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Vénérable maître, et vous tous, mes très chères sœurs et frères, en vos grades et qualités, je

tiens d'abord à vous dire la difficulté que j’ai eue à choisir un seul symbole pour ma planche.
Ma première proposition était d’abord d'explorer le symbolisme maçonnique en musique.
Cependant, pour une planche d’augmentation de salaire, on m'a fait comprendre que ce
sujet n’était pas approprié.

La musique est une partie fondamentale de ma vie, et j'aurais pu me concentrer sur le


silence, mais après le brillant morceau d’architecture de notre frère Carl, j'ai décidé de
trouver un autre thème. Pour cette première planche, il m'était essentiel de trouver un
symbole qui résonne et réfléchi en moi.

Lors de mon initiation, la scène du miroir a profondément retenu mon attention. Avant de
recevoir la lumière, le vénérable m'a questionné avec insistance pour savoir si j'avais des
ennemis... au point de me faire douter ! Après avoir ôté mon bandeau, on me dit que ce
n'est pas toujours devant soi qu'on rencontre ses ennemis. Les plus dangereux sont souvent
caché derrière soi. Veuillez-vous retourner ! Et je me suis retrouvé face à un miroir reflétant
ma propre image. Il m'est difficile de ne pas être d'accord avec ça, dans 90% des cas, je suis
mon propre ennemi. Ce qui m'empêche d'avancer dans la vie, c'est souvent ma paresse, et
bien des problèmes pourraient être résolus si je faisais preuve de plus de concentration ou si
parfois je prenais les choses un peu moins à cœur. (Je me vexe très vite)

Un miroir peut être fascinant ou perturbant, il en dit long sur la manière dont on le regarde.
Comme il nous renvoie notre propre image, il peut être fidèle, trompeur, ou au contraire
décevant.

On ne parle pas forcément d’objet : une parole, une comparaison, une métaphore ou une
parabole peuvent jouer le rôle de miroir. Le journal, une caricature, et l'art en général sont
aussi des miroirs.

Dans l'allégorie de la caverne, Platon nous explique que lorsque nous regardons l'œil de
quelqu'un, notre visage se reflète dans sa pupille et nous y voyons notre propre image 1. La
personne que nous avons en face, réagira différemment en fonction de la connexion que
nous avons avec elle, du respect qu'elle a pour nous ou de l'humeur dans laquelle nous
l'avons mise. Consciemment ou inconsciemment, on se regarde comme dans un miroir pour
ajuster son comportement : on tente de percevoir son image dans le regard des autres,
comme lorsqu’on ajuste sa cravate avant de sortir de chez soi.
C’est pour cette raison que le premier accord toltèque nous dit que notre parole doit être
impeccable.2 (J’ai souvent tendance à dire n’importe quoi, surtout après des agapes arrosées)

Le miroir symbolise la vérité, offrant un reflet sans fard de la réalité, tout en incarnant
également la connaissance de soi : il nous confronte à notre propre reflet, devenant ainsi
l'instrument de la division. Pour nous connaître, nous comparer et nous évaluer, nous
devons accepter notre reflet. À noter que la connaissance que procure le miroir n'est pas
directe, mais indirecte, requérant la participation de la réflexion et de la raison.

1
Giannopoulou, Z. (369 – 367 av. J.-C). Plato: Theaetetus. In Internet Encyclopedia of Philosophy. Retrieved
from https://www.iep.utm.edu/theaetet/
2
Ruiz, M. (1999). Les quatre accords toltèques. Éditions Jouvence
Par exemple, dans le conte de Blanche-Neige3, le miroir a l’audace de dire à la reine qu'elle
n'est plus la plus belle du royaume...
En latin, le miroir se dit "speculum", qui a donné le mot "spéculation", synonyme de
raisonnement. La réflexion, un renvoi de la lumière permettant un nouvel éclairage, est
l'acte de la pensée qui permet de s'examiner et de se réexaminer. Réfléchir implique donc de
se questionner et de se remettre en question. La réflexion incite à prendre du recul sur ses
pensées, et donc sur soi-même. Elle demande de faire travailler son esprit critique.
Cocteau nous dit que les miroirs feraient bien mieux de réfléchir avant de nous renvoyer des
images, dans son film : « le sang d'un poète »4.

Cependant, sous un angle plus négatif, le miroir peut ne refléter que des aspects superficiels
de la réalité, ce que j’appelle "l'effet Instagram", où nous ne voyons que des personnes se
mettant en scène de manière faussement naturelle. Cela peut mener à une dérive
narcissique, où l'individu développe un rapport biaisé à sa propre image, conduisant à un
repli sur soi et à une aliénation. Narcisse5, en tombant amoureux de son reflet dans l'eau, en
est un exemple parfait. Après de longues journées à se contempler et à désespérer de ne
pouvoir toucher son image, il finit par dépérir et mourir. Dorian Gray 6 est un miroir à cette
légende : tous deux sont obsédés par leur beauté et leur image, se coupant du monde réel et
finissant par se détruire eux-mêmes.

L'eau offre un reflet de nous-mêmes qui peut être plus ou moins déformé selon que la
surface soit calme ou agitée. Cette image est un parfait symbole de notre état mental : plus
ou moins apaisée | plus ou moins claire.

Le miroir vit uniquement dans l'instant présent, symbolisant l'oubli. Il n'a pas de mémoire et
absorbe les images sans les retenir. Il délimite aussi les frontières, incarnant une barrière
froide, silencieuse et infranchissable. N’étant pas très à l'aise devant un miroir, il peut
également être une source de honte depuis que j’ai pris ces quelques kilos en trop, mais
attention ! si je le casse, 7 ans de malheur m’attendent. En plus le miroir ne reflète pas de
son, donc on peut aussi le relier au silence, à la solitude, dans le livre Uchronique Tancrède
de Bellagamba7, le personnage principal nous dit que son âme hurlante se débat dans
un labyrinthe dont les miroirs reflètent à l’infini sa solitude.

Dans un miroir, l'image est inversée, offrant une perspective différente et un sens nouveau.
Peut-être se cache-t-il un autre monde derrière le miroir, invisible à nos yeux. Comme pour
Alice8, la traversée du miroir implique une confrontation avec son for intérieure, le
V.I.T.R.I.O.L. (Visite l'intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée). C'est une
opportunité de rencontrer son "moi" véritable, dont parlait Freud 9, ou sa persona
universelle, comme le disait Jung10. Le miroir nous relie donc à la terre.

3
Grimm, J., & Grimm, W. (1812). Blanche-Neige. Paris: Éditions Atlas.
4
Cocteau, J. (1932). Le Sang d'un poète. iUniverse, Incorporated
5
Ovide. (1925/2019). Métamorphoses, III, 3, 406. Le Livre de Poche. (Œuvre originale publiée en 1925)
6
Wilde, O. (1890). The Picture of Dorian Gray. Lippincott's Monthly Magazine
7
Bellagamba, U. (2009). Tancrède - Une uchronie. Moutons Électriques.
8
Carroll, L. (1871). Through the Looking-Glass. Macmillan
9
Freud, S. (n.d.). Le moi et le ça. PUF.
10
Jung, C. (1921). Les types psychologiques. Genève : Georg
Le miroir nous aide à découvrir le sens caché des choses, reflétant notre progression
spirituelle : au premier abord, nous n'y voyons que notre reflet, mais en y regardant de plus
près, nous y chercherons une source de symbolisme pour nous aider à tailler notre pierre
cachée. Les vampires n'ont pas d'âmes, ils ne se reflètent pas dans les miroirs 11 !

Le miroir peut être considéré à la fois comme un symbole solaire, renvoyant les rayons de
lumière du soleil, et comme un symbole lunaire, évoquant la rêverie, les illusions, le monde
de la nuit et ses mystères, ainsi que le pouvoir de l'inconscient.

En psychologie12, le "stade du miroir" désigne le moment du développement de l'enfant où il


prend conscience de son corps et le distingue de ceux des autres. Certains animaux sont
également capables de se reconnaître dans un miroir.
En psychanalyse13, le miroir renvoie au surmoi (le petit policier à l’intérieur qui nous
empêchent de faire n’importe quoi pour pouvoir bien se comporter en société), à l'idéal du
moi (nos intérêts narcissiques) et au moi (notre ego).

Dans le judaïsme, il est coutume de couvrir les miroirs dans la maison du défunt pendant la
période de deuil qu’on appelle la Shiv'ah, car la personne endeuillée doit ignorer "son
apparence physique et toutes les futilités pour se concentrer sur l'essentiel, à savoir son
âme". En voilant les miroirs, on symbolise son éloignement des regards de la société.

En peinture le miroir est particulièrement présent au centre de deux types d'œuvres : la mise
en abyme et l'autoportrait. La mise en abyme est une technique consistant à représenter
une œuvre dans une œuvre, comme dans les Époux Arnolfini de Jan van Eyck, une œuvre qui
m’a toujours fasciné.

Les poètes ont également exploré le thème du miroir. Par exemple, Baudelaire nous dit que
la mer est notre miroir ; elle contemple notre âme14. Dans "Elsa au miroir" d'Aragon15, Elsa se
coiffe devant un miroir pendant que le poète évoque la tragédie de la guerre et les souvenirs
des résistants tombés au combat.

Contempler notre reflet nous confronte à une série de questions fondamentales : Qui
sommes-nous réellement ? Quelle est l'essence de notre véritable nature ?
La recherche de l'identité propre est ancrée profondément dans le symbolisme maçonnique.

Pour résumer, le miroir maçonnique revêt une symbolique double : il est à la fois un
instrument de connaissance de soi et un portail vers une autre dimension.

11
Stoker, B. (1897). Dracula. Archibald Constable and Company.
12
Wallon, H. (1949). Les origines du caractère chez l’enfant. Presses Universitaires de France
13
Dessuant, P. (2007). Le narcissisme. Paris : Presses Universitaires de France
14
Baudelaire, C. (1857). L’homme et la mer. Dans Les Fleurs du mal. Paris: Poulet-Malassis et de Broise.
15
Aragon, L. (1946). Elsa au miroir. Dans La Diane française. Paris : Seghers
Comme le dit si bien Morphéus à Néo au moment où il touche un miroir qui semble se
liquéfier et l'envelopper16 :
« Tu prends la pilule bleue, l'histoire s'arrête là, tu te réveilles dans ton lit, et tu crois ce que
tu veux. Tu prends la pilule rouge, tu restes au Pays des Merveilles et on descend avec le
lapin blanc au fond du gouffre. N'oublie pas que c'est toi qui as frappé à notre porte. Tu as
voulu savoir la vérité... la voilà. »

Je vous laisse avec cette pensée : la prochaine fois que vous vous regarderez dans un miroir,
n'oubliez pas que vous regardez bien plus qu'un reflet. Vous regardez un Franc-maçon qui
s'est engagée à vivre une vie de principes, de compassion et de sagesse. Que ce reflet vous
rappelle toujours ces engagements, et qu'il vous guide toujours sur votre chemin
maçonnique.
Merci de m'avoir écouté, j’ai dit, vénérable maître.

16
The Wachowskis, (Réalisateurs), (1999). Matrix [Film]. Warner Bros

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