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Une bouleversante ressemblance : Lorsqu'elle rencontre

Adrian Palmer, Shami est fascinée : la ressemblance avec


Ray, son mari disparu cinq ans auparavant, est frappante.
Tellement frappante qu'elle accepte sans hésiter l'invitation
à dîner de cet homme charmant. Après tant d'années de
solitude, ce simple moment de complicité lui donne le
sentiment de revivre, libre et insouciante de nouveau. Avec
lui, elle se sent si bien que, le soir même, submergée par
un désir incontrôlable, elle s'abandonne dans ses bras,
sans soupçonner un seul instant que son bel inconnu
puisse être un séducteur sans scrupules... Quiproquo
amoureux : Mais que s'est-il passé ? Alors qu'elle devrait
être en train de régler les derniers préparatifs de son
mariage, Cassie se réveille sur un paquebot en partance
pour la Nouvelle-Zélande ! De surcroît, dans la cabine d'un
parfait inconnu...
MIRANDA LEE
Une bouleversante
ressemblance
COLLECTION AZUR
Éditions Harlequin
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le
titre :
THE MILLIONAIRE'S INEXPERIENCED LOVE-SLAVE
Traduction française de ELISABETH MARZIN
HARLEQUIN
est une marque déposée du Groupe Harlequin et
Azur • est une marque déposée d'Harlequin S.A.
Toute représentathnou reproduction, par quelque
procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon
sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code
pénal. © 2008, Miranda Lee. © 2010, Traduction
française : Harlequin S.A. 83-85, boulevard Vincent-
Auriol, 75013 PARIS — Tél. : 01 42 16 63 63
Service Lectrices — Tél. : 01 45 82 47 47
www.harlequin.fr
ISBN 978-2-2802-1138-3 — ISSN 0993-4448
1.
Shami s'apprêtait à déjeuner dans un café chic de Sydney
lorsqu'elle crut voir son défunt mari franchir la porte de
l'établissement.
Atterrée, elle crispa les doigts sur le menu, incapable de
maîtriser le tremblement de ses mains.
Elle finit par reprendre ses esprits et les battements de son
cœur s'apaisèrent.
Ce n'était pas Ray, bien sûr, ce n'était qu'un homme qui lui
ressemblait.
Non, pas seulement Cet inconnu ne se contentait pas de
ressembler à Ray : c'était son sosie. Si elle n'avait pas
identifié le corps sans vie de son mari cinq ans auparavant,
elle aurait pu douter qu'il était bien à bord de cet horrible
train le jour de l'accident.
Mon Dieu, il avait aussi la même démarche que Ray !
Elle suivit l'homme des yeux tandis qu'il se dirigeait vers
une table en terrasse, à proximité de la sienne. Hypnotisée,
elle ne parvenait pas à détacher ses yeux de lui. Il devait
bien y avoir des différences qui le distinguaient de son
mari...
Il était peut-être un peu plus athlétique et, sans conteste,
beaucoup plus élégant. Son blouson de daim fauve devait
valoir une fortune, ainsi que sa chemise de soie blanche et
son pantalon marron.
Mais à part cela c'était exactement Ray : même allure,
même traits réguliers et même chevelure épaisse.
Ray avait des cheveux superbes, bruns avec d e s reflets
cuivrés, qu'il portait assez longs, bouclant sur l a nuque et
effleurant le col de ses chemises.
Elle adorait y enfoncer les doigts pour le plus grand plaisir
de son mari.
L'inconnu avait exactement la même chevelure... et la
même coupe.
Alors qu'il tirait une chaise, Shami déglutit péniblement
Allait-il passer la main dans ses cheveux pour écarter la
mèche qui lui tombait sur le front, comme le faisait Ray
chaque fois qu'il s'asseyait ?
Elle eut toutes les peines du monde à retenir un cri
étranglé. L'inconnu avait eu exactement ce même geste !
Quel tour cruel le destin avait-il décidé de lui jouer?
Il n'y avait que peu de temps qu'elle commençait à
apercevoir le bout du tunnel et se sentait enfin capable de
reprendre le cours de sa vie...
Elle avait même recommencé à travailler. Seulement à
temps partiel pour l'instant, mais c'était déjà un progrès.
Elle ne passait plus ses journées à traîner chez elle comme
une âme en peine.
Ce voyage était d'ailleurs pour elle une étape cruciale de
sa guérison. Lorsque sa sœur lui avait offert un week-end à
Sydney pour son trentième anniversaire, elle avait d'abord
été assaillie par une vive anxiété et sa première réaction
avait été de refuser.
— Je ne peux pas laisser Mozart tout seul pendant deux
jours, Janice, avait-elle prétexté.
Certes, Mozart n'était pas le plus facile des chiens. Lui non
plus ne se remettait pas de l'absence de Ray et il lui arrivait
de devenir hargneux.
Cependant, elle savait que John, le vétérinaire chez qui elle
travaillait, savait s'y prendre avec lui et se ferait un plaisir
de s'en occuper.
Janice n'avait pas été dupe de cette piètre excuse et avait
déployé toutes ses ressources de persuasion pour la
convaincre que s'absenter le temps d'un week-end lui ferait
le plus grand bien.
La psychologue qu'elle voyait depuis un an sur les conseils
de son médecin avait également insisté pour qu'elle
s'éloigne un peu.
S'efforçant de surmonter son angoisse, elle avait fini par se
décider à tenter l'aventure.
Hier, monter dans le train n'avait pas été facile, loin de là !
Malgré tout, elle y était parvenue, même si elle s'était
précipitée sur son portable trente secondes après le
départ, prise de panique...
Heureusement, Janice avait trouvé les mots pour l'apaiser
et à son arrivée à Sydney, quelques heures plus tard, elle
é t a i t presque sereine. Ce matin, p le i ne d e bonnes
résolutions, elle s'était rendue dans le salon de coiffure de
l'hôtel pour se faire couper les cheveux avant d'écumer les
boutiques. Elle devait reconnaître qu'elle avait pris un
certain plaisir à s'acheter des vêtements décontractés,
mais plus luxueux que ceux qu'elle portait d'ordinaire.
L'argent ne lui manquait pas. Elle n'avait pratiquement pas
touché à l'indemnité de trois millions de dollars qui lui avait
été versée un an et demi plus tôt par la compagnie de
chemins de fer.
Lorsqu'elle était entrée dans c e café u n p e u après 13
heures, vêtue d'une de ses nouvelles tenues, elle se sentait
pleine d'optimisme p o ur la première fois depuis bien
longtemps.
Et voici que, tout à coup, la vue d'un inconnu la replongeait
dans le plus profond désarroi...
Bouleversée, elle ne pouvait s'empêcher de fixer avec
incrédulité le séduisant étranger aux traits si familiers.
Chaque être humain avait un sosie, disait-on. Jusque-là,
elle n'y croyait pas vraiment Aujourd'hui, elle avait devant
elle la preuve que c'était vrai.
Cet homme ressemblait tellement à Ray qu'il pourrait être
son frère jumeau... Le cœur de Shami fit un bond dans sa
poitrine. Et si c'était le cas ?
Après tout, Ray avait été adopté et il n'avait jamais cherché
à élucider le mystère de sa naissance, préférant rester
dans l'ignorance.
De temps en temps, la presse rapportait l'histoire de
jumeaux séparés à la naissance et adoptés par des
familles différentes.
Etait-ce l'explication de cette ressemblance hallucinante?
Il fallait absolument qu'elle en ait le cœur net.
2.
Avant même d'entrer dans le café, Adrian avait remarqué
la jolie brune assise en terrasse. Il avait un faible pour les
brunes, surtout aussi séduisantes, mais ce n'était pas ce
qui l'avait poussé à franchir la porte de l'établissement
Depuis qu'il avait emménagé dans son luxueux penthouse
de la tour Bortelli un mois plus tôt, il était devenu un client
habituel de ce café situé au rez-de-chaussée de
l'immeuble. C'était pratique, bien sûr mais, surtout, la
nourriture y était excellente.
La jeune femme avait levé la tête à son arrivée et, depuis,
ne cessait de le regarder avec insistance.
En d'autres circonstances, il l'aurait encouragée d'un
sourire au lieu de détourner les yeux en feignant de ne pas
l'avoir remarquée.
Mais, aujourd'hui, il n'était pas d'humeur à flirter.
Les reproches dont Felicity l'avait accablé la veille le
poursuivaient encore...
— C e n'est pas une compagne qu'il te faut ! lui avait-elle
lancé avec amertume lorsqu'il était arrivé avec plusieurs
heures d e retard à leur rendez-vous, mais une maîtresse
qui soit à ta disposition pour satisfaire ta libido ! Quelqu'un
qui n'attendrait rien de toi. Tu n'aimes que toi et ton fichu
métier, Adrian Palmer !
J'en ai par-dessus la tête de me morfondre en espérant
que tu trouveras le temps de m'accorder une soirée. J'ai
besoin d'amour. On m'avait bien prévenue que tu étais un
séducteur doublé d'un drogué du travail, mais j'ai bêtement
cru que je pourrais te changer. Aujourd'hui, je sais que c'est
impossible, alors au revoir. Je te souhaite de rencontrer un
jour une fille qui te brisera le cœur !
Cette diatribe l'avait laissé sans voix. Jamais il n'aurait
imaginé que Felicity était aussi frustrée par son manque de
disponibilité. Il était persuadé qu'elle accordait, elle aussi,
la priorité à sa carrière. Or, apparemment, leur liaison
représentait beaucoup pour elle.
Sans doute aurait-il dû s'en apercevoir, mais cela lui avait
complètement échappé...
Ce qui prouvait bien qu'elle avait raison : il ne pensait qu'à
lui-même. Cette idée était si déplaisante qu'il avait décidé
de s'amender : désormais, il combattrait son égocentrisme
et son instinct de séducteur.
Il ne sourirait donc pas à cette jolie brune malgré
l'insistance flatteuse avec laquelle elle le regardait.
En s'asseyant, il vit nettement le reflet de la jeune femme
dans le miroir qui lui faisait face.
Elle n'était pas simplement jolie, elle était superbe ! Sa
crinière brune encadrait un visage en forme de cœur au
teint délicat et le regard brillant de ses grands yeux noirs
était extrêmement troublant...
Tout en prenant le menu, Adrian ne put s'empêcher de se
retourner pour lui jeter un coup d'œil. Les joues en feu, elle
baissa aussitôt les yeux.
Ce brusque accès de timidité la rendait encore plus
attirante. Il était très tenté de l'inviter à se joindre à lui pour
le déjeuner... A cette pensée, il réprima une moue de
dérision : ne venait-il pas de prendre la résolution de ne
plus jouer les séducteurs ?
A sa grande surprise, l'inconnue se leva et vint vers lui.
— Excusez-moi, dit-elle d'une voix hésitante.
B o n sang, elle étai t encore p lus belle d e p rè s ! Ses
cheveux d e jais e t s e s grands yeux noirs mettaient en
valeur l a finesse d e ses traits harmonieux, son petit nez
retroussé avait un charme irrésistible... et ses lèvres
pulpeuses étaient une véritable invitation au baiser.
Sa silhouette parfaite était mise e n valeur par un pantalon
noir impeccablement coupé e t u n pull rose moulant, qui
soulignait sa poitrine généreuse et sa taille de guêpe.
Pas de doute, elle était sublime.
— Excusez-moi, répéta-t-elle d'un air confus. Je voudrais
vous poser une question. Vous allez sans doute me trouver
très impertinente, mais...
il faut absolument que je sache.
— Quoi donc ?
— Ne seriez-vous pas un enfant adopté, par hasard ?
Adrian resta interdit. Comme entrée en matière, c'était
aussi original qu'efficace ! Si cette fille avait décidé de
piquer sa curiosité pour mieux le séduire, elle avait réussi...
— Non, répliqua-t-il en observant attentivement son
interlocutrice.
Qu'allait-elle inventer, à présent ? Elle plissa le front.
— Vous en êtes absolument certain ? Je veux dire... C'est
un peu délicat, bien sûr, et je ne voudrais surtout pas créer
de problèmes, mais...
certains parents ne disent pas à leurs enfants qu'ils les ont
adoptés. Pensez-vous que ce pourrait être le cas des
vôtres ?
Elle ne cherchait pas à le séduire, comprit Adrian. Sa
question était très sérieuse.
Et l'on pouvait lire dans ses grands yeux noirs une détresse
poignante...
— Je vous assure que je suis le fils biologique de mes
parents. Plusieurs albums de photos le prouvent De toute
façon, mon père ne m'aurait jamais caché un détail aussi
important II était très pointilleux sur l'honnêteté.
— C'est incroyable...
— Quoi donc? Shami secoua la tête.
— Peu importe. Excusez-moi de vous avoir dérangé.
— Non, ne partez pas ! s'exclama-t-il alors qu'elle tournait
les talons. Vous ne pouvez pas vous en aller ainsi après
avoir éveillé ma curiosité.
Asseyez-vous et dites-moi pourquoi vous pensiez que
j'avais été adopté.
Shami jeta un coup d'œil anxieux vers sa table, où elle avait
laissé son sac à main et plusieurs sacs de boutiques chic.
— Si vous alliez chercher vos affaires ? Nous pourrions
déjeuner ensemble, suggéra Adrian.
Elle ouvrit de grands yeux.
— Non ! Je... je suis désolée, mais c'est impossible.
— Pourquoi?
Shami se tordit les mains. Elle portait une alliance et une
bague de fiançailles, constata Adrian avec un pincement
au cœur. Que lui arrivait-il ?
Jamais il n'avait été aussi déçu à l'idée qu'une femme
séduisante n'était pas libre.
— Parce que votre mari en serait contrarié ? demanda-t-il
en indiquant la main de Shami d'un mouvement du menton.
Elle tressaillit
— Je... Je n'ai plus de mari. Je suis veuve.
Adrian eut toutes les peines du monde à masquer sa
satisfaction.
— Je suis vraiment désolé, déclara-t-il en s'efforçant de
prendre une mine de circonstance.
— Il a été tué dans un accident. Je... Oh, mon Dieu. Il faut
que je m'assoie.
Shami se laissa tomber sur la chaise en face d'Adrian.
Devant sa mine défaite, il s'empressa de lui verser un verre
d'eau.
Elle le vida d'un trait puis secoua de nouveau la tête.
— Vous devez penser que je suis folle. C'est juste que...
vous lui ressemblez tellement..
— A votre mari ?
— Oui. C'est stupéfiant Vous... vous pourriez être jumeaux.
— Voilà pourquoi vous vouliez savoir si j'avais été adopté.
— Oui. Cela paraissait être la seule explication.
— On dit que chaque être humain a un sosie.
— Je sais, mais en vous voyant j'ai quand même subi un
énorme choc.
— Je veux bien vous croire. Depuis combien de temps
avez-vous perdu votre mari?
— Cinq ans.
Cinq ans ! Adrian fut abasourdi. Il aurait pensé que c'était
tout récent ! Cette belle inconnue semblait encore très
fragile. Elle était donc follement amoureuse de son mari...
Il serait temps qu'elle tourne la page. Elle était jeune et si
séduisante... A son grand dam, Adrian fut assailli par une
bouffée de désir qui lui coupa le souffle.
— Ray a été tué lors d u déraillement d'un train dans les
Blue Mountains, déclara-t-elle d'une voix mal assurée. Cet
accident a fait de nombreuses victimes.
Adrian hocha la tête.
— J'en ai entendu parler, comme tout le monde dans le
pays. Une véritable tragédie qui aurait pu être évitée, si je
me souviens bien.
— Oui. Le train roulait trop vite et les voies étaient mal
entretenues.
— Je suis vraiment désolé. Avez-vous des enfants ?
— Des... ? Non. Je... Il vaut mieux que je regagne ma table.
Excusez-moi de vous avoir dérangé. Merci pour le verre
d'eau.
Adrian tendit la main avant que Shami ait le temps de
battre en retraite.
— Mon nom est Adrian Palmer. Je suis le fils unique du Dr
Arthur Palmer, médecin généraliste à présent décédé, et
de Mme May Palmer, infirmière à la retraite. J'ai trente-six
ans, je suis célibataire et architecte. C'est moi qui ai
dessiné cet immeuble.
Shami regarda la main d'Adrian sans la serrer puis releva
les yeux vers lui.
— Pourquoi me dites-vous tout cela ?
— P our q ue vous n e m e considériez p lus comme un
inconnu. S i vous avez refusé mo n invitation à déjeuner,
c'est parce que vous ne me connaissiez pas, n'est-ce pas
?
3.
Shami hésita. Ce n'était pas la seule raison de son refus.
— Oh, je vois...
Adrian reposa la main sur la table.
— Excusez ma maladresse. Vous hésitez parce que je
vous rappelle trop votre mari, bien sûr.
La gorge nouée, Shami hocha la tête.
— Oui.
Ce n'était pas qu'une simple ressemblance physique...
Comment oublier le geste qu'il avait eu pour écarter la
mèche qui lui tombait sur le front, exactement le même que
celui de Ray ? Sans parler d e s a démarche, aussi souple
e t sportive que la sienne, e t d e ses yeux, d u même bleu
turquoise...
— Est-ce vraiment un obstacle insurmontable ? demanda
Adrian.
— Eh bien... je ne sais pas...
— A présent que l'effet de surprise est passé, certaines
différences doivent vous apparaître, non ?
C'était vrai , reconnut Shami . L a fa ço n d e parler, par
exemple. R a y a va i t u n accent prononcé, ta nd i s que
l'élocution p a rfa i te d 'A d ri a n Palmer suggérait qu'il
appartenait à un milieu privilégié et avait fréquenté des
établissements privés.
De plus, il possédait une assurance naturelle qui avait
toujours manqué à Ray. Son mari était un homme timide et
effacé, et c'est son besoin d'affection qui avait fait vibrer la
corde sensible en elle.
Quelle ironie q ue s o n sosie soi t architecte ! C'était le
métier q u e R a y avai t toujours r ê vé d'exercer, t o ut en
s'estimant incapable d'obtenir le diplôme. Il avait donc
préféré s'en tenir à celui de dessinateur industriel.
— Ne refusez pas mon invitation, s'il vous plaît, insista
Adrian Palmer avec un sourire très différent de celui de
Ray.
Un sourire enjôleur qui révélait des dents étincelantes, plein
d'un charme irrésistible.
Shami hésita. Tout à coup cet homme ne lui rappelait plus
du tout Ray, mais était-ce une raison pour accepter de
déjeuner avec lui ?
— D'accord, finit-elle par répondre presque malgré elle.
Adrian bondit aussitôt sur ses pieds et rapporta ses
affaires avant qu'elle ait le temps de réagir.
— Vous avez fait du shopping, apparemment ! lança-t-il
d'un ton enjoué en posant ses sacs sur une chaise à côté
d'elle.
Lorsqu'il s e rassit e n écartant ses cheveux d e s o n front,
Shami déglutit péniblement. Quelle situation déstabilisante
! Cet homme à la fois si semblable à Ray et si différent...
— Vous pourriez vous présenter, à présent, vous ne croyez
pas ? suggéra Adrian avec un sourire malicieux.
— Pardon?
— Quel est votre nom ? A moins que vous ne souhaitiez
cultiver le mystère ?
— Oh, non. Je n'ai rien de mystérieux. Je m'appelle Shami,
Shami Johnson.
— Shami... C'est un prénom original qui vous va très bien.
Ah, voici le serveur. Savez-vous ce que vous voulez
manger ou êtes-vous prête à prendre le risque de me
laisser commander pour vous ? En principe vous ne
devriez pas être déçue. Je déjeune souvent ici et je
connais bien la carte, n'est-ce pas, Roland ?
— En effet, monsieur Palmer, répliqua le serveur.
Pas de doute, Adrian Palmer était très sûr de lui, songea
Shami. Après tout, pourquoi ne pas le laisser choisir pour
elle?
— D'accord.
— Vous aimez le poisson ?
— Oui.
— Et le vin blanc ?
— Egalement
— Dans ce cas, nous prendrons les filets de brème vapeur
avec de la salade. Et en dessert, une tarte aux prunes et
aux amandes, avec de la crème, s'il vous plaît, Roland.
Mais avant tout, apportez-nous une bouteille de ce vin
blanc que j'ai bu l'autre jour. Vous savez, le sauvignon blanc
de Margaret River.
— Tout de suite, monsieur Palmer.
Il fallait reconnaître qu'il n'était pas désagréable de s'en
remettre à quelqu'un pour passer la commande, songea
Shami. Au restaurant, Ray ne savait jamais quoi choisir.
Prendre des décisions n'était pas son fort et c'était toujours
à elle qu'incombait cette responsabilité.
Cependant, elle avait changé. Curieusement, après avoir
gagné son procès contre la compagnie de chemins de fer,
elle s'était transformée, était devenue craintive, indécise.
Tant qu'elle avait été obligée de se battre pour faire
reconnaître la responsabilité de la compagnie dans la
tragédie, elle avait gardé toute son énergie, mais avait
sombré dans l'abattement dès que le verdict avait été
rendu en sa faveur.
Cette victoire lui avait laissé un goût amer, même si, pour
le principe, elle était satisfaite d'avoir gagné. Tout l'argent
d u monde ne pourrait jamais compenser la perte de son
mari et de son bébé...
Malgré tout, comme le disait Janice, la vie continuait.
Aujourd'hui, sa sœur serait fière d'elle, songea Shami avec
satisfaction. Elle la féliciterait de ne pas avoir pris ses
jambes à son cou.
Toutefois, elle se montrerait sans doute un peu sceptique
et la soupçonnerait de n'avoir accepté de déjeuner avec
cet homme que pour pouvoir rêver que Ray était toujours
vivant, que rien n'avait changé.
C e n'était pourtant p a s l e cas. Certes, l a ressemblance
entre l e s deux hommes était saisissante, mai s elle se
limitait au physique. De toute évidence, ils n'avaient pas du
tout le même caractère.
— C'est vraiment vous qui avez dessiné cet immeuble ?
demanda-t-elle après le départ du serveur.
— Absolument. Il vous plaît ?
— Pour être très honnête, je n'y ai pas prêté grande
attention. En passant devant le café, j'ai senti une odeur
appétissante. Je me suis rendu compte que j'avais faim et
je suis entrée.
— Après le déjeuner, je vous ferai visiter la tour. J'habite au
dernier étage.
Shami tressaillit Eh bien, il ne perdait pas de temps !
— Non merci, monsieur Palmer, répliqua-t-elle sèchement
— Adrian, rectifia-t-il avec un de ces sourires enjôleurs
dont il semblait avoir le secret Shami se mordit la lèvre. Il
lui fallait reconnaître qu'elle était flattée par l'intérêt qu'il lui
portait et qu'elle le trouvait très séduisant... Comment
pourrait-il en être autrement? C'était d'abord son physique
qui lui avait plu chez Ray. Elle avait eu le coup de foudre
pour lui et ce n'est qu'après lui avoir parlé qu'elle s'était
rendu compte à quel point il était complexé.
A l'époque, sa timidité l'avait charmée. Aujourd'hui, elle
serait sans doute plus attirée par un homme moins inhibé.
Cependant, e lle n'était p a s encore prête à nouer une
nouvelle relation amoureuse, surtout pas avec le sosie de
Ray et encore moins avec un homme à femmes.
Adrian Palmer était de toute évidence un séducteur
invétéré.
— Non merci, répéta-t-elle d'un ton ferme. J'ai accepté de
déjeuner avec vous, rien de plus. Ne vous faites surtout pas
d'illusions.
Le soupir théâtral d'Adrian n'était pas celui d'un homme
résigné, songea-t-elle, amusée malgré elle. Nul doute qu'il
ne s'avouerait pas vaincu...
Le serveur revint avec une bouteille de sauvignon.
Prudence, se dit Shami en regardant Adrian goûter le vin
puis signifier son approbation d'un bref hochement de tête.
Il fallait qu'elle reste raisonnable.
Un an plus tôt, elle avait pris l'habitude de boire un verre
tous les soirs, puis deux verres... Dieu merci, elle avait
réagi à temps et, à présent, elle veillait à limiter sa
consommation d'alcool. Au lieu de noyer son chagrin, ce
dernier ravivait ses souvenirs et lui rendait encore plus
insupportable la double perte qui l'avait frappée.
D'abord son mari, ensuite leur bébé...
— A quoi pensez-vous ?
Arrachée à ses pensées, Shami leva les yeux vers Adrian.
Pas de doute, il ressemblait vraiment beaucoup à Ray...
Teint pis pour ses bonnes résolutions, aujourd'hui, elle avait
besoin de boire.
Shami était plongée dans ses souvenirs, constata Adrian
en la regardant boire une longue gorgée de vin. Comment
l'en détourner ?
— Je pensais à l'indemnité que m'a versée la société
ferroviaire, répondit-elle d'un ton crispé.
— J'espère que son montant était honnête. Elle eut un petit
rire amer.
— Pas au départ, non ! Il était même dérisoire. Alors j'ai
décidé d'intenter un procès.
— Vous avez eu raison.
— Oui, d'autant plus que j'ai eu beaucoup de chance. Mon
avocate m'a brillamment défendue. Elle était tellement
révoltée par ma situation qu'elle a refusé que je lui verse
des honoraires.
— C'est une démarche très rare.
— Oui. Jordan a été vraiment fantastique avec moi.
— Jordan ? Serait-ce Jordan Gray du cabinet Stedley &
Parkinsons ?
Shami écarquilla les yeux.
— Oui. Vous la connaissez?
— Elle est mariée à Gino Bortelli, l'homme d'affaires italien
qui m'a chargé de la conception de cet immeuble, qui
s'appelle d'ailleurs la tour Bortelli.
— Ça alors ! Jordan était célibataire lorsqu'elle m'a
défendue. Quand s'est-elle mariée ?
— I l y a un an environ. Apparemment, Jordan et Gino
s'étaient rencontrés il y a plusieurs années et se sont
retrouvés par hasard lors d'un séjour de Gino à Sydney.
Juste à temps d'ailleurs, parce que Jordan était sur le point
de se fiancer à une autre. Bref, ils sont rentrés récemment
d'une longue lune de miel en Italie. Mais ils ne vivent pas à
Sydney, ils se sont installés à Melbourne.
— Dommage. J'aurais beaucoup aimé revoir Jordan.
— Je peux vous donner son numéro de téléphone si vous
voulez.
— Merci, mais je ne voudrais pas l'importuner. Je n'étais
qu'une cliente, pas une amie. Cela ne m'empêche pas
d'être ravie pour elle.
— Gino et elle ont déjà un bébé, un garçon qu'ils ont
appelé Joe.
Shami déglutit péniblement.
— Vraiment? Je... Je suis très heureuse pour elle.
— Combien a-t-elle réussi à obtenir de la société
ferroviaire? Non, excusez-moi. C'est une question
déplacée...
— Trois millions.
Adrian émit un petit sifflement appréciateur.
— Belle somme. Vous vivez toujours dans les Blue
Mountains ?
— Oui. A Katoomba.
— Alors vous êtes juste venue passer la journée ici pour
faire du shopping ?
— En quelque sorte. Ma sœur m'a offert un week-end dans
un hôtel de Sydney pour mon anniversaire.
— C'est votre anniversaire, aujourd'hui ?
Quel prétexte rêvé pour l'inviter à sortir ce soir! se réjouit
Adrian.
— Non. C'était il y a quelques semaines.
— Et vous avez eu quel âge ?
— Cela est une question déplacée, protesta-t-elle d'un ton
faussement indigné. On ne demande jamais son âge à une
femme, voyons.
Adrian eut un sourire malicieux.
— Je croyais que cela ne s'appliquait qu'aux femmes ayant
atteint la quarantaine.
— Pas du tout.
— Vous avez raison. Peut-être accepterez-vous de me dire
ce que vous faites dans la vie, à moins que vous ayez
arrêté de travailler?
— Je suis assistante chez un vétérinaire. A temps partiel
seulement, pour l'instant Pour quelle raison ? se demanda-
t-il. Parce qu'elle n'avait pas vraiment besoin d'argent ou
parce qu'elle n'avait pas encore surmonté la perte de son
mari ?
Lorsqu'elle avait évoqué l'indemnité qu'elle avait touchée,
quelque chose dans son regard lui avait suggéré que le
procès avait été une épreuve douloureuse. Ce n'était pas
étonnant.. Il savait à quel point avoir affaire à la justice
pouvait être stressant.
Lui-même avait été obligé de poursuivre un client et cela
n'avait pas été une partie de plaisir. Mieux valait ne pas
imaginer ce que l'on ressentait lors d'un procès lié à la
disparition d'un être cher.
La tristesse qui assombrissait par moments les traits de ce
beau visage était déchirante... Décidément, cette femme
avait un curieux effet sur lui.
C'était la première fois de sa vie qu'il éprouvait un tel élan
pour quelqu'un. Il ressentait un besoin irrésistible de la
réconforter, de la faire sourire, de lui apporter du plaisir.
Du plaisir, tu aimerais surtout en prendre, ironisa une petite
voix intérieure. Tu as envie de coucher avec elle, voilà le
fond du problème. C'est toujours cela le fond du problème
avec toi.
Il plissa le front. D'ordinaire, c'était vrai, mais pas cette fois.
Certes, il était très attiré par Shami ; cependant, elle ne lui
inspirait pas que du désir. Il avait envie de passer du
temps avec elle, d'apprendre à la connaître.
— Je voulais être vétérinaire, mais mes résultats scolaires
ne me l'ont pas permis, poursuivit-elle. Je n'ai jamais été
douée pour les études. Je préfère plutôt des manuels à
l'esprit pratique.
— Peu importe le métier que l'on exerce du moment qu'on
l'aime.
— En effet. De votre côté, vous aimez beaucoup le vôtre,
apparemment
Il sourit
— Cela se voit?
— Vous donnez l'impression d'être un homme heureux.
— J'aime mon travail. Trop, au goût de certains. Même sa
propre mère le trouvait obsessionnel ! Mais qu'y faire ?
C'était sa nature. Il n'avait rien d'un dilettante, lorsque
quelque chose l'intéressait, il s'y consacrait corps et âme.
Or la femme qui était assise en face de lui l'intéressait
comme jamais aucune autre avant elle.
Cela l'intrigua. Pourquoi était-il attiré à c e point? Certes,
e lle étai t trè s belle, ma i s l e s femmes séduisantes ne
manquaient pas dans son entourage. Non, il y avait autre
chose...
S h a m i é t a i t différente. Sophistiquées, b a r d é e s de
diplômes, l e s femmes q u' i l fréquentait d'ordinaire se
préoccupaient surtout de leur carrière.
Avant Felicity, architecte d'intérieur très appréciée à
Sydney, il y avait eu une ou deux architectes, une avocate
d'affaires, une informaticienne, une directrice de
marketing...
Jamais une assistante vétérinaire qui vivait dans les Blues
Mountains et rougissait lorsqu'un homme la surprenait en
train de le regarder.
— Pourquoi me fixez-vous ainsi ? demanda-t-elle avec un
embarras manifeste.
— Pour rattraper mon retard, répliqua-t-il, les yeux pétillant
de malice. Tout à l'heure, vous ne vous êtes pas privée de
me regarder avec insistance.
A sa grande joie, Shami s'empourpra.
— Oui, mais vous savez pourquoi.
— Prétendez-vous que je vous plais uniquement parce que
je vous rappelle votre mari?
Elle tressaillit
— Qu'est-ce qui vous dit que vous me plaisez?
— Vos yeux. Comme les miens vous disent que c'est
réciproque.
Shami s'empourpra de plus belle.
— S'il vous plaît, Adrian, ne flirtez pas avec moi.
— Pourquoi pas ?
— Parce que... je ne pourrai pas le supporter.
— Ne me dites pas que je suis le premier homme à
m'intéresser à vous depuis la mort de votre mari.
— Il n'y a eu personne depuis Ray, si c'est le sens de votre
question. Je ne sors jamais, encore moins avec des
hommes.
Adrian fut abasourdi. Cinq ans de solitude ? Cinq ans de
chasteté ? C'était inhumain !
— Comment pouvez-vous mener une vie aussi triste,
Shami?
— La vie est triste.
Elle but une longue gorgée de vin.
— Ce soir, vous sortez avec moi, décréta-t-il d'un ton
ferme.
Elle le regarda d'un air effaré.
— Ce soir?
Il réprima un sourire. Elle n'avait pas protesté avec
indignation. C'était déjà ça...
— Oui, ce soir, confirma-t-il au moment où le serveur
arrivait avec leur commande.
4.
— Du café ou du thé ? demanda Adrian lorsqu'ils eurent
terminé le dessert.
— Un cappuccino, s'il vous plaît
— Et pour moi, un espresso, déclara-t-il à Roland qui
venait d'apparaître.
Le serveur s'éclipsa aussitôt
Pas étonnant qu'Adrian vienne souvent ici, songea Shami.
Le service était irréprochable et la nourriture excellente.
— Où aimeriez-vous que je vous emmène ce soir?
demanda-t-il d'un ton désinvolte.
Elle déglutit péniblement II fallait s'y attendre... Pendant le
repas, il avait très habilement orienté la conversation sur
des sujets impersonnels comme la nourriture, la politique
ou le temps, mais c'était pour mieux revenir à la charge au
dessert.
Il la fixait de nouveau et, si ce regard ne manquait pas de la
perturber, elle devait cependant avouer qu'elle se sentait
flattée.
C'est vrai : il lui plaisait et cela ne tenait pas qu'à sa
ressemblance avec Ray. I l é t a i t doté d'un charme
irrésistible et avait le don de lui faire croire qu'elle était la
femme la plus fascinante au monde.
Elle avait envie de sortir avec lui ce soir, mais cette
perspective l'effrayait un peu. S'il tentait de la séduire ? Elle
n'était pas certaine de réussir à lui résister...
Depuis cinq ans, elle menait une vie monacale, comme si
elle était devenue asexuée. D'ailleurs, depuis qu'elle avait
perdu son bébé elle souffrait d'aménorrhée due, selon les
médecins, au traumatisme qu'elle avait subi. Tout finirait
par rentrer dans l'ordre, assuraient-ils. De toute façon, le
sexe ne faisait plus partie de ses préoccupations.
Tout au moins, jusqu'à aujourd'hui...
Etait-ce à cause du sauvignon ou de la ressemblance entre
Adrian et Ray ?
Elle avait été attirée par Ray dès le premier regard, mais il
leur avait fallu plusieurs semaines avant de faire l'amour,
c'est d'ailleurs elle qui en avait pris l'initiative. Dans ce
domaine aussi, Ray était d'une timidité maladive.
Ce n'était visiblement pas le cas de l'homme assis en face
d'elle.
Si seulement il ne ressemblait pas autant à Ray...
— Nous pourrions dîner tôt puis aller au spectacle,
suggéra-t-il. Ou aller d'abord au spectacle et dîner ensuite,
si vous préférez. Avez-vous vu Le Fantôme de l’Opéra ?
Pas le film, la comédie musicale. On dit que la mise en
scène actuelle est la plus réussie de toutes.
C'était très tentant, songea Shami. Cette histoire l'avait
toujours fascinée, elle était s i romantique... E t l a musique
d'Andrew L lo yd Webber illustrait remarquablement les
passions qui consumaient le héros.
— Non, je n'ai pas vu cette version, reconnut-elle. Mais...
— Pas de mais, Shami. Votre sœur vous a offert ce séjour
à Sydney pour que vous vous distrayiez, non ? Rester seule
dans une chambre d'hôtel n'a rien d'amusant, surtout un
samedi soir ! Si sortir avec quelqu'un que vous connaissez
à peine vous inquiète, il y a un moyen très simple de régler
le problème. Je vais appeler Jordan. Elle se portera
garante de mon honorabilité.
Joignant le geste à la parole, Adrian sortit son portable de
sa poche.
— Non, c'est inutile. Je vous fais confiance. Je suppose
que vous avez raison et que rester seule dans ma chambre
n'aurait rien d'amusant
— Alors vous acceptez?
— Oui. Vous m'avez convaincue.
— Fantastique.
Le cœur de Shami se mit à battre la chamade. Cet homme
avait décidément un sourire redoutable...
— Alors, vous avez envie de voir Le Fantôme ? Ou
préférez-vous un autre spectacle ? Une pièce de théâtre,
peut-être ?
— Non, j'aime beaucoup les comédies musicales et Le
Fantôme de l'Opéra, en particulier.
— Parfait Voulez-vous dîner avant ou après ?
— Plutôt après.
Une lueur de satisfaction s'alluma dans les yeux turquoise
d'Adrian.
— D'accord. Dès que nous aurons bu notre café, nous
irons en face pour que vous puissiez contempler cette tour
dont je suis si fier. Ensuite, je vous ferai visiter l'intérieur.
— Très rapidement, alors. Il faut que je continue à faire du
shopping. J'ai besoin d'une tenue pour ce soir. Ce matin, je
n'ai acheté que des vêtements de sport
— Je peux vous accompagner si vous le souhaitez.
— Vous n'avez aucune obligation, cet après-midi ?
demanda-t-elle avec surprise.
— Non. J'ai terminé mon dernier projet tard hier soir et je
m'accorde toujours une pause avant d'enchaîner sur le
suivant.
— Pendant combien de temps ?
— Au moins vingt-quatre heures ! répondit-il en riant J'ai du
mal à rester plus longtemps sans travailler. Alors qu'en
dites-vous ? Il paraît que j'ai un goût très sûr en matière de
vêtements féminins.
— Je déteste faire du shopping avec quelqu'un, répliqua
Shami avec sincérité. Je préfère me fier à mon propre goût
— Comment vous en blâmer ? commenta-t-il en
l'enveloppant d'un regard appréciateur. De toute évidence,
il est infaillible.
Shami ne put s'empêcher de rire.
— Vous êtes un incorrigible charmeur !
— Vous laisser charmer ne peut pas vous faire de mal. Ah,
voici nos cafés.
— Tant mieux. Je crois que j'ai un peu trop bu. Lorsqu'elle
se leva après qu'ils eurent bu leur café et qu'Adrian eut
réglé l'addition, Shami vacilla sur ses jambes. Mon Dieu !
En fait, elle avait beaucoup trop bu !
5.
— C'est vraiment très impressionnant !
Sur le trottoir, en compagnie d'Adrian qui portait ses sacs,
Shami protégeait ses yeux du soleil pour mieux admirer la
tour Bortelli.
— Je n'ai jamais vu un immeuble aussi beau, ajouta-t-elle
avec une admiration sincère. J'aime beaucoup la teinte du
verre que vous avez utilisé.
— Gris fumé. C'est un matériau spécial qui protège contre
les rayons ultraviolets et isole de la chaleur et du froid.
— Vraiment ? En tout cas, esthétiquement l'effet est très
réussi. Et j'aime beaucoup la forme hexagonale du
bâtiment C'est très original.
— Oui, cette tour me plaît bien. Shami se tourna vers
Adrian en riant
— Je m'en doute puisque c'est vous qui l'avez dessinée !
Combien d'étages compte-t-elle ?
— Vingt-cinq. Les dix premiers sont occupés par des
bureaux, le onzième par un club de sport et une piscine
chauffée. Plus haut, il n'y a que des appartements privés,
tous pourvus de terrasses permettant de profiter de la vue.
— Ils doivent valoir une fortune.
— En effet, mais Gino les a quand même tous vendus sur
plan.
— C'est incroyable ! A quel étage habitez-vous?
— Au dernier.
Elle écarquilla les yeux.
— Sur le toit?
— C'était une des clauses du contrat que j'ai signé avec
Gino.
— Un penthouse en plein cœur de Sydney doit valoir une
fortune ! Je n'imaginais pas que les architectes étaient
aussi bien payés.
— Quelques-uns d'entre nous, d u moins. Venez, allons là-
haut, par une belle journée d'hiver comme celle-ci, l a vue
est incomparable.
— Il y en a pour longtemps? N'oubliez pas que je dois faire
du shopping.
— Ne vous inquiétez pas, dans un quart d'heure vous serez
redescendue.
Devant l'air indécis de Shami, Adrian ajouta :
— Je vous promets de me conduire de manière
irréprochable. Parole de gentleman : je veux juste vous
faire admirer la vue.
Il réprima une moue de dérision. Ce n'était pas tout à fait
vrai, il fallait bien le reconnaître. Il ne cherchait en fait qu'un
prétexte pour passer encore un peu de temps avec elle. La
compagnie de cette femme l'enchantait.
Dommage qu'elle ait refusé qu'il l'accompagne dans les
boutiques. Il aurait tellement aimé l'aider à choisir une
tenue pour ce soir...
Une petite robe noire sexy, peut-être, avec de longues
manches moulantes, une jupe courte et un décolleté
profond... Très profond. Le genre de décolleté qui exigeait
une poitrine digne d'être mise en valeur, comme la sienne,
de toute évidence...
Allons, calme-toi ! se morigéna-t-il en sentant sa virilité
s'éveiller.
Il prit Shami par le coude pour l'entraîner vers le passage
piétons et nota avec satisfaction qu'elle le suivait
docilement, sans tenter de dégager son bras.
En se dirigeant vers l'entrée principale de la tour, ils
passèrent devant deux boutiques de mode très chic.
Dans l a vitrine d e l a seconde, u n mannequin arborait la
tenue idéale pour une soirée a u théâtre. Une jupe noire
tombant e n plis souples à mi-mollet, accompagnée d'un
corsage pourpre brodé de perles, avec des manches trois
quarts et un décolleté croisé assez profond et très sexy.
Des escarpins à talons aiguilles d'au moins douze
centimètres chaussaient les pieds du mannequin.
Shami s'arrêta devant la vitrine, les yeux brillants.
— Cette tenue vous irait bien, approuva aussitôt Adrian.
Non, elle lui irait à ravir. Il l'imaginait déjà vêtue ainsi et
c'était une vision sublime... Mais mieux valait éviter de le
préciser et de sembler en faire trop.
— Vous croyez ? demanda-t-elle d'un air indécis.
— J'en suis certain. Entrons. Vous allez l'essayer.
6.
Shami se regarda dans le miroir de la cabine d'essayage
et un sourire ravi erra sur ses lèvres. Adrian avait raison.
Cette tenue lui allait bien.
Divinement bien.
Elle pivota sur elle-même à plusieurs reprises pour faire
tournoyer la jupe en mousseline de soie.
Pas de doute : vêtue ainsi, elle se sentait incroyablement
sexy, pour la première fois depuis des siècles.
Etait-ce à cause du vin qu'elle avait bu au déjeuner ou
parce qu'elle avait enlevé son soutien-gorge, comme le lui
avait conseillé la vendeuse ?
Ce n'était pas dans ses habitudes, même si sa poitrine
tenait fort bien toute seule. Ray appréciait sa façon très
sage de s'habiller et elle n'avait jamais eu tendance à
mettre sa poitrine en valeur.
Que penserait-il s'il la voyait avec ce décolleté?
Il serait choqué, bien sûr.
A vrai dire, elle était très choquée elle-même. Pas par ces
vêtements, qui lui plaisaient décidément beaucoup, mais
par l'excitation intense qu'elle ressentait.
Des coups frappés à la porte de la cabine la firent
tressaillir.
— Oui?
— Votre mari voudrait voir comment vous va cette tenue,
déclara la vendeuse.
Son mari ? Mon Dieu ! Il fallait absolument la détromper,
songea Shami avec embarras. Mais elle garda le silence.
Prenant une profonde inspiration, elle ouvrit la porte de la
cabine.
— Oh, non ! s'exclama la vendeuse en regardant ses pieds
d'un air horrifié. Vous ne pouvez pas garder ces
chaussures. Cela gâche tout. C'est vraiment dommage ! Je
vais vous en chercher d'autres, plus appropriées. Quelle
est votre pointure ?
— 38.
— Dans ce cas, celles qui sont sur le mannequin devraient
vous convenir. Attendez-moi ici.
Lorsque la vendeuse revint avec les chaussures, Shami dut
s'asseoir pour les enfiler. Ces talons étaient d'une hauteur
vertigineuse et peut-être encore plus sexy que le décolleté
du corsage, avec leurs fines lanières qui se croisaient
autour des chevilles.
Jamais elle n'avait porté des chaussures aussi féminines.
En se relevant, elle vacilla et, d'une démarche hésitante,
gagna la boutique où Adrian l'attendait, nonchalamment
appuyé contre le comptoir.
Dès qu'il la vit arriver, il se redressa et l'examina
longuement, des pieds à la tête.
Au comble de la confusion, elle crut que ses genoux
allaient se dérober sous elle. Jamais aucun homme ne
l'avait regardée ainsi, pas même Ray. Les yeux turquoise
d'Adrian semblaient jeter des étincelles...
— Faites quelques pas, s'il vous plaît.
Quelle autorité dans sa voix ! Elle fut parcourue d'un long
frisson. Décidément, il avait le don de faire naître en elle
des sensations tout à fait inhabituelles. Et très agréables...
La tristesse qui l'accablait depuis des années avait fait
place à une exaltation délicieuse.
P renant p e u à p e u d e l'assurance s u r s e s talons
démesurés, S hami f u t surprise d e sentir s e s hanches
adopter d'instinct un balancement sensuel.
Quelle expérience extraordinaire ! Elle se sentait
métamorphosée. En quelques minutes, elle était devenue
une « femme fatale ».
Une créature de rêve qui attirait irrésistiblement tous les
regards masculins...
Cependant, un seul lui importait : celui qui était fixé sur elle
en ce moment même. L'éclat de ses yeux bleus faisait
naître en elle un trouble merveilleux. Elle avait un peu honte
d e l a chaleur intense q ui l'envahissait, mai s n e pouvait
s'empêcher de la trouver délectable.
— J'étais sûr que vous seriez sublime dans cette tenue,
commenta Adrian d'une voix rauque.
Le cœur de Shami s'affola dans sa poitrine. Il était
manifestement sincère...
Avant qu'elle ait le temps de réagir, il ajouta à l'adresse de
la vendeuse :
— Nous la prenons.
— Les chaussures également? demanda la jeune femme.
— Absolument
— Non, il ne vaut mieux pas. Je ne les porterai sans doute
plus jamais après ce soir, intervint Shami à contrecœur tout
en admirant ses pieds.
— Bien sûr que si ! Chaque fois que vous mettrez cette
tenue somptueuse. A présent, allez vous changer pendant
que je m'occupe de la facture.
Abasourdie, elle s'exclama avec indignation :
— Je ne peux pas vous laisser m'acheter des vêtements,
voyons !
— Pourquoi donc ? J'en ai largement les moyens.
— Ce n'est pas le problème !
Avec un petit sourire attendri qui accrut son trouble, il lui
caressa le nez du bout du doigt
— Très bien, chère Shami. Payez vous-même vos
vêtements, puisque vous y tenez. Mais c'est la dernière fois
que je tolère ce genre de rébellion. Allez vous changer. A
présent que vous avez trouvé une tenue pour ce soir, vous
n'avez plus de raison de perdre l'après-midi à faire du
shopping. Nous allons pouvoir l'occuper de manière
beaucoup plus intéressante.
Cet homme était un véritable despote, songea-t-elle en
remettant son pantalon et son pull.
Mais comme c'était excitant d'être bousculée ainsi !
Quels projets avait-il pour cet après-midi ? Peu importait..
Elle avait envie de se laisser vivre sans trop se poser de
questions. Et surtout pas de se demander pourquoi elle lui
plaisait, par exemple.
Un homme tel que lui ne devait pas manquer de femmes
beaucoup plus séduisantes qu'elle et prêtes à se jeter à
son cou !
A cette pensée, Shami eut un pincement au cœur. Il était
impossible qu'Adrian soit libre. Il avait sûrement une petite
amie...
Devait-elle lui poser la question au risque de compromettre
l'après-midi et la soirée ou éviter soigneusement le sujet ?
Lorsqu'elle sortit de la cabine d'essayage, elle n'avait pas
encore résolu ce dilemme.
*
Tout se passait du mieux possible, se félicita Adrian en
attendant Shami avec une impatience difficilement
contrôlable. Mais son optimisme s'évanouit lorsqu'il la vit
revenir le front soucieux.
Quelles que soient les pensées qui la troublaient, ce n'était
pas bon signe...
Mieux valait faire comme si de rien n'était, décida-t-il
pendant qu'elle réglait ses achats. Il ne fallait jamais
chercher à savoir ce qui se passait dans l'esprit d'une
femme. L'expérience lui avait appris que c'était un exercice
des plus périlleux...
— Laissez-moi porter quelque chose, dit-elle lorsqu'ils
sortirent de la boutique.
— Si vous insistez...
— J'insiste.
Ils marchèrent en silence jusqu'à l'entrée principale de la
tour Bortelli.
Juste avant que les portes automatiques ne s'ouvrent
devant eux, Shami s'immobilisa sur le trottoir, la mine de
plus en plus inquiète.
Adrian se tourna vers elle.
— Quelque chose ne va pas ?
— Je... J'ai une question à vous poser.
— Je vous écoute.
— Y a-t-il quelqu'un dans votre vie qui pourrait ne pas
apprécier que nous sortions ensemble ce soir ?
— Une petite amie, vous voulez dire ?
— Oui.
Bon sang, il ne devait pas être facile de lui mentir, songea
Adrian, tandis que Shami plongeait son regard dans le
sien.
Heureusement, il n'avait aucune raison de le faire. Sans le
savoir, Felicity lui avait rendu un fier service en rompant
hier soir...
— Non, personne.
Cette réponse ne parut pas rassurer Shami.
— Excusez-moi, mais je trouve cela difficile à croire. Je
veux dire, un homme tel que vous...
Il ne put s'empêcher de sourire. Même si ce n'était pas
volontaire, ce commentaire était plutôt flatteur !
— C'est assez récent, mais je vous assure que je suis
libre.
Elle se détendit, visiblement
— S'il y avait quelqu'un dans ma vie, que feriez-vous ? ne
put-il s'empêcher de demander.
Elle se mordit la lèvre, les joues en feu. De toute évidence,
ils étaient au diapason, songea-t-il avec satisfaction.
Pour sa part, même s'il y avait eu un homme dans la vie de
Shami, il aurait été incapable de renoncer à sortir avec
elle.
— Inutile de répondre, s'empressa-t-il d'ajouter, c'était une
question stupide. Venez. Je veux vous montrer la vue avant
que le jour ne commence à décliner.
7.
Dans l'ascenseur, Shami s'efforça en vain de réprimer son
excitation. Une sorte de démon s'était emparé d'elle
depuis l'instant où elle avait paradé devant Adrian dans
cette nouvelle tenue s i sexy... L e démon s'était assoupi
lorsqu'elle s'était changée, puis s'était réveillé de nouveau
lorsque Adrian lui avait affirmé être libre.
Ce démon se nommait désir. Elle avait une envie folle
d'être embrassée, caressée, aimée...
C'était la première fois depuis la mort de Ray qu'un homme
éveillait de telles sensations en elle. Certes, c'était aussi la
première fois qu'elle rencontrait un homme qui ressemblait
trait pour trait à Ray et cela n'était peut-être pas étranger à
son trouble.
Cependant, elle n'en était pas réellement persuadée.
Même avec Ray, jamais elle n'avait été consumée par un
feu aussi vif.
Quand Adrian lui avait demandé ce qu'elle ferait s'il y avait
quelqu'un dans sa vie, une évidence s'était imposée à elle :
rien n'aurait pu l'empêcher de le suivre.
Mon Dieu, que lui arrivait-il ? Il lui avait promis de se
comporter de manière irréprochable et, au lieu de s'en
réjouir, elle mourait d'envie qu'il ne tienne pas sa
promesse...
L'ascenseur s'arrêta au vingt-cinquième étage avec un
chuintement imperceptible. Il était monté à une vitesse
vertigineuse... Reprenant son souffle, elle suivit Adrian
dans un hall au sol de marbre et au plafond en dôme. Face
à elle, une double porte vitrée ouvrait sur un immense
salon.
— Vous pouvez mettre vos paquets ici, suggéra Adrian en
posant ceux qu'il portait sous une console au plateau de
verre.
— Où puis-je me rafraîchir ? demanda-t-elle après avoir
suivi son conseil.
Il fallait absolument qu'elle s'isole quelques instants. C'était
vital...
Il lui indiqua une porte sur la gauche.
— Allez dans la salle de bains des invités. Je vous attends
dans le salon.
Après s'être lavé les mains, Shami se recoiffa et se remit
du rouge à lèvres, s'efforçant de recouvrer son sang-froid.
— J'ai exactement la même tête que ce matin quand je
suis sortie du salon de coiffure. Pourtant, je ne suis plus la
même, dit-elle à son reflet.
Sa rencontre avec Adrian l'avait changée, peut-être plus
encore qu'elle n'en avait conscience.
En tout cas, elle était sûre d'une chose : elle désirait Adrian
comme jamais elle n'avait désiré Ray.
Cette pensée déclencha en elle un vif sentiment de
culpabilité. Comment était-ce possible ? Elle avait pourtant
été très heureuse avec Ray, à tous points de vue. C'était un
amant très attentionné et plein de tendresse et elle l'aimait
de tout son cœur.
Elle n'aimait pas Adrian, bien entendu, puisqu'elle le
connaissait à peine.
Jusqu'à présent il avait sans doute pris soin de se
présenter sous son meilleur jour. Il fallait reconnaître qu'il
avait été charmant, à la fois plein d'assurance et très
attentionné. Oui, sa compagnie était très agréable.
Mais cela suffisait-il à expliquer le désir irrépressible qu'il
lui inspirait?
Devant le reflet de ses yeux étincelants et de ses joues
rouges, Shami réprima un frisson.
— Que m'arrive-t-il ? murmura-t-elle, la gorge sèche.
Dans le salon, Adrian attendait avec impatience que la
porte de la salle de bains s'ouvre. Il enleva sa veste et la
posa sur un fauteuil, puis se mit à arpenter la pièce à
grands pas. Que fabriquait donc Shami, bon sang ?
Lorsqu'elle finit par le rejoindre, leurs regards se croisèrent
et il se maudit Mais qu'est-ce qui lui avait pris d e lui faire
cette promesse absurde ?
Pourquoi avait-il choisi ce jour précis pour jouer les
gentlemen ? Jamais il ne s'y risquait d'ordinaire, surtout
quand il voyait briller ce genre de lueur dans les yeux d'une
femme.
Son attirance pour Shami était partagée. Il n'avait aucun
doute là-dessus. Ils n'avaient aucune raison de ne pas
succomber à l'élan irrésistible qui les poussait l'un vers
l'autre. Ils étaient tous les deux adultes et libres de faire ce
qu'ils voulaient A cette pensée, il serra les dents. Quel idiot
! Mais quel idiot ! Comment rompre sa promesse sans
perdre toute crédibilité ?
Elle s'avança vers lui et le balancement de ses hanches
attisa le feu qui couvait en lui. S'efforçant d'ignorer la
révolte de sa virilité, il serra les dents.
Heureusement qu'il n'avait pas fait la même promesse pour
la soirée ! Il ne lui restait plus qu'à patienter pendant
quelques heures.
Que vienne vite le moment où il pourrait enfin la prendre
dans ses bras et l'embrasser avec fougue sans avoir le
sentiment d'être un monstre...
— Votre appartement est superbe, dit-elle en promenant
un regard admiratif autour d'elle. Avez-vous fait appel à un
professionnel pour la décoration ?
— Oui, c'était prévu dans le contrat.
C'est à cette occasion qu'il avait rencontré Felicity et, à vrai
dire, il n'était pas enchanté par son travail. Sa palette de
couleurs était un peu trop fade à son goût. Il avait été obligé
de lui donner carte blanche, déjà accaparé par un autre
projet
— C'est vraiment très réussi, insista Shami.
— Disons que ça peut aller. Venez. Sortons sur la terrasse.
« Avant que je n'oublie mes nobles résolutions et que je
vous saute dessus ! » ajouta-t-il in petto.
Il ouvrit la baie vitrée et s'effaça pour laisser sortir Shami.
Elle passa devant lui, le regardant à travers ses cils et il fut
électrisé par l'éclat de ses yeux noirs. Elle semblait, tout
comme lui, sur des charbons ardents...
Il la suivit sur la terrasse, en proie à une frustration qui
menaçait de plus en plus sa conscience.
— Vous avez même une piscine et un spa ! s'exclama-t-
elle d'un ton incrédule. Et quelle vue extraordinaire !
Il réprima u n soupir. Oui, l a vue était exceptionnelle. La
situation d e l'immeuble e t l'orientation d e l'appartement
permettaient d'admirer tous les sites emblématiques de la
ville : le Harbour Bridge, l'Opéra et le jardin botanique, tous
baignés à ce moment de la journée par la lumière douce
du soleil hivernal.
Mais, pour sa part, il se moquait éperdument de la vue.
Son regard était irrésistiblement attiré par Shami, par elle
seule.
Inutile de lutter. Son désir était trop fort. Tant pis pour sa
promesse, tant pis pour son honneur, tant pis pour tout !
Adrian se glissa derrière Shami et referma les mains sur
ses épaules. Elle tressaillit et tourna la tête vers lui, les yeux
écarquillés.
— Je suis désolé, murmura-t-il d'une voix rauque, vraiment
désolé, mais je ne peux pas faire autrement.
Shami se sentit submergée par une vague de panique. Il
allait l'embrasser... Et s'il faisait cela, elle était perdue !
Elle leva vers lui un regard suppliant qu'il ignora. Enfonçant
voluptueusement les doigts dans sa chevelure, il referma
doucement une main sur sa nuque.
Alors qu'elle ouvrait la bouche pour protester, il en profita
pour s'en emparer avec une fougue qui lui donna le vertige.
Jamais Ray ne l'avait embrassée aussi impérieusement...
Les jambes tremblantes, elle s'abandonna...
Redoublant d'ardeur, il fit glisser ses mains sur ses
hanches et la plaqua contre lui. Avec un gémissement, elle
noua les mains sur sa nuque et répondit à son baiser avec
une ardeur égale à la sienne.
Quelle sensation extraordinaire ! Pourvu qu'il continue à
l'embrasser... Elle ne voulait pas qu'il s'arrête. Jamais !
La prière silencieuse de Shami fut exaucée : Adrian la
souleva de terre sans quitter ses lèvres.
Lorsqu'il la reposa par terre dans sa chambre, elle ne
s'appartenait plus. Ce n'était plus seulement de baisers
dont elle avait faim, son corps tout entier vibrait d'un désir
brûlant. Elle avait envie de cet homme, maintenant, tout de
suite...
S'arrachant à ses lèvres, elle s'écarta de lui et, avec une
audace qu'elle ne se connaissait pas, ouvrit la boucle de
sa ceinture. C'était plus fort qu'elle, elle ne pouvait pas agir
autrement
Ils se déshabillèrent mutuellement avec des gestes fébriles,
maladroits. Le désir qui les dévorait l'un et l'autre était trop
impérieux, ils n'eurent même pas la patience de se dévêtir
totalement
D'un même élan ils se jetèrent sur le lit. Adrian entra en elle
d'un seul mouvement puissant et Shami noua les jambes
autour de sa taille, creusant l e s re i ns p o ur l'inviter à
s'enfoncer au plus profond d'elle. Comme c'était bon... Son
ardeur le rendait un peu brutal, mais ce n'était pas de la
douceur qu'elle attendait de lui. Elle voulait qu'il l'emporte
dans un tourbillon tumultueux.
Comme s'il lisait dans ses pensées, il l'entraîna dans un
affrontement sauvage au sein duquel leur passion mutuelle
ne connut plus aucun frein.
Le rythme de leur danse primitive s'acccéléra jusqu'à ce
qu'une ultime vague de plaisir les fesse sombrer au même
instant.
Shami n'avait jamais vécu une telle expérience, quasi
surnaturelle.
Les spasmes qui la parcoururent pendant de longues
minutes la laissèrent haletante. Rompue, comblée, elle
avait l'impression de flotter sur un petit nuage, dans un
univers paradisiaque.
Le mot de cinq lettres que laissa échapper Adrian résonna
dans sa tête comme un coup de tonnerre.
Brutalement ramenée sur terre, elle ouvrit les yeux.
— Désolé, marmonna-t-il d'un air piteux.
Anéantie, elle fut submergée par une honte insurmontable.
Mon Dieu ! Comment avait-elle pu se conduire de manière
aussi insensée ? A présent, il la méprisait.. Elle détourna
vivement la tête pour masquer les larmes qui noyaient ses
yeux.
— Non. Shami, ne pleure pas ! s'exclama aussitôt Adrian.
Excuse-moi. Cela m'a échappé, mais ne crois surtout pas
que je regrette ce qui s'est passé. Bien au contraire. C'est
juste que... j'ai oublié de mettre un préservatif.
Elle tressaillit. Pas un seul instant, elle n'y avait pensé elle
non plus !
— Je te promets que d'ordinaire je ne prends aucun risque,
poursuivit-il. Je ne comprends pas ce qui s'est passé. Cela
ne m'est jamais arrivé. Je suis certain de n'avoir aucune
maladie mais, de ton côté, y a-t-il un risque que tu tombes
enceinte ?
Profondément déstabilisée, Shami était incapable de
prononcer un seul mot. Elle se contenta de secouer la tête.
— Tu en es sûre ? insista Adrian avec une inquiétude
manifeste. Tu m'as dit que tu n'avais fréquenté aucun
homme depuis cinq ans. Je suppose donc que tu n'es pas
sous contraception. A moins que tu ne prennes la pilule
pour des raisons médicales?
De nouveau, elle secoua la tête.
— Tu es certaine de ne pas être dans une période à risque
?
Elle déglutit péniblement, au comble de la confusion.
— Non, je... je n'ai plus de règles depuis cinq ans.
Il écarquilla les yeux.
— Cinq ans ?
Shami sentit son cœur se serrer. Elle n'avait aucune envie
d'entrer dans les détails... Parler de la perte de son bébé
était au-dessus de ses forces.
— Je suppose que c'est lié à la mort de ton mari, ajouta
Adrian. Que disent les médecins ? Cela va s'arranger?
— En principe, oui, mais ils ne savent pas quand. Il eut une
moue de compassion.
— Tu mènes une vie trop sage, depuis trop longtemps, et
tu as besoin de bousculer tes habitudes. Tu as d'ailleurs
commencé, mais il te faut persévérer et recommencer à
mener ta vie de femme. Il sourit d'un air amusé : D'ailleurs,
j'ai très envie de t'y encourager tout de suite et, cette fois,
d'y passer tout le temps que tu mérites.
Il se redressa et lui enleva son pull avant qu'elle ait le temps
de revenir de sa surprise.
— Hum, tu as quelques progrès à faire, commenta-t-il en
regardant son soutien-gorge blanc, plus confortable que
coquin. Sais-tu qu'il existe des soutiens-gorge avec
l'ouverture devant, voire des femmes qui n'en portent pas ?
Tu veux bien l'enlever toi-même, s'il te plaît ?
E lle s e mordit la lèvre. L'instant é ta i t décisif. S i elle
s'exécutait, c e l a i mpli quai t q u' e l l e approuvai t son
raisonnement e t n e voyait aucun inconvénient à partager
son lit avec pour seul but la redécouverte de sa féminité.
Ne risquait-elle pas de le regretter par la suite ? Etait-elle
vraiment prête à assumer ce genre de relation ?
Le temps lui manqua pour prendre sa décision. D'un geste
vif, Adrian glissa les mains dans son dos e t dégrafa lui-
même son soutien-gorge.
Un long frisson la parcourut. Sans même les regarder, elle
savait que ses seins se dressaient déjà dans l'attente des
caresses d'Adrian...
— Oh oui, murmura-t-il avec un regard ébloui. A l'avenir,
plus de soutien-gorge, belle Shami.
Envahie par une chaleur intense, elle le regarda
déboutonner fébrilement sa chemise et la jeter par terre.
Son torse était recouvert de la même toison brune que
celle de Ray, mais il était plus large d'épaules et plus
musclé.
Elle promena sur lui un regard gourmand. Son corps
athlétique était vraiment superbe ! De son côté, il la
dévorait également des yeux, constata-t-elle avec
excitation et ses paupières étaient lourdes de désir...
— Mmm, j'avais envie de faire ça depuis si longtemps,
murmura-t-il d'une voix rauque en refermant les mains sur
ses seins.
Se mordant la lèvre, elle laissa échapper un gémissement,
en sentant ses mains sur sa poitrine. Comment une
caresse aussi simple pouvait-elle lui donner un plaisir aussi
inouï?
Adrian pencha la tête et se mit à lécher et mordiller tour à
tour un des bourgeons héri ssés a va nt de l'aspirer
goulûment entre ses lèvres. Parcourue par des spasmes
de plaisir, elle poussa un cri rauque.
Sans cesser les caresses de sa bouche, il glissa une main
entre ses cuisses e t effleura s a fleur humide d u bout des
doigts avant d'approfondir son exploration.
Submergée par des sensations inouïes, elle s'abandonna
à ses caresses expertes et, lorsqu'il s'interrompit, ne put
retenir un petit cri de protestation.
— J'ai décidé qu'il fallait te faire languir un peu, déclara-t-il
le plus calmement du monde. Pourquoi se presser ? Nous
avons tout l'après-midi devant nous. Viens.
Il se leva et la souleva du lit.
— Allons prendre une douche.
8.
Janice jeta un coup d'oeil à la pendule de la cuisine : 18 h
10.
En soupirant, elle foudroya du regard le téléphone qui
n'avait pas sonné de la journée.
— Je vais tuer ma sœur, grommela-t-elle en éminçant un
oignon. Quelle ingratitude !
— J'espère que ce n'est pas de moi dont tu parles, déclara
son mari d'un ton pince-sans-rire en entrant dans la pièce.
— Elle pourrait au moins téléphoner, tu ne crois pas ?
— Je suppose que tu parles de Shami ?
— A ton avis ?
— Tu t'inquiètes trop pour elle.
— Je ne peux pas m'en empêcher. Pete massa les
épaules de sa femme.
— Tu as essayé de l'appeler sur son portable ?
— Bien sûr ! Je lui ai laissé au moins dix messages.
— Et à l'hôtel?
— Ils m'ont dit qu'elle était sortie.
— C'est bon signe. Cela veut dire qu'elle est en train de
s'amuser.
— Ce serait un miracle !
— On ne sait jamais, ma chérie.
Janice soupira.
— J'espère que tu as raison.
La sonnerie du téléphone la fit tressaillir.
— C'est sans doute elle, commenta Pete.
— Je l'espère !
Janice posa son couteau et courut vers le poste de la
cuisine.
— Allô?
— Bonsoir, Janice.
— Shami, enfin ! J'étais justement en train de te maudire,
plaisanta Janice, jetant un coup d'œil soulagé à son mari
qui quitta la cuisine en souriant.
— Excuse-moi de ne pas t'avoir appelée plus tôt, mais je...
Oh, Janice ! Tu ne devineras jamais ce qui m'arrive !
— Non, en effet. Je sens que je vais avoir du mal. Si tu me
le disais ?
— Je... je viens de passer tout l'après-midi au lit avec un
homme.
Un silence profond suivit cette déclaration. Shami elle-
même restait incrédule, comment avait-elle pu se conduire
ainsi?
Elle n'avait jamais rien caché à sa sœur aînée. Janice la
connaissait assez pour savoir qu'elle n'était pas du genre à
sauter dans le lit du premier venu, surtout depuis la mort de
Ray. Avant lui, elle n'avait eu qu'un seul petit ami et était
jusqu'ici persuadée qu'elle ne pouvait avoir des relations
sexuelles avec un homme que si elle en était amoureuse.
Enfin, jusqu'à aujourd'hui...
— Eh bien dis clone c'est un scoop, finit par commenter
Janice. Je t'avais conseillé de t'amuser à Sydney, mais je
dois dire que cette nouvelle dépasse toutes mes
espérances. Qui est ce don Juan ? Et comment l'as-tu
rencontré ?
Shami fut submergée par un vif soulagement. Il n'y avait
pas la moindre trace de réprobation dans la voix de Janice
!
— C'est un ami de Jordan. Tu te souviens de mon avocate
?
— Bien sûr. Tu le connaissais déjà, alors ?
— Eh bien... non. Je ne l'avais jamais vu. Je... oh, c'est
difficile à expliquer.
— Tu peux toujours essayer.
— J'étais sur le point de déjeuner dans un café quand il est
entré.
Shami s e mordit l a lèvre. Devait-elle avouer à Janice
qu'Adrian était le sosie de Ray ou valait-il mieux passer ce
détail sous silence?
— Et ? demanda Janice.
— II... Il m'a invitée à me joindre à lui pour le déjeuner. Très
poliment, i l s'est d'abord présenté, bien sûr. I l s'appelle
Adrian Palmer, il est architecte. Nous nous sommes rendu
compte au cours de la discussion que nous connaissions
tous les deux Jordan et... il m'a proposé de lui téléphoner
pour qu'elle se porte garante de lui.
— Mmm. Bien joué. Tu as beaucoup bu au cours de ce
déjeuner ?
Shami se mordit la lèvre.
— Je ne sais pas... Quelques verres de sauvignon. Mais
ce n'est pas à cause du vin qu'il m'a plu, Janice. Il est...
spécial.
— Je veux bien te croire. Pour t'avoir séduite aussi vite, il
doit être exceptionnel. Où t'a-t-il emmenée après le
déjeuner? A ton hôtel ?
— Non. Nous sommes allés chez lui, mais pas tout de
suite, ajouta précipitamment Shami. Nous avons d'abord
fait du shopping. Il me fallait une robe pour sortir ce soir. Il
m'emmène au théâtre voir Le Fantôme de l'Opéra.
— Eh bien dis donc ! Il te fait le grand jeu ! Et après le
shopping ?
— Nous sommes montés e n haut d'un immeuble qu'il a
dessiné. L a tour Bortelli. I l habite a u dernier étage : un
appartement incroyable avec piscine sur la terrasse et une
vue panoramique sur Sydney.
— De mieux en mieux. Cet homme me paraît parfait.
— Eh bien... Il est très bien, oui.
— Alors pourquoi sembles-tu inquiète ?
— Parce que... Il y a un détail que je ne t'ai pas encore
révélé, Janice. Il ressemble tellement à Ray qu'on pourrait
le prendre pour son frère jumeau.
Janice gémit, dépitée. Elle commençait presque à croire
que Shami avait enfin tourné la page !
Elle aurait dû se douter que c'était trop beau pour être
vrai...
— S'il te plaît, ne me dis pas que tu as couché avec cet
homme uniquement parce qu'il te rappelait Ray.
— Non ! Pas d u tout ! Physiquement i l ressemble à Ray,
c'est vrai, mais leur personnalité diverge totalement. Pour
être très franche... C'est un peu gênant à avouer, mais je
n'ai jamais éprouvé un tel plaisir avec Ray. D'ailleurs, je
suis encore sous le choc, j'en rougis encore...
Janice ne put s'empêcher de sourire. Pauvre Shami... Ray
était adorable, mais d'une timidité maladive.
De toute évidence, Adrian n'avait pas le même problème.
— Où es-tu en ce moment?
— Dans m a chambre d'hôtel. J'ai prétexté avoir besoin
d'au moins deux heures pour m e préparer pour c e soir
mais, en réalité, j'avais besoin de temps pour réfléchir et te
téléphoner.
— Je suis heureuse que tu m'aies appelée. Je
commençais à me demander ce que tu devenais.
— J'avais peur que tu sois choquée par ma conduite.
— Pas du tout, je suis juste un peu surprise.
— Pas autant que moi ! Je n'arrive pas encore à y croire.
Je n'ai jamais été dans un tel état... Qu'est-ce qui m'arrive,
Janice ?
— Tu es peut-être en train de tomber amoureuse.
— Non, ce n'est pas de l'amour. C'est... sauvage et primitif.
Je ne suis plus moi-même avec Adrian. Je deviens
quelqu'un d'autre, une véritable obsédée sexuelle.
— Voyons Shami, ne dis pas de bêtises ! Tu es une jeune
femme de trente ans tout à fait normale, qui est restée
seule beaucoup trop longtemps.
— C'est ce que dit Adrian.
— Tu lui as parlé de Ray ?
— Oui. Pour tout t'avouer, j'ai été tellement ébahie quand il
est entré dans le café que c'est moi qui l'ai abordé. Je suis
allée le voir à sa table pour lui demander s'il avait été
adopté.
— Adopté?
— La ressemblance était tellement stupéfiante que j'ai
pensé qu'il était le jumeau de Ray.
— Ah oui, c'est vrai... Ray avait été adopté. Je suppose
que ce n'est pas le cas d'Adrian.
— Non.
— Pour que tu aies pensé cela, il doit vraiment beaucoup
ressembler à Ray.
— Oui, mais il y a quand même quelques petites
différences physiques entre eux et, comme je te l'ai dit,
Adrian n'a pas du tout le même caractère que Ray. Il est
beaucoup plus...
— Sûr de lui ? Shami pouffa.
— Oui. Et même très directif !
— Surtout au lit?
— Oui...
— Eh bien, c'est un excellent remède que ton médecin
approuverait sûrement.
— Adrian dit la même chose.
— Mmm. Tu lui as beaucoup parlé de toi, apparemment
— Oui, mais je ne lui ai pas tout dit.
Janice eut une moue de compassion. Le bébé... Shami ne
parvenait pas à parler du bébé, pas sans se mettre à
sangloter.
— Tu as eu raison. Il est un peu tôt pour te livrer
entièrement.
— D'autant plus que cette histoire ne durera pas. Adrian
est très séduisant, il n'a aucune raison de rester avec une
fille telle que moi.
— J e t'interdis d e te dévaloriser, Shami. Tu e s très belle,
intelligente e t t u a s u n cœur e n o r. C'est une immense
chance pour n'importe quel homme de t'avoir comme amie.
— Tu n'es pas objective.
— Heureusement!
A la grande joie de Janice, Shami éclata de rire. Depuis
combien de temps n'avait-elle pas entendu ce son
délicieux ? Décidément, sa petite sœur était transformée.
— A mon avis, tu devrais éviter de te poser des questions.
Cette aventure me semble très positive, même si elle ne
doit pas durer. Il n'y a rien de mal à passer un week-end
torride avec un homme, à partir du moment où il est
attentionné, bien sûr. C'est le cas d'Adrian, n'est-ce pas ?
— Oh oui !
— Alors savoure chaque instant et passe une bonne
soirée. Allez, va vite te préparer et tiens-moi au courant
dès que tu le peux.
Shami raccrocha, le cœur battant
« Savoure chaque instant et passe une bonne soirée. » Sa
sœur la poussait au crime... Quoi qu'elle en dise, Adrian
l'avait bel et bien transformée en obsédée sexuelle.
Comment avait-elle pu le laisser prendre d e telles libertés
avec son corps ? Il n'y avait pas un millimètre d e s a peau
qu'il n'ait exploré de ses mains ou de ses lèvres.
La gorge sèche, elle sentit ses joues s'enflammer tandis
qu'un souvenir s'imposait à son esprit. Sous la douche, les
mains appuyées contre la paroi carrelée, Adrian derrière
elle...
Transpercée par un éclair de désir, elle poussa un
gémissement. Comment avait-elle pu se conduire de façon
aussi dévergondée ?
Elle n'avait plus aucune pudeur avec cet homme, aucune...
Mais elle trouvait cela divinement bon...
De plus, la réaction de Janice était réconfortante. De toute
évidence, elle n'était pas le moins du monde choquée.
Cependant, elle non plus n'excluait pas que cette aventure
se termine avec le week-end.
Sans doute parce que c'était ce qui allait se passer.
Cette pensée déprima Shami, elle n'avait aucune envie
que sa relation avec Adrian prenne fin, ni demain ni jamais.
Lorsqu'elle était dans ses bras, elle oubliait tout, ses
douloureux souvenirs s'effaçaient. Plus rien n'existait que le
plaisir inouï qu'il lui donnait...
Parcourue d'un long frisson, Shami jeta un coup d'œil à son
réveil.
Il lui restait une heure pour se faire aussi belle que
possible, une heure pour penser aux moments inoubliables
que son amant lui ferait passer ce soir.
L'heure la plus longue de sa vie...
9.
En se rendant à l'hôtel de Shami, situé à quelques mètres
de chez lui, Adrian se surprit à siffloter dans la rue.
Depuis combien de temps n'avait-il pas eu le cœur aussi
léger ?
Comblé par sa carrière, il se croyait jusqu'ici heureux.
Aujourd'hui, il s'était heurté à l'évidence : il avait sacrifié sa
vie privée pour devenir l'un des architectes les plus en vue
de Sydney.
Depuis des années, il enchaînait les projets les uns après
les autres sans jamais prendre de vacances, ni s'impliquer
dans un autre domaine que professionnel.
Voilà pourquoi ses liaisons ne duraient jamais.
Felicity avait eu raison de le traiter de drogué du travail. Il
aimait les femmes, mais elles passaient toujours après ses
projets, en cours ou à venir.
Or, depuis qu'il avait rencontré Shami, son prochain contrat
lui était complètement sorti d e l'esprit, i l n e pensait plus
qu'à elle.
Jamais il n'avait passé des moments aussi exaltants avec
une femme. Il semblait incapable de se rassasier de sa
compagnie.
Il s'était rapidement rendu compte de son innocence et
avait eu envie de lui faire découvrir des plaisirs qu'elle ne
soupçonnait pas. Il avait été comblé par l'enthousiasme
avec lequel elle avait réagi.
Certes, il l'avait parfois sentie un peu hésitante, mais ses
réticences ne duraient jamais.
Ce n'est que privé de toute énergie qu'il s'était résigné à la
laisser partir.
Mais, dès l'instant où elle avait quitté son appartement, elle
lui avait manqué. Il n'avait plus eu qu'une envie : retrouver
sa présence chaleureuse, sa voix douce, son sourire
charmant. .. Et son corps si sensuel.
Il avait pris une douche puis s'était rasé et habillé en un
temps record, impatient de la rejoindre. Il allait d'ailleurs
arriver en avance à leur rendez-vous.
Quelle importance ? Il avait hâte de la revoir, de
l'embrasser. ..
Il ferait mieux de se calmer. Même penser à l'embrasser
n'était pas une bonne idée... Serrant les dents, Adrian
s'efforça d'ignorer l'élan de désir qui montait en lui.
Comment pourrait-il rester assis à côté d'elle au théâtre
toute la soirée ! Jamais il ne parviendrait à garder son
sang-froid...
Il prit une profonde inspiration. « Pense à autre chose,
espèce de crétin ! »
Il arriva devant l'hôtel, un immeuble de trois étages en
ciment, sans style. D'ordinaire son œil d'architecte en
aurait été offensé, mais ce soir il s'en moquait éperdument
!
Avant de franchir la porte, il prévint le portier qu'il aurait
besoin d'un taxi une demi-heure plus tard.
— Monsieur ! l'interpella sèchement la réceptionniste
tandis qu'il traversait le hall à grands pas : Vous venez voir
quelqu'un, je suppose ? J'ai besoin de savoir qui et si vous
êtes attendu.
— Shami Johnson, répondit-il sans s'arrêter. Chambre dix-
neuf. Oui, je suis attendu.
Shami était en train de se maquiller dans la salle de bains
lorsqu'elle entendit frapper à la porte de sa chambre. Son
cœur fit un bond dans sa poitrine.
Adrian était en avance !
Elle courut ouvrir la porte, frémissante d'excitation.
Le souffle coupé, elle se figea. Mon Dieu, comme il
ressemblait à Ray ! Même avertie, c'était très
déstabilisant...
Il est vrai que Ray n'avait jamais possédé un costume gris
pâle aussi élégant. D'ailleurs, s'il en avait eu un, il ne l'aurait
jamais porté avec une chemise de soie mauve et une
cravate vert vif !
Peu d'hommes pouvaient porter de telles couleurs sans
être ridicules, mais Adrian Palmer en faisait partie.
— Je ne suis pas tout à fait prête, dit-elle en retrouvant sa
voix. Tu es en avance, non ?
Sans un mot, il la prit dans ses bras et l'embrassa avec une
fougue qui lui donna le vertige.
Lorsqu'il s'arracha à ses lèvres, ils étaient à l'intérieur de la
chambre et la porte était refermée. Elle ne s'était rendu
compte de rien, songea-t-elle confusément, tout étourdie.
— Désolé, murmura-t-il d'une voix rauque. Je n'avais pas
l'intention de me conduire comme un sauvage, mais c'est
ta faute. Tu me rends fou. J'ai envie de toi. Maintenant. Tu
es d'accord ? Nous avons le temps avant de partir.
Elle faillit éclater d'un rire nerveux. S i elle était d'accord ?
Quelle question ! Elle mourait d'envie qu'il lui fasse l'amour
sur-le-champ !
— Tu dois penser que je me conduis comme un mufle,
ajouta-t-il avec une moue contrite. Je ne t'ai même pas dit
que tu étais superbe.
Il promena sur elle un regard appréciateur, puis il laissa
échapper un gémissement.
— Je n'ai pas le temps de te faire tous les compliments
que tu mérites. J'ai trop envie de toi, je ne peux pas
attendre. Tu veux bien ?
La gorge sèche et les jambes tremblantes, elle hocha la
tête.
Il l'entraîna vers la table qui se trouvait dans un coin de la
pièce et lui indiqua le dossier de la chaise placée devant
— Tiens-toi là et penche-toi légèrement en avant Elle
s'exécuta, vibrante d'excitation. Lorsqu'il souleva sa jupe et
baissa sa culotte à mi-cuisse, elle fut submergée par des
sensations si intenses qu'elle crut défaillir.
— Comme tu es belle, murmura-t-il en lui caressant les
fesses.
Laissant échapper un gémissement, elle crispa les doigts
sur le dossier de la chaise. Adrian avait tendance à parler
pendant l'amour, mêlant instructions et compliments. Sa
voix, tour à tour impérieuse et câline, la rendait folle de
désir.
— Non, dit-il lorsqu'elle voulut bouger. Reste comme tu es.
Il posa les mains sur ses hanches et s'enfonça lentement
en elle puis, très vite, accéléra le mouvement en la
maintenant immobile.
— Pas encore, ma belle Shami, murmura-t-il lorsque des
ondes de plaisir commencèrent à la parcourir. Attends un
peu...
Attendre? Impossible... Balayée par un raz-de-marée
implacable, elle poussa un cri rauque, auquel se mêla
quelques secondes plus tard celui d'Adrian.
Lorsque la tempête qui les secouait commença à
s'apaiser.
Il l'attira contre lui et glissa les mains sous son corsage
pour les refermer sur ses seins frémissants.
— Nous ne sommes pas obligés d'aller au théâtre, lui
murmura-t-il à l'oreille. Nous pouvons rester ici et dîner
dans la chambre.
Shami fut tentée, mais aperçut soudain leur reflet dans le
miroir accroché au-dessus du bureau.
— Je... Je préférerais aller au théâtre, bredouilla-t-elle,
choquée par cette vision.
— D'accord, dit-il d'une voix rauque. Mais il ne la lâcha
pas.
Elle déglutit péniblement.
— Adrian... Laisse-moi finir de me préparer, s'il te plaît
Dès qu'il s'écarta d'elle, elle se précipita dans la salle de
bains.
Dix minutes plus tard elle en ressortit, habillée et
impeccablement maquillée, mais toujours perturbée.
— Tu m'en veux ? demanda-t-il dans l'escalier.
— Pourquoi t'en voudrais-je? répliqua-t-elle d'un ton qu'elle
espérait désinvolte. J'aurais pu refuser.
Elle en aurait été bien incapable, songea-t-elle avec
désespoir. Elle perdait la raison dès qu'il la touchait !
Jamais elle n'avait été dévorée par un feu aussi
dévastateur, n'avait été la proie d'une passion aussi
incontrôlable...
Comment en était-elle arrivée là?
— Je sais ce qui te perturbe, déclara Adrian alors qu'ils
arrivaient au rez-de-chaussée.
— Qu'est-ce qui te fait croire que quelque chose me
perturbe ?
Il lui caressa la joue avec un sourire attendri.
— Allons, Shami, c'est écrit sur ton visage. Si cela peut te
rassurer, je te promets que je ne m'intéresse pas à toi
uniquement pour le sexe. Tu occupes déjà une place très
spéciale dans ma vie.
Le cœur de Shami fit un bond dans sa poitrine. Quelle
merveilleuse surprise !
C'était tellement inattendu, elle avait du mal à y croire...
— Je n'ai pas le temps de t'en dire plus pour l'instant,
ajouta-t-il en déposant un baiser sur sa joue. Si nous ne
nous dépêchons pas, nous allons être en retard.
Il lui prit la main.
— Viens, ma chérie, le fantôme nous attend.
10.
Adrian tenait à elle ! se répéta Shami pendant tout le trajet
en taxi. Elle occupait une place très spéciale dans sa vie !
Quel soulagement ! Elle n'avait plus aucune raison d'avoir
honte de la folie qui s'emparait d'elle dès qu'il la touchait.
Lorsqu'il lui avait pris la main en l'appelant « ma chérie »,
elle avait cru que son cœur allait exploser... Quel plaisir de
pouvoir se blottir sans la moindre gêne contre lui sur la
banquette du taxi ! Avec un petit soupir d'aise, elle posa la
tête contre son épaule.
Ils arrivèrent au théâtre juste à temps. Le rideau se leva
alors qu'ils venaient de s'asseoir et, dès le début, Shami fut
enthousiasmée par l'intrigue, les mélodies sublimes et les
décors somptueux.
L'entracte lui parut frustrant ! Elle aurait tellement aimé que
le spectacle se poursuive jusqu'à la fin sans interruption. ..
Lorsque les lumières s'allumèrent, elle prit soudain
conscience qu'ils étaient juste au milieu du premier rang de
la corbeille.
— Comment as-tu réussi à obtenir d'aussi bonnes places à
la dernière minute ? demanda-t-elle à Adrian.
— J'ai des relations, ma chérie, répliqua-t-il en prenant un
air délibérément suffisant Je me suis occupé de la
rénovation de cette salle, qui était à l'origine un vieux
cinéma délabre. Le propriétaire est si satisfait du résultat
qu'il met les places qui lui sont réservées à ma disposition
quand il n'en a pas besoin.
Shami promena autour d'elle un regard impressionné.
— Le décor est très beau, mais j'aime par-dessus tout les
sièges. Non seulement ce cuir noir est magnifique, mais ils
sont très confortables. On est si souvent mal assis au
théâtre...
— C'est vrai. Assister à un spectacle peut devenir un
véritable supplice. J'ai demandé à un ami designer de
concevoir les sièges puis les ai fait fabriquer dans le cuir le
plus souple qui existe.
— Ils ont dû coûter une petite fortune.
— Oui, mais ils incitent les gens à revenir et le propriétaire
est rentré rapidement dans ses frais. J'ai également prévu
u n bar suffisamment vaste et bien agencé pour éviter
l'attente et la bousculade à l'entracte. Viens, je vais te le
montrer, nous en profiterons pour boire du champagne.
Adrian avait raison, constata-t-elle quelques minutes plus
tard. Le bar était immense, les serveurs nombreux et ils
avaient été servis très rapidement.
L e décor était aussi raffiné q ue celui d e l a salle, sans
miroirs clinquants n i couleurs criardes. U n e épaisse
moquette bordeaux recouvrait le sol, les murs et les
plafonds peints en noir étaient parsemés de petits spots
encastrés. Le tout créait une atmosphère très agréable.
— Tu vois ? dit Adrian en lui tendant une coupe de
champagne. Tout de suite servis et le champagne est
excellent.
Shami eut un sourire amusé.
— Je ne verrais sans doute pas la différence avec une
boisson médiocre.
— Si, dès que tu sentirais les effets de la migraine. Il serait
dommage que tu aies la migraine c e soir, n'est-ce pas ?
dit-il en plongeant son regard dans le sien.

Assaillie par une vive chaleur, elle s'empourpra.


— J'aime quand tu rougis, murmura-t-il, déposant un baiser
sur sa joue.
— Tiens, tiens, quelle surprise ! lança une voix sarcastique,
juste derrière lui.
Adrian se figea. Felicity !
L'estomac noué, il se retourna lentement. Felicity dardait
sur lui un regard haineux.
— Je vois que tu n'as pas perdu de temps pour me
remplacer. Est-ce à cause d'elle que tu étais en retard à
notre rendez-vous, hier soir ? Tu as déjà couché avec elle...
Inutile de nier. Cela se voit.
Elle se tourna vers Shami, qui la fixait d'un air effaré.
— N'est-ce pas qu'il a déjà couché avec vous, mignonne ?
Je parie que vous ne pouvez plus vous passer de lui. C'est
normal, Adrian est un amant remarquable. Quand il a le
temps, du moins...
Adrian réprima un juron. Avec le nombre de salles de
spectacle que comptait Sydney, il avait fallu que Felicity
vienne ici ce soir, alors que la salle était complète depuis
des mois !
Au même instant, un homme séduisant d'un certain âge
rejoignit Felicity, une coupe de Champagne dans chaque
main.
— Apparemment tu n'as pas perdu de temps non plus,
commenta Adrian.
— Tu ne t'imaginais tout de même pas que je restais chez
moi à me morfondre chaque fois que tu ratais un rendez-
vous ? Kevin est un véritable gentleman, lui, mais il est vrai
que c'est un mot dont tu ignores le sens.
— Felicity, tu viens ? demanda Kevin, visiblement mal à
l'aise.
— J'arrive.
Felicity toisa Shami d'un air dédaigneux.
— J'espère que vous ne vous faites pas trop d'illusions au
sujet d'Adrian. Il a toujours eu un faible pour les brunes,
c'est plus fort que lui. Si vous vous imaginez qu'il tient à
vous, détrompez-vous : vous finirez par subir le même sort
que toutes celles qui vous ont précédée. Rendez-vous
service, trouvez-vous un homme sincère et tournez le dos à
ce monstre d'égocentrisme.
C e s e r a i t u n e excellente ré p li q ue d e vaudeville,
malheureusement i l s étaient e n plei ne réalité, songea
Adrian. Felicity pivota et s'éloigna d'une démarche altière,
suivie par son gentleman.
Il déglutit péniblement. L'air atterré avec lequel Shami le
regardait lui glaça le sang...
— Shami, ma chérie...
— Ne m'appelle pas comme cela, dit-elle d'une voix
blanche.
— Laisse-moi t'expliquer.
— Il n'y a rien à expliquer. Je ne suis pas stupide, j'ai
compris.
— Non, ce n'est pas ce que tu crois.
— Vraiment? Alors réponds à cette question : avais-tu
rendez-vous avec elle hier soir ?
— Oui, mais...
— Tu es arrivé en retard et elle n'a pas apprécié, coupa-t-
elle sèchement.
Adrian soupira.
— Oui, mais...
— Quand tu m'as assuré que personne ne pourrait être
contrarié que nous sortions ensemble ce soir, tu m'as
menti.
— Pas du tout ! Tout est terminé entre Felicity et moi. Je
n'aurais jamais pu imaginer une réaction pareille de sa part
! De toute façon, elle n'a jamais compté pour moi et...
— Vraiment ? J'ai une autre question. Est-il vrai que tu as
un penchant pour les brunes ?
Adrian réprima un soupir.
— Ecoute, nous sommes tous attirés par un certain
physique. Toi-même tu m'as remarqué parce que je
ressemblais à ton mari, non? Ne laisse pas la hargne de
Felicity tout gâcher entre nous, Shami. Je t'assure que tu
es différente des autres. J'étais sincère quand je t'ai dit
que tu occupais une place très spéciale dans ma vie.
Shami secoua la tête d'un air désabusé. Au même instant,
la sonnerie indiquant la fin de l'entracte retentit Elle lui
tendit sa coupe.
— De toute façon, cela n'aurait jamais marché entre nous. Il
vaut mieux en rester là.
— Non ! protesta-t-il avec vigueur, attirant des regards
curieux.
— Si. C'est terminé, Adrian.
— Viens au moins regarder la deuxième partie du
spectacle, plaida-t-il en désespoir de cause.
Il lui fallait à tout prix gagner du temps... Quand elle se
serait remise de cette scène odieuse, il parviendrait à lui
faire comprendre qu'il était sincère, qu'elle n'était pas une
brune parmi d'autres...
— Tu ne comprends pas, n'est-ce pas ? lança-t-elle d'un
ton amer qui lui serra le cœur. Cette femme a raison : tu es
un monstre d'égocentrisme. Que tu le veuilles ou non, c'est
fini entre nous. Je rentre à l'hôtel. Inutile de me suivre ou de
chercher à me joindre. Je suis certaine que beaucoup de
brunes t'ont déjà dit cela : je ne veux plus te voir, plus
jamais.
11.
— Calme-toi.
— Je n'y arrive pas, répondit Shami en sanglotant. J'ai
envie de le tuer !
— C'est vraiment dommage que vous ayez rencontré son
ex, commenta Janice. Sans cela, tu serais encore au
théâtre en train de passer une excellente soirée.
L'ignorance, c'est le bonheur, surtout avec des hommes
comme ton Adrian.
Shami gémit.
— Il m'a dit que j'occupais une place très spéciale dans sa
vie. Il m'appelait « ma chérie ». Je croyais qu'il tenait à
moi... Oh, Janice
! Je ne sais pas si je vais réussir à l'oublier.
— Il était vraiment à ce point fantastique?
Oui, songea Shami avec désespoir. Elle était
merveilleusement bien avec lui. Il la faisait rire, lui donnait
l'impression d'être la plus belle femme du monde et
surtout... surtout... il la rendait folle de plaisir.
Elle jeta un coup d'œil à la chaise située devant le bureau
et ses doigts se crispèrent sur le combiné.
Elle crut mourir de honte. Comment avait-elle pu se montrer
aussi docile avec lui ? Pas étonnant qu'il ait cherché à la
retenir, il avait dû prévoir une nuit torride...
— Allons, ce n'est pas la fin du monde, dit sa sœur d'un ton
apaisant. Une fois que tu auras surmonté ta frustration, tu te
rendras compte que cette rencontre a été très positive pour
toi.
— Positive?
Shami faillit suffoquer d'indignation.
— Comment peux-tu me dire cela?
— Il t'a réveillée d'un long sommeil, si tu vois ce que je veux
dire... Et puis il t'a réappris à rire, tu ne le faisais plus
depuis très longtemps.
— Il m'a également fait pleurer.
— Ce sont des larmes de rage plus que de chagrin.
— Tu crois ?
— Tu as le sentiment d'avoir été dupée. Personne ne
trouve cela agréable.
Sans doute, reconnut Shami.
En tout cas, cette histoire prouvait qu'elle était terriblement
naïve. Et stupide.
Comment avait-elle pu s'imaginer qu'il s'était attaché à elle
en si peu de temps ?
Elle poussa un profond soupir.
Demain matin à la première heure, elle reprendrait le train.
Impossible de rester ici. Adrian n'était pas homme à
renoncer facilement, il ne serait pas étonnant qu'il cherche
à la voir.
Il l'avait suivie hors du théâtre lorsqu'elle était partie et
l'avait regardée sauter dans un taxi. Lorsqu'elle lui avait
lancé un regard noir par la vitre, il le lui avait rendu,
manifestement plus frustré que vaincu.
Nul doute qu'il gardait un espoir de la faire revenir sur sa
décision une fois qu'elle se serait calmée.
Et elle n'était pas certaine d'avoir la force de lui résister...
— M'en voudrais-tu beaucoup si j'écourtais mon séjour
pour rentrer demain matin? demanda-t-elle à sa sœur.
Janice soupira.
— Non, bien sûr. Mais je ne veux pas que tu passes le
reste du week-end à te morfondre toute seule.
— Non, ne t'inquiète pas. La maison a besoin d'un grand
ménage. Cela me permettra de me défouler.
— Si tu venais plutôt passer quelques jours avec nous?
— Je ne peux pas. Il faut que je récupère Mozart II doit être
dans tous ses états.
— Pauvre petite bête. Un changement d'air lui ferait du
bien. Nous pourrions le prendre, les garçons ont toujours
voulu un chien.
— Non. Je te remercie, Janice, mais je ne préfère pas. Il
est tout ce qui me reste de Ray.
— Mmm. As-tu rendez-vous avec le Dr Flynn cette semaine
?
— Non. Je ne la vois plus que toutes les deux semaines.
Mais ne t'inquiète pas, cela ira. Je t'appellerai demain soir.
— J'espère bien !
— Je t'aime, Janice.
— Moi aussi je t'aime, petite sœur.
Shami raccrocha et s'allongea sur le lit, les yeux fixés sur le
plafond.
Vingt-quatre heures plus tôt, elle appréhendait de prendre
le train pour Sydney.
Aujourd'hui, elle appréhendait de rentrer chez elle.
Elle craignait que les photos de Ray disséminées dans
toute la maison lui rappellent Adrian.
A vrai dire, elle était partagée entre deux sentiments aussi
accablants l'un que l'autre : la culpabilité, puisqu'elle avait
trahi la mémoire de son mari, et le désespoir, à l'idée
qu'elle ne ferait plus jamais l'amour avec Adrian...
Roulant sur elle-même, elle enfouit son visage dans un
oreiller et éclata en sanglots.
12.
Le lendemain matin, Shami prit le train après avoir pleuré
toute la nuit Epuisée et abattue, elle passa le voyage
prostrée sur son siège à regarder défiler le paysage sans
le voir.
Ses paupières gonflées et les cernes qui creusaient ses
yeux lui donnaient une mine épouvantable, mais quelle
importance ? Elle se moquait éperdument de ce que les
gens pouvaient penser d'elle et, de toute façon, le wagon
était presque vide.
A mi-parcours, la pluie commença à tomber, une bruine
dense et régulière, signe de froid glacial. Shami réprima un
soupir. Même si elle allumait le chauffage dès son arrivée,
il faudrait au moins une heure avant que l'atmosphère de la
maison n'atteigne une température agréable.
Elle devrait la vendre. Les petits cottages situés à la
périphérie de Katoomba n'étaient pas très recherchés,
mais, même si la vente ne lui rapportait pas grand-chose,
elle aurait largement les moyens d'en acheter une autre,
plus proche de celle de sa sœur, à Swansea.
Non seulement elle serait moins isolée, mais le temps était
bien plus agréable sur la côte et elle pourrait profiter de la
plage.
Depuis qu'elle avait gagné son procès, Janice lui avait
suggéré à plusieurs reprises de déménager pour s'installer
près de chez elle.
Elle n'avait jamais pu s'y résoudre. L'idée de quitter la
maison qu'elle et Ray avaient aménagée ensemble lui était
insupportable.
Elle commençait à prendre conscience que son état
dépressif l'empêchait de prendre la moindre décision.
Mais aujourd'hui elle se sentait prête à changer de vie...
Oui, elle allait vendre la maison.
Revigorée par cette perspective, elle se redressa sur son
siège. Elle était maintenant pressée d'arriver et de se
mettre au travail... Le grand nettoyage qu'elle avait prévu
pour se défouler avait désormais un tout autre objectif,
beaucoup plus positif.
Avant que le train n'entre en gare, elle était déjà prête à
sauter sur le quai.
Dieu merci, sa voiture était toujours sur le parking de la
gare, constata-t-elle. Elle n'avait pas été volée, comme
cela arrivait assez souvent en semaine aux gens qui
laissaient la leur toute la journée pour aller travailler à
Sydney.
Le trajet en train était long, deux heures, mais beaucoup
plus sûr qu'en voiture, surtout l'hiver lorsque la route était
glissante.
Il ne fallut à Shami que cinq minutes pour parcourir les deux
kilomètres qui séparaient la gare de sa maison, située au
bout d'un chemin étroit à la chaussée défoncée.
En tournant dans l'allée, elle fit la grimace.
Etait-ce à cause de la pluie ? La maison ne lui avait jamais
paru aussi décrépite. On aurait pu croire qu'elle était
inhabitée depuis des années...
La gouttière fuyait, la façade avait besoin d'un sérieux
ravalement, les massifs de fleurs étaient envahis par les
mauvaises herbes et la pelouse réclamait d'être tondue de
toute urgence.
Dire que d u vivant d e Ray l a maison e t l e jardin étaient
toujours pimpants ! L a clôture blanche e t l a treille voûtée
chargée de magnifiques rosiers apportaient une touche
romantique à laquelle il tenait beaucoup.
A présent, la clôture était grise et il lui manquait plusieurs
piquets. Quant aux rosiers grimpants...
Ils étaient morts parce qu'elle avait oublié de s'en occuper.
Le cœur de Shami se serra. Ray serait navré s'il voyait la
maison dans cet état.
— Oh Ray, je suis désolée. Pour tout... Pas question de se
remettre à pleurer.
Il valait mieux agir : elle était capable de peindre, non ? Et
de tondre la pelouse. Et d'arracher les mauvaises herbes...
Mais d'abord, priorité au ménage.
Du moins toute cette activité l'empêcherait-elle de penser à
un certain séducteur égocentrique...
Les clés de la maison à la main, Shami descendit de
voiture et courut sous la pluie jusqu'à la véranda.
— Pas trop tôt, marmonna Adrian lorsqu'il arriva enfin à
Katoomba, peu après 15 heures.
Il avait rarement fait un voyage aussi pénible ! Entre le
manque de sommeil, les virages et la pluie incessante, il
avait frôlé plus d'une fois l'accident.
Heureusement, Shami était rentrée chez elle en train.
C'était le seul renseignement qu'il avait réussi à soutirer à
la réceptionniste de l'hôtel.
— Je suis désolée, monsieur, avait-elle répondu d'un air
pincé lorsqu'il lui avait demandé l'adresse de Shami. Cette
cliente a demande expressément que ses coordonnées ne
soient communiquées à personne.
Il était reparti au comble de la frustration puis s'était
soudain souvenu que Shami avait eu recours aux services
de Jordan.
Celle-ci avait fini par lui donner l'adresse et le numéro de
téléphone convoités après l'avoir soumis à un
interrogatoire en règle.
Il lui avait expliqué comment il avait rencontré Shami, mais
avait omis de préciser la nature exacte de leurs relations. Il
s'était contenté de lui dire qu'ils avaient déjeuné ensemble
et qu'ensuite Shami était partie faire du shopping sans qu'il
pense à lui demander son numéro d e téléphone. I l avait
ajouté, c e qui était l a stricte vérité, qu'il s'en mordait les
doigts parce qu'il avait très envie de la revoir.
Jordan lui avait demandé de ne pas jouer avec Shami et il
le lui avait promis.
Encore fallait-il que Shami accepte de lui adresser la
parole ! songea-t-il en traversant la ville à faible allure.
Il avait préféré ne pas la prévenir par téléphone. Elle lui
aurait sûrement raccroché au nez.
Il y avait également de grandes chances pour qu'elle lui
claque la porte au nez...
Hier soir, lorsqu'elle avait sauté dans un taxi, il avait
d'abord décidé de la retrouver à l'hôtel. Mais le regard noir
qu'elle lui avait jeté par la vitre l'en avait dissuadé. Il lui avait
paru plus sage de la laisser se calmer d'abord.
Il n'avait pas fermé l'œil de la nuit, furieux de la tournure
qu'avait prise la soirée.
Ce matin, il s'était précipité à l'hôtel à la première heure,
confiant dans ses chances de se réconcilier avec Shami et
avait éprouvé une déception insoutenable en apprenant
qu'elle était partie. Il ignorait encore comment il allait s'y
prendre, mais était prêt à tout pour la convaincre de sa
sincérité.
Sans Shami sa vie n'avait plus de sens. Aucun doute, il
était tombé éperdument amoureux de cette femme.
Après avoir quitté le centre d e Katoomba, Adrian ralentit
encore, guettant à travers l a pluie battante l a rue s ur la
gauche dans laquelle il devait tourner. Il avait fait une
recherche sur internet puis avait imprimé le plan et l'avait
étudié avant de prendre la route.
Le seul problème était que dans la réalité on n'avait pas la
même perception des distances...
Il passa au ralenti devant un motel et un garage. Aurait-il
rate cette fichue rue ?
Non!
Il tourna à gauche et roula encore un moment avant de
s'engager dans Gully Creek Road.
La première boîte aux lettres portait le numéro huit, Shami
habitait au trente-quatre.
Il finit par le trouver, tout au bout de la rue. Une petite
Sedan rutilante était garée devant la maison, qu'Adrian
considéra d'un œil critique. Elle n'était pas vilaine. Il avait
toujours aimé les cottages avec un toit en pente et une
véranda.
Cependant, s'ils n'étaient pas bien entretenus ils pouvaient
très rapidement prendre des allures de taudis...
A vrai dire, sans la fumée qui sortait de la cheminée, il
aurait cru la maison inhabitée.
Pourquoi une femme qui avait touché une indemnité de
trois millions de dollars vivait-elle dans une maison aussi
délabrée ?
Un souvenir lui revint à la mémoire. Le comportement de
sa mère après la mort de son père, quelques années
auparavant Après les funérailles, elle s'était enlisée dans le
laisser-aller le plus complet
Elle négligeait s a maison e t son jardin, ne payait plus les
factures et ne répondait plus au téléphone. Les amis qui lui
rendaient visite n'étaient pas invités à entrer. Elle passait
presque toutes ses journées assise dans un fauteuil en
robe de chambre, à regarder dans le vague.
Lorsqu'il s'était inquiété auprès de son médecin, ce dernier
lui avait expliqué qu'elle souffrait de dépression. Il lui avait
prescrit des antidépresseurs et des séances de soutien
chez un psychologue, mais elle avait refusé les uns et les
autres.
Adrian avait alors décide de la bousculer et lui avait acheté
un billet pour une croisière autour du monde, lui avait fait
lui-même ses valises et l'avait conduite au bateau.
A son grand soulagement, cette initiative avait eu l'effet
escompté. Sa mère avait rencontré à bord un charmant
gentleman, qui lui avait prouvé qu'à soixante-huit ans la vie
n'était pas terminée.
Leur idylle n'avait pas survécu à la fin d e la croisière. Cet
homme vivait en Angleterre et n'était pas prêt à tout quitter
pour s'installer en Australie.
Cependant, sa mère était rentrée transformée, de nouveau
pleine de vitalité et de projets.
C'est sans doute avec le même objectif que la sœur de
Shami lui avait offert un week-end à Sydney.
Ce cadeau semblait avoir eu lui aussi l'effet escompté,
jusqu'à ce que le hasard — et Felicity ! — s'en mêlent.
La pluie cessa brusquement C'était bon signe, songea
aussitôt Adrian, d'un naturel résolument optimiste.
Shami éprouvait les mêmes sentiments que lui, il en était
certain : dans le cas contraire, elle n'aurait pas été aussi
bouleversée par Felicity. Sa réaction indiquait qu'elle
s'était déjà attachée à lui.
Sa propre détresse confirmait ce qu'il soupçonnait déjà : il
était amoureux pour la première fois de sa vie !
Déterminé à ne pas repartir de Katoomba tant que Shami
n e serait p a s revenue à l a raison, i l descendit d e sa
Corvette jaune et verrouilla la portière. Puis il franchit le
portail et remonta l'allée envahie par les mauvaises herbes.
L'estomac noué, il monta les trois marches, saisit le
heurtoir de cuivre terni et frappa à la porte.
A genoux par terre, Shami frottait énergiquement le sol de
la cuisine. Elle poussa un soupir exaspéré. Inutile de se
demander qui pouvait bien venir la voir !
Louise, la voisine d'en face...
La plupart des gens qui habitaient dans les Blue Mountains
avaient choisi de vivre dans cette région pour la nature et le
calme. Ils étaient tous d'une discrétion exemplaire et ne se
mêlaient jeûnais de la vie des voisins, sauf Louise.
R a y avait une technique infaillible pour se débarrasser
d'elle, mais, après sa mort, Shami avait d'abord accueilli
les visites de sa voisine avec gratitude.
Elle avait très vite compris que cette sollicitude n'était en
fait que de la curiosité malsaine.
Heureusement, un jour Mozart avait eu la bonne idée
d'accueillir Louise en grognant et en montrant les crocs et
cela avait eu pour effet d'espacer ses visites. Maintenant,
elle frappait à la porte de devant au lieu d'entrer par-
derrière sans s'annoncer. Cependant, elle restait en
permanence à l'affût derrière ses rideaux.
Shami se releva et laissa tomber la brosse dans l'évier.
Louise avait dû remarquer son absence puis son retour,
signalé par la fumée sortant de la cheminée... En fait, il
était surprenant que la curiosité ne l'ait pas poussée à venir
plus tôt.
Avec un soupir résigné, Shami gagna l'entrée sans prendre
la peine d'enlever le foulard qu'elle avait enroulé autour de
sa tête. En saisissant la poignée, elle ne put s'empêcher
de sourire. La vieille bique tomberait en syncope si elle
savait ce qu'elle avait fait pendant son absence !
— Bonjour, Lou...
Le souffle coupé, elle s'étrangla. Adrian !
Terriblement sensuel en jean et blouson de cuir noir...
L'espace d'un battement d e cœur, elle fut submergée par
une joie immense, mais, très vite, l'irritation la submergea.
Comment osait-il venir frapper à sa porte et la surprendre
dans cette tenue ridicule?
— Comment as-tu trouvé mon adresse ? lança-t-elle avec
agressivité en dénouant son foulard. J'ai demandé à l'hôtel
de ne la communiquer à personne.
— C'est Jordan qui me l'a donnée.
Shami pesta intérieurement. Elle avait complètement
oublié cette relation commune !
Même si elle s'en était souvenue, elle n'aurait jamais pu
imaginer qu'Adrian viendrait la relancer jusque chez elle.
Passer à l'hôtel à quelques mètres de chez lui, c'était
facile, mais venir jusqu'à Katoomba un dimanche... En
voiture ?
Elle jeta un coup d'œil dans la rue e t vit la Corvette jaune
garée devant chez elle. Inexplicablement, elle sentit son
irritation redoubler. Etait-ce parce que ce luxueux coupé
offrait un contraste trop frappant avec le délabrement de la
maison ?
Relevant le menton, elle demanda d'un ton glacial :
— Que fais-tu ici ? Si tu cherches une brune avec qui
partager un lit, tu t'es trompé d'adresse.
Dommage, songea Adrian. Il ne l'avait jamais autant
désirée, il trouvait son agressivité très excitante...
— Je suis venu m'excuser.
Elle arqua les sourcils d'un air dédaigneux.
— Si tu t'imagines qu'il suffit de débarquer ici l'air penaud
pour que je retombe dans tes bras, tu te trompes. Je
reconnais que tu es un bon amant. C'est normal, tu t'es
beaucoup entraîné, avec un certain nombre de brunes dont
tu as dû oublier le nom. Pour ma part, je n'ai pas envie de
renouveler l'expérience : remonte dans ta belle voiture et
retourne dans ton bel appartement, tu n'es pas le bienvenu
ici.
Piqué au vif, Adrian réprima un juron. Il saisit Shami par les
poignets, la poussa dans l'entrée et la plaqua contre le mur.
— C'est ce que nous allons voir, gronda-t-il avant de
s'emparer de sa bouche.
13.
La bouche de Shami la trahit. Comme mue par une volonté
propre, elle s'abandonna au baiser impérieux d'Adrian.
Avec un gémissement étouffé, il plaqua son bassin contre
le sien. Au contact de son corps, elle sentit sa colère
s'évanouir, balayée par une vague de désir irrépressible et
laissa son corps exprimer le besoin qu'elle avait de lui.
Quelques secondes plus tard, il s'écarta brusquement
d'elle.
Au comble de la frustration, elle le regarda avec
effarement.
— Ne dis plus jamais que tu n'as pas envie de moi,
déclara-t-il sèchement Je pourrais te faire l'amour ici et
maintenant. Je ne m'en abstiens que pour te prouver que je
ne suis pas ici pour le sexe. Je tiens à toi, bon sang, et je
ne quitterai pas cette maison tant que tu ne me croiras pas
!
Sur ces mots, il claqua la porte d'entrée restée ouverte.
Abasourdie, Shami resta sans voix.
— Peu importe combien de temps cela prendra, ajouta-t-il
en dardant sur elle un regard étincelant. Pour l'instant, j'ai
besoin de me rafraîchir, ensuite, je ne refuserai pas un café
: la route a été longue.
Toujours muette de stupeur, elle ne réagit pas.
Il avança dans le couloir d'un pas décidé, à la recherche de
la salle de bains. Une porte ouverte sur la gauche révéla un
salon, puis sur la droite, une chambre. La porte suivante
était fermée.
— Non ! s'écria Shami alors qu'il posait la main sur la
poignée.
Elle se précipita vers lui, l'obligea à lâcher la poignée et
l'entraîna vers une autre porte, qu'elle ouvrit.
— Voici la salle de bains. Quand tu auras fini, la cuisine est
au bout du couloir. Je vais te préparer un café.
Adrian l a suivit des yeux e n plissant l e front Qu'y avait-il
derrière cette mystérieuse porte ? Que tenait absolument à
lui cacher Shami ?
Tôt ou tard, il finirait par le savoir.
Quelques instants plus tard, i l l a rejoignit dans l a grande
cuisine a u sol carrelé e t a u décor rustique, qui sentait le
propre. Des placards e n pi n naturel tapissaient les murs
au-dessus d'un comptoir vert sombre. Une table ronde et
quatre chaises occupaient le centre de la pièce. Sur le
réfrigérateur était posé un petit téléviseur à écran plat.
Au-dessus de l'évier, une grande fenêtre rectangulaire
donnait sous la véranda et la vallée qui s'étendait au-delà.
Shami était debout devant cette fenêtre, le dos tourné,
manifestement tendue. Elle se tourna vers lui et le foudroya
du regard.
— Je t'avais demandé de me laisser tranquille. Pourquoi
es-tu venu ?
— Je te l'ai dit, répondit-il en tirant une chaise. Pour te
convaincre que je tiens à toi.
— Inutile de te fatiguer, tu n'y arriveras pas. Comment bois-
tu ton café ?
— Noir et sans sucre.
Quelques secondes plus tard, elle posa devant lui une
tasse fumante.
— Et toi, tu n'en prends pas ? Elle croisa les bras, le
visage fermé.
— Non.
— Assieds-toi quand même. Tu me rends nerveux à rester
debout
— Toi ? Nerveux ? lança-t-elle d'un ton ironique en
s'asseyant en face de lui.
Il but une gorgée de café.
— Que faut-il te dire pour te convaincre ?
— Rien. Les mots ne signifient rien. C'est sur leurs actes
qu'on juge les gens. De toute façon, je ne veux plus rien
avoir affaire avec toi. Bois ton café et va-t'en, s'il te plaît. Je
dois sortir.
— Pour quoi faire ?
— Acheter du lait et récupérer mon chien.
— Où est-il?
— Dans un chenil.
— Quel genre de chien est-ce ?
— Un jack russell terrier.
— Ça alors ! J'en avais un quand j'étais enfant ! Ce sont
des chiens adorables, très intelligents et pleins de vie.
Shami soupira.
— Oui, mais Mozart n'est plus le même depuis la mort de
Ray. C'était son chien, en réalité.
Adrian plissa le front
— Ray avait appelé son chien Mozart?
— Oui, pourquoi ?
— C'est mon compositeur favori.
— Mozart est le compositeur favori de beaucoup de
monde. Tu as fini ton café ?
Adrian termina sa tasse et la posa sur la table d'un geste
ferme.
— Je t'ai prévenue, Shami. Je ne partirai pas.
Elle se leva.
— Si tu ne t'en vas pas, j'appelle la police.
— Ne sois pas ridicule. Il se leva à son tour.
— Viens, je t'accompagne au chenil.
— C'est impossible.
— Pour quelle raison ?
— Tu vas attirer l'attention de tout le monde.
— Pourquoi?
— Les gens vont te prendre pour Ray et cela risque de leur
créer un choc.
Adrian plissa le front.
— Je lui ressemble à ce point?
— Oui.
— Montre-moi une photo de lui. Je veux voir par moi-
même.
— Je les ai toutes rangées tout à l'heure.
— Pourquoi?
— Parce que j'ai décidé de vendre cette maison et de
déménager.
— Bonne idée, approuva Adrian avec satisfaction. Avec un
peu de chance, il parviendrait à la convaincre de s'installer
à Sydney...
— Où comptes-tu aller ?
— Cela ne te regarde pas.
— Admettons, mais je veux quand même voir une photo de
Ray. J'ai le droit de savoir à quel point je lui ressemble.
Après une légère hésitation, Shami poussa un soupir
résigné.
— Je n'ai pas encore rangé le salon.
Il la suivit dans une grande pièce décorée aux couleurs de
l'automne. Un canapé et deux fauteuils faisaient face à une
belle cheminée de pierre.
Pas de téléviseur en vue, nota-t-il. Mais des étagères
chargées de livres... et un piano.
— C'est toi qui joues du piano ?
— Non, c'était Ray.
Adrian arqua les sourcils. Une coïncidence de plus... Il avait
toujours eu envie d'apprendre le piano, mais dans son
école la priorité était donnée au sport, et il y avait renoncé.
— Cette photo date de quelques semaines avant sa mort,
dit Shami en indiquant un cadre en argent posé sur le
piano.
Adrian prit la photo et ouvrit de grands yeux.
— C'est incroyable !
Il se tourna vers Shami.
— On pourrait vraiment nous prendre pour des jumeaux !
Nous sommes même coiffés de la même manière...
— Oui. Et vous avez également la même démarche.
Soudain, Adrian fut assailli par un doute atroce.
— Est-ce vraiment avec moi que tu as fait l'amour, hier.
Shami. Ou bien avec Ray ?
Shami hésita. Il était très tentant de mentir... C'était sans
doute le meilleur moyen de le faire partir.
Comment s'y résoudre? Quelque chose dans la voix et
dans le regard d'Adrian la touchait terriblement Jamais elle
n'aurait cru qu'il pouvait être vulnérable, le voir aussi
désemparé lui déchirait le cœur.
— Tu m'as déjà posé la question hier, éluda-t-elle.
— Réponds-moi, s'il te plaît.
— Je ne t'ai pas menti. Je n'ai pas pensé à Ray quand
j'étais avec toi, pas une seule fois.
— Comment aurais-tu pu ne pas penser à lui ? Je suis son
sosie !
— Tu lui ressembles physiquement, mais en réalité vous
êtes très différents. Ray était un homme plutôt... introverti.
— Qui avait un jack russel terrier, aimait Mozart et jouait du
piano, compléta Adrian en regardant la photo. E t qui lisait
beaucoup, apparemment.
— Oui.
Adrian était de plus en plus troublé. Ne pas avoir le temps
de lire était l'un de ses grands regrets... Il vérifia sur les
étagères quel genre de livres appréciait son double.
L'éventail était large, depuis les sagas romantiques
jusqu'aux biographies en passant par de nombreux
ouvrages de développement personnel.
Pour sa part, il était surtout friand de thrillers juridiques...
Soudain, son regard fut attiré par un gros livre posé à plat
sur l'une des étagères du bas.
Il était intitulé Chefs-d'œuvre architecturaux du monde
entier.
— Quel était le métier de ton mari ?
— Dessinateur industriel.
Adrian regarda Shami avec incrédulité.
— Oui, c'est troublant, reconnut-elle. Lorsque nous nous
sommes rencontrés, Ray m'a confié qu'il aurait voulu être
architecte, mais s'estimait incapable d'obtenir le diplôme.
— De mon côté, j'ai toujours rêvé de jouer du piano. Ils se
regardèrent en silence pendant un long moment, puis
Adrian secoua la tête.
— C'est insensé. Je n'ai pas été adopté. Je suis le fils
biologique de mes parents. C'est une certitude. Il y a des
photos de ma mère enceinte de moi dans l'album familial.
— Aurait-elle pu mettre au monde des jumeaux et en avoir
donné un à adopter?
Adrian secoua vigoureusement la tête.
— Non, impossible. Maman n'aurait jamais abandonné un
enfant. Elle en voulait plusieurs, mais après ma naissance
a eu un problème qui l'en a empêchée.
— Alors toutes ces similitudes... ce sont juste des
coïncidences ?
— Il n'existe que cette solution. On dit que la réalité
dépasse souvent la fiction.
— C'est vrai. D'ailleurs, il y a tout de même quelques
petites différences physiques entre Ray et toi : au niveau
du visage, pas de profil mais de face. La plupart des gens
ne le remarqueraient sans doute pas, mais je m'en suis
aperçue lorsque je me suis assise à ta table au restaurant.
Tu as également une silhouette plus athlétique. Et puis... il y
a un autre détail, ajouta-t-elle d'une voix hésitante.
— Quoi donc ?
— Tu es circoncis. Ray ne l'était pas.
Adrian poussa un profond soupir de soulagement et
reposa la photo sur le piano. Dieu merci ! Il commençait
presque à croire que ses parents étaient impliqués dans
une histoire sordide.
— Cela règle le problème. Si par un miracle extraordinaire
Ray et moi avions été jumeaux, nous aurions été tous les
deux circoncis en même temps.
— Tu as raison. Je n'avais pas pensé à cela. Adrian eut un
sourire malicieux.
— Peut-être parce que tu pensais à autre chose quand tu
as remarqué ce détail.
A sa grande joie, Shami s'empourpra. Comment avait-il pu
oublier les réactions qu'il avait déclenchées e n elle, hier?
E lle s n'avaient r i e n de simulé, elle-même avait été
visiblement surprise par l'intensité de son plaisir.
Ses réactions étaient celles d'une femme qui découvrait la
vraie passion pour la première fois. Avec lui.
Comme il avait envie d'elle !
Pas question de se précipiter. Il ne fallait surtout pas
gâcher ses chances d'obtenir ce qu'il voulait, pas
seulement une aventure : une vraie relation.
Il lui prit la main.
— Viens, allons chercher ton chien.
14.
Shami était partagée entre l'irritation et l'euphorie : Adrian
prenait de nouveau le contrôle de la situation !
— Tu resteras dans la voiture, déclara-t-elle d'un ton ferme.
Je ne veux pas que les gens aient l'impression de voir un
fantôme.
Adrian soupira.
— C'est ridicule, Shami. J'ai bien l'intention de faire partie
de ta vie, alors plus vite tes amis s'habitueront à moi mieux
cela vaudra.
Elle tressaillit.
— Faire partie de ma vie ? Que veux-tu dire ?
— Je veux devenir ton amant.
— Sans me demander mon avis ?
— La façon dont tu as répondu à mon baiser a parlé pour
toi.
— C'était une erreur. Je te rappelle qu'ensuite je t'ai
demandé de partir.
Adrian eut un sourire suffisant
— Tu as dit toi-même que les mots ne signifiaient rien et
que c'était sur leurs actes qu'on jugeait les gens. Tu m'as
demandé de partir, mais ta bouche et ton corps m'ont crié
le contraire.
— Tu es très sûr de toi, n'est-ce pas ?
— Absolument et je sais ce que je veux : toi, Shami
Johnson, pour bien plus qu'un week-end.
Cette déclaration enflammée donna le vertige à Shami.
— Non, s'il te plaît, dit-elle d'une voix étranglée lorsqu'il lui
prit la main pour embrasser le creux de sa paume.
Il la lâcha aussitôt d'un air contrit
— Merci.
— Pourquoi?
— Pour m'avoir rappelé à l'ordre. Je me suis promis de ne
pas te faire l'amour aujourd'hui. Je veux te prouver que ce
n'est pas uniquement pour cela que je suis venu, mais il
vaut mieux ne pas tenter le diable. Ne restons pas ici.
Allons chercher ton chien.
— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Mozart a
tendance à mordre les inconnus...
Adrian eut un sourire malicieux.
— Bien essayé, ma chérie. Mais cesse de chercher des
excuses pour me renvoyer, cela ne sert à rien. Allons-y.
Cet homme était vraiment redoutable, songea-t-elle au
volant de sa voiture. Lorsqu'il lui avait embrassé la paume
de la main, elle avait cru que tout son corps allait se
dissoudre de plaisir.
S'il avait l'intention de passer la nuit à Katoomba—et il y
avait peu de chances qu'il reparte pour Sydney à une heure
aussi tardive
—, ils finiraient par se retrouver au lit...
Non. Impossible de dormir avec Adrian dans le lit qu'elle
avait partagé avec Ray. Elle se sentirait beaucoup trop
coupable.
— Tu ne peux pas passer la nuit chez moi.
— Je n'en ai pas l'intention. Je vais prendre une chambre
dans le motel devant lequel nous venons de passer.
— Je ne t'y rejoindrai pas, si c'est ce que tu as en tête.
— Cette idée ne m'a même pas effleuré.
A son grand dam, Shami fut aussi déçue que surprise. «
Ce que tu peux être stupide ! », se morigéna-t-elle, furieuse
contre elle-même.
— Que comptes-tu faire demain ? demanda-t-elle en
s'efforçant de prendre un ton désinvolte.
— Travailler.
— Oh.
Elle qui s'imaginait déjà qu'il comptait rester dans la région
pour l'emmener quelque part... Elle était complètement
stupide !
— La circulation est très dense sur la route de Sydney le
lundi matin, prévint-elle d'un ton crispé. Il vaut mieux que tu
prévoies de ne pas partir trop tard.
— La seule route que je prendrai est celle de Katoomba. A
la première heure j'irai m'acheter des vêtements
appropriés, et ensuite je viendrai chez toi pour commencer
les travaux dans la maison.
— Les travaux ? s'exclama-t-elle avec incrédulité. Tu as
décidé de jouer les hommes à tout faire ?
Il eut un sourire malicieux.
— Exactement.
A son grand dam, elle sentit ses joues s'enflammer.
— Tu es vraiment incorrigible ! Mais après tout, si cela
t'amuse... La maison a bien besoin d'être retapée.
— J'ai remarqué.
Le ton d'Adrian n'était pas sarcastique, mais Shami fut
malgré tout piquée au vif.
— J e sais que cela va t e paraître incroyable, mais j e ne
m'en suis rendu compte qu'aujourd'hui. J e pense que ce
week-end m'a ouvert les yeux sur beaucoup de choses,
déclara-t-elle en pénétrant sur le parking de la clinique
vétérinaire.
— Prendre du recul a parfois cet effet. Mais ce n'est pas un
chenil, ici, ton chien est malade ?
— Non. C'est la clinique où je travaille. John, mon patron,
m'a proposé de garder Mozart pour le week-end. Je n'aime
pas le laisser avec des étrangers.
— L'endroit paraît bien tenu, mais l'immeuble est très mal
conçu. Il aurait fallu faire appel à un meilleur architecte.
Shami ne put s'empêcher de rire.
— Je crois que je vais éviter de le dire à John ! Attends-
moi ici et essaie de bien te tenir.
A son grand soulagement, Adrian ne protesta pas, il se
contenta de rouler des yeux.
— Dépêche-toi. La patience ne fait pas partie de mes
qualités.
— Tu as des qualités ?
Il poussa un soupir théâtral.
— Où est passé la jeune fille aimable que j'ai rencontrée
hier?
— Elle a découvert que le prince charmant était en réalité
un grand méchant loup ! rétorqua Shami en claquant la
portière.
Comme tous les dimanches après-midi, John se trouvait
auprès de ses patients convalescents. C'était un
vétérinaire très dévoué. A soixante-douze ans tous ses
confrères avaient déjà pris leur retraite, mais John ne
pouvait envisager de vivre sans soigner les animaux.
— Chut, ce n'est que moi, dit Shami à un chien qui aboyait
frénétiquement à son arrivée.
John, en train de soigner un gros chat roux, leva les yeux.
— Est-ce bien Shami Johnson que je vois sourire ?
— Je souris ?
Elle n'en avait pas conscience, songea-t-elle avec surprise.
— Oui, tu souris, confirma John. On dirait que ce week-end
à Sydney t'a fait le plus grand bien, même si tu es rentrée
plus tôt que prévu.
— Une seule chose est sûre : j'ai dépensé une fortune en
vêtements que je ne porterai sans doute jamais.
— Il serait grand temps que tu commences à fréquenter
des endroits où tu pourras les porter. Tu ne rajeunis pas, tu
sais. Un jour tu t'éveilleras et tu te rendras compte avec
stupéfaction que tu as quarante ans, puis cinquante, puis
soixante, soixante-dix...
Shami pouffa.
— Merci pour cet avertissement ! Je tâcherai de ne pas
l'oublier. Comment va Mozart?
— Il refuse de manger. Nous l'avons pris à la maison et
Bess l'a nourri comme nous. C'est infaillible avec nos
chiens, mais avec lui cela ne marche pas. Il est dans le
jardin, couché sous le grand pin.
— Oh, mon Dieu ! Que vais-je faire de lui, John ?
— Certains chiens ne se rétablissent jamais de la mort de
leur maître. On n'y peut rien.
— Je vais le ramener à la maison et voir si j'arrive à lui
faire avaler quelque chose. Merci de t'être occupé de lui.
— Ce n'est rien. Je suis content de voir qu'un de vous deux
au moins semble aller mieux. Cela t'ennuie si je ne
t'accompagne pas dans le jardin? Je crois qu'il vaut mieux
que je reste avec Marmelade.
— Elle ne va pas mourir, j'espère? L'impossibilité de
sauver certains animaux était ce qu'elle avait le plus de mal
à supporter dans son métier...
— Je vais essayer de l'en empêcher. Vas-y et ne t'inquiète
pas trop au sujet de Mozart. Il survivra.
Avec un sourire contraint, Shami prit congé de John et
sortit dans le jardin.
Survivre suffisait-il ? se demanda-t-elle en traversant le
jardin. La survie pouvait être pire que la mort...
Mozart se redressa à son approche, mais sans remuer la
queue. Malgré tout, il la laissa le prendre dans ses bras.
Alors qu'elle regagnait le parking, Shami se maudit.
Comment Mozart allait-il réagir en voyant le sosie de Ray ?
Elle n'avait pas pensé un seul instant que cela risquait de le
perturber. Quelle idiote !
Soudain, le petit chien lui sauta des bras et se précipita
vers Adrian, qui était descendu de voiture en la voyant
arriver. A sa grande stupéfaction elle le vit se dresser sur
ses pattes arrière pour tourner sur lui-même comme le lui
avait appris Ray lorsqu'il était encore un chiot.
— Bravo, mon chien ! s'exclama Adrian en s'accroupissant
pour le caresser.
Mozart lui sauta sur les genoux, posa les pattes de devant
sur ses épaules et se mit à lui lécher le menton à grands
coups de langue.
Adrian le prit dans ses bras en riant.
— Et tu voulais me faire croire qu'il risquait de me mordre !
Mozart couvait Adrian du même regard éperdu que Ray
autrefois. Bouleversée, Shami déglutit péniblement.
— Je t'assure que je ne l'ai pas vu aussi joyeux depuis des
années. D'habitude, il ne se laisse même pas approcher
par les étrangers.
— Il est peut-être tout simplement content d'être sorti de là,
commenta Adrian en indiquant la clinique d'un signe de
tête. Il devait se sentir en prison. Je parie qu'il n'a rien
mangé de tout le week-end. Il n'a que la peau sur les os.
— John m'a en effet dit qu'il avait refusé de se nourrir. Mais
c'est très fréquent depuis la mort de Ray.
Shami plissa le front.
— Je... C'est idiot, mais je crois qu'il te prend pour Ray.
Non, c'était ridicule, songea-t-elle aussitôt. Les chiens
reconnaissaient les gens à leur odeur, leur voix, leur
comportement Il était impossible de tromper un chien.
Et pourtant...
— Tu crois ? s'exclama Adrian. Eh bien, cela ne me gêne
pas. Et toi ? Après tout, quel mal y a-t-il à cela s'il est
heureux ? Tu es heureux, n'est-ce pas mon vieux ?
demanda-t-il en grattant les côtes du chien.
Mozart aboya joyeusement. Adrian pouffa.
— Tu vois ? Il est heureux et il te dit « Allez maman,
ramène-moi à la maison. J'ai faim. »
En entendant Adrian l'appeler ainsi, Shami sentit son
estomac se nouer. C'était idiot, il ne pouvait pas savoir.
Elle avait eu si peur lorsqu'il avait failli entrer dans la
chambre d'enfant... S'il travaillait dans la maison, elle allait
être obligée de lui parler du bébé.
E l l e l u i j e t a u n c o up d ' œ i l e n s'installant a u volant.
Devinerait-il q ue l a porte fermée cachait u n e chambre
d'enfant? Comment réagirait-il quand elle le lui dirait?
Voudrait-il la voir?
I l l u i a va i t d é jà prouvé q u'i l n'était p a s dépourvu de
sensibilité. Mais i l était célibataire e t n'avait jamais eu
d'enfants, comment pourrait-il comprendre à quel point il
était douloureux de perdre son bébé?
Il penserait sans doute qu'elle était folle d'avoir gardé la
chambre intacte pendant toutes ces années. Au début
c'était pour elle un refuge où elle venait pleurer et, plus tard,
elle avait été trop déprimée pour suivre l'avis de Janice et
tout donner à une œuvre caritative.
Il y avait des années qu'elle n'était pas entrée dans cette
pièce mais, s i elle vendait l a maison — e t elle allait la
vendre ! — , il faudrait bien qu'elle trouve le courage de
suivre le conseil de sa sœur.
— Tu es bien silencieuse.
Arrachée à ses pensées, Shami tressaillit. Ils étaient
presque arrivés devant chez elle ! constata-t-elle avec
stupéfaction. Elle ne se souvenait même pas avoir
démarré la voiture !
— J'étais ailleurs.
— C'était une rêverie agréable, j'espère.
— J'étais en train de penser que ma voisine allait avoir une
attaque e n t e voyant. T a voiture n e v a p a s manquer
d'exciter sa curiosité, et cette chère Louise est une
fouineuse dans l'âme. Elle va inévitablement trouver une
excuse pour passer. C'est sans doute la pluie qui l'a tenue
à l'écart jusqu'à présent
— Ne t'inquiète pas. Nous nous occuperons du « problème
Louise » le moment venu. En revanche, tu as oublié le lait,
déclara Adrian alors qu'elle tournait dans son allée.
— Cela ne fait rien. Je peux m'en passer. Je ferai des
courses demain.
— Tu es sûre ? Je peux aller en chercher, si tu veux.
— Merci, mais ce n'est pas la peine. Mozart serait très
malheureux si tu disparaissais aussi vite. Viens, nous
allons lui donner à manger.
A l a grande joie d e Shami, Mozart engloutit s a gamelle.
Cependant, était-ce vraiment une bonne nouvelle ? se
demanda-t-elle soudain avec inquiétude. Comment
réagirait-il quand Adrian repartirait pour Sydney ?
Il finirait par repartir, il ne fallait pas se faire d'illusions. Elle
ne l'intéressait à ce point que parce qu'elle lui avait
échappé. Pour un séducteur comme lui, cela représentait
un défi et c'est pour cette raison qu'il était venu. « Pas
uniquement pour le sexe », comme il l'avait dit, sans doute
avec sincérité. Les femmes plus élégantes qu'elle et prêtes
à tout pour se retrouver dans son lit ne devaient pas
manquer.
Adrian était ici parce qu'il n'avait pas supporté pas qu'elle
l'ait abandonné à Sydney.
— Eh bien, il était vraiment affamé ce chien ! s'exclama
Adrian. Si je l'emmenais faire une promenade?
— C'est inutile. Il a sa sortie personnelle.
Shami indiqua l'ouverture que Ray avait pratiquée dans la
porte donnant s u r l e jardin. A u m ê m e instant, Mozart
poussa le petit battant et sortit en courant
— Il peut aller et venir comme il veut. Je la ferme le soir
avant de me coucher, pour empêcher les opossums
d'entrer.
— Tu n'as pas peur des rôdeurs, seule dans cette maison
?
Elle le toisa d'un air moqueur.
— Je doute que tu parviennes à passer par cette ouverture.
— Très drôle. Tu estimes donc que je ne vaux pas mieux
qu'un rôdeur?
— Disons que le jury n'a pas encore fini de délibérer.
— Si j'étais vraiment un personnage aussi peu
recommandable que tu semblés le croire, je t'aurais sauté
dessus depuis longtemps et tu n'aurais pas protesté. Mais
je préfère attendre que tu me le demandes. Tu verras que
tu finiras par me supplier de te faire l'amour.
— Jamais!
— Il ne faut jamais dire jamais. Pense à tous ces plaisirs
délicieux dont tu nous prives bêtement...
A sa grande surprise, Shami fut envahie par une vive
chaleur. Pourquoi les paroles d'Adrian évoquaient-elles
des images qui la faisaient soudain vibrer de désir ?
Pourquoi ses jambes menaçaient-elles de la lâcher ?
Pourquoi son cœur battait-il à tout rompre ?
Soudain Adrian s'écarta brusquement d'elle et s'éloigna à
grands pas dans le couloir.
Au comble de la frustration, elle dut faire appel à toute sa
volonté pour ne pas courir après lui.
— A demain ! lança-t-il sans se retourner. Elle s'affaissa
sur une chaise.
Quelques instants plus tard, Mozart rentra du jardin. Il
regarda d'abord autour de lui dans la pièce, puis leva vers
Shami un regard plein d'espoir.
— Il est parti, Mozart
L e chien se précipita dans le couloir. I l inspectait sans
doute toutes les pièces, comme il l'avait fait tant de fois
après la mort de Ray, songea-t-elle, le cœur serré.
Cependant, lorsqu'il revint dans la cuisine, Mozart ne se
roula pas en boule dans un coin en gémissant comme à
son habitude. Il sauta sur la chaise qu'Adrian avait occupée
et s'y installa
Il attend, comprit-elle. Il attend le retour de son maître.
Comme moi...
Elle réprima un frisson.
Demain, Adrian la prendrait-il dans ses bras ?
L'embrasserait-il ? Lui ferait-il l'amour?
Avait-il vraiment décidé d'attendre qu'elle le supplie ?
Oh, mon Dieu ! Il avait raison... Elle en serait bien capable !
La sonnerie du téléphone la fit tressaillir. Etait-ce Janice
qui s'inquiétait pour elle ?
Avant qu'elle ait le temps de se lever pour répondre, la
sonnerie s'interrompit : sans doute une erreur. Elle avait
promis à sa sœur de la rappeler ce soir, mais pour l'instant
mieux valait éviter de lui annoncer qu'Adrian l'avait suivie
jusqu'à Katoomba.
Elle était trop perturbée pour parler de lui et redoutait les
commentaires de Janice.
Elle savait qu'il n'était pas amoureux d'elle et, Dieu merci,
elle n'était pas amoureuse de lui non plus. L'amour était
une émotion plus douce et plus délicate que celle qui se
déchaînait en elle en ce moment même.
L'amour, elle l'avait vécu avec Ray, ce qu'elle ressentait
aujourd'hui était tout autre chose.
Une passion purement sexuelle.
Un feu dévastateur qui la privait de sa conscience.
Qui la rendait esclave de ses sens.
Et qui pourrait bien la pousser à se précipiter au motel
pour se jeter dans les bras d'Adrian...
Elle avait tellement envie de sentir son corps contre le sien
!
Seul un reste de fierté l'empêchait de courir jusqu'à sa
voiture pour le rejoindre.
Mais pour combien de temps ?
15.
Presque midi et Adrian n'était toujours pas arrivé !
Shami ne tenait plus en place. Du moins n'était-elle pas la
seule... Depuis des heures, Mozart arpentait sans relâche
la véranda devant la porte d'entrée.
Pourvu qu'Adrian ne soit pas rentré à Sydney ! C e serait
vraiment cruel. Adrian n e semblait p a s u n homme cruel,
mais que savait-elle de lui, au fond?
Il avait dit qu'il irait au centre commercial dans la matinée
pour s'acheter une tenue de travail. Prévoyant qu'il
arriverait vers 11
heures, elle s'était précipitée à l'épicerie la plus proche dès
l'ouverture pour faire des courses, ce qui lui avait laissé le
temps de se faire une beauté.
Mais il y avait plus d'une heure qu'elle était prête, si elle
devait l'attendre encore longtemps elle allait devenir folle...
Pour la énième fois, Shami rejoignit Mozart sous la
véranda.
Oh non ! Louise traversait la rue ! Impossible d'y
échapper...
— Bonjour Belle journée, n'est-ce pas ? lança sa voisine
d'un ton enjoué.
— Oui, très belle.
— Vous vous êtes absentée ?
Mozart se mit à gronder et Louise s'arrêta devant le portail.
Bon chien, songea Shami avant de déclarer :
— Oui, je suis allée voir ma sœur à Swansea.
— Ah, c'est bien. Vous m'excuserez, j'ai un rhume
épouvantable, alors je préfère ne pas trop m'approcher. Je
suis restée au lit tout le week-end.
Bonne nouvelle... L a chambre d e Louise s e trouvait à
l'arrière de s a maison, elle n'avait sans doute pas encore
vu Adrian ni sa voiture.
Mais cela n'allait pas tarder ! En voyant la Corvette
apparaître au bout de la rue, Shami fut assaillie par un
mélange d'euphorie et de consternation.
Le bruit du moteur, aussi peu discret que la voiture elle-
même, fit tourner la tête à Louise.
— Vous attendez quelqu'un ? demanda-t-elle tandis que la
voiture se garait devant la maison.
Shami donna la première réponse qui lui vint à l'esprit.
— Oui. J'ai fait appel à une entreprise pour rénover la
maison. C'est le patron de la société qui arrive.
Shami était sur le point de préciser que c'était le sosie de
Ray, mais resta bouche bée.
L'homme qui descendait de voiture ne ressemblait pas du
tout à Ray. Ni même à Adrian. Pourtant, c'était bien lui :
avec une barbe naissante, des lunettes de soleil qui
cachaient ses yeux turquoise et les cheveux très courts, il
était méconnaissable.
Vêtu d'un jean, d'une chemise à carreaux rouges et noirs et
d'un blouson d'aviateur, il fît le tour de la voiture.
— Bonjour, m'dame, lança-t-il à Louise, qui l'examina des
pieds à la tête sans masquer sa curiosité.
Il pénétra dans le jardin en faisant un clin d'œil discret à
Shami.
— Bonjour, madame Johnson. Excusez-moi pour le retard.
Salut mon vieux !
Il se pencha pour caresser Mozart qui frétilla de plaisir.
— Attention, prévint Louise. Il mord.
— Pas moi, m'dame. Les chiens m'adorent, répliqua
Adrian en prenant Mozart sous un bras. Maintenant, si vous
voulez bien nous excuser, Mme Johnson et moi nous
devons discuter des travaux.
Sur ces mots, il prit Shami par le coude et l'entraîna dans la
maison, hors de vue de Louise qui le fixait d'un air ébahi.
— Comment m'en suis-je tiré ? demanda-t-il une fois la
porte refermée derrière eux.
— Tu n'aurais pas pu mieux faire ! Tu sais, je ne t'ai pas
reconnu tout de suite quand tu es descendu de voiture.
— Vraiment?
Il posa Mozart par terre, puis il enleva ses lunettes de soleil
et les glissa dans sa poche.
Shami contempla son beau visage taillé à la serpe. Il ne lui
rappelait plus tellement celui de Ray...
— Cette coupe te change beaucoup, déclara-t-elle. Et cela
aussi...
Spontanément, elle caressa la joue d'Adrian recouverte de
barbe.
Electrisé, il se raidit.
La veille, peu après son départ, il avait eu un moment de
faiblesse et avait téléphoné à Shami. Il voulait s'excuser de
lui avoir dit qu'il ne la toucherait plus jusqu'à ce qu'elle le
supplie.
Heureusement, i l avait repris ses esprits avant qu'elle ne
réponde. E lle devait prendre conscience d e l'attirance
qu'elle éprouvait pour lui. Pour lui, pas pour son défunt
mari.
Il avait pris soin de modifier son apparence, mais ce n'était
pas pour échapper à la curiosité d e ses amis e t d e ses
voisins, i l se moquait éperdument de ce qu'ils pouvaient
penser. Il l'avait soumise à un test et, à en juger par le
regard étincelant dont elle le couvait, cela donnait le
résultat escompté.
Malgré cette transformation, elle le désirait toujours autant.
Quel supplice de ne pas pouvoir la prendre dans ses bras !
Tant pis... Il lui fallait absolument résister à la tentation,
sinon il perdrait toute crédibilité. Il ne parviendrait jamais à
la convaincre qu'il n'éprouvait pas que du désir pour elle.
Il fallait absolument attendre et, surtout, la faire attendre
jusqu'à ce qu'elle crie grâce...
Il s'écarta d'elle.
— Il est temps que je me mette au travail, déclara-t-il d'un
ton bourru. Où ranges-tu ta tondeuse à gazon et tes outils
de jardinage ?
Aujourd'hui, j'attaque le jardin. Demain, je ferai les
réparations les plus urgentes et mercredi, j'attaquerai la
peinture.
Elle arqua les sourcils.
— Tu ne dois pas rentrer à Sydney pour ton travail ?
— Non. Comme je te l'ai dit, je suis entre deux projets.
Ce n'était pas la stricte vérité. En principe, il avait prévu de
c o m m e nc e r a ujo urd ' hui l e s p l a n s d ' u n village
révolutionnaire de retraités, pour participer à un concours
dont le gagnant obtiendrait un contrat de plusieurs millions
de dollars.
Mais ses priorités avaient changé. Son travail pouvait être
mis en veilleuse pendant quelques semaines.
— Tondeuse à gazon et outils de jardinage ? répéta-t-il.
Elle le conduisit jusqu'à l'appentis situé au fond du jardin. Il
y trouva tout ce dont il avait besoin, y compris un bidon
d'essence et un choi x étonnamment va ste d'outils de
bricolage, t o us accrochés à u n immense panneau et
rangés d a ns u n o rd re t r è s précis, constata-t-il avec
satisfaction. Lui-même avait horreur du fouillis, que ce soit
sur son bureau ou dans ses tiroirs.
— Je peux t'aider? demanda Shami tandis qu'il faisait le
plein de la tondeuse.
— Non merci, je préfère me débrouiller seul. Mieux valait la
tenir à distance. Sinon, il pouvait dire adieu à toutes ses
bonnes résolutions...
D e toute évidence, e lle s'était préparée a ve c s o i n en
p r é vi s i o n d e s a v i s i t e . S e s c h e v e u x étaient
impeccablement coiffés et son visage maquillé avec soin.
Sa tenue était simple mais particulièrement seyante ; jean
noir moulant et pull crème, qui mettait sa poitrine en valeur
et soulignait la finesse de sa taille. Elle sentait
merveilleusement bon, un parfum musqué terriblement
sensuel.
Inconsciemment—ou même très consciemment ! — elle
avait envie de le séduire.
Adrian crispa la mâchoire : il ne tomberait pas dans le
piège.
— Si tu as vraiment l'intention de vendre, tu as du travail à
l'intérieur, ajouta-t-il. En plus d'un grand nettoyage, fais le tri
de tes affaires et jette tout ce que tu n'as pas utilisé ou
porté depuis deux ans. Cela permettra de réduire la taille
du camion de déménagement
— D'accord, répliqua-t-elle avec un manque
d'enthousiasme flagrant.
Il plongea son regard dans le sien.
— Tu as vraiment l'intention de vendre et de déménager?
Elle releva le menton.
— Bien sûr. Je n'ai pas l'habitude de revenir sur mes
décisions.
— Parfait. Dans ce cas tu as du pain sur la planche, n'est-
ce pas ? Alors à présent, si tu veux bien m excuser,
j'aimerais m'y mettre moi aussi.
« Oui, j'ai vraiment l'intention de vendre et de déménager »,
se dit fermement Shami en regagnant la maison à
contrecœur.
Janice était aux anges lorsqu'elle lui avait annoncé sa
décision, hier soir. Alors, pas question de renoncer
maintenant, même si au fond d'elle-même la perspective
d'un tel bouleversement la rendait malade.
Au lieu de commencer le ménage, Shami se mit devant
l'évier et regarda Adrian tondre la pelouse par la fenêtre de
la cuisine.
Avec les cheveux courts, il était encore plus sensuel et
cette barbe naissante lui allait divinement bien...
Une image s'imposa soudain à son esprit : Adrian la tête
entre ses cuisses, effleurant la fleur de sa féminité du bout
de la langue.
Assaillie par une bouffée de désir, elle s'agrippa au bord
de l'évier. Si au même instant la barbe qui recouvrait ses
joues lui caressait l'intérieur des cuisses, ce serait encore
plus fantastique...
Un long frisson la parcourut Oh, mon Dieu, comme elle
avait envie de lui ! Cette situation ne pouvait plus durer.
Tant pis pour son amour-propre, ce soir, elle lui
demanderait de lui faire l'amour et, s'il le fallait, clic le
supplierait !
Une heure plus tard, elle l'appela pour le déjeuner.
Comment parvenait-elle à se comporter avec lui aussi
naturellement après avoir pris une telle décision ? se
demanda-t-elle avec perplexité. Elle le servit et lui fit la
conversation pendant la demi-heure qu'il s'accorda pour
manger.
Après le déjeuner, elle nettoya le salon à fond et lava tous
les rideaux. Lorsque Adrian refusa de prendre le thé parce
qu'il voulait terminer ce qu'il avait commencé avant la
tombée de la nuit, elle décida de suivre son conseil et de
trier sa garde-robe.
La plupart de ses vêtements avaient plus de cinq ans,
constata-t-elle sans surprise. Certains étaient même
beaucoup plus anciens et la plupart complètement
démodés... Elle remplit rapidement deux grands sacs
d'affaires à donner.
Elle évita soigneusement d'ouvrir celui qu'elle avait caché
dans le bas de la penderie après son retour de Sydney : il
contenait la tenue qu'elle portait au théâtre lorsqu'ils étaient
allés voir Le Fantôme de l’Opéra.
Tout à coup, cédant à une impulsion, elle le prit et le vida
sur le lit. Le décolleté du corsage orné de perles n'était pas
aussi profond que dans son souvenir... Curieusement, la
jupe ne s'était pas froissée.
Elle les disposa au pied du lit et posa les chaussures par
terre, sous le bas de la jupe. Ce serait dommage de ne
plus les porter...
Sans réfléchir, elle se déshabilla et enfila le tout sans
prendre le temps de mettre des collants.
Il ne lui fallut que cinq pas pour traverser la chambre jusqu'à
la psyché, mais ils suffirent à la métamorphoser. De
nouveau, elle était la créature sexy qui avait laissé Adrian
lui faire l'amour penchée sur une chaise...
Elle tressaillit devant son reflet. Qui était cette fille aux
pupilles dilatées, aux lèvres entrouvertes et au souffle
court?
— Tu vas quelque part?
Son cœur fit un bond dans sa poitrine et elle pivota sur elle-
même, les joues en feu.
— Tu m'espionnes ?
— P a s d u tout J'ai frappé à l a porte d e derrière pour
t'avertir que j'avais fini de travailler pour aujourd'hui, mais tu
n'as pas répondu. Cet ensemble te va toujours aussi bien,
mais ce n'est pas exactement la tenue idéale pour faire le
ménage... A moins bien sûr, que tu n'aies autre chose à
l'esprit.
Adrian s'écarta de l'encadrement de la porte, sur lequel il
s'était nonchalamment appuyé, et promena sur elle un
regard étincelant Elle resta pétrifiée. Il fit un pas dans la
pièce.
— N'entre pas ici ! s'écria-t-elle.
— Pourquoi ? Tu as envie que je te rejoigne. Ne le nie pas.
Cela se voit
— Pas ici, insista-t-elle d'une voix étranglée. Il promena
son regard sur la pièce.
— Oh, je vois : pas dans la chambre de Ray, ni dans la
maison de Ray. D'accord. Je veux bien respecter tes
scrupules. Mais je te rappelle qu'il est mort depuis cinq
ans, bon sang ! Je ne pense pas que ça le gênerait
— Moi cela me gênerait ! Adrian crispa la mâchoire.
— Alors rejoins-moi au motel ce soir, 22 heures.
— Si tard?
A peine ces mots prononcés, Shami se maudit Quelle
idiote ! Comment avait-elle pu trahir son impatience aussi
stupidement?
— C'est à prendre ou à laisser, rétorqua-t-il froidement
Chambre dix-huit
Une bouffée de haine assaillit Shami. Malheureusement,
cela n'atténuait en rien son désir, constata-t-elle avec
désespoir.
— Au fait, inutile de t'habiller, ajouta-t-il d'un ton impérieux.
Cela m'évitera de perdre du temps à t'enlever tes
vêtements. Tu peux garder les chaussures mais rien
d'autre. Absolument rien d'autre. Compris ?
Elle le regarda avec effarement
— Je ne peux pas venir jusqu'à ta porte entièrement nue !
— Mets un manteau, mais je veux que tu sois entièrement
nue dessous.
— C'est répugnant !
— C'est la condition à remplir pour obtenir ce dont tu as
envie. Et ce dont tu as envie c'est moi, n'est-ce pas, Shami
? Ou n'importe quel homme ferait-il l'affaire, à présent ?
Dis-le-moi, que je sache à quoi m'en tenir.
— Tu es un monstre !
— Un monstre aurait franchi depuis longtemps le seuil de
cette chambre pour te renverser sur le lit Dis-moi ce que je
veux entendre, Shami, sinon je m'en vais pour ne plus
jamais revenir.
L'espace d'un instant elle envisagea de le laisser partir,
mais le courage lui manqua.
— C'est avec toi que j'ai envie de faire l'amour, lâcha-t-elle
d'un ton brusque. Seulement avec toi.
— Tu feras ce que je t'ai demandé ? Elle déglutit
péniblement.
— Oui.
— Ne sois pas en retard.
16.
Adrian crut qu'il ne tiendrait jamais jusqu'à 22 heures. Il se
força à dîner, ensuite, il se mit à boire, beaucoup...
En vain. Rien ne pouvait atténuer la souffrance qui le
tenaillait depuis qu'il avait pris conscience que Shami ne
l'aimerait jamais parce qu'elle était toujours amoureuse de
son mari. Sinon, pourquoi ne supporterait-elle pas l'idée
qu'il la touche dans la chambre de ce dernier ?
Le fait qu'elle ait accepté ses exigences prouvait bien que
ce n'était pas son amour qu'elle voulait. La seule chose
qu'elle attendait de lui, c'était du plaisir.
Nul doute qu'elle arriverait à 22 heures précises, sans rien
d'autre sur elle que ces chaussures outrageusement sexy...
Que lui arrivait-il ? Shami ne parvenait toujours pas à croire
qu'elle était au volant de sa voiture en pleine nuit, sans rien
d'autre sur elle qu'un manteau et une paire de talons
aiguilles vertigineux.
Et si elle avait un accident ? Que penseraient les
ambulanciers ?
La réponse était très facile à deviner, et très
démoralisante...
Alors pourquoi n'était-elle pas démoralisée ? Pourquoi ne
ressentait-elle qu'une excitation intense ?
L'enseigne lumineuse du motel apparut sur la droite. Elle
était presque arrivée...
— Tu peux encore ne pas t'arrêter et rentrer chez toi, dit-
elle à voix haute.
Mais elle en était incapable ! Le cœur battant à tout
rompre, elle prit l'allée conduisant au parking du motel.
Lorsqu'elle se gara à côté de la voiture jaune d'Adrian, elle
était au comble de la nervosité. Dieu merci, il n'y avait
personne sur le parking... Elle referma la portière et la
verrouilla avec des doigts tremblants.
D 'une démarche m a l assurée, e lle s e dirigea ve r s la
chambre dix-huit, par chance celle-ci se trouvait au rez-de-
chaussée du bâtiment. Prenant une profonde inspiration,
elle crispa les doigts sur ses clés de voiture et frappa à la
porte de l'autre main.
Pas de réponse.
Elle frappa de nouveau.
Toujours pas de réponse.
Elle fut prise de vertige. Adrian avait-il changé d'avis ? Tout
à coup, la porte s'ouvrit à la volée et il apparut, ruisselant
d'eau, une serviette blanche drapée sur les hanches.
— Désolé, marmonna-t-il en levant machinalement la main
pour écarter la mèche qu'il avait coupée le matin même.
J'étais sous la douche.
— Tu... tu avais dit 22 heures.
— J'ai perdu la notion du temps.
Le cœur de Shami se serra. Comment avait-il pu perdre la
notion du temps ? Elle avait compté chaque seconde ! Elle
était si impatiente de le retrouver qu'elle avait cru devenir
folle !
— Moi aussi, je suis désolée, dit-elle d'une voix étranglée.
Je ne crois pas que je vais être capable de... d'aller
jusqu'au bout, Adrian.
— De quoi parles-tu ?
— Si tu m'as demandé de venir ici entièrement nue, c'est
pour prendre une revanche, n'est-ce pas? Tu veux
m'humilier. en réalité tu ne tiens pas à moi, pas vraiment.
Un mélange d'émotions indéchiffrable se peignit sur le
visage d'Adrian. Il secoua la tête.
— Bon sang, Shami, je ne suis qu'un homme, pas un saint !
Oui, j'avoue qu'il y avait une part de revanche dans mes
exigences, je pensais que toi, tu ne tenais pas à moi.
— Oh... Tenait-elle à lui ?
Shami se mordit la lèvre. A vrai dire, elle n'en était pas
certaine. Elle n'était sûre que d'une chose : le voir presque
nu devant elle accélérait encore les battements de son
cœur. Elle n'avait qu'une envie : faire l'amour avec lui...
— Bon sang, ne reste pas plantée là avec cet air coupable
! maugréa-t-il en l'attirant dans la chambre e t e n refermant
la porte derrière elle. Ne t'inquiète pas, tu n'es pas obligée
de tomber amoureuse de tous les hommes avec qui tu
couches. Mais je préférerais quand même que tu ne me
considères pas seulement comme une machine à donner
du plaisir.
— Je ne te considère pas comme une machine !
— Vraiment?
— Non!
— Alors que suis-je pour toi ? Réponds-moi franchement.
Elle se mordit de nouveau la lèvre.
— Je ne sais pas exactement. Je suis incapable de mettre
des mots sur ce que je ressens. Tu sèmes la confusion
dans mon esprit depuis le début
— Parce que je ressemble à Ray... Eh bien, au moins je
sais à quoi m'en tenir, à présent. Je ne risque pas
d'accorder à cette soirée plus d'importance qu'elle n'en a
en réalité. Maintenant, enlève ce fichu manteau et laisse-
moi te regarder.
Transpercée par une flèche de plaisir, elle se figea.
Comment un tel ordre, donné sur un ton aussi agressif,
pouvait-il l'exciter à ce point ? Les pointes de ses seins se
tendirent contre la doublure de soie de son manteau et elle
se sentit envahie par une vive chaleur.
— Ne m'oblige pas à te l'enlever moi-même, ajouta-t-il, le
regard étincelant.
Etourdie de désir, elle défit le premier bouton de son
imperméable, les doigts tremblants. Elle ne pouvait plus
attendre d'être nue devant lui... De sentir ses yeux bleus se
promener sur elle... Elle avait mis des heures à se préparer
pour cet instant.
Le manteau glissa sur ses épaules.
— Tu aurais dû faire demi-tour tant qu'il en était encore
temps, marmonna-t-il en promenant sur elle un regard
brûlant Je ne vais plus avoir aucune pitié, à présent, mais
tu n'es pas venue ici pour que j'aie pitié de toi, n'est-ce pas
?
Dénouant sa serviette, il la laissa tomber par terre et
s'avança vers Shami.
Fascinée par le témoignage de son désir, elle fut
parcourue d'un long frisson.
Avec un sourire diabolique, il l'attira contre lui.
— Non, je ne vais pas t'embrasser, déclara-t-il lorsqu'elle
lui offrit ses lèvres. Pas tout de suite.
Il la souleva de terre, la jeta sur le lit et lui écarta les cuisses
d'un geste brusque avant d'entrer en elle d'un coup de reins
puissant Puis il la saisit par les hanches et acheva de
s'enfoncer au plus profond d'elle avec la même brutalité.
Envahie par un mélange insensé de plaisir et de douleur,
elle poussa un cri rauque.
Il atteignit presque aussitôt le pic du plaisir.
— On dirait que j'ai gagné, commenta-t-il d'un ton ironique
quelques instants plus tard.
— Tu es vraiment un monstre ! s'exclama-t-elle d'une voix
vibrante d'indignation.
Se redressant sur les coudes, il lui adressa un sourire
charmeur.
— Et toi, ma chérie, tu es d'une beauté éblouissante.
Shami émit un gémissement de frustration. Pourquoi était-
elle aussi troublée par son compliment alors qu'elle ne
souhaitait qu'une chose, le haïr ?
— Je crois qu'une douche chaude s'impose, dit-il. Puis
retour au lit pour passer aux choses sérieuses.
Allongé dans l e lit, le s mains croisés derrière l a nuque,
Adrian fixait le plafond. A côté d e lui, Shami dormait. Sa
respiration régulière et profonde était celle d'une femme
comblée.
P our u n homme q u i avai t b u plusieurs whiskies avant
qu'elle n'arrive, il s'en était bien sorti... Jamais auparavant il
n'avait fait l'amour autant de fois et avec une telle fougue.
« Qu'essaies-tu de prouver, Adrian ? Que tu es le meilleur
amant du monde ? Tu crois vraiment qu'il suffit de l'étourdir
de plaisir pour qu'elle tombe amoureuse de toi ? »
En soupirant, il regarda le réveil posé sur la table de nuit
Les chiffres lumineux indiquaient 1 h 24.
I l devrait essayer d e dormir, m ê m e s ' i l a va i t p e u de
chances d'y parvenir... Il était trop occupé à trouver une
idée de génie pour gagner le cœur de cette femme.
Il lui manquait quelque chose pour la conquérir
complètement, quelque chose que son mari possédait et
pas lui. Mais quoi ?
Adrian poussa un soupir de frustration. Il devait bien y avoir
un moyen de parvenir à ses fins, bon sang ! Il n'avait pas
l'habitude de ne pas obtenir ce qu'il désirait et encore
moins d'être considéré comme un second choix !
Pourtant, cette fois le contrôle de la situation semblait bien
lui échapper.
Felicity serait ravie d'apprendre que son souhait avait
toutes les chances d'être exaucé, songea-t-il avec une
ironie a mère.
Une femme allait lui briser le cœur.
17.
— Il paraît qu'un homme très séduisant fait des travaux
dans ta maison ?
Shami assistait John pour l'opération d'un chien qui avait
été heurté par une voiture.
— Comment est-ce que... ?
— Louise m'a amené son chat hier. Elle soupira.
— Quelle pipelette !
Depuis quelques jours, s a voisine n e cessait d e venir la
voir sous les prétextes les plus divers. Elle hésitait d'autant
moins à lui rendre visite que Mozart ne montrait plus les
dents à qui que ce soit.
— Ce n'est pas une réponse, commenta John.
— Quelle est la question ?
— Qui est cet homme et d'où vient-il? Ce n'est pas
quelqu'un de la région parce que j'ai entendu dire
également qu'il loge au motel depuis une semaine.
Shami tressaillit.
— Comment sais-tu cela?
— Lorsqu'un homme se déplace en Corvette jaune vif. il a
des chances de se faire remarquer.
John termina le dernier point de suture et leva la tête.
— Allez, parle-moi de lui.
Shami se mordit la lèvre. Impossible d'avouer la vérité. Ce
serait beaucoup trop embarrassant, surtout vu la façon dont
elle passait toutes ses soirées — toutes ses nuits ! —
depuis le début de la semaine...
— C'est juste l'ami d'une amie de Sydney. Il est venu
m'aider à retaper la maison parce que j'envisage de la
vendre.
— L'ami d'une amie ? Shami... Ne me prends pas pour un
imbécile, s'il te plaît.
Elle s'empourpra.
— D'accord. C'est aussi mon... petit ami.
— Excellente nouvelle ! Il est grand temps que tu
recommences à vivre. Vendre cette maison est une sage
décision, elle contient beaucoup trop de souvenirs pénibles
pour toi. Alors, tu m'en dis un peu plus sur cet homme ?
Shami hésita. Après tout, ce serait peut-être un
soulagement de parler à quelqu'un à la fois bienveillant et
objectif. Une fois ou deux elle avait failli appeler Janice
pour lui parler d'Adrian, mais elle craignait les
commentaires de sa sœur.
Toutefois, pas question de tout dévoiler à John, bien sûr...
— C'est vraiment l’ami d'une amie. Je l'ai rencontré par
hasard à Sydney, le week-end dernier.
— Quel est son métier? Avec une voiture comme la sienne,
je doute qu'il soit peintre en bâtiment.
— Il est architecte.
— Mmm. Ce serait un beau parti.
— Mais je n'ai pas du tout l'intention de l'épouser !
s'exclama Shami avec véhémence.
C'était exactement le genre de commentaire qu'elle
redoutait de la part de Janice ! John fronça les sourcils.
— Pourquoi pas ? Il doit être très amoureux de toi pour
travailler avec acharnement depuis des jours, surtout par un
tel temps...
Shami plissa le front. En effet, il avait fait un froid glacial
toute la semaine. Adrian amoureux d'elle ? Cette idée la
perturbait.
— Je ne le connais que depuis une semaine.
— Je ne connaissais Bess que depuis deux jours quand
j'ai décidé de l'épouser.
— Adrian n'est pas fan du mariage.
— De quoi est-il fan, alors ?
Dieu merci, les yeux de John étaient fixés sur le chien !
songea Shami. Il ne pouvait pas voir qu'elle avait
subitement les joues en feu...
— Il a un penchant très net pour les brunes, répliqua-t-elle
d'un ton plus vif qu'elle ne l'aurait voulu.
John pouffa.
— Je n'ai pas entendu dire qu'il y avait une pénurie de
brunes à Sydney ! Il n'est pas obligé de venir jusqu'à
Katoomba pour en trouver une.
— Je pense être la seule à l'avoir abandonné.
— Ah, je vois. Tu penses qu'il te poursuit parce que tu le
fuis, c'est cela ?
Shami se mordit la lèvre. On ne pouvait pas dire qu'elle
fuyait Adrian ! Il était parvenu à ses fins. Elle l'avait supplié
plus d'une fois au cours de la semaine, en plus de tout ce
qu'elle avait accepté de faire...
Dieu merci, aujourd'hui elle travaillait ! Elle n'était pas
obligée de rester dans la maison à proximité de lui, rongée
de frustration.
Chez elle, il ne la touchait jamais et, le soir venu, elle était à
bout. Pas étonnant qu'il ne lui reste plus la moindre bribe
d'amour-propre, qu'elle soit prête à se soumettre à toutes
ses exigences.
— Qu'est-ce qui te fait peur dans cet homme, Shami ? La
voix de John la fit tressaillir.
— Ray ne t'en voudrait pas, tu sais, poursuivit-il avant
qu'elle n'ait le temps de répondre. Il serait ravi de te voir
heureuse. Si cet homme t'aime, donne-lui une chance.
Elle secoua la tête.
— Tu ne comprends pas.
— En tout cas, une chose est sûre : tu es différente cette
semaine, Shami. Tu es enfin de retour parmi les vivants. Il
ne te reste plus qu'à décider d'aimer de nouveau.
— L'amour ne se décide pas, John. Il s'impose ou non.
— Alors laisse-le s'imposer, ne le décourage pas. Je parie
que tu ne lui as pas parlé du bébé. Je me trompe ?
Shami se raidit
— Non.
A son grand soulagement, John changea de sujet avec son
tact habituel.
— Comment va Mozart ?
— Ça va.
— Louise dit qu'il est transformé depuis l'arrivée de ton «
ouvrier ».
Shami réprima un soupir. Encore Louise ! Dommage que
Mozart ait perdu l'habitude de lui montrer les crocs...
— Apparemment, il apprécie la présence d'un homme
dans la maison, ajouta-t-elle d'un ton qu'elle espérait
neutre.
E n raison d'une urgence survenue a u dernier moment,
Shami quitta la clinique e n retard. Lorsqu'elle arriva chez
elle, sa montre indiquait 17 heures et le jour commençait à
décliner.
Malgré tout, Adrian était encore en train de peindre la
clôture avec le pistolet loué la veille. Il souleva ses lunettes
protectrices et lui sourit.
— Plus que cinq minutes et j'ai fini. Qu'en penses-tu ? Elle
promena autour d'elle un regard impressionné. En cinq
jours il avait accompli un véritable miracle : la maison et le
jardin étaient métamorphosés. John avait raison, i l avait
travaillé avec acharnement En particulier aujourd'hui...
Lorsqu'elle était partie ce matin, seul l'arrière de la maison
était repeint A présent, toute la façade, d'un blanc éclatant,
resplendissait sous les derniers rayons du soleil.
— C'est superbe, commenta-t-elle. Mais tu dois être
épuisé.
Le sourire d'Adrian devint malicieux.
— Pas tant que cela, ne t'inquiète pas. Mais je vais avoir
besoin d'un peu de temps pour préparer quelques petites
choses avant que tu ne me rejoignes au motel.
— Quel genre de choses ? demanda-t-elle sans parvenir à
masquer son inquiétude.
La veille il lui avait attaché les poignets derrière le dos
avec la ceinture de son peignoir en lui demandant de faire
comme si elle était l'esclave d'un prince tyrannique, qui
l'obligeait à rester enchaînée toute la nuit à son lit,
entièrement nue. Il fallait qu'elle se tienne prête à
s'agenouiller devant lui chaque fois qu'il lui en donnait
l'ordre.
Elle avait joué son rôle à la perfection.
Elle ne voulait plus se prêter à ce genre de jeux. Sa
soumission avait des limites. Elle n'aspirait plus qu'à une
chose : faire l'amour avec Adrian sans mise en scène.
— Tu verras bien, répliqua-t-il d'un air énigmatique. Viens à
20 h 30. Mets ce que tu portais la première fois que je t'ai
vue à Sydney.
Elle le regarda d'un air perplexe, mais il se remit au travail
sans plus lui prêter la moindre attention. Elle réprima un
soupir. Il ne lui dirait plus rien. C'était toujours ainsi e n fin
de journée. Il lui donnait ses instructions pour leur rendez-
vous de la soirée, puis l'ignorait jusqu'à son départ
Il fallait bien reconnaître que cela l'excitait au plus haut
point, chaque jour davantage.
Pas de doute. Elle avait perdu la raison.
Complètement déstabilisée, Shami rentra dans la maison
et courut jusqu'à sa chambre. Elle se jeta sur son lit et
éclata en sanglots.
Pourquoi pleurait-elle ? N'avait-elle pas ce qu'elle voulait?
Une aventure sans complications avec Adrian ?
« Oui. C'est tout ce que je veux ! songea-t-elle
rageusement Je ne veux pas l'aimer. Et je ne veux pas non
plus qu'il m'aime. Surtout pas ! »
Mais les larmes continuèrent d'inonder l'oreiller et elle finit
par se rendre à l'évidence.
John avait raison. Elle avait peur, peur d'aimer.
Pourtant, la nature de sa relation avec Adrian ne lui
convenait plus. Si elle continuait ainsi, elle finirait par
perdre irrémédiablement sa fierté.
Il fallait que cela cesse, dès ce soir.
18.
En arrivant devant la porte de la chambre dix-huit, Shami
s'exhorta à la fermeté.
Pas question de perdre courage. Elle allait dire à Adrian
qu'elle ne voulait plus continuer comme ça, qu'elle ne
voulait plus jouer les esclaves sexuelles, mais avoir une
vraie relation avec lui.
Au moment de frapper, elle s e maudit. Quelle idiote ! Elle
n'aurait pas d û s'habiller comme i l le lui avait ordonné ! Il
risquait d'avoir du mal à la prendre a u sérieux... Pourquoi
n'y avait-elle pas pensé plus tôt? Elle aurait d û mettre un
vieux jean et un pull ample, ou un jogging informe. Surtout,
elle aurait dû mettre un soutien-gorge sous son pull rose...
Ses seins qui pointaient à travers la laine risquaient de lui
faire perdre toute crédibilité !
La porte s'ouvrit avant même qu'elle ait frappé. Le souffle
coupé, elle resta sans voix.
Des dizaines de bougies brillaient dans la pénombre de la
chambre et, contrairement a ux autres soirs, Adrian était
entièrement habillé.
— Tu aimes ? demanda-t-il en lui prenant la main pour
l'attirer à l'intérieur.
— Oui, c'est... très beau.
— J'ai eu envie de donner une touche romantique à cette
soirée.
Il ferma la porte et l'entraîna vers la table basse, sur laquelle
étaient posés un seau à Champagne et deux flûtes. Un
poste de radio diffusait de la musique douce.
Shami était au comble de la stupéfaction. Comment dire à
Adrian qu'elle ne voulait pas continuer comme cela ?
L e décor était s i différent d e s autres soirs qu'elle avait
l'impression d'être ailleurs. Adrian aussi étai t différent.
D a ns s o n pantalon gris impeccablement coupé et sa
chemise bleu roi à col ouvert, il était très élégant et il s'était
même rasé !
— Quand as-tu trouvé le temps de préparer tout ça?
— Tu n'es pas là pour poser des questions, ma belle. Ma
très belle... Car tu es particulièrement en beauté ce soir,
ajouta-t-il en lui tendant une flûte de Champagne.
— Merci.
Allons bon, elle sentait déjà ses bonnes résolutions
l'abandonner. Il était tentant de ne rien lui dire du tout, de lui
laisser une fois de plus le contrôle de la situation...
Voyant qu'elle ne buvait pas, il posa sur elle un regard
pénétrant.
— Quelque chose ne va pas? Les bougies et le
Champagne, c'est une erreur?
— Non, au contraire. Cela me plaît beaucoup. C'est juste
que...
— Quoi donc?
— Rien.
Shami but une gorgée de Champagne.
— Rien du tout
Adrian crispa les doigts sur sa flûte avec une telle force
qu'il fut surpris qu'elle ne se brise pas. Décidément, il ne
parviendrait jamais à rien avec cette femme !
De toute évidence, elle était déçue. Elle n'avait aucune
envie de passer une soirée romantique. Elle voulait du
sexe, brut et sans amour... Il avait eu tort de penser qu'elle
se lasserait d'une relation purement sexuelle, qu'elle finirait
par aspirer à autre chose.
Quel idiot !
La soirée romantique serait finalement une soirée d'adieu.
Il avait terminé les travaux dans la maison. Elle pourrait la
vendre à un prix correct et il n'avait plus rien à faire ici. Dès
demain, il partirait.
La sonnerie de son portable accrut l'irritation d'Adrian. Il prit
l'appareil sur la table de chevet.
— Adrian Palmer, annonça-t-il d'un ton vif.
— Bonsoir, Adrian.
— Maman ! Que se passe-t-il ? Tu ne m'appelles jamais
sur mon portable.
— J'ai téléphoné chez toi et je suis tombé sur ton
répondeur. Je t'ai laissé plusieurs messages, mais comme
tu ne me rappelles pas...
— Désolé. Je ne suis pas à Sydney en ce moment.
— Mais pas en vacances non plus, je suppose, tu ne
prends jamais de vacances. D'ailleurs, tu ne viens jamais
voir ta mère non plus, ajouta la mère d'Adrian d'un ton
nettement réprobateur.
Il ne put s'empêcher de sourire.
— Tu as raison, maman. Je travaille. Que se passe-t-il?
— Doit-il se passer quelque chose pour que je te
téléphone ? Je voulais juste savoir si tu avais envie de
venir me voir ce week-end.
— Y a-t-il une raison particulière ?
— Non, mis à part que je ne t'ai pas vu depuis Pâques.
Mais si tu travailles...
— Non, je serai ravi de venir.
— Fantastique. Quand penses-tu arriver ?
— Une minute, s'il te plaît.
Adrian regarda Shami. Nul doute que ce serait le dernier
clou dans le cercueil de sa relation avec elle, mais tant
pis...
— Ma mère voudrait que je lui rende visite ce week-end. Tu
aimerais venir avec moi ?
Il fut si surpris par le sourire ravi de Shami qu'il faillit lâcher
son téléphone.
— Oui beaucoup, mais que vais-je faire de Mozart?
— Nous pouvons l'emmener.
— Il a du mal à s'adapter aux endroits qu'il ne connaît pas.
Serait-ce un trop grand détour si nous le laissions chez ma
sœur, à Swansea?
— Pas du tout Nous pourrions y faire une halte demain,
reprendre la route, passer la nuit dans un motel et finir le
trajet dimanche matin.
— Oui, ce serait parfait.
A en juger par son air réjoui, cette idée plaisait vraiment à
Shami, songea Adrian, le cœur battant.
— Maman, cela ne t'ennuie pas si je viens avec quelqu'un ?
— Une fille, tu veux dire ? s'exclama sa mère d'un ton
incrédule.
— Oui.
— Je n'arrive pas à le croire ! Tu es sérieux ?
— Oui.
Il jeta un coup d'œil à Shami.
— Très sérieux.
— Je commençais à croire que tu étais gay et que tu
n'osais pas me l'avouer. Cela ne m'aurait posé aucun
problème, tu sais.
Adrian pouffa.
— Ravi de l'apprendre !
— Oh Adrian ! Tu ne peux pas savoir à quel point je suis
heureuse !
— T u l e seras encore p lus quand t u l a verras. Nous
viendrons e n voiture e t nous arriverons dimanche midi.
Mai s bi en sûr, i l y a une condition. Il faut que tu me
prépares mon plat favori, ajouta-t-il d'un ton taquin.
— Un rôti d'agneau.
— Bravo. Et n'oublie pas la tarte aux pommes avec de la
glace en dessert.
— Bien sûr que non ! Dis-moi, comment s'appelle-t-elle?
— Shami.
Shami fut bouleversée par le regard éperdu dont Adrian la
couva en prononçant son nom.
Tout à coup, tous ses doutes s'évanouirent. Il était sincère
quand il lui avait dit qu'il tenait à elle ! Comment avait-elle
pu en douter? se demanda-t-elle, assaillie de remords.
Elle n'entendit pas le reste de sa conversation avec sa
mère, trop occupée à préparer ce qu'elle allait lui dire.
En raccrochant il se tourna vers elle d'un air circonspect.
— Je dois avouer que je suis surpris par ta réaction. J'étais
certain que tu dirais non.
Elle eut un sourire attendri.
— Je viens de prendre conscience que je m'étais conduite
comme une idiote. Excuse-moi de t'avoir laissé croire que
je voulais seulement faire l'amour avec toi, Adrian. Ce n'est
pas vrai. J'attends beaucoup plus de toi qu'une simple
aventure.
— Qu'attends-tu, exactement ?
— Je ne le sais pas encore, mais j'ai très envie de le
découvrir, répondit-elle en se blottissant dans ses bras.
19.
— J'avoue que j'ai encore du mal à y croire, déclara Janice
en secouant la tête.
Les deux sœurs étaient assises sous la pergola. Un peu
plus loin, Pete faisait griller des steaks et des saucisses
sur le barbecue en compagnie d'Adrian. Les deux fils de
Janice et Pete couraient dans le jardin, suivis par Mozart
qui n'avait jamais paru plus heureux.
— Tu parles de la ressemblance entre Adrian et Ray ?
— Je comprends pourquoi tu as d'abord cru qu'Adrian était
le frère jumeau de Ray. Mais je parlais surtout de ta
métamorphose : tu es radieuse.
Shami sourit.
— Je reconnais que je suis très heureuse.
Elle avait passé une nuit fantastique. Adrian lui avait prouvé
qu'il pouvait être un amant aussi tendre qu'il pouvait être
dominateur.
Pendant le trajet en voiture, ils avaient enfin commencé à
se confier l'un à l'autre. Elle savait désormais tout de son
enfance, dont il gardait un souvenir ébloui. De toute
évidence, il avait grandi entouré d'amour.
De son côté, elle lui avait révélé que sa mère était morte
lorsqu'elle avait treize ans et que son père, qui ne s'en était
jamais remis, avait fini par succomber à une cirrhose après
de longues années de dépression et d'alcoolisme.
Toutefois, elle ne lui avait pas encore parlé du bébé. Elle
ne parvenait pas à trouver le bon moment pour aborder le
sujet.
— Il t'aime, affirma Janice.
— Oui, acquiesça Shami.
Même s'il ne le lui avait jamais dit, c'était une évidence. La
veille, elle avait vu son amour dans son regard, puis l'avait
senti dans ses caresses et ses baisers.
Janice la regarda avec perplexité.
— Et toi ? Tu ne l'aimes pas ?
— Si. C'est un homme merveilleux.
— Mais?
Shami réprima un soupir. Impossible d e cacher quoi que
c e soit à s a sœur... Curieusement elle avait encore des
doutes sur ses propres sentiments.
— Je n'éprouve pas la même chose que quand j'étais avec
Ray. Ne te méprends pas. Je suis extrêmement attachée à
Adrian. Je n'imagine pas de vivre sans lui et pourtant j'ai
l'impression qu'il me manque quelque chose.
Janice resta silencieuse un instant, l'air songeur.
— Je sais ce qui te manque. Quand tu étais petite, tu
ramenais toujours à la maison des chats errants et des
oiseaux blessés. D'une certaine manière Ray était un
animal blessé. Il avait besoin d'être rassuré et soutenu, ce
qui comblait ton propre besoin de le protéger.
Je suis sûre qu'au fond de toi tu penses qu'Adrian n'a pas
besoin de toi.
— C'est la réalité. Regarde-le, Janice. Il a tout ce qu'un
homme peut désirer : la beauté, l'intelligence, le charme, la
réussite. Il peut séduire toutes les femmes qu'il veut.
— Oui, mais il n'en veut qu'une et c'est toi, petite sœur. Tu
n'en es pas encore convaincue ?
Si, reconnut Shami intérieurement, mais elle avait du mal à
comprendre comment elle pouvait plaire à un homme
comme lui.
— Lui as-tu parlé du bébé ?
— Pas encore, mais je vais le faire. Bientôt
Un peu après 14 heures, Adrian et Shami reprirent la route
vers le nord.
— J'ai réservé une chambre dans un motel à Nambucca
Heads, annonça Adrian en prenant de la vitesse sur la
Pacific Highway.
C'est à un peu plus de la moitié du trajet
— Parfait, répliqua Shami en se calant dans son siège.
Il lui jeta un coup d'œil amusé.
— Bien installée ?
— C'est un vrai plaisir de voyager dans une voiture aussi
confortable.
— Ravi que cela te plaise. Tu veux écouter de la musique
ou préfères-tu bavarder ?
C'était le moment où jamais de lui parler du bébé, songea
Shami. Mais, une fois de plus, elle en fut incapable.
— Je veux bien écouter de la musique. Je suis un peu
fatiguée.
— Pourquoi n'essaierais-tu pas de dormir? Adrian alluma
la radio et Shami ferma les yeux. Lorsqu'elle se réveilla,
elle fut stupéfaite de voir que le soleil s'était couché et que
la voiture quittait la route principale.
— La Belle au Bois dormant se sent mieux ?
— Beaucoup mieux. Où sommes-nous ?
— Presque arrivés.
— Tu dois être fatigué de conduire.
— Un peu. Nous pourrions dîner dans notre chambre, ce
soir. Que dirais-tu de manger chinois ?
— Cela me paraît parfait.
— Sais-tu que tu es la femme la plus facile à vivre que je
connaisse?
— Je suis issue d'une longue lignée de femmes faciles à
vivre.
Adrian pouffa.
— Je veux bien te croire ! Ta sœur est charmante et son
mari aussi. La perspective de les avoir pour beau-frère et
belle-sœur ne me déplaît pas.
Shami tressaillit
— Qu'as-tu dit?
— Je suis sûr que tu as très bien entendu.
— Tu me demandes de t'épouser? s'exclama-t-elle sans
masquer sa stupéfaction.
— En réalité, je voulais faire ma demande dans les règles,
sur un genou, e n glissant un énorme diamant à ton doigt.
Mais, rassure-toi, tu ne perds rien pour attendre.
— Mais... tu ne m'as jamais dit que tu m'aimais.
— Vraiment ? Je croyais que si.
— Non.
— Allons bon ! Décidément, je suis au-dessous de tout!
Adrian se rangea sur le bas-côté et se tourna vers Shami.
— Il faut absolument que je répare cette grave erreur sans
attendre.
Lui prenant le visage à deux mains, il l'embrassa
tendrement.
— Je t'aime, Shami Johnson. Je t'aime tellement que je
n'imagine pas la vie sans toi.
— Il faut que tu saches quelque chose... Je ne suis pas
certaine de pouvoir avoir... des enfants.
Allons bon, elle avait bien failli dire « d'autres enfants » !
— Nous nous en préoccuperons le moment venu.
Bouleversée, Shami sentit sa gorge se nouer. Quelle
magnifique preuve d'amour
!
Malgré tout, il allait trop vite. Beaucoup trop vite...
— C'est un peu rapide, comme décision, non ?
— La vie est courte, Shami.
— J'ai besoin d'un peu de temps.
— Pas trop. Je ne suis pas un homme patient. Elle eut un
sourire malicieux.
— Vraiment?
— Mais tu m'aimes, n'est-ce pas? murmura-t-il en
l'embrassant avec plus de fougue que la première fois.
— Oui, répondit-elle lorsqu'il finit par s'arracher à ses
lèvres. Je t'aime.
Après une nuit de passion et de tendresse mêlées, ils
reprirent la route le lendemain matin après le petit
déjeuner.
La mère d'Adrian vivait à Kingscliff, une ville située au bord
de la mer, à quelques kilomètres au sud de la frontière
entre les New South Wales e t le Queensland. Lorsqu'ils y
arrivèrent, un peu avant midi, Shami sentit son estomac se
nouer. La perspective de rencontrer la mère d'Adrian était
beaucoup plus angoissante qu'elle ne s'y attendait...
En brique blonde, la maison d'un étage était perchée au
sommet d'une petite colline, à quelques centaines de
mètres d'une longue plage de sable blanc. Elle bénéficiait
d'une vue splendide sur le Pacifique.
— A l'origine, c'était notre maison de vacances, expliqua
Adrian en se garant Le cabinet de papa se trouvait à
Brisbane, mais nous passions toutes les vacances de
Pâques et de Noël ici. Lorsqu'il a pris sa retraite, il a
décidé de s'installer à Kingscliff, mais à l'époque la maison
était deux fois plus petite. Il m'a demandé de dessiner des
plans pour l'agrandir et voici le résultat.
Alors que Shami admirait l a maison, l a porte s'ouvrit sur
une femme très petite, aux cheveux argentés e t aux yeux
marron. Elle s'efforça de masquer sa perplexité : Adrian ne
ressemblait pas du tout à sa mère...
— Vous arrivez plus tôt que prévu, déclara-t-elle avec un
large sourire. J'espère que tu n'as pas roulé trop vite, vilain
garçon !
Adrian la serra dans ses bras en riant.
— J'ai essayé, mais Shami m'a menacé de me tordre le
cou si je ne ralentissais pas.
— Bravo ! Il a besoin qu'on le rappelle à l'ordre de temps
en temps, mon fils. Il se croit invulnérable.
Shami sourit.
— Oui, j'ai remarqué.
— Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis heureuse
de vous rencontrer, déclara la mère d'Adrian en la serrant
dans ses bras avec chaleur. Vous rendez-vous compte que
vous êtes la première fille que mon fils amène à la maison
depuis le lycée?
— J'ai trente ans, madame Palmer, répliqua Shami en
riant. Je ne suis plus une fille !
— Pour moi, si. J'aurai bientôt soixante-seize ans.
— Vous ne les paraissez pas.
— Oh, mais elle est parfaite, commenta Mme Palmer en
prenant Shami par le bras. Tu peux la garder, Adrian.
— J'en ai bien l'intention, déclara-t-il en enveloppant Shami
d'un regard possessif.
Sa mère entraîna Shami dans la maison.
— Faites-moi plaisir, appelez-moi May, s'il vous plaît. La
sincérité manifeste de cet accueil chaleureux rassura
Shami et elle se détendit un peu. Dieu merci, la mère
d'Adrian ne semblait pas penser qu'elle n'était pas assez
bien pour son fils.
Mme Palmer la conduisit dans un vaste salon au décor
élégant et l'invita à s'asseoir sur un grand canapé de
velours vert pâle garni de coussins moelleux. Deux
énormes fauteuils assortis lui faisaient face.
Une appétissante odeur d'agneau rôti flottait dans l'air,
constata Shami tandis que Mme Palmer lui servait un
sherry dans un verre de cristal. Elle avait faim et se sentait
déjà chez elle !
— Que penses-tu de maman ? murmura Adrian pendant
que sa mère se rendait dans la cuisine pour surveiller la
cuisson du rôti.
— Elle est très chaleureuse.
Quelques secondes plus tard, Mme Palmer les rejoignit
— L e déjeuner n e sera prêt q ue dans une demi-heure,
annonça-t-elle en s'asseyant dans un fauteuil et en prenant
son verre de sherry. Tu es sûr que tu ne veux rien boire,
Adrian ? Il y a de la bière au réfrigérateur.
— Non merci, maman, je boirai du vin à table. D'ici là, je
voudrais montrer quelque chose à Shami.
Adrian se leva et se dirigea vers un buffet en chêne.
Jamais elle n'avait vu autant de photos encadrées réunies
sur un même meuble, songea Shami en le suivant des
yeux. La plupart étaient d'Adrian, mais il y en avait
quelques-unes de ses parents. Même de loin, il était visible
que son père n'était pas beaucoup plus grand que sa
femme. De qui Adrian avait-il donc hérité sa grande taille ?
— Ah... Voici l'album que je cherchais. Il est entièrement
consacré à ton humble serviteur, ajouta Adrian en
rejoignant Shami.
Il s'assit à côté d'elle et ouvrit l'album sur leurs genoux.
— Voici maman quand elle était enceinte. De six mois,
c'est cela, maman ?
— Oui, environ, répliqua Mme Palmer d'une voix étrange.
Shami regarda la photo avec surprise. La mère d'Adrian
paraissait beaucoup plus jeune que les quarante ans
qu'elle devait avoir à l'époque. Ses cheveux noirs étaient
coupés très court, ses yeux noirs étincelaient de bonheur.
Elle se trouvait dans un parc, appuyée contre un arbre, les
mains posées sur son ventre rond.
— E t me voila dans mon premier bain, poursuivit Adrian.
J'étais plutôt maigrichon à l'époque, mais je suis né avec
u n mois d'avance. Tu vois ? Là c'est moi à trois mois,
j'avais bien forci.
Shami ne regarda pas la photo d'Adrian à trois mois. Elle
étudiait avec perplexité celle d e son premier bain, que lui
donnait sa mère.
Ce détail pouvait peut-être échapper à un homme, mais
pour elle il était flagrant...
Les cheveux de Mme Palmer lui arrivaient largement au-
dessous des épaules. Il était impossible qu'ils aient poussé
à ce point en deux mois... Il était impossible également que
ce soit une perruque. Quelle femme achèterait une
perruque avec des mèches grises ?
Surtout quand elle avait des cheveux d'un noir de jais !
Shami sentit son estomac se nouer. Quelque chose
clochait...
A ce moment, Adrian dit à sa mère en riant :
— Figure-toi que Shami pensait que j'avais été adopté !
Shami jeta un coup d'œil à Mme Palmer et son anxiété
redoubla. Cette femme avait peur, cela se lisait dans ses
yeux...
— Shami a été mariée, poursuivit Adrian sans paraître
remarquer le trouble de sa mère. Son mari a été tué dans
un accident de train, il y a quelques années.
— Mon Dieu, comme c'est triste, commenta Mme Palmer
d'une voix crispée.
— Son mari était un enfant adopté et je suis son sosie,
expliqua Adrian. Je lui ressemble tellement que Shami a
cru que nous étions des jumeaux séparés à la naissance et
adoptés par deux familles différentes.
Mme Palmer renversa son verre de sherry sur son corsage.
Très pâle, elle regarda Adrian d'un air désespéré.
Il pâlit à son tour et resta figé sur le canapé.
Shami bondit sur ses pieds pour aider la vieille dame.
Elle lui prit son verre des mains et le posa sur une table.
— Je ne sais pas ce que j'ai. Je suis très maladroite
depuis quelque temps, déclara Mme Palmer d'une voix
tremblante.
— J'ai été adopté, n'est-ce pas?
La voix sèche d'Adrian, toujours assis sur le canapé,
l'album de photos sur les genoux, résonna dans la pièce
comme un coup de fouet.
— Non, Adrian.
— Ne me mens pas !
— Je ne te mens pas. Ton père et moi, nous ne t'avons pas
adopté.
Mme Palmer s'affaissa dans son fauteuil.
— Nous t'avons volé.
20.
— Volé ? répéta Adrian d'une voix blanche. Comment cela,
volé ?
S'affaissant un peu plus dans son fauteuil, sa mère enfouit
son visage dans ses mains.
— Je n'avais jamais imaginé que tu le découvrirais un jour.
— Maman, reprends-toi et dis-moi ce que vous avez fait,
papa et toi, intima sèchement Adrian.
— Adrian, s'il te plaît, intervint Shami en passant un bras
autour des épaules de sa mère. Tu ne vois pas qu'elle est
bouleversée ?
— El l e est bouleversée ? s'exclama-t-il au comble de
l'indignation. Et moi alors ?
Shami lui adressa un regard compatissant.
— Toi aussi, bien sûr, mais tu es plus fort qu'elle.
Il secoua la tête. Jamais il ne s'était senti aussi vulnérable...
Les bases sur lesquelles reposaient toutes ses certitudes,
tout ce qui faisait sa vie, venaient d'être réduites en miettes
par la révélation effarante de sa mère.
— Oui, même si ce n'est pas ton impression, tu es plus fort
qu'elle, insista Shami avec un regard confiant qui l'apaisa
un peu.
Elle s'accroupit à côté de sa mère.
— Mme Palmer, il faut que vous expliquiez à Adrian ce qui
s'est passé. Il a besoin de connaître la vérité.
— II... il ne comprendra pas, répondit la vieille dame d'une
voix brisée.
— Si, il comprendra.
Pour sa part, il n'en était pas du tout certain, songea Adrian
en serrant les dents.
Son regard se reporta sur l'album de photos et il fut assailli
par une nouvelle bouffée d'indignation.
— Cette photo de toi enceinte, c'était une mise en scène ?
demanda-t-il d'un ton cinglant en pointant le cliché du doigt
Tu avais mis un coussin sous tes vêtements ?
Sa mère leva vers lui un visage inondé de larmes.
— Non. J'étais vraiment enceinte. J'avais déjà fait trois
fausses couches, mais cette fois-là tout semblait bien se
passer. Je... J'ai commencé à a vo i r d e s contractions
quelques jours après que cette photo a été prise. Le bébé
est mort quelques heures après sa naissance.
La voix de Mme Palmer se brisa.
— C'était un garçon.
— Continue, intima Adrian, implacable.
— Il y a eu des complications et je... les médecins m'ont dit
que je ne pourrais plus jamais avoir d'enfant. J'ai fait une
dépression.
Ton père était très inquiet à mon sujet.
— Alors il a volé un bébé ? Je n'arrive pas à croire qu'il ait
pu faire ça. Il était si exigeant en matière d'honnêteté... Bon
sang, il m'a élevé dans le respect le plus strict de la vérité !
— Je savais que tu ne comprendrais pas, gémit Mme
Palmer.
Adrian jeta l'album sur le canapé, se leva et se mit à
arpenter la pièce à grands pas. Puis il s'immobilisa et
referma les mains sur le dossier du canapé.
— Alors comment cela s'est-il passé ? Où m'avez-vous
volé ? Dans un hôpital ?
— Non ! Pas du tout ! Ce n'était pas prémédité.
— Un beau jour, je me suis retrouvé sur tes genoux par
hasard, c'est ça ?
May laissa échapper un petit soupir tremblant.
— Non, bien sûr que non.
— Adrian, laisse ta mère s'expliquer, s'il te plaît Il leva les
bras en l'air d'un geste rageur.
— Très bien, qu'elle s'explique ! Si elle y arrive...
— Oh, mon Dieu !
Sa mère éclata de nouveau en sanglots et Shami lui tapota
la main.
— Contentez-vous de raconter la vérité, May. Shami était
vraiment d'une patience admirable avec sa mère. Sauf que
ce n'était pas sa mère ! songea Adrian avec amertume.
— A l'époque, ton père avait un cabinet médical à Sydney,
à Surrey Hills. Un quartier défavorisé, comme tu le sais il
voulait aider ceux qui avaient eu moins de chance que lui.
Je ne travaillais plus depuis la mort de mon bébé trois ans
plus tôt, j'en étais incapable.
Un vendredi soir, j'ai rejoint ton père au cabinet. Nous
devions dîner au restaurant. Sa réceptionniste venait de
partir et il était en train de fermer le cabinet quand une
jeune femme a fait irruption. Elle était sur le point
d'accoucher et il était trop tard pour appeler une
ambulance. J'ai aidé ton père à te mettre au monde. Tout
s'est passé si vite... Nous avons été stupéfaits de voir
arriver un second bébé.
« La jeune femme a reconnu qu'elle n'avait jamais consulté
de médecin, elle ignorait qu'elle attendait des jumeaux. Elle
avait fugué et elle vivait dans un squat. Arthur s'occupait du
placenta quand elle a commencé à se plaindre d'une
violente migraine. Elle est morte en quelques secondes :
une rupture d'anévrisme, avons-nous appris plus tard. Tout
à coup, nous nous sommes retrouvés avec deux nouveau-
nés dans les bras. »
— Alors vous avez décidé d'en voler un, commenta Adrian
d'un ton grinçant.
Devant la détresse manifeste de sa mère, il ne put
s'empêcher de se sentir coupable.
— Arthur ne voulait pas, mais devant ma détermination il
n'a pas eu le choix. Je voulais vous prendre tous les deux,
mais il m'en a dissuadée en me disant que nous n'aurions
aucune chance de nous en tirer. J'ai été obligée de choisir.
— Pourquoi moi ? Pourquoi pas mon frère ?
— Tu étais un peu plus gros et tu ne pleurais pas, alors que
ton frère n'arrêtait pas. Arthur m'a dit qu'un bébé qui
pleurait tout le temps attirerait trop l'attention. Je t'ai
emmené chez nous en taxi, pendant qu'Arthur appelait la
police et une ambulance. Bien sûr, il n'a dit à personne que
la jeune femme avait accouché de jumeaux.
J'avais gardé tout ce que j'avais préparé pour notre propre
bébé, je n'avais pas eu le courage de jeter quoi que ce
soit. J'ai préparé des valises et, le lendemain matin, je suis
partie avec toi en voiture à Brisbane. J'avais une tante là-
bas : tante Charlotte, la seule parente qui me restait Tu ne
te souviens sans doute pas d'elle, tu étais encore petit
quand elle est morte. Je lui ai dit la vérité et elle a eu la
bonté de m'héberger le temps qu'Arthur règle ses affaires
à Sydney.
Nous savions que nous devions quitter la ville, commencer
une nouvelle vie ailleurs. Par chance, Arthur n'avait pas de
famille proche en Australie et personne ne risquait de nous
poser des questions embarrassantes. Comme tu le sais, il
a émigré d'Angleterre vers la trentaine. Après la mort de
son père, sa mère a épousé un homme qu'il ne supportait
pas. Il ne leur ajamáis écrit et ils se sont perdus de vue.
— Et des amis ? Vous n'aviez pas d'amis qui risquaient de
se demander où vous étiez passés, pourquoi vous étiez
partis ?
— Depuis la mort de notre bébé, nous ne fréquentions plus
grand monde à cause de ma dépression. Non, nous
n'avions plus d'amis proches.
De plus en plus déstabilisé, Adrian prit une profonde
inspiration. Il avait besoin de se retrouver seul, de prendre
un peu de temps pour tenter d'assimiler ces révélations.
— Je vais faire un tour.
— Adrian, non ! s'exclama Shami.
— Laissez-le, déclara Mme Palmer. C'est ce qu'il fait
toujours quand il est perturbé.
Adrian crispa la mâchoire. Elle le connaissait si bien et
n'était même pas sa mère !
— Une dernière question. As-tu cherché à savoir qui était
ma vraie mère ?
— Arthur a fait d e s recherches. E lle appartenait à une
famille très aisée d e Sydney, mais ses parents n'ont pas
voulu entendre parler de leur petit-fils illégitime. Ils ont signé
avec empressement les papiers nécessaires pour son
adoption.
Incrédule, Adrian sentit son cœur se serrer
douloureusement. Comment pouvait-il être aussi blessé
par le rejet de personnes qu'il ne connaissait même pas ?
— Je vois, commenta-t-il sèchement Ils n'auraient pas
davantage voulu de moi, n'est-ce pas ?
— Alors que moi, je voulais à tout prix te garder ! rétorqua
May avec feu.
L'amour qui brillait dans ses yeux noyés de larmes ne
faisait aucun doute.
— Dès l'instant où je t'ai pris dans mes bras.
Adrian sentit sa gorge se nouer. Pris de panique, il refoula
ses larmes. Pas question de pleurer devant la femme qu'il
aimait, pas question de devenir vulnérable, de ne plus
ressembler à l'homme dont elle était tombée amoureuse.
Une vive angoisse le submergea. Shami était-elle vraiment
amoureuse de lui ?
Il n'était plus seulement le sosie de son défunt mari mais
son frère jumeau. Il avait le même ADN. Etait-elle tombée
amoureuse de lui, ou était-ce son frère qu'elle continuait
inconsciemment d'aimer en lui ?
Terrifié par cette pensée, il quitta la pièce à grands pas.
21.
— Il ne me pardonnera jamais, dit May d'une voix brisée.
— Mais si, vous verrez, assura Shami. Pour l'instant il est
sous le choc, c'est pour cela qu'il est aussi agressif.
Cependant, vous avez raison sur un point : il ne comprend
pas ce qui vous a poussé à agir ainsi. Moi je vous
comprends, May, je sais ce que c'est de perdre un bébé.
— Vraiment?
— Oui. J'étais enceinte quand mon mari a été tué. Le choc
a provoqué un accouchement prématuré et le bébé est
mort Un petit garçon.
— Oh, ma pauvre petite... Moi j'avais au moins Arthur pour
me réconforter.
— Je dois dire que j'ai vécu des moments très difficiles.
C'était la première fois qu'elle parvenait à en parler sans
éclater en sanglots, constata Shami avec surprise. Elle
n'oublierait jamais la souffrance qui l'avait anéantie à
l'époque. Enfin, elle était capable de tourner la page.
— Comment était-il? demanda May. Votre mari, je veux
dire. Le frère d'Adrian.
— C 'étai t un homme merveilleux, très délicat, très
attentionné, mais il manquait de confiance en lui. De ce
point de vue, il ne ressemblait pas du tout à Adrian.
Physiquement, ils ne sont pas exactement semblables. La
première fois que j'ai vu Adrian, j'ai cru qu'il était le sosie
parfait de Ray, mais au bout de quelques instants j'ai
commencé à remarquer des différences.
May secoua la tête d'un air incrédule.
— C'est une coïncidence incroyable, vous ne trouvez pas?
Que vous rencontriez le frère jumeau de votre mari dans
une ville de quatre millions d'habitants...
— Peut-être est-ce le destin qui m'a guidée vers le seul
homme qui pouvait me rendre de nouveau heureuse. Dites-
moi, savez-vous où il a pu aller?
— Sur la plage, certainement.
— Je vais le chercher.
May baissa les yeux sur son corsage maculé de sherry.
— Moi, je vais me changer et voir si je peux encore sauver
le déjeuner.
Shami eut un sourire apaisant.
— Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer. Adrian
vous aime. Rien ne pourra jamais changer cela.
— J'espère que vous avez raison. Ça doit être difficile
d'apprendre une telle nouvelle à son âge.
— Oui. Ray n'a jamais vraiment accepté d'avoir été
adopté. Il souffrait d'un sentiment d'abandon.
— Mais il n'a pas été abandonné ! Sa mère est morte
quelques minutes après sa naissance. On ne le lui avait
jamais dit ?
— Non. Sa mère adoptive lui avait affirmé qu'il avait été
abandonné parce qu'il n'était pas désiré.
— Oh, mon Dieu, c'est horrible !
— E lle é ta i t égoïste e t stupide. A p rè s s a mo rt, j'ai
encouragé Ray à rechercher des détails sur son adoption,
mais il n'a jamais voulu. Au moins, Adrian sait à présent ce
qui s'est réellement passé, c'est essentiel.
— Oui, vous avez raison.
— Je ne lui ai pas encore parlé du bébé que j'ai perdu. Je
pense q ue l e moment e s t venu. C e la pourra peut-être
l'aider à comprendre vos motivations.
May s'essuya les yeux.
— J'ai pensé pendant un moment que c'était une
malchance qu'il vous ait rencontrée... Je me trompais. Mon
fils a beaucoup de chance au contraire. Vous êtes
exactement la femme dont il a besoin.
« Exactement la femme dont il a besoin. »
Les paroles de May résonnaient dans l'esprit de Shami,
tandis qu'elle se dirigeait vers la plage.
Janice avait raison. C'était ce qui lui manquait dans sa
relation avec Adrian : le sentiment qu'il avait besoin d'elle.
Elle avait hâte de le retrouver... De lui faire comprendre
qu'il survivrait à ces révélations parce que rien d'important
n'avait changé dans sa vie. Sa mère l'aimait toujours et elle
aussi, plus que jamais.
Adrian sentit la présence de Shami avant qu'elle ne
s'assoie à côté de lui sur le sable, mais il continua de fixer
la mer.
— D'accord, tu avais raison et j'avais tort, lança-t-il d'un ton
vif. Je suis le frère jumeau de ton mari.
— Oui, acquiesça-t-elle d'une voix très calme. Il posa sur
elle un regard rancunier.
— Et cela ne te dérange pas ?
Elle écarquilla les yeux, sincèrement surprise.
— Pas du tout.
— Eh bien, moi si.
— Pourquoi?
— Si tu poses la question, c'est que tu ne comprends rien
aux hommes.
— Cela ne gênerait pas Ray, Adrian.
— Moi, ça me gêne. Tu es sa femme, c'est lui que tu as
aimé le premier. Je ne suis que son remplaçant
— C'est faux!
— Je ne veux pas servir de substitut.
— Même si tu le voulais, ce serait impossible. Si tu avais
connu Ray, tu saurais que tu es très différent de lui.
— Mais justement, je ne l'ai pas connu. J'ai été privé de
cette chance quand ma chère mère a décidé de me voler.
D'ailleurs, en réalité elle n'est pas ma mère.
— Tu n'as pas le droit de dire cela ! May est ta vraie mère,
comme ton père était ton vrai père. Ils t'ont donné tout ce
qu'un enfant peut désirer : l'amour, la sécurité, une bonne
éducation et toutes les raisons d'être sûr de toi. Ray n'a
pas eu cette chance, je peux te l'assurer.
— Il aurait pu l'avoir si nous n'avions pas été séparés,
insista Adrian avec obstination.
— Peut-être, ou peut-être pas : je me demande s'il ne
serait pas resté dans ton ombre. Mais de toute façon, peu
importe, il est impossible de changer le passé. I l nous
arrive à tous d'être le jouet des circonstances, surtout
pendant notre enfance, mais, devenus adultes, nous avons
le choix. Tu peux décider de rester amer et plein de
rancune ou bien te montrer compréhensif et pardonner.
— C'est facile pour toi de dire cela, Shami. Mais comment
pourrais-je me montrer compréhensif alors que je suis
incapable de comprendre comment elle a pu faire cela ?
Toutes les femmes qui perdent un enfant ne volent pas
celui d'une autre femme.
— Non, c'est vrai. Mais ta mère n'avait pas seulement
perdu un enfant, Adrian, elle en avait déjà perdu trois et on
lui avait annonce qu'elle n'en aurait jeûnais d'autre.
— Ils auraient pu en adopter un, en suivant la filière
normale, précisa Adrian d'un ton caustique.
— Ils étaient trop âgés pour avoir une chance que leur
dossier soit accepté.
— Pas s'ils étaient allés à l'étranger.
— Il y a trente-six ans ? Allons, Adrian, cela ne se faisait
pas encore à l'époque.
— Ce n'était pas une raison pour voler un enfant
— Ce n'était pas prémédité. Le destin a placé ta mère
devant une tentation à laquelle il lui était impossible de
résister.
— Papa aurait dû intervenir et l'en empêcher.
— Apparemment il aimait beaucoup trop sa femme pour
cela.
Adrian hocha la tête à contrecœur.
— C'est vrai. Il l'adorait
— Et ils t'adoraient tous les deux. Tu ne peux pas leur en
vouloir pour cela, n'est-ce pas?
Adrian expira longuement.
— Non. Je reconnais qu'ils ont été des parents
fantastiques. Mais toute cette histoire est tellement
insensée...
— Tu viens de subir un choc violent Il eut un pâle sourire.
— C'est un euphémisme.
— Tu te souviens de cette pièce chez moi, dans laquelle je
t'ai empêché d'entrer ?
Adrian plissa le front avec perplexité. Pourquoi Shami
changeait-elle aussi abruptement de sujet? Il se tourna vers
elle. Elle ne le regardait pas et avait les yeux fixés sur
l'horizon. Son attitude était étrange...
— Oui, je me souviens. Et alors ?
— C'est une chambre d'enfant
— Une chambre d'enfant ?
— Oui. Une chambre bleue. Elle n' a jamais é té utilisée,
mai s i l n' y manque ri e n : n i l e berceau, n i l e mobile
suspendu juste au-dessus, ni la table à langer, ni une
garde-robe complète.
Shami se tourna enfin vers Adrian. Son menton tremblait
légèrement, constata-t-il en retenant son souffle.
— J'étais enceinte de cinq mois et demi quand Ray est
mort Le choc a déclenché l'accouchement et mon fils n'a
pas survécu.
Effaré, Adrian resta parfaitement immobile. Ce n'était pas
le moment de toucher Shami ni de faire le moindre
commentaire...
— Je sais exactement ce qu'a ressenti ta mère, Adrian. Je
connais cette souffrance. Elle vous déchire e t vous laisse
un insupportable sentiment de vide, de mort intérieure.
C'est pour cela qu'elle n'a pas pu résister à la tentation. De
mon côté, je suis restée entre la vie et la mort pendant cinq
ans. C'est toi qui m'as ramenée parmi les vivants.
Shami posa la main sur la joue d'Adrian.
— Tu n'es pas un substitut de Ray. Tu ne l'as jamais été et
tu ne le seras jamais. Tu es toi, Adrian Palmer, et je t'aime
plus que les mots ne peuvent l'exprimer. Hier, tu m'as
demandé de t'épouser. Si cette offre est toujours valable,
ma réponse est oui.
Adrian plongea son regard dans celui de Shami et tous les
doutes qui le torturaient s'évanouirent, remplacés par une
certitude absolue. Ce qu'elle venait de lui dire était vrai, elle
l'aimait, lui, Adrian Palmer.
Quelle femme admirable ! Après tout ce qu'elle avait
enduré, elle était encore capable d'affronter la vie avec
courage et optimisme. Quelle chance pour lui de l'avoir
rencontrée...
Il la prit dans ses bras et la serra tendrement contre lui.
— Tu es une femme exceptionnelle, Shami Johnson. Je
suis très honoré et très heureux que tu acceptes de
m'épouser.
Shami fut envahie par une paix merveilleuse. Quel
soulagement de lui avoir enfin parlé du bébé... A présent il
n'y avait plus aucun secret entre eux. Seulement de l'amour.
— Je te rendrai heureux, promit-il en lui embrassant les
cheveux.
— Tu me rends déjà heureuse, Adrian. Viens, rentrons et
faisons honneur au déjeuner que ta mère nous a préparé
avec amour.
— Je l'ai blessée, n'est-ce pas? demanda-t-il, tandis qu'ils
remontaient la colline, main dans la main.
— Il suffira de la serrer très fort dans tes bras pour qu'elle
l'oublie. Les mères pardonnent très facilement
— Je reconnais qu'elle a toujours été une mère fantastique.
« Je te donnerai un autre bébé, ma chérie », promit
silencieusement Adrian en pressant la main de Shami.
22.
Inutile de rester assis plus longtemps à son bureau... Il était
incapable de se concentrer sur son travail. Repoussant sa
chaise, Adrian se leva et se rendit dans la cuisine, où il se
servit du café.
Il jeta un coup d'œil à sa montre. Midi. Le rendez-vous de
Shami avec le spécialiste était à 10 h 30. Elle devrait être
sortie, bon sang ! Il lui avait demandé de l'appeler dès
qu'elle le pourrait, alors pourquoi le téléphone restait-il
silencieux ?
Cinq semaines s'étaient écoulées depuis leur voyage à
Kingscliff. Beaucoup plus de temps qu'il n'en fallait à
Adrian pour acheter à Shami une superbe bague de
fiançailles et planifier leur mariage avant la fin de l'année.
Il n'avait pas encore réussi à la convaincre d'emménager
chez lui. Elle tenait à rester à Katoomba jusqu'à la vente de
sa maison.
Toutefois, elle le rejoignait à Sydney tous les week-ends.
Mozart s'était attaché aux fils de Janice et habitait
désormais chez celle-ci.
Adrian avait obtenu à sa fiancée un rendez-vous chez le
meilleur gynécologue de Sydney et était impatient de
connaître l'avis de ce dernier.
Il entendit la porte d'entrée s'ouvrir et se précipita dans le
hall, le cœur battant à tout rompre.
C'était Shami, toujours aussi délicieuse dans la tenue qu'il
préférait. Pantalon noir et pull rose. Ses joues étaient aussi
roses que son pull et ses yeux noirs étincelants.
Adrian sentit les battements de son cœur redoubler : une
bonne nouvelle, sans doute...
— Vilaine, dit-il d'un ton faussement réprobateur en
déposant un baiser sur sa joue. Pourquoi ne m'as-tu pas
appelé ? Je suis sur des charbons ardents.
— Je voulais t'annoncer de vive voix ce que m'a dit le
médecin.
— Ne me fais pas languir plus longtemps, s'il te plaît La
machine s'est remise en route ?
Elle eut un sourire éclatant.
— Apparemment, oui.
— Alors pourquoi n'as-tu pas retrouvé des cycles normaux
?
— C'est curieux, n'est-ce pas? commenta-t-elle avec un
petit sourire béat.
Le cœur d'Adrian fit un bond dans sa poitrine.
— Tu es déjà enceinte !
— Oui ! s'exclama joyeusement Shami en se jetant dans
ses bras.
— De combien ?
— Environ six semaines.
— Ce qui signifie...
— Que cela doit dater du premier week-end de notre
rencontre.
— C'est incroyable...
— Moi, je trouve ça plutôt logique. Je t'ai dit que tu m'avais
fait renaître à la vie, non ? Oh, comme je t'aime, Adrian
Palmer !
Le cœur gonflé de joie, Adrian serra tendrement Shami
dans ses bras. Il s'était juré de rendre heureuse la femme
de sa vie, c'était un bon début...
Chaque fois qu'il se sentait abattu à cause des
circonstances de sa naissance — ce qui lui arrivait plus
souvent qu'il ne s'y attendait
—, il pensait à Shami et à tout ce qu'elle avait enduré. Ses
paroles lui revenaient en mémoire et il se disait avec force
: « Je choisis d'oublier mon amertume, d e n e p a s juger
mes parents et de ne pas leur garder rancune. J e choisis
d e regarder vers l'avenir tout en savourant mon bonheur
présent. »
Dire qu'ils allaient avoir un enfant !
— Nous devrions appeler Janice et ta mère pour leur
annoncer la bonne nouvelle.
— Elles peuvent attendre quelques minutes, tu ne crois pas
? Pour l'instant, je veux fêter cela uniquement avec toi. Je
vais ouvrir une bouteille de Champagne.
Elle secoua la tête.
— Non. Pas d'alcool pour les futures mamans. Il sourit
— Un café, alors ? Il y en a du tout frais dans la cuisine.
— D'accord.
— Maintenant, il faut que tu viennes vivre avec moi, dit-il
quelques instants plus tard, lorsqu'ils sortirent sur la
terrasse avec leurs tasses. Je veux m'occuper de toi et
nous construire une maison. Nos enfants vont avoir besoin
d'un jardin. Si tu te contentais de louer la tienne, pour
l'instant? Tu trouverais plus vite un locataire qu'un acheteur
et tu pourrais emménager ici dès cette semaine.
— C'est une bonne idée.
— Mais pas question que tu t'occupes du déménagement
Je vais engager une entreprise.
— Si tu insistes...
— J'insiste.
Elle eut un sourire malicieux.
— Quelque chose me dit que ton fils va être un véritable
petit tyran.
— Qu'est-ce qui te fait dire que ce sera un garçon?
— Une intuition.
Shami avait en partie raison. Leur premier-né fut un
garçon. Mais
pas un tyran.
Un enfant doux et rêveur, qui aimait les animaux et la
musique.
Es le prénommèrent Raymond Arthur, mais très vite tout le
monde l'appela Ray.

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