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Prologue

Dans la petite maison de Rotorua, la tension était palpable ; tous ses occupants avaient les nerfs à vif. Conscient de
l’anxiété croissante de sa mère, Malcolm Quinn, dix ans, tâchait d’occuper ses jeunes frères et sœur. Mais les jumeaux Rogan
et Ryan, âgés de sept ans, savaient que quelque chose ne tournait pas rond. Seule leur petite sœur, Dana, semblait n’avoir
aucune idée de ce qui se passait.
Leur père, Maxwell Quinn, avait quitté la base avancée avec son équipe d’alpinistes et leurs sherpas en début de
journée, prêt à conquérir l’Everest. C’était la sixième fois qu’il entreprenait cette ascension et, quand il l’aurait achevée, son
record serait inégalé.
Avec son partenaire, Robert Innis, il menait des expéditions sur l’Everest depuis près d’une dizaine d’années. Ils avaient
d’abord travaillé pour d’autres agences spécialisées dans les expéditions lointaines mais, quatre saisons plus tôt, ils avaient
fondé la société Terres d’Aventures, devenant ainsi leurs propres patrons. Depuis lors, leur père était rarement à la maison.
Pourtant, chaque fois qu’il en passait la porte, toute la famille semblait soudain revivre. Car, à cet instant précis, ils savaient
que Max était sain et sauf. Ils ne pouvaient en dire autant aujourd’hui.
— Quelle heure est-il ? demanda Rogan.
Mal leva les yeux pour le regarder. Avec un sourire contraint, il répondit :
— Ne t’en fais pas. Ils sont sans doute trop occupés pour appeler. Ou alors ils n’arrivent pas à nous joindre. Tu sais que
les téléphones par satellite sont souvent capricieux.
— Mais il est tard, intervint Ryan. Presque minuit. Ça veut dire qu’il est 10 heures, là-bas. Ils devraient être revenus au
camp, non ?
— Je suis sûr qu’ils y sont. Mais papa a beaucoup de responsabilités, expliqua Mal en répétant mot pour mot ce que sa
mère lui avait dit quelques minutes plus tôt.
Ces paroles n’avaient rien fait pour le tranquilliser, mais il espérait qu’elles apaiseraient ses frères.
Ryan se frotta les yeux avant de revenir à la charge :
— Mais s’il lui est arrivé quelque chose ?
— Oui, renchérit Rogan, ils ont peut-être peur de nous appeler ?
Traversant la pièce, Mal leur fit signe de se lever.
— Allez, au lit ! Je vous réveillerai quand il appellera. Je vous le promets.
A son grand soulagement, ils obéirent et se dirigèrent vers leur chambre d’un pas traînant. Mal attendit que la porte se
referme derrière eux, puis il retourna en hâte dans la cuisine. Lydie Quinn était assise derrière la table, Dana profondément
endormie dans ses bras. Sa mère fredonnait un air que Malcolm ne reconnut pas. Elle répétait la même phrase musicale en
boucle.
Sans dire un mot, Mal passa près d’elle pour aller mettre la bouilloire sur le feu. Quand il vint s’asseoir en face d’elle,
elle évita son regard et fixa un point au-dessus de sa tête.
— Maman ?
Elle continua de fredonner cet air entêtant, comme si elle ne l’avait pas entendu.
— Maman, veux-tu une tasse de thé ?
Il vit les yeux de sa mère se gonfler de larmes. Comme il se levait pour aller la réconforter, le téléphone sonna.
— Ne réponds pas, dit-elle.
— Mais, maman…
— Ne réponds pas.
Elle secoua la tête, et les larmes se mirent à couler sur ses joues. C’était la première fois que Mal voyait sa mère
pleurer, et il se demandait comment réagir. Dana commença à s’agiter entre les bras de Lydie qui resserra son étreinte sur elle
tout en se balançant d’avant en arrière.
Malcolm décrocha le téléphone.
— Allô ?
— Qui est à l’appareil ?
— Malcolm Quinn.
— Malcolm, c’est Roger Innis. Passe-moi ta mère.
— Non, répondit Malcolm. Vous pouvez me parler.
— Fiston, je te dis de me passer ta mère. C’est très important, je n’ai pas le temps pour les enfantillages.
— Elle ne veut pas vous parler, insista Mal. Elle ne peut pas. Elle sait qu’il y a un problème. Alors dites-moi tout, et je
lui transmettrai.
Tout en écoutant le partenaire de son père lui expliquer la situation, Malcolm prit lentement conscience que sa vie —
ainsi que celle de toute sa famille — ne serait plus jamais la même.
Chapitre 1

C’était bon d’être chez soi.


Malcolm Quinn attrapa son sac de voyage à l’arrière de sa vieille Range Rover et le balança sur son épaule. Voilà trois
jours qu’il avait quitté le Groenland. Il y avait mené une expédition de quatre semaines sur la calotte glaciaire que ses clients
et lui avaient traversée d’est en ouest en suivant le cercle Arctique. Après avoir embarqué dans un avion de brousse jusqu’en
Islande, il avait pris un vol de Reykjavík à Copenhague, de là un autre jusqu’à Dubai, puis jusqu’à Sidney, et sa dernière
correspondance l’avait enfin mené à Auckland, ce matin. Il venait de conduire deux heures pour arriver à Raglan et, maintenant
qu’il était chez lui, il allait enfin pouvoir se détendre.
Dire qu’il était épuisé était un euphémisme, mais il s’agissait d’une bonne fatigue, de celle qu’il éprouvait généralement
après une expédition réussie. Ses clients avaient été enchantés de l’expérience et heureux d’avoir effectué une telle équipée
sans le moindre incident sérieux.
Pour autant, Malcolm était ravi d’être de retour, et le fait de se promener en short et en veste légère n’y était pas pour
rien. Avril commençait à peine, et dans l’hémisphère Nord, c’était le printemps. Ici, en Nouvelle-Zélande, l’hiver s’annonçait
mais, malgré cela, le temps paraissait doux, comparé au froid permanent de l’Arctique.
Les bureaux de Maximum Adrénaline étaient situés dans un petit bâtiment en bardage blanc, à la lisière de la ville. Pour
une entreprise spécialisée dans les expéditions alpines, ces bureaux étaient plutôt discrets — ils ne se distinguaient des autres
que grâce à un petit panneau accroché au-dessus de la porte. Une terrasse jonchée de meubles de jardin de bois défraîchis
occupait toute la longueur de la façade.
Alors qu’il claquait le coffre de son 4x4, la porte s’ouvrit, et le chien de la famille, Duffy, jaillit de la maison, suivi de
Dana. Mal jeta un regard attendri à sa sœur cadette.
— Mais qui voilà ! Salut, Duff ! Salut, Dana !
Le chien, un labrador noir, était tellement excité qu’il bondissait en tous sens. Quand Mal s’accroupit, il lui sauta dessus
et le renversa avant de le clouer au sol pour lui donner de grands coups de langue sur le visage. Lorsque Malcolm, pris de fou
rire, put enfin se redresser, Duffy vint s’installer sur ses genoux — c’était sa manière subtile de s’assurer qu’il ne partirait pas.
— Je ne peux pas bouger, sinon, je serais bien venu t’embrasser, dit-il à sa sœur.
— Bienvenue à la maison ! s’exclama Dana. Je ne t’attendais que demain.
— J’ai trouvé un avion qui partait plus tôt. Martin est resté pour faire passer notre équipement aux douanes. Seigneur,
c’est bon d’être chez soi !
Duffy se tortilla sur ses genoux.
— Ça suffit, Duff, dit-il en se relevant tant bien que mal.
— Tu lui as manqué, dit Dana.
— Je suis sûr qu’il n’a pas pensé une seule fois à moi depuis mon départ. Vu la façon dont tu le gâtes, tu es bien la seule
qui lui manquerait.
— Je l’emmène courir tous les jours. Il a perdu un peu de poids, tu ne trouves pas ?
Mal se pencha pour caresser le chien.
— Ne me parle pas de courir… Je rêve juste d’un verre et d’une douche, pas forcément dans cet ordre. Et ensuite j’irai
en ville pour décompresser et me trouver une fille. Et pas forcément dans cet ordre non plus.
Dans le monde des expéditions de montagne, une règle officieuse interdisait de coucher avec les clientes, aussi attirantes
soient-elles. La seule et unique responsabilité de Mal consistait à ramener ses grimpeurs sains et saufs. Le sexe vous
détournait de ce devoir, surtout dans les environnements à risque. En outre, il avait toujours été un peu superstitieux — il ne
fallait pas manquer de respect aux dieux des montagnes.
Cela ne signifiait pas que randonneurs et alpinistes n’avaient pas de relations intimes sous leurs propres tentes, mais il
préférait fermer les yeux là-dessus, sans oublier de se répandre ensuite en excuses auprès des autochtones que ces
comportements offensaient.
Aussi, entre le moment où il partait et celui où il revenait, il menait une vie de célibataire. En revanche, quand il rentrait
à Raglan, il rattrapait le temps perdu. Raglan était un haut lieu du surf, une station balnéaire où les jolies filles étaient
nombreuses. Et les jeunes femmes prêtes à lui ouvrir leur couche pour une nuit ou deux, et sans contrepartie, ne manquaient
pas, Dieu merci.
Bien sûr, entretenir une relation durable avec une femme était une autre affaire. Il avait beau se savoir plutôt séduisant,
et un amant attentionné, la plupart des femmes de la région répugnaient à s’engager avec un homme absent dix mois par an.
Comment le leur reprocher ? Cela lui convenait très bien, du reste.
Et puis, il devait maintenir à flot l’entreprise familiale. Le peu de temps libre dont il disposait était consacré à
développer sa clientèle, à communiquer pour Maximum Adrénaline et à élaborer de nouvelles offres de voyage. Les femmes
n’avaient pas de place dans ce programme chargé.
Oui, décidément, sa vie était parfaite telle quelle, et il n’envisageait pas d’y changer quoi que ce soit pour le bonheur
d’une femme — aussi bonne amante soit-elle.
Il se releva avec entrain et passa devant sa sœur.
— Des messages pour moi ? demanda-t-il tout en avançant à grands pas vers la porte.
Dana était demeurée immobile devant les marches menant à la terrasse. Sans un mot, elle lui fit signe de la suivre, et il
fut frappé par son expression préoccupée. Aussitôt, l’appréhension lui noua l’estomac.
— Qu’y a-t-il ? Il est arrivé quelque chose aux jumeaux ?
Ryan était parti escalader le Lhotse dans l’Himalaya en compagnie d’une équipe de tournage australienne. Quant à
Rogan, il était en Alaska afin de préparer une ascension dans le Denali. Ces deux expéditions comportaient des risques. Et
c’était sans compter les quelque cent guides qu’ils employaient toute l’année pour divers voyages.
— Alors ? insista-t-il.
— C’est papa, murmura-t-elle.
— Papa ?
Leur père était mort depuis vingt ans, quelque part vers le sommet de l’Everest. A l’époque, Mal avait dix ans, les
jumeaux sept et Dana seulement cinq.
Sa sœur acquiesça, au bord des larmes.
— Ils ont retrouvé son corps.
Malcolm laissa échapper un cri étouffé.
— Quand ?
— Il y a trois semaines, pendant une expédition de Gary Branbauer. La couverture neigeuse est légère, cette année, et
pendant la descente ils ont remarqué une tache de couleur dans la neige. C’était lui.
— Comment le savent-ils ?
— Ils ont pris une photo et fait un relevé des coordonnées GPS. Roger Innis a confirmé que l’emplacement
correspondait, ainsi que les vêtements. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre, et depuis la presse n’arrête
pas d’appeler.
— Pourquoi ne me l’as-tu pas dit plus tôt ?
Au cours des trois semaines passées, lui et Dana avaient été en contact par téléphone satellite au moins trois ou quatre
fois. Et ces deux derniers jours elle aurait même pu le contacter par e-mail.
— J’ai décidé d’attendre que tu sois rentré. Je n’ai rien dit non plus à Ryan et Rogan. Cela dit, vu la façon dont la
nouvelle circule, ils l’apprendront sans doute avant que j’aie pu la leur annoncer en personne.
— Et maman ? Est-elle au courant ?
Dana fit signe que oui.
— Toute cette publicité l’inquiète un peu. Les journalistes la harcèlent pour lui soutirer une interview mais, jusque-là,
elle a refusé de faire le moindre commentaire. Elle vient passer le week-end avec moi.
Malcolm comprenait que les médias soient en alerte. Maxwell Quinn avait été l’un des alpinistes les plus célèbres de sa
génération et, au début des années 1990, très peu d’hommes avaient, comme lui, gravi les sept plus grands sommets du monde
en moins d’un an. Après son décès, Roger Innis avait tiré la couverture à lui en racontant sans relâche aux médias que son
partenaire avait trouvé la mort en portant secours à un client. Toute cette publicité avait transformé Terres d’Aventures en une
société de premier plan dans son secteur.
Malheureusement, à cause d’un contrat mal rédigé, Lydie Quinn s’était retrouvée dépouillée de tout. Tous les actifs
commerciaux étaient revenus à Innis. Leur père était censé avoir souscrit une assurance-vie à travers l’entreprise, mais Innis
avait cessé d’en payer les primes quelques mois avant leur ascension de l’Everest. Aussi leur mère avait-elle été obligée de
vendre leur petite maison de Rotorua et de faire déménager toute la famille à Auckland où ils s’étaient installés chez ses
parents.
Bien qu’ils aient quitté la maison de leur enfance, les fils de Max Quinn n’avaient jamais oublié le seul héritage que
celui-ci leur avait laissé : la passion des montagnes. Ainsi, ils avaient créé leur propre agence d’expéditions alpines, qu’ils
avaient baptisée Maximum Adrénaline, en référence à leur père. Par respect pour leur mère, ils avaient toujours refusé de
gravir l’Everest, mais, avec seulement deux destinations de plus de 2 500 mètres d’altitude à leur catalogue, ils avaient du mal
à concurrencer Terres d’Aventures, qui appartenait désormais à Roger Innis.
Mal poussa un profond soupir. Avec les années, leurs relations avec Innis ne s’étaient pas améliorées. Au contraire, on
pouvait même dire qu’elles avaient tourné à l’hostilité. Terres d’Aventures livrait à Maximum Adrenaline une véritable
bataille en termes de clientèle et de réputation.
Sans scrupule, Innis prenait des risques, mettant parfois ses grimpeurs en danger pour les amener au sommet d’une
montagne. Avec Maximum Adrénaline, ils avaient pris le pari inverse : ils étaient connus pour leur prudence. Hélas, les
alpinistes qui payaient une fortune afin de conquérir les sommets les plus élevés ne voyaient pas forcément cette attitude, qui
les obligeait parfois à abandonner alors qu’ils étaient prêts du but, d’un bon œil. En outre, cette même retenue les privait d’une
couverture média dont ils auraient bien eu besoin pour développer leurs activités.
Jusqu’à aujourd’hui.
Mal s’assit sur les marches et se passa les doigts dans les cheveux.
— Je ne sais pas trop quoi dire.
— Eh bien, trouve. Il va bien falloir que nous fassions une déclaration aux médias. Je me suis dit que ce n’était pas mon
rôle, et maman refuse absolument d’en parler.
— Très bien. La prochaine fois que quelqu’un appellera, donne-leur mon numéro de portable, et je m’en occuperai.
— Il y a autre chose, murmura Dana.
— Je t’en prie, dis-moi que nous avons fait faillite ou que ma maison a brûlé, ce sera plus facile à gérer.
— Innis a annoncé qu’il allait organiser une expédition pour récupérer les affaires de papa.
La nouvelle fit à Malcolm l’effet d’un coup de poing dans l’estomac.
— Bon sang, mais jusqu’où ira ce type ? Papa est mort par sa faute. Il croit pouvoir se racheter en allant le secourir
maintenant ? Il aurait dû le faire il y a vingt ans !
Durant toutes ces années, des rumeurs avaient circulé parmi les alpinistes. Il se disait qu’Innis s’était montré négligent
envers son partenaire, qu’il avait pris des décisions qui n’étaient pas sans lien avec la mort de Max Quinn. Mais il ne
s’agissait que de rumeurs ; personne ne connaissait toute l’histoire, en dehors de Roger Innis lui-même et de leur père bien sûr
— et ni l’un ni l’autre ne la raconteraient jamais.
Dana passa un bras autour du cou de Malcolm et appuya sa tête sur son épaule.
— Ce ne sont que de belles paroles, dit-elle. Il se fait de la publicité, tu sais comment il est : capable de tout pour faire
la une des médias. Le mois dernier, il a fait la couverture d’Aventures Extrêmes avec son expédition dans l’Antarctique.
— La couverture ? demanda Mal en étouffant un juron. Comment fait-il ?
Et dire que lui-même tentait depuis des années d’attirer l’attention d’Aventures Extrêmes. Ce magazine était la meilleure
porte d’entrée pour conquérir le marché américain, il en était persuadé. Mais jusqu’à présent il n’avait jamais obtenu le
moindre article.
— Je suppose qu’avec cette idée loufoque il espère faire une fois de plus la une des journaux ! ajouta-t-il. Quel sale
type !
— Il va devoir attendre au moins jusqu’au printemps prochain avant de pouvoir organiser une expédition vers l’Everest
et, même alors, il lui faudra obtenir des permis et rassembler des grimpeurs. D’ici là, toute l’attention sera retombée et…
— Il veut mettre la main sur le journal de papa, marmonna Mal. Il sait très bien qu’il le gardait sur lui, et il a peur de ce
qu’on pourrait y lire. Innis s’est démené pendant des années pour se faire une réputation, et il ne va pas la laisser s’écrouler
maintenant.
La sonnerie d’un téléphone retentit depuis le bureau. Dana se leva.
— C’est sûrement encore un journaliste.
— Tu veux que je m’en occupe ? demanda Mal.
— Non. Tu viens juste de rentrer, tu as le droit de te détendre un peu. Je leur dirai ce que je répète depuis trois
semaines : pas de commentaire. Même si ça n’a pas l’air de les décourager, au contraire.
Après une pause, elle ajouta :
— Tu sais, on devrait peut-être leur accorder une interview. Nous tous, avec maman. Un peu de publicité ne peut pas
nous faire de mal. On pourrait prendre Innis de vitesse, le prendre à son propre jeu.
— Peut-être, dit-il, pensif.
— Sinon, Aventures Extrêmes a appelé trois fois ces derniers jours. J’ai dit à la fille que tu serais de retour demain. Tu
devrais peut-être lui parler.
Un article de fond sur leur père et l’entreprise familiale permettrait sans doute de les faire sortir de l’ombre de Roger
Innis. Surtout s’ils montaient leur propre expédition. Il était peut-être temps d’apprendre la vérité concernant cette ascension
fatale.
Mais avait-il réellement envie de savoir ? Cela ne changerait rien : son père n’en resterait pas moins mort, et sa mère se
verrait forcée de revivre toute cette tragédie. En outre, il lui avait promis que ni lui ni ses frères n’escaladeraient jamais
l’Everest. Ils avaient mille raisons de ne pas le faire.
Pourtant, Mal ne pouvait s’empêcher de se demander si la vérité — celle de son père — ne permettrait pas d’apaiser
enfin la souffrance de sa famille. Les réponses se trouvaient-elles dans le journal qu’il tenait ? Y avait-il écrit ses dernières
paroles avant de mourir en montagne ? Tant de questions sans réponse…
— Je vais aller voir maman, dit-il en se levant. Ensuite, je passerai chez moi prendre une douche et boire un verre, et
ensuite j’irai peut-être me faire couper les cheveux.
— Et pour la fille ? demanda Dana avec un sourire narquois.
— Cela attendra.
Mal caressa affectueusement la tête de Duffy, et le chien l’accompagna jusqu’à la Range Rover.
— Tu veux que je le prenne avec moi ? demanda-t-il à sa sœur.
— Non, je vais le garder.
Tout en s’éloignant de la maison au volant de sa voiture, il se plongea dans ses pensées. Mal avait toujours mené une vie
simple, et cela lui plaisait. Pourtant, les difficultés financières auxquelles leur agence était confrontée commençaient à lui
peser. Ils n’avaient jamais d’argent d’avance, et ils avaient souvent du mal à joindre les deux bouts. Quand leurs finances
étaient au plus bas, il en était souvent réduit à acheter de nouveaux équipements au lieu de nourriture, et il mangeait des rations
périmées qui lui restaient des réserves de leurs expéditions.
Il fouilla dans sa poche pour en extraire un rouleau de billets qui lui restaient des pourboires partagés avec les autres
guides. Il prendrait juste ce qu’il fallait pour sa sortie de ce soir. Le reste servirait à payer les factures.
— J’espère que ça va être une bonne soirée, grommela-t-il. J’en ai assez de vivre comme un moine.

* * *

— Eh, Billy Finster ! Coule-moi une pinte, et vite ! J’ai une soif de tous les diables !
L’exclamation retentit dans le pub désert, forçant Amy Engalls à lever la tête de l’écran de son ordinateur pour regarder
l’homme grand et mince qui venait de pénétrer dans le bar. Les cheveux ébouriffés, il était vêtu d’un T-shirt usé et d’un jean
élimé. La casquette qu’il portait était tournée en arrière, et ses yeux étaient masqués par une paire de lunettes de soleil bleu vif.
Son regard sembla s’attarder longuement sur elle, et Amy retint son souffle. Malcolm Quinn ? Etait-il possible que ce
soit bien lui ? Il n’était censé rentrer que le lendemain mais, d’après les photos qu’elle avait eues en main, cet homme en était
le portrait craché. En ville, on disait que lui et ses frères fréquentaient volontiers le Brawley. C’était d’ailleurs la seule raison
qui l’avait poussée à prendre ses quartiers dans ce bar, dans l’espoir qu’il finisse par y faire son apparition. Quand l’homme
se retourna, elle sortit vivement un dossier de son sac pour y consulter les photos en question.
Elle considéra le beau visage sur le cliché avant de le comparer à celui de l’homme installé de profil devant le bar.
L’instant d’après, le barman émergea de la cuisine :
— Mal Quinn, ça alors ! Je me demandais quand tu allais refaire surface. Tu étais où, déjà ?
— Au Groenland, répondit l’homme en prenant place sur un tabouret.
Le barman lui servit une pinte de bière et la déposa devant lui.
— Bon sang, qu’est-ce qu’il y a d’intéressant, au Groenland ?
Malcolm Quinn retira ses lunettes et les posa sur le comptoir.
— Beaucoup de glace. Et de la neige.
— Pas de jolies filles ?
— Pas que je sache, répondit l’alpiniste en éclatant de rire. C’était une expédition cent pour cent masculine. Pas une
seule femme à des kilomètres à la ronde.
Billy hocha la tête avant d’abattre bruyamment ses mains sur le plateau de bois du comptoir.
— Et c’est bien pour ça que tu ne me verras jamais faire de la grimpette sur les flancs d’une montagne ou traverser un
fichu glacier. Je ne peux pas me passer de la compagnie de ces dames. Et elles ne peuvent pas se passer de la mienne.
— C’est surtout tes clopes et ta Foster qui te manqueraient, le railla Malcolm. C’est du lourd, là-bas, ce n’est pas pour
les amateurs comme toi.
Le barman fronça les sourcils avant de se tapoter le ventre.
— Je pourrais faire un régime. Laisser tomber les cigarettes et la bière. Tu me mettrais dans un groupe de femmes, et je
leur ferais la causette.
Amy les écouta échanger des plaisanteries sans cesser d’observer Malcolm Quinn. Comment allait-elle le décrire, dans
son article ? Grand, élégant, sportif. Il était mince mais musclé, avec des épaules larges et des hanches étroites. Ses cheveux
bruns étaient un peu trop longs et éclaircis par le soleil, son visage était hâlé, et il portait une barbe de trois jours.
A tous points de vue, c’était l’un des hommes les plus séduisants qu’elle ait jamais vus. Les photos ne parvenaient pas à
restituer l’énergie qu’il dégageait. Il émanait de lui un mélange de puissance et de détermination, alors même qu’il était lancé
dans une conversation anodine. C’était un homme qui vivait sa vie à fond, un homme qui ne craignait pas le danger. Un homme
envoûtant.
Embarrassée par la force de l’attirance qu’elle éprouvait tout à coup pour cet homme qu’elle ne connaissait pas, elle
baissa vivement la tête vers ses notes. Il ne s’agissait pas seulement de son physique, mais de quelque chose de plus profond,
qu’elle ne parvenait pas à déterminer. Peut-être admirait-elle son courage parce qu’elle-même n’en avait jamais eu beaucoup ?
Elle avait passé toute sa vie à saisir au bond ce qu’on voulait bien lui donner, sans réellement prendre d’initiatives.
Jusqu’à ce jour, en tout cas. Elle était ici pour changer le cours de sa vie. Et elle n’allait pas laisser cette opportunité lui
échapper, même si cela impliquait d’aborder un homme outrageusement séduisant pour le convaincre de faire quelque chose
qu’il ne voulait pas.
Un téléphone sonna, et Billy se déplaça à l’extrémité du bar pour répondre. Amy continua d’observer Malcolm Quinn
depuis sa table en se demandant comment elle devait se présenter. Fallait-il qu’elle prenne les devants dès maintenant, ou
qu’elle attende demain ? Elle n’aurait peut-être pas deux fois cette chance de le rencontrer seul.
Elle travaillait comme correctrice pour le magazine Aventures Extrêmes depuis six ans en attendant de percer comme
rédactrice. Hélas, la plupart des journalistes de ce milieu étaient eux-mêmes des aventuriers, ils allaient sur le terrain et se
mettaient en danger pour raconter des exploits qu’ils avaient vécus en personne. Comment se mesurer à eux, alors qu’elle
n’était, quant à elle, qu’une femme ordinaire ? Pire, elle était la fille de l’éditeur du magazine.
Elle n’avait jamais voulu écrire pour une revue d’aventures. En réalité, elle aurait préféré travailler pour l’un des
nombreux magazines féminins que possédait son père. Mais celui-ci avait l’esprit tellement tordu qu’il lui avait fixé des
objectifs impossibles en la mettant au défi de les atteindre, persuadé qu’elle échouerait. Il en avait toujours été ainsi avec
Richard Engalls. Il voulait que ses enfants lui prouvent qu’ils étaient dignes de son inestimable attention. Son frère avait
toujours été un élève modèle, et il était devenu un aventurier. Mais, elle, elle avait parfois l’impression de ne pas posséder le
cran des Engalls. Non, en fait, elle tenait plutôt de sa mère. Elle ne s’était toujours pas remise du divorce de ses parents quand
elle avait treize ans. Malgré elle, elle continuait d’espérer que son père la remarquerait, de quémander son approbation.
Voilà pourquoi elle était ici, en Nouvelle-Zélande. Car, quoi qu’en dise son père, elle savait reconnaître une bonne
histoire quand elle en voyait une. Ce n’était pas parce qu’elle n’avait jamais participé à une grande aventure qu’elle ne pouvait
pas en raconter une, si ? Pour la première fois de sa vie, elle allait montrer à son père qu’elle avait la fibre pour devenir une
éditrice accomplie. De toute façon, elle n’avait pas le choix, toutes ses économies étaient passées dans son pari fou : celui
qu’elle arriverait à obtenir des frères Quinn qu’ils la laissent écrire sur eux. Elle raconterait leur histoire dans une série
d’articles — une histoire qui rassemblait tout ce dont un éditeur rêvait : elle se situait dans un décor exotique, elle était pleine
de conflits et d’émotions, et ses personnages étaient des aventuriers dotés de fortes personnalités.
Son rédacteur en chef s’était moqué d’elle lorsqu’elle avait affirmé pouvoir obtenir à la fois une exclusivité et
convaincre son père de financer l’expédition. Pourtant, derrière ses railleries, elle avait compris qu’il était intrigué par son
idée, et elle ne doutait pas qu’à la première occasion il irait trouver son père pour lui demander qu’on lui confie
personnellement ce sujet. Dieu merci, elle avait un coup d’avance sur eux : elle avait posé ses deux semaines de congé et,
après avoir vérifié sur internet le programme de Malcolm Quinn, elle avait acheté un billet d’avion New York-Auckland.
Maintenant, il était temps d’agir.
Rassemblant son courage, elle repoussa sa chaise et s’avança vers le bar. Elle allait commander quelque chose à manger
et tenter de lier la conversation avec Malcolm. Elle était presque arrivée à côté de lui quand le téléphone portable de
l’alpiniste sonna. Sans lui prêter la moindre attention, il extirpa son téléphone de sa poche, se dirigea vers la porte pour sortir
dans la rue ensoleillée.
Amy soupira intérieurement. Décidément, les rapports humains, ce n’était pas son point fort. Qu’on lui donne un
manuscrit, et elle en faisait un récit palpitant. Mais là… Disons qu’elle était plus à l’aise avec les mots qu’avec les gens,
surtout s’il s’agissait d’inconnus. Et maintenant, à cause de ses atermoiements, elle venait de laisser passer une occasion en or.
Malcolm Quinn était sorti. Et s’il ne revenait pas ? Ou, pire encore, s’il revenait ?
Discuter avec un homme séduisant n’était pas son fort. Chaque fois, elle avait les paumes moites, son cœur battait la
chamade, et elle avait l’impression de perdre toute faculté de raisonnement. C’était un miracle qu’elle soit parvenue à sortir
avec des hommes. Non pas que les quelques relations qu’elle avait eues jusqu’alors aient été particulièrement mémorables…
Billy raccrocha, et Amy s’assit sur un tabouret au comptoir.
— Que puis-je pour vous, ma jolie ? Un autre Coca light ?
— Je… j’aimerais manger quelque chose. Vous avez un plat du jour ?
— Aujourd’hui, c’est saucisse-purée, moules à la crème ou pâté de saumon en croûte. Comme soupe, vous avez un
velouté de crabe. La cuisine va ouvrir dans une demi-heure, mais si vous avez trop faim je dois pouvoir vous dégoter un
sandwich ou des chips.
— Un sachet de chips, ce sera parfait. Et une bière. Une pression, n’importe laquelle.
Elle en avait bien besoin. Ce n’était pas un verre de Coca light qui allait lui donner du courage ! Elle respira un grand
coup en entendant la porte s’ouvrir derrière elle. N’osant pas se retourner, elle s’efforça d’adopter une attitude nonchalante.
Billy lui apporta ses chips et sa bière.
— Ça fera six dollars.
— C’est pour moi, dit une voix derrière elle.
Elle se raidit instinctivement. Puis, lentement, elle se retourna, et croisa le regard de Mal. Seigneur, il était encore plus
beau vu de près, avec ses allures de baroudeur. Un véritable concentré de virilité. Il sentait sans doute le grand air, le savon et
le feu de bois.
Amy aurait voulu parler, mais elle avait perdu sa voix. Malcolm s’approcha d’elle, et elle sentit ses joues s’empourprer.
Oui, il sentait bon. Mais c’était une odeur subtile et musquée d’eau de toilette.
Etait-elle censée accepter son offre ? Etait-ce pour cela qu’il la dévisageait de façon aussi bizarre ?
— Je… J’ai de l’argent, finit-elle par balbutier.
— Moi aussi, répondit-il avec un sourire en coin. Je viens de rentrer d’un mois de voyage, et tous ces pourboires sont
en train de me brûler la poche. Je me suis dit que j’allais payer une tournée générale.
— Il n’y a que nous deux, ici, lui fit-elle remarquer.
— Je sais, répondit-il en se penchant sur elle. C’est encore mieux, vous ne trouvez pas ?
— Merci, murmura-t-elle en prenant sa bière et ses chips.
Elle retourna d’un pas précipité jusqu’à sa table ; elle avait besoin de se ressaisir. Certes, il était beau et doté d’un
charme fou. Et ce sourire aurait fait fondre n’importe quelle femme, mais cela ne devait pas l’empêcher d’agir en
professionnelle.
Amy reporta son attention sur son ordinateur, sans oser risquer un regard dans la direction de Malcolm Quinn. Le
problème, c’était qu’elle n’était pas journaliste professionnelle. Elle savait comment rendre un récit parfait, et elle était même
capable d’en écrire un elle-même. Simplement, elle n’était jamais allée à la pêche aux histoires. Il existait certainement toute
une série d’astuces dont les journalistes se servaient pour amener leurs sujets à confesser leurs secrets les plus intimes. Mais
elle ignorait tout de ces combines. Elle avait tellement à cœur de coiffer son père et son rédacteur au poteau qu’elle s’était
précipitée en Nouvelle-Zélande sans se renseigner sur les pratiques journalistiques les plus courantes. Quelle idiote !
Devait-elle se présenter sans détour, ou discuter un peu avec lui d’abord afin de lui faire accepter une interview ? Peut-
être pouvait-elle simplement l’amener à parler de son travail et de sa famille sans qu’il s’aperçoive qui elle était. Etait-ce
éthique ? Sans doute pas, mais c’était probablement la seule façon pour elle d’arriver à ses fins.
— Qu’est-ce que vous regardez, comme ça ? Cet écran a l’air de vous fasciner. Laissez-moi deviner. C’est du porno ?
Amy se figea avant de lever lentement le regard.
— Non, ce n’est pas du porno. C’est mon ordinateur de travail. Je ne peux quand même pas regarder du porno sur mon
ordinateur de travail, le règlement me l’interdit.
— Vous vous conformez toujours au règlement ?
— Je… j’essaie, murmura Amy.
Il tira la chaise en face d’elle, la retourna, et s’y assit à califourchon. Les avant-bras posés sur le dossier, il but une
gorgée de bière.
— Allez-y, continuez. Je ne veux pas interrompre votre travail.
Amy tâcha de concentrer de nouveau sur son écran, le cœur battant à tout rompre. Il était là, prêt à parler. A présent, elle
n’avait plus qu’à lui donner la réplique.
— Merci pour la bière… et les chips, dit-elle en levant les yeux.
Il la regardait fixement.
— Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle.
— Rien, répondit Malcolm. Je profite de la vue.
Elle se retourna pour balayer la salle du regard.
— Je… Je ne comprends pas.
Puis elle réalisa qu’il parlait d’elle, et elle rougit violemment.
— Je n’ai pas vu de jolie femme depuis un mois, alors, si ça ne vous dérange pas, je vais rester assis là et vous
regarder. J’essaierai de ne pas vous embêter.
Jolie ? La trouvait-il vraiment jolie ? Elle n’avait jamais pensé à elle en ces termes. Non qu’elle soit repoussante,
mais… ordinaire semblait plus juste.
— Si vous me trouvez jolie, vous devez être parti depuis bien plus d’un mois, murmura-t-elle, sans pouvoir s’empêcher
de lui retourner son sourire.
— Ne dites pas des choses pareilles. Vous êtes adorable.
De nouveau, elle balaya le pub du regard :
— Il faut dire que je n’ai pas beaucoup de concurrence.
— Figurez-vous que la beauté, ça me connaît. J’ai eu sous les yeux les plus beaux endroits du monde, alors faites-moi
confiance.
— Merci, répondit Amy. Pour les chips et le compliment.
— Au fait, je suis Malcolm Quinn, dit-il en tendant la main.
— Ravie de vous connaître.
Un long silence s’installa tandis qu’elle essayait de prendre une décision. Pour finir, sentant qu’elle n’avait pas le choix,
elle se présenta à son tour :
— Amy Engalls. Je suis journaliste pour le magazine Aventures Extrêmes, et je suis venue pour vous interviewer.
D’un geste vif, elle lui serra la main puis s’y accrocha, espérant l’empêcher de se lever et de quitter le pub.
Il la dévisagea en silence, comme s’il cherchait quoi répondre.
— Eh bien, si je m’attendais à ça, dit-il enfin en se levant. Vous voulez sans doute que je vous fasse une déclaration ? Je
vais vous la donner, ce sera rapide et sans douleur : pas de commentaire.
Il lui arracha sa main se dirigea vers la sortie. Amy se précipita derrière lui.
— Attendez ! Je suis désolée, laissez-moi vous expliquer.
— C’est inutile, grommela-t-il. Billy, c’était un plaisir de te revoir.
Le barman les regardait, déconcerté.
— Tu pars déjà, Mal ?
— Oui. C’est un peu trop calme à mon goût, je reviendrai plus tard.
Il déposa son verre sur le bar et sortit.
— Je suis désolée ! lança Amy à Billy avec une grimace.
— Que diable lui avez-vous dit ?
— Pas de commentaire !
Elle retourna à sa table en courant et rassembla ses affaires, espérant qu’elle pourrait rattraper Malcolm. Un vrai
journaliste se battait pour ses histoires, et c’était exactement ce qu’elle allait faire.

* * *

A peine était-il sorti du pub que Mal laissa échapper un chapelet de jurons. Il savait que tôt ou tard il serait confronté à
cette situation, mais il ne s’était pas attendu à ce qu’elle surgisse si tôt. Bon sang, que faisait une journaliste ici, dans sa ville
natale ? Cette histoire devait avoir beaucoup plus d’importance qu’il ne l’avait cru.
Et comment diable était-il censé réagir ? Lui et sa famille portaient le deuil de son père depuis près de vingt ans sans
que leur chagrin se soit atténué. Ils continuaient de se perdre en conjectures, de dérouler tous les scénarios qui auraient pu
aboutir ce jour-là, dans la montagne, à une issue moins tragique. C’était ça, le pire — se dire qu’il aurait pu grandir avec un
père à ses côtés.
Non qu’il ait eu une enfance malheureuse. Mais à la place d’un père il avait eu cet énorme trou béant, au milieu de sa
famille. Comment était-il censé expliquer ce genre de chose à une parfaite inconnue ? Pour lui, il ne s’agissait pas d’un corps
gelé sur l’Everest, mais bel et bien de son père.
— Monsieur Quinn !
Il fit volte-face. La journaliste était en train de courir vers lui. L’instant d’après, elle se prit les pieds dans une fissure du
bitume et, avant qu’il puisse faire un geste pour l’aider, elle s’affala sur le trottoir la tête la première.
— Oh ! non ! marmonna Mal en se précipitant vers elle.
Quand il arriva près d’elle, elle était parvenue à s’asseoir, mais elle avait les deux genoux écorchés, et son ordinateur
était en pièces.
— Oh ! non ! s’exclama-t-elle à son tour en rassemblant les morceaux de plastique éparpillés.
— Ça va ? Vous vous êtes cogné la tête ?
Elle porta une main à son front.
— Non, je ne crois pas.
— Rien de cassé ? Où avez-vous mal ?
— C’est juste mon orgueil qui en a pris un coup, répondit-elle avec une grimace.
Il croisa son regard, et sa colère s’atténua. Elle essayait seulement de faire son travail. Il n’aurait pas dû se montrer
aussi grossier.
— Pouvez-vous vous lever ?
Comme elle acquiesçait, il lui prit la main et l’aida à se mettre debout.
— Merci.
— Comment vous appelez-vous, déjà ?
— Amy Engalls.
— Amy Engalls d’Aventures Extrêmes, répéta Mal. Vous avez un lien de parenté avec Richard Engalls, l’éditeur ?
— C’est mon père.
— David Engalls serait donc votre frère ?
— Oui, confirma-t-elle.
Richard Engalls avait bâti son empire médiatique en partie pour combler sa soif d’aventure. Il avait fait le tour de la
planète en ballon, avait tenté de traverser l’Atlantique à la rame, et avait gravi les sept sommets. Il avait également financé bon
nombre d’expéditions, et après la National Geographic Society c’était le plus grand investisseur dans le secteur. Mal avait
déjà rencontré David Engalls, qui ressemblait beaucoup à son père et semblait très doué pour dépenser par millions la fortune
de celui-ci pour ses propres aventures exotiques. Le parfait exemple du crétin richissime. Jusque-là, il ignorait qu’il avait une
sœur, et qu’elle aussi était impliquée dans l’entreprise familiale.
Machinalement, il se baissa pour épousseter la jupe de la jeune femme. Il allait lui passer la main sur les fesses quand il
s’aperçut de ce qu’il était en train de faire. Il fallait dire qu’elle avait une très jolie chute de reins. En fait, il y avait peu de
choses repoussantes chez Amy Engalls — en dehors de son métier.
— Venez, allons soigner ces écorchures. J’habite tout près d’ici. J’ai du désinfectant et des pansements chez moi.
— Non, ça va aller.
— A votre place, Amy Engalls, j’accepterais mon offre. Et, pendant que je soignerai vos genoux, vous pourrez essayer
de me soutirer un commentaire.
Un large sourire éclaira le visage de la jeune femme.
— D’accord.
Il ramassa les miettes de l’ordinateur puis la conduisit jusqu’à sa Range Rover. Quand il l’aida à grimper sur le siège
passager, elle laissa échapper un petit grognement de douleur. Mal fit le tour de la voiture, sauta derrière le volant et mit le
moteur en marche.
Il aurait dû être concentré sur sa conduite, mais, malgré lui, son regard revenait sans cesse se poser, à la dérobée, sur la
jeune femme. Elle était jolie. Sans être d’une beauté renversante, sa fraîcheur sans prétention la rendait adorable. Des cheveux
clairs encadraient son visage, faisant ressortir ses yeux dont il n’aurait su dire s’ils étaient bleus ou verts. Même si aucun des
traits de son visage n’était particulièrement frappant, l’ensemble était agréable à regarder. Très agréable même.
Quant à son corps, il était mince, mais avec ce qu’il fallait de rondeurs aux bons endroits. Sachant qu’elle venait d’une
famille de grimpeurs, elle aurait pu être maigre et sèche — le genre de femme à s’assurer elle-même à flanc de montagne. Au
lieu de cela, elle semblait douce et féminine. En dépit de ces stupides vêtements qui ne la mettaient guère en valeur…
— Parlez-moi de vous, Amy Engalls. Avez-vous le goût de l’aventure, comme votre famille ?
— Oh ! oui, dit-elle.
— Quel est le dernier sommet sur lequel vous ayez trébuché ?
Elle émit un petit rire.
— Très drôle. Je ne suis pas toujours aussi maladroite. J’ai fait de la danse classique. C’est juste que je ne suis pas
habituée à… courir.
— Je confirme. Vous avez pris une sacrée bûche !
— En fait, je ne courais pas vraiment, je vous pourchassais, rectifia-t-elle.
— Maintenant, ça va être ma faute !
— Mais non, c’était juste pour vous expliquer.
— Que vous avez pris des cours de danse ?
— Non, pourquoi je suis venue vous interviewer.
— Vous m’avez pour vous toute seule, maintenant. Vous devriez en profiter.
Pendant un long moment, Amy ne dit rien, et Malcolm se demanda quelle allait être sa première question.
— Je ne suis pas sûre de pouvoir faire ça, dit-elle enfin.
— Faire quoi ?
— M’immiscer dans votre vie privée.
— Déjà que vous ne savez pas courir, mais, si en plus vous êtes timide, votre carrière de journaliste est compromise !
Elle se redressa dans son siège.
— Très bien. Dites-moi ce que vous avez ressenti en apprenant qu’on avait retrouvé votre père.
— Le corps de mon père, rectifia-t-il.
Mal n’aurait su dire ce qu’il avait ressenti, pas de façon précise. Et puis, il n’était pas certain d’avoir envie de disserter
sur le sujet. Depuis la disparition de son père, lui et sa famille étaient toujours restés aussi dignes que discrets. Max Quinn
était mort en s’adonnant à sa passion, voilà ce qu’ils avaient toujours dit. Et personne ne connaissait l’heure de sa mort —
n’importe qui pouvait être renversé par un bus à tout moment.
Pourtant, cette réponse ne les avait aidés en rien à surmonter leur peine.
Mal jeta un regard furtif à la jeune femme et soupira :
— Je me suis senti… estomaqué.
— Cela a dû faire ressortir pas mal de souvenirs.
— Il n’est jamais très loin dans mes pensées, admit Mal.
Dire que le souvenir de son père occupait une place écrasante dans sa vie aurait été plus juste. Max Quinn était une
légende, un homme que tous considéraient comme invincible. C’était tout bonnement le plus grand alpiniste de tous les temps,
capable d’escalader n’importe quel pic avec le sourire.
La communauté des grimpeurs s’était attendue à ce que lui-même marche dans les pas de son père, qu’il coure tous les
risques, qu’il se rie du danger. Ce qui était bien loin de la vérité. Bien sûr, il aurait voulu que son père soit fier de lui. Mais il
savait ce que signifierait une autre disparition pour sa famille. Oui, il portait l’héritage de son père, mais avec prudence.
Celui-ci aurait-il réellement été fier de lui ?
— Il s’est écoulé beaucoup de temps, reprit Amy.
— J’avais dix ans quand il est mort. Mes frères et ma sœur ne se souviennent pas de lui aussi bien que moi.
— Il n’avait que six ans de plus que vous maintenant quand il est décédé, remarqua Amy.
— Trente-six ans, murmura Mal.
Seigneur, elle avait raison. A cet âge, son père avait déjà accompli tant d’exploits ! Il avait créé une entreprise prospère
et gravi l’Everest cinq fois. Lui, il ne pouvait pas en dire autant. Son entreprise survivait tant bien que mal, et sa clientèle
s’étiolait. Il n’avait pas besoin de conquérir l’Everest pour marcher dans les pas de son père. Il devait juste gérer une
entreprise d’expéditions florissante. Du moins, c’était ce qu’il s’était toujours dit.
Alors qu’il engageait la voiture dans l’allée qui menait vers sa maison, sur la plage, Mal eut une pensée pour son père à
l’instant de sa mort. Il avait alors eu la vie devant lui, une femme et des enfants en Nouvelle-Zélande. Ses derniers instants
avaient-ils été marqués de remords ? Ou bien s’était-il senti heureux de mourir en faisant ce qu’il aimait ?
Comme un automate, il coupa le moteur puis, les mains toujours sur le volant, murmura :
— Certains affirment qu’il était égoïste. Qu’il aurait dû renoncer à grimper quand il s’est marié et qu’il a eu des enfants.
Qu’en pensez-vous ?
— Je crois que certaines personnes ne peuvent vivre qu’en se dépassant. D’autres se satisfont de ce que la vie leur offre
au jour le jour.
— Dans quelle catégorie me rangez-vous ? demanda-t-il.
— Je ne sais pas. Je vous connais à peine.
Elle s’interrompit et secoua la tête.
— C’était une question de pure forme, n’est-ce pas ?
— Peut-être pas, répondit Mal en ouvrant la portière. Quand vous aurez la réponse, dites-le-moi.
Il aida Amy à sortir de la voiture. Ils marchèrent lentement vers la petite maison. Arrivés devant la grande terrasse qui
la bordait, Mal désigna du doigt un rocking-chair :
— Asseyez-vous là. Je reviens tout de suite.
Il écarta la moustiquaire et pénétra à l’intérieur. Les journalistes étaient tous les mêmes — tout ce qui les intéressait,
c’était leurs articles, pas les gens qu’ils interrogeaient. Aujourd’hui encore, il se souvenait des jours qui avaient suivi le décès
de son père ; ils avaient été harcelés par les médias, c’était à qui pourrait le premier obtenir une photo de la veuve en pleurs et
des enfants dévastés. Sa mère était tellement bouleversée qu’elle avait refusé pendant des semaines que ses enfants quittent la
maison. C’étaient des amis qui avaient dû les approvisionner en vivres. Inutile d’imaginer qu’Amy Engalls soit différente. Il ne
pouvait pas faire confiance à cette femme.
Pourtant, elle avait beau être journaliste, il ne pouvait nier qu’elle était séduisante. En outre, elle ne ressemblait pas à
ces opportunistes acharnés qu’il avait eu l’habitude de croiser. Elle était… gentille. Et son côté damoiselle en détresse était
plutôt sexy.
— Ne te fais pas d’idées, Mal, marmonna-t-il en farfouillant dans une boîte de pansements.
Quand il revint auprès d’Amy, elle était penchée en avant pour examiner de plus près ses blessures.
— Ce n’est pas si grave, dit-elle.
Il s’accroupit devant elle pour asperger ses genoux de désinfectant. Elle tressaillit, et Mal souffla sur ses écorchures
pour chasser la douleur.
— Ça va mieux ?
— Oui…
Il pansa soigneusement ses deux genoux puis, doucement, fit glisser sa main jusqu’à sa cheville. Elle avait de très belles
jambes, minces mais galbées. Il ne put s’empêcher de caresser son mollet, savourant le contact de sa peau sous ses doigts.
En l’entendant retenir son souffle, il risqua un coup d’œil vers elle. Amy le dévisageait, les yeux écarquillés.
— Ça devrait aller, maintenant, murmura-t-il en s’écartant un peu. Je prendrais bien un verre. Vous voulez quelque
chose ?
— Avec plaisir, répondit-elle. Un peu d’eau, ce serait parfait. Ou un Coca light.
— Je pensais à quelque chose d’un peu plus fort. Du whisky, peut-être.
— D’accord, un whisky.
Malcolm se redressa sans la quitter des yeux. Autant l’embrasser maintenant, songea-t-il, au moins, ce serait fait. Il
n’était pas le genre d’homme à masquer son désir. Quand il convoitait une femme, il le lui montrait d’emblée. Rien ne
l’empêchait de le faire aujourd’hui. Après tout, ils étaient deux adultes consentants. Lui, en tout cas, était consentant.
Mais elle ? Se trompait-il sur elle ? L’aguichait-elle dans le seul but d’obtenir ses confidences ? Il voyait bien qu’elle
était attirée… tentée. Mais peut-être jouait-elle la comédie. Après tout, c’était son métier.
— Je vais aller nous chercher ces verres, dit-il.
Chapitre 2

Amy se leva du rocking-chair pour aller s’appuyer à la rambarde de la terrasse, face à la mer. Le soleil s’apprêtait à
disparaître derrière l’horizon, et un déchaînement d’orange et de rose teintait le ciel crépusculaire.
Aucun doute, Malcolm vivait au paradis. Sa maison, ou sa cambuse, comme il l’appelait, avait beau être de petite taille,
elle était située dans un emplacement de rêve. Cela dit, il avait sans doute fini par s’habituer à de tels paysages, à force.
Elle se remémora son commentaire au bar, ce compliment si direct qu’il lui avait fait. Malcolm Quinn avait affirmé
qu’elle était jolie. Que devait-elle en déduire ? En tout cas, depuis, elle éprouvait un étrange sentiment, comme si elle attendait
quelque chose qu’elle n’était pas sûre de vouloir.
Les intentions de son hôte n’étaient guère difficiles à déchiffrer. Il avait passé un mois sur un glacier en compagnie d’une
poignée d’hommes. Il lui avait caressé le mollet et, à présent, il était allé leur chercher un verre.
Mais, si elle savait une chose concernant le journalisme, c’était qu’on ne couchait pas avec le sujet de son article. Elle
devait conserver son objectivité, et ce ne serait pas possible si elle continuait de déshabiller Malcolm Quinn en pensée.
Des images plein la tête, elle ferma les yeux et inspira profondément. Elle avait eu quelques hommes dans sa vie, mais
ils avaient tous des profils ordinaires — un comptable, un avocat et un libraire. Ce n’était pas le genre d’hommes qui
gagnaient leur vie en s’accrochant au flanc des montagnes. Ils n’osaient même pas s’aventurer dehors quand il pleuvait.
Malcolm Quinn était un homme passionné, qui vivait sur le fil du rasoir — il devait faire l’amour avec la même ardeur,
elle en était certaine. A cette idée, elle sentit un frisson d’excitation lui parcourir l’échine. Il y avait un lit dans cette cambuse,
sans doute à moins de dix mètres de là.
La porte s’ouvrit, et Malcolm sortit sur la terrasse, une bouteille et deux verres en main. Il lui en tendit un et lui versa un
peu de whisky. Quand il se fut servi, il s’assit et elle revint prendre place sur la chaise à côté de lui.
Pendant quelques minutes, ils observèrent le coucher de soleil en silence. Amy n’osait pas prendre la parole ; elle
sentait qu’il réfléchissait toujours à son offre, à cet article qu’elle lui avait proposé d’écrire. A moins qu’il ne pense à autre
chose ? Peut-être était-il lui aussi en train de la déshabiller en pensée.
Elle réprima un tressaillement. Elle passait peu de temps à faire du sport ou à surveiller son alimentation. Il était sans
doute habitué à des femmes capables d’escalader à mains nues une paroi rocheuse ou de traverser le pôle Sud à pied. Pour sa
part, il lui arrivait d’être essoufflée en faisant le trajet de son bureau à la station de métro.
— Quel pays magnifique, dit-elle enfin. Tout est tellement… sauvage. Indompté. Vierge.
— Je ne ferai pas cet article, dit-il enfin. Je ne peux pas.
— Quelqu’un finira par s’emparer de cette histoire, répondit-elle. Avec moi, au moins, vous auriez un droit de regard.
Malcolm secoua la tête.
— Il a fallu un an à ma mère pour réussir à passer une journée sans pleurer. Je ne veux pas lui faire revivre cette
période. Vous pouvez écrire ce que vous voulez, mais ce sera sans moi, et sans mes frères.
— Sans vous, il n’y a pas d’histoire, murmura Amy.
— Alors vous n’allez rien écrire du tout ?
Elle secoua la tête.
— Je sais reconnaître une bonne histoire, et si vous n’apparaissez pas dans celle-ci elle sera sans intérêt. Je voulais
parler de votre père et des retombées de la tragédie qui lui a coûté la vie. Je comprends que ce ne soit pas facile pour vous,
conclut-elle avec un haussement d’épaules.
Elle refusait de renoncer, mais la douleur qu’elle lisait sur le visage de Malcolm la faisait hésiter : la plaie était encore
à vif. Même après vingt ans, la blessure ne s’était pas refermée. Au fond de son cœur, elle était certaine de pouvoir raconter
cette histoire de la bonne manière, en évacuant tout le sensationnalisme et en se concentrant sur l’aspect humain, mais, s’il
refusait de s’y impliquer, quel intérêt ?
Elle se leva.
— Je devrais rentrer. J’ai du travail.
— Ce n’est pas votre travail, d’être ici ?
Elle refusait d’admettre la vérité mais, à vrai dire, cela n’avait plus guère d’importance, à présent.
— En obtenant votre collaboration, j’espérais pouvoir convaincre mon père d’organiser une expédition sur l’Everest
pour vous et vos frères.
Il détourna le regard avec une exclamation étouffée. Tout en sirotant le reste de son whisky, il demeura tourné vers la
mer un long moment. Amy attendit : cette révélation allait-elle le faire changer d’avis ?
— J’avais l’intention de faire une série d’articles, avec un profil de chacun des trois frères, le suivi des préparatifs de
l’expédition, puis l’expédition elle-même. J’envisageais d’écrire cette histoire sous une perspective historique, de montrer
l’évolution des pratiques dans l’ascension de l’Everest au cours des vingt dernières années.
— Vous voyez grand, remarqua-t-il.
— Oui, admit-elle.
Prenait-il vraiment son offre en considération ? Avait-elle changé la donne en lui parlant de l’expédition ? Amy savait
qu’elle aurait dû lui dire que cette partie de l’accord était encore très floue, mais, si elle voulait écrire cet article, elle devait
se démener pour qu’il voie le jour. C’était ce que faisaient les vrais journalistes.
— Mais je ne participerai pas à cet article, dit-il.
Elle sentit un sentiment de frustration l’envahir. Ainsi, il avait simplement décidé de la mener en bateau et de la faire
boire.
— Dans ce cas, je ferais mieux de rentrer à l’hôtel.
Elle venait de descendre les marches de la terrasse quand elle s’aperçut qu’elle n’avait pas de voiture. Et qu’elle ne
connaissait pas le chemin jusqu’à son hôtel.
— Allons, dit Malcolm. Laissez-moi au moins vous inviter à dîner, pour la peine. Vous avez quand même fait le voyage
jusqu’en Nouvelle-Zélande.
— Vous m’avez déjà offert une bière et des chips. Ça ira.
D’un bond, il la rejoignit et lui prit la main. Ce contact eut sur Amy l’effet d’un choc électrique. Quand il se pencha sur
elle, elle retint son souffle, songeant qu’elle ferait mieux de se tenir à distance. Pourtant, elle avait l’impression d’être
paralysée.
Elle voulait qu’il l’embrasse, elle avait envie de vivre cette expérience, juste une fois. Si elle quittait le pays avec le
souvenir de ce baiser, elle ne rentrerait pas complètement bredouille. Après tout, elle était venue ici pour élargir ses horizons
et se fixer de nouveaux objectifs…
— Puis-je vous emmener dîner ? insista-t-il. Je vous promets que vous passerez un bon moment.
Elle ne put s’empêcher de sourire. S’il savait ce qu’elle avait en tête, il ne serait pas si empressé à vouloir la garder
près de lui. Ou peut-être que si…
Baissant les yeux, elle considéra sa main toujours emprisonnée dans celle de Malcolm. Soudain, elle sut ce qu’elle
allait faire. Elle ne pourrait peut-être pas écrire cet article, mais elle allait profiter de l’homme qui le lui avait inspiré. Ou au
moins d’une soirée avec lui. Tout à coup, le mot aventure venait de prendre un tout autre sens.
— D’accord, dit-elle. J’ai faim.
Malcolm lui étreignit la main avant de l’entraîner vers la Range Rover.
— L’un de mes amis tient un restaurant à burgers sur Bow Street. Vous aimez les burgers ? Bien sûr, suis-je bête, vous
êtes américaine ! Vous allez adorer cet endroit.
Il ouvrit la portière et l’aida à monter en voiture. Amy le regarda rejoindre le côté conducteur à grands pas. Il se
déplaçait avec une aisance incroyable, comme s’il maîtrisait chaque muscle de son corps. Elle s’imagina allongée à côté de ce
corps, le touchant à son gré…
Quand il se glissa derrière le volant, elle chassa ces pensées de son esprit. Elle était en train de tirer des plans sur la
comète : certes, il lui avait caressé le mollet et pris la main. Cela ne signifiait pas qu’il voulait la séduire et l’emmener dans
son lit. Malcolm Quinn était charmant et accommodant, mais cela faisait partie de son travail. Ils allaient dîner ensemble, ce
serait amusant, et voilà tout.
Elle se creusa la tête pour trouver un sujet de conversation. Maintenant qu’il avait refusé de participer à cet article, elle
ne voulait pas aller fouiller trop loin dans son passé. Aussi décida-t-elle de s’aventurer sur un autre terrain :
— Vous surfez ?
— Oui, répondit-il. Après la mort de mon père, nous avons déménagé dans l’île du Nord. Les parents de ma mère y
habitaient, et nous avons vécu avec eux au début. Ils tenaient un petit restaurant.
— Le reste de votre famille y vit-il toujours ?
— Mes grands-parents ont trouvé une maison plus près d’Auckland. La cambuse était à eux, ils louaient des chambres
pour les surfeurs, avant. Maintenant, mes frères y vivent avec moi, bien que nous y soyons rarement tous les trois au même
moment. Ma sœur cadette habite en ville avec des amis. Avant, elle vivait avec nous, mais quand elle a commencé à ramener
des hommes à la maison c’est devenu plus compliqué.
— Votre père était australien. Vous voyez sa famille, de temps à autre ?
— Je vois que vous avez fait des recherches, remarqua-t-il.
— Je voulais être bien préparée, au cas où…, dit-elle en souriant.
— Il était fils unique, et sa mère est décédée quand il avait treize ans. Il n’a jamais connu son père. Il a vécu dans des
familles d’accueil pendant quelques années avant de s’enfuir à l’âge de seize ans. Après cela, il a enchaîné les aventures en
montagne, travaillant quand il le pouvait. Il a fini par atterrir en Nouvelle-Zélande où il a rencontré Roger Innis, et vous
connaissez la suite de l’histoire.
Amy aurait voulu pouvoir prendre des notes, mais elle ne voulait pas risquer de rompre le lien de confiance qui
semblait s’être tissé entre eux.
— Voilà qui donne à sa vie une toute nouvelle perspective, commenta-t-elle. Je me suis toujours demandé ce qui
poussait un homme à risquer sa vie pour des sensations fortes.
— Je ne pourrais vous le dire.
— Vous n’aimez pas les sensations fortes ?
— Non, pas au point de risquer ma vie, répondit-il avec un signe de dénégation. Ne vous méprenez pas : j’aime mon
métier. J’adore découvrir de beaux endroits et les faire découvrir aux autres. Mais je le fais avant tout pour mes clients, pas
pour moi. Contrairement à mon père, je crois. Ses sensations passaient avant celles de ses grimpeurs.
Malcolm gara la voiture devant un petit restaurant. Là, il demeura quelques instants le regard perdu dans le vague, une
expression perplexe sur le visage. Avec un petit rire, il dit :
— Vous savez, je n’avais jamais fait le lien avant, entre son enfance et son besoin de tenter le sort.
— Je peux comprendre ce besoin, dit-elle. Après tout ce qu’il a vécu dans son enfance, sans doute se sentait-il un peu
inerte. En prenant des risques, il s’est senti vivant.
Il pivota sur son siège pour lui faire face :
— Dans ce cas, pourquoi fonder une famille ? Pourquoi les mettre en danger, eux aussi ?
— Facile. Par amour. Il a perdu sa mère quand il était enfant. Je suppose qu’il a toujours voulu retrouver une famille et,
quand il a rencontré votre mère, il a réalisé son rêve. Sauf que ça ne suffisait pas.
Elle secoua la tête avant d’ajouter :
— Je ne suis pas psychologue, ce ne sont que des suppositions. J’imagine que nous ne saurons jamais vraiment.
— Mon père tenait un journal, il en remplissait des cahiers entiers. Ma mère m’a dit qu’elle les avait brûlés, mais je
crois qu’elle les a toujours.
— Vous devriez peut-être demander à les lire, suggéra Amy. Peut-être cela vous tranquilliserait-il l’esprit.
Pendant quelques instants, il sembla réfléchir à sa suggestion. Puis, sans crier gare, il tendit les bras pour l’attirer vers
lui. Leurs lèvres se rencontrèrent. Soudain, la réalité la frappa : Malcolm Quinn était en train de l’embrasser !
Du bout de la langue, il caressa légèrement ses lèvres, et elle répondit à son baiser avec ardeur. C’était aussi bon
qu’elle l’avait imaginé — intense, passionné. Il lui caressa le visage et, comme elle laissait échapper un soupir de bien être, il
redoubla de ferveur.
Quand il s’écarta enfin, elle était hors d’haleine et avait la tête qui tournait. Elle voulait continuer de l’embrasser,
encore et encore, jusqu’à… jusqu’à ce qu’ils trouvent quelque chose d’encore plus excitant à faire. Elle se pencha vers lui et,
comme s’il lisait dans ses pensées, il prit aussitôt sa bouche dans un baiser aussi délicieux que profond.
Cette fois, quand il s’écarta, elle posa ses mains sur son torse pour le garder à distance. Elle ne voulait pas continuer
sans savoir à quoi s’en tenir, avec lui.
— Quelles sont les chances que vous acceptiez de me laisser écrire cet article ? demanda-t-elle. Sur une échelle de un à
dix ?
— Vous avez beau m’avoir alléché, ma réponse est toujours non.
— Dans ce cas, il n’y a rien qui vous empêche de m’embrasser de nouveau.
Il sourit.
— Il n’y avait rien qui m’en empêchait avant non plus.
— Très bien, alors continuez.
Réprimant un grognement, il secoua la tête.
— Je crois que nous devrions plutôt aller dîner.
— D'accord. Allons dîner, soupira Amy.
Ce repas lui donnerait l’occasion de se ressaisir et de réfléchir à ce qu’elle était en train de faire. Si son article était
fichu, elle était libre d’explorer d’autres pistes avec Malcolm Quinn. Des pistes qui pouvaient se transformer en avenues, en
boulevards… peut-être en autoroutes. Elle était venue en Nouvelle-Zélande dans l’idée de donner un nouveau tournant à sa
vie. Peut-être devait-elle commencer par se faire plaisir.

* * *

Mal avait entamé la soirée en quête d’un corps chaud et consentant à mettre dans son lit. A sa grande surprise, il avait
trouvé une femme intelligente, drôle et sexy. Dommage qu’elle soit journaliste.
Amusé, il la regarda s’attaquer à son énorme hamburger avec enthousiasme.
— C’est bon, n’est-ce pas ? demanda-t-il.
— Délicieux.
— C’est du bœuf de Nouvelle-Zélande, il n’y en a pas de meilleur.
— A mon avis, le fromage et l’huile de truffe y sont aussi pour quelque chose, dit-elle en examinant son plat.
Ils occupaient une table sur une terrasse surplombant la rue. Avec ses boutiques branchées et ses restaurants
décontractés, Raglan était un paradis du surf. Son atmosphère détendue était exactement ce qu’il lui fallait quand il rentrait
d’expédition. Oui, cet environnement lui permettait de décompresser en toute quiétude.
Il avait voyagé dans certains des plus beaux endroits du monde, mais c’était chez lui qu’il se sentait le mieux. C’était ici
qu’il avait grandi, qu’il avait appris à surfer. Il avait élaboré les plans de sa première aventure en solo dans sa cambuse au
bord de la mer.
— Je n’ai jamais vu une femme manger comme ça.
— C’est que vous ne fréquentez pas de vraies femmes, rétorqua Amy. Nous ne mangeons pas toutes comme des souris.
— Je suppose que non.
Amy n’essayait pas de changer ses manières pour lui plaire, et il respectait cela. Elle était authentique, fidèle à elle-
même.
— Alors, racontez-moi vos voyages, dit-il. J’ai entendu parler de ceux de votre père et de votre frère. Qu’en est-il des
vôtres ?
Elle le considéra avec une expression indéchiffrable.
— Je préférerais que vous me racontiez votre équipée au Groenland, ça me semble plus intéressant.
— C’était très intéressant, en effet, reconnut-il. Au rythme où les glaciers fondent, ce genre de voyage deviendra bientôt
impossible. Je suis content d’avoir pu faire bénéficier des gens de cette expérience avant qu’il ne soit trop tard.
— Quel est votre lieu favori ? demanda-t-elle.
— Chaque endroit du monde a quelque chose de spécial. Sinon par ses paysages, au moins dans les sensations qu’il
procure. Quand je me retrouve sur un marché au Népal, ou que je suis en train de discuter avec un fermier argentin, il m’arrive
de me demander ce que j’ai fait pour mériter cette chance. J’ai souvent du mal à croire que je mène une vie pareille.
— Avez-vous déjà songé à vous installer, à fonder une famille ?
— Jamais. Je gagne ma vie comme guide et, j’ai beau être prudent, ça n’en reste pas moins une profession dangereuse.
Je ne veux pas faire subir à quiconque ce que ma mère a vécu.
— Vous pensez qu’elle regrette d’avoir épousé votre père ?
— Non. Ils s’aimaient. Et elle savait à quoi s’attendre quand ils se sont mariés. Cela dit, je pense que les choses
auraient été plus simples s’ils n’avaient pas eu d’enfants.
— Comment pouvez-vous dire cela ? Vous, vos frères, votre sœur, vous êtes une partie de lui, il continue de vivre à
travers vous.
Mal se cala dans son siège. Il trouvait étrange de parler de ces choses-là, surtout avec une inconnue. Pourtant, discuter
de son père avec Amy lui ouvrait déjà de nouveaux horizons. Jusqu’alors, il avait toujours été très tranché dans ses opinions
mais, à présent, il commençait à s’apercevoir que tout n’était pas forcément noir ou blanc.
Ils se mirent à parler de son agence, et des expéditions qu’elle proposait. Amy était curieuse. Bien qu’elle connaisse la
plupart des destinations qu’il évoquait, Mal avait l’impression qu’elle-même n’avait pas participé à beaucoup d’expéditions.
Ou alors elle essayait juste de le faire parler. Peu importait, en fait : cette femme savait le mettre complètement à l’aise. Elle
pouvait poser toutes les questions qu’elle voulait, il y répondrait sans hésiter.
C’était dangereux. Après tout, elle était journaliste, et il ne connaissait pas ses motivations profondes. Il aimait flirter
avec elle, mais il n’était pas certain de vouloir aller plus loin.
Cela dit, pourquoi pas ? Si elle était consentante, pourquoi ne pas profiter ensemble d’une nuit torride avant qu’elle
reparte chez elle ? Coucher avec elle ne lui ferait pas changer d’avis concernant cet article. S’ils cédaient au désir qu’il sentait
croître entre eux d’instant en instant, il était certain qu’ils passeraient un très bon moment.
Il lui prit la main.
— Et si on s’en allait ? Je pourrais vous ramener à votre voiture, et vous me suivriez jusqu’à la cambuse. Je voudrais
vous montrer ma plage.
La serveuse apporta l’addition et, bien qu’Amy insiste pour payer sa part, Mal ne céda pas. Il voulait faire de cette
soirée un véritable rendez-vous amoureux. Ce dîner serait suivi d’une promenade romantique sur la plage durant laquelle il
comptait de nouveau l’embrasser et la caresser. Ensuite, Amy finirait peut-être dans son lit.
Quand ils descendirent les marches, Mal entrelaça ses doigts à ceux de la jeune femme. Il tenait à ce qu’elle sache que
ses intentions étaient purement charnelles. Ainsi, elle saurait à quoi s’en tenir.
Ils montèrent dans la Range Rover, puis il fit demi-tour pour se diriger vers le pub où ils s’étaient rencontrés dans
l’après-midi. Amy était étrangement silencieuse. Il lui jeta un regard furtif.
— A quoi pensez-vous ?
— Vous avez parlé des journaux de votre père. Avez-vous jamais pensé écrire votre propre livre à son sujet ?
Sa question le prit de court. Manifestement, elle avait d’autres pensées en tête que le sexe.
— Je ne sais pas écrire.
— Tout le monde sait écrire. Il vous faut juste un bon éditeur pour vous aider à construire votre récit.
— Et où vais-je trouver un bon éditeur ?
Elle lui adressa un sourire éloquent.
— Vous vous porteriez volontaire ?
— Ce n’est qu’une suggestion, mais cela pourrait vous faire du bien. Cela vous permettrait de refaire connaissance avec
votre père, mais cette fois en tant qu’adulte.
— Pourquoi tout ce que vous dites me semble-t-il parfaitement juste ?
— C’est amusant, parce que ce n’est pas l’impression que ça me fait, à moi.
Il n’avait jamais envisagé d’écrire une biographie, de travailler sur un projet dont lui et sa famille garderaient la
maîtrise. Peut-être n’était-ce pas une mauvaise idée…
Ils trouvèrent sa voiture où elle l’avait laissée plus tôt dans la journée.
— Suivez-moi, dit-il. Ce n’est pas loin.
Elle sauta de la Range Rover avant de se retourner vers lui.
— Je ferais peut-être mieux de rentrer à l’hôtel.
Il secoua la tête.
— Pas question. La soirée n’est pas finie. Venez vous promener avec moi. Juste quelques pas.
— D’accord.
Il la regarda monter dans sa voiture de location, avec une impatience qu’il avait du mal à s’expliquer. Oh oui, il avait
bien l’intention de l’embrasser de nouveau. Et si cela devait aboutir à une nuit de passion, tant mieux. Ce soir, c’était d’Amy
Engalls dont il avait envie, et de personne d’autre. C’était la seule femme qui pourrait le combler.
Pourtant, malgré l’assurance dont elle faisait montre, il décelait chez elle une certaine vulnérabilité. Il le voyait à sa
manière de changer habilement de sujet quand il essayait d’amener la conversation sur elle. Au début, il avait cru que c’était
un truc de journaliste, qu’elle essayait de revenir au sujet de son article. Mais, au cours du repas, il avait compris qu’elle était
persuadée que sa vie ne l’intéresserait pas.
C’était ridicule. Il voulait tout savoir d’elle. Que faisait-elle le dimanche soir, en général ? Où vivait-elle ? Quel genre
de musique aimait-elle ? Ce n’étaient que des questions banales, mais elles éveillaient sa curiosité.
En arrivant sur la plage, il gara sa Range Rover dans l’allée sablonneuse avant d’en sortir pour aller jusqu’à la voiture
d’Amy. Il lui ouvrit la portière et lui tendit la main.
— Avez-vous un gilet ou une veste ? Il va sans doute faire un peu froid.
— Non, répondit-elle.
— Je vais vous trouver quelque chose, attendez-moi ici.
Il se pressa vers la maison, décrocha une veste polaire de la patère près de la porte, puis en prit une seconde pour lui.
Quand il revint, elle se tenait au pied de l’escalier extérieur. Il lui tendit la veste pour qu’elle l’enfile. Quand ce fut fait, il
remonta la fermeture à glissière.
— C’est douillet, commenta-t-elle en se frottant les bras.
Considérant ses jambes nues, il lui demanda :
— Voulez-vous un pantalon ?
— Non, ça ira, merci.
Une brise s’était levée, balayant ses cheveux d’un blond de miel autour de son joli visage. Délicatement, il cala une
mèche derrière l’oreille de la jeune femme.
— Dans ce cas, allons-y.
La main dans la main, ils se mirent en marche sur le chemin sableux qui menait à la plage. Le soleil s’était couché
depuis quelques heures, et les étoiles avaient fait leur apparition, semant des étincelles de lumière dans le ciel d’un noir
d’encre.
Ils avancèrent jusqu’au rivage où s’écrasaient les vagues. Elle ôta ses chaussures et goûta l’eau de l’orteil.
— Elle est froide.
— Elle ne se réchauffe jamais assez pour qu’on puisse surfer sans combinaison. Pas comme en Californie ou à Hawaii.
Elle s’avança plus loin dans l’eau tout en se penchant pour faire courir ses doigts dans l’eau. Derrière elle, une vague
approchait. Mal se dit que l’eau n’était pas assez profonde pour qu’Amy perde l’équilibre, mais, à l’instant où la vague lui
heurta les mollets, elle fut projetée en avant et s’affala dans l’eau avec un grand cri.
Etouffant un juron, il se précipita pour la relever. Amy s’accrocha à sa veste, ses cheveux trempés collés au visage et le
souffle court.
Et, soudain, elle éclata d’un rire enjoué qui semblait venir du fond du cœur.
— Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? s’écria-t-elle. Pourquoi est-ce que je ne tiens pas sur mes jambes ?
Sur une impulsion, il la souleva dans ses bras et la porta hors de l’eau.
— Je me le demande. Il vaut peut-être mieux que vous ne posiez pas les pieds par terre.
Frissonnante, elle croisa les bras sur sa poitrine.
— Je crois que nous ferions mieux de vous trouver des vêtements secs, commenta Mal.
— Au moins, je pourrai dire que j’ai nagé dans l’océan Indien, c’est une grande première pour moi, dit-elle en lui
passant les bras autour du cou.
— En réalité, il s’agit de la mer de Tasmanie.
— C’est encore mieux, dit Amy en écartant les mèches de cheveux qui lui tombaient dans les yeux. Oh ! mes
chaussures !
— Ne vous inquiétez pas, je reviendrai demain matin les chercher, quand elles auront été rejetées sur la plage.
— Mais je vais avoir besoin de chaussures !
— Pas cette nuit, répondit Mal. Je crois que vous devriez éviter de marcher, vous risquez de finir à l’hôpital.

* * *

Quand ils furent entrés dans la maison, Mal la posa par terre et lui retira rapidement sa veste détrempée. Amy frissonna.
Sa robe, que l’eau avait rendue presque transparente, était plaquée contre sa peau. Du bout des doigts, elle tira sur le tissu pour
le décoller. Elle était glacée jusqu’aux os et tremblait de tout son corps. Pourtant, ce n’était pas le froid qui provoquait les
frissons qui la parcouraient. Non, c’était la façon dont Malcolm la dévorait du regard.
— Vous devriez aller vous réchauffer sous la douche. Je vais vous trouver des vêtements. La salle de bains est juste au
bout du couloir.
Amy acquiesça et prit la direction qu’il lui indiquait. Mais, alors qu’elle passait devant lui, il l’arrêta pour la prendre
dans ses bras. Il posa sa bouche sur la sienne ; cette fois, elle eut l’impression qu’il lui adressait un message : les choses
étaient sur le point de prendre un tour beaucoup plus intime. Si elle voulait partir, c’était maintenant ou jamais.
Amy n’eut pas besoin de se poser la question : elle savait parfaitement ce qu’elle voulait. Sans un mot, elle se mit à
déboutonner sa robe. Malcolm s’écarta, les mains posées sur ses épaules et les yeux rivés sur ses doigts.
Quand elle eut défait le dernier bouton, elle leva les yeux vers lui, espérant qu’il allait prendre l’initiative de la
prochaine étape. A son grand soulagement, il répondit à son attente et fit glisser le tissu trempé sur ses épaules.
Il posa les lèvres dans le creux de son cou, et Amy inclina la tête pour mieux savourer ce baiser, le corps parcouru
d’une brusque vague de chaleur. Puis il lui fit lever les bras, attrapa le bas de sa robe et la lui enleva lentement en la faisant
passer par-dessus sa tête.
Sa peau humide se couvrit de frissons, et elle se remit à trembler. Trempé lui aussi, Malcolm se débarrassa de ses
chaussures, puis de sa veste polaire. S’emparant d’un plaid qui traînait sur le canapé, il l’en enveloppa
— Ça va mieux ?
— Oui, dit Amy à voix basse. Beaucoup mieux.
— Asseyez-vous.
Elle s’exécuta, et Malcolm, s’agenouillant devant elle, attrapa son pied droit, balaya le sable entre ses orteils, puis le
massa doucement pour le réchauffer. Ensuite, il fit de même avec le gauche. Bientôt, elle cessa de frissonner.
Alors, Malcolm se pencha pour déposer un baiser à la naissance de sa cheville.
Amy retint son souffle. Il leva la tête pour la regarder dans les yeux, et elle poussa un soupir.
— C’est si bon. Recommencez.
Ce qu’elle voulait vraiment dire, c’était « Allez-y, prenez-moi », mais elle avait beau se sentir emplie d’un courage
inédit, elle n’osait pas y aller aussi franchement.
Malcolm frôla des lèvres la plante de son pied. C’étaient d’étranges préliminaires, mais c’était encore plus intime que
quand il l’embrassait sur la bouche. Lentement, il fit remonter ses lèvres sur sa cheville, puis le long de sa jambe.
Lorsqu’il atteignit la lisière du plaid, il se redressa pour effleurer de la bouche son épaule nue. Amy ferma les yeux pour
mieux s’abandonner à ses caresses. Dans un coin de sa tête, elle ne pouvait s’empêcher de continuer à se demander si,
éthiquement, il était acceptable, ou même sage, de coucher avec un homme qu’elle voulait toujours interviewer. Mais il avait
affirmé qu’elle ne parviendrait pas à le convaincre et, maintenant qu’il avait commencé à la caresser, elle se fichait pas mal de
l’éthique.
Malcolm prit de nouveau sa bouche et, cette fois, son baiser fut un mélange envoûtant de désir et d’abandon, tendre et
doux, mais aussi plein d’impatience. Abandonnant ses lèvres, il écarta le plaid d’un geste sûr, pour faire courir sa bouche le
long de sa nuque et l’embrasser sous l’oreille.
Puis, il saisit son visage entre ses mains, et revint à sa bouche. Amy empoigna son T-shirt pour l’attirer à lui, jusqu’à ce
qu’il soit pratiquement allongé sur elle.
C’était merveilleux de sentir le poids du corps d’un homme étendu sur elle. Peut-être aurait-elle dû se montrer plus
prudente, mais à ce stade elle était trop étourdie par le désir pour écouter son bon sens.
— Tu as assez chaud ? Tu veux aller te doucher ? A moins, ajouta-t-il après une pause, que nous allions nous réchauffer
sous les couvertures, dans mon lit ? Je pourrais…
— Très bien, l’interrompit Amy. Dans le lit, ça me va.
Sans hésiter, elle se leva, toujours enveloppée dans le plaid, le souffle court. Elle avait l’impression de dévaler en
courant le flanc d’une montagne sans parvenir à trouver de prise pour ses pieds. Tout allait si vite. C’était comme si elle avait
perdu tout contact avec la réalité. Mais elle ne voulait pas s’arrêter en plein élan. Elle ne le pouvait pas.
Cet homme l’attirait. Irrésistiblement. Elle l’avait su dès le premier regard qu’il lui avait lancé. En vérité, elle l’avait su
rien qu’en regardant sa photo. C’était le genre d’homme dont rêvait toute femme — beau, charismatique, et téméraire.
Et voilà qu’elle avait l’opportunité unique de partager le lit de cet homme. Oh ! elle avait eu des amants. Mais ils ne
s’étaient jamais montrés à la hauteur de ses attentes. Avec eux, jamais elle ne s’était sentie aussi passionnée, aussi désinhibée.
Pour une fois dans sa vie, elle voulait faire l’amour avec un homme capable de faire battre son cœur et de faire brûler son
corps de désir.
Une semaine plus tôt, elle était pelotonnée sur le canapé de son appartement de Brooklyn et se goinfrait de glace à la
cerise et aux pépites de chocolat en regardant des comédies romantiques. Voilà ce qu’était sa vie en attendant que débarque le
prince charmant. Eh bien, il était temps de cesser d’attendre. Elle venait de débusquer le prince charmant dans une cambuse
sur une plage de Nouvelle-Zélande.
Il ne serait pas question d’amour, ni même d’affection, mais purement et simplement de passion physique. Ce serait
l’aventure qu’elle n’avait jamais eu le courage de vivre, le sommet qu’elle avait toujours eu peur d’escalader. Si elle devait
quitter la Nouvelle-Zélande sans son article, elle repartirait au moins avec un excellent souvenir.
Malcolm s’arrêta sur le pas de la porte de sa chambre. Jetant un coup d’œil à l’intérieur, elle aperçut un grand lit
couvert d’une épaisse couette de duvet. Sans lui laisser le temps de faire un pas dans la chambre, il lui attrapa les mains et les
cloua contre le mur, au-dessus de sa tête, pour la regarder avec intensité.
— Tu es sûre que c’est ce que tu veux ? murmura-t-il avant de l’embrasser de nouveau.
Le plaid glissa. Seuls ses sous-vêtements la couvraient encore, mais elle s’en moquait. Sous l’étoffe délavée de son
jean, elle sentait que Malcolm était aussi excité qu’elle. Elle avait envie de le toucher, de faire courir ses doigts le long de son
sexe tendu. Elle aussi pouvait se montrer téméraire.
— Oui, répondit-elle enfin en se pressant contre lui.
Il l’embrassa encore, et sa langue se fit inquisitrice. Elle répondit à ses assauts avec ferveur. Quand un gémissement
rauque échappa à Malcolm, un immense sentiment de triomphe l’envahit. Oui, lui aussi la désirait, lui aussi la voulait.
Démêlant ses doigts des siens, elle posa les mains sur les épaules de Malcolm, puis sur son torse.
Doucement, elle le poussa de côté pour entrer dans la chambre. Là, elle s’arrêta près du lit, lui tournant le dos. Les
mains tremblantes, elle détacha l’agrafe de son soutien-gorge. La seconde d’après, sa culotte gisait par terre. Elle pouvait
difficilement mieux lui montrer son impatience. Elle l’entendit étouffer un murmure tandis qu’elle se tournait pour lui faire
face.
L’ombre d’un doute l’assaillit soudain : elle n’avait jamais été aussi vulnérable qu’en cet instant. Pourtant, elle s’en
fichait. Pour une fois dans sa vie, elle faisait montre du courage qu’elle avait toujours rêvé d’avoir. Et, tant que Malcolm serait
près d’elle, ce courage ne la quitterait pas.
Il s’approcha d’elle, lentement, et Amy sentit ses jambes se dérober sous elle. Elle aurait voulu s’asseoir au bout du lit,
mais elle avait peur de bouger. Comme s’il avait senti son malaise, il glissa un bras autour de sa taille et l’attira à lui.
Il fit courir ses mains le long de son dos pour venir caresser sa taille et enserrer ses hanches. Le contact de ses doigts
sur sa peau éveillait chaque cellule de son corps, décuplant son désir. Avec douceur, il l’entraîna vers le lit où il les fit tomber
tous deux, bras et jambes enchevêtrés.
Sans jamais cesser de l’embrasser, il retira ses propres vêtements. D’abord son T-shirt, puis sa ceinture et son jean. Elle
était tellement absorbée par cette bouche qui la dévorait que la sensation de la peau nue de Malcolm contre la sienne lui coupa
le souffle.
Elle n’arrivait pas à croire que tout cela lui arrivait, à elle. Elle aurait voulu garder les idées assez claires pour, quand
tout serait fini, pouvoir se remémorer, savourer, chaque détail, mais Malcolm semblait décidé à lui faire perdre la tête.
Il fit courir ses lèvres sur son épaule avant de descendre plus bas. Elle s’attendait à sentir sa langue sur le bout de son
sein mais, au lieu de cela, sa bouche effleura son ventre avant de s’arrêter plus bas encore.
Le corps parcouru d’une décharge électrique, elle s’accrocha aux bords du lit. Des vagues d’un plaisir intense
l’envahissaient à chaque mouvement précis de la langue et des lèvres de Malcolm. A la fois comblée et avide, elle se cambra
sous ses caresses.
Il œuvrait en expert, sans la moindre hésitation. Oui, il voulait la mener au plaisir suprême, et elle était prête à se
rendre. Elle enfouit ses doigts dans son épaisse chevelure pour l’encourager à continuer. Son cœur battait à tout rompre dans
sa poitrine, et son bassin ondulait sous la bouche de son amant. Soudain, ce fut l’explosion.
Une jouissance presque insoutenable l’envahit, et son corps fut parcouru de frissons d’extase qui n’en finissaient pas.
Malcom continua de la tourmenter jusqu’à ce que Les frissons qui parcouraient son corps s’apaisent.
Alors, seulement, il la laissa redescendre des sommets de plaisir qu’il lui avait fait atteindre. Les spasmes qui agitaient
son corps s’atténuèrent lentement, la laissant pantelante et l’esprit vide. Malcolm déposa un baiser à l’intérieur de sa cuisse.
— C’était merveilleux, lui dit-il avec un sourire provocant.
Amy balançait entre le rire et les larmes. Ça avait été merveilleux, en effet ; jamais elle n’avait ressenti pareil plaisir.
Elle avait envie de recommencer, mais de nouveau le douta s’infiltra dans son esprit : ne venait-elle pas de commettre une
erreur ? Comment était-elle censée reprendre sa vie d’avant maintenant qu’elle savait ce que le mot passion voulait dire ?
Quand tout serait fini, il lui resterait le souvenir de cette aventure. Mais ensuite ? Etait-elle censée rentrer chez elle
comme si rien ne s’était passé ?
Non. Si elle voulait que cette expérience soit parfaite, il fallait qu’elle aille jusqu’au bout. Pour commencer, elle allait
rendre à Malcolm la pareille.
Lentement, elle le fit remonter à sa hauteur et se colla contre lui. Puis, posant ses mains sur son ventre, elle effleura son
sexe tendu.
Malcolm sourit, les yeux étincelants de désir. Alors, elle enveloppa son sexe de ses doigts et commença à le caresser.
Aussitôt, il poussa un grognement étouffé et enfouit son visage dans le creux de sa nuque.
Amy se montrait délicate et joueuse. Elle voulait l’exciter, mais pas trop — ils avaient encore tellement à faire ! Cette
fois, c’était elle qui était aux commandes, qui maîtrisait la situation. Les hommes comme Malcolm flirtaient sans cesse avec le
danger et la mort, et ils étaient réputés pour avoir cette même approche avec le sexe. Ils l’abordaient avec une passion
démesurée, comme si chaque instant passé au lit avec une femme était le dernier.
Elle voulait être la femme dont il se souviendrait quand il dormirait sous sa tente à l’autre bout du monde. Elle voulait
qu’il se donne du plaisir en repensant à elle lors de ces nuits solitaires.
Elle posa sa bouche au milieu de son torse, sur la mince ligne de poils qui descendait sur son ventre. Puis, comme il
l’avait fait avec elle, elle descendit plus bas. Et, quand elle referma ses lèvres sur l’extrémité de son sexe, un frisson de plaisir
la parcourut. Il était maintenant à sa merci. Totalement.
Mais, au lieu de savourer son plaisir en silence, il l’accompagna de la voix, avec douceur, lui indiquant ses préférences,
l’encourageant d’un chuchotement. Entendre Malcolm détailler ainsi l’effet que ses caresses avaient sur lui procurait à Amy
une sensation délicieuse.
Soudain, elle sentit son corps se tendre, au bord de l’explosion. Les mains crispées, il l’immobilisa jusqu’à ce qu’elle
sente qu’il avait repris le dessus.
Alors, il la serra contre lui avant de tendre le bras pour attraper un préservatif sur sa table de chevet. Puis, il l’attira sur
lui.
Amy se laissa glisser sur lui, lui arrachant un cri d’extase. Lentement, il s’enfonça dans sa chaleur, tout au fond d’elle.
Elle ferma les yeux pour mieux profiter de cette sensation fabuleuse. Puis, pendant un long moment, Malcolm ne bougea pas, et
elle finit par ouvrir les yeux. Il la regardait fixement.
— Qu’y a-t-il ? murmura-t-elle.
— Rien. Je profite juste encore un peu du paradis.
Le paradis. C’était exactement cela. Un lieu de perfection. Amy se pencha et posa un baiser sur ses lèvres, ses longs
cheveux lui caressant le visage.
— Je peux peut-être trouver un moyen de prolonger ton séjour, dit-elle.
— A vrai dire, j’étais justement en train de me demander comment je pourrais prolonger le tien, répondit Malcolm. Tu
devrais peut-être laisser tomber ta chambre d’hôtel et emménager dans la cahute.
— La cahute ?
— C’est un petit bungalow au bord de l’eau, derrière la cambuse. D’habitude, on le loue à des surfeurs, mais il n’y a
personne en ce moment. C’est spartiate mais très agréable. Tu n’es pas obligée de partir tout de suite, n’est-ce pas ?
— Disons que j’avais prévu de prolonger mon séjour si tu acceptais de faire cette interview. Mais, comme tu n’es pas
intéressé, je…
— Je suis en train de reconsidérer la chose, la coupa Malcolm. Pour ce qui concerne le livre, du moins.
Amy se redressa, incrédule. Elle n’aurait jamais cru être aussi douée au lit ! Non qu’elle ait eu l’intention d’user de ses
charmes pour arriver professionnellement à ses fins, mais il lui avait d’abord opposé un refus catégorique, et voilà qu’il
donnait l’impression de changer d’avis. Que devait-elle faire, à présent ?
— Je pense que je pourrais rester encore un peu, dit-elle.
Evidemment qu’elle allait rester. S’il subsistait la moindre chance qu’il accepte de collaborer à cet article, elle était
prête à emménager dans sa cahute et à passer chaque minute de son temps libre avec lui.
Mais pourrait-elle de nouveau faire l’amour avec lui ? Amy se redressa et admira le torse parfait de Malcolm, allongé
sous elle. Elle n’avait pas de réponse claire à cette question.
Chapitre 3

Mal avait connu de nombreuses femmes, et il n’avait jamais regretté une seule de ces rencontres. Pourtant, un doute
infime le taraudait à présent : la recherche du plaisir physique était-elle vraiment le seul motif qui l’avait amené à mettre Amy
Engalls dans son lit ?
Il avait toujours mis un point d’honneur à expliquer aux femmes qu’il croisait qu’il n’envisageait pas de poser ses
valises pour mener une vie normale. Pour leur part, elles étaient conscientes que la vie aux côtés d’un guide de haute montagne
leur promettait une vie emplie de solitude plutôt que d’amour. De toute façon, il ne tenait pas à faire subir à quiconque ce que
sa mère avait enduré. S’il décidait un jour de s’installer avec une femme, il renoncerait complètement à son existence de
globe-trotter.
Pourquoi la situation semblait-elle si différente avec Amy ? Juste parce que cette nuit d’amour avait comblé toutes ses
attentes physiques ? Non, cette femme éveillait quelque chose de différent en lui. Au fond, il devait reconnaître qu’une part de
lui avait espéré qu’au premier baiser elle s’enfuirait. Au lieu de cela, elle s’était montrée aussi avide et passionnée que lui.
Qui était cette femme ? Et qu’avait-elle de si spécial pour qu’il continue de la désirer autant alors même qu’ils n’avaient aucun
avenir ensemble ?
Mais ce n’était guère le moment de s’appesantir sur le sujet. Pour l’heure, sa seule priorité était de se perdre en elle. Il
lui caressa les hanches.
— Alors, tu vas rester ? lui souffla-t-il à l’oreille.
— Il va falloir être très convaincant, rétorqua Amy.
Elle se mit à bouger sur lui, adoptant d’abord un rythme très lent. De toute évidence, elle se délectait à le sentir en elle.
Ils se connaissaient à peine, mais peu importait : ils étaient là, ensemble, et elle le voulait.
Une expression d’extase sur le visage, Amy était encore plus jolie que lorsqu’il l’avait vue pour la première fois dans le
pub. Avec ses cheveux clairs décoiffés et ses joues rosies, elle était d’une beauté à couper le souffle. Il tendit le bras et
referma la main sur l’un de ses seins dont il caressa le mamelon durci du bout du pouce.
Jamais plus il ne pourrait la considérer comme une simple journaliste. Elle resterait pour lui cette femme nue qui le
chevauchait avec ferveur, son amante, qui lui donnait un plaisir indescriptible.
A plusieurs reprises, elle l’amena au bord de l’explosion avant de ralentir le rythme, ou même de s’arrêter pour
l’embrasser. Il la laissa s’amuser quelque temps, mais il avait de plus en plus de mal à ne pas perdre le contrôle.
N’y tenant plus, il glissa sa main entre eux, et fit aller et venir son doigt contre le clitoris d’Amy. Presque aussitôt, elle
fut secouée d’un nouvel orgasme. Alors seulement, Mal s’abandonna à son tour à un plaisir qui semblait ne jamais devoir finir.
Quand les dernières vagues du plaisir s’éloignèrent, Malcolm était aussi épuisé qu’après une journée d’ascension.
Pourtant, avec une femme pareille dans son lit, sa fatigue allait être de courte durée, il le devinait : ils avaient toute la nuit pour
explorer leurs désirs mutuels.
Amy baissa les yeux sur lui, les paupières lourdes de sommeil, un sourire satisfait aux lèvres.
— C’était bon, dit-elle.
— Tu vas écrire un article là-dessus ?
— Oui, le taquina-t-elle. J’ai toujours voulu faire carrière dans la littérature érotique.
— Débrouille-toi pour tout décrire en détail. Je veux que tout le monde sache combien je suis doué au lit.
— Oh ! mais ton nom ne figurera pas dans l’article. Je ne voudrais pas que toutes les femmes de la planète se mettent à
te courir après.
— Alors tu vas en tirer tous les bénéfices, et moi je n’aurai rien ? C’est comme ça que tu vois les choses ?
Il la fit basculer sur le côté avant de la clouer sur le lit avec sa jambe.
— Si c’est ça, je ne te promets rien, ajouta-t-il.
— Je comprends, dit-elle. Et ce n’est pas pour cela que je t’ai laissé coucher avec moi.
— Pourquoi, alors ? demanda Mal avec une curiosité non feinte.
— Je crois que j’avais envie de faire quelque chose d’un peu irréfléchi. Moi qui suis toujours tellement prudente, je n’ai
jamais vraiment pris de risque. Et ça, ça me semblait… dangereux, dit-elle avait un haussement d’épaule. Ça te paraît
sûrement idiot, non ?
— Pas du tout. A moi aussi, ça m’a paru dangereux.
— Tu gravis des montagnes et traverses des glaciers. Comment coucher avec moi pourrait-il te sembler dangereux ?
— Je n’ai plus envie de sortir de ce lit, avoua Mal. Je me verrais bien y rester un mois ou deux.
— On pourrait en faire une sorte d’expédition sexuelle, suggéra Amy. On ferait des réserves de nourriture lyophilisée et
on installerait un réchaud dans le coin de la chambre. On camperait jusqu’à ce qu’on en ait assez de faire l’amour.
— Ce n’est pas une mauvaise idée.
— Mais je ne suis là que pour deux semaines, l’avertit Amy. Ensuite, il faudra que je rentre chez moi.
Mal se redressa sur les coudes. Il venait d’avoir une idée.
— Si tu veux une histoire, je t’en donnerai une, même si ce n’est pas celle que tu es venue chercher ici. Je vais
t’emmener dans les Alpes du Sud, et nous allons faire notre propre petite expédition. Tu pourras faire un article dessus, et
peut-être ton éditeur voudra-t-il te l’acheter ?
— Quel genre d’expédition ?
— Un voyage qui nous permettra de t’apprendre les techniques de base de l’escalade. Nous traverserons un glacier, le
Bonar, et escaladerons le mont French. C’est toujours plus agréable en été, mais par temps clément c’est le genre d’excursion
qu’on peut faire toute l’année. Tu seras mon cobaye, et tu pourras écrire une sorte de guide d’initiation aux pratiques de haute
montagne.
— Mais notre magazine ne s’adresse pas aux débutants, objecta Amy.
— Alors vends-le ailleurs.
— Combien cela va-t-il me coûter ?
— Rien. Je le ferai gratuitement. De toute façon, j’ai un itinéraire à mettre en place, et tu pourras critiquer ma manière
de faire. Ça va être amusant.
— Je n’ai jamais gravi de montagne. Ni traversé de glacier. Mon excursion la plus dangereuse consiste à marcher dans
Central Park après la nuit tombée. En plus, je ne suis pas équipée.
— Nous fournissons tout le matériel.
— Même les préservatifs ?
— Absolument tout, confirma-t-il avec un petit rire.
— Je peux y réfléchir ?
— Trésor, je vais te faire passer un bon moment, tu verras.
— J’ai déjà vu. Mais pourquoi ferais-tu cela ?
— Tu veux la vérité ?
— Bien sûr.
— Un peu de publicité ne nous ferait pas de mal. Et, s’il y a une chance qu’Aventures Extrêmes publie ton article, je
suis prêt à tenter l’aventure.
— Tu sais, s’il y était question de ton père, ils le publieraient sans hésiter.
— Exposer ma famille à ce point ne serait bon pour personne.
— Si j’écrivais cet article, ce serait dans le plus grand respect, pour vous tous.
Mal se raidit.
— Acceptes-tu de m’accompagner dans cette expédition parce que tu espères me faire changer d’avis ? demanda-t-il
d’un ton plus sec qu’il ne l’aurait voulu.
— Non. Si tu ne veux pas me parler de ton père, je ne remettrai plus le sujet sur le tapis, je te le promets. En revanche,
si tu en parles, je me réserve le droit d’essayer de te convaincre. Je continue de croire que ce serait bon pour toi, pour ton
entreprise et pour ta famille. Et tu ne me feras pas changer d’avis.
— Très bien, dit Mal. Acceptons de ne pas être d’accord là-dessus. Nous partirons demain.
— Demain ? Si vite ? Il ne faut pas que je me prépare un peu, avant ?
— Si. Je recommande des sessions de sexe intensives. C’est ce que je fais toujours.
— Avec toutes tes clientes ?
— Non, je ne couche jamais avec mes clientes. J’ai des principes, et je m’y tiens.
— Les journalistes ne sont pas censés non plus coucher avec le sujet de leur article.
— Tu n’es pas ma cliente, et je ne suis pas ton sujet.
— Mais je vais devenir ta cliente. Ou, du moins, je vais faire semblant de l’être.
— Oui, mais tu ne paies pas. Et c’est sur toi que tu vas écrire, pas sur moi. Tu vois, les règles essentielles sont
respectées.
— Il y en a d’autres ?
— Oui : pas de récriminations. Ce ne sera pas une promenade de santé.
— Ça va être sportif, renchérit-elle.
— Exactement.
— Je ne sais pas très bien à quoi m’attendre, mais vu d’ici ça me paraît raisonnable.
— Et tu ne vas pas décaniller à la première difficulté ?
— Non, je ne décanillerai pas. Si tant est que « décaniller » signifie se défiler. Autrement, je ne sais pas.
— C’est bien ce que ça veut dire, approuva Mal.
— Je suis tout excitée. Ce sera ma première aventure !
— Vraiment ? Ton père et ton frère sont tout le temps aux quatre coins du monde. Tu n’es jamais partie avec eux ?
Amy secoua la tête.
— Mes parents ont divorcé quand j’avais dix ans, avant que mon père ne se lance dans ce genre d’expédition. Mon frère
en avait seize. Il a décidé de vivre avec mon père, et ils ont démarré ensemble.
Après une pause, elle demanda :
— Je peux mourir en escaladant une montagne ?
— Tu peux mourir en traversant la rue.
— Réponds à ma question.
— C’est peu probable. Tu seras avec moi, et je suis un excellent guide. Je m’assurerai de ta sécurité.
— Et tu me tiendras chaud, ajouta-t-elle. Je déteste avoir froid.
— D’accord, je te tiendrai chaud, dit Mal en la serrant contre elle. Tu as froid, maintenant ?
— Non. Mais, si tu veux, tu peux quand même me réchauffer.
Mal étouffa un petit rire.
— Le client est roi, je ne peux que m’exécuter.
— Tu me laisseras aussi écrire cet article ? murmura Amy.
— Tu ne laisses jamais tomber, n’est-ce pas ?
— Non. Mais je te promets de ne pas te harceler avec ça. J’ai des tas d’autres centres d’intérêt. Par exemple, j’adore
quand tu m’embrasses dans le cou.
— Autre chose ?
— La prochaine fois, je voudrais que tu sois sur moi.
— Je suis sûr que ça peut s’arranger, dit-il.

* * *

— Goûte ça.
Amy plissa le nez en examinant l’assiette que Mal venait de lui apporter au lit.
— C’est du chocolat ? Sur un toast ?
— Pas du tout. Vas-y, goûte. C’est un des aliments de base de la cuisine locale. C’est aussi tout ce qui me reste à manger
dans la maison. Le pain était au congélateur. Je ne suis pas rentré depuis un mois, il va falloir que j’aille faire des courses.
Amy prit le pain et le renifla avant de secouer la tête. L’odeur était repoussante. Ça sentait la levure.
— Je sais ce que c’est, dit-elle enfin. De la Mermite.
— On dit Marmite. En fait, c’est de la Vegemite. C’est à peu près la même chose, de la pâte à tartiner à base de levures,
mais je préfère quand même la Vegemite.
— Tu es sûr qu’il n’y a rien d’autre ? Tu n’as pas des gâteaux secs, ou de la glace ? Des chips, peut-être ?
— J’ai un bocal d’huîtres fumées, des crackers, une boîte de thon et trois paquets de burgers au fromage surgelés
périmés depuis un an.
Amy repoussa l’assiette dans sa direction.
— J’aimerais encore mieux goûter aux burgers.
D’un mouvement vif, elle s’enveloppa dans le drap et se redressa sur le bord du lit.
— Allez, montre-moi ta cuisine, je vais trouver quelque chose à nous préparer. Je ne sais peut-être pas escalader les
montagnes, mais je sais me repérer dans une cuisine.
Avant qu’elle n’ait eu le temps de se lever, Malcolm la repoussa sur le matelas.
— Je trouve ça très sexy, les femmes qui cuisinent.
— Je meurs de faim ! protesta-t-elle.
Avec un soupir exagérément affligé, Malcolm sortit du lit et la suivit dans la cuisine tout en enfilant un caleçon. Amy
n’avait jamais cuisiné en compagnie d’un homme à moitié nu, mais elle fit de son mieux pour se concentrer sur la préparation
du souper. Appuyé au comptoir, Mal l’observait.
Elle ouvrit les placards pour en retirer tout ce qui lui semblait consommable. Puis elle passa au réfrigérateur ; il était
presque vide. Du bac à légumes, elle exhuma un oignon flétri et un sachet de carottes qui semblaient encore mangeables, ainsi
qu’une plaquette de beurre.
— De quand datent ces œufs ?
— Ils ont au moins un mois, répondit Mal en mâchant sa tartine. Mais pas plus de deux.
D’après la date qui figurait sur l’emballage, ils étaient encore bons, et elle les posa donc sur le comptoir. Puis elle sortit
un bol du buffet et le déposa près des œufs, avant de prendre un paquet de légumes lyophilisés.
— Comment ça se prépare ?
— Tu verses de l’eau bouillante dans le sachet, et tu laisses gonfler cinq minutes.
Elle sentait son regard sur elle tandis qu’elle s’activait dans la cuisine.
— Tu vis à New York ? demanda-t-il enfin.
— Oui.
— En ville ?
Amy acquiesça avant d’ajouter :
— Mais pas à Manhattan. A Brooklyn. Tu es déjà allé à New York ?
— Je l’ai survolée en avion. Je ne suis pas fan des grandes villes, ça me rend claustrophobe. J’aime bien pouvoir
distinguer l’horizon.
— Qu’est-ce qui t’a décidé à marcher dans les pas de ton père ?
Il fronça les sourcils.
— Ce sera retenu contre moi ?
— Non, dit-elle en lui jetant un regard furtif. Je suis curieuse, c’est tout. Je te le dirai, quand mes questions seront
intéressées.
Mal haussa les épaules.
— Je pense que c’était un moyen de me rapprocher de lui. Quand nous étions plus jeunes, mes frères et moi avions
l’habitude de partir en randonnée et de camper. On parlait de notre père et de certaines de ses expéditions. Pour nous, c’était
un superhéros, et je pense que nous rêvions de lui ressembler. Au grand désarroi de ma mère. Elle est loin d’être ravie de nous
voir pratiquer ce métier, mais, tous les trois, nous sommes bien plus prudents que mon père.
— Il n’était pas prudent ?
— Il aimait vivre dangereusement. L’alpinisme êtait presque une expérience religieuse pour lui. Il affirmait que
l’adrénaline lui nourrissait l’âme. Je ne ressens pas la même chose. J’aime les grands espaces, j’aime amener les gens dans
des endroits qu’on voit rarement. Mais, en ce qui me concerne, j’ai commencé à grimper pour essayer de savoir qui était mon
père et pourquoi il menait cette vie.
— Et tes frères ?
— Je ne sais pas trop. Je ne le leur ai jamais demandé, mais j’imagine que c’est pour les mêmes raisons.
Il laissa échapper un long soupir et ajouta :
— C’est bon de parler de lui. J’ai l’impression qu’il devient réel au lieu de n’être qu’un vague souvenir.
— C’était une légende, observa-t-elle.
— Oui. Mais pour lui c’était plus un fléau qu’une bénédiction. Peut-être que, s’il n’avait pas essayé d’être à la hauteur
de son propre personnage, il se serait montré plus prudent.
— Et maintenant c’est toi qui dois te montrer à la hauteur.
— J’essaie de ne pas y penser. J’ai toujours l’impression de ne pas en faire assez. Son entreprise était fondée sur sa
réputation. Je n’ai pas cet avantage.
— Je comprends ça, crois-moi. Mon père a lui aussi un côté mythique, et il me met sans cesse à l’épreuve. Il essaie de
me mettre des bâtons dans les roues en espérant que j’échouerai.
— Comment cela ?
— Il m’a presque obligée à accepter ce poste dans un magazine d’aventures alors que j’aurais été ravie d’écrire des
articles sur les chaussures et les sacs à main. Ou même les casseroles et les tabliers. Il était sûr que je démissionnerais, sauf
que ce travail a fini par me plaire. Et je le fais très bien, en plus.
— Il y a d’autres choses que tu fais très bien, la taquina Mal. Je peux en attester.
Ils continuèrent de bavarder tandis qu’elle préparait le repas. Malcolm lui parlait de son enfance, du déménagement
depuis l’Australie vers la Nouvelle-Zélande, de ses difficultés à accepter la mort de son père, et de la faillite financière qui
avait suivi son décès. C’était surprenant de le voir parler aussi ouvertement de tout cela, et même de la bataille juridique qui
avait opposé sa mère à Roger Innis.
Amy n’avait rien trouvé à ce sujet en faisant ses recherches. C’était un aspect de l’histoire que les deux parties avaient
tenu secret. Mais, à en croire Mal, Innis avait rédigé un contrat de partenariat qui lui était très favorable.
Un contrat qui les avait laissés sans ressources à la mort de son père. La mère de Mal avait toujours travaillé, mais son
revenu suffisait à peine pour faire vivre la famille.
Amy retira deux assiettes du placard près de l’évier.
— J’ai entendu dire qu’Innis parlait de mettre en place une expédition sur l’Everest pour redescendre le corps de ton
père.
— Je sais. Cette expédition est vouée à l’échec, mais ça lui fait de la publicité. Ça lui donne l’air d’être le gentil de
l’histoire. Je préférerais qu’il la ferme et qu’il laisse notre famille en paix.
Amy hocha la tête tout en faisant glisser la moitié de l’omelette sur son assiette.
— Alors tu devrais faire part de ton opinion publiquement. La communauté des grimpeurs doit savoir que tu ne souhaites
pas que ton père soit dérangé. Tout le monde comprendrait qu’Innis est un… opportuniste.
Sans répondre, Mal s’attaqua à l’omelette. Il sourit.
— Tu es très forte. Qui aurait pensé à mélanger des légumes lyophilisés dans une omelette ?
— A mon avis, on peut mettre à peu près n’importe quoi dans une omelette pourvu que les œufs soient bien cuits.
— Même de la Vegemite ?
— Bon, d’accord, presque tout.
— Imagine ce que tu pourrais faire avec des ingrédients dignes de ce nom, dit-il. Si tu sais faire cuire un steak, je risque
de t’enfermer ici et de ne plus jamais te laisser sortir.
— Je sais faire cuire un steak, répondit Amy. Mais, ma spécialité, ce sont les pâtes. Et mes brownies sont à tomber.
— J’adore les brownies, dit Mal en engloutissant son omelette. Finalement, on devrait peut-être passer la semaine ici, tu
cuisinerais pour moi. Il n’y a que chez ma mère que je mange correctement. En général, je perds au moins cinq kilos chaque
fois que je pars en expédition, à force de n’avaler que de la nourriture lyophilisée.
Amy réfléchit un instant.
— On pourrait peut-être attendre quelques jours avant de partir ; comme ça, je pourrais t’engraisser un peu, suggéra-t-
elle entre deux bouchées.
— De toute façon, nous aurons besoin de ces quelques jours pour rassembler notre équipement. Et il faut que j’organise
le transport en hélicoptère, je vais avoir du mal à trouver un pilote aussi rapidement. Alors, que vas-tu nous faire pour le petit
déjeuner ? Je vais sortir acheter ce dont tu as besoin.
— Attends un peu. De quel hélicoptère parles-tu ?
— De celui qui va nous déposer au bord du glacier. C’est là que nous établirons notre premier campement et que je
t’apprendrai à marcher avec des crampons. Il va falloir que tu t’habitues à la glace. Ensuite, nous traverserons ce glacier.
— Je ne suis jamais montée en hélicoptère, murmura Amy.
En réalité, elle n’avait jamais été à l’aise avec l’altitude. Prendre un avion lui demandait une bonne dose de courage,
alors un hélicoptère…
Ridicule ! Elle n’allait pas laisser cette opportunité lui échapper à cause de phobies stupides. Certaines personnes
prenaient l’hélicoptère tous les jours, et elles survivaient.
— Super. Ça devrait être amusant.
— Oh oui, je peux te garantir que tu vas t’amuser.
— Et tu me donnes quoi en échange de mes compétences culinaires ?
Il se leva de sa chaise et s’approcha d’elle avec une lenteur étudiée.
— Tout le sexe que tu veux. Des orgasmes multiples. Et un homme nu dans ton lit prêt à se plier à tes quatre volontés.
— C’est ton lit, objecta-t-elle.
— Ne pinaille pas, murmura-t-il en l’embrassant.
Amy s’écarta pour lui tendre un dernier bout d’omelette planté au bout de sa fourchette.
— Tu sais faire les pancakes ? demanda-t-il.
— Aux myrtilles, aux pépites de chocolat ou nature ?
— Les trois, répondit-il.
La prenant par la taille, il l’entraîna en direction de la chambre.
— Où m’emmènes-tu ?
— Il faut que je te verse un acompte, expliqua-t-il. J’ai vraiment très faim.
Chapitre 4

Mal observa attentivement Amy. Bon sang, elle semblait au bord de la panique. Debout dans la salle de réunion de
Maximum Adrénaline, elle regardait fixement la pile de matériel entassée sur la grande table. Il lui passa les bras autour des
épaules et l’attira à lui pour lui déposer un baiser sur le sommet de sa tête.
— Je vais devoir porter tous ces vêtements ?
— Non. Il te faut une première couche de sous-vêtements, une deuxième couche thermique, et une dernière pour te
protéger du vent, de la pluie et de la neige. Ce que tu vois là est une sélection des plus petites tailles dont nous disposons.
Commence par la première couche. Je pense que les équipements bleu marine devraient t’aller. Sinon, essaie les gris. Il faut
qu’ils soient près du corps, mais pas trop serrés.
— Je vais avoir besoin de vêtements de rechange, non ?
— Oui, pour les sous-vêtements, ainsi qu’une couche thermique supplémentaire pour dormir. Tu prendras tout ça dans
ton sac à dos, avec pas mal de paires de chaussettes. Je vais voir si je peux te trouver des chaussures.
Il sortit de sa poche une paire de lunettes de soleil qu’il fit glisser sur le bout du nez d’Amy.
— Tu vas avoir besoin de ça. La neige peut être aveuglante, au soleil.
Puis, il tourna les talons, et sortit de la pièce pour se diriger vers le petit entrepôt où était stocké le matériel. En passant
devant le bureau de sa sœur, il vit Dana se lever pour lui courir après.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Je me prépare pour une sortie.
— Avec elle, je veux dire ! Elle est journaliste, Mal. Elle est venue ici pour faire un article.
— Ne t’inquiète pas. Nous avons fait un marché. Elle ne publiera rien de ce que je lui dirai sans mon accord.
— Tu as perdu l’esprit, au Groenland, ou quoi ?
— Nous sommes amis. Je lui fais confiance.
— Pourquoi ? Tu ne connais même pas cette fille !
Mal dut admettre que sa sœur avait raison. Mais Amy et lui avaient partagé des moments d’intimité, des moments où ils
s’étaient dévoilés leurs faiblesses respectives. Il avait rarement consacré autant de temps à une femme et encore moins vécu de
véritable relation de couple. Mais, avec Amy, il se sentait presque… normal. Et leurs affinités n’étaient pas que physiques,
même si, sur ce plan, ils s’entendaient merveilleusement bien. Ils parlaient ensemble, et elle le comprenait.
Certes, il pouvait se tromper, mais Mal faisait confiance à son instinct depuis assez longtemps pour être certain qu’Amy
ne le trahirait pas. S’il avait appris une chose sur elle au cours de ces derniers jours, c’était bien qu’elle était incapable de
masquer ses sentiments. Chacune de ses émotions était inscrite sur son visage.
Dana le prit par le bras pour l’arrêter.
— Tu as perdu l’esprit, répéta-t-elle. Et, quand toute ta vie, toute notre vie, sera étalée dans les pages d’Aventures
Extrêmes, je pourrai dire que je t’avais prévenu.
Elle le considéra d’un regard inquisiteur avant de reprendre :
— Tu n’as pas… Oh ! non ! Pitié, Mal, dis-moi que tu ne couches pas avec elle.
— Non, mentit Mal.
— Si, rétorqua-t-elle.
— Je l’emmène pour qu’elle puisse écrire un article sur ce voyage en particulier, pas sur notre père. Je ne parlerai
même pas de lui. Si elle publie cet article dans Aventures Extrêmes, ça vaudra tout le mal que je me donne. De toute façon, je
voulais faire cette expédition en repérage pour la mettre au catalogue de l’agence et la proposer à nos clients.
— Et c’est pour ça que tu couches avec elle ? Pour qu’elle nous fasse de la publicité gratuite ?
— Non ! Je couche avec elle parce qu’elle est drôle, gentille, et belle. C’est arrivé comme ça, et nous avons continué, et
maintenant je n’ai pas envie que ça s’arrête. Depuis quand ma vie amoureuse t’intéresse-t-elle ?
— Si tu veux arrêter, je connais une méthode imparable : garde la braguette de ton pantalon fermée !
— J’ai l’impression d’entendre maman !
Dana poussa un cri indigné.
— Tu m’as déjà dit pas mal de trucs bizarres, Mal, mais ça, c’est le pompon ! Je ne ressemble pas du tout à maman.
— Je sais ce que je fais, répondit-il. Je maîtrise la situation.
— C’est ça, répliqua Dana.
— Je t’assure. Je vais offrir à Amy le plus beau voyage de sa vie, et ça n’ira pas plus loin. Elle rentre aux Etats-Unis
dans six jours.
— Sois quand même prudent, conseilla Dana, l’air dubitatif.
— Cette expédition ne présente pas de danger, la rassura-t-il. Il n’y a aucune difficulté technique.
— Je ne te parle pas de l’expédition. C’est avec elle que tu dois être prudent.
— Tu as fini de mettre ton nez dans mes affaires ?
— Ce sont nos affaires. Les affaires de la famille.
Mal secoua la tête avant de se remettre en marche vers l’entrepôt.
Oui, quels que soient les efforts qu’il faisait pour le nier, lui aussi sentait qu’un risque subsistait. Etait-ce l’idée qu’Amy
puisse n’être qu’une journaliste extrêmement douée qui parvienne à lui tirer les vers du nez sans qu’il s’en aperçoive qui le
dérangeait ? Ou alors était-ce sur leur relation qu’il avait des doutes ? Ils ne se connaissaient que depuis quelques jours, mais
il avait déjà perdu pas mal de temps à se demander à quoi ressemblerait sa vie s’il passait plus de deux semaines d’affilée
chez lui, avec Amy. Chaque instant qu’il passait avec elle sous la couette mettait en danger sa carrière et son existence telle
qu’il la concevait jusqu’alors.
La meilleure solution était encore de s’en tenir à son plan de départ : l’emmener en voyage. Dans six jours elle serait
partie, et sa vie reprendrait alors son cours.
Mal dénicha deux paires de chaussures pour Amy et regagna le bureau. En ouvrant la porte de la salle de réunion, il la
trouva plantée au milieu des vêtements, en culotte et soutien-gorge, un caleçon de laine polaire à la main.
— Quelque chose ne va pas ? s'enquit-il.
Elle lui tendit le caleçon.
— Couche de base ou couche thermique ? Et faut-il que je porte la laine polaire par-dessus la première couche, ou à la
place ?
— Ça dépend du temps, répondit-il. Parfois, dans la journée, il peut faire assez bon au soleil pour marcher torse nu.
— Il y a des femmes qui font ça ?
— Bien sûr.
— On ne pourrait pas trouver une montagne à escalader à Tahiti ou Bora Bora ? demanda-t-elle, sourcils froncés ? Dans
un endroit chaud ?
Mal se pencha pour ramasser quelques sous-vêtements de randonnée qu’il lui tendit.
— Tu m’avais promis de ne pas rechigner.
— Je n’ai jamais fait ce genre d’équipée et ça me stresse, avoua Amy.
— Tu n’as pas à avoir peur, Amy.
— Je n’ai pas peur. Je veux juste éviter d’avoir l’air complètement ridicule. Je veux dire, je ne connais même pas les
règles les plus basiques. Par exemple, je fais comment si je veux aller aux toilettes ?
— Oh ! facile : il y a des stations-service tous les dix kilomètres, il suffit de s’y arrêter et de demander la clé des
cabinets.
— Très drôle.
— Tu baisses ton pantalon et ton caleçon long, tu t’accroupis, et le tour est joué !
— Je comprends la technique, murmura-t-elle, mais… on fait ça comme ça n’importe où ?
— Plus ou moins, oui.
— Promets-moi juste que tu ne regarderas pas.
— Que je ne regarderai pas quoi ? Ton derrière ? Je suis sûr que j’aurai des tas d’autres occasions de le voir.
Il l’attira dans ses bras et l’embrassa avec tendresse. Il la trouvait irrésistible quand elle était comme cela, nerveuse et
vulnérable.
— Très bien, dit-elle enfin. Je pense que je survivrai.
— Je te jure que ce sera formidable. Et maintenant tu veux que je t’aide à enfiler ce pantalon, ou bien à retirer ta
culotte ?
— Ta sœur est juste derrière cette porte.
— Et alors ?
— Et alors, bas les pattes !
— Ma famille et mes amis sont au courant que je ne suis plus vierge, tu sais.
— Peut-être, mais ils ne savent pas que je couche avec toi, rétorqua-t-elle.
Il esquissa un sourire, et elle ouvrit de grands yeux.
— Ils le savent ? demanda-t-elle.
— Ma sœur, oui. Cela dit, c’est la fouineuse de la famille.
Amy lui arracha des mains le caleçon pour y passer les jambes. Mal déposa les chaussures sur la table tandis qu’elle
enfilait le haut.
— Voilà. Comment tu me trouves ?
— Très sexy.
Choisissant un ensemble de laine polaire, elle l’enfila par-dessus. Quand elle eut fini, elle tourna lentement sur elle-
même.
— Et maintenant ?
— Je te préfère nue, répondit-il.
Pour finir, Amy sélectionna une veste bleu roi et un pantalon noir. Quand elle fut complètement équipée, elle exécuta de
nouveau un tour complet.
— Pas mal, commenta Mal. Tu commences à ressembler à une vraie grimpeuse.
Fléchissant le bras comme pour faire saillir son biceps, Amy lança d’un air fanfaron :
— Je suis prête à affronter les éléments !
— Maintenant, nous devons tester le poids de ton sac, dit-il. Viens, je l’ai mis dehors.
Amy le suivit vers la porte.
— J’ai vraiment besoin de toutes ces couches de vêtements ? Il va faire si froid ?
— Non, pas tout le temps. Mais mieux vaut être parés à toutes les éventualités. Après tout, nous sommes en hiver, et les
jours sont courts.
Mal disposa tout l’équipement sur la terrasse.
— Bien : dans ton sac, tu auras donc des vêtements, de la nourriture, un sac de couchage et un matelas. Je porterai la
tente et le réchaud. Tu sais ce que c’est ? demanda-t-il en désignant une série d’équipements d’escalade.
Amy acquiesça avant de les passer en revue :
— Baudrier, casque… ça, ce sont des mousquetons et des cordes de rappel.
Elle nomma les derniers objets puis se tourna vers lui, un sourire satisfait aux lèvres.
— Parfait, dit-il. Maintenant, enfile ce baudrier pour que nous l’ajustions, et ensuite on mettra tout ça dans ton sac.
Elle passa le quart d’heure suivant à entrer et sortir du baudrier, ce qui n’était pas chose aisée avec les trois couches de
vêtements qu’elle portait. A deux reprises, elle se prit les pieds dans les cordes, et Malcolm, patiemment, l’aida à se relever.
En général, quand il s’agissait de préparer une expédition, il était sérieux comme un pape, mais aujourd’hui il s’amusait
comme un fou. Ils ne cessaient de rire, de s’embrasser et de se rouler sur l’herbe, à tel point que Mal en vint à se questionner :
était-il sage de faire ce voyage avec Amy ?
Il pouvait s’amuser n’importe où, avec elle. Un seul mot, un seul commentaire maladroit, suffisait à le faire rire. Et,
chaque fois qu’il la regardait ou la touchait, elle lui paraissait plus belle que la fois précédente.
Sept jours, ce n’était pas assez. Pas pour tout ce qu’il souhaitait. L’idée qu’elle puisse sortir de sa vie, même après si
peu de temps passé ensemble, lui était douloureuse.
Mais ils vivaient sur des continents différents. Et, dans sa vie, il n’y avait pas de place pour une femme. Inutile de se
torturer l’esprit plus longtemps : il était impossible que cette relation fonctionne.
— Voilà, je suis prête pour le sac à dos, annonça Amy.
— Il pèse vingt kilos, l’avertit Mal. Ce sera sans doute un peu lourd.
— Je vais y arriver.
— Sinon, je transférerai une partie de son contenu dans le mien.
— Non, je veux le faire.
Mal accrocha le matériel d’escalade au sac à dos d’Amy avant de le soulever et de l’aider à enfiler les bretelles. Il le
lâcha lentement, mais, même ainsi, le poids la déséquilibra et elle faillit tomber en arrière. Malcolm tenta de la retenir, mais
elle l’entraîna dans sa chute et ils se retrouvèrent tous deux par terre.
— Je crois qu’il est peut-être un peu trop lourd, reconnut-elle entre deux éclats de rire.
— On devrait rester au lit, ça nous ferait moins de travail.
— Mais qu’est-ce que je vais écrire dans mon article ?
— Oh ! je suis sûr qu’on va trouver quelque chose. Tu pourras vendre ça comme un roman érotique.

* * *

Ils passèrent la soirée précédant leur départ à se préparer un somptueux dîner à base de steak et à discuter de l’aventure
qui les attendait. Amy commençait à penser qu’elle s’en sortirait, d’autant plus que Mal l’avait assurée que ce voyage, pour
quelqu’un de relativement en forme, ne présentait aucune difficulté. Malgré cela, elle restait consciente de son absence
d’expérience en la matière. Courait-elle à l’échec ?
— A quoi penses-tu ?
Assis en face d’elle, Malcolm la considérait d’un air inquiet.
— A rien de particulier, répondit-elle. C’est juste que j’ai beaucoup de choses en tête.
Mal tendit la main dans sa direction.
— Prends ton verre de vin, et allons marcher un peu.
La nuit était fraîche, et il enveloppa Amy dans un gros pull avant d’enfiler lui-même un blouson. Ils allèrent jusqu’à la
plage et contemplèrent la mer. Le ciel nocturne était constellé d’étoiles, et un mince croissant de lune était suspendu au-dessus
de l’horizon.
Amy s’assit sur un vieux transat et ramena ses pieds sous elle tandis que Mal faisait un feu. Quand les flammes
commencèrent à lécher le bois, il recula et s’assit sur ses talons. Comme mue par une impulsion, elle se leva et vint
s’agenouiller derrière lui en l’enlaçant.
— Mon père nous faisait des feux fantastiques, en camping, lui confia-t-il.
— Il vous emmenait camper ?
— Oui. Rien que moi et les jumeaux. Ma mère restait avec nous dans la journée, mais le soir elle rentrait à la maison
avec Dana. Elle n’aimait pas dormir sous une tente.
— Ça devait être amusant de passer du temps juste avec ton père et tes frères, dit Amy.
Elle s’émerveillait encore de la rapidité avec laquelle il s’était ouvert à elle. Comme leurs relations étaient simples.
Elle repensa à leur rencontre, à toutes ses inquiétudes, aux différents scénarios qui auraient pu se dérouler entre eux. Ce qui
était arrivé était bien la dernière chose à laquelle elle s’attendait. Ses vacances studieuses s’étaient transformées en escapade
romantique. Pourtant, elle n’avait pas oublié qu’elle était venue ici pour chercher une histoire. Et elle savait qu’il y pensait
aussi.
— Tu sais, en une semaine, j’ai davantage parlé de mon père qu’au cours des vingt dernières années, murmura Mal. Et
ça fait du bien.
Il lui avait parlé de son père, certes, mais il refusait toujours de faire face aux choix auxquels sa famille et lui étaient
confrontés concernant le corps de Max. Si elle comprenait sa réticence à commenter les diverses spéculations de la presse à
ce sujet, elle savait au fond d’elle-même que ce silence ne ferait qu’attiser l’intérêt des médias. S’il lui confiait cette histoire,
elle en tirerait le meilleur pour lui et sa famille. Après tout, ce n’était pas pour rien qu’au bureau on l’appelait « la
magicienne » — elle était capable de transformer le plus barbant des récits en un petit bijou de reportage d’aventure.
— Ce devait être passionnant d’avoir un père pareil.
— Oui. Quand il était là. Il y a certaines choses dont je me rappelle très clairement. Des choses que nous avons faites
ensemble. Et, même s’il partait souvent, je ne me souviens plus de ses périodes d’absence. Nos vies se mettaient en suspens
dans l’attente de son retour. Et alors, elles reprenaient leur cours.
— Mon père partait tout le temps, lui aussi. Je pensais que c’était pour son travail, mais plus tard j’ai découvert qu’il
avait une maîtresse. Lui et ma mère n’auraient jamais dû se marier.
— Pourquoi dis-tu cela ? demanda Mal. Sinon tu ne serais pas née. Je peux témoigner du fait qu’il y a au moins une
bonne chose qui est ressortie de leur mariage.
Elle tenta de lui sourire sans grand succès.
— Crois-tu que nous cesserons un jour d’essayer d’être à la hauteur des attentes de nos parents ? demanda-t-elle.
Regarde, moi : mon père contrôle encore ma vie — ma vie professionnelle, du moins.
— Et, moi, j’essaie de gagner les faveurs d’un fantôme, dit Mal en hochant la tête. Je me demande ce que j’aurais fait de
ma vie si mon père avait été postier ou instituteur. L’aurais-je imité, alors, aurais-je considéré ce genre de vie comme excitant
et épanouissant ?
— Nous ne sommes pas obligés d’être définis par le passé de nos parents. Je pense que nous avons chacun notre propre
destinée, dit Amy. Et nous accomplissons notre vocation.
Posant le menton sur son épaule, elle ajouta :
— Par exemple, j’habite à New York et tu vis en Nouvelle-Zélande, mais nous nous sommes quand même rencontrés.
C’est le destin.
— Je n’arrive pas à t’imaginer vivant en ville.
— A vrai dire, après le temps que j’ai passé ici, j’en suis aussi étonnée que toi. Moi non plus je ne peux pas t’imaginer
à New York, au milieu du béton et de l’acier.
Mal s’empara d’un long bâton et se mit à attiser le feu.
— Quand je pense que j’envisageais d’aller passer un peu de temps à New York…
Assise dans le sable, Amy tenta de déchiffrer son expression dans la lueur vacillante des flammes. Toute la soirée,
Malcolm avait été plongé dans ses pensées, allant jusqu’à oublier de la taquiner.
— Tu dis que nous avons tous notre destinée, reprit-il. Mais t’es-tu jamais demandé si tu avais fait le bon choix pour ta
vie ? S’il n’existait pas un meilleur chemin à suivre ?
— Je me le demande tous les jours, répondit Amy.
Il se tourna pour croiser son regard.
— Ah oui ?
— Je ne me suis jamais fixé pour objectif de devenir la meilleure éditrice du monde. Je voulais diriger l’un des
magazines de mon père. A vrai dire, j’avais l’intention de prendre la tête de tout son groupe de presse. Mais, aujourd’hui, je
me rends compte que je n’ai pas envie de passer mon existence dans un bureau à lire et corriger les articles des autres.
Elle inspira profondément.
— C’est ça, mon genre de vie, dit-elle en désignant de la main ce qui les entourait. Regarder les étoiles, m’asseoir
auprès d’un feu.
— Tu vois ? Tu es déjà accro !
Elle lui décocha une petite bourrade.
— C’est vrai. Alors, on a fait le tour de tout ce que je devais savoir avant de partir demain matin ?
— Il n’y a qu’une règle dont nous n’ayons pas discuté, dit Malcolm.
Il lui caressa la joue avant d’effleurer ses lèvres d’un baiser.
— Encore une règle ?
— Celle-ci est très importante, murmura-t-il. Cruciale.
— C’est quoi ?
— Tu dois faire tout ce que je te dis. Pas de questions, pas de tergiversation. Dès l’instant où nous partirons, tu seras
sous ma responsabilité, et je prends ça très au sérieux.
— D’accord, dit Amy. On devrait peut-être s’entraîner. Nous l’avons bien fait pour tout le reste.
— Et comment allons-nous nous entraîner ?
Elle se mit debout, entre lui et le feu.
— Ordonne-moi de faire quelque chose.
Il secoua la tête en souriant.
— Très bien. Si tu insistes. Embrasse-moi, comme il faut.
Amy éclata de rire.
— Je pensais que tu allais m’envoyer chercher du bois.
— Nous avons bien assez de bois.
Avec une réticence feinte, Amy se pencha et posa ses lèvres sur les siennes. Quand elle essaya de s’écarter, il plaqua sa
main sur sa nuque pour la retenir, et sa bouche se fit enveloppante, exigeante. Le corps d’Amy réagit aussitôt, et elle laissa
échapper un gémissement. Tout à coup, il la lâcha. Surprise, elle recula.
— Maintenant, déshabille-toi, dit-il.
— Ici ? protesta-t-elle. Mais il fait un froid de loup !
— Un froid de loup ? Je te rappelle que tu pars demain en randonnée glaciaire. Si tu n’es pas prête à affronter le froid,
mieux vaut me le dire tout de suite.
— On va faire cette randonnée tout nus ? demanda Amy.
— Tu discutes mes ordres ?
Amy attrapa les manches du pull posé sur ses épaules et le fit glisser à terre. Pendant ce temps, Malcolm s’était installé
sur le transat et l’observait en silence retirer ses vêtements les uns après les autres.
S’agissait-il d’un simple jeu de séduction ou Mal la testait-il ? Elle n’aurait su le dire, mais elle était bien décidée à
relever le défi. Un vent chargé d’embruns se leva soudain, et elle frissonna.
Le feu, derrière elle, lui réchauffait le dos. Elle ferma les yeux et leva le visage vers le ciel en se passant les mains dans
les cheveux. Quand elle regarda de nouveau Malcolm, elle vit que son regard bleu et profond brûlait de désir. Elle était en
train de le prendre à son propre jeu, nota-t-elle, amusée.
— Ça va, comme ça ? demanda-t-elle en se caressant les seins avant de poser ses mains sur son ventre.
— Tourne-toi, dit-il d’une voix rauque.
Elle lui obéit tout en entortillant ses cheveux autour de ses doigts. Elle sentait presque son regard admirateur posé sur
elle. Elle avait terriblement envie de lui, et il ne l’avait même pas encore touchée. Elle n’avait pas froid du tout. Son corps
était étourdi de chaleur, et son cœur battait la chamade dans sa poitrine.
Soudain, elle sentit sa présence derrière elle avant même qu’il pose les mains sur ses épaules. Quand il fit descendre
ses paumes le long de ses bras nus, elle se laissa aller contre lui.
Poursuivant sa progression, Mal fit glisser ses mains jusqu’à envelopper ses seins aux pointes érigées. Puis il descendit
encore davantage, jusqu’à trouver, juste entre ses jambes, son point le plus sensible. Amy rejeta les bras en arrière pour
enfouir ses doigts dans les cheveux de Malcolm.
— Dis-moi que tu me veux, lui souffla-t-il à l’oreille.
Etait-ce son guide ou son amant qui parlait ? Amy s’en fichait. Pour satisfaire le désir qui incendiait son corps, elle était
prête à acquiescer à tout ce qu’il lui dirait.
— Je te veux, dit-elle.
D’un mouvement brusque, il la plaqua contre lui, puis il la souleva du sol et la prit dans ses bras. Amy poussa un cri de
surprise puis, constatant qu’il l’emportait vers la maison, elle se détendit et enfouit la tête dans le creux de son épaule.
A peine la porte d’entrée franchie, Mal la reposa sur ses pieds avant de la plaquer contre le mur, pressant son corps
musclé contre le sien. Son désir était déjà perceptible. Avec fébrilité, Amy fit jouer la glissière de son pantalon et écarta son
caleçon. Quand elle referma ses doigts sur le sexe de Malcolm, un « oui » étranglé s’échappa de sa gorge.
La passion qui les consumait était trop violente pour aller jusqu’à la chambre. Pas le temps non plus pour un préservatif.
Elle le caressa sur un rythme croissant, perdant peu à peu pied avec la réalité tandis qu’il la faisait fondre sous ses doigts.
Chacun perdu dans ses propres fantasmes, ils entreprenaient leur ascension vers des sommets insoupçonnés.
Quand le plaisir les submergea enfin, hors d’haleine et dans un concert de gémissements comblés, ils s’affaissèrent
contre le mur, enlacés l’un à l’autre.
— Saperlipopette, c’était fantastique, marmonna-t-il.
L’expression la fit rire. Trop faible pour se lever, elle glissa sur le sol, l’entraînant avec elle. Ils s’assirent dos au mur,
Amy complètement nue, et Mal tout habillé, à l’exception de son jean dont la braguette était ouverte.
Amy n’avait jamais été une fanatique de sexe, mais Mal était en train de la transformer. Elle passait une bonne partie de
la journée à penser au moment où ils pourraient se débarrasser de leurs vêtements pour se jeter l’un sur l’autre. Pourtant, elle
n’imaginait pas que cela prendrait de telles proportions.
— J’ai suivi les ordres, dit-elle.
— A la lettre, confirma-t-il.
— Saperlipopette ?
— C’est sorti comme ça.
— S’il te plaît, ne prononce plus jamais ce mot. Surtout après l’amour.
— C’est toi qui me donnes des ordres, maintenant ?
— C’était juste une requête. « Seigneur ! » ou « Bon sang » seraient plus adaptés, je pense.
— D’accord, patron.
— Patron ?
— J’ai décidé que, pour tout ce qui était lié au sexe, ce serait toi le chef. Je me charge du reste.
— Super ! s’exclama Amy.
Se levant avec peine, elle lui ordonna :
— Enlève tes vêtements. Maintenant.
Mal lui adressa un sourire narquois.
— N’abuse pas de ton pouvoir, camarade, je pourrais changer d’avis.
— Essaie un peu.
Elle fit volte-face et se dirigea vers la chambre en faisant onduler ses hanches de façon provocante.
Etouffant un juron, Mal se précipita à sa suite.
— Vous êtes une femme cruelle, Amy Engalls.
* * *

— Tout va se passer comme sur des roulettes, lança Mal d’un ton enjoué.
Amy lui adressa un pâle sourire, et il la sentit se crisper encore davantage. Tôt dans la matinée, ils avaient pris un vol
commercial d’Auckland à Christchurch, et à présent ils étaient dans le taxi qui les amenait près d’un hangar au sud de
l’aéroport. Ils avaient rendez-vous dans moins d’une demi-heure avec le pilote de l’hélicoptère. Plus l’heure du départ
approchait, plus Amy avait de mal à garder sa bonne humeur.
Bien sûr, il savait qu’elle appréhendait le vol. Dans l’avion, elle s’était déjà montrée passablement nerveuse. Pourtant,
il espérait qu’une fois qu’ils auraient décollé, elle arriverait à profiter du paysage. Rick Mulligan, le pilote, était un vieil ami.
Ils avaient souvent travaillé ensemble. Normalement, il se faisait payer, mais, à cette occasion, il avait accepté de faire un
geste et d’échanger ce trajet en hélicoptère contre une randonnée que Rick projetait de faire avec ses amis pour son
enterrement de vie de garçon. Grâce à ses miles de grand voyageur, le vol depuis Auckland ne lui avait rien coûté.
— Tu vas adorer, promit-il. Sinon, je…
— Tu me rembourseras ?
Il étouffa un petit rire.
— Non, je trouverai un moyen de me racheter. Mais, pendant ce trajet, tu vas voir les plus beaux paysages de Nouvelle-
Zélande en l’espace de quelques heures. C’est la meilleure façon de découvrir ce pays.
Fourrant la main dans la poche de son blouson, il en retira un petit paquet.
— Je t’ai acheté quelque chose.
— Un cadeau ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils. Seigneur, ce vol va être affreux à ce point-là ?
— C’est juste quelque chose dont nous aurons besoin pendant l’expédition.
Amy déballa le paquet et, quand elle découvrit ce qu’il y avait à l’intérieur, elle sourit.
— Un appareil photo numérique !
— Tu vas en avoir besoin pour ton article, et tu devrais commencer par photographier notre approche au-dessus du
glacier. Cet appareil fait de très bonnes photos, en haute résolution. Il est assez petit pour que tu puisses le porter en
bandoulière, mais tu peux manipuler les boutons avec des gants. J’ai le même.
— Merci, dit-elle en se penchant pour l’embrasser sur la joue. Je vais faire un article du tonnerre.
— Tu as déjà décidé que ton article serait bon ? Et ton objectivité de journaliste, alors ? Et si ce voyage est une
catastrophe ?
— Ce ne sera pas une catastrophe, dit-elle. S’il te plaît, fais en sorte que je ne puisse rien écrire de négatif sur toi.
— Ne t’inquiète pas.
Sans répondre, Amy se cala contre le siège, et le reste du trajet se passa en silence. Mal avait déjà eu affaire à des
clients nerveux, mais il avait toujours considéré que cela faisait partie de son travail. Cela dit, Amy n’était pas une cliente.
Mais qu’était-elle, alors ? Son amante ? Sa compagne temporaire ? Il n’existait pas de terme pour décrire la relation qu’ils
partageaient.
Ils étaient trop intimes pour être de simples connaissances et pourtant ils n’avaient jamais vraiment cherché à définir
leur relation. Une forte attirance physique et une tendresse évidente ? Etait-ce ainsi qu’on pouvait qualifier leur relation ?
Quelle importance après tout qu’aucun mot ne sache décrire ce qui les liait ?
Malgré lui, Amy l’obligeait à se poser des questions qu’il avait toujours soigneusement évitées jusque-là. Jusqu’alors,
sa seule priorité avait été de hisser l’entreprise familiale au-dessus de celle de Roger Innis et de laisser son empreinte dans le
monde des expéditions de haute montagne. Il se réjouissait secrètement chaque fois que de mauvaises conditions
météorologiques obligeaient Innis à annuler une ascension, ou que des clients déposaient des commentaires négatifs sur le site
de son concurrent. Il se disait alors que le c’était le destin qui punissait Innis.
Pourtant, après ces quelques jours passés en compagnie d’Amy, il commençait à se demander s’il n’était pas passé à
côté de certains des plaisirs de la vie. Soudain, c’était comme si surpasser Innis revêtait moins d’importance. Peut-être parce
qu’il passait des heures à penser à Amy et à s’occuper d’elle ; il n’avait plus le temps de se préoccuper de ce que faisait ou ne
faisait pas son concurrent.
Il avait affirmé à Dana qu’il savait ce qu’il faisait et qu’il ne s’agissait que d’une distraction temporaire, mais il en était
de moins en moins sûr. Amy avait-elle, d’une manière ou d’une autre, ouvert une faille dans la barrière qu’il avait érigée
autour de son cœur ?
Depuis l’instant où il avait posé le pied sur le flanc d’une montagne, Malcolm avait su qu’il passerait sa vie à explorer
les sommets de tous les continents. Il avait également accepté le fait qu’il aurait peu de temps à consacrer à sa vie personnelle,
et aucun à une femme et à des enfants. Non pas que ce sacrifice lui ait vraiment coûté : il n’avait jamais envisagé de fonder de
famille.
Mais maintenant ? Tout ce qu’il savait, c’était qu’il en voulait davantage. Il aspirait à autre chose qu’à une vie
d’expéditions sans fin, d’heures interminables passées dans les aéroports, de nuits glaciales dans des tentes minuscules. Il
voulait quelque chose qu’il ne parvenait pas à définir, quelque chose d’encore vague qui, il le pressentait, pourrait le rendre
bien plus heureux qu’il ne l’avait jamais été. Etait-ce l’amour ?
Mal prit une profonde inspiration. Non. Il n’était pas prêt pour cela. Il éprouvait une véritable affection pour Amy, mais
de l’amour ? Ils venaient de se rencontrer. Et ils vivaient dans des mondes si différents. De toute façon l’amour était un
sentiment réservé aux autres hommes, ceux qui menaient une vie ordinaire et ennuyeuse. Il ne ferait pas subir à une femme et à
des enfants les mêmes tourments qu’avaient endurés sa mère et ses frères et sœur.
Le taxi s’engagea sur la route menant aux hangars privés. Alors qu’ils approchaient des bâtiments de tôle, il aperçut leur
hélicoptère, et Rick qui les saluait de la main.
— Rick, je te présente Amy Engalls. Amy, voici Rick Mulligan, notre pilote.
— C’est la première fois que je prends l’hélicoptère, dit-elle précipitamment. Il n’y a pas de danger ?
— J’en pilote depuis près de quinze ans, et je suis toujours là. J’entretiens méticuleusement mes appareils. Vous êtes
entre d’excellentes mains.
Ils entassèrent leur équipement sur les plateaux de fret fixés aux patins de l’hélicoptère, puis ils prirent quelques photos.
Ensuite, Mal installa Amy sur son siège et lui mit un casque sur les oreilles. Pour faire bonne mesure, il lui donna un rapide
baiser.
— Je veux que ce soit un bon vol, glissa-t-il à Rick après avoir ajusté son propre casque.
Rick mit le rotor en route, et quelques minutes plus tard ils avaient décollé. Après avoir flotté sur place un instant,
l’appareil monta brusquement, et Amy poussa un petit cri, les yeux écarquillés. Mal lui prit la main et l’étreignit doucement.
De sa main libre, Amy se couvrit les yeux.
Heureusement — et comme il l’avait prédit —, après quinze minutes de vol, les peurs d’Amy s’étaient évanouies, et elle
risqua même un regard vers le sol. Penché vers elle, il lui désigna différents points sur le paysage qui défilait sous eux.
Il avait beau la connaître par cœur, cette vue lui coupait toujours le souffle. Pourtant, cette fois, elle prenait un tout autre
sens, car il voulait qu’Amy soit conquise par ce paysage, elle aussi. Il ignorait pourquoi. Peut-être espérait-il qu’elle voudrait
revenir. Ou que cela lui ferait comprendre pourquoi il ne quitterait jamais la Nouvelle-Zélande.
Ils survolèrent de larges vallées couvertes de forêts luxuriantes, puis longèrent d’immenses falaises rocheuses. Au loin,
les Alpes du Sud, couvertes de neige, se détachaient sur le bleu du ciel. Alors qu’ils prenaient de l’altitude, ils laissèrent
derrière eux les forêts, et le paysage se fit plus dénudé et plus accidenté. Ils distinguaient à présent, sous eux, des rochers en
dents de scie et, dans les cols entre les montagnes, les glaciers qui s’étendaient comme d’immenses rivières de glace.
Amy se tourna vers lui.
— Merci. Je suis heureuse que ce soit toi qui m’aies montré tout cela.
Mal se pencha pour l’embrasser, glissant ses doigts dans ses cheveux. Pendant un long moment, ils se perdirent dans un
profond baiser. Ce n’est qu’en entendant la voix de Rick dans son casque, qu’il s’écarta d’Amy.
— Nous atterrirons sur le col de Bevan d’ici quelques minutes.
— Nous y voilà, dit Amy.
Elle prit quelques photos par la vitre.
Quelques instants plus tard, debout sur le col, les bagages à leurs pieds, ils faisaient de grands signes de la main à Rick
qui repartait. Ils regardèrent l’hélicoptère s’élever devant eux, et le bruit des pales s’estompa peu à peu à mesure qu’il
s’éloignait. Puis il disparut de leur vue.
Mal passa le bras autour des épaules d’Amy.
— Ça va aller ?
Elle hocha la tête.
— A quelle distance sommes-nous de la route la plus proche ?
— Loin, répondit-il.
— D’accord, fit-elle en soupirant. D’accord. D’accord.
— Tu peux arrêter de dire ça ?
— D’accord.
— Et si on dressait le camp et qu’on se préparait quelque chose à manger ? Nous avons une longue journée devant nous,
demain, et la nuit tombe tôt.
— D’accord.
Puis, se reprenant :
— Pardon. C’est une très bonne idée. Que puis-je faire pour t’aider ?
— Assieds-toi sur ton sac et regarde. Je vais m’occuper de tout, c’est mon rôle de guide.
— Non, protesta-t-elle. Je veux t’aider. Et je ne me plaindrai pas, d’accord ?
— Très bien. Je vais te montrer comment monter notre tente.
— Je n’ai pas de tente à moi ? demanda Amy.
— Non.
— Mais je suis ta cliente. Je devrais avoir ma propre tente, tu ne crois pas ?
— Si tu étais ma cliente, oui. Mais ce n’est pas le cas.
— Mais on avait dit que je ferais semblant de l’être. Et il faut donc que j’aie ma propre tente, n’est-ce pas ?
Il détacha le sac contenant la toile de tente de son bagage, puis il le lui lança.
— La voilà, elle est tout à toi. Et à partir de maintenant c’est toi qui vas la porter, parce que c’est ce que font les clients
qui disposent de leur propre tente.
— Où vas-tu dormir ? demanda Amy.
— A la belle étoile. Mon sac de couchage est adapté aux températures inférieures à zéro. Je mettrai mon matelas sur la
neige, et je dormirai dehors.
Amy lui décocha un sourire malicieux.
— Sinon, tu peux toujours dormir dans ma tente.
Mal allait répondre, mais il referma la bouche aussi sec. Elle était en train de tester sa patience.
— Non, je serai très bien dehors, sur le sol gelé. Les clients doivent avoir leur intimité. Maintenant, pose ce sac, et je
vais te montrer comment monter ta tente. Et cesse de te plaindre.
— Je ne me plaignais pas.
— Je sais très bien quand quelqu’un se plaint, j’ai un sens infaillible pour ça, rétorqua Mal. Et tu peux me citer dans ton
article.
Amy posa la tente par terre.
— Très bien, je le ferai. Avez-vous d’autres instructions, monsieur ?
— Pas pour le moment.
Cette expédition promettait d’être intéressante, songea Mal avec un sourire. En fait, il était heureux d’être là. Il avait
constaté depuis longtemps que, quand ses grimpeurs étaient soumis au stress de la vie en conditions extrêmes, leur véritable
personnalité se révélait. Il n’avait jamais guidé d’expédition sans qu’au moins un de ses clients explose ou ne s’effondre — ou
les deux à la fois. Il se demanda comment Amy allait réagir. Alors, il saurait qu’il avait eu raison : ce n’était pas une vie pour
elle.
Chapitre 5

Ils dînèrent dans la tente qu’ils laissèrent ouverte pour profiter du coucher du soleil sur le col. Amy n’avait jamais rien
vu d’aussi époustouflant. Ils étaient cernés de montagnes dont les pics déchiquetés crevaient le ciel azuré. Certes, ces sommets
n’étaient guère élevés comparés à ceux de l’Himalaya, mais c’était sur l’un d’entre eux qu’elle ferait sa première ascension, et
à ses yeux ils étaient déjà très imposants.
Elle inspira une grande bouffée d’air frais et pur ; rien à voir avec l’atmosphère chargée de gaz d’échappement qu’elle
respirait à New York. Comme la vie de Mal était différente de la sienne ! Grâce aux instructions précises de Mal, elle avait
réussi à monter la tente. Il lui avait également montré comment fonctionnait le réchaud à alcool et l’avait laissée préparer le
repas.
Assise en tailleur en face de lui, dans ses vêtements de laine polaire, son bonnet enfoncé jusqu’aux sourcils, elle se
sentait délicieusement bien.
— Tout le monde se sert d’aliments lyophilisés, dans le métier ?
Mal acquiesça.
— Il est rare de trouver un endroit où manger correctement à cette altitude.
— Et tu n’en as jamais marre de n’avaler que ça ?
— Si, mais quand on doit transporter toute sa nourriture, mieux vaut ne pas avoir dix kilos de patates et de steak à
trimballer à flanc de montagne.
— Mais tu pourrais faire tes rations toi-même. J’ai lu un article sur une femme qui préparait elle-même ses aliments
lyophilisés et les mettait sous vide. J’ai goûté ce qu’elle faisait, et c’est bien meilleur que ça.
— Les gens ne font pas ces expéditions pour la nourriture, répondit-il. C’est plutôt le paysage qui les intéresse.
— Peut-être, mais si en plus les repas sont bons ça ne peut pas faire de mal.
— Tu as déjà goûté ma cuisine ? Je crois plutôt qu’ils partiraient en courant.
— Ce n’est pas faux, admit Amy.
Elle traversa la tente à quatre pattes pour venir l’embrasser.
— Mais si tu ajoutais un ou deux baisers au menu, les femmes oublieraient que tu es un piètre cuisinier.
— Et les hommes, alors ? murmura-t-il en effleurant sa bouche du bout des lèvres.
— Ils seront obligés de faire avec.
Mal posa son assiette pour prendre le visage d’Amy entre ses mains chaudes.
— Merci d’avoir fait le repas.
— Je crois que j’ai pris le coup, dit-elle, et je ne me suis pas plainte une seule fois. Tu devrais me faire une réduction
sur cette expédition, le taquina-t-elle.
Elle avait beau plaisanter, elle ne pouvait s’empêcher de se demander combien lui coûtait ce voyage.
— Combien ferais-tu payer pour cette sortie ? demanda-t-elle.
— Environ deux mille dollars, je pense.
— Plus le transport en hélicoptère. Nous aurions pu venir en voiture et marcher jusqu’au glacier.
— C’est comme ça qu’on repartira, dit Mal. De toute façon, le pilote avait une dette envers moi. Il nous a transportés
gratuitement.
Amy sourit.
— C’était très gentil de sa part. Et de la tienne aussi.
Elle se blottit plus étroitement contre lui.
— Il fait froid.
Avec un sourire irrésistible, il referma la tente, les coupant des dernières lueurs du jour.
— Je te promets que je te tiendrai chaud.
Il sortit une petite lampe torche de la poche de son blouson et l’alluma. Elle émettait juste assez de lumière pour qu’Amy
puisse profiter de la scène quand il se déshabilla.
Puis il se pencha vers elle et délaça ses chaussures qu’il rangea dans un coin de la tente, après quoi il l’aida à retirer
ses vêtements polaires. Quand ils n’eurent plus sur eux que leur couche de sous-vêtements, il réunit leurs deux sacs de
couchage, et ils se glissèrent sous l’épais duvet.
— Ça va mieux ? demanda-t-il.
— Beaucoup mieux, murmura-t-elle.
Ils se connaissaient si bien, à présent, que la séduction devenait une aventure. Ils retirèrent leurs derniers vêtements en
se tortillant, et quand ils furent tous les deux nus il la serra contre lui.
— Je m’amuse beaucoup, lui confia-t-il en posant son front contre le sien. Il y avait longtemps que je ne m’étais pas
amusé comme ça.
— Tes expéditions sont si ennuyeuses que cela ?
— C’est du travail. Je m’inquiète du moindre détail en espérant que nous nous en sortirons financièrement, qu’il n’y
aura pas de problème pendant la sortie, que tout le monde en reviendra content. Je n’en profite pas vraiment moi-même. Mais
là, comme ça, juste nous deux, ça me plaît. Je n’ai qu’une seule personne à satisfaire, c’est facile.
— Et comment comptes-tu me satisfaire ?
— J’ai mes petits secrets.
Il plongea sous le duvet, et Amy cria quand il posa les lèvres et fit glisser sa langue le long des points les plus sensibles
de son corps. Ils ressemblaient à deux chats enfermés dans un sac, le duvet les empêchait presque complètement de bouger.
Mal en ouvrit un côté et rabattit le dessus pour les libérer. La tente s’était réchauffée, et il faisait tout juste un peu frais.
— Voilà qui est beaucoup mieux, murmura-t-il avant d’effleurer des lèvres la pointe de ses seins.
Un long frisson la parcourut, et elle se jeta en arrière pour se laisser aller à l’explosion de sensations qui la
submergeaient. Plus tôt dans la journée, elle n’avait pu retenir son inquiétude, incertaine de la façon dont elle allait
appréhender cette expédition. Elle n’avait jamais été une tête brûlée : en général, elle se contentait d’observer le danger de
loin. Pourtant, ici, avec Mal, elle avait l’impression de prendre de l’assurance d’instant en instant. Finalement, elle tenait peut-
être un peu de son père.
Et puis, si elle pouvait séduire un homme comme Mal, elle était certainement capable de gravir une petite montagne de
rien du tout ou de traverser un glacier. Demain, elle allait lui montrer qu’elle était le genre de femme à pouvoir le défier sur
son propre terrain — dans et hors de son lit.
Mais où cela mènerait-il ? Il lui avait clairement fait comprendre qu’il n’y avait entre eux aucun avenir possible. Elle
devrait se contenter de la satisfaction d’avoir ajouté cet homme magnifique à son tableau de chasse. Cela constituerait un des
plus beaux souvenirs de sa vie. Et peut-être, ensuite, s’essaierait-elle à de nouvelles expéditions.
— A quoi penses-tu ? chuchota Mal.
Elle ouvrit les yeux. Il la regardait. Tendant la main vers lui, elle écarta une mèche qui lui tombait dans les yeux.
— A rien. Je profite de ce que tu me fais.
Elle l’attira sur elle et leurs hanches se touchèrent. Aussitôt, elle sentit son sexe se tendre contre son ventre. Mal posa
les mains de chaque côté de ses épaules et l’embrassa. Elle entrouvrit la bouche pour mieux l’accueillir.
Ils étaient complètement seuls au bord de ce glacier, loin des rumeurs de la vraie vie. Ils auraient pu être seuls au
monde, échoués sur ce coin de glacier comme sur une île déserte.
— C’est à ça que tu rêves quand tu es seul dans ta tente ? demanda Amy.
— A partir de maintenant, oui.
— Très bien. Je veux que tu penses à moi, dit-elle en l’embrassant tendrement. Ferme les yeux. Dis-moi ce que tu
t’imagineras.
Il réfléchit un peu avant de répondre :
— Je penserai à la façon dont tes cheveux cascadent autour de ton visage quand tu es assise sur moi. Je penserai à la
seconde qui précède le moment où tu me prends dans ta bouche, celui où le plaisir est presque douloureux, et pourtant d’une
intensité comme je n’en ai jamais connue. Je penserai à la beauté de ton corps quand tu sors de la douche et que ta peau si
douce sent le savon…
— Quand m’as-tu vue sortir de la douche ? s’étonna-t-elle.
— Hier matin. Tu croyais que je dormais encore, mais je te regardais.
— Et ces images vont te suffire ?
— A tous les coups, dit-il en se déplaçant au-dessus d’elle. Et toi ? A quoi vas-tu penser ?
— A ça, répondit-elle. A toi allongé sur moi, au poids de ton corps sur le mien.
Elle écarta les jambes, et Mal vint faire peser ses hanches sur elle. Elle le sentit entrer en elle un bref instant, et il cessa
de respirer. Délicatement, il effleura sa bouche de ses lèvres.
Amy aurait voulu le sentir en elle sans barrière, sans protection, mais elle était consciente des risques. Tout comme lui.
Il tendit le bras pour attraper la boîte de préservatifs qu’il avait apportée, et la lui donna.
Ensuite seulement, il plongea en elle. Mais, au lieu de s’empresser de les mener tous deux à l’orgasme, il lui fit l’amour
lentement, avec douceur, sans détacher un instant son regard du sien.
Il lui ramena une jambe contre sa hanche et s’enfonça plus profondément en elle. Amy ferma les yeux pour se concentrer
sur le point exact où elle et Mal étaient en contact. Avec ses va-et-vient réguliers, il la mena à plusieurs reprises au bord de
l’explosion. C’était une sensation étrange, comme si elle ne maîtrisait plus ses réactions.
Jamais elle n’avait ressenti une telle extase, une telle avidité, elle avait l’impression qu’un courant électrique parcourait
son corps. Et soudain, sans préavis, elle fut traversée par un long frisson. Surpris, Mal s’arrêta. D’un regard, elle lui enjoignit
de continuer, et d’un seul coup de reins il la fit basculer.
La suite se déroula dans un éblouissement de plaisir qui sembla ne jamais finir. C’était la première fois qu’elle
atteignait pareils sommets, et de façon aussi parfaite.
Ce voyage promettait d’être plein de nouveautés, et pourtant elle savait d’ores et déjà laquelle la marquerait à jamais.
D’autant plus que, dans six jours, c’était tout ce qui lui resterait de Mal.

* * *

— Leçon numéro un, dit Mal en levant son piolet. Stopper une chute.
Amy ouvrit de grands yeux.
— Au cas où tu aurais oublié, j’ai quelques problèmes de coordination. Si cette expédition comporte le moindre risque
de chute, tu peux être sûr qu’elle va être pour moi, et que ce sera spectaculaire.
— En fait, il s’agit plutôt de parer aux glissades, expliqua Mal. Nous allons marcher à une hauteur assez importante, et
si tu n’as pas les outils pour t’arrêter tu risques de dévaler la pente. Cela n’arrivera pas, parce que je vais t’encorder à moi,
mais il faut quand même que tu apprennes à t’arrêter. Tu dois donc, dans un premier temps, utiliser ton piolet. En second lieu,
tu as tes crampons, dit-il en désignant les rangées de crochets fixés sous ses chaussures. Si tu vas trop vite, ça ne t’aidera pas
mais, au début d’une glissade, si tu réagis rapidement, c’est très efficace.
— J’ai toujours trouvé ce nom bizarre, dit Amy. Pourquoi ne pas appeler ça, je ne sais pas, moi, des pointes ?
— Tu trouves ça plus masculin ? railla Mal.
Puis, sur un ton plus sérieux :
— Trêve de plaisanterie, Amy : je te rappelle que nous allons traverser un glacier. Tout ce que je te dis pourrait te
sauver la vie, un jour. L’aventure, ça ne s’improvise pas.
— Oui, chef, répondit Amy en esquissant un garde-à-vous avant de se concentrer sur ce qu’il lui disait.
Mal avait donné au moins une centaine de cours d’alpinisme, et il connaissait son exposé sur le bout des doigts. Mais,
avec Amy comme élève, il avait du mal à garder sa concentration. Il adorait la regarder répéter chaque exercice, admirer son
beau visage quand elle se concentrait, et son corps si sexy. Malgré les couches de vêtements qui l’enveloppaient, il distinguait
chacune des courbes dont il avait si bien profité dans la nuit.
Une fois qu’elle se fut habituée à marcher en crampons, harnachée dans son baudrier, il passa à la leçon suivante.
— Voici tes bâtons. Ils te permettront de conserver ton équilibre, mais aussi de tester la stabilité de la neige devant toi.
Il n’a pas encore beaucoup neigé cette année, mais on ne sait jamais quand on va tomber sur une crevasse.
— Il y a des crevasses dans ton glacier ? s’exclama-t-elle.
— Il y en a dans tous les glaciers. Celui-ci est assez fréquenté, et s’il y en a elles seront probablement signalées, mais il
y a toujours un risque.
— Génial, marmonna-t-elle. Si je ne tombe pas de la montagne, je vais tomber dans la montagne.
Mal ne put s’empêcher de rire. Il savait qu’il aurait dû garder une attitude professionnelle, mais Amy ne cessait de le
désarçonner. Il avait toujours enseigné à des élèves très sérieux, des apprentis grimpeurs espérant un jour gravir les sommets
les plus élevés du monde. Amy était novice, et elle le resterait sans doute jusqu’à la fin de sa vie. Pas question d’Everest pour
elle.
— Une dernière chose, dit-il.
— Chouette, encore une nouvelle façon de mourir ? Dis-moi vite.
— Les avalanches.
Il fouilla dans son sac pour en retirer un petit boîtier.
— Accroche ça à ton blouson. Et au premier signe d’avalanche allume-le, il signalera ton emplacement aux secours.
— Il va y avoir des avalanches ? Tu m’as dit qu’il n’y avait pas beaucoup de neige.
— Les risques sont faibles, mais ça peut toujours arriver. Et un simple écoulement de neige peut suffire à te piéger.
Il lui montra comment fonctionnait l’appareil, puis comment utiliser sa pelle pour dégager la neige. A la fin de
l’exercice, Amy était hors d’haleine et un peu tendue.
Il alla lui chercher une bouteille d’eau et s’assit près d’elle.
— Tu te débrouilles bien, dit-il.
Amy but une gorgée d’eau avant de répondre.
— Tu es un bon professeur.
Les genoux ramenés sous son menton, elle fixa les sommets au-dessus d’eux.
— Ils paraissent tellement loin. Lequel allons-nous escalader ?
Il tendit le doigt, et elle suivit des yeux la direction qu’il indiquait.
— Tu vois le plus élevé ? C’est le mont Aspiring. Le nôtre est juste à sa droite, il s’appelle le mont French. De là-haut,
la vue va être superbe. De l’autre côté, il y a un endroit qu’on appelle le Quarterdeck. C’est un plateau qui surplombe toute la
zone. Nous y laisserons notre matériel avant d’entreprendre notre ascension, et nous le récupérerons en descendant.
Pendant un long moment, Amy ne dit rien, et Mal se demanda quelles nouvelles inquiétudes elle ressassait.
— Les crevasses ou les avalanches ? finit-il par demander.
— Les deux.
— Je ne t’aurais pas amenée ici si j’avais pensé que c’était dangereux, dit-il. Je t’apprends juste ce que tout grimpeur
doit savoir. C’est comme si je t’expliquais comment éviter d’être attaquée par un requin. Tu vas nager dans des tas d’endroits
sans le moindre requin, mais le jour où il y en aura un tu sauras comment t’en sortir. Tu comprends ?
— Mais si nous sommes tous les deux emportés par une avalanche ? Ou que nous tombons ensemble dans une crevasse ?
Il la fit basculer dans la neige et s’étendit auprès d’elle.
— Cela n’arrivera pas, je te le promets. Je ne veux pas que tu passes tout ce voyage à te tracasser. Tu ne dois te
concentrer que sur les paysages magnifiques que nous allons traverser.
— D’accord, murmura-t-elle en écartant une mèche qui pendait sur le front de Mal. Je vais y arriver.
— Bien sûr que tu vas y arriver.
Pourtant, il voyait des larmes perler au bord de ses paupières. Avait-elle réellement peur ? Ou était-ce autre chose qui la
chagrinait ? Il l’avait avertie qu’il ne tolérait aucune plainte, mais il ne voulait pas non plus qu’elle se renferme sur ses peurs.
— Si tu as peur, nous pouvons en parler.
— Je n’ai pas peur, dit-elle sèchement.
Stupéfait, il la dévisagea. Il n’avait encore jamais entendu Amy s’adresser à lui sur ce ton. Jusque-là, elle avait toujours
fait preuve d’un caractère égal. Peut-être était-elle simplement fatiguée. Ils n’avaient pas beaucoup dormi, après tout.
— Si tu es fatiguée, nous pouvons faire une sieste.
— Non, rétorqua Amy, je n’ai pas besoin d’une sieste. Je ne suis pas fatiguée, et je n’ai pas peur.
A la façon dont elle le fusillait du regard et à son expression butée, Mal comprit qu’il avait intérêt à changer de sujet.
Tôt ou tard, il saurait de quoi il retournait. Amy n’était pas très douée pour cacher ses sentiments.
Malgré la colère et l’obstination qui assombrissaient ses traits, elle avait cette façon de le regarder qu’il adorait.
Comme si elle voyait en lui autre chose qu’un grimpeur. Dans son regard, il était plus qu’un homme qui prenait des risques et
trompait la mort jour après jour. Certes, elle respectait son métier et sa passion, mais elle semblait se concentrer davantage sur
des choses plus simples — une conversation tranquille, une nuit dans les bras l’un de l’autre, un petit déjeuner partagé. Ou
même l’amorce d’une dispute. Tous ces petits riens qui font qu’une relation fonctionne au jour le jour. Ils parlaient rarement
d’alpinisme, ou de son travail. Elle s’intéressait plus aux livres qu’il lisait ou à la musique qu’il écoutait.
Etait-ce ce qui, chez sa mère, avait séduit son aventurier de père ? Sa mère n’avait jamais mis le pied sur le moindre
sommet. L’aventure ne l’intéressait pas — tout ce qu’elle voulait, c’était une famille, et une maison.
Mal tenta de se remémorer ses parents en tant que couple. Il en conservait peu de souvenirs, mais il se rappelait les
avoir entendus rire. Ils riaient souvent ensemble, comme Amy et lui le faisaient, au sujet de bêtises qu’ils étaient les seuls à
comprendre. Et ils s’embrassaient sans se cacher.
Jusqu’alors, il n’avait guère pensé à la relation qui unissait ses parents. Mais il avait dû y avoir entre eux une certaine
forme de passion, quelque chose qui scellait leur amour malgré les longues périodes de séparation. A vrai dire, il n’avait
jamais osé poser la question à sa mère. Toute la famille avait tendance à éviter le sujet car, même vingt ans après, ils savaient
qu’elle n’avait pas fait le deuil de son mari.
Et c’était bien la raison pour laquelle sa relation avec Amy ne pourrait perdurer au-delà de ce voyage. Un seul faux pas
de sa part au sommet d’une montagne, et elle deviendrait, comme sa mère, une veuve éplorée élevant seule leurs enfants.
Instinctivement, il chercha le regard de la jeune femme et sourit. Non, leur histoire ne durerait pas longtemps, mais il était bien
décidé à en profiter.
Il se pencha vers Amy pour l’embrasser, et le goût familier de sa bouche agit comme une drogue sur ses sens. Plus les
jours passaient, plus il avait besoin de l’embrasser, de la toucher, de la voir ou de l’entendre. Et de plus en plus souvent.
Soudain, il sentit les doigts d’Amy s’affairer sur la fermeture de son blouson et, quand elle l’eut enfin ouverte, elle en
écarta les pans et plaqua son corps chaud contre le sien. Ils commencèrent à se caresser dans la neige, à chercher le contact
familier de la peau de l’autre pour satisfaire le désir qui les consumait.
Le ciel était sans nuages et il n’y avait pas de vent, mais le soleil hivernal était bas. Pourtant, peu lui importait — leur
passion était une barrière suffisante contre le froid.
Avec des gestes fiévreux, il écarta le blouson d’Amy puis fouilla sous ses couches de vêtements pour trouver la chair
ferme de ses seins. Les exposant brièvement au froid, il en titilla les pointes de la langue jusqu’à ce qu’ils durcissent.
Puis il souffla doucement dessus. Aussitôt son souffle forma un petit nuage devant son visage. Amy étouffa un
gémissement et plongea ses doigts dans ses cheveux.
Mal l’imagina nue, comme la nuit précédente — le corps tendu de désir, prêt à s’offrir à ses caresses. Il avait envie
d’elle, maintenant, mais dans la neige, avec ce froid, c’était impossible. Alors, il se contenta de glisser la main à l’intérieur du
pantalon d’Amy.
Elle poussa un petit cri quand il trouva son point favori. Il savait comment lui donner du plaisir et comment jouer avec
ses limites, l’amener au bord de la jouissance puis s’interrompre pour recommencer de plus belle. Cette fois, pourtant, ce
serait rapide, car il ne voulait pas l’exposer trop longtemps au froid. Il lui consacrerait plus de temps ce soir, dans la chaleur
relative de leur tente.
Amy ferma les yeux tandis qu’il faisait monter son plaisir et, quand la première vague la frappa, elle se cambra et
s’agrippa à son bras. Il l’embrassa longuement, étouffant dans son baiser les gémissements d’extase d’Amy. Quand, enfin, son
corps se détendit, Mal s’écarta.
— Ça va mieux ? la taquina-t-il.
— Oui, admit Amy, les joues rouges et le souffle court.
— Je devrais peut-être te maintenir dans un état de tension érotique permanent, juste pour que tu oublies tes craintes.
— Ce serait une bonne idée.
— Tu veux me dire ce qui te chagrinait, tout à l’heure ?
Elle secoua la tête.
— Pas maintenant.
Mal l’embrassa dans le cou.
— Tu sais, si nous étions dans l’Himalaya, on ne pourrait pas faire tout ça. Les sherpas croient qu’il est irrespectueux
envers les dieux de s’adonner à des relations charnelles sur les flancs sacrés des montagnes. Ils disent que ça porte malheur.
— Ici aussi ?
— Non, pas ici, la rassura Mal. Nous autres Néo-Zélandais, sommes beaucoup plus tolérants. Nous pourrons donc nous
livrer aux ébats les plus scandaleux chaque fois que nous trouverons un coin agréable sur le trajet.
— Je suppose qu’on n’ira jamais dans l’Himalaya, alors.
— Sans doute pas, murmura Mal.
Amy n’avait jamais refait allusion à son père, et à cet article qu’elle voulait écrire sur lui. Avait-elle enfin renoncé, ou
attendait-elle simplement un meilleur moment pour repartir à l’assaut ?
Il savait combien cet article comptait pour elle. Et, si cela n’avait regardé que lui, il aurait assez vite capitulé. Mais
convaincre ses deux frères, sa sœur et sa mère s’avérerait sans doute plus périlleux que de gravir l’Everest. Surtout, il ne
voulait pas leur faire endurer pareille épreuve.
Oui, Amy allait devoir se contenter de cette histoire — celle d’une femme qui avait surmonté ses peurs les plus
profondes en bravant un modeste sommet de la Nouvelle-Zélande.

* * *

Amy considéra le petit carnet qu’elle avait emporté pour y noter ses impressions. Pendant toute leur journée
d’entraînement, elle avait pris des photos et noté quelques idées, toujours à la recherche d’un bon angle pour son article. Mais,
malgré tous ses efforts, « La première ascension d’une alpiniste en herbe » était loin de présenter le même intérêt que l’histoire
qu’elle était venue chercher en Nouvelle-Zélande.
Il fallait se rendre à l’évidence : ce voyage avait beau l’enchanter, même un excellent éditeur — ce qu’elle était — ne
pourrait pas en faire le joyau qu’elle rêvait d’écrire. Peut-être n’avait-elle pas le recul nécessaire pour le raconter
correctement — après tout, elle était à la fois l’auteur et le sujet de son article.
A moins que son père n’ait eu raison : peut-être n’était-elle pas assez combative pour faire du journalisme d’aventure.
Ne lui arrivait-il pas même de se dire qu’à choisir elle préférait mille fois le sexe avec Mal au succès professionnel ? Mais
elle savait aussi que dans quelques jours elle serait revenue à la réalité, et alors, ses objectifs professionnels seraient tout ce
qui lui resterait.
Et, ces objectifs, elle était bien loin de les avoir atteints. Voilà pourquoi elle devait absolument reparler à Mal de cet
article au sujet de son père. Mais ne prendrait-elle pas le risque alors de briser la confiance encore fragile qu’ils avaient bâtie
entre eux ? Pour le moment, mieux valait se concentrer sur l’histoire qu’elle avait entre les mains au lieu de s’obséder sur celle
qui lui échappait.
— Que fais-tu ? demanda Mal.
Recroquevillé à l’autre bout de la tente, il était en train de lire un livre à la lueur de sa lampe de poche. Ils avaient dîné
tôt, car ils devaient se lever à l’aube pour escalader le mont French. Tacitement, ils avaient décidé qu’ils se passeraient pour
une fois d’ébats qui risquaient de les tenir éveillés une partie de la nuit.
— Je prends juste quelques notes pour mon article.
— Quel genre de notes ?
— Juste mes pensées du jour. Ce que j’ai appris, ce que j’ai vu. J’essaie d’inscrire mes impressions tant qu’elles sont
encore fraîches.
— Je me demande si c’est pour cela que mon père tenait un journal, lui aussi. Il le gardait toujours dans son blouson. Je
suis sûr qu’il l’avait avec lui le jour où il est mort sur l’Everest.
Amy retint son souffle, comme chaque fois qu’il commençait à parler de son père.
— Tu ne te demandes jamais ce qu’il a écrit ? lui demanda-t-elle. Peut-être a-t-il laissé un message pour toi et ta
famille.
— Je pense qu’il y a plutôt noté les détails de son ultime ascension. Je suis sûr que c’est pour cela que Roger Innis a
tellement hâte de récupérer le corps de mon père. Il veut s’emparer de ce carnet avant que quelqu’un d’autre mette la main
dessus.
— Mais ce carnet t’appartient, non ? Il s’agit de ton père !
— Je pense que Roger affirmerait qu’il faisait partie des actifs de l’entreprise. Il a peur que ce journal contienne des
éléments susceptibles de lui faire une mauvaise publicité.
— Quel genre d’éléments ?
— Par exemple, la raison véritable de la présence de mon père sur ce sommet à une heure si tardive. Il a toujours couru
une rumeur selon laquelle Roger aurait laissé un client bloqué là-haut, et que mon père serait retourné le chercher. Le client a
réussi à descendre, et il n’a jamais parlé de l’incident à quiconque. Mon père n’est pas redescendu, et lui ne pourra plus
jamais parler — sauf s’il a noté quelque chose à ce sujet dans son journal.
— Voilà qui pourrait constituer une bonne raison d’aller chercher ce journal, commenta Amy.
Mal secoua la tête.
— Je crois que je ne suis pas assez fort pour entreprendre pareille démarche. Il faut déjà à n’importe qui une énergie
considérable pour gravir l’Everest, mais moi, avec le choc émotionnel que m’occasionnerait le fait de revoir mon père… je ne
suis pas sûr que j’y arriverais.
La douleur qu’Amy lut dans le regard de Mal lui serra le cœur. Ils n’avaient encore jamais évoqué les raisons intimes
qui empêchaient Mal d’entreprendre cette ascension car il s’en était toujours tenu aux objections soulevées par sa famille.
Mais il était clair qu’émotionnellement il n’était pas prêt à affronter la vision du corps sans vie de son père.
Au quotidien, Mal devait encore faire face aux répercussions de cette tragédie dont il n’avait pas fait son deuil. En
l’impliquant dans cet article, elle le forcerait à s’y immerger pendant au moins un an. En était-elle vraiment capable ?
— Je comprends, dit-elle enfin.
Et, pour la première fois, elle prit conscience qu’il lui serait impossible de le convaincre. Et, sans son soutien, elle
n’obtiendrait le consentement de personne d’autre dans la famille. C’était comme voir tous ses rêves s’écrouler. Il n’y aurait
pas d’article et pas d’expédition, du moins en ce qui concernait les frères Quinn.
Pourtant, elle refusait que Roger Innis s’en sorte aussi facilement. Mal ne semblait pas totalement opposé à l’écriture
d’une biographie de son père. Peut-être Aventures Extrêmes accepterait-il de financer une expédition de quelques grimpeurs
pour récupérer le journal, expédition qu’elle intégrerait dans cette biographie.
Amy retourna à son propre journal. Un silence pesant s’était abattu sur la tente. Elle sentait qu’il avait envie de
poursuivre la conversation, mais qu’il se demandait par où commencer. Elle lui facilita la tâche en rompant le silence :
— J’ai vu des photos de ton père, tu lui ressembles beaucoup.
— Vraiment ? Ma mère me le répétait sans cesse quand j’étais enfant. Il me semble pourtant que les jumeaux lui
ressemblent beaucoup plus que moi.
— Tous tes souvenirs paraissent tellement heureux. Même si ça a tourné à la tragédie.
— Ma mère ne nous annonçait jamais son retour avant la veille de son arrivée à la maison. Nous étions tellement excités
que nous courions dans tous les sens en nous disputant pour savoir qui allait lui parler le premier. Aujourd’hui que je suis
adulte, je comprends pourquoi elle attendait le dernier moment mais, quand j’étais enfant, je croyais qu’elle essayait de nous
cacher quelque chose et ça me rendait fou.
— Tu lui as déjà dit ?
Mal secoua la tête.
— Nous ne parlons jamais de mon père avec elle. Disons qu’il nous arrive de l’évoquer en passant, mais nous ne
parlons pas vraiment de lui. Après sa mort, ma mère n’arrivait même pas à prononcer son nom sans pleurer, alors nous avons
cessé d’aborder le sujet pour ne pas la blesser. Avec mes frères et ma sœur, nous parlons de lui de temps à autre, mais il est
étrange de voir comment les souvenirs évoluent avec le temps : il nous arrive d’évoquer certains événements dont nous
ignorons s’ils constituent réellement des souvenirs, ou si nous les avons fabriqués de toutes pièces.
— Comme quoi ?
— Comme… le poney. Seigneur, je n’avais plus pensé à ce poney depuis… Bref, ce poney a débarqué chez nous le jour
de l’anniversaire des jumeaux. Ils devaient avoir cinq ou six ans. Quoi qu’il en soit, nous l’avons gardé un certain temps, peut-
être quelques semaines. Et tout à coup il a disparu. Et je me souviens que mes parents se disputaient à son propos. D’après
Rogan, mon père leur avait envoyé d’Amérique du Sud, mais comment l’aurait-il fait transporter sur une telle distance ? Quant
à Ryan, il affirme qu’on l’avait juste gardé quelque temps pour rendre service à un voisin qui l’a récupéré après.
Il soupira avant de reprendre :
— J’aimerais poser la question à ma mère, mais j’ai peur que remuer le passé ne lui fasse de la peine.
— Et que pense-t-elle de la découverte du corps de ton père ?
— Je l’ignore, dit Mal avec un petit rire. En apprenant la nouvelle, j’ai essayé de lui en parler, mais je n’y suis pas
arrivé.
Amy était stupéfaite. Il s’agissait pourtant d’une incroyable nouvelle, et il n’en avait pas discuté avec sa mère ?
— C’est pourtant maintenant qu’il faudrait lui en parler, non ?
Mal haussa les épaules.
— Maxwell Quinn est une légende dans notre famille. Si nous commençons à discuter de ce qu’il était vraiment, j’ai
peur de découvrir qu’en réalité il n’était qu’un homme ordinaire.
Posant son livre, il traversa la tente pour s’allonger près d’elle, la tête posée sur ses genoux. Amy referma son journal et
caressa les cheveux de Malcolm.
— Qu’y a-t-il de mal à être ordinaire ?
— Rien, tu as raison, répondit Mal. Je devrais peut-être essayer de vivre une vie ordinaire.
Il soupira et roula sur le dos pour la regarder en face.
— J’aime bien parler comme ça, avec toi.
— Moi aussi.
— On pourrait aussi parler de ta famille.
— Bien sûr. Sauf que notre histoire n’est pas tragique, elle est juste vulgaire. Liaisons adultères, maîtresses, divorce,
disputes autour des droits de garde, voilà à quoi ça se résume. Ça ressemble à un feuilleton télé ringard avec une pincée
d’alpinisme et de randonnées.
— En tout cas, si tu veux m’en parler, n’hésite pas.
Amy se pencha pour embrasser sa joue assombrie par une barbe de trois jours.
— Merci, je le ferai.
Elle rouvrit son journal et commença à parcourir ses notes tandis que Mal jouait avec les doigts de sa main gauche.
Soudain, elle eut une idée. Peut-être cet article ne devait-il pas être centré sur le corps retrouvé sur l’Everest, mais sur
le fantôme de Maxwell Quinn qui, vingt ans après, continuait de hanter sa famille.
Mal l’autoriserait-il à raconter pareille histoire ? Il faudrait qu’elle interroge également ses frères et sa sœur. Ainsi que
sa mère. De toute façon, elle était persuadée que le silence soigneusement entretenu dans cette famille était malsain pour eux
tous.
Amy sentit l’excitation la gagner. Elle allait devoir effectuer davantage de recherches avant de soumettre cette idée à
Mal. Le problème, c’était qu’elle risquait de manquer de temps. Deux semaines, c’était peut-être assez pour une liaison
torride, mais c’était loin d’être suffisant pour fouiller dans le psychisme d’une famille de cinq personnes.
Son instinct lui disait que cela ferait une histoire formidable, mais comment Mal allait-il régir ? Peut-être ne lui
adresserait-il plus jamais la parole. Etait-elle prête à sacrifier ce qu’ils partageaient pour un article ?
Ils discutèrent encore quelques minutes de la journée qui les attendait, puis ils s’allongèrent dans leur sac de couchage et
se déshabillèrent lentement l’un l’autre jusqu’à ce qu’ils soient nus.
Bien que Mal ait insisté pour qu’ils s’endorment tôt, ils faillirent tous deux à leurs résolutions et firent l’amour
lentement, avec une tendresse pleine d’émotion.
Amy savait qu’à chaque jour qui passait il lui deviendrait plus douloureux de quitter Malcolm. Pourtant, elle ne voyait
pas d’autre issue possible à leur relation. Outre leur désaccord sur l’article qu’elle voulait publier, il n’avait que faire d’une
relation durable avec elle. Mal était outrageusement séduisant, et elle savait qu’elle n’aurait aucun mal à tomber amoureuse de
lui. En revanche, il serait sans doute impossible de le convaincre qu’il pouvait tomber amoureux d’elle.
La vie en montagne était simple. La vie tout court ne l’était pas.
Chapitre 6

Mal ne dormait jamais très bien la veille d’une ascension, mais, avec Amy pelotonnée entre ses bras, il avait dû faire
une nuit d’au moins sept heures.
Son horloge interne le réveilla brusquement. Il consulta sa montre : 6 h 35. Le soleil allait bientôt se lever, et ils
devraient partir dès qu’il ferait assez jour.
Il alluma sa lampe torche, se serra contre Amy et posa un baiser sur son épaule.
— Amy ? chuchota-t-il. Amy, réveille-toi.
— Je suis réveillée, répondit-elle.
— Je vais préparer le petit déjeuner. Ensuite, nous lèverons le camp et partirons.
— Je ne suis pas sûre de vouloir manger.
— Il le faut. Si tu ne manges pas, quand nous arriverons sur une paroi au cours de la montée, tu n’auras pas la force de
la franchir.
— Je ne peux pas manger, dit-elle. Je vais être malade.
Elle poussa un grognement et tenta de s’asseoir. Soudain, elle s’extirpa à toute allure du sac de couchage, ouvrit la tente
et se précipita dehors, dans le froid. Mal attrapa une bouteille d’eau qu’il lui tendit quand elle rentra.
Ses dents claquaient, et elle tremblait de tout son corps.
— Viens, remets-toi au chaud sous la couette.
— Je ne suis pas sûre que ce soit fini, dit Amy en obéissant malgré tout.
Mal fouilla dans la poche latérale de son sac et en sortit un sac plastique.
— Tiens, sers-toi de ça. Et prends une gorgée d’eau. On se déshydrate vite.
— Je déteste être malade, se plaignit Amy en rabattant le sac de couchage sur sa tête. Laisse-moi juste dormir encore un
peu, et ça ira.
— Non, nous allons rester ici jusqu’à ce que tu te sentes mieux. Ensuite, nous partirons. Nous avons suffisamment de
vivres, et le temps se maintient.
— Je vais me reposer un peu, et nous partirons après, insista-t-elle.
— Amy, si nous ne partons pas maintenant, nous n’arriverons pas à faire l’ascension et la descente avant la nuit. Tu n’es
pas en état de faire quoi que ce soit aujourd’hui. Nous verrons demain, si tu te sens mieux.
— D’accord, murmura-t-elle. Ça ira mieux demain.
Elle dormit tout le reste de la matinée, et Mal la laissa tranquille, se contentant de lui demander de temps à autre si elle
avait soif ou faim. Amy refusa toute nourriture et ne put avaler que quelques gorgées d’eau. Tandis que les heures passaient,
Mal sentait l’inquiétude l’envahir. Avait-elle quelque chose de plus grave qu’une simple intoxication ?
L’altitude n’était pas suffisante pour qu’elle souffre du mal des hauteurs ou d’un œdème. Elle n’en présentait d’ailleurs
pas les symptômes : pas de maux de tête, sa vision n’était pas perturbée, et elle articulait convenablement. Cela dit, il n’était
pas surprenant qu’elle soit malade : ils dormaient tous les deux très peu et, cinq jours plus tôt, elle avait traversé la moitié de
la planète en avion. Sans compter qu’hier, il ne l’avait pas épargnée en essayant de lui faire ingurgiter en huit heures
l’équivalent de cinq journées de cours d’alpinisme.
Avait-il été trop dur avec elle ? Il avait du mal à la considérer comme une simple cliente, avec objectivité. Il voulait que
ce voyage l’impressionne, et pour des raisons purement égoïstes : lui faire écrire un article susceptible de paraître dans
Aventures Extrêmes. Il voulait donner à l’entreprise l’image d’une agence dynamique, voire agressive. Il en avait assez qu’on
les considère comme des guides paternalistes qui traînaient leurs clients à flanc de montagne avec leurs machines à espresso et
leur ordinateur portable.
Mais voilà que par sa faute Amy était malade. Dans un lieu aussi isolé, ce n’était pas anodin. Si son état empirait, il
serait obligé de descendre au refuge de French Ridge, qui disposait d’une radio, afin d’appeler les secours. A moins qu’il ne
la force à redescendre maintenant, tant qu’elle était encore valide.
Vers midi, il retourna dans la tente. Amy était éveillée et lisait le roman qu’il avait amené.
— Je me disais qu’on devrait peut-être lever le camp et redescendre. Si ton état empire, nous serons plus près des
secours.
— Je me sens bien mieux, affirma Amy. Demain, je serai complètement rétablie. Nous pourrons faire l’ascension
jusqu’au sommet.
— Tu es sûre ?
— Oui. J’ai juste dû attraper un de ces virus dont on guérit en vingt-quatre heures.
— Tu as besoin de quelque chose ?
— J’aimerais bien avoir de vraies toilettes, murmura-t-elle avec un sourire.
— Rien d’autre ?
— Tu peux me masser les pieds ? Ma mère me le faisait toujours quand j’étais malade.
— Ce devrait être en mon pouvoir, répondit Mal.
Il ouvrit le sac de couchage, et Amy sortit son pied gauche. Mal ôta ses gants puis entreprit de lui masser doucement sa
cheville. Après quelques instants, il porta le pied d’Amy à ses lèvres et en embrassa la plante.
— Tu me parles rarement de tes parents, dit-il. Surtout de ton père.
— Je le vois assez peu, avoua-t-elle. Je n’ai jamais passé beaucoup de temps avec lui.
— Un peu comme moi avec mon père, murmura-t-il.
— Non, pas du tout. Tu aimais ton père, et je déteste le mien.
L’amertume contenue dans sa voix le surprit. Amy n’avait jamais manifesté la moindre hostilité envers quiconque, et il
pensait que ce n’était pas dans son caractère. Peut-être devait-il mettre cette soudaine agressivité sur le compte de la maladie ?
— Pourquoi le détesterais-tu ? demanda-t-il.
— Pour mon seizième anniversaire, je l’ai persuadé de m’emmener faire de l’escalade. J’étais aux anges à l’idée de
partir en expédition avec lui. Il m’a envoyé tout l’équipement nécessaire, et nous avons pris son jet privé jusqu’en Californie.
Je pensais que, si j’arrivais à lui prouver que j’étais aussi courageuse que mon frère, il me laisserait l’accompagner plus
souvent.
Mal devinait la suite de l’histoire, et il sentait la colère monter en lui. Richard Engalls avait la réputation de se conduire
en tyran avec ses guides et ses assistants. Sans doute en avait-il fait autant avec sa fille.
— Le lendemain, au moment de partir, j’étais tellement nerveuse que j’ai vomi deux fois. Pourtant, j’étais bien décidée à
lui montrer que j’étais capable de faire tout ce qu’il me demanderait. Au début, tout s’est bien passé, je grimpais sans trop de
difficultés. Mais, à un moment donné, j’ai regardé en bas et j’ai paniqué. Vraiment paniqué, je veux dire : j’étais tellement
terrifiée que je criais et pleurais. Il aurait pu me faire redescendre, mais il n’a rien voulu entendre. Il m’a forcée à grimper
jusqu’au sommet de la paroi. J’ai mis trois heures alors que n’importe qui l’aurait franchie en dix minutes. Après cela, j’ai
refusé de lui adresser la parole. Il m’a renvoyée chez ma mère dans son jet. Depuis, quoi que je fasse, il est persuadé que je
vais échouer.
— C’est pour ça que tu étais tellement tendue hier. Parce que je te poussais, comme l’a fait ton père. Et c’est pour cela
que tu es malade aujourd’hui.
— Non, dit-elle en secouant la tête.
Puis, pendant un long moment, elle sembla réfléchir à ses paroles et finit par hausser les épaules.
— Peut-être, concéda-t-elle. Je croyais vraiment m’être réconciliée avec cet épisode de mon passé, mais c’est sans
doute de là que proviennent toutes mes appréhensions. Ce n’est pas des crevasses et des avalanches que j’ai peur, mais de
l’échec.
— Si tu détestes ton père à ce point, comment arrives-tu à travailler pour lui ? s’étonna Mal. Pourquoi ne pas chercher
un poste dans une autre revue ?
— Il me répétait sans cesse que j’étais bien la fille de ma mère. David était son portrait craché mais, moi, je tenais de
ma mère. Quand nous étions ensemble, il me disait des choses affreuses à son sujet, et j’étais obligée de l’écouter. Mon père
ne se laisse aucun droit à l’erreur, et il considérait ma mère comme son unique erreur.
— C’est pourtant lui qui la trompait, non ?
— Oui, mais il affirmait que c’était la faute de ma mère. Si elle avait été à la hauteur, il ne serait pas allé chercher
ailleurs… c’est le genre de discours odieux qu’il tenait, en tout cas. Elle était tellement malheureuse que c’est elle qui a insisté
pour divorcer.
— Je ne comprends toujours pas pourquoi tu continues à travailler pour lui, répéta Mal. Avec ton intelligence et ton
talent…
— Je suppose que je veux lui prouver qu’il ne peut pas me juger comme si j’étais ma mère.
Mal tendit le bras pour lui prendre la main et poser un baiser sur le bout de ses doigts.
— Amy, cet article que tu veux faire… c’est juste un moyen d’attirer l’attention de ton père ?
S’appuyant sur ses coudes pour se redresser, elle le considéra un instant, une expression pensive sur son visage pâle.
— Non, dit-elle enfin. Pas du tout. C’est vraiment une histoire que j’ai envie d’écrire. Une bonne histoire.
— Mais elle pourrait te faire prendre du grade.
— Oui, peut-être. Mais ce n’est pas pour ça que je veux faire cet article.
Enfouissant son visage entre ses mains, elle poussa un gémissement étouffé.
— Tu crois que je fais tout ça pour plaire à mon père ? demanda-t-elle en soupirant avant de se laisser tomber en
arrière. Tu as peut-être raison.
Mal vint s’allonger à côté d’elle, cherchant son regard.
— Je me suis convaincue que je faisais tout cela pour impressionner mon patron, que ce voyage n’était motivé que par
mes ambitions professionnelles. En réalité, je ne fais sans doute que rechercher l’approbation de mon père. Je veux lui prouver
que je peux y arriver, pour qu’il soit fier de moi.
— Et, moi, je t’ai traînée jusque-là, murmura Mal. Tout comme il t’a forcée à escalader cette paroi.
Amy lui prit la main et entrelaça ses doigts aux siens.
— Non, je voulais venir.
— Pourquoi ?
— Pour me prouver à moi que j’étais capable de faire cette expédition. Et peut-être aussi pour me donner une chance
supplémentaire de te convaincre, pour l’article, admit-elle.
— Mais pas pour que nous passions de bons moments ensemble ? la taquina Mal.
— Bien sûr que si. Je veux dire, ça en faisait partie. Et j’espérais pouvoir tirer de cette expérience un quelconque récit,
histoire que mon voyage en Nouvelle-Zélande ne soit pas un échec complet.
— Et en ce qui nous concerne, tous les deux, c’est un échec ou une réussite ? Parce que je dois t’avouer que pour moi,
cette expédition n’avait rien à voir avec un stupide article.
— Je… Je ne sais pas, balbutia Amy en se prenant la tête dans les mains. Tes questions me donnent la migraine. Je crois
que ma fièvre est revenue.
Mal se pencha pour l’embrasser sur le front. Sa peau était douce et fraîche.
— Je pense que tu es sur la bonne pente, dit-il. Tu veux essayer de manger quelque chose ?
— Un peu de soupe, peut-être. Celle aux pâtes et au poulet.
— Je vais t’en préparer.
De nouveau, il se pencha, cette fois pour l’embrasser sur les lèvres, mais elle se couvrit la bouche d’une main.
— Ne fais pas ça, tu risques d’attraper mon virus.
Avec douceur, Mal écarta ses doigts et l’embrassa.
— C’est un peu tard pour y penser, dit-il. Voilà des jours que nous nous embrassons à longueur de journée. Si je dois
être malade, ça arrivera que je t’embrasse ou pas.
— Je ne veux pas te gâcher le voyage.
— Aucun risque, Amy. Peu importe ce que nous faisons, j’aime passer du temps avec toi. Même quand tu vomis.
— Je déteste être malade, dit-elle en réprimant un frisson.
— Je pourrais peut-être aller te chercher du soda au gingembre, c’est ce que ma mère nous donnait quand nous étions
malades.
— Tu ne veux pas plutôt aller nous chercher une pizza ? demanda Amy.
— Tu as envie d’une pizza ?
— Non, je me demandais seulement jusqu’où tu irais pour me faire plaisir.
Mal lui embrassa l’intérieur du poignet.
— Trésor, je ferais n’importe quoi pour te voir sourire.
A peine les mots eurent-ils franchi ses lèvres que Mal se raidit. Bon sang, il les avait prononcés en toute sincérité : oui,
il ferait n’importe quoi pour la rendre heureuse. Depuis qu’il avait rencontré Amy, il ne vivait que pour la voir sourire et
l’entendre rire, que pour partager avec elle ces petits moments de bonheur. Ils étaient devenus pour lui d’une importance
vitale.
Comment allait-il faire, dans quelques jours, quand tout serait fini, quand elle l’aurait quitté pour rentrer chez elle ? Sa
vie allait-elle lui paraître vide, tout à coup, ou trouverait-il un autre sujet fascinant pour occuper ses pensées ?
Malcolm sentit sa poitrine se serrer. L’avenir était inévitable, mais il voulait rester encore un peu dans le présent.

* * *

La nuit précédant l’ascension, Amy rêva de son père, et de ce jour où il l’avait forcée à escalader cette paroi. Dans son
rêve, elle avait beau se démener, elle n’arrivait jamais au sommet. La falaise grandissait au-dessous d’elle jusqu’à ce qu’elle
ne distingue plus le sol.
C’était la première fois qu’elle faisait cet affreux cauchemar. Quand elle s’éveilla, Amy se demanda si c’était un
mauvais présage pour la journée qui l’attendait. Elle avait passé une nuit agitée. Pourtant, quand le soleil se leva, Amy avait
pris sa décision : si elle pouvait marcher, elle allait gravir cette montagne.
Elle n’avait pas peur, et elle n’avait rien à prouver à quiconque — sauf à elle-même. Surtout, elle était entre de bonnes
mains : elle faisait confiance à Mal plus qu’à toute autre personne.
Ils grimpèrent toute la matinée. Quand ils atteignirent enfin le sommet, Amy se plongea dans la contemplation du paysage
fabuleux qui s’étendait autour d’eux. Soudain, elle comprit pourquoi Mal faisait ce métier. Il y avait une telle satisfaction à
mettre toutes ses peurs de côté pour conquérir un bout de planète.
Devant elle s’élevait le mont Aspiring, celui qui donnait son nom au parc national dans lequel ils se trouvaient. Et, en
faisant un quart de tour, elle voyait le mont Avalanche. Les sommets anguleux et couverts de neige semblaient crever le ciel
d’un bleu intense : la vue était à couper le souffle.
— C’est magnifique.
— On ne s’en lasse pas, confirma Mal.
L’ascension avait été longue et, parfois, difficile pour Amy. Mais Mal s’était montré patient et l’avait encouragée.
En voyant ses traits tirés au réveil, il avait voulu annuler leur équipée. Elle avait dû avaler un énorme petit déjeuner et
engloutir toute une bouteille d’eau, pour le convaincre… contre la promesse qu’elle le préviendrait si elle ressentait le
moindre malaise pour qu’ils redescendent immédiatement.
Ils avaient traversé le glacier d’un bon pas et abandonné leurs sacs dans un endroit appelé le Quarterdeck. A partir de ce
point, l’ascension était devenue plus aisée. Amy avait la sensation d’avoir recouvré toutes ses forces et son équilibre. Grâce à
l’adrénaline qui lui courait dans les veines, elle avait grimpé le long de la crête avec une agilité dont elle ne se serait pas crue
capable.
Mal avait ouvert la marche, et elle le suivait dix mètres derrière, encordée à son harnais. Mais par moments elle l’avait
presque rattrapé. Alors, il l’avait rabrouée — il ne fallait pas qu’elle gaspille son énergie. Enfin, ils avaient atteint le sommet.
— On devrait prendre quelques photos, suggéra Mal. Juste pour prouver que tu es montée jusque-là. Donne-moi ton
appareil.
Amy s’exécuta. Il prit quelques clichés sous différents angles, puis il la rejoignit sur une dalle rocheuse pour en prendre
quelques-uns d’eux ensemble, avec le mont Aspiring en toile de fond.
— A toi, maintenant, déclara Amy. J’en veux où il n’y aura que toi.
— Pas pour l’article, dit-il. Ce n’est pas moi la vedette, après tout.
— Non, elles sont pour moi. Je veux un souvenir de toi quand je serai rentrée.
Il grimpa sur le rocher.
— Dans ce cas, faisons les choses bien.
Il ôta rapidement son blouson et sa veste polaire, puis retira son T-shirt.
— Ça te va, comme ça ? demanda-t-il.
— C’est parfait !
Elle prit quelques photos de face et de dos, puis elle rangea son appareil.
— Tu ne veux pas que j’enlève mon pantalon ?
— Non ! Remets tes vêtements.
— Ce serait une belle photo, pourtant. Pour ton album personnel, je veux dire.
— Je suis sûre que mon imagination suffira, rétorqua Amy. Allez, descends, tu vas geler sur place.
Il se rhabilla rapidement. Puis, il la prit dans ses bras.
— Il est temps de redescendre. Plus vite nous arriverons au refuge, plus vite je pourrai t’arracher tes vêtements.
— On ne peut pas rester encore un peu ? demanda Amy.
— Non, désolé. Tu te souviens que nous avons parlé du point limite de retour ? Rappelle-moi ce que je t’ai dit.
Amy avait bien retenu la leçon : le point limite de retour était le moment de la journée où il fallait commencer à
redescendre d’un sommet. Il était soigneusement calculé pour donner au grimpeur les chances de descendre dans les meilleures
conditions, sans risque de se faire surprendre par la nuit.
— Il ne faut jamais laisser passer le point limite de retour, répondit-elle. Absolument jamais.
Elle songea que cela faisait une bonne métaphore de leur relation. Combien de jours en compagnie de Malcolm lui
faudrait-il avant qu’il devienne impossible de le quitter sans que son cœur se brise ? Avait-elle déjà atteint ce point de non-
retour, où lui restait-il encore une chance d’en réchapper ?
Elle le regarda à la dérobée, et son cœur cessa de battre. Elle se sentait malade à l’idée de ne plus jamais voir ses
magnifiques yeux bleus, de ne plus pouvoir embrasser ses lèvres si sensuelles, de ne plus toucher son corps parfait.
Oui, elle avait dépassé son point limite. De fait, elle avait carrément dévalé le sommet, et elle était affalée au pied de la
montagne, hébétée et confuse. Mais cette équipée lui avait au moins prouvé une chose : elle était bien plus forte qu’elle ne
l’aurait cru. Elle survivrait à cette séparation avec le même courage que celui dont elle avait fait preuve aujourd’hui.
Elle se jeta au cou de Mal pour l’embrasser, et leurs casques s’entrechoquèrent.
— Merci de m’avoir amenée ici. C’est la plus belle journée de ma vie.
A vrai dire, chaque jour passé auprès de lui semblait plus beau que le précédent. A quoi ressemblerait la vie à ses côtés,
avec des milliers de journées et de semaines à passer ensemble ? Etait-ce envisageable ? Et si, au lieu de faire demi-tour pour
rentrer, elle restait avec lui ?
L’aventure ne serait pas toujours au rendez-vous. Ils auraient des journées de calme, des dîners sur la terrasse, des petits
déjeuners au lit. Et il y aurait des jours, des semaines, qu’elle passerait seule à attendre qu’il rentre d’une nouvelle expédition.
Ce seraient certainement des moments difficiles mais, avec la certitude qu’il lui reviendrait, ce serait moins difficile, tout
compte fait, que de passer sa vie à se demander s’il n’avait pas trouvé l’amour auprès d’une autre femme.
Une main plaquée contre sa poitrine, Amy prit une brève inspiration pour refouler le chagrin qui menaçait de l’assaillir.
Pourquoi ne pouvait-elle pas se contenter de se réjouir d’avoir passé de si bons moments avec Mal ? Il était idiot d’imaginer
qu’ils pouvaient devenir autre chose que des amants de passage. A trop convoiter quelque chose que Mal n’était pas prêt à lui
donner, elle se préparait un beau chagrin d’amour.
Mal s’approcha d’elle, une barre énergétique et une bouteille d’eau à la main.
— Tiens, dit-il. Il va te falloir des réserves pour la descente.
Amy retira son casque et s’assit dans la neige. Mal se laissa tomber à côté d’elle. Elle ouvrit l’emballage de la barre
d’un coup de dents et fourra les morceaux de papier dans sa poche. Elle savourait le goût sucré de la barre énergétique quand
Malcolm tendit le bras pour redresser son bonnet et en abaisser les rabats sur ses oreilles.
Elle réprima un sourire : c’était le genre de petites attentions qui la touchaient de la part de Mal. Il faisait toujours
passer son confort avant tout. Il faisait attention à elle. Avec lui, elle se sentait en sécurité, certaine qu’il avait toujours un
temps d’avance sur les dangers susceptibles de les guetter au prochain tournant.
— Ce bonnet te va bien, dit-il.
Il lui avait choisi un bonnet en alpaga tricoté aux jolis motifs, avec des rabats qui lui couvraient les oreilles. Amy leva
la tête et lui décocha un grand sourire.
— Il me plaît beaucoup. Je me trouve particulièrement ravissante avec ça sur la tête, pas toi ? C’est beaucoup plus joli
que ce casque.
Malcolm tendit de nouveau le bras, cette fois pour lui enfoncer son bonnet sur les yeux.
— Tu es toujours ravissante. Surtout quand tu n’as pas trois couches de vêtements sur toi.
Amy but une grande gorgée d’eau avant de repasser la bouteille à Malcolm pour qu’il la range dans son blouson.
— Prête ? demanda-t-il.
Amy acquiesça.
— Je peux marcher devant ?
— Je ne suis pas sûr que…
— Je suivrai les traces que nous avons laissées en montant. Je peux le faire. Je veux le faire.
C’était un nouveau défi qu’elle se lançait à elle-même. Elle avait gâché trop de temps à ressasser ses doutes et ses
incertitudes. Maintenant qu’elle se sentait prête à les dépasser, elle avait envie de voir jusqu’où elle était capable d’aller.
Pendant un instant, Mal sembla peser sa demande. Puis il hocha la tête.
— D’accord, mais rappelle-toi bien ce que je t’ai appris. Chaque pas compte. Assure-toi que tu es bien stable avant de
mettre ton poids sur ta jambe. Et sers-toi de tes bâtons pour garder l’équilibre, même si tu ne penses pas en avoir besoin.
— Compris.
Elle vérifia que son harnais était bien fixé puis saisit la corde dans sa main gantée. Elle admira une dernière fois la vue
incroyable tout autour d’eux, puis elle se tourna vers Malcolm et demanda :
— Tu es prêt ?
— Je te suis.
Amy considéra la crête. Du regard, elle suivit la trace des pas qu’ils avaient laissés en montant. Pour la première fois de
sa vie, ici, sur ce sommet, elle avait le sentiment de pouvoir conquérir le monde.
Certes, c’était un petit sommet. Mais c’était son Everest personnel, il lui avait permis de découvrir que, si elle en avait
la volonté, elle était capable de tout.
Elle entama la descente avec la conviction qu’elle n’était plus la même personne qu’en montant.

* * *

A la grande surprise de Mal, Amy ouvrit la marche avec assurance. A quelques mètres derrière elle, il l’observait
attentivement, impressionné de constater qu’elle suivait ses instructions à la lettre. Elle faisait d’ailleurs preuve de davantage
de présence d’esprit que de nombreux alpinistes de sa connaissance. Elle avançait avec une prudence sans faille, sondant la
neige de ses bâtons avant de poser le pied.
Etait-ce naturel, chez elle, ou agissait-elle par crainte de dévaler le flanc de la montagne ? Il n’aurait su le dire, mais il
préférait penser que c’était parce qu’il était un bon professeur. Voilà au moins une chose qu’il aurait réussie dans sa vie. Il
n’avait pas gravi trois fois l’Everest à trente ans, ses talents d’alpiniste n’étaient pas mondialement reconnus, et la santé
financière de son agence demeurait chancelante. Toutefois, il était un bon guide et un bon professeur, ce dont il était fier.
Il baissa le regard sur les fesses d’Amy, et ses pensées dérivèrent sur tout ce qu’il comptait lui faire en arrivant au
refuge. Avec un peu de chance, ils y seraient seuls. Dans le cas contraire, ils planteraient leur tente dehors. Il la dépouillerait
de ses épaisses couches de vêtements et, ensuite, il…
Mal entendit le craquement de l’os avant même de réaliser ce qui lui arrivait. La pierre sur laquelle il avait posé le pied
s’était dérobée sous son poids. Il essaya en vain de se rétablir, mais il était trop tard — le mal était fait.
Il ne sentit la douleur que quelques secondes plus tard, et il dut s’allonger, saisi de nausées. Il n’osait regarder sa
cheville. Ce craquement n’était pas un son qu’on oubliait facilement, et ce n’était pas la première fois qu’il l’entendait. La
première, c’était en tombant d’un arbre quand il était enfant, et la deuxième, après une chute de VTT.
Un chapelet de jurons lui échappa tandis qu’il roulait sur le côté. Bon sang ! Il avait commis une erreur stupide qui les
mettait tous deux en danger. Au lieu de fantasmer sur Amy, il aurait mieux fait de regarder où il mettait les pieds.
Amy se retourna et leva les yeux vers lui. Aussitôt, elle remonta la crête, avançant à toute allure sur la neige glacée pour
le rejoindre.
— Ça va ? lui demanda-t-elle en s’agenouillant auprès de lui, une expression de panique sur le visage. Que s’est-il
passé ? Tu es tombé ?
— Je me suis juste cassé la cheville.
— Quoi ? s’écria Amy.
— La pierre a glissé. J’ai dérapé dessus et, quand j’ai essayé de me rattraper, ma cheville a cédé.
— Comment est-ce possible ?
— Ça arrive, dit Mal. Bien plus souvent que tu ne le crois.
Il étouffa un grognement de douleur.
— Bon sang, ça fait mal !
— Qu’allons-nous faire ? Tu peux marcher ?
— Non, je ne pense pas. Pas sans m’appuyer sur toi, et ce serait trop risqué pour nous deux.
— Il faut que j’aille chercher de l’aide, dit-elle.
— Non, répondit Mal en secouant la tête. Tu ne bouges pas. On va rester ici et attendre. C’est le week-end, quelqu’un
passera forcément sur cette piste. Ils pourront alerter les secours.
Il changea de position, et la douleur dans sa cheville explosa pour se diffuser dans tout son corps, lui coupant le souffle.
— Seigneur, ça fait mal ! Et c’est entièrement ma faute. Je descendais sans faire attention, j’admirais tes fesses au lieu
de regarder où je mettais les pieds et…
— Tu admirais mes fesses ? Ce n’est pas toi qui m’as rabâché qu’il fallait se concentrer et ne jamais mettre un pied
devant l’autre avant d’avoir assuré sa prise ?
— Je ne fais pas toujours ce que je dis, grommela-t-il de mauvaise grâce. On ne va pas en faire un plat.
— C’est ma faute, dit alors Amy.
— Pourquoi ? Parce que tu as de jolies fesses ?
— Non, parce que j’ai insisté pour ouvrir la marche.
— N’importe quoi, rétorqua Mal en consultant sa montre. Zut, il ne reste plus que trois heures de jour, et nous sommes à
une heure du refuge. Nous ne croiserons personne dans la montée.
— Dans ce cas, je vais descendre et appeler les secours. Il y aura peut-être quelqu’un au refuge ce soir. S’il n’est qu’à
une heure d’ici, j’y arriverai facilement. Une fois là-bas, je trouverai un moyen de te faire rapatrier.
Elle soutint son regard, l’air résolu :
— Tu m’as appris tout ce que j’ai besoin de savoir. Je peux y arriver.
Mal se souvint alors du téléphone satellite qu’il avait pris soin d’emporter avant leur départ. Il s’était aperçu par la
suite que la batterie était déchargée. C’était une erreur de débutant, mais à laquelle, sur le moment, il n’avait guère accordé
d’importance tant il était certain que, si un problème survenait, il pourrait aller chercher de l’aide.
Il reporta son attention sur Amy, dont l’expression était toujours aussi déterminée. Au cours des derniers jours, elle avait
pris tellement d’assurance qu’il était convaincu qu’elle serait capable de descendre jusqu’au refuge et de se servir de la radio
pour alerter les secours.
Pourtant, des risques subsistaient. Elle serait seule, et la moindre glissade, la moindre chute, la mettrait exactement dans
la situation où lui-même se trouvait en ce moment.
— Non, finit-il par dire. C’est trop risqué.
— Si, j’y vais, répondit-elle avec fermeté. Nous allons monter la tente et t’y installer, et je vais descendre au refuge.
S’il y a quelqu’un là-bas, on se débrouillera pour revenir te chercher.
— Il y a une radio, au refuge. Tu pourras appeler les secours. En revanche, promets-moi que tu n’essaieras pas de
remonter ici ensuite, même si tu penses en avoir le temps. Tu passeras la nuit au refuge. Promis ?
— Je n’aime pas l’idée de te savoir seul, surtout avec une cheville cassée.
— Il ne fait pas si froid, Amy, surtout avec la tente. J’ai des vivres et de l’eau. Ça ne sera pas une partie de plaisir, mais
je ne mourrai pas sur cette montagne.
Les yeux embués de larmes, Amy afficha un sourire forcé.
— Bien sûr que tu ne vas pas mourir, ne sois pas idiot.
Etait-ce ainsi que son père avait trouvé la mort ? A cause d’une petite erreur qui avait tourné à la tragédie ? Non, il
s’était retrouvé dans des conditions beaucoup plus difficiles — à des heures de tout refuge, sans oxygène, avec le mauvais
temps qui menaçait et des températures beaucoup plus basses que celles-ci. Rien à voir avec la situation actuelle.
— Je vais monter la tente, annonça Amy.
Elle le débarrassa avec précaution de son sac à dos. Puis elle détacha son sac de couchage et elle le lui posa sur les
épaules pour le réchauffer.
Tous ses gestes étaient précis et efficaces, et Mal fut surpris de voir avec quelle aisance elle montait la tente. Quand elle
eut fini, elle se hâta de revenir vers lui :
— Voilà. Je vais enlever le matériel d’escalade de mon sac et laisser mes vêtements de rechange ici, ainsi qu’un peu de
nourriture. Plus mon sac sera léger, plus j’irai vite.
Elle retira de sa veste le carnet où elle notait ses impressions et le lui tendit.
— Maintenant, explique-moi quelle direction je dois prendre.
Il désigna un point sur leur droite.
— Continue de suivre la crête, comme nous l’avons fait jusqu’à présent. D’ici une quinzaine de minutes, tu
commenceras à distinguer le refuge. Il est rouge vif, tu ne peux pas le manquer.
— Je devrais peut-être te faire une attelle avant de partir.
Mal lui prit la main et lui embrassa le bout des doigts.
— Tu as accepté de faire tout ce que je te dirais, tu te rappelles ? Et maintenant je t’ordonne de partir tant que la lumière
est encore bonne.
— D’accord, dit Amy en enfilant son casque. Je suis la crête, et je verrai le refuge. Il est rouge.
— C’est ça, approuva-t-il. Le refuge est chauffé et il y a des toilettes, tu y seras bien pour passer la nuit. Sers-toi de tes
bâtons en descendant, il ne faut surtout pas que tu tombes. Tu n’as pas le droit à l’erreur, alors fais bien attention. Compris ?
De nouveau, les yeux d’Amy s’emplirent de larmes. Elle hocha la tête, et une larme perla au coin de son œil pour venir
geler sur sa joue. Mal tendit la main pour l’essuyer.
— C’est la partie la plus facile de cette randonnée : il n’y a que de la descente, le temps est au beau fixe et tu as encore
de la lumière. Quand les secours arriveront, ils m’emmèneront sans doute directement à l’hôpital. Il faudra donc que tu m’y
rejoignes. J’ai demandé à Adam Sullivan, l’un de nos guides, de nous attendre au parking de Rasperry Flat à 5 heures demain
matin. Il était censé nous reconduire à Christchurch. Demande au gardien du refuge de t’amener là-bas, et ensuite Adam saura
comment me retrouver.
— Très bien, dit-elle en balayant ses larmes du revers de la main.
Elle se pencha pour l’embrasser. Ses lèvres étaient douces et tièdes.
— Je vais t’aider à t’installer dans la tente, et ensuite je partirai.
Mal secoua la tête. S’il bougeait, la douleur allait être intolérable, et il ne voulait pas qu’elle soit le témoin de sa
souffrance. Cela ne contribuerait qu’à l’inquiéter davantage.
— Non, je vais rester là pour te regarder descendre.
Puis, traversé d’une soudaine pensée, il éclata de rire et ajouta :
— Voilà qui va ajouter une dimension dramatique à ton récit. Promets-moi juste de ne pas dire que je suis tombé parce
que je regardais tes fesses.
— C’est promis, dit-elle avant de l’embrasser de nouveau. J’y vais, maintenant. Fais attention à toi.
— Ne t’en fais pas. Je vais me bricoler une attelle avec un de mes bâtons. Ce n’est pas si grave.
Il la regarda ajuster son sac à dos puis lança :
— Fais attention.
— Je serai très prudente, le rassura-t-elle.
Elle commença à s’éloigner de lui, et Mal sentit son cœur se serrer au point d’entraver sa respiration. Tout irait bien,
tenta-t-il de se persuader. Le reste de la descente était relativement simple.

* * *

Voilà pourquoi un guide ne devait jamais avoir d’aventure avec une cliente, se sermonna Mal. Jusqu’alors, il n’avait pas
réalisé combien une simple erreur pouvait se transformer en avalanche de problèmes. Il avait pris à la légère l’une de ses
règles d’or, l’avait déformée pour l’adapter à ses envies du moment. En faisant passer son plaisir avant ses responsabilités
professionnelles, il s’était mis en danger, et Amy avec.
Etait-il raisonnable de la laisser partir seule ? Et, si elle tombait, qui allait l’aider, elle ?
— Amy ! appela-t-il, le cœur battant à tout rompre.
Elle était déjà trop loin pour l’entendre, et son cri fut emporté par le vent. Fermant les yeux, Mal se rallongea sur la
neige, le regard perdu dans le ciel bleu.
Au moins, le temps était clément. Il n’y avait pas un nuage.
Il passa lentement en revue tous les dangers qu’ils couraient, Amy et lui. Il était presque sûr d’avoir la cheville cassée,
mais il ignorait la gravité de la fracture. S’il n’était pas soigné très vite, il risquait des complications. Et, si Amy était restée
avec lui, il aurait pu s’écouler des jours avant que quelqu’un ne passe dans les parages.
Oui, il avait bien fait de la laisser descendre. Elle était déterminée à le faire, et elle était prudente. Et puis, cette nuit,
elle serait au chaud et en sécurité. Un élancement parcourut sa cheville, et il grimaça de douleur. Au moins, Amy ne le verrait
pas dans cet état de faiblesse, c’était une bonne chose.
Il repensa alors à l’article qu’elle voulait écrire. Cette chute allait en effet ajouter du piment à son récit. Et ruiner sa
réputation. Cet unique faux pas risquait de lui coûter son agence.
Chapitre 7

Amy faisait les cent pas dans le couloir menant au bureau du gardien. Elle avait passé la nuit enveloppée dans son sac
de couchage, inquiète pour l’homme qu’elle avait abandonné dans la montagne.
La descente jusqu’au refuge ne lui avait posé aucun problème, et elle l’avait atteint bien avant le coucher du soleil. A
son arrivée, trois grimpeurs étaient là, et ils l’avaient aidée à appeler le gardien par radio avant de l’installer pour la nuit.
Elle avait espéré qu’ils pourraient secourir Mal le soir même, mais ce n’était qu’au matin qu’ils avaient envoyé deux
secouristes pour l’évacuer à l’hôpital. Ils avaient fermement refusé de la laisser les accompagner.
Tout cela s’était passé des heures plus tôt.
Avant cette longue période d’attente, elle avait été un modèle de calme et d’efficacité. Elle avait demandé au gardien de
contacter le bureau de Mal et s’était débrouillée pour retrouver Adam plus tôt que prévu. Le gardien avait affirmé que Mal
serait sans doute évacué en hélicoptère et qu’on l’amènerait à Wanaka ou, si les médecins jugeaient son état critique, à
l’hôpital de Queenstown.
Après l’arrivée d’Adam, ils avaient attendu des nouvelles de Mal. Chaque minute semblait durer des heures.
Apparemment, il y avait eu un problème avec l’hélicoptère, et on les avait informés que Malcolm serait finalement transporté
en ambulance. Après avoir réclamé dix fois de ses nouvelles, Amy avait commencé à aller et venir dans le couloir comme un
lion dans sa cage.
— Je suis étonné qu’il n’ait pas pris le téléphone satellite avec lui, dit Adam. Ce n’est pas son genre.
Amy s’arrêta.
— Il a un téléphone satellite ?
— Oui, répondit Adam, il l’emmène dans chacune de ses expéditions. Les appels coûtent cher, mais en cas d’urgence
c’est le meilleur moyen d’obtenir rapidement de l’aide.
— Cette sortie était censée être facile, soupira Amy. Il n’a pas arrêté de me le répéter. Et c’est vrai que tout s’est bien
passé, jusqu’à ce qu’il se casse la jambe.
— C’est un costaud, commenta Adam. Ce n’est pas une cheville cassée qui va l’arrêter.
— Depuis combien de temps le connaissez-vous ? demanda Amy en se laissant tomber sur la chaise à côté de lui.
— Longtemps. Nous grimpions ensemble, adolescents. J’ai fait l’une de mes premières ascensions avec lui dans les
Alpes du Sud quand on avait dix-sept ans. On a fait tout le trajet depuis Raglan dans sa vieille Toyota. Il avait dit à sa mère
qu’il partait pêcher. Tous les mensonges qu’on a pu sortir quand on partait grimper ! Quand il a finalement décidé de quitter le
pays pour diriger des expéditions, il a bien été obligé de lui dire la vérité. Elle n’était pas ravie, vous pouvez me croire.
Amy sourit.
— Oui, mais il obtient toujours ce qu’il veut.
— C’est vrai.
A ce moment, la porte du bureau s’ouvrit et une femme en sortit.
— Madame Quinn ?
Amy regarda autour d’elle, interloquée. Adam lui donna un coup de coude, et elle se ressaisit.
— Oui ?
— Votre mari sera à Wanaka dans quelques minutes. On l’amène en ambulance au centre médical où ils examineront ses
blessures. Vous pourrez le retrouver là-bas.
Amy bondit sur ses pieds et se tourna vers Adam :
— Vous savez où c’est ?
— Prenez à droite en sortant du parking, indiqua la femme. Ensuite, la prochaine à gauche, le long du parc. Traversez la
ville en suivant la rue McDougall jusqu’à la route de Cardona Valley. Vous n’en avez pas pour très longtemps.
Ils regagnèrent en hâte la voiture d’Adam et, quinze minutes plus tard, ils arrivaient devant la clinique. Adam la déposa
devant l’entrée pour aller se garer.
Incapable d’attendre une minute de plus, Amy se précipita à l’accueil.
— Je viens voir Malcolm Quinn, on vient de l’amener avec une cheville cassée.
— En effet, confirma la femme derrière le guichet. Il vient d’arriver. Et vous êtes ?
— Amy… Je suis sa femme, Amy Quinn.
Manifestement, être l’amante ou la cliente de Mal n’était pas suffisant. S’ils avaient pu obtenir des informations au
bureau du gardien, c’était uniquement parce que Adam leur avait dit qu’elle était l’épouse de Mal. Cela fonctionnerait peut-
être ici aussi.
— Je vais demander à une infirmière de vous conduire à sa chambre, déclara la femme en prenant le téléphone.
Amy alla s’asseoir pour attendre. Adam la rejoignit quelques minutes plus tard.
— Comment va-t-il ?
— Il vient d’arriver, dit-elle. Et, au fait, je suis de nouveau Mme Quinn.
Adam étouffa un petit rire.
— Félicitations. J’espère que vous serez très heureux ensemble. Vous comptez avoir des enfants ?
Amy lui donna un petit coup sur le bras.
— Non. Et, pour votre gouverne, on dit « Meilleurs vœux de bonheur » à la mariée, et « Félicitations » au marié.
— Je m’en souviendrai le moment venu.
Amy eut un mouvement de recul.
— Oh ! nous n’allons pas… Mal et moi sommes juste… il n’y a rien de sérieux entre nous, je ne suis qu’une de ses
clientes.
— Vraiment ? Ce n’est pas l’impression que j’ai eue quand il m’a parlé de cette expédition, répliqua Adam avec un
haussement d’épaule. En général, il ne parle pas beaucoup de ses clients.
— Madame Quinn, vous pouvez me suivre ?
Amy se retourna et adressa à Adam un sourire reconnaissant.
— Je vous donnerai des nouvelles dès que possible.
Elle emboîta le pas à l’infirmière qui la conduisit à travers un dédale de couloirs et de salles puis lui fit signe d’entrer
dans l’une d’entre elles. Mal était allongé sur la table d’examens, la jambe immobilisée par une énorme attelle. Ses yeux
étaient clos, et elle pensa d’abord qu’il dormait.
— Mal ? chuchota-t-elle.
Il ouvrit les yeux d’un coup et s’appuya sur ses coudes pour se redresser.
— Salut, toi ! Bravo, je savais que tu y arriverais.
D’un bond, elle traversa la pièce et se jeta à son cou.
— J’étais tellement inquiète ! Je n’avais pas de nouvelles, j’avais peur qu’il te soit arrivé quelque chose.
Sur une impulsion, elle prit son visage entre ses mains et le couvrit de baisers.
— Ça va ? Tu as mal ?
— Non. Et encore moins quand tu m’embrasses.
Elle sema une nouvelle pluie de baisers sur son visage.
— Fais attention, dit-il. Il paraît que ma femme se balade dans les couloirs, je ne voudrais pas qu’elle nous surprenne.
— J’ai été obligée de leur mentir, admit-elle. Sinon, ils ne voulaient rien me dire.
— Ça veut dire qu’on ne pourra plus faire l’amour qu’une fois par mois ?
Elle s’appuya contre lui.
— Si tu parles de faire l’amour, c’est que tu ne dois pas aller si mal.
— Il faudrait plus qu’une cheville cassée pour m’en empêcher, dit-il en lui caressant le dos. Maintenant, embrasse-moi,
et bien.
Amy allait s’exécuter quand le médecin entra, un porte-bloc à la main.
— Malcolm Quinn ? Je suis le Dr Kessel, dit-il en tendant la main.
Mal la serra.
— Appelez-moi Mal.
— J’ai entendu parler de vous, et j’ai suivi l’un des cours d’alpinisme de votre agence, il y a deux ans. Vous ne faisiez
pas partie des professeurs, mais nous avons beaucoup parlé de vos exploits et de ceux de vos frères.
Se tournant vers Amy, il demanda :
— Madame Quinn ?
— Amy, répondit-elle en lui serrant la main à son tour.
Le médecin sortit une radio d’une grande enveloppe et l’accrocha à un panneau lumineux.
— Alors, qu’est-ce qui vous est arrivé ? s'enquit-il en étudiant la radio.
— J’ai juste glissé, et je suis tombé, expliqua Mal. La pierre s’est dérobée sous mon pied, j’ai essayé de me rattraper, et
je me suis tordu la cheville.
— Eh bien, vous vous êtes brisé les deux os juste au-dessus de la cheville. C’est assez commun, dans ce genre de chute.
Vous avez deux options : nous pouvons réduire les fractures et vous plâtrer. Il faudra au moins trois mois pour que les os se
ressoudent. Sinon, nous pouvons vous opérer et vous poser une plaque et des broches, ce qui vous permettra de remarcher
d’ici six semaines. Je suppose que vous préférez la deuxième solution.
— Vous supposez bien, répondit Mal. Je ne peux pas me permettre d’arrêter de travailler pendant trois mois.
— Il vous faudra quand même faire attention, car je crains que les ligaments n’aient été touchés, eux aussi. Votre
cheville ne sera sans doute plus jamais aussi solide qu’avant. Mais, avec un peu de rééducation, vous pourrez marcher sans
problème.
— Et pour l’escalade ?
— Je vais être honnête avec vous, soupira le médecin. Certaines personnes ne recouvrent jamais toute leur mobilité.
Mais, en retirant la plaque et les broches une fois l’os ressoudé, cela devrait aller. Dans la moitié des cas que je traite, la
cheville est définitivement affaiblie. Il va falloir attendre pour le savoir.
Amy inspira un grand coup et s’efforça de sourire, tout en étreignant la main de Mal. Elle n’aurait jamais cru que cette
blessure puisse définitivement l’empêcher de pratiquer le métier qu’il aimait.
Elle réprima un nouveau sentiment de culpabilité. Les sherpas de l’Everest avaient raison : avoir des relations sexuelles
lors d’une ascension portait malheur, et cela allait à l’encontre du bon sens. Un seul instant de distraction pouvait provoquer
une blessure — ou la mort.
Pourtant, elle était soulagée que Mal s’en soit sorti vivant — même si sa carrière était menacée. Il était là, en un seul
morceau, il respirait, il riait et plaisantait avec elle.
Mais, pour le moment, l’heure n’était pas à la plaisanterie.
— Alors je ferai tout ce que je pourrai pour renforcer ma cheville, soupira Mal.
— Très bien, répondit le Dr Kessel. C’est la meilleure attitude à adopter si vous voulez guérir. A présent, je vais
remplir quelques papiers, et nous allons vous envoyer en chirurgie à Queenstown. Vous pourrez prendre l’avion pour rentrer
chez vous dès qu’ils vous relâcheront.
— Merci, dit Mal. Et, quand vous voudrez faire une nouvelle expédition, appelez mon agence, et je vous arrangerai ça,
gratuitement. Attendez juste que je sois sur pied, et je vous emmènerai moi-même.
— C’est d’accord, fit le médecin avec un sourire.
Quand ils furent seuls, Amy voulut de nouveau embrasser Malcolm. Il poussa un grognement étouffé et s’écarta.
— Tu as mal ?
— C’est surtout mon orgueil qui souffre. Je n’arrive pas à croire que j’aie commis une erreur aussi stupide.
— Ils ne t’ont pas donné d’analgésiques ?
— Si, mais je préfère tes remèdes à toi. Tu n’as rien de plus fort qu’un baiser, par hasard ?
— A quoi penses-tu ?
— Tu ne pourrais pas ouvrir ton chemisier ? Je suis sûr que je me sentirais encore mieux.
Amy en resta bouche bée.
— Espèce de pervers ! Ce sont les médicaments qui te font cet effet ?
— J’ai envie de toi, déclara Mal. Allez, ouvre quelques boutons. Je te promets que je ne toucherai qu’avec les yeux.
Amy parcourut la pièce d’un regard nerveux puis, tournant le dos à la porte, elle écarta rapidement les pans de son
chemisier.
— Tu es content ?
— Non, mais je vais devoir m’en contenter pour le moment, rétorqua Mal avec un sourire malicieux.
Amy songea qu’elle aussi allait devoir s’en contenter. Mais ce n’était que partie remise.

* * *

Dans sa chambre de l’hôpital de Queenstown, Malcolm avait du mal à trouver le sommeil. Il s’endormait pendant
quelques minutes, parfois une heure, puis un bruit quelconque le réveillait en sursaut. On avait essayé de lui faire prendre
davantage d’antalgiques, mais il avait refusé — les médicaments lui embrouillaient l’esprit.
Il avait le cerveau encombré de pensées pessimistes, que ce soit au sujet de son père, d’Amy, ou de son accident. Bien
sûr, sa fracture était le plus préoccupant. Jusqu’à présent, lui et ses frères se répartissaient la charge de travail de manière
égale. A présent qu’il était blessé, ils allaient devoir embaucher un guide supplémentaire pour le remplacer… les fins de mois
s’annonçaient encore plus difficiles pendant les six mois à venir.
Et si collaborer avec Amy sur le récit qu’elle voulait écrire sur son père était la solution à ses problèmes finalement ?
Cela leur permettrait sans doute de compenser une partie des pertes. Sans compter la clientèle qu’une série d’articles dans
Aventures Extrêmes leur amènerait. De quoi financer l’embauche de quelques guides sans aucun doute. Et cela ne valait-il pas
mieux qu’un article où l’on raconterait comment, à la suite d’une erreur de débutant, il avait fait couler sa propre agence ?
D’un autre côté, la perspective d’affronter le passé l’effrayait. Etait-il prêt à regarder en face la mort de son père ? Et les
jumeaux, sa mère et Dana, comment allaient-ils réagir ? Sans leur accord et leur soutien, cet article ne se ferait pas.
Il y avait aussi cette idée de biographie qu’avait eue Amy. Un tel projet paraîtrait sans doute plus acceptable à sa
famille, mais elle ne générerait pas de revenus immédiats. Il devait y avoir un moyen de se sortir de cette impasse sans blesser
sa famille, mais pour l’heure il ne voyait pas lequel.
Mal changea de position dans son lit. Bon sang, il n’était pas habitué à rester allongé si longtemps. Sa cheville brisée
était enfermée dans un plâtre et maintenue en suspension dans une position franchement désagréable. Heureusement, on lui
avait promis que demain il pourrait se lever et se déplacer lui-même à l’aide de béquilles.
Il regarda vers la fenêtre, s’efforçant de deviner l’heure à la lumière qui filtrait à travers les persiennes. Amy était
arrivée à Queenstown dans la matinée, pendant qu’il était au bloc, et elle était repartie quelques heures plus tôt pour louer une
chambre dans un hôtel voisin et prendre une douche. Elle avait promis de revenir avant le dîner.
Il entendit frapper à la porte et se retourna un sourire aux lèvres. Contre toute attente, ce ne fut pas Amy qui entra dans la
pièce, mais sa mère.
— Tu es réveillé ?
Mal se souleva sur ses coudes.
— Maman ? Qu’est-ce que tu fais là ?
— Je voulais m’assurer que tu allais bien, dit-elle d’un air anxieux. Quand Adam a appelé, Dana et moi avons sauté
dans le premier avion. Il dit que tu as été opéré.
— Ce n’est rien, la rassura Mal. Juste une cheville cassée. Ils m’ont d’abord amené à la clinique de Wanaka, et ensuite
ils m’ont envoyé ici en ambulance pour l’opération.
— Pourquoi t’opérer s’il s’agit d’une simple fracture ?
— Ils m’ont mis une plaque pour stabiliser la fracture. Dans quelques mois, je serai comme neuf. Je suis désolé de
t’avoir fait peur. J’aurais dû t’appeler pour vous dire de ne pas venir.
Sa mère lui prit la main et la pressa sur son cœur avant de s’asseoir dans le fauteuil à côté du lit.
— Je ne veux pas revivre ça, murmura-t-elle. Je ne veux pas de nouveau perdre quelqu’un que j’aime sur une montagne,
un glacier, ou n’importe quelle horreur que vous aurez décidé d’escalader.
— Ce n’était rien, maman, répondit Mal en lui étreignant la main. J’aurais pu me blesser de la même façon en
descendant les marches de mon bureau ou en faisant du vélo. C’était juste une erreur stupide. Je ne regardais pas où j’allais,
voilà tout.
— Et pourquoi ne regardais-tu pas où tu allais ? Tu m’avais promis de toujours être prudent.
— J’étais distrait, soupira Mal en se demandant s’il devait tout lui raconter. J’ai rencontré cette fille. Cette femme,
plutôt. Et j’ai décidé de lui faire goûter un peu d’aventure. J’étais occupé à admirer ses fesses au lieu de regarder où je posais
les pieds.
Sa mère le considéra d’un air sévère.
— Tu pourrais au moins faire l’effort de trouver un mensonge plausible. Je sais que toi et tes frères inventez n’importe
quoi pour m’épargner des inquiétudes, mais tu pourrais avoir le respect de me raconter autre chose que cette histoire de fille et
de… fesses.
Surpris par sa réaction, Mal ne savait quelle attitude adopter.
— Mais c’est vrai, répondit-il enfin. J’ai rencontré une femme. Elle travaille pour une revue aux Etats-Unis. Elle est
intelligente, belle, drôle, et…
— Et ?
— Et je crois qu’elle me plaît vraiment beaucoup.
— Tu es amoureux ? Toi ?
Mal soupesa la question pendant quelques secondes.
— Oui, peut-être. Je n’en suis pas encore certain, mais ça y ressemble.
Il sourit, et la colère disparut des traits de sa mère.
— Comptes-tu demander cette femme en mariage ?
— Non, répondit Mal, nous venons de nous rencontrer. Et j’ai toujours dit que je ne me marierais pas. Avec mon métier,
ma façon de vivre, ce ne serait pas possible. Comment faisiez-vous, avec papa ?
Sa mère hésita puis, les yeux baissés, murmura :
— Nous n’avions pas le choix. Et nous nous aimions.
— Ça ne t’embêtait pas qu’il ait choisi ce métier ?
— Bien sûr que si. J’étais morte d’angoisse quand il partait, je détestais qu’il me laisse seule. Mais l’alpinisme était sa
passion, cela faisait partie de lui. Et je l’aimais tout entier.
— Pourquoi ne nous as-tu jamais dit tout cela avant ? demanda Mal. Tu ne parles jamais de lui.
— Je suppose que c’est parce que je n’ai pas envie que vous me voyiez pleurnicher. Mais il ne se passe pas un jour, ni
une heure, sans que je ne pense à lui. J’aurais tellement aimé qu’il voie ses enfants grandir, soupira-t-elle.
— Qu’as-tu ressenti en apprenant qu’on avait retrouvé son corps ?
— J’ai eu l’impression qu’il venait de mourir une nouvelle fois. Tu sais, il m’arrive encore de rêver que ton père va
ouvrir la porte et rentrer, comme s’il revenait d’une simple promenade. Je le vois arriver, heureux et gai, et tout redevient
comme avant. Dans les années qui ont suivi sa disparition, j’attendais ces rêves chaque nuit, je voulais qu’ils se réalisent. Il
m’arrivait même de m’inventer des histoires, de me dire qu’il s’était perdu en redescendant de l’Everest, ou qu’il était devenu
amnésique et qu’il avait été retrouvé par des moines tibétains qui l’avaient ramené dans un monastère au sommet d’une
montagne. N’importe quelle histoire me convenait, pourvu qu’à la fin il soit toujours vivant.
— Nous aussi, on faisait ça, avoua Mal. Avec les jumeaux, nous avions des théories incroyables pour expliquer sa
disparition. Mais en grandissant nous avons arrêté.
— Pas moi, dit sa mère. Jusqu’à ce que j’apprenne qu’on avait retrouvé son corps.
— Voudrais-tu que nous allions là-bas pour lui rendre nos derniers hommages ? Et que nous ramenions certains de ses
effets personnels pour toi ?
Sa mère esquissa un sourire un peu triste.
— Il y a quelques mois, j’aurais refusé catégoriquement. Je ne veux pas que l’Everest me prenne mes enfants. Mais, à
présent que j’ai eu le temps d’y réfléchir, je me dis que ce serait peut-être une bonne idée. Toi et les jumeaux, vous avez besoin
de faire la paix avec le passé, sinon, vous ne serez jamais vraiment heureux. Et, si c’est sur l’Everest que cela doit se passer,
qu’il en soit ainsi.
— Vraiment ?
— Je ne suis pas convaincue que ce soit une bonne idée que vous voyiez votre père dans cet état, mais c’est à vous de
décider, je n’essaierai pas de vous en empêcher. Et, si vous faites ce voyage, ramenez son journal. C’est le seul volume qui me
manque. Il y a une photo de nous deux à l’intérieur, il la gardait toujours sur lui, et je n’en ai pas de double. Elle a été prise
pendant notre lune de miel, c’est ma préférée. Et c’était sa préférée aussi, je le sais. J’aimerais vraiment récupérer cette photo.
— Tu as encore ses autres journaux ? demanda Mal, abasourdi.
Elle hocha la tête.
— Je suis désolée de t’avoir dit que je les avais brûlés, mais l’idée de vous entendre les lire à haute voix m’était
insupportable. Il est peut-être temps que je vous les donne.
— Maman, Amy — c’est la femme dont je t’ai parlé — écrit pour un magazine d’aventures. Elle a suggéré que nous
publiions une biographie de papa. Nous pourrions utiliser les journaux. Ce serait une façon de nous assurer que cette histoire
sera écrite comme nous souhaitons qu’elle le soit.
— C’est une merveilleuse idée. Je ne veux pas que votre père soit réduit à son image d’alpiniste, je veux qu’on le
découvre sous toutes ses facettes. La prochaine fois que tu passes à Auckland, viens récupérer ses journaux. Je crois que c’est
une lecture qui te plaira.
Lentement, elle se leva, puis se pencha pour l’embrasser sur la joue.
— Parler de ton père m’épuise. Je vais aller prendre une tasse de thé. Dana attend dans le couloir, elle va venir te voir.
Elle veut s’assurer en personne que tu vas bien.
— Où dormez-vous, ce soir ?
— Dans une auberge, tout près d’ici.
— Maman, vous n’êtes pas obligées de rester. De toute façon, je sors de l’hôpital demain.
— Très bien, nous reprendrons donc l’avion ensemble.
— Le chirurgien m’a interdit de prendre l’avion pendant quelques jours. Amy et moi allons rester ici jusqu’à ce que je
puisse partir. Elle ne devrait pas tarder à passer, j’aimerais te la présenter.
Une voix les interrompit soudain.
— Salut, je peux entrer ?
Dana venait d’entrouvrir la porte. Elle entra, un bouquet de fleurs à la main.
— Je ne m’attendais pas à ce que tu aies aussi bonne mine, dit-elle.
— Je vais bien. C’était juste un accident bête.
— Je sais, Amy m’a tout raconté.
— Elle est là ?
— Oui, dans le couloir, dit Dana. Elle préférait attendre que nous t’ayons vu avant d’entrer. Voilà qui va lui donner du
grain à moudre pour son article… Comment allez-vous tourner ça ?
— Un article ? demanda Lydie. Quel article ?
— Amy est venue en Nouvelle-Zélande pour écrire un article sur nous et sur papa, expliqua Dana.
— Ce n’est plus d’actualité, objecta Mal. Elle va faire le récit de notre voyage. Et c’est toi qui as dit qu’on avait besoin
d’un peu plus de publicité.
Lui arrachant les fleurs des mains, il ajouta :
— Tu devrais aller la chercher, pour que je puisse vous la présenter, à toi et à maman.
— Oh ! mais je vois que c’est du sérieux, ironisa Dana. C’est la première fois que tu présentes une fille à maman, non ?
— En effet, confirma celle-ci.
— C’était plus qu’une cliente, alors, ajouta Dana d’un air inquisiteur.
— Si vous êtes venues pour me torturer, reprenez vos fleurs et partez, lança Mal. Mais avant, Dana, va chercher Amy.
Dana sourit.
— Si tu me donnes des ordres, c’est que tu ne dois pas aller trop mal.
Quand elle eut quitté la chambre, il étouffa un petit rire et dit :
— Je peux te poser une autre question, maman ? Pourquoi as-tu eu un quatrième enfant ?
— Parce que j’en voulais au moins un que ton père ne traînerait pas partout sur les montagnes, rétorqua-t-elle en lui
tapotant la main. Tu sais, Dana a raison : tu as l’air en forme. Et heureux.
— C’est vrai.
En dépit de tous ses doutes, en effet, il était heureux.

* * *

— Je suis ravie de vous avoir rencontrée, Amy. Et j’espère avoir l’occasion de vous revoir avant que vous rentriez aux
Etats-Unis.
— Je l’espère, moi aussi, répondit Amy. Je vais prendre l’avion jusqu’à Auckland avec Malcolm. Je lui dirai de vous
appeler dès que nous arriverons.
Dana lui tendit la main.
— Prenez soin de mon grand frère.
Amy sentit ses joues s’empourprer. Sans qu’elle sache comment, Lydie et Dana s’étaient mis en tête que Mal et elle
étaient davantage que de simples amants. Elles s’adressaient à elle comme… à sa petite amie.
Devait-elle les détromper ? Non, elle ne se voyait pas vraiment leur expliquer les détails de l’arrangement qu’elle avait
avec Mal… Mieux valait jouer le jeu, comme elle l’avait fait avec le personnel de l’hôpital en se faisant passer pour sa
femme.
Elle les raccompagna jusqu’à l’ascenseur avant de retourner dans la chambre de Mal. Il l’accueillit d’une main tendue,
et elle se glissa contre lui sous les draps.
— Embrasse-moi, demanda-t-elle en rapprochant son visage du sien.
Mal s’exécuta ; il lui donna un long baiser paresseux, jouant langoureusement avec sa langue.
— J’en avais envie depuis longtemps, soupira-t-il.
— Tu me sembles aller bien mieux qu’après l’opération, dit-elle. Les calmants te faisaient tourner au ralenti.
— Je leur ai dit que je ne les prendrais plus. Et je me sens beaucoup mieux, en effet. J’aimerais juste pouvoir sortir de
ce lit. J’ai besoin de me doucher et de me raser.
— Quand pourras-tu te lever ?
— Demain matin. Jusque-là, je suis censé me laver à l’éponge et me servir du bassin.
— Je peux peut-être t’aider, proposa Amy.
— Tu vas me faire ma toilette ?
Elle se redressa et sourit.
— Pourquoi pas ? Ça peut être amusant.
— Tu veux jouer les infirmières coquines ? s’exclama Mal en ouvrant les bras. Vas-y, je suis tout à toi.
Avec un petit rire, Amy sortit du lit et courut remplir la bassine d’eau chaude. Sur une étagère, elle trouva un gant de
toilette et des serviettes, puis ouvrit le sachet contenant un rasoir jetable.
— Commençons par la barbe, dit-elle. Tu seras plus présentable.
L’infirmière avait laissé une petite bombe de mousse à raser. Amy commença par humidifier la barbe de Mal avec le
gant de toilette avant de répartir la mousse sur son visage. Penchée au-dessus du lit, elle commença à faire courir le rasoir sur
ses joues hâlées.
Mal en profita pour lui caresser les fesses, mais, quand elle sursauta et le coupa avec le rasoir, il reposa les mains sur
les draps et se tint tranquille.
Puis, elle lui lava les cheveux. Elle aimait s’occuper de lui, améliorer son confort. Au moins, elle se rendait utile. Elle
était incapable de gravir un sommet élevé ou d’escalader un mur de glace avec lui, mais elle pouvait l’aider à se laver.
Pour finir, elle lui sécha les cheveux.
— Voilà qui est mieux, dit-elle. Comment fais-tu quand tu es en expédition ?
— Exactement comme ça. On fait chauffer de l’eau, et on se sert de shampooing et de savon. Mais je n’ai jamais eu de
jolie femme pour m’aider. Sinon, pour cette histoire de toilette…
— Tu veux vraiment que je te lave ?
— Oui, infirmière Amy, je veux que tu me laves.
— Alors commençons par t’enlever cette chemise.
Le temps qu’Amy aille fermer la porte à clé, Mal avait retiré la chemise d’hôpital. Contemplant son corps nu sur les
draps blancs, elle songea qu’elle n’avait encore jamais eu l’occasion de l’admirer de façon aussi franche, dans toute sa
splendeur virile.
— Tu vas rester plantée là ? demanda-t-il.
— Oui, dit-elle. J’ai bien le droit de regarder, non ?
Son regard descendit jusqu’à son sexe déjà tendu.
— Je ne t’ai même pas touché, s’exclama-t-elle.
— Il est doté d’une vie propre, répondit Mal. Je ne le contrôle pas. Il serait peut-être plus docile si tu enlevais quelques
vêtements.
— Non ! protesta Amy. Je suis censé faire ta toilette, pas un strip-tease.
— Et pourquoi pas les deux ?
— Si tu continues, tu vas te laver tout seul, l’avertit-elle.
Il l’observa en silence tandis qu’elle passait le gant de toilette savonneux sur son torse et ses épaules. Puis elle lui fit
lever les bras pour pouvoir les laver à leur tour. Chaque seconde qui passait, elle sentait la tension érotique qui régnait entre
eux plus palpable.
Pour autant, elle évita soigneusement son bas-ventre. En gardant cette partie de son corps pour la fin, elle était bien
décidée à rendre cette attente encore plus excitante.
— Tu es prêt ? demanda-t-elle.
— Ça ne se voit pas ? rétorqua-t-il avec un petit mouvement éloquent du menton.
— Je pense qu’il va nous falloir de l’eau plus chaude. Celle-ci est à peine tiède.
Elle se rendit à la salle de bains pour remplir la bassine. Là, elle se déshabilla, ne conservant que sa culotte et son
soutien-gorge. Elle avait racheté des vêtements de rechange dans l’après-midi, et était assez fière du bel ensemble rose et noir
qu’elle avait choisi pour remplacer les sous-vêtements qu’elle avait laissés dans la tente.
A vrai dire, elle n’avait pas imaginé qu’il les verrait avant qu’ils soient tous deux de retour chez lui, mais elle était
certaine qu’ils lui plairaient. En sortant de la salle de bains, elle baissa la lumière de la chambre pour créer une ambiance plus
romantique.
Quand elle s’approcha du lit, il réagit exactement comme elle s’y attendait. Avec un sourire délicieusement sexy, il
tendit les bras dans sa direction, mais elle se déroba.
— Pas touche, dit-elle. Ordre de l’infirmière.
Ils jouèrent ainsi longtemps à faire monter la tension. Elle savonna longuement son sexe tendu puis le caressa de ses
doigts humides. Le plâtre qui emprisonnait sa jambe empêchait Mal de bouger, et Amy profita sans scrupule de la situation.
Elle avait envie de lui donner davantage que cette toilette érotique. Après avoir rincé les dernières traces de savon, elle
continua de le caresser. Il était impossible qu’ils fassent l’amour dans ces conditions bien sûr, mais elle n’était pas à court
d’idées.
Amy posa ses lèvres sur le ventre de Mal avant de semer des baisers jusqu’à sa hanche, faisant durer la torture jusqu’au
bout. Quand il essaya de la toucher, elle recula en agitant un index menaçant :
— Tu n’es pas très coopératif comme patient.
Mal étouffa un petit rire.
— Tu prends beaucoup trop de plaisir à ça. Quand je sortirai de ce trou, tu vas avoir affaire au Dr Malcolm, je te le
promets.
— Et là, c’est toi qui définiras les règles, répondit-elle. Mais tant que nous sommes ici, c’est moi le chef.
— Continue ton examen, dit-il avec un soupir faussement résigné.
C’était la première fois qu’Amy se sentait aussi libre et décomplexée en matière de sexe. Avec les hommes qu’elle avait
connus auparavant, elle avait toujours procédé avec beaucoup trop de sérieux. Mais depuis le début Mal et elle avaient agi
dans un tout autre état d’esprit — une fois leurs vêtements retirés, ils pouvaient tout dire et tout faire.
Plus sûre d’elle qu’elle ne l’avait jamais été, elle jeta un regard brûlant à Mal. Il semblait prêt à basculer. Alors, elle fit
courir sa langue le long de son sexe, lui arrachant un cri étouffé. Puis elle le prit dans sa bouche, l’agaçant de la langue jusqu’à
ce qu’il cède à l’envie de la toucher.
Cette fois, quand il enfouit ses mains dans ses cheveux, Amy ne l’en empêcha pas. Il guida ses mouvements jusqu’à se
retrouver au bord de l’explosion puis, le corps secoué de spasmes, il l’attira vers lui pour pouvoir l’embrasser.
— Je me sens vraiment mieux, murmura-t-il d’une voix rauque.
— Je suis contente d’avoir pu t’aider, rétorqua Amy avec malice.
— Tu crois qu’on pourrait te dénicher une petite blouse blanche et une toque d’infirmière ? Il faut qu’on recommence.
— J’espérais que la prochaine fois on pourrait jouer au garçon d’écurie sexy.
— Je pourrais jouer les garçons d’écurie boiteux mais sexy, proposa-t-il.
— Je m’en contenterai, dit Amy.
Elle le rejoignit sur le lit et se pelotonna contre lui.
— Tu crois qu’ils s’en apercevront si je dors ici cette nuit ?
— On peut toujours essayer.
Amy ferma les yeux. Elle avait passé une semaine dans le lit de Mal, et elle n’avait envie de dormir nulle part ailleurs.
Malheureusement, elle avait un billet d’avion qui la ramènerait chez elle dans quelques jours. Elle songea à son appartement
de Brooklyn, à ses amis, à son travail, et à son grand lit confortable. Toutes ces choses si familières.
C’était sa vie. Et pourtant, vue d’ici, cette vie semblait appartenir à quelqu’un d’autre, quelqu’un qu’elle ne connaissait
pas. Tant de choses avaient changé depuis le jour où elle avait posé les yeux sur Malcolm Quinn. Elle avait changé.
Qu’arriverait-il quand elle rentrerait à New York ? Redeviendrait-elle la femme tranquille et morose qu’elle avait
toujours été ? Elle était fatiguée d’en vouloir toujours plus. Ici, avec Mal, elle avait tout ce qu’elle pouvait désirer.
Si seulement il avait pensé la même chose…
Chapitre 8

Mal appela Duffy, et le labrador noir accourut vers lui, le Frisbee dans la gueule. Comme d’habitude, le chien était
tellement excité de jouer qu’il se jeta sur Mal et faillit envoyer valser ses béquilles.
C’était un après-midi d’automne idéal, la température était fraîche et l’air vif. Pendant deux jours, Mal avait été
cantonné à l’intérieur de la maison, et à présent toutes les occasions étaient bonnes pour sortir et prendre un peu d’exercice.
— Fais attention, cria Amy depuis la terrasse. Si tu te casses l’autre cheville, tu ne pourras plus marcher du tout.
— Oui, maman, la taquina Mal.
Amy le fusilla du regard.
— Tu sais ce que tu peux faire avec ce Frisbee ?
Mal rit intérieurement. La colère d’Amy n’était qu’apparente, ces joutes verbales faisaient partie du jeu. Ces
chamailleries leur permettaient d’oublier temporairement que le départ d’Amy approchait.
Son avion décollait pour les Etats-Unis le surlendemain. Leur temps ensemble était compté, ils le savaient tous deux —
bientôt, ils allaient devoir réapprendre, chacun de leur côté, à vivre l’un sans l’autre.
Mal avait reçu l’interdiction expresse de s’appuyer sur sa jambe blessée, ce qui ne l’empêchait pas de travailler avec
acharnement les autres parties de son corps. Avec un programme d’un bon millier d’abdominaux, une heure d’haltérophilie et
une centaine de tractions par jour, il espérait bien conserver sa forme physique. Bon, il n’avait toujours pas trouvé de moyen
de faire du vélo en n’utilisant qu’une jambe, mais il devrait être capable de se servir d’un rameur s’il en achetait un.
Il relança le Frisbee avant de se tourner vers Amy. Elle était installée sur le rocking-chair, l’ordinateur qu’il lui avait
prêté sur les genoux.
Duffy le rejoignit en trottinant, et ils remontèrent en direction de la terrasse.
— Sur quoi travailles-tu ?
— Sur le récit de notre voyage. J’ai presque fini.
— Dis donc, c’est allé vite !
— Pas tant que ça. J’ai un mal fou à trouver le ton juste.
— Je peux le lire ? demanda-t-il en s’asseyant sur un siège près d’elle.
— Bien sûr, répondit Amy en lui tendant l’ordinateur. Si tu trouves des fautes, contente-toi de les souligner. Mais tu n’en
trouveras pas.
S’extrayant du fauteuil à bascule, elle ajouta :
— Je vais préparer le dîner. Des spaghettis, ça te va ? J’ai trouvé un excellent pain ce matin au marché.
— Tu n’es pas obligée de me dorloter, dit-il. Je suis parfaitement capable de cuisiner.
Amy éclata de rire.
— Pour toi, cuisiner consiste à appeler le livreur de pizzas ou à verser de l’eau bouillante dans un sachet de nourriture
lyophilisée.
— Je sais faire des barbecues, rétorqua-t-il. La viande, ça me connaît.
Amy s’approcha et lui caressa le torse.
— Moi aussi.
— Et c’est toi qui me traites de pervers, grommela-t-il tandis qu’elle s’engouffrait dans la maison.
Il prit sa place sur le rocking-chair, une main sur l’ordinateur, l’autre sur la tête de Duffy.
Dès la première ligne, il fut happé par le récit. Amy avait une écriture aussi belle que précise ; en la lisant, il eut
l’impression de repartir en expédition avec elle. Elle avait remarqué des détails qui lui avaient complètement échappé et en
avait fait les pièces maîtresses de son article.
Elle parlait bien entendu de leur ascension, mais aussi de ce qu’elle en avait personnellement retiré. Et elle n’avait pas
évoqué l’accident. Si son récit n’était pas assez haletant pour paraître dans les pages d’Aventures Extrêmes, il racontait
magnifiquement comment Amy avait triomphé de ses peurs.
Quand il eut achevé sa lecture, Mal se carra dans le fauteuil et ferma les yeux. Cet article ne fournirait jamais à Amy ce
qu’elle souhaitait vraiment. Mais, à voir ce qu’elle était parvenue à tirer d’une situation aussi simple, il savait que nul n’était
mieux placé qu’elle pour écrire l’histoire de sa famille.
Etait-il vraiment prêt à exposer sa mère et ses frères et sœur à la curiosité du public dans le seul but de voir Amy
réaliser son rêve ?
D’un autre côté, sa mère semblait penser qu’il était temps de régler leurs comptes avec le passé, et la série d’articles
qu’Amy se proposait de publier présentait certains avantages : en montant pareille expédition, il dominerait à son tour sa plus
grande peur — affronter l’Everest. Non que l’ascension en elle-même l’effraie : il était persuadé de parvenir sans trop de mal
jusqu’au sommet. Mais cette montagne avait tué son père. Serait-il capable d’en faire abstraction au moment critique ?
Parviendrait-il à chasser ce traumatisme de ses pensées et à se concentrer uniquement sur l’ascension ?
Il ne pouvait nier qu’une telle aventure leur ferait une publicité monstre. Le magazine comptait des centaines de milliers
d’abonnés qui verraient le nom des Quinn apparaître en couverture. Il avait entendu d’autres guides de l’agence évoquer la
portée médiatique d’une telle opération, qui leur vaudrait sans nul doute de voir les réservations augmenter de façon
spectaculaire.
Mais qui cherchait-il à tromper ? Il savait très bien l’avantage qu’il retirerait personnellement de cette série d’articles.
Un avantage qui n’avait rien à voir avec les affaires. Si Amy écrivait leur histoire, ils pourraient passer plus de temps
ensemble. Peut-être partirait-elle, comme prévu, mais elle reviendrait. Ils se téléphoneraient, et il irait peut-être la voir à New
York pour préparer avec elle l’expédition dans l’Himalaya.
Il ne lui promettrait pas de s’engager — l’existence qu’il menait ne se prêtait pas à une vie de famille, il en était
convaincu. Pourtant, à cet instant précis, il aurait tant voulu qu’on l’assure que sa relation avec Amy ne s’achèverait pas avec
son départ.
Mal se pencha pour déposer l’ordinateur sur le siège d’à côté, puis il se leva en calant ses béquilles sous ses aisselles.
Duff le suivit à l’intérieur de la maison, et ils se dirigèrent vers la cuisine. Amy était penchée au-dessus d’une casserole
fumante. Une délicieuse odeur d’oignon, d’ail et de saucisse embaumait la pièce.
Passant une main autour de sa taille, il l’embrassa sur la joue.
— Alors, que penses-tu de l’article ? lui demanda-t-elle.
— C’est incroyable, répondit-il. C’est tellement… personnel. Je ne pensais pas que tu te dévoilerais de cette façon.
— Moi non plus, avoua Amy. Mais écrire cette histoire a été libérateur. J’ai enfin réussi à surmonter mes complexes.
— Qu’entends-tu par là ?
Pensait-elle à quitter son travail ? A passer outre son ultime tentative de montrer à son père qu’elle était à la hauteur ?
— Je ne sais pas trop. Ce n’est pas encore très clair pour moi.
— Je ne suis pas sûr que ce récit convienne à Aventures Extrêmes, risqua Mal.
Amy hocha la tête.
— Je sais. Je m’en suis aperçue en l’écrivant. Mais je pourrais le vendre ailleurs. Je crois que c’est un texte important
pour comprendre comment on peut affronter ses peurs et prendre confiance en soi.
Mal hésita. Comment devait-il interpréter l’attitude d’Amy ? Avait-elle renoncé à écrire pour le magazine de son père ?
Il comprenait qu’elle veuille en finir avec ses démons personnels, mais il n’aurait jamais cru qu’elle renoncerait à ses
ambitions professionnelles. Dans ce cas, comment allait-il la retenir auprès de lui ?
— J’ai réfléchi, dit-il alors. On devrait peut-être reparler de cet article que tu tenais tellement à faire…
Il la vit se tendre imperceptiblement avant de se tourner vers lui, une cuiller de bois à la main.
— L’article sur ton père ?
— Oui. Il n’y a pas de mal à en rediscuter, n’est-ce pas ?
— Non, convint Amy. Non, pas du tout.
Après une pause, elle ajouta :
— J’ai trouvé un autre angle pour l’aborder. Il serait intéressant d’évoquer la disparition de ton père, mais aussi, en
parallèle, la façon dont cette tragédie a affecté tout son entourage vingt ans plus tard. Sa famille, ses amis, la communauté des
alpinistes. Ton père reste une légende, et cet article constituerait une sorte d’hommage. Nous pourrions également faire une
sorte de sondage pour savoir s’il convient ou non d’organiser cette expédition sur l’Everest. Tu sais, si tout le monde se
prononçait contre, ou pensait que ta famille doit seule prendre cette décision, Innis battrait sans doute en retraite.
— J’en ai parlé avec ma mère à l’hôpital, dit Mal. Je lui ai dit qu’avec mes frères nous pourrions faire une cérémonie
de commémoration là-haut. Et récupérer son dernier journal.
— Comment a-t-elle réagi ?
— Elle a dit que c’était à nous de voir. Elle ne nous a pas donné sa bénédiction à proprement parler, mais elle a dit
qu’elle n’essaierait pas de nous arrêter.
— Ça veut dire que tu vas y aller ?
Mal soupira.
— C’est beaucoup plus compliqué que ça, Amy. Il faut que j’en parle à mes frères, et que je calcule ce que cette
expédition impliquerait pour l’agence. En outre, je ne suis pas certain de vouloir le faire. Je ne sais pas quoi te répondre pour
l’instant. Ce que je sais, en revanche, c’est que je compte bien empêcher Roger Innis de mettre la main sur ce journal.
— Et comment vas-tu t’y prendre ?
— Je ne sais pas trop, mais avec l’aide de Rogan et Ryan je suis certain que nous trouverons un moyen.
— Je vous trouverai une place dans Aventures Extrêmes, affirma Amy. Je ne sais pas encore ce que j’écrirai, mais je
suis sûre que je trouverai quelque chose, et ils me le prendront.
— Tu es certaine qu’ils mordraient à l’hameçon si tu faisais un article sur cette expédition dans l’Everest ?
— Oui, évidemment.
— Cela intéresserait davantage de lecteurs.
— Et ce serait probablement repris par la plupart des médias. Tu serais sans doute invité à la télé. C’est du vécu, les
gens en raffolent.
Mal l’attira à lui et posa le menton sur le sommet de son crâne.
— Oui, j’y ai pensé. Je te fais confiance pour tourner ça bien.
— D’accord, mais il faut que j’aie l’exclusivité. J’ai consulté mes e-mails ce matin, et mon éditeur a mis un autre
journaliste sur le coup. C’est un amateur, je le connais : il va en faire un article racoleur au possible.
— Dana dit qu’un autre type d’Aventures Extrêmes a appelé l’agence. Je me demandais pourquoi. Tout s’explique…
Amy s’écarta pour le regarder dans les yeux.
— Que veux-tu faire ?
— Il faut que je réfléchisse.
— L’idée de l’article commémoratif te plaît-elle ? Parce que dans ce cas il me faudrait interviewer ta mère et ta sœur
avant de partir.
— Je pense que nous pourrions aller voir maman demain. Si elle accepte, Dana ne refusera pas. Rogan et Ryan non plus.
— Parfait, dit Amy. On prévoit cela pour demain, alors.
Tout en retournant à ses préparatifs culinaires, elle lui lança :
— J’ai acheté une bouteille de vin. Tu veux bien l’ouvrir, nous servir un verre et aller t’asseoir dans le salon ? J’arrive
tout de suite.
Mal fouilla dans les tiroirs pour trouver le tire-bouchon, puis il ouvrit la bouteille. Il fit ensuite plusieurs allers-retours
pour tout apporter dans le salon, avant de se laisser tomber sur le canapé.
Il remplit les deux verres puis goûta le pinot australien. Il passait en compagnie d’Amy une soirée merveilleuse. C’était
un régal de la regarder cuisiner tout en buvant son verre de vin. La vie pouvait donc être ainsi, aussi douce et aussi excitante à
la fois ?
Il pouvait la convaincre de ne pas partir. Il ne lui restait qu’à se persuader lui-même que c’était ce qu’il voulait
vraiment. L’aimait-il ? Pouvait-il lui offrir la vie dont elle rêvait ? Ou n’était-ce que son égoïsme qui parlait, au mépris des
désirs d’Amy ?

* * *

Amy remuait lentement la sauce tomate dans la casserole, l’esprit ailleurs. L’idée d’écrire un tout autre récit que celui
qu’elle était venue chercher ici la troublait. Mal était-il vraiment prêt à offrir sa vie en pâture aux médias ? Elle avait la
sensation diffuse qu’il faisait cela uniquement pour elle. Mais pourquoi ?
L’affection qu’il éprouvait envers elle était évidente, et elle était réciproque. Il ne se trompait pas en affirmant que
l’article qu’elle venait de lui faire lire ne paraîtrait jamais dans Aventures Extrêmes. Mais, si elle devait changer son fusil
d’épaule, ce serait à lui de convaincre sa famille de participer au nouveau projet puisque, cette fois, il concernerait tous les
Quinn. Mal avait affirmé qu’il lui faisait confiance sur la qualité du résultat.
Cette pensée la fit sourire. Ils étaient devenus si proches l’un de l’autre, et en si peu de temps. Même si ce projet ne
devait jamais aboutir, elle ne serait pas venue ici pour rien. Elle avait surmonté ses traumatismes d’enfance et s’en était
débarrassée. Son cœur et son âme étaient enfin en paix.
Perdue dans ses pensées, elle couvrit la casserole puis sortit le pain du four, le coupa et le disposa sur une assiette. Puis
elle tartina les tranches de tomates concassées et, enfin, sortit de sa poche une petite enveloppe de plastique qu’elle glissa sous
le pain.
De nouveau, elle sourit. Il ne leur restait que peu de temps ensemble, et elle entendait en tirer le meilleur parti. Elle
allait donc s’offrir à Mal en même temps que les amuse-bouches.
Elle déboutonna son corsage, exposant généreusement son décolleté. Puis elle retira l’élastique qui maintenait sa queue-
de-cheval en place et secoua la tête pour laisser ses cheveux cascader sur ses épaules. Côté parfum, elle sentait la viande
rôtie, mais Malcolm adorait cela.
D’un pas assuré, elle emporta les assiettes dans le salon. Mal, absorbé dans un jeu vidéo, leva à peine la tête quand elle
entra. Pourtant, à peine avait-elle pris place près de lui qu’il lâcha sa manette.
Elle lui tendit son assiette. Sur l’écran, un personnage explosa. Le jeu s’arrêta, et il baissa les yeux sur ses seins.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Des bruschettas. Du pain grillé frotté à l’ail et arrosé d’huile d’olive, couvert de tomate fraîche, de basilic et de
vinaigre balsamique.
— Il y avait du vinaigre balsamique dans la cuisine ?
Elle secoua la tête.
— Non, j’en ai acheté à l’épicerie.
— Tu es une perle, dit-il.
Il croqua dans le pain et laissa échapper un murmure appréciateur.
— Seigneur, c’est délicieux. Tu es un véritable cordon-bleu.
Il prit une deuxième bouchée en se léchant les lèvres.
— Je pourrais en manger toute la nuit.
Il s’empara d’une autre tartine et se figea en découvrant le préservatif emballé caché dessous.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Le dessert ? suggéra Amy.
Mal déglutit, un large sourire sur les lèvres.
— Et si je mangeais mon dessert avant le plat de résistance ?
— Ce serait très mal. Il n’y a que les vilains garçons pour faire une chose pareille.
Mal posa le plat mais garda le préservatif à la main.
— Je suis un vilain garçon. Très, très vilain. C’est toi qui vas me faire manger mon dessert ?
Amy se leva lentement et vint s’asseoir à califourchon sur ses genoux, le clouant sur le canapé. Avec le lourd plâtre qui
immobilisait sa jambe, ils avaient découvert qu’ils faisaient mieux l’amour si elle était au-dessus de lui.
Le regard de Mal s’arrêta sur l’échancrure de son corsage.
— Tu ne portes pas de soutien-gorge ?
— Je n’en ai pas mis de toute la journée, répondit-elle en retroussant sa jupe sur ses cuisses.
Elle se pencha pour ouvrir la fermeture de son jean. Mal souleva les hanches, et elle le fit glisser le long de ses jambes.
Son excitation était déjà visible. Amy commença à le caresser doucement. Mal ferma les yeux et rejeta la tête en arrière.
— Excellent programme, murmura-t-il. Dîner et exercices de musculation…
Sans un mot, Amy glissa le préservatif sur son sexe tendu. Puis, lentement, elle se laissa descendre sur lui, centimètre
par centimètre, jusqu’à ce que Mal soit enfoui au plus profond d’elle. Alors, il lui attrapa les hanches et l’empêcha de bouger
pendant un long moment, comme s’il luttait pour ne pas perdre son sang-froid.
Chaque fois qu’ils faisaient l’amour, c’était encore meilleur que la fois précédente. Comment cela était-il possible ? Et
comment pouvait-on se lasser du sexe alors qu’il y avait tant de possibilités d’exploration ? Cela dit, jusqu’à ce qu’elle
rencontre Mal, cela ne l’avait jamais vraiment intéressée.
A vrai dire, il lui donnait l’impression d’être la seule personne au monde capable de le satisfaire. Elle avait à peine
accordé une pensée aux autres femmes qu’il avait connues avant elle. Elles n’avaient pas d’importance. L’essentiel, c’était eux,
et cette intense connexion qu’ils partageaient.
Mal relâcha son étreinte sur ses hanches, et Amy se mit instinctivement à bouger. Un à un, il défit les boutons de son
corsage pour pouvoir lui caresser les seins. D’un coup d’épaule, elle se débarrassa du vêtement.
Alors, il se mit à agacer de la langue les pointes de ses seins puis les prit dans sa bouche, les aspirant doucement. Amy
le regardait faire, les yeux mi-clos, savourant la multitude de sensations qui parcouraient son corps.
Elle avait appris à s’abandonner, à se laisser emporter au gré de son plaisir. Les yeux fermés, elle se concentra sur les
mouvements du sexe de Mal en elle, sur le frottement délicieux qui l’emportait, lentement mais sûrement, vers l’orgasme.
Le mouvement de ses hanches s’accéléra, et bientôt son corps éperdu de plaisir fourmilla de plus belle. Alors, elle
saisit le visage de Mal entre ses mains, et se pencha pour l’embrasser avec avidité.
Elle était au bord de l’orgasme, mais Mal ralentit ses mouvements. Il voulait encore attendre, elle le savait. Mais pour
elle il était trop tard, elle sentait déjà la vague enfler en elle — le plaisir la submerger.
Arrachant les mains de Mal de ses hanches, elle les plaqua sur le canapé, de chaque côté de sa tête, puis elle se pencha
pour le sentir la pénétrer encore plus profondément. Incapable de résister plus longtemps à sa volonté, il s’abandonna à son
tour.
L’orgasme la secoua aussi violemment qu’un séisme. De violents frissons parcoururent son corps, lui coupant le souffle,
tandis que les battements désordonnés de son cœur résonnaient à ses oreilles. Quand les spasmes s’apaisèrent enfin, Amy, ivre
de plaisir, s’effondra sur Mal, la tête enfouie au creux de son épaule.
Il la serra contre lui en lui caressant le dos. Puis, d’un ultime coup de reins, il s’enfonça davantage en elle pour
s’abandonner à son tour à l’extase. Amy sourit. Cet homme savait se maîtriser — il faisait toujours passer le plaisir qu’il lui
donnait avant le sien propre.
— Je crois vraiment que tu es le meilleur amant que j’aie jamais eu, dit-elle avec un soupir de contentement.
— Tu en as eu beaucoup ?
— Pas tellement, répondit-elle en se redressant. Et toi ?
— Je ne me souviens pas. A l’instant où je t’ai vue, toutes les autres femmes ont disparu.
Elle éclata de rire.
— C’est joliment dit ! Sauf que tu n’as pas répondu à ma question.
— J’ai eu beaucoup moins d’amantes que tu pourrais le croire, dit-il. Comme je ne mélange pas le travail et le plaisir, et
que je passe mon temps à travailler, ça laisse peu de place pour les femmes.
— Très bien, cette réponse me convient.
— Et ces femmes n’étaient en rien comparables à toi. Avec elles, il n’y avait que le sexe. Aucune… connexion.
Amy lui ébouriffa les cheveux. Qu’entendait-il par connexion ? Faisait-il référence à leurs affinités physiques ou
sentimentales ? Depuis le début, elle savait que Malcolm Quinn n’était pas le genre d’homme à se laisser aller aux sentiments.
Cela avait-il changé ?
C’était tout le problème avec les hommes comme lui. Impossible de deviner ce qu’ils pensaient vraiment : ils se
servaient de leur charme pour laisser croire aux femmes que derrière leur désir se cachait autre chose de plus profond — de
l’amour.
Mais elle se garderait bien de faire ce pari avec un homme aussi expérimenté que Mal l’était avec les femmes. Elle ne
lui ferait aucune déclaration, pas avant de l’avoir entendu lui déclarer qu’il était follement amoureux d’elle. Elle était certaine
qu’il éprouvait quelque chose pour elle, mais lui avouerait-il ses sentiments avant son départ ? Ou passerait-elle sa vie à se
demander si elle n’était pas partie trop tôt ?
La voix de Mal, encore rauque de plaisir, la tira de ses pensées.
— Ta présence est tellement envoûtante que tu serais capable de faire mourir un homme de faim.
— Tu as faim ?
— Uniquement de nourriture. Pour le reste, mes appétits ont été amplement satisfaits.
— Je suis douée pour ça, dit Amy avec un sourire malicieux.
— Tu es douée pour tout ce que tu fais.
Elle était heureuse de savoir qu’une personne au moins l’appréciait pour ce qu’elle était. Malcolm Quinn était un homme
dont elle pourrait facilement tomber amoureuse. Mais, tant qu’il n’aurait pas admis que lui aussi pouvait l’aimer, elle ne le lui
avouerait pas — elle avait trop peur de souffrir.

* * *

Ils partirent tôt le lendemain matin, à peine le soleil levé.


Mal avait décidé qu’ils allaient profiter au mieux de leur dernière nuit complète, ainsi que de la journée qui suivrait,
avant de l’amener à l’aéroport. Ils avaient déjà rendu la voiture de location d’Amy.
Il ne savait toujours pas s’il allait lui demander de rester, mais, à mesure que le temps qui leur était imparti s’écoulait, il
prenait conscience qu’il lui fallait prendre une décision, ou risquer de perdre Amy à tout jamais. Peut-être valait-il mieux une
rupture claire et nette, après tout. Son père avait été absent de sa vie et, avec lui, elle aurait un mari parti les trois quarts de
l’année. Amy méritait mieux.
D’un autre côté, il pouvait sans doute faire quelques concessions sur le plan professionnel. Ses deux frères n’avaient
aucune attache, il pourrait leur transférer une partie de sa charge de travail. Et les guides qu’ils avaient recrutés étaient
parfaitement capables de mener une expédition. S’il était à la maison plus souvent, il pourrait se concentrer sur le marketing et
les ventes afin d’accroître leur clientèle et de rendre l’entreprise plus rentable.
Ne s’était-il pas toujours demandé s’il ne se dispersait pas à vouloir tout gérer en même temps ? Cet accident était peut-
être arrivé à point pour qu’il commence à réfléchir à ses priorités. Oui, c’était sans doute un signe du destin.
Il jeta un regard furtif vers Amy dont les cheveux clairs volaient dans le vent. Elle avait dû prendre le volant, car il ne
pouvait conduire plus d’une demi-heure sans que sa jambe plâtrée ne soit prise de crampes.
— Tu ne me demandes pas où nous allons ?
Elle haussa les épaules, les yeux rivés sur la route.
— Je me suis dit que c’était une surprise. Et j’adore quand tu me fais des surprises.

* * *

Ils s’arrêtèrent dans un café sur le bord de la route d’Auckland, et Amy dévora son petit déjeuner. Sans qu’elle sache
très bien pourquoi, Mal l’avait prévenue qu’elle devait manger léger, mais comment résister à l’attrait des crêpes fourrées aux
fraises et à la chantilly ?
Une heure plus tard, ils quittèrent l’autoroute pour entrer dans Auckland. En voyant le panneau, Amy sourit.
— Nous allons voir ta mère ?
— Oui, dit Mal. Elle a accepté de te parler avant ton départ. Mais, avant, nous avons autre chose à faire.
Il lui indiqua le chemin, et ils se dirigèrent vers le port, puis entrèrent dans un parking où il lui demanda de se garer.
C’est alors qu’elle remarqua un écriteau.
— Je connais cet endroit. Le magazine a fait un reportage dessus il y a quelques années. C’est un haut lieu du saut à
l’élastique, non ?
— Exactement, confirma Mal. C’est l’heure de la grande épreuve. Je sais que tu n’aimes pas l’altitude, mais tu as déjà
surmonté une grande partie de tes peurs lors de notre petite équipée, alors je me suis dit que si tu faisais ce saut tu n’aurais
plus rien à prouver à personne.
Lors de l’ascension du mont French, il avait été à ses côtés pour l’aider. A présent, elle était seule. Il ne pourrait pas lui
tenir la main ni la forcer à sauter.
— Il est immense, ce pont, remarqua-t-elle, un peu nerveuse.
— Oui, dit Mal. Pour la petite histoire, les premiers sauts à l’élastique ont été ouverts à la clientèle en Nouvelle-
Zélande, ici même, à Auckland, par A. J. Hackett. C’était un ami de mon père. Ce site est à lui. Tu ne peux pas venir en
Nouvelle-Zélande sans faire le grand saut !
— Et j’imagine que tu vas te défiler à cause de ta cheville cassée ?
— Je crains que oui. Mais je vais t’accompagner jusqu’à la plate-forme.
— Et si je ne veux pas sauter ?
— C’est toi qui vois. Mais je crois que tu vas adorer. Et tu n’as pas mangé tant que ça, l’élastique devrait tenir.
Elle lui décocha un coup de poing dans l’épaule.
— Si tu crois que ça va m’inciter à sauter, ne te donne pas cette peine, dit-elle.
Puis, inspirant un grand coup, elle ajouta :
— Je vais le faire.
Mal se rendit compte qu’il avait retenu son souffle en attendant la réponse d’Amy. Pourquoi ? Pourquoi, soudain, était-il
si important pour lui qu’elle fasse ce saut ? Peut-être espérait-il que, en expérimentant le grand frisson, elle comprendrait qu’il
ne souhaite pas renoncer à sa vie aventureuse pour une existence plus rangée. Etait-ce cela ?
— Il faut que tu ailles toucher l’eau, lui conseilla-t-il. C’est ce qu’il y a de plus amusant.
— Mais je vais me mouiller les cheveux !
— C’est tout l’intérêt, insista-t-il.
— Je vais ressembler à un rat mouillé, j’aurai belle figure pour aller voir ta mère !
Il lui vola un baiser.
— Cheveux mouillés ou pas, tu seras belle de toute façon.
— Des compliments, maintenant ? Tu es sûr que tu ne veux pas user de tes charmes pour me déshabiller plutôt que pour
me faire sauter du haut d’un pont ?
Mal ouvrit la portière.
— Allons-y.
Ils se dirigèrent vers les bureaux. En dépit de ses béquilles, Malcolm ouvrait la marche. En reconnaissant deux des
instructeurs, il les salua d’un signe, et ils s’approchèrent pour lui serrer la main.
— Salut, Jerry, salut, Sam. Comment allez-vous ?
— Qu’est-il arrivé à ta jambe ?
— Cassée. Un faux pas lors d’une ascension, il y a quelques jours. Je serai sur pied d’ici six semaines, normalement.
Puis, se tournant vers Amy.
— Amy, je te présente Sam Belling et Jerry Warner. Ils ont travaillé comme guides lors de certaines de nos randonnées
dans l’arrière-pays. Ce sont eux qui vont te pousser du pont.
— Non, pas du tout ! s’écrièrent-ils de concert. Nous ne poussons jamais les clients. Nous les amadouons, c’est tout.
— Heureuse de l’entendre, dit Amy. Alors, quelle est la marche à suivre, qu’on en finisse.
— Venez avec moi, dit Jerry. Je vais vous inscrire.
— Tiens, dit Mal en lui tendant sa carte bancaire. Prends-moi un ticket, je veux la voir sauter.
Amy et Jerry s’éloignèrent.
— Américaine ? demanda Sam.
— Oui, de New York. Elle travaille pour Aventures Extrêmes.
— Sérieusement ? J’adore cette revue. On était dedans, l’année dernière. Ils ont fait tout un dossier sur le saut à
l’élastique en Nouvelle-Zélande, et ça nous a ramené tout un tas de touristes américains.
Avec un regard vers la jambe de Mal, il ajouta :
— Normalement, dans ton état, on ne devrait pas te laisser monter sur la passerelle, mais comme tu es un vieil ami du
propriétaire ça ira. Fais quand même attention de ne pas trébucher, tu risquerais de finir dans l’eau.
— Le rocher a glissé, protesta Mal.
— C’est ça, oui. Moi aussi je m’emmêlerais les pinceaux si je marchais derrière un aussi joli petit lot.
Mal chercha Amy du regard. Au comptoir du bureau, elle semblait nerveuse. Jerry lui tendit un casque qu’elle accepta
avec une expression déroutée. Ensuite, elle s’équipa du harnais avant de rejoindre quatre autres clients rassemblés en demi-
cercle pour écouter les recommandations de l’instructeur.
Une fois les sauteurs équipés, ils montèrent tour à tour sur une balance afin que soit déterminée pour chacun la tension
de l’élastique. Puis ils grimpèrent sur la passerelle qui menait au milieu du pont.
— Allons-y, dit Sam. Je ne veux pas manquer les cris et les pleurs.
— Tu crois qu’elle va sauter ? demanda Mal.
— Bien sûr qu’elle va sauter. Je parlais de toi.
Ils suivirent le groupe sur la passerelle, jusqu’au point de saut. Là, les instructeurs accrochèrent les élastiques aux
sauteurs et vérifièrent leur harnachement.
— C’est bon, dit Jerry. Qui se lance ?
— Moi, dit Amy en levant la main.
— D’accord, dit Sam avec un clin d’œil à Mal. Avancez jusqu’au bout. Vous voulez plonger dans l’eau, ou vous
préférez ne pas vous mouiller ?
— Je choisis le grand jeu, déclara Amy.
— C’est-à-dire ?
— Je me mouille.
Mal se rapprocha d’Amy.
— Tu es sûre de vouloir le faire ?
— Absolument.
Mal sourit et leva le pouce pour l’encourager. Elle lui adressa un dernier regard nerveux en montant sur la plate-forme
de saut, puis elle baissa les yeux en direction de l’eau, à quarante mètres sous elle. Alors, elle prit une grande inspiration,
ferma les yeux, écarta les bras et se laissa tomber en avant.
Mal la regarda chuter vers l’eau. Malgré la vitesse de sa chute, on aurait dit une plume flottant dans le vent. Elle heurta
la surface et rebondit aussitôt, puis chuta de nouveau. Il l’entendait crier. Etait-ce de peur ou d’euphorie ?
A son grand soulagement, quand ils la hissèrent sur la plate-forme, elle riait aux éclats. A peine débarrassée de son
harnais, elle se précipita dans ses bras.
— C’était fantastique, j’avais l’impression de voler. Tu crois que je peux recommencer ?
Mal lui prit le menton et l’embrassa. Elle l’enlaça avec ferveur, et pendant quelques instants le monde disparut autour
d’eux. Il aurait voulu ne plus jamais la lâcher. A vrai dire, il ignorait s’il pourrait la laisser partir, le moment venu. Ce soir, il
lui demanderait de rester, au moins jusqu’à la guérison de sa cheville. Ensuite, il devrait retourner à sa vie d’aventurier, et
Amy méritait mieux que cela. Mais, dans l’intervalle, il était prêt à lui offrir quelques mois de sa vie.
Chapitre 9

La sonnerie du téléphone arracha Amy d’un sommeil profond, et pendant un instant elle se demanda où elle était.
Eblouie par la lumière provenant de la fenêtre, elle se frotta les yeux. Une voix retentit dans son dos.
— Tu veux répondre, ou préfères-tu que je m’en occupe ?
Elle sourit. Mal. Ils étaient dans un hôtel d’Auckland. Elle avait décidé de dépenser le reste de ses économies dans une
chambre de luxe du Skycity Grand en plein centre-ville.
Après son saut à l’élastique, ils avaient déjeuné avec Lydie Quinn. Pendant près d’une heure, elle avait pu discuter avec
la mère de Mal et, quand ils étaient partis, elle avait une idée assez précise de la manière dont elle allait élaborer un récit qui
conviendrait à Lydie et à sa famille. Elle était plus déterminée que jamais à leur proposer d’écrire une biographie. Max Quinn
avait mené une vie riche et haute en couleur qui méritait d’être connue du grand public.
Après avoir quitté l’appartement ils s’étaient directement rendus à l’hôtel. Là, ils s’étaient lancés dans de longs ébats,
n’émergeant de la chambre qu’à l’heure du dîner, qu’ils avaient pris au restaurant avant de regagner leur chambre.
— Tu veux que je réponde ? répéta Mal.
— Je n’ai pas demandé qu’on nous réveille. Et personne ne sait que nous sommes là.
Avec un soupir, Mal se hissa au-dessus d’elle pour attraper le téléphone.
— Allô ?
Il prononça quelques mots, puis tendit l’appareil à Amy.
— C’est ton père.
— Qui ?
— Ton père. Il veut te parler.
— Non, protesta-t-elle en repoussant Mal pour sortir du lit.
Elle enfila rapidement l’un des peignoirs fournis par l’hôtel.
— Non, je ne veux pas lui parler.
Mal haussa les épaules et porta de nouveau le combiné à son oreille.
— Je suis désolé, elle ne veut pas vous parler. Non, je lui ai bien dit que c’était vous… Oui. C’est à vous de voir. Qui
je suis ? Un ami. Un ami très proche… d’accord. Au revoir, alors.
Mal raccrocha et se laissa retomber sur les oreillers.
— Ça confirme l’idée que j’avais de lui : c’est un crétin.
— Que voulait-il ? demanda Amy. Et comment a-t-il su que j’étais là ?
— Il a juste dit qu’il voulait te parler. Et je crains qu’il ne t’ait repérée avec ta carte de crédit. Tu t’en es servi pour
payer la chambre ?
Amy se maudit. Quelle idiote ! Il ne s’agissait pas de sa carte de crédit, mais de celle que sa mère lui avait donnée… et
dont son père payait probablement les cotisations.
— Oui. Mais pourquoi cherche-t-il à me joindre jusqu’ici ?
Mal attrapa le téléphone et le lui tendit.
— Appelle-le et demande-lui.
Elle lui arracha l’appareil des mains et le reposa violemment sur son combiné.
— Non. Je n’ai rien à lui dire.
Pour la première fois de sa vie, elle se fichait de ce que son père avait à lui dire, ou de ce qu’il pensait. Elle était
comme libérée d’un grand poids : elle n’avait pas besoin de lui plaire, ou de lui prouver sa valeur. Elle était une femme forte,
intelligente et généreuse, et s’il n’était pas capable de le comprendre tant pis pour lui.
En revanche, il y avait un homme qui le comprenait très bien, et il était allongé près d’elle dans ce lit. Amy se passa les
mains dans les cheveux et inspira un grand coup. Soudain, une idée la frappa.
— Mon Dieu, et s’il est arrivé quelque chose à ma mère ? Il a dit que c’était urgent ?
— Non, répondit Mal en se redressant sur ses coudes. Amy, s’il s’agissait d’une urgence, je suis sûr qu’il m’en aurait
parlé. Et puis, il t’aurait certainement laissé un message sur ton portable, non ?
— C’est un crétin, tu l’as dit toi-même. Il veut que je le rappelle ?
— Oui, il a dit qu’il serait au bureau pendant encore une heure.
— Quel bureau ? Il en a une vingtaine.
— Je crois qu’il a parlé de son bureau de Los Angeles.
Amy s’assit sur le bord du lit.
— Je me demande quelle heure il est à New York. Je devrais essayer de joindre ma mère. Si elle va bien, ça me
rassurera, et je pourrai oublier que mon père a appelé.
Mal fronça les sourcils.
— Je pense qu’il doit être environ 5 heures de l’après-midi à New York.
— Alors je vais appeler maman.
Elle s’empara du téléphone avant de se raviser et de le lui tendre.
— Comment fait-on pour appeler les Etats-Unis ?
Mal joignit la réception et demanda qu’ils composent le numéro pour Amy, puis il lui rendit le combiné. Soucieuse, elle
s’éloigna vers la partie salon de la chambre et s’assit sur le canapé en repliant les jambes sous elle. Soudain, la voix de sa
mère résonna dans le combiné.
— Maman ? C’est Amy… Non, je suis toujours en Nouvelle-Zélande. Je pars ce soir. Je voulais juste te dire que je
t’appellerai en arrivant à la maison. Tu m’as manqué… Oh ! tout s’est merveilleusement bien passé, j’ai fait des choses
fabuleuses. L’article ? Je te raconterai quand on se verra. Bon, il faut que j’y aille. Fais attention à toi. Je t’aime.
Elle raccrocha puis se laissa aller sur les coussins moelleux du canapé.
— Elle va très bien, annonça-t-elle. Et moi aussi, du coup. Si on commandait un petit déjeuner ? Il faut qu’on décide ce
qu’on va faire de notre journée.
— Je sais exactement ce que j’ai envie de faire, dit Mal. Je veux rester avec toi dans ce lit jusqu’à la dernière minute.
Amy traversa la pièce pour se réfugier sur le lit.
— Alors il va falloir commander un énorme petit déjeuner, parce que tu vas avoir besoin de forces.
Mal la tira sur le lit et roula sur elle. Là, il étouffa un juron : malgré le plâtre qui protégeait sa fracture, il souffrait
chaque fois qu’il faisait un faux mouvement.
— Fais attention, murmura Amy.
Plongeant son regard dans le sien, il répondit :
— Tu es bien placée pour parler de ça… Je te rappelle que tu as gravi une montagne, puis que tu l’as redescendue toute
seule pour me porter secours. Et que tu as sauté du haut d’un pont.
— Je crois que certaines choses ont changé dans ma vie, murmura-t-elle en fixant ses lèvres.
Elle se rapprocha pour embrasser sa bouche tiède.
— Oui, bien des choses ont changé, en effet.
— Tu vas me manquer, dit-elle dans un souffle.
— Pas forcément, rétorqua Mal en lui attrapant la taille. Tu peux toujours rester. D’ailleurs, je te demande de rester.
Sur le moment, Amy ne comprit pas. Que voulait-il dire ? Lui demandait-il de rester un peu plus longtemps, ou de rester
pour toujours ? Sa demande était vague, mais peut-être était-ce intentionnel. Et, dans ce cas, sans doute n’était-il pas certain
lui-même de ce qu’il voulait réellement.
Une myriade de réponses possibles se pressaient dans sa tête.
— Je… je ne sais pas, balbutia-t-elle, déconcertée. Je pense que nous pourrions en parler.
— Il n’y a pas à discuter, riposta Mal. J’ai dit que je voulais que tu restes. Et maintenant deux options s’offrent à toi :
oui ou non.
— Ce n’est pas si simple, protesta Amy.
— Bien sûr que si. C’est la simplicité même.
— Pourquoi veux-tu que je reste ?
— Parce que je ne veux pas que tu partes, répondit-il.
Amy secoua la tête, agacée. Faisait-il exprès de se montrer borné ou bien était-ce un jeu où il cherchait à lui faire
admettre en premier qu’elle l’aimait ?
— Laisse-moi te soumettre une hypothèse, dit-elle enfin.
Mal grogna et se couvrit le visage d’un oreiller.
— Oh non, pas une hypothèse ! Je me trompe tout le temps, avec ces trucs-là.
— Suppose, poursuivit Amy sans tenir compte de ses protestations, que nous soyons dans une chambre d’hôtel à New
York, que ton avion décolle dans huit heures, et que je te demande de rester — que dirais-tu ?
Il soupira.
— Tu as raison, ce n’est pas si simple. Mais je ne veux pas que ça s’arrête, nous deux. Et, si tu acceptes de rester, je
serai l’homme le plus heureux du monde. Si tu me dis que tu dois partir mais que nous nous reverrons bientôt, j’essaierai de
m’en contenter. Mais je ne veux pas que tu partes et que tu fasses une croix définitive sur nous.
— Je ne peux pas répondre comme ça, argua-t-elle. Donne-moi un peu de temps pour réfléchir, d’accord ?
— Bien sûr. Mais tu n’as que huit heures devant toi, alors fais vite.
Il lui décocha un sourire d’une telle douceur qu’Amy sentit son cœur se serrer. Il l’avait conquise, c’était l’homme le
plus merveilleux qu’elle ait jamais rencontré. Pourquoi était-il si difficile de dire oui ?
Elle connaissait la réponse à cette question : elle avait simplement besoin qu’il lui dise qu’il l’aimait. Ainsi, elle saurait
que sa proposition n’était pas uniquement motivée par le désir charnel.
Soit, sa résolution était prise : si Mal lui disait qu’il l’aimait avant son départ, elle resterait. Sinon, elle partirait. Rien
d’autre ne la ferait rester en Nouvelle-Zélande.
On frappa à la porte, et elle consulta Mal du regard.
— Tu attends de la visite ?
— Non, dit-il. C’est peut-être un petit déjeuner surprise ?
Elle alla ouvrir. Un employé de l’hôtel se tenait dans le couloir, une enveloppe à la main.
— Mademoiselle Engalls ? Ce message est arrivé pour vous il y a quelques instants. Il semble être urgent.
Amy lui prit l’enveloppe des mains.
— Merci, murmura-t-elle, confuse.
Elle referma la porte et revint près du lit.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Mal.
— Je ne sais pas.
S’asseyant au bout du lit, elle ouvrit l’enveloppe. Ses yeux coururent vers le bas de la feuille, et elle reconnut
immédiatement la signature : Richard Engalls. Son regard remonta au début de la page, et elle lut le contenu de la lettre.
Quand elle l’eut achevée, elle poussa un profond soupir. Elle aurait dû s’en douter : juste au moment où sa vie
commençait enfin à prendre forme, voilà qu’une nouvelle complication surgissait.
Son père lui offrait un marché : si elle obtenait l’accord des Quinn pour publier l’histoire de Maxwell, et qu’elle
convainquait ses fils d’organiser une expédition pour retrouver son corps, son père la nommerait rédactrice en chef du
magazine de son choix.
Hors d’elle, Amy roula la page en boule et la lança à travers la pièce manquant la corbeille à papier d’un bon mètre.
— Il faut que je prenne une douche, dit-elle en se levant. Tu veux bien commander le petit déjeuner ? J’ai une faim de
loup.

* * *

Mal entendait le bruit de la douche à travers la porte de la salle de bains. Assis au bord du lit, les yeux fixés sur la
boule de papier froissé au pied du mur en face, il se demandait s’il devait la ramasser pour lire le message qu’avait reçu Amy.
Mais ce n’étaient pas ses affaires.
Si elle voulait lui dévoiler le contenu de la lettre, elle le ferait. Vu sa réaction, elle ne devait pas contenir de bonnes
nouvelles.
Il se leva et traversa la pièce à cloche-pied pour aller chercher ses béquilles, puis il se dirigea vers la salle de bains. La
porte n’était pas verrouillée. Il la poussa et entra, puis alla s’appuyer contre le lavabo.
Quand Amy écarta le rideau de douche, elle sursauta en découvrant sa présence.
— Tu m’as fait peur !
— Que contenait ce message ?
Elle sortit de la baignoire, enfila son peignoir puis, sans même s’arrêter devant lui, attrapa une serviette sèche pour
essuyer ses cheveux.
— Ça n’a pas d’importance.
— Si ça te met dans cet état, c’est important pour moi, répondit-il en la suivant dans la chambre.
— Alors lis-le.
Elle se pencha, ramassa la boule de papier et la lui lança.
— C’est une proposition très intéressante, ajouta-t-elle.
Mal s’assit sur le lit, défroissa la feuille et lut lentement. Quand il eut fini, il leva la tête vers Amy. Elle avait les yeux
scintillants de larmes. A cette vue, il sentit son cœur se serrer.
— Comme je le disais, murmura-t-il, ton père est un crétin.
— Il aurait pu me récompenser pour mes cinq années de bons et loyaux services au sein de la revue, ou parce que je suis
une excellente journaliste. Au lieu de cela, il m’offre une promotion parce que tout à coup je peux lui servir à obtenir quelque
chose.
Se tournant face au miroir, elle se mit à se frotter les cheveux à l’aide de sa serviette, avec des gestes vifs dénotant sa
colère.
— C’est comme ça, avec lui. C’est toujours une question d’argent, jamais d’amour. Mon frère l’a saisi il y a des années.
Moi, ça m’a pris un peu plus longtemps, mais maintenant c’est fait : moi aussi, j’ai compris.
— Il est peut-être temps que tu cesses de te tourmenter avec ça, Amy, non ? Tu ne peux pas l’obliger à t’aimer comme tu
le mérites. C’est un sale type, et rien de ce que tu feras ne le transformera comme par magie en père idéal.
— Je sais, je sais. J’ai fini par accepter ses… défauts. A présent, je commence à comprendre qu’en travaillant pour ce
magazine j’espérais peut-être seulement qu’il finirait par reconnaître mes qualités. Mais maintenant, je n’en veux plus.
— De quoi ? De ton travail ?
— Non, de son approbation. J’aime mon travail, et je le fais bien. Je pense aussi que je suis capable d’écrire de très
bons articles. Alors il est peut-être temps que je prenne l’initiative de réclamer moi-même ma promotion, par la voie
hiérarchique habituelle.
— Et si ça ne marche pas ?
— Je démissionnerai. J’ai gravi une montagne et sauté du haut d’un pont, bon sang ! Je dois bien être capable de me
trouver un nouveau boulot.
— Mais si tu n’y arrives pas ? insista Mal. Si devenir éditrice est vraiment ce que tu veux, tu devrais peut-être accepter
l’offre de ton père, non ?
Elle éclata d’un rire amer.
— Et comment veux-tu que je lui obtienne cet article ?
Mal eut un geste évasif.
— Je dois pouvoir convaincre mes frères de participer à cette expédition. Aucun d’entre nous n’a jamais gravi
l’Everest. Nous pourrions aller récupérer le journal et offrir à mon père cette petite cérémonie commémorative dont je t’ai
parlé. Si c’est ton père qui finance le tout, pourquoi ne pas essayer ?
— Non. Il va tout ramener à lui. Il va faire de cette histoire un cirque médiatique où tout tournera autour de lui. Et tu
n’auras aucune maîtrise de ce qui arrivera. Ce serait… inconvenant.
— Mais tu réaliserais ton rêve, objecta Mal.
— A quel prix ? En faisant du mal à ta mère ? En vous mettant, toi et tes frères, dans une position embarrassante ? Pas
question.
D’un geste rageur, elle lui arracha le message des mains, et en fit de nouveau une boule.
— Oublie tout ça.
— Ce serait toujours mieux que si Roger Innis s’emparait de l’affaire, insista Mal. Nous n’avons pas les moyens
d’arrêter Innis. Il va escalader l’Everest, récupérer exactement ce qu’il veut, et se donner des allures de héros. Et personne ne
se demandera quelles sont ses véritables motivations. Au moins, ton père ne se cache pas de vouloir tirer la couverture
médiatique à lui.
— Non, dit Amy, butée. Je ne lui ferai pas ce plaisir. Je ne veux pas de cet article. Et toi non plus.
Elle se débarrassa de la serviette et vint s’asseoir près de lui. Puis elle lui saisit la main et entrelaça ses doigts aux
siens.
— Je ne veux pas passer le reste de la journée à discuter de ça. Je veux juste garder le souvenir de tout le plaisir que
nous avons partagé. Et j’en veux encore un peu. Ensuite, je verserai quelques larmes et je te dirai au revoir.
Mal eut l’impression de recevoir un coup de poing. Voilà, c’était dit : elle n’avait pas l’intention de rester. Elle n’avait
pas de raison de rester, maintenant qu’elle avait renoncé à écrire son article. Il inspira longuement. Finalement, leur relation
n’était qu’une brève aventure. Une aventure merveilleuse, certes, mais avec un début et, surtout, une fin. N’était-ce pas ce qu’il
souhaitait depuis le départ ?
— D’accord, dit-il enfin. Que veux-tu faire ?
— C’est vous le guide, monsieur Quinn. Je te laisse décider. Il faut que nous libérions la chambre à 11 heures.
— A cause de ce maudit plâtre, nous allons devoir nous cantonner à des activités calmes. Rester assis, peut-être ? Et
manger ? Nous pourrions nous trouver un bon café et y prendre le petit déjeuner en discutant de tout ce que nous ne nous
sommes pas encore dit. Ensuite, nous irons déjeuner autour d’une bouteille de vin, et nous parlerons encore. Et pour finir nous
pourrions dîner ? Je connais un excellent restaurant au bord de l’eau.
Amy hocha la tête.
— Nous allons passer la journée à manger ? Voilà une très bonne idée.
Mal était d’accord. C’était toujours mieux que de passer la journée au lit en pensant que c’était la dernière fois qu’il la
touchait.
— A quelle heure part ton avion ?
— A 9 heures et demie. Mais il faut que je sois à l’aéroport à 7 heures.
— Il nous reste donc dix heures. Je vais me doucher me raser et m’habiller, et puis nous partirons. Nous laisserons nos
bagages ici. Je vais garder la chambre pour cette nuit et je rentrerai demain à la maison. Je pense qu’après ton départ j’aurai
besoin de quelques verres.
— On commence par le petit déjeuner, ou par ta douche ?
— Ça dépend. Tu me rejoins sous la douche ?
— Je suis propre, moi, objecta-t-elle.
— Mais j’ai une cheville cassée et j’ai besoin de quelqu’un pour me laver le dos et les cheveux. Quand j’étais à
l’hôpital, j’avais une infirmière coquine qui s’occupait très bien de moi. Elle savait exactement comment soulager mes
douleurs.
— Cette cheville est un bon prétexte pour satisfaire tous tes caprices, je trouve !
Mal lui caressa le cou, puis fit glisser sa main sous son peignoir pour en écarter doucement les pans, et dévoiler la peau
douce de sa poitrine. Il déposa un baiser entre ses seins.
— J’adore la façon dont tu t’occupes de moi, c’est tout, dit-il.
— C’est peut-être à toi de t’occuper de moi, répondit Amy.
Elle se leva et vint se pencher au-dessus de lui, les mains sur ses épaules. Mal l’attira contre lui, heureux de lui avoir
changé les idées. Que Richard Engalls aille au diable, ainsi que tous les pères qui n’arrivaient pas à montrer leur amour à leur
fille. Amy méritait mieux des hommes qui traversaient sa vie. Et, puisqu’il avait la chance d’être l’un d’entre eux, il lui
montrerait combien elle était merveilleuse jour après jour, jusqu’à la fin de sa vie. Sauf qu’il ne serait pas dans sa vie, hélas,
mais au sommet d’un glacier ou d’une montagne, en compagnie de parfaits inconnus.

* * *

Blottie contre le corps nu de Mal, Amy caressait doucement son large torse. Lentement, elle s’emplit les poumons de son
odeur, elle aurait voulu l’apprendre par cœur. Comment allait-elle vivre sans tout cela ? En moins de deux semaines, elle était
devenue une sorte de déesse du sexe, et Malcolm Quinn avait été son professeur.
Trouverait-elle jamais un autre homme capable de la satisfaire physiquement autant que Mal ? Et s’il n’y avait que le
sexe. Mais Mal et elle semblaient en accord sur tout.
Si on lui avait dit que ce voyage lui offrirait une aventure passionnée avec le sujet de son article, elle aurait éclaté de
rire. Qu’est-ce qu’un homme comme Malcolm Quinn pouvait bien trouver à une femme comme elle ? Pourtant, il lui avait
montré que la séduction ne se réduisait pas à un corps de rêve. L’attirance physique était une question d’alchimie. Deux
éléments stables qui, en se combinant, devenaient volatils. Explosifs.
— J’entends les rouages de ton cerveau grincer, dit Mal.
— Quelle heure est-il ?
— Nous devons partir dans une heure.
Amy se redressa et chassa une mèche de ses yeux.
— Je ferais sans doute mieux de prendre un taxi. Comme ça, je pourrai te dire au revoir ici. Ça m’évitera de pleurer ou
de m’effondrer devant tout le monde.
Pourvu qu’il accepte ! Ce départ lui brisait le cœur, elle ne voulait pas en rajouter.
— D’accord, murmura-t-il. Si c’est ce que tu veux, qu’il en soit ainsi.
— Merci.
— Je t’en prie.
Il l’attira contre lui, la prit par les épaules et se mit à jouer avec une mèche de ses cheveux.
— Alors, y a-t-il encore des choses que tu ne m’aies pas dites sur toi ? Je pense qu’on devrait profiter de l’heure qui
nous reste pour entrer dans certains détails. Tiens, parle-moi de ton premier baiser.
— Oh ! non… Tu veux vraiment me faire dire à quel point j’étais ringarde, à l’époque ?
— Réponds.
— C’était au bal de fin d’études, au lycée. Avec Gordy Ross. Il était grand, maigre, et il avait une petite moustache, on
aurait dit qu’il s’était collé une chenille sous le nez. Quand il m’a embrassée, ça chatouillait, et je me suis mise à rire. Ça l’a
mis en colère, et il m’a ramenée chez moi.
— Aïe.
— A ton tour. C’était comment ta première fois ?
— J’avais seize ans, elle en avait dix-huit. J’étais persuadé de tout connaître sur le sexe. Il s’est avéré qu’elle en savait
beaucoup plus que moi, et je suis reparti avec une bonne idée de ce qu’une fille était capable de faire avec sa langue.
— Tiens donc ! Tu devrais me donner son nom pour que je la remercie d’avoir fait de toi un si bon élève.
Elle se lova plus étroitement contre Mal, posa la tête sur son torse, puis demanda :
— Nous ne nous connaissons pas si bien que ça, n’est-ce pas ?
— Non, en effet.
— Je crois que c’est aussi bien que notre histoire s’achève maintenant. Comme ça, nous n’aurons pas le temps de nous
lasser l’un de l’autre.
— C’est vrai.
Il s’ensuivit un long silence pendant lequel Amy se concentra sur le battement solide et régulier du cœur de Mal. Si
seulement ce cœur pouvait parler ! Que ressentait Mal ? Eprouvait-il autre chose que de l’affection pour elle ?
Elle se sentait le courage de le lui demander ouvertement. En revanche, elle ne supporterait sans doute pas qu’il réponde
par la négative. Ils avaient passé de merveilleux moments, tous les deux — elle se souviendrait toute sa vie de ces deux
semaines ensemble. Malcolm Quinn deviendrait un modèle auquel elle comparerait tous les hommes qu’elle rencontrerait
désormais, elle le savait.
Il n’était pas question que ces souvenirs soient entachés de chagrin et d’humiliation. Oui, elle préférait encore partir que
prendre ce risque. Son père lui en avait déjà fait assez voir, de ce côté. Elle n’avait jamais été capable de se faire aimer de lui,
et c’était sans doute la même chose avec Mal. Sinon, il lui aurait déjà dit qu’il l’aimait.
Alors pourquoi avait-elle si envie de prendre ce dernier risque ? L’idée la fit gémir intérieurement. Elle n’était pas
certaine d’avoir ce courage, après tout. C’était une chose que de faire bonne figure devant Mal, mais, au fond, elle restait la
petite fille rejetée qu’elle avait toujours été face à son père. Se débarrasserait-elle jamais de ce fardeau ?
— Je devrais faire mes bagages, dit-elle brusquement. Il faut que je retrouve mon billet d’avion et mon passeport.
Elle se dégagea de l’étreinte de Mal et sortit du lit. Puis elle enfila son peignoir et entreprit de rassembler ses affaires
éparpillées dans la chambre.
La plupart de ses vêtements étaient déjà rangés dans sa grande valise. Elle ouvrit son sac de voyage pour en réorganiser
le contenu.
— Tu prends quelle compagnie ? demanda Mal.
— Air New Zealand jusqu’à Los Angeles, puis United jusqu’à Newark, je crois.
— Où est Newark ?
— Dans le New Jersey. C’était le vol le moins cher que j’aie trouvé. Je me suis dit que, si je n’arrivais pas à obtenir cet
article, au moins ça ne me coûterait pas toutes mes économies.
— Je t’ai dit que nous pouvions essayer de le faire, cet article.
— Non, ça n’a plus d’importance. Et pour être honnête, maintenant que j’ai rencontré ta mère, je n’ai plus envie de lui
faire traverser cette épreuve. C’était une mauvaise idée depuis le début.
— Que vas-tu faire en rentrant chez toi ? s'enquit-il.
— Je vais chercher quelqu’un pour acheter le récit de notre expédition. Je suis sûre que je trouverai un magazine que ça
intéressera. Peut-être même la revue d’une compagnie aérienne. Ils paient bien.
— S’il est publié, envoie-moi un exemplaire.
Amy hocha la tête.
— D’accord.
Elle se débarrassa de son peignoir pour mettre les sous-vêtements roses qu’elle avait achetés pendant que Mal était à
l’hôpital. Puis elle enfila une confortable robe en coton par-dessus.
— C’est joli, commenta Mal. Je ne t’avais jamais vue avec ça.
— C’est ma robe de voyage. Elle est extensible, et la jupe est assez longue pour garder mes jambes au chaud.
— J’aurais dû te donner la polaire que tu portais pendant notre randonnée. C’est en général ce que je mets en avion.
Le cœur serré, Amy vint s’asseoir près de Mal et lui passa une main sur le front.
— Tu vas réussir à rentrer chez toi avec ce plâtre ?
— Je peux conduire. Il faudra juste que je m’arrête régulièrement pour reposer ma jambe.
— Très bien.
— Je vais descendre avec toi, déclara-t-il. Je veux être sûr que tu pars dans de bonnes conditions. Je t’ai accompagnée
au sommet d’une montagne, je peux bien t’escorter jusqu’à un taxi.
— Tu n’es pas obligé.
— Mais j’en ai envie.
A son tour, il sortit du lit et boitilla dans la chambre pour réunir ses vêtements. Amy en profita pour admirer une
dernière fois son corps nu, s’attardant sur chaque centimètre de sa peau qu’elle connaissait si bien, qu’elle avait tant caressée.
Qui serait la prochaine à le faire ?
Mal ne manquerait jamais de compagnie féminine. Le jour où ils s’étaient rencontrés, il avait affirmé qu’il était venu au
pub pour y trouver une femme. Et c’était exactement ce qu’il avait fait. Un jour, dans un avenir proche, il entrerait de nouveau
dans ce pub et charmerait une autre femme qu’il ramènerait dans son lit. Et peut-être vivraient-ils ensemble une belle histoire.
— Avant que tu partes, j’ai quelque chose pour toi, annonça soudain Mal.
— Qu’est-ce que c’est ?
Il attrapa son sac et en retira un paquet plat qu’il lui tendit.
— Ce n’est pas grand-chose.
Les mains tremblantes, Amy déchira le papier d’emballage et découvrit une boîte dont elle souleva le couvercle. A
l’intérieur se trouvait une photo encadrée. Mal et elle, au sommet du mont French, bras levés. En tendant ses longs bras, Mal
était parvenu à prendre une bonne partie du paysage derrière eux — le ciel bleu, les sommets enneigés.
Amy sentit son cœur s’arrêter de battre en contemplant la photo. Pour n’importe qui d’autre, ils auraient eu l’air du
couple le plus heureux du monde. Un couple amoureux. Mais, pour elle, c’était simplement le souvenir d’une journée parfaite
passée en compagnie d’un homme merveilleux. Un amant, et un ami. Pas un amoureux.
— Elle est très belle, dit-elle en caressant le verre du bout des doigts.
Puis, elle la serra contre sa poitrine et ajouta :
— Je la garderai précieusement.
Mal fronça les sourcils.
— Ce n’est qu’une photo.
— Je sais.
Elle lui donna un baiser rapide, sachant que si elle se laissait aller à l’embrasser vraiment elle risquait de fondre en
larmes et de se mettre à sangloter. Ce ne serait pas beau à voir, et elle ne voulait pas qu’il garde d’elle le souvenir d’une
femme au nez rouge et gonflé. Elle voulait qu’il se rappelle d’elle comme d’une femme capable de le rendre fou de désir, une
femme qui jouait les infirmières coquines et le séduisait sur le canapé de son salon. Une femme qu’il désirait sans relâche.
Il était temps de partir. Plus elle attendrait, plus ce serait difficile. Avec un sourire forcé, elle dit :
— Il vaudrait mieux qu’on y aille. Je ne voudrais pas être en retard.
Chapitre 10

— Je crois que nous y sommes.


Ils se tenaient devant l’hôtel, Mal appuyé sur ses béquilles, tandis que le chauffeur de taxi chargeait les bagages d’Amy
dans le coffre.
— Oui, dit Mal. On s’est bien amusés.
— C’est vrai.
Amy tenta de sourire, mais Mal voyait bien que le cœur n’y était pas.
— Promets-moi de m’appeler pour me dire que tu es bien rentrée.
— D’accord, assura-t-elle. J’ai ton numéro.
— Parfait. Tu as ton billet ? Ton passeport ?
— Oui. Je vais t’embrasser une dernière fois, et puis je vais monter dans le taxi.
— Très bien.
Il l’enlaça et la serra contre lui. Leurs lèvres se rencontrèrent et, comme toujours, le baiser qu’ils échangèrent fut parfait
— doux, profond et empli de désir muet.
Mal dut lutter pour ne pas la traîner dans la chambre et la supplier de rester. Il y avait trop de problèmes irrésolus entre
eux. Il ne pourrait jamais lui offrir la relation qu’elle méritait. Il fallait à Amy un homme qui soit là pour elle chaque jour, qui
la fasse sourire et rire, qui la soutienne à chaque instant.
Si elle restait avec lui, leur relation serait bâtie sur des adieux permanents, sur l’inquiétude, l’attente des coups de
téléphone, les cauchemars dont elle s’éveillerait seule dans leur lit. Il aimait assez Amy pour vouloir mieux pour elle.
Oui, il y avait de la noblesse dans la décision de la laisser partir : tôt ou tard, il parviendrait à se convaincre qu’entre
eux cela n’aurait de toute façon jamais marché, que c’était une façon de rendre service à Amy.
Malheureusement, le fait que ce soit la bonne décision n’effacerait pas le chagrin ou la solitude. Chaque nuit, il se
languirait d’elle, il se remémorerait avec une douloureuse nostalgie la douceur de ses caresses ou le goût de ses lèvres. Il ne
lui resterait que des souvenirs, et l’espoir qu’elle était heureuse avec quelqu’un d’autre.
Quand Amy s’écarta de lui, il posa son front contre le sien.
— Il faut que j’y aille, murmura-t-elle.
— Je sais. Fais bon voyage.
Elle lui tourna le dos et monta dans le taxi puis referma la portière. Il la contempla à travers les vitres teintées et lui
adressa un petit signe. Alors, avant qu’il ait pu réagir, le taxi démarra et le planta là.
Impuissant, il regarda la voiture s’engager dans la circulation et disparaître. Il attendit quelques instants que la douleur
s’installe en lui, qu’il réalise physiquement que la seule femme qu’il ait jamais aimée venait de partir.
— Ce n’est jamais très drôle, les adieux, n’est-ce pas ?
Le portier venait d’arriver à côté de lui, ses mains gantées croisées dans le dos.
— Jamais, confirma Mal.
— C’est votre femme ?
— Non.
— Votre fiancée ?
— Non plus.
— Votre petite amie, alors ?
— Nous sommes seulement… amis, dit Mal.
— Vraiment ? En vous voyant, j’aurais juré qu’il y avait beaucoup plus que de l’amitié entre vous. Vous n’avez pas l’air
de simples amis.
— Bon, d’accord, nous sommes des amis très proches, concéda Mal.
Sauf qu’il mentait. Proches ou non, ils n’avaient jamais été des amis. Parce qu’il aimait Amy. Il l’aimait.
— Oh ! merde.
Il jeta un coup d’œil au fond de l’allée et agita la main.
— Il me faut un taxi.
Le portier avança sur le trottoir et sortit son sifflet pour appeler une voiture dans la file d’attente. Il aida Mal à y monter
avant de lui tendre ses béquilles.
— Bonne chance.
Du plat de la main, il frappa sur le toit de la voiture et le chauffeur démarra.
— Où allons-nous ?
— A l’aéroport. Il y a un autre taxi qui est parti de l’hôtel il y a deux minutes. Si vous pouviez le rattraper, ce serait
fantastique.
— Je vais essayer. Savez-vous quel chemin il a pris ?
— Non, répondit Mal.
Ils se faufilèrent dans la circulation dense de fin d’après-midi et prirent l’autoroute pour sortir de la ville.
Malheureusement, il y avait des dizaines de façons de rejoindre l’aéroport, et Mal n’avait que peu d’espoir d’être sur le même
trajet que celui emprunté par le taxi d’Amy.
Mais il se souvenait qu’elle partait avec Air New Zealand, et il s’agissait d’un vol international. Il avait pris si souvent
l’avion depuis Auckland qu’il connaissait l’aéroport par cœur. S’il pouvait la rattraper avant qu’elle passe le poste de
sécurité, il aurait une chance de lui dire ce qu’il aurait dû lui avouer bien plus tôt.
Il n’avait pas imaginé une seule seconde à quel point la douleur de perdre Amy serait violente. Il avait l’impression
qu’on lui arrachait le cœur, que ses poumons étaient privés d’air, et que son cerveau était devenu incapable de formuler la
moindre pensée logique. Il souffrait physiquement, et à tel point qu’il ne voulait plus jamais refaire cette expérience.
Le trajet jusqu’à l’aéroport lui parut atrocement long. Comme ils n’avaient pas rattrapé le taxi d’Amy, son chauffeur le
déposa devant le terminal d’Air New Zealand. Il allait sortir son portefeuille de sa poche quand il s’aperçut qu’il l’avait
laissé dans la chambre.
Exaspéré, il secoua la tête. Sans ces maudites béquilles, il aurait piqué un sprint, mais avec sa cheville cassée il n’avait
aucune chance de semer le chauffeur. Se penchant par la vitre, il lui adressa un sourire plein d’excuses.
— Je suis désolé, je n’ai pas d’argent sur moi, j’ai laissé mon portefeuille à l’hôtel. Mais je vous promets que je vous
paierai dès que j’aurai réglé un petit souci. Attendez-moi ici, et quand vous me ramènerez à l’hôtel je vous paierai le double
du prix de la course.
Le chauffeur le considéra un instant.
— Vous m’avez l’air d’un type honnête.
— Très honnête, soupira Mal.
— C’est d’accord. Vous feriez bien de vous dépêcher si vous voulez la rattraper.
Mal entra dans le terminal sans encombre, mais avec ses béquilles il se déplaçait avec une lenteur désespérante.
Remarquant un employé posté près d’une rangée de chariots à bagages, il s’approcha de lui.
— J’ai besoin d’un fauteuil roulant, lui dit-il. Je suis en retard pour mon vol.
— Très bien, monsieur. Vous êtes-vous enregistré ?
— Oui, fit Mal.
— Puis-je voir votre carte d’embarquement ?
— Non.
— Non ? Mais je dois la voir pour…
— Je n’en ai pas, le coupa Mal. J’essaie de rattraper ma petite amie. Elle va prendre un vol pour les Etats-Unis, et il
faut que je lui dise que je l’aime.
— Je peux vous amener jusqu’au contrôle de sécurité, mais au-delà vous allez avoir besoin d’un billet.
— Très bien, lâcha Mal. On va essayer.
— Attendez-moi ici.
L’employé disparut un instant avant de resurgir au volant d’une petite voiture électrique. Mal s’installa aussitôt à côté de
lui.
— De quel vol s’agit-il ?
— Un vol Air New Zealand à destination de Los Angeles. Il part à 9 heures et demie.
— Le vol 280, indiqua l’employé. L’embarquement se fait à la porte 18B, dans le hall est.
Il appuya sur l’accélérateur, et le véhicule se faufila dans la foule dense.
Mal scrutait les voyageurs, à la recherche du visage d’Amy, mais il n’y avait pas trace d’elle. Elle ne pouvait pas déjà
se trouver à la porte d’embarquement. Sans doute était-elle encore à l’enregistrement des bagages.
Quand ils atteignirent la sécurité, l’employé de l’aéroport fit demi-tour pour repartir lentement en sens inverse afin que
Mal ait le temps de voir clairement chacune des personnes qui faisaient la queue.
— Je pense qu’on pourrait demander si elle s’est enregistrée, suggéra-t-il. Et faire appeler l’embarquement pour lui dire
de revenir au cas où elle aurait déjà passé la sécurité.
— Bonne idée…
— Marcus. Je m’appelle Marcus.
— Et moi Malcolm, dit-il en tendant la main.
L’employé la lui serra avant de diriger le petit véhicule vers l’aire d’enregistrement tandis que Mal lui décrivait Amy en
détail, allant même jusqu’à évoquer sa façon de marcher et la couleur de ses yeux.
La foule était dense, et il devenait de plus en plus difficile de rouler entre les files d’attente et les bagages. Mal
continuait de regarder partout autour de lui, mais Amy semblait introuvable.
— Je vais marcher, maintenant. Merci beaucoup. J’aimerais pouvoir vous dédommager, mais…
— Ne vous en faites pas, l'interrompit Marcus. Vous vous rattraperez la prochaine fois.
Il le salua d’un geste et s’éloigna en appuyant sur l’avertisseur pour écarter la foule.
Mal se fraya un chemin jusqu’au comptoir d’Air New Zealand. Les voyageurs ne semblèrent pas se formaliser qu’il leur
passe devant. C’était l’avantage d’avoir des béquilles, supposa-t-il.
— Excusez-moi, dit-il à la jolie jeune femme qui attachait une étiquette sur un bagage. Je voudrais savoir si vous avez
enregistré une passagère du nom d’Amy Engalls sur le vol de 21 h 30 à destination de Los Angeles ?
— Je suis désolée, monsieur, mais je ne peux pas vous donner cette information.
— Il s’agit d’une urgence. Je dois lui parler avant qu’elle décolle. Il faut que… il faut que je lui dise que je l’aime.
Le visage sévère de la jeune femme s’adoucit, et la dame âgée qui se trouvait au comptoir à côté de Malcolm poussa un
soupir.
— Comme c’est charmant ! fit-elle. Aidez-le, mademoiselle, il n’y arrivera pas tout seul : il a une jambe cassée.
— Je ne sais pas si j’arriverai à avoir ce renseignement, déclara l’employée, mais je vais essayer. Rappelez-moi son
nom ?
— Amy Engalls, dit Mal en épelant son nom.
La jeune femme pianota sur son clavier puis hocha la tête.
— Oui, je l’ai trouvée. Son vol était surbooké, on lui a proposé d’en prendre un autre juste avant. Il est problable
qu’elle a déjà embarqué.
— Mais elle vient juste d’arriver !
— Oui, mais elle a dû passer la sécurité rapidement. Je crains qu’elle ne soit en route pour… Honolulu.
Mal ne s’était jamais senti aussi désemparé de sa vie. Même après une ascension ratée.
— Merci, murmura-t-il faiblement.
— Désolée, répondit la jeune femme.
— Ce n’est pas grave.
Lentement, il se dirigea vers la sortie du terminal. Mais, avant qu’il ait atteint les portes, une voix l’interpella.
— Mal ?
Il se retourna et se retrouva nez à nez avec son frère Rogan.
— Salut. Tu es rentré ?
— Tu es venu me chercher ? demanda Rogan. Dana ne t’a pas dit que j’allais rester en ville quelques jours avec
Elodie ?
Elodie était l’une des nombreuses conquêtes de Rogan — c’était une des femmes avec qui il couchait régulièrement sans
qu’ils sortent ensemble à proprement parler. Elle était hôtesse de l’air chez Air New Zealand.
— Tu crois qu’Elodie pourrait empêcher un vol de décoller ? demanda Mal pris d’un espoir soudain.
— Uniquement si elle se trouve à bord.
C’était fichu.
— Tu peux me passer un peu de liquide ?
Son frère sortit son portefeuille de sa poche arrière et le lui tendit.
— Il faut qu’on trouve Marcus, je lui dois un pourboire. Et mon taxi m’attend dehors.
Rogan le dévisagea comme s’il avait soudainement perdu la raison. Mal se sentait simplement vidé. Il avait tout gâché,
et à présent il n’y avait plus rien à faire pour sauver la situation. Il savait juste qu’il venait de commettre la plus grosse erreur
de sa vie.

* * *

Amy était plantée au milieu de la salle d’embarquement, son sac de voyage à ses pieds.
— Madame, vous devez embarquer. Nous ne pouvons plus attendre.
Elle considéra l’agent sans rien dire. Voilà, elle était au pied du mur. Elle devait prendre une décision tout de suite —
une décision qui allait affecter toute sa vie. Elle avait atteint le point de non-retour, et à l’instant où elle entrerait dans l’avion
il ne lui resterait plus que des regrets.
— Vous venez ? Madame, nous devons fermer les portes de l’avion.
— Non, dit Amy d’une voix ferme. Je ne viens pas. Je ne peux pas, je suis désolée.
— Vous êtes consciente que vos bagages sont en route pour New York ?
— Oui. Ce n’est pas grave, j’appellerai ma mère pour qu’elle vienne les chercher. Je suis navrée de vous avoir fait
attendre.
Elle ramassa son sac et se dirigea vers le hall. Qu’allait-elle faire, maintenant ? Elle pouvait prendre un taxi, rentrer à
l’hôtel et affronter Mal dès à présent. Ou rester un peu à l’aéroport pour réfléchir avant d’aller voir Mal demain matin. Ou
encore, elle pouvait simplement s’asseoir, pleurer un bon coup et monter dans le prochain avion qui la ramènerait chez elle —
au moins, elle ne courrait pas le risque que Mal la rejette.
Non. Elle tenait à lui faire part de ses sentiments, et quelle que soit la réaction de Mal elle l’assumerait. S’il la rejetait,
elle serait effondrée. Et s’il lui avouait son amour, elle serait la femme la plus heureuse du monde.
Elle accéléra le pas pour gagner la sortie. Elle allait rentrer à l’hôtel et tout lui dire, maintenant. Et, s’il ne partageait
pas ses sentiments, elle retournerait à l’aéroport et prendrait le premier vol pour New York.
— Bravo, Amy, murmura-t-elle pour elle-même. Tu aurais mieux fait de tout lui dire plus tôt, cela t’aurait évité de
dépenser tes dernières économies et tout ce stress.
Pourquoi n’était-elle pas parvenue à lui confesser son amour ? Pourquoi avait-il fallu qu’elle soit sur le point de partir
pour prendre conscience qu’elle n’aurait pas d’autre occasion de le lui avouer ?
Au moment de sortir, elle fouilla dans son sac à main pour y prendre son portefeuille. Il ne lui restait plus beaucoup de
liquide. Juste assez pour le trajet et un pourboire, à condition que le chauffeur suive le même itinéraire que pour arriver à
l’aéroport.
Un taxi s’arrêta devant elle, et elle se pencha pour parler au chauffeur.
— J’ai cinquante dollars, est-ce suffisant pour aller au Skycity Grand ?
— Ça devrait aller, répondit le chauffeur.
Amy s’engouffra à l’arrière du taxi. Elle s’effondra sur le siège de cuir moelleux et ferma les yeux tandis que le taxi
quittait l’aéroport.
Qu’allait-elle dire à Mal ? Devait-elle tout lui avouer de but en blanc, ou bien formuler ses sentiments en belles phrases
romantiques ?
Peut-être devrait-elle se jeter dans ses bras et l’embrasser, ce serait toujours un bon début. Une fois qu’il aurait compris
ce qu’il manquait, elle pourrait défendre sa cause.
Refaire sa vie en Nouvelle-Zélande constituerait un bouleversement. Elle n’avait ni famille ni amis, dans ce pays. La
moitié du globe la séparait de sa mère. Sans compter qu’elle n’avait pas de travail. Pourtant, elle se sentait prête à repartir de
zéro, à se jeter à corps perdu dans cette nouvelle vie.
Quand le taxi arriva devant l’hôtel, il était presque 9 heures. Elle paya, s’engouffra dans l’hôtel et se dirigea vers
l’ascenseur. Lorsque les portes s’ouvrirent, elle entra dans la cabine et appuya sur le bouton du sixième étage.
Leur chambre, la 612, était au bout du couloir. Quand elle arriva devant la porte, elle arrangea sa coiffure et afficha un
sourire sur son visage. Elle avait décidé de commencer par l’embrasser. Pour la suite, elle verrait. Il fallait que ce baiser soit
inoubliable.
Elle leva la main pour frapper à la porte. Comme elle n’obtenait pas de réponse, elle frappa de nouveau. Après
quelques minutes, elle dut se résoudre à l’évidence : Mal n’était pas là. Sans doute était-il allé dîner quelque part, au
restaurant ou au bar de l’hôtel.
Avec résignation, elle traîna son sac de voyage jusqu’à la réception. Presque aussitôt, une employée apparut.
— Que puis-je pour vous ?
— Je suis montée chambre 612, mais Malcolm Quinn n’était pas là. Nous avons pris la chambre hier, et il m’a dit qu’il
la garderait pour cette nuit. Je suppose qu’il est sorti dîner. Puis-je avoir une clé ?
L’employée pianota sur son clavier.
— Je crains que M. Quinn n’ait libéré la chambre il y a un quart d’heure. Vous l’avez manqué de peu.
Amy sentit les larmes lui monter aux yeux.
— Il a payé la chambre ?
— Oui, mais il est parti.
— Où est-il allé ?
— Chez lui, je suppose ?
Elle avait dépensé tout son liquide pour le taxi, et il n’était pas question qu’elle utilise de nouveau sa carte de crédit, à
présent qu’elle savait que c’était son père qui recevait les factures.
Aussi calmement que possible, elle posa les mains à plat sur le comptoir de granit et demanda :
— Puis-je reprendre la chambre ? Je… j’ai manqué mon avion et je suis revenue passer la nuit avec lui. La chambre est
payée, après tout.
L’employée jeta un coup d’œil furtif autour d’eux, puis elle tapa de nouveau sur son clavier.
— Je vais vous donner une clé, dit-elle à mi-voix.
Amy sentit des larmes couler sur ses joues.
— Merci, souffla-t-elle avec soulagement.
L’employée posa la clé sur le comptoir. Amy s’en empara avec reconnaissance. Une bonne nuit de sommeil, voilà ce
dont elle avait besoin. Ensuite, elle prendrait les choses en main.
Quand elle ouvrit la porte de la chambre, elle fut assaillie par un flot de souvenirs. Les draps étaient froissés par leurs
ébats de l’après-midi, et l’odeur du shampooing de Mal flottait encore dans l’air. Elle déposa son sac et se déshabilla pour se
glisser entre les draps frais.
Avec un soupir, elle enfonça son visage dans l’oreiller de Mal en s’imaginant qu’il était là, allongé à côté d’elle. Mais
elle était seule dans le lit froid.
— Je t’aime, dit-elle tout haut. Malcolm Quinn, je t’aime. Je t’aime. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Combien existait-il de manières de prononcer ces trois petits mots ? Elle avait toujours pensé que, le jour où elle les
dirait à un homme, cet homme les prononcerait à son tour. A présent, elle était envahie de doutes : et si la situation ne prenait
pas la tournure qu’elle souhaitait ?
Les yeux fermés, Amy laissa son esprit vagabonder. Elle repensa à tous les merveilleux moments qu’ils avaient partagés
— les rires, les taquineries, les ébats passionnés et leur proximité physique de tous les instants. Les émotions qu’ils avaient
ressenties étaient si intenses, leur entente si parfaite… comment Mal pouvait-il croire qu’il ne s’agissait pas d’amour ?
Elle le saurait bien assez tôt. Roulant sur le ventre, elle attrapa le téléphone et composa le numéro de l’accueil.
— J’aimerais appeler aux Etats-Unis, dit-elle.
Elle donna à l’employé le numéro qu’elle souhaitait joindre et attendit. Elle n’avait aucune idée de l’heure qu’il était à
New York. A vrai dire, elle s’en fichait un peu. Elle avait juste besoin de parler à sa mère.
— Allô ?
— Maman ? C’est Amy.
— Amy ? Il y a un problème ? Tu ne devrais pas être dans l’avion ?
— Je crois que je vais rester encore un peu en Nouvelle-Zélande. En fait, je vais peut-être même y rester pour de bon.
Je suis amoureuse, maman, et je ne sais pas trop quoi faire.

* * *

— Tu vas passer la journée à arpenter la maison, ou tu veux venir au bureau pour m’aider à ranger mon matériel ?
Mal était étendu sur le canapé de cuir, un bras rejeté au-dessus de la tête.
— Non, j’ai mal à la jambe. Je crois que je vais rester là.
— Dana m’a parlé de cette fille, dit Rogan. C’est pour ça que tu étais à l’aéroport hier soir.
— Oui, confirma Mal d’une voix traînante.
— Tu étais là pour lui faire tes adieux ou pour la convaincre de rester ?
— De rester.
Rogan s’assit sur l’accoudoir près des pieds de Mal. Il tapota son plâtre.
— Tu dois l’avoir mauvaise.
— Pas du tout. C’est fini, c’est tout. Elle est partie, et je n’ai rien pu faire pour l’en empêcher.
— Tu aurais pu lui prendre la main et lui dire que tu ne pouvais pas vivre sans elle.
— C’est vaguement ce que j’ai fait et ça n’a pas marché. De toute façon, je n’ai rien à lui offrir. Toi et Ryan, vous ne
vous rappelez peut-être pas combien c’était dur pour maman. Quand papa partait, pendant des jours, elle avait l’air perdu.
Chaque fois, on aurait dit qu’elle se débranchait et se mettait en veille. Je ne veux pas faire ça à quelqu’un.
Un long silence s’installa. Rogan jura à mi-voix.
— On va finir par parler du fait que le corps de papa ait été retrouvé, ou on va faire comme si ce n’était jamais arrivé ?
— Quand l’as-tu appris ?
— Quand je suis rentré au camp de base, tout le monde ne parlait que de ça, pas moyen d’y échapper. Il y avait des
journalistes qui passaient pour essayer de me parler. Même au sommet de l’Himalaya, il n’y a pas moyen de leur échapper. Ils
ne se font pas oublier facilement, ces fichus journalistes.
— C’est vrai, murmura Mal en pensant à Amy.
— Dana affirme que la fille en question est journaliste.
— Techniquement, non. Elle travaille pour Aventures Extrêmes. C’est la fille de Richard Engalls.
— Bon sang, Mal ! Dana ne m’a pas dit ça.
— Je ne suis même pas sûr qu’elle le sache. Ou alors elle n’a pas fait le lien.
— Il finance les meilleures expéditions du monde. Tu ne crois pas qu’il serait intéressé par…
— Il envisage en effet de nous envoyer tous les trois là-bas pour récupérer les affaires de papa. Et d’en tirer un article
pour son magazine.
Rogan en resta bouche bée, ce qui était une performance dans la mesure où c’était le bavard de la famille.
— Non, dit-il enfin.
— C’est aussi ce que j’ai répondu au début, dit Mal. Mais, après en avoir discuté avec Amy ces dernières semaines, je
me demande si c’est vraiment une si mauvaise idée. Nous trouverions peut-être enfin des réponses à certaines de nos
questions. Et ça nous permettrait d’empêcher Roger Innis de mettre son nez dans cette histoire. S’il existe un homme plus
influent que Roger dans le monde de l’alpinisme, c’est bien Richard Engalls.
— Non, répéta Rogan en secouant la tête. Je préfère ne pas savoir.
— Si nous n’y allons pas, Innis se fera un plaisir de prendre notre place. Il veut récupérer le journal de papa. C’est
notre seule chance de savoir comment il est mort.
— Je m’en fiche. Laissons papa reposer en paix là où il est. C’est mieux ainsi, et c’est bien ce que j’entends expliquer à
la presse. En outre, je crois que maman est de mon avis.
— L’idée de nous voir partir là-bas ne la réjouit pas, mais elle a affirmé qu’elle ne nous en empêcherait pas. Amy a
évoqué le fait que nous pourrions publier une biographie de papa, et cette idée commence à me plaire. Maman a gardé tous ses
journaux. Ils nous permettraient peut-être de mieux le connaître, de découvrir certaines facettes de sa personnalité que nous
n’avons jamais vues enfants. Et une expédition à sa mémoire sur l’Everest constituerait un bon épilogue à ce livre.
— Et qui va gérer l’agence si nous partons tous les trois dans l’Himalaya ? demanda Rogan.
Puis, avec un regard inquisiteur, il ajouta :
— C’est peut-être pour cette fille que tu veux faire tout ça ? Pour qu’elle puisse écrire un gros article ?
— Non, ça ne pose aucun problème à Amy si nous ne faisons pas ce livre. Et elle n’écrira aucun article sans notre
accord.
— Elle pourrait se tourner vers Innis, souligna Rogan.
— Jamais elle ne ferait une chose pareille. Elle a beaucoup trop de respect pour notre famille.
— Si elle nous apprécie tant que ça, pourquoi est-elle partie ?
— C’est compliqué. Je ne pouvais pas lui offrir ce qu’elle mérite.
— C’est-à-dire ?
— Je ne sais pas. De la stabilité. Quelqu’un qui puisse passer du temps à la maison. Comment sommes-nous censés
entretenir une relation fonctionnelle si je suis absent douze mois par an ?
— Tu devrais peut-être la laisser en décider, suggéra Rogan. Au cas où tu l’aurais oublié, papa et maman s’aimaient. Ils
ont choisi de rester ensemble malgré toutes ces difficultés. Les marins partent en mission bien plus longtemps que nous, et ça
ne les empêche pas de fonder une famille.
— Je lui ai proposé de rester, et elle est partie quand même. Que suis-je censé faire de plus ?
— Comment le lui as-tu proposé ?
Mal soupira.
— Je ne me rappelle plus. Je crois que je lui dis de rester, tout simplement. Ensuite, il me semble qu’elle m’a demandé
pourquoi, et je lui ai répondu que c’était parce que je ne voulais pas qu’elle s’en aille.
Pendant un long moment, Rogan le fixa sans rien dire.
— C’est tout ? demanda-t-il enfin.
— Oui.
— Tu ne lui as pas parlé de tes sentiments ?
— Je crois que c’était clair, non ? rétorqua Mal que l’interrogatoire de son frère commençait à exaspérer.
— Oui, eh bien, à sa place, je serais parti, moi aussi. Bon sang, Mal, tu lui demandes de renoncer à sa vie aux Etats-
Unis pour venir habiter avec toi, et tu ne lui fournis pas plus d’explications que ça ? Il fallait lui ouvrir ton cœur !
— Depuis quand es-tu devenu un expert de ce genre de question ?
— Je regarde « Dr Phil ».
— Et qui est ce fichu Dr Phil ?
— Un psy américain qui a réponse à tout. On est tombé dessus à la télévision de l’hôtel quand on préparait l’ascension
du McKinley. Pour lui, le secret, c’est de toujours exprimer ses sentiments. Alors, es-tu amoureux de cette fille ?
— Oui, je crois.
— Pourquoi ne le lui as-tu pas dit avant qu’elle parte ?
— Parce que, jusqu’à ce qu’elle soit réellement partie, je n’en étais pas absolument sûr. J’espérais qu’elle allait faire
demi-tour et revenir, mais je me suis trompé. Du coup, je pense que j’ai aussi bien fait de ne rien dire.
— Bon sang, Mal, tu es aussi buté qu’un âne. Elle attendait que tu le dises, toi. Et toi, tu attendais que ce soit elle qui le
dise. Ça ne m’étonne pas que tu sois encore célibataire.
Mal se redressa et posa les deux pieds par terre.
— Qu’est-ce que je dois faire, à ton avis ?
— Tu peux toujours l’appeler.
— Elle n’est pas encore arrivée chez elle. Il va falloir que j’attende ce soir. Mais je ne me vois pas lui dire « je
t’aime » au téléphone. Mieux vaut que je le fasse en personne, tu ne crois pas ?
— Oui, c’est toujours mieux de le dire en face.
— Je devrais peut-être aller la voir. Je ne vais pas pouvoir partir en expédition pendant un bon moment, alors autant en
profiter. Mais si mes sentiments ne sont pas réciproques et que je pars là-bas pour rien ?
— Tu es vraiment irrécupérable, Malcolm Quinn, dit Rogan en se levant. Allez, viens avec moi. On va bosser un peu, ça
te changera les idées.
— Non, je vais rester ici, boire une bière ou deux, peut-être faire une sieste. Tu ne veux pas aller me chercher une
bière ?
— Il est à peine plus de midi
— Et alors ?
Mal se leva du canapé et se rendit à cloche-pied dans la cuisine. Il ouvrit le frigo et en examina le contenu. Il y avait
toutes sortes de restes des plats qu’Amy avait préparés lors de son séjour. Mal s’empara d’une bière et de la sauce spaghettis.
Saisissant une cuiller au passage, il sautilla jusque dans le salon. Au moment où il allait s’asseoir sur le canapé, il
entendit frapper à la porte.
— Si c’est Dana, dis-lui que je n’ai pas besoin qu’elle m’amène du travail.
Rogan ouvrit la porte d’entrée.
— Ce n’est pas Dana, annonça-t-il après un court silence.
Mal tourna la tête dans sa direction. Ce qu’il découvrit le laissa sans voix.
Amy se tenait dans l’entrée.
— Salut, murmura-t-elle.
— Salut, répondit-il sur le même ton. Que fais-tu ici ? Tu n’es pas partie ? Pourquoi ? Ton vol a été annulé ?
— Tu ferais mieux de te taire et de laisser parler la demoiselle, coupa Rogan. Je crois qu’elle est venue te dire quelque
chose.
— Oui… c’est vrai, dit Amy. Vous êtes le frère de Mal ?
Rogan tendit la main.
— Rogan. Je suis l’un des jumeaux. Ravi de faire votre connaissance. J’ai beaucoup entendu parler de vous. Par Mal,
bien sûr. Il n’arrête pas de parler de vous.
— Tu ferais mieux de dégager d’ici, grommela Mal.
— Il faut que j’y aille, lança Rogan avec un sourire goguenard. J’ai du travail.
Il salua Amy en passant puis sortit en claquant la porte derrière lui.
Mal tenta désespérément de trouver quelque chose à dire. Mais Amy le devança :
— Je suis venue te dire une seule chose, et ensuite je partirai. Ça ne changera peut-être rien, mais il faut que ce soit dit.
Je crois que je…
— T’aime, acheva Mal à sa place. Moi, je t’aime, en tout cas. Je voulais te le dire à l’hôtel. Et même avant, quand nous
étions ici tous les deux. Et pendant notre randonnée. Mais je ne savais pas comment, ça me paraissait trop compliqué.
La jolie bouche d’Amy esquissa un lent sourire.
— Et maintenant ?
— Dès que tu es sortie de ma vie, je me suis senti perdu. Je t’ai même suivie à l’aéroport, mais je n’ai pas pu passer le
poste de sécurité. Je voulais te dire que j’ai besoin de toi, que je veux que tu restes avec moi. Et je sais que ça ne va pas être
facile, mais je crois qu’on peut y arriver.
— Je sais quelle vie tu mènes, Mal, et je comprends l’importance qu’elle a pour toi. Et moi aussi je crois qu’on peut y
arriver.
Ils se dévisagèrent, à quelques mètres l’un de l’autre. Comme si aucun d’eux n’osait franchir la courte distance qui les
séparait.
— Ce serait le moment idéal pour que tu viennes m’embrasser, murmura Mal.
Elle acquiesça. Au moment où il allait s’emparer de ses béquilles, elle traversa vivement la pièce et se jeta dans ses
bras. Ils s’écroulèrent sur le canapé, les membres emmêlés.
Leurs lèvres se rencontrèrent, et Mal se perdit dans un long baiser plein de passion et de promesses. Il n’avait jamais
cru en l’amour — il s’était toujours dit que c’était un sentiment réservé aux autres. Quel idiot ! A présent, il comprenait qu’il
n’avait fait qu’attendre que la bonne personne se présente et lui ouvre les yeux.
Et la bonne personne était là. C’était sa lumière dans les ténèbres, sa flamme dans la nuit. Elle serait toujours là, pour
lui. Mal l’embrassa fougueusement sur la bouche, puis sur les joues, le front et le nez. Amy éclata de rire, les mains posées sur
son torse.
— Alors, qu’es-tu venue me dire ? demanda Mal.
— Que je suis amoureuse de toi. Nous ne nous connaissons que depuis quelques semaines, mais j’ai le sentiment que
nous sommes faits l’un pour l’autre. Et je ne veux pas te quitter. Je veux rester ici. C’est ma place, à présent.
— Où ?
— Ici, répéta-t-elle en souriant et en le poussant contre le dossier du canapé. Avec toi. C’est là, ma place.
— C’est vrai, dit Mal. Et je ne veux plus jamais que tu partes. C’est un ordre.
— Je n’ai plus besoin de suivre tes ordres. Je ne suis plus ta cliente. Je suis ton amoureuse, et maintenant c’est toi qui
vas devoir obéir à mes ordres.
— Et quels sont-ils ?
Amy se dégagea de son étreinte, se leva et le tira par les mains pour qu’il en fasse autant. Puis, elle lui tendit ses
béquilles avec un sourire enjôleur.
— Je veux que tu ailles dans ta chambre. Et, quand tu y seras, enlève tous tes vêtements et mets-toi au lit. Quand
j’entrerai, je veux que tu t’occupes de moi très attentivement.
— J’adore que tu me donnes des ordres, dit Mal. Que puis-je faire d’autre pour toi ?
— Aime-moi, c’est tout. Je serai la femme la plus heureuse du monde.
Mal l’attira à lui pour l’embrasser. Voilà une promesse qu’il n’aurait aucun mal à tenir. Tout ce qui lui importait au
monde se trouvait juste devant lui. Et il n’avait pas l’intention d’y renoncer. Jamais.
Epilogue
Irlande, un mois plus tard.

Aileen Quinn était à la fenêtre de sa maison de campagne, contemplant les gouttes de pluie qui couraient sur le verre
soufflé de la vitre. En esprit, elle se repassait l’année qui venait de s’écouler, et tous les changements intervenus dans sa vie.
— Mademoiselle Quinn ? M. Stephen est arrivé.
Elle jeta un coup d’œil derrière elle en direction de Sally, sa gouvernante, qui se tenait sur le seuil de la pièce.
— Préférez-vous le recevoir ici, dans la bibliothèque, ou dans le salon ? demanda Sally.
— Ici, répondit Aileen.
Elle se retourna pour aller à son bureau, s’appuyant lourdement sur sa canne.
— Apportez-nous du thé, voulez-vous ?
— Oui, madame.
Elle et Ian Stephen avaient parcouru un long chemin ensemble. Au début, il travaillait pour elle comme documentaliste et
rassemblait les éléments de l’autobiographie qu’elle comptait écrire. Elle l’avait embauché pour trouver des informations sur
la famille qu’elle n’avait jamais connue.
Elle avait grandi dans un orphelinat, mais ses humbles débuts dans la vie ne l’avaient pas empêchée de devenir une
romancière à succès, et l’une des femmes les plus riches d’Irlande.
Mais sa véritable réussite, estimait-elle, avait été de retrouver la trace de ses quatre frères aînés éparpillés aux quatre
coins du globe à la mort de leurs parents. Patiemment, Ian avait suivi leur piste jusqu’en Australie, aux Etats-Unis et au
Canada. Enfin, ils avaient retrouvé l’héritier du quatrième frère ici même, en Irlande.
Aileen leur avait donné à chacun une partie conséquente de sa fortune en espérant qu’ils l’utiliseraient de façon à
honorer sa mémoire quand elle aurait disparu. Bien qu’elle n’ait jamais eu l’intention de vivre un siècle, elle approchait
rapidement de son centième anniversaire.
— Mademoiselle Quinn ?
Aileen leva la tête et sourit au séduisant jeune homme qui attendait sur le seuil.
— Je vous ai déjà dit de m’appeler Aileen. Nous sommes amis, à présent, non ?
— Aileen, corrigea Ian dont l’expression sérieuse se dissipa pour laisser place à un large sourire. Comment vous
sentez-vous ?
— Vieille, plaisanta-t-elle. Je vous retournerais bien la question, mais comme je sais que vous rentrez juste de votre
lune de miel c’est inutile. Vous paraissez fatigué, et je suppose que c’est une bonne chose. Comment va Claire ?
— Merveilleusement bien. Et elle vous remercie pour votre cadeau de mariage.
— Oui, j’ai reçu son petit mot. J’espérais la voir avec vous.
— Elle a décidé de finir l’année scolaire avant de démissionner. Mais je suis sûr qu’elle passera vous voir pour
discuter avec vous de son nouveau projet. Elle a décidé d’écrire un roman.
— Je serai ravie de lui donner quelques conseils. Je crois que j’ai un peu d’expérience en la matière.
Sally entra avec le thé et déposa son plateau sur le bureau. Aileen et Ian avaient partagé si souvent ce rituel que la
vieille dame lui prépara rapidement son thé préféré assorti de son scone favori avant lui tendre le tout sur une assiette.
— Je suppose que vous vous demandez pourquoi je vous ai fait venir. Il y a un bon moment que nous avons achevé le
travail que je vous avais commandé.
— Je suis curieux, en effet, admit Ian.
— Il y a de nouveaux éléments dans ma recherche des héritiers de mes frères. Plutôt que d’embaucher quelqu’un d’autre,
je me suis dit que vous pourriez continuer de jouer les détectives pour moi.
— J’en serai flatté, dit Ian. Mais j’ai trouvé vos quatre frères.
Aileen lui tendit un dossier cartonné :
— J’ai reçu cette lettre il y a une semaine. Elle provient d’une femme qui habite à Auckland, en Nouvelle-Zélande. Elle
faisait des recherches sur une famille du nom de Quinn et elle a regardé le documentaire qu’a fait Dex sur ma vie. Cela lui a
rappelé un acte de naissance sur lequel elle était tombée au cours de ses recherches.
Ian ouvrit le dossier et tomba sur la copie d’un acte de naissance au nom de Lily Quinn. Il datait de soixante-quinze ans.
Il portait également le nom de ses parents, Conal Quinn et Penelope Simpson.
— S’agit-il de notre Conal ? demanda Ian.
— C’est ce que j’aimerais que vous déterminiez. La date de naissance qui figure sur ce document n’est pas tout à fait la
bonne, mais le lieu est le bon : Cork, en Irlande. En outre, j’ai bien examiné le livret militaire de Conal, et il a passé quelque
temps en Australie et en Nouvelle-Zélande lors de la Seconde Guerre mondiale. Il pourrait tout à fait être le père de cette
femme.
Ian parcourut la lettre.
— C’est une piste prometteuse, mais je ne comprends pas comment elle a pu m’échapper. Quand nous avons reçu son
livret militaire, j’ai vérifié tous les actes de naissance en Australie et Nouvelle-Zélande portant le nom de Conal Quinn comme
père.
— Le nom écrit sur ce document ressemble à Conor plutôt qu’à Conal. Il a été mal classé. Je pense que ça pourrait être
lui. Nous nous demandions ce qu’il était advenu de lui et nous avons supposé qu’il avait peut-être endossé une nouvelle
identité. Peut-être est-il retourné en Australie ou en Nouvelle-Zélande après la guerre.
— Peut-être.
Ian rangea le certificat de naissance dans le dossier.
— Je m’y mets tout de suite.
— Vous acceptez cette mission, alors ?
Ian sourit.
— Bien sûr. Je ne dormirai pas tant que je n’aurai pas retrouvé la trace de cette Lily Quinn.
Aileen serra ses mains l’une contre l’autre, les larmes aux yeux.
— Vous ne pouvez pas imaginer comme j’en suis heureuse. Je suis certaine que vous ferez de votre mieux. Et j’espère
que cette nouvelle piste nous permettra enfin de découvrir ce qu’il est advenu de mon frère Conal.
Ian se leva et fit le tour du bureau, puis il se pencha sur la vieille dame.
— Ne vous en faites pas. Maintenant que nous avons ce nouvel élément, nous allons découvrir la vérité. Si Lily est
encore vivante, elle pourra certainement nous dire ce qu’il en est.
Aileen lui prit la main et l’étreignit.
— Vous êtes vraiment un bon garçon, Ian. Et je suis heureuse que vous fassiez partie de la famille. Ma petite-nièce a de
la chance de vous avoir comme mari.
— C’est nous qui avons de la chance de l’avoir, dit Ian. Et maintenant que Claire et moi sommes de retour en Irlande,
nous viendrons bientôt dîner ici. Dex et Marlie viennent juste de rentrer d’un tournage en Chine, et je suis certain qu’ils
voudront se joindre à nous.
— Plus on est de fous, plus on rit, approuva Aileen.
Elle se leva puis, s’aidant de sa canne, raccompagna Ian jusqu’à la porte d’entrée de sa grande demeure.
— Je n’arrive pas à croire que l’aventure recommence, dit-elle. Pour ne rien vous cacher, je trouve cela excitant. Tous
ces mystères m’ont manqué. Et maintenant je crois qu’il va falloir que j’appelle mon éditeur pour lui dire d’ajouter cet élément
à la nouvelle édition de mon autobiographie.
— Je crois, oui, dit Ian. Mais si ces recherches vous amènent à découvrir un nouvel héritier, ça ne risque pas de trop
vous bouleverser ?
— Non, répondit Aileen. La famille, c’est tout ce qui compte pour moi aujourd’hui. J’ai vécu trop longtemps sans
famille pour ne pas vouloir connaître le moindre de ses membres.
Ian l’embrassa sur la joue puis regagna sa voiture.
Sally rejoignit Aileen sur le pas de la porte et passa son bras sous celui de la vieille dame.
— Regardez comme il a l’air heureux, dit-elle. Je suis content qu’il ait trouvé son âme sœur. Alors, il a accepté de vous
aider ?
Aileen acquiesça :
— L’aventure recommence. Qui sait où elle va nous mener ?

* * *

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TITRE ORIGINAL : THE M IGHTY QUINNS : M ALCOLM

Traduction française : EM M ANUELLE DEBON

HARLEQUIN®

est une marque déposée par le Groupe Harlequin

SEXY®

est une marque déposée par Harlequin.

© 2014, Peggy A. Hoffmann.

© 2015, Harlequin.

Le visuel de couverture est reproduit avec l’autorisation de :

Homme : © PLAINPICTURE / GALLERY STOCK / BLAKE DAVENPORT

Réalisation graphique couverture : DP COM

Tous droits réservés.

ISBN 978-2-2803-3836-3

Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de tout ou partie de l’ouvrage, sous quelque forme que ce soit. Ce livre est publié avec l’autorisation de HARLEQUIN BOOKS S.A. Cette
œuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres, les personnages, les lieux, les intrigues, sont soit le fruit de l’imagination de l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute
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