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Contextes climatique,

morphologique &
hydro-sédimentaire :
La marée dans
l’estuaire de la Seine
Problématique

La marée est la manifestation des forces d’attraction définit l’étendue de l’estuaire qui remonte jusqu’au
générées en particulier par la Lune et le Soleil sur la barrage de Poses situé à 160 km de son embouchure
Terre. La surface des océans est ainsi soumise à une en baie de Seine) et les apports en eaux douces
attraction dont la puissance oscille principalement venues de l’amont (alternances crue/étiage). Il peut
en fonction de la position relative de ces trois astres : également être modifié par des aménagements
amplitude maximale quand les trois astres sont impactant le débit amont du fleuve ou la
alignés (vives eaux ou grandes marées avec forts morphologie de l’estuaire, ainsi que par les variations
coefficients de marée) ; amplitude minimale quand des apports en eaux douces et du niveau marin. C’est
les trois astres forment un angle droit (mortes eaux donc bien cette combinaison d’influences marines et
avec faibles coefficients de marée). Lorsqu’elle continentales, associée à la morphologie de l’estuaire
parcourt les océans, cette onde de marée se déforme qui est à la base de ses spécificités. À ce titre, le suivi
selon la profondeur et la nature des fonds marins à long terme du niveau d’eau dans l’estuaire de la
et des côtes. Dans les régions du nord de l’Europe, Seine apporte de précieux enseignements sur son
les marées sont de type semi-diurne, c’est-à-dire évolution, l’impact des aménagements et sur les
qu’elles effectuent un cycle entier (marée haute, effets des changements globaux.
marée basse, marée haute) en 12 heures et 25 Le niveau d’eau de l’estuaire de la Seine est suivi par
minutes [Guérin, 2004]. un réseau de 18 marégraphes géré par le Grand Port
L’hydrodynamisme de l’estuaire de la Seine est Maritime de Rouen et des outils numériques ont été
gouverné par la marée (dont la zone d’influence développés pour modéliser la variation du plan d’eau.

C.Fisson C.Dégremont C.Dégremont S.Moussard

Embouchure de la Seine à marée haute / basse Bord de Seine à marée haute / basse
La marée dans
l’estuaire de la Seine

Situation
Un niveau d’eau
qui varie quotidiennement
La marée est le principal facteur influençant
le niveau d’eau dans l’estuaire. Deux fois par
jour, se succèdent ainsi quatre temps :
-Le flot (ou flux) qui correspond à la
pénétration de l’onde de marée dans
l’estuaire et qui s’accompagne d’une
montée du niveau de l’eau et d’un sens
du courant dirigé vers l’amont avec
des vitesses pouvant atteindre 2m/s à
l’embouchure et 1m/s à Rouen en vive-eau ;
-La pleine mer (ou marée haute) qui
correspond au niveau d’eau le plus haut
atteint lors d’un cycle de marée. La phase
de tenue du plein (ou étale de pleine mer)
peut être plus ou moins longue, avec des Figure 1 : Courbes de marée dans l’estuaire de la Seine
Seine.

courants nuls ou très faibles ;


-Le jusant (ou reflux) qui correspond à la vidange baie de Seine aux côtes anglaises. Les modifications
de l’estuaire et qui s’accompagne d’une descente morphologiques liées à l’aménagement de l’estuaire
du niveau de l’eau et d’un sens du courant dirigé ont cependant atténué l’individualisation du double
vers l’aval ; plein qui était historiquement beaucoup plus
-La basse mer qui correspond au niveau d’eau marquée [Figure 5 ; Le Floch, 1971 ; Delsinne, 2005 ;
le plus bas atteint lors d’un cycle de marée. La Foussard et al., 2009].
différence de hauteur d’eau avec la pleine mer est
appelée marnage. La marée met en moyenne six heures à se propager
Pour une même marée, l’amplitude et la durée de de l’embouchure de la Seine jusqu’à Rouen. Les
chacune de ces quatre phases varie tout au long de frottements induits lors de cette propagation par la
l’estuaire, comme cela est reporté sur les courbes morphologie et la nature des fonds et des berges de
marégraphiques [Figure 1]. À l’embouchure de la l’estuaire atténuent progressivement l’amplitude de
Seine, la marée présente deux caractéristiques : l’onde de marée vers l’amont de l’estuaire [Figure 1].
i) une durée du montant plus courte que celle du
perdant (et un courant de flot plus rapide que celui La courbe marégraphique est également influencée
du jusant) ; par les conditions atmosphériques qui peuvent
ii) un aplatissement à marée haute (tenue du plein) être responsables de surcotes ou de décotes. Par
qui dure plus de deux heures, avec deux maxima exemple, un fort vent d’ouest et une faible pression
qui peuvent s’individualiser et former un double atmosphérique généreront un niveau d’eau plus
plein en condition de vive-eau. Cette tenue du plein élevé que celui seulement expliqué par la marée [Le
allongée s’explique par une déformation de l’onde Hir et al., 2001 ; El Abida et al., 2010]. Des surcotes
de marée lors de sa propagation sur les faibles (et décotes) de 20 à 30cm sont ainsi couramment
profondeurs de la Manche et l’existence d’une observées. Elles peuvent atteindre 50cm, voir 1m
oscillation transversale du bassin côtier allant de la dans des conditions exceptionnelles.
Un niveau d’eau
qui varie à l’échelle
mensuelle et saisonnière
Se superposant au cycle semi-diurne décrit
précédemment, l’amplitude de la marée
(marnage) varie suivant le cycle semi-lunaire
de 14,5 jours. Durant les phases de nouvelles
et pleines lunes (alignement de la Lune, de
la Terre et du Soleil), cette amplitude est
maximale (période de vive-eau) ;
alors qu’en période du premier et dernier
quartier de lune (angle droit formé par les
trois astres), le marnage est plus faible
(période de morte-eau) [Figure 2, Figure 3].
D’autres cycles, à la périodicité plus longue,

Figure 3 : Variation
Fig V i ti de d la
l hhauteur
t d’
d’eau pendant
d t un cycle
l lunaire.
l i
Lune
jouent également sur l’amplitude de la marée. C’est
Soleil
le cas du Saros qui correspond à une période de 223
Terre lunaisons (soit 18 ans de 365 jours + 15.5 jours) au
bout de laquelle les éclipses solaires et lunaires se
Jour 1 ; Jour 28 : premier quartier (morte-eau) reproduisent dans le même ordre, induisant un retour
des marées dans des conditions astronomiques quasi-
Lune Soleil similaires. L’amplitude de la marée sera également
Terre
influencée par la position de la Lune sur son orbite
et la déclinaison de l’orbite de la Lune par rapport au
Jour 7 : pleine Lune (vive-eau) plan équatorial terrestre.
L’oscillation du plan d’eau autour d’un niveau moyen
Soleil génère d’importants courants dans l’estuaire :
Terre
lors du flot les courants sont dirigés vers l’amont ;
alors que durant le jusant ils sont dirigés vers l’aval.
Lune
Néanmoins, le niveau moyen décroit de l’amont vers
l’aval permettant aux eaux fluviales de se jeter dans
Jour 14 : dernier quartier (morte-eau) la Manche. En période de vive-eau, le marnage moyen
est supérieur à 7m à l’embouchure et atteint 3.5m à
Soleil Rouen. En période de morte-eau, il est plus faible :
Terre 3m à l’embouchure et 2m à Rouen. La propagation de
Lune
l’onde de marée est artificiellement stoppée par le
Jour 21 : nouvelle Lune (vive-eau) barrage de Poses [Figure 4].
Figure 2 : Impact de la position des astres
sur le cycle morte-eau / vive-eau
*Cote Marine du Havre (CMH) : plan de référence des cartes marines se situant à -4.38m par rapport au zéro NGF (1969)

Pour un débit donné et en tout point de


l’estuaire, le niveau d’eau le plus élevé sera
toujours atteint en période de vive-eau. Par
contre, le niveau le plus bas sera atteint en
période de vive-eau dans la partie aval de
l’estuaire, et en période de morte-eau dans la
partie amont. En effet, en période de vive-eau,
le volume d’eau apporté par le flot est trop
important pour être évacué par le jusant, d’où
un stockage temporaire des eaux dans la partie
amont de l’estuaire [Figure 4]. L’intersection
des niveaux de basses mers en vive-eau et en
morte-eau est appelée ‘point caractéristique’
et se situe entre les points kilométriques 280
et 310. La modification de la propagation
de l’onde de marée par l’aménagement de
l’estuaire a entrainé une remontée de ce
point caractéristique [Lavoine et al., 1885 ;
Guézennec, 1999].

Au-delà du phénomène de marée, les niveaux


d’eau en Seine sont également influencés
par les apports en eau douce, le niveau d’eau
moyen étant plus haut en période de crue et
plus bas en période d’étiage [Figure 4 ;
El Abida et al., 2009].

Figure 4 : H
Fi Hauteurs
t d’
d’eau d
dans l’
l’estuaire
t i d de lla Seine.
S i

Zone intertidale à marée basse (C. Dégremont)


La marée dans
l’estuaire de la Seine

L’essentiel
La propagation de l’onde de marée dans la Seine en
définit la partie estuarienne, qui s’étend du barrage
de Poses à l’amont à la baie de Seine à l’aval. Cet
estuaire macrotidal présente un fort marnage (jusqu’à
8m au Havre) qui s’atténue vers l’amont (3m à Rouen
et quelques décimètres à Poses). La marée induit
un changement de la hauteur de l’eau et de son
sens d’écoulement deux fois par jour (marée semi-
diurne) avec un cycle vive-eau / morte-eau de 14
jours. Les apports en eaux douces (débit de la Seine
et des affluents, apports souterrains) et les conditions
météorologiques (pression atmosphérique, vent)
jouent également un rôle sur le niveau de l’eau et
l’hydrodynamisme estuarien.
D’un point de vue environnemental, la marée représente
une véritable ressource écologique à travers le
développement de milieux intertidaux qui abrite une
grande diversité faunistique et floristique. La formation
Station de mesure de la hauteur d’eau (marégraphe)
du bouchon vaseux et l’établissement d’un gradient de à Heurteauville (J.P. Lemoine)

salinité dans la zone de mélange des eaux fluviales


et marines sont également une conséquence de
la marée, phénomène à la base des spécificités
estuariennes et de la présence d’espèces adaptées
à ces conditions particulières.
La marée est également exploitée par l’homme
qui a su en tirer profit pour la navigation en
contrôlant sa propagation grâce aux différents
aménagements réalisés le long de l’estuaire.
Ils ont eu pour répercutions de modifier son
hydrodynamisme, comme en témoigne le
mascaret qui au fil des aménagements a fini
par disparaître ou le jusant qui a vu sa vitesse
augmenter favorisant l’effet de chasse dans
l’estuaire. A Rouen, une baisse du niveau des
basses mers a également été observée en lien
avec l’aménagement de l’estuaire depuis 150 ans
[Figure 5].

Figure 5 : Courbe de marée de vive-eau


vive eau à Rouen et Tancarville en étiage
(1876 et 1986-1996)
La marée dans
l’estuaire de la Seine

Sources et méthodes
Figure 1 Figure 3
Les courbes marégraphiques présentées correspondent La variation de la hauteur d’eau mesurée par le
à la hauteur d’eau mesurée par les marégraphes situés marégraphe positionné au droit d’Honfleur (pk 355)
en différents points de l’estuaire de la Seine, pendant est présentée sur un cycle lunaire de 28 jours (données
la marée du 20 mars 2010 (coefficient de marée : 83, mesurées au mois de décembre 2010).
débit de la Seine à Poses : 397 m3/s). [Source des données : GPMR]
[Source des données : GPMR]
Figure 4
La hauteur du plan d’eau de l’estuaire de la Seine est
représentée pour différentes conditions de marée (vive
eau / morte eau) et débits de la Seine à Poses (400, et
1600 m3/s) entre les points kilométriques 219 (Elbeuf)
Figure 2 et 365 (Le Havre). Les hauteurs d’eau sont issues d’un
Ce schéma décrit l’impact de la position des astres dépouillement statistique des mesures réalisées entre
(Terre, Lune, Soleil) sur le cycle morte-eau / vive-eau 1990 et1999.
des marées terrestre. La Lune tourne autour de la [Source des données : GPMR]
Terre en 28jours, ainsi la Terre, la Lune et le Soleil sont
alignés tous les 14 jours, pour former ce qu’on appelle Figure 5
les vives eaux, correspondant aux périodes de fort La courbe marégraphique à Rouen et Tancarville est
marnage. Entre deux vives eaux, lorsque la Lune est en présentée en condition d’étiage et de vive-eau à la
position de premier quartier ou dernier quartier (à 90° fin du XIXème siècle (mesure le 18 août 1876, pour
de l’axe Terre Soleil), les forces d’attraction dues à la un coefficient de marée de 107) et pour la période
Lune et au Soleil ne s’additionnent pas, le marnage est récente (dépouillement statistique des données entre
alors moindre, on parle de période de morte-eau. 1986 et 1996, pour un coefficient de marée de 95 et
115 et un débit de la Seine à Poses de 250 m3/s).
[Source des données : Lavoine, 1885 ; GPMR]

Références Bibliographiques Cette fiche thématique s’intègre dans le


système d’observation de l’état de santé de
ŶDelsinne, N., 2005. Evolution pluri-millénaire à pluri-annuelle du prisme sédimentaire d’embouchure de la
l’estuaire de la Seine.
Seine. Facteurs de contrôle naturels et d’origine anthropique. Thèse de 3ème cycle, Université de Caen. 179p.
Elle est éditée par le Groupement d’Intérêt
ŶEl Abida H., Fisson C., Allain S., Bacq N., Chaïb J., Goncalves-Ladiray K., Fritier N., Larchevèque E., Macur O.,
Public Seine-Aval - Pôle Régional des Savoirs -
Tanguy J., 2010. Le risque inondation : conditions de déclenchement et perspectives.
115 boulevard de l’Europe - 76100 Rouen
Fascicule Seine-Aval 2.6, 48 p.
www.seine-aval.fr
ŶFoussard V., Cuvilliez A., Fajon P., Fisson C., Lesueur P., Macur O., 2009. Évolution morphologique d’un
estuaire anthropisé de 1800 à nos jours. Fascicule Seine-Aval 2.3, 44 p.
Conception, rédaction : GIP Seine-Aval
ŶGrand Port Maritime de Rouen (GPMR). Données de hauteurs d’eau aux marégraphes.
Président : Nicolas Mayer-Rossignol
ŶGuérin O., 2004. Tout savoir sur les marées. Ed. Ouest-France, 166p.
Directeur : Loïc Guézennec
ŶGuézennec L., Romaña L.-A., Goujon R., Meyer R., 1999. Seine-Aval : un estuaire et ses problèmes. Fascicule
Contact : gipsa@seine-aval.fr
Seine-Aval 1.1, 29 p.
Infographie : Quai 24, Le Havre
ŶLavoine E. & Lechalas M.C., 1885. La Seine maritime et son estuaire. Encyclopédie des travaux publics, 312p.
Crédits photos : GIP Seine-Aval
ŶLe Floch, P., 1971. Propagation de la marée dans l’estuaire de la Seine et en Seine Maritime. Paris. 507 p.
Tirage : 1000 exemplaires
ŶLe Hir P., Silva Jacinto R., 2001. Courants, vagues et marées : les mouvements de l’eau.
Fascicule Seine-Aval 1.2, 32 p.

Le GIP Seine-Aval est financé par :

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