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Eaux courantes

et géomorphologie continentale
L’hydrosphère et les systèmes de la Terre Cours

Les nuages, entrainés par les mouvements atmosphériques, déversent sur les continents des
précipitations sous forme de pluie ou de neige, en quantité variable dans le temps et dans l’espace.
Que deviennent ces précipitations à la surface des continents et quelles sont les conséquences de
leur circulation sur la morphologie des continents ?

I –Une partie des précipitations devient « eaux courantes »


Les sols reçoivent environ 120 000 km3 d’eau par an. L’impact des gouttes d’eau soulève des
particules, d’autant plus que les gouttes sont grosses et nombreuses. Les pluies sont donc
responsables d’une érosion pluviale (splash), qui prend plus d’importance là où le couvert végétal
n’est pas continu (zones de déforestation, cultures peu denses comme celle du maïs…).

A - Ruissellement, infiltration et eaux courantes

Le devenir de l’eau des précipitations est triple :


Æ Une partie s’infiltre dans le sol et les roches, c'est-à-dire pénètre peu à peu dans les pores ou les
fissures. Une partie de cette eau infiltrée peut rester liée aux particules solides par adsorption
(fixation de surface des molécules d’eau bipolaires par les charges des particules d’argile par
exemple), le reste continue son trajet dans le sol et le sous-sol par écoulement gravitaire
(percolation) et peut rejoindre des eaux souterraines (nappes, cours d’eau) ou/et des eaux de surface
(rivières) après résurgence (sources).
L’eau d’infiltration lessive au passage les sols et les roches, participant à l’altération et au drainage
des ions : c’est la source principale des éléments dissous de l’hydrosphère. Au passage, une
partie de l’eau d’infiltration peut être prélevée par les êtres vivants, en particulier les végétaux.
Ces processus sont relativement lents et la proportion de l’eau infiltrée dépend du type de
précipitation : le crachin est plus favorable à l’infiltration que les averses violentes !

Æ Une partie ruisselle : l’eau coule en abondance en surface, et ce d’autant plus et d’autant plus vite
que le couvert végétal n’est pas continu ou absent, que la pente est forte, que la pluie est violente,
que le sol est imperméable (argiles) et/ou déjà saturé en eau (l’eau ne peut plus s’infiltrer dans les
pores pleins). Dans ce dernier cas, au lieu de former des rigoles, l’eau forme une nappe continue en
surface (sheet-flood) dans les régions chaudes subdésertiques, entrainant des particules fines et
laissant sur place les gros cailloux.
Les eaux de ruissellement sont appelées les
« eaux sauvages », leur action dépend moins
de la pluviosité annuelle moyenne que de la
quantité d’eau précipitée dans un minimum de
temps : les pluies d’orages exceptionnels sont
les plus catastrophiques à l’origine
d’inondations, et les eaux de ruissellement
sont l’agent le plus actif de l’érosion des
continents : elles sont la source principale de
la charge solide des cours d’eau.
Le ruissellement a donc des conséquences sur
le paysage qui dépendent de la géologie :

Ruissellement dans le désert de


Gobi, après un orage.
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¾ en terrain homogène argileux, marneux ou schisteux : les eaux ruissellent dans les
craquelures du sol dues à la dessiccation, les élargissent en rigoles ou ravines, des chenaux
parallèles dont les crêtes finissent par s’écrouler et dont la tête recule. Ces figures de
ravinement sont particulièrement visibles dans les zones sans végétation, quand le
déchaussement des racines est tel que les arbres ne peuvent s’implanter (« bad-lands » aux
USA et au Brésil, « terres noires » de la Durance…).
¾ en terrain homogène calcaire fissuré : l’eau dissout le calcaire le long des fissures, creusant
les sillons de surface des lapiez ou lapiaz des régions karstiques (Larzac, Vercors et
Chartreuse, Buren irlandais…).

Ravines et relief de « bad-lands » : terres noires dans Lapiez dans le massif de la Chartreuse (Isère)
les marnes près de Digne (Alpes de Haute Provence) © Ian McKenzie

¾ en terrain hétérogène : les eaux de ruissellement participent à une érosion différentielle en


entrainant les matériaux les plus fins, les plus meubles (les moins cimentés) ou les plus
solubles et en laissant sur place les éléments grossiers, cohérents ou insolubles. Naissent
alors des formes typiques comme :
- les « demoiselles coiffées » ou « cheminées de fée » des régions morainiques ou
volcaniques, où un bloc protège de l’érosion un pilier de sédiments sous-jacents (non en
faisant écran à la pluie, comme on le dit souvent, mais en compactant les sédiments, les
rendant plus résistants aux eaux de ruissellement).
- les chaos des régions granitiques, ou l’arène issue de l’altération du granite, dégagée, laisse
sur place des blocs empilés de roche saine ;
- les necks, cheminées volcaniques, et les dykes, lames volcaniques fissurales dressées,
dégagées de leur encaissant.

Cheminée de fée à Cotteuge Chaos granitiques à Uchon Dyke (secteur de Los Antiguos, Argentine)
(Puy-de-Dôme) © B. Tiphine (Saône-et-Loire) © B. Beauvière

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Æ une partie s’évapore à partir des surfaces d’eau libre ou des feuilles des végétaux
(évapotranspiration), retournant ainsi à l’atmosphère dans le cycle de l’eau.
En moyenne, en France, on estime à 60% l’évapotranspiration, 16 % le ruissellement et 24%
l’infiltration.
Bilan : Précipitations = Ruissellement + Infiltration + (Evaporation + Evapotranspiration)
Une partie des eaux courantes peut s’accumuler dans des dépressions basses, donnant les eaux
plus ou moins stagnantes des lacs, étangs, mares, mais une grande partie continue son écoulement,
les eaux collectées se regroupent en cours d’eau de plus en plus importants.

B - Des eaux courantes au cours d’eau : le bassin versant alimente le cours d’eau

Æ Une surface drainée :


On appelle bassin versant la surface drainée par un ensemble d’affluents d’une même rivière. Cette
notion s’applique à toutes les échelles (d’une petite rivière à un grand fleuve comme l’Amazone), un
grand bassin versant pouvant collecter un ensemble de bassins versants d’ordre inférieur. L’Amazone
possède le plus vaste bassin versant du monde (6 millions de km2, soit 9 fois la surface de la France).

Les limites du bassin versant dépendent du point où l’on se place sur le cours d’un fleuve. Ici le bassin versant
en vert est inclus dans le bassin versant en rouge, correspondant au fleuve à son embouchure. © CPIE des
Causses méridionaux

Æ Des écoulements permanents ou non :


Le bassin versant peut alimenter des écoulements permanents, temporaires (torrents) ou
spasmodiques (oueds), selon la topographie et l’alimentation en eau du bassin (quantité et répartition
des précipitations ou de la fonte des neiges).

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¾ Les torrents sont des cours d’eau rapides en pays montagneux, au sens strict, ils sont
temporaires, mais le terme est parfois étendu à des cours d’eau permanents. On distingue 3
parties :

‐ le bassin versant, ou bassin de réception,


souvent un ancien cirque glaciaire, modelé
par le ravinement, les éboulements (forte
érosion) et où les eaux confluent ;
‐ le chenal d’écoulement, étroit, en V, assez
rectiligne, à forte pente, avec érosion et
transport.
‐ Le cône de déjection, lieu de sédimentation
(diminution de la vitesse), qui repousse le lit
de la rivière où aboutit le torrent, et où les
eaux du torrent peuvent s’écouler en nappe
ou se répartir en branches divagantes.
‐ Le moyen le plus efficace de réduire l’action
dévastatrice des torrents est de conserver un
couvert végétal, ou de le rétablir de manière
à limiter le ruissellement.

© EduTerre / IFE

2 - Le cours d’eau porte des traces de son bassin versant


La géologie, le climat (température, précipitations), la végétation et la surface du bassin versant
influent sur le débit des cours d’eau, la nature et la quantité de leur charge dissoute et solide, et donc,
en aval, sur la sédimentation.

C- La ligne de partage des eaux


Les limites entre bassins versants constituent des
lignes de partage des eaux : par exemple, en
Bretagne et Normandie on délimite la ligne de
partage entre les rivières qui vont vers la Manche
ou l’Atlantique ; dans le sud de la France, vers
l’Atlantique ou la mer Méditerranée ; aux USA,
vers l’Atlantique ou le Pacifique… La répartition
des territoires ainsi drainés peut être très inégale
de part et d’autre de cette ligne de partage, et la
ligne de partage des eaux peut migrer en relation
avec l’érosion régressive (Voir plus loin le chapitre
III sur la morphologie des cours d’eau). Par
exemple, la frontière entre l’Argentine et le Chili a
été fixée sur la ligne de partage des eaux entre
Pacifique et Atlantique. Or les fleuves débouchant
dans le Pacifique ont reculé leur source et capturé
des rivières argentines : les problèmes
diplomatiques ne sont pas encore résolus…

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II – Les eaux courantes s’organisent en réseaux hydrographiques
L’organisation des réseaux de cours d’eau fait l’objet de l’hydrographie.

A- Des réseaux plus ou moins organisés


Lorsque les pluies sont suffisantes, les petites rivières aboutissent à des plus grandes et ainsi
de suite jusqu’à la mer : il y a donc formation d’un réseau hiérarchisé de rivières convergentes. Ce
réseau organisé (un peu comme un arbre et ses branches) est qualifié de dendritique.

Réseau hydrographique de la
Cèze, un affluent du Rhône
(Lozère et Gard) © A.B.Cèze

Par contre, dans les régions plus arides, les réseaux peuvent être désorganisés (vallées
sèches, oblitérées par des dunes) ou anarchiques (les eaux confluent, diffluent, s’unissent à d’autres
et se séparent à nouveau, en Afrique par exemple).

B- Le débouché des réseaux

Bassin exoréique, endoréique ou aréique :


Dans les zones humides, si la topographie le permet (pas de barrière montagneuse), les
réseaux hydrographiques débouchent en mer, l’eau s’écoulant par gravité vers les points bas (altitude
zéro). Il en va de même pour des écoulements souterrains, comme dans les pertes karstiques.
Malgré le caractère discontinu des précipitations, les cours
d’eau sont continus (même si leur débit est variable) : en
effet, en plus du ruissellement, ils sont alimentés de façon
plus continue par des nappes souterraines, des sources, des
lacs… L’écoulement arrivant à l’océan est exoréique.
Dans les pays semi-arides, l’écoulement est
temporaire, limité à la saison des pluies, et arrive rarement à
la mer. Les eaux disparaissent par évaporation, ou
infiltration, dans le lit du cours d’eau, dans des plaines
d’épandage, ou se jettent dans un salar (lac temporaire
devenant désert de sel à la saison sèche). Le drainage dans
ces bassins fermés est endoréique. Les régions très arides,
qui ne présentent pas souvent d’écoulement, sont aréiques.

Le bassin du lac Tchad est un bassin endoréique, alimenté


par de nombreux cours d’eau temporaires (pointillés)
d’après Olivry et al 1996.

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Le débouché des fleuves en mer :
Une rivière qui débouche en mer, quelle que soit sa taille, s’appelle un fleuve. La morphologie
de l’embouchure est variable : dans un delta (comme celui du Rhône), c’est l’apport en alluvions du
fleuve qui domine, et c’est l’ensemble de l’embouchure du fleuve qui prograde vers le large ; dans un
estuaire (Loire, Seine), c’est l’influence de la mer ou de l’océan qui domine, les marées se font sentir
loin vers l’intérieur, la charge sédimentaire est fine (les sédiments grossiers se sont déposés en
amont), et le contact avec l’eau salée fait floculer les argiles : la sédimentation est vaseuse. Dans les
rias ou abers (fleuves bretons), d’anciennes vallées aériennes lors des périodes de bas niveau marin
sont aujourd’hui envahies par la mer. Dans les fjords norvégiens, la vallée, profonde, a été creusée
par un glacier.

De gauche à droite : le delta du Nil a progradé dans la Méditerranée (sa forme évoque la lettre grecque
Δ) ; l’estuaire de la Seine avec son bouchon vaseux (vue Google Earth) ; l’aber Wrac’h en Bretagne.

III – La morphologie du lit des cours d’eau et vallées

A- Lit mineur et lit majeur


Le lit du cours d’eau fait partie du fond de la vallée où le cours d’eau s’écoule. Les berges,
naturelles ou consolidées par l’Homme, déterminent le lit mineur, celui qu’occupe le cours d’eau lors
d’une pluviosité « normale ». Lors des périodes sèches, le lit se restreint au lit d’étiage. Par contre,
en période de crue (fonte des neiges, fortes précipitations), le cours d’eau déborde des berges et
envahit la plaine d’inondation : cette dernière correspond donc au lit majeur.

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Ces différents lits sont distincts pour la Loire, dernier grand « fleuve sauvage » d’Europe, mais
confondus pour la Seine. L’Homme peut tenter de régulariser le cours d’eau, et diminuer les effets
des crues en construisant des levées (Loire) ou des barrages (barrage d’Assouan sur le Nil). Il
modifie alors la sédimentation et ses conséquences.

B- Les cours d’eau creusent des vallées


Par érosion, une rivière creuse son lit et s’enfonce sur place. Le creusement se fait vers
l’amont à partir d’un niveau de base : on parle d’érosion régressive. La crête originelle recule, et le
cours d’eau peut même atteindre une autre vallée et capturer sa rivière (capture de la Moselle par la
Meurthe, par exemple).
En terrain meuble et homogène, les éboulements successifs des rebords conduisent à un
profil transversal en V caractéristique, que l’on oppose au profil en U des vallées glaciaires. Par
contre, en terrain massif et dur (calcaire, granite, grès bien consolidé), l’enfoncement est vertical,
creusant des gorges ou canyon (Colorado, Tarn…).

Erosion régressive (d’après Auboin, précis de Géologie, Dunod 1968)

Meuse De nos jours Meurthe

Moselle

Meuse Phase d’érosion Meurthe


Profil en V de la haute vallée de la Dordogne
(Corrèze) (© lacorreze.com)

Meurthe
Meuse Avant la capture

Sortie des gorges du Verdon (Raymi)

Capture de la Moselle par la Meurthe (© Agence Folléa-Gautier)

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C- Profil d’équilibre et terrasses
Par le jeu de l’érosion et de la sédimentation, le profil longitudinal d’une rivière tend vers un
profil d’équilibre concave vers le haut, qui tangente vers le bas le niveau de base (niveau de la mer
pour un fleuve). Quand le profil est atteint, l’érosion cesse. Si un aménagement écarte la rivière de
son profil d’équilibre, l’érosion – et/ou la sédimentation – reprennent. Si le niveau de base s’abaisse
(baisse du niveau marin par accumulation de glace dans les inlandsis lors d’une période froide),
l’érosion reprend dans la partie basse. Si, au contraire, le niveau de base s’élève (période plus
chaude avec fonte des inlandsis), la rivière dépose des alluvions dans sa partie basse.

Une terrasse apparaît quand une rivière s’encaisse dans ses propres alluvions (phase
érosive) avant de se remettre à déposer des alluvions : la surface de l’ancien lit majeur est alors
suspendue au dessus du cours d’eau. Si le phénomène se reproduit plusieurs fois, on a des
terrasses :
- étagées si les couches d’alluvions sont dégagées les unes des autres (érosion importante)
- emboitées si l’entaille d’érosion où se dépose la terrasse t+1 reste contenue dans la terrasse t.
Dans la partie aval des rivières, il est possible de corréler l’altitude des terrasses avec les variations
du niveau de base, c'est-à-dire du niveau marin : les terrasses sont eustatiques.

Source : Introduction aux processus sédimentaires, F. Boulvain, Univ. Liège

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D- Les méandres
Ce sont les sinuosités des cours d’eau qui s’installent en particulier dans les zones du cours
d’eau à faible pente, et donc plutôt vers la zone aval. Dans les plaines alluviales, ils s’incrustent à
peine, et peuvent divaguer en abandonnant d’anciens méandres.
Si la région où serpentent des méandres se soulève ou que le niveau de la mer s’abaisse, les
méandres s’encaissent sur place. La rivière sape la rive concave qui devient abrupte et alluvionne sur
la rive convexe qui est en pente douce (c’est le cas de la Seine en aval de Paris). Cette différence de
comportement s’explique par la différence de vitesse du courant (cf courbe d’Hjulström) : il est plus
rapide sur la rive concave, qu’il érode, que sur la rive convexe, ou l’eau lâche sa charge solide.

Source : Eléments de Géologie (Dunod) Le méandre de la Seine aux Andélys, en Normandie

Bien que les rivières ne contiennent que 0,0001% des réserves d’eau de la planète, elles sont
donc un élément fondamental de la compréhension de la géomorphologie des continents et de leur
évolution : elles participent à l’érosion des reliefs, mais sont aussi génératrices de reliefs en créant
des dénivelés relatifs (cf Canyon du Colorado).

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