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LECTURE LINÉAIRE 2

François Rabelais (1494-1553), Gargantua 1542.


Chapitre 17: Comment Gargantua paya sa bienvenue aux Parisiens, et
comment il prit les grosses cloches de l’église Notre-Dame

Quelques jours après qu'ils se furent reposés, Gargantua visita la ville.


Chacun le regardait, ébahi. Le peuple de Paris est en effet tellement sot,
tellement stupide et tellement imbécile de nature qu'un bateleur, un porteur de
reliques, un mulet couvert de grelots, un joueur de vielle au milieu d'un
carrefour, rassembleront plus de gens qu'un bon prédicateur évangélique.
Les Parisiens le poursuivirent et l'importunèrent tant qu'il fut contraint de
se réfugier sur les tours de l'église Notre-Dame. Installé à cet endroit, voyant
tous ces gens autour de lui, il se dit d'une voix claire: «Je crois que ces grossiers
personnages veulent que je leur paye ma bienvenue et que je leur accorde mon
proficiat. C'est justifié. Je vais leur offrir à boire. Mais ce ne sera que par ris. »
Alors, en souriant, il déboutonna sa belle braguette et, tirant son membre
en l'air, les compissa si violemment qu'il en noya deux cent soixante mille
quatre cent dix-huit, sans compter les femmes et les petits enfants.
Certains parvinrent à s'échapper de ce déluge d'urine grâce à leur agilité.
Quand ils furent tout en haut du quartier de l'Université, suant, toussant,
crachant et hors d'haleine, les uns en colère, les autres hilares, ils se mirent à
jurer et à renier Dieu: «Carimari carimara ! Par sainte Mamie, nous sommes
baignés par ris! » C'est depuis ce jour-là que la ville fut nommée Paris, car
auparavant on la nommait Lutèce (comme le dit Strabon, livre IV), c'est-à-dire
«blanchette» en grec, à cause de la blancheur des cuisses des dames de ce lieu.
Et parce que, au moment de cette nouvelle imposition du nom, chacun
jura par les saints de sa paroisse, Joaninus de Barranco, libro de copiositate
reverentiarum, estima que les Parisiens, qui sont faits de toutes sortes de gens et
de pièces rapportées, et sont par nature bons jureurs, bons juristes et quelque
peu vaniteux, sont appelés en grec Parrhésiens, c'est-à-dire « ceux qui parlent
avec arrogance ».
Introduction:

François Rabelais, né en 1494 et décédé en 1553, est un écrivain humaniste de


la Renaissance. C’est en 1535 qu’il publie le roman Gargantua, dans lequel il raconte
la vie du géant éponyme. Il nous décrit sa naissance, l'éducation que lui donneront
différents professeurs, et les faits héroïques qu’il accomplira pendant la guerre. Bien
que l’aspect de ce livre soit comique, voire obscène, il contient un sens profond. En
effet, Rabelais nous en avertit dans le prologue. Il nous invite à “rompre l’os” et
“sucer la substantifique moëlle” pour en tirer le savoir caché. Ainsi, on retrouve une
critique de la religion, des savants et de la guerre. C’est pour ces raisons que
Gargantua est condamné par la Sorbonne pendant 7 ans. Rabelais tente donc
d’édulcorer son propos dans l’édition de 1542 que nous lisons aujourd’hui .
Nous étudions un extrait du chapitre 17 intitulé “Comment Gargantua paya sa
bienvenue aux Parisiens, et comment il prit les grosses cloches de l’église
Notre-Dame”. Dans les chapitres précédents, Gargantua a reçu l’éducation de deux
"maîtres sophistes”: Thubal Holoferne et Jobelin Bridé. Mais ils l'ont rendu
complètement stupide. Son père, Grandgousier, fait donc appel au précepteur
humaniste Ponocrates pour refaire son éducation. Ils se rendent ensemble à Paris, mais
à son arrivée, le géant est harcelé par les parisiens. Et pour se venger, Gargantua leur
urine dessus.

Problématique:

En quoi ce passage comique est-il le moyen pour Rabelais de faire la satire de ses
contemporains Parisiens?

Mouvements:

I-Les Parisiens harcèlent Gargantua.


paragraphe 1 et 2

II-Gargantua se venge en leur urinant dessus.


début paragraphe 3 → “nous sommes baignés par ris”

III-Le narrateur donne des étymologies fantaisistes.


“c’est depuis ce jour là” → fin
I-Le harcèlement des Parisiens

→ L’adjectif “ébahi”, c'est-à-dire “sidéré” témoigne de l'étonnement des Parisiens.


On suppose que c’est à cause de la taille de Gargantua, mais le narrateur nous propose
une explication satirique.

→ L'énumération de trois adjectifs péjoratifs et redondants “sot” “stupide” et


“imbécile” scandée par l’adverbe d'intensité "tellement" met en valeur la bêtise des
Parisiens. On comprend que leur étonnement est en fait lié à leur bêtise.

→ Le narrateur énumère les divertissements préférés des Parisiens “un bateleur, un


porteur de reliques, un mulet couvert de grelots, un joueur de vielle au milieu d'un
carrefour”. Dans cette énumération, on retrouve le lexique du spectacle et de la fête
qui pointe du doigt la superstition des Parisiens.

→ On remarque également une allitération en “r” qui restitue le brouhaha du peuple


parisien.

→ La référence au prédicateur évangélique qualifié avec l'adjectif mélioratif “bon”


est le moyen pour Rabelais de faire l’éloge de l'évangélisme.

→ Et avec le comparatif de supériorité “plus de gens que”, Rabelais dénonce le


manque de foi des Parisiens.

→ Gargantua est harcelé comme le laissent entendre les verbes “poursuivirent” et


“importunèrent” accentués par l’adverbe intensif “tant”.

→ Il prend ensuite la parole comme l'indique les éléments propres au discours direct:
les guillemets et la première personne du singulier. Il en profite pour insulter les
parisiens de “grossiers personnages”.

→ Le champ lexical de l’hospitalité composé de “offrir” “accorde” “boisson” et


“bienvenue” est ironique car il va en réalité se venger en leur urinant dessus.

Transition: Dans ce premier mouvement, le narrateur, et sûrement Rabelais derrière,


dénonce la stupidité, le manque de foi et la superstition des Parisiens. Ils embêtent
tellement Gargantua, qu’il est obligé de se réfugier sur les tours de la cathédrale
Notre-Dame. D’ailleurs, cette image peut être comprise de manière métaphorique. En
effet, le géant en haut des tours, s'élève au niveau du divin. Il pourrait ainsi représenter
Dieu qui juge et s’apprête à punir son peuple qui ne suit pas l'évangélisme. On peut
désormais s'intéresser au deuxième mouvement qui correspond à la vengeance de
Gargantua.

II-La vengeance de Gargantua

→ On retrouve le champ lexical de l’urine composé de “braguette”, “membre”,


“compissa” et “urine” qui installe le comique scatologique propre à Rabelais.

→ Le narrateur fait une hyperbole “les compissa si violemment qu'il en noya deux
cent soixante mille quatre cent dix-huit, sans compter les femmes et les enfants”. Et la
précision du chiffre exact qui donne une impression de réel est très comique.

→ De plus, on remarque une allitération en “s” qui restitue le bruit de Gargantua qui
urine.

→ Avec la référence au “quartier de l’Université” qui correspond au quartier de la


Sorbonne, on comprend que Rabelais va s’attaquer aux théologiens de la Sorbonne.

→ Il leur accorde un portrait très dévalorisant avec l'énumération de trois participes


passés péjoratifs “suant, toussant, crachant”. Celà nous rappelle le maître sophiste
Jobelin Bridé qualifié de “vieux tousseux”, et Janotus de Bragmardo qui a une terrible
toux. On comprend ainsi que ces théologiens sont des malades.

→ Le narrateur les décrit ensuite avec une antithèse “les uns en colère, les autres
hilares”. Ce procédé pointe du doigt le manque de logique de ces théologiens.

→ Il souligne ensuite leur impiété, avec les verbes péjoratifs “jurer” et “renier” qui
ont pour complément d’objet direct “Dieu”.

→ Enfin, Rabelais dénonce leur superstition. En effet, ils emploient une formule
magique pour éloigner les démons “Carimari carimara”, et ils implorent des Saints
imaginaires “Sainte Mamie”.

Transition: Dans ce deuxième mouvement, Gargantua urine sur les Parisiens, en les
noyant par milliers. Mais certains parviennent à s’enfuir. On comprend qu’il s’agit des
théologiens de la Sorbonne, et Rabelais en profite pour leur dresser un portrait très
dévalorisant. On peut finalement s'intéresser au troisième mouvement qui correspond
aux étymologies fantaisistes que nous donne le narrateur.

III-Étymologies fantaisistes du narrateur.


→ Le narrateur nous donne une étymologie grotesque de “Paris”. Selon lui, le nom
de la ville viendrait des fuyards qui crient “nous sommes baignés par ris”. Celà
installe le comique de mots et traduit le plaisir de Rabelais à jouer avec les mots.

→ Et le narrateur, sur un ton sérieux, emploie un argument d’autorité. En effet, il


cite “Strabon”: un historien du 1er siècle, ainsi que le titre d’un livre “Livre IV”. Il
tente ainsi de rendre plus crédible son explication grivoise du nom “Lutèce”, qui
selon lui, vient de “blanchette en grec, à cause de la blancheur des cuisses des dames
de ce lieu”. Cette étymologie est évidement fausse, car “Lutetia” en latin signifie “la ville
de la boue”.

→ Encore une fois, le narrateur emploie un argument d’autorité. Il cite “Joaninus de


Barranco” et le titre d’un livre “libro de copiositate reverentiarum”. Il passe ainsi pour
un érudit, seulement, ce livre et son auteur sont imaginaires.

→ Il en profite pour donner une étymologie fantaisiste du nom “Parisiens” qui selon
lui, vient du “grec Parrhésiens, c'est-à-dire « ceux qui parlent avec arrogance »”. C’est
le moyen pour Rabelais d’insister sur la satire des Parisiens. Cette explication est
évidemment fausse. “Parisiens” vient du latin “Parisii” qui était un peuple gaulois qui
habitait à Lutèce. moyen pour Rabelais d’insister sur la satire des Parisiens

→ L’ expression “sont faits de toutes sortes de gens et de pièces rapportées” pointe du


doigt la diversité incohérente et le manque d’harmonie du peuple parisien

→ Le narrateur fait une paronomase “bon jureurs, bons juristes”. Toutefois, les deux
noms n’ont rien à voir. Ce procédé souligne le manque de logique des parisiens

Conclusion:

Cet extrait du chapitre 17 de Gargantua, nous raconte comment le géant urine sur les
Parisiens qui se sont mal comportés avec lui. En fait, on réalise que si les Parisiens
sont punis, c’est à cause de leur bêtise, leur impiété, leur superstition, et leur vanité.
Ainsi, ce passage comique est le moyen pour Rabelais de faire la satire de ses
contemporains parisiens.

Ouverture:

Ce texte peut nous faire penser au roman Notre-Dame de Paris de Victor Hugo dans
lequel Quasimodo s’isole en haut de la cathédrale par peur des Parisiens.

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