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L’effet de serre
atmosphérique : plus
subtil qu’on ne le croit !
Jean-Louis Dufresne(1) et Jacques Treiner(2)
(1) Laboratoire de météorologie dynamique (LMD)
– Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL),
Centre national de la recherche scientifique (CNRS) –
École polytechnique (EP) – École normale supérieure (ENS) –
Université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC)
(2) UPMC et Espace des sciences Pierre-Gilles de Gennes (ESPCI)
D
ans le présent article, nous
détaillons les mécanismes par les- nomènes physiques de base :
quels une variation de la concen- – lorsqu’un corps absorbe du rayonne-
tration en gaz à effet de serre (GES) de ment, son énergie interne augmente ;
l’atmosphère conduit à une variation de – tout corps perd de l’énergie en émet-
l’effet de serre et de la température tant un rayonnement dont l’intensité
Résumé moyenne de la surface de la Terre. Les augmente avec sa température ;
principaux GES (f igure 1) sont la – lorsqu’un corps gagne plus d’énergie
Les modèles radiatifs actuels permet- vapeur d’eau (H2O), le dioxyde de car- qu’il n’en perd, sa température aug-
tent de calculer de façon rigoureuse bone (CO2), le méthane (CH4), le proto- mente, et elle diminue dans le cas
et précise l’effet de serre atmosphé- xyde d’azote (N2O) et l’ozone (O3), contraire. À l’équilibre thermique le
rique ainsi que sa variation avec la mais la discussion sera limitée ici aux bilan d’énergie est nul.
concentration de gaz tel que la deux plus importants : la vapeur d’eau,
vapeur d’eau ou le CO2. Pour expli- responsable d’environ 60 % de l’effet de La loi qui régit l’émission thermique de
quer simplement cet effet de serre, on serre, et le dioxyde de carbone, responsa- rayonnement par un corps est connue
utilise souvent l’analogie de « l’effet ble d’environ 25 %. Les bases de la phy- expérimentalement depuis la seconde
de serre » produit par une vitre. Si ce sique du climat et de l’effet de serre ont moitié du XIX e siècle et bien établie
modèle a des vertus pédagogiques et été posées par Joseph Fourier (1824) et théoriquement depuis le début du XXe
permet d’expliquer au premier ordre cet aspect historique a déjà été abordé siècle : c’est la loi du rayonnement du
la température moyenne de la surface dans plusieurs publications (par exemple corps noir. Le qualificatif « noir »
de la Terre, il a néanmoins un Pierrehumbert, 2004 ; Dufresne, 2006). signifie ici que ce corps absorbe tout le
inconvénient important : il ne permet rayonnement qu’il reçoit(1). Selon cette
pas d’expliquer pourquoi l’effet de Nous nous concentrerons tout d’abord loi fondamentale, la puissance émise P
serre de la Terre varie lorsque la sur la notion d’équilibre radiatif d’un
concentration de CO2 varie. En effet, objet, c’est-à-dire l’équilibre thermique (1) Ainsi le Soleil est un corps noir (idée non
dans les conditions actuelles, l’ab- d’un corps sous l’unique effet de l’ab- dépourvue de poésie) parce que, dans son volume,
sorption et de l’émission de rayonne- le rayonnement est sans cesse absorbé et émis par
sorption sur toute la hauteur de l’at- le plasma. La surface du Soleil est la région d’où
mosphère du rayonnement infra- ment. Nous négligerons donc, dans un le rayonnement s’échappe dans l’espace, avec les
rouge par le dioxyde de carbone est premier temps, tout effet de conduction caractéristiques de l’équilibre matière-rayonne-
quasi maximale : elle ne dépend que thermique et de convection. ment sous-jacent.
très faiblement d’une variation de la
concentration de ce gaz. On dit
Figure 1 - Dans les conditions atmosphériques actuelles, contributions à l’effet de serre des principaux gaz absor-
qu’elle est saturée. Nous en expli- bants pour une atmosphère sans nuage (Kiehl et Trenberth, 1997).
quons les raisons dans cet article et
présentons un modèle alternatif qui,
quoique simple, prend correctement Effet de serre ciel clair
CH4
en compte les différents mécanismes N2O O
et permet de comprendre l’accroisse- (W.m-2) (%) 3
ment de l’effet de serre lorsque la Vapeur d'eau 75 60 %
concentration de CO2 augmente ainsi
CO2 32 26 %
que le réchauffement climatique H2O
associé. Le rôle du gradient vertical Ozone 10 8% CO2
de température dans l’atmosphère est N2O + CH4 8 6%
particulièrement souligné. Total ciel clair 125 100 %
…
32 La Météorologie - n° 72 - février 2011
Figure 2 - Représentation schématique des échanges radiatifs (a) pour une surface parfaitement absorbante sur
une face et parfaitement isolée thermiquement sur l’autre et (b) pour la même surface recouverte par une vitre
totalement transparente au rayonnement solaire et totalement opaque et absorbante au rayonnement infrarouge.
4
S S σTv
σT54 vitre TV
σTv4 σT40
surface Ts surface T0
isolant isolant
a) b)
La Météorologie - n°72 - février 2011 33
0,9
Figure 3 - À gauche : lesquels contribuent à l’albédo pour
spectre de rayonne- environ les deux tiers de sa valeur. Il
0,8 ment reçu du Soleil
par mètre-carré de
conviendrait donc mieux de prendre
0,7 surface terrestre, A = 0,1 pour l’application numérique,
25°C
Intensité (W/m nm)
atmosphérique.
0,5 À droite : spectre
de rayonnement
0,4 émis par mètre-
0,3
Sensibilité de
l'œil humain carré de sol. Le modèle
0,2 l’espace (de de l’effet de serre
0,1
l’équateur aux
pôles) et dans
atmosphérique parfait
0
le temps. Il Le modèle le plus simple pour rendre
0,2 0,5 1,0 5,0 10,0 50,0 convient donc compte de l’effet de serre atmosphé-
Infrarouge
de répartir le rique est calqué sur le modèle de la vitre
Proche
UV Visible rayonnement du paragraphe précédent : l’atmosphère
infrarouge de grande longueur d'onde
le rayonnement terrestre, celui-ci ne se sorte que la température d’équilibre de Qu’en est-il de l’effet d’une augmenta-
perçoit pas de l’extérieur du système. À la Terre se trouve augmentée par rap- tion de la concentration en gaz à effet de
l’équilibre, nous avons égalité entre la port au cas où on la suppose sans serre ? Les éléments réunis jusqu’ici sug-
puissance absorbée et la puissance atmosphère. C’est ce qu’on désigne par gèrent l’explication simple suivante :
émise, ce qui s’écrit : l’analogie de l’effet de serre idéalisé. lorsque la concentration d’un gaz à effet
de serre augmente, l’absorption du
(1 - A)S = σTA4 (8)
rayonnement infrarouge augmente en
Cette équation est formellement iden- Insuffisances conséquence ainsi que la température de
l’atmosphère ; il s’ensuit une augmenta-
tique à l’équation (7), sauf que c’est
maintenant la température TA qui appa- des hypothèses tion de la puissance du rayonnement
émis par l’atmosphère vers la surface de
raît. Pour une valeur de l’albédo A = 0,31,
Il convient cependant de s’interroger la Terre, par conséquent une augmenta-
on trouve TA = 255 K, soit -18 °C.
sur cet écart quantitatif. A priori, il ne tion de la température de celle-ci.
doit pas trop surprendre au vu de la
2e étape : plaçons-nous maintenant au
complexité des échanges énergétiques Il se trouve que cette explication est accep-
niveau du sol. À l’équilibre, il y a égalité
qui se déroulent en réalité et qui sont table pour interpréter et obtenir le bon
entre puissance absorbée et puissance
schématisés sur la figure 4. ordre de grandeur d’une variation de l’effet
émise. La puissance absorbée est com-
de serre résultant d’une variation de la
posée de deux termes : celle (1 - A)S
En particulier : concentration de vapeur d’eau. En revan-
provenant du Soleil et qui n’est pas
– l’atmosphère n’est pas complètement che, elle n’est pas valable pour une varia-
réfléchie, et celle σTA4 émise par l’at-
transparente au rayonnement solaire : la tion de la concentration de dioxyde de
mosphère en direction de la Terre. La
formation et la dissociation de l’ozone carbone. Le détail de l’argument est donné
puissance émise est σ T 4S . On écrira
stratosphérique absorbent une partie du dans l’Annexe. Précisons ici un terme de
donc :
rayonnement ultraviolet et la vapeur vocabulaire : on appelle absorptivité de
(1 - A)S + σTA4 = σTS4 (9) d’eau absorbe une partie du rayonne- l’atmosphère l’absorption du rayonnement
ment solaire dans le proche infrarouge ; sur toute la hauteur de l’atmosphère.
Compte tenu de l’équation (8), on – l’atmosphère n’est pas totalement Lorsque l’absorptivité vaut 1 pour une cer-
trouve : opaque au rayonnement terrestre : il taine longueur d’onde, tout le rayonnement
existe un domaine de longueurs d’onde émis par le sol est absorbé par l’atmo-
σTS4 = 2(1 - A)S (10) dans lequel l’atmosphère est transpa- sphère avant d’atteindre l’espace.
rente (B sur la figure 4) ;
On retrouve la même équation que pour – la surface ne fait pas qu’émettre du Les calculs complets des échanges radia-
une serre idéalisée à une vitre (équa- rayonnement, une partie de son énergie tifs montrent que l’absorptivité du rayon-
tion 6) mais dans laquelle le rayonne- sert à l’évaporation de l’eau des océans, nement infrarouge émis par la Terre par
ment solaire absorbé n’est plus S mais laquelle est restituée lors de la conden- le dioxyde de carbone augmente très peu
(1 - A)S. La température d’équilibre de sation de la vapeur d’eau en altitude (G avec sa concentration, alors que ces
la surface, dans ce modèle simplifié à sur la figure 4) ; mêmes calculs montrent que l’effet de
l’extrême, est 21/4 fois plus grande que – l’hypothèse d’une atmosphère ayant une serre, lui, augmente. Du point de vue
celle de l’atmosphère. Elle vaut donc température homogène est évidemment expérimental, cet effet de « saturation »
255 × 21/4, soit 303 K ou 30 °C. fausse : nous savons bien que la température de l’absorption a été observé par Knut
diminue lorsque l’altitude augmente, qu’il Ångström (1900), ce qui l’a amené à
L’effet est surestimé car la température existe un gradient thermique vertical. remettre en cause le premier calcul du
moyenne de la Terre est plutôt 15 °C, rôle du CO2 sur l’effet de serre terrestre
mais qualitativement on comprend ce La surestimation quantitative de l’effet publié par Svante Arrhenius (1896),
qui se passe : la puissance émise par de serre obtenue au paragraphe précé- quelques années auparavant. Pour com-
l’atmosphère en direction de la Terre dent ne remet cependant pas en cause, à prendre pourquoi l’effet de serre de la
s’ajoute au rayonnement solaire, de ce stade, le mécanisme proposé. vapeur d’eau et celui du dioxyde de car-
bone ne peuvent pas être expliqués de la
Rayonnement 235 Émission même façon, il convient d’examiner plus
107 solaire réfléchi Rayonnement solaire d'infrarouges
342 incident 342 w/m2
107 W/m2 vers l'espace en détail les propriétés d’absorption de
A E
I ces deux gaz.
Réflexion par 195
les nuages, l'air 77
et les aérosols Émis par 40 B
77 l'atmosphère F Fenêtre
et les nuages 195 atmosphérique
Absorbé par
l'atmosphère
Gaz à effet
Qu’est-ce qu’un gaz à
67 et les nuages
Chaleur
de serre
effet de serre ?
24 78 latente
D
C B C’est un gaz dont les molécules sont
324
40 Rayonnement
Réfléchi par 350 susceptibles d’absorber une partie du
la surface G infrarouge
30
H rayonnement infrarouge qu’il reçoit de
vers le sol
390 J
Rayonnement 324
la Terre.
168 24 78 infrarouge
Absorbé par la surface Absorbé par
Chaleur Évapo- émis la surface
sensible transpiration par la surface La figure 5 montre les propriétés d’ab-
Figure 4 - Échanges énergétiques Terre-atmosphère-espace, exprimés en W.m . On reconnait les principaux termes du modèle
-2 sorption des gaz à effet de serre pour
simplifié : A : rayonnement solaire incident ; C : rayonnement infrarouge émis par la Terre ; D : rayonnement émis par l’at- une atmosphère terrestre « moyenne »,
mosphère vers la Terre ; F : rayonnement émis par les hautes couches de l’atmosphère vers l’espace.(Kiehl et Trenberth, 1997). sans nuage. La gamme de longueurs
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Absorptivité
sorptivité vaut 1 pour une grande plage actuelle (proche de 360 ppm),
de longueurs d’onde, notamment entre l’absorptivité du rayonnement H20 (5kg/m2)
0,5 H20 (20kg/m2)
5 et 8 micromètres, puis au-delà de infrarouge par l’atmosphère ne H2O (40 kg/m2)
16 micromètres. Pour le dioxyde de car- change pratiquement pas. CO2
bone, l’absorptivité est totale autour de Rappelons que la valeur était de
5 et 15 micromètres. 280 ppm il y a une centaine
d’années et de 180 ppm pendant 0
Notons, entre 8 et 16 micromètres, une les périodes glaciaires. 4 8 16 32
fenêtre d’absorption faible qui implique Longueur d’onde (micromètre)
que dans cette gamme de longueurs Au vu de ces courbes, il semble
d’onde le rayonnement émis par la sur- qu’un doublement de la concentration en
face de la Terre traverse l’atmosphère et dioxyde de carbone n’ait presque aucun
s’échappe dans l’espace : il s’agit des effet sur l’absorptivité. Mais si l’absorp-
40 W/m2, marqués B, de la figure 4. tivité du rayonnement par le dioxyde de
carbone ne change pas, l’effet de serre
La saturation
Ces courbes dépendent a priori de la ne devrait pas changer et la température de l’absorption
quantité de gaz présente dans l’at- d’équilibre de la Terre non plus !
mosphère. On peut donc se demander Pourquoi tant s’inquiéter, alors, d’une du rayonnement
ce qu’il advient si l’on modifie ces augmentation des émissions de ce gaz ? Une façon de synthétiser ces propriétés
consiste à calculer l’absorptivité de l’at-
1 mosphère, moyennée sur tout le spec-
tre, pour le rayonnement infrarouge
180 ppm émis par la surface de la Terre. Il suffit
0,8 360 ppm pour cela de pondérer la valeur de l’ab-
sorptivité pour chaque longueur d’onde
720 ppm (cf. figures 6 et 7) par le flux du rayon-
nement émis par la surface à cette lon-
Absorptivité
a) b)
15 micromètres ; pour la
1 1
vapeur d’eau, c’est le cas
pour les longueurs d’onde
Absorptivité moyenne
Absorptivité moyenne
0,8 0,8
entre 6 et 8 micromètres et
0,6 0,6
au-dessus de 20 micromè-
atm. standard tres. Comment le rayonne-
atm. sans H2O
0,4 0,4 ment est-il émis et absorbé
dans ces parties du spectre
0,2 0,2 infrarouge pour lesquelles
l’absorptivité est saturée ?
0 0
0 250 500 750 1000 1250 0 20 40 60 80
Le mécanisme est le suivant :
Concentration de CO2 Quantité intégrée de H2O (kg/m2)
dans ces domaines de lon-
gueur d’onde, le rayonne-
Figure 8 - Absorptivité de l’atmosphère, moyennée sur tout le spectre infrarouge du rayonnement émis par la sur- ment émis par la surface de la Terre est
face de la Terre :
a) en fonction de la concentration en dioxyde de carbone, en ppm, pour une atmosphère sans vapeur d’eau (tirets totalement absorbé par les basses cou-
rouge) ou avec une concentration de vapeur d’eau moyenne de 25 kg.m-2 (ligne continue bleue) ; ches de l’atmosphère. Celles-ci émet-
b) en fonction de la masse totale de vapeur d’eau par unité de surface. tent leur propre rayonnement dans
toutes les directions – vers la surface et
Les résultats pour différentes valeurs saturées, l’accroissement plus lent de vers l’espace – et ainsi de suite de pro-
des concentrations sont présentés sur l’absorptivité provient du comblement che en proche, en montant en altitude.
les figures 8a et 8b. progressif de la fenêtre d’absorption Puis vient un moment où la quantité de
faible entre 8 et 20 micromètres (cf. gaz absorbant, située au-dessus de la
Pour le dioxyde de carbone, la « satura- figure 7). Cette augmentation continue couche émettrice considérée, devient
tion » de la bande d’absorption à de l’absorptivité moyenne en fonction suffisamment faible pour qu’une partie
15 micromètres visible sur la figure 6 se de la concentration de vapeur d’eau fait du rayonnement qu’elle émet puisse
reflète dans le fait que la courbe de la que le modèle simple d’effet de serre à s’échapper vers l’espace. Il ne s’agit
figure 8a est pratiquement plate pour des une vitre rend compte au premier ordre pas, bien sûr, d’une altitude précise car,
concentrations supérieures à environ de ce qui se passe : l’accroissement de la d’une part, le phénomène est continu et,
200 ppm. L’absorptivité moyenne aug- concentration en vapeur d’eau augmente d’autre part, il dépend de la longueur
mente fortement avec la concentration de l’absorptivité du rayonnement infra- d’onde.
CO2 uniquement pour des concentra- rouge par l’atmosphère, qui entraîne une
tions inférieures à quelques dizaines de augmentation de l’effet de serre compa- Ainsi, pour chaque longueur d’onde,
ppm, jusqu’à ce que l’absorption par la rable à celle que l’on obtient avec des on peut décomposer de façon schéma-
bande à 15 micromètres soit saturée. Au- modèles radiatifs détaillés. Le calcul est tique l’atmosphère en deux couches
dessus de cette concentration, l’absorpti- présenté en annexe. (figure 9a). Une première, aux basses
vité n’augmente presque plus avec la altitudes, pour laquelle le rayonnement
concentration de CO2, et cette augmenta- émis n’atteint jamais l’espace, car il est
tion est encore plus faible lorsque l’at-
mosphère contient de la vapeur d’eau(1).
La notion d’altitude absorbé par la région de l’atmosphère
située au-dessus. On dit que cette couche
Si l’on utilise cette variation de l’absorp- d’émission est aveugle, qu’elle ne voit pas l’espace et
tivité dans un modèle de serre à une vitre que réciproquement elle n’est pas vue
(cf. Annexe), on trouve qu’un double- La question demeure entière cependant, depuis l’espace. La seconde couche est
ment de la concentration de CO2 entraîne concernant la partie du spectre où l’ab- constituée de l’atmosphère au-dessus de
une augmentation de l’effet de serre sorptivité est totale, saturée. Pour le la précédente. Le rayonnement qu’elle
environ 7 fois plus faible que les estima- dioxyde de carbone, c’est le cas pour émet vers le haut atteint l’espace, au
tions basées sur des modèles radiatifs des bandes d’absorption autour de 5 et moins partiellement. Et réciproquement,
détaillés.
Altitude (Z)
Altitude (Z)
c’est cette couche qui est vue depuis Or le gradient thermique dans les 10 à Pour simplifier, nous prendrons dans
l’espace, notamment par les radio- 15 premiers kilomètres de l’atmosphère la suite un gradient vertical de tempé-
mètres à bord des satellites. (appelée troposphère) est bien connu : il rature dans l’atmosphère constant.
est contrôlé par les mouvements de Le point essentiel est qu’il est indé-
On peut calculer l’altitude moyenne à convection atmosphérique. De quoi pendant des échanges radiatifs
laquelle le rayonnement qui atteint s’agit-il ? et indépendant de la concentration en
l’espace a été émis. Cette altitude est CO2.
appelée altitude d’émission et cette Lorsqu’une masse d’air est au contact
notion nous permet de construire une avec un sol un peu plus chaud qu’elle,
image mentale simplifiée des échanges elle acquiert une température un peu
radiatifs avec l’espace lorsque l’absorp- supérieure à l’air environnant, sa densité
tion dans l’atmosphère est saturée : le
rayonnement vu depuis l’espace est
diminue, et elle subit un mouvement
ascendant (c’est un effet de poussée
Accroissement
émis par l’atmosphère à une altitude d’Archimède dans l’air). Cette montée de l’effet de serre
d’émission Ze, et la puissance émise
dépend, comme nous l’avons vu, de la
s’effectue pratiquement sans échange
thermique avec l’air environnant car l’é-
pour une atmosphère
température à cette altitude d’émission. chelle de temps est plus rapide que celle dont l’absorption
de la conduction thermique. Comme la
Sur Terre, l’altitude d’émission, dans les pression de l’air environnant diminue est saturée
domaines spectraux correspondant aux avec l’altitude, la masse d’air en ascen-
Nous sommes maintenant en mesure de
bandes d’absorption de H2O ou du CO2, sion se détend, se dilate et, par consé-
répondre à notre question : si l’absorpti-
est de l’ordre de quelques kilomètres, quent, se refroidit (c’est le phénomène
vité du rayonnement émis par la surface
disons de 3 à 8 km. Cela signifie qu’en inverse d’une compression sans échange
terrestre est déjà saturée (donc maxi-
dehors de la fenêtre de transparence de thermique qui produit une élévation de
male), par quel mécanisme l’augmenta-
l’atmosphère (entre 8 et 13 micromètres), température, comme on le constate en
tion de la concentration d’un gaz
tout se passe comme si le rayonnement qui gonflant un pneu de bicyclette avec une
absorbant peut-elle augmenter l’effet de
sort du système Terre-atmosphère avait été pompe). Cette détente est dite adiaba-
serre, et donc la température de surface
émis par la région de l’atmosphère au- tique, ce qui signifie sans échange de
de la Terre ?
dessus de 3 à 8 km d’altitude. chaleur avec l’air environnant. La
thermodynamique permet de calculer la
Négligeons la dépendance spectrale
Que se passe-t-il lorsque la quantité de diminution de température avec l’alti-
et supposons que l’absorption soit
gaz absorbant augmente ? Du fait de tude, qu’on appelle le gradient adiaba-
saturée dans tout le domaine infra-
l’augmentation de l’absorption, un tique (cf. Annexe). Pour un air sans
rouge. L’équilibre radiatif de la Terre
rayonnement émis à une altitude donnée vapeur d’eau, il s’agit d’environ 1 °C
peut alors être schématisé de la façon
est absorbé sur des distances plus cour- tous les 100 m, et pour un air contenant
suivante : à l’altitude Ze, le rayonne-
tes que précédemment, comme schéma- de la vapeur d’eau, environ 0,6 à 0,8 °C
ment émis vers l’espace équilibre le
tisé sur la figure 9b. Le rayonnement tous les 100 m selon l’humidité de l’at-
rayonnement solaire incident, dimi-
émis vers le haut au milieu de l’at- mosphère (la condensation de vapeur
nué de la partie réfléchie. Si l’on sup-
mosphère, qui était précédemment par- d’eau en gouttelettes apporte de l’éner-
pose que l’atmosphère à cette altitude
tiellement absorbé avant d’atteindre le gie à l’air, donc le refroidissement est
émet comme un corps noir, sa tempé-
sommet de l’atmosphère, l’est mainte- moins rapide selon la quantité d’eau
rature T1 doit être telle que la puis-
nant totalement. La partie de l’at- condensée). Dans les régions tropicales
sance σT 41 rayonnée par l’atmosphère
mosphère qui voit l’espace se réduit par et aux moyennes latitudes, le gradient
équilibre la puissance Fs = (1 - A)S
le bas tandis que la partie aveugle de observé est très proche de la valeur théo-
l’atmosphère augmente. En consé- rique, aussi bien en été qu’en hiver, et reçue du Soleil (f igure 10a). On a
quence, l’altitude d’émission augmente. les raisons de ce bon accord sont bien donc :
C’est le point crucial. comprises (Xu et Emanuel, 1989). (1 - A)S = σT 41
Figure 10 - Schémas illustrant la variation de l’effet de serre et de la température consécutifs à une augmentation
de la concentration en gaz à effet de serre pour lequel l’absorptivité est déjà saturée :
Prise en compte a) atmosphère de référence, à l’équilibre ;
b) l’altitude d’émission augmente, le rayonnement infrarouge émis vers l’espace diminue, il y a déséquilibre ;
du gradient de c) un nouvel équilibre est atteint avec une température plus élevée de l’atmosphère et de la surface.
Ce schéma contient la clef de la compréhension de l’effet de serre pour une atmosphère dont l’absorptivité est
température vertical saturée.
Nous avons vu précédemment que cette Néanmoins, il existe une différence qu’il change de signe vers 10-15 km
température est(1) de 255 K pour les importante entre l’effet de serre à N d’altitude : dans la stratosphère en effet,
valeurs A = 0,31 et S = 342 W.m -2. vitres et le modèle fondé sur la notion l’absorption du rayonnement UV par
Lorsque la concentration de gaz absor- d’altitude d’émission et de gradient de l’ozone et le dioxygène induit une aug-
bant augmente, nous avons également température imposé. Dans le premier mentation de la température avec l’alti-
vu que l’altitude d’émission augmente cas, on trouve que la température de la tude. Si l’on applique le raisonnement
et prend une valeur Z2 supérieure à la surface, par rapport à sa valeur en présenté dans cet article à cette région,
valeur précédente Z1 (figure 10b). En l’absence de vitre, est multipliée par on trouve qu’une augmentation de l’al-
raison de l’existence du gradient verti- (N + 1)1/4, et que les vitres successives titude d’émission augmente la tempéra-
cal de température, la température T2 du ont une température décroissante jus- ture d’émission et donc diminue l’effet
gaz à cette nouvelle altitude est infé- qu’à la Ne, dont la température d’équili- de serre. Des considérations plus com-
rieure à la température précédente T1. bre est celle de la surface sans vitre. On plètes montrent cependant que la stra-
Comme la température d’émission est trouve donc bien un gradient de tempé- tosphère se refroidit lorsque le CO 2
plus petite, la puissance du rayonne- rature, mais celui-ci est déterminé par augmente et que globalement la stra-
ment émis est plus faible. Conclusion : les propriétés radiatives des vitres. Dans tosphère a un comportement neutre
le système n’est plus à l’équilibre, car il l’effet de serre atmosphérique, le gra- lorsque le CO2 varie.
reçoit plus d’énergie du Soleil qu’il dient de température est imposé par les
n’en émet ! Conséquence : le haut de mouvements convectifs et les échanges Enfin, si nous avons analysé comment
l’atmosphère se réchauffe, et du fait des radiatifs entre les diverses couches une variation de la concentration de l’at-
mouvements de convection, cet échauf- s’adaptent à ce gradient. mosphère en gaz absorbant modifiait les
fement se propage à toute l’atmo- échanges par rayonnement, l’effet de
sphère, en maintenant constant le serre et finalement la température, nous
gradient vertical de température jusqu’à n’avons pas pris en compte les phéno-
ce qu’un nouvel équilibre soit atteint Conclusion mènes de rétroaction : un changement
(figure 10c). de température peut modifier la compo-
Dans cet article, nous avons présenté un sition de l’atmosphère et donc l’effet de
Nous voyons donc que même si l’ab- modèle qui prend en compte deux serre, et finalement la température. Cet
sorptivité d’une atmosphère est saturée, aspects essentiels de l’effet de serre effet est particulièrement important pour
c’est-à-dire même si l’atmosphère souvent négligés dans les modèles les la vapeur d’eau : à humidité relative
absorbe déjà tout le rayonnement émis plus simplistes : l’existence d’un gra- constante, un accroissement de tempéra-
par la surface terrestre, l’effet de serre dient vertical de température atmosphé- ture de 3 °C autour de 15 °C augmente
peut néanmoins augmenter si la quan- rique et la saturation de l’absorption du la quantité de vapeur d’eau atmosphé-
tité de gaz absorbant augmente. Et nous rayonnement infrarouge par le dioxyde rique d’environ 5 kg/m2 (soit 25 %). Il
avons vu que la variation de l’altitude de carbone. en résulte une augmentation de l’ab-
d’émission et l’existence d’un gradient sorptivité de l’atmosphère, un comble-
vertical de température jouaient un rôle Pour le CO2, il est indispensable d’in- ment partiel de la « fenêtre atmo-
clef dans le mécanisme de variation de troduire la notion d’altitude d’émission sphérique » et un renforcement de l’effet
l’effet de serre. et de sa variation avec la variation de la de serre. La variation de la quantité de
concentration en CO2. Pour la vapeur vapeur d’eau modifie également le gra-
Après coup, ce résultat était-il prévisi- d’eau, en revanche, le modèle d’une dient vertical de température, ce qui à
ble ? Avec le modèle à une vitre, l’effet serre à une vitre (ou d’un capteur tendance à diminuer l’effet précédent.
de serre est maximal lorsque la vitre solaire) dont l’eff icacité augmente Au total, l’augmentation de la quantité
absorbe tout le rayonnement infra- lorsque l’absorption de la vitre aug- de vapeur d’eau reste la rétroaction posi-
rouge. Mais que se passe-t-il si l’on mente permet d’expliquer au premier tive la plus importante, les autres étant
place deux vitres absorbant chacune ordre les résultats. dues au changement des nuages, de la
totalement le rayonnement infrarouge couverture de neige ou de glace (Bony
au lieu d’une seule ? L’absorption totale L’interprétation de l’effet de serre pré- et Dufresne, 2007). Enfin, un change-
ne change pas, elle est toujours maxi- sentée dans cet article comporte encore ment de température peut également
male et égale à 1. En revanche, la vitre d’importantes simplifications. Par exem- affecter les puits de carbone et donc la
n° 1 a un effet de serre sur la vitre n° 2 ple, le traitement d’un mélange de concentration de CO2, ce qui constitue
qui a un effet de serre sur la surface. Il vapeur d’eau et de dioxyde de carbone une autre boucle de rétroaction
est facile de montrer que la température pose le problème du recouvrement des (Friedlingstein et al., 2007). Ces phéno-
de surface augmente avec le nombre de spectres d’absorption de ces deux molé- mènes de rétroaction ont une forte
vitres (cf. Annexe). Sur cet exemple à cules. Néanmoins, une explication quali- influence sur l’amplitude des variations
N vitres, on voit clairement que l’effet tative satisfaisante peut être obtenue en de la température de la Terre et sont la
de serre peut être augmenté même si remarquant que la vapeur d’eau est prin- principale source d’incertitude de son
l’absorption est déjà totale. Le fait cipalement située dans la basse estimation.
d’avoir plusieurs vitres permet à ces atmosphère alors que le CO2 est mélangé
vitres d’avoir des températures diffé- de façon homogène dans les 50 premiers Il existe plusieurs ouvrage de référence
rentes, c’est-à-dire d’introduire un gra- kilomètres de l’atmosphère. Le raisonne- sur le calcul des échanges radiatifs dans
dient vertical de température. ment que nous avons fait est donc vala- les atmosphères (Goody et Yung 1995 ;
ble en considérant le CO2 situé au-dessus Liou 2002 ; De Moor, 2007) et il existe
de la vapeur d’eau. également plusieurs familles de modè-
(1) Pour une atmosphère standard, dont la tempé- les de transfert radiatif, bien documen-
rature de surface est de 288 K et le gradient verti-
cal de température de -6,5 K/km, cette
Une autre simplification importante tés dans la littérature scientifique, qui
température correspond à une altitude de 5 km consiste à supposer que le gradient ver- permettent de calculer les échanges
environ. tical de température est constant, alors radiatifs dans l’atmosphère avec une
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grande précision. Ces modèles peuvent serre est un résultat de ces calculs et, interpréter la variation de l’effet de
être considérés comme des références par exemple, l’émission vers l’espace serre dû au CO2. Le modèle à N vitres
pour nos besoins. En calculant les du rayonnement infrarouge terrestre est permet de résoudre le paradoxe de l’ef-
échanges radiatifs pour une atmosphère traitée dans toute sa complexité et non fet de saturation mais, en revanche, il ne
donnée, et pour la même atmosphère en terme d’une altitude d’émission. Le représente pas le fait que dans l’at-
dans laquelle on met alternativement à cas d’une atmosphère dépourvue de mosphère ce sont les échanges par
zéro la concentration de chacun des gaz nuages et d’aérosols est aujourd’hui convection qui régissent le gradient ver-
absorbants (CO2, H2O, O3...), on peut bien compris. Le calcul du bilan radiatif tical de température. Par cet article,
estimer la contribution moyenne de ces de la Terre en réponse à une modifica- nous espérons avoir contribué à com-
différents gaz à l’effet de serre sur le tion de la concentration en dioxyde de bler ces lacunes. C’est ce qui justifie de
globe, dans les conditions actuelles carbone repose sur des bases physiques traiter, comme nous l’avons fait, les
(figure 1, Kiehl et Trenberth, 1997). On solides et ne comporte plus de difficulté propriétés d’absorption de façon glo-
peut également quantifier la perturba- fondamentale. Les climatologues se bale et dans une géométrie simplifiée.
tion de l’effet de serre. Comme autre concentrent sur la modélisation de phé-
résultat classique, citons qu’un double- nomènes plus difficiles : changement
ment de la concentration de CO2 aug- de la concentration de vapeur d’eau,
mente l’effet de serre de 3,7 W.m-2. rôle des nuages et des aérosols, etc. Remerciements
Pour terminer, il convient de préciser le Il n’empêche qu’il est important d’éla- Les calculs radiatifs présentés dans cet
statut des modèles très simples discutés borer des modèles simples qui permet- article ont été réalisé avec le modèle
ici et de bien les différencier des modè- tent de comprendre les mécanismes à SBDART (Ricchiazzi et al., 1998). Ce
les beaucoup plus complets utilisés par l’œuvre. Comprendre, c’est être capable modèle, à bande étroite, n’est pas à
les spécialistes. Dans ces approches de se faire une représentation mentale proprement parler un modèle radiatif de
détaillées, les bilans radiatifs des diffé- qualitative de ces mécanismes. Mais référence. Néanmoins, sa précision est
rentes couches sont effectués à partir simple ne veut pas dire simpliste : nous largement suffisante pour la plupart
des données moléculaires et dans une avons vu que le modèle de l’effet de des applications climatiques ou les
géométrie tridimensionnelle. L’effet de serre à une vitre est très incomplet pour exemples présentés ici.
Annexe
Modèle d’atmosphère isotherme partiellement absorbante
(modèle à une vitre) et sensibilité de l’effet de serre à l’absorption
L’atmosphère est modélisée par une couche homogène (une vitre) de température Ta, dont l’absorptivité est α ∼ dans le domaine
− dans le domaine infrarouge. La diffusion du rayonnement solaire par l’atmosphère (nuages, aérosols,a gaz, etc.) est trai-
visible et α a
tée de la façon simplifiée suivante : une fraction r du rayonnement solaire incident S est réfléchie vers l’espace avant de pénétrer
dans l’atmosphère, laquelle reçoit par conséquent le flux Si = (1 - r)S. Le sol est modélisé par une surface opaque de température T,
d’absorptivité α∼ dans le domaine visible et qui vaut 1 dans le domaine infrarouge. On suppose que l’absorptivité est égale à
S
− et ε = α
l’émissivité dans le domaine infrarouge : εa = α − = 1 (loi de Kirchhoff, étendue à une plage spectrale).
a S S
Considérons successivement le rayonnement solaire incident, le rayonnement émis par l’atmosphère et le rayonnement émis par la Terre.
1) Rayonnement solaire
Le flux pénétrant Si est en partie absorbé par l’atmosphère ; une partie de ce qui la
traverse est absorbée par le sol, le complément est réfléchi ; une partie de ce qui
Si est réfléchi est absorbé par l’atmosphère et le reste s’échappe enfin vers l’espace.
∼ )2(1 - α
(1 - α ∼ )S
a S i
∼S ∼ (1 - α
∼ )(1 - α
∼ )S
α a i α a
∼ )S
(1 - αa i
S
a i atmosphère
∼ )(1 - α
(1 - αS
∼ )S
a i
sol
∼ (1 - α
α ∼ )S
S a i
absorbé.
atmosphère
εa σT 4a
sol
εa σT 4a
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3) Rayonnement infrarouge émis par le sol
− ) σT 4
(1 - αa S
La situation est simple : une partie est absorbée par l’atmosphère, le reste s’échappe vers
− σT 4
αa S atmosphère l’espace.
Nous pouvons maintenant écrire deux bilans radiatifs : pour l’atmosphère, pour le sol. Dans
σT 4S chaque cas, nous écrivons qu’il y a équilibre entre l’énergie absorbée et l’énergie émise.
sol
Pour l’atmosphère :
αa[ ( ∼ S)(1 - α∼ a)]Si + α−a σT 4S = 2 εa σT 4a
∼ 1+ 1-α
Pour la surface :
∼ 1-α∼ S + ε σT 4 = σT 4
α S( a) i a a S
Cherchons maintenant à calculer la sensibilité de l’effet de serre à une variation de l’absorption du rayonnement infrarouge par l’at-
mosphère. Ce calcul consiste à déterminer la variation du rayonnement infrarouge à la tropopause (vers 15 km, à la base de la stra-
tosphère) en réponse à une variation de la concentration d’un gaz, en maintenant fixe la température de l’atmosphère et celle de la
surface. Ce calcul peut être facilement mis en œuvre avec toute sorte de modèles radiatifs, dont des modèles très précis et très
coûteux en temps de calcul. Cette variation du rayonnement infrarouge s’appelle le « forçage radiatif » et, dans notre cas, cela cor-
respond à une variation de l’effet de serre.
Avec notre modèle, le flux infrarouge au sommet de l’atmosphère est donné par : F = (1 - α − σT 4 + α − σT 4
a) S a a
−
(on a tenu compte du fait que ε = α ). La variation de ce flux rapporté à la variation de l’absorptivité de l’atmosphère est par conséquent :
a a
∂F
4 4
− = - σT S + σT a .
∂α a
∂F
Avec les valeurs numériques de notre exemple, on trouve = 146 W.m-2.
−
∂α a
Pour une augmentation de la vapeur d’eau de 20 % par rapport à une valeur caractéristique de 30 kg.m-2, un code radiatif classique
donne une augmentation de l’effet de serre de 4,1 W.m-2 et une augmentation de l’absorption de ∆ α − ≅ 0,036. Avec le pré-
a
∂F
− = 5,3 W.m-2, en relativement bon accord avec
sent modèle, cette variation induit une variation de l’effet de serre de ∆F = –––– ∆ αa
−
∂α a
la valeur du modèle radiatif classique.
Pour un doublement de CO2, (de 360 ppm à 720 ppm) et pour une atmosphère dont le contenu en vapeur d’eau est de 30 kg.m-2,
on obtient avec le même code radiatif une augmentation de l’effet de serre à la tropopause de 4,7 W.m-2 (cette valeur est calculée
pour une atmosphère sans nuage, ce qui explique qu’elle soit plus élevée que celle de 3,7 W.m-2 mentionnée dans la conclusion de
− ≅ 0,0045. Cette valeur, petite, traduit la saturation de l’absorption du
l’article) et une augmentation de l’absorption de ∆ α a
∂F
dioxyde de carbone. Le présent modèle conduit alors à une variation de l’effet de serre de : ∆F = − = 0,7 W.m-2, valeur sept
∆αa
∂ −aa
fois plus faible que la valeur de référence.
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On voit ainsi que si le modèle de serre à 1 vitre prévoit un effet de serre et une température de surface de la Terre proches des esti-
mations classiques ainsi qu’une estimation satisfaisante de la sensibilité de l’effet de serre à une variation de la concentration en
vapeur d’eau, en revanche, ce modèle n’est pas pertinent pour estimer la sensibilité de l’effet de serre à une variation de la concen-
tration d’un gaz dont l’absorption est saturée : pour le CO2, la sensibilité de l’effet de serre est sous-estimée d’un facteur 7.
TN-1
4
2σT N-1 = σT N4 + σT N-2
4
TN-2
4 4 4
2σT N-2 = σT N-1 + σT N-3
……………………………………………………
T2
2σT 24 = σT 34 + σT 14
T1 2σT 14 = σT 24 + σT 04
σT 04 = σT 14 + S
T0
1/4
S
En additionnant toutes les équations, on obtient la relation σT N4 = S, puis par report de proche en proche, TN-i = (i+1)1/4 ( )
σ
, d’où
T0 = (N+1)1/4 ( σS ) 1/4
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