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SOINS INTENSIFS

L’acidose métabolique aux soins


intensifs : considérations théoriques
et aspects pratiques
Drs ADRIEN GROSS a, SÉBASTIEN KISSLING b et ANTOINE SCHNEIDER a

Rev Med Suisse 2018 ; 14 : 2025-9

Les troubles acido-basiques et l’acidose métabolique (AM) en DÉFINITIONS


particulier sont très fréquemment rencontrés aux soins intensifs,
pH sanguin et troubles acido-basiques
notamment dans les états de choc, les décompensations de mala-
dies métaboliques ou les intoxications. L’analyse systématique et Chez l’homme, le pH plasmatique est très finement régulé
minutieuse de ces anomalies permet souvent d’orienter le diag­ autour d’une valeur de 7,4 (7,35 – 7,45). Cette régulation est
nostic de la maladie sous-jacente et de guider la prise en charge assurée par les tampons plasmatiques et l’élimination
clinique. Le traitement est généralement celui de la cause sous- d’acide par voie respiratoire et rénale. Néanmoins, dans
jacente. Le traitement symptomatique de l’AM est, par contre, certaines situations pathologiques, ces systèmes sont dé-
largement controversé et rarement indiqué. Cet article propose de passés et on observe une acidémie (pH plasmatique < 7,35)
rappeler les différentes causes d’AM et leur approche diagnostique. ou une alcalémie (pH > 7,45). Ces anomalies sont le résultat
de processus acidifiants (acidoses) ou alcalinisants (alca-
loses) qui peuvent éventuellement s’additionner ou au
Metabolic acidosis in critical care : theoretical contraire se compenser. Ces processus peuvent être d’ori-
and practical aspects gine respiratoire (médiés primairement par une altération
Acid-base disorders, and metabolic acidosis in particular, are de la PaCO2) ou métabolique. L’interprétation des troubles
frequently encountered in critical care typically in shock states, acido-basiques est rendue complexe par la présence de
­metabolic diseases decompensations or intoxications. Their syste- ­mécanismes de compensation qui peut être complète ou
matic and careful evaluation frequently helps identifying underlying partielle.
disease and guide clinical management. In most instances, therapy
should focus on the underlying disease. Symptomatic treatment of Excès de base et excès de base standard
metabolic acidosis is controversial and rarely indicated. This review
focuses on the main causes of metabolic acidosis and their diag­ L’évaluation de la composante métabolique d’un trouble aci-
nostic approach. do-basique ne peut se limiter à la seule concentration plasma-
tique en bicarbonates. En effet, cette valeur est influencée par
la PaCO2 et donc par la ventilation-minute. Par ailleurs, cette
INTRODUCTION valeur n’est généralement pas mesurée mais calculée à partir
du pH et de la PaCO2.
Les troubles acido-basiques aux soins intensifs sont fré-
quents1 et, dans leur forme sévère, associés à une augmenta- C’est pourquoi, une autre mesure de la composante métabo-
tion de la morbi-mortalité.2 Parmi ces anomalies, l’acidose lique d’un trouble acido-basique a été proposée dans les
métabolique (AM) est la plus communément rencontrée ­années 1950 par Sigaard-Andersen : l’excès de base.5 L’excès de
avec une incidence pouvant atteindre 64 %.3 Elle est associée base se définit comme la quantité d’acide ou de base fort(e)
à de nombreuses situations pathologiques : états de choc, (exprimée en mEq) à ajouter in vitro à du sang pour normali-
­dé­compensations de maladies métaboliques ou intoxications.4 ser son pH à 7,40 dans des conditions standards (37 °C et
L’importance d’autres facteurs moins évidents, comme le type PCO2 à 40 mmHg).6,7 Il permet donc d’évaluer la composante
et le volume des solutions de remplissage administrées est de métabolique du trouble acido-­basique en s’affranchissant de
plus en plus reconnue. la PaCO2. En conditions normales, l’excès de base se situe
entre – 3 et + 3 mEq/l. Un excès de base inférieur à – 3 mEq/l
Cet article présente les principales causes d’AM rencontrées signe la présence d’une AM.
aux soins intensifs, leur évaluation et leur prise en charge. Il
aborde les deux approches existantes pour les évaluer en pra- La grande majorité des appareils d’analyse des gaz du sang
tique clinique : l’approche « classique » et l’approche de Stewart. calcule l’excès de base à partir de nomogrammes. Cette va-
Malgré les controverses, celles-ci sont considérées comme leur in vitro est surestimée car elle ne tient pas compte de la
complémentaires par les auteurs. distribution des électrolytes entre le système vasculaire et le
système interstitiel dont les capacités tampon sont moindres.
a Service de médecine intensive adulte, CHUV, 1011 Lausanne, b Service L’excès de base standard comprend un ajustement pour le
de néphrologie et hypertension, CHUV, 1011 Lausanne volume de dilution et doit être utilisé dans la pratique
­
adrien.gross@chuv.ch | sebastien.kissling@chuv.ch | antoine.schneider@chuv.ch ­clinique.

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Trou anionique
FIG 2 Strong Ion Difference (SID)
Pour caractériser une AM, il convient d’évaluer le trou anio- Représentation schématique de la différence en ions forts selon Stewart.
nique (TAN). Le TAN correspond à la différence entre les UA : autres anions forts.
concentrations plasmatiques des cations (Na+ et K+) et des Cations Anions
anions mesurés (Cl– et HCO3–) (figure 1). Le plasma étant
électro-neutre, il correspond donc à la somme des concentra- B +
A–
tions plasmatiques de tous les anions à l’exception du chlorure
et du bicarbonate. Dans des conditions normales, les anions
contribuant au TAN sont l’albumine, le phosphate et les anions Ions
organiques. Les autres anions (lactate, sulfate et l’ensemble forts Cl–
des autres protéines) y contribuent de manière très limitée Na + (100 %)
(< 2 mmol/l). Le TAN normal est de 12 ± 4 mmol/l. Un TAN dissociés)
> 16 mmol/l signe la présence quantitativement anormale dans
le plasma d’autres anions non dosés (sulfate, lactate, corps Lactate–
­cétoniques, toxiques). Aux soins intensifs, s’ajoutent à cette UA–

liste dans certaines conditions les bêta-lactames, l’acétate (nu- Albuminate–


Phosphate– Ions
trition parentérale), le citrate (en cas d’intoxication).

SID
K+
HCO3–
faibles
Ca++
Mg++
En outre, l’hypoalbuminémie est relativement fréquente chez
les patients de réanimation et peut conduire à une sous-esti-
mation du TAN. La formule suivante permet de corriger le • La masse totale des anions faibles (Atot) : essentiellement
TAN pour l’albuminémie : a­ lbumine et phosphate.

TAN corrigé = TAN calculé + 0,25 × (40 – albuminémie mesurée [g/l]). Ce concept repose sur la loi de dissociation de l’eau (H2O
↔ H+ + OH–). Sur cette base, elle décrit un effet alcalinisant
des cations dont l’apport est, via la dissociation de l’eau, asso-
Différence des ions forts et anions faibles totaux cié à un apport d’OH-. A l’inverse, il y existe un effet acidifiant
(approche de Stewart) des anions (car associé à un apport de H+). Ainsi toute aug-
mentation relative du contenu en cation par rapport aux
Sans vouloir entrer dans les détails ni dans la controverse qui anions (SID) va être assortie d’une alcalinisation de la solution
l’entoure, la théorie de Stewart offre une vision complémen- et vice versa. La valeur normale du SID est de 40 ± 2 mmol/l.
taire de la composante métabolique des anomalies acido-ba-
siques.8,9 Très brièvement, selon cette théorie, la composante Les deux facteurs « métaboliques » d’une acidose sont donc le
métabolique d’une anomalie acido-basique n’est pas expli- SID et la valeur des anions faibles Atot. Une augmentation du SID
quée par des variations du taux plasmatique de bicarbonate. est associée à une alcalinisation du plasma, tandis qu’une aug-
Au contraire, ce taux, de même que celui des protons et donc mentation des Atot est associée à une acidification du plasma.
le pH, résulte d’un équilibre faisant intervenir trois variables
indépendantes : L’approche de Stewart permet d’expliquer certains troubles
• La PaCO2. acido-basiques comme l’AM associée à un apport excessif de
• La différence des ions forts (DIF ou SID en anglais) : chlore (cf. infra).10
(Na++K++Mg2++Ca2+) – (Cl–, lactates et autres anions forts)
(figure 2).
PRINCIPALES CAUSES D’ACIDOSE MÉTABOLIQUE
FIG 1 Calcul du trou anionique (TAN) AUX SOINS INTENSIFS
En pratique, le TAN est calculé de la façon suivante : Na++ K+ – (Cl– + HCO3–) ; Sur le plan physiopathologique, une AM peut s’expliquer par
valeurs normales 12 ± 4. Certaines formules omettent le K+ comme cet ion a une une augmentation de la concentration des anions organiques
faible concentration et est très finement régulé.
(par exemple, lactate ou bêta-hydroxybutyrate), un gain
Cations Anions d’anions exogènes ou par une perte de bicarbonates. La
K + ­figure 3 propose une systématique pour l’analyse d’un dé-
TAN

sordre acido-basique.
HCO3–
Acidoses métaboliques à TAN élevé
Un trou anionique augmenté indique une accumulation exo-
Na+ gène ou endogène d’acide, soit par augmentation de la pro-
Cl– duction, soit par défaut d’élimination.11

Acidose lactique
L’acidose lactique (AL) est l’une des causes principales d’AM
aux soins intensifs. Toute hyperlactatémie n’est pas néces­

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mulation s’accompagne donc d’une AM. Leur élimination est


Algorithme diagnostique
rénale et associée à une réabsorption de Cl-, aggravant
FIG 3 des ­déséquilibres acido-basiques,
centré sur l’acidose métabolique ­d’autant plus l’acidose. Le diagnostic, suspecté sur une base
clinique, est confirmé par le dosage plasmatique des corps
TAN : trou anionique ; BE : base excess ou excès de base.
­cétoniques.
pH
> 7,45 < 7,35 Le traitement de l’acidocétose diabétique repose sur l’admi-
nistration d’insuline et de grands volumes de liquides intra-
Alcalose Acidose veineux (en général, NaCl ou plasma-lyte).14 La mesure du
bicarbonates/BE PaCO2 ­laboratoire ne permettant pas de doser le ß-hydroxybutyrate
et celui-ci étant converti en acéto-acétate en présence d’insu-
Métabolique Respiratoire Métabolique Respiratoire line, une augmentation apparente des corps cétoniques peut
Calcul du TAN
être observée en début de thérapie. Il est ainsi recommandé
de monitorer l’efficacité du traitement en suivant le pH et le
TAN.
TAN augmenté TAN normal
Insuffisance rénale
Intoxications Augmentation des apports de chlore L’AM secondaire à l’insuffisance rénale sévère a été décrite
Salicylates Perfusion de solutions de NaCl dans un précédent numéro de la RMS.15 De manière succincte,
Méthanol Nutrition parentérale
Ethylène-glycol Pertes digestives de bicarbonates l’augmentation du TAN résulte de l’accumulation de sulfates
Paraldéhyde Diarrhées et d’autres acides organiques. Ces derniers sont également
Altérations du métabolisme Fistule biliaire/pancréatique responsables d’une diminution du SID. Cette condition peut
Acidose lactique Dérivation urétérale justifier la prescription de NaHCO3. Dans l’insuffisance ré-
Acidocétose (diabétique, Pertes rénales de bicarbonates
alcoolique, de jeûne) Diurétiques d’épargne nale terminale, elle est corrigée par l’hémodialyse.
Insuffisance rénale potassique
Accumulation de phosphates Inhibiteurs de l’anhydrase Intoxications
Accumulation de sulfates carbonique Si l’AM à TAN élevée n’est pas expliquée par l’une de ces
Acidoses tubulaires rénales
trois pathologies (hyperlactatémie, acidocétose ou insuffi-
sance rénale), une intoxication doit être immédiatement
considérée.
Compensée Non compensée Compensée Non compensée
Les intoxications par l’éthylène-glycol et/ou par le méthanol,
accidentelles ou à but suicidaire, sont parmi les plus fréquem-
sairement associée à une AL. Ce n’est par exemple pas le cas ment rencontrées. Elles doivent être recherchées devant un
lors de glycolyse accélérée (effet Warburg), d’administration contexte clinique suggestif et en présence d’un trou osmo-
de catécholamines ou de catabolisme protéique. En effet, laire augmenté (osmolarité mesurée – osmolarité calculée
dans des conditions aérobiques, les protons produits lors de > 10‑15 mosmol/kg H2O), expliqué par la présence de l’alcool
la glycolyse sont recyclés pour la synthèse de l’adénosine tri- en phase initiale de l’intoxication. La prise en charge repose
phosphate (ATP) dans le cycle de Krebs. Dans ces situations, sur la mise en place précoce d’une épuration extrarénale (in-
le rapport pyruvate/lactate est normal.12 Ce n’est que lorsque termittente de préférence) et le blocage de l’alcool déshydro-
le métabolisme aérobie est affecté (dysoxie cellulaire) ou lors génase par inhibition compétitive (éthanol ou fomépizole).
d’une diminution de la néoglucogenèse hépatique que
­l’hyperlactatémie est assortie d’une AM. Le rapport pyruvate/ La toxicité (rénale, myocardique et cérébrale) de l’éthylène
lactate est alors augmenté. Cette mesure n’est malheureuse- glycol est médiée par ses métabolites (glycoaldéhyde, glyco-
ment pas disponible en clinique en raison de la grande insta- late et acide oxalique). Une pseudo-hyperlactatémie peut être
bilité du pyruvate, le rendant inaccessible à la mesure dans observée en relation avec un artefact, dû à la réaction non
des conditions de routine clinique. L’AL est donc quasiment spécifique des glycolates avec l’enzyme utilisée dans certains
synonyme de dysoxie cellulaire, d’où son importance aux kits de dosage et par plusieurs gazomètres.
soins intensifs.
L’intoxication par les salicylés est une cause d’AM à TAN élevé
Les mécanismes, les étiologies des hyperlactatémies et de qui est régulièrement citée. Pourtant, l’élévation du TAN est
l’AL ont été largement traités dans une précédente revue de la plutôt attribuable à une AL secondaire à la stimulation du
RMS.13 ­métabolisme anaérobe. En effet, même en cas d’intoxication
très importante, l’effet sur le pH de l’acide salicylé lui-même
Acidocétose est très faible (concentration inférieure à 3 mEq/l). Une alca-
Les corps cétoniques (acétone, ß-hydroxybutyrate et acéto- lose respiratoire primaire (par stimulation directe du centre
acétate) sont formés par bêta-oxydation des acides gras, un respiratoire) coexiste fréquemment. Par contre, l’AM augmente
processus inhibé par l’insuline. Leur production est augmentée la toxicité de la molécule d’acide salicylique via une augmen-
dans certaines situations pathologiques, telles que le déficit tation de la forme protonée qui peut plus facilement entrer
en insuline (décompensation diabétique), la consommation dans les cellules et par une diminution de son élimination
excessive d’alcool ou le jeûne. Les corps cétoniques sont des ­rénale. Il s’agit là d’une des rares situations où l’alcalinisation
acides forts, totalement ionisés au pH du plasma. Leur accu- du plasma est recommandée (cf. plus bas).

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Acidoses métaboliques à TAN normal CORRECTION DE L’ACIDOSE MÉTABOLIQUE


(hyperchlorémiques) Indication
L’AM hyperchlorémique peut être consécutive soit à une Les effets délétères de l’AM per se étant très discutés (cf. supra),
­augmentation de la concentration en chlorure par rapport il va de soi que le traitement symptomatique d’une telle acidose
aux cations (et notamment le sodium), soit à la perte de est également controversé. Les études cliniques n’ont pas mis
­cations avec rétention de chlore. En cas d’acidose, la réponse en évidence de bénéfice suite à la correction du pH en cas
normale du rein est d’augmenter l’excrétion du chlorure. Un d’AL23,24 ou d’acidocétose diabétique.25,26 Dans ces circonstances,
chlore urinaire abaissé signe donc l’origine rénale de l’anoma- la prise en charge doit se concentrer sur l’identification du pro-
lie tandis qu’un chlore normal ou augmenté signe l’origine cessus pathologique sous-jacent et son traitement étiologique.
­extrarénale. Néanmoins, dans ces situations et malgré l’absence d’évidence,
un traitement symptomatique est souvent introduit en présence
Acidoses tubulaires rénales d’un pH < 7,10 ou en cas de persistance de l’anomalie.
Le diagnostic des acidoses tubulaires rénales repose sur l’ana-
lyse des électrolytes plasmatiques et urinaires.15 Elles ont été L’indication à une correction est par contre clairement établie
traitées en détail dans un article antérieur de cette revue.16 dans le cas de certaines intoxications (par exemple, aux sali-
cylates, cf. supra), en cas de pertes digestives ou dans le
Acidose iatrogène contexte de l’insuffisance rénale chronique.
La concentration plasmatique du sodium est d’environ
140 mEq/l contre 105 mEq/l pour le chlore. L’administration Moyens d’alcalinisation
d’une quantité équivalente des deux ions, telle que dans les
solutions de NaCl 0,9 %, génère une élévation relative plus Les moyens pour augmenter le pH sont peu nombreux et re-
importante de la chlorémie que de la natrémie. Le SID d’une posent essentiellement sur le bicarbonate de sodium ou l’épu-
solution de NaCl 0,9 % est de 0. Son administration va ainsi ration extrarénale en cas d’insuffisance rénale associée.
entraîner un abaissement du SID plasmatique (effet acidifiant
important). Pour comparaison, le SID des solutions balancées Bicarbonate de sodium
(Plasma-Lyte, Ringer-Lactate) est de 28 et, ainsi, leur pouvoir L’effet alcalinisant d’une solution de NaHCO3 relève essen-
acidifiant bien moindre. Les conséquences négatives de tiellement de l’apport en Na+ aboutissant à une augmentation
­l’utilisation de NaCl aux soins intensifs ont été suggérées par du SID et donc du pH plasmatique. Le bicarbonate de sodium
deux études récentes.17,18 comporte un certain nombre d’effets secondaires. Par exemple,
il entraîne la production de CO2 (via l’action de l’anhydrase
Acidoses par pertes gastro-intestinales carbonique) pouvant ainsi précipiter une insuffisance respi-
Ces situations sont couramment observées aux soins intensifs ratoire ou un œdème cérébral. Il peut également exercer un
(diarrhées, fistules digestives à haut débit, drainages biliaires effet inotrope négatif par diminution du calcium ionisé.27
ou pancréatiques, néo-vessie iléale). L’acidose est secondaire Pour cette raison, l’administration simultanée de calcium
à la perte d’un liquide proportionnellement plus riche en Na+ doit être envisagée lors de traitement par solutions de bicar-
qu’en Cl- entraînant donc un abaissement du SID. Cet abais- bonate. L’administration de solutions concentrées (8,4 %)
sement est d’autant plus marqué en cas de substitution volé- peut être associée à une hypotension artérielle et doit être
mique avec des solutions au SID très bas (par exemple, NaCl évitée. Finalement, le bicarbonate de sodium pourrait entraî-
0,9 %) et peut donc être minimisé par l’utilisation de solu- ner un abaissement du pH intracellulaire.
tions balancées.
D’autres préparations ont été proposées mais ne sont pas
­disponibles en Suisse. Le Carbicarb : mélange équimolaire de
CONSÉQUENCES DE L’ACIDOSE MÉTABOLIQUE bicarbonate et de carbonate de sodium ; ou le THAM (tris-­
hydroxyméthyl-amino-méthane) : tampon synthétique per-
Les effets directs de l’AM sur la fonction des organes sont en- mettant l’alcalinisation avec une production moindre de CO2.
core mal compris et restent controversés. On a longtemps
considéré que l’AM entraînait des dysfonctions cellulaires via Epuration extrarénale
un abaissement du pH intracellulaire. Les conséquences invo- En cas d’insuffisance rénale aiguë ou d’intoxication par une
quées étaient : diminution de la contractilité myocardique et substance dialysable, l’épuration extrarénale (en mode continu
baisse du débit cardiaque, prédisposition aux arythmies, va- ou intermittent) peut permettre de corriger une AM et d’éli-
sodilatation, diminution de la sensibilité aux catécholamines miner le toxique.28,29 Une hémodialyse intermittente (à haute
(endogènes et exogènes), diminution de la production d’ATP, efficience) est en principe recommandée au cours de certaines
altérations de la régulation du métabolisme du glucose, dimi- intoxications sévères.30 Par contre, il n’existe pas de valeur seuil
nution de la réponse immunitaire, etc.19,20 Cependant, des de pH posant l’indication stricte à l’initiation du traitement et
données plus récentes semblent suggérer, du moins partielle- celle-ci doit être évaluée dans le contexte clinique global.31
ment, un effet bénéfique de l’acidose.21,22 En effet, dans ces
modèles d’ischémie-reperfusion, l’AM semble associée à une
diminution de la mort cellulaire. L’acidose pourrait participer CONCLUSION
à une réponse adaptative visant à ralentir le métabolisme
énergétique de la cellule (frein glycolytique) et à éviter l’épui- L’AM est fréquente aux soins intensifs. Face à ce trouble, le
sement des réserves glycogéniques. clinicien doit raisonner de manière structurée afin de mettre

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en place le traitement adapté. Le traitement consiste princi- IMPLICATIONS PRATIQUES


palement à corriger la cause sous-jacente. Les bicarbonates
sont réservés à des cas particuliers et sévères. Enfin, une épu- L’acidose métabolique (AM) est fréquente aux soins intensifs
ration extrarénale peut être indiquée précocement au cours et associée à une morbi-mortalité élevée
d’acidoses métaboliques associées à certaines intoxications et Le calcul du trou anionique (TAN) corrigé pour l’albuminémie
en cas d’insuffisance rénale sévère. et le calcul de la compensation sont des étapes clés dans l’analyse
d’un trouble acido-basique
Le trou osmolaire doit être calculé pour toute acidose métabo-
lique avec TAN augmenté sans cause évidente
L’analyse centrée sur le modèle de Stewart peut apporter
des éléments supplémentaires dans la compréhension des situa-
tions complexes
Le traitement de l’AM repose essentiellement sur le traitement
de la cause. Une alcalinisation avec des perfusions de bicarbonates
devrait être réservée aux acidoses sévères avec un pH artériel
< à 7,1
L’épuration extrarénale doit être envisagée en cas d’AM sévère,
ne répondant pas au traitement médicamenteux, et au cours
Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation de certaines intoxications
avec cet article.

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