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OpenEdition Books Presses universitaires de Rennes Res publica La violence politique et son deuil
3. Exercer la violence
Presses
universitaires
de Rennes
La violence politique et son deuil | Isabelle Sommier
3. Exercer la
violence
p. 77-109
Entrées d'index
Géographique :
France
Texte intégral
La violence ouvrière
26 Une certaine continuité existe entre l’antifascisme et la
violence ouvrière dans la mesure où leurs cibles sont
souvent assimilées par les groupes d’extrême gauche : les
« petits chefs » sont facilement qualifiés de « sbires
fascistes » et les actions dont ils sont victimes de « juste
réaction de défense ».
27 La JCR conçoit par exemple la violence ouvrière sous un
angle essentiellement défensif, lorsqu’elle trouve les
premiers balbutiements de « l’autodéfense ouvrière » dans
l’organisation des piquets de grève destinés à se protéger des
« attaques des groupes fascistes15 ». Quant à la GP, elle
explique que l’industrie automobile soit son terrain
d’intervention privilégié par le fait que c’est là où le fascisme
serait le plus organisé :
« Le cœur de la société, c’est l’usine […]. Le “secteur de
pointe”, aussi bien du point de vue de la bourgeoisie (le
profit le plus grand), que du point de vue du prolétariat (les
luttes les plus fortes), c’est l’industrie automobile.
L’affrontement entre le fascisme patronal et la résistance
53 Mais constater que, dans les faits, les actions sont surtout
demeurées dans l’ordre du symbolique n’autorise ni
l’extrapolation qui consiste à affirmer l’absence d’un projet
violent au profit d’un vague dessein de « libération » ou
d’« expression collective », ni l’euphémisation jusqu’à la
négation de la charge violente de l’action. Quand bien même
les armes utilisées par la NRP n’aient jamais été chargées,
quand bien même Nogrette n’ait subi aucune violence
physique et que ses ravisseurs aient respecté son régime
sans sel (geste qui fut amplement publicisé), on ne peut nier
le déploiement ostensible et spectaculaire d’une mise en
scène militaire, la mobilisation appuyée d’affects agressifs et
de référents guerriers, l’exhortation incessante à l’acte
ultime. Le tract de revendication du sabotage de grues aux
Chantiers de Dunkerque avertit par exemple :
« Demain, après le sang versé de l’ouvrier, les partisans
pourraient faire couler le sang des patrons51 ».
Source : ibid.
57 L’irruption du tragique, avec la mort du militant gépiste
Pierre Overney, tué par un vigile aux portes de Billancourt le
25 février 1972, pouvait donner à penser que tout allait
basculer. Le passage à la lutte armée semblait prêt du point
de vue idéologique comme logistique. Et ce d’autant que, par
Crescendo en Italie
58 On trouve parfois l’idée qu’à la différence de leurs
homologues français, les militants italiens auraient « pris le
jeu au sérieux »56. Si la dimension spectaculaire des
événements de 1968 provoque, ici et là, des pamphlets
ravageurs, la longévité et la radicalisation progressive des
mouvements de contestation qui font la spécificité de l’Italie,
finissent par rejeter dans l’ombre le ludique d’origine57.
59 La violence, on l’a vu, y est légitimée sur des modes
JCR avait pris les mêmes précautions pour faire face à une
éventuelle mise hors-la-loi. Mais sans doute ces instruments
ont-ils trouvé en Italie des occasions majeures pour être
activés, opérationnels et renforcés, de sorte à favoriser
insensiblement l’élévation des seuils de violence qui semble
rendre le passage à la lutte armée « naturelle » et évidente à
certains, au point qu’ils éprouvent encore aujourd’hui des
difficultés à identifier clairement une date précise de
fracture entre les deux expériences. Ou bien l’engagement
dans un groupe extra-parlementaire, tel un apprentissage,
semble avoir permis à un individu de s’adapter sans
traumatisme aux exigences d’un groupe clandestin, comme
cela aurait été le cas pour cet ex-militant de LC qui « passe »
ensuite à Prima Linea :
« Grâce à l’activité dans le service d’ordre, je ne trouvais pas
de difficultés à m’habituer aux techniques beaucoup plus
drastiques de la lutte armée : me mouvoir dans la ville,
m’habiller de façon appropriée pour l’occasion, entrer dans
l’action au bon moment, étudier l’opération dans les détails
les plus minimes. Tout m’était familier. Les premiers temps,
on peut dire que j’avais échangé la clef anglaise par le
pistolet, lequel présentait seulement une efficacité plus
grande.65 »
Notes
1. Guido Viale, Il sessantotto tra rivoluzione e restaurazione, Milano,
Mazzotta, 1978, p. 43 et Marco Grispigni, « Generazione, politica e
violenza, il ‘ 68 a Roma », in La cultura e i luoghi del’68, Milano,
Franco Angeli, 1991, p. 305.
2. De même, d’après Alain (JCR), « le but, c’était pas l’affrontement. Le
but était de dire : quand un objectif est juste, il faut balayer les
obstacles, on le maintient coûte que coûte. »
3. Le phénomène de concurrence est mis en exergue par Sidney Tarrow,
Democrazia e disordine, Bari, Laterza, 1990, p. 246-249.
4. Propos tenu dans le film de Romain Goupil « Mourir à trente ans »,
dédié à Michel Récanati qui s’est suicidé en 1978.
5. Peppino Ortoleva, Saggio sui movimenti del 1968 in Europa e in
America, Roma, Riuniti, 1988, p. 177.
6. Pour cette interprétation, voir Marco Grispigni, « Generazione,
politica e violenza, il ‘68 a Roma », in La cultura e i luoghi del’68,
Milano, Franco Angeli, 1991, p. 300-303.
7. Jacques était un « électron libre » qui mettait ses compétences
« guerrières » au service de plusieurs organisations d’extrême gauche,
puisqu’il faisait partie du groupe de Pierre Goldman, spécialisé dans le
service d’ordre et les « coups de poing contre les fafs ».
8. Document de Potere Operaio intitulé « Le manifestazioni del 4/5/6
febbraio, il problema dei fascisti, una risposta militante al contrattacco
padronale » (14 février 1971), in Archives de l’Istituto Romano per la
Storia d’Italia (fonds Stefano Lepri). Dans le même esprit, voir Comitati
Autonomi Operai di Roma, Autonomia Operaia, Roma, Savelli, 1976, p.
254.
9. Tract du 5 février 1971 (cette période fut marquée par de violents
affrontements entre l’extrême droite et l’extrême gauche), in Archives
de l’Istituto Romano per la Storia d’Italia (fonds Paolo Palazzi, carton
n° 3).
10. Les CVB (Comités Viet-Nam de Base), en soutien au peuple
vietnamien, ont été créés en mai 1967 par les maoïstes). Ils
concurrencent le CVN (Comité Viet-Nam National) qui regroupe,
depuis novembre 1966, la plupart des organisations de solidarité et
d’aide au peuple vietnamien.
155.
22. Document préparatoire du Congrès de LC, 9 juin 1971, p. 17 (Istituto
romano per la storia d’Italia, Fonds Socrate, carton 9). Sur le thème de
« la justice populaire », voir le débat engagé par les maoïstes de la GP
autour de Michel Foucault dans Les temps modernes, n° 310 bis, 1972,
p. 335-366.
23. Le mot d’ordre « Si alla violenza operaia » est lancé pour la
première fois dans un numéro spécial daté du 5 sept. -29 oct. 1969.
Situé en première page, il est accompagné d’une photo d’une machine
dévastée, ce qui vaudra à son directeur Francesco Tolin d’être
condamné à deux années d’emprisonnement pour « incitation à la
révolte contre l’État et au sabotage ». Dans des numéros suivants,
l’intitulé rend compte des révoltes ouvrières présentes ou passées, par
exemple des événements de l’été 1962 où PotOp situe le début du cycle
de protestation, car c’est « la redécouverte et la réappropriation de la
violence pour la renaissance du débat politique au sein de la classe
ouvrière » (n° 43, 25 sept. -25 oct. 1971, p. 34). L’article « La violenza
operaia come strumento di lotta » est paru de son côté dans le numéro
8 du 13 novembre 1969.
24. « L’agonie du capitalisme et les tâches de la IVe Internationale »,
Classique Rouge, n° 5, 1970, p. 32. Majuscules de l’auteur.
25. Chiffres du Ministère de l’Intérieur, repris in FIM-FIOM-UILM,
Repressione !, Roma, Tindalo, 1970, p. 3.
26. Témoignage de Georges, militant de la GP, ouvrier à Citroën,
recueilli par Michèle Manceaux, Les maos en France, Paris, Gallimard,
1972, p. 77.
27. Ibid., p. 195-196. Cette rumeur est prégnante : elle fut évoquée par
trois ex-militants gépistes interrogés.
28. Sa première action sera ainsi dirigée contre le « syndicat
indépendant fasciste de Citroën », une autre consistera dans l’attaque
de l’ambassade de Jordanie le 23 juillet 1971, en signe de solidarité avec
le peuple palestinien. Cf. Document de « La milice ouvrière
multinationale » in BDIC (Dossier NRP, Rés. 576 5/4/2) et celui destiné
à « l’union des comités de lutte d’atelier », intitulé « Renault-
Billancourt. 25 règles de travail », supplément à La Cause du Peuple-
J’accuse, n° 11, 1971.
29. Document de la NRP sur « Qu’est-ce que l’organisation clandestine,
ses fonctions, son organisation ? » (15 août 1973) in BDIC (Dossier
NRP, Rés. 576 5/4/2).
30. BDIC (Dossier NRP, Rés. 576 5/4/2). Voir également « Rapport
d’enquête sur les nouvelles formes d’organisation et d’action de la
gauche ouvrière à Renault-Billancourt », in Cahiers prolétariens, n° 1,
janvier 1971, p. 50 sqq. Majuscules de l’auteur.
31. « Symbole d’une certaine liberté » dans Le gauchisme, remède à la
maladie sénile du communisme (Paris, Seuil, 1968, p. 66) ou, dans Le
grand bazar (Paris, Belfond, 1975), moyen d’« utiliser le ridicule
comme arme contre l’absurde » (p. 150) en jouant « aux cow-boys et
aux indiens avec les flics » (p. 39). Les barricades sont avant tout, pour
Cohn-Bendit, une envie et un « support de nouveaux rapports
affectifs » à resituer dans l’aspect festif de Mai.
32. Daniel Bensaïd et Henri Weber, Mai 1968 : une répétition générale,
Paris, Maspero, 1968, p. 137.
33. Mouvement du 22 mars, Ce n’est qu’un début, continuons le
combat, Paris, Maspero, 1968, p. 67-68.
34. André Glucksmann, Stratégie et révolution en France 1968, Paris,
Christian Bourgois, 1968, p. 19 et 20.
35. Serge July, Alain Geismar, op. cit., Paris, Éd. et publications
premières, 1969, p. 180 et 183. 36. Mouvement du 22 mars, Ce n’est
qu’un début, continuons le combat, Paris, Maspero, 1968, p. 53.
36. Mouvement du 22 mars, Ce n’est qu’un début, continuons le
combat, Paris, Maspero, 1968, p. 53.
37. UNEF-SNESUP, Ils accusent, Paris, Seuil, 1968, p. 283-284.
38. Maurice Grimaud, En mai, fais ce qu’il te plait, Paris, Stock, 1977, p.
19.
39. Ibid., p. 100. Adrien Dansette a répertorié toutes les dépradations :
6400 mètres carrés de rues dépavées ou désasphaltées ; 130 arbres
sciés, déracinés, brûlés ou détériorés ; 540 grilles d’arbres arrachées ;
450 panneaux de signalisation détériorés ; 125 voitures incendiées, etc.
In Mai 68, Paris, Plon, 1971, p. 454.
40. La comptabilisation établie par Alain Delale et Gilles Rabache (12
« victimes directes » et 7 « indirectes ») est excessivement élargie : elle
inclut, par exemple, l’assassinat par balles d’un patron de bar
responsable du SAC, tout en reconnaissant que l’enquête n’en a pas
établi le mobile, ou celui d’un colleur d’affiches de la FGDS. In La
France de 68, Paris, Seuil, 1978, p. 230. Pour notre part, nous
entendons par victimes de Mai 68 les acteurs tués au cours même des
affrontements. En revanche, leur évaluation des blessés hospitalisés,
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