse de l’accouchement ressemble à Hécate et Paus., II, 22, 7 remarque le voisinage des
temples d’Eileithyia et d’Hécate à Argos, cf. Paus., II, 18, 3, sur une porte de la cité d’Argos,
consacrée à Eileithyia et Plut., Quaestiones Convivales, 659a, sur l’identification entre Artémis Λοχε!α,
Eileithyia et Sélènè. Sur l’ensemble des rapports entre les deux déesses, voir Pingiatoglou 1981 : 77,
85, 151 (L81), Rudloff 1999 : 85 et NGSL, 20 (306, n. 13). Très intéressante est l’association chez
Antoninus Liberalis, 29 d’Hécate avec Galinthias, la jeune fille dont l’astuce a rendu possible
l’accouchement d’Alcmène malgré l’opposition d’Héra. Prenant en pitié Galinthias (qui a payé son
audace par sa métamorphose en belette), Hécate a fait d’elle sa suivante : JπTδειξεν ¦ερ¯ν α•τˆς
διKκονον, « l’a désignée pour son service sacré ». Quant à la façon dont Hécate est concernée par
l’impureté de l’accouchement, voir nos commentaires sur certains fragments de Sophron (schol.
Théocr., Idyll., II, 12b et Plut., De superstitione, 170b,), infra, p. 185b187. Enfin, sur le rapport entre le
sacrifice du chien et les déesses de l’accouchement, voir aussi infra, p. 270b271.
44 Dans Hym. orph., II (Quandt), la déesse des portes est saluée comme « celle qui vient à
l’aide lors des douleurs de l’enfantement », « la seule qui sauve les femmes », « l’amie des
enfants », « celle qui dénoue les ceintures » et « les douleurs », etc.
45 Coupe attique à f. r. (Berlin, Staatl. Mus. F2530), cf. Sarian 1992 : 993, n° 45 qui y voit Hécate.
Oakley et Sinos 1993 : 33, fig. 91 préfèrent y reconnaître la mère du marié. C’est surtout la porte du
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 101
nouveau foyer de la mariée qui prend une valeur symbolique dans les images du mariage. Voir
Roberts 1978 : 180 sq., HalmbTisserant 1995 : 483b484, Bérard 1984 : 96. Le même motif se trouve
exprimé dans la littérature : Eur., Alc., 910b925, cf. Haight 1950 : 32 et Buxton 1987 : 169 sq. Sur les
rites matrimoniaux relatifs au seuil et aux portes dans différentes cultures, voir Van Gennep 1981 :
191 sq. Quant à l’ouverture métaphorique des portes, dans le langage érotique, voir Henderson
1975 : 137 sq. et Henderson 1976 : 170. Cf. Canter 1920 : 355b368.
46 Hécate participe au mariage de Pélée : cratère attique à figure rouge avec noms inscrits
(Ferrare, Musée Archéologique, 2893, voir Fig. 13, p. 191), cf. ARV2, 1038, 1. En ce qui concerne
son rôle dans les scènes de procession nuptiale, qui pourraient également se référer au mythe de
Perséphone, cf. supra, p. 79. Dans les Troyennes d’Euripide (319b324) Cassandre invoque Hécate à
côté de l’Hyménée : ˜γæ τ,δ᾽ ˜π› γK οις ˜ ο‚ς | JναφλTγω πυρ¨ς φ[ς | ˜ς α•γKν, ˜ς αŸγλαν, |
διδοÀσ᾽ ï Ž Tναιε, σο!, | διδοÀσ᾽, ï NκKτα φKος | παρθTνων ˜π› λTκτροις í ν, ος –χει, « …c’est
moi qui, pour mes propres noces, tenant haute la flamme du feu, fais rayonner et resplendir, en
ton honneur, ô Hyménée, en ton honneur, ô Hécate la lumière qui doit briller au mariage d’une
vierge ainsi qu’exige le rite ». Il n’est pas nécessaire de faire dériver ce rôle d’Hécate de son aspect
chthonien comme le fait Rohde 1952 : 329. Les scholies se réfèrent tant à son aspect chthonien
qu’à son aspect matrimonial, schol. Eur., Tr., 323 (Dindorf) : τªν NκKτην παρT ιξε δι¯ τ¨ ετ᾽
¾λ!γον Jποθνðσκειν χθον!α δ™ œ θε,ς. ñ µτι γα (λιος œ NκKτη, « elle a invoqué aussi Hécate soit
parce que sa mort était proche − or, il s’agit d’une déesse chthonienne −, soit parce qu’Hécate est
matrimoniale ». En effet, tant la mort que le mariage constituent − de même que la naissance −
des passages cruciaux de la vie humaine.
47 Théophr., Car., 16, 7 : τªν οzκ!αν καθ¼ραι […] NκKτης φKσκων ˜παγωγª γεγονTναι (le
superstiteux purifie la maison, car il la croit « attaquée » par Hécate). Hsch., s.v. éπωτˆρε (Latte) :
δι¯ φαρ Kκων […] ˜πKγειν τªν NκKτην τα‚ς οzκ!αις, πÀρ πρ¨ θυρ[ν JνKπτοντες, « on dirige Hécate
contre les maisons […] à l’aide de filtres magiques, en allumant un feu devant les portes ».
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102 L’espace et le temps d’Hécate
48 Esch., fr. 388 (Radt) : δTσποιν᾽ NκKτη | τ[ν βασιλε!ων πρ,δο ος ελKθρων. Sur la référence
hypothétique à une autre ArtémisbHécate « devant les portes » chez Esch., Suppl., 144b147, voir,
entre autres, la discussion chez Garvie 1969 : 156b158.
49 Hsch., s.v. Προπυλα!α (Latte).
50 Eur., Phén., 109b111 : ¢æ π,τνια πα‚ ΛατοÀς NκKτα, κατKχαλκον Þπαν πεδ!ον JστρKπτει.
51 Ibid., 114b116 : ôρα πHλαι κλðθροις χαλκ,δετ᾽ – βολK τε […] Üρ οσται. Sur les sept portes
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 103
56 IG, XII, 8, 359, cf. Pouilloux 1954 : 328. Le substantif –παυλος/–παυλοι désigne la cour,
l’étable ainsi que la demeure, tandis que ˜παHλια/˜παυλ!α (œ Tρα) se réfère au jour qui suit le
mariage. Mendel 1900 : 268b269, le premier à éditer l’inscription, lit Sπαυγ!η, « Rayonnante » (à
rapprocher d’˜παυγKζω, ˜παHγασ α) au lieu d’Sπαυλ!η.
57 Segre – Carratelli 1949b1951 : 244, n° 116 (Hécate et Hermès) et 245, n° 119 (Hécate et
Apollon), cf. Morelli 1959 : 128b129.
58 CIG, 2796. Voir aussi Kraus 1960 : 39.
59 Sur cette expression, voir la discussion (à propos d’Apollon THρι νος de Thyatire) chez
Robert 1948 : 79 et n. 4 ainsi que les commentaires de Boeckh à CIG, 2963.
60 Il ne faut pas, toutefois, conclure que tout dieu dont le sanctuaire se trouvait en dehors de
l’enceinte de la ville était forcément lié aux portes. Outre le cas d’Apollon de Thyatire, nous
connaissons celui de Dionysos πρ¨ π,λεως de Téos.
61 Plut., Regum et imperatorum apophthegmata, 193f.
62 Voir infra, p. 138.
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104 L’espace et le temps d’Hécate
63 Voir entre autres Hom., Il., VII, 452b453 (en contradiction avec Il., XXI, 446b449, où le
rôle du bâtisseur est confié exclusivement à Poséidon), Eur., Tr., 4b6 et Pind., Ol., VIII, 41b57. Cf.
Detienne 1990 : 301b311, 304 sq. et Detienne 1998 : 184b186.
64 Παυσαν!ας Μητροδ’ρου | προνο(σας τˆς οzκοδο | !ας τ[ν τειχ[ν | Φωσφ,ρωι. Voir
Kawerau et Rehm 1914 : 392, n° 172 et Kraus 1960 : 11. Concernant l’identification de la
Φωσφ,ρος en question avec Hécate PortebLumière, voir infra, p. 138b139 ; nous appelons à l’aide,
premièrement, le témoignage d’Hésychius, pour qui Hécate à Milet était appelée ŽπολK πτειρα −
Hsch., s.v., (Schmidt) −, ensuite un grand nombre de documents certifiant non seulement que les
torches étaient, partout où l’on vénérait Hécate, ses attributs les plus habituels, mais aussi que la
déesse pourrait être désignée explicitement comme Φωσφ,ρος. Voir Zografou 2005a : 531b532.
65 Nous pourrions comprendre, en ce cas, quel serait le rôle éventuel de cette déesse en ayant
recours aux récits consacrés aux interventions salutaires d’une déesse PortebLumière (Artémis ou
Hécate) à Mégare, à Byzance ou en Attique. Sur le miracle d’Hécate lors du siège de Byzance par
Philippe II (apparition des torches dans la nuit, hurlement des chiens et nuages de feu), voir
Steph. Byz., s.v. Β,σπορος (Meineke) et Hésychius de Milet, FGrH 390 F 1, 26b27 (Jacoby). Cette
Hécate est très proche d’Artémis, en particulier d’Artémis Σ’τειρα de Mégare ; en fait, Denys de
Byzance, Anaplous Bospori, 36, signale un sanctuaire d’Artémis Φωσφ,ρος sur la côte européenne
de Bosphore. Cf. les commentaires de Firatli et Robert 1964 : 155b159 et d’Ellinger 1993 : 290b291
(Byzance) et 224b231 (Mégare) ; sur Artémis de Mounichie et la bataille de Salamine, voir infra,
p. 216. Notons, enfin, les dédicaces « à Phôsphoros » par les soldats gardant une forteresse en
Thessalie : IG, IX, 2, 1060b61 et 1063. Quant aux Φωσφ,ροι de la Tholos athénienne, voir infra,
p. 139 et Zografou 2005a : passim.
66 Graf 1985 : 162 sq. et, surtout, 258. Voir infra, p. 143b144 et 214.
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 105
Les ²κατα‚α représentés sur une série de peintures murales romaines semb
blent toujours signaler le caractère sacré de l’espace67. Nous avons déjà examiné
l’éventualité d’un culte d’Hécate à l’entrée du sanctuaire d’Éleusis, hypothèse
pas très bien fondée mais qui ne peut être complètement exclue. En effet, à
Sélinonte, dans un milieu comparable à celui d’Éleusis, Hécate disposait d’un
petit sanctuaire à l’entrée de celui de Μαλοφ,ρος68. Les appellations πρ,πολος,
« celle qui précède », Iπαδ,ς, « celle qui suit » et λKτρις, « servante » qui
consacrent parfois Hécate au service d’une autre divinité (Déméter, Koré ou
Artémis), peuvent d’ailleurs être également rapprochées de cet aspect de déesseb
gardienne des temples et des sanctuaires69.
Parmi les espaces sacrés marqués par la présence d’Hécate nous trouvons
aussi des nécropoles. À Thasos, l’Hécate de la porte de Silène que nous avons
mentionnée est, en effet, à proximité de l’orée de la nécropole70. De même, la
localisation du culte d’Hécate en tant que Καλλ!στη au Céramique, près des
Portes Sacrées d’Athènes, peut être considérée comme ayant un rapport tant
avec les Portes ellesbmêmes qu’avec l’espace de la nécropole71. Il est très
intéressant de constater que la mise en relation d’Hécate avec les tombeaux
dépend souvent de sa position limitrophe aux portes de la cité. Le cas de
l’NκKτης Νˆσος, « Île d’Hécate », décrite par les lexicographes comme
νησHδριον πρ¨ τˆς ‰(λου, « îlot situé devant Délos »72 et qui servait probableb
ment d’annexe à l’île sacrée d’Apollon et d’Artémis, semble confirmer cette
conclusion. L’identification de l’« île d’Hécate » reste incertaine. Pourtant,
l’hypothèse selon laquelle elle s’identifierait à une partie de l’île de Rhénée est
très attirante73 : d’abord, Rhénée offrait régulièrement abri aux femmes en
couches et aux mourants de Délos (en effet, la nécropole délienne se trouvait
dans la partie sud de Rhénée), car morts et naissances étaient exclues de cette île
comme impures ; ensuite, elle servait de dépotoir à Délos, lorsque des mesures
de purification y étaient prises74. Or nous avons vu que les portes et les
vestibules constituent, entre autres, des lieux de dépôt des souillures et en ce
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 107
76 Schol. Théocr., Idyll., II, 12, p. 272, 18 (Wendel) = Call., fr. 466 (Pfeiffer) = Orph. fr., 42
(Kern).
77 PGM, IV, 2719b2720 : διαζεHξασα πHλας JλHτου GδK αντος.
78 Théocr., Idyll., II, 33b34 : Τ· δ᾽ Xρτε ι, κα› τ¨ν ˜ν õιδα κιν(σαις κ’ JδK αντα κα› εŸ τ! περ
Jσφαλ™ς aλλο.
79 Schol. Théocr., Idyll., II, 11b12b (Wendel) citant Sophron.
80 Hymn. orph., I, 7 (Quandt).
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108 L’espace et le temps d’Hécate
tés est celui de Προθυρα!α, nous ne pouvons exclure une interprétation plus
littérale, à savoir KληιδοÀχος/ΚλειδοÀχος, « celle qui tient la clé, qui contrôle le
passage à travers une porte ». Par ailleurs, comme nous l’avons indiqué, les
portes cosmiques ne sont pas rares chez les auteurs grecs. Chez Proclus le
néoplatonicien nous lisons : « …et, dès lors, le théologien enseigne que la très
grande déesse Hécate, qui maintient attachées les extrêmités de ce qu’il y a dans
le monde – τ¯ πTρατα τ[ν ˜γκοσ !ων συγκλε!ουσαν –, et qui est appellée pour
cette raison ‘PortebClé’– κλ δοÀχον Jποκαλου Tνην –, a reçu comme son lot la
douzième partie du monde »81.
Il serait tentant de rechercher les traces de l’Hécate PortebClé en Carie où
une « procession de la clé », κλειδ¨ς Jγωγ( ou κλειδ¨ς πο π( unissait rituelleb
ment Stratonicée (fondée au IIIe siècle av. J.bC.) et Lagina, ¦ερ¯ κ’ η d’Hécate82.
Cependant, comme le signale T. Kraus, Hécate n’a jamais été désignée comme
κλειδοÀχος et la clé ne figure pas non plus comme attribut dans son illustre
sanctuaire de Lagina83. Le manque d’informations sur le caractère de la
procession et les charges précises de la κλειδοφ,ρος (ou κλειδοφοροÀσα) de la
déesse rend la question encore plus compliquée à résoudre. T. Kraus tend à
considérer la clé de cette procession comme un objet cultuel plutôt que comme
un symbole. Nous croyons que cette position – exprimée pour la première fois
par J. Hatzfeld en 192784 – et celle de Laumonier85, qui interprète la clé comme
une clé mystique et symbolique appartenant à la déesse et non à la prêtresse, ne
sont pas incompatibles. Car si nous tendons à considérer la clé comme la clé du
temple d’Hécate, sa valeur symbolique nous paraît indiscutable. L’ouverture
solennelle du temple qui faisait apparaître la déesse aux fidèles était certaineb
ment un moment particulièrement valorisé par le culte d’Hécate à Lagina, culte
qui comportait des mystères et des révélations86. Aussi la clé matérielle pouvaitb
elle être également celle de l’ouverture vers le divin, symbole d’un passage
mystique. Toutefois, le portrait d’Hécate laginéenne n’étant pas celui d’une
divinité chthonienne, il n’y a aucune raison particulière pour identifier cette clé
mystique avec la clé du monde infernal, comme le voudrait Laumonier87. Bref,
Orph. fr. 316 (Kern) = Procl., In rem publ., II, 121, 8 (Kroll).
81
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 109
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110 L’espace et le temps d’Hécate
l’honore aux croisements de trois routes – ˜ν τα‚ς τρι,δοις »90 ; l’Hymne orphique à
Hécate réunit aussi ces deux aspects de la déesse : « Hécate des routes […] et des
triodoi, aimable »91. Or, bien que les points de rencontre de trois chemins –
συ βολα› τρι[ν κελεHθων – soient très tôt consacrés à la déesse, l’épithète
Tριοδ‚τις lui est probablement attribuée plus tard, ce qui nous conduit à penser
que le titre d’Ε(z)ν(ν)οδ!α recouvrait les deux fonctions apparentées92. Comme
dans le cas de l’Hécate devant les portes, l’influence de la divinité et de son lieu
de culte est réciproque.
Les renseignements des auteurs anciens et les études modernes en ce qui
concerne les routes et les triodoi abondent93. La voie qui s’ouvre devant le seuil
constitue la suite du passage vers l’extérieur. Elle comporte par conséquent
l’idée du danger, de l’étrangeté94. Aux dangers qu’implique le fait de prendre la
route en général s’ajoutent ceux qui sont dus à l’insuffisance du réseau routier
durant toute l’époque grecque, un problème d’origine sans doute moins
technique que politique95. Dans l’épopée homérique, ce sont souvent les dieux
qui indiquent ou imposent le chemin à suivre96. Diverses croyances témoignent
de l’anxiété des voyageurs ; un adage pythagoricien prévient : « quand tu es à
l’étranger ne regarde pas derrière, car les Érinyes, aides de Justice, courront
après toi »97, tandis que voir des présages dans la rue était une pratique de
divination généralement reconnue98.
90 Steph. Byz., s.v. τρ!οδος (Meineke), cf. schol. Théocr., Idyll., II, 35b36a (Wendel) où une
histoire similaire raconte comment Hécate a été abandonnée par sa mère à une triodos.
91 Hymnes orph., I, 1 (Quandt), Ezνοδ!ην NκKτην […] τριοδ‚τιν, ˜ρανν(ν.
92 Kraus 1960 : 103b104 soutient que l’épithète τριοδ‚τις a été développée à partir de τρικKρηνος,
la plus ancienne épithète en τριb (IIIe s. av. J.bC.) attribuée à Hécate. Pour d’autres occurrences de
l’Hécate τριοδ‚τις, voir par exemple : Athénée, 325abb, cf. Chariclide, fr. 1 (KasselbAustin) ; Plut., De
facie in orbe lunae, 937i (où Hécate = Lune) ; PGM, IV, 2727, cf. PLG, III4, p. 682 (Bergk).
93 En ce qui concerne les croisements nous renvoyons aux études suivantes : Hopfner 1939 :
col. 161b166, McCulloch 1911 : 330b335 (étude comparée des carrefours à travers différentes
sociétés) et notamment Johnston 1991 : 217b224. Quant aux rues, voir Curtius 1894 : 1b116 ainsi
que Becker 1937.
94 La route qui mène d’une cité à l’autre est parfois appelée ξεν!ς ou ξενικª Iδ,ς (de ξTνος,
« étranger ») ; voir Curtius 1894 : 94. Quelqu’un qui rôde dans la rue − IδοστKτης − ne peut être
qu’un ennemi aux aguets ou, au contraire, un gardien précieux. Dans un contexte militaire, le mot
même d’Iδ,ς devient synonyme d’embuscade : Hom., Il., I, 150, cf. Souda, s.v. Iδ,ς, Iδοιδ,κος
(Adler) et Photius, s.v. IδουροHς (Naber).
95 Sur la médiocrité des Grecs en matière d’infrastructure routière (routes étroites et pleines
d’obstacles naturels), due au morcellement du pays en cités indépendantes, voir Curtius 1894 : 1
et André – Baslez 1993 : 373 sq.
96 Voir, par exemple, Hom., Od., I, 444 ; III, 2888 ; IV, 480 etc.
97 Hippolyte, Réfutation, VI, 26, 1 (Marcovich), cf. Jamblique, Protr., 21 (Pistelli).
98 Esch., Prom., 487 (˜νοδ!ους συ β,λους) et scholies ad loc. Selon Théophr., Car., 16, 6 (cf. 16,
17), le simple fait de croiser une belette dans la rue peut être considéré par les superstitieux
comme un signe divin.
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 111
99 Halliwell 1986 : 187b190 insiste sur l’image de τρ!οδος en tant que symbole d’un dilemme
fatal portant sur le destin de l’homme ; selon cette opinion, le choix à une triodos ne dépendrait
pas seulement d’un jugement humain, mais aussi d’autres facteurs, situés aubdelà du contrôle des
hommes (187).
100 Pind., Pythiques, XI, 38 ; Pl., Lois, 799c « arrêté comme si, arrivé à une triodos − ˜ν τρι,δ°
γιν, ενος −, il n’était pas sûr de la direction à suivre », cf. schol. Pind., Pyth., XI, 58a, (Drachb
mann) et Hsch., s.v. ˜ν τρι,δοισι (Latte).
101 Théognis, I, 911b912 : « je me suis arrêté à une triodos − ˜ν τρι,δ° − ; deux routes partent
devant moi : je me demande quelle est celle qu’il vaut mieux prendre ». Callimaque utilise aussi le
décor de la τρ!οδος en parlant, sur un ton beaucoup plus léger, du problème du bon choix ; en ce
cas, la triodos (grâce aux enfants qui y jouent à la toupie) donnera luibmême le bon indice par un
signe divinatoire : Call., Épigrammes, 1.
102 Cumont 1949 : 278 sq. Très connu est aussi le mythe du choix d’Héraclès devant une
fourche : Xén., Memorabilia, II, 1, 21 sq.
103 Pour le rapport entre rue/voyage et rencontres, voir aussi l’expression ñ ˜ν Iδ[ν πορε!αις
ñ ˜ν aλλαις τισ› κοινων!αις qu’utilise Platon (Rép., 556c).
104 Hom., Od., XVII, 485b486 : … θεο› ξε!νοισιν ˜οικ,τες Jλλοδαπο‚σι,| παντο‚οι τελTθοντες,
˜πιστρωφ[σι π,ληας. Ainsi Athénaboiseau, rencontrebtbelle ses héros protégés ˜γγ·ς Iδο‚ο, « près
de la route » et les filles de Célée croisent Déméter « au bord de la route » : Hom., Il., X, 274b275
et Hym.hom.Dem., 98.
105 Soph., Œdipe Roi, 715b716, 729b730, 733b734, 800b805. Aux v. 1398b1399, Œdipe s’adresse
luibmême une dernière fois aux « trois routes » qui « ont bu le sang de son meurtre ». Paus., X, 4,
1b2 en parle explicitement : « la route ‘Scindée’ – Iδ¨ς œ Σχιστ( – et l’acte audacieux commis sur
elle ont déclenché pour Œdipe le début des malheurs ». Sur les triodoi du parricide, voir Halliwell
1986. Sur la localisation de Σχιστª, voir Keramopoullos 1917 : 421.
106 Voir LSJ., s.v. τρ!οδος et Etym. M., s.v. ΠKλη (Gaisford).
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112 L’espace et le temps d’Hécate
pour les dieux, les fantômes des morts et tous les êtres surnaturels qui voulaient
accéder aux humains, tels qu’Hécate et sa troupe107.
Le souci de la propreté des rues est manifeste parfois dans les lois d’urbab
nisme, mais surtout dans les règlements religieux concernant les voies emprunb
tées par les processions et celles qui délimitent les sanctuaires108. D’autre part,
une série de témoignages anciens confère aux triodoi le caractère de lieu limib
trophe, où il était d’usage de rejeter toutes sortes d’immondices et de souillures.
Érysichthon, fils du roi Triopas, réduit à l’état de mendiant misérable, se
réfugiera aux τρι,δοι pour être nourri comme un chien avec des restes de
nourriture – –κβολα λH ατα δαιτ,ς109. Si les routes constituent très souvent les
frontières entre propriétés et territoires avoisinants, susceptibles d’accueillir tout
ce qui en est rejeté110, les triodoi, du fait qu’ils sont communs à plusieurs
directions routières sans appartenance propre à aucune d’entre elles, constituent
des espaces « neutres », censés, sinon absorber les souillures, du moins les
éloigner symboliquement des espaces purifiés111. Les restes des purifications des
107 Outre la troupe d’Hécate, dieux et héros présents sur les routes : Curtius 1894 : 61b66. Il
s’agit notamment d’Hermès − ÷διος, Sν,διος ou Øγε ,νιος − et d’Apollon GγυιεHς − dieux
autant protecteurs que redoutables − dont nous allons nous occuper dans deux prochains
chapitres. D’autre part, une fois hors les murs de la cité, le voyageur est interpellé presque à
chaque pas par des tombeaux qui peuplent le bord des routes et les croisements et qui, avec leurs
épigrammes funéraires, entretiennent un véritable dialogue avec lui : Curtius 1894 : 74b85. Sur ces
épigrammes et la « réflexion symbolique sur le voyage de la vie » qu’elles imposent au passant,
voir aussi André – Baslez 1993 : 537b540.
108 Duchêne 1992 : 46b47. Un règlement de Paros du Ve s. av. J.bC. (LSCG, 108) fixe à
cinquante et une drachmes l’amende à payer par celui qui va rejeter des ordures dans la rue
publique : øς Îν βKλ|λει τ¯ ˜κ|[α]θKρ ατ|[α] aνωθεν | τˆς Iδο. Cf. IG, II2, 380, 37b38 : (τε
κοπρ[να ποιε‚ν ˜ν τž Jγορ× (τ᾽ ˜ν τα‚ς Iδο‚ς, « ne pas amonceler des immondices ni à l’agora ni
dans les rues », cf. André – Baslez 1993 : 381b382. Hésiode semble inspiré par un sentiment de
piété quand il conseille de ne pas uriner quand on est en route : (τ’ ˜ν IδÄ (τ’ ˜κτ¨ς IδοÀ
προβKδην ο•ρ(σ ς (Trav., 729b730).
109 Call., Hymn., VI (à Déméter), 114b115 : I τ[ βασιλˆος ˜ν› τρι,δοισι καθˆστο, | αzτ!ζων
Jκ,λως τε κα› –κβολα λH ατα δαιτ,ς. Dans l’histoire d’Érysichthon, fils de Triopas (le nom estbil
associé aux τρι,δοι ?), il s’agit d’un renversement de situation : puni pour la démesure de son
hospitalité qui l’a poussé à offenser Déméter, Érysichthon ne se soucie plus des repas qu’il aura à
offrir à ses compagnons, mais cherche à se nourrir avec les déchets des repas jetés aux τρι,δοι.
Au lieu de recevoir en maître généreux, il trouve un abri dans l’hospitalité marginale de ces
endroits, cf. Cassin 1987 : 126. En ce qui concerne les mendiants aux τρι,δοι, voir aussi Luc.,
Mén., 17 : ˜ν τα‚ς τρι,δοις εταιτοÀντας.
110 En Grèce moderne, lors des processions religieuses visant à créer une zone protectrice
autour d’un village en cas d’épidémie, les carrefours peuvent être considérés comme des
frontières symboliques. Voir Megas 1923 : 515.
111 Pour des pratiques néobhelléniques concernant le rejet aux carrefours, voir Megas 1923 :
497 et 510 (à Lesbos, par exemple, on abandonne aux carrefours des lambeaux noués contenant
des maladies et des maux de toute sorte tandis qu’en Argolide la rate d’un mouton égorgé, clouée
au carrefour, était censée écarter la maladie du troupeau). Dans plusieurs endroits de la Grèce
moderne on croit également que celui qui est possédé par le diable doit brûler de l’encens, matin
et soir, à un croisement de routes, voir Politis 1874 : 458. Toffin 1995 : 191 signale que dans
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 113
maisons privées, sous le nom d’¾ξυθH ια, étaient rejetés aux triodoi avec d’autres
καθKρ ατα ou JπολH ατα112. Le mot ¾ξυθH ια, selon des lexicographes anciens,
désigne également dans un sens plus concret les « morceaux de bois qui servent
à la pendaison » – Jγχονι α‚α ξHλα – considérés naturellement comme souillés,
mais aussi « les endroits où de pareils morceaux ont été brûlés »113. En dehors
des ¾ξυθH ια, d’autres rituels à but purificatoire – liés parfois, comme c’était le
cas pour la destruction des planchers ayant servi à la pendaison, aux exécutions
qui avaient souvent lieu aux triodoi114 – y étaient probablement accomplis.
Platon prescrit que le parricide, après avoir été mis à mort, doit être porté
« dans une τρ!οδος indiquée », où son cadavre sera lapidé symboliquement « en
vue de la purification de toute la cité » avant d’être expulsé « hors des frontières
du territoire », comme ceux des autres meurtriers115.
L’image de la rue participe à la représentation de l’espace cosmique ; il y a
des routes qui mènent aux extrémités mythiques du monde et d’autres qui
désignent les parcours du Soleil et les révolutions des planètes en général116.
Dans la topographie de l’Hadès, les τρ!οδοι, en particulier, représentent tantôt
les complications troublantes de l’itinéraire qui mène à l’Hadès, tantôt le lieu
d’un ultime jugement117. Les deux aspects sont explicitement présents chez
Platon, mais ils doivent être plus anciens118. Dans Phédon, par exemple, nous
apprenons à propos de la route qui mène à l’Hadès qu’« elle n’est manifesteb
ment ni simple ni unique – οÁτ᾽ »πλˆ οÁτε !α –, car dans ce cas on n’aurait pas
besoin de guide » ; qu’elle semble présenter des bifurcations et des triodoi –
certaines villes asiatiques les habitants du même quartier jettent le reste des offrandes utilisées lors
des rituels d’exorcisme à un même endroit − chvâsa −, situé à un croisement.
112 Johnston 1991 : 220b221 distingue deux catégories de rites aux triodoi, ceux « de protecb
tion » et ceux « d’exploitation », et classe l’abandon des moyens de purification dans la deuxième
catégorie.
113 Voir Harp., s.v. ¾ξυθH ια (Dindorf), cf. Phot., s.v. (Naber) et la Souda, s.v. (Adler). Il est
intéressant de noter que le même mot désigne aussi bien l’objet souillé que le lieu où celuibci est
brûlé, ce qui démontre le rapport étroit entre un rituel et l’espace qui l’accueille. Il faut signaler
que le mot ²κKτη comme nom commun désigne, selon Hésychius, le poteau de bois où l’on
attachait les scélérats afin de les fouetter : Hsch., s.v. ²κKτη (Latte).
114 Voir Keramopoullos 1923 : 45b50.
115 Pl., Lois, 873bbc à 874b. Eupolis, fr. 132 (KasselbAustin) = fr. 120 (Kock) aussi souhaite
que le προστρ,παιος, ici « criminel », soit brûlé aux triodoi, cf. Johnston 1991 : 222b223.
116 Pind., Hymn., fr. 30, (Maehler post Snell) et id., Pyth., X, 30 (chemin qui mène à l’Olympe
et rue du pays des Hyperboréens respectivement) ; Apoll. Rhod., Argon., I, 496 (chemins d’Hélios
et de la lune) ; Hom., Od., X, 563 ; Ar., Gren., 117, 161 (chemin qui conduit au palais d’Hadès).
117 Sur les triodoi infernaux, voir Cumont 1949 : 275b302 et Rohde 1952 : 444b445 (n. 4).
118 Pl., Rép., 614c : arrivée des âmes auprès des juges qui leur ordonnent de prendre l’une des
deux routes « à droite » ou « à gauche », selon le jugement ; Gorgias, 524a : les juges mythiques
(ÈΡαδK ανθυς, Azακ,ς, Μ!νως) prennent place ˜ν τž τρι,δ° d’où partent les deux routes qui
mènent, l’une aux Îles Fortunées, l’autre au Tartare, cf. Anth. Pal., VII, 545. Selon E. Rohde,
Platon aurait probablement transporté, à l’instar des Pythagoriciens, le symbole du partage des
chemins de la vie à droite et à gauche (Y) aux deux routes du monde souterrain.
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114 L’espace et le temps d’Hécate
119 Pl., Phéd., 107db108a. Voir aussi Procl., In rem publ., I, 85, 6b7 (cf. II, 132b133, Kroll) sur les
mots σχ!σεις, τρ!οδοι qui confirme que les sources de Platon étaient, entre autres, ο¦ µσιοι κα› ο¦
πKτριοι θεσ ο!, « les saintes coutumes des ancêtres ». En ce qui concerne le besoin d’un guide
pour l’aubdelà, voir aussi : Soph., Œdipe à Colone, 1547b1548, 1661, cf. Cumont 1949 : 287 sq.,
Edmonds 2004 : 190 sq. et passim, Graf, Johnston 2007 : 104, 203 (n. 11) et Bernabé, Jiménez San
Cristóbal 2008 : 24, 51.
120 Guthrie 1993 : 171 sq. Sur la route de l’aubdelà dans les lamelles d’or, voir aussi Bernand
1991 : 381b387 ainsi que Edmonds 2004 : 46 sq.
121 Voir, par exemple, Orph. fr., 32a, 32f (Kern).
122 Eur., Ion, 1048b1050 (Biehl) ; nous préférons la ponctuation après εθα ερ!ων, selon le
texte de Teubner : Ezνοδ!α θHγατερ ‰K ατρος, í τ[ν νυκτιπ,λων ˜φ,δων JνKσσεις κα› εθα ερ!ων.
123 Eur., Hélène, 569b570 : ú φωσφ,ρ’ NκKτη, πT πε φKσ ατα ε• ενˆ. | − Ο• νυκτ!φαντον
πρ,πολον Sνοδ!ας ᾽ Iρ×ς.
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 115
Ainsi, selon les sources que nous venons de mentionner, Hécate Ε(z)ν(ν)οδ!α
incarnerait la peur de l’apparition inattendue que peut croiser le voyageur. De ce
point de vue, cet aspect d’Hécate rejoint celui d’Gντα!α, « celle à qui on adresse
les prières » ou « l’adversaire »124 qui, dans sa manifestation négative, suggère
que la déesse est susceptible d’envoyer sur le chemin du passant des épouvanb
tails qui « se heurtent » à lui par surprise. La croyance que les fantômes des
morts et d’autres monstres d’origine infernale ont l’habitude de rôder dans les
rues en visiteurs du monde des vivants ne pourrait qu’ajouter une « touche
chthonienne » à Ε(z)ν(ν)οδ!α : dans l’Antigone de Sophocle, l’˜νοδ!α θε,ς évoquée
à côté de Ploutôn et dont la fureur est à craindre après le traitement impie du
cadavre de Polynice pourrait bien désigner Hécate, non seulement celle des
routes souterraines, mais aussi celle des morts errants125.
Bien entendu, les apparitions de la déesse étaient encore plus fréquentes à la
rencontre des trois routes où elle siégeait et festoyait régulièrement : « on
représente Hécate comme une déesse terrifiante qui apparaît aux triodoi »126. Le
dépôt d’NκKτης δε‚πνα aux triodoi est associé à la présence réelle de la déesse. Le
nom δε‚πνα, « repas » ou « banquets » renvoie à lui seul à un contexte analogue
à celui de ΘεοξTνια, fête durant laquelle les dieux étaient censés visiter les villes
des hommes127. La croyance qu’Hécate mangeait ces repas sur place n’excluait
pas des explications plus rationnelles qui faisaient d’elle l’« hôte » des plus
pauvres n’hésitant pas devant le sacrilège : « les pauvres gens […] affamés […]
les mangeaient et puis on disait que c’était Hécate qui les avait mangés »128. Par
ailleurs, de même que les portes, les triodoi figurent parmi les lieux ordinaireb
ment choisis pour l’exécution de rites magiques129 ; les pierres et autres objets
124 Sur Hécate Gντα!α, déesse bienveillante ou terrifiante, voir supra, p. 62b63.
125 Soph., Antigone, 1196b1200.
126 Schol. Ar., Pl., 764 (Koster) : πλKττουσι δT κα› δα! ονK τινα φοβερ¯ν τªν NκKτην ˜ν τα‚ς
τρι,δοις φαντKζουσαν. Concernant les apparitions aux carrefours, selon les croyances néob
helléniques, cf. Caillois 1991 : 91 et Schmidt 1871 : 177.
127 Schol. Pind., Ol., III, metr. 24 (Drachmann), cf. Hsch., s.v. (Latte). En dehors des ΘεοξTνια
de « tous les dieux », nous connaissons des fêtes semblables en l’honneur de dieux particuliers,
notamment d’Apollon (ΘεοξTνιος) ou des Dioscures.
128 Schol. Ar., Pl., 594 (Koster) : ο¦ δT πTνητες […] πειν[ντες […] ¹σθιον α•τ¯ κα› –λεγον µτι œ
NκKτη –φαγε α•τK. Voir aussi Ar., Pl., 594b597. C’est ainsi que nous devons sans doute expliquer
la présence aux triodoi du « couronné d’ail » dont parle Théophraste (Car., 16, 14). La couronne
d’ail servirait en ce cas de προφυλακτ(ριον à celui qui avait le courage de s’approcher des « repas »
consacrés. Cependant, le texte n’est pas clair et plusieurs corrections et interprétations ont été
proposées. Voir notamment Borthwick 1966 : 115b119, cf. les commentaires ad loc. de Usshear
1960 : 154b155 et de Diggle 2004 : 370b373. Quoi qu’il en soit, il ne nous semble pas très
vraisemblable que l’expression σκορ,δ° ˜στε Tνον τ[ν ˜π› τα‚ς τρι,δοις se réfère tout
simplement aux « repas d’Hécate ». La présence des « repas » aux triodoi était régulière et trop
banale pour susciter, même au plus superstitieux, la réaction que nous décrit Théophraste. Cf.
Zografou 2004.
129 Pl., Lois, 933b rapporte qu’on pouvait trouver des figurines à usage magique, non seuleb
ment devant les portes, mais aussi aux triodoi et sur les tombes.
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116 L’espace et le temps d’Hécate
qu’on y ramassait (ou qui y étaient déposés exprès) étaient parfois considérés
comme imprégnés d’une puissance surnaturelle130. Hormis les « repas », les
invocations et les rites magiques pouvaient exiger aussi l’apparition d’Hécate ˜ν
τρι,δοισι, signalée parfois par des aboiements : « les chiens aboient à travers la
ville, la déesse est aux triodoi »131 ; le spectacle étant particulièrement dangereux
pour le praticien, celuibci devait, une fois le rite achevé, s’éloigner « sans
regarder en arrière – Jστρ,φοις Ù ασι »132.
Le côté menaçant de l’Hécate Ε(z)ν(ν)οδ!α ne doit pas nous faire oublier que
la même déesse, bienveillante, éclaire les passants en écartant les malheurs du
voyage. Euripide, jouant avec les mots : « Déesse des routes – Ezνοδ!α – […]
mets dans le bon chemin – µδωσον – ces cratères remplis d’une mort
cruelle »133, rappelle l’ambiguïté d’Ε(z)ν(ν)οδ!α qui accompagne tout voyage et
garantit toute entreprise menée pour le bien ou pour le mal. Si le contexte de
cette invocation d’Ion est sombre, rappelons que l’issue de l’affaire sera
heureuse. Dans les Lois de Platon, l’« ˜νοδ!α δα! ων », à qui est consacrée toute
chose laissée en place, volontairement ou non, nous paraît plutôt gardienne de
l’ordre et dispensatrice de toute trouvaille inattendue134. À Rhodes, où Hécate
est souvent identifiée à Artémis, une dédicace de Lartos du IIIe siècle av. J.bC.
accompagne un trône appartenant, selon toute évidence, à une déesse Sννοδ!α.
La dédicace, de style poétique, désigne la déesse comme Σ’τειρα, « déesse qui
vient au secours », Ε•(κοος, « qui exauce les vœux » et φωσφ,ρος135. Encore
plus éloquente, mais plus tardive, est la dédicace d’Antiphilos de Byzance qui
offre à Ezνοδ!η son bonnet de feutre, attribut du voyageur – Iδοιπορ!ης
σH βολον –, en exprimant sa reconnaissance à la divinité qui a su écouter ses
prières – κατ(κοος : « Gardienne des routes, c’est à toi qu’Antiphilos a dédié ce
bonnet de feutre, attribut du voyageur, dont il couvrait sa tête ; tu as exaucé ses
prières, tu l’as favorisé dans ses voyages ; le présent n’est pas somptueux, mais
c’est un pieux remerciement. Et qu’aucun passant ne s’avise de porter sur mon
offrande une main sacrilège : il est dangereux de voler ainsi, même peu de
chose »136.
Dans une très ancienne inscription de Thasos concernant l’entretien et l’hygiène
des rues, Hécate, en tant qu’aspect plus spécifique d’Artémis, est la surveillante
130 Johnston 1991 : 223b224 et Wünsch 1911 : 335b336, sur des croyances romaines parallèles
à celles des Grecs.
131 Théocr., Idyll., II, 35b36 : τα› κHνες a ιν Jν¯ πτ,λιν éρHονται : » θε¨ς ˜ν τρι,δοισι.
132 PGM, LXX, 16b17, cf. Johnston 1991 : 223.
133 Eur., Ion, 1048b1051.
134 Pl., Lois, 913db914a. Notons que dans les Hymnes orphiques (LXXII, 3b4) la déesse THχη qui
procure la richesse, est appelée ˜νοδOτις.
135 IG, XII, 1, 914 : Ε•ξK ενος ¦ερ¼ι Σ’τειραι τ,νδε J[νTθηκα] | τ¨ π!νακα Ε•(κωι φωσφ,ρωι
Sννοδ[!αι]. Une autre dédicace hellénistique (accompagnant, cette fois, un double trône), trouvée
à Chalke, associe Hécate à Zeus : ‰ι¨ς NκKτης (IG, XII, 1, 958), cf. Kraus 1960 : 28b29.
136 Antiphilos de Byzance (premère partie du Ier s. de notre ère), Anth. Pal., VI, 199.
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 117
divine de la propreté des rues137 : dans le cas où les épistates s’avèrent défaillants
par rapport à leur tâche de recouvrement des amendes, ils doivent verser à
l’Artémis Hécate le double de la somme. Un passage du Mal Sacré d’Hippocrate
éclaire plus particulièrement le rapport entre Hécate, déesse des voies de toute
sorte, et les déchets de nature excrémentielle : « Si quelques fèces échappent (ce
qui arrive souvent à ceux qui ressentent une pression par la maladie), on appelle
Sν,διος la divinité censée en être responsable »138. Le texte ne précise ni l’idenb
tité précise ni le sexe d’Sν,διος, car la nature du symptôme n’implique que la
qualité précise de la « divinité des routes ». Cellebci contrôlerait non seulement
les voies terrestres, mais aussi le passage par les voies et les orifices du corps139.
L’attribution du symptôme à une Hécate Sν,διος serait toutefois justifiée par
son attachement aux matières excrémentielles140. C’est du moins ce que nous
pouvons déduire d’une accusation comiquement vulgaire d’Aristophane contre
un poète de son époque : « il embrène les images d’Hécate tout en prêtant sa
voix aux chœurs cycliques »141. Selon les scholies, l’expression κατατιλ× peut
indiquer la souillure soit par des excréments soit par le sperme : κατατιλ(λ)×
« désigne le fait d’avoir des évacuations diarrhéiques, mais, en ce cas, il signifie
éjaculer sur les statues d’Hécate après avoir eu commerce intime avec elles »142.
À noter que dans les papyri magiques Hécate est nommée, entre autres, βορb
βοροφ,ρβα, « qui se nourrit du bourbier » (proche de « coprophage »)143.
137 Duchêne 1992 : 18 sq. (texte de l’inscription) et 72b74 à propos du culte d’Hécate à Thasos.
138 Hippocr., M.S., VI, 360 sq. (Littré) : ûν δ™ κα› τˆς κ,πρου τι παρT , ü πολλKκις γ!νεται ³π¨
τˆς νοHσου βιαζο Tνοισιν, Sνοδ!ου πρ,σκειται œ προσωνυ !η.
139 Douglas 1992 : 137 regroupe les orifices du corps avec les autres marges et Taillardat
1965 : 70b71 présente des exemples où les mots θHρα, πρ,θυρον, πυλε’ν désignent l’anus ou les
parties intimes de la femme. Artémidore, Clé des songes, II, 26 considère qu’Jποπατε‚ν, « déféquer »
présage un bon voyage (ou retour du voyage) en ajoutant que la défécation ˜ν Iδο‚ς, « dans la
rue » (ainsi qu’au bord de la mer, dans les champs ou dans les fleuves et les lacs) ne peut qu’être
bénéfique du moment où l’endroit n’en souffre pas. Signalons que le mot aφοδος signifie aussi
bien « départ » que « conduit d’excréments », tandis qu’un champ sémantique analogue est
couvert par πKτος/Jπ,πατος : schol. Ar., Pl., 1184 (Dübner) : Jπ,πατος λTγεται τ¨ Jφοδευτ(ριον,
κα› α•τª œ Jπ,κρισις τ[ν περιττ[ν […] πKτον λTγουσι ™ν κα› τªν πεπατη Tνην Iδ¨ν κα›
κατατρι Tνην (Il., VI, 201), « apopatos désigne le lieu d’aisances et la défécation ellebmême […] on
appelle aussi patos le chemin battu et très fréquenté ». Cf. Hsch., s.v. πKτος (Latte).
140 En ce qui concerne le symptôme mentionné par Hippocrate et son attribution à Hécate,
voir Burkert 1981 : 118 (présence des excréments et angoisse − Angst).
141 Ar., Gren., 366 : κατατιλ× τ[ν Nκατα!ων κυκλ!οισι χορο‚σιν ³πýδων. Cf. Mikalson 2005 : 188.
Concernant le poète Cinésias, voir aussi Lysias, fr. 73 (Thalheim).
142 Schol. Ar., Gren., 366a (Koster) : κατατιλ(λ)× λTγεται τ¨ κ,προν διKρρυτον ˜κκρ!νειν : νÀν δ™
τ¨ Jποσπερ α!νειν τ[ν τˆς NκKτης Jγαλ Kτων ιγνH ενος α•το‚ς, cf. ibid., 153a : δοκε‚ ιγˆναι τÄ
τˆς NκKτης JγKλ ατι, « il paraît qu’il s’est uni à la statue d’Hécate ».
143 PGM, IV, 1403, 1416, cf. les voces magicae comme φορβορ φορβορ βορβορφα ηρφορ, φορb
φορβα etc. ainsi que l’obscure épithète Φ,ρβα qui, en insistant sur la répétition de φ et de β, sont
phonétiquement proches de βορβοροφ,ρβα qui seule donne un sens : PGM, IV, 1416, 2060,
2348b2352 et 2203, 2291, 2611.
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118 L’espace et le temps d’Hécate
144 IEphes. (IGSK, 11b17), 12 (1979), II, n° 567 (inscr. gravée dans la niche d’une porte) : εŸ |
τις Îν þδε ο•ρ(σι, œ NκK|τη α•τÄ κε|χ’λωται, cf. les interdictions aux nos 568b568A (sans
mention d’une divinité) et au n° 569 (menace de la part d’Artémis).
145 Voir Carabia 1989 : 40 concernant CIL, III, 1966 : quisqu(is) in eo vico stercus non posu|erit aut
non cacauerit aut non m|iauerit habeat illas propitias | si neglexerit viderit, « quiconque ne déposera pas
d’excréments, ne défèquera pas, n’urinera pas en ce lieu, que cellesbci lui soient propices ! S’il
passe outre, il verra ».
146 Kraus 1960 : 91, n. 452 associe, lui aussi, l’inscription de Salone au passage des Grenouilles,
afin de montrer l’attachement d’Hécate à l’idée du sale et de l’impur, cf. Wächter 1910 : 135, n. 3.
147 Voir schol. Théocr., Idyll., II, 11b12b (Wendel), citant Sophron, ainsi que infra, p. 183 sq.
(Hécate Xγγελος).
148 Sarian 1992 : 989b991.
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 119
149 Simon 1985 : 278b279, pl. 52, 1. Cf. Sarian 1992 : 991, n° 17 et Harrison 1967 : 42 sq. qui y
reconnaît Artémis Hécate.
150 Voir Kahil 1990 : 113b117, pl. 25b27 ; Sarian 1992 : 991, n° 16 et Edwards 1986 : pl. 19. Sur
les rapports entre Iphigénie et Hécate, voir aussi infra, p. 287 sq.
151 Hés., fr. 23a (MerkelbachbWest) du Catalogue des femmes et Paus., I, 43, 1 cf. Stésichore,
PMG, 215 (Page) = Philod., De la piété, p. 24, pl. 52a, 5b11 (Gomperz).
152 Rohde 1952 : 227, n. 4 et 327, n. 2 et en associant le terme ¾ξυθH ια à celui d’˜νθH ιον
(« souvenir » et, dans certains cas, « soif de vengeance»), considère les offrandes de purification
comme identiques aux banquets offerts à Hécate et aux morts. Cf. Zografou 2004 et Zografou
2005b : 197b198.
153 Pour une identification entre les deux, voir Schol. Luc., Dialogues des morts, 1, 1, 19b21,
Harp., s.v. ¾ξυθH ια (Dindorf) et Schol. Théocr. Idyll., II, 35b36a.
154 Démosthène, Or., 54 (C. Conon), 39.
155 Luc., Dial. mort., 1, 1, 18b19 : εŸ που ε¸ροι ˜ν τž τρι,δ° NκKτης δε‚πνον κε! ενον ñ ¨ν ˜κ
καθαρσ!ου ¹ τι τοιοÀτον et id., Cataplous, 7.
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120 L’espace et le temps d’Hécate
pas complètement les uns aux autres156. Une association des « repas » et des
purifications est faite indirectement à propos du terme αγ!δες qui, lié parfois
aux « repas » d’Hécate157, peut aussi désigner un type de καθKρσιον158. Il est à
noter, cependant, que αγ!ς semble avoir diverses significations, comme « pain »,
« galette » – aρτος, ¼ζα –, ou encore « table sacrée », et n’est pas exclusivement
associé à Hécate159. C’est surtout Plutarque qui, parlant des sacrifices des chiens,
incorpore les καθKρσια aux « repas d’Hécate » ; il raconte que les cadavres des
chiens sont jetés à Hécate ετK τ[ν aλλων καθαρσ!ων, et considère ensuite
comme preuve du caractère impur du chien le fait que πε π, ενος εzς τρι,δους
Jποτροπα!ων κα› καθαρσ!ων ˜πTχει ο‚ρα, « envoyé aux triodoi il prend part aux
rites apotropaïques et cathartiques »160. Les lexicographes comme Harpocration
entretiennent la confusion entre les offrandes à Hécate et les καθKρσια ou, plus
particulièrement, les ¾ξυθH ια161.
Néanmoins, d’autres sources, comme Aristophane ou Apollodore162, ne font
pas de rapprochement entre les deux rites, dont l’assimilation n’était apparemb
ment pas totale. Certaines différences entre les deux rites en sont la preuve : les
« repas » étaient envoyés à Hécate, selon la plupart des sources, κατ¯ ˆνα,
« chaque mois » ou κατ¯ νου ην!α, « à la nouvelle lune », tandis que nous ne
connaissons pas de rythme régulier pour le dépôt des ¾ξυθH ια, qui pouvait
satisfaire des besoins ponctuels.
Certains ingrédients des offrandes déposées aux triodoi pour Hécate, galettes et
gâteaux spéciaux, n’apparaissent pas dans des cérémonies purificatoires et
renvoient plutôt aux offrandes faites également à Hermès ou à des divinités
κουροτρ,φοι163. D’une autre source nous apprenons d’ailleurs qu’à Samos les
femmes sacrifiaient, à une triodos, à une divinité nommée Κουροτρ,φος ; qu’il
s’agisse d’Hécate ou d’une autre divinité, cela confirme que les rites qui avaient
156 Cf. Parker 1983 : 30, n. 65 qui, en reconnaissant la distinction faite par les auteurs menb
tionnés, conclut que « tous les καθKρ ατα n’étaient pas des ²κατα‚α ».
157 Soph., fr. 734 (Radt) et Phot., s.v. αγ!δες (Naber). Voir Meuli 1975 : 923.
158 Hsch., s.v. αγ!δες (Latte) : αÍς Jπο Kττουσι κα› καθα!ρουσι. κα› ¼ζαι, íς καταφTρουσι ο¦ εzς
Tροφων!ου κατι,ντες, « magides aux moyen desquelles on essuie et on purifie ; mais aussi les galetb
tes que font descendre ceux qui visitent l’oracle souterrain de Trophonios », cf. Hsch., s.v. αγ ,ν
et Bonnechere 2003 : 48.
159 Hsych., s.v. αγ!δες (Latte) et Pollux, VI, 83 (Bethe).
160 Plut., Aetia Romana et Graeca, 280c et 290d.
161 Harp., s.v. ¾ξυθH ια (Dindorf), qui cite Didymes (Ier s. avant J.bC.) : τ¯ ˜ν τα‚ς τρι,δοις […]
Nκατα‚α, µπου τ¯ καθKρσια –φερ,ν τινες í ¾ξυθH ια καλε‚ται, « les hekataia […] aux triodoi où
certains rejetaient les moyens de purifications qu’on appelle oxuthumia » ; cf. Etym. M., s.v. ¾ξυθH ια
(Gaisford) où les hekataia, identifiés aux ¾ξυθH ια, sont considérés comme des καθKρ ατα νεκρ[ν
[…] ñ τ[ν οzκι[ν, « ce qui restait de la purification des morts […] ou des maisons ». Cf. schol.
Luc., Dial. mort., 1, 1, 19b20.
162 Apollod., FGrH 244 F 109 (Jacoby).
163 Voir aussi infra, p. 159b160 et 213b214.
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Les lieux de prédilection d’Hécate : portes, routes et triodoi 121
164 Vit. Hdt., 410b411 (Allen) : « en marchant il s’approche des femmes qui sacrifiaient à une
triodos − θυοHσαις ˜ν τž τρι,δ° ».
165 Hermès a aussi sa place aux triodoi, comme on le verra. Voir Hsch., s.v. Nρ ˆς τρικTφαλος
(Latte) et Farnell 1909 : 67.
166 Théophr., Car., 16, 5, voir aussi les commentaires de Ussher 1960 : 142b143 ainsi que de
Diggle 2004 : 357b358.
167 Parker 1983 : 230.
168 Voir infra, p. 267 sq.
169 Voir les représentations iconographiques d’Hécate avec des chiens dans Sarian 1992 :
nos 64, 65, 121b122, 128, 138, cf. n° 96 (Hécate coiffée d’une tête de chien). Selon Hsch.
(s.v. NκKτης aγαλ α), la déesse pouvait être représentée à tête de chien. Voir infra, p. 262.
170 Eur., Suppl., 1210b1212. Collard 1975 : 417b418 préfère la conjecture τρ!οδον ¢σθ !ας
IδοÀ.
171 Parker 1983 : 30 voit dans les δε‚πνα une tentative pour éloigner la déesse du foyer ; le
même auteur, dans un ouvrage plus récent, ajoute qu’Hécate devant les portes avait deux aspects
(un aspect familier et un autre terrifiant), tandis qu’Hécate des triodoi n’était qu’une puissance
dangereuse (Parker 2005 : 414b415). Malgré les connotations en général assez sombres des triodoi,
nous croyons, que ce type d’ambiguïté − trait partagé par la plupart des divinités grecques −
caractérise Hécate tant devant les portes qu’au milieu des triodoi, jugée capable à la fois d’écarter
ou d’absorber les maux et de les déclencher. La belle remarque de R. Parker, à propos de la
Προθυρα!α, nous paraît en partie aussi valable à propos de la Τριοδ‚τις : « that form of intimacy
which is cultivated with her is a way of making the threat that she poses psychologically manageb
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122 L’espace et le temps d’Hécate
Si nous refusons de voir dans le culte d’Hécate aux triodoi de simples rites de
purification, il ne s’agit pas pour autant de nier tout rapport de la déesse avec
les souillures. En réalité, l’intervention d’Hécate dans la naissance et la mort,
tout comme sa présence aux triodoi, lui ont très tôt valu d’être considérée elleb
même comme une incarnation redoutable du désordre et de la souillure. Deux
passages, attribués habituellement à Sophron, que nous allons discuter dans un
chapitre ultérieur, illustrent de façon exemplaire le rapport étroit entre la souilb
lure de la mort ou celle de l’accouchement et la nature particulière des endroits
hécatéens172.
Conclusion
L’étude de la façon dont Hécate préside sur les entrebdeux spatiaux, à savoir
les portes, les routes et les triodoi éclaire tant leur signification que la figure
d’Hécate ellebmême. Les endroits « hécatéens » organisent l’espace quotidien et
permettent, en même temps de concevoir le macrocosme et le microcosme.
Hécate les signale, les protège et prend aussi en charge leur impureté éventuelle,
caractéristique de toute marge.
Εn tant que Προθυρα!α, Hécate est en outre située entre l’espace privé et
public, ses petits sanctuaires individuels desservant chacun une seule maison,
comme le dit ironiquement Aristophane. Son culte comprend même des fêtes
privées, organisées « au seuil » de la maison et concernant sans doute non seuleb
ment les membres du foyer, mais aussi les voisins. Au profit des habitants d’un
quartier, Hécate Τριοδ‚τις transforme aussi les triodoi, généralement mal fréb
quentées, en lieux de culte réguliers.
able ». Dans le cas de la Τριοδ‚τις, ce n’est pas l’intimité, mais la régularité et la banalisation des
rites en question qui auraient cet effet psychologique. Cf. Zografou 2005b : 197b198.
172 Voir schol. Théocrit. Idyll., II, 12b (Wendel) et Plut., De superst., 170b cités infra, p. 183b184
et 186, n. 172 et 185.
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Chapitre II
Associations divines à proximité
des portes et des chemins :
Apollon, un voisin prestigieux
Hormis les différents héros protecteurs qui pouvaient être installés aux
abords des maisons privées, Apollon et Hermès revendiquaient également cet
emplacement si cher à Hécate1. Apollon, Hermès et Hécate partageaient donc
souvent les mêmes lieux, entretenant des rapports d’intimité avec leurs voisins
humains. Et le rapprochement va encore plus loin car tous les trois étendaient
leur pouvoir tant sur les portes des cités en tant que dieux ΠροπHλαιοι que sur
les routes : Hécate et Hermès en tant que dieux Sν,διοι, Apollon sous l’appelb
lation d’GγυιεHς.
Quel est le sens de l’²κατα‚ον face au pilier d’GγυιεHς ou à la stèle hermaïb
que ? Le partage des rôles entre les divinités des routes et des portes se complib
querait encore davantage si l’on y invitait Artémis ainsi que Ε(z)ν(ν)οδ!α de
Thessalie – très proches toutes deux de notre Hécate quant à leurs représentab
tions et leurs épithètes –, ou encore Héraclès, Eileithyia2 et des chœurs divins
de jeunes filles concernés parfois par les mêmes emplacements3. Le cas de la
déesse thessalienne Ε(z)ν(ν)οδ!α dont le nom nous est surtout connu comme
épithète d’Hécate et d’Artémis, et dont le sanctuaire le plus ancien, situé en
dehors de la porte nord de Phères, contrôlait la route vers Larissa, est particub
lièrement intéressant, mais géographiquement limité4. Malgré sa ressemblance
avec Hécate, l’Ε(z)ν(ν)οδ!α de Thessalie a conservé sa spécificité et son autonob
mie5. Ses épithètes et ses associations avec d’autres divinités du panthéon local
4 Sur cette divinité, voir, entre autres, Kraus 1960 : 77b83, Rakatsanis, Tziafalias 1997 : 45b49,
Johnston 1999 : 208b209 et la monographie de Chrysostomou 1998, cf. notes suivantes.
5 Non seulement les traces d’Hécate en Thessalie sont peu nombreuses (aucune inscription,
seuls quelques hekataia hellénistiques), mais l’Ε(z)ν(ν)οδ!α thessalienne n’est jamais appelée Hécate
sur son territoire (Kraus 1960 : 77, Robert 1960a : 588b595). D’autre part, l’iconographie, comme
l’a très bien montré L. Robert, ne favorise pas la confusion représentant Ε(z)ν(ν)οδ!α comme une
cavalière à la torche (figure étrangère à l’iconographie d’Hécate). En dehors de la Thessalie, la
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124 L’espace et le temps d’Hécate
déesse désignée par les auteurs grecs par le seul Ε(z)ν(ν)οδ!α ne présente pas, dans la plupart des
cas, des traits particuliers permettant une identification avec la déesse de Phères (appelée d’ailb
leurs souvent par son ethnique, Φερα!α). Il faut donc reconnaître qu’une influence mutuelle
s’exerçait entre ces deux figures si proches, surtout à travers la tradition littéraire ; le meilleur
exemple en est l’apport de la Thessalie, pays des magiciennes en quête de filtres, à la peinture
d’une Hécate, déesse de la magie, complice de Médée ; voir, entre autres, Cajeaux 1979 : 263b275.
Sur le rapport entre Hécate et cette déesse thessalienne, voir aussi l’étude analytique de Chrysosb
tomou 1998 : 221b227, 263b266 et passim.
6 Voir notes précédentes, cf. Miller 1974 : 251 sq. et Pantos 1981 : 96b106.
7 Non seulement elle est aussi appelée Σταθ !α (de σταθ ,ς, « relais, étable, campement, ante
de porte, porte »), mais son nom Ε(z)ν(ν)οδ!α est en rapport en même temps avec Iδ,ς, « rue » et
–νοδος qui, thessalien, peut désigner l’entrée : Helly 1970 : 265.
8 Voir, entre autres, Miller 1974 : 252.
9 Dubois 1987 : 458b460 voit dans Τριτοb la notation figée de Τριττοb, issu de Τριπτοb, selon
une assimilation dialectale du groupe bπτb. Rappelons aussi le culte de Üρως Sν,διος thessalien
(Chrysostomou 1998 : 259b260).
10 Steph. Byz., s.v. JγυιK (Meineke), cf. TLG, s.v.
11 Macrobe, Saturnalia, 1, 9, 6 : …illi enim vias quae intra pomoeria sunt JγυιKς appellant, « … les
Grecs appellent en effet aguiai les rues à l’intérieur de l’enceinte religieuse de la cité ».
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Apollon, un voisin prestigieux 125
12 Hom., Od., II, 388, III, 487 et 497, XV, 185 (δHσετ, τ᾽ ´Tλιος σκι,ωντ, τε π¼σαι Jγυια!) etc.
13 Pollux, IX, 35 (Bethe).
14 Schol. Ar., Guêpes (Koster) 851 et 853b854, cf. Souda, s.v. Jγυια! (Adler). Sur a φοδον/
a φοδος, voir Orlandos – Travlos 1986 : 12, s.v. a φοδον. Cf. Hésychius, s.v. aγυια : a φοδος,
ÅH η, Iδ,ς, γειτον!α (Latte) et Etym. M., s.v. JγορK (Gaisford).
15 Bacchylide, Épinicies, III, 16 décrivant Delphes ; cf. id., Péans, fr. 1, 79 (Irigoin) et Eur.,
Bacch., 87 avec les commentaires de Roux 1972 : 275 qui parle des « rues dans lesquelles se déroub
laient les processions et cérémonies du culte… ». Cf. Pind., Pyth., VIII, 55b56 à propos d’Argos :
Xβαντος ε•ρυχ,ρους JγυιKς ainsi que II, 57b58 : « seigneur prytane de nombreuses rues ornées de
belles couronnes − ε•στεφKνων Jγυι¼ν ». Carey 1981 : 45 croit qu’ici le mot Jγυια! désigne les villes
mêmes.
16 Ar., Cavaliers, 1319b1320, schol. Ar., Cav., 1320abc (Koster) et Oiseaux, 1230b1233 ; Dém.,
Or., 21 (C. Midias), 51b52. D’après Harp., s.v. Jγυι¼ς (Dindorf), il faudrait accentuer κνισ(σ)¼ν
Jγυι¼ς − βTλτιον δ™ περισπ¼ν Ôς Jπ¨ τοÀ JγυιεHς. Quoi qu’il en soit, ce sont les autels/piliers du
dieu qui devaient être utilisés, cf. Parker 2005 : 18 (n. 44)
17 Hymne homérique à Apollon, 146b148 (= Thucydide, 3, 104), selon Humbert 1941 : 85b86, « le
sens d’JγυιK ne peut guère être celui de ‘voie sacrée’ » ; ces joutes avaient sans doute lieu sur les
‘saints parvis’ du temple ».
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126 L’espace et le temps d’Hécate
astres, JγυιK, outre son rapport particulier avec les manifestations politiques ou
religieuses de la cité, conserve presque toujours en même temps un sens technib
que et matériel. Ces nuances qui séparent et unissent Iδ,ς et JγυιK ressortent
clairement des quelques vers de l’Iliade qui retracent le trajet d’Hector à travers
Troie : I δ᾽ JπTσσυτο δ’ ατος Lκτωρ τªν α•τªν Iδ¨ν αÐτις ˜ κτι Tνας κατ᾽
JγυιKς, « Hector s’enfuit de la maison reprenant le même chemin à travers des
rues bien bâties »18. En tenant compte du sens technique et de la notion
d’espace public et maîtrisé que comporte le terme JγυιK, il n’est pas risqué de
soutenir que ce terme renvoie généralement au plan d’une ville solidement fonb
dée et bien construite, bien mesurée et ordonnée19, telle qu’elle se révèle sous
les pas d’un Apollon fondateur et architecte20.
Apollon GγυιεHς, posté là où la maison privée rencontre la voie publique,
entre en rapport non seulement avec les Jγυια! homonymes, mais aussi avec les
portes des maisons21. Son emplacement même fait de lui un protecteur de
l’entrée (προθHραιος) ou, mieux encore, un dieu γε!των22, voisin précieux, car il
écarte tous les maux en tant qu’Jλεξ!κακος23. Rien d’étonnant, dès lors, qu’on
puisse, lors des entrées ou des sorties, s’adresser amicalement à cette colonne de
pierre pointue, représentation et éventuellement autel du dieu qui reçoit sacrib
fices et ornements en son honneur (Fig. 10)24.
fonctionnelles entre GγυιεHς et ΠροθHραιος, voir aussi PugliesebCarratelli 1965 : 7b8 et Faraone
1992 : 8b9 et 16, n. 53b54.
23 Dans des inscriptions d’Athènes, Apollon GγυιεHς est, en outre, appelé Gποτρ,παιος,
« celui qui détourne (sc. les dangers) » (CIG, 464), Προστατ(ριος, « Celui qui se dresse devant »,
« Protecteur » (IG, II2, 4850) ; il est aussi qualifié de φHλαξ Iδ[ν, « gardien des routes » dans schol.
Eur. Phén., 631 (Dindorf). Cf. Farnell 1896b1909 : 371 ; Reisch 1893 : col. 910b912 et Detienne
1998 : 125, 290, n. 133b134.
24 Le terme paraît désigner tantôt l’image, tantôt l’autel ; parfois nos sources mentionnent les
deux ensemble, sans bien définir leur rapport. Pour la discussion de ce problème, voir Reisch
1893 : col. 910 sq., Cook 1914b1940 : II, 160b16, Fraenkel 1978 : II, 491 sq., McDowell 1988 : 247,
Poe 1989 : 134 et Parker 2005 : 18. Bref, le débat se centre surtout sur la contradiction entre
Hsch., s.v. JγυιεHς (Latte) − I πρ¨ τ[ν θυρ[ν ²στæς βω ¨ς ˜ν σχ( ατι κ!ονος, « l’autel en forme de
pilier qui se dresse devant les portes » − et Helladius, cité par Phot., Bibliothèque, cod. 279, 535b
(Henry) : « Ils se prosternaient devant le Loxias que chacun avait dressé devant ses portes − Τ¨ν
Λοξ!αν γ¯ρ προσεκHνουν, üν πρ¨ τ[ν θυρ[ν ±καστος Òδρυντο ; ils construisaient en plus auprès de
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Apollon, un voisin prestigieux 127
lui un autel rond − βω ¨ν παρ᾽ α•τÄ στρογγHλον – que les passants, en s’arrêtant, couronnaient de
myrte. On appelait cet autel Aguieus Loxias − Jγυι¯ν Λοξ!αν ˜κKλουν −, lui attribuant le nom que
dieu portait chez eux », cf. Phot., s.v. Λοξ!ας (Naber). En tout cas, reste indéniable le fait du culte
rendu aux piliers d’GγυιεHς au moyen de libations ou d’ornements, indépendamment de l’exisb
tence ou non d’un autel. Cf. Nilsson 1978 : 79b80.
25 Voir par ex. IG, II2, 4719 (offrande d’un autel à Apollon GγυιεHς par des gardiens de πHλαι),
4850 (dédicace à Apollon GγυιεHς gravée sur des portes d’Acharnai), cf. 4852 où Apollon est
appelé Προστατ(ριος, « Protecteur », Gποτρ,παιος, « Qui détourne » et GγυιεHς.
26 Ar., Guêpes, 874b875. Il faut signaler que les appels à GγυιεHς (dans des serments ou des
salutations), de même que ceux adressés à Hécate, ne manquent pas dans le théâtre, d’autant plus
que son autel était présent sur la scène, voir Pollux, IV, 123 (Bethe) : ˜π› δ™ τˆς σκηνˆς κα› Jγυιε·ς
–κειτο βω ¨ς I πρ¨ τ[ν θυρ[ν.
27 Schol. Eur., Phén., 631 (Dindorf). Voir aussi Steph. Byz., s.v. JγυιK (Meineke) : … Gπ,λλων
JγυιεHς, κα› JγυιKτης, τουτTστιν I ˜φ,διος.
28 Eustathe, Comm. ad. Il. (II, 12), 1, 257, 1 (Van der Valk). Cf. Detienne 1998 : 290, n. 133.
29 Rôle manifeste, entre autres, dans leur représentation sur des monnaies.
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128 L’espace et le temps d’Hécate
30 Malgré l’affirmation de Pausanias (V, 15, 2) que l’JγυιK est un équivalent dialectal de l’attique
στενωπ,ς, « passage étroit », le terme évoque la plupart du temps une idée tout opposée à celle de
l’étroitesse. Voir juste infra ainsi que Roux 1972 : 275 (exemples des emplois d’JγυιK et d’ε•ρHχορος,
« aux larges places de danse », « aux larges emplacements ») et Pouilloux 1983 : 218 qui conclut que
le Périégète propose un faux synonyme correspondant à un sens spécifique du mot.
31 Detienne 1998 : 28.
32 Nous avons parlé de l’implication des autels/statues d’GγυιεHς dans l’attente et la réception
des oracles délivrés par différents dieux ; dans un oracle, cité par Dém., Or., 21 (C. Midias), 52,
nous lisons même : « pour les bonnes chances − περ› τHχας Jγαθ¼ς −, sacrifiez à Apollon GγυιεHς,
à Létô et à Artémis. Dressez des cratères dans vos rues − κατ᾽ JγυιKς −, formez les chœurs… ».
33 Eur., Ion, 460b464.
34 Eur., Ion, 184b189 : « Ce n’est point seulement dans la divine Athènes qu’on voit les
demeures des dieux ornées de belles colonnades, et des honneurs rendus aux pierres d’Agyieus.
Chez Loxias aussi, chez le fils de Létô, brillent sous les belles paupières, les regards de visages
jumeaux ». En dehors d’un simple rappel des stèles d’GγυιεHς, il est possible que la syntaxe de ce
passage cache un tricolon d’après lequel les colonnades − ε•κ!ονες α•λα› θε[ν −, les honneurs aux
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Apollon, un voisin prestigieux 129
Enfin, même en dehors de l’espace habité et civilisé, Apollon GγυιεHς vise déjà
à la création de celuibci. Alors qu’Hécate, accompagnatrice des voyageurs, facilite
les déplacements sans être particulièrement intéressée par le terme du voyage, le
dieu, lui, se projette, dès le départ, au terme de son parcours. En effet, la concepb
tion des Jγυια!, telle que nous l’avons analysée, s’intègre dans le plan de la fondab
tion d’une cité qui comprend l’implantation des murailles qui la protègent et la
définition du territoire qui lui appartient. Ainsi, le titre d’GγυιεHς – tout aussi bien
que les appellations GρχηγTτης, « chef, initiateur, fondateur », Κτ!στης, « fondab
teur, bâtisseur » et Οzκιστ(ς, « fondateur, colonisateur »35 – désigne aussi Apollon
comme dieu des colonisations, des fondations et des constructions. Ce n’est pas
un hasard si GγυιεHς est aussi le nom d’un des Hyperboréens, qui sont considérés,
selon la tradition rapportée par Pausanias, comme les fondateurs de l’oracle de
Delphes36. Or un fragment de Dieuchidas – bien que le texte soit trop corrompu
pour être vraiment traduit – fait explicitement de la stèle consacrée à GγυιεHς le
monument commémoratif de la fondation de Mégare : « … l’GγυιεHς consacré
par les Doriens qui sont venus habiter cet endroit […] qu’imitent les Doriens en
dressant les JγυιKς en l’honneur d’Apollon »37. Quelles que soient les difficultés
qu’ont à affronter les premiers colons conduits par Apollon ou par un fondateur
humain, l’installation d’GγυιεHς semble signaler que le territoire est désormais bon
à habiter. Nous pourrions, par conséquent, dire que cette pierre sacrée éponyme
du dieu marque vraiment l’aspect défriché, dompté, contrôlé du territoire, de
même que l’ancrage de la cité à l’intérieur de celuibci grâce à des fondements
solides38.
pierres d’Agyieus − JγυιKτιδες θεραπε‚αι − et le regard des visages jumeaux − διδH ων προσ’πων
καλλιβλTφαρον φ[ς − seraient tous les trois attribués par le chœur à Delphes comme à Athènes
(voir Biehl 1979 : 65, 184b189). En faveur de cette interprétation nous pourrions faire appel à la
stupéfaction des femmes du chœur qui justifie le caractère elliptique de l’expression ; elle nous
paraît conforme, premièrement, au reste du parodos où le chœur ne fait que décrire les beautés de
Delphes, ensuite à l’habitude de dresser sur scène un autel, bien visible aux yeux des spectateurs,
consacré à Apollon GγυιεHς. Cf. Pouilloux 1983 : 217b219 qui, en restituant le mot dans un
document comptable, démontre que le terme JγυιK est le plus approprié pour désigner la voie
officielle d’accès au stade delphique.
35 Voir Wernicke 1895 : col. 18, Farnell 1896b1909 : IV, 374 sq., Leschhorn 1984 : 109b115 et
Casevitz 1985 : 245 sq. Sur tous les aspects d’Apollon en tant que dieu présidant au domaine de la
fondation, voir aussi Detienne 1990 : 301b311.
36 Paus., X, 5, 7. Voir Detienne 1998 : 32.
37 Nous citons le texte que donne Piccirilli 1975 : 20 et suiv, fr. 2a : …Gγυιε·ς τ[ν ‰ωριTων
οzκησKντων ˜ν τÄ τ,π° JνKθη α […] †τοHτοις γ¯ρ ˜π› τˆς στρατι¼ς φKσ ατος ο¦ ‰ωριε‚ς
Jπο ι οH ενοι τ¯ς Jγυι¯ς ¦στ¼σιν –τι κα› νÀν τÄ Gπ,λλωνι. Voir aussi schol. Ar., Guêpes, 875a
(Koster) = Dieuchidas, FGrH 485 F 2 (Jacoby), cf. Harp., s.v. Gγυι¼ς (Dindorf). Le scholiaste des
Guêpes ajoute son explication : « Comme ils sont arrivés les premiers pour habiter cet endroit, les
Doriens ont fait cela en l’honneur d’Apollon, à mon avis, parce que c’est le soleil qui arrive le
premier en plein champ ». Voir aussi di FilippobBalestrazzi 1980b1981 : 93, n. 2 et passim et
Detienne 1998 : 88b89.
38 D’ailleurs, comme le souligne Detienne 1998 : 30, l’usage des verbes de mouvement de la
famille βα!νειν, « mettre le pied sur », met en évidence le caractère statique du déplacement
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présidé par Apollon en tête des colonnes, comme il convient à un « maître des seuils, des portes,
des lieux solidement établis ».
39 Hés., Théog., 811b814, cf. Ballabriga 1986 : 265.
40 Voir Arrighetti 1966 : 45 sq.
41 Quant aux pierres d’Apollon, voir Detienne 1988 : 33b35. Cependant, nous ne partageons
pas complètement l’opinion de l’auteur sur le port des γHλλοι lors de la procession des Μολπο! ni
sur la mesure dans laquelle ils représentaient JγυιεHς (214, n. 100).
42 Detienne 1988 : 35.
43 Hom., Il., IX, 404b405, cf. Od., VIII, 79b80 et Il., ΙΙ, 519. Defradas 1972 : 30 remarque
l’insistance sur l’expression « le seuil de pierre » qui caractérise le sanctuaire d’Apollon ; selon le
même auteur, « le seuil de pierre désigne ces riches demeures que les Grecs commencèrent à
construire pour les dieux vers le VIIe siècle ». Voir aussi Bonnechere 2003 : 73b75 qui affirme que
« plusieurs niveaux de signification s’appliquent au « seuil » : simple élément architectural, il est
aussi la métaphore de l’entrée du bâtiment voire de la construction ellebmême ».
44 HhAp., 294b297, cf. Bonnechere 2003 : 71b75.
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Apollon, un voisin prestigieux 131
45 Paus., I, 42, 2. Cf. Piccirilli 1975 : 109b112, Bohringer 1980 : 11 et Detienne 1988 : 94 et 276,
n. 85. Highbarger 1927 : 50b51 identifie les Προδο ε‚ς aux dieux du foyer public représentés
surtout par Apollon, tandis que d’autres y voient des dieux traditionnellement postés devant les
maisons, comme Hécate. Nous partageons l’avis d’Alvino 1980b1981 : 3b8 qu’il s’agit de dieux
collectifs, voués par leur nom à une sphère d’action précise, et non pas de dieux connus, cachés
sous une appellation commune.
46 Quant à l’éventuelle valeur technicobmagique de la musique d’Apollon, voir Alvino 1980b
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132 L’espace et le temps d’Hécate
2. Apollon Προ̟Rλαιος
Apollon sous l’épithète de ΠροπHλαιος ne constitue pas forcément le double
d’Apollon GγυιεHς. Les deux aspects révèlent, l’un comme l’autre, un dieu
protecteur, lié par son emplacement aux enceintes des individus ou des
collectivités. Néanmoins, nous jugeons utile de nous pencher sur les particularib
178 conclut que le pilier de Delphes était probablement encadré par les linteaux et essaie de le
rapprocher de l’énigmatique E delphique. Di FilippobBalestrazzi 1980b1981 : 105 sq.
52 Cette forme devient canonique à partir du IIIe s. av. J. C. : di FilippobBalestrazzi 1984 : 330 sq.
53 Sur l’application des règles du démiurge platonicien et le reflet de l’harmonie de l’« âme du
monde » dans le monument de Pratomédès, voir di FilippobBalestrazzi 1980b1981 : 94 sq. et
passim. ; Pl., Timée, 35bb36d ; cf. McDonaldbCornford : 66 sq. Cf. Cook 1914b1940 : II, 169 sq. qui
conclut qu’GγυιεHς est devenu avec le changement de la conception du monde l’image de l’« axe
du monde ».
54 Sur « l’importance de l’harmonie, du nombre et de la proportion » dans les doctrines
pythagoriciennes présentes dans l’œuvre d’Hippodamos et d’autres, voir Martin 1956 : 15b17,
Lévêque, VidalbNaquet 1983 : 123b146 et Stucchi 1975 : 61b62. Sur les tendances géométriques
dans l’organisation urbaine, cf. Pl., Lois, VI, 778b ainsi qu’Ar., Ois., 1004b1008 (se moquant des
théories du pythagoricien Hippon) : « … au centre il y aura une place publique, où aboutiront les
rues droites convergeant vers le centre même, et comme d’un astre luibmême rond, partiront en
tous sens des rayons droits ».
55 Schol. Pind., Ol., I, 149a (Drachmann).
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Apollon, un voisin prestigieux 133
56 De ce point de vue Apollon en tant que dieu des portes est en même temps un Apollon
Προστατ(ριος, « celui qui se tient devant », comme le montre Detienne 1998 : 122 sq. Voir aussi
Busine 2005 : 174 et Graf 2009 : 76.
57 Parker 1983 : 275 sq.
58 Voir Cook 1914b1940 : II, 179b180, n. 1. Selon Detienne 1998 : 137b138, Gφ(τωρ désigne
principalement le dieu « qui autorise le départ », interprétation qui ne contredirait pas celle du
dieu qui décoche les flèches et rend les oracles. Sur ces différents points, l’ouvrage de Monbrun
2007 est fondamental.
59 Phot., Bibl., cod. 243, p. 372b, 28, (Henry) : « c’est bien la parole − λ,γος − qui est la flèche
d’Apollon ».
60 Voir Buresch 1889 : 10b23, 81b86, PugliesebCarratelli 1963b1964 : 351b376, Puglieseb
Carratelli 1965 : 5b10, Weinreich 1913 : 62b72, surtout 63 sq. et Seure 1912 : 137b166, 382b390,
Parke 1985 : 150 sq., Faraone 1992 : 61b64, Graf 2009 : 75 et notes suivantes. À Naxos aussi sous
l’empire une image d’Apollon Archer est dressée sur l’ordre d’un oracle : Ø βουλª κα› I δˆ ος
Gπ,λλωνα Τοξ,την κατ¯ χρησ ¨ν δι¯ πρυτKνεως (IG, XII, 5, 44).
61 Weinreich 1909 : 150b152.
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134 L’espace et le temps d’Hécate
62 CIG II 2012 = Epigr. Gr., 1034 (Kaibel) = I.Sestos, 11, voir aussi Buresch 1889 : 812 et
Busine 2005 : no 7.
63 SGOst I, 1998, no 02/1201. Voir West 1967 : 184b185, IIb, 18b20, PugliesebCarratelli 1963b
1964 : 360 (JναιδTα au lieu d’JναρδTα), Parke 1985 : 153 sq. et Busine 2005 : 34, 172b173 et no 10
qui associe l’oracle de Callipolis et l’oracle d’Hiérapolis à un oracle de Troketta (Busine 2005 : 1).
Sur les oracles de Callipolis et d’Hiérapolis ainsi que sur des interventions analogues du dieu, voir
Detienne 1998 : 124 sq.
64 Luc., Alexandre, 36. Cf. Faraone 1992 : 63 et Busine 2005 : 178. Sur le personnage
d’Alexandre d’Abounoteichos et le dialogue de Lucien, voir Robert 1980 : 394 sq.
65 Voir Weinreich 1913 : 70, Lambrinoudakis et al. 1984 : 198, n° 76 (O. Palagia) et Busine
2005 : 174. Seraitbil légitime de détecter ici, de même que dans le groupe des témoignages susb
mentionnés, les traces d’une tendance à survaloriser l’efficacité d’un attribut par rapport au dieu
même qui le possède ? Nous pouvons citer, comme un cas analogue d’attributbemblème, la masb
sue d’Héraclès qui figure parmi les signes apotropaïques sur les maisons de Délos. L’attribut
continue, tout de même, à être investi des qualités du dieu : le pouvoir de l’hyperboréen Abaris de
rendre des oracles, de purifier, de chasser la peste, ou encore de traverser les endroits inacb
cessibles émane, semblebtbil, de la possession de la flèche apollinienne, voir Hdt., IV, 36,
Lycurgue, fr. 5a (C. ScheibebF. Blass) et Jamblique, De vita pythagorica, 19, (Deubner). Il faut enfin
signaler qu’il n’y aura jamais de code absolu pour les couples dieu/attribut. Aussi Apollon
ΠροπHλαιος adoré à Eumeneia de Phrygie abtbil comme armement la double hache (normalement
portée par Zeus Crétois) : Tod 1904b1905 : 28b29, n°1 ; Robert, Robert 1953 : 149b150, n° 129
(dédicaces où la double hache est gravée sur la stèle). D’autre part, nous trouvons l’arc dans les
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Apollon, un voisin prestigieux 135
mains d’autres divinités, et même de divinités qui protègent des portes. Héraclès figure, par
exemple, en archer à côté du seuil de la porte principale de Thasos faisant pendant à Dionysos
qui, lui, porte le thyrse, voir Picard 1962 : 25 et Maier 1961 : 93b96.
66 Paus., I, 3, 4, cf. VIII, 41, 7b9.
67 C’est l’opinion de Faraone 1992 : 55 sq.
68 LSS, 115, 1b7, cf. SEG, 9 (1944), 72. L’expression énigmatique τ[ Jποτροπα!° pourrait se
référer, entre autres, à une statue ou un autel, voir Parker 1983 : 334.
69 Faraone 1992 : 55 sq. L’auteur a beau remarquer l’ambivalence intrinsèque de l’intervention
d’Apollon qui est tantôt salutaire, tantôt néfaste − ambivalence conforme, par ailleurs, aux modes
d’action de tous les dieux guérisseurs ou protecteurs − en réfléchissant à l’emplacement de ses
statues devant les portes, il n’en souligne que l’aspect négatif (61).
70 La tradition littéraire oppose l’hoplite à l’archer, comme le montre Lissarrague 1990 : 16 sq.
L’arc est pourtant l’arme favorite des Crétois (Paus., I, 23, 4). Cf. Launey 1949b1950 : I, 280b286.
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Apollon, un voisin prestigieux 137
tant leur action protectrice aux enceintes fortifiées. Une image qui orne cerb
taines monnaies hellénistiques de Lampsakos nous montre à côté d’Apollon
une déesse représentée à plus petite échelle tenant une torche dans chaque
main ; les lions qui l’accompagnent, un de chaque côté, n’interdisent pas –
comme le montre T. Kraus – son identification avec Hécate77.
Cependant, il y a lieu de distinguer les deux divinités quant à leur comporb
tement. En tant que Προθυρα!α et Προπυλα!α, Hécate est celle qui doit donner
l’alarme en cas de danger, signaler les intrus et décupler la résistance des portes ;
même s’il lui arrive d’être vraiment impliquée dans l’action guerrière, d’être
même appelée Στρατ!α ou de recevoir le produit des pillages en tant que gage
de reconnaissance, son rôle correspond plus au rôle du πυλωρ,ς attaché à son
poste qu’à celui du guerrier qui attaque l’ennemi78. L’univocité des interventions
d’Hécate s’exprime, entre autres, par le rôle de son attribut principal, à savoir la
torche (une ou deux), ainsi que par la compagnie très fréquente du chien. La
torche comme le chien s’ajoutent au dispositif de la porte comme le feraient
aujourd’hui les lampes et les systèmes d’alarme. Mise au service de ses protégés,
la lumière de la déesse sert à dissoudre l’obscurité de la nuit en facilitant sorties
et entrées et en dénonçant tout danger qui menace une enceinte ou un
voyageur ; mais c’est une lumière qui ne peut entraîner que des conséquences
néfastes pour ceux qui transgressent les limites surveillées. Même si l’on est
tenté de mettre en parallèle la diffusion des rayons lumineux et celle des flèches
de l’arc apollinien du fait qu’ils constituent les uns comme les autres une aura
protectrice qui enveloppe les passages protégés, les torches d’Hécate semblent
destinées à signaler le transgresseur et à le paralyser de terreur plutôt qu’à l’élib
miner de loin. Le rapport d’Hécate avec le chien de garde ne fait que confirmer
les mêmes caractéristiques, à savoir la tenacité de son gardiennage, sa réaction
immédiate et dénonciatrice à la présence de toute personne inconnue ainsi que
son attitude terrifiante et dissuasive. Quant à Apollon ΠροπHλαιος, davantage
concerné par le sort des cités dont il est le fondateur que lié au dispositif même
de la porte, il se place devant les portes pour abattre le mal avant que celuibci ne
s’approche et ne compromette la survie de la cité protégée et l’intégrité de son
territoire. Son rôle de purificateur, étroitement lié à sa position limitrophe, le
met face à un mal considéré comme extérieur sans le mêler aux souillures que
les limites ellesbmêmes abritent.
Les constats liés à l’GγυιεHς et au dieu archer qui se tient devant les portes ne
nient pas la valeur spécifique de chaque Apollon, qu’il soit posté à un emplaceb
ment éminent dans la cité, honoré en tant que guide des colons ou participant à
un groupe de dieux πολιοÀχοι. Or, pour respecter l’originalité de chaque cas
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138 L’espace et le temps d’Hécate
particulier, il faudrait affiner le profil du dieu en tenant compte de tous les liens
qui le rattachent à l’histoire et aux cultes d’une cité. D’ailleurs, notre analyse ne
couvre pas toute l’étendue des « aspects apolliniens » des portes. Sans pour
autant être qualifié d’GγυιεHς ou de ΠροπHλαιος, Apollon semble quelquefois
particulièrement concerné par l’ouverture des portes de son propre temple en
tant que dieu épiphanique et oraculaire : tantôt il les fait trembler et s’ouvrir
miraculeusement, tantôt il accroît par leur ouverture solennelle l’émotion des
fidèles à l’annonce de son oracle79.
d’Apollon archer nous paraît étroitement liée à l’ouverture des portes de son temple ; voir, par
exemple un cratère en calice, à f. r. (fr.) à Amsterdam, Allard Pierson Museum 2579 (B97) et un
cratère à volutes, à f. r., à Mailand, Slg. H. A. 239.
80 La prytanie existe à Milet dès le VIe s. av. J.bC. Gschnitzer 1973 : col. 760b766. À Milet, les
prytanes constituaient probablement le collège des premiers magistrats de l’État dont le pouvoir
semble avoir été exceptionnel ; Arist., Politique, V, 5, 1305a croit que c’est le pouvoir des prytanes
qui a favorisé à Milet le passage à la tyrannie. En ce qui concerne le rôle central, politique et
religieux du prytanée, voir Miller 1978 : 14, 128b131 (conclusion) et passim.
81 Kawerau et Rehm 1914 : 153, fig. 41 (base d’autel) et 275, n° 129, fig. 71 (inscription), cf.
Yavis 1949 : 137, § 53, 1 et Kraus 1960 : 11.
82 Voir Detienne 1998 : 123 (citant Simonide de Ceos, Anth. Pal., VI, 212) ainsi que 127b128
et 288, n. 116. Il faut signaler plus particulièrement les liens d’Apollon avec les prytanées à Délos,
Naukratis et Athènes ; voir aussi Miller 1978 : 16, 56.
83 Arist., Constitution d’Athènes, 43.
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Apollon, un voisin prestigieux 139
au Ier siècle av. J.bC.84. Rappelons que, dans le site de Didymes, au voisinage très
proche de Milet, a été localisé, grâce aux comptes, un édifice nommé
Φωσφ,ριον, lieu de culte qui pouvait être consacré à la Φωσφ,ρος de la
dédicace de Pausanias85. Les nombreux exemples dans lesquels Hécate est soit
nommée Φωσφ,ρος, soit représentée comme tenant une ou deux torches
montrent que la Φωσφ,ρος de la dédicace de Pausanias s’identifie probableb
ment à l’Hécate de la dédicace des prytanes86. D’ailleurs, ce cas rappelle la
relation étroite des prytanes athéniens avec une ou plusieurs divinités porteuses
de torches87.
Enfin, ce même Pausanias de Mitrodore, dans sa qualité de stéphanéphore
(magistrat éponyme de Milet) en 78b77 av. J.bC.88, devait être chef des Μολπο!
et avoir par conséquent l’occasion d’exprimer sa dévotion à Hécate lors de la
procession de Milet à Didymes. Le règlement cultuel de la confrérie des
Μολπο!89 dont la première inscription date de 450b449, mais les prescriptions
remontent à une date beaucoup plus ancienne90. Ce document attribue un rôle
important à Hécate « devant les portes » – selon toute évidence, celles de Milet
– dans le cadre de la procession en l’honneur d’Apollon ‰ελφ!νιος : « et deux
84 Kawerau – Rehm 1914 : 392, n° 172, dédicace déjà citée supra, p. 104, n. 64. Concernant les
rapports entre Hécate et Apollon, à Milet, voir aussi Herda 2006 : 285b289.
85 Voir Tuchelt 1973 : 37b38 et Erhardt 1988 : 174 et 477, n. 911 qui trouvent vraisemblable
l’identification avec Hécate ; cf. Fontenrose 1988 : 133, qui laisse la question ouverte.
86 Pour l’épithète et l’attribut, voir, entres autres, Graf 1985 : 228b232, Zografou 2005a. L’épib
thète apparentée, ŽπολK πτειρα, est attribuée à Hécate à Milet, Hsch., s.v. (Schmidt).
87 Nous ne voulons pas prétendre que ces Φωσφ,ροι mystérieuses de la Tholos athénienne
sont forcément identifiables avec Hécate : IG, II2, 1795, 51b52, cf. IG, II2, 1796 et 1798 ainsi que
Thompson 1940 : 138b141. Voir aussi Robert 1939 : 121, Miller 1978 : 56 et Zografou 2005a. À
Athènes un sacrifice est offert par les prytanes à Apollon Προστατ(ριος, Artémis Βουλα!α et
Φωσφ,ρος et « aux autres dieux à qui il était coutumier − πKτριον áν − de sacrifier » : IG, II2, 902
et 907, cf. Meritt 1957 : 66b68, nos 18b19, Meritt 1963 : 22b23, n° 23 (pl. 25) et Pritchett 1942 : 246b
247, n° 49 (=IG, II2, 902, 6b8).
88 Voir le commentaire de Kawerau – Rehm 1914 : 392, n° 172.
89 Voir, notamment, Wilamowitz 1904 : 619b640, Kawerau – Rehm 1914 : 277b284, n° 133,
SIG3, 57, LSAM, 50, Herda 2006 : 9b14 et passim. Sur la procession des Μολπο!, « chantres de
Milet », voir aussi, entre autres, Vollgraff 1918 : 415b427, Poland 1935 : col. 511 sq., Georgoudi
1985b1986 : 381b383, Georgoudi 1991b1992 : 289b290, Graf 1992 : 103b104, Detienne 1998 : 33b
35, Georgoudi 2001 : 153b171, Giannisi 2006 : 30b33 ; voir infra, p. 179b180. Concernant plus
particulièrement le rôle politique des Μολπο! et d’Apollon Delphinios, voir aussi Graf 1979 : 7b
13, Ehrhardt 1983 : 202 et Graf 2009 : 89 sq. Contra Robertson 1987 : 357b359, cf. Georgoudi
2001 : 157 et suiv . Cf. SEG, 30 (1980), 1337 et SEG, 36 (1986), 1050.
90 La stèle date, d’après la forme des lettres, du milieu du IIe s. av. J.bC., mais c’est pendant
l’exercice de l’aisymnète Philteas (450b449) que le texte original a été gravé. La mention d’un autre
aisymnète, Charopinos, fait d’ailleurs remonter à une époque plus ancienne le contenu des presb
criptions, cf. Georgoudi 2001 : 158, Herda 2006 : 9.
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140 L’espace et le temps d’Hécate
91 LSAM, 50, 25b27 : κα› γυλλο› φTρονται δHο, κα› τ!θεται παρ᾽ NκKτην τªν πρ,σθεν | πυλTων
˜στε Tνος κα› Jκρ(τω κατασπTνδετε, I δ᾽ ±τερος ˜ς ‰!δυ α ˜π› | θHρας τ!θεται, cf. Herda 2006 : 10
(qui préfère écrire Γυλλο! avec majuscule). Selon le texte de l’inscription (l. 27 ταÀτα δ™ ποι(b
σαντες), l’installation des deux γυλλο! paraît être plutôt un rite préliminaire. Dans ce cas, il s’agirait
d’un geste mettant en place les conditions de la procession proprement dite. Quoi qu’il en soit,
rien ne prouve que la deuxième de ces deux pierres sacrées était portée le long la route de la
procession. Cf. Georgoudi 2001 : 164.
92 Sur l’association péanboffrande, voir Käppel 1992 : 59b62. Sur le rôle du péan, voir aussi
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Apollon, un voisin prestigieux 141
1988 : I, 174 et II, 477, n. 912 parle de Φωσφ,ρος tout en trouvant justifié le rapprochement avec
Hécate ; Fontenrose 1988 : 159 propose Artémis ou Hécate.
102 Voir notamment Hsch., s.v. Xγγελον (Latte) et schol. Théocr., Idyll., II, 12b12b (Wendel)
où une Xγγελος, héroïne de Sophron, est identifiée à ArtémisbHécate, voir infra, p. 183 sq.
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142 L’espace et le temps d’Hécate
103 La transmission de l’oracle présuppose une organisation dont la figure d’aγγελος est
inséparable, voir Barnabò 1977b1978 : 163b165.
104 Konon, FGrH 26 F 1, 44 (Jacoby), cf. F 1, 33, sur Branchos et Farnell 1921 : 54b55. Sur le
προφ(της et les autres ministres d’Apollon Didymaios et le rapport entre le γTνος des Évangélides
et celui des Branchides, voir Fontenrose 1988 : 108, 165 ainsi que 45 sq.
105 C’est Déméter qui est appelée φοινικ,πεζα dans Ol., VI, 94. Voir Mannhardt 1884 : 236b
237 qui pense à Déméter traversant les champs de blé et la compare avec Jργυρ,πεζα (Thétis).
Pourtant, comme le signale Höfer 1978 : col. 2400, πTζα pourrait aussi se référer à la lisière d’un
vêtement. Duchemin 1955 : 209 parle des « brodequins de pourpre » qui montrent « la clarté qui
s’allumait sous les pas d’une déesse qui s’avançait ainsi dans le rayonnement d’une gloire sacrée ».
Wunderlich 1925 : 94 traduit l’épithète par « rotfüsig » ou « rotgesäumt » ; il insiste sur la « Lichtb
natur » d’Hécate et la compare à Éôs ÅοδοδKκτυλος.
106 Sur le caractère de cette intervention d’Hécate, voir von WilamowitzbMoellendorf 1913 :
251. Kraus 1960 : 65 souligne le caractère bienveillant de cette Hécate qui, selon lui, devait être
une divinité importante à Abdère pour que la mention de Pindare fût comprise par son public.
Quant à Hécate en Thrace, voir id., 64 sq.
107 Pind., Péan pour les Abdéritains, fr. 52b, 73b79 (Maehler) : J]λλK νιν ποτα Ä σχεδ¨ν ολ,ντα
φHρσει | βαιο‚ς σ·ν –ντεσιν | ποτ› πολ·ν στρατ,νÖ ˜ν δ™ ην¨ς | πρ[τον τHχεν αρÖ | aγγελε δ™
φοινικ,πεζα λ,γον παρθTνος | ε• ενªς NκKτα | τ¨ν ˜θTλοντα γενTσθαι ; une traduction différente
est donnée par Savignac 1990 : 432 ; von WilamowitzbMoellendorf 1913 : 251, interprète … ην¨ς
πρ[τον… αρ comme « à la nouvelle lune », jour qui serait, selon l’oracle, propice à
l’affrontement, tandis que Kraus 1960 : 65 pense qu’il s’agit plutôt d’une apparition d’Hécate à
l’aube (cf. l’apparition matinale d’Hécate − primi sub limina solis − chez Virgile, Énéide, VI, 255b
258). L’analyse du péan par Suárez de la Torre 1993 : 31b36 tient compte du rapport entre Hécate
et Apollon. Voir aussi les commentaires de Duchemin 1955 : 209 et de Tupet 1976 : I, 134b136.
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Apollon, un voisin prestigieux 143
108 Laumonier 1934 : 378, n° 41, Kraus 1960 : 13, n. 17, et p. 166, Annexe I, Carie, n° 7.
109 Laumonier 1958 : 457.
110 Laumonier 1958 : 458, tandis que Laumonier 1934 rappelle que dans le Delphinion de
Milet, Hécate et Artémis étaient toutes les deux ˜ντε Tνιοι d’Apollon.
111 Voir Van Gelder 1979 : 307 sq. et 311, Morelli 1959 : 128b129, 105 sq. Pour le culte
d’Hécate, nous pouvons renvoyer plus particulièrement à IG, XII, 1, 914, 915, 958, 742, 141 ;
Blümel 1991, nos 503, 586.
112 Sur Apollon Gποτρ,παιος, voir Nilsson 1967b74 : I, 544 et n. 3, Graf 1985 : 172, n. 84.
113 Kraus 1960 : 107b108.
114 Paton – Hicks 1891 : n° 370.
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144 L’espace et le temps d’Hécate
115 LSAM, 26 (dépenses sacrées), A, 1b4 : [Nκατηι ?] χο!ρου Η. τετ[Kρτηι]Ö | vacat Gπ,λλωνι
Gπ[οb] | τροπα!ωι, Nρ ε‚ (ç)ππ!ωι, γ[αλαb] | [θη]ν[ν δHο. Cf. Graf 1985 : 162 sq. ainsi que supra,
p. 104 et infra, p. 214.
116 LSAM, 26, B, 54b55 et BI, 87b88.
117 LSAM, 26, CI, 96 avec la conjecture de F. Graf.
118 LSAM, 26, 5b8.
119 SEG, 9 (1944), 72, ll. 13b14.
120 Voir Oliverio 1928b29 : 113b125 et Stucchi 1975 : 199.
121 SEG, 9 (1944), 123 et 124.
122 SEG, 9 (1944), 146.
123 SEG, 20 (1964), 718 et LSS, 133, cf. PugliesebCarratelli 1961 : 456b457.
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Apollon, un voisin prestigieux 145
établir entre les deux divinités. Un danseur ambulant à qui la cité de Delphes avait
octroyé la citoyenneté exalte le pouvoir d’Apollon Pythien et d’Hécate « des
routes » : [ΜTγα]ς ΠHθιος Gπ,λλων | [ΜεγK]λη Εzνοδ!α NκKτη124.
Estbce uniquement un accident qui a réuni ici le dieu de Delphes et la déesse
des voyageurs, à laquelle l’artiste honoré doit également en être reconnaissant ?125.
4. Wκατος – XκUτη
Avant de clore la discussion sur les rapports entre Hécate et Apollon, il est
utile de se pencher sur une série d’épithètes qui rapprochent ces deux divinités.
Commençons par la question du couple mystérieux NκKεργος et NκαTργα.
Apollodore de Corcyre raconte comment, lors de la purification d’une peste à
Milet, le prêtre d’Apollon à Didymes, le légendaire Branchοs (connu comme
l’amant ou encore comme le fils du dieu), purifia le peuple de Milet en
l’aspergeant au moyen de branches de laurier et en l’incitant à invoquer un
couple divin : Tλπετε, ï πα‚δες NκKεργον κα› NκαTργαν. La foule a répondu
dans une langue semibbarbare incompréhensible, telle une formule « magique »
dont l’efficacité serait multipliée par son impénétrabilité même : « βTδυ, ζKψ,
χθ’ , πλˆκτρον, σφ!γξÖ κναξζβ!χ, θHπτης, φλεγ ,, δρ’ψ »126.
Dans l’Iliade les Achéens, affligés par la maladie qu’Apollon leur avait enb
voyée, essayaient, eux aussi, de se concilier le dieu par le chant et la danse –
ολπž ; ils chantaient le péan toute la journée en chantant et en dansant en
l’honneur de NκKεργος – Tλποντες ²κKεργον127. Le verbe Tλπειν évoque
l’association des chantres, Μολπο!, dont le règlement a été examiné dans les
pages précédentes, tout comme les performances lyriques d’Apollon luibmême.
Μολπα! : ainsi sont encore appellés les hymnes magiques adressés à Apollon et
les chansons efficientes, destinées à provoquer des manifestations divines128.
À Milet, l’hymne en question semble destiné aussi bien à apaiser la colère
des dieux responsables du mal qu’à maîtriser d’une façon savante leur pouvoir
nocif. Le récit met alors en scène le couple NκKεργος et NκαTργα dans une cité
en crise, en proie à une épidémie nécessitant de moyens de purification particub
124 Robert 1929 : 426b438 ; Homolle 1930 : 101b103, n° 69 (décret de la ville de Daulis).
125 Voir aussi un décret honorifique de Daulis (à l’est de Delphes) datant de 87b85 av. J.bC.
demandant que deux portraits d’un bienfaiteur (Hermias de Stratonicée) soient déposés en signe
de reconnaissance, le premier à Delphes, dans le sanctuaire d’Apollon, et le deuxième à Stratonib
cée, dans le sanctuaire d’Hécate. Homolle 1930 : 101 sq. ; Pomtow 1991 : 181, n° 168, ll. 16b17
restitue le texte différemment, à savoir en attribuant le deuxième sanctuaire à Zeus.
126 Clém., Strom., V, 8, 48, 4b7 (Stählin), citant Apollodore de Corcyre. L’épisode est raconté
aussi par Call., fr. 194 (Iambus 5), 27 sq. (Pfeiffer). Cf. Laumonier 1958 : 570 et Fontenrose 1988 :
108b109.
127 Hom., Il., I, 472b474.
128 Lewy 1978 : 57b58.
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146 L’espace et le temps d’Hécate
lièrement puissants, situation proche de celles qui surgissent, comme on l’a vu,
à travers les textes oraculaires qui conseillent l’intervention d’Apollon archer
« devant les portes » de la cité.
En réalité, l’identité de la divinité masculine du couple ne pose pas problème :
NκKεργος, utilisé seul ou en surnom, s’intègre à l’ensemble des épithètes apollib
niennes désignant le dieu comme « archer ». Déjà dans la poésie épique, épithète
et attribut sont liés : « Quoi ! tu fuis Préservateur – NκKεργε – […] Pourquoi asb
tu un arc, s’il ne te sert à rien ? »129. Suivent, plus tard, les rapprochements érudits
des lexicographes : « NκKεργος Apollon, ainsi appelé par le fait de défendre de
loin – παρ¯ τ¨ ±καθεν εŸργειν – ou parce qu’il œuvre, c’estbàbdire qu’il lutte de loin
[…], par conséquent, il est celui qui agit de loin – I π,ρρωθεν ˜Tργων –, qui œuvre
et lutte de loin ; l’archer »130.
L’NκαTργη invoquée par Branchos serait vraisemblablement identifiée à
Artémis ; non seulement l’apparition des Létoïdes en couple dans un hymne n’a
rien d’étrange131, mais aussi leur action associée en cas de λοι ,ς est très conb
nue132. Toutefois, NκαTργη perd sa transparence, une fois dissociée de son
pendant masculin. Selon l’étymologie mentionnée – παρ¯ τ¨ ±καθεν εŸργειν etc.
– nous serions amenés à la reconnaître toujours comme Artémis, sœur d’Apolb
lon et archère célèbre. Or l’épithète au féminin ne désigne que rarement ailleurs
Artémis133. Une occurrence ambiguë dans une épigramme funéraire ferait plutôt
pencher la balance en faveur d’Hécate : « si quelqu’un soulève le couvercle de
cette urne, qu’il soit fautif envers NκαTργη, lui et tout ce qui lui appartient »134.
NκαTργη est aussi le nom d’une des vierges hyperboréennes, premières porb
teuses des offrandes à l’île de Délos135 dont les tombes feront l’objet d’un culte
près du temple d’Artémis136. Il s’agit du peuple mythique, fervent d’Apollon,
dont les noms correspondent aux épithètes du dieu luibmême et à celles de sa
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148 L’espace et le temps d’Hécate
143 Eur., fr. 968 (Nauck) = 42c (Snell) et Hécube, 1265 et 1273. Nous allons revenir au sort
d’Hécube, voir infra, p. 261b265. Cf. Burkert 1985 : 65 et Usener 1913 : 29, n. 54 ; sur l’étymologie
moderne, cf. de Simone 1970 et Derossi 1971b1974 : 22 et 85.
144 Voir, entre autres, Prellwitz 1929 : 145 sq. Sa proposition permettrait une lecture du pasb
sage de la Théogonie d’Hésiode consacré à Hécate. Chantraine 1999 : s.v. ²κηβ,λος, préfère lui aussi
la traduction « qui tire de son plein gré ». Kraus 1960 : 15 sq. trouve que la théorie de W. Prellwitz
présente des avantages, mais qu’elle ne peut pas expliquer la nature d’Hécate.
145 Cf. de Simone 1970 : passim.
146 Voir, entre autres, Steuding – Rocher 1884b1937 : col. 1899, §4 qui associent cette étymob
logie à l’effet de distance que provoque la lumière.
147 Miroux 1981 : 107b125, cf. 118b119.
148 Miroux 1981 : 119.
149 Von WilamowitzbMoellendorff 1931 : 325 a soutenu que les noms Lκατος et NκKτη
étaient d’origine d’Asie Mineure. Kraus 1960 : 16 se demande si le nom d’Hécate était compréb
hensible par les Grecs et le compare avec celui de la déesse Hepa(t) des Hurrites. Il avoue aussi la
grande difficulté de l’identification de la langue à laquelle ce nom appartient.
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Apollon, un voisin prestigieux 149
seul trait.
155 Etym. M., 320, 9b10 (Gaisford). Dans le même dictionnaire, nous trouvons une interprétab
tion qui tient compte de l’assimilation d’Apollon au soleil (qui n’est pas antérieure à Eschyle) :
« parce qu’il est le même que le soleil et qu’il projette de loin − ±καθεν − ses rayons ».
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150 L’espace et le temps d’Hécate
HhAp., 1b2.
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Apollon, un voisin prestigieux 151
leurs rayons. Ils s’appellent donc l’un ±κατος, l’autre ²κKτη, parce qu’ils émettent la
lumière et l’envoient auprès de nous de loin – τÄ ±καθεν δεÀρο JφιTναι κα›
JποστTλλειν τ¨ φ[ς – ; ainsi, il convient de les appeler aussi : ceux qui lancent leurs
traits au loin – ²κατηβ,λους »162.
L’explication des noms NκKβη comme œ ±καθεν βεβηκυ‚α πρ¨ς τ¨ν aνδρα,
« l’épouse qui est venue de loin »163 et Nκα (δη, παρ¯ τ¨ ±κας (δεσθαι, « parce
que sa pensée va loin »164 certifie l’importance de la notion de « loin » pour ces
deux figures féminines qui se trouvent hors du champ des divinités archères.
Quel serait alors le poids de tous ces essais d’étymologie par le recours à ±κας et
de la fortune importante d’±κατος en tant qu’épithète de l’Apollon archer pour
la compréhension du nom d’Hécate ? Nous pourrions formuler plusieurs hypob
thèses autour de l’expression de l’idée de « loin » à travers la figure de la déesse :
Hécate, déesse gardienne, pourrait être « celle qui écarte les maux », « celle qui
accompagne au loin » ou – comme on l’a vu en cherchant les significations du
nom NκαTργη – Iphigénie nommée Hécate « celle qui s’éloigne d’un mode
d’existence antérieur, c’estbàbdire la métamorphosée » et, de là, « celle qui préside
aux changements de la vie : naissance, croissance, mariage, mort ». Cependant,
aucune de ces interprétations ne prévaut clairement ; nous pourrions même les
multiplier sans pouvoir pour autant briser le mystère de la perception de son nom
par les anciens.
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152 L’espace et le temps d’Hécate
Conclusion
Apollon (notamment en tant qu’GγυιεHς et/ou ΠροπHλαιος) a comme
champ d’intérêt plutôt le domaine de la fondation de villes et de l’architecture.
Contrairement à Hécate, qui va jusqu’à incarner l’impur, afin de gérer le danger
de pollution, Apollon agit en archer en éloignant les fléaux d’un périmètre
protégé. Nous avons essayé de mettre en évidence les caractéristiques qui
montrent la complémentarité des deux divinités, sans vouloir ranger ces
éléments dans une grille de relations toujours bien ordonnées et prévisibles. Le
rapprochement avec l’Xγγελος de Didymes, une figure sans doute liée au
pouvoir oraculaire d’Apollon, demeure hypothétique. De même, l’emploi par
Pindare du verbe JγγTλλειν pour désigner une prévision faite par Hécate ne
suffit pas pour faire de cette déesse une compagne d’Apollon dans un contexte
oraculaire aussi ancien. En revanche, il nous semble important de souligner la
possibilité d’une existence autonome d’Hécate à côté du couple Apollonb
Artémis, ainsi que la facilité avec laquelle cette déesse, que nous n’avons pas
l’habitude de rencontrer parmi les divinités poliades, peut s’introduire, surtout
en Asie Mineure, dans le paysage hautement politique d’Apollon. Le rôle et le
caractère antinomique d’Hécate, déesse des marges et des marginaux dans le
domaine de la π,λις, seront également traités dans le chapitre suivant, consacré
au couple HermèsbHécate.
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Chapitre III
Hermès et Hécate :
l’espace survolé et condensé
3. Un ménage assorti ?
S’il fallait choisir parmi les dieux un compagnon pour Hécate, Hermès serait
de loin celui qui conviendrait le plus. Omniprésent sans pour autant disposer de
grands sanctuaires, il est apparemment son voisin le plus habituel. Franchissant
toute limite, notamment en sa qualité de messager divin, il croise régulièrement
Hécate aux entrebdeux évanescents du monde. La fonction de médiation que
tous les deux partagent fait qu’on les trouve souvent ensemble dans les cultes à
mystères, les hymnes et les recettes magiques.
Malgré les affinités des deux divinités, certains trouveront toujours le couple
mal assorti : Hermès, beau garçon et sympathique, compagnon des Nymphes et
des Charites, grand séducteur (on lui pardonne généreusement ses rapports
avec les morts et les sorciers), ne mériteraitbil pas une compagne un peu plus
charmante ? Nous avons, d’ailleurs, remarqué avec quelle véhémence, dans les
scholies à l’Alexandra de Lycophron, Hécate Βρι ’ avait repoussé ses avances1.
En effet, malgré l’image de korê élégante que nous transmettent la peinture
sur céramique ainsi que la statuaire, les plaisanteries sur le peu d’attraits
qu’offrait la déesse ne manquaient pas dans l’antiquité, en commençant par
Aristophane2. Une épigramme satirique fait du caractère monstrueux de
l’apparition d’Hécate la mesure de la laideur extrême : « Bitô a une trogne trois
fois plus grimaçante qu’une guenon ! À sa vue, Hécate ellebmême, j’en suis sûr,
se pendrait ! – οÍον zδοÀσαν | τªν NκKτην α•τªν οŸο ᾽ Jπαγχον!σαι « je suis
chaste, Lucillius », affirmebtbelle, « et je couche seule »3.
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154 L’espace et le temps d’Hécate
4 Farnell 1896b1909 : V, 17b20 et 66b67 et Raingeard 1934 : 468b469. Selon Eitrem 1909a : 10b
24 et 34b41, Hermès serait lié aux portes et aux triodoi (lieux où l’on enterrait les morts à une
époque très reculée) en tant que dieu des morts. Cette explication survalorise le culte des morts,
mais nous trouvons toujours intéressante la présentation des diverses coutumes et croyances qui
concernent les portes et les triodoi. Sur le rapport entre Hermès et les portes, voir aussi
Christopoulos 2006 : 310b311, Jaillard 2007 : 66.
5 Voir Philochore, FGrH 328 F 40 (Jacoby), schol. Ar., Pl., 1153 et 923 (Dübner), Thuc., VI,
27, 1 respectivement, cf. Souda, s.v. Nρ ˆς I πρ¨ς τž πHλιδι (Adler) : hermès érigé près d’une porte,
au Pirée en 395/4, lors de la reconstruction des murs.
6 Ar., Paix, 178 sq. (Olympe). Le plus souvent c’est l’aspect de guide qui implique Hermès
dans toutes sortes de communication entre morts et vivants ; selon les pythagoriciens, l’aspect de
dieu des portes et celui de dieu chthonien sont étroitement liés : Diogène Laerce, Vitae
Philosophorum, VIII, 31 (Long) : τ¨ν δ᾽ Nρ ˆν τα !αν ε©ναι τ[ν ψυχ[ν κα› δι¯ τοÀτο πο πα‚ον
λTγεσθαι κα› πυλα‚ον κα› χθ,νιον… Cf. Soph., Él., 108b118 (Électre invoque Hermès « chthonien »
devant les portes de la tombe paternelle, − τ[νδε πατρ ων πρ¨ θυρ[ν − avec d’autres divinités
chthoniennes).
7 Marcadé 1952 : 616.
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 155
8 Voir Page 1981 : 378b379, nos 23 et 24 : présence d’Hermès aux lieux qui invitent les passants
(Iδ‚ται) à reprendre haleine et à se désaltérer (23, 4). Les deux dédicaces insistent particulièrement
sur la fatigue qui alourdit les jambes (23, 6 : γυιοβαρªς κK ατος, cf. 23, 1b3 et 24, 1b2) et sur la chaleur
caniculaire (23, 7 et 24, 7 : καÀ α/ σθ α κυν,ς) : une petite pause auprès de la statue d’Hermès
Εzν,διος aidera le voyageur à repartir le pied léger. Hsch., s.v. Nρ ˆς τρικTφαλος (Latte).
9 Voir Paus., I, 22, 8, déjà cité et IG, I2, 310, 192b194 (429/8 av. J.bC.) respectivement. Le
problème pour accepter qu’Hermès et Hécate fassent caisse commune est que [N]κKτες n’est pas
sûrement liée à Gρ[τ]T ιδος, mais pourrait constituer une entrée indépendante : Harrison 1965 :
124, n. 125 (d’après la lecture de Wesley Thompson). Cependant, la succession des divinités dans
la liste des comptes ne peut être fortuite. Nous savons, d’ailleurs, que l’Artémis Hécate de l’Acrob
pole pouvait être désignée aussi bien comme Artémis − IG, II/III2, 5050 (III, 268) − que comme
Hécate (Paus., II, 30, 2). Kraus 1960 : 85 accepte l’association.
10 Paus., I, 22, 8 considère Hermès ΠροπHλαιος comme l’œuvre du philosophe Socrate.
L’attribution à Alcamène s’appuie sur le distique gravé sur le fût de l’Hermès de Pergame, censé
reproduire le modèle de l’Hermès ΠροπHλαιος athénien : Εzδ(σεις Gλκα Tνεος | περικαλλ™ς
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156 L’espace et le temps d’Hécate
cas, les deux statues auraient été érigées, sans doute, à la même période (430b
410 av. J.bC.). Leur style archaïsant correspondrait à l’esprit de retour aux
Fig. 33a traditions ancestrales qui apparaît déjà à leur
époque. L’historien Théopompe, en parlant de
la piété exemplaire de Cléarque de Methydrion
(Arcadie), énumère les sanctuaires d’Hermès et
d’Hécate parmi ceux qui ont été légués par les
ancêtres : Þ δª το·ς προγ,νους καταλιπε‚ν…11.
Qu’il s’agisse d’une œuvre d’Alcamène ou non,
les dédicaces trouvées sur l’Acropole attestent
l’existence, à partir d’une date assez récente,
d’un pilier d’Hermès à proximité d’Artémisb
Hécate Sπιπυργιδ!α12.
Toujours à Athènes, le couple Hécateb
Hermès était probablement chargé de la
surveillance de l’entrée de l’Asclépieion au flanc
sud de l’Acropole. Sur les faces latérales d’un
relief votif du IVe s av. J.bC.13 nous pouvons
voir, à gauche, Hécate dans une attitude hiérab
tique et tenant dans chaque main une longue
torche allumée, à droite, un pilier hermaïque ;
sur la face principale Asclépios, dans un naïskos,
reçoit « en famille » (accompagné d’Žγ!εια et
Sπι’νη) une procession d’adorants (Fig. 11a*b).
Selon E. Harrison, « one has the impression
that the herm is the Propylaios of the sanctuary and the Hekate the Prothyraia
of the temple »14. En fait, Hermès, situé du côté des adorants, semble être
aγαλ α | Nρ ¼ν τ¨ν πρ¨ πυλ[ν | εŸσατο ΠεργK ιος, « Voilà la statue magnifique d’Alcamène,
Hermès qui se tient devant les portes, installé par Pergamios ». Voir, entre autres, Conze 1904 : 70 et
Capuis 1968 : 15b16. Selon une hypothèse de Bousquet 1956 : 565b579, l’attribution erronée de
Pausanias serait due à la maxime γν[θι σαυτ,ν, « connaisbtoi toibmême » que porterait l’hermès
(selon le modèle de Pergame). Harrison 1965 : 122b124 et Siebert 1990 s’opposent à l’identification
du chefbd’œuvre d’Alcamène avec le monument vu par Pausanias, voir Zagdoun 1989 : 151b152.
11 Porph., De l’abstinence, II, 16, 4b5 = Théopompe de Chios, FGrH 115 F 344 (Jacoby). Cf.
Jost 1985 : 440 qui, pourtant, considère l’association comme fortuite et Rohde 1952 : 330, n. 1
(Hermès et Hécate en tant que θεο› πατρÄοι).
12 Voir Harrison 1965 : 122. Signalons aussi l’existence, selon Plut., Thésée, 12, 7, d’un Hermès
des Portes d’Égée dont la localisation reste énigmatique.
13 Athènes, MN 1377. Voir, entre autres, Neumman 1979 : 49, 66 sq., fig. 27a ; Simon 1985 : 280
(pl. 53, 1b2) ; Harrison 1965 : 96 et n. 63b64 ; Sarian 1992 : 993, n° 50 et Holtzmann 1984 : 881, n°
201. Sur d’autres traces d’Hermès dans la même enceinte, voir Raingeard 1934 : 111 et 113.
14 Harrison 1965 : 96. Lullies 1931 : 50 croit qu’il s’agit d’une allusion à Hermès ΠροπHλαιος et à
Hécate Sπιπυργιδ!α de l’Acropole. Kraus 1960 : 169, 4a, signale la découverte d’une base d’un triple
hekataion dans le sanctuaire d’Asclépios à Athènes. C’est grâce à son rôle de protectrice des
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 157
Fig. 33b
L’association des deux divinités avec Asclépios n’est pas étonnante15. À
Épidaure, une inscription du IIIe siècle av. J.bC. consacre un autel rond à une
déesse dont nous pourrions conjecturer le nom à partir des quatres dernières
lettres qui sont conservées : [Nκ]Kτας | [Gν]δροπε!θης16. Nous savons qu’au
moins à partir de l’époque romaine, Artémis jouissait d’une grande popularité et
qu’elle était, entre autres, honorée comme Artémis Hécate : un triple hekataion
sanctuaires qu’Hécate est très probablement présente parmi les divinités du « relief de Xenocrateia »
dont fait partie également Hermès, voir Sarian 1992 : no 106 et Larson 2001 : 131b132.
15 On ne sait pas si Bdélycleon a l’intention d’amener son père pour le guérir de sa folie aux
mystères d’Hécate ou au sanctuaire d’Asclépios à Égine : Ar., Guêpes, 118b124 et Schol. ad. loc. A
Cyrène, Hécate est associée aux divinités de la santé : SEG, 9 (1984), 146 : [NκKτας, Žγιε![ας], |
Πανακε!ας, | Øρακλ[εÀς]. Voir aussi Ferri 1923 : 10, n° 8. Quant à Hermès, nous le trouvons au
Pirée (où Asclépios s’était primitivement installé en terre attique) parmi les bénéficiaires des
gâteaux sacrificiels − π,πανα −, voir IG, II2, 3, 1, 4962 (début du IVe s. av. J.bC.) : « Dieux. Offrir
des sacrifices préliminaires − προθHεσθαι − selon les prescriptions suivantes : à Maléatas trois
gâteaux, à Apollon trois gâteaux, à Hermès trois gâteaux, à Iasô trois gâteaux, à Akesô trois
gâteaux, à Panakeia trois gâteaux, aux chiens − κυσ!ν − trois gâteaux, aux meneurs des chiens −
κυνηγTταις − trois gâteaux ».
16 IG, IV1, 1281 = IG, IV, 12, 196. Autre conjecture Ε•π]Kτας.
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158 L’espace et le temps d’Hécate
17 L’inscription est publiée aux IG, IV, 12, 499. Quant à l’hekataion, voir Kavvadias 1885 : 52,
pl. 2, 12b12a ainsi que Kavvadias 1900 : 134 (en ce qui concerne l’endroit où il a été trouvé). Cf.
Kraus 1960 : 155, n. 648 (datation), 174, A18 (description), 169, 4b et pl. 23, 2.
18 IG, IV, 12, 276. Voir aussi Kavvadias 1884 : 27, n° 71. À Épidaure, Artémis était appelée,
entre autres, Sνοδ!α (IG, IV, 12, 273b274) et Σ’τειρα (IG, IV, 12, 506), épithètes que portait
également Hécate.
19 IG, IV, 12, 515. Pour les propylées de ce sanctuaire, voir Kavvadias 1900 : 140b143.
20 Marcadé 1969 : 44, 47, 49.
21 Voir Homolle 1884 : 294b295, n° 7.
22 En 345/343 av. J.bC. les Déliens avaient demandé auprès de l’Amphictionie delphique que
le contrôle du sanctuaire soit retiré aux Athéniens. Ces derniers, ayant réussi à conserver leur
droits, réaffirmeraient ainsi symboliquement leur domination : voir Hermary 1979 : 146.
23 Voir Segre – PugliesebCarratelli 1949b1951 : 244, n° 116 et supra, p. 103. Cf. Morelli 1959 :
128b129, qui commente l’expression πTσσε ταHτα(ι) et Sophron chez Athénée, III, 110c.
24 PugliesebCarratelli 1952b54 : 264b265, n° 12, inscription sur un cippe cylindrique.
25 Inscription pour un grammairien IG, XII, 1, 141 (« …Plouton et Corè l’ont établi dans leur
demeure, Hermès et Hécate la portebflambeau, l’ont placé pour être cher à tous, lui, l’épistate des
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 159
mystiques en récompense de sa foi absolue… »). Voir Raingeard 1934 : 237 dont nous citons la
traduction. Schol. Ar., Paix, 649 (Dübner) : Hermès est Chthonien et ΚαταιβKτης, « qui fait
descendre » à Rhodes et à Athènes.
26 Une pélikè de 470b460 av. J.bC., qui représente un groupe des trois piliers hermaïques, –
représentation très probablement inspirée par les piliers que Cimon a fait ériger afin de comméb
morer la victoire d’Eion – exprime la tendance à la multiplication des hermès dans les lieux
publics : Paris, Louvre, Campana 10793, ARV2, 555, 92. Sur les hermès dans l’agora attique, voir,
entre autres, Furley 1996 : 13b15.
27 Porph., Abst., II, 16, 4b5 = Théopompe, FGrH 115 F 344 (Jacoby), cf. Jaillard 2004 : 871,
Boedeker 2008 : 237 et Faraone 2008 : 211, 217 qui pense qu’il s’agit, dans le passage en question,
d’un hekataion ancestral dressé devant les portes ; toutefois, les auteurs anciens parlent en général du
rythme lunaire des offrandes à Hécate des triodoi, voir infra, p. 210 (offrandes de la nouvelle lune).
28 Porphyre cite ce passage de Théopompe dans son œuvre sur l’abstinence de la nourriture
carnée. Nous savons cependant qu’Hermès est un amateur de viande grillée et qu’on lui offre des
animaux divers (agneaux, chevreaux, béliers etc.). Hécate reçoit aussi diverses victimes animales,
mais en tant que Τριοδ‚τις elle préfère, comme on le verra, les petits chiens.
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160 L’espace et le temps d’Hécate
29Harp., s.v. NκKτης νˆσος (Dindorf) et Souda, s.v. NκKτης ν(σου (Adler).
30Athénée, XIV, 645abb (πλακοÀς nommé J φιφ[ν), Phot., s.v. αγ!δες (Naber) assimile ces
offrandes/moyens de purification (supra, p. 116, n. 157) aux ¼ζαι, tandis que dans les Schol. Ar.,
Pl., 594 (Dübner) les ingrédients des δε‚πνα d’Hécate sont définis comme aρτοι κα› aλλα τινK.
31 Pour Hécate, voir Pollux, VI, 76 (Bethe) et Souda, s.v. βοÀς ±βδο ος (Adler) : forme de
croissant ; et pour Hermès, voir Hsch., s.v. Nρ ˆς (Latte) : forme de caducée.
32 Antiphilos de Byzance, Anth. Pal., VI, 199, 4.
33 Schol. Ar., Paix, 924 (Dübner) ; d’après les scholies, la consécration d’une statue pouvait
aussi être célébrée avec une offrande plus somptueuse, un bœuf, une chèvre etc. Mais les vers
923b924 de la Paix ne laissent pas de doute que c’est en général avec les offrandes les plus humb
bles qu’on consacrait Hermès devant les portes des maisons : « − Quoi d’autre que d’installer la
déesse en lui offrant des marmites ? − χHτραις ¦δρυτTον −Des marmites comme pour un méchant
petit Hermès ? − ΧHτραισι Ñσπερ ε φ, ενον Nρ ðδιον », cf. Purvis 2003 : 10 et Pirenneb
Delforge 2008b : 103b110. On offrait des marmites de panspermie analogues en l’honneur des
morts et de l’Hermès chthonien lors de la fête des ΧHτροι (le troisième jour des Anthestéries).
34 Luc., Cat., 7, 1b4 : ποÀ δ᾽ I φιλ,σοφος Κυν!σκος, üν –δει τˆς NκKτης τ¨ δε‚πνον φαγ,ντα κα›
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 161
38 Pour les hermès d’Hermès, voir, entre autres, FrontisibDucroux 1986 : 199b204, Durand
1992 : 25b34 et Pritchett 1998 : 121b137.
39 Car le style « carré » du pilier hermaïque, qui se rapporte à la tradition des kouroi, est censé
exprimer un caractère rigide et statique. Voir Svenbro 1984 : 154b157.
40 Voir, entre autres, Harrison 1965 : 86b107 (hekataia) et 108 sq. (hermès) ainsi que Fullerton
1982 : 24b42 (non vidi). Sarian 1992 : 1051, après avoir souligné la persistance des éléments
archaïsants des hekataia, conclut : « C’est donc la religion, plus que l’art, qui se trouve à l’origine
du conservatisme stylistique des Hécates trimorphes archaïsantes ». Cf. Steiner 2001 : 92. Quant à
l’Hécate d’Alcamène, voir aussi infra, p. 245b248.
41 Une anecdote sur Eschyle nous donne une idée de cette valorisation du passé, Porph.,
Abst., II, 18, 2 : « …Eschyle, prié par les Delphiens d’écrire un péan en l’honneur du dieu,
répondit que le meilleur était l’œuvre de Tynnichos et que si l’on comparait le sien avec celuiblà, il
lui arriverait ce qui arrive aux statues nouvelles comparées aux anciennes… ».
42 Paus., II, 30, 2.
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162 L’espace et le temps d’Hécate
c’est que le type est défini comme attique. Si pour la triple Hécate nous ne
disposons que du témoignage de Pausanias, la particularité du pilier hermaïque est
régulièrement rapportée par les auteurs grecs à la piété attique43. En effet, les
Athéniens ont toujours eu tendance à s’approprier les nouveautés religieuses,
quelle que soit leur provenance. Thucydide, dans son récit de la mutilation des
hermès en 415 av. J.bC., considère la forme quadrangulaire des hermès aussi bien
devant les demeures particulières que devant les sanctuaires – ˜ν zδ!οις προθHροις
κα› ˜ν ¦ερο‚ς – comme typiquement attique – κατ¯ τ¨ ˜πιχ’ριον œ τετρKγωνος
˜ργασ!α44. Cette information est confirmée par Pausanias, qui compte la conséb
cration des hermès « sans bras ni jambes » – Jκ’λους Nρ ¼ς – parmi les manifesb
tations d’une ferveur religieuse de la part des Athéniens45. Même en Arcadie, terre
natale d’Hermès, le Périégète, ayant devant ses yeux une des représentations quab
drangulaires du dieu, ne manque pas d’observer le « rôle pédagogique » d’Athènes
en matière de religion : « En Arcadie, sur la route qui mène à Mégalopolis, il y a
aux portes – τα‚ς πHλαις – un Hermès de style attique. Car la forme quadrangub
laire des hermès est propre aux Athéniens – Gθηνα!ων γ¯ρ τ¨ σχˆ α τ¨ τετρKb
γωνον ˜στιν ˜π› το‚ς Nρ α‚ς – et les autres l’ont apprise par eux »46. Hérodote, de
sa part, centre son intérêt sur l’ithyphallisme des hermès – ¾ρθ¯ þν –χειν τ¯ αzδο‚α
τJγKλ ατα τοÀ Nρ Tω –, trait novateur que les Athéniens auraient transmis aux
autres cités grecques après l’avoir copié sur les Pélasges de Samothrace47.
Les hermès, à l’instar des hekataia, pouvaient parfois avoir plusieurs têtes
(Fig. 12). Si le type le mieux représenté est l’hermès bicéphale, nous connaissons
aussi des hermès à trois ou encore à quatre têtes, ce qui montre une relative
liberté par rapport à la symbolique du nombre fixe qui gère les triples hekataia48.
Les trois ou quatres têtes, étant une caractéristique rare, contribuaient naturelb
lement à la célébrité des piliers hermaïques qui les portaient. Un tricéphale
connu se trouvait, par exemple, à Athènes, sur la route qui menait à Hestiée49.
Très célèbre était aussi le τετρακTφαλος du Céramique qui, posté à une triodos
près de la voie des Panathénées – ˜ν τž τρι,δ° τž ˜ν Κερα εικÄ –, était sans
doute une station pour les processions50. Apparemment, soit le nombre de têtes
49 Harp., s.v. τρικTφαλος (Dindorf). Selon Souda, s.v. ΤρικTφαλος (Adler) qui cite Philochoros,
FGrH 328 F 22 (Jacoby), il s’agirait de l’hermès consacré par l’amant d’Hipparque. Sur cet
hermès, voir aussi Wycherly 1957 : 108 et Judeich 1931 : 188. Cf. Lyc., Alex., 680 qui mentionne
un hermès tricéphale de Nonancris : ΝωνακριKτης, ΤρικTφαλος, Φαιδρ¨ς θε,ς.
50 Hsch., s.v. Nρ ˆς τρικTφαλος (Latte). Voir aussi Phot., s.v. Nρ ˆς τετρακTφαλος (Naber) et
Eustathe, Comm. ad Il., 4, 914, 4b6 (Van der Valk), selon lequel cet hermès portait l’inscription :
« Hermès à quatre têtes − τετρακTφαλε −, belle œuvre de Télésarchide, tu vois tout − πKνθ᾽ IρKας ».
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 163
Voir une image caractéristique sur un skyphos : ARV2, 1627, 520b510 av. J.bC. (image sur un
skyphos), cf. Siebert 1990 : 304, n° 140.
51 Voir, entre autres, Raingeard 1934 : 376b377 ; Anthologie de Planude, IV, 234 (Hermès, Pan et
Héraclès). La polycéphalie hermaïque est un trait qui concerne tant des hermès janiformes que les
doubles ou triples hermès. Voir aussi notre figure 12.
52 Type postérieur à celui d’Alcamène dont nous connaissons relativement peu d’exemples,
originaires surtout de Délos. Voir Sarian 1992 : 1003b1004, nos 195b205, cf. 1004, nos 208b215
(triple Hécate hermaïque sur des vases, des reliefs et des monnaies).
53 Athènes, Musée National 1902, cf. Kraus 1960 : 141, n° 31, Petersen 1881 : 26 sq. et
Raingeard 1934 : 377.
54 Souda, s.v. τρικTφαλος (Adler).
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164 L’espace et le temps d’Hécate
propre triplification, mais aussi par la naissance de trois filles (une allusion aux
danses des trois korai autour des hekataia ?) : ñ ˜πεισελθæν τž NκKτ τρε‚ς –σχεν
˜ξ α•τˆς θυγατTρας55.
La mention des trois filles est significative car, beaucoup plus que la polycéb
phalie du pilier hermaïque, c’est le lien – très bien attesté aussi dans l’iconograb
phie56 – d’Hermès avec des groupes de trois déesses (des Nymphes, des Charib
tes, voire des Euménides) qui crée un climat propice à son association avec la
triple Hécate57. En effet, le relief des Charites signalé par Pausanias à l’entrée de
l’Acropole peut constituer comme un lien indirect entre Hermès ΠροπHλαιος et
les trois figures d’Hécate Sπιπυργιδ!α58. À noter qu’à Athènes le culte des
Charites et d’Artémis Hécate Sπιπυργιδ!α est servi par le même prêtre, au
moins à partir du Ier siècle av. J.bC.59, tandis qu’une inscription plus tardive (IIeb
IIIe siècle après J.bC.) mentionne un Nρ ˆς Πυλ(της κα› Χαριδ’της, « Hermès
des portes, dispensateur des grâces »60. Si Hermès est le guide traditionnel des
chœurs des trois κ,ραι, Hécate finit par s’unir avec elles dans un jeu de miroir.
Les trois κ,ραι dansantes autour des hekataia hellénistiques ne feront
qu’accentuer cette relation immédiate entre les deux divinités61.
En résumé, les similitudes entre les hekataia et les hermès, qui ont entraîné
leur fusion dans le type d’hermès d’Hécate en nourrissant un discours théolob
gique, sont notamment : l’existence des éléments non anthropomorphes, la
multiplication des têtes ou des corps, le caractère prononcé d’image cultuelle et
l’appartenance au répertoire de la sculpture archaïsante. Parmi les éléments
révélant la spécificité des uns et des autres nous avons au contraire distingué,
outre les attributs et caractéristiques propres à chaque figure divine (caducée,
barbe, phallus, torches, chiens etc.), l’existence des inscriptions hermaïques,
indice d’une fonctionnalité propre à l’hermès, et les règles de multiplication
(respectivement duplicité et triplicité) impliquant le spectateur d’une façon
différente selon les cas.
Pan et les Nymphes), Paus., I, 28, 6 (Hermès, Plouton, Gê et les Euménides), Simonide d’Amorgos,
fr. 20, West (Hermès et les Nymphes) et Cornut., 16, 20, 15 (Lang) : œγε æν Χαρ!των, « Conducteur
des Charites ».
58 Paus., I, 22, 8. Voir infra, p. 245 sq.
59 IG, II2, 5050.
60 IG, II2, 3664, 3b4. Hermès est connu comme Χαριδ,της également à Samos : Plut., Aetia
Rom. et Gr., 303d. Dans l’HhHerm., 12 il est d’ailleurs salué comme Χαριδ’της et δ’τωρ ²Kων,
« qui donne tous les biens ». Voir Raingeard 1934 : 474.
61 Voir infra, p. 237b239.
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 165
62 En ce qui concerne cette épithète, voir Eitrem 1909a : 34b37 et Eitrem 1909b : 344. Sur
l’Artémis Στροφα!α d’Érythrées, voir Graf 1985 : 248b249.
63 Schol. Ar., Pl., 1153 (Koster et Dübner) ; cf. Eustathe, Comm. ad. Il., 4, 914, 3b8 (Van der Valk).
64 Kahn 1978 : 178. Hermès est le dieu qui gère toute condition d’échange – ˜πα ο!βι α –ργα
(HhHerm., 516).
65 Bavarder peut se dire γλωττοστροφε‚ν, « faire tourner sa langue » (Ar., Nuées, 792) et γλ’τb
της στρ,φιγξ est le « gond » (Ar., Gren., 892) d’une langue στρεπτ(, « virevoltante » ; voir Taillardat
1962 : 293, § 512. Pour l’aspect de trompeur, celui de brigand et de guetteur nocturne que peut
prendre Hermès, voir aussi Jaillard 2007 : 71b72 et passim.
66 HhHerm., 15 (πυληδ,κος). Pour Hermès ˜π› φυλακž τ[ν aλλων κλεπτ[ν, voir Souda, s.v.
Στροφα‚ος (Adler) et schol. Ar., Pl., 1153 (Dübner).
67 Voir, par exemple : Hom., Il., XXIV, 446, 453b457, 566b567 (violation des portes dans l’épib
sode de la visite de Priam chez Achille). Cf. Kahn 1979 : p. 206b208.
68 HhHerm., 23 et 146b147 respectivement.
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166 L’espace et le temps d’Hécate
de signaler un départ divin69. Ainsi, pendant qu’Hécate aux torches peut suivre
à pied le char de Coré ou d’autres mariées mythiques, Hermès est le προηγητ(ς
ou προπο π,ς, « guide » ou « conducteur » de la procession, et – plus rarement
– l’œν!οχος, « conducteur des chevaux ». À Érythrées, Hermès est connu, entre
autres, comme ΠHλιος ρ ατεHς, « dieu des courses en char » faisant certaineb
ment « rouler » vite ceux qui empruntaient sa porte70.
Parvenu devant les portes, Hermès les neutralise. Une fois en route, il évite
le contact avec le sol71 : il s’élance sur les flots comme une mouette72, il vole
grâce aux ailes de son pilos et de ses chaussures73, il glisse sur des sandales
trompeuses74. Il « anéantit » les distances avec la même aisance qu’il peut tout
subtiliser, des troupeaux, jusqu’aux femmes…75 ; contrairement à Hécate qui
préserve les entrebdeux, on pourrait dire que le dieu fait presque disparaître les
espaces qui le séparent de son but76. C’est donc aussi en « voleur d’espace » que
l’Hermès ‰,λιος, « Trompeur » rencontré par Pausanias sur la route pour Pelb
lené, « prêt à accomplir les vœux des hommes » pouvait exercer sa ruse au
profit du voyageur77.
En faisant avancer et communiquer, Hermès joue naturellement un rôle
social important : il accueille les étrangers, soutient les suppliants ou les amoub
reux ; bref, il aide les transactions de tous ordres78. Posté à l’entrée d’un gymb
nase « comme ornement de ce gracieux portique – ˜ρατο‚ς […] προθHροις », il
nous explique son rôle ainsi : « tous ceux qui le désirent, citoyens ou étrangers,
je les accueille au gymnase »79. À cette fonction hermaïque, Hécate répond par
69 Hermès excelle en matière de chevaux et de chars ; Hom., Il., XXIV, 440b442, 690b691,
HhHerm., 568 et HhDem., 375b383.
70 Engelmann – Merkelbach 1973 : 201d, 31 (Vente des prêtrises, 300b260 av. J.bC.). Rainb
geard 1934 : 469 et 475 soutient que cette appellation est descriptive, due à une représentation
d’Hermès monté sur un char, tandis que Graf 1985 : 272, tout en soulignant l’aspect sportif
d’Hermès à Érythrées, se montre plus réticent, quant à la justification de l’appellation.
71 C’est par une astuce analogue que le dieu fait glisser sa victime (la jeune Apémosyné qu’il
voulait conquérir), pourtant plus rapide que lui : Ps.bApollod., Bibl., III, 2, 1, cf. Eitrem 1909a : 53b
54 et Eitrem 1909b : 344b367, 346b347, qui trouve dans cette tradition rhodienne l’αŸτιον d’un rite
prénuptial.
72 Hom., Od., V, 43b54.
73 Sur les coiffures et chaussures ailées faisant partie de l’image canonique du dieu, voir, entre
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 167
Qu’il agisse poussé par son propre désir ou en tant que missionnaire accréb
dité de Zeus, Hermès part toujours d’un centre donné (le foyer de la maison, le
palais de Zeus, l’autel des douze dieux au milieu de l’agora d’Athènes) et ne perd
pas de vue sa destination. Si Hécate reste une accompagnatrice, qui a parfois la
tendance à se fondre avec la personne qu’elle accompagne (dédoublement qui
s’offre comme une réponse au déchirement de l’entrebdeux), il renvoie, lui,
obstinément au but du passage. Derrière sa panoplie « magique » (chapeau
d’Hadès, sandales ailées, baguette et philtres magiques, nuées et charme de la
musique), il existe un objet précis qui lui donne des ailes : une femme à séduire,
un message à transmettre, un morceau appétissant de viande à consommer.
Ainsi, à son aspect d’Sν,διος s’ajoute celui du dieu qui envoie et qui guide
toute mission ; Hermès, nommé Øγε ,νιος, Øγε ’ν, Gγ(τωρ, « Guide, Conducb
teur », Καθηγητ(ρ κελεHθου, « Qui montre le chemin »80 ou encore Πο πTυς,
Πο πα‚ος ou Πο π,ς, « Qui envoie, qui conduit »81, n’est nul autre que le dieu
des routes : « on l’installe aux routes et on l’appelle dieu des routes et dieu qui
conduit – ˜ν,διος […] κα› œγε ,νιος – car, pour toute action, c’est lui qu’il faut
prendre comme guide – πρ¨ς π¼σαν πρ¼ξιν œγε ,νι χρˆσθαι »82. Inévitablement,
le sceptre de héraut d’« Hermès conducteur » – Nρ οÀ προκαθηγTτου – force à
avancer – ˜στ› πορε‚ον – et indique la direction à suivre, notamment aux âmes
des morts83. La colère du dieu se manifeste d’ailleurs contre ceux qui ne suivent
pas son exemple : « … je redoute le terrible châtiment d’Hermès des routes –
Nρ Tω »ζ, ενος δεινªν Ùπιν εzνοδ!οιο – : on dit que parmi les dieux célestes
80 Ar., Pl., 1159. Voir aussi Arrien, Cynegeticus, 35 (Roos) où Hermès est cité parmi les dieux de
la chasse en tant qu’Sν,διος et Øγε ,νιος et Etym. M., s.v. Sνοδ!α (Gaisford) où Hécate −
probablement assimilée à Artémis − devrait son titre d’Sνοδ!α à son intérêt pour la chasse ; sur
Hermès Gγ(τωρ, voir Paus., VIII, 31, 7 ; sur Hermès Καθηγητªρ κελεHθου, voir IG, XII, 1, 44
(Rhodes, Ier s. av. J.bC., dédicace faite par un stratège). Cf. Farnell 1896b1909 : V, 67.
81 Sur Hermès en tant que guide, voir Hom., Il., XXIV, 153 (guide de Priam) ; Esch., Eum.,
89b92 (guide d’un suppliant). C’est très souvent en tant que guide chthonien qu’Hermès est
connu sous ces vocables : Soph., Ajax, 832, Œd. Col., 1547b1548 et Diog. Laerc., Vit. Phil., 8, 31
(Long). Cf. Alexis, fr. 93 (KasselbAustin) : προπο π,ς. Sur Hermès ψυχοπο π,ς ou νεκροπο π,ς,
voir Raingeard 1934 : 474b475.
82 Cornut., 16 (Lang) où Hermès = λ,γος.
83 SEG, 17 (1960), 552, 3 (inscription de Pisidie, épigramme funéraire, époque romaine).
Pind., Ol., IX, 37 prête à Hadès une baguette analogue. Pour une Hécate ΠροκαθηγTτις d’époque
romaine, voir Benndorf – Niemann 1884 : I, 68, n° 43.
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168 L’espace et le temps d’Hécate
c’est lui qui se met le plus en colère si quelqu’un dédaigne un voyageur qui
cherche son chemin »84.
Soucieux d’orienter les passants, Hermès, qui en même temps est le dieu des
mesures85, précise la distance qui reste à parcourir – Tτρον Iδοιπορ!ας86. Dans
le récit de Pausanias, les hermès des routes marquent les transitions – ετ¯ το·ς
Nρ ¼ς ou Jπ¨ τ[ν Nρ [ν87 – et fonctionnent à un deuxième niveau comme
repères pour le lecteur88 ; parfois ils mesurent même la distance exacte à une
ville : « Phalécies sont à vingt stades de l’Hermaion de la région de Vélémina »89.
Les hermès offraient souvent une aide au voyageur en fournissant des indicab
tions topographiques, en servant de bornes milliaires ou en constituant, tout
simplement, des points de repère identifiables. Car il est à noter que la plupart
de ces statues portent, sinon des préceptes moralisants ou des informations, du
moins de simples dédicaces qui les individualisent.
En dehors des rues et des portes, un autre emplacement limitrophe où nous
pouvons rencontrer Hermès est celui des ˜σχατια!, « frontières ». L’Hermès
frontalier se tient d’habitude à côté des µροι, « bornes, limites » et il est pour
cela nommé SπιτTρ ιος, « dieu des bornes »90. Son érection en position de
εθ,ριος aux frontières entre Lampsaque et l’avoisinante Paros (sur la côte
nord de la Troade) sanctionna le partage rusé de deux territoires : « tant de terre
les habitants de Lampsaque ont découpée avec ruse aux dépens des habitants
de Paros en érigeant l’Hermaion pour marquer la frontière entre les deux pays –
εθ,ριον στησK ενοι τ¨ Nρ α‚ον »91.
Le dieu aime particulièrement fréquenter les frontières en Arcadie, sa terre
natale. Les hermès de pierre – Nρ α‚ λ!θου92 – se situant à la frontière – ˜π› το‚ς
frontière non seulement géographique, mais aussi narrative, voir Papachatzis 1974b1981 : II, 306.
89 Paus., VIII, 35, 3b4. Le mot Nρ α‚ον (ou Nρ ε‚ον) désigne tantôt le sanctuaire du dieu
tantôt sa représentation. L’²ρ α‚ον peut encore signifier « aubaine » en tant que manifestation du
dieu, tandis qu’au pluriel (²ρ α‚α), le mot désigne une fête consacrée à Hermès. Un champ
sémantique analogue est couvert par le mot ²κατα‚ον ainsi que par le mot πανε‚ον, voir Borgeaud
1979 : 142, n. 23.
90 Hsch., s.v. SπιτTρ ιος (Latte).
91 Polyen, Strategemata, VI, 24, 27 (WoelfflinbMelber).
92 Selon l’étude de Romaios 1908 : 383 sq., suivie aussi par Papachatzis 1974b1981 : 305 et 329,
il s’agit, en ce cas, non pas des piliers hermaïques, mais des entassements de pierres (²ρ α‚οι
λ,φοι), cf. schol. Hom. Od., XVI, 471 (Dindorf), Hsch., s.v. ²ρ α‚ος λ,φος (Latte) et Jost 1985 :
454. Certains dialectes du grec moderne conservent les formes Jρ ακιK ou ˜ρ ακιK pour « tas de
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 169
pierres » : Shipp 1979, s.v. Jρ ακιK, ˜ρ ακιK. Que le dieu soit lié à ces monticules qui servaient de
repères aux voyageurs semble parfaitement approprié à sa nature. Rien ne permet, pourtant, de
lier l’apparition des piliers hermaïques avec le rituel d’amoncellement de pierres par les passants
(Devambez 1968 : 140b144).
93 Paus., II, 38, 4b7.
94 Paus., VIII, 34, 6 et 35, 2.
95 Sur les hermès d’Hipparque, voir, entre autres, Crome 1937 : 300b313, Zanker 1965 : 91b92,
Lavelle 1985 : 411b420 ; Osborne 1985 : 47b57 et SchnappbGourbeillon 1988 : 805b821. Une coupe
de 520b510 av. J.bC. représentant un hermoglyphe confirme avec l’inscription ΗΙΠΑΡΧΟΣ
ΚΑΛΟΣ la tradition qui veut que la diffusion des hermès en Attique soit l’œuvre d’Hipparque
(Copenhague, Musée National Chr. VIII 967, cf. ARV2, 75, 59 et 1623).
96 Sur le problème de l’authenticité de ce dialogue, voir, entre autres, Bousquet 1956 : 570b
571, n. 3 et Guthrie 1978 : 383, 389.
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 171
103 Voir la formule homérique ς –φατ᾽, ο•δ᾽ Jπ!θησε διKκτορος Gργειφ,ντης (Hom., Od., V,
43, Il., XXIV, 339 etc.).
104 Esch., Prom., 1030b1033 et 941b942 respectivement. Cf. 954, 966b969, 983. Sur Hermès
« serviteur », voir aussi Hsch., s.v. διKκτωρ (Latte) : διKκονος, ñ aγγελος…
105 Les hérauts homériques tiennent leur pouvoir de Zeus luibmême (διογενε‚ς, διοτρεφε‚ς, ‰ι¨ς
aγγελοι), voir Ostermann 1845 : 14b15 et de Waele 1927 : 70b72. Au fil du temps ils ont perdu leur
prestige. Sur la méfiance à leur égard, voir Longo 1981 : 33b35 et Coulet 1996 : 167b168.
106 Osborne 1985 : 70, n. 44 ne manque pas de signaler le jeu de mots (στ!χοςbστε‚χε) implicite.
107 Osborne 1985 : 53b54.
108 Voir Tzifopoulos 2000 : 162b163 et passim, qui met en évidence un autre aspect du rapport
entre Hermès et la sagesse des proverbes destinés aux passants. L’auteur commente notamment
certains passages de l’Hymne homérique à Hermès qui semblent associer le pouvoir trompeur du dieu
à l’ambiguïté de la parole proverbiale.
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172 L’espace et le temps d’Hécate
109 Malamoud 1972 : 5b26. Ces connotations contradictoires se trouvent exprimées dans un
hymne du poète de l’Atharvaveda (cité par Malamoud 1972 : 25b26) : « …L’être et le nonbêtre,
tous deux sont dans le reste, la mort, la vigueur […] Le souffle inspiré et expiré, la vue, l’ouïe, le
fait que les choses soient impérissables, le fait aussi qu’elles périssent : du reste sont nés tous les
dieux qui sont au ciel… ».
110 Schol. Eur., Médée, 1172 (Dindorf).
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 173
111 Luc., Philopatris, 1, 1b12. Cf. Soph., fr. 311 (Nauck) qui se réfère probablement à Hécate :
τ,ν δε Jντα‚ον περιδινTοντα ο•χ Iρ¼τε | κα› δε‚ α προσπα!οντα Jντα!ας θεοÀ, « vous ne voyez pas
l’antaios qui tournoie et qui s’empare de la frayeur de la déesse antaia ». Sur Jντα‚ος, Jντα!α, voir
supra, p. 62 sq.
112 Les troubles de l’esprit que nous venons de mentionner sont d’ailleurs, eux aussi, liés à
cette idée : ils étaient le plus souvent considérés comme des résultats d’une souillure, d’où la
pratique de soumettre les malades mentaux aux différents types de purification.
113 Voir Gomme, Andrews – Dover 1970 : IV, 264b288 ainsi que Osborne 1985 : 64b67.
114 Babrius, 48 (LuzzattobLa Penna).
115 Paus., IX, 22, 1 (détournement d’une épidémie à Tanagra grâce à l’intervention de
l’Hermès Πρ, αχος). La scholie homérique qui rapporte qu’Hermès a été « le premier à nettoyer
les rues » considère très probablement le dieu comme le premier à ouvrir les chemins en
dégageant les cailloux qui en empêchaient le passage : schol. Hom., Od., XVI, 471 (Dindorf) et
Eustathe, Comm. ad. Od. (XVI, 471), 2, 133, 1b5 (Stallbaum).
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174 L’espace et le temps d’Hécate
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 175
Son aspect de dieu de la parole s’exprime, avant tout, à travers ses rôles de
κˆρυξ, « héraut »122 et de messager, qui font également de lui un dieu Sν,διος.
Il incombait au héraut d’imposer le silence et de donner la parole lors des
réunions, et, parfois, les héros homériques prennent son sceptre dans la main
avant de commencer à parler123. C’est en fonction de ce rôle qu’Hermès ainsi
que les hérauts mortels recevaient la langue des victimes sacrificielles124. Dans
Prométhée Enchaîné, la « bouche parlante » du roi des dieux proclame l’efficacité
et la pertinence d’un bon discours – JρωγK, ο•κ aκαιρα –, en les opposant à
l’inutilité et à la démence – Kτην ˜ρε‚ν, –πη φρενοπλ(κτων – du discours
prométhéen125. Le dieu peut d’ailleurs châtier l’utilisation insensée de la parole
quand elle s’oppose à ses projets de la même façon que, en tant qu’« étrangleur
de chiens », il fait cesser leur aboiement, voix inarticulée et indiscrète126.
Revenons aux hermès des routes et des portes, ceux qui « éduquaient » les
passants, en proposant une marche à l’image du mouvement allant d’une chose
à un mot et d’un mot à l’autre. Le caducée gravé souvent sur ces piliers, plus
qu’un signe aidant à l’identification du dieu, dénonce sa fonction de transmetb
teur de messages et d’ordonnateur de la parole. Leur forme quadrangulaire a été
comparée à la « stabilité » du λ,γος127. Mais, souligne R. Osborne, il s’agit d’une
rigidité qui, renvoyant à celle du phallus érigé, permet l’entrée en communicab
tion128. Or, l’élément phallique, – quelle que soit son origine –, plus qu’un
simple portebbonheur et symbole de fécondité, souligne davantage le rôle
communicateur de l’hermès. Selon la Clé des songes, non seulement voir Hermès
en rêve est un bon signe « pour qui s’engagent dans le métier de rhéteur – ˜π›
το‚ς λ,γοις », mais le membre viril aussi renvoie « aux discours – λ,γοις – et à
122 Le mot renvoie à la voix : Etym. M., s.v. κˆρυξ (Gaisford). Les hérauts homériques sont
d’ailleurs qualifiés de λιγHφθογγοι, « à la voix claire », ´ερ,φωνοι, « à la voix sonore » etc. Cf.
Eustathe, Comm. ad Il., 1, 150, 15b16, cf. 1, 171, 20 (Van der Valk). Voir Kostka 1844 : 15b16, 27,
n. 1, Ostermann 1845 : 27b29 et Brown 1947 : 30b32.
123 Sur ce rôle des hérauts, voir, entre autres, Ruzé 1997 : 47b48. Le silence imposé par le héraut
est une condition du λ,γος ; c’est peutbêtre ainsi que nous devons comprendre le fameux passage de
Plut., De garrulitate, 502f : « quand dans un groupe se fait silence, on dit qu’Hermès est entré ».
124 Schol. Ar., Pl., 1111 : « la langue des victimes sacrificielles est donnée à Hermès, en tant
que maître des paroles − τ[ν λ,γων δεσπ,της − […] Callistratos dit que la langue des victimes est
attribuée aux hérauts » (Dübner). Cf. Farnell 1896b1909 : V, 30 et 74. Cependant, l’étude des
inscriptions par Kadletz 1981 : 21b29 montre que cette partie de l’animal était souvent offerte au
prêtre officiant, contradiction qui, selon Furley 1996 : 24b25, pouvait être résolue en tenant
compte du rôle du héraut dans le sacrifice.
125 Esch., Prom., 944b1093, voir notamment les vers 997, 1007, 1036, 1055.
126 Si dans l’Hymne homérique à Hermès le dénonciateur du vol du troupeau d’Apollon reste
impuni, Ant. Lib., Mét., 23, 4b6, raconte sa pétrification par Hermès. Il est par ailleurs significatif
que, dans la version de Liberalis, ce témoin qui ne respecte pas le passage du dieu s’appelle
Battos, « Bègue », cf. Jaillard 2007 : 66 (n. 343).
127 Souda, s.v.Nρ ˆν (Adler).
128 Osborne 1985 : 55 pense que « as the static herm is the instrument of passage, so the rigid
phallus is the medium for the communication that is reproduction ».
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176 L’espace et le temps d’Hécate
129 Artém., Clé des songes, II, 37, cf. I, 45. Sur l’élément phallique chez Hermès, voir Farnell
1896b1909 : V, 11b12 et 64, Brown 1947 : 35b37 et Devambez 1968 : 146b149.
130 Douglas 1966 : 95.
131 Hymne homérique à Hestia, 7b12, cf. Vernant 1985 : 156.
132 Call., Hymn., III (à Artémis), 68b69.
133 Vernant 1985 : 159. Cf. Jaillard 2007 : 133, pour le foyer créé par Hermès dans l’Hymne
homérique à Hermès ainsi que pour une autre façon d’appréhender le rapport entre ces deux divib
nités en prenant comme point de départ Hestia.
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 177
134 Sur Hécate δTσποινα, voir aussi Esch., fr. 388 (Nauck), déjà cité.
135 Le terme υχ,ς est utilisé souvent pour exprimer l’intériorité du foyer : Esch., Ch., 801, Ag.,
96, voir, notamment, Morgan 2007 : 119b121. Nous retrouvons υχ,ς associé à Hécate dans la
topographie lunaire que dessine Plut., De facie, 944c : …NκKτης υχ,ν, µπου κα› δ!κας διδ,ασιν α¦
ψυχα› κα› λα βKνουσι, « …le gouffre d’Hécate ; c’est là où les âmes subissent une peine ou obtienb
nent satisfaction pour ce qu’elles ont enduré ». Concernant les nymphes ΜHχιαι ainsi qu’Aphrodite
Μυχ!α, voir Larson 2001 : 182 et Pironti 2007 : 82, respectivement. Voir aussi Ustinova 2009 : 133b
138 et passim, par rapport aux grottes naturelles désignées par le même terme.
136 Eur., Médée, 395b397 : ο• γ¯ρ ¯ τªν δTσποιναν äν ˜γæ σTβω | Kλιστα πKντων κα› ξυνεργ¨ν
ε¦λ, ην, | NκKτην, υχο‚ς να!ουσαν ²στ!ας ˜ ˆς. Cf. Parker 2005 : 20, qui croit aussi que le culte
d’Hécate au foyer est perçu comme quelque chose d’irrégulier. En se fondant sur ce passage,
Eitrem 1909 : 9b10 et Rohde 1928 : 329b330 ont soutenu, au contraire, qu’Hécate était initialement
honorée, comme Hermès, au fond du foyer, selon un très ancien culte des âmes.
137 Cf. Graf 1997 : 38, « the basic theme of Medea’s persona remains constant : she is a
foreigner, who lives outside of the known world or comes to a city from outside; each time she
enters a city where she dwells, she comes from a distant place, and when she leaves that city, she
again goes to a distant place ».
138 Contrairement aux hommes, les femmes, obligées de passer leur vie à l’intérieur, doivent
pourtant en se mariant se déraciner de leur foyer et être reçues comme étrangères dans un autre ;
passage qui s’accompagne d’une brusque transformation de leur existence dans la vie conjugale et
la maternité. Voir Eur., Médée, 230b251. Quant à l’ambiguïté du statut de la femme, voir Vernant
1985 : 163.
139 Sur les rapports entre Hécate et Médée dans l’ensemble des traditions concernant l’héroïne,
voir Griffiths 2006 : 54b55 qui offre aussi une bibliographie abondante sur l’héroïne.
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178 L’espace et le temps d’Hécate
140 Sophr., fr. 4 (KasselbAustin), cf. Vitelli – Norsa 1933 : 119b124. Le passage en question est
cité infra, p. 269, note 124.
141 Call., fr. 461 (Pfeiffer). Selon un mythe qui illustre de nombreux aspects de la déesse,
quand la femme d’Éphésos commet l’impiété de chasser Artémis de son foyer, la déesse offensée
la transforme d’abord en chienne, puis, par pitié, en Hécate. Cet aspect divin attribué à la femme
rappelle tant le châtiment imposé (métamorphose en chienne) que l’impiété qui l’a entraîné (refus
de l’hospitalité) ; car Hécate n’est pas seulement familiarisée avec les chiens, mais aussi une déesse
délogée, habituée aux endroits inhospitaliers, voir supra, p. 151 et infra, p. 265, n. 103.
142 Call., Hymn., VI (à Déméter), 25b115. Selon d’autres versions du mythe, c’est Triopas luib
même qui en est le protagoniste dont le nom, comme une série d’autres termes dans l’hymne de
Callimaque −Τριπτ,λε ος, τρ!ς, τρ!τον, τρ!λλιστε −serait sans doute à associer aux τρ!οδοι. Sur le
mythe d’Érysichthon, voir, entre autres, McKay 1962, Robertson 1989 : 369b408 et Schmittb
Pantel 2005 : 304b307.
143 Call., Hymn., VI (à Déméter), 113b115. Voir les commentaires de Cassin 1987 : 123b126 qui
n’hésite pas à assimiler la nouvelle nourriture d’Érysichthon aux restes jetés en offrande à Hécate
(même si, comme on l’a vu, ce n’était pas toujours le cas) et à le comparer luibmême à un
Jπολυ αντ(ρ, « purificateur », une sorte de φαρ ακ,ς faisant un service de voirie. Voir infra, p. 252.
144 Selon les Schol. Théocr., Idyll., II, 35/36 (Wendel), Hécate, enfant « illégitime » de Zeus et
de Φερα!α, « a été jetée » à une triodos : ³π¨ τˆς ητρ¨ς εzς τρ!οδον ˜ρρ!φθαι, cf. Steph. Byz., s.v.
τρ!οδος (Meineke).
145 Sur cette fête qui vise à l’intégration de l’enfant dans l’espace de l’ο©κος, voir Vernant
1985 : 189b195.
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 179
146 Comme il n’y a pas de règle sans exception, une inscription d’époque romaine nous fait
connaître l’existence d’un temple d’Hécate et d’Hestia à Mylasa (Carie). Voir Le Bas – Waddingb
ton 1874 : n° 371 et Kraus 1960 : 167, 12 : ¦ερTως τοÀ ναοÀ NκKτης κα› Nστ!ας.
147 Non seulement le foyer d’Hestia, symbole d’un espace clos − celui de la maison ou du
ventre féminin − était rond, mais aussi certains édifices qui abritaient la déesse étaient de forme
circulaire : Vernant 1985 : 180b184.
148 Hestia peut être représentée assise sur un autel, une torche à la main : Pyxide à figure
rouge (Mayence, Univ. 116, cf. Beazley 1962 : 1224, 2).
149 S’il s’agit vraiment d’un geste préliminaire, voir supra, p. 140, n. 91.
150 LSAM, 50, 28b30 : κα› παιων!ζεται πρ[τον παρ᾽ NκKτην τªν πρ,σθεν πυ|λTων, παρ¯
‰υνK ει, ε©τεν ˜π› λει [νι ˜π᾽ aκρο παρ¯ ΝH φαις, ε©τεν παρ᾽ Nρ ˆ ˜ν | ΚελKδο, παρ¯ Φιλ!ωι,
κατ¯ ΚεραÝτην, παρ¯ ΧαρTω Jνδρι¼σιν.
151 Nous ne savons pas s’il s’agit simplement d’une statue d’Hermès ou d’une stèle hermaïque
ou s’il y avait un petit sanctuaire. Comme il a été signalé, ΚTλαδος est à rapprocher du verbe
κελαδTω, « résonner, faire du bruit » et est un nom qui convient à un fleuve ou à un cours d’eau
bruyant. Il est question probablement d’un Hermès honoré près d’un fleuve, voire dans le
sanctuaire d’un dieubfleuve ΚTλαδος (comme le pense Herda 2006), sans pouvoir exclure la
possibilité d’avoir affaire à un Hermès honoré dans le domaine d’un individu appelé ΚTλαδος
(voir Georgoudi 2001 : 168).
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180 L’espace et le temps d’Hécate
un paysage fait d’eau et de verdure152, mais elle est aussi propre à rapprocher le
couple HermèsbHécate : ces compagnes traditionnelles d’Hermès peuvent
parfois surprendre les voyageurs, comme le font les « assauts » d’Hécate
Sνοδ!α153, tandis que leur fréquent groupement par trois (comme celui des
Charites ou des Heures) fait écho à la triplicité, trait qui caractérise un très
grand nombre d’hekataia à partir du Ve siècle av. J.bC.
La pause auprès du petit frère d’Apollon, guide des voyageurs, réconfortera
les pèlerins et orientera leur pas vers le dieu oraculaire de Didymes. La protecb
tion du dieu des routes doit être sollicitée, d’autant plus que le parcours des
Μολπο! n’est pas sans danger ; Léodamas, roi de Milet, est tombé dans une
embuscade κατ¯ τªν Iδ,ν, « sur la voie sacrée », pendant qu’il honorait le dieu
de Didymes154. Le passage auprès d’Hermès annonce l’arrivée dans un paysage
de plus en plus familier : la procession des Μολπο! passe devant ΦHλιος, héros
local dont nous ne savons rien155, puis, devant ΚεραÝτης, lieu qui conserve les
traces d’Apollon luibmême 156, et, enfin, devant « les statues de ΧKρης », personb
nage réel connu comme Jρχ,ς, « magistrat » de ΤειχιοÀσα, « Fortifiée »157. Ces
arrêts du parcours accusent un territoire civilisé, marqué par l’histoire158. La
référence aux petits cultes locaux est importante pour la délimitation du terrib
toire. Quant à Hécate et à Hermès, divinités largement connues, ils s’adaptent à
ce paysage politique et religieux d’autant mieux défini qu’ils entretiennent un
rapport particulier aux portes et aux routes, structures élémentaires pour la mise
en place de la procession.
152 On a effectivement trouvé des traces d’un culte archaïque des Nymphes à côté de la voie
sacrée, voir Schneider 1987 : 115 et n. 48. Cf. Gödecken 1986 : 246b247.
153 D’où νυ φ,ληπτος, νυ φοληψ!α : Pollux, I, 19 (Bethe) ; Théocr., Idyll., XIII, 44, schol. Eur.,
Hip., 141 (Dindorf) et Pl., Phdr., 238cbd, 241e : le paysage décrit – bord de l’Ilissos, platane, source
– et qui est habité, entre autres, par les Nymphes et par Acheloos est sans doute pareil au site
évoqué par le règlement des Μολπο! (sur le rôle de ce décor dans le dialogue platonicien, voir
Wycherley 1963 : 89b90). Sur la nympholepsie, souvent associée à l’enthousiasme et au pouvoir
divinatoire, voir Nock 1972 : II, 919b927, Caillois 1991 : 57b69 et Borgeaud 1979 : 159b162.
154 Il s’agit de la plus ancienne procession vers Didymes (VIe s.) que nous connaissions :
trouvées sur la voie sacrée, non loin de l’entrée du sanctuaire de Didymes ; ces statues dont l’une,
d’après sa dédicace gravée, représente ΧKρης luibmême sont connues comme « le groupe de
Charês » : Gödecken 1986 : 250b251 ; Schneider 1987 : 126 et Fontenrose 1988 : 166.
158 Voir Graf 1992 : 103b104.
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 181
159 Nous rencontrons trois fois le mot aγγελος (46, 408, 441) et une fois le participe
JγγελTουσα (53).
160 HhDem., 314b324. Sur le rôle d’Hermès, confronté à celui d’Iris, dans l’Iliade, voir Gartziou
1994b1995 qui souligne le pouvoir du dieu de mettre en contact des choses éloignées et opposées
(373b374).
161 HhDem., 325b329.
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182 L’espace et le temps d’Hécate
déposât son courroux »162. Hermès aγγελος se comporte, comme Iris, selon le
modèle des hérauts humains attachés à un pouvoir central. Il part docilement :
« Hermès se garda bien de désobéir – ο•κ Jπ!θησεν – : il quitta aussitôt le séjour
de l’Olympe pour plonger rapidement – ˜σσυ Tνως – dans le sein de la terre » et
au vers suivant, il se trouve déjà devant Hadès « à la sombre chevelure » ; il
transmet alors son message, soucieux d’évoquer l’autorité qu’il représente : Ζε·ς
ε πατªρ ¹νωγεν…163.
Une fois transmis, l’–πος de Zeus ne peut pas rester JτTλεστον. Pour Herb
mès, la transmission de l’ordre est inséparable de son exécution : la fille doit
rejoindre sa mère. En joignant la πειθ’, « force de persuasion » à ses paroles, le
« voleur des voleurs » réussit à arracher au Seigneur des morts la fille enlevée.
Le sourire se dessine sur les lèvres du dieu le plus sombre, finalement séduit par
le discours habile d’Gργειφ,ντης : « Il parlait ainsi ; le Seigneur du peuple souterb
rain, Aidoneus, rit dans ses sourcils et ne désobéit point aux injonctions de
ZeusbRoi »164. La description de la course du retour associe à l’image du misb
sionnaire infaillible celle du conducteur de char surdoué. Le dieu trace son long
chemin à travers les airs en évitant la poussière de la route : « elle (sc. Perséb
phone) monta sur le char et, à ses côtés, prenant en mains rênes et fouet,
Argeiphontês le Fort traversa tout le palais, tandis que les deux chevaux volaient
sans se faire prier. Ils couvrirent rapidement leur longue route ; ni la mer, ni
l’onde des fleuves, ni les vallons herbeux n’arrêtaient l’élan des chevaux
immortels, ni les pics des monts : ils les franchissaient en fendant les nuées
épaisses »165. L’évocation de l’espace parcouru en images qui défilent l’une après
l’autre pour disparaître finalement derrière les nuages ne peut qu’exalter le
pouvoir hermaïque de nier les distances. La démarche d’Hermès, comme celle
d’Iris, n’envisage que furtivement l’entrebdeux, désigné dans le cas d’Iris comme
εσηγH, « intervalle »166 ; elle cherche plutôt à joindre avec les liens du λ,γος, le
départ et l’arrivée167. Hermès obéit à l’ordre de Zeus et fait obéir, à son tour,
Hadès ; dans les deux cas, les paroles engendrent le mouvement d’un expéditeur
vers un destinataire ainsi que d’un royaume vers un autre.
Là où Hermès et Iris ne voient que des intervalles spatiaux à parcourir,
Hécate se trouve « chez elle »168. Même si son action contribue à l’arrangement
162 HhDem., 334b339, cf. 406b410 où Perséphone se réfère également à Hermès, aγγελος éκHς,
« messager rapide » présenté, cette fois, comme l’envoyé « du Cronide le père et des autres Fils du
Ciel ».
163 HhDem., 348.
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 183
final, elle n’est dictée ni par la volonté de Zeus ni par celle d’Hadès. Périodib
quement répétée, son intervention contribue sans aucun doute à la régularisab
tion d’une situation exceptionnelle : Porteblumière et πρ,πολος attentionnée,
elle accompagne Perséphone – elle se glisse presque dans sa peau – à chacun de
ses voyages pendant toute leur durée. Entre deux pôles antithétiques (mort/vie,
jour/nuit, jeune fille/épouse), Hécate donne à ce qui n’a pas de nom une exisb
tence ayant les traits de sa propre figure ; elle annonce et signale l’espace entre
deux univers et aide à gérer le danger lors du passage de l’un à l’autre.
surface de la terre jusqu’à Hélios et, surtout, de celui qui unit l’Hadès au monde d’en haut,
chemin qu’elle ne cessera d’éclairer pour Perséphone.
169 Hemberg 1950 : 137b140 et Fontenrose 1988 : 152b154. Voir supra, p. 141, n. 102.
170 Herzog 1927 : 217 sq., 220 (non vidi) attribue l’histoire d’Xγγελος au poète syracusain ;
WilamowitzbMoellendorff 1898 : 206 sq. et Eitrem 1933 : 24b25 estiment que l’histoire dans sa
forme conservée est due au commentaire d’Apollodore. Selon CGF, I, 1, p. 161 (Kaibel), il est
difficile d’accepter qu’un récit mythique puisse avoir une place importante dans un mime et de
lier ainsi Xγγελος de Sophron − titre de mime conservé − à l’histoire en question, cf. Hordern
2004 : 166 sq. ; cependant, Olivieri 1947 : II, 77b78 répond aux objections de Kaibel et admet que
l’histoire doit avoir sa place − directement ou à travers Apollodore − dans un mime de Sophron.
171 Il est courant que les enfants des dieux ne soient pas élévés par leurs propres parents ;
Zeus a été lui aussi elévé par les Nymphes, voir Price 1978 : 194 et Motte 1971 : 193. Les
Nymphes hésiodiques sont déjà considérées comme des nourrices : Théog., 346b347.
172 Schol. Théocr., Idyll., II, 12b (Wendel) : •ραν ιχθε‚σαν ‰ι› γεννˆσαι παρθTνον, Ùνο α δ™
α•τž θTσθαι Xγγελον. ταHτην δ™ ετ¯ τªν γTννησιν [³π¨] τα‚ς ΝH φαις δοθˆναι παρ¯ τοÀ ‰ι¨ς
τρTφεσθαι. α•ξηθε‚σαν δ™ κλTψαι τ¨ τˆς •ρας Hρον, Ã τ¨ πρ,σωπον α•τˆς ˜θ¯ς áν χρ!εσθαι, κα›
δοÀναι Ε•ρ’π τž Φο!νικος θυγατρ!. αzσθο Tνην δ™ | τªν •ραν ˜φορ ˆσαι βουλο Tνην α•τªν
κολKσαι. τηνικαÀτα ™ν τ¨ πρ[τον εzς γυναικ¨ς τετοκυ!ας ο©κον καταφυγε‚ν, ˜κε‚θεν δ™ πρ¨ς aνδρας
νεκρ¨ν φTροντας. µθεν τªν ™ν •ραν Jποστˆναι, τ¨ν δ™ ‰!α το·ς Καβε!ρους κελεÀσαι Jναλαβ,ντας
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184 L’espace et le temps d’Hécate
καθ¼ραι α•τ(ν. ˜κε!νους δ™ ˜π› τªν Gχερουσ!αν λ! νην Jπαγαγ,ντας »γν!σαι. µθεν τªν θε¨ν
Jποκεκληρ[σθαι το‚ς τεθνε[σι κα› καταχθον!οις φασ!ν.
173 Sur l’importance des parfums et des aromates dans les rapports de séduction, voir Deb
tienne 1989 : 117b138, Mehl 2008 : 13b40. Vu les rapprochements parétymologiques entre Hρον,
« parfum », « onguent parfumé », Hρρα, « myrrhe », « arbre à myrrhe » et Hρτον, « myrte »,
« pousse de myrte » − voir Chantraine 1999 : 723b724, s.v. − et la valeur érotique du myrte anab
logue à celle de la myrrhe − voir Chirassi 1968 : 22 sq. et Nouilhal, Paillet, Payen 1999 : 97b98 −, il
n’est pas impossible que l’histoire renvoie, entre autres, à l’²λλωτ!ς, couronne tressée de myrte
qu’on promène processionnellement en l’honneur d’une Europe Nλλωτ!ς à Gortyne, voir Athén.,
XV, 678abb (rapportant une notice de Séleukos), Hsch., s.v. Nλλωτ!ς, Nλλ’τια (Latte) et Steph.
Byz., s.v. Γ,ρτυν (Meineke), Etym. M. 332, 40, s.v. Nλλωτ!α (Gaisford). Cook 1914b1940 : I, 523b
532 ainsi que Boetticher 1856 : 481, Nilsson 1957 : 94b96, Willets 1962 : 159b168, Bühler 1968 :
44b45. Chirassi 1968 : 17b38 essaie aussi d’envisager Nλλωτ!ς comme une héroïne indépendante
d’Europe et d’Athéna avec lesquelles elle a été associée à Corinthe et à Gortyne − voir Schol.
Pind. Ol., XIII, 56abc (Drachmann), Chirassi 1968 : 30 ainsi que Cook 1914b1940 : I, 526 et Will
1955 : 134b143. Néanmoins, les couronnes et les rameaux de myrte sont si fréquents dans
différents cultes − voir, par exemple, schol. Soph. Œd. Col., 681 (Dindorf) − qu’il est également
possible que la couronne de myrte d’Nλλωτ!ς soit d’origine complètement indépendante.
174 Sur le mythe et ses représentations, voir Bühler 1968. Homère connaît déjà les amours de
Zeus avec la princesse phénicienne : Il., XIV, 321b322 (Europe apparaît parmi d’autres rivales
d’Héra). Le récit cité par le scholiaste de Théocrite semble faire allusion à la rivalité entre Héra et
Europe en jouant avec les mots πρ,σωπον et Ε•ρb’πη : l’onguent qui embellissait le visage d’Héra
est passé à celle qui a « le visage large » (une des façons possibles de comprendre le nom d’Eub
rope ; voir Bühler 1968 : 43b44 et Chantraine 1999 : 388, s.v. Ε•ρ’πη). À noter qu’Héra était, selon
Hésychius, appelée aussi Ε•ρωπ!α : Hsch., s.v. Ε•ρωπ!αÖ œ •ρα (Latte).
175 L’enlèvement d’une jeune fille au moment où elle cueille des fleurs est un lieu commun de
la mythologie grecque : Büchler 1960 : 75, 110 sq. ; Piccaluga 1966 : 233, n. 3 ; Calame 1996 : 174b
178 pour qui le pré fleuri constitue « le prélude immédiat à la réalisation du désir sexuel ».
176 Calame 1966 : 175 ; Büchler 1968 : 11b12.
177 Comme le note Detienne 1989 : 125 à propos du mythe de Myrrha et d’Adonis, « la séducb
tion permet de conjoindre des termes normalement disjoints ».
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 185
gère » à défier, voire à incarner la souillure en tant que contact entre des catéb
gories normalement séparées178. Non seulement elle intervient là où les dieux
d’habitude s’abstiennent179, mais, dans son itinéraire, elle n’hésite pas à mêler le
moment de la procréation à celui de la mort180.
En trouvant refuge dans les foyers de l’impur, telle une suppliante parab
doxale, Xγγελος semble acquérir en même temps le statut de déesse des interb
médiaires et c’est en cela qu’elle devient vraiment très proche d’Hécate. Étrange
purification que cellebci, opérée au lac Achérousie dont les eaux séparent le
monde des vivants de celui des morts. Pourtant, c’est au bord de ce lac « sans
fond », bourbeux et habité par des créatures monstrueuses, qu’a lieu, selon la
description du Phédon, le jugement et la purification des âmes181. Nous savons
aussi qu’à Cumes, en Italie, l’eau du lac infernal était effectivement utilisée dans
des rituels purificatoires182. Une chose est sûre : selon notre histoire, la purificab
tion d’Xγγελος dans l’Achérousie, vestibule aqueux de l’Hadès, constitue en
même temps une consécration aux morts ; il s’agit probablement des morts
récents qui, accompagnés encore des lamentations de leurs proches, sont en
train de traverser les frontières souterraines où se situe justement le lac infernal,
plutôt que de ceux qui ont définitivement trouvé leur place derrière les « haïsb
sables portes »183.
Un passage de Plutarque habituellement attribué aussi à Sophron184 évoque
nettement l’itinéraire impur d’Xγγελος. En fait, quoique Plutarque rattache ces
quelques vers en dialecte dorien aux superstitions concernant Artémis, la menb
tion des rites des triodoi fait surtout penser à Hécate. Le texte est très incertain :
« Si tu reviens en hâte d’auprès d’une femme pendue, ou d’une autre épuisée
178 La deuxième idylle de Théocrite joue poétiquement de l’analogie entre contact amoureux
et abolition des limites de toutes sortes. Les portes de l’Hadès sont jointes, par exemple, à celles
des rencontres amoureuses : l’invocation par Simaitha d’Artémis, « capable de remuer et les portes
d’acier des enfers » (II, 33b34) est précédée par l’expression de son souhait de voir son amant
« retourner éperdument devant sa porte » (II, 31).
179 Comme le note Parker 1983 : 65b66, ce sont des formes de pollution qui, plutôt que de
diviser les hommes entre eux, les séparent des dieux en posant les limites de l’intervention divine.
180 Sur les précautions empêchant le contact entre la naissance et la mort, voir Parker 1983 :
70, n. 123.
181 Ar., Gren., 136b138, 143b150, 273b310 ; Pl., Phéd., 113ab114b. Nous trouvons une lecture du
mythe de Phédon en rapport avec la géographie sicilienne chez Kingsley 1995 : 96b111. Cf.
Cumont 1966 : 501 (add. 125 et 133 : tradition chrétienne de purification ultime aux eaux
d’Achérousie). Tupet 1976 : I, 27b28 parle de l’eau « putride de la porte d’Hadès ».
182 Hemberg 1950 : 132, n. 1 émet l’hypothèse d’un culte cabirique à Cumes en rapport avec
l’histoire d’Xγγελος (Preller – Robert 1964 : I, 324b325, n. 4). Sur l’Achérousie à Cumes de
Campanie, voir, entre autres, Beloch 1890 : 215b217.
183 Pour la lamentation et le deuil en tant que participation temporaire à la condition du
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186 L’espace et le temps d’Hécate
dans les couches, ou si du milieu des morts tu arrives toute souillée, ou encore
de la triodos où tu as suivi les rites de purification, aux prises avec le meurtrier
sanglant… »185.
L’évocation d’Jγχ,νη, dérivé du verbe aγχω, « étrangler », qui désigne le
lacet qui sert à l’étranglement attire l’attention sur le contact unique et mortifère
du pendu avec le monde ; il s’agit donc d’une source de souillure particulièreb
ment dangereuse, d’autant plus que la mort par pendaison – probablement un
suicide – est considérée en général comme particulièrement impure186. En effet,
le choix du vocabulaire (toujours selon la restitution d’U. von Wilamowitz)
semble vouloir souligner l’idée du contact comme générateur de l’impur : κνKω,
« gratter », φHρο αι, « être brouillé », συ πλTκο αι, « s’enlacer », παλα να‚ος,
« aux mains teintes de sang » (de παλK η, « paume de la main » d’où se forme
aussi παλα Kο αι, « faire avec les mains »)187. Outre la mention des τρ!οδοι,
d’autres associations nous incitent à déceler Hécate, ou au moins Artémis
Hécate, derrière les vers cités par Plutarque. Quelques types de souillure
mentionnés dans le fragment, à savoir le contact avec le sang, les cadavres et les
accouchées sont évoqués également dans l’Iphigénie en Tauride ; les vers
d’Euripide ressemblent beaucoup à ceux qui sont cités par Plutarque188.
Artémis, nous apprend la tragédie, évite ces contacts dangereux avec l’impur189,
mais c’est sa prêtresse Iphigénie qui s’en charge : si en Tauride elle ne se tache
pas du sang des malheureux sacrifiés190, à Brauron, où elle sera honorée comme
une héroïne, elle recevra en guise d’offrande des tissus des femmes mortes en
185 Plut., De superstit., 170B : αŸτε κÎν Jπ᾽ Jγχ,νας J!ξασα, | αŸτε κÎν λεχοÀν κνα!σασα, | αŸτε κ᾽
Îν νεκρ¨ς ολοÀσα | Îν πεφυρ Tνα ˜σˆλθες, | αŸτε κÎν ˜κ τρι,δων | καθαρ Kτεσσιν ˜πισπ’ ενα |
τÄ παλα να!° συ πλεχθε‚σα… Nous n’avons que la partie conditionnelle de la phrase dont il faut
conjecturer la suite. Nous croyons que Kerenyi 1935 : 9b10 a raison de ne pas admettre l’opinion
de S. Eitrem selon laquelle il s’agit d’une διαβολ(, « calomnie » de la déesse − voir Eitrem 1933 :
23b24 et Eitrem 1924 : 43b58 (quant à la pratique de la diffamation magique) ; il considère le
passage comme une description plutôt réaliste de la nature d’Hécate qui comprend en elle un rapport
avec les suicidées, les femmes mortes à l’accouchement, les cadavres et l’impureté en général.
186 Voir, par exemple, Hom., Od., XXII, 462 (avec les commentaires de Robert 1946 : 504 sq.
et Montepaone 1999 : 187b188) : les servantes infidèles de la maison d’Ulysse seront exécutées par
pendaison car, selon Télémaque, elles ne méritent pas une « mort pure ». Sur les connotations de
la mort par pendaison évoquée par des traditions concernant Artémis ou Hécate, voir infra,
p. 265, n. 104.
187 Le mot désigne non seulement celui qui tue α•τοχειρ!, « de sa propre main » et qui est
pour cela ιαρ,ς, mais aussi la divinité qui venge le crime ; voir Hatch 1908 : 157b186, 175b180.
188 Eur., I.T., 381b384 : Üτις βροτ[ν ™ν aψηται φ,νου, | ñ κα› λοχε!ας ñ νεκροÀ θ!γ χερο‚ν, |
βω [ν Jπε!ργει, υσαρ¨ν Ôς œγου Tνη.
189 Eur., I.T., 380 : Iphigénie, en effet, condamne cette pureté hypocrite de l’Artémis des
Taures qui est en contradiction avec les goûts sanguins de la même déesse (384).
190 Eur., I.T., 40 : Iphigénie consacre les victimes humaines à Artémis, mais il incombe à
d’autres de les égorger.
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 187
191 Eur., I.T., 1464b1467 ; même s’il ne s’agissait pas des vêtements réellement tachés de sang,
l’offrande ne pourrait qu’évoquer les malheurs de l’accouchement, voir infra, p. 291, n. 43.
192 Eur., I.T., 1462b1463.
193 Schol. Théocr., Idyll., II, 12, p. 272, 18 (Wendel) = Call., fr. 466 (Pfeiffer) = Orph. fr., 42
(Kern).
194 Signalons que, dans le mythe de Psyché et d’Éros raconté par Apulée, c’est en recherchant
un onguent magique en possession de Perséphone que Psyché descendra aux Enfers : Apulée,
Métamorphoses, IV, 28 – VI, 24, cf. Raïos 2004 : 431b470.
195 Robertson 1988 : 91.
196 Manni 1990 : 423 sq., 430 n’exclut pas d’ailleurs une participation des Béotiens à la
colonisation mégarienne de Sélinonte, ce qui pourrait justifier l’existence de traces éventuelles de
l’histoire d’Xγγελος aussi bien en Béotie qu’en Sicile.
197 Hsch., s.v. Xγγελος (Latte).
198 Pind., Ném., I, 1b4.
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188 L’espace et le temps d’Hécate
« ivre » nommée Jγγελικ(199 qui, selon Pollux, imitait des « postures des messab
gers » – σχ( ατα JγγTλων200 –, pourrait lier Artémis Xγγελος au mythe de
Perséphone201. Or, nous savons que l’Artémis syracusaine était en relation étroite
avec Déméter et Coré dont le culte y était très important202.
À Sélinonte, Hécate, comme on l’a vu, a son sanctuaire à côté des propylées
de l’enceinte de la Μαλοφ,ρος (où Zeus est également honoré en tant que
Μειλ!χιος). Une base calcaire trouvée à proximité des propylées porte une
dédicace qui, selon la restitution de M. T. Manni Piraino, rapproche explicitement
la figure d’Xγγελος (ou Xνγελος) de celle d’Hécate : G[λε]ξ!ας hο ΞTνονος | [˜π]›
JνγTλοι τ¼ι hεκKται | J[ν]Tθεκε, « Alexias, fils de Xenon, a dédié à Hécate après un
avertissement », ou (deuxième possibilité) …[τ¼]ι JνγTλοι τ¼ι hεκKται | J[ν]Tθεκε,
« …a dédié à Hécate qui est messagère »203. La lecture de M. T. Piraino n’est pas
la seule204, mais elle est très séduisante – surtout en sa deuxième version – car elle
nous permet de rapprocher la figure familière d’Hécate Προπυλα!α de celle,
moins connue, d’Hécate « Messagère ». Que dans le contexte du culte sélinontien
de la Μαλοφ,ρος (divinité très proche, sinon identifiée, à Déméter) Artémis
Xγγελος puisse être identifiée à Hécate située aux portes du sanctuaire, cela serait
conforme aux associations faites par les scholies à la deuxième idylle de Théob
crite205. L’identification est d’ailleurs d’autant plus vraisemblable que Sélinonte est
une sousbcolonie de Mégare Nisaia206, cité qui a contribué à la diffusion du type
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 189
207 La création du type d’Artémis Σ’τειρα, conservé sur des monnaies de Mégare et des Pagai
(voir Picard 1939 : II, 641b642, fig. 258, Head 1911 : 394 et Lacroix 1949 : 293b294, pl. 26, 4b6)
remonte au salut miraculeux de Mégare face à l’armée de Mardonios (sur le miracle de la déesse,
voir Ellinger 1993 : 224b228) ; il est attribué au sculpteur Strongylion : Paus. I, 40, 2b3 ; 1, 44, 4.
Voir CollartbDucrey 1975 : 210 sq. Le même type existe à Délos, voir Marcadé 1953 : 548, n. 6 et
Siebert 1966 : 455 et n. 2b3. Voir infra, p. 254 sq.
208 Steph. Byz., s.v. Β,σπορος (Meineke) ; Hésych. Mil., FGrH 390 F 1, 26b27 (Jacoby) et Den.
Byz., Anapl. Bosp., 36 (Wescher, 15b16). RobertbFiratli, Robert 1964 : 155b157, malgré les rapprob
chements multiples, hésite à attribuer à la Φωσφ,ρος byzantine une origine mégarienne. Loukopoub
lou 1989 : 106b109 insiste pourtant sur le rôle militaire qui, outre les autres affinités, rapproche
particulièrement Σ’τειρα et Φωσφ,ρος ; en effet, l’intervention de la Φωσφ,ρος lorsque Byzance a
été menacée par Phillipe II (comme le montrent Stéphane de Byzance et Hésychius de Milet) reflète
la légende mégarienne : « Mégare fut sauvée quand la déesse cacha la lumière, Byzance par contre
lorsqu’elle illumina les ténèbres » (Loukopoulou 1989 : 108). Sur l’ensemble des documents
rapprochant Artémis et Hécate sous l’aspect de Φωσφ,ρος, voir Graf 1985 : 228b236.
209 Le jeu des correspondances entre les noms des parents de l’Hécate hésiodique et ceux de
la famille de l’Europe crétoise (Perséis, AstériosbMinotaure) semble soutenir davantage l’associab
tion HécatebEurope, voir Borghini 1987 : 115b140.
210 Quant aux Cabires dans le sanctuaire de Didymes, voir Fontenrose 1988 : 152b154.
211 Lehmann 1983 : 24b25.
212 Hemberg 1950 : 73b81 et Graf 1985 : 328b332. Sur Hécate et les Corybantes, voir Eur.,
Hipp., 141b144 : á σ· γ᾽ –νθεος, ï κοHρα, εŸτ᾽ ˜κ Παν¨ς εŸθ᾽ NκKτας | ñ σε ν[ν ΚορυβKντων
φοι|τ×ς ñ ατρ¨ς ¾ρε!ας, « n’esbtu donc pas, jeune femme, possédée par Pan ou par Hécate,
égarée par les augustes Corybantes ou par la Mère qui règne sur les monts… » ; en ce qui
concerne plus particulièrement le culte à Samothrace, voir Strab., X, 3, 20 (C472) : « certains
considèrent les Courètes comme des servants − προπ,λους − d’Hécate en les identifiant avec les
Corybantes » ; schol. Ar., Paix, 277b (Holwerda) : « à Samothrace avaient lieu les mystères des
Corybantes et d’Hécate » ; Nonn., Dion., IV, 183b185 : aντρα Καβε!ρων χα!ρετε κα› σκοπια› Κορυb
βαντ!δεςÖ ο•κTτι λεHσσω ητρ ης NκKτης νυχ!ην θιασωδTα πεHκη, « adieu les grottes des Cabires et
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190 L’espace et le temps d’Hécate
Une vue plus nette sur la collaboration d’Hermès et d’Hécate dans un rôle
auxiliaire nous sera assurée par l’iconographie. Là, la symétrie de ce couple
semble soumise au besoin de l’image de s’organiser sur une étendue donnée.
C’est au moins le cas pour un certain nombre de représentations, peintures sur
céramique (elles nous ont déjà occupée dans un chapitre précédent) et reliefs,
qui se réfèrent respectivement aux aventures de Perséphone et à la figure de la
Mère des dieux.
Hermès et Hécate forment déjà un couple dans les scènes les plus anciennes
que nous trouvions de l’enlèvement ou du retour (anodos) de Coré sur les vases
attiques214 ; ils ont comme attributs, l’un le pétase (et le caducée), l’autre les
torches. La scène de l’anodos, telle qu’elle est représentée sur le fameux cratère
de New York (Fig. 2, supra p. 73), nous montre Hermès plutôt en marge de la
scène qui se joue essentiellement entre Perséphone et Hécate, surveillant son
déroulement avec la neutralité d’un agent de l’État215.
On dirait que c’est surtout la présence du char qui attire et qui anime la figure
d’Hermès. Or, suggérant la fuite rapide, le char est indispensable aux scènes du
rapt des vases apuliens. Souvent c’est Hermès qui le guide ou encore qui prend
les rênes des chevaux galopants, pendant qu’Hécate semble plus directement
concernée par le sort de la jeune fille216. La prédisposition à être guide, conducb
teur rapide, voire voleur, situe clairement Hermès du côté du ravisseur, contraib
rement à Hécate qui, solidaire avec Déméter, est partagée entre la défense de
Perséphone et l’éclairage de son chemin, entre le rôle de gardienne et celui de
portebtorche du cortège nuptial. Ainsi, comme on l’a remarqué, tantôt elle semble
les sommets des Corybantes, je ne reverrai plus la torche de résine d’Hécate ‘maternelle’ qui
éclaire ses fêtes nocturnes », cf. III, 75 et Souda, s.v. Ζηρυνθ!α (Adler) : … ΖηρHνθιονÖ […] –νθα áν
τ¯ ΚορυβKντων κα› τˆς NκKτης υστ(ρια, « … Zerunthion […] où les mystères des Corybantes et
d’Hécate avaient lieu ». Voir aussi Lyc., Alex., 72b80 avec les schol. ad. loc. (Scheer) et schol.
Nicander, Theriaca, 462a (Grugnola).
213 Voutiras 1996 : 249 observe le « rattachement de certaines divinités […] au cercle de la
Mère des dieux » en distinguant les divinités « associées à la musique et aux danses extatiques »,
celles qui présidaient à des mystères ainsi que celles qui étaient « gardiennes des portes ou des
passages », comme Hermès et Hécate. Sur le rapport entre Hécate et la Mère des dieux, voir,
entre autres, Roller 1991 : 141b142, Rudloff 1999 : 82b84, Johnston 1999 : 206.
214 Voir supra, p. 73b79.
215 Cratère en cloche (New York, MMA, 28. 57. 23).
216 Hydrie à New York (RVAp. Suppl. I, p. 427, n° 66) et lécythe à Londres (RVAp. Suppl. I,
p. 83, n° 281a), cf. bol à reliefs « mégarien » (Londres, British Museum).
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 191
brandir ses torches hostilement (Fig. 6, supra p. 78)217, tantôt elle offre au quadrige
une lumière plutôt secourable218. L’image du mariage de Pélée sur le cratère de
Ferrare, image que nous pouvons rapprocher des scènes du rapt, établit, dans un
climat assurément plus paisible, le même partage des rôles : Hécate, une torche
dans chaque main, dévisage la mariée tandis qu’Hermès est occupé par les
chevaux (Fig. 13)219.
Bien sûr, les différences
entre Hermès et Hécate sont
plus ou moins marquées en
fonction de l’atmosphère de
l’image. Il est par ailleurs évib
dent que, outre leur fonction de
caractériser l’épisode comme
un passage – en l’occurrence
cosmique – et de définir ainsi le
lieu comme une zone médiane,
ils ont tous les deux celle d’aub
réoler le couple qui s’envole en Fig. 33
exaltant son identité divine. Dans les cas où la violence de la scène est atténuée,
ils semblent s’unir pour former une sorte de garde d’honneur. Car, plus que les
éléments qui les différencient, c’est le principe de leur regroupement qui vaut
pour que la scène soit reconnaissable. Une exception, confirmant littéralement
la règle, nous vient d’une image d’un cratère apulien où Hermès, abandonné par
sa compagne, se voit obligé d’assumer son rôle de portebtorche : situé devant
les chevaux du quadrige, il lève une torche de sa main gauche tandis que dans sa
main droite il tient son attribut habituel, le caducée220. Comme Hermès ne se
trouve que rarement muni de torches – il ne l’est nulle part ailleurs, à notre conb
naissance, dans cette série d’images –, il nous semble avoir affaire ici à une sorte
de fusion due à la transgression d’une règle iconographique assez stricte. Sur
cette famille de vases du IVe siècle av. J.bC., le char d’Hadès doit être accompab
gné par le Héraut et la PortebTorche.
Nous tirons le deuxième exemple d’une représentation « périphérique » du
couple HermèsbHécate, d’un type d’image complètement différent. Il s’agit
d’une série de reliefs votifs attiques (datant pour la plupart de la période de la
fin du Ve jusqu’au début du IVe siècle av. J.bC.) qui représentent la Mère des
dieux trônant dans un naïskos. La compagnie des lions (sur ses genoux ou à ses
côtés) ne lui suffisant pas, la déesse a souvent – à Athènes comme ailleurs –
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192 L’espace et le temps d’Hécate
d’autres acolytes dont les plus fidèles sont Hermès et Hécate (Fig. 14, 15)221.
Cette fois, le positionnement du couple est strictement symétrique et presque
invariablement répété d’un relief à l’autre222 ; il s’agit toujours de faire en sorte
que la Mère des dieux soit encadrée par Hermès et Hécate223, figurant le plus
souvent sur les antes du naïskos ou, plus rarement, à l’intérieur, des deux côtés
de la déesse intrônisée. La plupart des fois Hermès se met à gauche et Hécate à
droite. Hermès porte régulièrement une œnochoé – qui correspond à la phiale
que la Mère porte régulièrement dans sa main droite224 – et quelquefois aussi
son caducée (ou encore la corne de l’abondance225) ; Hécate porte une ou deux
torches. L’un est représenté d’habitude marchant vers la déesse comme pour
commencer le rituel de la libation, l’autre parfois dans une attitude plutôt statib
que qui semble imposée par le port des longues torches.
Les dimensions réduites de ces deux fidèles serviteurs sont conformes à leur
rôle qui consiste à sublimer la figure centrale sans effacer leur nature divine226.
Car le fait que la Mère est d’habitude représentée accompagnée de fidèles, de
prêtres ou d’adorants n’a jamais exclu la présence de figures divines, comme les
Courètes, les Corybantes, Pan ou les Nymphes. C’est dans un tel entourage que
nous la trouvons sur le relief de Lébadée (Fig. 16)227, ou encore sur un support
de table à offrandes de Thasos228.
221 En effet, nous pouvons rencontrer ces acolytes dans des combinaisons variées, mais c’est
le type de relief à naïskos qui est le mieux attesté. Voir Vermaseren 1982 : nos 45, 54, 182, 186,
206b209, 248, 251, 267, 278, 288, 311, 320, 330, 337, 339, 340, 345, 350, 352, 362 ; cf. nos 238
(double naïskos), 309, 314, 382 (grotte) et 184, Naumann 1983 : nos 134b135, 188, 189, 191b196,
198b200 et Güntner 1994 : nos B2b9, 11b16, 18, 20, 21b24.
222 Nous pouvons trouver la Mère des dieux accompagnée uniquement par l’éphèbe échanb
son habituellement identifié avec Hermès ; voir les commentaires de Will 1960 : 105.
223 Le caducée porté parfois par l’éphèbe à l’œnochoé permet son identification avec Hermès
(l’appellation Hermès Cadmilos introduite par Conze 1880 : 1b10 et, en particulier, 7b10, quoique
souvent adoptée par des spécialistes, ne peut être justifiée car elle ne se rencontre que dans un
contexte cultuel géographiquement limité) ; quant à la jeune fille aux côtés de la Mère, son identité
va nous occuper dans les prochaines pages, mais en anticipant notre conclusion nous lui donnons
déjà le nom d’Hécate. Bien sûr, l’encadrement de la déesse par Hermès et Hécate ne pourrait pas
remonter aux représentations anciennes et orientales de la déesse, mais nous refusons d’y voir le
simple fait de l’interpretatio graeca (contra Will 1960 : 105).
224 L’étude de Lissarrague 1985 : n° 48, 1b16 a clairement montré la complémentarité des deux
instruments dans l’imagerie de la libation : « … en images la libation est un geste en deux temps :
on verse avec une œnochoé dans la phialé, puis de la phialé sur un autel ou au sol » (8).
225 Exceptionnellement, il peut aussi porter une torche, voir Naumann 1983 : n° 330, pl. 87.
226 Rauscher 1971 : 341 sq. (non vidi).
227 Il s’agit des quatre petits personnages à la fin de la procession qui se déroule devant le
trône de la Mère des dieux sur le relief de Lébadée à Athènes, MN 3942, cf. Vermaseren 1982 :
131b132, n° 432. Voir aussi infra, Annexe 2.
228 Thasos, Mus. Inv. n° 18, époque des Antonins, cf. Naumann 1983 : n° 529, pl. 159. Au
milieu d’un grand regroupement divin (Picard 1944 : 105b134 identifie Artémis, Léto, Apollon,
Déméter et Perséphone, Aphrodite et Arès, les Courètes, les Corybantes), la Mère des dieux est
toujours entourée par Hermès et Hécate.
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 193
229 Relief de l’Ilissos, Athènes, MN 1778. Voir Cook 1914b1940 : II (2), 1116b1117, fig. 948,
cf. Mitropoulou 1975 : 70b71.
230 Voir, entre autres, Cook 1914b1940 : II (2), 1115b1121, Reeder 1987 : 432, n. 27b28 et
Jameson – Jordan – Kotansky 1993 : 81b82, 95.
231 Reeder 1987 : 432 et n. 28.
232 C’est la critique de Reeder 1987 : 432 à la thèse de Conze 1880 : 7.
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194 L’espace et le temps d’Hécate
Reeder selon laquelle cet instrument évoque des rites d’expiation (tels qu’ils
s’effectuaient dans le culte de Μειλ!χιος ou dans celui de la Mère) ne peut être
considéré comme un contrebargument. Car, en images, ce n’est pas un attribut
isolé mais, avant tout, l’agencement des figures divines entre elles qui peut définir
les unes comme secondaires et les autres comme centrales. Cela est encore plus
évident dans le cas d’Hécate aux torches qui, tout en se soumettant au service de
Déméter, de Perséphone ou de la Mère des dieux – dont le culte implique la
présence des torches –, peut soit s’identifier à elles, soit occuper à son tour une
position « centrale », entourée des korai et d’autres propoloi233 : comme si entre une
déesse assistée et son assistante
Fig. 35 divine un jeu de rôles subtil,
pareil à celui qui peut se jouer
entre une prêtresse et une déesb
se234, donnait libre cours aux
identifications et aux échanges.
Du moment où la Mère des
dieux porte la phiale même
quand elle est seule dans son
naïskos235, le rôle de l’œnochoé
doit, à notre avis, être cherché
aubdelà de la simple évocation
de la libation. Les dimensions
réduites d’Hermès et d’Hécate
ainsi que leur accolement à
l’encadrement architectural de
l’image nous rappellent, d’ailb
leurs, qu’il ne s’agit pas d’une
scène cultuelle habituelle où
les deux instruments de la libab
tion seraient nécessaires, mais
d’une évocation assez abstraite
qui obéit à d’autres règles.
Nous croyons que l’œnochoé
ainsi que les torches, à part le
233 Sur les hekataia entourés des korai, voir infra, p. 237b239. Rappelons aussi que, comme la
Mère des dieux, Hécate triple a souvent comme attribut la phiale.
234 Il est caractéristique, par exemple, que sur les reliefs funéraires du IVe s. av. J.bC., la
réprésentation des prêtresses de la Mère des dieux ait pu suivre le type iconographique des naïskoi
de la Mère : voir Despinis 1963 : 58b59. Nous pouvons observer un jeu analogue entre Athéna
ΠολιKς et sa prêtresse, voir Georgoudi 1993 : 157b195 et, en particulier, 191 sq.
235 Simon 1997 : 744b766. Sur les dieux grecs portant la phiale de libation, voir aussi Patton
2009 : 130 sq. et passim qui propose d’étudier le phénomène dans le cadre d’une nouvelle
catégorie, celle de la « divine reflexivity ».
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 195
rôle qu’ils ont pu certainement jouer dans le culte de la Mère, deviennent ici des
articulateurs qui visent avant tout à souder le groupe triadique : l’œnochoé
réclame la phiale et les torches une figure à éclairer.
Fig. 36
Fig. 37
Si la divinité à la phiale
exprime en général sa bienveilb
lance et son ouverture envers
ses fidèles, dans le cas de la
Mère assistée par Hermès la
libation peut en même temps
sanctionner l’introduction de la
déesse parmi les dieux grecs236.
Hermès et Hécate, l’introducb
teur et l’accompagnatrice, sont
les dieux les plus capables de
rendre ce sens évident.
La tradition qui représente la
Mère des dieux flanquée de
deux acolytes a, selon toute évib
dence, son origine dans un type
de représentation plus ancien et
d’origine orientale où ce rôle est
rempli d’habitude par deux perb
sonnages masculins, un vieux et
un jeune237. Le type de repréb
sentation triadique d’une déesb
se entre deux acolytes a trouvé
par ailleurs plusieurs formes
236 Sur l’imagerie du dieu à la phiale en dehors d’une mise en scène complexe, voir Laurens
1985 : 47b48.
237 Picard 1928 : 60b77, Chapouthier 1933 : passim et SfamenibGasparro 1985 : 4.
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196 L’espace et le temps d’Hécate
Voir, entre autres, Kannicht 1969 : 329b330 (à propos de Eur., Hél., 1301b1352) ; Borgeaud
239
1979 : 216b217, Reeder 1987 : 436 et n. 52, Bonnechere 2003 : 321b322 (n. 19). En ce qui concerne
le rapport éventuel entre Déméter Europe, « nourrice de Trophonios » et la Mère des dieux
béotienne, voir Walter 1938 : 62b65 et Bonnechere 2003 : 217b222, Toutefois, les deux déesses ne
sont pas à identifier sur le relief métroaque de Lébadée comme le pense, entre autres, Naumann
1983 : 191b193, n° 422, pl. 28, 1. Cf. infra, Appendice II.
240 Reeder 1987 : 438. Il s’agit d’un disque d’or (couvercle de pyxis selon F. Naumann) de la
Collection Stathatos au Musée National d’Athènes et d’un médaillon d’argent d’Olynthe au
Musée Archéologique de Salonique, 28. 401. Naumann 1983 : 229b230, 355, nos 524 et 525 ne
nomme pas toujours la porteuse de torches.
241 Voir infra, p. 279 sq.
242 Güntner 1994 : 96, n. 158.
243 Relief de plâtre (Caire, Musée des Antiquités égyptiennes, n° 26.6.20), cf. Picard 1957 : 41b
65 et Reeder 1987 : 428, fig. 5.
244 Kraus 1960 : 73, n. 359.
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 197
Perséphone aux côtés de cellebci, le fait que la PortebTorche soit située au même
niveau qu’Hermès comme acolyte n’encourage pas une telle interprétation.
Il est vrai que la réticence de Fig. 38
F. Naumann, qui préserve
l’anonymat de cette déesse
subordonnée à la Mère des
dieux dans cette série d’images,
a le mérite de nous permettre
de concevoir une catégorie de la
PortebTorche régulièrement –
mais non exclusivement –
subordonnée à une autre divib
nité dont le rôle serait révélé
davantage par sa position dans
l’image que par n’importe quelle
identification. Néanmoins, cette
figure divine est le plus souvent représentée, comme le signale judicieusement
G. Güntner, sur les antes du naïskos, c’estbàbdire aux abords – ou aux portes
symboliques – de ce temple schématisé, et elle fait pendant à Hermès, compab
gnon traditionnel d’Hécate Προπυλα!α : cela rend l’identification pratiquement
inévitable. Outre les exemples déjà cités de l’association d’Hécate aux portes,
nous pouvons également faire appel à la figure de l’Hécate portebtorche aux
abords du palais d’Hadès, représenté comme un petit édicule, que nous
rencontrons sur les vases apuliens du IVe siècle av. J.bC.245 ; cellebci offre aussi un
exemple très proche de la fonction d’Hécate auprès de la Mère des dieux.
Comme il est souvent associé de manière indépendante à Hermès246 aussi
bien qu’à Hécate247, Pan apporte encore un indice pour l’identification de la
245 Voir, par exemple, le fragment apulien (avec noms inscrits) chez Aellen 1994 : 32, 58b59,
61b64, n° 6 (Fig. 18) et le cratère à volutes à Carlsruhe B4, RVAp Suppl. I, 16, 81 où la figure
d’Hécate est apparemment dédoublée, voir infra, p. 281, n. 198.
246 Pan, fils d’Hermès d’après Hérodote, n’a que trop d’affinités avec lui : Borgeaud 1979 : 84b
114 et passim.
247 Pan et Hécate sont, par exemple, parmi les dieux provoquant des états de possesion. Eur.,
Hipp., 168 associe dans ce rôle Pan, Hécate, les Corybantes et la Mère des dieux cf. schol. Médée, 1172
(Dindorf). Sur un skyphos attique de 370b360 av. J.bC. (Laon, Musée 371072), voir de La Genière
1972 : 291b300, fig. 1b2, nous voyons Pan offrant un gâteau − J φιφ[ν − surmonté de trois petites
torches (J φιφ[ν, voir infra, p. 215 sq.) à une divinité assise − sans doute, Artémis Hécate de Mounib
chia −, tandis qu’au revers du même vase une divinité qui court une torche dans chaque main est
elle aussi semblable à Hécate (nous suivons l’interprétation de Borgeaud 1972 : 230b231, reprise par
Simon 1985 : 277). Finalement, certaines versions du mythe de Perséphone attribuent à Pan un rôle
qui le rapproche d’Hécate. Ainsi, selon la tradition transmise par Paus., VIII, 42, 1b4, Pan est le
messager qui rencontrera Déméter, tandis que sur la scène d’un bol à reliefs que nous avons déjà
évoquée il figure aux portes de l’Hadès, voir Borgeaud 1979 : 210b211. Il n’est donc pas étonnant
que Pan puisse, comme les trois danseuses, s’ajouter aux triples statues d’Hécate. Les exemples que
nous connaissons, comme l’hekataion du Cabinet des Médailles (Paris, Cabinet de Médailles, collecb
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198 L’espace et le temps d’Hécate
Mère des dieux lorsqu’il se joint à ce couple d’acolytes (Fig. 15, supra p. 156)248.
Quoi de plus naturel que la Mère des montagnes asiatiques se réfugiant dans les
grottes attiques rencontre toute cette compagnie ?
Enfin, G. Güntner a sans doute
Fig. 39 raison de voir un hekataion dans la
statuette de la déesse à deux
torches écartées qui figure sur un
piédestal (c’estbàbdire comme une
statuette) au fond d’un relief à
grotte (IVe siècle av. J.bC.) qui
abrite la Mère debout avec son
acolyte masculin ; un chien
représenté sur le même relief
contribue à cette interprétation
décisive pour l’identification de la
compagne féminine de la Mère
(Fig. 19)249. Nous signalons, pour
notre part, l’exemple certes plus
tardif d’un triple hekataion sur le
côté droit du trône d’une Cybèle
assise (Fig. 20)250.
tion Janzé), datent du IIe au Ier s. av. J.bC ; il s’agit d’un Pan de petite taille qui porte soit aubdessus de
sa tête, soit sur son épaule un plateau d’offrandes : Sarian 1992 : 1005b1006, nos 234b236. Inverseb
ment, Hécate n’est pas exclue des reliefs attiques « de Nymphes », où Hermès et Pan ainsi que le
fleuve Acheloos sont régulièrement représentés : un relief du IIe s. av. J.bC. (Schrader 1896 : 276, n°
1, pl. VIII ; cf. Sarian 1992 : 1004, n° 212) nous montre une grotte avec deux Pans ; aubdessus de la
grotte trois filles dansent à côté d’un hekataion. Pour les nombreux reliefs dits des « Nymphes », voir
Borgeaud 1979 : 233 sq. et Larson 2001 : 258b259. Concernant Hécate représentée parmi les divinités
du relief de Paros, voir supra, p. 82, n. 111. Sur la représentation probable d’Hécate sur le « relief de
Xenocrateia » − Athènes, Musée National, 2756 − daté de 410b400 av. J.bC., voir Sarian 1992 : n°
106 et Larson 2001 : 132.
248 Vermaseren 1982 : n° 182, pl. 36 et n° 339, pl. 94.
249 Güntner 1994 : 28, n° B 44, pl. 16, cf. Vermaseren 1982 : 93, n° 309, pl. 79 et Sarian 1992 :
1008, n° 274.
250 Statue de marbre provenant de Corinthe ; sur le côté gauche, nous voyons une houlette,
un bâton de berger (pedum), un pin et une syrinx : Vermaseren 1982 : n° 457, pl. 137, cf. Sarian
1992 : 1008, n° 268.
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 199
s’agit avant tout d’une série de tablettes de défixion (tabellae defixionis)251 qui,
dans l’intention de « lier » la victime, « lient » aussi étroitement l’une à l’autre les
deux divinités que nous étudions252. Ces inscriptions, gravées sur des lames de
plomb, sont en général très difficiles à dater, mais remontent selon les spéb
cialistes au moins jusqu’au début du IVe siècle av. J.bC. Les noms d’Hermès et
d’Hécate y figurent, non seulement l’un après l’autre, mais suivis souvent du
même qualificatif. Nous pourrions (avec, bien sûr, des variations plus ou moins
importantes) en relever le schéma cibdessous : (1) καταδTω, « je lie fortement » –
ou « je lie au monde d’en bas » – en alternance avec καταδεδTσθω, « qu’il soit
lié… », (2) le nom de la personne (ou des personnes) visée(s) par la défixion, (3)
πρ¨ς + Nρ ˆν (κατα)χθ,νιον et
NκKτην (κατα)χθον!αν, « au nom Fig. 20
d’Hermès souterrain et d’Hécate
souterraine », suivis éventuellement
d’autres divinités, (4) les organes ou
les facultés plus particulièrement
visés, par exemple γλ[τταν, « lanb
gue », χε‚ρας, « mains », π,δας,
« pieds », ψυχ(ν, « âme », νοÀν,
« pensée », φρTνας, « intelligence,
esprit »253.
Le souci qu’a l’officiant d’actib
ver le côté chthonien d’Hermès et
d’Hécate est manifeste dans la
redondance des épithètes (κατα)b
χθ,νιος/(κατα)χθον!α. Dans les cas
où la formule associe à Hermès et
Hécate, Plouton, Perséphone ou les
Érinyes254, le besoin d’accoler aux
251 Sur ce type de document, voir, entre autres, Bernard 1991 : 19b21, Faraone 1991 : 3b32,
Gager 1992 : 1b41 et passim, Graf 1994 : 139b198, Faraone 1995 : 4, n. 13, Ogden 2002 : 210b222 et
227b228, Carastro 2006 : 163b183 et Eidinow 2007 : 139b155 et passim.
252 Voir Wuensch 1897 : nos 102b107 et Audollent 1904 : nos 72, 74, 75a ; des tablettes menb
tionnant Hermès et Hécate se rencontrent aussi ailleurs (par ex. à Chypre ou à Néocésarée), mais
les noms des deux divinités s’y trouvent en général moins étroitement liés : SEG, 28 (1978), 561,
SEG, 30 (1980), 326 et SEG, 40 (1990), 266.
253 Schéma qui ne s’applique qu’à cette série de défixions que nous étudions ici ; en ce qui
concerne les formules rencontrées en général, voir, entre autres, Faraone 1991 : 4b10.
254 Selon Raingeard 1934 : 149, les groupements divins des tablettes attiques, vu les allusions
fréquentes aux procès, pourraient évoquer une association cultuelle aux abords de l’Aréopage. En
effet, Paus., I, 28, 6 signale le sanctuaire des Σε να! à proximité de l’Aréopage et, dans la même
région, la présence de Plouton, d’Hermès et de Gê. L’hypothèse est séduisante et vraisemblable,
mais ne concerne pas directement le couple Hermès et Hécate. En ce qui concerne le sanctuaire
des Σε να› Θεα! en question, voir Henrichs 1994 : 27b58, avec une bibliographie intéressante sur
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200 L’espace et le temps d’Hécate
noms des deux divinités le qualificatif (κατα) χθ,νιος/α ne témoigne pas de leur
caractère exclusivement chthonien, mais dénonce, au contraire, leur ambiguïté
par rapport aux habitants permanents des Enfers. Cette ambiguïté est d’ailleurs
à l’origine du pouvoir magique du couple. Ayant la possibilité de se déplacer
d’un royaume à l’autre, Hermès et Hécate sont les messagers les plus capables
de contrôler les voies souterraines et de garantir la transmission des ordres des
magiciens aux morts et aux divinités infernales255.
L’attribution de la même épithète à Hermès et à Hécate – comme celui de la
répétition accidentelle de l’he*, au début de leur nom – parvient essentiellement
à souder les deux divinités en une unité doublement puissante. Il est significatif
que, si χθ,νιος peut alterner avec καταχθ,νιος, il ne sera couplé qu’avec son
féminin exact, respectivement χθον!α et καταχθον!α. En ce qui concerne la
préposition κατK, préfixe ajouté à l’épithète χθ,νιος/α, elle est en même temps
le signe des forces souterraines et non pas des divinités liées simplement à la
terre (χθ’ν) et elle réussit à créer un effet rythmique (καταδTω/καταγρKφω, καταb
τ!θωbκαταχθ,νιοςbκαταχθον!α) enfermant la victime dans une fatalité infaillible :
au pouvoir exhaustif, voire abusif des paroles (κατK, « trop ») s’ajoutent l’intenb
tion de nuire (κατK, « à l’encontre de ») et la mobilisation du monde d’en bas
(κατK, « en bas »). Ainsi, Hermès et Hécate καταχθ,νιοι se présentent comme
détenteurs d’une clé importante pour l’efficacité de la formule.
Malgré l’intention claire de ce groupe de tablettes attiques de rapprocher
Hermès d’Hécate – ce qui nous rappelle Nρ εκKτη des papyrus magiques256,
être doublement sexué et doublement chargé en puissance divine –, les
particularités de chaque divinité se laissent en général entrevoir dans l’emploi
d’épithètes spécifiques. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, de même qu’Héb
cate est la seule à être appelée τριοδε‚τις ou εzνοδ!α257, Hermès garde pour lui
la topographie religieuse de l’Aréopage. Quant aux dieux évoqués par les tablettes attiques, voir,
entre autres, Eidinow 2007 : 148 et Collins 2008 : 70b71.
255 Une tablette de défixion (date proposée : 100b200 après J.bC.) semble faire explicitement
appel à la qualité de messager des deux divinités : καταγρKφω κ(α›) κατατ!θω Jν[γ]Tλ[ης καταb
χθο]ν!οις Nρ ˆ καταχ[θ]ον!ω κ(α›) NκKτη κατα]χθον!α, ΠλοHτωνι [κ(α›)] Κ,ρη κ[(α› Περσιφ,νη],
« Je lie et je dépose aux messagers καταχθ,νιοι, Hermès καταχθ,νιος et Hécate καταχθ,νιος,
Plouton et Coré et Perséphone » (Audollent 1994 : n° 74). Qu’il y ait d’autres êtres, collectifs et
anonymes, qui assistent le praticien dans son effort pour établir le contact entre morts et vivants
ne saurait nous faire oublier qu’Hermès et Hécate excellent dans ce rôle ; nous croyons donc que
le vocable « messagers chthoniens » se réfère ici probablement à Hermès et Hécate. Les aγγελοι
des papyrus magiques, quoique parfois nommés, ne sont pas individualisés et leur statut n’est pas
précisé ; voir Ciraolo 1995 : 279b294 qui signale que ces êtres pouvaient jouer le rôle d’assistants
du magicien − πKρεδροι − et, faute d’informations suffisantes, les regroupe sous la rubrique des
êtres divins (280, n. 6).
256 PGM, III, 47b48 : Nρ εκKτη, cf. IV, 2609b2610 (= PGM, II, Hymnes, XIX, 2609b2610) :
Nρ ˆν κα› NκKτην I οÀ, Jρσεν,θηλυν –ρνος, « Hermès et Hécate, rejeton mâle et femelle à la fois ».
257 Voir, par exemple, une formule imprécatoire visant au châtiment des voleurs (Athènes, Ier
s. après J.bC.) : après l’appel préalable à Plouton, aux Μο‚ραι, à Perséphone, aux Érinyes, à Hécate
²ρπειοφKγ° (ou ²ρπετοφKγ°) et à Hermès διKκονος, et après l’énumération des objets volés, suit
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Hermès et Hécate : l’espace survolé et condensé 201
Conclusion
L’étude comparée d’Hermès et d’Hécate permet de déceler les particularités
qui fondent la complémentarité de ce couple divin. Tout en se croisant aux
entrebdeux, réels ou imaginaires, Hermès et Hécate disposent chacun de difféb
rents moyens pour affronter la différence, la distance, la discontinuité. Là où
Hermès opère par une alternance de positions, Hécate en propose plutôt un
mélange, une conjonction de qualités normalement séparées ; Hermès franchit
les limites miraculeusement, Hécate en fait autant des centres ; aux paroles ailées
de l’un répond le lourd silence de l’autre. Cependant, l’implication fréquente de
ces deux divinités dans divers processus de médiation n’a jamais cessé de les
rapprocher. Leur destin de médiateurs va de pair avec leur promptitude à partib
ciper aux projets qui ne sont pas les leurs, à assurer la réussite des rituels dont
ils ne sont pas les destinataires principaux, à encadrer des scènes dont ils ne
sont pas les protagonistes. En signalant ou en facilitant les passages de toute
sorte, en montrant l’entrée et la sortie tant des actes rituels que des séquences
mythiques, Hécate et Hermès jouent souvent, tous les deux, un rôle d’articub
lateur important.
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Chapitre IV
Au rythme des mois et des jours
1 Pour van Gennep 1981 : 275b276 et passim le passage matériel est le passage idéal, celui sur
lequel sont calqués tous les rites de passage, y compris ceux qui marquent les passages d’une année à
l’autre, d’une saison à l’autre et d’une lunaison à l’autre (254b259). Cf. Belmont 1986 : 15b16.
2 Préaux 1970 : 77b85. Cette division permettait de nommer les jours par rapport aux phases
lunaires. À Athènes on ajoutait après chaque numéral, une des précisions suivantes : ¦στα Tνου, ˜π›
δTκα, φθ!νοντος ; les jours qui n’obéissaient pas à cette règle étaient normalement ceux qui se
trouvaient à l’intersection des décades : νου ην!α, ±νη κα› νTα (ou τριακKς), δεκKτη προτTρα (ou
εzκοστ() et δεκKτη ³στTρα (qui pourrait être aussi appelé δεκKτη φθ!νοντος) ; aussi le jour de la pleine
lune pouvaitbil être désigné comme διχο ην!α, comme presque partout en Grèce d’ailleurs. Après le
IVe s. av. J.bC., le participe φθ!νοντος pouvait être remplacé par ετ’ εzκKδας tandis que le compte −
qui avant φθ!νοντος était toujours régressif − pouvait avoir les deux directions : voir Samuel 1972 :
60b61 ainsi que West 1978 : 349b350. Certes, comme le montre le nom διχο ην!α, « milieu du mois »,
la division du mois selon les deux phases principales de la lune (croissance et déclin) existait
également et était probablement la plus ancienne : Nilsson 1920 : 168. Sur le rôle du soleil, de la lune
et des étoiles dans le calcul et l’organisation du temps, voir aussi Davidson 2007 : 204b208.
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204 L’espace et le temps d’Hécate
NκKτην ˜ν τα‚ς τρι,δοις ˜τ! ων ο¦ παλαιο› δι¯ τ¨ τªν α•τªν Σελ(νην κα› NκKτην
κα› GρτT ιδα καλε‚σθαι3. Cet essai d’interprétation évoque, outre l’aspect lunaire
qu’Hécate doit, entre autres, à son identification avec Artémis4 – la première à
être identifiée avec Sélènè5 – et la triplicité des hekataia, le caractère ternaire de la
lune ellebmême6 qui « brille d’une triple lumière »7. Une association plus explicite
entre les triodoi et les divisions du mois lunaire est faite dans un passage du
papyrus de Paris qui invoque la Lune (identifiée avec Artémis, Hécate, Perséb
phone et d’autres divinités) : κα› τρ!οδον εθTπεις τρισσ[ν δεκKδων δ™ JνKσσεις,
« toi qui parcours les triples voies, et qui règnes sur les trois décades »8. En fait,
c’est souvent en tant que τριοδ‚τις qu’Hécate – triple ou non – devient, dans une
certaine mesure, la déesse des articulations du mois lunaire.
3 Schol. Ar., Pl., 594 (Koster), cf. schol. Eur., Médée, 397 (Dindorf).
4 Le rapprochement des deux figures s’exprime le plus souvent à travers l’attribution de
l’épithète Hécate à Artémis ; la première occurrence d’Artémis Hécate dans la littérature se trouve
chez Esch., Suppl., 676b677 : Xρτε ιν δ᾽ NκKταν γυναι|κ[ν λ,χους ˜φορεHειν, « qu’Artémis Hécate
surveille les accouchements des femmes ». Mais Artémis Hécate est avant tout attestée épigrab
phiquement, comme on l’a vu, à Thasos (les plus anciennes inscriptions datant du début du Ve s.
av. J.bC.), à Athènes, à Délos et à Épidaure. Cf. Sarian 1992 : 985b986 et Farnell 1896b1909 : II,
516b519. Sur l’assimilation entre Artémis et Hécate dans la plastique, voir supra, p. 189, n. 207 et
infra, p. 254b256. Cf. Rudloff 1999 : 67 sq.
5 Il s’agit ici d’identification et non de l’aspect lunaire que pourraient prendre les représentab
tions des deux déesses. C’est dans un fragment d’Eschyle (Xantriai) que l’assimilation Artémisb
Sélènè est pour la première fois attestée ; voir Esch., fr. 170 (Nauck) 369 (Mette). Les Ménades
se présentent comme des êtres insolites « que ni les rayons du soleil ne regardent, ni l’œil étoilé de
la fille de Lêtô – οÁτ᾽ Jστερωπ¨ν Ù α Λητ ας κ,ρης. Cf. les monstrueuses Phorkides, Prom., 796
(Jστερωπ¨ν Ù α Λητ ας κ,ρης est remplacée par νHκτερος (νη, « croissant de nuit »).
6 Plusieurs textes, datant tous de notre ère, mentionnent trois phases, trois mouvements ou
trois formes de la lune en identifiant cellebci à la triple Hécate ou à une association de trois
déesses. Schol. Eur., Médée, 397 (Dindorf) : µταν τρι[ν œ ερ[ν σελ(νη ¾νο Kζεται, µταν δ™ ξ
Xρτε ις, µταν δ™ δεκαπTντε NκKτη, « la lune de trois jours s’appelle Sélènè, celle de six jours
Artémis, celle de quinze jours, Hécate » ; voir aussi Plut., De facie, 937i (trois mouvements) ;
Cornut., 72 (Lang) et Cléomède, Caelestia (Meteora) (202) II, 5, 87b91 (Todd) (trois formes).
7 Hymn. orph., IX, 11b12 (Quandt) : φTγγει τρισσÄ λα πο Tνη.
8 PGM, IV, 2525. Préaux 1970 : 78 commente sur la pléthore d’épithètes ternaires attribuées à
la Lune dans le passage dont provient ce vers (PGM, IV, 2523b2527) : « Pareille débauche d’épib
thètes ternaires paraît inexplicable à ne considérer que les aspects de la lune, si l’inventaire ne
nous en donnait la clé en mentionnant les trois décades ».
9 Nous utilisons ici ce terme dans son sens littéral, à savoir « l’entre deux mois », sans désib
gner forcément l’ensemble des nuits sans lune qui précèdent l’apparition du nouveau croissant.
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Au rythme des mois et des jours 205
Le mois des calendriers grecs – ainsi que ses subdivisions – suit le cours de
la σελ(νη, « lune » (< σTλας, « lumière »)10, appelée, en tant que mesure du mois,
(νη, derivé du (ν, « mois »11. Or la lune ne constitue pas un repère parfaiteb
ment fixe12 : sa vitesse est irrégulière, tandis que sa visibilité n’est pas toujours
assurée13. Ainsi, l’alternance – pas forcément régulière14 – des mois de vingtb
neuf et de trente jours fait que le nombre de jours du mois finissant est difficile
à prévoir, tandis que la visibilité du nouveau croissant dépend des conditions
atmosphériques.
D’autres difficultés15 résultaient de la double définition du commencement du
mois : si, en termes de calendrier, celuibci s’identifiait avec la première visibilité du
croissant lunaire, en termes astronomiques – le mois étant considéré comme la
période entre deux conjonctions (ou entre deux pleines lunes)16 –, il coïncidait
avec la conjonction – σHνοδος – du soleil et de la lune17.
Ces problèmes de définition risquaient de créer une confusion à la fin du
mois. L’expression homérique τοÀ ™ν φθ!νοντος ην,ς, τοÀ δ’ ¦στα Tνοιο,
« lorsqu’un mois finit, tandis qu’un autre commence » décrit l’ambiguïté de l’interb
lunium, temps d’autant plus inquiétant qu’il cache, en l’occurrence, le moment
précis du retour meurtrier d’Ulysse18. Les cassebtêtes du calendrier ont inévitab
blement inspiré non seulement les poètes comiques19, mais aussi les philosophes :
10 Le calendrier grec est lunibsolaire. Voir, entre autres, Préaux 1970 : 71b72 et Samuel 1972 :
considérant que le terme λυκKβας (le temps du retour et de la vengeance dans Hom., Od., XIV,
161) en est un synonyme. Sur le temps du retour d’Ulysse, voir aussi Austin 1975 : 237b253,
Detienne 1998 : 56b57 et Graf 2009 : 140.
19 Voir, par ex., Ar., Nuées, 625b626 et Athén., VIII, 349b citant le poète Machon (IIIe s. av. J.bC.).
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206 L’espace et le temps d’Hécate
20 Il s’agit d’un fragment récemment publié : The Oxyrhynchus Papyri LIII, éd. avec traduction
et comm. par Haslam 1986 : 97 (pap. 3710, col. ii, 43b47). Notre traduction suit l’interprétation
faite par Sider 1994 : 17b18 (à la suite de Burkert 1993 : 49b55) qui propose de rattacher le terme
néoménie en même temps à ce qui précède (προτTρην) et à ce qui suit (δευτTρην). Contrairement
à Haslam 1986 et à Mouraviev 1988 : 32b34 qui pensent qu’Héraclite parle de trois jours
successifs, D. Sider y voit la succession de deux jours désignés tous les deux comme néoménies.
Une lecture différente a été proposée par West 1987 : 16. Selon l’opinion de M. W. Haslam et de
M. L. West, l’idée maîtresse du fragment est la variation du nombre de jours d’un mois à l’autre,
tandis que S. N. Mouraviev croit qu’il s’agit de la variation du nombre des jours « sans lune » (et
restitue : ο• φα!νεται au lieu d’˜ξ µτου φα!νεται).
21 Ar., Nuées, 1134 : ±νη κα› νTα, « le jour de la vieille et de la nouvelle lune », c’estbàbdire « à
cheval » sur la vieille et la nouvelle lune. Voir aussi schol. ad. loc. Voir aussi Pl., Cratyle, 409b où il
est dit que, selon l’école d’Anaxagore, la lumière de la lune est toujours « nouvelle » et « ancienne »,
et les commentaires de Starkie 1966 : 250.
22 Héracl., Allégories d’Homère (Problèmes homériques), 75, 5 : « le jour d’éclipse fixé par Hipparque
avec exactitude est celui qui est appelé ‘trentième et néoménie’− τριακKδα κα› νου ην!αν −, et que
les Attiques appellent ‘vieille et nouvelle lune’− ±νην κα› νTαν ».
23 Hés., Trav., 770.
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Au rythme des mois et des jours 207
24 Plut., Solon, 25, 4b5 ; cf. Diog. Laerc., Vit. Phil., 1, 58 : « Solon était le premier à appeler le
trentième jour vieille et nouvelle lune – τριακKδα ±νην κα› νTαν ˜κKλεσεν ».
25 Contre l’attribution à Solon, voir Linforth 1919 : 296.
26 À noter que l’utilisation du nom ±νη tout seul prêtait aussi à confusion : Hésiode désigne
comme ±νη le premier jour du mois (en associant le mot avec εÍς ?), tandis que le mot signifie
plutôt « vieille » (voir Chantraine 1999, s.v.) et peut d’ailleurs occasionnellement désigner le trenb
tième jour : voir West 1978 : 351b352, comm. au v. 770 des Jours.
27 Hés., Trav., 766b767 : « le trente − τριηκKδα − est le meilleur jour du mois pour achever les
travaux et répartir les rations ».
28 Schol. Hés., Trav., 765b768 (Pertusi).
29 Haslam 1986 : 97 : pap. 3710, col. ii, 42b43.
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208 L’espace et le temps d’Hécate
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Au rythme des mois et des jours 209
premier jour du mois »39. Car le premier jour, considéré comme ¦ερωτKτη œ ερ[ν,
« le plus pieux des jours »40, était, entre autres, consacré aux dieux protecteurs de
la cité41 et notamment à Apollon dans sa qualité de dieu des commencements – α¦
τ[ν ην[ν Jρχα› ¦ερα! εzσι τοÀ Gπ,λλωνος42 –, appelé en l’occurrence Νου (νιος43.
L’oscillation du calendrier entre la fin et le commencement du mois atténue
la polarisation en sanctionnant une période de marge. Si toute la période néfaste
de la κρHψις, « invisibilité de la lune » (qui correspond à la différence entre le
mois sidéral et le mois synodique) peut être considéré comme un passage
obscur menant à la nouvelle lune, l’ambiguïté de l’interlunium est plus concentrée
aux jours qui réunissent la fin du mois et son commencement. L’ambiguïté de la
nomenclature traduit le rapprochêment des opposés, du soleil et de la lune
(union féconde mais susceptible de provoquer aussi des éclipses solaires), du
début et de la fin, de la lumière et de l’obscurité : « le trentième jour chez nous,
la néoménie, est appelé ainsi (c’estbàbdire ±νη κα› νTα), car au cours de ce jour la
lune se meurt et naît »44.
Ainsi, au cours du « trentième » jour, considéré tantôt faste tantôt néfaste,
les fêtes des théogamies et les célébrations des mariages humains45 pouvaient
coïncider avec les honneurs rendus aux morts ; ces derniers, honorés périodib
quement en tant que collectivité capable de lier le passé au futur ainsi que les
familles des citoyens entre elles, trouvaient leur place idéale à l’intersection de
deux mois : « le trentième jour était attribué aux morts […] et était appelé
triakas »46. En fait, les rites exécutés lors du trentième jour du mois constituaient
39 Athén., XII, 551f. (= Lysias, fr. 351, 4b6, Thalheim). En dehors d’Athènes, une association
de νου ηνιαστα! honorant, sans doute, Apollon Νου (νιος est connue à Olbia : Dubois 1996 :
157, n° 96.
40 Plut., De vitando aere alieno, 828a.
41 Sur les cultes ayant lieu chaque « nouvelle lune », voir Ziehen 1937 : col. 1292b1295 ainsi
que Préaux 1970 : 86b87 et Mikalson 1972 : 291b297. Cf. Nilsson 1920 : 151b153 et (pour la Grèce)
Nilsson 1962 : 40b42.
42 Schol. Pind. Ném., III, 4 (Drachmann) qui identifient Apollon à Hélios. Cf. Philochoros,
FGrH 328 F 88 (Jacoby) : τοÀ δ’ Gπ,λλωνος ταHτην ε©ναι νο !ζειν τªν œ Tραν εzκ,τως τ¨ πρ[τον
φ[ς τÄ αzτιωτKτ° τοÀ πυρ,ς, ˜κKλουν τε α•τ¨ν κα› Νεο (νιον. Cf. Haslam 1986 : 97 : pap. 3710,
col. ii, 34b35 (citant Aristonicus, Ier s. av. J.bC.) et les comm. ad. loc. (106).
43 Sur Apollon et la νου ην!α dans l’Odyssée et ailleurs, voir Detienne 1998 : 57 et 260, n. 121b
124. À Sparte, par exemple, les rois offrent un sacrifice à Apollon, à la nouvelle lune ainsi qu’au
septième jour du mois : Hdt., VI, 57.
44 Schol. Ar., Nuées, 1134a (Koster).
45 Le jour de la conjonction (σHνοδος, coitus), assimilé à un mariage entre le soleil et la lune, est
considéré comme propice aux autres unions. Voir, entre autres, schol. Hés., Trav., 782b784
(Pertusi) ainsi que Rocher 1890 : 64 et 76b78. Cf. Préaux 1970 : 86 et 99.
46 Harp., s.v. τριακKς (Dindorf). Voir aussi LSCG, 97, 20b21 (règlement funéraire de Céos datant
du Ve s. av. J.bC. qui, en supprimant la célébration de la commémoration du trentième jour − ˜π› τ[ι
θαν,ντι τριηκ,στ[ια ª] | [π]οιεν, témoigne de sa popularité) ainsi que Farnell 1896b1909 : III, 123 et
366, n. 249 qui interprète la cérémonie ˜ν το‚ς τριακοστο‚ς ayant lieu, selon une inscription du Ier s.
av. J.bC., au sanctuaire de Déméter et de Coré à Mantinée comme une association du culte de ces
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la version régulière des rites qui avaient lieu le trentième jour après la mort
d’une personne et étaient également désignés comme τριακKς/τριακKδες (ou
τριακ,στια). Ceuxbci marquaient la sortie du deuil et le retour à la vie normale
en réunissant les parents autour d’un repas commun (nommé également
καθTδραι)47. Si l’usage concernant en général les jours JποφρKδες consistait,
selon nos sources, à offrir des ˜ναγισ οHς, c’estbàbdire des offrandes (sacrifices
ou libations) au tombeau48, les rites du trentième jour du mois, calqués probab
blement sur les pratiques qui suivaient les funérailles, se centraient sur le repas
commun des parents.
Comme on l’a vu, Hécate était honorée, dans le cadre du culte arcadien dont
parle Théopompe, avec Hermès – et les autres dieux, « légués par les ancêtres »
– τα‚ς νεο ην!αις, « à la nouvelle lune ». D’après le scholiaste d’Aristophane, les
NκKτης δε‚πνα étaient également offerts à Athènes, κατ¯ ˆνα, « chaque mois »,
κατ¯ σελ(νην, « suivant le rythme lunaire », et plus précisément κατ¯ νου ην!αν,
« chaque nouvelle lune », ²σπTρας « le soir » : « à la nouvelle lune, le soir, les
riches envoyaient un repas en tant que sacrifice à Hécate des triodoi […] il était
d’usage que les riches déposassent chaque mois des pains et d’autres offrandes
pour Hécate »49.
Néanmoins, les mêmes scholies ainsi que d’autres sources désignent le jour
de ces offrandes mensuelles comme τριακKς, c’estbàbdire « le trentième » – et
dernier – jour du mois : τž NκKτ θHουσι τž τριακKδι, « on sacrifie à Hécate le
trentième du mois »50. Athénée, en parlant de l’offrande de la τρ!γλη, « rouget »
à Hécate, commente : τριοδ‚τις γ¯ρ κα› τρ!γληνος κα› τα‚ς τριακKσι δ᾽ α•τž τ¯
δε‚πνα φTρουσι, « car elle est la déesse des triodoi, elle dispose de trois regards et
on lui offre ses repas le trentième jour du mois »51.
divinités aux offrandes mensuelles aux morts. Cf. Rohde 1952 : 193, n. 1 et Eitrem 1909 : 41b42. Sur
un autre sens de τριακKς (subdivision de la cité), voir Robert 1948 : 11 (« Un décret dorien trouvé à
Délos »).
47 Voir Bekker 1814 : 268, s.v. καθTδραι (cf. 308, s.v. τριακKδας) ainsi que Garland 1985 : 40b41
et 146b147 (notes) et Burkert 1985 : 194 et 425, n. 38.
48 Sur l’utilisation des termes ˜ναγ!ζειν, ˜ναγισ ,ς, voir Casabona 1966 : 204 sq. Quant à la
distinction entre les pratiques venant après les funérailles et les fêtes commémoratives célébrées
périodiquement, voir Georgoudi 1988 : 73b89.
49 Schol. Ar., Pl., 594 (Koster) : κατz δ‘ νουNηνQαν ο¦ πλοHσιοι –πε πον δε‚πνον eσ̟:ρας Ñσπερ
θυσ!αν τž NκKτ ˜ν τα‚ς τρι,δοις […] –θος áν aρτους κα› aλλα τιν¯ κατ¯ ˆνα τιθTναι τž NκKτ
το·ς πλουσ!ους; cf. schol. Ar., Pl., 594 (Dübner).
50 Schol. Ar., Pl., 594 (Dübner).
51 Athén., VII, 325a. Sur la célébration des τριακKδες en l’honneur d’Hécate, voir aussi
Ehrhardt 1988 : I, 175 et II, 478b479.
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212 L’espace et le temps d’Hécate
d’une façon encore plus naturelle par le culte même d’Hécate, célébrée ainsi que
les morts, ses associés, par des repas réguliers »59. T. Kraus reconnaît, luibaussi,
l’importance de ces rites tant à Lagina qu’à Panamara, mais hésite, faute de
preuves, à les comparer aux repas funéraires60.
La rencontre d’Hécate et des morts à la fin du mois a contribué à
l’association des deux cultes. Aussi les offrandes déposées pour Hécate τα‚ς
τριακKσι ontbelles fini par se relier aux τριακKδες des morts, comme c’était
probablement le cas à Olbia ou à Lagina. Cependant, nous ne connaissons
qu’un témoignage qui identifie explicitement les deux rites afin de souligner
l’aspect chthonien d’Hécate ; il s’agit d’un passage provenant d’un recueil de
proverbes alexandrins de Plutarque qui identifie Hécate à Perséphone ainsi qu’à
Artémis et à Athéna, et qui semble plutôt spéculer sur le rapport d’Hécate avec
Perséphone et ses mystères61. Il ne fallait pas par conséquent en tirer la
conclusion que les « repas d’Hécate » s’adressaient forcément à une déesse
infernale. Pour saisir la nature de l’association d’Hécate et des morts le
« trentième » jour du mois, il serait du reste utile de rappeler que les rites en
l’honneur des ancêtres n’avaient pas de caractère exclusivement chthonien. Plus
particulièrement, les repas publics offerts en leur honneur étaient une occasion
pour la communauté de resserrer ses liens avant d’entrer dans une nouvelle
période mensuelle. Ainsi considérés, les τριακKδες des morts se rapprochent des
rites mensuels d’Hécate du fait que les uns comme les autres servent de pont
pour passer d’un mois à l’autre.
K. F. Smith, dans son article sur les « repas d’Hécate »62, signale la diverb
gence des sources sur la date de ces offrandes (τριακKς ou νου ην!α). D’après ce
spécialiste, le temps du rite devait originairement coïncider avec la première
apparition du croissant de la lune – identifié à Hécate au moment de « son
retour de l’Hadès » –, tandis que la confusion apparente des auteurs grecs serait
le résultat d’une réforme calendaire ignorant désormais les phases lunaires. À la
première partie de cette thèse nous pourrions opposer qu’aucune source ne
parle d’un séjour périodique d’Hécate dans l’Hadès. Du reste, cellebci fréquente
les passages (pouvant parfois mener à l’outrebtombe) et se trouve moins soub
vent dans les profondeurs souterraines ellesbmêmes. S’il est donc vrai que les
apparitions soudaines de la lune faisaient penser aux épiphanies divines et, en
particulier, à celles d’Hécate, ce n’est pas une raison pour attribuer les repas
59 Laumonier 1958 : 397b398. Sur les banquets offerts par les prêtres dans la cité de Stratonib
õιδου τριακKδας qu’on trouve chez Sophr., fr. 152 (KasselbAustin) isolée de tout contexte. Le
témoignage non daté de Bekker 1814 : s.v. Nκατα‚α va peutbêtre trop loin en identifiant en général
les offrandes à Hécate aux honneurs décernés aux morts (τ¯ νεκρ[ν ˜ναγ!σ ατα).
62 Smith 1913 : 565. Cf. Zografou 2004.
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Au rythme des mois et des jours 213
mensuels au seul aspect chthonien de cette divinité, ni pour fixer avec exacb
titude le moment de leur dépôt à la veille de la néoménie. Quant à l’écart entre
le calendrier et les phases de la lune, il s’agit d’un phénomène très ancien dont
les offrandes d’Hécate, dès leur début, ne pouvaient que tenir compte.
En effet, il semble difficile de trancher entre τριακKς et νου ην!α, et c’est
peutbêtre cette même difficulté qui nous fournira les clés de l’énigme. Car, si
l’on concluait qu’Hécate était traditionnellement honorée le trentième jour et ne
s’est trouvée que par confusion ultérieure parmi les divinités honorées à la
néoménie, cela risquerait d’occulter la nature de la déesse que nous trouvons
associée, au début du mois, non seulement à Hermès (selon le témoignage de
Théopompe), mais aussi à Apollon et à Artémis.
Le βοÀς ±βδο ος, « septième bœuf », était un gâteau évoquant les cornes de
bœuf ainsi que le croissant lunaire (κTκληνται δ’ Jπ¨ τοÀ σχ( ατος, Ñσπερ κα› I
βοÀς πT α γKρ ˜στι κTρατα –χον ε ι η Tνα) qui ne pouvait naturellement être
offert à Hécate qu’au début du mois. Cette offrande était, selon Pollux, égaleb
ment destinée à Apollon, à Artémis et à Sélènè63.
Le rapport entre l’offrande du βοÀς ±βδο ος et la lune semble également
confirmé par d’autres sources comme le lexicographe Photius, qui identifie le
βοÀς (sans l’adjectif ±βδο ος) à une autre galette semblable à l’astre – π,πανον
τÄ aστρ° µ οιον – au nom transparent σελην›ς (appelé aussi ˜πισελ(νιον ou
Jρεστ(ρ)64. Néanmoins, la forme de βοÀς ±βδο ος (celle du croissant lunaire) se
différenciait peutbêtre de celle de σελ(νη qui reproduisait, d’après Athénée, le
disque rond de la lune65. Or les scholies d’Eustathe affirment cette distinction :
« selênai étaient des gâteaux plats et ronds – πT ατα … πλατTα κυκλοτερˆ ;
après avoir offert six selênai de la sorte, comme on le raconte, on faisait cuire le
bous hebdomos en lui donnant des cornes à l’imitation de la lune dans sa première
apparition – κατ¯ ! ησιν πρωτοφυοÀς σελ(νης »66.
Si le rapport entre ce gâteau et la lune naissante est évident, le temps exact
de sa consécration nous fait défaut. Aucune source ne l’associe clairement aux
« repas d’Hécate ». Le qualificatif « septième » nous fait d’ailleurs penser au
septième jour du mois, jour « sacré » comme le premier67. Σελˆναι pouvant
désigner, en dehors du nom du gâteau particulier, aussi bien les « jours », la
pratique décrite par le commentaire d’Eustathe pourrait effectivement évoquer
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214 L’espace et le temps d’Hécate
une période de six jours à la fin de laquelle le « bœuf » serait offert68. Bien que
d’autres sources byzantines divergent de l’explication d’Eustathe en parlant d’un
sacrifice de gâteau succédant à une série de six sacrifices animaux69, le fait que le
gâteau était offert également à Apollon70, à qui le septième jour – encore plus
que le premier – était consacré71, corrobore cette hypothèse.
Une inscription de Samos mentionne une série d’offrandes nonbsanglantes
destinées à Κουροτρ,φος, à Hermès, à Artémis et à Apollon72 ; parmi les offranb
des sont mentionnés les ±βδο οι β,ες. S’agitbil de la même Κουροτρ,φος que
nous trouvons à Samos honorée aux τρ!οδοι73 ? Si oui, cette divinité, apparentée
à Hécate, se trouve liée, à travers l’offrande du βοÀς ±βδο ος, à trois divinités
que nous savons également honorées au début du mois.
Commencer le mois en honorant Hécate, Hermès et les dieux des portes
semble avoir été à Érythrées une pratique d’autant plus intéressante qu’elle nous
offre un exemple de culte public. D’après les parties conservées de ce calendrier
que nous avons citées afin de montrer le rapport d’Hécate avec les Létoïdes74,
Hécate « sur les murailles » reçoit un sacrifice au tout début d’un mois (CI 96b
97)75, tandis que le sacrifice aux « dieux du portail » a lieu le quatrième jour de
chacun des mois traités (A 4b8, BI 58 et C 83b84). Or, comme on peut
l’observer dans la première partie du calendrier (A 1b8), le jour où l’on sacrifie
aux « dieux du portail », on offre aussi un sacrifice à Hermès ππιος (associé en
ce cas avec Apollon Gποτρ,παιος et Poséidon ππιος). D’ailleurs, le quatrième
jour du mois est très souvent consacré à Hermès en tant que jour de son
anniversaire76.
68 Selon LSCG, 25a et b, il s’agit de « six cercles couronnés d’un motif en forme de bœuf ». Sur
σελ(νη au sens de « jour » (pars pro toto à l’instar de Üλιος = jour), voir Mommsen 1883 : 47 (n. 2).
69 Par exemple, Souda, s.v. βοÀς ±βδο ος (Adler).
70 Outre le texte de Pollux cité, voir LSCG, 25 ; F. Sokolowski en restituant le nom d’Apollon
ΠHθιος dans le texte très fragmentaire d’une inscription (datée, selon lui, entre le IVe et le IIIe s. av.
J.bC), fait de lui le destinataire de « trois βοÀς eβδXNους » ; une restitution différente avait été faite
par L. Ziehen et I. Prott (LGS, II, 22) qui y voyaient une offrande à Sélènè et à Hélios.
71 Nous nous sommes déjà référée à la coutume des rois de Sparte de sacrifier à Apollon le
premier et le septième jour du mois (Hdt., VI, 57) ; en fait, le septième jour du mois était le jour
de l’anniversaire d’Apollon : Hés., Trav., 770b771 avec Schol. Hés., Trav., 769b711 (Pertusi), cf.
Philoch., FGrH 328 F 88 (Jacoby). Sur les fêtes d’Apollon ayant lieu le sept de différents mois,
nous renvoyons à Nilsson 1962 : 38b39 et, concernant plus particulièrement le calendrier athéb
nien, à Mikalson 1975 : 19. Cf. West 1978 : 352b353, comm. au v. 770 des Jours qui essaie de retrab
cer l’origine du caractère sacré du septième jour et réunit la bibliographie sur le sujet. Sur Apollon
²βδ, ειος, ²βδο αγεν(ς et ²βδο αγTτης, voir, entre autres, Mommsen 1883 : 91 (n. 1.).
72 LSS, 80.
73 Vit. Hdt., 410b411 (Allen).
74 LSAM, 26, 74b79 (= H. Engelmann, R. Merkelbach, Die Inschriften von Erythrai und Klazome*
nai, Bonn, 1973, 207).
75 Voir Graf 1985 : 258 qui y voit une pratique comparable aux « repas » athéniens d’Hécate.
76 Ar., Pl., 1126, cf. schol. ad loc et HhHerm., 19. Cf. Mikalson 1975 : 16b18.
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Au rythme des mois et des jours 215
Parmi les figures honorées à la fin ou au début du mois, Hécate est la seule,
à notre connaissance, à exprimer si clairement l’ambiguïté dans la division du
temps. Honorée par une nuit sans lune, elle peut se retrouver couronnée au
matin du nouveau mois. Soit que le dépôt des « repas » aux triodoi appartienne
au trentième ou au premier jour, soit qu’il tombe au cœur du jour ±νη κα› νTα, il
correspond parfaitement à la complexité du calendrier et rend manifeste le
caractère de marge de l’entrebdeux mois.
77 Voir, par exemple, Plut., Quaest. Conv., 658fb659b et Gém., Phén., 8, 11 : τªν δ™ κατ¯ Tσον
τοÀ ην¨ς γενο Tνην φKσιν τˆς σελ(νης Jπ’ α•τοÀ τοÀ συ βα!νοντος διχο ην!αν ˜κKλεσαν, « l’aspect
que prend la lune au milieu du mois s’appelle de ce fait dichomênia ».
78 Eur., Ion, 1155b1156.
79 Selon Price 1978 : 200, c’était le type de gâteau normalement offert aux divinités κουροb
τρ,φοι.
80 Pour l’alternance de ι et de υ dans les mots Μουνυχι’ν (le mois), Μουνυχ!α (l’épithète
divine et la localité) et Μουν!χια (la fête du 16 Mounichiôn), ainsi que pour les étymologies propob
sées, voir Palaiokrassa 1983 : 235, n. 1.
81 Diphilos, PCG, fr. 27 (KasselbAustin) mentionne les J φιφ[ντες dans sa pièce Hécate, mais
on ignore le contexte ; chez Philémon, PCG, fr. 70 (KasselbAustin) nous trouvons une invocation
à Artémis accompagnant l’offrande d’un J φιφ[ν (cf. Athén., XIV, 646b648 qui cite ces deux fragb
ments comiques) ; Philoch., FGrH 328 F 86a (Jacoby), dans son ouvrage Περw •Nερ€ν parle d’un
dépôt simultané de ces offrandes aux sanctuaires d’Artémis et aux triodoi le 16 de tous les mois.
Etym. M. 94, 55 sq. (Gaisford), les associe à l’aspect lunaire d’Hécate. Cependant, Pollux, VI, 75
(Bethe) et Souda, s.v. JνKστατοι (Adler) ne parlent que d’une consécration au sanctuaire de
Μουνυχ!α.
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dans les sanctuaires d’Artémis ainsi qu’aux triodoi tous les 16 du mois et insérée
dans la fête publique d’Artémis Μουνιχ!α le 16 Mounichiôn82.
Le lien entre Artémis Μουνιχ!α et Hécate est d’ailleurs suggéré par l’épithète
ΖTα qu’Hésychius attribue à Hécate83 ; car non seulement Zea était un port très
proche de celui de Μουνιχ!α mais, comme l’attestent les inscriptions, lors de la
fête du 16 Mounichiôn, les éphèbes se réunissaient en une procession navale
d’un port à l’autre84. Enfin, l’auteur des Argonautiques orphiques finit par identifier
les deux déesses en situant une Hécate Μουνιχ!η en Colchide85. Dès lors, la
conclusion de H. Jeanmaire, selon laquelle les J φιφ[ντες s’adressaient « à
Artémis conçue dans un type voisin d’Hécate », semble plutôt justifiée86. En
outre, le calendrier du dème attique d’Erchia témoigne de l’importance du
seizième jour du mois pour le culte d’Artémis Hécate en prévoyant pour le 16
Metageitniôn, après le sacrifice d’un jeune porc à Κουροτρ,φος, le sacrifice
d’une chèvre à Artémis Hécate87.
Les sources rapportent que le nom J φιφ[ντες est dû à l’apparition simultab
née dans le ciel du soleil et de la lune, le soir de la pleine lune ; leur forme ronde
et leur décoration évoquent d’ailleurs la phase pleine de l’astre. Quant à l’assob
ciation de ces offrandes à l’Artémis de Mounichia, Plutarque raconte que c’était
un 16 Mounichiôn qu’Artémis est apparue sous son aspect lunaire afin de
secourir les Grecs lors de la bataille navale de Salamine : « le 16 Mounichiôn les
Athéniens le consacrent à Artémis parce que, ce jourblà, pour les Grecs qui
vainquirent à Salamine, la déesse brilla en pleine lune – ˜πTλα ψεν œ θε¨ς
πανσTληνος »88.
L’interprétation d’un skyphos attique de 370b360 av. J.bC.89 par Ph. Borgeaud
nous permet de lier également l’offrande des J φιφ[ντες à l’épisode du renverseb
ment des Trente Tyrans, épisode qui met aussi en évidence la nature lumineuse et
82 FGrH III, B, Suppl. vol. 1, p. 369b370 (Jacoby). Cette opinion est suivie aussi par Mikalson
1975 : 21. Voir aussi Palaiokrassa 1983 : 19b20, 25b26.
83 Hsch., s.v. ΖTα (Latte) : œ †˜κKτη παρ¯ το‚ς Gθηνα!οις κα› ε©ς τ[ν ˜ν Πειραιε‚ λι Tνων, « Zea :
les Athéniens appellent ainsi Hécate ainsi qu’un des ports de Pirée ».
84 Palaiokrassa 1983 : 22.
85 Argon. orph., 1, 934 sq.
86 Jeanmaire 1939 : 259 avance aussi l’hypothèse (279 sq.) que le mot σTλας dans l’HhDem., 52,
désignerait un J φιφ[ν.
87 Voir LSCG, 18, B, 6b13, inscription du IVe s. av. J.bC., en cinq colonnes, publiée par Daux
1963 : 603b634, qui commente à propos du lieu de ce sacrifice (623) : « le 16 Metageitniôn, il est
clair que le sacrifice à Artémis Hécate a lieu dans le sanctuaire ˜ν NκKτης, mentionné aussitôt
avant ». Cf. SEG, 21 (1965), 541, B, 6b13.
88 Plut., De gloria Atheniensium, 349f. Le plus probable est que Plutarque se trompe, quant à la
date de la bataille de Salamine (voir Pritchett 1979 : 176b178), mais cela n’exclut pas que la
commémoration de la victoire soit traditionnellement liée à la fête de la déesse.
89 Laon, Musée 371072. L’interprétation proposée par de La Genière 1972 : 291b300, fig. 1b2
est assez contestable.
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218 L’espace et le temps d’Hécate
cation des cérémonies liées aux phases lunaires96. Aussi la mort et la naissance
de la lune, de même que sa plénitude, tout en reflétant le cours de la vie
humaine, offrentbelles, à un premier niveau, des repères à l’organisation du
temps. R. Parker, dans son étude Miasma, signale que les offrandes à Hécate
marquent le début et le milieu du mois et expriment un désir d’ordre97. Comme
l’auteur le montre bien, purifier et diviser (donc organiser) sont des fonctions
étroitement liées, d’où l’association fréquente des rites d’Hécate avec les rites
purificatoires98. Nous trouvons ses remarques fondamentales mais, malgré le
lien fréquent entre Hécate et l’impur, nous ne croyons pas pouvoir identifier,
comme il le fait, les « repas d’Hécate » – et encore moins les J φιφ[ντες – avec
des « purifications » ou des « rites d’expulsion ». Il nous semble que cette déesse
est principalement concernée par l’organisation du temps et de l’espace dont la
notion du pur et de l’impur ne constitue qu’une expression, certes considérable.
2. Divisions de la journée
Le midi, seul moment objectivement identifiable de la journée, peut être
considéré comme son principal repère temporel99. À l’instar des phases lunaires
qui déterminent les divisions du mois, le soleil méridien sépare la journée en
périodes de croissance et de déclin100.
Cette division correspondait sans doute à une valorisation différente des deux
parties de la journée. D’après R. Caillois, qui a consacré une étude très riche à
l’heure du midi, cette heure séparait le jour en deux parties, la première réservée
aux dieux du ciel, la deuxième consacrée aux héros ou aux divinités souterraib
nes101. Outre les problèmes que pose la distinction entre divinités chthoniennes et
ouraniennes102, il est difficile d’établir une nette séparation entre cultes du matin
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Au rythme des mois et des jours 219
103 Eustathe, Comm. ad Il., 2, 529, 8 sq. (Van der Valk) ; Etym. M. p. 468 (Gaisford) ; Schol.
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220 L’espace et le temps d’Hécate
110 Voir Bompaire 1958 : 694. En ce qui concerne les sources des récits merveilleux, voir
Schwartz 1963 : 11.
111 Cf. Procl., In rem publ., II, 119, 20b27 (Kroll) : Plouton et Perséphone deviennent visibles ˜ν
εση βρ! σταθερ×. Certains traits sont empruntés à Virg., Én., VI, 249b259.
112 Luc., Philops., 22b24. R. Caillois classe l’épisode raconté par Dinomaque parmi les témoib
gnages qui prouvent que l’heure de midi est consacrée aux morts en attribuant à Hécate le rôle de
patronne des âmes en peine, les âmes de ceux qui sont morts « avant l’heure ». Selon lui, le temps
de la moisson favorise davantage l’apparition des « spectres de midi ».
113 Arist., Météorologiques, 2, 8, 366a, 12b17 : « la plupart des tremblements de terre, et les plus
violents se produisent la nuit. Ceux de jour ont lieu vers midi : c’est que le milieu de la journée est
d’ordinaire le moment où il y a moins de vent (en effet, lorsque le soleil est dans toute sa force, il
enfonce l’exhalaison dans la terre : il est dans sa plus grande force au moment de midi) ».
114 Luc., Philops., 14 : « il a attendu jusqu’à ce que la lune ait atteint la phase croissante − car
c’est alors que de telles cérémonies ont lieu pour la plupart – et après avoir creusé une fosse −
β,θρον −à un espace ouvert de la maison, vers minuit − περ› Tσας νHκτας −, il a d’abord appelé
pour nous Alexiklès, le père de Glaukias, mort il y avait sept mois […] ensuite, il a fait monter
Hécate qui a amené avec elle Cerbère et il a descendu la lune − ετ¯ δ™ τªν NκKτην Jν(γαγε
˜παγο Tνην τ¨ν ΚTρβερον κα› τªν Σελ(νην κατTσπασεν ».
115 Quant aux Nymphes, voir Caillois 1991 : 57b69 et Larson 2001 : 9b10. En ce qui concerne
l’« irritabilité » de Pan à midi et le risque couru par ceux qui dérangent sa sieste, voir l’étude
capitale de Borgeaud 1979 : 167b168 ; l’auteur signale également (159b171) la parenté entre la
nympholepsie et « la saisie par Pan ». Cf. Papangelis 1989 : 54b61.
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Au rythme des mois et des jours 221
méridien étaient plus dangereux aux portes et aux triodoi ou comme si, une fois
synchronisées, les ouvertures et les passages terrestres et célestes pouvaient
menacer dangereusement l’ordre qu’ils soutiennent.
Encore une fois, nos sources sont relativement tardives. Porphyre précise,
en commentant les vers 111b112 du chant 13 de l’Odyssée qui ont trait à la porte
sud de la Grotte des Nymphes à Ithaque : « Attribuant le Sud aux dieux, on tire
les rideaux dans les temples des dieux à l’heure de midi ; ainsi est observé le
précepte homérique qu’il n’est pas permis aux hommes d’entrer dans les
temples quand le dieu (c’estbàbdire le soleil) s’incline vers le Sud, alors que la
voie est ouverte aux immortels. Autrement dit, quand le dieu atteint le
méridien, on fait de la porte le signe de midi et du Sud »116. Nous savons aussi par
des recettes magiques que l’énergie particulière des triodoi était plus facilement
activée aux heures de passage, à savoir midi ou minuit : ˜λθæν δ™ ˜π› τ¨ν τ,πον
παρ¯ ποτα ¨ν ñ θKλασσαν ñ τρ!οδον νυκτ¨ς Tσης, « arrivé, au milieu de la nuit,
à un endroit soit près d’un fleuve soit près de la mer ou à une triodos »117.
De nombreuses traditions de la Grèce moderne ou d’ailleurs semblent
également fondées sur l’idée d’une sorte de simultanéité des divisions temporelb
les et spatiales118. Plutôt que de parler de survivances de l’antiquité, il vaut
mieux voir dans ces rites et coutumes une expression parallèle du même prinb
cipe. Dans certains villages grecs (spécialement en Crète), on observe la fermeb
ture des portes des maisons et l’interdiction d’y stationner à l’heure de midi119,
de la même façon que la fermeture des portes des temples à l’heure de midi
dans certains villages d’Italie120 nous rappelle le texte de Porphyre. À Zante, on
croit que c’est le diable qui erre aux carrefours à midi121, tandis qu’on a coutume
de porter aux τρ!στρατα, « points de rencontre de trois routes » des sucreries
(ζαχαρ,κουκα) et autres offrandes pour les ΝερKιδες (nymphes de la mytholob
gie néobhellénique)122. D’autres exemples d’origine très variée sont donnés par
116 Porph., Antr. Nymph., 26 : τ¨ν δ™ ν,τον θεο‚ς νT οντες ¦στα Tνης τˆς εση βρ!ας ˜ν το‚ς
ναο‚ς τ[ν θε[ν τ¯ παραπετKσ ατα ±λκουσι, τ¨ ηρικ¨ν δª τοÀτο φυλKσσοντες παρKγγελ α, Ôς
κατ¯ τªν εzς ν,τον –γκλισιν τοÀ θεοÀ ο• θT ις Jνθρ’πους εzσιTναι εzς τ¯ ¦ερK, Jλλ’ JθανKτων Iδ,ς
˜στιν. çστ¼σιν οÐν τ¨ σH βολον τˆς εση βρ!ας κα› τοÀ ν,του ˜π› τž θHρ εση βριKζοντος τοÀ
θεοÀ. Cf. Caillois 1991 : 122, n. 68 qui cite le texte avec ¦σ¼σιν au lieu d’¦στ¼σιν : « Ils ont fait une
correspondance du Sud et de Midi, car à midi le soleil est aubdessus de la porte [du Sud] ».
L’auteur (32) explique cette fermeture des sanctuaires à midi comme une interdiction de pénétrer
dans un endroit sacré à l’heure des morts.
117 PGM, XIa, 4, cité par Eitrem 1925 : 95.
118 Les traditions néobhelléniques sur les apparitions de midi et de minuit ont été rassemblées
notamment par Politis 1965 : 1153b1159, cf. Petropoulos 1959 : 33b35.
119 Politis 1965 : 1154 et Caillois 1991 : 62.
120 Petropoulos 1959 : 35, n. 3.
121 Schmidt 1871 : 177, cf. Politis 1874 : 458, n. 1.
122 Caillois 1991 : 62. Pour les apparitions à midi des ΝερKιδες (nymphes de la mythologie
néobhellénique qui, à Mélos, sont d’une manière caractéristique appelées Μεση εργιKταις), voir
Politis 1874 : 106b108 ainsi que Schmidt 1871 : 94b96.
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222 L’espace et le temps d’Hécate
R. Caillois. Par exemple, en Inde une règle étrange interdit de stationner aux
carrefours à midi ou à minuit après avoir mangé de la viande dans un repas
funèbre…123.
En dehors de la « parenté secrète » entre les lieux et les heures de passage,
d’autres éléments étayent l’hypothèse qu’Hécate, dans son aspect le plus redoub
table, était, de même que Pan et les Nymphes, concernée par les rayons dangeb
reux du soleil méridien. Il s’agit d’abord du lien d’Hécate avec le Soleil, attesté
non seulement à travers les généalogies, mais aussi dans le récit de l’Hymne
homérique à Déméter124 et dans les invocations des magiciennes125. Ensuite, la
dominante visuelle des assauts d’Hécate126 conviendrait parfaitement à midi,
heure qui ne supporte pas les ombres127 et qui génère, semblebtbil, des visions
rien que par son excès de lumière. Soulignons enfin le fait que l’atmosphère de
midi, comme les anciens se la représentaient – faite de silence, de calme et
d’immobilité – évoque, outre les symptômes de la nympholepsie, l’état de ceux
qui, « attaqués » par Hécate, sombrent dans une paralysie muette. Portes, routes
et triodoi, généralement anonymes, sont concernées par la présence d’Hécate en
tant que signes élémentaires d’un code spatial universel. En même temps,
points nodaux et « nonblieux » indéterminés, ils constituent des repères autant
que des « poubelles », des points cruciaux à défendre autant que des endroits
dangereux à fuir. Le culte d’Hécate dans ces entrebdeux rend hommage à leur
ambiguïté.
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Conclusion de la IIe partie 223
Pour faire apparaître les caractères propres à l’espace hécatéen, nous avons
procédé à une confrontation avec deux autres divinités, Apollon et Hermès.
Malgré la symétrie qu’évoque le couple LκατοςbNκKτη, l’espace apollinien se
révèle tout autre que celui de sa cousine. Fondateur de villes et architecte
fameux, ce dieu prend en charge d’autres aspects de l’espace urbain, à savoir des
rues et des seuils, et les protège par ses propres moyens.
Quant à Hermès, il est concerné, en tant que Στροφα‚ος, ΠροπHλαιος, ÷διος,
etc., plutôt par l’acte que par le lieu de passage, conçu comme un échange quasi
miraculeux de positions spatiales. En tant que messager/portebparole d’un centre
spatial et/ou politique, il parcourt un espace mesurable. La divinité Xγγελος de
Sophron mise en rapport avec Hécate par les scholies de Théocrite ne paraît pas
être l’équivalent féminin d’Hermès messager. Il s’agit d’une étrange médiatrice qui
mélange des catégories normalement séparées et entre en contact avec la souillure
et le monde des morts.
Malgré leurs particularités, Hécate, Apollon et Hermès partagent souvent
non seulement des emplacements, mais aussi des formes de figuration et de
culte. Dans leur qualité de divinités de l’espace, ils deviennent tous les trois,
dans le domaine de la religion de la maison ou du quartier, des sortes de
« voisins divins », très familiers aux hommes. Enfin, il faut souligner que la
complémentarité observée entre Hécate et Hermès explique pourquoi ces deux
divinités adoptent parfois des positions symétriques, agissant ainsi en couple
uni dans plusieurs contextes : iconographie du rapt et de l’anodos de Perséphone,
naïskoi de la Mère des dieux, tablettes de défixion.
Dans notre étude du temps « hécatéen », nous avons surtout observé Hécate
veiller aux articulations du mois lunaire. Le premier jour du mois, consacré,
entre autres, à Apollon Νου (νιος, offre l’occasion d’honorer Hermès et Hécate,
en tant que dieux « légués par les ancêtres ». Toutefois, les honneurs attribués à
Hécate Τριοδ‚τις sont les seuls à exprimer aussi clairement l’ambiguïté du jour
±νη κα› νTα. Le culte d’Hécate lors de la « pleine lune », διχ, ηνος, révèle la
relation de la déesse avec Artémis et Sélènè. Ce n’est donc pas seulement en
tant que déesse des limites qu’Hécate participe aux festivités de la pleine lune,
mais aussi comme surveillante des naissances et des enfants. Enfin, Hécate
paraît sensible à l’atmosphère particulière du midi, principal repère temporel
dans la journée, donnant naissance, comme par un excès de lumière, aux
apparitions surprenantes.
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Types, attributs et attitudes
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Chapitre I
Valeurs de la triplicité
1 Sélènè a été identifiée avec Artémis avant de l’être avec Hécate. Voir, entre autres, Johnston
1990 : 31 qui fait la part des choses.
2 Kraus 1960 : 103.
3 La triple répétition plastique ne signifie pas que l’Hécate trimorphe est dépourvue de sens
en soi comme conception religieuse, cf. Werth 2006 : 69 (« Hekate ist eine Göttin mit dreifachem
Bild; es handelt sich weder um einen ‘Götterverein’ noch um eine pure Dreifachung der
einfachen Darstellung »).
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228 Types, attributs et attitudes
phie d’Hécate avec son culte aux τρ!οδοι. Nous lisons, dans un fragment
comique du IIIe siècle av. J.bC., l’invocation : « Maîtresse Hécate, déesse des
triodoi, à trois figures et à trois visages amadouée par les triglai (mulets rouges) »4, à
laquelle nous pourrions en ajouter une autre, encore plus impressionante,
provenant d’un hymne magique à une divinité syncrétique identifiée notamment
à Sélènè, Artémis, Hécate et Perséphone : « Sélènè à trois retentissements, à trois
cris, à trois têtes, à trois pointes, à trois visages, à trois nuques, déesse des trois
routes, toi qui, dans trois paniers, possèdes le feu infatigable de la flamme, toi
qui, avec tes trois formes, règnes sur les trois décades »5.
Pour les spécialistes de la religion grecque, la représentation trimorphe
d’Hécate est souvent considérée comme inextricablement liée à la présence de la
déesse aux triodoi6. Selon cette tentative d’explication, si Hécate a trois têtes, c’est
tout d’abord pour pouvoir regarder dans les trois directions routières7. En interb
prétant la trimorphie comme une triple frontalité, nous mettrions les hekataia en
parallèle avec les gorgoneia, ces visages apotropaïques dont l’efficacité vient de leur
facialité8. La « théorie des masques », selon laquelle les triples hekataia seraient
l’évolution de l’assemblage des trois προσωπε‚α accrochés à un pilier ou à un
arbre, pourrait également s’intégrer dans cette problématique9. Malgré ses avanb
tages10, cette théorie reste indémontrable et les représentations des masques
accrochés aux piliers que nous trouvons sur les « vases des Lénéennes » ne
montrent qu’un seul masque ou, tout au plus, des paires de masques11.
Selon T. Kraus, la triplicité de la déesse, même si elle est liée aux fonctions
de τριοδ‚τις, semble précéder son emplacement aux triodoi : Hécate se trouverait
à la rencontre de trois rues parce qu’elle est trimorphe et non l’inverse. T. Kraus
4 Charicl., fr. 1, KasselbAustin (ou PLG, III4, p. 679, Bergk) = Athén., VII, 325d δTσποιν’
NκKτη τριοδ‚τι, | τρ! ορφε, τριπρ,σωπε | τρ!γλαις κηλευ Tνα ; cf. Eust., Comm. ad Il., 4, 373, 3b5
(Van der Valk).
5 PGM, IV, 2524b2529 ; cf. IV, 2820b2826 : τρ!κτυπε, τρ!φθογγε, τρικKρανε, Σελ(νη | θρινακ!α,
τριπρ,σωπε, τριαHχενε κα› τριοδ‚τι, | ä τρισσο‚ς ταλKροισιν –χεις φλογ¨ς JκK ατον πÀρ | κα›
τρ!οδον εθTπεις τρισσ[ν δεκK|δων τε JνKσσεις κα› τρισ› ορφα‚σι.
6 Voir, entre autres, Paris 1899 : 50 ; McCulloch 1911 : 333 ; Sarian 1992 : 987.
7 Le regard/la visibilité de la déesse joue aussi un rôle important dans l’interprétation de la
trimorphie donnée par Werth 2006 : 76 et passim.
8 Cette mise en parallèle est discrètement suggérée par Kraus 1960 : 108, qui observe qu’à
l’époque de l’Sπιπυργιδ!α d’Alcamène, représentée sans traits effrayants, le gorgoneion perd aussi
son aspect monstrueux. Sur les termes πρ,σωπον, προσωπε‚ον, γοργονε‚ον, ορ ολHκειον, voir
FrontisibDucroux 1995 : 10b17 et passim.
9 Nilsson 1967 : 724, n. 10.
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Valeurs de la triplicité 229
Fig. 23
Une image isolée sur un lécythe des années 470 av. J.bC. a été souvent
utilisée, à la suite d’une hypothèse de S. Karouzou16, en tant qu’illustration du
12 Pour T. Kraus, c’est précisément cet aspect chthonien qui garantit la puissance apotropaïb
que d’Hécate trimorphe postée, toujours selon le même auteur, dans un premier temps aux triodoi
et ensuite seulement devant les maisons, voir Kraus 1960 : 102b112.
13 Snell 1937 : 94, cf. Diehl 1949 : fr. 20d, 9b11.
14 Luc., Philopatr., 1 : ( που τρικKρανον τεθTασαι ñ NκKτην ˜ξ õιδου ˜ληλυθυ‚αν, ñ κα! τινι
θε[ν ˜κ προνο!ας συν(ντηκας.
15 Voir, par exemple, Sarian 1992 : 993, nos 41b42 ainsi que notre Fig. 32, infra, p. 279 (cratère
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230 Types, attributs et attitudes
17 Sarian 1992 : 996b997, n° 95 ; Vermeule 1979 : 109, fig. 26. Cf. aussi Mainoldi 1984 : 46 ; sur
la représentation de l’εŸδωλον, voir Siebert 1981 : 63b71.
18 Cratère en calice à figure rouge, à Toronto (Collection privée).
19 Une interprétation différente est proposée par Sarian 1997 : 15b21 qui voit dans cette scène
une Hécate aγγελος, liée aux morts et à la vengeance.
20 Soph., fr. 535 (Radt) = 492 (Nauck).
21 Argon. orph., 975b980, cf. Vian 1987 : 187, n. 980.
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Valeurs de la triplicité 231
22 Luc., Philops., 14 : … ετ¯ | δ™ τªν NκKτην τε Jν(γαγεν ˜παγο Tνην τ¨ν ΚTρ|βερον κα› τªν
σελ(νην κατTσπασεν, πολH ορφ,ν | τι θTα α κα› aλλοτε Jλλο‚,ν τι φανταζ, ενονÖ | τ¨ ™ν γ¯ρ
πρ[τον γυναικε‚αν ορφªν ˜πεδε!|κνυτο, ε©τα βοÀς ˜γ!γνετο πKγκαλος, ε©τα σκHλαξ | ˜φα!νετο.
23 Luc., Philops., 14.
24 Schol. Aristoph., Gren., 293 (Koster) : ο¦ ™ν α•τªν τªν NκKτην οŸονται ε©ναι, | ο¦ δ™
φKντασ α δαι ονι[δες ³π¨ τˆς NκKτης πε π, ενον κα› τ¯ς ορφ¯ς ˜ναλλKτον. Dans les Grenouilles,
288b304, Empousa prend successivement les formes d’un boeuf, d’un mulet, d’une femme, d’un
chien ; concernant le rapport EmpousabHécate, voir, entre autres, Ar., fr. 515 (KasselbAustin),
Hsch., s.v. ß πουσα (Latte), Etym. M., s.v. (Gaisford) et Souda, s.v. (Adler), cf. Patera 2004 (ch. sur
Empousa) et supra, p. 219.
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232 Types, attributs et attitudes
25 Athènes, Céramique, Inv. 4961. Voir Simon 1985 : 271 sq. (pl. 49, fig. 1), cf. Sarian 1992 :
1004, n° 206.
26 Ovide, Fastes, I, 141b142.
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Valeurs de la triplicité 233
figures adossées autour d’une colonne ou sur les trois surfaces d’une stèle
triangulaire – et rarement l’une à côté de l’autre – exprime probablement l’assob
ciation entre les trois visages et la fonction de contrôle des trois directions.
Toutefois, nous savons qu’Hécate, en tant que protectrice des portes et des
passages (peutbêtre le plus ancien de ses rôles), avait aussi des représentations à
trois corps et trois visages : ses statues trimorphes figuraient autant devant les
maisons privées que devant les sanctuaires27. Pausanias, qui attribue la première
représentation trimorphe de la déesse à Alcamène, n’associe pas cette innovab
tion aux triodoi : « Je crois que c’était Alcamène qui avait créé le premier trois
statues d’Hécate, attachées l’une à l’autre – JγKλ ατα NκKτης τρ!α […] προσb
εχ, ενα Jλλ(λοις ; les Athéniens appellent cette Hécate ‘Celle qui se trouve sur
la tour’– Sπιπυργιδ!α. Elle se trouve près du temple de ‘Victoire sans ailes’ –
παρ¯ τˆς GπτTρου Ν!κης τ¨ν να,ν »28. Même si le témoignage de Pausanias n’a
pas de valeur absolue (nous ne connaissons pas de triples hekataia plus anciens
que l’Sπιπυργιδ!α, mais nous ne pouvons pas exclure l’existence des hekataia en
bois, antérieurs à la statue d’Alcamène29), nous avons la preuve que, aux yeux
du Périégète, le triple hekataion n’était pas forcément ou exclusivement la repréb
sentation de la déesse en tant que Τριοδ‚τις.
Enfin, la triple forme de l’hekataion, même si elle était née pour une raison
unique, religieuse, technique ou esthétique (perdue ou non à jamais pour nous), a
été très problablement investie par la suite de plusieurs significations. Ce qui nous
intéresse ce n’est pas de proposer l’origine la plus raisonnable pour la trimorphie
d’Hécate, mais d’en dégager certains aspects, à nos yeux très importants. Nous
avons déjà relevé certaines particularités de l’hekataion confronté aux hermès
(ainsi, la disposition des trois figures autour d’un pilier imposant un mouvement
cyclique). Nous allons maintenant envisager plus particulièrement les valeurs de la
multiplication et surtout de la triplicité ellebmême.
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234 Types, attributs et attitudes
du commun (« répétition d’intensité »)30. Il cite, entre autres, les exemples grecs
du double Zeus, de Zeus Τρι,πας, « à trois yeux », des représentations de deux
Athénas identiques et de Borée au double visage. La concentration dans un
sanctuaire de plusieurs statues de la même divinité (provenant surtout des
dédicaces) avait peutbêtre le même effet aux yeux des visiteurs31.
Le besoin de multiplier l’assistance
divine, notamment près des portes et des
fortifications, ressort de plusieurs sources
littéraires ou archéologiques. Ce n’est pas un
hasard si Eschyle se réfère, employant le
pluriel, aux « dieux de la porte – θυρα‚οι »32.
Chez Sophocle aussi, il est question des
« dieux qui habitent les propylées » du palais
royal33 et Pausanias, comme on l’a vu,
témoigne d’une ²στ!α dressée à Mégare en
l’honneur des Προδο ε‚ς Θεο!, « dieux qui
président à la construction » ou « dieux
d’avant la construction »34. Rappelons aussi
les « déesses assises » de Prinias, liées au
dispositif d’entrée d’un temple archaïque sur
l’emplacement de Rhyzenia, près de Gorb
tyne en Crète (Fig. 25)35. D’autres témoignab
Fig. 25 ges écrits, de même que l’existence de
niches ou de reliefs à proximité des emplab
cements critiques d’une ville (portes, passages, acropole) montrent que le garb
diennage de ces dernières était souvent confié à des associations divines plutôt
qu’à une divinité seule36.
30 Voir Deonna 1915 : 288b349, 312 sq., Deonna 1914 : I, 40 sq., Deonna 1954 : 405 sq. La
même idée est exprimée, selon W. Deonna, chez M. Vendryes ou G. Dumézil.
31 Voir par ex. Paus., II, 31, 1 (plusieurs statues d’Artémis Σ’τειρα dans l’agora de Trézène)
et Paus., II, 22, 7 (trois statues indépendantes d’Hécate dans son temple d’Argos). Pour plusieurs
exemples de cette tendance, voir Usener 1903 : 195 sq.
32 Esch., Ag., 89, cf. ibid., 519 : δα! ονες Jντ(λιοι, « dieux qui sont en face du soleil », c’estbàbdire,
si nous acceptons l’interprétation d’Hésychius, « dieux qui se trouvent devant la porte ».
33 Soph., Électre, 1347.
34 Paus., I, 40, 3. C’est à ces Προδο ε‚ς Θεο! qu’Alkathoos, bâtisseur des murailles de Mégare
− assisté, comme on l’a vu, dans cette opération par Apollon − a sacrifié au moment où il allait
commencer la construction du rempart.
35 Deux figures féminines assises face à face trônaient dans le vide laissé aubdessus du linteau,
tandis que deux autres étaient allongées à leurs pieds à la face inférieure du linteau ; elles étaient
identiques deux à deux, si bien qu’on puisse parler de répétition littérale à l’orientale. Voir Pernier
1914 : 89b91, figs. 45b46 (cf. Pernier 1934 : 171b177) et Rolley 1994 : 125b127, fig. 107, qui fournit
une bibliographie plus récente.
36 Voir Pugliese Carratelli 1965 : 5b10.
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Valeurs de la triplicité 235
37 Parmi les sources écrites, seuls les hymnes magiques contiennent, à côté d’une prolifération
d’épithètes dont le premier composant est le trois (τρι*), une série exceptionnelle d’appellations
avec préfixe τετρα* (quatre), voir PGM, IV 2818.
38 Chez Homère le trois, le cinq et le sept (de même que leurs multiples), sont clairement
privilégiés, voir Germain 1954 : 8 sq.
39 Arist., Du ciel, 1, 268a, 17b20 mentionne le rôle du nombre trois dans les cérémonies
religieuses (« πρ¨ς τ¯ς »γιστε!ας τ[ν θε!ων »). Pour un exemple d’une triple libation, voir Hom.,
Od., XI, 28 (évocation des morts) ; Soph., Œd. Col., 465b490.
40 En Il., VIII, 488, la Nuit est appelée τρ!λλιστος, dans l’Od. V, 444, πολHλλιστος.
41 Usener 1903 : 18 sq. ; pour la τριττHα, voir Germain 1954 : 45. Pour les sacrifices de trois
animaux, voir aussi Hom., Il., III, 103b104 ; Eur., Suppl., 1201b1202.
42 Esch., Eum., 760 ; Suppl., 26 ; cf. Pl., Rép., 583b : « τ¨ τρ!τον τÄ σωτˆρι » (proverbial).
43 Arist., Du ciel, 1, 268a ; Hsch., s.v. τρ!ς· τρ›ς ˜π› τοÀ πολλKκις, « on dit ‘trois fois’ au lieu de
‘plusieurs fois’» (Latte) ; Plut., De Iside et Osiride, 365b : τ¨ δ™ πολλKκις εz’θα εν κα› τρ›ς λTγειν
(« nous avons l’habitude de dire ‘trois fois’ au lieu de ‘beaucoup’ »). Cf. les adjectifs τρισ Kκαρ,
τρισκακοδα! ων. Il est, de surcroît, significatif que le pluriel est utilisé en grec ancien à partir d’un
regroupement de trois. Usener 1903 : 358 croit que l’importance du nombre trois remonte à un
temps où on ne comptait pas loin ; sur ce dernier point, voir Gerschel 1962 : 697 sq.
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236 Types, attributs et attitudes
leur nombre est la triade. Voilà pourquoi, la nature nous ayant, en quelque
sorte, livré ses propres lois, nous nous servons également de ce nombre dans
les cérémonies du culte des dieux – πρ¨ς τ¯ς »γιστε!ας […] τ[ν θε[ν. C’est dans
le même esprit que nous donnons aux choses certains qualificatifs : de choses
qui sont deux, nous disons ‘les deux’, et de deux hommes, nous disons ‘l’un et
l’autre’, mais nous ne disons pas ‘tous’; nous ne commençons à affirmer ce
prédicat que d’êtres qui sont au moins trois »44.
312) et Pindare une centaine. Chez Sophocle et chez Euripide, il apparaît à trois têtes ou à trois
corps, nommé τρ!κρανος ou τρισ’ ατος (Soph., Trach., 1098 ; Eur., Hér., 611, 1277 et 24). Dans
les représentations artistiques, le chien d’Hadès a une, deux (surtout dans les représentations
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Valeurs de la triplicité 237
À Thasos, les reliefs encadrant les niches du fameux « passage des théob
res »51 nous montrent deux groupes féminins en procession : le cortège des
trois Charites accueilli par Hermès (Fig. 26a) et trois Nymphes marchant à la
rencontre d’Apollon (Fig. 26b)52. Dans la même île, nous retrouvons un groupe
de trois déesses sur la porte dite « d’Hermès et des Charites »53. Plus important
encore pour notre propos est le culte des trois Charites près de l’entrée de
l’acropole d’Athènes, à l’emplacement où l’on retrouve aussi Hécate : « devant
l’entrée de l’acropole il y a des Charites, cellesbci aussi au nombre de trois ; c’est
attiques) ou trois têtes, mais la tricéphalie devient la norme à partir du IVe s. ; voir Woodford,
Spier 1992 : 24b32.
50 Hom., Il., V, 749 et VIII, 399. Les mêmes vers homériques sont gravés sur la base d’une
statue des Heures ; voir IG, II², 4797. Il y a parfois une confusion entre les noms des Heures et
ceux des Charites, ces dernières étant probablement affectées, d’ailleurs, au gardiennage des
portes à Athènes et Thasos.
51 Paris, Louvre, MA 696, A, B, C. Holtzmann 1994 : 39 considère ce « passage » comme un
« propylon monumental de la grande voie aboutissant aux sanctuaires des sommets de l’acropole ».
Selon Pouillloux 1979 : 129b141, ce passage marquait l’emplacement d’une entrée plus ancienne vers
la cité archaïque.
52 Paris, Louvre, MA 696 A, B, C. Des inscriptions (IG, XII 8, 358abb) confirment l’identifib
cation des figures représentées tout en démontrant que les Nymphes et les Charites étaient les
plus importantes parmi les divinités des reliefs (à noter, pourtant, que dans ce passage étaient
honorées d’autres divinités que celles des reliefs, comme Athéna Προπυλα!α et Hestia : Pouilloux
1979 : 133 et n. 11b13) ; cf. Harrison 1986 : 194b195, n° 16. Holtzmann 1994 : 41b59, pl. 8b14,
donne une bibliographie abondante et date les reliefs des environs de 480 av. J.bC.
53 Musée de Thasos, 23, cf. Picard 1962 : 134b142 et Guide de Thasos 1968 : 47 et 169, fig. 105.
Il s’agit d’un relief très effacé de la première moitié du Ve s. av. J.bC. qui nous montre une figure
masculine et trois figures féminines dont l’identification reste controversée, cf. Duchêne 1992 : 75.
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238 Types, attributs et attitudes
à côté d’elles qu’on exécute une cérémonie secrète – τελετªν […] Jπ,ρρητον –
pour la plupart des gens »54. L’intervention des Charites – sous les noms de
Θαλλ’, Α•ξ’ et Øγε ,νη – en tant que garants sacrés du serment ancestral des
éphèbes athéniens55 serait sans doute à mettre en rapport avec cette positionbclé
sur l’acropole56. La liste des témoins évoqués continue, après l’invocation
d’Héraclès (autre gardien bien connu des portes), avec « les bornes de la patrie,
les blés, les orges, les vignes, les oliviers, les figuiers », marqueurs symboliques
et réels du territoire athénien.
Fig. 26b
Pausanias situe aussi les statues des Charites devant la porte d’Athéna Polias
à Érythrées57, ainsi que dans le pronaos de l’Héraion d’Argos58. Aussi les
κοÀραι, « jeunes filles », qui se réunissent avec Pan devant la maison de Pindare
afin de chanter des hymnes pour la Grande Déesse – Μ(τηρ – seraientbelles
peutbêtre à identifier aux Charites59.
Les Heures aussi (groupe faisant parfois pendant à celui de Charites60 et parb
fois confondu avec cellesbci61), gardiennes des portes du ciel, peuvent éventuelb
54 Paus., IX, 35, 3 (discussion sur le nombre des ces déesses jumelles à propos des Charites
d’Orchomenos), cf. I, 22, 8. Selon lui, les Athéniens ne vénéraient que deux Charites à l’origine :
Paus., IX, 35, 2. Sur les Charites de l’Acropole, voir, entre autres, PirennebDelforge 1996 : 206b207.
55 La liste des témoins évoque, entre autres, Héraclès (autre gardien bien connu des portes)
ainsi que « les bornes de la patrie, les blés, les orges, les vignes, les oliviers, les figuiers », marb
queurs symboliques et réels du territoire athénien.
56 Sur le texte du serment transmis par Stobée, Pollux ainsi que par une inscription du dernier
tiers du IVe s. av. J.bC., voir, entre autres, Robert 1938 : 296b307, Pelekidis 1962 : 110b113 (cf. 75
sq.) et Daux 1971 : 370b383.
57 Paus., VII, 5, 9. Cf. aussi Anth. Pal., VI, 342 où il est question d’« un portique des Grâces »
au temple d’Athéna à Cyzique.
58 Paus., II, 17, 3b4.
59 Pind., Pyth., III, 77b78 : « …la Grande Mère […], que souvent les jeunes filles viennent chanter
avec Pan, sur le pas de ma porte − παρ’ ˜ ¨ν πρ,θυρον −, pendant la nuit ». Nous trouvons la
même association de Pan qui suit la Grande Mère avec les Charites chez Pind., Parthénées, IV, 178.
60 Par exemple sur la couronne d’Héra à Argos : Paus., II, 17, 3b4.
61 Ainsi, pour Pausanias, Θαλλ’ est une Heure et figure avec Α•ξ’ et Øγε ,νη − noms des
Charites − dans le serment des éphèbes. Sur cette confusion, voir PirennebDelforge 1996 : 200b202.
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Valeurs de la triplicité 239
62 Robert 1940 : 7b17, n. 1 (épigramme de Cyrène), cf. SEG, 9 (1938), 63, Rudhardt 1998 : 87b
89, Ellinger 2005 : 167, 310.
63 Cf. Larson 2001 : 259b264.
64 Sur le rôle de la dance dans la création de l’espace sacré, voir aussi Lonsdale 1993 et
Morgan 2007 : 122.
65 Voir, entre autres, Kraus 1960 : 129b152 ; Harrison 1986 : 198, nos 28b34 et Sarian 1992 :
1004b1005, nos 217b233.
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240 Types, attributs et attitudes
des trépieds votifs, à savoir la fameuse colonne aux acanthes de Delphes, surb
montée d’un groupe de trois danseuses (335b325 av. J.bC.) et l’« hekataion » helléb
nistique de Rhodes66.
L’« hekataion » de Rhodes est classé habituellement parmi les hekataia hellénisb
tiques : trois figures archaïsantes qui rappellent vraiment Hécate sont présentées
sur les côtés d’un support triangulaire dont le sommet devait recevoir un trépied
(Fig. 27a*b)67. Cette pièce unique évoque l’usage qui consiste à faire reposer les
66 Sur ces περιρραντ(ρια, voir Ginouvès 1962 et Ducat 1964 : 577b606, qui constate à travers
son catalogue une tendance de généralisation par rapport au nombre trois des supportsbstatub
ettes ; le même auteur fait aussi à la p. 594 une distinction attentive entre trépieds et περιρραντ(b
ρια et Pimpl 1997 : 56b58. Poupaki 2001b2 : 285 note que les korai servant de supports peuvent
représenter des prêtresses, tandis que, selon Cole 2004 : 43 (n. 66) et 45, leur emploi renvoie à la
pureté sexuelle des jeunes hydrophoroi participant aux processions religieuses. Sur la « colonne aux
acanthes », voir Homolle 1908 : 205b235, Bousquet 1964 : 655b675, fig. 2, Amandry 1976 : 65 sq.,
fig. 11 et Luce 2001 : 111b128 qui identifie les trois korai de la colonne aux Thries. Sur l’« hekab
taion » de Rhodes, voir Lévêque 1950 : 62b65 et pl. 13, 2, ainsi que Sarian 1992 : 998, n° 116.
67 Kraus 1960 : 110, n. 534 y voit plutôt un récipient à eau.
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Valeurs de la triplicité 241
cuves des chaudrons sur des statues représentant des dieux ou des déesses, usage
attesté depuis le milieu du VIe siècle68 et il n’est pas impossible que ce soit un
hekataion utilisé comme support d’un trépied.
Néanmoins, il n’y a aucune raison
de voir dans les hekataia une évolution
– à étapes manquantes – à partir d’aub
tres objets tripodes69. En premier lieu,
les κ,ραι des περιρραντ(ρια, contraib
rement aux trois figures des hekataia,
ne sont jamais adossées au pilier cenb
tral qui peut, d’ailleurs, être complèb
tement absent. En outre, ces figurinesb
supports sont également à distance
l’une de l’autre, tandis que les trois
figures d’Hécate sont, sinon unies, du Fig. 28
moins en contact l’une avec l’autre.
Dans le cas des trépieds nous sommes, selon les critères mentionnés, beaucoup
plus près de la structure des hekataia ; seulement, il ne s’agit là que de créations
postérieures à l’Hécate d’Alcamène.
Le véritable intérêt de la comparaison consiste, pour nous, à ce qu’il nous perb
mettra, par la suite, de vérifier une nouvelle fois la tendance à avoir des objets à
structure triple aux emplacements limitrophes et de poser plus directement
certaines questions par rapport à la fonctionnalité des statues d’Hécate.
Ce sont les trépieds votifs qui nous intéressent le plus par leur disposition
dans l’espace. Trophées de guerre ou prix des concours, ce sont des objets qui à
la fois proclamaient la richesse et la gloire de la divinité concernée – souvent
Apollon et Dionysos, mais aussi Zeus, Héra, Athéna, etc. – et commémoraient
68 Paus., I, 20, 1 (les trépieds de la rue des Trépieds à Athènes renfermaient des œuvres d’art) ;
III, 18, 8 et IV, 14, 2 (dans le sanctuaire d’Amyclées, sous les trois trépieds qui provenaient de la
guerre de Messénie – la première selon Pausanias – se dressaient les statues d’Aphrodite, d’Artémis
et de Koré) ; cf. IG, II², 3089 (statues de Niké et de Dionysos sous deux trépieds, inscription datée
entre 200 et 150 av. J.bC.), etc. Voir Chamoux 1970 : 655b675 et Jacquemin 1993 : 330b332. Il paraît,
comme le croit aussi F. Chamoux, que dans ce cas les statues servaient de supports centraux à l’intéb
rieur des jambes du trépied. Nous connaissons encore, grâce à Pausanias, l’existence d’un trépied
soutenu par des statues montrant des Perses : ΠTρσαι χαλκοÀν τρ!ποδα JνTχοντες, « soutenant un
trépied de bronze » ; d’après l’expression du Périégète, il s’agissait plutôt, dans ce cas, de statuettes
qui remplaçaient les jambes du trépied.
69 Selon Petersen 1908 : 31 sq., les triples statues d’Hécate sont le résultat de l’identification
d’une ancienne déessebpilier aux figures des servantes qui l’entouraient. Ginouvès 1962 : 90 sq.
admet une évolution analogue pour l’association des éléments aniconiques et anthropomorphes
des περιρραντ(ρια. E. Simon ira jusqu’à reconnaître un prédécesseur de la triple Hécate − qui, à
son avis, était originairement une sorte de Π,τνια θηρ[ν − dans les trois korai – supports du
περιρραντ(ριον de Samos, associées à deux lions (voir Fig. 28) : Simon 1996 : 161, fig. 144 ; quant
au περιρραντ(ριον de Samos, où il n’existe pas de support central, voir Blümel 1963 : 33, pl. 90b93
et Ducat 1964 : n. 1, fig. 6. Contra Kraus 1960 : 109b110.
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242 Types, attributs et attitudes
70 Sur les occasions de consécration des trépieds, de même que sur les sanctuaires qui receb
vaient ces offrandes, voir Rouse 1976 : 145b148, 156 sq., 386.
71 HhAp., 440b444 (Suite Pythique).
72 Ar., Cavaliers, 1014b1016, « du chemin des oracles – λογ!ων Iδ,ν – qu’Apollon fit pour toi
du fond du sanctuaire, retentir à travers les trépieds révérés – διK τριπ,δων ˜ριτ! ων ».
73 Bacch., Ép., III.
74 Guillon 1943 : 57 et Giannisi 2006 : 40 sq.
75 Paus., I, 20, 1 ; nous trouvons toujours à Athènes, dans le même quartier, la « rue des Tréb
pieds ». Il est à remarquer que les monuments destinés à recevoir les trépieds mentionnés par
Pausanias ne sont pas de simples socles, mais de petits édicules. Sur le monument de Lysicrate
qui appartient à cette « rue des Trépieds », voir Amandry 1976 : 71 sq.
76 Des trépieds gravés sur la roche ou rivés au sol marquaient les limites de ce territoire sacré,
voir Dubois 1919 : 475. Sur la signification religieuse du trépied, voir Rouse 1976 : 385 et
Delcourt 1955 : 73. Dans schol. Ar., Plout., 9 (Dübner), la triplicité de cet instrument cultuel est
liée à la nature de la vérité oraculaire qui porte sur les trois divisions du temps, c’estbàbdire sur le
passé, le présent et le futur.
77 Περ!ρρανσις, « aspersion » ou περιρρα!νω, « arroser tout autour », « asperger pour purifier ».
Dans certains textes le mot paraît désigner l’acte même de l’aspersion : Vorsokr. I, p. 451 (Dielsb
Kranz) ainsi que Marin., Vit. Procl., 18, 35b36 (Oikonomides). Cf. note suivante.
78 Au sujet de ces vasques, de leur fonction et de leur emplacement et sur la terminologie
relative, voir Ginouvès 1962 : 299 sq. ; cf. aussi Chantraine 1999 : 965, s.v. Åα!νω, Poupaki 2001b
2002 : 281b289 et surtout Cole 2004 : 45b46.
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Valeurs de la triplicité 243
prédestine. Leur mise en place devant les entrées des sanctuaires ou encore aux
bornes de certains espaces publics (confirmée par des nombreux documents
écrits ainsi que par des vestiges archéologiques) est, dès lors, à rapporter à la
relation plus générale entre la notion de la purification et les limites de toute sorte
dont nous avons déjà parlé. L’expression –ξω τ[ν περιραντηρ!ων79 montre élob
quemment que ces instruments à purification rituelle servaient aussi à circonscrire
un espace (ce qui a été prouvé par les trouvailles sur le site de l’agora d’Athènes80).
Nous trouvons l’expression contraire [π]εριραντηρ!ων εŸσω, « en deçà des périb
rrhantêria » dans une loi sacrée de Lindos (IIIe s. après J.bC.)81 aussi bien que chez
Lucien82. Ces instruments, qui faisaient partie du mobilier des sanctuaires, se troub
vaient plus particulièrement à côté des entrées des enceintes sacrées comme le
montrent des expressions comme πρ¨ τ[ν ¦ερ[ν83 et πρ¨ τοÀ πυλ[νος84.
Une idée sousbjacente qui a imprégné le débat sur les rapports entre les statues
d’Hécate et les instruments de culte dont nous avons parlé a été celle de la
fonctionnalité rituelle. L’insistance avec laquelle la colonne centrale surplombe les
têtes des figures des triples hekataia – dont le nom même renvoie à un lieu de
culte et non à une simple statue85 – incite à penser que cet élément central pourb
rait jouer le rôle d’une table rituelle ou d’un autel ; il pourrait aussi supporter une
cuve, comme c’est probablement le cas de l’hekataion de Rhodes86. Bien que les
statuettes d’Hécate, notamment celles qui se trouvaient devant les maisons
privées, aient pu, à la façon des piliers d’Apollon GγυιεHς87, constituer à la fois
l’image de la déesse et son autel ou le lieu de déposition de ses « repas », nous ne
disposons d’aucune preuve certaine de cette hypothèse.
79 Voir Eschin., Or., 3, (C. Ctésiphon), 176 par rapport à l’exclusion de certaines catégories de
gens hors de l’espace de l’agora athénienne, cf. Cole 2004 : 36b49, sur le rôle des περιρραντ(ρια
dans la création d’un espace rituel et les περιρραντ(ρια de l’agora (43).
80 Ginouvès 1962 : 307.
81 LSS, 91 : loi portant sur les conditions d’entrée dans un sanctuaire ou un temple ; l’exigence de
pureté concerne l’espace à l’intérieur des περιρραντ(ρια ainsi qu’à l’intérieur des portes du temple.
L’inscription était d’ailleurs gravée sur un pilier provenant, probablement, d’une porte du sanctuaire.
82 Lucien − Sur le sacrifice, 13 − substantive l’expression : τ¨ εŸσω τ[ν περιραντηρ!ων.
83 Schol. Esch., Or., 3 (C. Ctésiphon), 176, 403a (Dilts) : τ¯ ¸δατα τ¯ πρ¨ τ[ν ¦ερ[ν ; cf. Hipb
pocr., M.S., VI, 363b364, qui associe l’aspersion rituelle et le franchissement des bornes des
sanctuaires.
84 Pergamon VIII, 2, n° 336, 1, 7 (IIe s. av. J.bC.) ; Une autre inscription de Pergame (LSAM,
12) transmet le règlement du culte d’Athéna Νικηφ,ρος où sont mentionnés des »γιστ(ρια, placés
près d’une entrée du sanctuaire. Il s’agit, selon Ginouvès 1962 : 308, n. 1, des instruments d’usage
analogue à celui des περιρραντ(ρια.
85 Voir Chantraine 1999 : s.v. NκKτη.
86 Cf. Dinsmoore Jr 1980 : 33, qui rapporte les opinions de W. B. Dinsmoor, Sr. ; Simon 1985 :
274 considère elle aussi comme probable la combinaison statue/autel dans le cas des hekataia.
87 Voir, par exemple, Eust., Comm. ad Il., 1, 256, 26b29 (Van der Valk) ainsi que di Filippob
Balestrazzi 1981 : 327b332.
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244 Types, attributs et attitudes
Les mains percées d’un certain nombre de triples hekataia – considérés comme
très proches typologiquement de l’Hécate alcaménienne – pourraient nous offrir
une piste quant à leur fonction88. Il serait très raisonnable d’y voir des trous
destinés à recevoir des torches, cet attribut étant indiscutablement, le plus imporb
tant dans l’iconographie de la déesse ; d’autant plus que, d’un côté, la fameuse
ArtémisbHécate Sπιπυργιδ!α avait probablement reçu l’épithète Πυρφ,ρος et
que, de l’autre, Hécate dadophore figurait sur des monnaies athéniennes suscepb
tibles de reproduire l’Hécate de l’Acropole89. En réalité, contrairement à ce que
nous attendrions, la construction des mains trouées de ces hekataia ne pouvait
permettre que très difficilement le port des torches plastiques. Des raisons technib
ques ont, par conséquent, conduit à considérer que lesdits hekataia portaient
plutôt des attributs métalliques légers (phiales, oinochoés etc.)90.
L’image de l’hekataion sur un fragment de skyphos que nous avons déjà menb
tionnée (Fig. 24, supra p. 232) nous montre la statuette flanquée de deux torches
enfoncées dans le sol. E. Simon, rapproche l’image d’une autre scène de culte
représentée sur un lécythe à figures rouges (milieu du Ve siècle av. J.bC.) : une
femme tenant dans ses mains un petit animal et un panier d’offrandes se penche
vers le sol où sont apparemment enfoncées trois torches91. L’identification de
l’animal (un petit chien et non un porcelet)92 permet d’envisager la scène comme
un sacrifice à Hécate, les trois torches étant interprétées comme l’évocation d’une
déesse triple et porteuse de torches. S’il était d’usage, dans le cadre du culte
d’Hécate, de dresser des torches directement sur la terre, pourquoi ne pas envib
sager l’idée des torches réelles, destinées à l’éclairage des rues et des vestibules,
dans les mains trouées de nos statuettes93 ?
E. Simon, inspirée du même document, propose comme attributs des hekataia,
des rameaux – comme ceux qui sortent du corps de l’hekataion de l’image en
question ; selon son hypothèse ces rameaux (réels ou métalliques) renverraient à
l’aspersion à l’eau lustrale des περιρραντ(ρια94. Même si les emplacements
communs aux hekataia et aux vasques de ce type pouvaient, dans certains cas, les
marier lors d’un geste rituel, il ne faudrait toutefois pas en inférer une règle
générale. Contrairement aux torches, les rameaux ne sont nulle part mentionnés
88 Sur l’exemple de l’« hekataion du British School » (Brit. School S 21), voir Kraus 1960 : 97b
101, 113, pl. 3, 2, Harrison 1965 : 86b107 et Sarian 1992 : 999, n° 131 ; voir aussi pour un hekataion
de l’Agora d’Athènes (Agora S 1277) Sarian 1992 : 999, n° 130 (qui croit toutefois qu’un trou à
côté d’une des figures pourrait servir à fixer une longue torche) ; Harrison 1965 : 98b99, n. 134, pl.
32 et Kraus 1960 : 120, n. 1, pl. 4.
89 Sarian 1992 : 1002, nos 167b168.
90 Conclusion de Kraus 1960 : 99b100 ; Harrison 1965 : 98 est plutôt du même avis.
91 Pour ce lécythe d’Athènes (Musée National, 1695), voir Simon 1985 : 273 et n. 12.
92 Rumpf 1961 : 208 sq., identifie l’animal comme un petit chien et pense que la scène repréb
sente un sacrifice à Aphrodite Genetyllis identifiée à Hécate.
93 Sur la possibilité que les statues portent des torches réelles, voir Zografou 2005 : 533b534.
94 Simon 1985 : 274 sq.
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Valeurs de la triplicité 245
comme attributs d’Hécate dans les sources anciennes et ceux du skyphos pourb
raient tout simplement décorer la statue à la façon d’une couronne95.
Malgré leurs différences fondamentales, les trépieds, les vasques à trois supb
ports et les triples hekataia partageaient donc un emplacement commun ainsi que
certains traits extérieurs (une structure triple ainsi que, éventuellement, une comb
binaison d’éléments anthropomorphes et aniconiques)96. Plus que la série des
περιρραντ(ρια sortis des ateliers du VIIe siècle av. J.bC., ce sont les περιρραντ(ρια
attiques de l’époque hellénistique qui témoignent d’une éventuelle influence exerb
cée des uns aux autres97.
95 Sur l’usage de couronner chaque mois les statues d’Hermès et celles d’Hécate, voir Porph.,
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246 Types, attributs et attitudes
voisinage de ces deux divinités avec le groupe des Charites100 évoque, en partie, la
réunion divine que nous avons rencontrée sur les reliefs du « passage des théob
res ». L’association d’Sπιπυργιδ!α avec les Charites est attestée, au moins pour
l’époque romaine, par la mention sur une inscription (IIe siècle) de leur prêtrise
commune101.
Le culte d’Athéna Ν!κη (Victoire) contribuait sans doute, entre autres, à
investir l’Acropole d’un caractère d’invincibilité. La statue d’Hécate Sπιπυργιδ!α
dans ce sanctuaire – qui date du milieu du VIe siècle – devait assurer la citadelle
contre d’éventuels ennemis, d’autant plus qu’elle avait très probablement été
érigée entre 430 et 420, avec le nouveau temple de marbre d’Athéna Ν!κη, venu
compléter la reconstruction des propylées de Mnésiclès102. Les nouvelles consb
tructions avaient remplacé celles que les Perses avaient endommagées pendant les
guerres médiques, tout en améliorant la défense de la cité dans la première étape
de la guerre du Péloponnèse. Par conséquent, la triplification répondrait premièb
rement au besoin de rehausser la puissance protectrice de la déesse au niveau
suprême. Cette représentation plastique d’Hécate était très probablement de style
archaïsant, ce qui pouvait avoir comme but d’assurer l’ancienneté et la vénérabilib
té de la divinité représentée ainsi que de renouer avec le passé glorieux des vicb
toires athéniennes103. Il n’est donc pas étonnant que la figure d’Hécate aux torb
ches ait pu faire partie des emblèmes de la cité d’Athènes sur les monnaies. Dans
un tel contexte où s’entremêlent, d’une part, la protection réelle et la protection
symbolique, d’autre part, la religiosité et le patriotisme, la triplicité de l’Hécate
d’Alcamène pourrait aussi avoir évoqué, sous les traits d’une κ,ρη archaïque, les
95b96). En effet, l’association avec Hermès ΠροπHλαιος n’est qu’hypothétique, quoique les deux
divinités paraissent liées dans les comptes des trésoriers des « autres dieux » (IG, I², 310).
Cependant, nous ne sommes pas d’accord avec M. D. Fullerton quand il cherche une τρ!οδος
pour justifier la présence d’Sπιπυργιδ!α, puisque son nom définit suffisamment l’emplacement de
sa statue.
100 Paus., I, 22, 8 : « À l’entrée même de l’Acropole se trouvent dès lors l’Hermès que l’on
nomme ΠροπHλαιος et les Charites, œuvres, ditbon, de Socrate, le fils de Sophronisque » ; cf. Paus.,
IX, 35, 3, cité supra, p. 155, n. 9. Pour l’attribution d’Hermès ΠροπHλαιος à Alcamène, voir, entre
autres, Harrison 1965 : 122 sq.
101 IG, II², 5050 : ¦ερTως Χαρ!των κα› GρτT ιδος Sπιπυργιδ!ας πυρφ,ρου. Nous devons
signaler une ambiguïté en ce qui concerne le terme πυρφ,ρος qui, en effet, pourrait être attribué
au prêtre d’Artémis Sπιπυργιδ!α et non pas à la déesse ellebmême. Dans une inscription d’Éleusis
(probablement de la fin du Ier s. av. J.bC.), nous trouvons le même sacerdoce : πυρφ,ρος κα› ¦ερε‚ς
τ[ν Χαρ!των κα› τˆς GρτT ιδος τˆς Sπιπυργιδ!ας (Clinton 1974 : 94 ; cf. IG, II², 4816). Cf. Kraus
1960 : 85, n. 415.
102 La décision de reconstruire le temple d’Athéna Niké a été prise avant celle sur le prob
gramme d’ensemble de Mnésiclès (IG, I², 24). Pour l’histoire des propylées de l’Acropole et les
étapes architecturales du sanctuaire d’Athéna Niké, voir, entre autres, Travlos 1971 : 482 sq., et
Mark 1993 : 69b92 et passim.
103 Sur le style archaïsant des statues trimorphes d’Hécate, voir Kraus 1960 : 84b112 ; Harrison
1965 : 86 sq. Ridgway 1977 : 318b319 interprète le style archaïsant chez Alcamène comme ayant
été inspiré par la convention de la stèle hermaïque.
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Valeurs de la triplicité 247
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248 Types, attributs et attitudes
encore un soutien dans cette réflexion sur la valeur de la triplicité. Plus que le
simple renforcement du pouvoir protecteur de l’image, la triplicité pourrait
suggérer, dans ce cas, l’idée d’une union parfaite110.
Conclusion
Loin d’illustrer la tradition littéraire des apparitions monstrueuses et chthob
niennes d’Hécate, ces triples représentations ne peuvent être bien comprises que
par rapport aux zones médianes et limitrophes que la déesse surveille. Cette
triplicité, comparée aux groupements divins qui gardent les frontières et les
citadelles et éclairée par le voisinage des chœurs divins et des instruments de culte
à trois pieds, se révèle en harmonie avec le rôle d’Hécate en tant que gardienne
des lieux intermédiaires. L’exemple de l’Hécate d’Alcamène nous montre
comment cette caractéristique peut aussi s’intégrer à une propagande politique.
L’étude des idées mises en avant par une telle propagande, nous invite, d’ailleurs,
à considérer dans ce cas la triple Hécate non seulement comme la gardienne
idéale des portes, des routes et des croisements, mais aussi comme le signe même
de l’intermédiaire.
110 Cf. Lévêque – VidalbNaquet 1964 : 92 qui, s’interrogeant sur la valeur du nombre trois
dans la constitution clisthénienne, concluent que « la triade est […] ce qui unit un extrême à
l’autre au moyen d’un intermédiaire, d’un méson, ce qui est, somme toute, un peu le rôle de la ville
dans la constitution clisthénienne ».
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Chapitre II
Rencontre du chien avec Hécate
1 Voir Kern 1925 : 160b162, le premier qui a établi une corrélation entre une déesse qui figure
sur une amphore béotienne du VIIIe s. av. J.bC. (Athènes, MN 5839, cf. Wolters 1892 : 213b239, pl.
8b12 qui avait reconnu la figure en question comme Artémis sous l’aspect de « Souveraine des
animaux sauvages ») et le passage de la Théogonie consacré à Hécate. Cf. Chapouthier 1935 : 172,
n. 1, Simon 1996 : 161, Marquardt 1981 : 253 sq. Cependant, Kraus 1960 : 24 sq. met en évidence
les points faibles de cette interprétation.
2 L’information d’Hésiode (Théog., 444b447) qu’Hécate, en collaboration avec Hermès, est
capable de faire croître – ou décroître – les troupeaux n’est qu’une fausse exception, car, comme on
l’a vu, le contexte ne permet pas d’isoler ce pouvoir de l’ensemble des « honneurs » de la déesse.
3 Une tradition transmise par Antoninus Liberalis associe Hécate à la belette aussi : Ant. Lib.,
Mét., 29, 4, cf. Bettini 1998 : 56 sq. Sur l’association plus rare et tardive (IIe s. après J.bC.) d’Hécate
avec le cerf, voir Werth 2006 : 213b214, qui pense à un syncrétisme avec Artémis.
4 Parmi les études qui concernent le monde grec ancien, voir : Scholz 1937, Lilja 1976 et
Mainoldi 1984. Très intéressantes sont les pages consacrées par J. Redfield aux chiens de l’Iliade :
Redfield 1984 : 238b246. Concernant, plus particulièrement les chiens d’Hécate, voir aussi plus
récemment Rudloff 1999 : 120b122 ainsi que Werth 2006 : 173b184 (le chien en tant qu’attribut
des triples hekataia) qui offre, en outre, un grand nombre de références bibliographiques.
5 Hés., Trav., 604 sq. Sur le chien gardien de la porte, voir aussi Ar., Lys., 1212b1215 ; Guêpes,
957b958 et Anth. Pal. (Antipater de Thessalonique), V, 30, 3b5. Chez Théocrite, l’expression « sans
clé, sans porte, sans chien » signale l’abandon complet d’une maison : Idyll., XXI, 15, cf. id. 15, 43.
6 Pl., Rép., II, 375ab376c et III, 404a. Sur ce passage de la République, voir aussi Sinclair 1948 :
61b62. Pour Platon, ce qui prédispose le chien au rôle du gardien c’est qu’il est à la fois doux –
pour les habitués de la maison – et irascible – pour les inconnus.
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250 Types, attributs et attitudes
l’observe A. Pippin Burnett, parmi les caractéristiques du chien, celles qui lui
procurent sa qualité de gardien sont sa voix − φιλ,φθογγος7 − et son regard
brillant − χαροπ,ς8 ; « …he was watcher, keeper, protector […] Placed at the gate
of the house like his epic counterparts in silver and gold9, or like Cerberus, he was
πυλωρ,ς, θυρωρ,ς, οzκουρ,ς »10. Cependant, comme on l’a vu en parlant des
chiens « gardiens de portes » − θυραωρο! − de Priam, à l’ambiguïté des portes qui
peuvent céder à une invasion, répond celle des chiens de garde qui, devenant
parfois complices des ennemis, se transforment en voleurs et en charognards.
Sophocle a recours à l’image d’une chienne pour décrire ce qu’est un comporteb
ment hypocrite : « tu remues la queue en mordant comme une chienne sourb
noise »11. En réalité, toutes les qualités des chiens gardiens trouvent dans les
mythes leur contrepartie négative : la fidélité et l’obéissance dégénèrent en hypob
crisie et en lâcheté, la perception miraculeuse en indiscrétion, le courage en férob
cité. Le regard « de chien » devient synonyme de l’impudence et de la démesure,
sa voix infatiguable devient l’expression de la colère vaine. Les bandes des chiens
errants (pariahs) représentent au plus haut niveau cette duplicité de nature car,
abandonnés par leurs maîtres, ils retrouvent une bestialité dépravée ; nourris d’orb
dures12 et même de cadavres sans sépulture13, ils constituent à la fois un facteur
d’assainissement et une espèce dangereuse. Aussi cet animal, comme par précaub
tion visbàbvis de l’instabilité de son caractère, estbil tenu pour impur ou plutôt
pour « pas tout à fait pur »14 et, sous prétexte de son accouplement impudique ou
de son agressivité, il est exclu de certains sanctuaires15.
On dirait que le chien, qu’il soit chien de garde, chien de chasse ou chien
errant16, paie le prix d’une domestication tenue pour « suspecte ». Comme il est
7 Pollux, V, 48 (Bethe). Quant à l’importance de la voix du chien, voir Xén., Art de la Chasse,
3, 4 sq. ; 4, 5 ; 6, 7 ; cf. Semonides, fr. 7, 12b20, West (Iambi et Elegi Graeci II, Oxford, 1972).
8 HhHerm., 194 ; sur la signification de χαροπ,ς, voir MaxwellbStuart 1981 : 58 sq. et passim.
9 Hom., Od., VII, 91.
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Rencontre du chien avec Hécate 251
le plus proche des animaux qui « vivent avec des hommes » − συνανθρωπεHουν17
− il participe au jeu, à la chasse et même à une sorte de commensalité18 et il
dispose d’un « côté humain » qui dénonce ce qui reste de sa nature bestiale,
voire sauvage. On a beau lui donner parfois un nom propre et même lui édifier
un monument funéraire19, le chien designera, en même temps, la bestialité en
contraste avec l’humanité20 ; selon les dires d’Annie SchnappbGourbeillon,
« capable de passer sans avertissement d’une proximité totale à l’éloignement le
plus radical, de l’état de domestication le plus achevé à la bestialité pure, il (sc. le
chien) introduit dans le monde des hommes un élément de rupture »21.
Expression majeure de cette conception du chien : le fait qu’il a prêté son
propre nom au mouvement du cynisme représentant le refus des valeurs de la
cité et le retour vers l’animalité22.
Sur le plan rituel, les mêmes idées pourraient amener au rôle de « bouc
émissaire » − φαρ ακ,ς −, attribué au chien, comme on le verra, dans le cadre
de certaines rites purificatoires, à l’échelle de la famille ou de l’individu. Dans ce
cas, comme dans certains rites de passage, le chien semble être la victime idéale
justement grâce à sa capacité à se déplacer par rapport à l’homme, apparaissant
tantôt très proche, tantôt très éloigné de lui. La croyance que son corps peut
accueillir l’âme d’un mort23 et sa transformation tardive en démon qui sème le
17 Le verbe est utilisé pour les animaux domestiques en général. Voir Arist., H.A., V, 542a,
572a (συνανθρωπευ, ενα). Porph., Abst., I, 14, 3 juge correct que la viande de ces animaux ne soit
pas comestible : « nous nous abstenons de toucher à une grande partie de celles − sc. les bêtes −
qui vivent avec les hommes − τ[ν συνανθρωποHντων. C’est ainsi que les Grecs ne mangent ni
chien − οÁτε κυνοφαγοÀσιν −, ni cheval, ni âne », cf. IV, 22, 4. Nous savons, pourtant, que ces
viandes ont été consommées en Grèce, au moins jusqu’au IVe s. av. J.bC. Sur la comestibilité des
animaux, selon leur « distance sociale » par rapport aux hommes, voir Parker 1983 : 363 sq. ; sur la
viande du chien plus particulièrement, voir Scholz 1937 : 9 et Mainoldi 1984 : 169b175. Nous
reviendrons sur la distinction entre la viande du chien adulte et celle du jeune chien, qui a une
importance spécifique pour les sacrifices offerts à Hécate. Les vers 78b79 de l’idylle du pseudob
Théocrite, Héraclès tueur de lion (Bucoliques Grecs II, 25) résument le destin contradictoire du chien :
« Par le ciel, comme les dieux souverains ont bien créé cet animal pour être le compagnon des
hommes − Jνθρ’ποισι ετT εναι ! Quelle [vigilance] ! S’il avait en lui en même temps autant
d’intelligence, s’il savait discerner les gens à qui il doit montrer les dents ou non, il n’y aurait pas
d’animal qui pourrait lui disputer le prix ; tel qu’il est, il est trop irritable et hargneux ».
18 Chez Homère les chiens, comme ceux de Priam, sont appelés τραπεζˆες et Babrius se
réfère à un chien συντρKπεζος : Lilja 1976 : 15 et 103.
19 Georgoudi 1984 : 37b38, fig. 2b4.
20 Voir Lilja 1976 : 128 pour l’image ambivalente du chien due à sa proximité avec l’homme.
21 SchnappbGourbeillon 1981 : 168, cf. Mainoldi 1984 : 179 : « … c’est justement son statut de
domestique qui permet au chien des attitudes aussi diverses » et Redfield 1984 : 247 : « Le chien
nécrophage symbolise cette lisière de la nature latente dans la culture et qui imparfaitement
maîtrisée, menace de le dévorer (sc. l’homme) de l’intérieur… ».
22 Voir, entre autres, Detienne 1972 : 231b248.
23 Au sujet de la réincarnation en chien, voir Xénophane, 21, fr. 7, DielsbKranz (Pythagore
reconnaît la voix d’un ami mort dans un chien battu ; Procl., In rem publ., II, 338, 10 (Kroll). Cf. Lilja
1976 : 42. Sur les κˆρες à l’aspect de chiens lors des Anthestéries, voir Van Hoorn 1952 : 107, pl. 33.
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252 Types, attributs et attitudes
désordre24 montrent également qu’il peut facilement passer d’un statut ambigu
au statut d’intermédiaire.
À ce statut particulier du chien, relevé par la plupart des spécialistes25, répond
une sorte d’ambiguïté spatiale qui est, comme on l’a vu, du ressort d’Hécate : en
effet le chien, banni devant la porte ou dans la rue, aura toutes chances pour
rencontrer notre déesse. Hécate Προθυρα!α et le chien θυρωρ,ς sont alliés en vue
de défendre au mieux la ligne de démarcation entre un extérieur et un intérieur26.
Ensuite, les chiens errants rejoignent Hécate Ε(z)ν(ν)οδ!α dans les rues, là où la
rencontre de plusieurs directions crée des zones médianes évoquant les risques de
la communication spatiale, le glissement cauchemardesque vers un endroit
impossible à définir. Ils partagent probablement ses repas et mangent des restes
de purifications jetés aux triodoi. Dans l’Hymne à Déméter de Callimaque, le sort
d’Érysichthon, condamné à être nourri des déchets jetés aux triodoi, transparaît
dans les paroles obscures de Déméter : « Oui bien, ditbelle, oui, chien − κHον κHον
−, bâtis ta salle et donne tes festins ; tu festoieras, va, et sans fin »27.
D’autre part, de même que le chien suit son maître, ainsi Hécate assume
parfois dans le mythe un rôle de servante dévouée de Déméter, de Perséphone ou
d’Artémis. On peut parler ici d’un rôle de divinité acolyte qui dans l’espace cultuel
se traduirait, éventuellement, par un petit sanctuaire annexé à un sanctuaire prinb
cipal.
L’« humanisation » défaillante du chien lui vaut, entre autres, son entrée dans
le vocabulaire des injures ; on appelle « chien » ou plutôt « chienne » l’étranger
menaçant, l’homme audacieux au comportement démesuré, et notamment la
femme impudente28. En effet, la « race des femmes »29 a une parenté ancienne
avec celle des chiennes, parenté qu’il nous faut rappeler, puisque notre déesse
σκυλακ‚τις30 exprime, entre autres, certains aspects de la nature féminine. Rappeb
lons donc, entre autres, l’« esprit de chienne » − κHνεος ν,ος − de la première
24 Sur les démonsbchiens des oracles chaldaïques et leur rapport avec Hécate, voir Johnston
1990 : 134 sq. Cf. Eus., Prép. évang., IV, 23, 6 (le symbole des démons en tête desquels se trouvent
Sarapis et Hécate est « le chien à trois têtes », Cerbère).
25 En ce qui concerne l’ambiguïté du naturel canin dans les représentations de nombreuses
populations, voir, entre autres, Finet 1993 : 139 et passim ainsi que CopetbRougier 1988 : 108 qui
se demande « si plus généralement le chien par sa contiguïté avec l’homme ne représente pas,
plutôt qu’une métaphore singulière, un lieu quasi géométrique qui en fait un animal ‘bon à penser’
la médiation ».
26 Chez les Romains le chien fonctionne aussi comme gardien réel ou symbolique de la porte ;
voir Burriss 1935 : 32.
27 Call., Hymn., VI (à Déméter), 63b64.
28 Voir Redfield 1984 : 240 sq., Lilja 1976 : 21b25 (le chien comme terme d’injure) et Mainoldi
1984 : 104b109 (le charognard, la mort et l’injure chez Homère) et p. 161b165 (le chien hardi). Cf.
Lilja 1976 : 71b72.
29 Hés., Théog., 590b591 (γTνος γυναικ[ν).
30 Hymn. orph., I, 5. Cf. XXXVI, 12, où la même épithète est attribuée à Artémis.
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Rencontre du chien avec Hécate 253
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254 Types, attributs et attitudes
37 VidalbNaquet 1975 : 134 sq. se réfère, par rapport au danger potentiel que représentent les
femmes pour la cité, aux Bacchantes d’Euripide où les femmes, échappant à tout contrôle, démonb
trent leur sauvagerie ; aux vers 731b732 de la tragédie en question, les ménades sont désignées
comme « chiennes agiles ».
38 Comme remarque Loraux 1981 : 102, « pour les Grecs la chiennerie se dit au féminin ». Cf.
la comparaison femmebchien par PippinbBurnett 1994 : 157 : « …she too was sold, to become an
outsider inside a house; here she was joined to her husband by having common friends and
ennemies… ».
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Rencontre du chien avec Hécate 255
représentation plus hiératique rappelant les hekataia typiques. Tel est l’exemple
d’un relief plutôt grossier de Théra (IIe siècle av. J.bC., Fig. 29)39 : le chien, en
partie caché, est figuré à sa droite, tandis qu’à sa gauche nous remarquons une
petite niche ovale destinée, peutbêtre, à recevoir des offrandes40.
Artémis Σ’τειρα, pour sa part,
est généralement représentée en
chasseresse selon un schéma anib
mé ; elle est souvent munie de son
carquois et préfère naturellement
les torches et le χιτ’ν plus courts41.
Néanmoins, comme de très
anciennes affinités entre Artémis
Σ’τειρα et Hécate42 vont parfois
jusqu’à leur identification, ce canon
n’est pas toujours respecté : un
relief de Mégare datant du IVe
siècle av. J.bC. montre une déesse
poursuivant un cerf accompagnée
d’un chien, vêtue d’un long χιτ’ν
et munie uniquement du carquois
et de deux grandes torches
(Fig. 30)43. À Délos, où l’identificab
tion d’Artémis avec Hécate est
largement attestée44, une série de
lampes plastiques à colonnettes du
IIe et du Ier siècle représente une
Fig. 29
39 Au Mus. Nat. d’Athènes 1416 (déesse coiffée du π,λος, vêtue d’un χιτ’ν long, une longue
torche dans chaque main) ; Svoronos 1911 : 361, n° 114 et pl. 66, Siebert 1966 : 454, fig. 7 et
Zagdoun 1989 : 171, n° 63.
40 Selon Svoronos 1911 : 361, le relief est probablement copié d’après un autre, plus ancien,
où la niche aurait une taille plus fonctionnelle. Threpsiadis 1960 : 44 compare cette niche à un
symbole lunaire. Voir aussi Musée de Manisa, inv. 869 ; il s’agit d’un relief hellénistique de la ville
antique de Satala en Lydie représentant une déesse de face dans un naïskos, coiffée d’un κKλαθος
(ou d’un π,λος), vêtue d’un χιτ’ν long, une torche dans chaque main et un petit chien à ses
pieds ; Robert 1955 : 113b117, n° 22, pl. XV, 1, reconnaît Hécate.
41 Voir, par exemple, Siebert 1966 : 454, fig. 6 (relief du Musée de Délos dédié à Artémis
Σ’τειρα) qui cite aussi des extraits de l’inventaire athénien de l’archontat de Kallistratos (156/5
av. J.bC.) décrivant des Gρτε !σια, c’estbàbdire des statuettes d’Artémis où figurent un ou deux
petits chiens : κυνKριον παρεστηκ,ς et παρTστηκε κυνKρια δHο. Paus., X, 37, 1 rapporte que l’Artéb
mis de Praxitèle à Anticyre « tenait une torche dans la main droite et était munie d’un carquois aub
dessus des épaules ; un chien se tenait à sa gauche ».
42 Voir supra, p. 189, n. 207 et Kraus 1960 : 44, n. 206b210 ; Siebert 1966 : 457 sq. et Firatli –
Robert 1964 : 157 (affinités entre Artémis Σ’τειρα mégarienne et Hécate de Byzance).
43 Daux 1958 : 692, fig. 37.
44 Voir, entre autres, Sarian 1998 : 145b153.
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256 Types, attributs et attitudes
déesse Φωσφ,ρος au chien, sans que l’on soit en mesure de reconnaître en elle
Artémis ou Hécate45.
C. Christou résoud le
dilemme en appelant
« Artémis Hécate » la
déesse de Laconie, figub
rée en χιτ’ν court et
accompagnée d’un chien
(mibVe s. av. J.bC.)46.
Cette solution, souvent
arbitraire, sera adoptée
dans des cas analogues
par d’autres auteurs.
Pour notre part, nous
préférons respecter
l’ambiguïté iconographib
que quand il s’agit d’une
représentation où on ne
trouve pas les attributs
de la chasseresse, mais
où les torches sont
courtes ou la figure est
Fig. 30 en mouvement47.
Cette difficulté d’identification ne concerne pas les représentations trimorb
phes de la déesse caractérisées par l’attribut du chien (qui est, avec les torches,
le plus ancien attribut des triples hekataia48). Les plus anciennes d’entre elles
remontent, pour la plupart, au milieu du IVe siècle av. J.bC., mais elles reproduib
45 Bruneau 1965 : 99b100, n° 4391 : figure féminine acéphale tenant le long du corps une
torche et ayant à ses pieds un chien assis.
46 Plaquette de terre cuite provenant d’une tombe près du village de Daimonia en Laconie,
voir Christou 1953b1954 : 188b200, fig. 1 pour qui la présence du chien révèle toujours l’aspect
chthonien d’Artémis exprimé, selon lui, par la dénomination « Hécate ». Toutefois, ni Artémis
Hécate ni le chien n’ont toujours un caractère chthonien. Karousou 1972 : 64b73, n. 14 remarque
que le manque d’attributs d’Artémis et le fait que la terre cuite a été trouvée dans une tombe
plaiderait plutôt en faveur d’Hécate.
47 C’est le cas, par exemple, d’un relief de Thasos et d’un autre d’Irmeni Köy (près de
Cyzique). Le premier se trouve au Louvre (MA 2849). Voir Sarian 1992 : n° 66, qui insère le
monument dans le catalogue des monuments représentant Hécate, sans pour autant exclure la
possibilité qu’il s’agisse d’une image d’Artémis. Pour le relief de Thasos (Mus. De Mariès), voir
Sarian 1992 : n° 689 (hésitant toujours entre Hécate et Artémis), cf. Farnell 1896b1909 : II, pl. 39a
(Hécate), Conze 1860 : 38b39, pl. 10, 4 (Artémis) et Petersen 1880 : 143 (Hécate). Kraus 1960 : 73
propose un rapprochement entre cette figure et l’Artémis Hécate que nous trouvons dans des
inscriptions très anciennes de Thasos.
48 Werth 2006 : 149 et 173 sq.
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Rencontre du chien avec Hécate 257
Ce sont les épiphanies d’Hécate − décrites en général par des poètes helléb
nistiques ou encore plus tardifs ainsi que par les papyri « magiques » en grec −
qui révèlent tant l’aspect terrifiant de ses chiens que les formes monstrueuses
que la déesse peut revêtir en empruntant les caractéristiques canines. Dans ce
contexte Hécate, excitée par des rites magiques qui la forcent à apparaître,
inspire deux fois plus d’horreur au moyen de la colère et la rage des chiens qui
l’accompagnent.
Comme du monstrueux au ridicule il n’y a souvent qu’un pas, les aspects
divers que la déesse revêt lors de ses « visites » peuvent être présentées sous un
jour comique. Lucien nous présente de telles scènes à travers les récits tératob
logiques de L’ami des mensonges. C’est d’abord Cleodème qui raconte les miracles
d’un magicien hyperboréen capable, entre autres, de faire apparaître Hécate −
κα› τªν NκKτην α•τªν ˜ναργˆ παριστKς53. En effet, racontebtbil, ce magicien, lors
49 Voir Petersen 1880 : 165b167 ainsi que 150, 152, 154, 157b159 (cf. Petersen 1881 : 2) et
l’étude récente de Werth 2006 : 149b152 et 173b174 qui s’occupe longuement des attributs portés
par les hekataia trimorphes.
50 Voir Simon 1985 : 281 et pl. 55, 3, sur un hekataion hermaïque du Ier s. av. J.bC., à Athènes,
Kerameikos P 1488 (un chien portant un collier bondit entre deux des korai qui entourent, main
dans la main, la statue d’Hécate). Voir aussi Kraus 1960 : 140, n° 26, pl. 12, 1b3, sur un hekataion
hermaïque du Ier s. av. J.bC. ou du Ier s. après J.bC., à Rome, Mus. Torlonia (un chien accompagne
l’une des trois korai qui dansent, mains libres, autour d’Hécate trimorphe).
51 Nous trouvons ce type sur des monnaies de Lydie du IIIe s. av. J.bC., voir Sarian 1992 :
nos 171b173 ; cf. n° 166, statuette de triple Hécate (Athènes, Agora S 1943) aux attributs
orientaux : entre les corps de la déesse deux chiens assis et un autel rectangulaire.
52 Sarian 1992 : nos 153, 155 (statuettes romaines en bronze : une des trois figures tient un
poignard et soulève un chien par les pattes). Cf. GuidonibGuidi 1980 : 33b37, fig. 1b3.
53 Luc., Philops., 13b14.
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258 Types, attributs et attitudes
d’une opération des charmes d’amour au milieu de la nuit, appelle Hécate par
une fosse − β,θρος − creusée à ciel ouvert. Cette dernière surgit d’en bas « enb
traînant Cerbère avec elle ». Ensuite, elle manifeste sa capacité de se montrer
sous différentes formes. Elle prend, entre autres, l’aspect d’une « petite chienne
– σκHλαξ ». Dans les Grenouilles d’Aristophane, Empouse − qui, selon le même
poète, s’identifie parfois à Hécate54 − offre un spectacle analogue en se chanb
geant, entre autres, en chienne : « mais elle n’était plus femme, elle était aussitôt
devenue une chienne − κHων »55. Il paraît d’ailleurs que l’appellation orphique
σκυλακ‚τις56 et, surtout, les épiclèses magiques d’Hécate telles que « chienne
noire » font appel à cet aspect particulier sous lequel elle apparaît57. Dans les
papyri « magiques », l’aspect de chienne peut se combiner à d’autres en créant
des formes monstrueuses, comme par exemple « moitié jeune fille, moitié
chienne − zσοπKρθενος κHων »58 ou « cavale et chienne − ¦πποκHων »59.
Eucratès ajoute, un peu plus loin dans le même dialogue, un autre cas
d’apparition d’Hécate annoncée par les aboiements des chiens et par un
tremblement de terre et ayant lieu, cette fois, à midi et lors des vendanges. Il s’agit
d’une ouverture spontanée de la terre donnant une vue transparente sur le monde
d’en bas60. Pour l’un des auditeurs, Dinomaque, la présence du cortège de chiens
semble aller de soi, puisqu’il pose la question : « de quelle taille étaient les chiens
d’Hécate − ο¦ κHνες […] τˆς θεοÀ ? ». C’est une belle occasion pour que le
menteur enrichisse son récit d’une note d’horreur supplémentaire : « plus grands
que les éléphants de l’Inde […] noirs comme eux au poil épais, sale et sec »61.
Ces récits semblent influencés par le Ménippe, un autre dialogue de Lucien62.
Ménippe le cynique, voulant absolument visiter l’Hadès, a recours au savoir de
Mithrobarzanis, sage chaldéen. La dernière étape de l’opération comprend
l’ouverture d’une fosse et l’invocation de dieux et de démons d’en bas, parmi
lesquels figure « Hécate la nocturne ». Suite à cela, le sol se fend et au fond du
gouffre résonne l’aboiement de Cerbère − κα› ³λακª τοÀ ΚερβTρου π,ρρωθεν
´κοHετο63.
Pour exubérantes que soient ces descriptions, elles doivent s’appuyer sur des
croyances assez populaires. Ainsi, l’insistance avec laquelle sont représentés les
chiens doit correspondre à une croyance répandue sur le rôle de ces animaux,
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Rencontre du chien avec Hécate 259
ce qui est confirmé par d’autres textes appartenant à des registres différents de
celui de Lucien.
Dans la scène très connue des Magiciennes de Théocrite, l’arrivée d’Hécate
« chthonienne » « devant qui tremblent les chiens euxbmêmes, quand elle vient à
travers les monuments des morts et le sang noir »64, invitée à valider les enchanb
tements de Simaitha, afin que cette dernière reconquière son amant infidèle, est
saluée par les hurlements canins : « les chiennes, tu les entends, aboient à trab
vers la ville, la déesse est à la triodos »65.
L’un des fragments appartenant au mime de Sophron qui, selon les scholies,
est à l’origine des Magiciennes, mentionne l’aboiement énergique d’un chien
devant une maison − κHων πρ¨ εγαρTων Tγα ³λακτTων66. Malheureusement, le
contexte nous manque pour affirmer avec certitude que le chien du fragment
signalait l’approche d’Hécate, comme cela se passe dans les Magiciennes.
Quoique les représentations littéraires de la magie puissent intégrer le chien
à un décor d’horreur qui a tendance à devenir banal (nuit, incantations, hurleb
ments), son rapport avec Hécate ne perd pas facilement son originalité : assub
rant normalement la fonction de gardiens des lieux de passage, ils s’avèrent
complices de la déesse qui − quoique gardienne − vient en tant que puissance
du désordre. Leurs aboiements affolés, ainsi que le laissent entendre les Magib
ciennes, résultent de l’excitation et de la panique et non pas d’une intention de
contrarier Hécate. La précision du sexe des chiennes chez Théocrite renforce la
parenté complexe entre notre déesse et les quadrupèdes sensibles à sa présence.
Dans les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes, Hécate Βρι ’ apparaît entoub
rée de ses animaux préférés : « autour d’elle des chiens chthoniens hurlaient avec
des aboiements aigus »67. Heureusement, Médée avait déjà conseillé à Jason de ne
pas retourner en arrière une fois les rites prescrits accomplis, même s’il écoute des
aboiements, l’effet sonore typique des épiphanies d’Hécate68.
Dans les Argonautiques orphiques, l’inaccessibilité de la toison d’or est assurée
par des fortifications importantes et par un bois sacré. Mais ce qui rend toute
opération de conquête quasiment inconcevable, c’est la gardienne divine : « la
déesse, la terrible Meneuse qui insuffle la rage aux chiens aux prunelles de
feu »69 à qui rien n’échappe. Cette déesse S πυλ!η, « dans les portes »70 qui
monte la garde à l’entrée du bois sacré, est appelée, selon les cas, Artémis ou
64 Théocr., Idyll., II, 12 : τ¯ν κα› σκHλακες τρο Tοντι | ˜ρχο Tναν νεκHων JνK τ᾽ ´ρ!α κα› Tλαν
αÍ α.
65 Théocr., Idyll., II, 35b36 : τα› κHνες a ιν Jν¯ πτ,λιν éρHονταιÖ » θε¨ς ˜ν τρι,δοισι.
66 Sophr., fr. *9 (KasselbAustin).
67 Apoll. Rhod., Argon., III, 1216b1217 : J φ› δ™ τ(ν γε (sc. NκKτην) | ¾ξε! ³λακž χθ,νιοι
κHνες ˜φθTγγοντο.
68 Apoll. Rhod., Argon., III, 1039b1040.
69 Argon. orph., 909b910 : δεινª θε¨ς œγε ,νεια, | λHσσαν ˜πιπνε!ουσα πυριγλ(νοις σκυλKκεσσιν.
70 Argon. orph., 902.
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260 Types, attributs et attitudes
Hécate. Les chiens qui accompagnent son idole seraient, selon F. Vian, des
automates, c’estbàbdire des statues animées. Nous les voyons, en effet, réagir
vivement quand Hécate, suite à un sacrifice de trois chiots noirs, apparaît
pourvue de trois têtes, parmi lesquelles celle d’une chienne enragée71! Chiens,
portes et verrous cèdent à la déesse, surgie avec une certaine Pandore de
l’abîme d’un β,θρος. Son apparition était précédée par celle des Érinyes − Τισιb
φ,νη, Gλληκτ’, ΜTγαιρα « brandissant la lueur sanglante de leur torches »72 :
« Aussitôt surgirent de l’Hadès à travers le brasier, terribles, implacables, les
Jeteuses d’épouvante que nul ne peut dévisager. L’une avait un corps en fer,
celle que les mortels appellent Pandore. Avec elle arrivait un être à l’aspect
changeant, à la tête triple, montre funeste et inconcevable, la fille du Tartare
Hécate : de son épaule gauche s’élançait un cheval à longue crinière ; à droite,
on pouvait apercevoir la face furieuse d’une chienne ; au milieu, un serpent à
l’aspect sauvage ; de ses deux mains, elle tenait des glaives à la bonne poignée.
Elles tournoyaient en cercle tout autour de la fosse, Pandore et Hécate, et, avec
elles bondissaient les Furies. Aussitôt la statue d’Artémis qui montait la garde
laissa ses torches tomber de ses mains à terre et fixa la terre en direction du ciel,
tandis que les chiens qui l’accompagnaient agitaient la queue. Les verrous des
serrures d’argent se délièrent et les belles portes de la puissante muraille
s’ouvrirent… »73.
Si Hécate est doublement présente dans cette scène, à la fois en tant que
gardienne des portes (identifiée en ce cas à Artémis) et en tant que puissance
monstrueuse ouvrant la voie de communication avec le monde d’en bas et les
êtres qui l’habitent, le chien l’est trois fois : πρ,πολος, « suivant » de la déesse
postée aux portes, il lui prête également ses traits lorsqu’elle surgit en puissance
de rupture, transformation provoquée par un rituel au cœur duquel nous le
retrouvons en tant qu’animal sacrifié. La rage canine nous semble quasib
synonyme de la fureur et de l’agressivité, devenues comportements typiques des
chiens d’Hécate ou d’« Hécatebchienne ». En dehors de la mystérieuse Pandore
71 Il est à noter que, parmi les traits qu’emprunte Hécate aux chiennes dans les invocations
magiques, nous trouvons le plus souvent la tête (PGM, IV, 2122 : ˜κ δ™ τ[ν Jριστερ[ν κυν,ς
κεφαλ(ν), la voix, (PGM, IV, 2549 : κυνολHγ ατε et ibid., IV, 2810b2811 : –χεις σκυλακωδTα φων(ν)
et la rage (ibid., IV, 2252 : λυσσžς).
72 Argon. orph., 970.
73 Argon. orph., 973b987 : Α•τ!κα δ᾽ ˜ξ G!δαο δι¯ φλογ¨ς ´γTρθησαν | δεινα› Θα β(τειραι,
JπηνTες, Jπροσ,ρατοι | Ø ™ν γ¯ρ δT ας ε©χε σιδ(ρεον, äν καλTουσι | Πανδ’ρην χθ,νιοι. Σ·ν δ᾽
αzολ, ορφος Òκανε, | τρισσοκTφαλος zδε‚ν, ¾λο¨ν τTρας οÁ τι δαητ,ν, | Ταρταρ,παις NκKτηÖ λαιοÀ
δ᾽ aρ᾽ JπεσσHθη ì ου | Òππος χαιτ(ειςÖ κατz δεξιz δ] –εν ^θρ~σαι | λυσσ€̟ις σκυλ`κη— Tσση δ᾽ Ùφις
Jγρι, ορφοςÖ | χερσ!ν δ᾽J φοτTραις –χεν aωρα κωπ(εντα. | SγκHκλιαι περ› β,θρον ˜δ!νεον –νθα
κα› –νθα | Πανδ’ρη NκKτη τεÖ συνεσσεHοντο δ™ Ποινα!. | Sκ δ᾽ aφαρ GρτT ιδος φρουρ¨ν βρTτας
Ìκε χα ¼ζε | πεHκας ˜κ χειρ[ν, ˜ς δ᾽ο•ραν¨ν ¹ραρεν Ùσσε. | σαxνον δ‘ σκ•λακες ̟ρX̟ολοι. ΛHοντο δ᾽
¾χˆες | κλε!θρων JργυρTων, Jν¯ δ᾽ –πτατο καλ¯ θHρετρα | τε!χεος ε•ρυ ενοÀς…
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Rencontre du chien avec Hécate 261
de fer74 qui surgit avec Hécate, l’aνοδος de cette dernière est précédée, comme
on l’a vu, de celle des Érinyes très souvent décrites dans la littérature comme
des chiennes75.
Le sacrifice de trois chiots noirs est intégré dans un rituel magique destiné à
contraindre les puissances redoutables à apparaître. Quoique le sacrifice ne
s’adresse pas explicitement à Hécate, l’apparition de cette dernière parachève le
spectacle et tout semble indiquer qu’elle est la responsable de ce débordement
de l’abîme, de sorte que nous pouvons dire qu’elle est sans doute la destinataire
principale du sacrifice des trois jeunes chiens.
Les chiens de la déesse « qui mène des chiens – σκυλακKγεια »76 participent
aux scènes de son épiphanie pour les animer de leurs cris et de leurs regards de
feu ; ce sont des chiens enragés, « aux prunelles de feu », « chiens chthoniens »,
chiens qui ne cessent d’hurler, « chiennes noires qui font peur »77, chiens « au
cœur farouche »78, aux dimensions hors du commun. Néanmoins, nous risqueb
rions fort de n’avoir qu’une image partielle du rapport d’Hécate avec le chien si
nous ne prêtions pas attention à certains détails de ces textes. En effet le spectacle
assuré par les animaux en question va de pair avec le motif de l’ouverture et de la
fermeture des portes et des passages, permettant ou interdisant le contact avec
l’aubdelà. Une telle image figure aussi dans les papyri magiques : « une nuit […]
dans laquelle un chien reste la gueule ouverte et ne ferme plus la bouche, dans
laquelle la serrure du tartare a été ouverte − κλε‚θρον JνTωχε ταρτKρου −, dans laquelle
Cerbère s’enrage armé d’un tonnerre »79. Dans les scènes magiques, les chiens
s’avèrent être les animaux les plus proches des monstres générés par le contact de
deux mondes incompatibles.
74 Quoique cette Pandore nous rappelle la première femme « à l’esprit de chien », la parenté
entre les deux ne serait pas facile à soutenir.
75 L’association des Érinyes avec Hécate aux traits canins nous rappelle la scène que nous
avons rencontrée sur le lécythe à f. n. du Ve s., voir supra, Fig. 21, p. 229).
76 PGM, IV, 2722b2723.
77 Schol. Lyc., Alex., 1176 (Scheer).
78 PGM, IV, 2813.
79 PGM, IV, 2259b2262.
80 Voir aussi l’analyse intéressante de Lyons 1997 : 153 sq., qui insiste sur la violation de ξTνια,
thème commun tant dans le mythe d’Hécube que dans des traditions où Hécate est impliquée
(l’histoire de la femme d’Éphésos et le mythe d’Iphigénie).
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262 Types, attributs et attitudes
81 Voir schol. Eur., Héc., 1261 (Dindorf), schol. Lyc., Alex., 1176 (Scheer) ainsi que les
commentaires de Mainoldi 1984 : 85, n. 112 et de Roscher 1896 : 32.
82 Semonides, fr. 7, 12b20, West (Iambi et Elegi Graeci, II, Oxford, 1972).
83 Eur., incert., fr. 968 (Nauck) : NκKτης aγαλ α φωσφ,ρου κHων –σ .
84 Ar., fr. 608 (KasselbAustin) = 594a (Edmonds, I, p. 734) : κα› κHων JκρKχολος, | NκKτης
aγαλ α φωσφ,ρου, γεν(σο αι.
85 Hsch., s.v. (Latte), cf. Eust., Comm. ad Od., 1, 126, 37b39 (Stallbaum).
86 Eur., Héc., 1273 : κυν¨ς ταλα!νης σˆ α, ναυτ!λοις τTκ αρ.
87 Pour le chien comme monument tombal isolé – et non comme participant aux scènes du
banquet du mort – voir Mainoldi 1984 : 38 ; l’auteur cite plusieurs exemples dont le plus ancien
date de la fin du Ve s. av. J.bC. et distingue deux fonctions de ces monuments : la surveillance
contre « les pilleurs et les mauvaises puissances » et la fonction de signe du « passage de l’homme
dans le royaume des morts ». Nous pouvons ajouter à ce propos que, dans une imprécation
funéraire à Néocésarée (IIe s. après J.bC.) : SEG, 18 (1988), 561, « les chiens d’Artémis Hécate »
assument, à côté d’autres puissances divines, le rôle de sauvegarder le calme des morts. Pour le
chien qui gardait la tombe de Diogène le Cynique, voir Anth. Pal., VII, 64, 1b2 : −εzπT, κHον, τ!νος
Jνδρ¨ς ˜φεστæς σˆ α φυλKσσεις; | −ΤοÀ Κυν,ς ainsi que Diog. Laerc., Vit. Phil., 6, 78 et SEG, 39
(1989), 1781.
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Rencontre du chien avec Hécate 263
88 Pour le tombeau d’Hécube, voir aussi Asclepiades de Samos, fr. 1, Diehl3, Pollux, V, 45
(Bethe) ; Lyc., Alex., 1181 sq. Chez Lycophron (v. 334), Hécubebchienne est appellée Μα‚ρα (<
αρ α!ρω, « étinceler »), nom attribué aussi à Sirius, l’étoile brillante du caniculaire, ce qui donne à
penser que le σˆ α d’Hécube pourrait être également conçu comme une étoile ou une constellation.
89 La pierre est l’arme traditionnelle contre le chien ; cf. Hsch., s.v. κυν!ξειςÖ Jκροβολισ ο!
(Latte). Sur la mise à mort par lapidation, voir Gras 1984 : 75b89 qui met en lumière certains
caractères importants de la lapidation comme, par exemple, la dissolution de la responsabilité, le
fait de comporter, par le biais du tas de pierres inévitable, non seulement la mort mais aussi le
signe − σˆ α −, le tombeau et l’isolement complet du lapidé (76b77). Comme le souligne M. Gras
se référant à une bibliographie abondante, « c’est la mort du φαρ ακ,ς ionien qui fait de la
lapidation le symbole de la volonté d’expulsion » (78). Cette constatation ne peut qu’influencer la
façon dont nous percevons la lapidation du chien, animal qui fonctionne dans certains rites purib
ficatoires comme un φαρ ακ,ς. Dans le mythe, les métamorphoses des personnages qui ont un
destin comparable à celui des φαρ ακο! en chiens font voir, entre autres, le chien en tant que
symbole de l’expulsable. Outre le cas d’Hécubebchienne, plus ambigu, et celui de Scylacée que
nous citerons par la suite, nous connaissons aussi une histoire racontée par Philostrate parmi les
miracles d’Apollonios de Tyane (Vie d’Apollonios de Tyane, IV, 10) : après avoir lapidé un vieux
mendiant désigné par Apollonios comme responsable d’un λοι ,ς dévastateur, les Éphésiens
découvrent sous l’amas des pierres un grand chien du type des chiens de Molosses crachant
l’écume comme enragé.
90 Très intéressante est la théorie de Berard 1890 : 367b369, le grand nombre des promontoib
res méditerranéens nommés ΣκHλλα, Σκυλλα‚ον, ΣκυλλKκιον, etc., autrement dit « la Pointe du
Chien », doivent leurs noms à l’hébreu פקל, saqala, « lapider » dont la racine est s. q. l., « pierre » ;
cette étymologie ferait du « Cap du Chien » l’équivalent du « Cap de la Lapidation » et donnerait
ainsi naissance à la légende d’Hécube.
91 PippinbBurnett 1994 : 159 sq.
92 Nous trouvons le mot aγαλ α chez Euripide avec la signification plus générale de « ce qui
réjouit » : I.T., 274. Dans les Troyennes, 195, Hécube déplore son sort qui ferait d’elle « un aγαλ α
impuissant des trépassés ».
93 Cette précision du fragment d’Aristophane fait peutbêtre allusion aux représentations
d’Hécate porteblumière accompagnée des chiens dont nous avons parlé.
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264 Types, attributs et attitudes
pour cela que nous préférons traduire NκKτης aγαλ α par « monument conb
sacré » ou « faisant honneur à Hécate »94.
Cassandre, dans l’œuvre que lui consacre Lycophron, révèle à sa mère son
destin peu commun : « La fille de Persée, la triple déesse, Brimo, fera de toi sa
suivante, pour que tes hurlements nocturnes effrayent les mortels qui négligent
d’honorer par des courses aux flambeaux la statue de la reine du Strymon et de
Zérinthe et qui n’apaisent pas par des sacrifices la déesse de Phères »95. Alexandra,
malgré son style obscur, décrit ici avec beaucoup de précision le statut d’Hécube
auprès d’Hécate (appelée Βρι ’) : métamorphosée en chienne96, elle sera au
service de la déesse κυνοσφαγ(ς à Zérinthe (petite ville de Samothrace)97. Le mot
²πωπ!ς, « acolyte » (du verbe ±πο αι, « suivre »), d’où « servante », convient à une
chienne qui suit docilement sa maîtresse : « Hécube est appelée ²πωπ!ς en tant que
suivante d’Hécate, parce que, d’après ce qu’on raconte, ayant pris la forme d’une
chienne, elle a été lapidée à mort ; or Hécate est suivie d’épouvantables chiennes
noires »98. La lecture avec esprit doux, ˜πωπ!ς (< ˜πωπKω, « observer, surveiller »),
synonyme d’˜π!σκοπος, « surveillante », selon les scholies, s’appuie sur le rôle de
l’Hécube de Lycophron qui est de veiller à ce que sa maîtresse soit respectée.
Le vers de l’Hécube d’Euripide : « tu seras changée en chienne aux regards de
feu »99 ressemble fort au fragment du même auteur ou à celui d’Aristophane
cités plus haut, avec la différence que la lumière d’Hécate φωσφ,ρος a été remb
placée par la description des regards de feu d’Hécubebchienne100. D’autres
sources, comme le passage de Lycophron que nous avons cité, insistent sur la
voix terrifiante de l’Hécube métamorphosée. Regards meurtriers et aboiements
aigus dénoncent, les uns comme les autres, l’humeur de cette chienne
JκρKχολος qu’est devenue Hécube.
En plus de la métaphore que recèle la métamorphose (Hécubebchienne =
morte comme une chienne), nous trouvons dans cette histoire un jeu étymolob
94 Voir aussi Lilja 1976 : 65 (le mot aγαλ α équivaudrait à la pierre tombale d’Hécube – une
pierre ordinaire dont la forme rappelait un chien – conçue comme une statue érigée en l’honneur
d’Hécate).
95 Lyc., Alex., 1174b1180 : ú ˆτερ, ï δHσ ητερ, ο•δ™ σ¨ν κλTος | aπυστον –σται, ΠερσTως δ™
παρθTνος | Βρι æ Τρ! ορφος θ(σετα! σ᾽ ˜πωπ!δα | κλαγγα‚σι ταρ Hσσουσαν ˜ννHχοις βροτοHς, |
µσοι εδοHσης Στρυ ,νος Ζηρυνθ!ας | δε!κηλα ª σTβουσι λα παδουχ!αις | θHσθλοις Φερα!αν
˜ξακεH ενοι θεKν.
96 Lyc., Alex., 315 (σκHλαξ), cf. 334.
97 Lyc., Alex., 77.
98 Schol. Lyc., Alex., 1176 (Scheer) : ²πωπ!δα δ™ κα› Jκ,λουθον τˆς NκKτης φησ› τªν NκKβην,
µτι œ NκKβη κHων γεγονυ‚α λ!θοις Jν ρTθηÖ κα› τž NκKτ δT φασιν ±πεσθαι κHνας ελα!νας
φοβερKς.
99 Eur., Héc., 1265 : κHων γεν(σ πHρσ᾽ –χουσα δTργ ατα.
100 Rappelons que l’homme lapidé et métamorphosé en chien chez Philostrate (Apoll. Tyan.,
IV, 10) a, comme Hécube, πυρ,ς τε εστο·ς το·ς ¾φθαλ οHς, « les yeux pleins de feu ». Selon
PippinbBurnett 1994 : 160 sq., il s’agit d’une allusion aux signaux de feu qui alertaient les marins à
partir de Κυν¨ς σˆ α.
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Rencontre du chien avec Hécate 265
gique. La ressemblance qui existe entre les noms « Hécube » et « Hécate » joue
sans aucun doute un certain rôle dans l’histoire qui consacre la reine à la
déesse101. En effet, nous connaissons un récit analogue à visée étymologique.
Raconté dans la Suite d’Homère, le sort de Scylacée (mort par lapidation) que
contient son nom même − tiré du mot σκHλαξ −, est analogue à celui d’Hécube.
Ayant échappé aux coups des Achéens, Scylacée est le seul survivant qui rentre
en Lycie. Pourtant, son destin l’attend devant la ville, où il sera obligé d’apporb
ter les tristes nouvelles aux femmes et aux mères de ses compatriotes : « Alors,
encerclant le guerrier, elles se mirent à le lapider […] les pierres le couvrirent
d’un linceul en dépit de ses longues plaintes. Le tertre de mort que les projecb
tiles ont bâti pour lui se dresse près du sanctuaire et du tombeau du puissant
Bellérophon… »102. Un culte sera voué au malheureux comme en compensation
de cette mort atroce.
D’autres récits de métamorphoses illustrent, par l’intermédiaire du chien, les
rapports entre Artémis et Hécate. À l’inverse d’Hécube, dont la mort atroce
entraîne la métamorphose, la femme d’Éphesos met fin à ses jours suite à sa
transformation en chienne : « Callimaque dans les Hypomnêmata raconte qu’Artéb
mis, accueillie chez Éphésos, fils de Kaystros, en a été pourtant chassée par sa
femme, à la suite de quoi elle a d’abord transformé cette dernière en chienne et
ensuite, la prenant en pitié, elle lui a redonné son aspect humain ; enfin, ne
pouvant soutenir cette honte, la femme s’est pendue, alors que la déesse l’a
ceinte de ses propres ornements et l’a appelée Hécate »103. Le nom d’Hécate
s’est avéré capable de réunir les trois « étapes ontologiques », humaine, animale
et divine, de la femme pendue104 et de dire le revers de sa souillure, comme si
dans le domaine d’Hécate le chien cessait d’être un simple synonyme de l’avilisb
sement et véhiculait tout le trésor de son ambiguïté. Les attributs de cette
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266 Types, attributs et attitudes
nouvelle Hécate feront d’elle un double d’Artémis ; son histoire, d’ailleurs, n’est
pas sans rappeller Artémis Gπαγχο Tνη, « Étranglée »105. Telle une prêtresse ou
une suivante qui porte les emblêmes de sa maîtresse, elle sera consacrée à une
autre divinité.
Sur un cratère en calice attique attribué au peintre de Kléophon ou de Dinos
(deuxième moitié du Ve siècle av. J.bC.), l’unique représentation d’Hécate (nom
gravé) ailée est liée explicitement à l’acharnement des chiens106 : Hécate rejoint
les chiens qui agressent Actéon tandis qu’Artémis suit calmement la scène. La
petite tête de chien, visible sur la chevelure d’Hécate − en symétrie avec la
métamorphose incomplète d’Actéon (cornes, oreilles pointues) − serait le signe
de sa complicité avec les chiens du malheureux chasseur107. C’est cette tête
canine qui prête sa voix à Hécate, une voix visualisée par les traits fins en blanc
autour du visage de la déesse108. Hécate assume ici un rôle généralement confié
par l’iconographie à Lyssa109. L’exception est due, non seulement à la parenté
entre Hécate et les chiens, mais aussi aux rapports entre Hécate et Artémis.
Artémis et Hécate forment ici un couple analogue à celui d’Héra et Iris ou
d’Héra et Lyssa. La première déesse de chaque paire commande, la seconde
exécute. Or Iris et Lyssa sont, en tant que déesses soumises à Héra, comparées
aux chiennes de chasse110. L’appellation « chien » est d’ailleurs assez courante
pour les servants, ministres ou prêtres des divinités111. En conséquence, la tête
de chien qui sort du crâne d’Hécate, non seulement l’apparente à la meute enrab
gée qui attaque Actéon, mais la révèle aussi comme ministre dévouée d’Artémis.
105 L’αŸτιον du culte béotien d’Artémis Gπαγχο Tνη est raconté par Paus., VIII, 23, 6, cf. Cole
2004 : 205b208.
106 Toronto, Collection privée. Guimond 1981 : 462, n° 83a. Voir aussi Leipen et alii 1984 :
22b23, n° 17. Simon 1985 : 276, attache elle aussi une grande importance à ce document, car il
nous transmet un aspect unique d’Hécate ; selon elle, il s’agit d’une Hécate aux traits « démoniab
ques et obscurs ».
107 En ce qui concerne la tête de chien, voir Aellen 1994 : 44, n. 5.
108 Pour les traits blancs qui encerclent la tête d’Hécate, voir Leipen et alii 1984 : 22.
109 Sur un cratère attique attribué au peintre de Lykaon (Boston, Mus. of Fine Arts 00. 346)
nous retrouvons une composition semblable de la scène. C’est Lyssa (identifiée par une
inscription) qui exécute le châtiment et qui, comme Hécate, porte sur sa tête une tête de chien qui
aboie : voir ARV2 1046, 11 ; Guimond 1981 : 462, n° 81. Aellen 1994 : 44 sq. compare Lyssa à la
Furie qui participe parfois à la scène de la punition d’Actéon. Cf. Eur., Bacch., 977 : « chiennes
rapides de Lyssa ».
110 Eur., Hér., 859b861 : Lyssa, avant d’attaquer Héraclès sur l’ordre d’Héra, se compare à une
chienne. Call., Hymn., IV (à Délos), 228b232 : Iris, dévouée à Héra, s’asseoit sous son siège comme
une chienne.
111 Autres exemples des ministres comparés aux chiens : Pind., Parth., fr. 95 (Maehler) où Pan
est nommé « chien de la Grande Déesse ». Comme « chiens » sont aussi désignés d’autres
ministres des divinités : les Harpies, l’aigle de Zeus, les flammes du feu d’Héphaistos, des prêtres
etc. Voir Lilja 1976 : 81 et 51 et Mainoldi 1984 : 154b156.
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268 Types, attributs et attitudes
vers trois torches allumées enfoncées au sol. Ce document peut être rappelé à la
barre pour étudier les gestes rituels liés à l’offrande régulière de chiens à la
déesse des carrefours : d’après l’image, l’animal déjà mort doit être déposé sur le
sol, de même que le panier d’offrandes. Les trois torches et le choix de la
victime font naturellement penser à Hécate118. La petite taille de l’animal est en
accord avec les préférences de la déesse et l’absence d’autel confirme l’usage
selon lequel on déposait les offrandes auprès des hekataia119 ; c’est ainsi que les
verbes προτ!θη ι, « placer devant », « exposer » et ˜κφTρω, « porter dehors »120,
employés souvent pour désigner ce rituel, trouveraient leur justification. Ces
termes nous font penser que, comme les autres ingrédients des « repas d’Héb
cate », les chiens offerts n’étaient pas toujours consacrés par le feu.
Le vocabulaire utilisé pour décrire les sacrifices de chiens à Hécate met
l’accent tantôt sur le dépôt de l’offrande aux τρ!οδοι, tantôt − comme on le
verra – sur l’égorgement et l’écoulement du sang. Toutefois, le terme général
θHω est également utilisé, notamment par les scholiastes, pour désigner les sacrib
fices en question : dans les scholies à l’Alexandra de Lycophron, par exemple,
nous lisons comme explication de l’épithète κυνοσφαγ(ς, à savoir « à qui on
égorge des chiens » : κHνας γ¯ρ α•τž –θυον, « parce qu’on lui sacrifiait des
chiens » ; ceci est suivi de la précision supplémentaire : « en fait, dans les Mimes,
Sophron prétend qu’on lui sacrifie des chiens − κHνας θHεσθαι »121.
On a beau imaginer que les offrandes de chiens à Hécate pouvaient avoir
lieu régulièrement à la croisée de trois routes (en tant que partie des « repas » de
la déesse), les deux descriptions les plus détaillées dont nous disposons provienb
nent de sources littéraires concernant des rituels peu habituels, appartenant
plutôt à la sphère de la magie. Même si ces descriptions peuvent d’ordinaire ne
correspondre à aucune réalité rituelle précise122, les éléments qui les composent
sont puisés dans des coutumes et des pratiques réelles. Un long fragment de
Sophron (Ve siècle av. J.bC.) semble d’ailleurs reproduire d’une façon assez
réaliste les préparatifs d’un sacrifice de chien123 : « Placez la table, tout de suite ;
homme tenant une double hache tend à un chien un objet indéterminé (grappe de raisin ? foie ?) ;
l’inscription sur le relief mentionne Hécate Σ’τειρα, voir Perdrizet 1896 : 64 sq., pl. 16.
118 Sur l’identification de l’animal, voir la discussion chez Mainoldi 1984 : 56 et 88, n. 167.
L’absence d’une statuette d’Hécate ne s’oppose pas à l’interprétation que nous mentionnons : outre
la structure de trois torches qui semblent marquer le caractère sacré du lieu, la scène pourrait se
dérouler à une τρ!οδος, c’estbàbdire à un endroit considéré en général comme consacré à Hécate.
119 Cet usage est prouvé, entre autres, du fait que certaines gens, par pauvreté (schol. Ar. Plout.,
v. 594, Koster) ou par impiété (Dém., Or., 54 [Contre Conon], 39) pouvaient manger les « repas ».
120 Cf. l’emploi du verbe πT πω, « envoyer », JποπT πω, « renvoyer, repousser » et κατατ!θη ι,
« déposer » : Ar., Plout., 596b597 et schol. Ar., Plout., v. 594 (Koster).
121 Schol. Lyc., Alex., 77 (Scheer) = Sophron, fr. 8 (Olivieri).
122 Voir Graf 1994 : 199 sq.
123 Le nom de la déesse ne se trouve pas dans les fragments conservés du mime. Cependant,
le contexte magique, le choix de la victime et la qualification de l’offrande comme δε‚πνον désib
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Rencontre du chien avec Hécate 269
prenez un grain de sel dans la main et glissezbvous une branche de laurier près
de l’oreille. Avancez maintenant vers le foyer et restez assis. Toi, donnebmoi le
coutelas, apporte ici la chienne. Où donc est le bitume ? – Voici. – Tiens aussi
la torche et l’encens. Allez, que les portes soient ouvertes toutes grandes. Vous
autres, regardez là, éteignez votre flambeau… ». Le sommet de la scène est la
prière : « Maîtresse, c’est un repas et une hospitalité sans reproche [que nous
t’offrons] »124.
Après avoir invité la déesse au repas, les femmes devaient poursuivre
l’incantation plus intensément en essayant de l’attirer par tous les moyens. La
mise à mort du chien − qui n’est pas décrite, mais est clairement suggérée −
appartient donc, en ce cas, aux gestes qui visent à provoquer l’épiphanie divine.
La table en question pourrait être destinée à recevoir les objets nécessaires au
sacrifice, mais aussi la victime sacrifiée ou une partie de cellebci qui constitue le
« repas » offert à la déesse. Rien ne nous autorise à conclure qu’il s’agit d’un
holocauste, même si le rôle du feu est particulièrement souligné par la mention
du bitume, de l’encens et de la torche. D’autre part, ce δε‚πνον décrit par le
mime se différencie nettement des « repas d’Hécate » habituels. Dans le cadre
de ces derniers, les chiens, même s’ils sont immolés en privé dans les maisons,
sont normalement envoyés aux triodoi où ils sont brûlés, ou plutôt exposés
comme le reste des ingrédients des « repas » jusqu’à ce qu’ils périssent (ou qu’ils
soient mangés par les pauvres)125. En revanche, dans le fragment en question,
l’isolement et la recherche du contact avec le divin définissent les ξTνια prépab
rés. Il s’agit d’une cérémonie qui ne s’inscrit dans aucune régularité temporelle,
car elle vise à attirer la déesse dans la maison ellebmême (d’où l’usage du sel et
du laurier en tant que φυλακτ(ρια126), afin d’exploiter son pouvoir pour une
affaire ponctuelle et strictement personnelle127.
gnent probablement Hécate ; voir, parmi d’autres, Latte 1933 : 262. Cela est confirmé par le rôle
que joue Hécate (identifiée à Artémis et à Σελ(νη dans la deuxième idylle de Théocrite).
124 Τ¯ν τρKπεζαν κKτθετε | Ñσπερ –χειÖ λKζεσθε δ™ | »λ¨ς χονδρ¨ν ˜ς τ¯ν χˆρα | κα› δKφναν
π¯ρ τ¨ ïας. | ποτιβKντες νυν π¨τ τ¯ν | ¦στ!αν θωκε‚τεÖ δ,ς οι τ· | τì φακεςÖ φTρ᾽ þ τ¯ν σκHλακαÖ
| πε‚ γ¯ρ œ aσφαλτος ; − Ο¸τα. − | –χε κα› τ¨ δKιδιον κα› τ¨ν | λιβανωτ,νÖ aγετε δª | πεπτKσθων
οι τα› θHραι | πKσαιÖ ³ ™ς δ™ ˜νταÀθα | IρˆτεÖ κα› τ¨ν δαελ¨ν | σβˆτε Ñσπερ –χει […] π,τνιαÖ
δει[πν]ου Tν τυ κα› | [ξ]εν!ων J ε φTων Jντα[. Trad. (légèrement modifiée) par Chantraine 1935 :
26. Voir Sophron in Page 1970 : 328, n° 73, cf. Hordern 2004 : 40b43 ; Vitelli – Norsa 1933 : 119 et
247 (première publication du fragment) ainsi que Eitrem 1933 : 10b29, Latte 1933 : 259b264,
Kerenyi 1935 : 4b9, Dillon 2002 : 174b175, Martin 2005 : 173.
125 Voir Zografou 2004, cf. Hordern 2004 : 136.
126 Pour l’emploi du laurier comme φυλακτ(ριον, voir, entre autres, Théophr., Car., 16, 1 ;
concernant, plus particulièrement, la coutume de mettre des branches de laurier devant les portes
ou aubdessus d’elles, voir Diog. Laerc., Vit. Phil., 4, 57 ; Hsch., s.v. κ’ υθα (Latte) et Etym. M., s.v.
Jντ(νους (Gaisford). Voir aussi Gow 1953 : 114, n. 1 qui croit que le rôle de ces substances, de
même que celui du bitume et de la torche, est purificatoire. Cf. Hordern 2004 : 130b131.
127 Vu l’ouverture des portes et l’invitation explicite adressée à la déesse, l’hypothèse selon
laquelle le sujet du mime d’où provient le fragment soit une cérémonie cherchant à chasser
Hécate est peu vraisemblable. Voir notamment Eitrem 1933 : 10b29.
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Rencontre du chien avec Hécate 271
ceux qui sont nés dans la maison, à l’instar des Grecs qui le sacrifient à Hécate.
Socrate dit que les Argiens aussi sacrifient le chien à Ilionée pour sa facilité à
mettre bas »134. Hésychius confirme le choix dudit animal comme offrande aux
déesses de la naissance : « Genetullis ; déesse féminine comme le montre son
nom qui dérive de geneseis, ‘naissances’ ; elle ressemble à Hécate et c’est pour cela
que devant elle on livre aussi des chiens ; la déesse comme sa fête viennent de
l’étranger »135.
Ce type de sacrifice a été le plus souvent rapporté par les spécialistes au besoin
de purification après l’accouchement136. En effet, puisque le sacrifice du chien
marquait un passage important pour la femme et l’enfant, il avait probablement
un caractère purificatoire, rites de purification et de passage étant étroitement
associés. Néanmoins, et comme le précise L. Moulinier, nous ne saurions pas
identifier ledit sacrifice au sacrifice purificatoire qui avait lieu le dixième jour après
l’accouchement137. Il ne faut pas non plus perdre de vue la prédisposition à la
maternité qui résulte de l’« hyperbféminité » des chiennes dont nous avons parlé.
C’est peutbêtre ce qu’exprime un sceau archaïque en pierre noire représentant une
chienne au moment de l’accouchement et qu’on a identifiée – de manière pas très
convaincante – à ArtémisbHécate dans « son aspect maternel »138. La valeur purib
ficatoire de la victime serait donc, en ce cas, associée à la suggestion d’un accoub
chement aisé.
Ensuite, Plutarque, offrant des considérations sur le statut « impur » du
chien139, associe Hécate des triodoi à Ényalios, souillé de sang : « Les anciens
croyaient que l’animal n’est pas tout à fait pur ; en effet, il n’est consacré à aucun
des dieux d’Olympe, mais envoyé aux triodoi, en tant que dîner pour Hécate
chthonienne, il tient une place parmi les moyens apotropaïques et purificatoires.
D’autre part, à Sparte on immole de jeunes chiens à Ényalios, le plus sanguinaire
des dieux »140. Cependant, quant au sacrifice spartiate qui précédait la lutte rituelle
134 Plut., Aetia Rom. et Gr., 277b : Ñσπερ οÐν ο¦ Lλληνες τž NκKτ κα› τž Γενε!τ (ΜKν ) κHνα
ÈΡω α‚οι θHουσιν ³π™ρ τ[ν οzκογεν[ν. Gργε!ους δ™ ΣωκρKτης φησ› τž Εzλιονε! κHνα θHειν δι¯ τªν
Å στ’νην τˆς λοχε!ας.
135 Hsch., s.v. Γενετυλλ!ς : Γενετυλλ!ςÖ γυναικε!α θε¨ς πεποιη Tνου τοÀ ¾ν, ατος παρ¯ τ¯ς
γενTσεις, ˜οικυ‚α τž NκKτ Ö δι¨ κα› ταHτ κHνας προετ!θεσανÖ –στι δ™ ξενικª œ θε¨ς κα› ²ορτª τ[ν
γυναικ[ν (Latte).
136 Wächter 1910 : 25 sq. ; Price 1978 : 209 et Kraus 1960 : 25b26.
137 Moulinier 1950 : 68b69.
138 Reitler 1949 : 29b31, pl. VI, a. Kraus 1960 : 25b26 y oppose, d’abord, que non seulement
Hécate, mais aussi d’autres déesses qui interviennent à l’accouchement et reçoivent le sacrifice du
chien pourraient être en relation avec la gemme ; ensuite, que l’épiclèse κHων Tλαινα sur laquelle
s’appuie R. Reitler pour son interprétation est tardive.
139 Concernant les modalités d’interprétation des rites dans les Questions Romaines, voir Scheid
1990b1991 : 276.
140 Plut., Aetia Rom. et Gr., 290d : ο• ªν ο•δ™ καθαρεHειν οντο παντKπασιν ο¦ παλαιο› τ¨
ζÄονÖ κα› γ¯ρ ᾽Ολυ π!ων ™ν ο•δεν› θε[ν καθιTρωται, χθον!α δ™ δε‚πνον NκKτ πε π, ενος εzς
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272 Types, attributs et attitudes
des éphèbes marquant ainsi leur initiation à une nouvelle classe d’âge141, c’est
l’explication de Pausanias qui semble plus vraisemblable : « Pour le plus vaillant
des dieux le plus vaillant des animaux domestiques est une victime indiquée »142.
Plutarque mentionne à côté de ces deux types de sacrifice un rite de passageb
purification publique pratiqué par les Béotiens qui consistait à passer à travers les
deux parties d’un chien dépecé − κυν¨ς διχοτο ηθTντος τ[ν ερ[ν διεξελθε‚ν. Il
mentionne aussi un sacrifice de chien chez les Romains, lors des Lupercales, qui
avait également une vertu purificatoire : ˜ν τÄ καθαρσ!° ην› κHνα θHουσιν, « ils
sacrifient un chien lors du mois des purifications »143.
Des sacrifices de chiens à Hécate avaient aussi lieu, selon des sources relatib
vement tardives dans l’antre de Ζ(ρυνθος : « les mystères de Corybantes et
d’Hécate avaient lieu à Samothrace et l’antre de Zérynthe était célèbre : on disait
que c’était là qu’on honorait Hécate avec des rites orgiastiques, les initiations et
des sacrifices de chiens »144. La déesse Ζηρυνθ!α, qui était honorée avec les
Corybantes, était appelée par les Grecs tantôt Hécate, tantôt Aphrodite145. Ses
torches, autant que les sacrifices des chiens, la rapprochent d’Hécate. Ni les mysb
tères, ni l’association aux Corybantes n’étaient d’ailleurs étrangers à cette dernière.
Nonnos de Panopolis décrit le contexte orgiastique du culte d’Hécate et des
Corybantes (ou Cabires) : musique de flûte, cris, danse, frénésie146. La Souda
définit l’ensemble des cérémonies qui avaient lieu aux mystères de Samothrace
comme des JλεξιφKρ ακα en précisant : « chaque fois qu’ils étaient affrontés aux
dangers, ils invoquaient les démons pour qu’ils apparaissent en sauveurs. Car les
initiés croyaient que ces chosesblà pouvaient les sauver des maux et des tempêb
tes »147. Le sacrifice des chiens, en plus de constituer un hommage à Hécate,
faisait probablement partie de la cérémonie initiatique destinée, entres autres, à
prémunir les participants contre les malheurs de la vie.
τρι,δους Jποτροπα!ων κα› καθαρσ!ων ˜πTχει ο‚ραν. ˜ν δ™ Λακεδα! ονι τÄ φονικοτKτ° θε[ν
Sνυαλ!° σκHλακας ˜ντT νουσι.
141 Jeanmaire 1939 : 514 classe ainsi cette joute instituée par Lycurgue parmi les rites d’initiab
tion, voire de puberté.
142 Paus., III, 14, 9.
143 Plut., Aetia Rom. et Gr., 290d ; cf. Romulus, 21, 4b9. Voir aussi Dumezil 1974 : 352 sq. ainsi
que Cirilli 1912 : 330b331 et Zaganiaris 1975 : 326b327 dont les études se réfèrent aussi à d’autres
occasions lors desquelles on sacrifiait des chiens à Rome.
144 Schol. Aristoph., Paix, 277 (Dübner) : ˜ν δ™ τž Σα οθρKκ τ¯ τ[ν ΚορυβKντων áν
υστ(ρια κα› τ¯ τˆς NκKτης, κα› διαβ,ητον áν τ¨ Ζ(ρυνθον aντρον, –νθα τªν NκKτην ¾ργιKζειν
˜λTγετο, κα› τελετ¯ς áγον α•τž κα› κHνας –θυον. Cf. Lyc., Alex., 77 et Souda, s.v. Ζηρυνθ!α et
Σα οθρKκη (Adler). Sur des sacrifices de chiens offerts à Trivia par les habitants de Thrace, voir
Ov., Fast., I, 389b390 et IV, 935b936 ; l’auteur précise que c’étaient les entrailles des chiens qui
étaient offerts.
145 Kraus 1960 : 66b67.
146 Nonn., Dion., III, 61b76. Les torches d’Hécate, dans ce cas, offrent leur lumière aux thiases
nocturnes : IV, 183b186.
147 Souda, s.v. Σα οθρKκη (Adler).
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Rencontre du chien avec Hécate 273
148 Plut., Aetia Rom. et Gr., 280c, cf. Romulus, 21, 10 : « quant au chien, on pourrait dire que, si le
sacrifice est une purification, on l’immole en vue de se purifier. Les Grecs aussi, en effet, dans les
céremonies de purification, apportent des petits chiens et pratiquent en maints endroits ce qu’on
appelle periskylakismos − –ν τε το‚ς καθαρσ!οις σκHλακας ˜κφTρουσι κα› πολλαχοÀ χρ[νται το‚ς
λεγο Tνοις περισκυλακισ ο‚ς ». Cf. Théophr., Car., 16, 13 (σκ!λλ ñ σκHλακι […] α•τ¨ν περικαθˆραι).
149 Mainoldi 1984 : 53.
150 Plut., Aetia Rom. et Gr., 280c : κα› τž NκKτ σκυλKκια ετ¯ τ[ν aλλων καθαρσ!ων ˜κφTρουσι
κα› περι Kττουσι σκυλακ!οις το·ς Jγνισ οÀ δεο Tνους, περισκυλακισ ¨ν τ¨ τοιοÀτον γTνος τοÀ
καθαρ οÀ καλοÀντες. Trad. Nouilhan, Pailler et Payen 1999 : 173.
151 Outre le cas du rite béotien que nous avons cité (où, même s’il n’est pas précisé par Plut.,
il est généralement accepté qu’il s’agit de la purification d’un peuple en armes), nous connaissons
notamment celui de la lustration de l’armée macédonienne : QuintebCurce, Histoires, X, 9, 12, Titeb
Live, XL, 6 et Hsch., s.v. ΞανθικK (Latte). Voir Masson 1950 : 5b25 qui, à côté des faits hittites,
présente, entre autres, des usages grecs et romains. Cf. Eitrem 1947 et Delcourt 1963.
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274 Types, attributs et attitudes
bovins), voir Georgoudi 1988 : 75b77. La diététique hippocratique établit une nette distinction
entre la viande d’un chien adulte et d’un très jeune chien. La première est considérée comme
desséchante et astringente, la deuxième comme la plus légère de toutes les viandes, ayant
notamment des qualités laxatives et diurétiques : Mainoldi 1984 : 171b174.
156 Selon la croyance romaine, ce sont toujours de petits chiens qui peuvent par simple
contact absorber en eux la maladie du souffrant : Plin., H.N., XXX, 42b43 et 64. Gourevitch
1968 : 257, en commentant les passages de Pline, remarque l’insistance sur l’âge : « dans les deux
cas, l’âge tendre de la bête est souligné, peutbêtre parce qu’on la croit alors plus faible, plus
susceptible de subir l’influence d’autrui ».
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Rencontre du chien avec Hécate 275
rituels purificatoires, qu’il soient des chiens ou non157. En ce qui concerne plus
particulièrement les rites d’Hécate, la jeunesse du chien surdéterminerait le
statut intermédiaire de cet animal, soulignant ainsi le rôle de la déesse qui est de
prendre en charge tous ceux qui se trouvent dans une période ou un espace
transitoires.
157 Masson 1950 : 23, se référant au περισκυλακισ ¨ς, commente : « bien qu’il s’agisse dans ce
cas d’un rite lié au culte d’Hécate, cet usage est très instructif : le transfert de l’impureté s’opère de
préférence sur de jeunes animaux, ceux que nous avons trouvés dans les rituels hittites ».
158 Athén., I, 16b : δοκε‚ γ¯ρ Nρ ˆς ¸πνου προστKτης ε©ναι.
159 Hom., Il., XXIV, 444b445 : Hermès « verse » le sommeil aux gardiens afin de faire entrer
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276 Types, attributs et attitudes
167 Hom., Il., XXIV, 22b24, 106b109 (les olympiens poussent Hermès à dérober le cadavre
d’Hector), Od., XIX, 395b397 (Hermès dispose de la contrainte du serment et de l’attitude du
voleur) ; HhHerm., 14, 18, 67, 159, 214 et passim (Hermès vole les vaches d’Apollon). La tricherie
d’Hermès ne s’allie pas toujours aux projets des voleurs : le même dieu qui protège ceuxbci peut
également les piéger avec sa ruse ; ainsi, Hermès entreprend un rôle dévolu d’ordinaire à Priape,
celui du gardien des champs et des jardins : Anth. Plan., 193, 3b4 : « Incroyable ! ne pas voler,
d’Hermès c’est bien la nouvelle loi ».
168 HhHerm., 149.
169 HhHerm., 283b285. Apollon prédit que son petit frère sera capable de dévaliser toute une
demeure sans le moindre bruit, cf. ibid., 90b93. Ayant tout intérêt à obtenir le silence de l’unique
témoin du vol, Hermès utilise la menace. Ce moyen s’avérant inefficace, Hermès imposera au
témoin la punition du mutisme éternel en le transformant en pierre (élément connu de la version
d’Ant. Lib., Mét., 23, 4b6).
170 HhHerm., 145.
171 Ant. Lib., Mét., 23 (³λακ( au lieu de φυλακ().
172 Hippocr., V, 332, 7b8 (Littré).
173 Hippocr., IV, 572, 3 et V, 660, 5b7 (Littré) ; cf. Galien, XIV, p. 733 (Kühn). Pour les malab
dies des chiens, voir Hull 1964 : 54b58.
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Rencontre du chien avec Hécate 277
en méonien Kandaulas, compagnon des voleurs, combats ici avec moi »174. Le
rapprochement entre Hermès et le dieu méonien est dû à la formation analogue
des mots κυνKγχης (<κHων, aγχω) et ΚανδαHλας (<*kan, « chien », *dhau,
« étrangler »). O. Masson, dans son édition commentée des fragments d’Hippob
nax, estime qu’Hermès κυνKγχης n’est pas une figure hellénique : « l’épithète est
un hapax, et l’on ne connaît pas en Grèce d’appellation comparable pour
Hermès ni de sacrifices de chiens dans son culte »175. Certes, l’analogie entre
Hermès κυνKγχης et Kandaulas reste par ailleurs partielle. Car, quoiqu’on ait pu
soutenir que Kandaulas recevait des chiens en offrandes, rien ne montre
qu’Hermès en faisait autant. Hésychius nous informe que le mot κυνKγχης
désigne le voleur176 tandis qu’un autre fragment d’Hipponax, probablement en
rapport avec le précédent, nous présente Hermès associé à un « voleur de
chien » sans qu’il soit question de tuer l’animal177. En effet, Hermès vise en tant
κυνKγχης au même effet produit par la maladie homonyme : annuler la
résistance vocale de l’animal en l’étouffant, s’il le faut, jusqu’à la mort.
Parmi les plantes associées à Hermès178 se trouve, selon Dioscoride, la λιν,b
ζωστις − aρρην, « mâle » −, autrement dite Nρ οÀ βοτKνιον (herba mercurialis),
également connue comme κυνTα ou κυνοκρK βη, « chou de chien » ; cette
dernière appellation désigne également la plante Jπ,κυνον, « qui tue les chiens »
ou κHναγχον, « qui suffoque les chiens » ou κυν, ορον, « mûre de chien » ou
« malheur de chien », en évoquant par là tant l’étranglement que la mort du
chien179.
Les bons offices d’Hermèsbvoleur sont sollicités par Zeus luibmême qui le
charge de « voler » Iobvache180 dont la surveillance intense était assurée par le
géant Argos181. Ce dernier constitue l’adversaire exemplaire d’Hermès. Non
seulement son nom, Argos, a été intérprété par les anciens comme « aux yeux
d’Argos en général, voir, entre autres, Wernicke 1895b : col. 787b798. Pour l’iconographie, voir
Yalouris 1986 : 3b23.
181 Notons que le héros éponyme d’Argos est également gardien de la cité ou du sanctuaire
d’Héra : Paus., II, 16, 1 et Hdt., VII, 78b82.
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278 Types, attributs et attitudes
brillants », mais il était également connu comme παν,πτης, « celui qui voit
tout », ce qui correspond, dans ses représentations artistiques, à une duplication
de la tête – donc des yeux – ou, plus souvent, à un corps parsemé d’yeux182. Pas
question d’épier le moment où ce gardien surqualifié fermerait l’œil : « la déesse
− c’estbàbdire Héra − a éveillé en lui une ardeur infatigable, ainsi le sommeil ne
lui alourdissaitbil pas les paupières et sa garde restait toujours immuable »183.
Selon la plupart des sources, c’est le meurtre qu’Hermès a choisi pour se débarb
rasser d’Argos. Quant à l’arme du meurtre, la tradition la plus répandue veut
qu’Hermès se serve d’une pierre, tandis que le recours à l’épée est surtout
favorisé par les iconographes qui ont donné au combat entre Argos et Hermès
un caractère belliqueux. Il existe, pourtant, d’autres versions. Une image isolée
sur une amphore de 530 av. J.bC. montre le dieu s’approchant d’Iobvache et du
géant nullement armé, sinon de son habileté rusée184.
Nous trouvons aussi
sur une hydrie du IVe
siècle av. J.bC. Hermès
agissant en collaboration
avec Hypnos et s’apprêb
tant à tuer Argos dans
son sommeil (Fig. 31)185.
Enfin, Ovide évoque le
double pouvoir hypnob
tique de la musique et
de la baguette d’Herb
Fig. 33 mès186. Toutefois, une
histoire de vol sans mention de chiens serait comme un film policier sans
policiers. Or sur la même amphore où nous voyons Hermès procéder par la
ruse, un chien, appartenant probablement au gardien mythique, semble se
résigner à subir le pouvoir d’Hermès. Sur l’hydrie qui illustre la mort d’Argos
endormi nous remarquons un chien également endormi aux pieds de ce dernier.
D’autre part, Argos agit d’habitude seul en se chargeant luibmême du rôle des
chiens. Le jet de la pierre lui réserve, par ailleurs, une mort propre à un chien.
Aussi faudraitbil s’attendre à rencontrer la variante d’Argosbchien dont témoigne
effectivement Hipponax, cité par une scholie de Tzetzes, une source d’autant
182 Argos n’apparaît jamais comme un vrai Παν,πτης (corps couvert d’yeux) avant le Ve s. av.
J.bC. Pour Argos Παν,πτης et Bifrons, voir Price 1971 : 263, pl. 73.
183 Hés. (ou Cercops de Milet), Aigimios, fr. 294 (MerkelbachbWest).
184 « Amphore Northampton », Munich, CVA, 6, pl. 299b300 ainsi que Yalouris 1986 : 4, n°
2, fig. 2 et Siebert 1990 : n° 837.
185 Hydrie apulienne, New York, coll. Levy/White, n° 247, RVApSuppl. I, 78/63d. Voir aussi
Aellen 1994 : 159b160, n° 107.
186 Ovid., Mét., I, 682 sq. ; cf. Valerius Flaccus, IV, 384 sq. et Silius Italicus, X, 340 sq. (c’est
Somnus qui accomplit le meurtre).
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Rencontre du chien avec Hécate 279
plus intéressante qu’elle conclut sur une équivalence entre le « tueur d’Argos »
− qualification exprimée, selon les anciens, par l’épithète Gργειφ,ντης187 − et
l’« Étrangleur des chiens » d’Hipponax : « on dit qu’Argos était un chien qui
avait des yeux sur toute la surface de son corps […] que Argos était un chien
est, d’ailleurs, dit aussi par Hipponax : Hermès Kunagchês… »188. Rappelons,
enfin, que chez Homère l’adjectif Jργ,ς, dans le sens de « rapide »189, désigne
les chiens dans des formules traditionnelles et qu’Xργος est le nom propre du
chien célèbre d’Ulysse, tandis qu’Xργη est le nom d’une des chiennes d’Acb
téon190. Il est évident qu’Argos, le gardien d’Io, est assimilé à un chien par son
nom, sa mort, sa fonction et ses qualifications. Si Hermès κυνKγχης cherche à
faire taire les chiens, c’est plutôt le regard de son adversaire que vise l’Gργειb
φ,ντης en le plongeant dans le noir.
Fig. 32
187 La signification « tueur d’Argos » n’est pas forcément l’originelle, mais elle a dû s’imposer
dès le VIe ou le VIIe s. av. J.bC. Pour le problème étymologique que pose l’épithète, voir
Chantraine 1935 : 79 et passim.
188 Tzetzes, Exeg. Il., 153 (Hermann).
189 Selon Chantraine 1999, s.v. il faut admettre à l’origine de l’adjectif « une notion qui
exprime la blancheur éclatante de l’éclair et en même temps la vitesse ».
190 Pour l’emploi homérique d’Jργ,ς, « rapide » et d’Jργ!πους, « aux pieds rapides », voir Il., I,
50 ; 18, 283, 578 ; 24, 211 ; Od., II, 11 ; XVII, 62 ; XX, 145. Argos, chien d’Ulysse : Od., XVII, 291
sq. Pour les noms des chiens et des chiennes d’Actéon, voir Ps.bApollod., Bibl., III, 4, 4, et Cirio
1977 : 46b47.
Voir aussi Chittenden 1948 : 24 sq. qui met en évidence toutes les raisons qui justifient que le
nom d’Argos soit donné à un chien (l’hypothèse de l’article, selon laquelle Jργ,ς et Gργειφ,ντης
signifiaient originellement « chien » et « Tueur des chiens » respectivement, serait difficile à vérib
fier).
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280 Types, attributs et attitudes
des travaux d’Héraclès191. Une aide considérable a été procurée par Hermès et
Athéna pour que le héros parvienne à son but. Chez Homère, les deux dieux
sont censés guider Héraclès lors de sa descente192. L’iconographie montre
souvent le couple divin en train d’assister également à l’effort d’Héraclès pour
amener Cerbère au jour. La présence d’Athéna, compagne fidèle des héros en
difficulté, encourage et inspire Héraclès. Quant à Hermès, il y figure non
seulement en tant que passeur, un rôle si souvent assumé par lui, mais aussi
dans son aspect de voleur et d’ennemi des chiens193 − qu’il s’agisse d’un vrai
enlèvement violent ou d’une réussite diplomatique. Aussi voyonsbnous Hermès
tantôt escortant Héraclès qui ramène le chien, tantôt l’aidant à apaiser et
enchaîner le chien mythique194. Il est remarquable qu’en l’absence d’Héraclès,
Hermès et Cerbère puissent à eux seuls résumer l’épisode connu195.
La scène du vol, représentée sur la série des vases apuliens s’intègre parfaib
tement aux succès d’Hermès contre le « quadrupède aboyeur »196 qu’est le chien.
On y voit en face à face le courage d’Héraclès associé à la débrouillardise
d’Hermès et la colère et la tenacité de Cerbère renforcée par la présence
d’Hécate (ou d’une Érinye lui ressemblant). Il s’agit d’un groupe de la deuxième
moitié du IVe siècle av. J.bC. qui illustre des scènes du monde d’en bas : au
centre nous voyons toujours le palais souterrain et le couple royal ; des héros
célèbres pour avoir réussi à visiter les enfers – Orphée, Thésée, Héraclès –, des
personnages châtiés et des Érinyes y figurent naturellement. Le chien est
representé par Cerbère, habitant distingué de ce royaume. Malheureusement, les
inscriptions qui assurent l’identification des personnages sont rares et la seule
191 Rien que de dévisager ce chien monstreux est une dure épreuve : Hermesianax, 2, 10b12
(Diehl), cf. Lilja 1976 : 104.
192 Hom., Od., XI, 623.
193 Dans la légende de Pandareus qui avait dérobé le chien de Zeus, Hermès procède en vrai
voleur du voleur en dénichant le chien en question chez Tantale : schol. Od., XX, 66 (Dindorf) et
schol. Pind., Ol., I, 91a (Drachmann). Dans ce mythe, tous les coupables du vol du chien (qui
gardait le sanctuaire de Zeus en Crète) sont sévèrement punis. Même les filles de Pandareus qui
n’y étaient pas explicitement impliquées seront livrées aux Érinyes et atteintes d’une maladie qui
s’appelle κHων ; voir Roscher 1896 : 1b8.
194 Siebert 1990 : 329 sq. Sur une amphore à f. n. de la fin du VIe s. av. J.bC. (Siebert 1990 :
n° 514 ; ABV, 328, n° 7 ; Mylonas 1940 : 192 sq., fig. 8) nous voyons, par exemple, Hermès
faisant un geste de persuasion aubdessus de Cerbère ; sur une amphore à f. r. légèrement plus
récente (Siebert 1990 : n° 517 ; ARV2, 225, n° 1) le dieu pointe son caducée vers lui, tandis que
sur une autre amphore à f. n. du dernier quart du VIe s. av. J.bC. (ABV : 255, n° 8 ; Boardman
1968 : fig. 163, 1) il semble aider Héraclès à l’enchaînement. Quiconque voulait franchir la porte
d’Hadès aurait interêt à apaiser la colère du chien. Rappelons que même les morts se présentaient
devant la bête féroce munis de ελιττοÀτα, ce gâteau qui avait, selon les auteurs latins, des vertus
assoupissantes : Ar., Lys., 601 et schol. ad loc. ; Souda, s.v. ελιττοÀτα (Adler) ainsi que Virg., Én.,
VI, 420 ; Apulée, Métamorphoses, VI, 18, 3 ; XIX, 2b4 ; XX, 2b3. Cf. Scholz 1937 : 34.
195 Siebert 1990 : 330, nos 524b526.
196 Galien, VIII, p. 573 (Kühn). L’aboiement définit le chien ; voir aussi Aesopica, Fab. 105,
13 sq. (Perry).
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Rencontre du chien avec Hécate 281
197 Fragment apulien, Aellen 1994 : n° 6, 32, 58b59, 61b64, 188, pl. 9 ; Sarian 1986 : n° 12.
198 a) Sur un cratère à volutes à Naples, SA 11 (MN 80854) (350b340 av. J.bC.), la figure en
question est représentée ailée avec des serpents dans les cheveux, vêtue d’un chitôn court et des
endromides ; elle lève le doigt et dirige sa torche vers Cerbère. Voir Trendall/Cambitoglou,
RVAp I, 16/54 et Sarian 1986 : n° 9. b) Sur un cratère à volutes à Carlsruhe, B 4 (350b340 av. J.b
C.), nous la retrouvons vêtue comme sur le cratère de Naples SA 11, sans ailes ni serpents, munie
de deux lances, coiffée d’un chignon et portant un cécryphale aux cheveux (et une peau de
bête ?) ; elle lève une torche avec fouet. Voir Trendall/Cambitoglou, RVAp I, 16/81, pl. 160. 1 et
Sarian 1986 : no 11. c) Sur un autre cratère à volutes, à Naples H 709 (330b310 av. J.bC.), elle est
représentée à peu près comme dans le cas précédent (sans cécryphale), elle dirige sa torche vers
Cerbère en tournant, en même temps la tête vers une femme (probablement Eurydice). Voir
Trendall/Cambitoglou, RVAp II, 18/284, pl. 196 et Sarian 1986 : no 10. Sur un cratère à volutes,
à Munich 3297 (J. 849) (330b310 av. J.bC.), ayant un aspect semblable à celui qu’elle revêt dans les
deux cas précédents, elle agite, cette fois, deux torches (Fig. 32), Trendall/Cambitoglou, RVAp II,
18/282 et Shapiro 1986 : n° 7. Cf. Aellen 1994 : nos 27, 28, 78, 50 (p. 30b33, 50, 58b62, 64b65, 114,
136, 180, 183, pl. 33, 35, 65, 93) correspondent aux cratères cibdessus. C’est par l’image du cratère
de Naples SA11 que l’aspect de cette déesse se rapproche le plus de celui d’une Érinye. Au
contraire, la figure du cratère de Carlsruhe B4 a toutes les caractéristiques d’Hécate. Il est à noter
que dans la scène d’Hadès de ce dernier cratère, nous voyons déjà Hécate accueillant Orphée à
proximité du couple royal. Pourtant, le dédoublement de sa figure dans le registre inférieur du
vase est possible. Remarquons, enfin, qu’un autre cratère à volutes apulien (Naples H3222)
remplace notre figure par un personnage féminin assis sur un hippocampe.
199 Remarquons que les Érinyes sont souvent appelées dans l’Orestie « chiennes » ou « chienb
nes rancunières » : Esch., Ch., 924b925, 1054 ; Eum., 131b132, 147, 231, 246, 326. Voir Roscher
1896 : 48b50 ; Scholz 1937 : 30.
200 La catégorie « Furie » a été établie par Aellen 1994 : 24 et passim, afin de distinguer une
série de figures des vases italiotes des Érinyes du groupe d’Oreste.
201 Aellen 1994 : 60.
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Rencontre du chien avec Hécate 283
dieu qui sait parfaitement franchir les limites interdites en faisant taire et en
endormissant, voire en tuant ceux qui lui font obstacle.
Conclusion
Le chien est si étroitement associé à Hécate que l’on ne pourrait le considéb
rer comme un simple « emprunt » de la part d’Artémis, sa cousine « chasseb
resse ». Il suit la déesse en devenant son symbole, sa victime sacrificielle, son
« repas » préféré, l’aspect sous lequel elle apparaît. L’étude de présentations
littéraires du chien met en évidence l’ambiguïté de son statut, à laquelle repond
une ambivalence spatiale qui est du ressort d’Hécate : il a beau être familier aux
hommes et proche de leurs habitations, il est « banni » de leurs portes, erre dans
les rues et cherche sans doute sa nourriture, à côté des mendiants et des autres
marginaux, parmi les déchets et les restes d’offrandes déposés aux triodoi. Les
épisodes mythiques impliquant Hermès et/ou Hécate et le chien, tels le vol du
troupeau d’Apollon, le meurtre d’Argos ou l’enlèvement de Cerbère, opposent
les réactions de ces deux divinités face au chien gardien, de façon à éclairer
aussi bien la complémentarité du couple HermèsbHécate que l’aspect « canin »
d’Hécate. Enfin, la tendance du chien à se mettre au service des autres nous
mène au rôle d’acolyte qu’assume parfois cette déesse et qui va nous occuper
dans notre dernier chapitre.
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Chapitre III
Hécate ̟ρ/̟ολος : servir, accompagner,
doubler une autre divinité
Dans toute notre étude, nous avons souvent vu Hécate se mettre au service
d’autres divinités. Dans l’Hymne homérique à Déméter, elle accompagnait tantôt
Déméter, tantôt Coré dont elle a fini par être nommée πρ,πολος et ¾πKων1.
Chez Euripide, elle est mentionnée comme ‰( ητρος λKτρις2. L’iconographie
éleusinienne a illustré le ministère d’Hécate auprès de Déméter et de Coré en
révélant de plus une grande ressemblance entre sa figure et celles des prêtresses
et autres porteuses de torches participant aux mystères. Nous avons ensuite
retrouvé ce rapport fusionnel entre divinité acolyte et prêtresse/adorante dans
le dossier des représentations plastiques de Cybèle encadrée par Hermès et
Hécate : il s’agissait là d’une version plutôt statique du rôle d’accompagnatrice,
qui risquait même d’être perçu comme simplement décoratif. Nous avons enfin
suivi le châtiment d’Actéon, exécuté par Hécate agissant sous les ordres d’Artéb
mis, telle une chienne fidèle de la chasseresse divine. Philodème, d’ailleurs,
témoigne également de ce lien : « on dit qu’Hécate est suivante – ¾παδ,ς –
d’Artémis »3.
Certaines caractéristiques de la déesse convergent pour lui donner une
nature « subalterne ». Son attachement aux marges qui la prédispose, comme
nous avons pu l’observer, aux rencontres avec tout type de marginaux – prosb
tituées, mendiants, errants, criminels, suppliciés – la rapproche aussi des
gardiens habituels des portes de la maison, chiens et domestiques. Après la
chute de Troie, Hécube déplorant sa future vie d’esclave en Grèce s’imagine
« servante d’une porte, en garder les clés »4. Or dans la tragédie, ce sont en
1 HhDem., 440. Philodème, vers 50 av. J.bC., fait d’Hécate la πρ,πολος κα› ¾πKων de Déméter
− De la piété, p. 42, pl. 91, 10b15 (Gomperz) − et, d’après la restitution de Luppe 1985 : 34, la
τροφ,ς, « nourrice » de Perséphone.
2 Eur., fr. 955 (Nauck) = Philod., De la piété, p. 42, pl. 91, 10b11 (Gomperz). Philodème
critique les poètes qui soumettent une divinité à une autre. Il cite, entre autres, l’exemple des
acolytes de la Mère des dieux et des messagers divins comme Hermès et Iris.
3 Philod., De la piété, p. 42, pl. 91, 8b9 (Gomperz).
4 Eur., Tr., 492b493.
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286 Types, attributs et attitudes
général les serviteurs (appelés le plus souvent πρ,σπολοι) qui assurent l’ouverb
ture, la fermeture et la garde de la porte : « deserrez, serviteurs – πρ,σπολοι –, la
fermeture des portes, retirez les barres ! »5. Un jeu de mots dans l’Alceste d’Eurib
pide souligne l’attachement des serviteurs aux portes (notamment en cas de
deuil, qu’ils étaient les premiers à signaler6) ; sachant la mort d’Alceste immib
nente, le chœur s’étonne : « aucun des serviteurs – J φιπ,λων – ne stationne
autour des portes – J φ› πHλας »7. La parenté d’Hécate avec le chien, animal au
service de l’homme, peut aussi connoter un état de dépendance. Enfin, la
fonction de portebtorche faisant souvent appel à un couple éclairantbéclairé,
donc servantbservi, renvoie facilement, on l’a vu, aux rapports de subordination.
Toutefois, il ne s’agit pas là d’un caractère absolu ; comme la plupart des
traits des divinités grecques, la tendance d’Hécate à « se soumettre » ne se révèle
que dans la géométrie de ces associations. Autrement dit, il n’est pas question
d’une nature divine « servile » ni d’une déesse de statut inférieur. En effet,
même si la déesse ne dispose pas en général de grands sanctuaires et s’accomb
mode le plus souvent de peu de place, ses épiclèses témoignent de sa force et de
ses multiples pouvoirs. Du reste, elle dispose ellebmême de ses propres πρ,b
πολοι : des spectres qui l’accompagnent lors de ses assauts, mais aussi des κ,ραι
qui entourent avec adoration ses hekataia et les Cabires qui l’assistent quand elle
s’identifie à la Mère des dieux. Le fait justement qu’Hécate, aubdelà de la simple
complicité qui unit la servante à sa maîtresse, est capable de se glisser dans la
peau des déesses qu’elle accompagne (Coré, Artémis, Mère des dieux) montre la
relativité de sa subordination, relativité inhérente à toute définition de la limite.
5 Eur., Hipp., 824. Pour l’attachement des serviteurs tragiques à la porte, voir aussi Serghidou
1998 : 41b61.
6 Voir Serghidou 1998 : 43 sq.
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Hécate πρ,πολος : servir, accompagner, doubler une autre divinité 287
cellesbci veillent aux portes, portent des torches et assurent l’escorte de leur
maîtresse, la prêtresse d’une divinité détient les clés de son temple – κλ δοÀχος
ou κλειδοÀχος –, manie éventuellement des torches et semble concernée par
tout ce qui concerne la divinité qu’elle sert.
Le lien qui se crée entre une divinité féminine et sa prêtresse est cependant
beaucoup plus fort que celui qui unit une femme à ses servantes, du fait que la
prêtresse, la seule à avoir une relation aussi intime avec la divinité, peut
représenter la divinité, la rendre présente autant que son image cultuelle9. Plus
le rapport de la divinité à sa prêtresse rappelle son rapport à son image, plus la
prêtresse tend à devenir, elle aussi, « une image de la divinité ». S. Georgoudi
illustre d’exemples saisissants cette fusion entre la divinité, sa statue et sa prêb
tresse qui, à travers l’interchangeabilité, va jusqu’à l’identification10.
Plutôt que la relation entre maîtresse et servante, c’est alors la relation entre
divinité et prêtresse qui peut nous servir comme modèle des associations
d’Hécate avec d’autres divinités féminines, car elle montre le chemin qui
conduit de la subordination à l’identification. Pour cela, la figure d’Iphigénie, à
laquelle nous n’avons fait jusqu’ici que de brèves allusions, nous sera d’un grand
secours11.
Nous ne pouvons pas analyser, bien sûr, dans le cadre de cette étude, le
dossier très riche et très étudié, des traditions mythiques et des données cultuelb
les se référant à Iphigénie12. Nous allons nous pencher uniquement sur les liens
qui se dessinent entre Iphigénie (héroïne ou déesse), Artémis et Hécate. Le
Catalogue des Femmes d’Hésiode nous rapporte pour la première fois le sacrifice
de la fille d’Agamemnon, appelée dans le fragment en question ¢φι Tδη ; après
avoir substitué un εŸδωλον, « simulacre » à la fille portée sur l’autel sacrificiel,
Artémis l’immortalise et lui offre un statut particulier : « la tueuse des cerfs, la
déesse archère – ˜λαφηβ,]λος zοχTαιρα –, a su très aisément sauver la fille ; elle
lui a aussi versé de l’adorable ambroisie sur la tête pour que sa peau soit
impérissable ; elle l’a alors rendue immortelle et jeune à jamais – JθKνατο[ν κα›
Jγ(ρ]αον ¹ α[τα πKντα. Or les tribus des hommes qui habitent la terre l’appelb
sa prêtresse est d’autant plus grand qu’il est créé par la volonté divine.
12 Voir, entre autres, Hollinshead 1979 et id. 1985, LloydbJones 1983, Brulé 1987 : 108b203,
Bonnechere 1994 : 38b48, Larson 1995 : 101b106, Lyons 1997 : 143b157, Giuman 1999 : 14b17, 96b
102, 393b409, Montepaone 1999 : 1999 : 13b33 et id. 2002 : 67b76.
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288 Types, attributs et attitudes
lent Artémis des voies, servante de la célèbre archère – Xρτε ιν εzνοδ![ην, πρ,b
πολον κλυ]τοÀ z[ο]χ[ε]α![ρης »13.
Pour Stésichore et, plus tard, pour Pausanias, l’Iphimède du Catalogue n’est
autre que l’Iphigénie de la légende, tandis que l’appellation Artémis Εzνοδ!η –
en même temps un aspect d’Artémis et sa servante/prêtresse – est synonyme de
celle d’Hécate ; le mythe de l’immortalisation d’Iphigénie devient alors l’αŸτιον
du culte d’Hécate. Selon les dires de Philodème, Stésichore n’a fait que suivre la
tradition hésiodique « en identifiant Iphigénie à celle qu’on appelle aujourd’hui
Hécate – ¢]φιγTνειαν ε©ναι τª]ν NκKτην νÀν ¾νο αζ]ο Tνην »14. Pausanias, défenb
dant l’opinion qu’Iphigénie n’est jamais morte, affirme cette version du mythe
qu’il fait également remonter à Hésiode : « ils disent qu’il y a aussi un hérôon
d’Iphigénie : selon eux, cellebci aussi est morte à Mégare ; pour moi, j’ai entendu
rapporter une autre tradition qui a cours en Arcadie, et je sais qu’Hésiode dans
son Catalogue des femmes a montré qu’Iphigénie n’était pas morte, mais que, par la
volonté d’Artémis, elle est devenue Hécate – γν’ δ™ GρτT ιδος NκKτην
ε©ναι »15.
Sur le plan du mythe, la métamorphose d’Iphigénie en Hécate, πρ,πολος
d’Artémis, correspond à la variante, plus courante, du transfert miraculeux
d’Iphigénie en Tauride (la Crimée d’aujourd’hui). Déjà Hérodote, en parlant des
coutumes sanguinaires des Taures, identifie la déesse ΠαρθTνος indigène, destib
nataire des sacrifices humains (des naufragés et des Grecs capturés), à Iphigéb
nie : « la déité – δα! ονα – à laquelle ils offrent ces sacrifices serait Iphigénie,
fille d’Agamemnon »16. Si l’historien ne fait pas d’allusion directe au sacrifice
d’Aulis, Pausanias, dans le passage que nous venons de citer, après avoir menb
tionné l’Iphigénie hésiodique devenue, selon lui, Hécate, y joint le témoignage
d’Hérodote afin de rendre cette version encore plus crédible : « Hérodote a
écrit un récit qui est en accord avec cette tradition : les gens de Tauride scyb
thique sacrifient les marins naufragés et affirment que cette vierge est Iphigénie,
la fille d’Agamemnon »17.
C’est pourtant Euripide qui a rendu célèbre – s’il ne l’a pas partiellement
inventée – la relégation d’Iphigénie chez les Taures18 en décrivant avec détails
13 Hés., fr. 23a (MerkelbachbWest) Cf. Hirschberger 2004 : 96b97 (fr. 15.), 206b215 ainsi que
Solmsen 1981 : 353b358, Marcotte 1988 : 255b266 et Bonnechere 1994 : 39 (n. 90), concernant le
rapprochement fait entre cette Iphimède et I*pe*me*de*ja mycénienne (PY Tn 316 v. 6).
14 Stésich., PMG, 215 (Page) = Philod., p. 24, pl. 52a, 5b11 (Gomperz). Toutefois, Stésichore
fait d’Iphigénie la fille d’Hélène et de Thésée.
15 Paus., I, 43, 1 Hés., fr. 23b (MerkelbachbWest).
16 Hdt., IV, 103, cf. Strabon, C308 qui rapporte un sanctuaire de ΠαρθTνος dans la Chersob
nèse taurique avec un temple et une statue − ξ,ανον − de la divinité.
17 Paus., I, 43, 1.
18 Voir Hollinshead 1979 : 97b99 qui, en excluant les témoignages des Chants Cypriens et du
Chrysès de Sophocle, attribue à Euripide le transfert d’Iphigènie en Tauride. Contra Bonnechere
1994 : 41, n. 101. PippinbBurnett 1971 : 73b74 considère la référence à cet élément du mythe dans
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Hécate πρ,πολος : servir, accompagner, doubler une autre divinité 289
son statut. Dans l’Iphigénie en Tauride, Iphigénie n’est plus comme chez Hérob
dote la déesse honorée par les Taures, mais sa « prêtresse » : son titre d’¦ερTα19
alterne avec ceux de πρ,σπολος20, J φ!πολος21, κλ δοÀχος22 et πυλωρ,ς23, tandis
que son attachement au temple est particulièrement souligné24. En fait, tout en
servant la déesse, qui elle seule a décidé de son sort, Iphigénie se présente
comme très proche d’elle. Malgré son horreur et sa position critique visbàbvis de
cette Artémis sanguinaire, Iphigénie, dans ces paroles, se présente comme cob
réceptrice de ses « honneurs » qui consistent à mettre à mort les étrangers qui
débarquent sur les côtes de la Tauride25, et souhaite même en profiter pour se
venger de son destin malheureux26. Ce lien ambigu entre Iphigénie et l’Artémis
des Taures apparaît dans les paroles du chœur qui se plaint d’être soumis, non
directement à la déesse cruelle, mais à sa prêtresse : « …où je sers la fille
d’Agamemnon, prêtresse de la tueuse de biches – τ¼ς ˜λαφοκτ,νου | θε¼ς
J φ!πολον κ,ραν –, et ses autels auxquels on n’offre pas d’agneaux ! »27. Le
chœur est d’ailleurs conscient de l’aura sacrée qui enveloppe ensemble la déesse
et sa servante quand il rappelle à Oreste de respecter le statut de sa sœur :
« Étranger, il n’est pas permis, comme tu le fais, de profaner notre prêtresse –
τˆς θεοÀ τ¨ν πρ,σπολον –, et de souiller, en y portant la main, ses voiles intanb
gibles »28. Nous voyons, enfin, avec quelle autorité Iphigénie impose ses mesub
les Chants Cypriens comme un ajout tardif dû à l’influence d’Euripide ; elle refuse, cependant, de
considérer la version qui propose l’éloignement d’Iphigénie comme plus récente que celle dans
laquelle la jeune fille est immortalisée.
19 Eur., I.T., 34, cf. 1399.
20 Eur., I.T., 798.
21 Eur., I.T., 1114. Dans les tablettes mycéniennes le mot apiqoro correspond en général à
l’J φ!πολος homérique, « suivante ». La tablette Fr 1205 de Pylos a pourtant donné lieu à une
interprétation d’apiqoroi comme « desservants de sanctuaire », ou encore comme « divinités acob
lytes », voir Lejeune 1971 : 279, n. 67, Palmer 1958 : 5 et (contra) GerardbRousseau 1968 : 37 et
Lindgren 1973 : 21 (présentation globale du problème avec bibliographie). La distinction entre les
J φ!πολοι et les δ ωα! suggérée par certains passages homériques a été étudiée par Montepaone
1999 : 177b189 qui considère les J φ!πολοι (terme originairement féminin) comme un groupe qui
ferait référence aux modalités des rites de passage.
22 Eur., I.T., 130b131. Comme beaucoup de prêtresses, Iphigénie porte une grande clé comme
attribut de prêtresse et de gardienne du temple dans les scènes inspirées d’Euripide (portée de la
main gauche, tandis que sa main droite tient souvent le message qu’elle doit remettre à Pylade) :
Kahil, Linant de Bellefonds 1990 : 718, Sur l’attribut de la clé, voir notamment Mantis 1990 : 28b
65, Dillon 2002 : 80b81, Georgoudi 2005 : 80b82, Connelly 2007 : 92b104.
23 Eur., I.T., 1153.
24 Eur., I.T., 65b66 : « dans ces demeures où j’habite à l’intérieur du temple d’Artémis », cf. 748
et 34.
25 Eur., I.T., 775b776.
26 Eur., I.T., 354 sq. Il est intéressant qu’Iphigénie laisse échapper ce désir momentané pour
une vengeance ensanglantée juste avant d’attaquer Artémis pour sa cruauté et son hypocrisie
(380 sq.). Voir Georgoudi 1999 : 78 et Hamilton 1985 : 61.
27 Eur., I.T., 1113b1116, cf. 130b131.
28 Eur., I.T., 798b799. Voir les commentaires de Georgoudi 2009.
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Hécate πρ,πολος : servir, accompagner, doubler une autre divinité 291
Liberalis) distingue deux temps dans l’histoire : Artémis aurait d’abord installé
Iphigénie chez les Taures comme sa propre prêtresse et elle l’aurait ensuite
immortalisée en temps voulu – ˜πο!ησεν α•τªν Jγ(ρων κα› JθKνατον δα! ονα – en
la baptisant åρσιλοχ!α, nom qui rappelle les épithètes åρθ!α/åρθωσ!α et
Λοχ!α37 de la déesse ; enfin, elle l’aurait amenée à l’Île Blanche38.
La mention d’un culte d’Iphigénie est toujours rattachée explicitement au
domaine d’Artémis. Euripide parle d’un culte aux côtés de l’Artémis braurob
nienne et Pausanias mentionne une Artémis Iphigénie à Hermione39 ainsi qu’une
image d’Iphigénie dans le temple d’Artémis à Aigeira ; il commente d’ailleurs à
propos de cette image : « il est évident que le temple a été originairement bâti
pour Iphigénie »40. Enfin, selon Hésychius, Iphigénie n’est autre qu’Artémis41.
Comment la figure d’Hécate a pu s’introduire dans le réseau des récits et des
témoignages qui concernent principalement Artémis et Iphigénie ? Comme le
montre son nom, ¢φιγTνεια, « née dans la force » ou « celle qui assure une descenb
dance vigoureuse »42 était concernée par les naissances. En fait, dans l’Iphigénie en
Tauride, nous apprenons plus précisément qu’à Brauron les « somptueux tissus »
des femmes mortes en couches – íς Îν γυνα‚κες ˜ν τ,κοις ψυχορραγε‚ς | λε!πωσ’
˜ν οŸκοις – lui étaient dédiés43. Malheureusement, aucune dédicace ou inventaire
de Brauron ne mentionne son nom, tandis que l’identification de son hêrôon reste
toujours hypothétique44. Cependant, une des scholies au v. 645 de la Lysistrata
d’Aristophane (citant Euphorion)45 situe le sacrifice d’Iphigénie à Brauron et
parle d’une ourse substituée à elle sur l’autel en faisant du mythe du sacrifice
d’Iphigénie un deuxième αŸτιον de l’Jρκτε!α, rite de passage46 qui préparait l’accès
37 Voir, par exemple, Eur., Suppl., 955 ; I.T., 1097 et Paus., III, 16, 7 sq. Cf. Farnell 1896 : 570b
572, n. 53 et 567, n. 40.
38 Nicandre, fr. 58 (Schneider) Ant. Lib., Mét., 27, 4.
39 Paus., II, 35, 1.
40 Paus., VII, 26, 5.
41 Hsch., s.v. ¢φιγTνεια (Latte).
42 Sur l’étymologie du nom Iphigénie (©φι et γ!γνεσθαι), voir Chantraine 1999, s.v. Ÿς. La
formation du nom est analogue à celle de ΚαλλιγTνεια, voir, entre autres, Usener 1948 : 123b124.
43 Eur., I.T., 1464b1467. Selon Johnston 1999 : 238b241, il s’agirait des travaux non accomplis
des femmes mortes en couches, cf. Cole 2004 : 219b221. Contra Ekroth 2003 : 70b71. Une autre
explication est donnée par Montepaone 2002 : 74 (offrandes faites au profit d’une femme en
couches qui court un danger de mort). Cf. Zografou 2005 : 200b201.
44 C’est notamment Papadimitriou 1957 : 44 qui reconnaît une structure funéraire dans la
construction la plus ancienne du sanctuaire connue comme ικρ, ¦ερ,, cf. Themelis 1975 : 250b
251. Toutefois, nous trouvons justifiée la réticence de Hollinshead 1979 : 34, id. 1985. Voir aussi
Scullion 1999b2000 : 222b223 et la mise au point d’Ekroth 2003.
45 Schol. Ar., Lys. 645abb (Koster), cf. Etym. M., s.v. Ταυροπ,λος (Gaisford) = Phanodème,
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292 Types, attributs et attitudes
des jeunes filles à l’âge de femme et au mariage47. L’analogie est d’ailleurs plus
générale. Les jeunes Athéniennes se trouvant, comme Iphigénie, devant un pasb
sage important (âge de mariage48), devaient vivre une période entièrement consab
crée à la déesse, en rupture avec leur vie habituelle. Elles se mettaient donc à son
service, comme l’a fait sa prêtresse mythique en Tauride. Dans le sanctuaire de
Brauron, un bâtiment nommé J φιπολε‚ον était, si l’on se fie à la restauration de
l’inscription, réservé aux jeunes aρκτοι, « ourses » d’Artémis49. D’ailleurs, aρκ(τ)ος
n’était pas un nom donné uniquement aux jeunes novices d’Artémis, mais aussi à
ses prêtresses, les unes et les autres s’identifiant ainsi à l’animal étroitement lié à
cette déesse50.
Or, non seulement Artémis, mais aussi Hécate (tantôt en tant que divinité
indépendante, tantôt en tant qu’aspect/épithète d’Artémis), comme on l’a vu,
intervient dans le domaine du mariage et de l’accouchement. Plus particulièreb
ment, Hécate semble chargée d’un rôle d’accompagnement durant le temps
périlleux de transition d’un état à l’autre, d’où ses associations avec l’impur. Le
lien entre Iphigénie et Hécate devient plus clair si l’on pense que la vie normale
est suspendue au moment du passage de l’état de jeune fille à celui de femme
mariée51. Iphigénie incarne alors, à l’instar d’Hécate, le danger du passage, le
risque d’être piégé à mibchemin. C’est peutbêtre de cette façon que nous devons
comprendre son nom hésiodique Artémis Εzνοδ!η, « Artémis des voies »,
« habitant les chemins et les passages ».
Outre les traditions mythiques déjà mentionnées, d’autres indices et témoib
gnages montrent le lien entre Iphigénie et Hécate. Nous savons d’abord que les
jeunes Athéniennes devenues aρκτοι pouvaient servir Artémis tant dans son
sanctuaire de Brauron que dans celui de Mounichie. Or, nous avons déjà pu
constater la parenté étroite entre Hécate et Artémis de Mounichie. Quant au
sanctuaire de Brauron, la figure d’Hécate semble se confondre avec celle de la
prêtresse mythique ; c’est du moins ce que nous montre un relief de la fin du Ve
siècle av. J.bC. provenant du sanctuaire : comme le montre L. Kahil, la Porteb
Torche qui devance le char d’Artémis en courant pourrait être interprétée tant
Gennep 1981. En ce qui concerne les problèmes que pose l’acceptation des rites d’initiation
féminins, voir VidalbNaquet 1983 : 194 sq. ainsi que les réponses de Montepaone 1999 : 26 sq.
47 Parmi les nombreuses études sur l’Jρκτε!α, nous renvoyons à Jeanmaire 1939 : 259 sq. ;
Brelich 1969 : 240b275 ; Kahil 1965 : 20b33 et Kahil 1977 : 86b98 (qui prend notamment en
considération les documents de céramique), ainsi qu’à Montepaone 1999 : 13b46.
48 Dans l’Iphigénie à Aulis d’Euripide, Agamemnon invite sa fille dans le camp sous prétexte
d’un mariage avec Achille ; voir, entre autres, Bonnechere 1994 : 42b43.
49 Robert 1963 : 134b135, n° 91, cf. Montepaone 1999 : 29, n. 41.
50 Hsch., s.v. aρκ(τ)ος (Latte). Sur un des fragments des vases de Brauron, une figure portant
un masque d’ourse nous fait effectivement penser à la prêtresse d’Artémis : Kahil 1977 : 92b93,
fig. 7.
51 Selon Lyons 1997 : 137, « Iphigeneia […] remains blocked at the moment of transition, and
instead of undergoing the changes by which women’s lives are usually marked, becomes a standb
in for the goddess herself ».
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Hécate πρ,πολος : servir, accompagner, doubler une autre divinité 293
52 Kahil 1990 : 114b117, Kahil, Linant de Bellefonds 1990 : 710, n° 33 et Ekroth 2003 : 72b73
(n. 66b67, 70). C’est probablement Hécate qui est représentée aussi sur des plaques en terre cuite
de Brauron montrant une déesse PortebTorche accompagnée d’un chien, voir MitsopoulosbLeon
1997 : 364 et Ekroth 2003 : 100 (n. 208).
53 Trois figures d’Hécate autour d’une stèle triangulaire : Brauron, Musée 1271 (ex. 119) ;
cf. Papadimitriou 1945b1948 : 88b89, fig. 6, Amandry 1949 : 527, fig. 10 et Sarian 1992 : n° 114.
Harrison 1965 : 91 et 96 situe la statuette au IIIe s. av. J.bC. (contrairement à Kraus 1960 : 175, A23
qui la considère comme hellénistique tardive). La même datation est donnée par Sarian 1992 :
998, n° 114. Cf. Hollinshead 1979 : 43 et 294, n. 55.
54 Paus., ΙΙ, 22, 6b7. Sur la parenté entre Iphigénie et Hélène, voir, entre autres, Clader 1976 :
74 sq. Toujours à Argos, Pausanias avait signalé (II, 18, 2) un autre sanctuaire d’Eileithyia à côté
d’une porte argienne, nommée d’après ce voisinage porte « d’Eileithyia ».
55 Voir supra, p. 146 sq.
56 Ekroth 2003 : 100 précise : « if there existed an earlier cult of Iphigeneia at Brauron of
which we have no trace, Hekate may have been linked to her as well as Artemis. However, it may
be that the presence of Hekate at Brauron actually made it possible for Euripides to place
Iphigeneia here ».
57 Call., fr. 461 (Pfeiffer).
58 Tant Lyons 1997 : 153b155 que Johnston 1999 : 242 sq. associent le mythe d’Iphigénie à
celui de la femme d’Éphésos en tant qu’αŸτια du culte d’Hécate. D. Lyons voit dans les deux cas
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294 Types, attributs et attitudes
beaucoup plus ancien, nous montre en plus, c’est comment la relation entre
deux déesses peut se calquer sur la relation entre une déesse et sa prêtresse.
Hécate, conçue comme πρ,πολος d’Artémis, de Coré ou de Cybèle, constitueb
rait d’abord le modèle divin d’une fonction de médiation entre mortels et imb
mortels, rôle qui s’harmonise avec l’« hymne hésiodique » que nous avons étudié
au début de cette thèse, mais aussi avec le caractère du culte d’Hécate en ce qu’il
embrasse l’espace quotidien des hommes. Hécate, πρ,πολος de Coré, serait ainsi
le modèle des prêtresses et autres porteuses de torches éleusiniennes, Iphigénieb
Hécate inspirerait les jeunes novices et prêtresses d’Artémis, et Hécate acolyte de
Cybèle offrirait une image de piété aux fidèles voulant s’initier aux mystères de
cellebci.
Ensuite, grâce à ce modèle de relation, Hécate peut fonctionner comme
élément mobile dans les associations divines, se rattachant facilement tantôt à une
divinité tantôt à une autre et favorisant les assimilations et les échanges. Cette
mobilité va de pair avec la résistance particulière de sa figure. Située en périphérie
(d’un sanctuaire, d’une image ou d’un culte), elle fait partie, diraitbon, d’un encab
drement constant en s’assurant une longévité remarquable.
***
un renversement des lois des ξTνια, ce qui s’accorde bien avec la nature d’Hécate (sur une Hécate
aux antipodes d’Hestia, voir supra, p. 176b179) et ne contredit pas nos conclusions ; S. I. Johnston
qui étudie le rapport d’Hécate avec les aωροι, « prématurément morts » classe les deux figures
parmi des vierges mortes dont les fantômes s’identifient avec Hécate (cf. Cole 2004 : 224 qui écrit
sur la femme d’Éphésos « she would never reach maturity and always need the clothing of
others »). Cependant, nous avons du mal à admettre comme dénominateur commun des
métamorphoses qui ont recours à la figure d’Hécate (à savoir les cas de la femme d’Éphésos,
d’Iphigénie et d’Hécube) la mort prématurée d’une vierge. Nous croyons par ailleurs que l’errance
entre la vie et la mort (état de fantômes des morts spéciaux) n’est qu’une des catégories des
« passages ratés » qu’Hécate prend en charge. Pour les histoires d’héroïsation impliquant Artémis
et Hécate, voir aussi Larson 1995 : 16b17 et 118.
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Conclusion de la IIIe partie 295
Dans la dernière partie de notre travail nous avons donc approfondi certains
traits de la figure d’Hécate en essayant de : (a) prendre de la distance par
rapport aux idées reçues et aux théories non fondées, (b) déceler le lien entre les
caractéristiques en question et le rôle de la déesse des portes, des routes et des
triodoi. Certes, le rapport d’Hécate avec les entrebdeux spatiaux n’est pas suscepb
tible de tout expliquer ; il s’avère toutefois précieux comme « observatoire »,
pour mieux saisir certaines facettes méconnues de cette divinité. Ainsi la
réflexion sur la triplicité prouvebtbelle, entre autres, que ce type de figuration est
mieux compris lorsqu’il est confronté à certaines représentations de chœurs
divins de jeunes filles et associé non seulement aux triodoi, mais aussi aux autres
positions limitrophes de la déesse. L’étude du chien à travers une série de
motifs (chien gardien, charognard, lapidé etc.) et de problèmes (mise à mort
rituelle du chien) a révélé une parenté originale, voire une sorte de « connatub
ralité » entre cet animal et Hécate. Enfin, Hécate au service d’une autre divinité
est un thème qui parcourt l’ensemble de notre étude : Hécate aux côtés de
Déméter et de Perséphone, en couple avec Hermès de part et d’autre de la
Mère des Dieux, ou encore dans le rôle d’Iris. Dans notre dernier chapitre ce
thème est développé surtout au moyen d’une lecture des traditions liées à
Iphigénie et à son rapport tant à Artémis qu’à Hécate. La fonction de πρ,πολος
ne condamne pas Hécate à un rôle insignifiant ; elle doit d’ailleurs être consib
dérée dans le réseau de relations qui marque le polythéisme grec.
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Conclusion générale
Qu’y abtbil à découvrir au bout de la route sinueuse dans laquelle nous nous
sommes engagée ? Que la route ellebmême est devenue un peu plus claire, plus
présente qu’un simple tracé ou plus réelle qu’une simple métaphore n’est pas le
moindre intérêt de tous ces arrêts, détours et retours que nous nous sommes
imposés. La figure d’Hécate a fonctionné, dans ce cheminement, comme un
révélateur qui rend visibles de nombreuses facettes, connotations et valeurs des
entrebdeux.
Dans la Théogonie, l’idée de l’intermédiaire est présente à travers une dialectib
que du tout et des parties, de l’unité et de la diversité ; le partage s’avère l’art
royal par excellence que Zeus exerce grâce à sa ˆτις. La participation d’Hécate
à tous les niveaux de l’univers théogonique, sa résistance aux classements et aux
fragmentations du pouvoir procurent à l’ordre « olympien » établi par Zeus un
cadre solide et un fondement unitaire. L’Hécate hésiodique ne sera donc pas
exclue du règne de Zeus, bien qu’elle lui soit antérieure. C’est dans ce nouveau
monde, analogue à celui de la π,λις, que notre déesse aura sa place en tant que
puissance « ancienne », incarnant les valeurs d’une unité primordiale. Elle sera à
la fois menace refoulée du désordre et force génératrice indispensable à tout
système d’organisation.
Hécate est donc « prébolympienne », « prébpolitique » ou « prébverbale ». Cette
antériorité à tout partage, classement ou organisation n’est qu’une métaphore, une
façon d’exprimer le rapport de la déesse avec les entrebdeux et non une interpréb
tation historique − encore moins une façon d’attribuer la conception de la déesse
à une pensée religieuse plus ancienne. Au contraire, l’association d’Hécate avec les
entrebdeux, spatiaux et autres, s’effectue de toute évidence, dans un monde où le
besoin de tracer des lignes de démarcation est particulièrement accru.
En effet, comme le montre I. Morris en étudiant l’espace réservé aux morts
à la fin du VIIIe siècle av. J.bC., c’est à cette époque que les frontières, autant
spatiales que conceptuelles, deviennent plus nettes1. La séparation entre dieux
et hommes, vivants et morts, devient plus radicale et le besoin d’un espace
différencié se ressent de plus en plus. Les cimetières s’installent aubdelà des
murailles des villes, les dieux obtiennent leurs propres enceintes, des sanctuaires
situés souvent entre les aires cultivables et les terres incultes marquent les
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298 Conclusion générale
2 En ce qui concerne ces sanctuaires « non urbains » et leur rôle de frontières symboliques,
voir de Polignac 1995 : 51 sq.
3 Johnston 1999 : 210.
4 Johnston 1999 : ch. 6, notamment 246b247, met en avant l’association d’Hécate avec les
morts prématurées, particulièrement avec celles des vierges, un trait qu’elle considère comme orib
ginairement distinct de la fonction de gardienne des limites. Néanmoins, le rapport d’Hécate aux
aωροι n’est explicitement attesté que longtemps après la prédilection de la déesse pour les emplab
cements limitrophes.
5 Augé 1992 : 97 sq. Nous pouvons aussi penser à tous les thrillers et les polars tournés dans
des aéroports et des gares.
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Conclusion générale 299
espaces sont, pour les Grecs, les seuls impossibles à délimiter et par conséquent
porteurs d’une menace de fusion chaotique. Le culte d’Hécate tente de donner
une forme à ces lieux insaisissables et une expression à l’angoisse qu’ils engenb
drent. Les rites de la déesse célébrés dans les τρ!οδοι contribuent à l’intégration
de ces endroits problématiques. La relation d’Hécate avec l’impur, qui coïncide
souvent dans notre étude avec l’intermédiaire et l’inclassable6, est significative à
ce propos : abriter, absorber ou incarner la souillure revient à lui attribuer un
nouveau statut.
La comparaison d’Hécate avec Apollon et Hermès dans des contextes culb
tuels variés montre que ces mêmes portes et routes qui abritent objets et
personnes déchus et nourrissent cauchemars ou espoirs, changent d’aspect
selon le point de vue divin que nous adoptons. Pour Apollon, architecte et
fondateur de villes, ce sont des bases solides, des structures qui enracinent les
cités et en font la gloire et l’histoire. En revanche, pour le dieu Στροφα‚ος, il
s’agit plutôt d’accès faciles et des chemins praticables. Pour utiliser un terme de
M. Detienne7, des « manipulations » telles l’observation du comportement
d’Hermès et d’Hécate face au chien ou la confrontation de ces deux divinités à
Hestia ont révélé la richesse qui caractérise la représentation des limites.
Dessiner un territoire, purifier une ville, parcourir une distance, se marier,
accoucher, mourir, parler ou délirer, mais aussi trouver une place pour les
errants, les mendiants, les suppliciés, les sans sépulture et les tas d’ordures
indésirables, sont des sujets complexes qui peuvent parfois être éclairés sous
des angles nouveaux, dans une problématique concernant l’organisation de
l’espace. Certes, notre analyse ne concerne qu’une découpe possible dans cette
vaste configuration Plusieurs groupements divins président aux passages matéb
riels, chacun bénéficiant de ses propres modalités de fonctionnement et hiérarb
chies internes : Héraclès, Poséidon, Εzλε!θυια, les Grâces, les êραι, ainsi que
d’autres figures divines ou héroïques.
La particularité du rapport d’Hécate aux entrebdeux transparaît à travers
l’examen de certaines caractéristiques de cette déesse. Ainsi la trimorphie, loin
d’être une marque de monstruosité, offre la capacité de surveiller et de signaler
les passages, de glorifier l’enceinte d’une autre divinité tout en préparant l’accès
à un espace sacré. Elle exprime en outre le charme ambigu des entrebdeux et le
rôle d’articulation assumé par les espaces que la déesse possède. Comme l’a
montré l’examen de l’Hécate Sπιπυργιδ!α, une interprétation unilatérale de la
trimorphie isolerait ces images divines si polysémiques de leur environnement
et nierait leurs liens avec le sol auquel elles appartiennent, ainsi qu’avec le
contexte politicobreligieux de leur mise en place.
6 Nous suivons en cela Douglas 1992 ainsi que Parker 1983 : 61 sq.
7 Detienne 1997 : 71b72 (repris dans Detienne 2000 : 81b104).
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300 Conclusion générale
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Conclusion générale 301
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Annexes
D’après West 1966 : 127b128. Nous mettons en italiques les termes qui appartienb
nent au champ sémantique du partage.
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304 Annexes
2. Le relief de Lébadée
1 Voir Paus., IX, 39, 5 et 4 respectivement. Outre le temple de Zeus et Héra, Pausanias
mentionne aussi un Zeus ŽTτιος l’associant à Déméter Europe. Une version locale du mythe
d’Europe, également transmise par Pausanias, veut que Zeus ait caché son amante dans une
grotte à Teumêsos − Paus., IX, 19, 1 −, tandis que le temple de Déméter Θεσ οφ,ρος à Thbes
était considéré, toujours au dire du Périégète, comme l’ancien palais de Cadmos − Paus., IX, 16,
5. Cf. Vian 1963 : 60 sq., Bühler 1968 : 23b24 et 46, Schachter 1981 : I, 156b157 et Bonnechere
2003 : 297b299.
2 Paus., IX, 39, 5b7, cf. Papachatzis 1974b1981 : V, 52. Sur le processus de consultation en
général, voir Clark 1968 : 63b75 et passim et la riche étude de Bonnechere 2003 : 32b61 et passim.
3 Paus., IX, 39, 7. Cf. Bonnechere 2003 : 44, 154b155 et 236b237, Jaillard 2007 : 208b209.
4 Schachter 1986 : II, 95b96 − cf. Schachter 1985 : 145b153 − conclut que les Cabires de
Thèbes étaient, comme ailleurs, des « démons serviteurs » plutôt que des divinités centrales des
mystères ; sur le statut des Cabires en général, voir Hemberg 1950 : 276 sq. Le rapprochement du
nom des ΚKβειροι avec καHης/καHεις, « prêtre » (cf. Steph. Byz., s.v. ΠKρος, Meineke) ainsi que la
dérivation sémitique par la racine kbr, « grands dieux » (voir Buckler – Robinson 1913 : 365 et
notamment Hemberg 1950 : 318b325) seraient conformes à l’attribution aux Cabires d’un statut
issu de celui de prêtre ou d’acolyte. La deuxième hypothèse, qui semble plus vraisemblable
(contrairement à l’opinion de Fick 1909 : 48), ne contredit pas ce statut cultuel : kabirim, « grand »
pourrait désigner une divinité subordonnée, voir Schachter 1986 : II, 96. Fontenrose 1998 : 153,
n. 13 évoque aussi l’hébreu kabbîrîm, « hommes puissants », « héros ».
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Annexes 305
rappeler qu’en Béotie Déméter Καβειρ!α était également honorée dans un bois
sacré près du sanctuaire des Cabires, à dix kilomètres de Thèbes5, où avaient
sans doute lieu des rites purificatoires intégrés dans un culte à mystères6. Quant
au consultant assisté par ces Hermès, il est caractéristique qu’après sa descente,
il se charge luibmême de la transmission de l’oracle devenant, d’après
l’expression de Maxime de Tyr, ³ποφ(της α•τKγγελος, « interprète du dieu qui
annonce luibmême le message »7. Les contextes mythiques entourant le
personnage d’Xγγελος de Sophron semblent donc trouver un vague reflet dans
cette région.
Cependant, le seul indice probable de la présence d’Hécate que nous puisb
sions trouver à Lébadée date de l’époque hellénistique : la déesse munie de deux
longues torches qu’on rencontre aux côtés d’une figure barbue et parmi d’autres
dieux et adorants sur un relief regroupant plusieurs dieux et adorants autour de
la Mère des dieux (qui en ce cas pourrait remplacer Déméter Europe, nourrice
de Trophonios8) ressemble à Hécate (Fig. 16, supra p. 195)9. La complexité de ce
relief vient de la rencontre de la Mère et de son entourage avec des figures se
rapportant au mythe de Perséphone ainsi qu’avec des éléments locaux. Il nous
semble vraisemblable que la porteuse de torches en question soit simplement
Hécate, dévouée tant à Déméter et Coré qu’à la Mère des dieux, comme on l’a
vu, plutôt qu’une fusion entre cellebci et Hercyna – nymphe au nom du fleuve
voisinant et, toujours selon la tradition locale, compagne de Perséphone10 –,
comme le propose A. Schachter à la suite de l’interprétation d’O. Walter11.
5 Paus., IX, 25, 5. Voir Hemberg 1950 : 184b205, Schachter 1981 : I, 156b157 et Schachter
1986 II : 89b90.
6 Hemberg 1950 : 199. Signalons la glose d’Hsch., s.v. κο!ης (Latte) : ¦ερε·ς καβε!ρων, I
καθα!ρων φονTαÖ ο¦ δ™ κ,ης, « le prêtre des Cabires, celui qui purifie les tueurs ; d’autres prononb
cent koês », qui est d’habitude rapprochée du titre κ’ταρχος (τ[ν ΜεγKλων Θε[ν Καβ!ρων) que
nous rencontrons à Milet entre le Ier et le IIIe s. après J.bC. Xγγελος a même été reconnue
(Kerenyi 1950 : 169 et n. 62) dans la figure ailée qui accompagne Déméter sur un vase trouvé
dans le Cabirion situé à proximité de Thèbes (Wolters – Bruns 1940 : I, pl. 26, fig. 9 et 10).
7 Maxime de Tyr, Dissertations, 8, 2 (Trapp), cf. Strab., IX, 2, 38 et Paus., IX, 39. Il est très
intéressant que Maxime de Tyr continue son récit en associant l’oracle de Trophonios à un autre
situé en Italie près du lac Xορνος, lac chthonien comme l’Achérousie.
8 En ce qui concerne le rapport entre la Déméter Europe, « nourrice de Trophonios », et la
Mère des dieux béotienne, voir Walter 1939 : 62b65. Contre l’identification des deux déesses sur le
relief en question, voir Naumann 1983 : 191b193.
9 Relief trouvé à Lébadée, non loin de l’antre de Trophonios (Athènes, Musée National, 3942).
Voir, entre autres, Walter 1939 : 59 sq., fig. 23 (Hécate ou Artémis et Trophonios), Nilsson 1967b
1974 : II, 642, pl. 10, 3 (Perséphone et Plouton), Vermaseren 1982 : II, 131b132, n° 432, pl. 127
(Hécate et « dieu barbu »), Naumann 1983 : 191b193, n° 422, pl. 28, 1 (« fille aux torches » et
Trophonios), Long 1987 : 24, pl. 33, fig. 62 (Hécate), Roller 1999 : 226b227 (Hécate ou porteuse de
torches anonyme et Trophonios) et Bonnechere 2003 : 318b322. Pour les connotations mystiques de
la scène représentée, voir, outre l’analyse d’O. Walter, SfamenibGasparro 1985 : 22b23.
10 Paus., IX, 39, 2b3. Hercyna serait fille de Trophonios selon les Schol. Lyc., Alex., 153
(Scheer).
11 Schachter 1981 : I, 231 et Schachter 1986 : II, 129b130.
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Table des figures
Fig. 3. Pinax de Locres, 475 av. J.bC. Dessin de l’auteur, d’après Beschi
1998, n° 458. [p. 65]
Fig. 2. Cratère en cloche à figures rouges, 440 av. J.bC. New York,
MMA 28. 57. 23 (ancienne collection Del Vasto). Dessin de
l’auteur d’après Bérard 1974, pl. 15, fig. 50. [p. 73]
Fig. 3. Lécythe aryballisque à figures rouges, fin du Ve siècle av. J.bC.
Athènes, MN 19605. Photo du Musée. [p. 75]
Fig. 4. Statue, 485b480 av. J.bC. Éleusis, Mus. 5235. Dessin de l’auteur
d’après Edwards 1986, pl. 19, fig. 4. [p. 76]
Fig. 5. Skyphos attique fragmentaire à figures rouges, 430 av. J.bC.
Éleusis, Musée 1244. Dessin de l’auteur, d’après Hartwig 1896,
pl. 12. [p. 77]
Fig. 6. Loutrophore apulien fragmentaire, IVe s. av. J.bC. Port Sunlight
5040 (X 2143 ex Hope 233). Dessin de l’auteur d’après Sarian
1992, n° 7. [p. 78]
Fig. 7. Pied de vase à figures noires, VIe s. av. J.bC. Athènes, MN 1222.
Photo du Musée. [p. 80]
Fig. 8. Hydrie attique à figures rouges, quart du s. av. J.bC. British
3e Ve
Museum E 183. Dessin de l’auteur d’après Harrison, Verrall
1890, lii, fig. 9. [p. 83]
Fig. 9. IEphes. (IGSK, 11b17), 12 (1979), II, n° 567 (inscription gravée
dans la niche d’une porte). Dessin de l’auteur. [p. 338]
Fig. 30. Vase de faïence, époque ptolémaïque. British Museum, Sir W.
Temple, Coll. 192. Dessin de l’auteur d’après di Filippo Ballesb
trazzi 1984, n° 1d. [p. 327]
Fig. 33. Relief attique, IVe s. av. J.bC. Athènes, MN 1377. Photo du
Musée. [p. 356]
Fig. 32. Double hermès, terre cuite, hellénistique. British Museum, C
484. Dessin de l’auteur d’après Winter 1903, 231, n° 8. [p. 363]
Fig. 33. Cratère attique à figures rouges. Ferrare, Musée Archéologique,
2893. Dessin de l’auteur d’après Oakley, Sinos 1993, fig. 74. [p. 393]
Fig. 34. Naïskos du Pirée, Ve s. av. J.bC., Musée du Pirée 1767, Photo du
Musée. [p. 393]
Fig. 35. Naïskos d’Athènes, IVe s. av. J.bC., Athènes, MN 1556. Photo du
Musée. [p. 394]
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334 Table des figures
Fig. 36. Relief de Lébadée, IIIe s. av. J.bC., Athènes, MN 3942. Photo du
Musée. [p. 395]
Fig. 37. Relief de l’Ilissos, début du IIIe s. av. J.bC., Athènes, MN 1778.
Photo du Musée. [p. 395]
Fig. 38. Vase apulien fragmentaire, environ 350 av. J.bC. Dessin de
l’auteur d’après Sarian 1986, n° 17. [p. 397]
Fig. 39. Relief à grotte du Pirée, IVe s. av. J.bC., Staatliche Museen 690.
Photo retouchée par l’auteur d’après Vermaseren 1982, pl. 79, n°
309. [p. 398]
Fig. 20. Triple hekataion sur le côté droit du trône de Cybèle, Ier – IIe s. ap.
J.bC. Corinthe, Musée G855. Photo retouchée par l’auteur
d’après Vermaseren 1982, pl. 136, n° 457. [p. 399]
Fig. 23. Lécythe attique à figures noires, vers 470 av. J.bC. Athènes, MN
19765. Dessin de l’auteur d’après Sarian 1992, n° 95. [p. 229]
Fig. 22. Cratère en calice attique à figures rouges, 440b430 av. J.bC.
Toronto, collection privée. Dessin de l’auteur d’après Leipen et
al. 1984, n° 17. [p. 230]
Fig. 23. Triples hekataia. D’après Reinach 1897: 322, fig. 5b7. [p. 233]
Fig. 24. Skyphos attique à figures rouges, 420/10 av. J.bC. Athènes,
Céramique, Inv. 4961. Dessin de l’auteur d’après Simon 1985, pl.
49, fig. 1. [p. 232]
Fig. 25. Porte de Prinias. D’après Picard 1935: 448, fig. 127. [p. 234]
Fig. 26. « Passage des théores » à Thasos. Paris, Louvre, MA 696 A, B, C.
Photo du Musée. [p. 237 et 238]
Fig. 27. Hekataion de Rhodes, hellénistique. Musée de Rhodes 5289.
Photo du Musée. [p. 240]
Fig. 28. Περιρραντ(ριον de Samos, VIIe s. av. J.bC. Musée de Berlin 1747.
Dessin de l’auteur d’après Broneer 1958, pl. X. [p. 243]
Fig. 29. Relief de Théra, IIe s. av. J.bC. Athènes, MN 1416. Photo du
Musée. [p. 255]
Fig. 30. Relief de Mégare, IVe s. av. J.bC. Athènes, MN 4540. Photo du
Musée. [p. 256]
Fig. 33. Hydrie apulienne, IVe s. av. J.bC. New York, coll. Levy/White,
n° 247. Dessin de Fr. Lissarrague. [p. 278]
Fig. 32. Cratère apulien à volutes, 330b310 av. J.bC. Munich 3297 (J. 849).
Dessin de Fr. Lissarrague. [p. 279]
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3. Sources littéraires
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Index des sources 337
40 : 186190; 65b66 : 28924; 130b131 : 28922, 347 : 183191; 369b370 : 4080; 377 : 2726;
28927; 354 sq. : 28926; 380b384 : 186188, 391b396 : 32; 407b500 : 37, 13148; 411b
186189; 775b776 : 28925; 798b799 : 28920, 415 : 34, 35; 411b616 : 42; 412b452 :
28928; 1113b1116 : 28921, 28927; 1153b 43, 86; 414b419 : 2830, 40; 416b420,
1233 : 28923, 29029; 1304b1306 : 949; 448b452 : 34, 3763; 422, 429b447, 448b
1399 : 28919; 1453b1463 : 29030; 1462b 449 : 35, 45; 438, 443, 453 : 3876; 441 :
1467 : 187191, 187192, 29143; Méd., 230b 84123; 441, 444 : 41; 444b447 : 2492;
251 : 177138; 395b398 : 2723, 177136; Phén., 450b452 : 6338, 6753; 459b460 : 46; 463,
109b111 : 10250; 114b116 : 10251; Suppl., 470 : 2830; 535b536 : 4291; 545, 550,
258b262 : 5710; 955 : 29137; 1201b1202 : 560 : 3243; 590b591 : 25229; 606b607 :
23541; 1210b1212 : 121170; Tr., 4b6 : 10463; 45102; 721b722 : 6127; 736b745 : 9725;
195 : 26392; 319b324 : 10146; 492b493 : 737 : 2830; 748b757 : 9728; 789b804 :
2854; fr. 955 Nauck : 2852; fr. 968 : 148143, 6127; 811b814 : 9725, 13039; 841 : 3557;
26283; Phaeth., 54b55 Diggle : 9514 847 : 35; 881b885 : 33; 890 : 3243; 912b
Eusèbe de Césarée, Prép. évang., IV, 23, 914 : 56; 918b919 : 2936; 956b957 : 2721;
6 : 25224 956b961 : 2728; Trav., 3b7 : 3872; 67 :
Eustathe, Comm. ad Il., 1, 84, 12 sq. : 25331; 77b82 : 174119; 134b139, 167,
149154; 1, 150, 15b16; 1, 171, 20 : 222 : 3454; 376b377 : 45102; 525 : 3454;
175122; 1, 256, 26b29 : 24387; 1, 257, 1 : 586b588 : 25336; 604 sq. : 2495; 729b
12728; 2, 529, 8 sq. : 219103; 2, 529, 9 : 730 : 112108; 766b767 : 20727; 770b771 :
219105; 4, 263, 8b10 : 21366; 4, 373, 3b5 : 20623, 21367, 21471; fr. 23a Merkelbachb
2284; 4, 914, 3b8 : 16563; 4, 914, 4b6 : West : 147141, 119151; Hés. (ou Cercops
16250; Comm. ad Od., 1, 126, 37b39 : de Milet), Aigimios, fr. 294 : 278183
26285; 2, 133, 1b5 : 173115 Hésychius de Milet (FGrH), 390 F 1,
Galien, VIII, p. 573 : 280196; IX, p. 907 : 26b27 : 10565
20831; XIV, p. 733 : 276173 Hésychius , s.v. Jγγελικ( : 188199;
Géminos, Phén., VIII, 11 : 21577; IX, Xγγελον : 145102; Xγγελος : 187197;
14 : 21367; IX, 16, VIII, 1, 11 et 14; aγυια : 12514; JγυιεHς : 12624; Jντα!α :
IX, 6 b7 et 14 : 20516 5832; Jπ,κυνον : 277179; JποφρKδες :
20834; Jνθρωπε!ους œ Tρας : 20833;
Harpocrate, s.v. Gγυι¼ς : 12516, 12937;
aρκ(τ)ος : 29250; Γενετυλλ!ς : 10043,
NκKτης νˆσος : 10572, 16029; ¾ξυθH ια : 271135; γHαλος id., s.v. γυλλο!Ö στολ ο! :
113113; 119153; 120161; τριακKς : 20946;
14095; διKκτωρ : 171104; NκKβη : 151163;
ΤρικTφαλος : 16249; ψιθυριστ(ς : 174118
²κKτη : 113113; NκKτης aγαλ α : 121169,
Héraclite, Allég. Hom., 75, 5 : 20622; 26285, 267112; ²κηβ,λος : 149150; ±κος :
fr. 22 B 30 DielsbKranz : 3450; 22 B 149153; Nλλωτ!ς, Nλλ’τια : 184173;
101a : 579 ß πουσα : 23124; ˜ν τρι,δοισι : 111100;
Hermesianax, fr. 2, 10b12 Diehl : 280191 SπιτTρ ιος : 16890; ²ρ α‚ος λ,φος :
Hérodote, I, 8 : 579; I, 90, 2; I, 118, 2 : 16892; Nρ ˆς : 16031; Nρ ˆς τριb
3453; II, 51, 1 : 16247; II, 52, 4b5 : 3141; κTφαλος : 121165, 1558, 16250; Ε•ρωπ!α :
IV, 34b35 : 146135; IV, 36 : 13465; IV, 184174; ΖTα : 931, 21683; ΘεοξTνια :
103 : 28816; IV, 181 : 218100; VI, 57 : 115127; θυρKγ ατα : 9514; ¢φιγTνεια :
20943, 21471; VI, 69, 14b16 : 9833; VII, 29141; Καλλ!στη : 10571; κο!ης : 3056;
39b40 : 274154; VII, 78b82 : 277181 κυνKγχη : 277176; κυνKδες : 25012;
Hésiode, Théog., 46 : 6129; 56, 67b70, κυν!ξεις : 26389; κ’ υθα : 269126;
348, 359 : 57; 71b74 : 31; 80b81, 87, αγ!δες : 120158; αγ ,ν : 120158;
90, 96, 103 : 3871, 4078; 106, 127 : 2830; ΞανθικK : 273151; πKτος : 117139;
112b113 : 31; 134b139 : 34; 154 : 35; Προπυλα!α : 10249; στTφανον ˜κφTρειν :
207b210 : 4393; 310b312 : 23649; 346b
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338 Index des sources
9620; s.v. τρ!ς : 23543; ŽπολK πτειρα : XXIV, 610b612 : 4127; 690b691 : 16669;
10464, 13986; éπωτˆρε : 10147 784b785 : 4127
Hippocrate (Littré), IV, 572, 3 (Aphor.) Od., I, 444 : 11096; I, 428b429 : 6961; II,
et V, 660, 5b7 (Prén. Coaques) : 276173; 11 : 279190; II, 335, 368 : 47112; II, 388,
V, 332, 7b8 (Épid.) : 276172; VI, 332, 497, XV, 185 : 12512; III, 288 : 11096;
23b24 (Lieux) : 265104; VI, 358, 20b III, 487 : 12512; IV, 145 : 25335; IV,
360, 2 ( M.S.) : 85127; VI, 360, 16b362, 302 et 297 : 942; IV, 480 : 11096; V,
1 (M.S.) : 117138; VI, 362b364 (M.S.) : 43b54 : 16672, 171103; V, 444 : 23540; VI,
24383 18b19, 102b109 : 3008; VII, 91 : 2509;
Hippolyte, Refutation, V, 8 : 88145; I, 26, VIII, 79b80 : 13043; VI, 188b189 :
1 : 11097 47112, 47114; VIII, 325 : 949; X, 136b
Hipponax, fr. 3 Masson : 277174; fr. 79, 139 : 2720; X, 220, 310 : 949; X, 302b
9b11 : 277177 305 : 275166; X, 563 : 113116; XI, 28 :
23539; XI, 424, 427b428 : 25335; XI,
Homère, Il., Ι, 43 et 50 : 279190; Ι, 64 et 623 : 280192; XII, 124b125 : 2612; XIII,
72 : 2831; I, 123b126 : 47113; I, 150 :
94 : 6129; XIV, 161 : 20518; XV, 12b
11094; I, 472b474 : 145127; II, 49 : 6129;
13 : 47112; XV, 185 : 12512; XV, 185 :
ΙΙ, 519 : 13043; II, 786b788 : 959; III, 12512; XVI, 11b12 : 949; XVII, 62 :
103b104 : 23541; III, 180 : 25335; III,
279190; XVII, 80 : 47112; XVII, 291 sq. :
277 : 2727, 579; V, 748b752 : 9729, 9726,
279190; XVII, 296b299 : 9515; XVII,
23750; VI, 201 : 117139; VI, 344, 356 :
485b486 : 111104; XIX, 33b34 : 6960;
35335; VI, 390b391 : 12618; VII, 345b
XIX, 395b397 : 276167; XX, 14 : 25333;
346 : 959; VII, 452b453 : 10463; VIII,
XX, 145 : 279190; XXI, 382 : 946;
13b16 : 9725; VIII, 66b68 : 218100, 219105; XXII, 462 : 186186; XXIII, 293b294 :
VIII, 367 : 948, 9724; VIII, 393 : 9726,
6961; XXIV, 1b4 : 275160; XXIV, 12 :
9729; VIII, 399 : 23750; VIII, 409b412 :
9726
9727; VIII, 488 : 23540; IX, 312 : 9724;
IX, 404b405 : 13043; X, 274b275 : Hymnes homériques : HhAp., 146b148 :
111104; XI, 38 sq. : 23647; XI, 352b353 : 12517; 294b297 : 13044; 1b2 : 150156; 440b
23647; XI, 624 : 15164; XI, 644 : 949; 444 : 24271; HhDem., 13b14 : 3558; 22b
XIV, 166b169 : 947; XIV, 321b322 : 27 : 567, 2719, 5813; 33b34 : 3558; 44b46 :
184174; XIV, 357b340 : 947; XV, 167, 61, 177159; 48 : 61; 51b56 : 61; 52 : 6021,
169 : 946; XV, 186 : 2613; XV, 189 : 21686, 282204; 53 : 177159; 56 : 57; 57 : 64;
47112, 48116; XV, 189b195 : 49122; XV, 59b61 : 64; 59b63 : 222124; 66b73 : 3558,
209 : 2613; XV, 339 : 946; XVI, 672; 57, 64; 98 : 111104; 188b189 : 6542, 68;
XIV, 231 : 275161; XVII, 251 : 4079; 226b230 : 67; 239 : 68; 311b312 : 3453;
XVIII, 283 et 578 : 279190; XVIII, 314b324 : 181160; 317 : 182166; 325b
511 : 47112; XX, 71 : 150157; XX, 94b 329 : 181161; 334b339 : 182162; 348 :
95 : 6960; XXI, 446b449 : 10463; XXI, 182163; 357b358 : 182164; 359 : 57; 364b
472b474 : 146129; XXII, 5b6, 64b71 : 69 : 86; 375b383 : 16669; 380b383 :
9511; XXII, 120 : 47112, 47113; XXII, 182165; 406b410 : 182162; 408 : 177159;
352b354 : 47112; XXII, 358b360 et 419b420 : 86; 434b440 : 6856, 2851;
438 : 9511; XXIII, 71b74 : 9724; XXIV, 441 : 177159; 487, 494, 450b452 : 86;
22b24 : 276167; XXIV, 24 : 16675; HhHerm., 12 : 16460; 14 : 16675, 276167;
XXIV, 106b109 : 276167; XXIV, 153 : 15 : 16566, 275163; 18 : 276167; 19 : 21476;
16781; XXIV, 211 : 279190; XXIV, 23 : 16568; 67 : 275163, 276167; 70 : 275163;
339 : 171103; XXIV, 440b442 : 16669; 80b86 : 16674; 90b93 : 276169; 145 :
XXIV, 444b445 : 275159; XXIV, 445b 276170; 146b147 : 16568; 149 : 276168;
447 : 947; XXIV, 446, 453b457 : 16567; 159 : 276167; 194 : 2508; 214 : 276167;
XXIV, 564b567 : 947; 566b567 : 16567; 284, 290 : 275163; 283b285 : 276169;
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340 Index des sources
3043; IX, 41, 6 : 13148; X, 4, 1b2 : Plutarque, Aetia Rom. et Gr., 277b :
111105; X, 5, 7 : 12936; X, 16, 3 : 13147; 271134; 280c : 120160, 273148, 273150;
X, 24, 6 : 13148; X, 32, 4 : 23645; X, 37, 290b : 25333; 290d : 120160; 303d : 16460;
1 : 25541 Alex., 43 : 274154; Amat., 758b : 275162;
Philémon, fr. 70 KasselbAustin : 21581 Consol. Apoll. [Sp.], 107e : 275161 ;
Philochoros (FGrH), 328 F 22 : 16249; F Crass., 17, 10 : 9620; Cur., 518b : 20836 ;
40 : 1545; F 86a : 21481; F 88 : 20942, Demetr., 29, 2 : 9620; De facie, 937i :
21471 11092, 2046; 944c : 177135; De garrulitate,
502f : 175123; De glor. Athen., 349f. :
Philodème, De piet., p. 42, pl. 91, 8b9 21688; De Is. et Osir., 365b : 23543;
Gomperz : 2853
381eb381f. : 247106; De Prov. Alex.
Philostrate : Apollon. de Tyan., IV, 10 : [Sp.], 8 : 21261; Quaest. conv., 658fb
264100 659b : 10043, 11577, 11794; Reg. et imper.
Photius, Bibl., cod. 243, p. 372b, 28 : apophth. [Sp. ?], 193f. : 10361; Romul.,
13359; 279, 535b : 12624; Lex., s.v. 21, 4b9 : 272143; 21, 10 : 273148; Solon,
Nρ ˆς τετρακTφαλος : 16250; Λοξ!ας : 25, 4b5 : 20724; De superst., 170b : 10043,
12724; αγ!δες : 120157, 16030; IδουροHς : 122172; 170B : 174116, 186185; Thés., 12,
11094; ¾ξυθH ια : 113113; σελ(νη : 21364 7 : 15612; Tib. Gracch., 17, 3b5 : 9620;
Phanodème (FGH), 325 F 14 : 29145 Timol., 12 : 9729; De vit. aer. al., 828a :
Phrynichos, fr. 61, KasselbAustin : 174121 20940; fr. 178 Sandbach : 6021
Pindare, Ném., I, 1b4 : 187198; Ol., I, 91a : Pollux, I, 19 : 180153; I, 68b70 : 21899; IV,
280193; VI, 94 : 142105; VIII, 41b57 : 103 : 188200; IV, 123 : 12726; V, 45 :
10463; IX,37 : 16783; Parth., IV, 178 : 26388; V, 48 : 2507; VI, 75 : 21581; VI,
23859; Pyth., II, 57b58 : 12515; III, 77b 76 : 16031, 21363; VI, 83 : 120159; VIII,
78 : 23859; VIII, 55b56 : 12515; X, 30 : 118 : 20837; IX, 35 : 12513; X, 28b29 :
113116; Pyth., XI, 38 : 111100; Dith, fr. 9514
75, 3b4 Maehler : 17099; Hymn., fr. 30 : Polyen, Strateg., VI, 24, 27 : 16891
113116; Parth., fr. 95 : 266111; Péans II, Polybe, XIII, 3, 4 : 13672
fr. 52b, 73b79 : 142107 Porphyre, Abst., I, 14, 3 : 25117; II, 16 :
Platon, Crat., 409b : 20621; Euth.., 277db 24595; II, 16, 4b5 : 15611, 15927, 21357; II,
e : 9938; Gorg., 524a; Hip., 228bbc : 18, 2 : 16141; IV, 22, 4 : 25117; Antr.
170102; 228db229b : 17097; Lois, VI, Nymph., 20 : 5813; 26 : 221116; 27 : 9620;
778b : 13254; VII, 800d : 20814; 796b : Recherch. hom., 240, 14b1, 23 : 174118
9938; 799c : 111100; 873bbc – 874b : Proclus, Hymnes, VII, 17 : 282206; In rem
113115; 913db914a : 116134; 933a sq. : publ., I, 85, 6b7 : 114119; II, 119, 20b
9621; 933b : 115129; Phéd., 107db108a : 27 : 220111; II, 185, 3b4 : 6647; 614d :
114119; 113ab114b : 185181; Phdr., 238cb 89151; I, 85, 6b7 : 114119; II, 338, 10 :
d, 241e : 180153; 250C : 6647; 251a, 4 : 25123
6647; Prot., 320c : 48115; 320d : 3350;
Properce, Élégies, II, 2, 11b12 : 87141
Rép., II, 375ab376c et III, 404a : 2496;
VI, 508a : 579; 556c : 111103; 583b : QuintebCurce, Hist., X, 9, 12 : 273151
23542; VII, 514ab515a : 6022; 614c : Quintus de Smyrne, Suite d'Hom., X,
113118; Tim., 31b : 45104; 31bb32a : 149b151 : 265102
247107; 34bb37c : 247108; 35bb36d : Schol. Apoll. Rhod., Argon., III, 200 :
13253; [Pl.] Axiochos, 371a : 146135 2724; III, 467 : 86134; III, 861 : 222126; I,
Platon le comique, fr. 204 Kasselb 587 : 219103; I, 1141b1148a : 6232;
Austin : 174121 1320abc : 12516
Pline, H.N., XXX, 42b43 et 64 : 274156; Schol. Ar., Gren., 288b295 : 222126; 293 :
XXX, 82 : 267116 23124; 366a : 117142; Guêp., 118b124 :
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Index des sources 341
15715; 804 : 9836, 182205; 804b : 9836; 851 1347 : 23433; Œd. Col., 465b490 : 23539;
et 853b854 : 12514; 875a : 12937; Lys., 1547b1548 : 114119, 16781; 1661 : 114119;
601 : 280194; 645abb : 29145; Nuées, Œd. R., 164 : 23645; 715b716, 729b
1134 : 20621; 1134a : 20944; Paix, 277 : 730, 733b734, 800b805, 1398b1399 :
189212, 272144; 649 : 15925; 924 : 16033; 111105; Phil., 133b134 : 16675, 16677;
Pl., 9 : 24276; 594 : 115128, 16030, 2043, Trach., 1098 : 23649; fr. 334 Radt : 6232;
21049, 21050, 268119, 268120; 764 : 115126; fr. 535 : 5711, 10989, 222125, 23020; fr.
923 : 1545; 1111 : 175124; 1126 : 21476; 734 : 120157; fr. 885 : 25011; fr. 1044 :
1153 : 1545, 16563, 16566; 1159a : 174118; 14095
1184 : 117139 Sophron (PCG KasselbAustin), fr. 3 :
Schol. Eschyl., Prom., 487 : 11098 9622; fr. 4 : 178140; fr. **8 : 185184 ; fr.
Schol. Eschin., Or., 3, 176, 403a : 24383 *9 : 25966; fr. 152 : 21261
Schol. Eur., Héc., 1261 : 26281; Hipp., Souda, s.v. Jγυια! : 12514; JνKστατοι :
141 : 180153; Méd., 397 : 2043, 2046; 21581; βοÀς ±βδο ος : 16031, 21469;
1172 : 172110, 197247; Phén., 631 : 12623, NκKβη : 151163; Nκα (δη : 151164;
12727; Tr., 323 : 10146 NκKτειον : 9916; NκKτη : 222126; NκKb
Schol. Hés., Théog., 112 : 3559; 409b² : της Νˆσος : 10572; NκKτης ν(σου :
2616; 411 : 48118, 48120; Trav., 765b768 : 16029; ß πουσα : 23124; Nρ ˆν :
20728; 769b711 : 21471; 782b784 : 20945 174118, 175127; Nρ ˆς I πρ¨ς τž
πHλιδι : 1545; Ζηρυνθ!α : 190212, 272144;
Schol. Hom., Il., VIII, 66 : 219105; XV, ελιττοÀτα : 280194; Iδ,ς, Iδοιδ,κος :
21 : 3244; Od., XVI, 471 : 16892, 173115;
11094; ¾ξυθH ια : 113113; Σα οθρKκη :
XX, 66 : 280193
85130, 272144, 272147; Στροφα‚ος : 16566;
Schol. Luc., Dial. mort., 1, 1, 19b21 : ΤρικTφαλος : 16239; τρικTφαλος : 16354
119153, 120161
Stéphane de Byzance, s.v. JγυιK : 12410,
Schol. Lyc., Alex., 72b80 : 190212; 77 : 12727; Β,σπορος : 10465, 189208; Γ,ρτυν :
268121; 153 : 30510; 679 : 16435; 698 : 184173; Nκατησ!α : 931; ΠKρος : 3044;
88147; 1176 : 1531, 26177, 26281, 26498 τρ!οδος : 11090, 178144
Schol. Nicander, Ther., 462a : 190212 Stésichore, PMG, 215 Page : 119151,
Schol. Pind., Ném., III, 4 : 20942; IX, 147141, 28814
123 : 3244; Ol., I, 91a : 280193; I, 149a : Stésimbrote de Thasos (FGrH), 107 F
13255; III, metr. 24 : 115127; XIII, 56ab 24 : 47112
c : 184173; Pyth., XI, 58a : 111100
Strabon, II, 6, 12 : 5816; IX, 2, 38 : 3057;
Schol. Pl., Lois, VII, 800d : 20834; Phéd., X, 3, 10 : 7376; X, 3, 11 : 7375; X, 3,
107c : 16037 20 : 189212; XIV, 1, 6 : 146132; XIV, 1,
Schol. Soph., Œd. Col., 57 : 23648; 681 : 44 : 5817
184173 Théocrite, Idyll., II, 12 : 25964; 33b34 :
Schol. Théocr., Idyll., II, 11b12b : 10779, 10778; 35b36 : 116131, 25965; 58b59 : 9622;
118147, 187; II, 12b12b : 141102, 187; II, XIII, 44 : 180153; XV, 43 : 2495; XXI,
12c : 187; II, 12 : 86133, 10776, 187193; II, 15 : 2495; XXV, 1b6 : 16884
35b36a : 11090, 119153, 178144 (Ps.) Théocrite, Héracl. (Bucoliques grecs
Semonides d’Amorgos, fr. 7, 12b20 II, 25) : 25117
West : 2507, 25312, 26282; fr. 33b34 : Théognis, I, 911b912 : 111101
25333; fr. 20 : 16457
Théophraste, Car., 16, 1 : 269126; 5 :
Silius Italicus, X, 340 sq. : 278186 121166; 6 : 11098; 7 : 10147; 13 : 273148;
Sophocle, Aj., 831b836 : 275162; 832 : 14 : 115128; 17 : 11098; 2 : 85128; Hist.
16781; Antig., 415b431 : 219106; 1196b plant., VII, 13, 4, 6b8 : 9623
1200 : 115125; El., 108b118 : 1546;
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342 Index des sources
Théopompe de Chios (FGrH), 115 F Virgile, Én., VI, 249b259 : 220111; VI,
344 : 15611, 15927, 21357 255b258 : 142107; Én., VI, 420 : 280194
Thucydide, II, 28 : 20517; VI, 27, 1 : Vit. Hdt. (Allen), 410b411 : 9942, 121164,
1545, 16244 21473; 469b471 : 9729
TitebLive, XL, 6 : 273151 Xénophane, 21, fr. 7 DielsbKranz : 25123
TGF (KannichtbSnell), Adesp., fr. 375 : Xénophon, Art de ch., 3, 4; 4, 5 et 6, 7 :
222126 2507; 7, 3b4 : 25333; Hell., VI, 3, 6 :
Tzetzes, Exeg. Il. 153 : 279188 80104; VI, 4, 7 : 9729; Mem., II, 1, 21
Valerius Flaccus, IV, 384 sq. : 278186 sq. : 111102
2. Sources épigraphiques
CIG 464 : 12623; 2012 : 13462; 2796 : IG, XII, Suppl., 401 : 10253
10358; 2907 : 23645; 2963 : 10359 IG XII, 8, 358abb : 23752; 359 : 10356
CIL III, 1966 : 118145 IG, XIV, 1017 : 2719
Epigrammata Graeca (Kaibel), 1034 : I.Sestos, 11 : 13462
13462; 1046, 51b54 (= IGR, I, 194, 52b
55 = IGUR, III, 1155); 460, 5b6 : LGS, II, 22 : 21470
146134; 774 : 23645 LSAM, 12 : 24384; 26, A, 1b4 : 144115; 26,
B, 54b55 et B I, 87b88 : 144116; 26, C I,
IEphes. (IGSK, 11b17), 12 (1979), II,
96 : 144117; 26, 5b8 : 144118; 26, 74b79 :
n° 567, 568b568A, 569 : 118144
21474; 50 : 13989, 14199; 50, 25b27 : 14091;
IG, I² 24 : 246102; 310 : 1559, 24699; 310, 50, 28b30 : 179150; 50, 36b37 : 141; 69,
192b194 : 1559 B, 3 : 6918
IG I3, 250 : 7166 LSCG, 18 : 4080; 18, B, 6b13 : 9942, 21687;
IG II² 24 : 246102; 310 : 1559, 24699; 192b 25 : 21470; 25a et b : 21468; 32, 54b57 :
194 : 1559; 380, 37b38 : 112108; 902, 6b 9618; 97, 20b21 : 20946; 102, 7b9 : 9618;
8 : 13987; 902 et 907 : 13987; 1795, 51b 108 : 112108; 154, 9b12 : 9618; 115, l9b
52 : 13987; 1796 et 1798 : 13987; 2640 : 20 : 9516
16886, 170100; 3089 : 24168; 3411, 1b2 : LSS, 80 : 21472; 91 : 24381; 115, B, 50b
7374; 3664, 3b4 : 16460; 3658 : 14198; 55 : 9619; 115, A, 1b7 : 13568; 133 :
4719 : 12725; 4816 : 246101; 4850 : 144123
12623 ; 4852 : 12725; 4797 : 23750; II², 3,
1, 4962 : 15715; 5050 : 16459; 5077 : MAMA, IV, 2 : 10042
14198 NGSL, 3 : 6752; 20 : 10043
IG, II/III2, 5050 (III, 268) : 1559 Pergamon VIII, 2, n° 336, 1, 7 : 24384
IG, IV, 12, 196 : 15716; 273b274 : 15818; SEG, 9, 63 : 23962; 9, 72 : 9619, 13568; 9,
276 : 15818; 499 : 15817; 506 : 15818; 72, ll. 13b14 : 144119; 9, 123 et 124 :
515 : 15819; 1281 : 15716 144121; 9, 146 : 144122; 9, 146 : 15715; 10,
321 : 7271; 10, 345 : 17098; 14, 594; 27,
IG, IX, 2, 1060b61 et 1063 : 10465
660 : 188204; 17, 552, 3 : 16783; 18,
IG, XII, 1, 44 : 16780; 141 : 15825, 143111; 561 : 26287; 20, 718 : 144123; 21, 541, B,
914 : 52140, 6337, 116135, 143111; 915 : 6b13 : 21687; 28, 561 : 199252; 29, 999 :
143111; 958 : 52140, 143111; 742 : 143111 7272; 30, 326 : 199252, 201257; 30, 93, 9b
IG, XII, 5, 44 : 13360 10 : 84121; 30, 93, 14b18 : 14198; 30,
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Index des sources 343
1337 : 13989; 31, 934 : 146133; 33, 852 : SGOst I, 1998, no 02/1201 : 13463
9618; 34, 971 : 188204; 36, 1050 : 13989; SIG3, 57 : 13989; 286 : 21154; 900 : 21158
39, 1781 : 26287; 40, 266 : 199252
3. Sources papyrologiques
PGM, III, 47b48 : 200256; IV, 1403, IV, 2714b2783 : 2719; IV, 2719b2720 :
1416 : 117143; IV, 1434 : 25857; IV, 10777; IV, 2722b2723 : 26176; IV,
2060 : 117143; IV, 2122 : 26071; 2203 : 2727 : 11092; IV, 2810b2811 : 52139,
117143; IV 2247b2248 : 87140; IV, 2251 : 26071, 282207; IV, 2813 : 26178; IV
25858; IV, 2252 : 26071; IV, 2259b 2818 : 23537; IV, 2820b2826 : 2285; IV,
2262 : 26179; 2270 : 87140; 2291 : 117143; 2836b2838 : 52139; XIa, 4 : 221117; XII,
2348b2352 : 117143; IV, 2523b2527 : 100 : 9622; LXX, 16b17 : 116132; LXX,
2048; IV, 2524b2529 : 2285; IV, 2525 : 20 : 87140
2048; IV, 2549 : 26071; IV, 2550 : P. Oxy. LIII, 3710, col. ii, 7b11 : 21792 ;
282207; IV, 2552b2555 : 52139; IV, 34b35 : 20942; 43b47 : 20620; 42b43 :
2562b2563 = IV, 2853b2854 : 52138; 20729
IV, 2609b2610 : 200256; IV, 2611b
2612 : 87140, 117143; IV, 2615 : 25859;
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Index général 363
libation : 81, 121, 12724, 13148, 140b141, mariage (mariée, nuptial) : 26, 37, 53,
192b195, 210, 219, 235 553, 69, 78b79, 89, 947, 97, 100b101,
Ligue de Délos : 247 10356, 151, 165b166, 184, 190b191,
limite, limitrophe : 14, 18, 60, 63b64, 209, 217, 29146, 292, 298
942, 96b97, 99, 103, 105b107, 112, Mardonios : 189207
124b125, 128, 136b137, 153, 167b169, marmite : 160
172, 179, 185178, 185179, 189, 201, masque : 228, 29250, voir aussi index des
203, 233, 235, 239, 241, 248, 295, mots grecs, προσωπε‚ον
2984, 300, voir aussi frontière Masson, O. : 277
lions : 137, 191, 24169 MazaeusbMithridate : 118
Lucillius : 153 Mazon, P. : 24
lumière : 26b27, 53, 57, 5813, 5921, 60b Μ(δεια : 27, 57, 6854, 1245, 177
61, 64b68, 70, 73b74, 78, 89, 9939,
10146, 114, 137, 148146, 151, 157, Médiation, intermédiaire : 14, 16b17,
42, 55b90, 101, 153, 172b173, 179,
181, 187, 189208, 191, 204b205, 20621,
181, 185, 189, 201, 223, 247b248,
208b209, 21367, 222b223, 264, 272146,
298, voir aussi index des mots grecs, 252, 265, 274b275, 294, 297b300
σTλας, φTγγος, φ[ς ΜTγαιρα : 260
Lune, lune : 13, 26, 5813, 5814, 6023, Mégariens : 131
6129, 6541, 11092, 113116, 120, 142107, Mélinoé : 52137
150, 159, 177135, 201257, 203b210, Mên : 267117
212b213, 215b220, 223, 227, 25540, Ménades : 2045, 25437
voir aussi Séléné
Ménippe : 258
Lupercales : 272 mer : 25b26, 29b31, 35b37, 48b49, 52b
Lykaon (peintre de) : 266109 53, 57, 61, 64, 70, 84b85, 117139, 182,
Lysistrate : 72 201257, 221
Lyssa : 266 Mère des dieux : 17, 62, 7375, 190b198,
lyre : 275165 223, 23859, 2852, 286, 295, 300, 305
Machon : 20519 Gντα!α : 62
magie : 14b15, 1615, 51b54, 68, 74, 87, Μεση εργιKταις : 221122
96, 9938, 101, 107, 115b117, 1245, message, messager(ère) : 17b18, 61, 65,
13146, 145, 153, 167, 177b178, 183b 71b72, 118, 141b142, 153, 155, 167,
184, 186185, 187194, 198, 200, 201258, 170b171, 175, 181b201, 223, 2852,
221, 228, 231, 23537, 257b259, 26071, 28922, 305, voir aussi index des mots
261, 267114, 268, 270, 273, 300b301, grecs, Xγγελος
voir aussi papyri magiques métamorphose : 10043, 147, 151b152,
Maia : 276 178141, 184, 254, 261b266, 288, 29458
Mainoldi, C. : 273 Métanire : 67
Μα‚ρα : 26388 Μˆτις : 45105, 3243
maladie (mal) : 62, 67, 112111, 116b117, Métroon : 193
133, 135b137, 145, 265104, 274, 276, Metzger, H. : 81, 83
277, 280193, voir aussi épidémie, peste
midi : 218b219, 220b223, 258
Malamoud, C. : 172 Minos : 113118, 188205
Maléatas : 15715
Minotaure : 27, 189209
mantique : 2831, voir aussi divination
Miroux, G. : 148b149
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364 Index général
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Index général 365
212b219, 221, 24270, 244, 255, 267b 168b169, 174, 176, 181, 191, 223,
268, 271, 273, 277, 283, 29143 2492, 289, 297, 303 voir aussi index
Oliverio, G. : 144 des mots grecs, δασ ,ς, τι (
onguent : 183, 184173, 184174, 187194, Parthénon : 82, 118
voir aussi index des mots grecs, Hρον ΠαρθTνος : 288
åνιτKδαι : 141 Pasiphaé : 27
oracle, oraculaire : 41b42, 120158, 128b passage : 58, 68, 77, 93b94, 9620, 97,
129, 13151, 133b135, 138, 141b142, 10146, 107b111, 114, 117, 119, 128,
146, 152, 180, 242, 304b305 130, 137, 13880, 143, 147, 150, 155,
Oracles Chaldaïques : 53142, 25224, 300 16456, 167, 169, 173, 175126, 175128,
ordrebdesordre : 14, 17, 25, 3141, 3245, 176, 177138, 180, 183, 190213, 191,
3350, 34, 36, 3973, 40, 42, 45b46, 52, 2031, 204, 207b209, 212, 215, 217,
56, 116, 122, 173, 176, 179, 184, 200, 221b223, 233b234, 237, 246, 259,
218, 221, 252b253, 259, 297 261, 26287, 263, 270b271, 273b276,
292, 29458, 298b299, rites de – : 2031,
Oreste : 281200, 289 251, 272, 28921, 291
Orphée : 280b281
Pausanias de Mitrodore : 104, 138b139
Osborne, R. : 171, 175
pauvres : 115, 160, 178, 269
ouie : 579, 59, 61, 63, 172109, 174, 266, péan : 140, 142107, 145, 16141, 179
269
Pélasges : 3141, 162
Ο•ραν,ς (Ciel) : 25b26, 28, 30b31, 35,
45, 97, 10043, 182162 Pélée : 10146, 191
ourses : 291b292, voir aussi aρκτοι pendaison : 113, 147142, 165, 185b186,
265104, 293, voir aussi étranglement
ouverturebfermeture : 29, 58, 61, 93b97,
100, 10145, 108b109, 125, 128, 138, périphérie : 103, 194
140, 176, 195, 221, 258, 261, 269127, Περσα‚ος : 27, 56b57, 63, 264
286 Περσ ε !α/η : 27, 52137
pain : 120, 160, 210, 25012 Περση!ς : 27, 189209
Pan : 14, 5813, 16351, 16457, 172, 189212, Perséide : 58
192b193, 197, 198247, 217, 220, 222, Perséphone : 17, 18, 3558, 52137, 56b57,
238, 266111 5816, 59, 61, 63b90, 101, 107, 118,
ΠανKκεια :144, 15715 181b183, 187b190, 192228, 194, 196b
Panathénées : 162 197, 199, 200255, 200257, 204, 212,
Pandareus : 280193 216111, 223, 227b228, 252, 281, 2851,
295, 298, 300, 305, voir aussi Coré
Pandore : 37, 3973, 42, 46107, 174, 260,
26174 Βρι ’ : 87b90
papyri magiques : 15, 52, 54, 87, 107, Perses : 24168, 246
117, 257b258, 261, 301 ΠTρση : 27
parfum : 3558, 183b184, voir aussi Hρον ΠTρσης : 25b29, 44, 57, 86, 290
Parker, R. : 218 ΠερσεHς : 2718, 26495
parole : 4080, 49, 64, 94, 133b135, 165, Pfister, F. : 24, 30
171, 174b177, 181b182, 200b201, 252, phallus, phallique : 161, 164, 175, 176
289 Phéniciens : 188205
partage (lot, répartition, « honneur ») : Phénix : 183b184, 187
15, 23b49, 51, 53b54, 56, 64, 70b71, Φερα!α : 1245, 178144, 26495
84, 90, 93, 104, 113118, 123, 150, 165,
phiale : 192, 194b195, 244
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