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Dyskaliémies
M. Andronikof

Les anomalies de la kaliémie constituent le trouble électrolytique le plus fréquent. Elles peuvent mettre en
jeu le pronostic vital. Il est important d’en connaître les mécanismes étiologiques, les critères de gravité et
le traitement. Après avoir développé ces trois points centraux, nous proposons des attitudes pratiques
pour la prise en charge en urgence de l’hypokaliémie et de l’hyperkaliémie.
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Mots clés : Hypokaliémie ; Hyperkaliémie ; Troubles électrolytiques

Plan régulateurs principaux. Remarquons d’emblée que la kaliémie


traduit mal l’état du stock potassique intracellulaire. Une
hypokalicytie, c’est-à-dire une déplétion potassique, peut être à
¶ Homéostasie du potassium 1
kaliémie basse, normale ou même haute (l’exemple typique
¶ Hypokaliémie 1 étant la cétoacidose diabétique). De plus, la régulation du
Clinique 1 potassium est « asymétrique » [1]. Une hypokalicytie ou une
Étiologies 1 hypokaliémie, lorsqu’elles sont survenues, peuvent persister
Conduite à tenir 2 alors même que le rein ou l’équilibre hormonal fonctionnent
¶ Hyperkaliémie 3 normalement [1, 4]. L’hyperkaliémie, au contraire, entraîne des
Clinique 3 manifestations brusques et ne persiste qu’en cas de perturbation
Étiologies des hyperkaliémies 3 persistante des mécanismes régulateurs [1].
Conduite à tenir devant une hyperkaliémie 5
¶ Conclusion 7 ■ Hypokaliémie
Clinique
■ Homéostasie du potassium L’hypokaliémie est le trouble électrolytique le plus fréquent
Le potassium (K+) est le cation le plus abondant de l’orga- chez les malades hospitalisés [1]. Lorsqu’elle est profonde, elle
nisme. Les valeurs normales de la kaliémie sont comprises entre met directement en jeu le pronostic vital. Même modérée, elle
3,6 et 5 mmol/l. La régulation du stock total de K+ dépend de augmente le risque de mortalité et de morbidité chez les
ses entrées et sorties de l’organisme. Les entrées, dans l’alimen- patients souffrant de maladie cardiovasculaire. La présence
tation occidentale, sont abondantes, 80 à 120 mmol, très d’une hypokaliémie favorise d’autres troubles, par exemple
au-dessus des besoins physiologiques (autour de 25 mmol). Les l’alcalose, l’hypertension artérielle et même le diabète insipide [1,
3] . L’hypokaliémie n’a le plus souvent aucune traduction
pertes de K+ se font à 10 % par les selles (environ 80 à
90 mmol/l de selles, soit environ 10 mmol/24 h) et à 90 % par clinique, mais elle survient dans un très grand nombre de
le rein. Cependant, en cas d’insuffisance rénale sévère, la situations cliniques. Elle doit donc être systématiquement
quantité de K+ excrété dans les selles augmente. En cas de dépistée et suivie, dans les très nombreuses situations à risque
diarrhée, la quantité de K+ par litre baisse, mais le volume d’hypokaliémie. Néanmoins, des signes existent, qui sont des
augmentant, les pertes peuvent être importantes. C’est le rein marqueurs de gravité et non de diagnostic. Ils sont dominés par
qui est l’unique organe régulateur des sorties de K+. L’excrétion la paralysie musculaire et respiratoire et par les troubles du
de K+ est directement sous la dépendance de l’aldostérone, qui rythme ventriculaire. Leur expression dépend de la rapidité
est donc la principale hormone régulatrice du stock de K+. Le d’installation, du terrain de survenue et de la profondeur de
potassium est à 98 % situé à l’intérieur de la cellule. La régula- l’hypokaliémie. Il n’y a donc pas de corrélation mathématique
tion de son entrée et de sa sortie de la cellule se fait par la entre le niveau d’hypokaliémie et son expression clinique. Le
pompe active sodium/potassium de la membrane cellulaire Tableau 2 résume les signes cliniques d’hypokaliémie. La
(Na+/K+ adénosine triphosphatase [ATPase]), qui fait entrer Figure 1 illustre un électrocardiogramme (ECG) d’hypokaliémie.
K+ dans la cellule contre la sortie de Na+. Cette pompe est sous
la dépendance de différentes hormones, au premier rang Étiologies
desquelles figurent l’insuline et les catécholamines b adrénergi- L’hypokaliémie est, dans la grande majorité des cas, la
ques. L’état acidobasique, par l’échange H+/K+, intervient aussi conséquence d’une augmentation des pertes de potassium à
dans l’équilibre transmembranaire de K+ et dans l’excrétion travers le rein ou le tube digestif. Moins souvent, elle est la
rénale. Enfin, il existe un rétrocontrôle de K+ sur l’insuline et conséquence d’un transfert de potassium vers la cellule. Excep-
l’aldostérone dont les sécrétions augmentent quand la kaliémie tionnellement, elle est due à un défaut direct d’apport de
[K+] est haute, et réciproquement [1-3]. Dans le Tableau 1, nous potassium. Cette dernière étiologie est très rare, car, en cas de
indiquons le sens de variation de K + pour les mécanismes jeûne prolongé, le catabolisme des tissus provoque la sortie du

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Tableau 1.
Effet sur la kaliémie [K+] et mécanisme d’action des régulateurs physiologiques principaux du potassium.
Régulateur physiologique Effet sur [K+] Mécanisme d’action Commentaire
Aldostérone Baisse Excrétion urinaire Principal régulateur du stock potassique

Insuline Baisse Transfert intracellulaire

Catécholamines Baisse Transfert intracellulaire


b-adrénergiques

Alcalose aiguë ou chronique, Baisse Transfert intracellulaire Effet constant, intensité variable
respiratoire ou métabolique Excrétion urinaire

Acidose aiguë Augmentation Sortie cellulaire Effet inconstant, intensité variable


Dépend du type d’acidose et du stock potassique

Acidose chronique Augmentation ou baisse Rénal Acidose et effet sur [K+] sous la dépendance du rein

Hypertonie plasmatique Augmentation Sortie cellulaire Mais la diurèse osmotique provoque une kaliurèse et donc
une baisse du stock potassique

Tableau 2. cependant des circonstances fréquentes où l’hypokaliémie est


Signes d’une hypokaliémie. associée à une acidose : les diarrhées, la cétoacidose diabétique
et les acidoses tubulaires rénales. La thérapeutique doit en tenir
Neuromusculaires Asthénie
compte car la correction de l’acidose provoque un transfert
La PP est évoquée devant une Constipation (atteinte musculature intracellulaire de potassium et fait baisser la kaliémie.
faiblesse musculaire avec lisse)
hypokaliémie, d’apparition
brusque à l’adolescence,
Faiblesse musculaire Conduite à tenir
Rhabdomyolyse
ou d’antécédents identiques L’anamnèse des antécédents, des faits récents et des médica-
Paralysie musculaire périphérique ments pris, permet, dans la majorité des cas, de déterminer la
personnels ou familiaux
Paralysie respiratoire cause de l’hypokaliémie (diarrhée, vomissements, diurétiques,
apport d’insuline et de glucose, maladie périodique connue). Si
Électrocardiographiques Aplatissement de l’onde T et de à l’issue de l’anamnèse, l’étiologie de l’hypokaliémie reste
Une cardiopathie, la prise l’onde U imprécise, l’étape suivante est de regarder si elle s’accompagne
d’antiarythmique, la prise Négativation de l’onde T d’une pression artérielle normale ou basse et de se reporter au
de digoxine constituent Sous-décalage du segment ST tableau des étiologies pour orienter le patient. Le bilan complé-
des facteurs de risque d’apparition mentaire dans ces cas ne relève pas de l’urgence. En urgence,
Trouble du rythme supraventricu-
d’un trouble du rythme ventricu- l’ECG est le premier examen à pratiquer. Il est aussi indispen-
laire
laire, même pour une hypokalié- sable de prendre en considération : la fonction rénale (créati-
Allongement du QT, ESV
mie modérée nine), l’équilibre acidobasique (bicarbonate, éventuellement gaz
TV, torsade de pointes, FV
du sang), la glycémie, le calcium, le magnésium et, bien
Il n’y a pas de corrélation mathématique entre la kaliémie et la traduction clinique. entendu, l’existence ou non de signes neuromusculaires qui
Il n’y a pas de continuum obligatoire entre les signes. Les signes neuromusculaires s’évaluent cliniquement et sur les créatines phosphokinases
et électriques sont indépendants. PP : paralysie périodique ou maladie de
Westphal ; ESV : extrasystole ventriculaire ; TV : tachycardie ventriculaire ; (CPK).
FV : fibrillation ventriculaire. L’apport de potassium est la base du traitement de l’hypokalié-
mie. Cependant, ce traitement, quelle que soit la valeur de la
kaliémie (même « normale »), ne peut s’envisager qu’en ayant une
vision prospective de l’état du malade (cf. recommandations
générales dans [4]). Un même chiffre de potassium a une toute
autre valeur si le patient est en grande acidose ou au contraire en
alcalose. On tient compte de son terrain cardiaque, de l’évolution
prévisible de la fonction rénale et donc de l’excrétion urinaire
attendue du potassium. Il faut projeter l’état métabolique du
malade dans les heures qui suivent pour corriger une hypokalié-
mie de manière adéquate, ou la prévenir avant qu’elle ne s’ins-
talle. Bien que l’expérience permette de se faire une idée
approximative de la quantité de potassium à administrer, il est
impossible de prévoir précisément cette quantité au début du
traitement. Les contrôles biologiques réguliers et fréquents sont
donc absolument indispensables. La voie d’administration orale
Figure 1. Électrocardiogramme (ECG) typique d’une hypokaliémie pro- doit être préférée pour les hypokaliémies modérées sans traduc-
fonde. Onde T négative, large, ST « empâté », allongement du QT tion clinique. On utilise une forme orale du chlorure de potas-
([K+] = 1,7 mmol/l). sium (KCl). La spécialité Diffu K® apporte 8 mmol par gélule.
Lorsqu’il y a urgence à corriger une hypokaliémie, on utilise le
KCl par voie veineuse sous forme d’ampoules à 10 % (10 ml de
potassium dans la circulation [1]. Dans les situations de carence solution apportent 1 g de KCl correspondant à 13 mmol de
(hypovolémie, alcalose, hypomagnésémie, etc.), l’hypokaliémie potassium) ou 20 % (2 g de KCl par 10 ml). Le vecteur ne doit
est la conséquence du système régulateur rénal qui provoque pas être du glucosé (qui, favorisant la sécrétion d’insuline, fait
une fuite de potassium. Le Tableau 3 indique les causes d’hypo- baisser la kaliémie). Veinotoxique, le KCl intraveineux (i.v.) doit
kaliémie et leur mécanisme. Bien que les étiologies soient être dilué (classiquement jusqu’à 6 g/l). Utilisé pur, il doit être
multiples, les hypokaliémies par perte digestive ou rénale de administré sur une voie centrale (sauf urgence, pendant un temps
cause simple sont de loin les plus habituelles. Nous insistons sur limité). Il est souvent indispensable d’associer le magnésium qui
le fait que l’hypokaliémie provoque une alcalose métabolique et est disponible en ampoules de sulfate de magnésium (SO4Mg) à
que celle-ci provoque ou maintient une hypokaliémie [4]. Il y a 15 % (10 ml apportent 1,5 g, soit 6 mmol de magnésium). Le

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Tableau 3.
Étiologies des hypokaliémies, mécanismes et exemples.
Étiologie de Grandes causes Agents et mécanismes Exemples et commentaires
l’hypokaliémie
Perte rénale Médicaments Diurétiques Tous sauf « épargneurs de potassium »
Minéralocorticoïdes et substances apparentées Fludrocortisone, réglisse
Glucocorticoïdes À forte dose
Antibiotiques Dérivés de la pénicilline à forte dose
Entraînant aussi une fuite de magnésium Aminoglycosides
Amphotéricine B
Foscarnet, cisplatine
Excès d’activité de la glande Primaire Hyperaldostéronismes, syndrome de Cushing
surrénale dans toutes ses causes Secondaire HTA rénovasculaire
Alcalose métabolique Par perte initiale de chlore et de potassium L’alcalose concomitante de l’hypokaliémie
(exemple : vomissements) entretient ensuite l’hypokaliémie
Par absorption primaire de Na+ (et sécrétion K+) Hyperaldostéronismes
réactionnelle
Par absorption primaire de Na+ (et sécrétion K+) Pseudohyperaldostéronisme génétique avec HTA :
primitive (maladie rénale) Liddle, déficit en b-hydoxystéroïde
deshydrogénase, sans HTA : Barrter, Gitelman
Acidose métabolique Acidoses tubulaires Distale (type I) ou proximale (type II)
Déficit en magnésium (Mg) Par carence d’apport ou déplétion en Mg Diarrhée, diurétiques, autres médicaments
L’hypokaliémie ne se résoudra pas tant que
le Mg ne sera pas corrigé.
Diurèse osmotique Cétoacidose diabétique La kaliémie ne reflète pas le déficit potassique, mas-
Syndrome d’hyperosmolarité hyperglycémique qué par l’hypertonicité et le déficit en insuline qui
empêchent le transfert du potassium dans la cellule.
Certaines leucémies Mécanisme inconnu À ne pas confondre avec les fausses hypokaliémies
de consommation de potassium dans
les tubes de prélèvements en cas d’hyperleucocytose

Perte digestive Intestinale Diarrhée Diarrhée de toute cause


Laxatifs
Fistules digestives, stomies
Gastrique Vomissements
Aspiration gastrique

Transfert Médicaments Insuline à forte dose


intracellulaire b2-adrénergiques Adrénaline
Tous les bronchodilatateurs
Tocolytiques
Décongestionnants
Divers Surdosage en chloroquine, vérapamil,
théophylline, caféine
Alcalose Mais l’effet principal est par perte rénale
Hyperthyroïdie Chez le sujet asiatique Provoque des paralysies brusques
Hypokaliémie périodique Maladie autosomique dominante Provoque des paralysies brusques y compris
familiale respiratoires
Delirium tremens Par stimulation des hormones b-adrénergiques
Intoxication au barium Bloque la sortie du potassium hors des cellules Entraîne de plus vomissements et diarrhée
(cf. supra)
Divers Traitement de l’anémie de Biermer, transfusions Consommation du potassium
par les érythrocytes

Par carence d’apport Moins de 1 g/24 h Mécanismes associés de transfert ou de fuite


HTA : hypertension artérielle ; Mg : magnésium

. magnésium est de plus le traitement de première intention dans neuromusculaires et surtout à des modifications de l’ECG. Ces
les torsades de pointes. La Figure 2 propose une synthèse de troubles électriques en font toute la gravité. Ils progressent
conduite à tenir devant une hypokaliémie. classiquement avec l’hyperkaliémie, mais apparaissent à des
niveaux différents selon les malades et surtout peuvent s’aggra-
ver brusquement [5]. En pratique, devant un élargissement du
■ Hyperkaliémie QRS, il faut prévoir qu’une fibrillation ventriculaire ou une
asystole peuvent survenir à tout moment.
La Figure 3 illustre un ECG d’hyperkaliémie.
Clinique
L’hyperkaliémie est le plus souvent asymptomatique et Étiologies des hyperkaliémies
découverte sur un ionogramme de contrôle. Lorsqu’elle est Les mécanismes qui conduisent à une hyperkaliémie sont : le
marquée, elle peut être associée à une asthénie, à des troubles défaut d’excrétion, l’excès d’apport ou le transfert de potassium

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ECG
Biologie minimum :
créatinine, bicarbonate
(± gaz du sang), glycémie,
Faire le tour
calcium, magnésium, CPK
du retentissement
Terrain de survenue
et des troubles associés
Bilan clinique
étiologique rapide
(médicaments,
faits récents, contexte)
Supplémentation orale
Traitement de la cause
Pas
Contrôle ECG
de crainte
et biologique quotidien
Pas de signes jusqu’à normalisation
Terrain, évolution À risque*
ou mineurs
prévisible (cardiopathie, prise Scope
(onde T plate)
d’antiarythmiques, KCI i.v. 0,5 g à 1g/h
insulinothérapie Spironolactone 100 mg i.v.
à forte dose, si diurétique nécessaire
acidose initiale) SO4Mg i.v. 3 g en 30 min
si hypomagnésémie
Contrôle biologique
Scope tous les 3 g de KCl injectés
KCl i.v. 1 g à 1,5 g/h (ou /2 g en cas
(extrême : 1 g en 10 min d’insuffisance rénale)
Présence de signes 1 à 2 fois)
ECG majeurs SO4Mg i.v. systématique :
Hypokaliémie Selon ECG (onde T négative 1,5 g en 2 min
et allongement du QT, puis 1,5 g en 20 min
troubles du rythme) Spironolactone
100 mg i.v. si diurétique nécessaire
Contrôle biologique tous les 3 g
de KCl injectés (ou /2 g en cas
d’insuffisance rénale)

Réanimation cardiorespiratoire
Défibrillation si indiquée
Adrénaline
Arrêt KCl 1 g i.v. en 2 min à renouveler
circulatoire SO4Mg i.v. systématique 1,5 g
(TV permanente, en 2 min puis 3 g en 20 min
FV, activité Reste de la RCP
électrique sans selon procédures
pouls, asystole) Contrôle biologique
tous les 3 g de KCl injectés
(ou /2g si insuffisance rénale) Potassium oral
à forte dose
(6 gél. de Diffu K® en 1 prise,
Paralysie à renouveler toutes les 2 h
périphérique débutante tant que la paralysie persiste)
(asthénie) Contrôle ECG et biologique
dès que les signes
cliniques se résolvent
Si paralysie périodique
(attention à ne pas surcharger Potassium oral à forte dose,
en potassium, si ingestion encore possible
il s’agit d’une hypokaliémie par transfert) KCl 4 g dans 500 ml
de NaCI 0,9 % en 4 à 6 h,
à renouveler
tant que la paralysie persiste
Paralysie Protection des voies aériennes
installée et ventilation si indiqué
Contrôle clinique et ECG
à l’issue de chaque perfusion,
biologique quand les signes
s’amendent ou au moins
toutes les 8 h

Figure 2. Arbre décisionnel. Proposition de conduite à tenir synthétique devant une hypokaliémie. Attention, l’hypokaliémie ne s’envisage que dans une
vision prospective du malade. Ainsi le traitement de l’étape * pourrait être initié pour une kaliémie normale, qui risquerait de ne pas le rester, à moins de mesures
énergiques préventives. ECG : électrocardiogramme ; CPK : créatine phosphokinase ; i.v. : par voie intraveineuse ; TV : tachycardie ventriculaire ;
FV : fibrillation ventriculaire ; gél. : gélule ; RCP : réanimation cardiopulmonaire.

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Ainsi une kaliémie à 5,5 mmol/l au cours de la prise en charge


initiale d’une cétoacidose diabétique doit faire envisager un
apport prochain de KCl, sans doute même à forte dose, alors
qu’une même kaliémie à 5,5 mm avec anurie au cours d’un
crush syndrome d’un accident de la route doit faire envisager la
nécessité d’une dialyse dans les prochaines heures. Ainsi, pour
une même kaliémie initiale, des thérapeutiques diamétralement
opposées sont instaurées parce que le médecin anticipe l’état à
venir de son malade. De même, une hyperkaliémie avérée, sans
traduction électrique, si elle est de cause réversible simplement,
ne nécessite pas de traitement hypokaliémiant. La correction de
la cause initiale suffit à normaliser la kaliémie. Le praticien
anticipe dans ce cas une réponse rénale suffisante. C’est le cas
où l’arrêt d’un médicament suffit à redonner au rein des
Figure 3. Électrocardiogramme (ECG) typique d’une hyperkaliémie. capacités suffisantes d’excrétion de potassium (arrêt d’un anti-
Onde T positive, ample pointue, symétrique. Début de fusion du segment inflammatoire non stéroïdien, d’un diurétique épargneur de
ST ([K+] = 8,5 mmol/l). potassium, d’un apport de chlorure de potassium). Cependant,
toute hyperkaliémie avec signe à l’ECG est une urgence qui
nécessite, en plus du traitement de la cause qui a provoqué
l’hyperkaliémie, l’emploi de traitements hypokaliémiants

“ Point important
spécifiques.
Comment traiter l’hyperkaliémie ?
Le traitement de l’hyperkaliémie répond à deux objectifs :
Les signes électrocardiographiques classiques de protéger le cœur en cas de risque d’arrêt cardiaque imminent et
l’hyperkaliémie faire baisser la kaliémie. Les caractéristiques, modes d’action et
• Les seuils de kaliémie pour l’apparition de ces signes limites des traitements disponibles doivent être connus, afin
varient d’un malade à l’autre. Il n’y a pas de continuum que leur utilisation se fasse à bon escient, souvent en associa-
entre les signes. tion. Le Tableau 5 fait la synthèse des traitements d’urgence de
• Grande onde T pointue, symétrique l’hyperkaliémie.
• Allongement du PR, disparition de l’onde P Objectif 1 : protéger le cœur
• Élargissement du QRS Les sels de calcium n’ont aucune action sur la kaliémie. Ils
• Grand élargissement du QRS avec fusion des ondes S et T antagonisent l’effet du potassium sur l’excitabilité membranaire
• Fibrillation ventriculaire, asystole du cardiocyte. Leur délai d’action et leur durée d’action sont
courts. Il n’y a aucune donnée dans la littérature médicale pour
déterminer à partir de quelles anomalies de l’ECG leur prescrip-
tion est indiquée [5, 6]. Leur emploi aggrave la toxicité de la
hors de la cellule. Cette classification doit être tempérée par le
digoxine. Ils doivent être administrés sur une voie différente de
fait qu’il est rare qu’une hyperkaliémie puisse se maintenir, quel
celle du bicarbonate. Ils sont obligatoirement indiqués en cas de
que soit son mécanisme, sans que n’existe un trouble de
fibrillation ventriculaire, d’arrêt cardiaque, ou de complexe
l’excrétion du potassium par le rein. A contrario, dans l’insuffi-
idioventriculaire. Certains auteurs préconisent leur emploi à des
sance rénale chronique, à moins d’un élément de décompensa-
stades plus précoces [5]. On utilise le chlorure de calcium (CaCl2
tion aigu (brusque augmentation des apports, apparition d’une
en ampoule de 10 ml, apportant 6,8 mmol de calcium), de
acidose, etc.), il ne se constitue pas d’hyperkaliémie, jusqu’à
préférence au gluconate de calcium plus faiblement dosé
environ 10 ml/min de clairance de la créatinine. Dans l’insuffi-
(2,2 mmol de calcium dans 10 ml). Cependant en cas d’extra-
sance rénale terminale, l’hyperkaliémie est obligatoire et devient
vasation, le CaCl2 peut provoquer une nécrose tissulaire.
mortelle en l’absence de dialyse. Les fausses hyperkaliémies ne
sont pas rares, elles sont le plus souvent provoquées par une Objectif 2 : faire baisser la kaliémie
hémolyse dans le tube ou lors du prélèvement. Un deuxième On dispose de deux moyens pour cela : faire rentrer le
prélèvement sans garrot, sans contraction musculaire et porté potassium dans la cellule, ce qui peut se faire en général
rapidement au laboratoire peut servir de contrôle. Le Tableau 4 rapidement et éliminer le potassium de l’organisme, ce qui
. indique les différentes étiologies des hyperkaliémies. prend davantage de temps.
Faire entrer le potassium dans la cellule.
Conduite à tenir devant une hyperkaliémie Insuline. L’insuline est le moyen le plus rapide et le plus
constamment efficace pour faire entrer le potassium dans la
Devant une hyperkaliémie, plusieurs questions se posent cellule [3, 5]. En cas d’hyperglycémie, l’insuline est employée
auxquelles le praticien doit répondre sans tarder. seule. En cas de glycémie inférieure à 15 mmol/l, il faut associer
du glucosé pour éviter une hypoglycémie. On peut partir sur
S’agit-il d’une vraie hyperkaliémie ?
une base de 100 ml de glucosé à 30 % pour 10 unités interna-
La réponse est apportée par l’ECG, le contexte clinique et tionales (UI) d’insuline rapide. Les contrôles de glycémie sont
enfin par le deuxième prélèvement. Si des signes ECG évoca- impératifs. Le principal effet indésirable, hors hypoglycémie, est
teurs d’hyperkaliémie sont présents, on n’attend surtout pas un la charge osmotique.
contrôle pour débuter un traitement hypokaliémiant. Indépen- Bicarbonate de sodium. Traitement ancien de l’hyperkaliémie,
damment de l’ECG, le contexte clinique et les autres paramètres le bicarbonate de calcium n’a pas d’action sur la kaliémie en
biologiques sont de puissants indicateurs pour déterminer la l’absence d’acidose [6, 7]. Sans acidose, son emploi est donc
vraisemblance d’une hyperkaliémie et pour agir en consé- restreint, sauf en association à l’insuline ou à un bêtamiméti-
quence. En l’absence de signes électriques et en l’absence de que [5, 8]. Il reste tout à fait indiqué en cas d’hyperkaliémie avec
contexte clinique (absence d’insuffisance rénale, absence acidose métabolique. Il faut utiliser 100 ml de bicarbonate
d’acidose, etc.), une hyperkaliémie isolée ne devra sûrement pas molaire (8,4 %) ou 200 ml de semi-molaire (4,2 %). Son action
être traitée avant la confirmation de sa réalité. est assez rapide et prolongée. Son principal effet indésirable est
l’importante charge sodée concomitante (mais celle-ci a l’avan-
S’agit-il d’une hyperkaliémie menaçante ? tage d’un effet antagoniste de l’hyperkaliémie).
La menace peut venir aussi bien des conséquences cardiaques Bêta-agonistes. Les bêta-agonistes (salbutamol, albuterol) sont
de l’hyperkaliémie immédiatement visibles sur l’ECG que de la efficaces sauf chez les insuffisants rénaux dialysés (dont 40 %
kaliémie au bout de quelques heures de prise en charge. La résistent à leur effet) et les patients sous bêtabloquants [5, 9]. La
vision « prospective » du malade est, là encore, indispensable. voie intraveineuse permet un effet plus marqué, mais expose à

Médecine d’urgence 5
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Tableau 4.
Étiologies des hyperkaliémies.
Étiologie de Grandes causes Agents, mécanismes Exemples et commentaires
l’hyperkaliémie
Défaut d’excrétion Médicaments (attention aux associa- Diurétiques épargneurs de potassium Spironolactone, triamtérène, amiloride
rénale tions aggravantes, notamment en Inhibiteurs de l’enzyme de conversion, Tous
cardiologie) antagonistes de l’angiotensine II
Bêtabloquants Ont de plus une action de transfert de K
hors de la cellule
Anti-inflammatoires non stéroïdiens Tous
Antibiotiques Triméthoprime
Héparine
Ciclosporine
Lithium
Insuffisance rénale Aiguë Le degré d’hyperkaliémie et sa rapidité d’aug-
mentation dépendent du contexte clinique
Chronique À moins d’un facteur de décompensation,
tant que la clairance de la créatinine reste
au-dessus de 10 ml/min, la kaliémie reste
en principe normale
Déficit en minéralocorticoïdes Déficit corticosurrénalien Maladie d’Addison, déficits enzymatiques
Déficit en aldostérone, en rénine ou Néphropathies interstitielles et diabétiques
résistance à leur action
Défaut de sécrétion tubulaire Acidose tubulaire (souvent associée
aux néphropathies ci-dessus)

Excès d’apport a Exogène Sels de régime, chlorure de potassium oral


ou intraveineux
Endogène Lyse musculaire et hypercatabolisme Rhabdomyolyse, brûlure étendue, écrasement
de membre, syndrome de lyse tumorale (dont
chimiothérapie), hémorragie digestive, trans-
fusion massive

Transfert hors Acidose Favorise la sortie de la cellule Intensité variable selon le type d’acidose et le
de la cellule a contexte clinique
Hyperosmolarité Empêche l’entrée dans la cellule Mais entraîne aussi une fuite rénale de potas-
sium par diurèse osmotique
Défaut d’insuline
Médicaments Digoxine En cas d’intoxication
Fluor, bêtabloquants, curares
Cyanures
Exercice musculaire
Paralysie périodique familiale
hyperkaliémique

Fausse hyperkaliémie Fréquente Hémolyse dans le tube, hémolyse lors du


prélèvement (contraction musculaire, garrot)
Rare Hyperleucocytose majeure, thrombocytémie,
anomalie des hématies
a
Les hyperkaliémies par excès d’apport ou par transfert n’apparaissent ou ne persistent que s’il y a un défaut d’excrétion rénale concomitant.

plus d’effets secondaires que par nébulisation. On utilise 10 à d’abaisser la kaliémie de 1 mmol/l, puis d’environ 1 mmol
20 mg de salbutamol en aérosol. Les effets secondaires sont la toutes les 2 heures [5]. Son indication se pose lorsque l’on sait,
tachycardie, les troubles du rythme, les tremblements et ou que l’on prévoit, que les autres thérapeutiques sont insuffi-
l’anxiété. santes pour maîtriser la kaliémie. Sa limite principale est le délai
Éliminer le potassium de l’organisme. de mise en route de la technique. Les autres thérapeutiques
Résines échangeuses d’ions. Le sulphonate polystyrène de hypokaliémiantes doivent être employées jusqu’au
sodium (Kayexalate®) échange dans l’intestin 0,5 à 1 mmol de branchement.
potassium contre 2-3 mmol de sodium (il existe des échangeurs Les diurétiques de l’anse de Henlé n’ont pas de place dans le
calcium/potassium) [3]. Il est utilisable par voie orale ou en traitement d’urgence des hyperkaliémies [5, 6] . Quand ces
lavement. Son délai d’action et sa durée d’action sont lents .
diurétiques sont utilisés dans leurs indications, on doit prévenir
(plusieurs heures) et d’intensité variable. Il existe un risque de l’apparition d’une hypokaliémie, ce qui n’en fait pas un
nécrose intestinale, de constipation et de surcharge sodée. On traitement de l’hyperkaliémie.
utilise 15 à 45 g de pâte per os et jusqu’à 100 g en lavement.
Son indication en urgence est limitée, sinon en relais des Comment faire pour éviter la récidive
thérapeutiques urgentes (il commence à agir lorsque l’effet des de l’hyperkaliémie ?
autres traitements s’épuise). Le kayexalate constitue donc plutôt Le traitement spécifique de l’hyperkaliémie ne doit pas faire
un traitement préventif de la remontée du potassium. Il est négliger le traitement de sa cause : substitution d’une insuffi-
utilisé dans cette indication dans l’insuffisance rénale terminale, sance surrénale, arrêt d’un traitement favorisant l’hyperkaliémie,
entre les séances de dialyse. prise en charge d’une insuffisance rénale, etc. (Tableau 4). La
Dialyse. C’est le moyen le plus puissant et le plus rapide pour phase aiguë passée, la suppression de la cause de l’hyperkaliémie
éliminer le potassium. La première heure de dialyse permet suffit à équilibrer la kaliémie.

6 Médecine d’urgence
Dyskaliémies ¶ 25-100-A-22

Tableau 5.
Thérapeutiques d’urgence de l’hyperkaliémie.
Agent Posologie Mécanisme Début d’action Durée d’action Commentaire
Chlorure de calcium 10 ml i.v.d. Antagoniste 1-3 min < 60 min Pas d’effet sur la kaliémie
(10 %) Potentialise toxicité digoxine, voie veineuse
Gluconate 30 ml i.v.d. différente du bicarbonate, association
de calcium (10 %) obligatoire

Insuline rapide 10 UI i.v.l. Transfert 15-30 min 4-6 h Glucose inutile si hyperglycémie initiale
+ 30 g glucose i.v. Contrôles réguliers de glycémie
(100 ml à 30 %)

Bicarbonate de 100 ml i.v.l. Transfert (et antago- 15-30 min 4-6 h À utiliser en acidose et/ou en association
sodium (8,4 %) niste)

Salbutamol 20 mg nébulisation Transfert 15-30 min 2-4 h


0,5 mg i.v.l.

Dialyse Élimination 1re heure Plusieurs heures Le délai de mise en place doit être anticipé
du branchement

Résine échangeuse 30-45 g per os Élimination 2-4 h 4-8 h À débuter éventuellement en même temps
d’ions Jusqu’à 100 g en que les autres traitements pour prévenir
lavement + sorbitol la remontée de la kaliémie

i.v.d. : injection intraveineuse directe ; i.v.l. : injection intraveineuse sur au moins 30 minutes ; UI : unités internationales.
.

■ Conclusion ■ Références
Au terme de ce chapitre, nous espérons avoir rendu évident [1] Gennari FJ. Hypokalemia. N Engl J Med 1998;339:451-8.
le fait que le rein tient une place centrale dans la prise en [2] Halperin ML, Kamel KS. Potassium. Lancet 1998;352:135-40.
charge des dyskaliémies. L’appréciation d’une dyskaliémie et de [3] Rastergar A, Soleimani M. Hypokalaemia and hyperkalaemia.
son traitement, en dehors des mesures immédiates de sauvetage, Postgrad Med J 2001;77:759-64.
que ce soit dans l’hypo- ou l’hyperkaliémie, ne peut se faire [4] Andronikof M. Troubles acidosiques. EMC (Elsevier Masson SAS,
qu’en prenant en considération la réponse rénale attendue dans Paris), Médecine d’urgence, 25-100-A-20, 2009.
[5] Alfonzo AV, Isle C, Geddes C, Deighan C. Potassium disorders-clinical
spectrum and emergency management. Resuscitation 2006;70:
10-25.

“ Point essentiels
[6]

[7]
Mahoney BA, Smith WA, Lo DS. Emergency intervention for
hyperkalaemia. Cochrane Database Syst Rev 2005(2):CD003235.
Kamel SK, Wei C. Controversial issues in the treatment of
Le traitement en urgence de l’hyperkaliémie menaçante hyperkalaemia. Nephrol Dial Transplant 2003;18:2215-8.
[8] Ngugi NN, McLigeiyo SO, Kayima JK. Treatment of hyperkalaemia
suit quatre objectifs successifs :
by altering the transcellular gradient in patients with renal failure: effect
• s’opposer aux effets cardiaques de l’hyperkaliémie ; of various therapeutic approaches. East Afr Med J 1997;74:503-9.
• faire entrer le potassium dans les cellules ; [9] Ahmed J, Weisberg LS. Hyperkalaemia in dialysis patients. Semin Dial
• éliminer le potassium de l’organisme ; 2001;14:348-56.
• prévenir la récidive.
La place du rein est centrale dans l’appréciation et la prise
en charge des dyskaliémies. Pour en savoir plus
Leplatois T, Levraut J. Les dyskaliémies. Journal européen des urgences
2007;20:83-101.
les heures qui suivent la prise en charge. Réussir l’équilibration
du potassium passe, probablement plus que pour tout autre Raphaël JC. Déséquilibres hydro-électrolytiques. In: Goulon M, Goëau-
trouble métabolique, par la capacité du praticien à anticiper Brissonnière O, Rohan-Chabot P. Les Urgences (3e édition), Paris:
l’état de son malade dans les heures suivantes. Maloine, 1997.

M. Andronikof (marc.andronikof@abc.aphp.fr).
Service des urgences adultes, Hôpital Antoine Béclère, 157, rue de la Porte-de-Trivaux, 92140 Clamart, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Andronikof M. Dyskaliémies. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Médecine d’urgence, 25-100-A-22, 2010.

Disponibles sur www.em-consulte.com


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