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La violence politique et son deuil - 3.

Exercer la violence - Presses universitaires de Rennes 01/11/2022 15:30

OpenEdition Books Presses universitaires de Rennes Res publica La violence politique et son deuil
3. Exercer la violence

Presses
universitaires
de Rennes
La violence politique et son deuil | Isabelle Sommier

3. Exercer la
violence
p. 77-109

Entrées d'index

Géographique :
France

Texte intégral

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1 Légitimée, la violence révolutionnaire se déploie, en France


comme en Italie, en des lieux déterminés et contre des cibles
précises. Elle naît d’abord dans la rue avec les affrontements
entre manifestants et forces de l’ordre, voire entre
manifestants eux-mêmes. Ce fréquent glissement vers un
usage violent des manifestations justifie la structuration des
services d’ordre, tandis que la violence y change
progressivement de nature : de défensive et d’occasionnelle,
elle devient offensive et quasiment rituelle. Une seconde
cible est trouvée dans la figure des « fascistes », ennemis
absolus contre lesquels tout, ou presque, est permis, du
moins en théorie. Enfin, la violence ouvrière, ou réputée
ouvrière, est dirigée de façon punitive contre les « petits
chefs », les « jaunes », etc.
2 Si l’exercice de la violence est de même nature dans les deux
pays, il varie considérablement en intensité : on s’apercevra
qu’il est, en France, plutôt symbolique ou fortement
théâtralisé et s’épuise autour de l’année 1973, alors que l’on
constatera en Italie un crescendo continu jusqu’à ce que les
groupes armés demeurent seuls sur le terrain de la guerre
ouverte contre l’État à la fin de la décennie 70.

Les formes de la violence révolutionnaire


L’affrontement des services d’ordre gauchistes et
policier
3 Il fut à juste titre avancé que l’affrontement physique avec
les forces de l’ordre marquait le passage des révoltes
étudiantes à la violence, où elles se seraient trouvées
précipitées sous le coup de la répression, alors qu’elles
étaient initialement pacifistes.
4 Pour preuve, on peut signaler qu’en Italie, le tournant
généralement retenu pour retracer l’histoire de 1968 est
amorcé par les heurts violents du 1er mars, dits
« affrontements de Valle Giulia » du nom de la rue romaine

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où ils se déroulèrent. Pour la première fois en effet, les


étudiants ripostent activement à la police. Leur résistance,
devenue « exemplaire », sera fortement popularisée au sein
du mouvement étudiant, notamment par une célèbre
chanson au titre significatif : « Nous n’avons plus fui »
(« Non siam’scappati più »). Guido Viale situe par exemple à
cette date la naissance des services d’ordre et le début du
recours à la violence contre l’État, tandis que Marco
Grispigni voit dans le slogan entendu alors : « Italie =
Espagne », le signe de la substitution de l’« élaboration
théorique au sein de l’université » par le problème pratique
de la répression1.
5 Mais si la violence émerge en 1968 comme une réaction de
défense à la répression policière, elle assume très vite
d’autres caractères, lorsque les affrontements s’avèrent
constituer une ressource aux multiples facettes. Ressource
immédiatement mobilisatrice, elle provoque la solidarité de
franges extérieures au milieu étudiant, choquées par la
répression dont il a fait l’objet. Ressource identitaire, elle
semble sceller dans l’épreuve le destin d’individus réunis
jusque-là autour de motivations catégorielles ou confuses.
Elle leur fournit donc une expérience fondatrice ancrée dans
le combat. À un troisième niveau, elle est aussi ressource
organisationnelle dans la mesure où son éventualité requiert
des mesures adéquates, prises par un petit groupe de
responsables, ainsi que la création d’un organe spécialisé
dans la protection des manifestations. Enfin, dans une
perspective plus large, l’affrontement a les vertus
pédagogiques d’une « gymnastique révolutionnaire », une
fonction d’affirmation par les faits d’une altérité radicale.
« Il y avait un rôle de défi : montrer qu’on n’a pas peur ; par
l’exemple et par l’action, commencer à enlever la peur du
gendarme […] [Le harcèlement des forces de l’ordre]
répondait aussi au message du Che à la Tricontinentale :
créer une espèce d’insécurité autour de l’adversaire.
Troisièmement, il y a un effet d’apprentissage,
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d’accumulation de l’expérience. L’idée qu’une avant-garde,


c’est pas seulement une avant-garde politique,
l’accumulation d’expériences militaires entre guillemets en
fait partie.2 » (Daniel, JCR)

6 Ces bénéfices portaient en eux-mêmes un potentiel de dérive


qui s’est effectivement produit et ce, dans un laps de temps
assez rapide. Du constat de l’utilité de la répression à la
théorisation de son utilisation à des fins de mobilisation, le
pas a été vite franchi, on l’a vu, par certains, en particulier à
la GP. Leader turinois de LC, Luigi va jusqu’à relever une
corrélation entre l’intensité de la violence de rue et les
moments de crise des organisations ; selon lui,
l’affrontement avec les forces de l’ordre aurait surtout visé à
répondre « aux propres difficultés du mouvement » (voire à
les masquer ?) :
« [La violence] est toujours arrivée quand le mouvement a
rencontré une défaite quelconque, comme tentative de
dépasser un obstacle en augmentant le volume physique des
actions : devenir plus radical en forçant. »

7 De leur côté, les services d’ordre se convertissent peu à peu,


soit en instrument de puissance aux mains des groupes pour
s’assurer la maîtrise politique d’une manifestation aux
dépens des autres participants, soit en une entité distincte
qui échappe toujours plus au contrôle politique de la
direction, les deux dérives se renforçant l’une et l’autre pour
transformer les cortèges en affrontements « tribaux » entre
spécialistes.
8 Un certain esprit de compétition militaire entre les groupes
n’est sûrement pas étranger à l’escalade de la violence en
Italie en ce qu’il entraîne chacun à faire montre de toujours
plus d’audace pour maintenir son rang dans l’échelle de la
valeur révolutionnaire3. LC fut particulièrement touchée par
ce phénomène d’autonomisation de son service d’ordre. Très
prestigieux, il a attiré nombre de jeunes qui y firent leurs
premières armes politiques et s’y consacrèrent

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exclusivement, au point de former progressivement un


groupe à part, fondé sur ses propres valeurs de courage
physique et de solidarité. Pourtant, la direction politique
tardera à affronter le problème, jusqu’à ce qu’il éclate de
façon dramatique avec la répression brutale que le service
d’ordre oppose aux militantes de LC au cours d’une
manifestation féministe le 6 décembre 1975. L’organisation
ne peut plus apparaître que pour ce qu’elle est : fractionnée,
tiraillée entre des groupes étrangers, voire hostiles les uns
aux autres (le service d’ordre et les femmes), elle
s’acheminera vers son auto-dissolution. Car la portée de ce
processus d’autonomisation du service d’ordre allait bien au
delà encore des problèmes de direction : en accueillant des
jeunes sans expérience politique antérieure, il les socialisait
exclusivement par la pratique de la violence et les
acclimatait sans doute à confondre action politique et action
militaire, équation fondamentale pour déterminer ensuite le
passage à la lutte armée. De fait, il est bien établi
aujourd’hui que les services d’ordre furent un vivier
important de recrutement pour les organisations
clandestines, y compris celui de LC, puisqu’une grande
partie, par exemple, de ceux qui quittèrent Lotta Continua
en 1974 sur des positions dites militaristes (la scission de la
« corrente ») pour confluer ensuite au groupe armé Prima
Linea, en étaient membres.
9 Un autre exemple de dérive, moins dramatique, est
constitué par le service d’ordre de la JCR.
« À l’époque, c’était très difficile, pour une organisation
nouvelle d’extrême gauche, de se faire une place au soleil
sans disposer d’un organe de ce type. D’abord dans la
jeunesse, c’était très bien vu, parce qu’il y avait cette
valorisation de la violence. Donc avoir un bon service d’ordre
qui manœuvrait comme à la parade et qui était efficace, ça
conférait un prestige important dans le milieu lycéen et
étudiant. D’ailleurs, il y en avait qui adhéraient à la JCR
pour adhérer à son service d’ordre. » (Henri, JCR)

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10 Il acquiert en effet, sous la direction de Michel Recanati, une


capacité offensive sur le terrain de la rue qui est inégalée à
l’extrême gauche. Il s’emploie à rester le plus efficace par un
double entraînement :
« Un entraînement de fait, parce que c’était un SO qui
servait beaucoup, et souvent les manifestations
débouchaient sur des heurts provoqués par le SO lui-même.
Il y avait la doctrine de pousser à l’affrontement, c’était
délibéré. Donc il y avait d’abord l’entraînement naturel de
l’exercice de la fonction, contre la police dans les manifs,
contre l’extrême-droite sur les marchés, contre le PCF à la
sortie des usines, contre la CFT [Confédération Française du
Travail, courant autonome, de droite] aussi. Par ailleurs, il y
avait des stages, des sorties en forêt le samedi et le dimanche
avec entraînement aux actions collectives, coordonnées, avec
maniement du bâton, du cocktail molotov, etc. » (Henri,
JCR)

11 Enfin il invente, avec la manifestation contre la venue du


président Nixon le 28 février 1969, une nouvelle tactique de
manifestation qui consiste d’une part, à tenir secret le lieu
de rendez-vous, d’autre part à détacher des commandos qui
vont réaliser des actions spectaculaires en différents points
de la ville : en l’occurrence, saccage des vitrines de
l’American-Express, de la Pan-America, d’IBM et raid contre
l’hôtel Hilton. Ces techniques de guérilla urbaine culminent
le 21 juin 1973 avec des batailles de rue qui font quelque 80
blessés parmi les forces de l’ordre. À la suite de cette
manifestation, la JCR est frappée par un décret de
dissolution puis met elle-même un coup d’arrêt à la
conception ultra-guerrière du service d’ordre. C’est, selon
Henri Weber, « la liquidation du passé estudiantin,
spectaculaire, disons gauchiste4 ».
12 Une troisième source de dérive provient de la dimension
propédeutique des affrontements de rue. Par leur régularité,
ils semblent assumer le caractère d’un « rite d’initiation au
militantisme révolutionnaire5 ». Par leur relative retenue,

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une représentation théâtrale parfaitement intégrée à la


logique de la société du spectacle : ils donnent l’image de la
guérilla urbaine6.
« À un certain point, c’est devenu un jeu qui se reproduisait,
un jeu militaire. Je me souviens qu’à Milan, nous faisions un
cortège par semaine. » (Luigi, LC)
« S’il y avait une forte composante de violence […], il y avait
aussi souvent un élément je dirais ludique. Il y avait cette
attente, dans tout ce que tu faisais, il y avait également
l’affrontement avec la police. Par exemple en 1976, toutes les
semaines il y avait les manifestations des cercles du
prolétariat juvénile, tous les samedis il y avait l’affrontement
avec la police. C’était une chose connue, attendue, nous nous
y préparions. En 77, la chose commence à être différente,
parce qu’elle ne fait plus partie du jeu, elle n’est plus un
élément parmi d’autres qui compose l’activité militante du
mouvement, elle devient l’élément constitutif, principal […]
Après la manifestation du 18 mars 1977, nous nous disons
“ce n’est plus possible, ce jeu ne nous appartient plus”. On
ne pouvait plus faire une manifestation qui ne soit pas une
manifestation armée. » (Pino, AutOp)

13 En évoquant l’existence, en 1977, d’une césure au-delà de


laquelle le jeu des affrontements ritualisés basculerait dans
le réel, les propos de ce militant italien mettent en lumière
une des différences majeures entre les deux pays. Alors
qu’en France, la confrontation physique entre « gauchistes »
et forces de l’ordre semble gouvernée par une certaine
codification des comportements, une auto-limitation de part
et d’autre qui relèverait d’une sorte de « gentleman
agreement » (Romain, JCR), elle s’accentue
progressivement en Italie jusqu’à perdre toute dimension
symbolique. De toute évidence, il s’agit là d’une variable
déterminante au devenir de la révolte qu’il nous faudra
bientôt interpréter en prenant en compte les réponses
étatiques au mouvement contestataire.
14 La retenue réciproque des acteurs français est bien
expliquée par un « spécialiste » des affrontements de
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l’époque : Romain (JCR).


15 – D’une part, les policiers n’étaient pas vus comme des
ennemis absolus :
« Les policiers, à la limite, étaient des gens qui, à un moment
ou à un autre, pouvaient être amenés à être convaincus de la
justesse de ce qu’on avançait » ;

16 – D’autre part, chacun semble respecter le rôle de l’autre :


« On savait que les affrontements ne seraient jamais
victorieux. Le problème, c’était de tenir, de montrer qu’on
était capables de ne pas obéir à un ordre, par exemple
l’interdiction de joindre tel territoire, qui ne nous convenait
pas. C’est tout. On savait que leur boulot était ça et le nôtre,
un autre. Il y avait comme un gentleman agreement, un
deal. »

17 – Enfin, cette distance au rôle est rendue possible par le fait


que les militants sont conscients de la modération du
maintien de l’ordre, ce qui, là aussi, diffère notablement du
cas italien :
« À aucun moment, il venait à l’idée qu’ils étaient des SS […]
Même s’ils pouvaient s’énerver, à aucun moment ils
n’avaient envie de tuer des mômes de 16 ans. On savait que
lorsqu’ils nous encerclaient, il y avait toujours une porte de
sortie. Et eux savaient qu’on n’allait pas tirer. Et puis on était
protégés par toute une série d’organisations syndicales. »

L’« antifascisme militant »


18 Centrale durant ces années, la question de l’antifascisme
dépasse largement les frontières des groupes faisant
l’hypothèse d’un coup d’État ou d’une fascisation du régime
en place. Elle est réveillée, en France, par la guerre d’Algérie
qui réactive, sur le sol français, les affrontements entre les
extrêmes. Nombreux sont les militants pour lesquels la
mémoire de la deuxième guerre mondiale reste vive et
continue de commander les schèmes de perceptions de
l’univers politique, scindé entre le camp du progrès et les

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forces réactionnaires. Certains s’attribuent une « conscience


antifasciste » bien antérieure à une quelconque politisation,
tel Jacques, qui avoue sa « faible connaissance politique » à
son arrivée à Paris :
« Mais j’étais antifasciste. C’est comme cela que je me suis
socialisé. Eux maniaient la dialectique, moi la matraque.
C’est comme cela que je me suis imposé, enfin que je me suis
fait une identité.7 »

19 S’opposer à la « peste brune » apparaît comme un devoir


éthique, quand bien même les « fascistes » – le terme étant,
de loin, préféré à celui, euphémisé, d’« extrême droite » –
sont considérés ne plus représenter une menace tangible
pour la démocratie et n’être qu’une « armée mercenaire au
service des patrons8 ». D’ailleurs, il convient de noter que les
documents appelant à les « frapper » sont souvent les plus
virulents, comme en témoigne cet extrait de tract de Potere
Operaio :
« Les détruire, les mettre en morceau, les terroriser, en
casser l’organisation, briser l’épine dorsale de cette armée
anti-ouvrière, punir avec une violence systématique ces
assassins, c’est un devoir que les avant-gardes
révolutionnaires doivent remplir immédiatement, de façon
préliminaire, comme nécessité élémentaire de défense du
mouvement. Camarades, jetons dehors les fascistes,
libérons-nous de cette épine dans le flanc, enlevons cette
carte des mains des patrons ! […] Camarades, l’unique
antifascisme qui vaille est celui qui gagne sur le plan des
rapports de force.9 »

20 Les affrontements avec les groupes d’extrême droite


commencent, pour les militants, bien avant les événements
de 1968 qui ne feront qu’aiguiser une polarisation
antérieure. En France, ils débutent au cours de l’année 1966
à l’initiative d’Occident : attaques d’une représentation des
Paravents de Jean Genêt le 4 mai, du campus de Nanterre
en octobre et en novembre, de celui de Rouen en janvier
1967, etc. Ils se greffent ensuite sur la question de la guerre
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du Vietnam avec, par exemple, la mise à sac, par les CVB10,


de l’exposition du Front Uni de Soutien au Sud-Vietnam de
Roger Holleindre (19 avril 1968). C’est sur ce terrain que
s’organisent de petits groupes spécialisés dans les « combats
de rue » – celui de la JCR et de Pierre Goldman par exemple
– et que s’attise la concurrence des organisations gauchistes,
via celle opposant les CVB (maoïstes) et le CVN (où la JCR
joue un rôle prédominant).
21 L’antifascisme constitue sans doute pour l’extrême gauche
un instrument élémentaire de mobilisation et de
propagande en faveur du recours à la violence, dans la
mesure où la cible proposée ne prête pas à palabre. C’est
particulièrement évident en Italie où l’antifascisme répond à
une violence d’extrême droite de fait, pour le moins ouverte,
et s’inscrit dans une tradition enracinée depuis la fin de la
guerre. Toutefois, pour marquer leur distance avec
l’« antifascisme institutionnel », les groupes vont pratiquer
ce qu’ils appellent l’« antifascisme militant », qui oppose
aux cérémonies rituelles, organisées sur ce thème par les
organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, une
mobilisation permanente, conjuguant des formes d’action
conventionnelles – cortèges, meetings, etc. – et illégales :
incendies de sièges d’organisations d’extrême droite ou
passages à tabac des militants. Laissons à Giovanni De Luna
le soin de le définir, lui qui fut le dirigeant turinois de LC le
plus attaché à cette dimension antifasciste de son
organisation :
« L’antifascisme militant frappe toutes les articulations de
l’attaque fasciste. Dans les usines le “chef” […], tout le menu
visage de la violence patronale et étatique est attaqué par la
force de la classe ouvrière. Dans la pratique de la lutte
autonome, dans la redécouverte de nouvelles formes
d’organisation qui rompent le mur syndical contre les luttes
ouvrières, les masses lient la praticabilité des objectifs du
programme ouvrier à l’usage de formes de lutte et
d’instruments organisationnels qui en garantissent

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l’efficacité, la fermeté politique, la crédibilité aux yeux des


prolétaires. La violence, non pas vécue comme fait
minoritaire et militariste mais dans sa dimension de masse,
est une composante essentielle à ces luttes.11 »

22 Les méthodes sont équivalentes d’un groupe à l’autre :


affrontements et actions exemplaires soit à des fins
strictement punitives, soit pour « indiquer aux masses la
direction de la violence. Donc il fallait prendre l’initiative
d’actions violentes, ciblées contre la CFT (Confédération
Française du Travail) ou l’extrême droite, d’actions
symboliques » (Henri, JCR). Fidèles à leur démarche
internationaliste, les trotskistes de la JCR se concentrent sur
les « symboles de l’impérialisme » : le général sud-
vietnamien Ky est accueilli par un jet de peinture rouge ;
l’ambassade d’Argentine ou le consulat américain sont
attaqués… Ils s’opposent ensuite violemment à la tenue des
meetings d’Ordre Nouveau, notamment le 21 juin 1973.
L’antifascisme requiert aussi un travail d’information sur les
activités contrerévolutionnaires et de « contre-
information », notamment par le fichage des « fascistes »,
comme l’explique Henri :
« Il y avait un appareil clandestin qui s’était spécialisé en
particulier dans l’information sur les groupes d’extrême
droite, avec, par exemple, un fichier de la CFT. Tant et si
bien que, quand la CFT, à la suite de heurts très violents à
Citroën-Rennes, a publié dans mon quartier une affiche à
mon effigie avec “Cet homme est dangereux…”, grâce à ce
fichier, on a publié en page centrale dans Rouge tout
l’organigramme de la CFT, avec leurs photos, avec en titre :
“À bon entendeur, salut”, c’est-à-dire si vous faites, on peut
faire aussi. »

23 Les maoïstes de la GP, quant à eux, exploitent au maximum


le label antifasciste. En témoignent le sigle de leur branche
clandestine, la NRP, et leurs actions, comme l’explosion
contre le journal Minute, réalisée dans la nuit du 13 au 14
mai par le « groupe Manouchian ». Dans un document de

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présentation, ils disent vouloir « construire une organisation


capable de lutter contre le fascisme, de la base au
sommet12 ». Malgré cette stratégie, la GP n’abandonne pas le
terrain de la rue à sa concurrente, la JCR. Une de ses
initiatives les plus spectaculaires fut les affrontements du 9
mars 1971 contre un meeting d’Ordre Nouveau,
« groupuscule minable de nazis [qui] prétendait tenir un
meeting pour insulter la résistance populaire ». Le compte
rendu de cette action condense toute la mythologie
partisane de l’organisation maoïste :
« Paris ne sera pas Athènes […]. La haine remonte de loin :
nous n’avons pas oublié le massacre des juifs et des
résistants par les nazis et les collaborateurs, nous n’avons
pas oublié le massacre de nos frères algériens par les
successeurs des nazis lors de la guerre pour l’indépendance
de l’Algérie. Nous n’avons pas oublié le mot d’ordre du poète
de la Résistance : “Par les armes et par le sang, délivrez-nous
du fascisme”.13 »

24 Toutefois, même sur le terrain de l’antifascisme, les


affrontements obéiraient, en France, à une certaine
codification :
« Le mot d’ordre, c’était : “Pas de liberté pour les ennemis de
la liberté”. C’était beaucoup plus violent [qu’avec les forces
de l’ordre], même s’il y avait une espèce de code : on ne tirait
pas et, autant que faire se peut, on évitait que quelqu’un
meurt dans les affrontements, donc pas taper à la tête, avoir
des casques, etc. Eux respectaient ça aussi, à peu près […].
Donc, même si c’était une lutte à mort, c’était très codé. Si
un était attrapé par des types d’extrême gauche, il était pas
massacré. » (Romain, JCR)

25 En revanche, les affrontements entre les extrêmes se


soldèrent, en Italie, par de nombreuses victimes, en
particulier durant le printemps 1975. Pour comprendre le
phénomène, il faut rappeler l’ampleur de l’activisme
d’inspiration néo-fasciste : entre 1969 et 1975, 83 % des faits
dits de « violence politique » lui sont imputables, ainsi que

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63 des 92 victimes de l’époque14. Là encore, la différence est


de taille avec la France, où la rencontre entre les extrêmes
n’atteint pas un tel degré de polarisation. Les militants de la
gauche extra-parlementaire expliquent ces affrontements
comme une conséquence de l’agressivité première des
« fascistes » et de la complicité des forces de l’ordre. De
plus, ils les inscrivent en continuité avec la tradition de la
Résistance et en conformité avec la lutte de classes. Le
slogan « Les fascistes ne doivent pas parler » est remplacé
dès 1974 par celui « Tuer un fasciste n’est pas un crime »,
qui résonne au-delà des franges les plus extrémistes que
nous étudions. Le mot d’ordre et la pratique antifascistes
perdureront bien après les années où l’extrême droite
représentait une menace tangible (entre 1968 et 1974).

La violence ouvrière
26 Une certaine continuité existe entre l’antifascisme et la
violence ouvrière dans la mesure où leurs cibles sont
souvent assimilées par les groupes d’extrême gauche : les
« petits chefs » sont facilement qualifiés de « sbires
fascistes » et les actions dont ils sont victimes de « juste
réaction de défense ».
27 La JCR conçoit par exemple la violence ouvrière sous un
angle essentiellement défensif, lorsqu’elle trouve les
premiers balbutiements de « l’autodéfense ouvrière » dans
l’organisation des piquets de grève destinés à se protéger des
« attaques des groupes fascistes15 ». Quant à la GP, elle
explique que l’industrie automobile soit son terrain
d’intervention privilégié par le fait que c’est là où le fascisme
serait le plus organisé :
« Le cœur de la société, c’est l’usine […]. Le “secteur de
pointe”, aussi bien du point de vue de la bourgeoisie (le
profit le plus grand), que du point de vue du prolétariat (les
luttes les plus fortes), c’est l’industrie automobile.
L’affrontement entre le fascisme patronal et la résistance

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antifasciste ouvrière dans les grandes bases de l’industrie


automobile, c’est le point le plus important de l’affrontement
général entre l’ensemble du peuple, et l’ensemble des classes
réactionnaires, sur l’ensemble de la France ; de chaque côté,
c’est là que se prépare l’avenir ; nous devons donc nous
concentrer sur ces bases-là ; se concentrer sur ces bases-là,
c’est se concentrer sur ce qu’il y a de plus important en
France.16 »

28 Dans cette perspective, il est intéressant de noter que, parmi


les arguments avancés pour justifier le privilège des groupes
extra-parlementaires pour le secteur de l’automobile, figure
également en bonne place le rôle historique joué par les
« métallos » dans la Résistance à l’occupant nazi17.
29 Le rapprochement entre violence ouvrière et lutte
antifasciste n’est pas totalement dépourvu de fondements
dans la réalité, si l’on considère du moins le « vécu » des
grèves de l’époque. La « colère ouvrière » a surtout explosé
dans les grandes entreprises, jusque-là tenues de main de
maître, et s’est dirigée principalement contre les
instruments patronaux qui faisaient régner la discipline et la
crainte – le personnel d’encadrement, les syndicats-maison
ou les non-grévistes. Les actes de violence revêtent dès lors
un caractère libérateur : ils affranchissent l’ouvrier de la
peur que lui inspirait la hiérarchie en la désacralisant, et
affirment l’avènement d’un ordre nouveau dans l’usine,
débarrassée de ses « gardes-chiourmes ». C’est ce que Guido
Viale appellera d’une expression promise à un grand succès,
la « révolution culturelle dans les usines italiennes » :
« Les ouvriers lentement s’émancipent. Ils détruisent dans
l’usine l’autorité constituée, ils démantèlent les instruments
que les patrons utilisent pour les diviser et les contrôler, ils
se libèrent des tabous qui jusque-là les ont tenus esclaves
[…]. Le mode de production capitaliste, c’est-à-dire le
système des patrons, se fonde notamment sur le respect et la
peur que les ouvriers ont vis-à-vis de leurs chefs et de leurs
supérieurs. Quand au contraire, ce sont les chefs et les

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supérieurs qui ont peur des ouvriers et de leur force, l’usine


se grippe […]. La première conquête de la lutte interne est la
libération de la peur des chefs.18 »

30 La « séquestration des patrons » trouve trois types de


légitimation selon la GP : elle « impose la loi des masses
dans l’usine » ; elle « retire le prestige du patron en brisant
son autorité » et permet enfin « d’ignorer et de dépasser les
formes de lutte traditionnelles, d’appliquer des formes
nouvelles de lutte : celle de la Résistance prolétarienne.19 »
Première étape du processus de libération, la violence
ouvrière est donc également l’expression du « pouvoir
d’exister comme classe, comme antagonisme radical »,
« déclaration explicite et radicale de l’indépendance du
prolétariat des tribunaux, des codes, de la morale de la
bourgeoisie20 ».
« La violence ouvrière se présente durant toutes les années
70 comme fortement libératrice. En son principe, c’est un
élément anti-autoritaire. Ce n’est pas un hasard si LC
théorise surtout la violence à l’intérieur de l’usine comme
affirmation symbolique du changement de l’ordre interne,
comme symbole de l’instauration d’un nouvel ordre
symbolique. Il y avait une logique théâtrale de la violence
qui, pour nous, était très significative. » (Peppino, LC)

31 L’insistance sur ce thème se comprend si l’on considère,


avec Richard Gombin que, par rapport aux analyses sur la
conscience de classe de l’orthodoxie marxiste-léniniste, « le
gauchisme opère un renversement total : la conscience
révolutionnaire est le produit de la lutte.21 » Dans un tel
cadre, la violence est un instrument pour faire naître le
groupe, pour « dénoncer » les responsables et « exercer la
justice populaire22 ». Elle fait par conséquent l’objet d’une
forte exaltation de la part des groupes d’extrême gauche : à
partir de l’automne 1969, le journal Potere Operaio
multiplie les articles aux titres dépourvus d’ambiguïté –
« Oui à la violence ouvrière », « La violence ouvrière comme

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instrument de lutte23 », etc.


32 On a vu Lotta Continua se féliciter des actions de
représailles contre les non-grévistes et les petits chefs, leur
offrir son appui logistique en imprimant des tracts où les
ouvriers pouvaient inscrire le nom de la personne à
« punir ». En France, lors d’une rencontre à la Mutualité en
mai 1969, Alain Krivine avance l’idée de « milices
ouvrières » qui constitueraient l’une des étapes
intermédiaires, entre les piquets de grève et l’armement du
prolétariat, nécessaire au processus révolutionnaire :
« Il faut donner à la haine légitime des ouvriers pour les
jaunes, les bandes de gangsters et de fascistes, une
expression organisée. Il faut lancer le mot d’ordre de la
MILICE OUVRIÈRE comme seule garantie sérieuse de
l’inviolabilité des organisations, des réunions et de la presse
ouvrières.24 »

33 Dans les faits, la contribution des groupes d’extrême gauche


est moins homogène que ne pourraient le faire penser de
telles pétitions de principe ou déclarations
programmatiques. Au sein des grandes usines du nord de
l’Italie, le phénomène de la violence ouvrière et
l’implantation « gauchiste » sont suffisamment diffus pour
que la participation des militants ne nécessite pas la mise en
place d’une structure spécialisée dans ces actions. C’est ainsi
qu’entre septembre et décembre 1969, 8 396 inculpations
ont été prononcées dans le cadre de conflits du travail, pour
un nombre total de 14 036 délits, parmi lesquels 3 325 pour
« invasions illégales d’entreprise, de terrains ou d’édifices
publics », 1 712 pour « violence privée », 1 610 pour
« blocages de voies ferrées », 1 376 pour « interruption de
services publics », 235 pour blessures corporelles, 179 pour
dévastations et saccages, 124 pour « détention d’armes de
guerre ou d’explosifs et intimidation avec usage de matériels
explosifs25 »… Près de 10 000 ouvriers et responsables
syndicaux auraient ainsi été inculpés au cours de l’Automne

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Chaud. Les métallurgistes de Mirafiori, en tête de ce


« palmarès », sont à l’origine des innovations du répertoire
d’action ouvrière : cortège interne à travers les ateliers pour
rallier les non-grévistes, y compris physiquement, ou les
faire fuir, « filtre aux portes » pour empêcher tout travail,
etc. À l’inverse, l’isolement global des Français par rapport à
la classe ouvrière engendre deux réactions opposées. Celle
des trotskistes, qui prennent acte de leur extériorité à
l’usine :
« Le problème, c’est que souvent les actions contre les petits
chefs, c’était fait par les groupes mao. L’idée qu’on avait,
c’est que quand ce sont les ouvriers qui le font eux-mêmes
spontanément, c’est juste. Nous, globalement, on est contre
des initiatives de violence minoritaire quand ça sert de
substitut à son incapacité de faire une initiative de masse.
Très souvent les maos dans les entreprises utilisaient la
haine contre les patrons pour pousser jusqu’au bout
l’affrontement individuel, ou l’affrontement très minoritaire
pour cacher, ce qui était leur cas mais le nôtre aussi, le fait
qu’on n’avait aucune audience de masse. » (Alain, JCR)

34 Celle des maoïstes de la GP qui, en dépit de leur petit


nombre, vont, au contraire, chercher par tous les moyens à
ranimer ce qu’ils croient être la « vérité des masses » : la
violence. Deux témoignages suffisent à éclairer cette
fascination pour une violence dont le moins que l’on puisse
dire est qu’elle est très largement fantasmatique :
« Avant Mai 68, le mec qui en avait marre, il prenait un
marteau et il le balançait dans la gueule du chef ! […] Il y en
avait tous les jours des actions comme ça. Des cassages de
gueule ! Mais il fallait en faire une lutte organisée.26 »

35 Et, bien sûr, le recours à la légende des CRS dissous dans de


l’acide par les ouvriers de Sochaux en 1968 revient dans la
bouche même de Benny Lévy :
« Il y a quand même eu de 8 à 11 CRS tués de l’aveu des
ouvriers […]. Pour les gars de Sochaux, la leçon qu’ils en ont
tirée se voit encore maintenant en 1971, ils disent : “La

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prochaine fois, c’est avec les flingues qu’on accueille les


CRS”. Les premières discussions qu’on avait eues avec les
ouvriers révolutionnaires, là-bas, c’était : “Ce qu’il nous faut,
c’est des groupes armés”.27 »

36 Non contents d’exalter la violence ouvrière sur le mode :


« un patron, ça se séquestre, un petit chef, ça se mate », les
maoïstes vont montrer l’exemple en organisant des
sabotages et des actions de représailles réalisés par les
« établis » ou par des actions de commando sous l’égide de
la NRP, comme l’explique Christian (GP) :
« On frappait symboliquement des gens ou des institutions
qui s’étaient montrés particulièrement en pointe dans la
répression. Il s’agissait de prendre en main ce que le peuple
lui-même ne pouvait pas faire. Tant qu’il s’agissait de casser
la figure aux petits chefs d’atelier, ça, ça se faisait dans les
ateliers, pas besoin de la NRP pour ça. Alors les militants
collaient des petits papiers où il y avait : “je m’appelle…, j’ai
fait ceci et je vais me faire casser la gueule”. Les ouvriers
étaient chargés de remplir les blancs, c’est-à-dire de mettre
les noms, et ensuite le comité de lutte se chargeait… […]
Lorsque ça ne pouvait plus être fait par des militants
exposés, il y avait des militants spécialisés, la NRP. C’était
symbolique et pédagogique. Ce qu’il fallait montrer, c’était
qu’on pouvait frapper des appareils qui jusque-là passaient
pour intouchables, qu’on pouvait punir des gens qui jusque-
là étaient doués de toute immunité. »

37 De nombreux incidents de la sorte se vérifient au cours de


l’année 1970, notamment à Rhône-Poulenc : insultes,
badigeonnage à la peinture, matraquage…
38 Trois organisations de la GP peuvent être distinguées,
correspondant à un niveau croissant de clandestinité : les
GOAF (Groupes Ouvriers Anti-Flics), comprenant « des
éléments actifs des luttes de masse sous le contrôle direct
des ouvriers et avec leur protection » ; les MOM (Milices
Ouvrières Multinationales), « organisation politico-
militaire » qui regroupe des travailleurs immigrés, en

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particulier maghrébins, et intervient plus spécifiquement


sur les questions du racisme28, et enfin la NRP qui a
l’objectif suivant :
« Désagréger autant que possible les forces de l’ennemi,
montrer aux fascistes qu’ils ne font pas la loi facilement donc
en décourager un certain nombre » et « éduquer le peuple et
les forces antifascistes en montrant que, lorsqu’on a le
fascisme en face de soi, l’utilisation de la violence est une
nécessité pour se défendre et gagner ; en aguerrissant les
groupes antifascistes de façon à les préparer à devenir des
groupes d’accueil pour le moment où l’antagonisme entre le
peuple et le fascisme deviendra armé.29 »

39 Il est rare en effet de trouver, sur cette question, un


document gépiste qui n’établisse pas explicitement le lien
entre violence ouvrière et « fascisme » ou « terrorisme de la
direction ». Dans une veine populiste, il y est aussi souvent
fait mention de « corruption », de « privilèges », de
« scandales », etc. Un exemple de ces actions nous est donné
le 6 juin 1973 quand le directeur de Peugeot-Saint-Étienne
est passé à tabac par quatre hommes armés de barres de fer
qui laissent un tract signé « Brigade antifasciste Beylot et
Blanchet », du nom des deux ouvriers de Sochaux tués lors
des affrontements avec les forces de l’ordre en juin 1968. À
la suite de cet épisode, une « Lettre ouverte aux directions et
chefs d’entreprise fascistes » sera distribuée qui leur lance
l’avertissement suivant, en guise de conclusion :
« CECI VOUS CONCERNE ET CONCERNE TOUTES LES USINES FASCISTES DE
FRANCE. Souvenez-vous de ce qui est arrivé à Charrel
(directeur de Peugeot-St-Étienne), 27 points de sutures sur
le crâne et trois mois d’observation à l’hôpital. Souvenez-
vous. LA PAROLE DU PEUPLE.30 »

Les dynamiques de la violence


Théâtralisations en France

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40 Si l’on devait résumer de façon lapidaire l’expérience


française de la violence révolutionnaire, il faudrait relever
immédiatement sa dimension largement théâtrale et, plus
précisément, la distance qui sépare sa retenue, objective, du
sens subjectif, très guerrier, qu’en donnèrent alors les
acteurs.
41 La théâtralisation apparaît manifeste dans ce qui est souvent
retenu des « journées de Mai » : les barricades. Qu’elles
aient été totalement dépourvues d’une quelconque efficacité
militaire, cela ne fait aucun doute et tous en conviennent.
Mais il n’y a pourtant que Daniel Cohn-Bendit31 pour
reconnaître leur caractère essentiellement ludique, tandis
que les autres y cherchent et y trouvent une signification
révolutionnaire plus ou moins avancée : valeur d’ancrage
symbolique dans la tradition révolutionnaire pour Daniel
Bensaïd et Henri Weber32, rôle d’affirmation pour le
Mouvement du 22 mars33, « instrument politique d’éveil »
pour André Glucksmann34, voire « signe de coupure » pour
les auteurs de Vers la guerre civile :
« Les barricades, c’est la coupure ; je n’attends plus de celui
qui a le pouvoir qu’il me donne quelque chose. Cette coupure
introduit la mort et le risque de mort : j’affronte le problème
[…]. À ce moment-là apparaît, et seulement dans le risque de
mort, la possibilité d’instaurer l’ordre nouveau.35 »

42 La tendance à l’emphase est analogue lorsque les acteurs


commentent les attaques d’édifices publics qui, à les
entendre, auraient été légion et auraient répondu à une
tactique précise :
« Quelque grande qu’ait pu être notre envie, nous n’avons
pas tenté de prendre l’Élysée ; mais cette démarche de
l’insurrection, du coup de force, est présente dans le type
d’objectifs que nous donnons aux manifs ou à l’action directe
(mairies, commissariats), c’est toujours l’idée du pouvoir
central qui est en jeu.36 »
« La colère des manifestants s’attaque aux centres nerveux
vitaux du système oppressif : les commissariats de police et

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les préfectures, organes directs de l’État policier ; la Bourse,


temple du capital…37 »

43 Faut-il rappeler qu’il n’y eut guère que le commissariat du Ve


arrondissement de Paris et la Bourse à subir ces assauts ?
L’exercice d’équilibriste est constant qui cherche à donner
sens à des actions qui, manifestement, n’étaient ni
préméditées ni rationalisées dans un objectif tactique
défini ; d’où ces interprétations tâtonnantes mélangeant les
genres.
44 Le côté spectaculaire de Mai 68 s’observe jusque dans ses
effets immédiats. Comme le dit le Préfet de police de Paris
de l’époque, Maurice Grimaud, « la violence y atteignit des
paroxysmes, mais sans mort d’homme.38 » Les rues
dépavées, les arbres sciés, les automobiles calcinées et
toutes les dégradations donnent un « spectacle de guerre
civile39 ». « Le lendemain, c’était Beyrouth après la
bataille », commente par exemple Xavier (JCR). Les blessés
sont nombreux, mais le nombre des victimes surprend par
sa faiblesse : quatre morts, dont un commissaire de police
écrasé par un camion le 24 mai à Lyon, l’étudiant Gilles
Tautin le 10 juin à Flins et deux ouvriers de Peugeot-
Sochaux, Pierre Beylot et Henri Blanchet, le 11 juin 1968.
Donc aucun manifestant durant les journées parisiennes de
mai40.
Tableau 1. Nombre de blessés hospitalisés du 1er
mai au 31 juillet 1968

Source : Alain Delale et Gilles Rabache, La France de 68,


Paris, Seuil, 1978, p. 230.

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« C’est à la fois violent et une forme de violence qui se


maintient dans certaines limites de violence symbolique. Je
crois que le fait qu’il y ait une capacité de contrôler de part et
d’autre la dynamique de la violence, c’est aussi l’indice d’une
conscience confuse, ou d’un sentiment, qu’il y a à la fois du
sérieux et beaucoup de parodie, beaucoup de symbolique
dedans. » (Daniel, JCR)

45 Cet affrontement paisible dans son issue entre les forces de


l’ordre et les manifestants est d’autant plus énigmatique
qu’il se déroule dans une atmosphère de dramatisation
extrême, où les rumeurs les plus folles circulent. Jacques,
par exemple, se souvient :
« Ce qui se disait beaucoup, c’est qu’il y avait des morts
qu’on nous cachait ; on parlait d’enterrements en cachette,
déguisés en accidents. »

46 La couverture médiatique, minute par minute à la radio,


n’est pas pour rien dans l’« amplification émotionnelle » et
« la dimension épique » des nuits du Quartier Latin41.
Accusés de favoriser la mobilisation, les médias finirent
d’ailleurs par se voir interdire la réalisation de reportages en
direct à partir du 23 mai, ce qui ne produisit aucun effet. S’il
est vrai qu’alors « tout quantum d’information devient un
quantum d’action42 », on peut se demander dans quelle
mesure la spectacularisation de Mai 68 a contribué à
stériliser sa charge subversive au point de le réduire, selon
Raymond Aron, à un pur psychodrame43. Dire que cette
première « révolution en direct » relève du spectacle
autorise plusieurs interprétations des « événements ». On
peut y voir soit, à la suite du sociologue, un happening, c’est-
à-dire un événement collectif imprévu servant de
psychothérapie de groupe, soit une exhibition théâtrale qui
tient lieu de révolution et la prévient même, la société du
spectacle neutralisant la transgression en la vidant de tout
sens et en la ramenant à une agitation exclusivement
spectaculaire44.

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47 L’aspect essentiellement agitateur se poursuit dans les


premières années soixante-dix avec les affrontements de
rue, sorte de ballet rituel entre forces de l’ordre et
contestataires, et les actions spectaculaires de la JCR et de
VLR, comme l’occupation le 10 janvier 1970 du CNPF par les
maoïstes.
« Inconsciemment, il y avait une limite posée, c’est-à-dire
dès qu’on approchait un point. Ce type de violence était très
largement symbolique, on la prenait au sérieux, mais pas
trop. Quand on arrivait à un point limite, il y avait un côté
farce qui prenait le dessus. Il y avait presque une esthétique
du bon coup réussi, du “comme si”, mais qui ne veut pas
aller au-delà d’une certaine limite. » (Daniel, JCR)

48 C’est dans un autre jeu, mais du même style, que s’engage la


GP : mise en scène soignée et acteurs convaincus faute d’être
convaincants tant sera encore creusée la distance entre ce
que Raymond Aron qualifie de « délire verbal » et la
réalité45. Là encore, si la représentation n’était pas assez
assurée, il ne manquait pas d’exégètes pour commenter
l’action et en forcer le trait. Après avoir annoncé en août
1969 : « Patrons, c’est la guerre », La Cause du Peuple
prévient en octobre :
« Patrons, directeurs, gouvernement, cumulards, gradés,
faites gaffe à vos os. Quand nous le voudrons, tous unis, on
vous séquestrera, on vous crachera dans la gueule et on vous
pendra, par les pieds d’abord… »

49 Le langage de guerre apparaît dans les « unes » du journal :


« On a raison de séquestrer les patrons ! » (octobre 1969) ;
« Si tu ne frappes pas le patron, rien ne change ! » (février
1970) ; « Condamnés pour crimes anti-populaires, à nous
d’exécuter la sentence » en commentaire des photographies
de ministres ; « Pour un œil les deux yeux » ; « Écraser la
vermine capitaliste », etc. On ne saurait être plus explicite,
sauf à individualiser la menace, ce qui a été fait à l’encontre,
on l’a vu, des chefs d’entreprise, de la maîtrise et des non-

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grévistes, ou encore des policiers. Ces rappels historiques


étant faits, quelle valeur heuristique peut-on accorder aux
souvenirs fort euphémisés que le temps semble avoir laissé à
certains militants ? Un seul exemple suffit à rendre compte
de ce phénomène d’amnésie collective déjà évoqué :
« La violence qu’on prônait ne visait presque jamais à
détruire l’ennemi, mais à être un moment de libération […]
On ne voulait pas attaquer un noyau de l’ennemi et
l’anéantir, ni lui faire peur. On voulait susciter un moment
d’expression populaire. Quand on frappait un chef, ce n’était
pas tellement pour lui faire mal ou peur, mais surtout pour
permettre aux gens de comprendre qu’un chef n’est pas un
dieu.46 »

50 Certes, au regard de la violence verbale déployée dans les


documents de la GP ou dans les colonnes de La Cause du
Peuple, la pratique apparaît singulièrement modérée, voire
dérisoire si on la rapporte aux moyens mis en œuvre pour la
réaliser, allant jusqu’à la constitution d’un bras clandestin.
Parfois même, la violence des slogans s’effrite au fur et à
mesure de l’explicitation de l’action attendue, tel le
sabotage, qu’un tract décrit de la sorte :
« Passons dès maintenant à l’attaque. Imaginons des formes
de sabotage, de ralentissement de la production. Allongeons
le casse-croûte. Coupons les fils, oublions les boulons ou
perdons des fils.47 »

51 Étonnante mutation que celle par laquelle la charge


offensive du sabotage se résume à grignoter le temps du
repas et à faire montre d’inattention. On est loin de l’appel
du luddisme aux bris de machines ! L’action est, de toute
évidence, démonstratrice et symbolique avant tout. Dirigée
contre les personnes, la violence est également imprégnée
d’une dimension ludique. Voici comment La Cause du
Peuple relate une « action de représailles » exercée contre
deux chefs du contrôle de Billancourt, Drouin et Monteil :
« Un groupe de partisans (militants extérieurs) entrent dans

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l’usine avec un superbe pot de peinture bleue. Drouin-la-


grosse vache est là dans son bureau à se prélasser, comme
d’habitude. Tout se passe très vite et ça donne une tête de
grosse vache avec un chapeau dégoulinant de peinture et de
la couleur de sa trouille.48 »

52 Quatre registres sont exploités par la GP :

1. La compétition avec les représentants légitimes de la


classe ouvrière sur le terrain de l’authenticité procède
du désir d’inscription dans la tradition du mouvement
ouvrier. Il s’agit, en quelque sorte, de « jouer du coup
de poing » pour faire une place au soleil révolutionnaire
en révélant la déviation révisionniste : opération à Flins
(juin 1969), investissement des « places rouges »,
comme à Argenteuil le 14 septembre 1969, qui est
saluée comme la « première bataille prolétarienne anti-
révisionniste ». Outre fustiger les communistes, les
maoïstes cherchent à conquérir la classe ouvrière de
trois manières :
2. La séduction, par des actions à dimension populiste qui
relèvent en quelque sorte du banditisme social, voire de
l’assistanat social : « campagne du métro » à Boulogne-
Billancourt contre la hausse des tarifs, qualifiée
d’« action de partisans à caractère de masse répétée49 »,
qui consiste à occuper quotidiennement pendant un
quart d’heure la station Billancourt et à distribuer
quelque 25600 billets volés (février 1970) ; attaque du
magasin Fauchon et redistribution des denrées de luxe
dans les banlieues (8 mai 1970) ;
3. La dénonciation : enlèvement du député Michel de
Grailly accusé d’« activités crapuleuses » et de
détournement de fonds publics (26 novembre 1970) ;
organisation d’un tribunal populaire à Lens (12
décembre 1970) ; actions contre le trafic de main-
d’œuvre et les marchands de sommeil ;
4. La punition-représaille : sabotages répétés aux
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Chantiers de Dunkerque pour protester contre les


accidents du travail ; incendies du bureau des
Houillères d’Hénin-Liétard, à la suite d’un coup de
grisou au puits de Faulquemont, et du bâtiment
administratif des Grands Moulins de Corbeil (février
1970)50 ; assaut d’un commissariat de police pour
protester contre les expulsions d’immigrés au
printemps 1970 ; bombe au journal d’extrême droite
Minute dans la nuit du 13 au 14 mai 1971 ; enlèvement
de Robert Nogrette, chef-adjoint des relations sociales à
Renault-Billancourt (8 mars 1972).

53 Mais constater que, dans les faits, les actions sont surtout
demeurées dans l’ordre du symbolique n’autorise ni
l’extrapolation qui consiste à affirmer l’absence d’un projet
violent au profit d’un vague dessein de « libération » ou
d’« expression collective », ni l’euphémisation jusqu’à la
négation de la charge violente de l’action. Quand bien même
les armes utilisées par la NRP n’aient jamais été chargées,
quand bien même Nogrette n’ait subi aucune violence
physique et que ses ravisseurs aient respecté son régime
sans sel (geste qui fut amplement publicisé), on ne peut nier
le déploiement ostensible et spectaculaire d’une mise en
scène militaire, la mobilisation appuyée d’affects agressifs et
de référents guerriers, l’exhortation incessante à l’acte
ultime. Le tract de revendication du sabotage de grues aux
Chantiers de Dunkerque avertit par exemple :
« Demain, après le sang versé de l’ouvrier, les partisans
pourraient faire couler le sang des patrons51 ».

54 Le député de Grailly est relâché, mais en « liberté


provisoire » pour la raison suivante :
« Parce que le mouvement populaire n’est pas assez fort
pour aller jusqu’au bout. Dans l’avenir, ces gars-là seront
jugés, et la décision sera exécutoire.52 »
Français
55 Sans doute la bénignité de l’expérience atténue-t-elle
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rétrospectivement la gravité des actes dirigés contre


Portail de lesélectroniques
ressources
personnes privées ou l’État, comme les en sciences
attaqueshumaines
de et sociales
commissariats et de l’administration de la prison d’arrêt de
OPENEDITION
la Santé par la NRP le 29 janvier 1971. Cette ambivalence de
fond est difficile à gérer rationnellement par les militants ;
Nos plateformes
d’où des propos souvent contradictoires :
« Les actions de la NRP étaient des actions violentes sans
OPENEDITION BOOKS
être violentes, c’est-à-dire que si la violence était exercée,
c’était pas avec des armes chargées. C’étaitOPENEDITION
quand même JOURNALS
de
la violence assez symbolique. Il n’a jamaisHYPOTHESES
été question par
exemple de tuer Nogrette, c’était une mise en scène. Mais
même cette mise en scène, je la trouve odieuse.
CALENDA» (Pierre,
GP)
« Il y a un rapport complexe entre l’idée qu’il y a forcément
Bibliothèques et institutions
la lutte armée et… C’est quelque part dans notre tête, mais
en même temps, dans la plupart des trucsOpenEdition
qu’on fait, ilFreemium
n’y a
pas de violence contre les personnes […]. Quelquefois on est
obligé, mais pour pouvoir continuer d’autres choses qui sont
plus importantes : permettre aux gens deNos services
dire des choses,
exprimer que ça ne peut plus durer comme ça. On fait des
OpenEdition
actions qu’on appelle politico-militaires mais Search
qui n’ont pas
pour fonction d’être violentes […]. On avait en tête que la
lutte armée était inéluctable. Mais ce qu’on fait et qu’on
essaie de développer, ce n’est pas des trucs qui vont vers
l’organisation militaire mais des trucs qui vont vers la
création d’espaces de liberté, de formes d’action différentes
où l’illégalité est présente et donc où la violence peut être
présente. » (Antoine, GP)

56 À côté de la dynamique plutôt ludique des actions, on


observe toutefois une progression des attentats revendiqués
par l’extrême gauche, attentats qui, en dépit de leur
caractère symbolique, témoignent d’un projet subversif. Les
tableaux suivants mesurent la portée du phénomène de 1968
à 1974. Le premier en donne le nombre total et les
conséquences. On remarque, d’une part, leur faible gravité,
puisqu’aucun ne cause mort d’hommes et, d’autre part, leur
évolution irrégulière, voire par à-coups : net bond en avant

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en 1970, puis régression entre 1971 et 1973 et enfin nouvelle


CATALOGUE
augmentation en 1974. En fait, jusqu’en 1972, ces attentats
auraient consisté, ACCUEIL DES 13356en ÉDITEURS
pour l’essentiel, des « actes AUTEURS
de OPENEDITION SEAR

vandalisme » touchant les intérêts


LIVRES matériels des entreprises
et des États-Unis. Ils changent de nature à partir de l’année
1973, où ils se font plus offensifs et spectaculaires. Le second
tableau les met en perspective par rapport au nombre total
d’attentats que connaît alors la France. Une grande partie
d’entre eux sont d’origine inconnue, car ils n’ont fait l’objet
d’aucune revendication de la part d’organisations
séparatistes, d’extrême droite, d’extrême gauche ou
étrangères53.
Tableau 2. Attentats revendiqués par l’extrême
gauche de 1968 à 1974

Source : Fichier du quotidien Le Monde (rubrique


« attentats »).
Tableau 3. Nombre total d’attentats de 1968 à 1974
et pourcentage des attentats d’extrême gauche par
rapport au total

Source : ibid.
57 L’irruption du tragique, avec la mort du militant gépiste
Pierre Overney, tué par un vigile aux portes de Billancourt le
25 février 1972, pouvait donner à penser que tout allait
basculer. Le passage à la lutte armée semblait prêt du point
de vue idéologique comme logistique. Et ce d’autant que, par

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une curieuse coïncidence, le leader de la GP, Benny Lévy,


avait la veille fustigé ses troupes en leur reprochant « d’être
timorées » : la manifestation antiraciste convoquée pour le
lendemain soir devait raviver leurs ardeurs combatives et
être violente en conséquence54. Pourtant, à l’annonce du
drame qui s’était déroulé quelques heures auparavant, elle
est désarmée sur ordre d’Alain Geismar. Mais le cri « Nous
vengerons Pierre Overney » gronde des rangs de la
manifestation. Le 8 mars, Robert Nogrette est enlevé par un
commando de la NRP. C’est la dernière action d’envergure
de l’organisation. À la fin de l’année suivante, la GP s’auto-
dissout. Énigmatique s’il en est, cette auto-dissolution
mérite en elle-même d’amples développements et analyses.
Car la « tentation terroriste » existe, chez les militants de la
GP comme chez ceux de VLR ou de la JCR55 :
« Il y a eu la tentation, à un moment donné, de dire : on
passe du pistolet à eau ou de la bombe à peinture à la
dimension réelle. En même temps, et c’est la contradiction
de la Ligue, la Ligue était la mieux placée pour franchir le
pas en 1974-1975. Il y a eu la tentation après le coup d’État
chilien. Mais notre tradition politique posait des barrières à
cela, en plus l’expérience du Portugal. La tentation a existé,
mais le pas a jamais été vraiment franchi. Et du coup, la
Ligue, qui avait les moyens de le faire, ne le faisant pas, on a
eu des phénomènes périphériques qui sont restés peu
significatifs. » (Daniel, JCR)

Crescendo en Italie
58 On trouve parfois l’idée qu’à la différence de leurs
homologues français, les militants italiens auraient « pris le
jeu au sérieux »56. Si la dimension spectaculaire des
événements de 1968 provoque, ici et là, des pamphlets
ravageurs, la longévité et la radicalisation progressive des
mouvements de contestation qui font la spécificité de l’Italie,
finissent par rejeter dans l’ombre le ludique d’origine57.
59 La violence, on l’a vu, y est légitimée sur des modes

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équivalents et se trouve exercée sur les mêmes terrains.


Pour toutes les organisations d’extrême gauche, l’horizon de
la lutte armée apparaît certain ou, du moins, escompté.
Leurs hymnes en témoignent, ainsi que les slogans, repris
dans les manifestations, dont l’agressivité va crescendo :
« Fascistes et bourgeois, pliez bagage, le nouveau 68 sera
calibre 38 », « Tout fasciste comme Falvella avec un couteau
dans le ventre », « Si tu vois un point noir, tire à vue, ou
c’est un carabinier, ou c’est un fasciste », « Nous rendrons
plus rouges nos drapeaux avec le sang des chemises
noires », etc. Mais alors qu’en France, la parenthèse
révolutionnaire ouverte en Mai 68 se referme au cours de
l’année 1973 avec l’auto-dissolution de la GP et l’autocritique
de la JCR, l’expérience se déploie en Italie sur dix ans, à
travers, conjointement, une radicalisation de certains
groupes et la relève assurée, à partir de 1974, par le
mouvement autonome, dont la contestation explose en
même temps qu’elle implose en 1977 pour laisser alors
l’espace protestataire aux seules organisations armées.
60 La radicalisation se traduit par un degré croissant de gravité
de la violence : en pourcentage, le nombre d’attentats, c’est-
à-dire des actions contre les biens (principalement des
incendies d’automobiles et de sièges d’organisations
adverses ou d’édifices publics), décroît au profit des « guets-
apens » et des « conflits à feu » avec les forces de l’ordre58.
On perçoit également l’escalade à travers l’évolution des
cibles visées, qui témoigne d’une politisation croissante de la
violence et d’une attaque toujours plus ouverte contre le
monopole étatique : la maîtrise et les chefs d’entreprise sont
progressivement délaissés au profit des représentants des
appareils coercitifs et répressifs (magistrats, police, etc.). Le
tableau suivant donne la mesure de l’escalation de la
violence dans la période qui nous préoccupe.
Tableau 4. Attentats et violences de 1969 à 1980

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Source : Statistiques du ministère de l’Intérieur italien59.


61 Ces données officielles présentent l’inconvénient de ne pas
distinguer l’origine (« rouge » ou « noire ») des violences.
Or, l’ampleur de la violence d’extrême droite constitue de
toute évidence un facteur discriminant, en Italie, dont la
prise en compte est essentielle à la compréhension de cette
décennie : 150 des 362 victimes sont imputables aux
attentats indiscriminés d’inspiration néo-fasciste (Piazza
Fontana, train Italicus, gare de Bologne, etc.), contre 94 du
fait de l’extrême gauche60. Quant aux violences, qui
regroupent notamment les « rixes, actions de guérilla,
destructions de biens », elles sont le fait des organisations
néo-fascistes pour 67,55 %, dont près de 70 % entre 1969 et
1974. À partir de 1977, la proportion de violences d’extrême
gauche devient largement supérieure, comme le montre le
tableau suivant :
Tableau 5. Violences d’extrême droite et d’extrême
gauche de 1969 à 1980

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Source : Statistiques du ministère de l’Intérieur italien61.


62 Une grave erreur, pourtant fréquemment commise,
consisterait à lire ces données sous l’angle strict du
« terrorisme », c’est-à-dire en faisant une distinction de
principe entre la gauche extra-parlementaire et les groupes
clandestins. Or, toute la difficulté d’appréhension de
l’expérience italienne réside précisément dans la diffusion
des pratiques violentes et l’intrication « violence de
masse »/« violence d’avant-garde »62. Jusqu’en 1974, les
actions commises par les BR ne diffèrent pas de celles des
groupes que nous étudions : elles frappent également, par
des passages à tabac ou des incendies, la maîtrise des
grandes industries du Nord et les « fascistes ». Attilio,
responsable à Avanguardia Operaia, explique :
« La différence entre les groupes et ceux qui faisaient la lutte
armée était de qualitative : eux faisaient exclusivement la
lutte armée car ils étaient déjà en condition de lutte illégale.
Nous, nous faisions la lutte légale et en plus des formes de
lutte armée avec l’antifascisme, la défense, etc. Donc déjà
dans ces années, on était arrivé à des formes d’armement car
les manifestations étaient toujours plus interdites, donc il
fallait se défendre sur un mode disons plus actif. Dans les
cortèges de 1975-1976, commencent à apparaître les signaux
des revolvers. »

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63 C’est donc plus le choix tactique de la clandestinité totale


que le type d’actions qui provoque alors les réserves des
groupes à l’encontre des BR. Même leur première
séquestration, le 3 mars 1972, du dirigeant de la Sit-
Siemens, Idalgo Macchiarini, est ainsi considérée par
l’exécutif milanais de LC :
« Une action [qui] s’insère avec cohérence dans la volonté
généralisée des masses de conduire la lutte de classes
également sur le terrain de la violence et de l’illégalité.63 »

64 Tout en estimant qu’avec l’enlèvement en France de Robert


Nogrette, ces actions expriment un « signe de classe » et un
« besoin de révolution », PotOp leur reproche même de
n’être pas assez « significatives » et de rester « liées à un
point de vue défensif et – parfois – encore démocratique »64.
65 Là encore, le regard rétrospectif connaissant le destin
ultérieur des organisations tend à la simplification de
l’histoire sous l’influence de catégories typologiques rigides.
Il ne fait pas de doutes pourtant que, sans être clandestins ni
illégaux, tous les groupes ont fait des actions illégales et
gardé dans l’ombre des tâches ou des appareils clandestins,
ne serait-ce que les services d’ordre qui, selon Paolo
(PotOp), souffraient en Italie d’une certaine ambiguïté :
« [L’expression “service d’ordre” était] une notion un peu
ambiguë car elle signifiait des choses différentes : le service
d’ordre est une structure à laquelle participent virtuellement
tous les militants et qui remplit certainement le travail
illégal : pas seulement défendre les cortèges ou les maisons
occupées, les piquets, mais aussi procurer un faux passeport
pour un camarade qui doit s’enfuir, procurer un logement où
une personne en fuite puisse se réfugier… »

66 Certes, dans le contexte de l’époque et la perspective


révolutionnaire des groupes, l’organisation du « travail
illégal » ne saurait constituer un indice ni a fortiori une
preuve d’association terroriste, comme certains magistrats
italiens ont cherché à le prouver pour LC notamment. La

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JCR avait pris les mêmes précautions pour faire face à une
éventuelle mise hors-la-loi. Mais sans doute ces instruments
ont-ils trouvé en Italie des occasions majeures pour être
activés, opérationnels et renforcés, de sorte à favoriser
insensiblement l’élévation des seuils de violence qui semble
rendre le passage à la lutte armée « naturelle » et évidente à
certains, au point qu’ils éprouvent encore aujourd’hui des
difficultés à identifier clairement une date précise de
fracture entre les deux expériences. Ou bien l’engagement
dans un groupe extra-parlementaire, tel un apprentissage,
semble avoir permis à un individu de s’adapter sans
traumatisme aux exigences d’un groupe clandestin, comme
cela aurait été le cas pour cet ex-militant de LC qui « passe »
ensuite à Prima Linea :
« Grâce à l’activité dans le service d’ordre, je ne trouvais pas
de difficultés à m’habituer aux techniques beaucoup plus
drastiques de la lutte armée : me mouvoir dans la ville,
m’habiller de façon appropriée pour l’occasion, entrer dans
l’action au bon moment, étudier l’opération dans les détails
les plus minimes. Tout m’était familier. Les premiers temps,
on peut dire que j’avais échangé la clef anglaise par le
pistolet, lequel présentait seulement une efficacité plus
grande.65 »

67 Outre les facteurs externes de radicalisation que nous


analyserons plus tard, au premier chef la répression et le
renouveau agressif de l’extrême droite, il est un moteur
interne au mouvement de contestation : la concurrence
entre groupes. C’est frappant si l’on considère l’année 1972
qui marque à la fois l’accélération du projet
insurrectionnaliste à PotOp et la « parenthèse militariste »
de LC, l’une répondant de toute évidence au durcissement
du discours de l’autre. Le premier semestre est l’occasion de
débats intenses sur le recours à la violence au sein de
l’extrême gauche, interpellée par la séquestration d’Idalgo
Macchiarini (3 mars), la mort accidentelle de l’éditeur
Giangiacomo Feltrinelli alors qu’il posait une bombe (15
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mars), l’arrestation du partisan historique Giovan Battista


Lazagna pour appartenance au groupe armé de l’éditeur, les
GAP, et enfin l’assassinat du commissaire Calabresi en
mai66.
68 La concurrence est d’autant plus aiguë qu’il s’agit de
conquérir la direction d’un mouvement de contestation
encore fort, pratiquant l’illégalité et autour duquel gravitent
de nombreux groupes. Le mécanisme de radicalisation
s’autonourrit : il est nécessaire pour « garder son rang »
dans l’échelle révolutionnaire, faute d’être rétrogradé
jusqu’à tomber dans la catégorie infâmante du
« réformisme » ; mais il implique nécessairement escalade
de la violence. LC est disqualifiée, à partir de 1974, quand sa
stratégie d’institutionnalisation provoque la scission dite de
« la corrente » à Milan qui ira fonder le groupe clandestin
Prima Linea. PotOp entre en crise en 1973, la plupart de ses
militants allant gonfler l’aire de l’Autonomie qui assure la
relève des organisations nées de 1968. Selon Sergio (AutOp),
les multiples groupes autonomes s’engagent à leur tour dans
une « compétitivité pour devenir hégémoniques dans la
direction de l’affrontement, c’est-à-dire pour devenir Le
Parti » :
« Les groupes dirigeants de l’Autonomie ont été poussés par
une prétention, par une rivalité. Cette vanité a conditionné
une des choses qui, à la fin, a été déterminante pour la
catastrophe : celle de ne pas avoir été clairs depuis le début
par rapport aux groupes combattants. Jusqu’à l’enlèvement
Moro, le rapport entre les deux a été ambigu. Car au fond, il
y avait le problème de faire passer à l’ordre du jour dans le
mouvement la ligne de l’affirmation de la nécessité de
l’usage de la force, parce que LC ou d’autres ne voulaient pas
être sur ce front. Donc le problème, c’était de construire un
bloc qui affirmait cette ligne que l’on retenait stratégique,
avec l’idée : d’abord vainquons à l’intérieur du mouvement
pour conquérir des franges plus larges sur cette ligne. Ceci
posait déjà objectivement une alliance entre l’Autonomie et
les organisations combattantes. Certainement avec la
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réserve mentale de dire : “Après, on verra entre groupes


dirigeants [autonomes et clandestins] à l’intérieur de cette
ligne”.67 »

69 Entre 1974 et 1977, la violence change progressivement de


nature : autrefois prise en charge par les organisations
extra-parlementaires dans une perspective essentiellement
démonstrative et pédagogique, elle est l’œuvre désormais
soit de groupes armés clandestins « spécialisés », en quelque
sorte, soit de collectifs autonomes, soit d’individus qui se
regroupent sans structures formelles. Elle ne doit plus être
une « violence de témoignage », mais « une violence réelle :
capacité de prendre les choses.68 »
70 Dès lors, les pratiques militantes requerront souvent la
violence, ne serait-ce que pour se perpétuer, et seront
irrémédiablement placées sous le signe de l’illégalité :
occupations de maisons, « autoréductions » des tarifs des
services publics et des prix des biens, « expropriations » –
braquages de banques –, etc. Quand, par exemple, la
compagnie nationale des téléphones coupe les lignes des
usagers ne payant pas leur facture, 18 attentats sont
perpétrés à Rome entre octobre et décembre 1975, mettant
hors d’usage 14 000 téléphones ainsi que les centrales de
quatre ministères. L’année 1977 est marquée par une
progression de 77,62 % des attaques contre les biens (sièges
de partis, casernes, commissariats, tribunaux, entreprises,
moyens de transports, etc.) par rapport à 1976, ce qui
équivaut, selon le ministère de l’Intérieur, à une fréquence
horaire d’un attentat toutes les quatre heures69. Le 12 mars
1977, la ville de Rome vit, après Bologne, une guérilla
urbaine de plusieurs heures, avec la manifestation armée de
quelque 60 000 autonomes. Le « P. 38 » a remplacé les
cocktails molotov. La violence est devenue quotidienne et se
dirige également désormais contre le PCI, accusé de
« réformisme répressif » :
« Nous étions convaincus qu’il n’y aurait pas de coup d’État,

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mais qu’en revanche il y avait un autre dessein : le


réformisme répressif, c’est-à-dire l’implication du PCI dans
les leviers du pouvoir, dans l’antichambre pour lui faire
gérer la répression contre les ouvriers. Donc nous avons
toujours identifié les syndicats et le PCI comme des
personnes compromises avec le pouvoir. Nous estimions que
c’était Berlinguer l’arme secrète du capitalisme. » (Daniele,
Via dei Volsci)

71 Comment expliquer qu’en France, « la violence soit restée


un jeu70 », alors que l’extrême gauche italienne poursuit son
escalade ? Pour comprendre une telle divergence dans la
dynamique de la violence, il convient de passer à un autre
niveau d’analyse.
Exemples de revendications de la violence

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Tract 1 : Isabelle Sommier, supplément à La cause du


Peuple – J’accuse n° 19, mars 1972, p. 1.

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Tract 2 : Isabelle Sommier, tract distribué à Turin le 31 mai


1971.
Au lendemain de la mort de Pierre Overney le 25 février
1972, la Gauche Prolétarienne trouve matière à exploiter sa
thématique antifasciste. Potere Operaio distribue quant à lui
son programme politique… et son programme d’action : « la
violence pour le pouvoir ».
L’action de propagande en faveur de la violence
ouvrière
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Tract 3 : Isabelle Sommier, tract de la GP distribué à Flins


durant l’hiver 1969.
Deux tracts significatifs de l’action de propagande menée
par les maoïstes à Flins contre le personnel d’encadrement.
Le premier sera distribué en plusieurs langues, en raison de
la forte proportion d’immigrés dans cet établissement :
français, portugais, arabe, etc. Le second éclaire bien le style
de la GP, avec la dénonciation de la « racaille », des
« escrocs »… Noter que les deux désignent nominativement
les chefs d’atelier visés.

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Tract 4 : Isabelle Sommier, tract de la GP distribué à Flins


durant l’hiver 1969.

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Tract 5 : Isabelle Sommier, affiche des maoïstes de Flins,


date inconnue.
Cette affiche, apposée dans l’établissement Renault-Flins
par les maoïstes, témoigne des invectives réciproques entre
direction, mouvement ouvrier traditionnel et extrême
gauche, ainsi que de la lutte d’imposition de sens se jouant
autour du qualificatif péjoratif de « provocateurs ». À droite,
se trouvent reproduites les acceptions le plus souvent
reconnues du terme : les « provocateurs » sont ceux qui

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cassent, c’est-à-dire les grévistes. À gauche, la GP explique


ce qu’elle entend, elle, par provocation : c’est la situation qui
met les « ouvriers en colère ». Cette requalification n’est pas
sans lien de parenté avec celle entreprise par les
syndicalistes dans une situation de ce type. Toutefois,
l’organisation maoïste prend soin de s’en démarquer,
puisqu’elle dénonce l’Humanité comme faisant partie de « la
presse qui ment ».

Tract 6 : Isabelle Sommier, tract de la Base Ouvrière de

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Flins, 8 mai 1970.

Notes
1. Guido Viale, Il sessantotto tra rivoluzione e restaurazione, Milano,
Mazzotta, 1978, p. 43 et Marco Grispigni, « Generazione, politica e
violenza, il ‘ 68 a Roma », in La cultura e i luoghi del’68, Milano,
Franco Angeli, 1991, p. 305.
2. De même, d’après Alain (JCR), « le but, c’était pas l’affrontement. Le
but était de dire : quand un objectif est juste, il faut balayer les
obstacles, on le maintient coûte que coûte. »
3. Le phénomène de concurrence est mis en exergue par Sidney Tarrow,
Democrazia e disordine, Bari, Laterza, 1990, p. 246-249.
4. Propos tenu dans le film de Romain Goupil « Mourir à trente ans »,
dédié à Michel Récanati qui s’est suicidé en 1978.
5. Peppino Ortoleva, Saggio sui movimenti del 1968 in Europa e in
America, Roma, Riuniti, 1988, p. 177.
6. Pour cette interprétation, voir Marco Grispigni, « Generazione,
politica e violenza, il ‘68 a Roma », in La cultura e i luoghi del’68,
Milano, Franco Angeli, 1991, p. 300-303.
7. Jacques était un « électron libre » qui mettait ses compétences
« guerrières » au service de plusieurs organisations d’extrême gauche,
puisqu’il faisait partie du groupe de Pierre Goldman, spécialisé dans le
service d’ordre et les « coups de poing contre les fafs ».
8. Document de Potere Operaio intitulé « Le manifestazioni del 4/5/6
febbraio, il problema dei fascisti, una risposta militante al contrattacco
padronale » (14 février 1971), in Archives de l’Istituto Romano per la
Storia d’Italia (fonds Stefano Lepri). Dans le même esprit, voir Comitati
Autonomi Operai di Roma, Autonomia Operaia, Roma, Savelli, 1976, p.
254.
9. Tract du 5 février 1971 (cette période fut marquée par de violents
affrontements entre l’extrême droite et l’extrême gauche), in Archives
de l’Istituto Romano per la Storia d’Italia (fonds Paolo Palazzi, carton
n° 3).
10. Les CVB (Comités Viet-Nam de Base), en soutien au peuple
vietnamien, ont été créés en mai 1967 par les maoïstes). Ils
concurrencent le CVN (Comité Viet-Nam National) qui regroupe,
depuis novembre 1966, la plupart des organisations de solidarité et
d’aide au peuple vietnamien.

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11. Luigi Barberis (alias Giovanni De Luna), Torino : progetto


reazionario, Torino, Éd. LC, 1976, p. 10. Voir également l’ouvrage écrit
en commun par des militants d’extrême gauche et des figures du
mouvement ouvrier traditionnel comme Vittorio Foa : Antifascismo
come lotta di classe, Roma, Savelli, 1974.
12. Document non daté (mais postérieur à la mort de Pierre Overney le
25 février 1972) trouvé à la BDIC (GP, F ° Rés. 576 5/4/2). Souligné par
l’auteur.
13. BDIC, Rés. 576 5/4/2.
14. Rosario Minna, « Il terrorismo di destra », in Donatella Della Porta
(dir.), Terrorismi in Italia, Bologna, Il Mulino, 1984, p. 48. Sur ce
thème, le document de l’Autonomia Operaia, du même titre, Roma,
Savelli, 1976, p. 253 sqq.
15. Voir par exemple les documents « La CGT, le PCF et les
révolutionnaires », Taupe Rouge, n° 7, 1972, p. 38 (BDIC O Pièce 37.
184/7) et « L’agonie du capitalisme et les tâches de la IVe
Internationale », Classique Rouge, n° 5, 1970, p. 32.
16. Document non daté (mais postérieur à la mort de Pierre Overney le
25 février 1972) trouvé à la BDIC (GP, F ° Rés. 576 5/4/2).
17. Voir par exemple le livre Vers la guerre civile, op. cit., p. 348 et ces
propos du militant de LC, Vincenzo qui, originaire du Sud, va
s’embaucher à Turin : « Nous avions le mythe de l’« ouvrier nouveau »
de Mirafiori. Dans les écrits de Gramsci, il y avait « l’ouvrier nouveau ».
C’est vrai qu’à l’époque, il n’était pas très combatif, mais il avait fait la
Résistance, il avait sauvé l’usine des nazis. »
18. « La rivoluzione culturale nelle fabbriche italiane », in S’avanza uno
strano soldato (Recueil d’articles de Guido Viale parus entre 1968 et
1973), Roma, Éd. LC, 1973, p. 59. À noter que, dans un numéro de Lotta
Continua de 1971, deux pages sont consacrées aux luttes ouvrières de
Renault dans un article intitulé « Fiat-Renault, la même lutte ! ». Y est
également reproduite une lettre des « camarades de Flins de 23 pays
différents » qui annonce : « La révolution culturelle entre dans les
usines » (n° 9, 26 mai 1971, p. 26-27).
19. Stage ouvrier de l’été 1970, GP (Archives BDIC, F ° Rés. 576 3/3/2,
GP).
20. « Il potere di esistere come classe, come progetto rivoluzionario »,
in Potere Operaio, février 1972, p. 30.
21. Richard Gombin, Les origines du gauchisme, Paris, Seuil, 1971, p.

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155.
22. Document préparatoire du Congrès de LC, 9 juin 1971, p. 17 (Istituto
romano per la storia d’Italia, Fonds Socrate, carton 9). Sur le thème de
« la justice populaire », voir le débat engagé par les maoïstes de la GP
autour de Michel Foucault dans Les temps modernes, n° 310 bis, 1972,
p. 335-366.
23. Le mot d’ordre « Si alla violenza operaia » est lancé pour la
première fois dans un numéro spécial daté du 5 sept. -29 oct. 1969.
Situé en première page, il est accompagné d’une photo d’une machine
dévastée, ce qui vaudra à son directeur Francesco Tolin d’être
condamné à deux années d’emprisonnement pour « incitation à la
révolte contre l’État et au sabotage ». Dans des numéros suivants,
l’intitulé rend compte des révoltes ouvrières présentes ou passées, par
exemple des événements de l’été 1962 où PotOp situe le début du cycle
de protestation, car c’est « la redécouverte et la réappropriation de la
violence pour la renaissance du débat politique au sein de la classe
ouvrière » (n° 43, 25 sept. -25 oct. 1971, p. 34). L’article « La violenza
operaia come strumento di lotta » est paru de son côté dans le numéro
8 du 13 novembre 1969.
24. « L’agonie du capitalisme et les tâches de la IVe Internationale »,
Classique Rouge, n° 5, 1970, p. 32. Majuscules de l’auteur.
25. Chiffres du Ministère de l’Intérieur, repris in FIM-FIOM-UILM,
Repressione !, Roma, Tindalo, 1970, p. 3.
26. Témoignage de Georges, militant de la GP, ouvrier à Citroën,
recueilli par Michèle Manceaux, Les maos en France, Paris, Gallimard,
1972, p. 77.
27. Ibid., p. 195-196. Cette rumeur est prégnante : elle fut évoquée par
trois ex-militants gépistes interrogés.
28. Sa première action sera ainsi dirigée contre le « syndicat
indépendant fasciste de Citroën », une autre consistera dans l’attaque
de l’ambassade de Jordanie le 23 juillet 1971, en signe de solidarité avec
le peuple palestinien. Cf. Document de « La milice ouvrière
multinationale » in BDIC (Dossier NRP, Rés. 576 5/4/2) et celui destiné
à « l’union des comités de lutte d’atelier », intitulé « Renault-
Billancourt. 25 règles de travail », supplément à La Cause du Peuple-
J’accuse, n° 11, 1971.
29. Document de la NRP sur « Qu’est-ce que l’organisation clandestine,
ses fonctions, son organisation ? » (15 août 1973) in BDIC (Dossier
NRP, Rés. 576 5/4/2).

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30. BDIC (Dossier NRP, Rés. 576 5/4/2). Voir également « Rapport
d’enquête sur les nouvelles formes d’organisation et d’action de la
gauche ouvrière à Renault-Billancourt », in Cahiers prolétariens, n° 1,
janvier 1971, p. 50 sqq. Majuscules de l’auteur.
31. « Symbole d’une certaine liberté » dans Le gauchisme, remède à la
maladie sénile du communisme (Paris, Seuil, 1968, p. 66) ou, dans Le
grand bazar (Paris, Belfond, 1975), moyen d’« utiliser le ridicule
comme arme contre l’absurde » (p. 150) en jouant « aux cow-boys et
aux indiens avec les flics » (p. 39). Les barricades sont avant tout, pour
Cohn-Bendit, une envie et un « support de nouveaux rapports
affectifs » à resituer dans l’aspect festif de Mai.
32. Daniel Bensaïd et Henri Weber, Mai 1968 : une répétition générale,
Paris, Maspero, 1968, p. 137.
33. Mouvement du 22 mars, Ce n’est qu’un début, continuons le
combat, Paris, Maspero, 1968, p. 67-68.
34. André Glucksmann, Stratégie et révolution en France 1968, Paris,
Christian Bourgois, 1968, p. 19 et 20.
35. Serge July, Alain Geismar, op. cit., Paris, Éd. et publications
premières, 1969, p. 180 et 183. 36. Mouvement du 22 mars, Ce n’est
qu’un début, continuons le combat, Paris, Maspero, 1968, p. 53.
36. Mouvement du 22 mars, Ce n’est qu’un début, continuons le
combat, Paris, Maspero, 1968, p. 53.
37. UNEF-SNESUP, Ils accusent, Paris, Seuil, 1968, p. 283-284.
38. Maurice Grimaud, En mai, fais ce qu’il te plait, Paris, Stock, 1977, p.
19.
39. Ibid., p. 100. Adrien Dansette a répertorié toutes les dépradations :
6400 mètres carrés de rues dépavées ou désasphaltées ; 130 arbres
sciés, déracinés, brûlés ou détériorés ; 540 grilles d’arbres arrachées ;
450 panneaux de signalisation détériorés ; 125 voitures incendiées, etc.
In Mai 68, Paris, Plon, 1971, p. 454.
40. La comptabilisation établie par Alain Delale et Gilles Rabache (12
« victimes directes » et 7 « indirectes ») est excessivement élargie : elle
inclut, par exemple, l’assassinat par balles d’un patron de bar
responsable du SAC, tout en reconnaissant que l’enquête n’en a pas
établi le mobile, ou celui d’un colleur d’affiches de la FGDS. In La
France de 68, Paris, Seuil, 1978, p. 230. Pour notre part, nous
entendons par victimes de Mai 68 les acteurs tués au cours même des
affrontements. En revanche, leur évaluation des blessés hospitalisés,

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que nous reprenons, est fondée sur des éléments tangibles.


41. Edgar Morin, Mai 68 : la brèche, Paris, Éd. Complexe, 1988, p. 72-
73.
42. Ibid., p. 72.
43. Raymond Aron, La révolution introuvable, Paris, Fayard, 1968, p.
35. Raymond Aron fit cette lecture de Mai 68 dès le 1er juin.
44. Pour cette interprétation, voir Jean Baudrillard, Pour une critique
de l’économie politique du signe, Paris, Gallimard, 1972, p. 213-218 ;
Jacques Ellul, De la révolution aux révoltes, Paris, Calmann-Lévy,
1972, p. 57 et 224. D’où son jugement sévère : « La parodie qui se donne
pour le spontané est le comble de l’artificiel. » (p. 336). Et Régis
Debray, Modeste contribution aux discours et cérémonies officielles du
dixième anniversaire, Paris, Maspero, 1978, p. 65-69.
45. Raymond Aron, op. cit., p. 35.
46. Témoignage anonyme d’un membre du bureau politique de la GP,
in Bruno Giorgini, Que sont mes amis devenus ?, Paris, Savelli, 1978, p.
66-67.
47. Tract de la GP cité dans Jean-Pierre Dumont, La fin des OS ?, Paris,
Mercure de France, 1973, p. 100.
48. La Cause du Peuple, n° 27, août 1970.
49. Les cahiers de la GP, n° 3, 1970, p. 56.
50. Sur les chantiers de Dunkerque, voir Jean-Pierre Faye, Luttes de
classes à Dunkerque, Paris, Galilée, 1973.
51. Tract du 5 février 1970, in Hervé Hamon et Patrick Rotman,
Génération, Paris, Seuil, 1988, tome 2, p. 133.
52. Interview de la NRP du 1er août 1971 (BDIC, Archives NRP, Rés. 576,
5/4/2).
53. Les statistiques sont reprises à Alain Guillemoles qui a recensé à la
BDIC tous les articles du quotidien Le Monde consacrés aux
« attentats » durant cette période. Le problème essentiel réside dans
l’importance des attentats non revendiqués. Ceux qualifiés d’extrême
gauche ont été explicitement reconnus comme tels par les groupes, qui
ne sont toutefois pas distingués. Aussi peut-il s’agir autant des
organisations qui nous préoccupent que d’autres, comme les GARI
(Groupes Autonomes Révolutionnaires Internationalistes). In La
tentation terroriste, Paris I, mémoire de maîtrise d’histoire de Paris I,
1989, reprographié, p. 12-23. Pour une évaluation du nombre

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d’attentats de la GP, on peut se référer au ministre de l’Intérieur de


l’époque, Raymond Marcellin, qui fait état de 82 « attentats par
explosifs, engins incendiaires, actes de vandalisme, agressions et voies
de fait contre des policiers sur la voie publique » (La guerre politique,
Paris, Plon, 1985, p. 93).
54. Le récit de cette réunion et de la journée du 25 février sont relatés
par Hervé Hamon et Patrick Rotman, Génération, Paris, Seuil, 1988,
tome 2, p. 392 sqq.
55. Un militant de VLR évoque cette tentation dans un article intitulé
« Dix ans ventre à terre », paru dans Autrement, n° 12, février 1978, p.
262. À noter que ce jeu aux limites du réel tend, paradoxalement, à
renforcer les analyses d’Élias, auxquelles il a été récemment opposé le
développement, au cours des années 1960-1970, de comportements
erratiques et violents semblant marquer un relâchement de
l’autocontrôle. Il montre, en effet, que « les écarts par rapport aux
règles de la civilité et aux formes obligées de la bienséance » s’inscrivent
« dans une maîtrise encore plus stricte et achevée des
comportements. » (Roger Chartier, « Comment penser
l’autocontrainte ? », in Communications, n° 56, 1993, p. 41).
56. Notamment chez Régis Debray, Modeste contribution aux discours
et cérémonies officielles du dixième anniversaire, Paris, Maspero, 1978,
p. 80.
57. Un exemple de ces pamphlets nous est donné, en Italie, par le
sévère jugement porté par un « soixante-huitard » sur sa génération :
« En 68, au lieu de la contestation du Spectacle, on a eu le Spectacle de
la contestation. L’équivoque – mortelle – a liquidé une génération : la
mienne. » (Aldo Ricci, Contro il’68, Milano, Gammalibri, 1982, page de
couverture).
58. Cf. Donatella Della Porta, Il terrorismo di sinistra, Bologna, Il
Mulino, 1990, p. 238-240.
59. Repris in Mauro Galleni, Rapporto sul terrorismo, Milano, Rizzoli,
1981, p. 49. La catégorie « blessés au cours d’un guet-apens » renvoie
aux personnes blessées lors d’un attentat ou victimes d’une embuscade.
60. Entre 1971 et 1988, 128 personnes ont été mortellement touchées
par l’extrême gauche, dont 73 entre 1978 et 1980. Cf. Progetto memoria,
La mappa perduta, Roma, Sensibili alle foglie, 1994, p. 493.
61. Repris in Mauro Galleni, Rapporto sul terrorismo, Milano, Rizzoli,
1981, p. 112.

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62. Un graphique, établi par l’équipe de l’Institut Cattaneo de Bologne,


montre bien cette évolution parallèle des « épisodes de violence » et des
attentats. Cf. Donatella Della Porta et Maurizio Rossi (dir.), Cifre
crudeli, Bologna, Materiali di ricerca dell’Istituto Cattaneo, 1984, p. 16.
63. Soccorso Rosso, Brigate Rosse […], Milano, Feltrinelli, 1976, p. 115.
Selon Luigi Bobbio, cette prise de position provoqua des débats au sein
de LC ; elle se solda également par l’arrestation pour apologie de crime
des onze personnes présumées appartenir à l’exécutif milanais. Elles
seront disculpées l’année suivante (Storia di Lotta Continua, Milano,
Feltrinelli, 1988, p. 106).
64. Article intitulé « Prolétaires, c’est la guerre de classe ! », in Potere
Operaio, Anno IV, n° 47-48, 20 mai-20 juin 1972, p. 2. D’après l’un des
fondateurs des BR, Alberto Franceschini, l’enlèvement d’Idalgo
Macchiarini aurait été « coordonné » avec celui de Robert Nogrette,
dans le cadre de rencontres régulières entre son organisation et la GP :
« Nous avons ensuite fait le bilan de l’opération Nogrette et nous avons
accusé les camarades français de populisme. Si je me rappelle bien, ils
avaient en effet réuni une assemblée populaire qui devait décider s’il
fallait le libérer. Et, évidemment, l’assemblée a décidé la libération.
Nous avons pensé que c’était une erreur « populiste ». Nous estimions,
nous, que le processus révolutionnaire serait beaucoup plus long. »
(Interview dans Le brise-glace, n° 4, été 1990, p. 6). En fait, il semble
que la réunion de ce « jury populaire » soit restée à l’état de projet et la
décision de libérer Nogrette aurait été prise par le cercle très étroit de
dirigeants, en particulier Benny Lévy.
65. Témoignage recueilli par Diego Novelli et Nicola Tranfaglia, Vite
sospese, Milano, Garzanti, 1988, p. 245
66. L’accusation contre Adriano Sofri va même jusqu’à trouver dans la
concurrence de LC avec les BR le mobile de l’assassinat du commissaire
Calabresi.
67. Il donne l’exemple de la célèbre phrase prononcée par Franco
Piperno (ex-dirigeant de PotOp, alors leader autonome) : « Conjuguer
ensemble la terrible beauté de ce 12 mars 1977 dans les rues de Rome
avec la géométrique puissance déployée Via Fani [rue de Rome où Aldo
Moro fut enlevé par les BR] devient l’étroite porte à travers laquelle
peut croître et périr le processus de subversion en Italie ! » (in « Pre-
print », supplément au numéro zéro de Metropoli, décembre 1978, p.
20-21).
68. Interview repris dans Gad Lerner (dir.), I non garantiti, Roma,

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Savelli, 1977, p. 108.


69. Contre toutes les sept heures en 1976. Chiffres donnés par le juge
Gian Carlo Caselli « Criminalità politica organizzata e problemi della
risposta dello Stato », in Renzo Villa (dir.) La violenza interpretata,
Bologna, Il Mulino, 1979, p. 243.
70. Régis Debray, Modeste contribution aux discours et cérémonies
officielles du dixième anniversaire, Paris, Maspero, 1978, p. 80.

© Presses universitaires de Rennes, 1998

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Référence électronique du chapitre


SOMMIER, Isabelle. 3. Exercer la violence In : La violence politique et
son deuil : L'après 68 en France et en Italie [en ligne]. Rennes : Presses
universitaires de Rennes, 1998 (généré le 01 novembre 2022).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/24639>.
ISBN : 9782753539525. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.pur.24639.

Référence électronique du livre


SOMMIER, Isabelle. La violence politique et son deuil : L'après 68 en
France et en Italie. Nouvelle édition [en ligne]. Rennes : Presses
universitaires de Rennes, 1998 (généré le 01 novembre 2022).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/24627>.
ISBN : 9782753539525. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.pur.24627.
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La violence politique et son deuil

L'après 68 en France et en Italie


Isabelle Sommier

Ce livre est cité par


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10.3917/scpo.muxel.2011.01.0250
Fontaine, Marion. (2014) Fin d'un monde ouvrier. DOI:

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