Vous êtes sur la page 1sur 2

TRADUCTION DES PAROLES DU CANTAR DEL ALMA D’APRES UN TEXTE DE SAINT-JEAN DE LA CROIX POUR CHŒUR MIXTE & ORGUE

DE FREDERIC MONPOU
CANTAR1 DEL ALMA LE CHANT DE L’ÂME

Aquella eterna fuente está escondida, Cette source éternelle est cachée,
Que bien sé yo do2 tiene su manida3 Et moi je sais bien où elle a sa demeure/d’où elle jaillit3,
Aunque es de noche. Même s’il fait nuit.

Su origen no lo sé, pues no le4 tiene, Son origine, je ne la connais pas, car elle n’en a pas,
Mas sé que todo origen de ella5 viene Mais je sais que tout origine vient d’elle,
Aunque es de noche. Même s’il fait nuit.

Sé que no puede ser cosa tan bella, Je sais qu’il ne peut être chose aussi belle,
Y que cielos y tierra beben de ella5 Et que les cieux et la terre s’en abreuvent,
Aunque es de noche. Même s’il fait nuit.

Aquesta6 eterna fuente está escondida Cette source éternelle est cachée
En este vivo pan por darnos vida Dans ce pain vivant pour nous donner la vie
En esta noche oscura que bien sé yo por fe la fonte frida7 Dans cette nuit obscure, dont je connais par la foi, la source fraîche

Sé ser tan caudalosas sus corrientes8, Je sais être si puissants ses courants
Que infiernos9 cielos riegan y a las gentes Qu’ils arrosent les enfers, les cieux et les gens,
Aunque es de noche. Même s’il fait nuit.

El corriente8 que nace de esta fuente Le courant qui naît de cette source,
Bien sé que es tan capaz y tan potente10 Je sais bien qu’il est si capable et si puissant,
Aunque es de noche. Même s’il fait nuit.

Aquesta viva fuente que deseo Cette source vive que je désire
En este pan de vida yo la veo Dans ce pain de vie je la vois,
Aunque es de noche. Même s’il fait nuit.

Según San Juan de la Cruz (1542-1591) D’après Saint-Jean de la Croix (1542-1591)


Nota : les syllabes en gras sont celles qui portent l’accent tonique
1 Cantar : brève composition poétique pouvant être chanté sur des airs populaires
2 Do : forme ancienne signifiant « où », utilisée en poésie
3 Manida : Expression unique dans les écrits de Saint-Jean de la Croix avec deux acceptions possibles, toutes deux valables : 1) demeure, tanière, cachette (du latin manere, rester), mais aussi 2) lieu d’où coule ou jaillit quelque chose (à rapprocher du verbe espagnol

manar, « jaillir », issu du latin manare « couler », et du substantif espagnol manantial « source »)
4 L’utilisation ici du pronom personnel « le » au lieu de « lo » (tournure appelée leísmo en espagnol) est caractéristique des auteurs espagnols de cette époque
5 Le texte original utilise le pronom contracté « della » -en un seul mot- au lieu de la forme « de ella » -en deux mots- écrite ici par F. Monpou (ou l’éditeur), mais l’écriture musicale fait que l’on chantera « della » (sur deux croches)
6 Aquesta : terme signifiant « cette » en désignant quelque chose de proche « cette chose ici » par rapport à Aquella (dans le premier vers) qui signifie également « cette » mais en désignant quelque chose d’éloigné « cette chose là-bas »
7 Fonte frida : les mots Fonte (forme archaïque sans diphtongue, équivalent au mot espagnol fuente) et frida pourraient être issus d’un dialecte ou emprunté à des paroles populaires d’une romance du XV-XVIème siècle intitulée Fonte frida

JMP 01/09/2021
8 A l’époque de Saint-Jean de la Croix, le substantif « corriente » pouvait être masculin (il est féminin en espagnol de nos jours), dans le texte original il est masculin. Ici il est curieusement au féminin au vers 13 (accord de l’adjectif « caudalosas » au féminin pluriel) et au

masculin au vers 16 (utilisation de l’article masculin « El »).


9 Ici, l’ordre naturel des mots est inversé (figure de style appelée hyperbate, courante à la renaissance, imitant le latin), la phrase devrait être : que riegan a infiernos, cielos y las gentes
10
Dans le texte original, l’adjectif « omnipotente » (tout-puissant) est utilisé (Bien sé que es tan capaz y omnipotente). Il est remplacé ici dans la partition de Monpou par l’expression « tan potente » (si puissant)
RESUME SUCCINCT DE DEUX ANALYSES (voir sources ci-dessous) DU POEME « LA FONTE » DE SAINT-JEAN DE LA CROIX

Le poème « La Fonte » ou « Cantar del Alma que se huelga de conocer Dios por fe” (« Chant de l’âme qui se réjouit de connaître Dieu par la foi ») est un poème écrit par Saint-Jean de la Croix
pendant la période où il a été emprisonné à Tolède entre décembre 1577 et août 1578. Les conditions de cet emprisonnement (cachot très étroit, isolement, peu de lumière, refus de lui laisser
une bible ou des livres, sévices physiques) ont mis à l’épreuve ses forces physique, psychologique et spirituelle. Un de ses tourments était de ne pouvoir célébrer la messe ni recevoir
l’Eucharistie. Au début de cet enfermement, sans papier, sans encre et avec très peu de lumière, il conçoit ses textes en les mémorisant. Jean de la Croix souffre alors de ce qu’il définit comme
la « nuit de la foi », un abandon apparent de Dieu. Cette période est cependant l’une des plus intenses dans sa vie spirituelle. L’écriture de ce poème daterait de mai 1578, à une période à
laquelle il avait pu obtenir de quoi écrire. La principale inspiration de ce poème serait les fêtes de la Trinité et de la Fête-Dieu (Corpus Christi), qui, en 1578, ont eu lieu respectivement les 25
et 29 mai, et qui célèbrent, dans la liturgie chrétienne, d’une part la nature divine unique en trois personnes (le Père, le Fils et le Saint-Esprit) -le Mystère de Dieu-, et d’autre part, la présence
réelle de Jésus-Christ dans le sacrement de l’Eucharistie avec le pain et le vin qui sont consacrés au cours de la messe.

Le poème se présente dans une structure très typique de ceux de Saint-Jean de la Croix : après un distique initial (« Que bien sé yo la fonte que mana y corre / Aunque es de noche »), il y a
trois groupes de respectivement 5, 3 et 3 strophes. Dans sa partition, Federico Monpou n’a retenu que les strophes N° 1 à 3, 6, 7 et 11 pour les couplets. La strophe 9 constitue quant à elle le
refrain, avec une modification par rapport au texte original (voir ci-dessous).

Dans ce poème, les métaphores fondamentales sont : Dieu qui est la source et la Nuit qui est la foi. Federico Ruiz Salvador argumente qu’il y a trois éléments qui guident le déroulement du
poème :
1- Le mystère divin (la fuente que mana : la source qui coule)
2- La certitude de la connaissance du mystère divin (bien sé yo : je [le] sais bien)
3- Au travers de la foi (aunque es de noche : même s’il fait nuit)

Le vers « aunque es de noche » se répète à la fin de chaque strophe (dans son refrain, issu de la strophe 9, Federico Monpou a modifié ce vers par « En esta noche oscura que sé yo por fe la
fonte frida » qui semble emprunté à une autre version de ce poème de Saint-Jean de la Croix). La source (« Fuente », Dieu) et la nuit (« Noche », la foi) perdurent jusqu’à la fin du poème. La
connaissance « Sé / Bien sé » est présente dans les 8 premières strophes du poème (dans les 5 premiers couplets chez Monpou), pour devenir le désir (« que deseo », que je désire) et la réalité
(« yo la veo », je la vois) dans la dernière strophe ou le dernier couplet. Il y a donc une progression de l’abstrait vers le concret :
• 1ère phase : « Aquella eterna fuente » évoque une contemplation de loin (« Cette source éternelle là-bas »), compensée uniquement par la certitude de la foi (« aunque es de
noche »)
• 2ème phase : « Aquesta eterna fuente » (9ème strophe du poème, Refrain chez Monpou) apporte la source à notre portée (« Cette source éternelle ici ») avec un simple changement
de pronom (Aquesta versus Aquella). Cette sensation de proximité est renforcée par le vers « En este vivo pan… » (« Dans ce pain vivant », sous-entendu -par le pronom « este »-
que l’on nous montre et que l’on voit ici) qui symbolise l’Eucharistie, qui nous donne vie (« por darnos vida »). Dans cette source proche, on peut boire et étancher sa soif.
• 3ème phase : « Aquesta viva fuente » (dernière strophe du poème et dernier couplet chez Monpou) est la conclusion. La proximité est renforcée de nouveau par l’utilisation du
pronom « Aquesta » et, pour Saint-Jean de la Croix, la réalité apparaît : « Aquesta viva fuente que deseo / En este pan vivo de vida yo la veo » (Cette source vive que je désire dans
ce pain de vie, je la vois).

Le symbolisme « fuente / noche » (source-Dieu / nuit-Foi) est présent jusqu’à la fin. La source n’a pas été éliminée par le nouveau symbole du pain de vie (Eucharistie). En résumé, le message
de ce poème est « la source du mystère divin jaillit libre dans l’obscurité, coule au travers de l’Eucharistie et imprègne les créatures qui s’abreuvent de cette eau, bien que dans l’obscurité. »

Sources (en espagnol) :


- [1] Análisis del poema La Fonte, de San Juan de la Cruz | moreno cazalilla
- [2] La experiencia del "deseo abisal" en San Juan de la Cruz: "Qué bien sé yo la fonte que mana y corre" / Salvador Ros García | Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes
(cervantesvirtual.com)

JMP 01/09/2021
- Pour le vocabulaire espagnol, notamment le vocabulaire ancien : Diccionario de la lengua española | Edición del Tricentenario | RAE - ASALE (Dictionnaire de l’Académie Royale Espagnole)

Vous aimerez peut-être aussi