— J'aime quand tu rougis, murmura-t-il, déposant un baiser sur sa joue. — Tiens, tiens, quelle surprise ! lança une voix sarcastique, juste derrière lui. Adrian se figea. Felicity ! L'estomac noué, il se retourna lentement. Felicity dardait sur lui un regard haineux. — Je vois que tu n'as pas perdu de temps pour me remplacer. Est-ce à cause d'elle que tu étais en retard à notre rendez-vous, hier soir ? Tu as déjà couché avec elle... Inutile de nier. Cela se voit. Elle se tourna vers Shami, qui la fixait d'un air effaré. — N'est-ce pas qu'il a déjà couché avec vous, mignonne ? Je parie que vous ne pouvez plus vous passer de lui. C'est normal, Adrian est un amant remarquable. Quand il a le temps, du moins... Adrian réprima un juron. Avec le nombre de salles de spectacle que comptait Sydney, il avait fallu que Felicity vienne ici ce soir, alors que la salle était complète depuis des mois ! Au même instant, un homme séduisant d'un certain âge rejoignit Felicity, une coupe de Champagne dans chaque main. — Apparemment tu n'as pas perdu de temps non plus, commenta Adrian. — Tu ne t'imaginais tout de même pas que je restais chez moi à me morfondre chaque fois que tu ratais un rendez- vous ? Kevin est un véritable gentleman, lui, mais il est vrai que c'est un mot dont tu ignores le sens. — Felicity, tu viens ? demanda Kevin, visiblement mal à l'aise. — J'arrive. Felicity toisa Shami d'un air dédaigneux. — J'espère que vous ne vous faites pas trop d'illusions au sujet d'Adrian. Il a toujours eu un faible pour les brunes, c'est plus fort que lui. Si vous vous imaginez qu'il tient à vous, détrompez-vous : vous finirez par subir le même sort que toutes celles qui vous ont précédée. Rendez-vous service, trouvez-vous un homme sincère et tournez le dos à ce monstre d'égocentrisme. C e s e r a i t u n e excellente ré p li q ue d e vaudeville, malheureusement i l s étaient e n plei ne réalité, songea Adrian. Felicity pivota et s'éloigna d'une démarche altière, suivie par son gentleman. Il déglutit péniblement. L'air atterré avec lequel Shami le regardait lui glaça le sang... — Shami, ma chérie... — Ne m'appelle pas comme cela, dit-elle d'une voix blanche. — Laisse-moi t'expliquer. — Il n'y a rien à expliquer. Je ne suis pas stupide, j'ai compris. — Non, ce n'est pas ce que tu crois. — Vraiment? Alors réponds à cette question : avais-tu rendez-vous avec elle hier soir ? — Oui, mais... — Tu es arrivé en retard et elle n'a pas apprécié, coupa-t- elle sèchement. Adrian soupira. — Oui, mais... — Quand tu m'as assuré que personne ne pourrait être contrarié que nous sortions ensemble ce soir, tu m'as menti. — Pas du tout ! Tout est terminé entre Felicity et moi. Je n'aurais jamais pu imaginer une réaction pareille de sa part ! De toute façon, elle n'a jamais compté pour moi et... — Vraiment ? J'ai une autre question. Est-il vrai que tu as un penchant pour les brunes ? Adrian réprima un soupir. — Ecoute, nous sommes tous attirés par un certain physique. Toi-même tu m'as remarqué parce que je ressemblais à ton mari, non? Ne laisse pas la hargne de Felicity tout gâcher entre nous, Shami. Je t'assure que tu es différente des autres. J'étais sincère quand je t'ai dit que tu occupais une place très spéciale dans ma vie. Shami secoua la tête d'un air désabusé. Au même instant, la sonnerie indiquant la fin de l'entracte retentit Elle lui tendit sa coupe. — De toute façon, cela n'aurait jamais marché entre nous. Il vaut mieux en rester là. — Non ! protesta-t-il avec vigueur, attirant des regards curieux. — Si. C'est terminé, Adrian. — Viens au moins regarder la deuxième partie du spectacle, plaida-t-il en désespoir de cause. Il lui fallait à tout prix gagner du temps... Quand elle se serait remise de cette scène odieuse, il parviendrait à lui faire comprendre qu'il était sincère, qu'elle n'était pas une brune parmi d'autres... — Tu ne comprends pas, n'est-ce pas ? lança-t-elle d'un ton amer qui lui serra le cœur. Cette femme a raison : tu es un monstre d'égocentrisme. Que tu le veuilles ou non, c'est fini entre nous. Je rentre à l'hôtel. Inutile de me suivre ou de chercher à me joindre. Je suis certaine que beaucoup de brunes t'ont déjà dit cela : je ne veux plus te voir, plus jamais. 11. — Calme-toi. — Je n'y arrive pas, répondit Shami en sanglotant. J'ai envie de le tuer ! — C'est vraiment dommage que vous ayez rencontré son ex, commenta Janice. Sans cela, tu serais encore au théâtre en train de passer une excellente soirée. L'ignorance, c'est le bonheur, surtout avec des hommes comme ton Adrian. Shami gémit. — Il m'a dit que j'occupais une place très spéciale dans sa vie. Il m'appelait « ma chérie ». Je croyais qu'il tenait à moi... Oh, Janice ! Je ne sais pas si je vais réussir à l'oublier. — Il était vraiment à ce point fantastique? Oui, songea Shami avec désespoir. Elle était merveilleusement bien avec lui. Il la faisait rire, lui donnait l'impression d'être la plus belle femme du monde et surtout... surtout... il la rendait folle de plaisir. Elle jeta un coup d'œil à la chaise située devant le bureau et ses doigts se crispèrent sur le combiné. Elle crut mourir de honte. Comment avait-elle pu se montrer aussi docile avec lui ? Pas étonnant qu'il ait cherché à la retenir, il avait dû prévoir une nuit torride... — Allons, ce n'est pas la fin du monde, dit sa sœur d'un ton apaisant. Une fois que tu auras surmonté ta frustration, tu te rendras compte que cette rencontre a été très positive pour toi. — Positive? Shami faillit suffoquer d'indignation. — Comment peux-tu me dire cela? — Il t'a réveillée d'un long sommeil, si tu vois ce que je veux dire... Et puis il t'a réappris à rire, tu ne le faisais plus depuis très longtemps. — Il m'a également fait pleurer. — Ce sont des larmes de rage plus que de chagrin. — Tu crois ? — Tu as le sentiment d'avoir été dupée. Personne ne trouve cela agréable. Sans doute, reconnut Shami. En tout cas, cette histoire prouvait qu'elle était terriblement naïve. Et stupide. Comment avait-elle pu s'imaginer qu'il s'était attaché à elle en si peu de temps ? Elle poussa un profond soupir. Demain matin à la première heure, elle reprendrait le train. Impossible de rester ici. Adrian n'était pas homme à renoncer facilement, il ne serait pas étonnant qu'il cherche à la voir. Il l'avait suivie hors du théâtre lorsqu'elle était partie et l'avait regardée sauter dans un taxi. Lorsqu'elle lui avait lancé un regard noir par la vitre, il le lui avait rendu, manifestement plus frustré que vaincu. Nul doute qu'il gardait un espoir de la faire revenir sur sa décision une fois qu'elle se serait calmée. Et elle n'était pas certaine d'avoir la force de lui résister... — M'en voudrais-tu beaucoup si j'écourtais mon séjour pour rentrer demain matin? demanda-t-elle à sa sœur. Janice soupira. — Non, bien sûr. Mais je ne veux pas que tu passes le reste du week-end à te morfondre toute seule. — Non, ne t'inquiète pas. La maison a besoin d'un grand ménage. Cela me permettra de me défouler. — Si tu venais plutôt passer quelques jours avec nous? — Je ne peux pas. Il faut que je récupère Mozart II doit être dans tous ses états. — Pauvre petite bête. Un changement d'air lui ferait du bien. Nous pourrions le prendre, les garçons ont toujours voulu un chien. — Non. Je te remercie, Janice, mais je ne préfère pas. Il est tout ce qui me reste de Ray. — Mmm. As-tu rendez-vous avec le Dr Flynn cette semaine ? — Non. Je ne la vois plus que toutes les deux semaines. Mais ne t'inquiète pas, cela ira. Je t'appellerai demain soir. — J'espère bien ! — Je t'aime, Janice. — Moi aussi je t'aime, petite sœur. Shami raccrocha et s'allongea sur le lit, les yeux fixés sur le plafond. Vingt-quatre heures plus tôt, elle appréhendait de prendre le train pour Sydney. Aujourd'hui, elle appréhendait de rentrer chez elle. Elle craignait que les photos de Ray disséminées dans toute la maison lui rappellent Adrian. A vrai dire, elle était partagée entre deux sentiments aussi accablants l'un que l'autre : la culpabilité, puisqu'elle avait trahi la mémoire de son mari, et le désespoir, à l'idée qu'elle ne ferait plus jamais l'amour avec Adrian... Roulant sur elle-même, elle enfouit son visage dans un oreiller et éclata en sanglots. 12. Le lendemain matin, Shami prit le train après avoir pleuré toute la nuit Epuisée et abattue, elle passa le voyage prostrée sur son siège à regarder défiler le paysage sans le voir. Ses paupières gonflées et les cernes qui creusaient ses yeux lui donnaient une mine épouvantable, mais quelle importance ? Elle se moquait éperdument de ce que les gens pouvaient penser d'elle et, de toute façon, le wagon était presque vide. A mi-parcours, la pluie commença à tomber, une bruine dense et régulière, signe de froid glacial. Shami réprima un soupir. Même si elle allumait le chauffage dès son arrivée, il faudrait au moins une heure avant que l'atmosphère de la maison n'atteigne une température agréable. Elle devrait la vendre. Les petits cottages situés à la périphérie de Katoomba n'étaient pas très recherchés, mais, même si la vente ne lui rapportait pas grand-chose, elle aurait largement les moyens d'en acheter une autre, plus proche de celle de sa sœur, à Swansea. Non seulement elle serait moins isolée, mais le temps était bien plus agréable sur la côte et elle pourrait profiter de la plage. Depuis qu'elle avait gagné son procès, Janice lui avait suggéré à plusieurs reprises de déménager pour s'installer près de chez elle. Elle n'avait jamais pu s'y résoudre. L'idée de quitter la maison qu'elle et Ray avaient aménagée ensemble lui était insupportable. Elle commençait à prendre conscience que son état dépressif l'empêchait de prendre la moindre décision. Mais aujourd'hui elle se sentait prête à changer de vie... Oui, elle allait vendre la maison. Revigorée par cette perspective, elle se redressa sur son siège. Elle était maintenant pressée d'arriver et de se mettre au travail... Le grand nettoyage qu'elle avait prévu pour se défouler avait désormais un tout autre objectif, beaucoup plus positif. Avant que le train n'entre en gare, elle était déjà prête à sauter sur le quai. Dieu merci, sa voiture était toujours sur le parking de la gare, constata-t-elle. Elle n'avait pas été volée, comme cela arrivait assez souvent en semaine aux gens qui laissaient la leur toute la journée pour aller travailler à Sydney. Le trajet en train était long, deux heures, mais beaucoup plus sûr qu'en voiture, surtout l'hiver lorsque la route était glissante. Il ne fallut à Shami que cinq minutes pour parcourir les deux kilomètres qui séparaient la gare de sa maison, située au bout d'un chemin étroit à la chaussée défoncée. En tournant dans l'allée, elle fit la grimace. Etait-ce à cause de la pluie ? La maison ne lui avait jamais paru aussi décrépite. On aurait pu croire qu'elle était inhabitée depuis des années... La gouttière fuyait, la façade avait besoin d'un sérieux ravalement, les massifs de fleurs étaient envahis par les mauvaises herbes et la pelouse réclamait d'être tondue de toute urgence. Dire que d u vivant d e Ray l a maison e t l e jardin étaient toujours pimpants ! L a clôture blanche e t l a treille voûtée chargée de magnifiques rosiers apportaient une touche romantique à laquelle il tenait beaucoup. A présent, la clôture était grise et il lui manquait plusieurs piquets. Quant aux rosiers grimpants... Ils étaient morts parce qu'elle avait oublié de s'en occuper. Le cœur de Shami se serra. Ray serait navré s'il voyait la maison dans cet état. — Oh Ray, je suis désolée. Pour tout... Pas question de se remettre à pleurer. Il valait mieux agir : elle était capable de peindre, non ? Et de tondre la pelouse. Et d'arracher les mauvaises herbes... Mais d'abord, priorité au ménage. Du moins toute cette activité l'empêcherait-elle de penser à un certain séducteur égocentrique... Les clés de la maison à la main, Shami descendit de voiture et courut sous la pluie jusqu'à la véranda. — Pas trop tôt, marmonna Adrian lorsqu'il arriva enfin à Katoomba, peu après 15 heures. Il avait rarement fait un voyage aussi pénible ! Entre le manque de sommeil, les virages et la pluie incessante, il avait frôlé plus d'une fois l'accident. Heureusement, Shami était rentrée chez elle en train. C'était le seul renseignement qu'il avait réussi à soutirer à la réceptionniste de l'hôtel. — Je suis désolée, monsieur, avait-elle répondu d'un air pincé lorsqu'il lui avait demandé l'adresse de Shami. Cette cliente a demande expressément que ses coordonnées ne soient communiquées à personne. Il était reparti au comble de la frustration puis s'était soudain souvenu que Shami avait eu recours aux services de Jordan. Celle-ci avait fini par lui donner l'adresse et le numéro de téléphone convoités après l'avoir soumis à un interrogatoire en règle. Il lui avait expliqué comment il avait rencontré Shami, mais avait omis de préciser la nature exacte de leurs relations. Il s'était contenté de lui dire qu'ils avaient déjeuné ensemble et qu'ensuite Shami était partie faire du shopping sans qu'il pense à lui demander son numéro d e téléphone. I l avait ajouté, c e qui était l a stricte vérité, qu'il s'en mordait les doigts parce qu'il avait très envie de la revoir. Jordan lui avait demandé de ne pas jouer avec Shami et il le lui avait promis. Encore fallait-il que Shami accepte de lui adresser la parole ! songea-t-il en traversant la ville à faible allure. Il avait préféré ne pas la prévenir par téléphone. Elle lui aurait sûrement raccroché au nez. Il y avait également de grandes chances pour qu'elle lui claque la porte au nez... Hier soir, lorsqu'elle avait sauté dans un taxi, il avait d'abord décidé de la retrouver à l'hôtel. Mais le regard noir qu'elle lui avait jeté par la vitre l'en avait dissuadé. Il lui avait paru plus sage de la laisser se calmer d'abord. Il n'avait pas fermé l'œil de la nuit, furieux de la tournure qu'avait prise la soirée. Ce matin, il s'était précipité à l'hôtel à la première heure, confiant dans ses chances de se réconcilier avec Shami et avait éprouvé une déception insoutenable en apprenant qu'elle était partie. Il ignorait encore comment il allait s'y prendre, mais était prêt à tout pour la convaincre de sa sincérité. Sans Shami sa vie n'avait plus de sens. Aucun doute, il était tombé éperdument amoureux de cette femme. Après avoir quitté le centre d e Katoomba, Adrian ralentit encore, guettant à travers l a pluie battante l a rue s ur la gauche dans laquelle il devait tourner. Il avait fait une recherche sur internet puis avait imprimé le plan et l'avait étudié avant de prendre la route. Le seul problème était que dans la réalité on n'avait pas la même perception des distances... Il passa au ralenti devant un motel et un garage. Aurait-il rate cette fichue rue ? Non! Il tourna à gauche et roula encore un moment avant de s'engager dans Gully Creek Road. La première boîte aux lettres portait le numéro huit, Shami habitait au trente-quatre. Il finit par le trouver, tout au bout de la rue. Une petite Sedan rutilante était garée devant la maison, qu'Adrian considéra d'un œil critique. Elle n'était pas vilaine. Il avait toujours aimé les cottages avec un toit en pente et une véranda. Cependant, s'ils n'étaient pas bien entretenus ils pouvaient très rapidement prendre des allures de taudis... A vrai dire, sans la fumée qui sortait de la cheminée, il aurait cru la maison inhabitée. Pourquoi une femme qui avait touché une indemnité de trois millions de dollars vivait-elle dans une maison aussi délabrée ? Un souvenir lui revint à la mémoire. Le comportement de sa mère après la mort de son père, quelques années auparavant Après les funérailles, elle s'était enlisée dans le laisser-aller le plus complet Elle négligeait s a maison e t son jardin, ne payait plus les factures et ne répondait plus au téléphone. Les amis qui lui rendaient visite n'étaient pas invités à entrer. Elle passait presque toutes ses journées assise dans un fauteuil en robe de chambre, à regarder dans le vague. Lorsqu'il s'était inquiété auprès de son médecin, ce dernier lui avait expliqué qu'elle souffrait de dépression. Il lui avait prescrit des antidépresseurs et des séances de soutien chez un psychologue, mais elle avait refusé les uns et les autres. Adrian avait alors décide de la bousculer et lui avait acheté un billet pour une croisière autour du monde, lui avait fait lui-même ses valises et l'avait conduite au bateau. A son grand soulagement, cette initiative avait eu l'effet escompté. Sa mère avait rencontré à bord un charmant gentleman, qui lui avait prouvé qu'à soixante-huit ans la vie n'était pas terminée. Leur idylle n'avait pas survécu à la fin d e la croisière. Cet homme vivait en Angleterre et n'était pas prêt à tout quitter pour s'installer en Australie. Cependant, sa mère était rentrée transformée, de nouveau pleine de vitalité et de projets. C'est sans doute avec le même objectif que la sœur de Shami lui avait offert un week-end à Sydney. Ce cadeau semblait avoir eu lui aussi l'effet escompté, jusqu'à ce que le hasard — et Felicity ! — s'en mêlent. La pluie cessa brusquement C'était bon signe, songea aussitôt Adrian, d'un naturel résolument optimiste. Shami éprouvait les mêmes sentiments que lui, il en était certain : dans le cas contraire, elle n'aurait pas été aussi bouleversée par Felicity. Sa réaction indiquait qu'elle s'était déjà attachée à lui. Sa propre détresse confirmait ce qu'il soupçonnait déjà : il était amoureux pour la première fois de sa vie ! Déterminé à ne pas repartir de Katoomba tant que Shami n e serait p a s revenue à l a raison, i l descendit d e sa Corvette jaune et verrouilla la portière. Puis il franchit le portail et remonta l'allée envahie par les mauvaises herbes. L'estomac noué, il monta les trois marches, saisit le heurtoir de cuivre terni et frappa à la porte. A genoux par terre, Shami frottait énergiquement le sol de la cuisine. Elle poussa un soupir exaspéré. Inutile de se demander qui pouvait bien venir la voir ! Louise, la voisine d'en face... La plupart des gens qui habitaient dans les Blue Mountains avaient choisi de vivre dans cette région pour la nature et le calme. Ils étaient tous d'une discrétion exemplaire et ne se mêlaient jeûnais de la vie des voisins, sauf Louise. R a y avait une technique infaillible pour se débarrasser d'elle, mais, après sa mort, Shami avait d'abord accueilli les visites de sa voisine avec gratitude. Elle avait très vite compris que cette sollicitude n'était en fait que de la curiosité malsaine. Heureusement, un jour Mozart avait eu la bonne idée d'accueillir Louise en grognant et en montrant les crocs et cela avait eu pour effet d'espacer ses visites. Maintenant, elle frappait à la porte de devant au lieu d'entrer par- derrière sans s'annoncer. Cependant, elle restait en permanence à l'affût derrière ses rideaux. Shami se releva et laissa tomber la brosse dans l'évier. Louise avait dû remarquer son absence puis son retour, signalé par la fumée sortant de la cheminée... En fait, il était surprenant que la curiosité ne l'ait pas poussée à venir plus tôt. Avec un soupir résigné, Shami gagna l'entrée sans prendre la peine d'enlever le foulard qu'elle avait enroulé autour de sa tête. En saisissant la poignée, elle ne put s'empêcher de sourire. La vieille bique tomberait en syncope si elle savait ce qu'elle avait fait pendant son absence ! — Bonjour, Lou... Le souffle coupé, elle s'étrangla. Adrian ! Terriblement sensuel en jean et blouson de cuir noir... L'espace d'un battement d e cœur, elle fut submergée par une joie immense, mais, très vite, l'irritation la submergea. Comment osait-il venir frapper à sa porte et la surprendre dans cette tenue ridicule? — Comment as-tu trouvé mon adresse ? lança-t-elle avec agressivité en dénouant son foulard. J'ai demandé à l'hôtel de ne la communiquer à personne. — C'est Jordan qui me l'a donnée. Shami pesta intérieurement. Elle avait complètement oublié cette relation commune ! Même si elle s'en était souvenue, elle n'aurait jamais pu imaginer qu'Adrian viendrait la relancer jusque chez elle. Passer à l'hôtel à quelques mètres de chez lui, c'était facile, mais venir jusqu'à Katoomba un dimanche... En voiture ? Elle jeta un coup d'œil dans la rue e t vit la Corvette jaune garée devant chez elle. Inexplicablement, elle sentit son irritation redoubler. Etait-ce parce que ce luxueux coupé offrait un contraste trop frappant avec le délabrement de la maison ? Relevant le menton, elle demanda d'un ton glacial : — Que fais-tu ici ? Si tu cherches une brune avec qui partager un lit, tu t'es trompé d'adresse. Dommage, songea Adrian. Il ne l'avait jamais autant désirée, il trouvait son agressivité très excitante... — Je suis venu m'excuser. Elle arqua les sourcils d'un air dédaigneux. — Si tu t'imagines qu'il suffit de débarquer ici l'air penaud pour que je retombe dans tes bras, tu te trompes. Je reconnais que tu es un bon amant. C'est normal, tu t'es beaucoup entraîné, avec un certain nombre de brunes dont tu as dû oublier le nom. Pour ma part, je n'ai pas envie de renouveler l'expérience : remonte dans ta belle voiture et retourne dans ton bel appartement, tu n'es pas le bienvenu ici. Piqué au vif, Adrian réprima un juron. Il saisit Shami par les poignets, la poussa dans l'entrée et la plaqua contre le mur. — C'est ce que nous allons voir, gronda-t-il avant de s'emparer de sa bouche. 13. La bouche de Shami la trahit. Comme mue par une volonté propre, elle s'abandonna au baiser impérieux d'Adrian. Avec un gémissement étouffé, il plaqua son bassin contre le sien. Au contact de son corps, elle sentit sa colère s'évanouir, balayée par une vague de désir irrépressible et laissa son corps exprimer le besoin qu'elle avait de lui. Quelques secondes plus tard, il s'écarta brusquement d'elle. Au comble de la frustration, elle le regarda avec effarement. — Ne dis plus jamais que tu n'as pas envie de moi, déclara-t-il sèchement Je pourrais te faire l'amour ici et maintenant. Je ne m'en abstiens que pour te prouver que je ne suis pas ici pour le sexe. Je tiens à toi, bon sang, et je ne quitterai pas cette maison tant que tu ne me croiras pas ! Sur ces mots, il claqua la porte d'entrée restée ouverte. Abasourdie, Shami resta sans voix. — Peu importe combien de temps cela prendra, ajouta-t-il en dardant sur elle un regard étincelant. Pour l'instant, j'ai besoin de me rafraîchir, ensuite, je ne refuserai pas un café : la route a été longue. Toujours muette de stupeur, elle ne réagit pas. Il avança dans le couloir d'un pas décidé, à la recherche de la salle de bains. Une porte ouverte sur la gauche révéla un salon, puis sur la droite, une chambre. La porte suivante était fermée. — Non ! s'écria Shami alors qu'il posait la main sur la poignée. Elle se précipita vers lui, l'obligea à lâcher la poignée et l'entraîna vers une autre porte, qu'elle ouvrit. — Voici la salle de bains. Quand tu auras fini, la cuisine est au bout du couloir. Je vais te préparer un café. Adrian l a suivit des yeux e n plissant l e front Qu'y avait-il derrière cette mystérieuse porte ? Que tenait absolument à lui cacher Shami ? Tôt ou tard, il finirait par le savoir. Quelques instants plus tard, i l l a rejoignit dans l a grande cuisine a u sol carrelé e t a u décor rustique, qui sentait le propre. Des placards e n pi n naturel tapissaient les murs au-dessus d'un comptoir vert sombre. Une table ronde et quatre chaises occupaient le centre de la pièce. Sur le réfrigérateur était posé un petit téléviseur à écran plat. Au-dessus de l'évier, une grande fenêtre rectangulaire donnait sous la véranda et la vallée qui s'étendait au-delà. Shami était debout devant cette fenêtre, le dos tourné, manifestement tendue. Elle se tourna vers lui et le foudroya du regard. — Je t'avais demandé de me laisser tranquille. Pourquoi es-tu venu ? — Je te l'ai dit, répondit-il en tirant une chaise. Pour te convaincre que je tiens à toi. — Inutile de te fatiguer, tu n'y arriveras pas. Comment bois- tu ton café ? — Noir et sans sucre. Quelques secondes plus tard, elle posa devant lui une tasse fumante. — Et toi, tu n'en prends pas ? Elle croisa les bras, le visage fermé. — Non. — Assieds-toi quand même. Tu me rends nerveux à rester debout — Toi ? Nerveux ? lança-t-elle d'un ton ironique en s'asseyant en face de lui. Il but une gorgée de café. — Que faut-il te dire pour te convaincre ? — Rien. Les mots ne signifient rien. C'est sur leurs actes qu'on juge les gens. De toute façon, je ne veux plus rien avoir affaire avec toi. Bois ton café et va-t'en, s'il te plaît. Je dois sortir. — Pour quoi faire ? — Acheter du lait et récupérer mon chien. — Où est-il? — Dans un chenil. — Quel genre de chien est-ce ? — Un jack russell terrier. — Ça alors ! J'en avais un quand j'étais enfant ! Ce sont des chiens adorables, très intelligents et pleins de vie. Shami soupira. — Oui, mais Mozart n'est plus le même depuis la mort de Ray. C'était son chien, en réalité. Adrian plissa le front — Ray avait appelé son chien Mozart? — Oui, pourquoi ? — C'est mon compositeur favori. — Mozart est le compositeur favori de beaucoup de monde. Tu as fini ton café ? Adrian termina sa tasse et la posa sur la table d'un geste ferme. — Je t'ai prévenue, Shami. Je ne partirai pas. Elle se leva. — Si tu ne t'en vas pas, j'appelle la police. — Ne sois pas ridicule. Il se leva à son tour. — Viens, je t'accompagne au chenil. — C'est impossible. — Pour quelle raison ? — Tu vas attirer l'attention de tout le monde. — Pourquoi? — Les gens vont te prendre pour Ray et cela risque de leur créer un choc. Adrian plissa le front. — Je lui ressemble à ce point? — Oui. — Montre-moi une photo de lui. Je veux voir par moi- même. — Je les ai toutes rangées tout à l'heure. — Pourquoi? — Parce que j'ai décidé de vendre cette maison et de déménager. — Bonne idée, approuva Adrian avec satisfaction. Avec un peu de chance, il parviendrait à la convaincre de s'installer à Sydney... — Où comptes-tu aller ? — Cela ne te regarde pas. — Admettons, mais je veux quand même voir une photo de Ray. J'ai le droit de savoir à quel point je lui ressemble. Après une légère hésitation, Shami poussa un soupir résigné. — Je n'ai pas encore rangé le salon. Il la suivit dans une grande pièce décorée aux couleurs de l'automne. Un canapé et deux fauteuils faisaient face à une belle cheminée de pierre. Pas de téléviseur en vue, nota-t-il. Mais des étagères chargées de livres... et un piano. — C'est toi qui joues du piano ? — Non, c'était Ray. Adrian arqua les sourcils. Une coïncidence de plus... Il avait toujours eu envie d'apprendre le piano, mais dans son école la priorité était donnée au sport, et il y avait renoncé. — Cette photo date de quelques semaines avant sa mort, dit Shami en indiquant un cadre en argent posé sur le piano. Adrian prit la photo et ouvrit de grands yeux. — C'est incroyable ! Il se tourna vers Shami. — On pourrait vraiment nous prendre pour des jumeaux ! Nous sommes même coiffés de la même manière... — Oui. Et vous avez également la même démarche. Soudain, Adrian fut assailli par un doute atroce. — Est-ce vraiment avec moi que tu as fait l'amour, hier. Shami. Ou bien avec Ray ? Shami hésita. Il était très tentant de mentir... C'était sans doute le meilleur moyen de le faire partir. Comment s'y résoudre? Quelque chose dans la voix et dans le regard d'Adrian la touchait terriblement Jamais elle n'aurait cru qu'il pouvait être vulnérable, le voir aussi désemparé lui déchirait le cœur. — Tu m'as déjà posé la question hier, éluda-t-elle. — Réponds-moi, s'il te plaît. — Je ne t'ai pas menti. Je n'ai pas pensé à Ray quand j'étais avec toi, pas une seule fois. — Comment aurais-tu pu ne pas penser à lui ? Je suis son sosie ! — Tu lui ressembles physiquement, mais en réalité vous êtes très différents. Ray était un homme plutôt... introverti. — Qui avait un jack russel terrier, aimait Mozart et jouait du piano, compléta Adrian en regardant la photo. E t qui lisait beaucoup, apparemment. — Oui. Adrian était de plus en plus troublé. Ne pas avoir le temps de lire était l'un de ses grands regrets... Il vérifia sur les étagères quel genre de livres appréciait son double. L'éventail était large, depuis les sagas romantiques jusqu'aux biographies en passant par de nombreux ouvrages de développement personnel. Pour sa part, il était surtout friand de thrillers juridiques... Soudain, son regard fut attiré par un gros livre posé à plat sur l'une des étagères du bas. Il était intitulé Chefs-d'œuvre architecturaux du monde entier. — Quel était le métier de ton mari ? — Dessinateur industriel. Adrian regarda Shami avec incrédulité. — Oui, c'est troublant, reconnut-elle. Lorsque nous nous sommes rencontrés, Ray m'a confié qu'il aurait voulu être architecte, mais s'estimait incapable d'obtenir le diplôme. — De mon côté, j'ai toujours rêvé de jouer du piano. Ils se regardèrent en silence pendant un long moment, puis Adrian secoua la tête. — C'est insensé. Je n'ai pas été adopté. Je suis le fils biologique de mes parents. C'est une certitude. Il y a des photos de ma mère enceinte de moi dans l'album familial. — Aurait-elle pu mettre au monde des jumeaux et en avoir donné un à adopter? Adrian secoua vigoureusement la tête. — Non, impossible. Maman n'aurait jamais abandonné un enfant. Elle en voulait plusieurs, mais après ma naissance a eu un problème qui l'en a empêchée. — Alors toutes ces similitudes... ce sont juste des coïncidences ? — Il n'existe que cette solution. On dit que la réalité dépasse souvent la fiction. — C'est vrai. D'ailleurs, il y a tout de même quelques petites différences physiques entre Ray et toi : au niveau du visage, pas de profil mais de face. La plupart des gens ne le remarqueraient sans doute pas, mais je m'en suis aperçue lorsque je me suis assise à ta table au restaurant. Tu as également une silhouette plus athlétique. Et puis... il y a un autre détail, ajouta-t-elle d'une voix hésitante. — Quoi donc ? — Tu es circoncis. Ray ne l'était pas. Adrian poussa un profond soupir de soulagement et reposa la photo sur le piano. Dieu merci ! Il commençait presque à croire que ses parents étaient impliqués dans une histoire sordide. — Cela règle le problème. Si par un miracle extraordinaire Ray et moi avions été jumeaux, nous aurions été tous les deux circoncis en même temps. — Tu as raison. Je n'avais pas pensé à cela. Adrian eut un sourire malicieux. — Peut-être parce que tu pensais à autre chose quand tu as remarqué ce détail. A sa grande joie, Shami s'empourpra. Comment avait-il pu oublier les réactions qu'il avait déclenchées e n elle, hier? E lle s n'avaient r i e n de simulé, elle-même avait été visiblement surprise par l'intensité de son plaisir. Ses réactions étaient celles d'une femme qui découvrait la vraie passion pour la première fois. Avec lui. Comme il avait envie d'elle ! Pas question de se précipiter. Il ne fallait surtout pas gâcher ses chances d'obtenir ce qu'il voulait, pas seulement une aventure : une vraie relation. Il lui prit la main. — Viens, allons chercher ton chien. 14. Shami était partagée entre l'irritation et l'euphorie : Adrian prenait de nouveau le contrôle de la situation ! — Tu resteras dans la voiture, déclara-t-elle d'un ton ferme. Je ne veux pas que les gens aient l'impression de voir un fantôme. Adrian soupira. — C'est ridicule, Shami. J'ai bien l'intention de faire partie de ta vie, alors plus vite tes amis s'habitueront à moi mieux cela vaudra. Elle tressaillit. — Faire partie de ma vie ? Que veux-tu dire ? — Je veux devenir ton amant. — Sans me demander mon avis ? — La façon dont tu as répondu à mon baiser a parlé pour toi. — C'était une erreur. Je te rappelle qu'ensuite je t'ai demandé de partir. Adrian eut un sourire suffisant — Tu as dit toi-même que les mots ne signifiaient rien et que c'était sur leurs actes qu'on jugeait les gens. Tu m'as demandé de partir, mais ta bouche et ton corps m'ont crié le contraire. — Tu es très sûr de toi, n'est-ce pas ? — Absolument et je sais ce que je veux : toi, Shami Johnson, pour bien plus qu'un week-end. Cette déclaration enflammée donna le vertige à Shami. — Non, s'il te plaît, dit-elle d'une voix étranglée lorsqu'il lui prit la main pour embrasser le creux de sa paume. Il la lâcha aussitôt d'un air contrit — Merci. — Pourquoi? — Pour m'avoir rappelé à l'ordre. Je me suis promis de ne pas te faire l'amour aujourd'hui. Je veux te prouver que ce n'est pas uniquement pour cela que je suis venu, mais il vaut mieux ne pas tenter le diable. Ne restons pas ici. Allons chercher ton chien. — Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Mozart a tendance à mordre les inconnus... Adrian eut un sourire malicieux. — Bien essayé, ma chérie. Mais cesse de chercher des excuses pour me renvoyer, cela ne sert à rien. Allons-y. Cet homme était vraiment redoutable, songea-t-elle au volant de sa voiture. Lorsqu'il lui avait embrassé la paume de la main, elle avait cru que tout son corps allait se dissoudre de plaisir. S'il avait l'intention de passer la nuit à Katoomba—et il y avait peu de chances qu'il reparte pour Sydney à une heure aussi tardive —, ils finiraient par se retrouver au lit... Non. Impossible de dormir avec Adrian dans le lit qu'elle avait partagé avec Ray. Elle se sentirait beaucoup trop coupable. — Tu ne peux pas passer la nuit chez moi. — Je n'en ai pas l'intention. Je vais prendre une chambre dans le motel devant lequel nous venons de passer. — Je ne t'y rejoindrai pas, si c'est ce que tu as en tête. — Cette idée ne m'a même pas effleuré. A son grand dam, Shami fut aussi déçue que surprise. « Ce que tu peux être stupide ! », se morigéna-t-elle, furieuse contre elle-même. — Que comptes-tu faire demain ? demanda-t-elle en s'efforçant de prendre un ton désinvolte. — Travailler. — Oh. Elle qui s'imaginait déjà qu'il comptait rester dans la région pour l'emmener quelque part... Elle était complètement stupide ! — La circulation est très dense sur la route de Sydney le lundi matin, prévint-elle d'un ton crispé. Il vaut mieux que tu prévoies de ne pas partir trop tard. — La seule route que je prendrai est celle de Katoomba. A la première heure j'irai m'acheter des vêtements appropriés, et ensuite je viendrai chez toi pour commencer les travaux dans la maison. — Les travaux ? s'exclama-t-elle avec incrédulité. Tu as décidé de jouer les hommes à tout faire ? Il eut un sourire malicieux. — Exactement. A son grand dam, elle sentit ses joues s'enflammer. — Tu es vraiment incorrigible ! Mais après tout, si cela t'amuse... La maison a bien besoin d'être retapée. — J'ai remarqué. Le ton d'Adrian n'était pas sarcastique, mais Shami fut malgré tout piquée au vif. — J e sais que cela va t e paraître incroyable, mais j e ne m'en suis rendu compte qu'aujourd'hui. J e pense que ce week-end m'a ouvert les yeux sur beaucoup de choses, déclara-t-elle en pénétrant sur le parking de la clinique vétérinaire. — Prendre du recul a parfois cet effet. Mais ce n'est pas un chenil, ici, ton chien est malade ? — Non. C'est la clinique où je travaille. John, mon patron, m'a proposé de garder Mozart pour le week-end. Je n'aime pas le laisser avec des étrangers. — L'endroit paraît bien tenu, mais l'immeuble est très mal conçu. Il aurait fallu faire appel à un meilleur architecte. Shami ne put s'empêcher de rire. — Je crois que je vais éviter de le dire à John ! Attends- moi ici et essaie de bien te tenir. A son grand soulagement, Adrian ne protesta pas, il se contenta de rouler des yeux. — Dépêche-toi. La patience ne fait pas partie de mes qualités. — Tu as des qualités ? Il poussa un soupir théâtral. — Où est passé la jeune fille aimable que j'ai rencontrée hier? — Elle a découvert que le prince charmant était en réalité un grand méchant loup ! rétorqua Shami en claquant la portière. Comme tous les dimanches après-midi, John se trouvait auprès de ses patients convalescents. C'était un vétérinaire très dévoué. A soixante-douze ans tous ses confrères avaient déjà pris leur retraite, mais John ne pouvait envisager de vivre sans soigner les animaux. — Chut, ce n'est que moi, dit Shami à un chien qui aboyait frénétiquement à son arrivée. John, en train de soigner un gros chat roux, leva les yeux. — Est-ce bien Shami Johnson que je vois sourire ? — Je souris ? Elle n'en avait pas conscience, songea-t-elle avec surprise. — Oui, tu souris, confirma John. On dirait que ce week-end à Sydney t'a fait le plus grand bien, même si tu es rentrée plus tôt que prévu. — Une seule chose est sûre : j'ai dépensé une fortune en vêtements que je ne porterai sans doute jamais. — Il serait grand temps que tu commences à fréquenter des endroits où tu pourras les porter. Tu ne rajeunis pas, tu sais. Un jour tu t'éveilleras et tu te rendras compte avec stupéfaction que tu as quarante ans, puis cinquante, puis soixante, soixante-dix... Shami pouffa. — Merci pour cet avertissement ! Je tâcherai de ne pas l'oublier. Comment va Mozart? — Il refuse de manger. Nous l'avons pris à la maison et Bess l'a nourri comme nous. C'est infaillible avec nos chiens, mais avec lui cela ne marche pas. Il est dans le jardin, couché sous le grand pin. — Oh, mon Dieu ! Que vais-je faire de lui, John ? — Certains chiens ne se rétablissent jamais de la mort de leur maître. On n'y peut rien. — Je vais le ramener à la maison et voir si j'arrive à lui faire avaler quelque chose. Merci de t'être occupé de lui. — Ce n'est rien. Je suis content de voir qu'un de vous deux au moins semble aller mieux. Cela t'ennuie si je ne t'accompagne pas dans le jardin? Je crois qu'il vaut mieux que je reste avec Marmelade. — Elle ne va pas mourir, j'espère? L'impossibilité de sauver certains animaux était ce qu'elle avait le plus de mal à supporter dans son métier... — Je vais essayer de l'en empêcher. Vas-y et ne t'inquiète pas trop au sujet de Mozart. Il survivra. Avec un sourire contraint, Shami prit congé de John et sortit dans le jardin. Survivre suffisait-il ? se demanda-t-elle en traversant le jardin. La survie pouvait être pire que la mort... Mozart se redressa à son approche, mais sans remuer la queue. Malgré tout, il la laissa le prendre dans ses bras. Alors qu'elle regagnait le parking, Shami se maudit. Comment Mozart allait-il réagir en voyant le sosie de Ray ? Elle n'avait pas pensé un seul instant que cela risquait de le perturber. Quelle idiote ! Soudain, le petit chien lui sauta des bras et se précipita vers Adrian, qui était descendu de voiture en la voyant arriver. A sa grande stupéfaction elle le vit se dresser sur ses pattes arrière pour tourner sur lui-même comme le lui avait appris Ray lorsqu'il était encore un chiot. — Bravo, mon chien ! s'exclama Adrian en s'accroupissant pour le caresser. Mozart lui sauta sur les genoux, posa les pattes de devant sur ses épaules et se mit à lui lécher le menton à grands coups de langue. Adrian le prit dans ses bras en riant. — Et tu voulais me faire croire qu'il risquait de me mordre ! Mozart couvait Adrian du même regard éperdu que Ray autrefois. Bouleversée, Shami déglutit péniblement. — Je t'assure que je ne l'ai pas vu aussi joyeux depuis des années. D'habitude, il ne se laisse même pas approcher par les étrangers. — Il est peut-être tout simplement content d'être sorti de là, commenta Adrian en indiquant la clinique d'un signe de tête. Il devait se sentir en prison. Je parie qu'il n'a rien mangé de tout le week-end. Il n'a que la peau sur les os. — John m'a en effet dit qu'il avait refusé de se nourrir. Mais c'est très fréquent depuis la mort de Ray. Shami plissa le front. — Je... C'est idiot, mais je crois qu'il te prend pour Ray. Non, c'était ridicule, songea-t-elle aussitôt. Les chiens reconnaissaient les gens à leur odeur, leur voix, leur comportement Il était impossible de tromper un chien. Et pourtant... — Tu crois ? s'exclama Adrian. Eh bien, cela ne me gêne pas. Et toi ? Après tout, quel mal y a-t-il à cela s'il est heureux ? Tu es heureux, n'est-ce pas mon vieux ? demanda-t-il en grattant les côtes du chien. Mozart aboya joyeusement. Adrian pouffa. — Tu vois ? Il est heureux et il te dit « Allez maman, ramène-moi à la maison. J'ai faim. » En entendant Adrian l'appeler ainsi, Shami sentit son estomac se nouer. C'était idiot, il ne pouvait pas savoir. Elle avait eu si peur lorsqu'il avait failli entrer dans la chambre d'enfant... S'il travaillait dans la maison, elle allait être obligée de lui parler du bébé. E l l e l u i j e t a u n c o up d ' œ i l e n s'installant a u volant. Devinerait-il q ue l a porte fermée cachait u n e chambre d'enfant? Comment réagirait-il quand elle le lui dirait? Voudrait-il la voir? I l l u i a va i t d é jà prouvé q u'i l n'était p a s dépourvu de sensibilité. Mais i l était célibataire e t n'avait jamais eu d'enfants, comment pourrait-il comprendre à quel point il était douloureux de perdre son bébé? Il penserait sans doute qu'elle était folle d'avoir gardé la chambre intacte pendant toutes ces années. Au début c'était pour elle un refuge où elle venait pleurer et, plus tard, elle avait été trop déprimée pour suivre l'avis de Janice et tout donner à une œuvre caritative. Il y avait des années qu'elle n'était pas entrée dans cette pièce mais, s i elle vendait l a maison — e t elle allait la vendre ! — , il faudrait bien qu'elle trouve le courage de suivre le conseil de sa sœur. — Tu es bien silencieuse. Arrachée à ses pensées, Shami tressaillit. Ils étaient presque arrivés devant chez elle ! constata-t-elle avec stupéfaction. Elle ne se souvenait même pas avoir démarré la voiture ! — J'étais ailleurs. — C'était une rêverie agréable, j'espère. — J'étais en train de penser que ma voisine allait avoir une attaque e n t e voyant. T a voiture n e v a p a s manquer d'exciter sa curiosité, et cette chère Louise est une fouineuse dans l'âme. Elle va inévitablement trouver une excuse pour passer. C'est sans doute la pluie qui l'a tenue à l'écart jusqu'à présent — Ne t'inquiète pas. Nous nous occuperons du « problème Louise » le moment venu. En revanche, tu as oublié le lait, déclara Adrian alors qu'elle tournait dans son allée. — Cela ne fait rien. Je peux m'en passer. Je ferai des courses demain. — Tu es sûre ? Je peux aller en chercher, si tu veux. — Merci, mais ce n'est pas la peine. Mozart serait très malheureux si tu disparaissais aussi vite. Viens, nous allons lui donner à manger. A l a grande joie d e Shami, Mozart engloutit s a gamelle. Cependant, était-ce vraiment une bonne nouvelle ? se demanda-t-elle soudain avec inquiétude. Comment réagirait-il quand Adrian repartirait pour Sydney ? Il finirait par repartir, il ne fallait pas se faire d'illusions. Elle ne l'intéressait à ce point que parce qu'elle lui avait échappé. Pour un séducteur comme lui, cela représentait un défi et c'est pour cette raison qu'il était venu. « Pas uniquement pour le sexe », comme il l'avait dit, sans doute avec sincérité. Les femmes plus élégantes qu'elle et prêtes à tout pour se retrouver dans son lit ne devaient pas manquer. Adrian était ici parce qu'il n'avait pas supporté pas qu'elle l'ait abandonné à Sydney. — Eh bien, il était vraiment affamé ce chien ! s'exclama Adrian. Si je l'emmenais faire une promenade? — C'est inutile. Il a sa sortie personnelle. Shami indiqua l'ouverture que Ray avait pratiquée dans la porte donnant s u r l e jardin. A u m ê m e instant, Mozart poussa le petit battant et sortit en courant — Il peut aller et venir comme il veut. Je la ferme le soir avant de me coucher, pour empêcher les opossums d'entrer. — Tu n'as pas peur des rôdeurs, seule dans cette maison ? Elle le toisa d'un air moqueur. — Je doute que tu parviennes à passer par cette ouverture. — Très drôle. Tu estimes donc que je ne vaux pas mieux qu'un rôdeur? — Disons que le jury n'a pas encore fini de délibérer. — Si j'étais vraiment un personnage aussi peu recommandable que tu semblés le croire, je t'aurais sauté dessus depuis longtemps et tu n'aurais pas protesté. Mais je préfère attendre que tu me le demandes. Tu verras que tu finiras par me supplier de te faire l'amour. — Jamais! — Il ne faut jamais dire jamais. Pense à tous ces plaisirs délicieux dont tu nous prives bêtement... A sa grande surprise, Shami fut envahie par une vive chaleur. Pourquoi les paroles d'Adrian évoquaient-elles des images qui la faisaient soudain vibrer de désir ? Pourquoi ses jambes menaçaient-elles de la lâcher ? Pourquoi son cœur battait-il à tout rompre ? Soudain Adrian s'écarta brusquement d'elle et s'éloigna à grands pas dans le couloir. Au comble de la frustration, elle dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas courir après lui. — A demain ! lança-t-il sans se retourner. Elle s'affaissa sur une chaise. Quelques instants plus tard, Mozart rentra du jardin. Il regarda d'abord autour de lui dans la pièce, puis leva vers Shami un regard plein d'espoir. — Il est parti, Mozart L e chien se précipita dans le couloir. I l inspectait sans doute toutes les pièces, comme il l'avait fait tant de fois après la mort de Ray, songea-t-elle, le cœur serré. Cependant, lorsqu'il revint dans la cuisine, Mozart ne se roula pas en boule dans un coin en gémissant comme à son habitude. Il sauta sur la chaise qu'Adrian avait occupée et s'y installa Il attend, comprit-elle. Il attend le retour de son maître. Comme moi... Elle réprima un frisson. Demain, Adrian la prendrait-il dans ses bras ? L'embrasserait-il ? Lui ferait-il l'amour? Avait-il vraiment décidé d'attendre qu'elle le supplie ? Oh, mon Dieu ! Il avait raison... Elle en serait bien capable ! La sonnerie du téléphone la fit tressaillir. Etait-ce Janice qui s'inquiétait pour elle ? Avant qu'elle ait le temps de se lever pour répondre, la sonnerie s'interrompit : sans doute une erreur. Elle avait promis à sa sœur de la rappeler ce soir, mais pour l'instant mieux valait éviter de lui annoncer qu'Adrian l'avait suivie jusqu'à Katoomba. Elle était trop perturbée pour parler de lui et redoutait les commentaires de Janice. Elle savait qu'il n'était pas amoureux d'elle et, Dieu merci, elle n'était pas amoureuse de lui non plus. L'amour était une émotion plus douce et plus délicate que celle qui se déchaînait en elle en ce moment même. L'amour, elle l'avait vécu avec Ray, ce qu'elle ressentait aujourd'hui était tout autre chose. Une passion purement sexuelle. Un feu dévastateur qui la privait de sa conscience. Qui la rendait esclave de ses sens. Et qui pourrait bien la pousser à se précipiter au motel pour se jeter dans les bras d'Adrian... Elle avait tellement envie de sentir son corps contre le sien ! Seul un reste de fierté l'empêchait de courir jusqu'à sa voiture pour le rejoindre. Mais pour combien de temps ? 15. Presque midi et Adrian n'était toujours pas arrivé ! Shami ne tenait plus en place. Du moins n'était-elle pas la seule... Depuis des heures, Mozart arpentait sans relâche la véranda devant la porte d'entrée. Pourvu qu'Adrian ne soit pas rentré à Sydney ! C e serait vraiment cruel. Adrian n e semblait p a s u n homme cruel, mais que savait-elle de lui, au fond? Il avait dit qu'il irait au centre commercial dans la matinée pour s'acheter une tenue de travail. Prévoyant qu'il arriverait vers 11 heures, elle s'était précipitée à l'épicerie la plus proche dès l'ouverture pour faire des courses, ce qui lui avait laissé le temps de se faire une beauté. Mais il y avait plus d'une heure qu'elle était prête, si elle devait l'attendre encore longtemps elle allait devenir folle... Pour la énième fois, Shami rejoignit Mozart sous la véranda. Oh non ! Louise traversait la rue ! Impossible d'y échapper... — Bonjour Belle journée, n'est-ce pas ? lança sa voisine d'un ton enjoué. — Oui, très belle. — Vous vous êtes absentée ? Mozart se mit à gronder et Louise s'arrêta devant le portail. Bon chien, songea Shami avant de déclarer : — Oui, je suis allée voir ma sœur à Swansea. — Ah, c'est bien. Vous m'excuserez, j'ai un rhume épouvantable, alors je préfère ne pas trop m'approcher. Je suis restée au lit tout le week-end. Bonne nouvelle... L a chambre d e Louise s e trouvait à l'arrière de s a maison, elle n'avait sans doute pas encore vu Adrian ni sa voiture. Mais cela n'allait pas tarder ! En voyant la Corvette apparaître au bout de la rue, Shami fut assaillie par un mélange d'euphorie et de consternation. Le bruit du moteur, aussi peu discret que la voiture elle- même, fit tourner la tête à Louise. — Vous attendez quelqu'un ? demanda-t-elle tandis que la voiture se garait devant la maison. Shami donna la première réponse qui lui vint à l'esprit. — Oui. J'ai fait appel à une entreprise pour rénover la maison. C'est le patron de la société qui arrive. Shami était sur le point de préciser que c'était le sosie de Ray, mais resta bouche bée. L'homme qui descendait de voiture ne ressemblait pas du tout à Ray. Ni même à Adrian. Pourtant, c'était bien lui : avec une barbe naissante, des lunettes de soleil qui cachaient ses yeux turquoise et les cheveux très courts, il était méconnaissable. Vêtu d'un jean, d'une chemise à carreaux rouges et noirs et d'un blouson d'aviateur, il fît le tour de la voiture. — Bonjour, m'dame, lança-t-il à Louise, qui l'examina des pieds à la tête sans masquer sa curiosité. Il pénétra dans le jardin en faisant un clin d'œil discret à Shami. — Bonjour, madame Johnson. Excusez-moi pour le retard. Salut mon vieux ! Il se pencha pour caresser Mozart qui frétilla de plaisir. — Attention, prévint Louise. Il mord. — Pas moi, m'dame. Les chiens m'adorent, répliqua Adrian en prenant Mozart sous un bras. Maintenant, si vous voulez bien nous excuser, Mme Johnson et moi nous devons discuter des travaux. Sur ces mots, il prit Shami par le coude et l'entraîna dans la maison, hors de vue de Louise qui le fixait d'un air ébahi. — Comment m'en suis-je tiré ? demanda-t-il une fois la porte refermée derrière eux. — Tu n'aurais pas pu mieux faire ! Tu sais, je ne t'ai pas reconnu tout de suite quand tu es descendu de voiture. — Vraiment? Il posa Mozart par terre, puis il enleva ses lunettes de soleil et les glissa dans sa poche. Shami contempla son beau visage taillé à la serpe. Il ne lui rappelait plus tellement celui de Ray... — Cette coupe te change beaucoup, déclara-t-elle. Et cela aussi... Spontanément, elle caressa la joue d'Adrian recouverte de barbe. Electrisé, il se raidit. La veille, peu après son départ, il avait eu un moment de faiblesse et avait téléphoné à Shami. Il voulait s'excuser de lui avoir dit qu'il ne la toucherait plus jusqu'à ce qu'elle le supplie. Heureusement, i l avait repris ses esprits avant qu'elle ne réponde. E lle devait prendre conscience d e l'attirance qu'elle éprouvait pour lui. Pour lui, pas pour son défunt mari. Il avait pris soin de modifier son apparence, mais ce n'était pas pour échapper à la curiosité d e ses amis e t d e ses voisins, i l se moquait éperdument de ce qu'ils pouvaient penser. Il l'avait soumise à un test et, à en juger par le regard étincelant dont elle le couvait, cela donnait le résultat escompté. Malgré cette transformation, elle le désirait toujours autant. Quel supplice de ne pas pouvoir la prendre dans ses bras ! Tant pis... Il lui fallait absolument résister à la tentation, sinon il perdrait toute crédibilité. Il ne parviendrait jamais à la convaincre qu'il n'éprouvait pas que du désir pour elle. Il fallait absolument attendre et, surtout, la faire attendre jusqu'à ce qu'elle crie grâce... Il s'écarta d'elle. — Il est temps que je me mette au travail, déclara-t-il d'un ton bourru. Où ranges-tu ta tondeuse à gazon et tes outils de jardinage ? Aujourd'hui, j'attaque le jardin. Demain, je ferai les réparations les plus urgentes et mercredi, j'attaquerai la peinture. Elle arqua les sourcils. — Tu ne dois pas rentrer à Sydney pour ton travail ? — Non. Comme je te l'ai dit, je suis entre deux projets. Ce n'était pas la stricte vérité. En principe, il avait prévu de c o m m e nc e r a ujo urd ' hui l e s p l a n s d ' u n village révolutionnaire de retraités, pour participer à un concours dont le gagnant obtiendrait un contrat de plusieurs millions de dollars. Mais ses priorités avaient changé. Son travail pouvait être mis en veilleuse pendant quelques semaines. — Tondeuse à gazon et outils de jardinage ? répéta-t-il. Elle le conduisit jusqu'à l'appentis situé au fond du jardin. Il y trouva tout ce dont il avait besoin, y compris un bidon d'essence et un choi x étonnamment va ste d'outils de bricolage, t o us accrochés à u n immense panneau et rangés d a ns u n o rd re t r è s précis, constata-t-il avec satisfaction. Lui-même avait horreur du fouillis, que ce soit sur son bureau ou dans ses tiroirs. — Je peux t'aider? demanda Shami tandis qu'il faisait le plein de la tondeuse. — Non merci, je préfère me débrouiller seul. Mieux valait la tenir à distance. Sinon, il pouvait dire adieu à toutes ses bonnes résolutions... D e toute évidence, e lle s'était préparée a ve c s o i n en p r é vi s i o n d e s a v i s i t e . S e s c h e v e u x étaient impeccablement coiffés et son visage maquillé avec soin. Sa tenue était simple mais particulièrement seyante ; jean noir moulant et pull crème, qui mettait sa poitrine en valeur et soulignait la finesse de sa taille. Elle sentait merveilleusement bon, un parfum musqué terriblement sensuel. Inconsciemment—ou même très consciemment ! — elle avait envie de le séduire. Adrian crispa la mâchoire : il ne tomberait pas dans le piège. — Si tu as vraiment l'intention de vendre, tu as du travail à l'intérieur, ajouta-t-il. En plus d'un grand nettoyage, fais le tri de tes affaires et jette tout ce que tu n'as pas utilisé ou porté depuis deux ans. Cela permettra de réduire la taille du camion de déménagement — D'accord, répliqua-t-elle avec un manque d'enthousiasme flagrant. Il plongea son regard dans le sien. — Tu as vraiment l'intention de vendre et de déménager? Elle releva le menton. — Bien sûr. Je n'ai pas l'habitude de revenir sur mes décisions. — Parfait. Dans ce cas tu as du pain sur la planche, n'est- ce pas ? Alors à présent, si tu veux bien m excuser, j'aimerais m'y mettre moi aussi. « Oui, j'ai vraiment l'intention de vendre et de déménager », se dit fermement Shami en regagnant la maison à contrecœur. Janice était aux anges lorsqu'elle lui avait annoncé sa décision, hier soir. Alors, pas question de renoncer maintenant, même si au fond d'elle-même la perspective d'un tel bouleversement la rendait malade. Au lieu de commencer le ménage, Shami se mit devant l'évier et regarda Adrian tondre la pelouse par la fenêtre de la cuisine. Avec les cheveux courts, il était encore plus sensuel et cette barbe naissante lui allait divinement bien... Une image s'imposa soudain à son esprit : Adrian la tête entre ses cuisses, effleurant la fleur de sa féminité du bout de la langue. Assaillie par une bouffée de désir, elle s'agrippa au bord de l'évier. Si au même instant la barbe qui recouvrait ses joues lui caressait l'intérieur des cuisses, ce serait encore plus fantastique... Un long frisson la parcourut Oh, mon Dieu, comme elle avait envie de lui ! Cette situation ne pouvait plus durer. Tant pis pour son amour-propre, ce soir, elle lui demanderait de lui faire l'amour et, s'il le fallait, clic le supplierait ! Une heure plus tard, elle l'appela pour le déjeuner. Comment parvenait-elle à se comporter avec lui aussi naturellement après avoir pris une telle décision ? se demanda-t-elle avec perplexité. Elle le servit et lui fit la conversation pendant la demi-heure qu'il s'accorda pour manger. Après le déjeuner, elle nettoya le salon à fond et lava tous les rideaux. Lorsque Adrian refusa de prendre le thé parce qu'il voulait terminer ce qu'il avait commencé avant la tombée de la nuit, elle décida de suivre son conseil et de trier sa garde-robe. La plupart de ses vêtements avaient plus de cinq ans, constata-t-elle sans surprise. Certains étaient même beaucoup plus anciens et la plupart complètement démodés... Elle remplit rapidement deux grands sacs d'affaires à donner. Elle évita soigneusement d'ouvrir celui qu'elle avait caché dans le bas de la penderie après son retour de Sydney : il contenait la tenue qu'elle portait au théâtre lorsqu'ils étaient allés voir Le Fantôme de l’Opéra. Tout à coup, cédant à une impulsion, elle le prit et le vida sur le lit. Le décolleté du corsage orné de perles n'était pas aussi profond que dans son souvenir... Curieusement, la jupe ne s'était pas froissée. Elle les disposa au pied du lit et posa les chaussures par terre, sous le bas de la jupe. Ce serait dommage de ne plus les porter... Sans réfléchir, elle se déshabilla et enfila le tout sans prendre le temps de mettre des collants. Il ne lui fallut que cinq pas pour traverser la chambre jusqu'à la psyché, mais ils suffirent à la métamorphoser. De nouveau, elle était la créature sexy qui avait laissé Adrian lui faire l'amour penchée sur une chaise... Elle tressaillit devant son reflet. Qui était cette fille aux pupilles dilatées, aux lèvres entrouvertes et au souffle court? — Tu vas quelque part? Son cœur fit un bond dans sa poitrine et elle pivota sur elle- même, les joues en feu. — Tu m'espionnes ? — P a s d u tout J'ai frappé à l a porte d e derrière pour t'avertir que j'avais fini de travailler pour aujourd'hui, mais tu n'as pas répondu. Cet ensemble te va toujours aussi bien, mais ce n'est pas exactement la tenue idéale pour faire le ménage... A moins bien sûr, que tu n'aies autre chose à l'esprit. Adrian s'écarta de l'encadrement de la porte, sur lequel il s'était nonchalamment appuyé, et promena sur elle un regard étincelant Elle resta pétrifiée. Il fit un pas dans la pièce. — N'entre pas ici ! s'écria-t-elle. — Pourquoi ? Tu as envie que je te rejoigne. Ne le nie pas. Cela se voit — Pas ici, insista-t-elle d'une voix étranglée. Il promena son regard sur la pièce. — Oh, je vois : pas dans la chambre de Ray, ni dans la maison de Ray. D'accord. Je veux bien respecter tes scrupules. Mais je te rappelle qu'il est mort depuis cinq ans, bon sang ! Je ne pense pas que ça le gênerait — Moi cela me gênerait ! Adrian crispa la mâchoire. — Alors rejoins-moi au motel ce soir, 22 heures. — Si tard? A peine ces mots prononcés, Shami se maudit Quelle idiote ! Comment avait-elle pu trahir son impatience aussi stupidement? — C'est à prendre ou à laisser, rétorqua-t-il froidement Chambre dix-huit Une bouffée de haine assaillit Shami. Malheureusement, cela n'atténuait en rien son désir, constata-t-elle avec désespoir. — Au fait, inutile de t'habiller, ajouta-t-il d'un ton impérieux. Cela m'évitera de perdre du temps à t'enlever tes vêtements. Tu peux garder les chaussures mais rien d'autre. Absolument rien d'autre. Compris ? Elle le regarda avec effarement — Je ne peux pas venir jusqu'à ta porte entièrement nue ! — Mets un manteau, mais je veux que tu sois entièrement nue dessous. — C'est répugnant ! — C'est la condition à remplir pour obtenir ce dont tu as envie. Et ce dont tu as envie c'est moi, n'est-ce pas, Shami ? Ou n'importe quel homme ferait-il l'affaire, à présent ? Dis-le-moi, que je sache à quoi m'en tenir. — Tu es un monstre ! — Un monstre aurait franchi depuis longtemps le seuil de cette chambre pour te renverser sur le lit Dis-moi ce que je veux entendre, Shami, sinon je m'en vais pour ne plus jamais revenir. L'espace d'un instant elle envisagea de le laisser partir, mais le courage lui manqua. — C'est avec toi que j'ai envie de faire l'amour, lâcha-t-elle d'un ton brusque. Seulement avec toi. — Tu feras ce que je t'ai demandé ? Elle déglutit péniblement. — Oui. — Ne sois pas en retard. 16. Adrian crut qu'il ne tiendrait jamais jusqu'à 22 heures. Il se força à dîner, ensuite, il se mit à boire, beaucoup... En vain. Rien ne pouvait atténuer la souffrance qui le tenaillait depuis qu'il avait pris conscience que Shami ne l'aimerait jamais parce qu'elle était toujours amoureuse de son mari. Sinon, pourquoi ne supporterait-elle pas l'idée qu'il la touche dans la chambre de ce dernier ? Le fait qu'elle ait accepté ses exigences prouvait bien que ce n'était pas son amour qu'elle voulait. La seule chose qu'elle attendait de lui, c'était du plaisir. Nul doute qu'elle arriverait à 22 heures précises, sans rien d'autre sur elle que ces chaussures outrageusement sexy... Que lui arrivait-il ? Shami ne parvenait toujours pas à croire qu'elle était au volant de sa voiture en pleine nuit, sans rien d'autre sur elle qu'un manteau et une paire de talons aiguilles vertigineux. Et si elle avait un accident ? Que penseraient les ambulanciers ? La réponse était très facile à deviner, et très démoralisante... Alors pourquoi n'était-elle pas démoralisée ? Pourquoi ne ressentait-elle qu'une excitation intense ? L'enseigne lumineuse du motel apparut sur la droite. Elle était presque arrivée... — Tu peux encore ne pas t'arrêter et rentrer chez toi, dit- elle à voix haute. Mais elle en était incapable ! Le cœur battant à tout rompre, elle prit l'allée conduisant au parking du motel. Lorsqu'elle se gara à côté de la voiture jaune d'Adrian, elle était au comble de la nervosité. Dieu merci, il n'y avait personne sur le parking... Elle referma la portière et la verrouilla avec des doigts tremblants. D 'une démarche m a l assurée, e lle s e dirigea ve r s la chambre dix-huit, par chance celle-ci se trouvait au rez-de- chaussée du bâtiment. Prenant une profonde inspiration, elle crispa les doigts sur ses clés de voiture et frappa à la porte de l'autre main. Pas de réponse. Elle frappa de nouveau. Toujours pas de réponse. Elle fut prise de vertige. Adrian avait-il changé d'avis ? Tout à coup, la porte s'ouvrit à la volée et il apparut, ruisselant d'eau, une serviette blanche drapée sur les hanches. — Désolé, marmonna-t-il en levant machinalement la main pour écarter la mèche qu'il avait coupée le matin même. J'étais sous la douche. — Tu... tu avais dit 22 heures. — J'ai perdu la notion du temps. Le cœur de Shami se serra. Comment avait-il pu perdre la notion du temps ? Elle avait compté chaque seconde ! Elle était si impatiente de le retrouver qu'elle avait cru devenir folle ! — Moi aussi, je suis désolée, dit-elle d'une voix étranglée. Je ne crois pas que je vais être capable de... d'aller jusqu'au bout, Adrian. — De quoi parles-tu ? — Si tu m'as demandé de venir ici entièrement nue, c'est pour prendre une revanche, n'est-ce pas? Tu veux m'humilier. en réalité tu ne tiens pas à moi, pas vraiment. Un mélange d'émotions indéchiffrable se peignit sur le visage d'Adrian. Il secoua la tête. — Bon sang, Shami, je ne suis qu'un homme, pas un saint ! Oui, j'avoue qu'il y avait une part de revanche dans mes exigences, je pensais que toi, tu ne tenais pas à moi. — Oh... Tenait-elle à lui ? Shami se mordit la lèvre. A vrai dire, elle n'en était pas certaine. Elle n'était sûre que d'une chose : le voir presque nu devant elle accélérait encore les battements de son cœur. Elle n'avait qu'une envie : faire l'amour avec lui... — Bon sang, ne reste pas plantée là avec cet air coupable ! maugréa-t-il en l'attirant dans la chambre e t e n refermant la porte derrière elle. Ne t'inquiète pas, tu n'es pas obligée de tomber amoureuse de tous les hommes avec qui tu couches. Mais je préférerais quand même que tu ne me considères pas seulement comme une machine à donner du plaisir. — Je ne te considère pas comme une machine ! — Vraiment? — Non! — Alors que suis-je pour toi ? Réponds-moi franchement. Elle se mordit de nouveau la lèvre. — Je ne sais pas exactement. Je suis incapable de mettre des mots sur ce que je ressens. Tu sèmes la confusion dans mon esprit depuis le début — Parce que je ressemble à Ray... Eh bien, au moins je sais à quoi m'en tenir, à présent. Je ne risque pas d'accorder à cette soirée plus d'importance qu'elle n'en a en réalité. Maintenant, enlève ce fichu manteau et laisse- moi te regarder. Transpercée par une flèche de plaisir, elle se figea. Comment un tel ordre, donné sur un ton aussi agressif, pouvait-il l'exciter à ce point ? Les pointes de ses seins se tendirent contre la doublure de soie de son manteau et elle se sentit envahie par une vive chaleur. — Ne m'oblige pas à te l'enlever moi-même, ajouta-t-il, le regard étincelant. Etourdie de désir, elle défit le premier bouton de son imperméable, les doigts tremblants. Elle ne pouvait plus attendre d'être nue devant lui... De sentir ses yeux bleus se promener sur elle... Elle avait mis des heures à se préparer pour cet instant. Le manteau glissa sur ses épaules. — Tu aurais dû faire demi-tour tant qu'il en était encore temps, marmonna-t-il en promenant sur elle un regard brûlant Je ne vais plus avoir aucune pitié, à présent, mais tu n'es pas venue ici pour que j'aie pitié de toi, n'est-ce pas ? Dénouant sa serviette, il la laissa tomber par terre et s'avança vers Shami. Fascinée par le témoignage de son désir, elle fut parcourue d'un long frisson. Avec un sourire diabolique, il l'attira contre lui. — Non, je ne vais pas t'embrasser, déclara-t-il lorsqu'elle lui offrit ses lèvres. Pas tout de suite. Il la souleva de terre, la jeta sur le lit et lui écarta les cuisses d'un geste brusque avant d'entrer en elle d'un coup de reins puissant Puis il la saisit par les hanches et acheva de s'enfoncer au plus profond d'elle avec la même brutalité. Envahie par un mélange insensé de plaisir et de douleur, elle poussa un cri rauque. Il atteignit presque aussitôt le pic du plaisir. — On dirait que j'ai gagné, commenta-t-il d'un ton ironique quelques instants plus tard. — Tu es vraiment un monstre ! s'exclama-t-elle d'une voix vibrante d'indignation. Se redressant sur les coudes, il lui adressa un sourire charmeur. — Et toi, ma chérie, tu es d'une beauté éblouissante. Shami émit un gémissement de frustration. Pourquoi était- elle aussi troublée par son compliment alors qu'elle ne souhaitait qu'une chose, le haïr ? — Je crois qu'une douche chaude s'impose, dit-il. Puis retour au lit pour passer aux choses sérieuses. Allongé dans l e lit, le s mains croisés derrière l a nuque, Adrian fixait le plafond. A côté d e lui, Shami dormait. Sa respiration régulière et profonde était celle d'une femme comblée. P our u n homme q u i avai t b u plusieurs whiskies avant qu'elle n'arrive, il s'en était bien sorti... Jamais auparavant il n'avait fait l'amour autant de fois et avec une telle fougue. « Qu'essaies-tu de prouver, Adrian ? Que tu es le meilleur amant du monde ? Tu crois vraiment qu'il suffit de l'étourdir de plaisir pour qu'elle tombe amoureuse de toi ? » En soupirant, il regarda le réveil posé sur la table de nuit Les chiffres lumineux indiquaient 1 h 24. I l devrait essayer d e dormir, m ê m e s ' i l a va i t p e u de chances d'y parvenir... Il était trop occupé à trouver une idée de génie pour gagner le cœur de cette femme. Il lui manquait quelque chose pour la conquérir complètement, quelque chose que son mari possédait et pas lui. Mais quoi ? Adrian poussa un soupir de frustration. Il devait bien y avoir un moyen de parvenir à ses fins, bon sang ! Il n'avait pas l'habitude de ne pas obtenir ce qu'il désirait et encore moins d'être considéré comme un second choix ! Pourtant, cette fois le contrôle de la situation semblait bien lui échapper. Felicity serait ravie d'apprendre que son souhait avait toutes les chances d'être exaucé, songea-t-il avec une ironie a mère. Une femme allait lui briser le cœur. 17. — Il paraît qu'un homme très séduisant fait des travaux dans ta maison ? Shami assistait John pour l'opération d'un chien qui avait été heurté par une voiture. — Comment est-ce que... ? — Louise m'a amené son chat hier. Elle soupira. — Quelle pipelette ! Depuis quelques jours, s a voisine n e cessait d e venir la voir sous les prétextes les plus divers. Elle hésitait d'autant moins à lui rendre visite que Mozart ne montrait plus les dents à qui que ce soit. — Ce n'est pas une réponse, commenta John. — Quelle est la question ? — Qui est cet homme et d'où vient-il? Ce n'est pas quelqu'un de la région parce que j'ai entendu dire également qu'il loge au motel depuis une semaine. Shami tressaillit. — Comment sais-tu cela? — Lorsqu'un homme se déplace en Corvette jaune vif. il a des chances de se faire remarquer. John termina le dernier point de suture et leva la tête. — Allez, parle-moi de lui. Shami se mordit la lèvre. Impossible d'avouer la vérité. Ce serait beaucoup trop embarrassant, surtout vu la façon dont elle passait toutes ses soirées — toutes ses nuits ! — depuis le début de la semaine... — C'est juste l'ami d'une amie de Sydney. Il est venu m'aider à retaper la maison parce que j'envisage de la vendre. — L'ami d'une amie ? Shami... Ne me prends pas pour un imbécile, s'il te plaît. Elle s'empourpra. — D'accord. C'est aussi mon... petit ami. — Excellente nouvelle ! Il est grand temps que tu recommences à vivre. Vendre cette maison est une sage décision, elle contient beaucoup trop de souvenirs pénibles pour toi. Alors, tu m'en dis un peu plus sur cet homme ? Shami hésita. Après tout, ce serait peut-être un soulagement de parler à quelqu'un à la fois bienveillant et objectif. Une fois ou deux elle avait failli appeler Janice pour lui parler d'Adrian, mais elle craignait les commentaires de sa sœur. Toutefois, pas question de tout dévoiler à John, bien sûr... — C'est vraiment l’ami d'une amie. Je l'ai rencontré par hasard à Sydney, le week-end dernier. — Quel est son métier? Avec une voiture comme la sienne, je doute qu'il soit peintre en bâtiment. — Il est architecte. — Mmm. Ce serait un beau parti. — Mais je n'ai pas du tout l'intention de l'épouser ! s'exclama Shami avec véhémence. C'était exactement le genre de commentaire qu'elle redoutait de la part de Janice ! John fronça les sourcils. — Pourquoi pas ? Il doit être très amoureux de toi pour travailler avec acharnement depuis des jours, surtout par un tel temps... Shami plissa le front. En effet, il avait fait un froid glacial toute la semaine. Adrian amoureux d'elle ? Cette idée la perturbait. — Je ne le connais que depuis une semaine. — Je ne connaissais Bess que depuis deux jours quand j'ai décidé de l'épouser. — Adrian n'est pas fan du mariage. — De quoi est-il fan, alors ? Dieu merci, les yeux de John étaient fixés sur le chien ! songea Shami. Il ne pouvait pas voir qu'elle avait subitement les joues en feu... — Il a un penchant très net pour les brunes, répliqua-t-elle d'un ton plus vif qu'elle ne l'aurait voulu. John pouffa. — Je n'ai pas entendu dire qu'il y avait une pénurie de brunes à Sydney ! Il n'est pas obligé de venir jusqu'à Katoomba pour en trouver une. — Je pense être la seule à l'avoir abandonné. — Ah, je vois. Tu penses qu'il te poursuit parce que tu le fuis, c'est cela ? Shami se mordit la lèvre. On ne pouvait pas dire qu'elle fuyait Adrian ! Il était parvenu à ses fins. Elle l'avait supplié plus d'une fois au cours de la semaine, en plus de tout ce qu'elle avait accepté de faire... Dieu merci, aujourd'hui elle travaillait ! Elle n'était pas obligée de rester dans la maison à proximité de lui, rongée de frustration. Chez elle, il ne la touchait jamais et, le soir venu, elle était à bout. Pas étonnant qu'il ne lui reste plus la moindre bribe d'amour-propre, qu'elle soit prête à se soumettre à toutes ses exigences. — Qu'est-ce qui te fait peur dans cet homme, Shami ? La voix de John la fit tressaillir. — Ray ne t'en voudrait pas, tu sais, poursuivit-il avant qu'elle n'ait le temps de répondre. Il serait ravi de te voir heureuse. Si cet homme t'aime, donne-lui une chance. Elle secoua la tête. — Tu ne comprends pas. — En tout cas, une chose est sûre : tu es différente cette semaine, Shami. Tu es enfin de retour parmi les vivants. Il ne te reste plus qu'à décider d'aimer de nouveau. — L'amour ne se décide pas, John. Il s'impose ou non. — Alors laisse-le s'imposer, ne le décourage pas. Je parie que tu ne lui as pas parlé du bébé. Je me trompe ? Shami se raidit — Non. A son grand soulagement, John changea de sujet avec son tact habituel. — Comment va Mozart ? — Ça va. — Louise dit qu'il est transformé depuis l'arrivée de ton « ouvrier ». Shami réprima un soupir. Encore Louise ! Dommage que Mozart ait perdu l'habitude de lui montrer les crocs... — Apparemment, il apprécie la présence d'un homme dans la maison, ajouta-t-elle d'un ton qu'elle espérait neutre. E n raison d'une urgence survenue a u dernier moment, Shami quitta la clinique e n retard. Lorsqu'elle arriva chez elle, sa montre indiquait 17 heures et le jour commençait à décliner. Malgré tout, Adrian était encore en train de peindre la clôture avec le pistolet loué la veille. Il souleva ses lunettes protectrices et lui sourit. — Plus que cinq minutes et j'ai fini. Qu'en penses-tu ? Elle promena autour d'elle un regard impressionné. En cinq jours il avait accompli un véritable miracle : la maison et le jardin étaient métamorphosés. John avait raison, i l avait travaillé avec acharnement En particulier aujourd'hui... Lorsqu'elle était partie ce matin, seul l'arrière de la maison était repeint A présent, toute la façade, d'un blanc éclatant, resplendissait sous les derniers rayons du soleil. — C'est superbe, commenta-t-elle. Mais tu dois être épuisé. Le sourire d'Adrian devint malicieux. — Pas tant que cela, ne t'inquiète pas. Mais je vais avoir besoin d'un peu de temps pour préparer quelques petites choses avant que tu ne me rejoignes au motel. — Quel genre de choses ? demanda-t-elle sans parvenir à masquer son inquiétude. La veille il lui avait attaché les poignets derrière le dos avec la ceinture de son peignoir en lui demandant de faire comme si elle était l'esclave d'un prince tyrannique, qui l'obligeait à rester enchaînée toute la nuit à son lit, entièrement nue. Il fallait qu'elle se tienne prête à s'agenouiller devant lui chaque fois qu'il lui en donnait l'ordre. Elle avait joué son rôle à la perfection. Elle ne voulait plus se prêter à ce genre de jeux. Sa soumission avait des limites. Elle n'aspirait plus qu'à une chose : faire l'amour avec Adrian sans mise en scène. — Tu verras bien, répliqua-t-il d'un air énigmatique. Viens à 20 h 30. Mets ce que tu portais la première fois que je t'ai vue à Sydney. Elle le regarda d'un air perplexe, mais il se remit au travail sans plus lui prêter la moindre attention. Elle réprima un soupir. Il ne lui dirait plus rien. C'était toujours ainsi e n fin de journée. Il lui donnait ses instructions pour leur rendez- vous de la soirée, puis l'ignorait jusqu'à son départ Il fallait bien reconnaître que cela l'excitait au plus haut point, chaque jour davantage. Pas de doute. Elle avait perdu la raison. Complètement déstabilisée, Shami rentra dans la maison et courut jusqu'à sa chambre. Elle se jeta sur son lit et éclata en sanglots. Pourquoi pleurait-elle ? N'avait-elle pas ce qu'elle voulait? Une aventure sans complications avec Adrian ? « Oui. C'est tout ce que je veux ! songea-t-elle rageusement Je ne veux pas l'aimer. Et je ne veux pas non plus qu'il m'aime. Surtout pas ! » Mais les larmes continuèrent d'inonder l'oreiller et elle finit par se rendre à l'évidence. John avait raison. Elle avait peur, peur d'aimer. Pourtant, la nature de sa relation avec Adrian ne lui convenait plus. Si elle continuait ainsi, elle finirait par perdre irrémédiablement sa fierté. Il fallait que cela cesse, dès ce soir. 18. En arrivant devant la porte de la chambre dix-huit, Shami s'exhorta à la fermeté. Pas question de perdre courage. Elle allait dire à Adrian qu'elle ne voulait plus continuer comme ça, qu'elle ne voulait plus jouer les esclaves sexuelles, mais avoir une vraie relation avec lui. Au moment de frapper, elle s e maudit. Quelle idiote ! Elle n'aurait pas d û s'habiller comme i l le lui avait ordonné ! Il risquait d'avoir du mal à la prendre a u sérieux... Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt? Elle aurait d û mettre un vieux jean et un pull ample, ou un jogging informe. Surtout, elle aurait dû mettre un soutien-gorge sous son pull rose... Ses seins qui pointaient à travers la laine risquaient de lui faire perdre toute crédibilité ! La porte s'ouvrit avant même qu'elle ait frappé. Le souffle coupé, elle resta sans voix. Des dizaines de bougies brillaient dans la pénombre de la chambre et, contrairement a ux autres soirs, Adrian était entièrement habillé. — Tu aimes ? demanda-t-il en lui prenant la main pour l'attirer à l'intérieur. — Oui, c'est... très beau. — J'ai eu envie de donner une touche romantique à cette soirée. Il ferma la porte et l'entraîna vers la table basse, sur laquelle étaient posés un seau à Champagne et deux flûtes. Un poste de radio diffusait de la musique douce. Shami était au comble de la stupéfaction. Comment dire à Adrian qu'elle ne voulait pas continuer comme cela ? L e décor était s i différent d e s autres soirs qu'elle avait l'impression d'être ailleurs. Adrian aussi étai t différent. D a ns s o n pantalon gris impeccablement coupé et sa chemise bleu roi à col ouvert, il était très élégant et il s'était même rasé ! — Quand as-tu trouvé le temps de préparer tout ça? — Tu n'es pas là pour poser des questions, ma belle. Ma très belle... Car tu es particulièrement en beauté ce soir, ajouta-t-il en lui tendant une flûte de Champagne. — Merci. Allons bon, elle sentait déjà ses bonnes résolutions l'abandonner. Il était tentant de ne rien lui dire du tout, de lui laisser une fois de plus le contrôle de la situation... Voyant qu'elle ne buvait pas, il posa sur elle un regard pénétrant. — Quelque chose ne va pas? Les bougies et le Champagne, c'est une erreur? — Non, au contraire. Cela me plaît beaucoup. C'est juste que... — Quoi donc? — Rien. Shami but une gorgée de Champagne. — Rien du tout Adrian crispa les doigts sur sa flûte avec une telle force qu'il fut surpris qu'elle ne se brise pas. Décidément, il ne parviendrait jamais à rien avec cette femme ! De toute évidence, elle était déçue. Elle n'avait aucune envie de passer une soirée romantique. Elle voulait du sexe, brut et sans amour... Il avait eu tort de penser qu'elle se lasserait d'une relation purement sexuelle, qu'elle finirait par aspirer à autre chose. Quel idiot ! La soirée romantique serait finalement une soirée d'adieu. Il avait terminé les travaux dans la maison. Elle pourrait la vendre à un prix correct et il n'avait plus rien à faire ici. Dès demain, il partirait. La sonnerie de son portable accrut l'irritation d'Adrian. Il prit l'appareil sur la table de chevet. — Adrian Palmer, annonça-t-il d'un ton vif. — Bonsoir, Adrian. — Maman ! Que se passe-t-il ? Tu ne m'appelles jamais sur mon portable. — J'ai téléphoné chez toi et je suis tombé sur ton répondeur. Je t'ai laissé plusieurs messages, mais comme tu ne me rappelles pas... — Désolé. Je ne suis pas à Sydney en ce moment. — Mais pas en vacances non plus, je suppose, tu ne prends jamais de vacances. D'ailleurs, tu ne viens jamais voir ta mère non plus, ajouta la mère d'Adrian d'un ton nettement réprobateur. Il ne put s'empêcher de sourire. — Tu as raison, maman. Je travaille. Que se passe-t-il? — Doit-il se passer quelque chose pour que je te téléphone ? Je voulais juste savoir si tu avais envie de venir me voir ce week-end. — Y a-t-il une raison particulière ? — Non, mis à part que je ne t'ai pas vu depuis Pâques. Mais si tu travailles... — Non, je serai ravi de venir. — Fantastique. Quand penses-tu arriver ? — Une minute, s'il te plaît. Adrian regarda Shami. Nul doute que ce serait le dernier clou dans le cercueil de sa relation avec elle, mais tant pis... — Ma mère voudrait que je lui rende visite ce week-end. Tu aimerais venir avec moi ? Il fut si surpris par le sourire ravi de Shami qu'il faillit lâcher son téléphone. — Oui beaucoup, mais que vais-je faire de Mozart? — Nous pouvons l'emmener. — Il a du mal à s'adapter aux endroits qu'il ne connaît pas. Serait-ce un trop grand détour si nous le laissions chez ma sœur, à Swansea? — Pas du tout Nous pourrions y faire une halte demain, reprendre la route, passer la nuit dans un motel et finir le trajet dimanche matin. — Oui, ce serait parfait. A en juger par son air réjoui, cette idée plaisait vraiment à Shami, songea Adrian, le cœur battant. — Maman, cela ne t'ennuie pas si je viens avec quelqu'un ? — Une fille, tu veux dire ? s'exclama sa mère d'un ton incrédule. — Oui. — Je n'arrive pas à le croire ! Tu es sérieux ? — Oui. Il jeta un coup d'œil à Shami. — Très sérieux. — Je commençais à croire que tu étais gay et que tu n'osais pas me l'avouer. Cela ne m'aurait posé aucun problème, tu sais. Adrian pouffa. — Ravi de l'apprendre ! — Oh Adrian ! Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureuse ! — T u l e seras encore p lus quand t u l a verras. Nous viendrons e n voiture e t nous arriverons dimanche midi. Mai s bi en sûr, i l y a une condition. Il faut que tu me prépares mon plat favori, ajouta-t-il d'un ton taquin. — Un rôti d'agneau. — Bravo. Et n'oublie pas la tarte aux pommes avec de la glace en dessert. — Bien sûr que non ! Dis-moi, comment s'appelle-t-elle? — Shami. Shami fut bouleversée par le regard éperdu dont Adrian la couva en prononçant son nom. Tout à coup, tous ses doutes s'évanouirent. Il était sincère quand il lui avait dit qu'il tenait à elle ! Comment avait-elle pu en douter? se demanda-t-elle, assaillie de remords. Elle n'entendit pas le reste de sa conversation avec sa mère, trop occupée à préparer ce qu'elle allait lui dire. En raccrochant il se tourna vers elle d'un air circonspect. — Je dois avouer que je suis surpris par ta réaction. J'étais certain que tu dirais non. Elle eut un sourire attendri. — Je viens de prendre conscience que je m'étais conduite comme une idiote. Excuse-moi de t'avoir laissé croire que je voulais seulement faire l'amour avec toi, Adrian. Ce n'est pas vrai. J'attends beaucoup plus de toi qu'une simple aventure. — Qu'attends-tu, exactement ? — Je ne le sais pas encore, mais j'ai très envie de le découvrir, répondit-elle en se blottissant dans ses bras. 19. — J'avoue que j'ai encore du mal à y croire, déclara Janice en secouant la tête. Les deux sœurs étaient assises sous la pergola. Un peu plus loin, Pete faisait griller des steaks et des saucisses sur le barbecue en compagnie d'Adrian. Les deux fils de Janice et Pete couraient dans le jardin, suivis par Mozart qui n'avait jamais paru plus heureux. — Tu parles de la ressemblance entre Adrian et Ray ? — Je comprends pourquoi tu as d'abord cru qu'Adrian était le frère jumeau de Ray. Mais je parlais surtout de ta métamorphose : tu es radieuse. Shami sourit. — Je reconnais que je suis très heureuse. Elle avait passé une nuit fantastique. Adrian lui avait prouvé qu'il pouvait être un amant aussi tendre qu'il pouvait être dominateur. Pendant le trajet en voiture, ils avaient enfin commencé à se confier l'un à l'autre. Elle savait désormais tout de son enfance, dont il gardait un souvenir ébloui. De toute évidence, il avait grandi entouré d'amour. De son côté, elle lui avait révélé que sa mère était morte lorsqu'elle avait treize ans et que son père, qui ne s'en était jamais remis, avait fini par succomber à une cirrhose après de longues années de dépression et d'alcoolisme. Toutefois, elle ne lui avait pas encore parlé du bébé. Elle ne parvenait pas à trouver le bon moment pour aborder le sujet. — Il t'aime, affirma Janice. — Oui, acquiesça Shami. Même s'il ne le lui avait jamais dit, c'était une évidence. La veille, elle avait vu son amour dans son regard, puis l'avait senti dans ses caresses et ses baisers. Janice la regarda avec perplexité. — Et toi ? Tu ne l'aimes pas ? — Si. C'est un homme merveilleux. — Mais? Shami réprima un soupir. Impossible d e cacher quoi que c e soit à s a sœur... Curieusement elle avait encore des doutes sur ses propres sentiments. — Je n'éprouve pas la même chose que quand j'étais avec Ray. Ne te méprends pas. Je suis extrêmement attachée à Adrian. Je n'imagine pas de vivre sans lui et pourtant j'ai l'impression qu'il me manque quelque chose. Janice resta silencieuse un instant, l'air songeur. — Je sais ce qui te manque. Quand tu étais petite, tu ramenais toujours à la maison des chats errants et des oiseaux blessés. D'une certaine manière Ray était un animal blessé. Il avait besoin d'être rassuré et soutenu, ce qui comblait ton propre besoin de le protéger. Je suis sûre qu'au fond de toi tu penses qu'Adrian n'a pas besoin de toi. — C'est la réalité. Regarde-le, Janice. Il a tout ce qu'un homme peut désirer : la beauté, l'intelligence, le charme, la réussite. Il peut séduire toutes les femmes qu'il veut. — Oui, mais il n'en veut qu'une et c'est toi, petite sœur. Tu n'en es pas encore convaincue ? Si, reconnut Shami intérieurement, mais elle avait du mal à comprendre comment elle pouvait plaire à un homme comme lui. — Lui as-tu parlé du bébé ? — Pas encore, mais je vais le faire. Bientôt Un peu après 14 heures, Adrian et Shami reprirent la route vers le nord. — J'ai réservé une chambre dans un motel à Nambucca Heads, annonça Adrian en prenant de la vitesse sur la Pacific Highway. C'est à un peu plus de la moitié du trajet — Parfait, répliqua Shami en se calant dans son siège. Il lui jeta un coup d'œil amusé. — Bien installée ? — C'est un vrai plaisir de voyager dans une voiture aussi confortable. — Ravi que cela te plaise. Tu veux écouter de la musique ou préfères-tu bavarder ? C'était le moment où jamais de lui parler du bébé, songea Shami. Mais, une fois de plus, elle en fut incapable. — Je veux bien écouter de la musique. Je suis un peu fatiguée. — Pourquoi n'essaierais-tu pas de dormir? Adrian alluma la radio et Shami ferma les yeux. Lorsqu'elle se réveilla, elle fut stupéfaite de voir que le soleil s'était couché et que la voiture quittait la route principale. — La Belle au Bois dormant se sent mieux ? — Beaucoup mieux. Où sommes-nous ? — Presque arrivés. — Tu dois être fatigué de conduire. — Un peu. Nous pourrions dîner dans notre chambre, ce soir. Que dirais-tu de manger chinois ? — Cela me paraît parfait. — Sais-tu que tu es la femme la plus facile à vivre que je connaisse? — Je suis issue d'une longue lignée de femmes faciles à vivre. Adrian pouffa. — Je veux bien te croire ! Ta sœur est charmante et son mari aussi. La perspective de les avoir pour beau-frère et belle-sœur ne me déplaît pas. Shami tressaillit — Qu'as-tu dit? — Je suis sûr que tu as très bien entendu. — Tu me demandes de t'épouser? s'exclama-t-elle sans masquer sa stupéfaction. — En réalité, je voulais faire ma demande dans les règles, sur un genou, e n glissant un énorme diamant à ton doigt. Mais, rassure-toi, tu ne perds rien pour attendre. — Mais... tu ne m'as jamais dit que tu m'aimais. — Vraiment ? Je croyais que si. — Non. — Allons bon ! Décidément, je suis au-dessous de tout! Adrian se rangea sur le bas-côté et se tourna vers Shami. — Il faut absolument que je répare cette grave erreur sans attendre. Lui prenant le visage à deux mains, il l'embrassa tendrement. — Je t'aime, Shami Johnson. Je t'aime tellement que je n'imagine pas la vie sans toi. — Il faut que tu saches quelque chose... Je ne suis pas certaine de pouvoir avoir... des enfants. Allons bon, elle avait bien failli dire « d'autres enfants » ! — Nous nous en préoccuperons le moment venu. Bouleversée, Shami sentit sa gorge se nouer. Quelle magnifique preuve d'amour ! Malgré tout, il allait trop vite. Beaucoup trop vite... — C'est un peu rapide, comme décision, non ? — La vie est courte, Shami. — J'ai besoin d'un peu de temps. — Pas trop. Je ne suis pas un homme patient. Elle eut un sourire malicieux. — Vraiment? — Mais tu m'aimes, n'est-ce pas? murmura-t-il en l'embrassant avec plus de fougue que la première fois. — Oui, répondit-elle lorsqu'il finit par s'arracher à ses lèvres. Je t'aime. Après une nuit de passion et de tendresse mêlées, ils reprirent la route le lendemain matin après le petit déjeuner. La mère d'Adrian vivait à Kingscliff, une ville située au bord de la mer, à quelques kilomètres au sud de la frontière entre les New South Wales e t le Queensland. Lorsqu'ils y arrivèrent, un peu avant midi, Shami sentit son estomac se nouer. La perspective de rencontrer la mère d'Adrian était beaucoup plus angoissante qu'elle ne s'y attendait... En brique blonde, la maison d'un étage était perchée au sommet d'une petite colline, à quelques centaines de mètres d'une longue plage de sable blanc. Elle bénéficiait d'une vue splendide sur le Pacifique. — A l'origine, c'était notre maison de vacances, expliqua Adrian en se garant Le cabinet de papa se trouvait à Brisbane, mais nous passions toutes les vacances de Pâques et de Noël ici. Lorsqu'il a pris sa retraite, il a décidé de s'installer à Kingscliff, mais à l'époque la maison était deux fois plus petite. Il m'a demandé de dessiner des plans pour l'agrandir et voici le résultat. Alors que Shami admirait l a maison, l a porte s'ouvrit sur une femme très petite, aux cheveux argentés e t aux yeux marron. Elle s'efforça de masquer sa perplexité : Adrian ne ressemblait pas du tout à sa mère... — Vous arrivez plus tôt que prévu, déclara-t-elle avec un large sourire. J'espère que tu n'as pas roulé trop vite, vilain garçon ! Adrian la serra dans ses bras en riant. — J'ai essayé, mais Shami m'a menacé de me tordre le cou si je ne ralentissais pas. — Bravo ! Il a besoin qu'on le rappelle à l'ordre de temps en temps, mon fils. Il se croit invulnérable. Shami sourit. — Oui, j'ai remarqué. — Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis heureuse de vous rencontrer, déclara la mère d'Adrian en la serrant dans ses bras avec chaleur. Vous rendez-vous compte que vous êtes la première fille que mon fils amène à la maison depuis le lycée? — J'ai trente ans, madame Palmer, répliqua Shami en riant. Je ne suis plus une fille ! — Pour moi, si. J'aurai bientôt soixante-seize ans. — Vous ne les paraissez pas. — Oh, mais elle est parfaite, commenta Mme Palmer en prenant Shami par le bras. Tu peux la garder, Adrian. — J'en ai bien l'intention, déclara-t-il en enveloppant Shami d'un regard possessif. Sa mère entraîna Shami dans la maison. — Faites-moi plaisir, appelez-moi May, s'il vous plaît. La sincérité manifeste de cet accueil chaleureux rassura Shami et elle se détendit un peu. Dieu merci, la mère d'Adrian ne semblait pas penser qu'elle n'était pas assez bien pour son fils. Mme Palmer la conduisit dans un vaste salon au décor élégant et l'invita à s'asseoir sur un grand canapé de velours vert pâle garni de coussins moelleux. Deux énormes fauteuils assortis lui faisaient face. Une appétissante odeur d'agneau rôti flottait dans l'air, constata Shami tandis que Mme Palmer lui servait un sherry dans un verre de cristal. Elle avait faim et se sentait déjà chez elle ! — Que penses-tu de maman ? murmura Adrian pendant que sa mère se rendait dans la cuisine pour surveiller la cuisson du rôti. — Elle est très chaleureuse. Quelques secondes plus tard, Mme Palmer les rejoignit — L e déjeuner n e sera prêt q ue dans une demi-heure, annonça-t-elle en s'asseyant dans un fauteuil et en prenant son verre de sherry. Tu es sûr que tu ne veux rien boire, Adrian ? Il y a de la bière au réfrigérateur. — Non merci, maman, je boirai du vin à table. D'ici là, je voudrais montrer quelque chose à Shami. Adrian se leva et se dirigea vers un buffet en chêne. Jamais elle n'avait vu autant de photos encadrées réunies sur un même meuble, songea Shami en le suivant des yeux. La plupart étaient d'Adrian, mais il y en avait quelques-unes de ses parents. Même de loin, il était visible que son père n'était pas beaucoup plus grand que sa femme. De qui Adrian avait-il donc hérité sa grande taille ? — Ah... Voici l'album que je cherchais. Il est entièrement consacré à ton humble serviteur, ajouta Adrian en rejoignant Shami. Il s'assit à côté d'elle et ouvrit l'album sur leurs genoux. — Voici maman quand elle était enceinte. De six mois, c'est cela, maman ? — Oui, environ, répliqua Mme Palmer d'une voix étrange. Shami regarda la photo avec surprise. La mère d'Adrian paraissait beaucoup plus jeune que les quarante ans qu'elle devait avoir à l'époque. Ses cheveux noirs étaient coupés très court, ses yeux noirs étincelaient de bonheur. Elle se trouvait dans un parc, appuyée contre un arbre, les mains posées sur son ventre rond. — E t me voila dans mon premier bain, poursuivit Adrian. J'étais plutôt maigrichon à l'époque, mais je suis né avec u n mois d'avance. Tu vois ? Là c'est moi à trois mois, j'avais bien forci. Shami ne regarda pas la photo d'Adrian à trois mois. Elle étudiait avec perplexité celle d e son premier bain, que lui donnait sa mère. Ce détail pouvait peut-être échapper à un homme, mais pour elle il était flagrant... Les cheveux de Mme Palmer lui arrivaient largement au- dessous des épaules. Il était impossible qu'ils aient poussé à ce point en deux mois... Il était impossible également que ce soit une perruque. Quelle femme achèterait une perruque avec des mèches grises ? Surtout quand elle avait des cheveux d'un noir de jais ! Shami sentit son estomac se nouer. Quelque chose clochait... A ce moment, Adrian dit à sa mère en riant : — Figure-toi que Shami pensait que j'avais été adopté ! Shami jeta un coup d'œil à Mme Palmer et son anxiété redoubla. Cette femme avait peur, cela se lisait dans ses yeux... — Shami a été mariée, poursuivit Adrian sans paraître remarquer le trouble de sa mère. Son mari a été tué dans un accident de train, il y a quelques années. — Mon Dieu, comme c'est triste, commenta Mme Palmer d'une voix crispée. — Son mari était un enfant adopté et je suis son sosie, expliqua Adrian. Je lui ressemble tellement que Shami a cru que nous étions des jumeaux séparés à la naissance et adoptés par deux familles différentes. Mme Palmer renversa son verre de sherry sur son corsage. Très pâle, elle regarda Adrian d'un air désespéré. Il pâlit à son tour et resta figé sur le canapé. Shami bondit sur ses pieds pour aider la vieille dame. Elle lui prit son verre des mains et le posa sur une table. — Je ne sais pas ce que j'ai. Je suis très maladroite depuis quelque temps, déclara Mme Palmer d'une voix tremblante. — J'ai été adopté, n'est-ce pas? La voix sèche d'Adrian, toujours assis sur le canapé, l'album de photos sur les genoux, résonna dans la pièce comme un coup de fouet. — Non, Adrian. — Ne me mens pas ! — Je ne te mens pas. Ton père et moi, nous ne t'avons pas adopté. Mme Palmer s'affaissa dans son fauteuil. — Nous t'avons volé. 20. — Volé ? répéta Adrian d'une voix blanche. Comment cela, volé ? S'affaissant un peu plus dans son fauteuil, sa mère enfouit son visage dans ses mains. — Je n'avais jamais imaginé que tu le découvrirais un jour. — Maman, reprends-toi et dis-moi ce que vous avez fait, papa et toi, intima sèchement Adrian. — Adrian, s'il te plaît, intervint Shami en passant un bras autour des épaules de sa mère. Tu ne vois pas qu'elle est bouleversée ? — El l e est bouleversée ? s'exclama-t-il au comble de l'indignation. Et moi alors ? Shami lui adressa un regard compatissant. — Toi aussi, bien sûr, mais tu es plus fort qu'elle. Il secoua la tête. Jamais il ne s'était senti aussi vulnérable... Les bases sur lesquelles reposaient toutes ses certitudes, tout ce qui faisait sa vie, venaient d'être réduites en miettes par la révélation effarante de sa mère. — Oui, même si ce n'est pas ton impression, tu es plus fort qu'elle, insista Shami avec un regard confiant qui l'apaisa un peu. Elle s'accroupit à côté de sa mère. — Mme Palmer, il faut que vous expliquiez à Adrian ce qui s'est passé. Il a besoin de connaître la vérité. — II... il ne comprendra pas, répondit la vieille dame d'une voix brisée. — Si, il comprendra. Pour sa part, il n'en était pas du tout certain, songea Adrian en serrant les dents. Son regard se reporta sur l'album de photos et il fut assailli par une nouvelle bouffée d'indignation. — Cette photo de toi enceinte, c'était une mise en scène ? demanda-t-il d'un ton cinglant en pointant le cliché du doigt Tu avais mis un coussin sous tes vêtements ? Sa mère leva vers lui un visage inondé de larmes. — Non. J'étais vraiment enceinte. J'avais déjà fait trois fausses couches, mais cette fois-là tout semblait bien se passer. Je... J'ai commencé à a vo i r d e s contractions quelques jours après que cette photo a été prise. Le bébé est mort quelques heures après sa naissance. La voix de Mme Palmer se brisa. — C'était un garçon. — Continue, intima Adrian, implacable. — Il y a eu des complications et je... les médecins m'ont dit que je ne pourrais plus jamais avoir d'enfant. J'ai fait une dépression. Ton père était très inquiet à mon sujet. — Alors il a volé un bébé ? Je n'arrive pas à croire qu'il ait pu faire ça. Il était si exigeant en matière d'honnêteté... Bon sang, il m'a élevé dans le respect le plus strict de la vérité ! — Je savais que tu ne comprendrais pas, gémit Mme Palmer. Adrian jeta l'album sur le canapé, se leva et se mit à arpenter la pièce à grands pas. Puis il s'immobilisa et referma les mains sur le dossier du canapé. — Alors comment cela s'est-il passé ? Où m'avez-vous volé ? Dans un hôpital ? — Non ! Pas du tout ! Ce n'était pas prémédité. — Un beau jour, je me suis retrouvé sur tes genoux par hasard, c'est ça ? May laissa échapper un petit soupir tremblant. — Non, bien sûr que non. — Adrian, laisse ta mère s'expliquer, s'il te plaît Il leva les bras en l'air d'un geste rageur. — Très bien, qu'elle s'explique ! Si elle y arrive... — Oh, mon Dieu ! Sa mère éclata de nouveau en sanglots et Shami lui tapota la main. — Contentez-vous de raconter la vérité, May. Shami était vraiment d'une patience admirable avec sa mère. Sauf que ce n'était pas sa mère ! songea Adrian avec amertume. — A l'époque, ton père avait un cabinet médical à Sydney, à Surrey Hills. Un quartier défavorisé, comme tu le sais il voulait aider ceux qui avaient eu moins de chance que lui. Je ne travaillais plus depuis la mort de mon bébé trois ans plus tôt, j'en étais incapable. Un vendredi soir, j'ai rejoint ton père au cabinet. Nous devions dîner au restaurant. Sa réceptionniste venait de partir et il était en train de fermer le cabinet quand une jeune femme a fait irruption. Elle était sur le point d'accoucher et il était trop tard pour appeler une ambulance. J'ai aidé ton père à te mettre au monde. Tout s'est passé si vite... Nous avons été stupéfaits de voir arriver un second bébé. « La jeune femme a reconnu qu'elle n'avait jamais consulté de médecin, elle ignorait qu'elle attendait des jumeaux. Elle avait fugué et elle vivait dans un squat. Arthur s'occupait du placenta quand elle a commencé à se plaindre d'une violente migraine. Elle est morte en quelques secondes : une rupture d'anévrisme, avons-nous appris plus tard. Tout à coup, nous nous sommes retrouvés avec deux nouveau- nés dans les bras. » — Alors vous avez décidé d'en voler un, commenta Adrian d'un ton grinçant. Devant la détresse manifeste de sa mère, il ne put s'empêcher de se sentir coupable. — Arthur ne voulait pas, mais devant ma détermination il n'a pas eu le choix. Je voulais vous prendre tous les deux, mais il m'en a dissuadée en me disant que nous n'aurions aucune chance de nous en tirer. J'ai été obligée de choisir. — Pourquoi moi ? Pourquoi pas mon frère ? — Tu étais un peu plus gros et tu ne pleurais pas, alors que ton frère n'arrêtait pas. Arthur m'a dit qu'un bébé qui pleurait tout le temps attirerait trop l'attention. Je t'ai emmené chez nous en taxi, pendant qu'Arthur appelait la police et une ambulance. Bien sûr, il n'a dit à personne que la jeune femme avait accouché de jumeaux. J'avais gardé tout ce que j'avais préparé pour notre propre bébé, je n'avais pas eu le courage de jeter quoi que ce soit. J'ai préparé des valises et, le lendemain matin, je suis partie avec toi en voiture à Brisbane. J'avais une tante là- bas : tante Charlotte, la seule parente qui me restait Tu ne te souviens sans doute pas d'elle, tu étais encore petit quand elle est morte. Je lui ai dit la vérité et elle a eu la bonté de m'héberger le temps qu'Arthur règle ses affaires à Sydney. Nous savions que nous devions quitter la ville, commencer une nouvelle vie ailleurs. Par chance, Arthur n'avait pas de famille proche en Australie et personne ne risquait de nous poser des questions embarrassantes. Comme tu le sais, il a émigré d'Angleterre vers la trentaine. Après la mort de son père, sa mère a épousé un homme qu'il ne supportait pas. Il ne leur ajamáis écrit et ils se sont perdus de vue. — Et des amis ? Vous n'aviez pas d'amis qui risquaient de se demander où vous étiez passés, pourquoi vous étiez partis ? — Depuis la mort de notre bébé, nous ne fréquentions plus grand monde à cause de ma dépression. Non, nous n'avions plus d'amis proches. De plus en plus déstabilisé, Adrian prit une profonde inspiration. Il avait besoin de se retrouver seul, de prendre un peu de temps pour tenter d'assimiler ces révélations. — Je vais faire un tour. — Adrian, non ! s'exclama Shami. — Laissez-le, déclara Mme Palmer. C'est ce qu'il fait toujours quand il est perturbé. Adrian crispa la mâchoire. Elle le connaissait si bien et n'était même pas sa mère ! — Une dernière question. As-tu cherché à savoir qui était ma vraie mère ? — Arthur a fait d e s recherches. E lle appartenait à une famille très aisée d e Sydney, mais ses parents n'ont pas voulu entendre parler de leur petit-fils illégitime. Ils ont signé avec empressement les papiers nécessaires pour son adoption. Incrédule, Adrian sentit son cœur se serrer douloureusement. Comment pouvait-il être aussi blessé par le rejet de personnes qu'il ne connaissait même pas ? — Je vois, commenta-t-il sèchement Ils n'auraient pas davantage voulu de moi, n'est-ce pas ? — Alors que moi, je voulais à tout prix te garder ! rétorqua May avec feu. L'amour qui brillait dans ses yeux noyés de larmes ne faisait aucun doute. — Dès l'instant où je t'ai pris dans mes bras. Adrian sentit sa gorge se nouer. Pris de panique, il refoula ses larmes. Pas question de pleurer devant la femme qu'il aimait, pas question de devenir vulnérable, de ne plus ressembler à l'homme dont elle était tombée amoureuse. Une vive angoisse le submergea. Shami était-elle vraiment amoureuse de lui ? Il n'était plus seulement le sosie de son défunt mari mais son frère jumeau. Il avait le même ADN. Etait-elle tombée amoureuse de lui, ou était-ce son frère qu'elle continuait inconsciemment d'aimer en lui ? Terrifié par cette pensée, il quitta la pièce à grands pas. 21. — Il ne me pardonnera jamais, dit May d'une voix brisée. — Mais si, vous verrez, assura Shami. Pour l'instant il est sous le choc, c'est pour cela qu'il est aussi agressif. Cependant, vous avez raison sur un point : il ne comprend pas ce qui vous a poussé à agir ainsi. Moi je vous comprends, May, je sais ce que c'est de perdre un bébé. — Vraiment? — Oui. J'étais enceinte quand mon mari a été tué. Le choc a provoqué un accouchement prématuré et le bébé est mort Un petit garçon. — Oh, ma pauvre petite... Moi j'avais au moins Arthur pour me réconforter. — Je dois dire que j'ai vécu des moments très difficiles. C'était la première fois qu'elle parvenait à en parler sans éclater en sanglots, constata Shami avec surprise. Elle n'oublierait jamais la souffrance qui l'avait anéantie à l'époque. Enfin, elle était capable de tourner la page. — Comment était-il? demanda May. Votre mari, je veux dire. Le frère d'Adrian. — C 'étai t un homme merveilleux, très délicat, très attentionné, mais il manquait de confiance en lui. De ce point de vue, il ne ressemblait pas du tout à Adrian. Physiquement, ils ne sont pas exactement semblables. La première fois que j'ai vu Adrian, j'ai cru qu'il était le sosie parfait de Ray, mais au bout de quelques instants j'ai commencé à remarquer des différences. May secoua la tête d'un air incrédule. — C'est une coïncidence incroyable, vous ne trouvez pas? Que vous rencontriez le frère jumeau de votre mari dans une ville de quatre millions d'habitants... — Peut-être est-ce le destin qui m'a guidée vers le seul homme qui pouvait me rendre de nouveau heureuse. Dites- moi, savez-vous où il a pu aller? — Sur la plage, certainement. — Je vais le chercher. May baissa les yeux sur son corsage maculé de sherry. — Moi, je vais me changer et voir si je peux encore sauver le déjeuner. Shami eut un sourire apaisant. — Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer. Adrian vous aime. Rien ne pourra jamais changer cela. — J'espère que vous avez raison. Ça doit être difficile d'apprendre une telle nouvelle à son âge. — Oui. Ray n'a jamais vraiment accepté d'avoir été adopté. Il souffrait d'un sentiment d'abandon. — Mais il n'a pas été abandonné ! Sa mère est morte quelques minutes après sa naissance. On ne le lui avait jamais dit ? — Non. Sa mère adoptive lui avait affirmé qu'il avait été abandonné parce qu'il n'était pas désiré. — Oh, mon Dieu, c'est horrible ! — E lle é ta i t égoïste e t stupide. A p rè s s a mo rt, j'ai encouragé Ray à rechercher des détails sur son adoption, mais il n'a jamais voulu. Au moins, Adrian sait à présent ce qui s'est réellement passé, c'est essentiel. — Oui, vous avez raison. — Je ne lui ai pas encore parlé du bébé que j'ai perdu. Je pense q ue l e moment e s t venu. C e la pourra peut-être l'aider à comprendre vos motivations. May s'essuya les yeux. — J'ai pensé pendant un moment que c'était une malchance qu'il vous ait rencontrée... Je me trompais. Mon fils a beaucoup de chance au contraire. Vous êtes exactement la femme dont il a besoin. « Exactement la femme dont il a besoin. » Les paroles de May résonnaient dans l'esprit de Shami, tandis qu'elle se dirigeait vers la plage. Janice avait raison. C'était ce qui lui manquait dans sa relation avec Adrian : le sentiment qu'il avait besoin d'elle. Elle avait hâte de le retrouver... De lui faire comprendre qu'il survivrait à ces révélations parce que rien d'important n'avait changé dans sa vie. Sa mère l'aimait toujours et elle aussi, plus que jamais. Adrian sentit la présence de Shami avant qu'elle ne s'assoie à côté de lui sur le sable, mais il continua de fixer la mer. — D'accord, tu avais raison et j'avais tort, lança-t-il d'un ton vif. Je suis le frère jumeau de ton mari. — Oui, acquiesça-t-elle d'une voix très calme. Il posa sur elle un regard rancunier. — Et cela ne te dérange pas ? Elle écarquilla les yeux, sincèrement surprise. — Pas du tout. — Eh bien, moi si. — Pourquoi? — Si tu poses la question, c'est que tu ne comprends rien aux hommes. — Cela ne gênerait pas Ray, Adrian. — Moi, ça me gêne. Tu es sa femme, c'est lui que tu as aimé le premier. Je ne suis que son remplaçant — C'est faux! — Je ne veux pas servir de substitut. — Même si tu le voulais, ce serait impossible. Si tu avais connu Ray, tu saurais que tu es très différent de lui. — Mais justement, je ne l'ai pas connu. J'ai été privé de cette chance quand ma chère mère a décidé de me voler. D'ailleurs, en réalité elle n'est pas ma mère. — Tu n'as pas le droit de dire cela ! May est ta vraie mère, comme ton père était ton vrai père. Ils t'ont donné tout ce qu'un enfant peut désirer : l'amour, la sécurité, une bonne éducation et toutes les raisons d'être sûr de toi. Ray n'a pas eu cette chance, je peux te l'assurer. — Il aurait pu l'avoir si nous n'avions pas été séparés, insista Adrian avec obstination. — Peut-être, ou peut-être pas : je me demande s'il ne serait pas resté dans ton ombre. Mais de toute façon, peu importe, il est impossible de changer le passé. I l nous arrive à tous d'être le jouet des circonstances, surtout pendant notre enfance, mais, devenus adultes, nous avons le choix. Tu peux décider de rester amer et plein de rancune ou bien te montrer compréhensif et pardonner. — C'est facile pour toi de dire cela, Shami. Mais comment pourrais-je me montrer compréhensif alors que je suis incapable de comprendre comment elle a pu faire cela ? Toutes les femmes qui perdent un enfant ne volent pas celui d'une autre femme. — Non, c'est vrai. Mais ta mère n'avait pas seulement perdu un enfant, Adrian, elle en avait déjà perdu trois et on lui avait annonce qu'elle n'en aurait jeûnais d'autre. — Ils auraient pu en adopter un, en suivant la filière normale, précisa Adrian d'un ton caustique. — Ils étaient trop âgés pour avoir une chance que leur dossier soit accepté. — Pas s'ils étaient allés à l'étranger. — Il y a trente-six ans ? Allons, Adrian, cela ne se faisait pas encore à l'époque. — Ce n'était pas une raison pour voler un enfant — Ce n'était pas prémédité. Le destin a placé ta mère devant une tentation à laquelle il lui était impossible de résister. — Papa aurait dû intervenir et l'en empêcher. — Apparemment il aimait beaucoup trop sa femme pour cela. Adrian hocha la tête à contrecœur. — C'est vrai. Il l'adorait — Et ils t'adoraient tous les deux. Tu ne peux pas leur en vouloir pour cela, n'est-ce pas? Adrian expira longuement. — Non. Je reconnais qu'ils ont été des parents fantastiques. Mais toute cette histoire est tellement insensée... — Tu viens de subir un choc violent Il eut un pâle sourire. — C'est un euphémisme. — Tu te souviens de cette pièce chez moi, dans laquelle je t'ai empêché d'entrer ? Adrian plissa le front avec perplexité. Pourquoi Shami changeait-elle aussi abruptement de sujet? Il se tourna vers elle. Elle ne le regardait pas et avait les yeux fixés sur l'horizon. Son attitude était étrange... — Oui, je me souviens. Et alors ? — C'est une chambre d'enfant — Une chambre d'enfant ? — Oui. Une chambre bleue. Elle n' a jamais é té utilisée, mai s i l n' y manque ri e n : n i l e berceau, n i l e mobile suspendu juste au-dessus, ni la table à langer, ni une garde-robe complète. Shami se tourna enfin vers Adrian. Son menton tremblait légèrement, constata-t-il en retenant son souffle. — J'étais enceinte de cinq mois et demi quand Ray est mort Le choc a déclenché l'accouchement et mon fils n'a pas survécu. Effaré, Adrian resta parfaitement immobile. Ce n'était pas le moment de toucher Shami ni de faire le moindre commentaire... — Je sais exactement ce qu'a ressenti ta mère, Adrian. Je connais cette souffrance. Elle vous déchire e t vous laisse un insupportable sentiment de vide, de mort intérieure. C'est pour cela qu'elle n'a pas pu résister à la tentation. De mon côté, je suis restée entre la vie et la mort pendant cinq ans. C'est toi qui m'as ramenée parmi les vivants. Shami posa la main sur la joue d'Adrian. — Tu n'es pas un substitut de Ray. Tu ne l'as jamais été et tu ne le seras jamais. Tu es toi, Adrian Palmer, et je t'aime plus que les mots ne peuvent l'exprimer. Hier, tu m'as demandé de t'épouser. Si cette offre est toujours valable, ma réponse est oui. Adrian plongea son regard dans celui de Shami et tous les doutes qui le torturaient s'évanouirent, remplacés par une certitude absolue. Ce qu'elle venait de lui dire était vrai, elle l'aimait, lui, Adrian Palmer. Quelle femme admirable ! Après tout ce qu'elle avait enduré, elle était encore capable d'affronter la vie avec courage et optimisme. Quelle chance pour lui de l'avoir rencontrée... Il la prit dans ses bras et la serra tendrement contre lui. — Tu es une femme exceptionnelle, Shami Johnson. Je suis très honoré et très heureux que tu acceptes de m'épouser. Shami fut envahie par une paix merveilleuse. Quel soulagement de lui avoir enfin parlé du bébé... A présent il n'y avait plus aucun secret entre eux. Seulement de l'amour. — Je te rendrai heureux, promit-il en lui embrassant les cheveux. — Tu me rends déjà heureuse, Adrian. Viens, rentrons et faisons honneur au déjeuner que ta mère nous a préparé avec amour. — Je l'ai blessée, n'est-ce pas? demanda-t-il, tandis qu'ils remontaient la colline, main dans la main. — Il suffira de la serrer très fort dans tes bras pour qu'elle l'oublie. Les mères pardonnent très facilement — Je reconnais qu'elle a toujours été une mère fantastique. « Je te donnerai un autre bébé, ma chérie », promit silencieusement Adrian en pressant la main de Shami. 22. Inutile de rester assis plus longtemps à son bureau... Il était incapable de se concentrer sur son travail. Repoussant sa chaise, Adrian se leva et se rendit dans la cuisine, où il se servit du café. Il jeta un coup d'œil à sa montre. Midi. Le rendez-vous de Shami avec le spécialiste était à 10 h 30. Elle devrait être sortie, bon sang ! Il lui avait demandé de l'appeler dès qu'elle le pourrait, alors pourquoi le téléphone restait-il silencieux ? Cinq semaines s'étaient écoulées depuis leur voyage à Kingscliff. Beaucoup plus de temps qu'il n'en fallait à Adrian pour acheter à Shami une superbe bague de fiançailles et planifier leur mariage avant la fin de l'année. Il n'avait pas encore réussi à la convaincre d'emménager chez lui. Elle tenait à rester à Katoomba jusqu'à la vente de sa maison. Toutefois, elle le rejoignait à Sydney tous les week-ends. Mozart s'était attaché aux fils de Janice et habitait désormais chez celle-ci. Adrian avait obtenu à sa fiancée un rendez-vous chez le meilleur gynécologue de Sydney et était impatient de connaître l'avis de ce dernier. Il entendit la porte d'entrée s'ouvrir et se précipita dans le hall, le cœur battant à tout rompre. C'était Shami, toujours aussi délicieuse dans la tenue qu'il préférait. Pantalon noir et pull rose. Ses joues étaient aussi roses que son pull et ses yeux noirs étincelants. Adrian sentit les battements de son cœur redoubler : une bonne nouvelle, sans doute... — Vilaine, dit-il d'un ton faussement réprobateur en déposant un baiser sur sa joue. Pourquoi ne m'as-tu pas appelé ? Je suis sur des charbons ardents. — Je voulais t'annoncer de vive voix ce que m'a dit le médecin. — Ne me fais pas languir plus longtemps, s'il te plaît La machine s'est remise en route ? Elle eut un sourire éclatant. — Apparemment, oui. — Alors pourquoi n'as-tu pas retrouvé des cycles normaux ? — C'est curieux, n'est-ce pas? commenta-t-elle avec un petit sourire béat. Le cœur d'Adrian fit un bond dans sa poitrine. — Tu es déjà enceinte ! — Oui ! s'exclama joyeusement Shami en se jetant dans ses bras. — De combien ? — Environ six semaines. — Ce qui signifie... — Que cela doit dater du premier week-end de notre rencontre. — C'est incroyable... — Moi, je trouve ça plutôt logique. Je t'ai dit que tu m'avais fait renaître à la vie, non ? Oh, comme je t'aime, Adrian Palmer ! Le cœur gonflé de joie, Adrian serra tendrement Shami dans ses bras. Il s'était juré de rendre heureuse la femme de sa vie, c'était un bon début... Chaque fois qu'il se sentait abattu à cause des circonstances de sa naissance — ce qui lui arrivait plus souvent qu'il ne s'y attendait —, il pensait à Shami et à tout ce qu'elle avait enduré. Ses paroles lui revenaient en mémoire et il se disait avec force : « Je choisis d'oublier mon amertume, d e n e p a s juger mes parents et de ne pas leur garder rancune. J e choisis d e regarder vers l'avenir tout en savourant mon bonheur présent. » Dire qu'ils allaient avoir un enfant ! — Nous devrions appeler Janice et ta mère pour leur annoncer la bonne nouvelle. — Elles peuvent attendre quelques minutes, tu ne crois pas ? Pour l'instant, je veux fêter cela uniquement avec toi. Je vais ouvrir une bouteille de Champagne. Elle secoua la tête. — Non. Pas d'alcool pour les futures mamans. Il sourit — Un café, alors ? Il y en a du tout frais dans la cuisine. — D'accord. — Maintenant, il faut que tu viennes vivre avec moi, dit-il quelques instants plus tard, lorsqu'ils sortirent sur la terrasse avec leurs tasses. Je veux m'occuper de toi et nous construire une maison. Nos enfants vont avoir besoin d'un jardin. Si tu te contentais de louer la tienne, pour l'instant? Tu trouverais plus vite un locataire qu'un acheteur et tu pourrais emménager ici dès cette semaine. — C'est une bonne idée. — Mais pas question que tu t'occupes du déménagement Je vais engager une entreprise. — Si tu insistes... — J'insiste. Elle eut un sourire malicieux. — Quelque chose me dit que ton fils va être un véritable petit tyran. — Qu'est-ce qui te fait dire que ce sera un garçon? — Une intuition. Shami avait en partie raison. Leur premier-né fut un garçon. Mais pas un tyran. Un enfant doux et rêveur, qui aimait les animaux et la musique. Es le prénommèrent Raymond Arthur, mais très vite tout le monde l'appela Ray.