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La Maitresse Du Rajah (PDFDrive)
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La maîtresse du rajah
BestSeÌlers
Titre original : JEWEL OF MY HEART
HARLEQUIN®
est une marque déposée par le Groupe Harlequin
BEST-SELLERS®
est une marque déposée par Harlequin S.A
Photos de couverture
Paysage : © GRAEME GOLDIN / CORBIS
Tapis : © ANDREA PISTOLESI / GETTY IMAGES
Femme : © TETRA IMAGES / ROYALTY FREE / GETTY IMAGES
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Londres
1
Londres, Angleterre
Boxwood Manor, septembre 1888
Jamaïque
7
— Ah, on se réveille ?
Carlton étira son corps nu sur le lit étroit, puis roula sur le côté
pour presser son ventre contre les fesses nues et brunes de la
jeune femme allongée près de lui.
Elle gémit, essayant de s'écarter de lui, mais il posa la main
sur sa hanche mince.
—Allons, allons, pas de ça.
Il pressa sa bouche sur son omoplate et la mordit, pas très
fort, juste assez pour la faire tressaillir.
Elle gémit de nouveau.
Carlton sentit son sexe se durcir et il grogna, poussant sur
son postérieur lisse et ferme.
— Sois gentille, lui chuchota-t-il à l'oreille, en passant la
main sur sa petite poitrine et en pinçant la pointe d'un sein, et
nous prendrons notre petit déjeuner, toi et moi. Une bonne
compote de fruits et du pain, hmm ?
Il serra ses fesses sombres dans sa main, introduisant
brutalement son sexe rigide entre elles.
Brigitte sanglota doucement en se contractant et en
empoignant le bord du matelas de plumes. Les chaînes qui
chargeaient ses chevilles et ses poignets cliquetèrent et elle
crispa les paupières contre la douleur.
— Lady Moran.
Kendra leva les yeux et vit Carlton Thomblin debout devant
elle, vêtu d'un costume jaune pâle et coiffé d'un canotier. Il avait
l'air sur le point de partir pour Hyde Park, plutôt que de se cacher
dans une grotte de la Jamaïque pour sauver sa vie.
— Il commence à faire jour et j'insiste sur le fait que, si nous
voulons atteindre ce bateau dans le port sans être assassinés,
nous devons partir avant le lever du soleil.
Kendra détourna son regard, observant les groupes de
réfugiés. Les Rutherford s'adossaient à un rocher et lady
Rutherford harcelait son époux, essayant de nettoyer une
coupure sur son front. Le jeune George était assis par terre, la
tête de sa sœur sur ses genoux. Ils revenaient de loin, n'ayant
gardé que la vie sauve.
Tout au fond de la caverne, dans l'ombre, les domestiques
étaient rassemblés parmi les possessions que Thomblin et elle
avaient réussi à emporter. Chantai était là, également. Rendra
n'avait pas beaucoup d'estime pour elle et savait que l'emmener
ne ferait que compliquer les choses et gêner ses plans pour
Jefford et Madison, mais elle ne pouvait la laisser en arrière pour
être tuée par les émeutiers. En outre, en plus de la douzaine de
serviteurs et de leur famille, il y avait trois hommes avec des
fusils, envoyés par Jefford, qui gardaient l'entrée de la grotte.
Lady Moran était si fatiguée qu'elle pouvait à peine garder
les yeux ouverts. Elle avait mal dans tous les os et une douleur
persistante dans l'échiné. Elle était terriblement inquiète pour
Jefford et Madison. Dans son cœur, elle savait qu'ils étaient
ensemble et en sécurité, qu'ils attendaient simplement le bon
moment pour les rejoindre. Mais, plus les heures passaient, plus
son inquiétude grandissait.
— Lady Moran, reprit Carlton d'un ton vif. M'avez-vous
entendu ?
Elle se redressa dans le ravissant fauteuil Reine Anne qui
avait appartenu à sa mère, l'un des rares meubles qu'elle avait
emportés de Windward Bay, et considéra lord Thomblin avec
irritation.
— Attirer l'attention sur nous à la lumière du jour ?
Certainement pas, trancha-t-elle.
— C'est pourquoi nous devrions partir maintenant, insista-t-il
en faisant un grand geste en direction du vieux port de Port
Royal.
— Voyez-vous, Carlton, ce serait peut-être une idée si nous
avions un bateau.
— Nous n'en avons pas ? tonna-t-il.
Ojar, qui montait la garde avec un fusil sur chaque épaule,
regarda à l'intérieur et fronça les sourcils.
— Baissez la voix, siffla lady Moran en ramenant les yeux
sur le petit-neveu de son mari.
— Sir.
Lord Rutherford se leva et vint vers eux d'un pas branlant, en
se servant d'un bambou pour se soutenir. Il se redressa de toute
sa taille, paraissant beaucoup plus âgé à Kendra qu'à peine une
semaine auparavant.
— Je dois vous demander de ne pas prendre ce ton avec lady
Moran.
— Je croyais que nous avions un bateau ! Notre voyage
devait être organisé.
Thomblin agita les mains, et reprit d'une voix qui frisait
l'hystérie :
— J'ai été traîné à travers la jungle en pleine nuit, pourchassé
par des indigènes ivres, et maintenant je me trouve dans une
grotte humide et l'on me dit qu'il n'y a pas de bateau pour me
sortir de cet enfer ? Je pensais que la semaine dernière, quand
nous nous sommes rencontrés, nous étions d'accord sur le fait
qu'il y aurait un plan pour s'échapper !
— Il y en avait bien un. Nous vous avons amené ici entier,
les flammes à vos trousses, non ? lança lady Moran avec
indignation.
— Dans une caverne pleine de toiles d'araignées et de
chauves-souris.
Il s'éventa.
— Et sans moyen d'en partir. Combien de temps attendrons-
nous ici ? Jusqu'à ce que les émeutiers nous trouvent et mettent
le feu ? Ou pire encore ?
— Jefford nous trouvera un bateau, si besoin est.
— Si besoin est ? répéta Carlton en soufflant. Madame, est-
ce que votre sentinelle, ce jeune Hindou, n'a pas dit que la moitié
de l'île semble être la proie des flammes ? N'a-t-il pas dit qu'il a
vu une foule incendier un entrepôt ici même, dans ce port ? Si
nous étions allés à Kingston...
— Je ne me soucie pas de ce que vous dites, Carlton. Jefford
et lord Rutherford sont tombés d'accord sur le fait que partir de
Port Royal était le plus sûr. C'était plus près de chez nous et
moins de gens pourront nous voir mettre les voiles.
— Je ne vois personne mettant les voiles, madame. Vous si ?
— Lord Thomblin, protesta lord Rutherford en bombant le
torse comme un vieux coq. Si vous ne vous contrôlez pas, sir, je
vais être obligé...
— George, tout va bien, dit lady Moran en levant la main
pour séparer les deux hommes. Je vous en prie, ne vous
échauffez pas. Allez trouver votre femme. Je peux venir à bout
de Carlton.
Le comte lança un regard dégoûté à l'homme plus jeune que
lui et rejoignit les siens.
Lady Moran croisa les bras sur sa poitrine et agita un éventail
de soie que Maha avait eu la bonne idée d'emporter. Le soleil
s'était à peine montré à l'horizon et il faisait déjà chaud.
— Comme je le disais, Carlton, Jefford va bientôt arriver.
— Vous n'en savez rien.
— Je suis tout à fait sûre qu'après avoir été séparée des
chariots Madison a retrouvé mon fils et qu'ils viennent ensemble
dans cette direction. Maintenant, voici ce que nous allons faire :
nous allons attendre ici toute la journée.
— Et s'ils ne sont toujours pas là quand la nuit tombera ?
— J'enverrai Punta au port affréter un bateau si nous
craignons d'être toujours en danger et si nous ne pouvons rentrer
chez nous.
— Je crois qu'il est déjà tout à fait clair que nous ne
rentrerons pas chez nous, déclara Carlton en ajustant son
chapeau de paille.
— Si vous voulez m'excuser, je suis fatiguée.
Kendra ferma les yeux.
— Je crois que je vais me reposer.
Les paupières fermées, elle appela son serviteur d'un geste de
la main.
— Punta.
Il se leva et s'empressa de la rejoindre.
— Du rhum, s'il vous plaît.
Quand Madison s'éveilla, elle était seule. Il faisait jour, et le
soleil se frayait un chemin des deux côtés de la cascade pour
éclairer la grotte. En se frottant les yeux, l'esprit encore engourdi
par le sommeil, elle s'assit et découvrit qu'elle n'était vêtue que
de sa chemise de nuit et de ses bottillons, avec, sous elle, le
rideau dans lequel elle avait enveloppé ses tableaux. Tandis
qu'elle reboutonnait hâtivement sa chemise, des souvenirs de la
nuit lui vinrent à la mémoire et elle sentit ses joues se colorer de
honte.
— Ah, vous êtes réveillée.
Jefford apparut à la frange de la cascade, portant la gourde.
Ses cheveux noirs étaient mouillés ; il avait dû se baigner.
— J'ai de l'eau fraîche.
Madison garda les yeux fixés sur les derniers boutons, ses
doigts ayant du mal à trouver les boutonnières.
— Vous voulez boire ?
Il entra dans la grotte et s'accroupit près d'elle. Elle ne put le
regarder. Elle prit la gourde, ôta le bouchon et but.
— Madison...
—Non, coupa-t-elle en essuyant sa bouche. Je vous en prie.
Je ne... Je ne suis pas prête à parler... de cette nuit.
Il tourna la tête, écartant son regard d'elle.
— Entendu, acquiesça-t-il en soupirant. Je suppose que nous
avons d'autres affaires plus urgentes à régler, n'est-ce pas ?
Evitant toujours de croiser ses yeux, Madison se mit à quatre
pattes et entreprit de récupérer son corsage, jeté à terre des
heures plus tôt dans le feu de la passion. Sa jupe se trouvait dans
une autre direction.
— Nous devons rejoindre le lieu de rendez-vous, dit-elle
d'une voix mal affermie. Tante Kendra doit être si inquiète. Où
devons-nous retrouver les autres ?
— A Port-Royal.
— Ce n'est pas loin, déclara-t-elle, rassurée.
— Non. Il y a là-bas une autre grotte plus grande que celle-
ci, une caverne, de fait, à la lisière de la ville. Les pirates s'en
servaient pour se cacher. Ma mère et les autres doivent nous y
attendre. C'est tout près du port.
— Nous allons prendre un bateau ?
— Non, la taquina-t-il. Nous allons voler sur les ailes d'un
oiseau.
— Ne vous gaussez pas de moi.
Elle attrapa sa jupe froissée et se leva pour l'enfiler.
— Je ne suis pas la femme écervelée pour laquelle vous me
prenez.
Il se mit debout à son tour.
— C'est juste que votre question était un peu sotte. Comment
pourrions-nous quitter une île, autrement ?
— Je n'étais pas sûre que nous quittions la Jamaïque,
répondit-elle d'un ton sec. Je ne sais même pas où nous allons.
Elle hésita et lui coula une œillade.
— A Londres ?
— Dieu du ciel, non.
Habillée, Madison se tourna vers lui et s'obligea à rencontrer
son regard, cette fois.
— Où, alors ?
— En Inde.
— En Inde ! répéta-t-elle dans un souffle, se sentant soudain
étourdie. C'est si loin d'ici !
— En effet. De l'autre côté de la Terre. Nous prendrons le
premier bateau que nous pourrons pour quitter l'île et irons en
Amérique, à Charleston. Une fois que nous y serons, nous
préviendrons votre famille...
— Ils se moquent de savoir où je suis, coupa Madison. Ils
sont juste heureux d'être débarrassés de moi.
Malgré elle, elle sentait l'excitation s'emparer d'elle. En Inde?
Elle avait lu des histoires sur l'Inde. Des récits d'hommes et de
femmes qui y vivaient, faisant partie de la Compagnie des Indes
orientales.
Elle essayait encore de s'imaginer un tel voyage.
— A Charleston, nous prendrons un bateau à vapeur pour
Bombay.
— Combien de temps durera le voyage ?
— Deux à trois mois, je suppose.
Jefford la regardait en parlant, l'intimidant.
— Cela dépendra de la rapidité avec laquelle nous pourrons
arranger la traversée, poursuivit-il. Puis du nombre d'escales du
bateau. Souvent, les navires s'arrêtent au Portugal, à Gibraltar,
traversent la Méditerranée, accostent à Alexandrie, franchissent
le canal de Suez, la mer Rouge et mettent le cap sur Bombay.
— Pourquoi l'Inde ? demanda-t-elle.
— Nous... Ma mère a des terres là-bas, de même que les
Rutherford. Thomblin y a vécu, également.
Il se tut un moment.
— Et... je pense qu'il y a quelqu'un que Rendra aimerait
revoir.
Il y avait quelque chose dans sa voix qui la fit lever les yeux
vers lui. Il se détourna abruptement.
— Jefford...
— Vous pouvez sortir vaquer à vos besoins personnels, dit-il
d'un ton bref. Cela ne craint rien. Ne restez pas trop longtemps
dehors, c'est tout. Je suis retourné à Windward Bay avant l'aube.
Une partie de la maison est encore debout, mais...
Il n'acheva pas sa phrase. Madison regarda son large dos et
sentit sa poitrine se serrer. Windward Bay avait été son foyer
depuis toujours, et maintenant il l'avait perdu.
**
*
Bombay
18
Trois jours plus tard, vêtue d'un pâle sari de couleur pêche,
les jambes ramenées sous elle, Madison était assise à l'ombre
d'un grand tamaris. Des oiseaux exotiques voletaient et
gazouillaient dans les branches au-dessus de sa tête, et des
insectes invisibles bourdonnaient dans le feuillage vert. Elle
avait son carnet de croquis sur ses genoux et dessinait deux
petites filles, les enfants de domestiques, qui jouaient à pousser
des galets sur l'allée de pierre.
— Vous vous sentez reposée ? demanda Sashi en
s'approchant d'elle avec, à la main, un chapeau jamaïcain fait de
palmes tressées.
Madison leva les yeux et plissa les paupières dans le brillant
soleil de midi.
— Oui, enfin. Merci.
Elle eut un petit rire.
— Je crois que mon corps dit finalement : « Assez de
sommeil ! »
Elle accepta le chapeau et jeta un coup d'oeil à Sashi, pour la
découvrir au bord des larmes.
— Sashi, qu'est-ce qui ne va pas ? demanda-t-elle.
La jeune Hindoue secoua la tête et détourna son regard.
Madison posa le chapeau, son carnet, et se leva. Comme
Sashi, elle était pieds nus, s'étant vite faite aux vêtements et aux
habitudes des femmes indigènes.
—Sashi.
— Les Rutherford. Ils viennent déjeuner.
— Oui, je sais. Ils seront ici d'un moment à l'autre.
— George...
Sashi pinça les lèvres, s'arrêta, puis reprit :
— Il pense que nous devrions aller à Bombay pour nous
marier, mais je crois que je ferais peut-être mieux de partir d'ici.
Je pourrais retourner dans le village de mon père, au Bengale.
Trouver du travail.
— Sashi, écoutez-moi.
Madison saisit ses petites mains sombres.
— Dites-moi : aimez-vous George ?
— De tout mon cœur, murmura Sashi.
— Et vous voulez vous marier ?
De nouveau, elle hocha la tête.
— Mais parmi les miens, une femme ne choisit pas son mari.
C'est son père qui le choisit et elle doit obéir.
— Mais, Sashi, votre père est mort depuis des années. Vous
êtes ici dans une maison anglaise. Plus encore, dans la maison de
lady Moran, et chez elle les femmes épousent qui elles aiment. Si
George est l'homme avec qui vous voulez passer le reste de votre
vie, vous ne pouvez vous enfuir.
— Je ne veux pas l'enlever à sa famille. Il ne connaît pas la
douleur d'être sans ceux qui l'ont aimé et ont pris soin de lui.
— Je comprends, dit Madison.
— Mais je ne sais que faire, chuchota Sashi avec désespoir,
ses yeux noirs s'emplissant de nouveau de larmes. J'ai prié
Devi... Mon cœur se brise, mais je renoncerai à lui plutôt que de
le faire souffrir.
— Oh, Sashi !
Madison l'entoura de ses bras.
— Nous allons trouver quelque chose, je le jure. Maintenant,
plus de larmes, d'accord ?
Sashi releva la tête de l'épaule de Madison et acquiesça.
— Bon.
Soudain des cloches tintèrent, des chiens aboyèrent et une
servante passa en courant, criant quelque chose à une autre.
— Je crois que les Rutherford sont arrivés. Ce sont les
cloches de la grille d'entrée, dit Madison, tenant Sashi par les
épaules. Allez dans nos appartements et restez-y. Je m'assurerai
de trouver une excuse pour vous envoyer George. Je ne peux
promettre que vous aurez beaucoup de temps pour être seuls,
mais au moins...
— Ce sera suffisant ! s'écria Sashi d'un ton passionné.
Elle prit les mains de Madison dans les siennes et les serra.
— Merci. Je ne pourrai jamais vous rendre votre gentillesse.
— Madison ! appela Rendra de l'intérieur de la maison. Les
Rutherford sont là, chérie.
— Dépêchez-vous ! chuchota Madison à son amie, avant de
répondre : Je viens, tante Rendra !
Plus tard, après leur avoir fait faire un tour rapide de la
maison, Madison et sa tante installèrent leurs invités dans une
salle à manger qui dominait le jardin. Près d'une douzaine de
serviteurs portant les couleurs du rajah allaient et venaient en
apportant de riches currys de chèvre, des assiettes de fruits, des
pains plats et des boissons fruitées. Madison n'avait pas encore
rencontré le rajah, même si elle savait qu'il était venu au palais
en plus d'une occasion, et elle commençait à se sentir curieuse.
— C'est si aimable à vous de nous avoir invités à déjeuner,
Kendra, dit lady Rutherford en s'adossant à sa chaise pour laisser
une jeune servante en sari rouge placer sa serviette sur ses
genoux. Lord Thomblin envoie ses amitiés, bien sûr. Il était
désolé de ne pouvoir venir.
A la mention de Carlton, Madison leva les yeux.
— Dommage, marmonna sa tante. Où est-il ?
— Il est resté chez nous hier soir, puis il est retourné à
Bombay, apparemment, répondit lady Rutherford d'une voix
étouffée, en haussant les sourcils.
— Pour quoi faire ? demanda Madison. N'a-t-il pas une
maison par ici ?
— Nous n'en sommes pas certains, avoua lady Rutherford en
détournant son regard.
— Il semble que les dettes de notre lord Thomblin l'aient
rattrapé, dit George en s'adossant à sa chaise. Je ne pense pas
être inconvenant en disant qu'il semble être dans de plus graves
difficultés financières que nous le pensions.
Lady Moran haussa un sourcil peint.
— Vraiment ?
Madison ignorait de quoi ils parlaient, mais elle se promit de
questionner sa tante plus tard.
— Mon fils, ce n'est pas une discussion appropriée pour un
repas, intervint lord Rutherford en jetant un coup d'œil aux
jeunes filles, puis en ramenant les yeux sur George. Lord
Thomblin est notre ami. Et nous ne savons pas exactement quelle
est sa situation. Je suis sûr que tout ceci n'est qu'un malentendu.
— J'en suis certain, acquiesça George.
Lady Rutherford se recula pour laisser un serviteur remplir son
verre d'eau, pendant qu'un autre offrait du punch aux fruits.
— Rendra, vous avez tant de domestiques, observa-t-elle.
Nous n'avons qu'un personnel squelettique, et je dois reconnaître
que je m'y prends mal. Pour moi, tous ces Hindous se
ressemblent. Je ne sais plus ce que c'est que d'être correctement
servie.
Madison jeta un coup d'œil amusé à Alice et à George.
— Quelle superbe maison ! s'exclama encore lady
Rutherford tandis qu'une autre domestique apportait un plat
traditionnel à la viande de chèvre, le biryani. J'avais oublié,
Rendra, quel lieu magique est ce palais.
Rendra sourit en faisant passer un saladier de fruits
saupoudrés de noix de coco, l'un des mets favoris de Madison.
— Il est agréable, n'est-ce pas ? Différent de la Jamaïque,
mais fort plaisant.
— Mère parlait souvent du palais des Quatre-Vents, dit
George en levant son verre de punch. Mais vraiment, je ne
pensais pas qu'il était aussi beau. Je croyais qu'elle exagérait,
comme cela lui arrive parfois.
Lady Rutherford élargit les yeux, indignée, et fusilla son fils
du regard.
— Voyons, voyons, fit lord Rutherford en gloussant et en
tapotant le genou de sa femme sous la table. Tout ce qui vous
reste à faire, Georgie, c'est de vous trouver une princesse
hindoue et de l'épouser. Peut-être qu'alors vous pourrez vivre
dans un palais comme celui-ci, vous aussi.
— Madison, déclara vivement Alice. Pouvez-vous me passer
une galette de pain ? Elles sont délicieuses.
Madison lui tendit l'assiette en porcelaine décorée
d'éléphants, tout en rencontrant le regard de George à travers la
table.
— Juste ciel, lord Rutherford ! s'exclama-t-elle en choisissant
ses mots avec soin. Vous autoriseriez votre fils à épouser une
Hindoue ? Je pensais que cela ne se faisait pas.
— Nous sommes à une époque moderne, ma chère. Nous
touchons à la fin du XIXe siècle ! Les anciennes règles meurent
rapidement.
Lord Rutherford agita sa fourchette.
— Si une candidate potentielle était née dans une bonne
famille de la caste des brahmanes, j'accorderais certainement de
la considération à une telle union. Après tout, les brahmanes sont
très proches de ce qu'est la famille royale en Angleterre.
De nouveau, Madison regarda George, un sourire jouant sur
ses lèvres. Elle venait d'avoir l'idée la plus ingénieuse, la plus
magnifique à laquelle elle aurait pu penser.
— George, Alice, dit-elle en s'essuyant la bouche de sa
serviette, vous ai-je dit que tante Kendra m'a demandé de peindre
une fresque dans l'un des vestibules ? Il faut que vous veniez
voir.
George s'était déjà levé.
— Quelle chance ! Je dois voir cela.
Il prit la main de sa sœur, qui se leva en tamponnant sa
bouche rose.
— Maintenant ? Je n'ai pas encore fini...
— Si vous voulez nous excuser, sir, dit George en s'inclinant
devant son père. Mesdames.
— Par les cils d'Hindi, allez, allez, déclara lady Moran en
agitant sa serviette.
Madison prit le bras de ses amis et les entraîna hors de la salle à
manger, dans un couloir vert pâle.
— Que mijotez-vous ? demanda George à l'oreille de
Madison.
— Attendez, vous verrez.
Elle les guida jusqu'au deuxième vestibule circulaire, puis
dans un autre couloir peint en jaune clair.
— Si je peux retrouver mon chemin jusqu'à mes
appartements, où Sashi attend, j'ai une idée à partager avec vous.
— Oh, merci, murmura George. Je ne puis vous dire
combien cela compte pour moi que vous compreniez. Il a été si
difficile d'être si près d'elle pendant ces trois mois de traversée,
et de prétendre ne pas la connaître !
— C'est peut-être la chose la plus importante que vous ayez
faite de votre vie, mon ami, déclara Madison en tournant dans un
autre couloir. Ah, ah, ceci me paraît familier.
Elle poussa une grande porte en santal sculpté et Sashi bondit
d'une pile de coussins aux tons vifs arrangés sur un divan à
même le sol. A la vue de George, elle abaissa son voile sur son
visage. Depuis son retour en Inde, elle se voilait de nouveau. Elle
avait expliqué à Madison qu'aucun homme ne devait voir une
femme sans voile, sauf les membres de sa famille et son époux.
— Sashi ! s'écria George en ouvrant les bras. Sashi, mon
amour !
Elle se précipita dans ses bras.
— Oh, George, vous m'avez tant manqué !
— Vous aurez le temps pour cela après, dit Madison en les
prenant tous les deux par la main et en se mettant à genoux sur
un des divans. Maintenant, écoutez-moi bien, car je crois que j'ai
peut-être trouvé un moyen pour que vous vous mariez et que
George garde sa fortune et son titre.
24
**
*