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Idées

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­Mercredi 1er mars 2023

Olivier Bury Accepter en soins palliatifs la possibilité


de l’euthanasie est gage de soins de qualité
Si le cas de la Belgique est évoqué en France dans le débat sur la fin de vie, sur le terrain, d’anciennes pratiques persistent.
Il est nécessaire de mieux appliquer la loi et de ne plus opposer euthanasie et soins palliatifs, estime le psychologue

V
u de France, en Belgique, on cins. Mais elle n’est pas suffisante ! son médecin généraliste, qui l’a le projet palliatif a échoué. Comme ­ écès. On appelle cela « sédation »,
d
pratique l’euthanasie. Pour- Même en Belgique, les accéléra- suivi toute une vie, mais qu’il décou- si les soins palliatifs devaient être la mais il serait probablement plus
tant, si l’on analyse le ter- tions de fin de vie au seul bon vou- vre opposé à toute question de ce solution à tous les maux de la fin de juste de nommer cette pratique
rain, l’application de la loi en loir du médecin sont encore nom- genre ? Rappelons la clause de cons- vie. Mais, même s’ils offrent proba- « sédasie » voire « euthanation » !
Belgique se révèle problématique. Il breuses. Une information, une cience : un médecin ne peut être blement ce qu’il y a de mieux à ce Accepter en soins palliatifs la pos-
y a vingt ans que la loi a été votée et sensibilisation et un accompagne- tenu de pratiquer une euthanasie. jour pour faire face aux souffrances sibilité de l’euthanasie est le gage
encore de trop nombreux méde- ment des médecins manquent. Ce que l’on oublie souvent, c’est qu’il de fin de vie, ils ne peuvent pas tou- d’offrir des soins de qualité à l’en-
cins ne la connaissent pas ; du côté Ce qui est plus fréquent, c’est y a, depuis 2017, pour le médecin qui jours les supprimer définitivement semble des patients. En respectant
du public aussi, le flou et la confu- d’entendre les citoyens évoquer refuserait une demande, une obliga- et complètement. la loi, on relègue aux interdits les an-
sion persistent. Quand un patient leur fin de vie, en faveur ou pas tion déontologique d’en informer le ciennes pratiques d’accélération de
demande à mourir, il reste difficile d’une éventuelle euthanasie. Mais patient et de le référer à un confrère Renversement de paradigme fin de vie. L’euthanasie permettrait
d’obtenir une euthanasie : la proba- la confusion règne entre la de- « susceptible » de pratiquer une Il reste donc des patients qui, con- de meilleurs soins palliatifs parce
bilité d’avoir affaire à un médecin mande d’euthanasie, la déclaration euthanasie. Dans les faits, cette obli- frontés à la dépendance, à la dou- que débarrassés de leurs vieux fan-
qui ne pratique pas l’euthanasie anticipée, le non-acharnement ou gation n’est quasi jamais respectée. leur, à la dégradation de leur état tômes : l’euthanasie serait un garde-
sans le dire clairement est grande. les soins palliatifs. Sur le terrain, Et les soins palliatifs dans tout physique et psychique, souhaitent fou. Certaines rares unités ont com-
De plus, un patient en fin de vie a de dissiper cette confusion et s’inté- cela ? Le discours des soins pallia- maîtriser leur destin en deman- pris cela et répondent favorable-
grandes chances d’être confronté resser aux mots précis du patient tifs reste encore généralement op- dant la mort. Un patient demande ment aux demandes des patients.
aux anciennes pratiques « sauva- est essentiel. Ce n’est pas parce posé à l’euthanasie. Elle est souvent rarement l’euthanasie pour des L’expérience belge montre que la
ges », consistant en une augmenta- qu’un patient parle d’euthanasie perçue comme un échec : si un pa- douleurs mal contrôlées : il la loi ne suffit pas. Il faut en plus infor-
tion des doses de sédatifs menant qu’il la demande. Combien de soi- tient demande à mourir, c’est que ­demande pour supprimer la souf- mer, sensibiliser et accompagner les
lentement au décès (parfois sans gnants ont cru qu’un patient de- france de perdre le contrôle de sa médecins et les équipes soignantes.
demande explicite du patient en- mandait l’euthanasie juste parce vie. Il juge que décider de sa mort Car, accepter la possibilité de réali-
core conscient). La réalité du terrain qu’il partageait son désespoir d’un est le seul moyen de rendre sa fin ser des euthanasies, c’est accepter
est, en 2023, toujours celle-là. moment ? Une demande d’eutha- de vie acceptable. un renversement de paradigme : le
Un autre mythe, très présent nasie est une demande à un méde- Pourquoi opposer soins palliatifs médecin n’est plus celui qui décide
dans les médias français, est cin : « Docteur, aidez-moi, je sou- et euthanasie ? Les soins palliatifs pour le patient. Le patient décide de
qu’une « loi euthanasie » aurait haite mourir », répétée sans pres- L’expérience belge sont des soins de confort qui appor- sa propre fin, en demandant au
pour conséquence une augmenta- sion et sur un temps étalé et qui tent la meilleure aide à un patient ­médecin une aide pour mourir. p
tion inéluctable du nombre de cas. devra ensuite être écrite. La loi ne montre que la loi qui ne peut plus guérir. L’euthanasie
C’est ignorer qu’en France dit rien d’autre que cela. Ces de- ne sera choisie que par une petite
« l’euthanasie autrement » est déjà mandes « sérieuses » sont en revan-
ne suffit pas. Il faut partie de ces patients. Leur offrir la
pratiquée dans de nombreux lieux che bien souvent formulées à des en plus informer, possibilité d’être entendus au sein
et situations, sans aucun contrôle médecins en difficulté dans ce même de ces unités relève du bon
ni cadre. Ces pratiques illégales ne ­domaine, mais ne l’exprimant pas. sensibiliser sens. Or, devant les situations diffi-
sont évidemment référencées Quand un patient demande vrai- ciles de fin de vie, certains soins pal- Olivier Bury est psychologue
nulle part puisqu’elles suscitent le ment l’euthanasie, à qui peut-il et accompagner liatifs répondent encore trop sou- clinicien et criminologue en
malaise. L’instauration d’une loi s’adresser ? Au médecin responsa- les médecins et les vent par l’induction d’un sommeil ­Belgique et travaille depuis plus
nomme les choses et donne des ble de son dossier mais qui ne dit suivi d’une augmentation des doses de vingt ans dans le milieu belge
droits aux patients et aux méde- pas qu’il est contre cette pratique ? A équipes soignantes médicamenteuses menant au de la fin de vie

Marie de Hennezel Beaucoup de personnes âgées rêvent de


mourir d’anorexie finale, comme un passage choisi vers la mort
Renvoyant dos à dos acharnement thérapeutique et euthanasie, la psychologue valorise une troisième voie : le respect du souhait des
patients en fin de vie de ne plus s’alimenter afin de s’en aller sereinement et sans douleur

Q
ue veulent vraiment les pos, une angoisse. Comment in- fasse, on se sent coupable. Alors, frait-il ? Non, apparemment. Le s’ils essayaient de l’arracher, on rent que mourir sans s’alimenter
très vieux quand ils pen- terprétera-t-on leurs plaintes ? Et on évoque ces manières de mou- médecin passait de temps leur attachait les mains. On les et sans boire n’est pas doulou-
sent à leur mort ? La ré- s’ils expriment une lassitude de rir à l’ancienne… L’aïeul qui a en temps vérifier, et puis l’aïeul forçait à vivre. Aujourd’hui, de reux. Des années de pratique
ponse est unanime : mou- vivre, ne viendra-t-on pas leur cessé de s’alimenter et de boire, rendait son souffle, comme une tels comportements sont illé- des soins palliatifs l’attestent. La
rir chez soi, dans son lit, surtout « faire la piqûre » ? qui s’est affaibli, puis s’est en- petite bougie. gaux. Mais la culture soignante pose de perfusions, au contraire,
pas à l’hôpital, sans souffrir, sans Comment mourir, alors ? L’idée foncé lentement, doucement, Beaucoup de personnes âgées n’a pas beaucoup évolué. Accom- ne fait que prolonger une fin
acharnement thérapeutique, en- même de l’injection létale les per- dans la mort. On évoque l’accom- rêvent de mourir ainsi, d’ano- pagner quelqu’un qui cesse de ­désirée par la personne. L’hy­-
touré d’affection et de présence. turbe. Les mots qui reviennent pagnement autour du lit de l’ago- rexie finale. Dans mon livre, Nous s’alimenter semble venir en dratation est responsable d’œdè-
Pouvoir glisser lentement dans la tournent tous autour de la dou- nisant, les visites des petits-en- voulons tous mourir dans la ­ ­contradiction avec l’éthique soi- mes douloureux.
mort, dans un environnement ceur. « On voudrait partir douce- fants, les petits mots tendres dignité (Robert Laffont, 2013), j’ai gnante. Il y a cette impression de Ces idées fausses naissent d’un
protégé, sans être forcé à s’ali- ment, avoir le temps de dire au re- murmurés à l’oreille, les toilettes raconté comment ma belle-mère stopper le soin et l’idée qu’il y a imaginaire qui associe la nourri-
menter si l’on n’a plus faim. voir, se sentir prêt. » Pas de préci- faites avec tact, la radio en sour- s’est éteinte de cette façon, sans forcément une dépression der- ture à la vie. N’est-ce pas para-
Notre cadre législatif le permet. pitation, pas d’acte radical. Plus dine avec les chansons qu’il souffrir. Elle voulait, disait-elle, rière ce glissement. doxal, lorsqu’il s’agit de respecter
Encore faut-il savoir anticiper, les personnes âgées se fragilisent, aimait, les prières silencieuses « mourir à l’indienne », faisant On mesure alors l’urgence le désir d’une personne de se lais-
­exprimer ses souhaits, prendre plus elles ont besoin de confiance dans les familles croyantes. Et on ­référence à la pratique du jeûne d’une pédagogie. Faire la diffé- ser mourir, d’invoquer à tort
contact suffisamment tôt avec dans leurs rapports à autrui, plus se dit que c’est tout de même pas chez les vieux jaïns qui cessent de rence entre un syndrome de glis- « l’horreur » d’une privation de
une équipe mobile de soins pal- elles craignent d’être, tôt ou tard, mal de mourir comme cela. Souf- s’alimenter et de boire, comme sement et la position de la per- nourriture et de lui préférer l’in-
liatifs. Savoir cela rassure les très perçues comme un fardeau. La loi un passage choisi vers la mort. sonne qui demande sereinement jection létale, un acte radical,
vieux, qui se demandent alors actuelle – qui maintient l’inter- C’était sa décision, nous l’avons à ce qu’on la laisse mourir n’est ­psychologiquement violent pour
pourquoi réclamer une loi qui dit de donner délibérément la respectée. Sa fin a été douce, se- pas facile. Il faut connaître la per- les proches et qui implique l’in-
­légalise l’euthanasie ou le suicide mort – est une loi qui les protège, reine et bien vécue par un entou- sonne, parler avec elle de son dé- tervention d’autrui ? L’anorexie
assisté. Ces deux « solutions de fin du moins l’espèrent-ils. rage qui a eu le temps de se pré- sir de mourir. Cliniquement, cela ­finale, au contraire, n’implique
de vie » leur font peur. Que fera- Mais les très vieux veulent parer à cette mort acceptée. n’a pas la même tonalité. Chez les l’intervention d’aucun soignant,
t-on d’eux, s’il leur arrive d’être aussi rester sujets de leur mort. Accompagner dépressifs, il y a une tristesse af- respecte le droit de la personne
transférés de nuit à l’hôpital ? Ils Faut-il pour autant organiser son Urgence d’une pédagogie freuse, un désespoir ; chez les de se laisser glisser doucement
savent que 20 % des personnes suicide ? Peut-on rester sujet de quelqu’un qui Pourquoi, alors, appelle-t-on le autres, le sentiment tranquille dans la mort, et ne génère
âgées, en Ehpad, atterrissent ainsi sa mort, sans imposer à ses pro- SAMU dès qu’une personne âgée d’avoir fait son temps. On est au aucune culpabilité. p
aux urgences, et meurent alors ches un tel traumatisme ? Sans
cesse de cesse de s’alimenter et demande bout du rouleau, la lampe n’a plus
sur un brancard, dans une forme leur imposer le double lien s’alimenter qu’on la laisse mourir tranquille- d’huile. Il est temps de partir et de
d’anonymat et de solitude. Cette auquel toute personne sollicitée ment ? La charge symbolique de se laisser aller paisiblement.
mort-là, ils n’en veulent pas. pour l’assistance au suicide se semble venir en la nourriture est-elle si lourde ? Pourquoi, lorsque j’évoque ce
Ils ne veulent pas non plus cou- trouve confrontée ? Qu’on ne se Je me souviens de l’époque où droit à « l’anorexie finale », m’op-
rir le risque qu’on abrège leur vie raconte pas d’histoire ! Participer contradiction le personnel soignant ne suppor- pose-t-on des idées fausses ? Ce Marie de Hennezel est psy-
à leur insu. Ils redoutent d’être au suicide de quelqu’un génère avec l’éthique tait pas le refus de s’alimenter serait indigne de « laisser mourir chologue clinicienne, autrice
un jour soumis à une « injonction une forme de culpabilité, incons- des grands vieillards. On leur po- de faim et de soif » ! Mais ceux de « L’Aventure de vieillir » ­(Ro-
de mort ». On sent, dans leurs pro- ciente tout du moins. Quoi qu’on soignante sait une sonde gastrique, et qui avancent cet argument igno- bert Laffont, 2022).

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