Vous êtes sur la page 1sur 263

Déficiences intellectuelles

De la compréhension à la remédiation

Cyrielle Richard
De Boeck Supérieur
5 allée de la 2e Division Blindée
75015 Paris

Pour Eleanor et Jonathan

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine
de spécialisation, consultez notre site web :
www.deboecksuperieur.com

© De Boeck Supérieur SA, 2018


Rue du Bosquet, 7 – B-1348 Louvain-la-Neuve

Tous droits réservés pour tous pays.


Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment
par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans
une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme ou de
quelque manière que ce soit.

Dépôt légal :
Bibliothèque royale de Belgique : 2018/13647/021
Bibliothèque nationale, Paris : janvier 2018
ISBN : 978-2-35327-447-5
Sommaire

Introduction
Déficience intellectuelle et handicap,
de qui est-il question ? ...............................................................1

Chapitre 1. Rappel historique...............................................32

Chapitre 2. Aspects du développement affectif et social ....40

Chapitre 3. Aspects du développement cognitif ..................55

Chapitre 4. Intelligence et quotient intellectuel ..................66

Chapitre 5. Évaluer l’intelligence .........................................71

Chapitre 6. Évaluer les troubles chez les personnes


déficientes intellectuelles .........................................................78

Chapitre 7. Les troubles du spectre autistique ....................94

Chapitre 8. Les prises en charge spécifiques


pour les personnes avec un TSA ...........................................107

Chapitre 9. Trisomie 21 ......................................................126

Chapitre 10. Autres syndromes découlant d’anomalies


chromosomiques ....................................................................131

Chapitre 11. Déficiences liées à l’épilepsie ..........................151

III
Déficiences intellectuelles

Chapitre 12. Déficiences intellectuelles


liées à des causes multiples....................................................156

Chapitre 13. Aspects psychopathologiques


et double diagnostic ...............................................................172

Chapitre 14. Le trouble obsessionnel compulsif .................182

Chapitre 15. Addictions avec substances .............................190

Chapitre 16. Les troubles des conduites alimentaires .........196

Chapitre 17. Les troubles de la personnalité


chez les personnes déficientes intellectuelles .......................210

Chapitre 18. Pathologies neuropsychologiques


en lien avec le vieillissement chez les personnes
déficientes intellectuelles .......................................................219

Chapitre 19. La remédiation cognitive.................................226

Conclusion
Complémentarité entre la neuropsychologie et les TCC,
de la remédiation des troubles à l’auto-détermination .......254

IV
Introduction
Déficience intellectuelle
et handicap, de qui est-il
question ?

Nous ne pouvons débuter ce livre sans effectuer un bref rappel des termino-
logies concernant les personnes déficientes intellectuelles.
Le vocabulaire employé pour désigner une personne est important, car il
révèle le regard que la communauté porte sur ses membres. Il nous renseigne
également sur sa capacité à intégrer, à protéger ou à exclure les plus faibles.
Par conséquent, il est nécessaire de rappeler l’origine et l’évolution des termes
handicap et déficiences intellectuelles, ainsi que l’évolution des diagnostics et
des prises en charge.
Le terme handicap vient de l’anglais hand in cap. Ce terme est d’abord
employé dans le domaine des échanges et du troc des biens matériels. Il apparaît
ensuite dans le domaine des jeux, principalement lors des courses hippiques.
Il s’agissait d’appliquer un désavantage (rajout de poids, d’obstacles sur le
parcours…) au meilleur cheval afin de le mettre au même niveau que ses
concurrents. Cet exemple fait ressortir l’un des caractères essentiels de la notion
de handicap : la comparaison avec d’autres individus ou avec une norme.
Le terme s’est étendu du domaine sportif au domaine de la santé au
e
xx siècle.
Le handicap regroupe plusieurs aspects1 : la déficience, les limitations
d’activités et les restrictions de participation :
− la déficience correspond à toute perte de substance ou altération d’une
fonction ou d’une structure psychologique, physiologique ou anatomique ;

1 World Health Organization (2001). International Classification of Functioning, Disability


and Health (Icf), Genève, Suisse: World Health Organization.

1
Déficiences intellectuelles

− l’activité désigne l’exécution d’une tâche ou d’une action par une


personne ;
− la participation désigne l’implication de l’individu dans une situation
de vie.
Il existe trois types d’associations de handicaps :
− le plurihandicap peut être défini par l’association de plusieurs
déficiences ayant approximativement le même degré de gravité.
Ce groupement de limitations empêche de déterminer une déficience
principale ;
− le surhandicap est compris comme l’aggravation d’un handicap existant
par les difficultés relationnelles et les troubles des apprentissages qu’il
provoque, ajoutant des déficiences psychiques et/ou intellectuelles aux
déficiences d’origine ;
− le polyhandicap correspond à un handicap grave à expression multiple,
associant déficience motrice et déficience mentale sévère ou profonde,
entraînant une restriction extrême de l’autonomie et des possibilités de
perception, d’expression et de relations.
2 % de la population présente une déficience intellectuelle2.
L’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées
mentales et de leurs amis (UNAPEI) estime qu’en France, 3,5 millions de
personnes sont en situation de handicap. Parmi elles, 20 % seraient déficientes
intellectuelles. Chaque année, entre 6 000 et 8 500 enfants naissent avec une
déficience intellectuelle3.
Sous le terme déficience intellectuelle sont regroupées toutes les personnes
dont le quotient intellectuel (QI) est inférieur à 70 et dont les capacités à
comprendre les informations ou à appliquer de nouvelles compétences sont
réduites.
Il existe quatre degrés de déficience intellectuelle : légère (QI < 70),
moyenne (QI < 55), sévère (QI < 40) et profonde (QI < 25). Récemment,
le concept de « déficience limite4 » émerge pour désigner les personnes dont
le QI est compris entre 71 et 84. Les profils des patients sont hétérogènes.

2 Schalock, R.L., Borthwick-Duffy, S.A., Bradley, V.J., Buntinx, W.H.E., Coulter, D.L., Craig,
E.M., Gomez, S.C., Lachapelle, Y., Luckasson, R., Reeve, A., Shogren, K.A., Snell, M.E.,
Spreat, S., Tassé, M.J., Thompson, J.R., Verdugo-Alonso, M.A., Wehmeyer, M.L., & Yeager,
M.H. (2010). Intellectual Disability: Definition, Classification, and Systems of Supports
(Eleventh edition).Washington, D.C.: AAIDD.
3 UNAPEI (2013). Déficience intellectuelle et handicap mental repéré à https://informations.
handicap.fr/art-handicap-mental-73-3110.php
4 R41.8 [V62.89] Fonctionnement intellectuel limite. (2003). Dans American Psychiatric
Association, DSM-IV-TR : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (4e éd.
rév. traduit par J.-D. Guelfi et M.-A. Crocq). (p. 852). Paris, France : Masson.

2
Introduction

L’OMS classe les déficiences intellectuelles dans les troubles du dévelop-


pement. Eux-mêmes sont reliés à la catégorie des troubles mentaux5.
La déficience intellectuelle se caractérise par une altération, voire un arrêt,
du développement cognitif, caractérisé par une insuffisance des facultés et du
niveau global d’intelligence, notamment au niveau des fonctions mentales
complexes, du langage, de la motricité et des performances sociales.
L’American Association on Intellectual and Developmental Disabilities
(AAIDD) définit les déficiences intellectuelles comme étant un fonction-
nement intellectuel amoindri par rapport à une moyenne, accompagné de
difficultés d’adaptation à l’environnement6.
Il convient de différencier déficience intellectuelle et handicap psychique.
Le handicap psychique est la conséquence d’une maladie psychiatrique7.
Celui-ci n’affecte pas directement les capacités intellectuelles, mais plutôt
leur mise en œuvre. Il génère des troubles du comportement et des troubles
affectifs, perturbant l’adaptation sociale. Il s’agit d’un état durable ou épiso-
dique avec des périodes de rémission, avec ou sans altérations des facultés
intellectuelles. Il peut apparaître à tous les âges de la vie. Déficience intel-
lectuelle et handicap psychique peuvent être isolés ou intriqués. Ils peuvent
s’ajouter et s’aggraver.
Afin d’expliciter les manifestations des déficiences intellectuelles, nous
suivons deux paradigmes : la neuropsychologie et la psychologie cognitive et
comportementale.
Le but est de fournir les données les plus récentes sur les causes et consé-
quences bio-psycho-sociales des déficiences intellectuelles, ainsi que sur les
techniques de remédiation comportementales et neuropsychologiques.

1. La neuropsychologie
La neuropsychologie s’appuie sur deux postulats.
Le premier expose que les symptômes observables sont le reflet d’at-
teintes neurologiques. Les réponses hors normes du patient aux tests

5 Organisation Mondiale de la Santé (2017). Aide-mémoire 396. Repéré à http://www.who.


int/mediacentre/factsheets/fs396/fr/
6 Schalock, R.L., Borthwick-Duffy, S.A., Bradley, V.J., Buntinx, W.H.E., Coulter, D.L., Craig,
E.M., Gomez, S.C., Lachapelle, Y., Luckasson, R., Reeve, A., Shogren, K.A., Snell, M.E.,
Spreat, S., Tassé, M.J., Thompson, J.R., Verdugo-Alonso, M.A., Wehmeyer, M.L., & Yeager,
M.H. (2010). Intellectual Disability: Definition, Classification, and Systems of Supports
(Eleventh edition).Washington, D.C.: AAIDD.
7 LOI no 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation
et la citoyenneté des personnes handicapées. NOR: SANX0300217L. Journal Officiel de la
République Française, 36, 2353. Repéré à https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cid
Texte=JORFTEXT000000809647

3
Déficiences intellectuelles

neuropsychologiques rendent compte de ces perturbations et sont reliées aux


régions cérébrales impactées.
À ce premier postulat, établi à partir des considérations anatomiques,
répond un second. Celui-ci introduit le traitement cognitif des informations.
Ainsi, entre les manifestations cliniques et les structures du cerveau, intervient
une large variété de fonctions et d’opérations.
La neuropsychologie étudie donc les liens entre les lésions du cerveau et
leurs manifestations sur les plans comportementaux, sensoriels, cognitifs et
émotionnels. Elle intervient sur trois axes : l’élaboration et la pose du diagnos-
tic, la compréhension ainsi que la prise en charge des aspects cognitifs. Enfin,
elle constitue un pont entre la neurologie comportementale et les sciences
humaines.
Les travaux réalisés dans le domaine de la neuropsychologie ont permis
l’évaluation et la catégorisation des troubles cognitifs des personnes déficientes
intellectuelles. Les limitations au niveau des processus de la mémoire8, notam-
ment de la mémoire à court terme, sont fréquemment relevées.
Des troubles de l’attention ont également été relevés9. Les déficits de
l’attention se manifestent à travers des désinhibitions comportementales et
émotionnelles, des difficultés de planifications et de mémorisations.
Ces déficits ont un impact important sur la qualité de vie des patients
et sur leur manière d’interagir avec le monde. Ils peuvent être la cause de
troubles du comportement.

2. Le cerveau et ses liens avec les fonctions


cognitives et exécutives
MacLean10 considère le cerveau comme un ensemble tripartite (cerveau
triunique).
Le cerveau reptilien englobe le tronc cérébral et le cervelet ainsi que
des noyaux gris centraux. Il est impliqué dans les fonctions permettant la
survie (la fréquence cardiaque, la respiration, la température corporelle,
l’équilibre, etc.). Le cerveau reptilien est considéré comme étant le plus
« archaïque ». Il contient une grande quantité de récepteurs en opiacés et
en dopamine.

8 Detterman, D. K. (1979). Memory in the mentally retarded. Dans N. R. Ellis (dir.), Hand-
book of Mental Deficiency (p. 727-760). Hillsdale, NJ: Erlbaum.
9 Zeaman, D., & House, B. J. (1963). The role of attention in retardate discrimination learn-
ing. Dans N. R. Ellis (dir.), Handbook of mental deficiency (pp. 159-223). New York, NY:
McGraw-Hill.
10 Newman, J. D. & Harris, J. C. (2009). The Scientific Contributions of Paul D. MacLean
(1913–2007). Journal of Nervous & Mental Disease, 197(1), 3-5.

4
Introduction

Le « cerveau paléomammalien », aussi nommé mammifère ou limbique,


est connecté à l’amygdale, aux structures entourant le corps calleux (gyrus
cingulaire, gyrus sub-terminal), au formix, à l’hypothalamus, l’hippocampe
et au gyrus para-hyppocampal T5. Il est également lié aux organes sensoriels
(notamment appareil olfactif et le cortex fronto-orbitaire). Ses connexions
avec le néocortex font que le cerveau paléomammalien est impliqué dans la
régulation des comportements, des émotions et de la mémoire.
Le cerveau néomammalien recouvre les deux structures précédentes. Il
regroupe les deux hémisphères cérébraux et est impliqué dans le traitement
des informations, l’adaptation des comportements ainsi que dans l’essor et
l’emploi des fonctions cognitives et exécutives.
Bien que la conception de MacLean soit partiellement remise en cause
par les nouvelles données anatomiques, son modèle demeure une référence
pour la compréhension des grandes fonctions du cerveau et de leurs rôles
dans l’émergence et l’évolution des psychopathologies11.
Luria conçoit également le cerveau comme un ensemble tripartite. Le tronc
cérébral et le système limbique sont regroupés dans la zone basale. Cette zone
est impliquée, entre autres, dans les processus mnésiques et attentionnels. Le
tronc cérébral et le système limbique jouent également un rôle dans le repé-
rage et l’identification des stimuli environnementaux et, ainsi, permettent et
maintiennent l’éveil et le tonus du cortex cérébral.
La deuxième partie regroupe la zone postérieure des hémisphères céré-
braux. Elle traite les informations sensorielles repérées dans l’environnement.
La dernière partie correspond à la zone antérieure des hémisphères céré-
braux, dont le lobe frontal. Elle permet la programmation des comportements
ainsi que de l’activité cognitive. Cette zone joue un rôle central dans l’élabo-
ration de stratégies et la résolution de problèmes.
Ces trois parties travaillent de concert12.
Brodmann13 a délimité le cerveau en plusieurs cortex et aires. Chacune
de ces structures est associée à des fonctions motrices, sensorielles ou intel-
lectuelles. Parmi les cinquante-deux aires, figurent notamment les aires
corticales primaires, motrices et sensorielles, les cortex d’association uni-
modal et hétéromodal, le cortex préfrontal, le lobe temporal avec le gyrus
temporal, ainsi que le cortex cingulaire. L’hypothalamus, le thalamus l’amyg-
dale et les autres structures cérébrales liant les milieux internes et externes
y figurent également.

11 Ploog, D. W. (2003). The place of the Triune Brain in psychiatry, Physiology & Behavior,
79(3), 487-493.
12 Luria, A. R. (1985). Les fonctions corticales supérieures de l’homme, Paris : Presses Universi-
taires de France, Psychologie d’aujourd’hui.
13 Scnider, A. (2008). Neurologie du comportement, La dimension neurologique de la neuro-
psychologie, Paris : Elsevier Masson.

5
Déficiences intellectuelles

Nous ne pourrons pas détailler toutes les fonctions régies par ces cortex
et aires. Nous évoquerons brièvement les structures cérébrales permettant la
régulation entre les cognitions, les émotions et les actions.
L’attribution de fonctions spécifiques à chaque partie du cerveau est une
tâche complexe. Il s’avère que des atteintes situées dans des zones différentes
peuvent produire des troubles équivalents. Ainsi, des troubles comportemen-
taux semblables sont observés dans le cas de dysfonctionnements du lobe
frontal, du cervelet et des ganglions de la base.
Chacun des deux hémisphères a sa spécialisation. L’hémisphère gauche est
associé aux compétences langagières. Des lésions au niveau de l’hémisphère
gauche sont responsables d’aphasies, d’apraxies idéomotices et idéatoires,
d’agnosies et de troubles de la latéralité ou en lien avec les apprentissages.
Les capacités à s’orienter dans l’espace, la perception holistique de l’en-
vironnement et des pairs, la reconnaissance des visages et des affects, la
reconnaissance des formes complexes font partie des spécificités de l’hémis-
phère droit.
Le thalamus joue le rôle de filtre entre les informations sensorielles et
le cortex cérébral (aire pariétale et aire frontale notamment) ainsi que le
système limbique. Le thalamus est relié au lobe frontal et joue un rôle dans
la régulation de la mémoire de travail.
Un dysfonctionnement précoce du thalamus ainsi que de ses connexions
avec le cortex cérébral peut être responsable des troubles moteurs et des
troubles de la régulation des comportements observés chez les personnes
ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA)14.
L’hypothalamus est connecté aux structures limbiques et au cortex
orbitofrontal. Il représente une interface entre les structures contrôlant les
réponses émotionnelles. Il joue également un rôle dans le contrôle des besoins
fondamentaux (notamment la faim).
L’hippocampe intervient dans la cognition spatiale, la flexibilité et le
stockage des informations à long terme15. Le volume de l’hippocampe des
personnes avec un TSA est généralement plus important que celui des per-
sonnes ordinaires.
Le lobe frontal comporte à la fois des aires impliquées dans la motricité
(gyrus central et cortex prémoteur) ainsi que dans la régulation des com-
portements (le cortex préfrontal). Le lobe frontal est connecté avec les lobes
temporaux, pariétaux et occipitaux, de sorte qu’il reçoit des informations
ayant transitées et ayant été travaillées par ces derniers. Le cortex préfrontal

14 Hampson, D. R. & Blatt, G. J. (2015). Autism spectrum disorders and neuropathology of


the cerebellum. Frontiers in Neuroscience, 9, 420, doi: 10.3389/fnins.2015.00420
15 Nadel, L. (1996). Learning memory and neural function in Down’s syndrome. Dans Rondal,
J. A., Perera, J., Nadel, L. & Comblain, A. (dir.). Down’s syndrome. Psychological, psycho-
biological and socio-educational perspectives (p. 21-42). London: Whurr Publishers Ltd.

6
Introduction

a la particularité de communiquer avec les circuits limbiques, faisant de lui


une interface entre cognitions et émotions. De par ses liens avec le système
limbique et le thalamus, le cortex préfrontal est impliqué dans les processus
mnésiques et attentionnels. Le lobe frontal est chargé du contrôle et de la
mise en œuvre des fonctions exécutives. Celles-ci permettent la planification
la régulation, la modification ou la pérennisation, ainsi que le contrôle des
activités motrices et mentales. Le lobe frontal est aussi engagé dans le système
superviseur attentionnel16. Ce dernier permet la modulation et l’adaptation
de l’activité selon les contraintes et l’implication de l’individu dans des tâches
familières ou imprévues. Il est directement impliqué dans la flexibilité mentale
et la concentration. Le lobe frontal et le cortex préfrontal sont également
engagés dans la motivation et la mémoire prospective. Ils jouent un rôle dans
les rapports que la personne entretient avec son environnement et ses pairs.
Ils sont liés à l’émergence, le développement et l’application des cognitions
sociales et de la théorie de l’esprit17.
Depuis le cas de Phineas Gage, les atteintes du lobe frontal et leurs
répercussions sur les comportements et la personnalité ont été abondam-
ment décrites. Nous citons notamment la réduction de la fluence verbale,
les atteintes des fonctions mnésiques (notamment la mémoire de travail,
la mémoire prospective, la métamémoire et l’organisation temporelle des
événements et tâches), l’aboulie, l’apathie, la distractibilité, la persévération,
l’impulsivité, les fluctuations de l’humeur, les perturbations du contrôle exé-
cutif et des fonctions d’apprentissages (notamment l’apprentissage associatif)
et la sociopathie acquise18.
Le lobe temporal est engagé dans le contrôle du langage et de la mémoire.
Il est également connecté au système limbique ainsi qu’au lobe frontal. Il joue
ainsi un rôle indirect dans la régulation des émotions et de la motivation. Le
lobe temporal semble être insuffisamment irrigué en sang chez les personnes
ayant le syndrome d’Asperger19. Les atteintes conjointes des lobes temporaux
et frontaux entraînent des troubles de la reconnaissance et de la perception
du langage, de la communication et des comportements sociaux20.

16 Shallice, T. (1988). From neuropsychology to mental structure. Cambridge: Cambridge


University Press.
17 Duval, C., Piolino, P., Bejanin, A., Laisney, M., Eustache, F. & Desgranges, B. (2011). La
théorie de l’esprit : aspects conceptuels, évaluation et effets de l’âge. Revue de neuropsycho-
logie, 3(1), 41-51. doi: 10.3917/rne.031.0041.
18 Godefroy, O., Jeannerod, M., Allain, P. & Le Gall, D. (2008). Lobe frontal, fonctions exécu-
tives et contrôle cognitive. Revue Neurologique, 164(3), S119-S127.
19 Gillberg, C., Bjure, J., Uvebrant, P. & Vestergren, E. (1993). SPECT (Single Photon Emis-
sion Tomography) in 31 children and adolescents with autism and autistic-like conditions.
European Child and Adolescent Psychiatry, 2, 50-59.
20 Redcay, E. (2008). The superior temporal sulcus performs a common function for social
and speech perception: implications for the emergence of autism. Neuroscience & Bio-
behavioral Reviews, 32, 123-142.

7
Déficiences intellectuelles

Le lobe pariétal joue un rôle dans l’intégration des informations senso-


rielles. Il est également impliqué dans le maintien des capacités attentionnelles,
de mémoire de travail visuel, spatiale et verbale ainsi que de la vigilance21. Il
semble également participer à l’activité cognitive et onirique22.
Le cervelet est impliqué dans le contrôle moteur, le langage, l’attention et les
émotions. Le cervelet intervient également dans le traitement des informations.
Des atteintes du cervelet sont responsables de troubles de l’orientation et de
l’attention, des régulations motrices et émotionnelles observées dans les TSA23.
Le cervelet est situé en arrière du tronc cérébral, sous les hémisphères
cérébraux. Il comporte le vermis, deux hémisphères cérébelleux latéraux,
le lobe flocculo-modulaire, le lobe antérieur, le lobe postérieur, les noyaux
gris centraux, ainsi que les cellules granulaires et de Purkinje. Le cervelet
est impliqué dans le maintien de l’équilibre, la régulation du tonus muscu-
laire, la préparation et le contrôle de l’exécution du mouvement. Le vermis
correspond à la région médiane du cervelet. Il joue un rôle dans le contrôle
musculaire des yeux, l’équilibre, le contrôle du tonus ainsi que la coordination
des mouvements. Le vermis serait également impliqué dans le traitement des
informations et des objets présents dans l’environnement24.
L’étude des déficiences intellectuelles et des troubles du développement
montrent que plusieurs domaines sont interdépendants.
Les anomalies cérébrales observées chez les personnes déficientes intel-
lectuelles ne sont pas localisées dans une structure cérébrale spécifique. Pour
un même syndrome, les imageries ne montrent pas toujours une étiologie
commune.
La première question que posent les déficiences intellectuelles à la neuropsy-
chologie est de déterminer s’il existe des troubles neuropsychologiques communs
aux syndromes ou bien si chaque profil comporte des déficits spécifiques.
La deuxième interrogation porte sur les compétences des personnes
déficientes intellectuelles. Les personnes ne doivent pas être considérées uni-
quement à travers la somme de leurs déficits cognitifs.
L’objectif sera de déterminer quelles sont les fonctions préservées et
comment la remédiation cognitive s’appuiera sur celles-ci.

21 Lévy, R. (2006). Cortex prefrontal et fonctions executives : organization anatomo-


fonctionnelle chez le sujet sain et reorganisation chez le patient cérébro-lésé, Dans Pradat-
Diehl, P., Azouvi, P. & Brun, V. (dir.), Fonctions exécutives et rééducation (pp.21-34). Paris :
Masson, Rencontres en rééducation.
22 Cathala, H. P., Laffont, F., Siksou, M., Esnault, S., Gilbert, A., Minz, M., Moret-Chalmin,
C., Buzare, M. A. & Waisbord, P. (1983). Sommeil et rêve chez des patients atteints de
lésions pariétales et frontales, Revue neurologique, 139(8-9), 497-508.
23 Roux, S. & Bossu, J. (2016). Le cervelet : des troubles moteurs à l’autisme. Revue de neuro-
psychologie, 8(3), 182-191. doi: 10.1684/nrp.2016.0385.
24 Michael, G. A., Bussy, G., Lion-François, L., Rougeot, C., Lété, B., Ducrot, S. (2012). Le rôle
du vermis cérébelleux dans les processus attentionnels : Étude de deux cas rarissimes avec
Rhombecéphalosynapsis. Congres de la Societe Française de Psychologie, Montpellier. 24-27

8
Introduction

3. L’attention
Le terme « attention » renvoie à un ensemble d’activités cognitives. Le rôle prin-
cipal de l’attention est de fixer l’esprit sur des objets déterminés et d’empêcher
que celui-ci soit envahi par des pensées involontaires ou qu’il soit submergé
par des informations non pertinentes. Van Zomeren et Brouwer25 divisent
les processus attentionnels en deux dimensions : l’intensité et la sélectivité :
− la première comprend l’alerte tonique, la vigilance et l’attention
soutenue. L’alerte tonique correspond à l’éveil de l’organisme aux sti-
mulations de l’environnement. Elle peut se maintenir sur des périodes
de temps variables. La vigilance et l’attention soutenue sont les capacités
permettant de maintenir un niveau d’activité sur le long terme ;
− la seconde regroupe l’attention focalisée, l’attention divisée et l’atten-
tion alternée.
L’attention focalisée (aussi nommée attention sélective) désigne la capacité
à fixer son esprit sur un stimulus ou sur une activité, sans tenir compte des
distracteurs présents dans l’environnement. Les capacités de traitement et de
stockage du système central étant limitées, une sélection des informations est
essentielle. Lorsqu’un nouvel événement survient dans l’environnement, l’at-
tention s’oriente vers lui de manière spontanée et automatique. Ce phénomène
est nommé : « réflexe d’orientation ». La focalisation intervient après ce réflexe
d’orientation pour débuter un traitement cognitif de l’information perçue.
L’attention divisée (aussi nommée attention partagée) permet de mener
plusieurs activités en même temps.
L’attention alternée est l’aptitude à fixer l’attention sur un point précis et
à changer rapidement de foyer attentionnel. Le « superviseur attentionnel26 »
contrôle le degré d’attention attribué aux événements et sélectionne les actions
à mettre en place en conséquence. Le déploiement des ressources attention-
nelles par le superviseur attentionnel se fait en fonction du type d’activités
dans lesquelles l’individu est engagé et la complexité des comportements à
fournir.
L’attention conjointe27 n’est pas une composante de l’attention à propre-
ment parler. Le terme « attention conjointe » désigne la capacité à partager
avec autrui un événement ou un objet, en attirant son attention vers celui-ci.
Elle est la précurseure d’activités cognitives complexes comme la mentalisation

25 Van Zomeren, A.H. & Brouwer, W.H. (1994). Clinical neuropsychology of attention. New
York: Oxford University Press.
26 Norman, D.A, Shallice, T. (1986). Attention to action: willed and automatic control of
behaviour, Dans Davidson, R. J., Schwartz, G. E., and Shapiro, D., (dir.). Consciousness and
Self-Regulation: Advances in Research and Theory. New-York: Plenum Press.
27 Gerardin-Collet, V. & Ribon C. (2000). Autisme, perspectives actuelles. Paris : L’Harmattan,
le forum – IRTS de Lorraine

9
Déficiences intellectuelles

et la théorie de l’esprit. Pour que l’attention conjointe puisse émerger, il faut


que les autres composantes attentionnelles soient efficientes.
Les déficits de l’attention conjointe et de l’attention focalisée sont des
troubles fréquemment repérés chez les personnes ayant un TSA.
Un exemple classique d’attention conjointe est celui de l’enfant qui indique à
un adulte son jouet posé sur l’étagère en le pointant du doigt. Pour que l’enfant
puisse effectuer cette action, il faut, tout d’abord, qu’il ait pu repérer le jouet
parmi tous les objets posés sur l’étagère (attention focalisée), puis qu’il puisse
dériver son attention du jouet vers l’adulte (attention alternée), avant de fina-
lement pouvoir attirer l’attention de l’adulte vers le jouet (attention conjointe).
L’attention est liée à deux fonctions exécutives importantes : l’inhibition
et la flexibilité. Les troubles de l’attention peuvent avoir différentes réper-
cussions. Tout d’abord, l’inattention, qui est caractérisée par la difficulté à se
concentrer et à le rester, associée à une forte distractibilité.
L’impulsivité qui est le besoin irrésistible d’accomplir un acte, sans prémé-
ditation. Enfin, l’hyperactivité qui est caractérisée par l’incapacité à tenir en
place, désorganisant et déstructurant l’activité globale. Il est estimé qu’entre
30 % et 80 % des personnes avec un TSA souffriraient également d’un trouble
du déficit de l’attention associé à l’hyperactivité (TDAH)28.
La régulation des capacités attentionnelles est soumise à l’avancée en âge.
Ainsi, l’attention divisée voit ses performances diminuer. Il en va de même
pour l’attention sélective. Son déclin est lié à celui des fonctions exécutives,
notamment de l’inhibition.
Les processus attentionnels sont activés par des réseaux neuronaux
distincts, mais reliés ensemble et s’influençant. Par conséquent, une adap-
tation comportementale et sociale ne peut être atteinte que si chacune des
composantes attentionnelles a un niveau de maturation suffisant. À niveau
intellectuel équivalent, les enfants ayant des capacités attentionnelles effi-
cientes font preuve d’un plus grand self-control et, par conséquent, ont moins
de conduites disruptives, ont de meilleurs résultats scolaires et, à l’âge adulte,
sont moins à risque de développer des troubles psychiatriques que ceux ayant
des capacités attentionnelles réduites29.
Baddeley30 décrit l’administrateur central comme étant un système contrô-
lant l’attention.

28 Rommelse, N. N. J., Geurts, H. M., Franke, B., Buitelaar, J. K., Hartman, C. A. (2011). A
review on cognitive and brain endophenotypes that may be common in autism spectrum
disorder and attention-Deficit/hyperactivity disorder and facilitate the search for pleio-
tropic genes. Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 35(6), 1363-1396.
29 Moffitt, T. E., Arseneault, L., Belsky, D., Dickson, N., Hancox, R. J., Harrington, H., Houts,
R., Poulton, R., Roberts, B. W., Ross, S., Sears, M. R., Thomson, W. M. & Caspi, A. (2011).
A gradient of childhood self-control predicts health, wealth, and public safety. Proceedings
of the National Academy of Sciences of the United States of America, 108(7), 2693–2698.
30 Baddeley, A. D. (1986). Working memory. Oxford: Oxford University Press.

10
Introduction

Il existe des liens entre mémoire et attention. La mémoire de travail permet


l’allocation des ressources attentionnelles. Toutefois, il apparaît que la sti-
mulation de l’une n’entraîne pas nécessairement d’amélioration de l’autre31.
Les troubles de l’attention chez les personnes déficientes intellectuelles ont
été repérés très tôt32. Les déficits de l’attention se manifestent à travers des
désinhibitions comportementales et émotionnelles, des difficultés de planifi-
cation et de mémorisation.
La distinction entre stimuli pertinents et parasites leur est malaisée. Les
troubles attentionnels et la distractibilité sont connectés avec l’impulsivité et
la difficulté à maintenir une action à moyen et long terme33.
Les personnes trisomiques 21 présentent une distractibilité importante, des
déficits au niveau de l’attention alternée ainsi que des difficultés à maintenir
leur attention à long terme34. La prévalence des troubles de l’attention avec
ou sans hyperactivité est estimée à 43,9 %35 pour les jeunes trisomiques 21
et à 65 % pour les enfants ayant le syndrome de Williams36. Ces déficits
attentionnels ont un impact négatif sur les capacités d’apprentissage dans
les deux syndromes.
Les personnes porteuses du syndrome de Williams ont tendance à aller
sans distinction vers les personnes connues et étrangères. Cette absence de
discrimination peut être reliée à un déficit du contrôle inhibiteur37.
Les troubles de l’attention sélective sont observés chez les personnes tri-
somiques 21 et celles porteuses du syndrome de Williams38. Par contre, les
personnes ayant le syndrome de Down ont une attention soutenue opérante.

31 Kerns, K. A., Eso, K., & Thomson, J. (1999). Investigation of a direct intervention for
improving attention in young children with ADHD. Developmental Neuropsychology,
16(2), 273–295.
32 Zeaman, D. & House, B. J. (1963). The role of attention in retardate discrimination learn-
ing. Dans N. R. Ellis (Dir.), Handbook of Mental Deficiency. New York: McGraw-Hill.
33 Deutsch, C. K., Dube, W. V. & McIlvane, W. J. (2008). Attention deficits, attention-deficit
hyperactivity disorder, and intellectual disabilities. Developmental Disabilities Research
Reviews, 14, 285-292.
34 Seynhaeve, I. & Nader-Grosbois, N. (2005). Trajectoires développementales et particulari-
tés dysfonctionnelles de trois enfants à trisomie 21 en période sensori-motirce. Revue
francophone de la déficience intellectuelle, 16 (1), p 137-59
35 Ekstein, S., Glick, B., Weill, M., Kay, B., & Berger, I. (2011). Down syndrome and attention-
deficit/hyperactivity disorder (ADHD). Journal of Child Neurology, 26(10), 1290–1295.
36 Leyfer, O. T., Woodruff-Borden, J., Klein-Tasman, B. P., Fricke, J. S., & Mervis, C. B.
(2006). Prevalence of psychiatric disorders in 4 to 16-year-olds with Williams syndrome.
American Journal of Medical Genetics Part B, Neuropsychiatric Genetics, 141B(6),
615–622.
37 Little, K., Riby, D. M., Janes, E., Clark, F., Fleck, R., & Rodgers, J. (2013). Heterogeneity of
social approach behaviour in Williams syndrome: The role of response inhibition. Research
in Developmental Disabilities, 34(3), 959–967.
38 Breckenridge, K., Braddick, O., Anker, S., Woodhouse, M., & Atkinson, J. (2013). Attention
in Williams syndrome and Down’s syndrome: Performance on the new early childhood
attention battery. British Journal of Developmental Psychology, 31(2), 257–269.

11
Déficiences intellectuelles

Les déficits de l’attention conjointe et de l’attention focalisée sont obser-


vables dans les TSA. La tendance à se focaliser sur des détails ainsi que les
comportements stéréotypés peuvent être reliés à des troubles attentionnels
et du control inhibiteur39.

4. La mémoire à court et long terme


Baddeley40 différencie la mémoire de travail de la mémoire à court terme.
En effet, la mémoire de travail a un double rôle : le stockage et la manipula-
tion des informations. Elle se développe après la mémoire à court terme et
est reliée à plusieurs fonctions cognitives. Il s’agit notamment de l’attention,
du raisonnement, de la résolution de problèmes, de la compréhension du
langage et de l’intelligence fluide41. Du développement de la mémoire de
travail dépendent celui des capacités cognitives, d’apprentissage ainsi que le
contrôle des comportements.
Les enfants ayant un TSA42, un syndrome de Williams43, un syndrome de
l’X fragile44 ou une trisomie 2145 ont des déficits de la mémoire de travail.
L’attention et la mémoire de travail partagent des circuits neuronaux situés
dans les lobes préfrontaux et pariétaux postérieurs46.
La mémoire de travail comprend un centre exécutif ainsi que la boucle
phonologique et le bloc-note visuo-spatial. La boucle phonologique permet le
maintien des informations verbales notamment par le biais de l’auto-répétition
subvocale. Les informations auditives peuvent accéder directement au stock
phonologique (autre composante de la boucle phonologique), tandis que les

39 Richler, J., Huerta, M., Bishop, S. L., & Lord, C. (2010). Developmental trajectories of
restricted and repetitive behaviors and interests in children with autism spectrum disor-
ders. Development and Psychopathology, 22(1), 55–69.
40 Baddeley, A. D. (1986). Working memory. Oxford: Oxford University Press.
41 Nettelbeck, T., & Burns, N. R. (2010). Processing speed, working memory and reasoning
ability from childhood to old age. Personality and Individual Differences, 48(4), 379–384.
42 Steele, S., Minshew, N. J., Luna, B., & Sweeney, J. A. (2007). Spatial working memory defi-
cits in autism. Journal of Autism and Developmental Disorders, 37(4), 605–612.
43 Rhodes, S. M., Riby, D. M., Fraser, E., & Campbell, L. E. (2011). The extent of working
memory deficits associated with Williams syndrome: Exploration of verbal and spatial
domains and executively controlled processes. Brain and Cognition, 77(2), 208–214.
44 Schapiro, M. B., Murphy, D. G. M., Hagerman, R. J., Azari, N. P., Alexander, G. E., Mieze-
jeski, C. M., et al. (1995). Adult fragile X syndrome: Neuropsychology, brain anatomy, and
metabolism. American Journal of Medical Genetics, 60(6), 480–493.
45 Lanfranchi, S., Cornoldi, C., & Vianello, R. (2004). Verbal and visuospatial working
memory deficits in children with Down syndrome. American Journal of Mental Retarda-
tion, 109(6), 456–466.
46 Ikkai, A., & Curtis, C. E. (2011). Common neural mechanisms supporting spatial working
memory, attention and motor intention. Neuropsychologia, 49(6), 1428–1434.

12
Introduction

informations non verbales (par exemple, visuelles ou tactiles) sont d’abord


recodées phonologiquement.
Le centre exécutif gère les ressources attentionnelles et influence les per-
formances cognitives. Il est particulièrement actif sur des tâches mobilisant
plusieurs sens et processus cognitifs comme la lecture.
La gravité des déficits de la mémoire de travail est corrélée avec le degré
de déficience.
Chez les personnes déficientes intellectuelles, le stock phonologique est
limité. L’auto-répétition subvocale est amoindrie47. De même, lors d’épreuves
faisant appel au centre exécutif, les personnes déficientes intellectuelles ont
un empan de lecture relativement restreint par rapport aux personnes ordi-
naires. Par conséquent, elles passent un temps plus long à déchiffrer les mots,
au détriment des stratégies d’auto-répétition et de maintien48. Ces déficits
participent aux troubles des apprentissages.
Büchel et Büchel49 proposent de diviser la mémoire en trois catégories
s’influençant mutuellement :
− la mémoire à ultra-court terme intervient en première instance. Elle
englobe plusieurs registres sensoriels (visuel, auditif, tactile, olfactif,
gustatif). Les informations perçues par la mémoire à ultra-court terme
vont ensuite parvenir à la mémoire à court terme. Celle-ci comprend
la mémoire de travail et la mémoire tampon ;
− la mémoire de travail compare les informations nouvellement perçues
avec celles déjà acquises ;
− enfin, les informations pertinentes pourront être stockées en mémoire
à long terme. Elle-même renferme plusieurs composantes (notam-
ment la mémoire sémantique, épisodique, procédurale, etc.). La
métacognition est également une structure comprise dans la mémoire
à long terme.
Les informations transitent de la mémoire à ultra-court terme à la mémoire
à long terme. Les informations stockées en mémoire à long terme influencent
la manière dont les perceptions sensorielles seront prises en compte par la
mémoire à ultra-court terme.
Les processus de contrôle situés en mémoire à long terme agissent sur la
mémoire de travail.

47 Schuchardt, K., Gebhardt, M. & Mäehler, C. (2010). Working memory functions in chil-
dren with different degrees of intellectual disability, Journal of Intelectual Disability
Research, 54(4), 346-353.
48 Daneman, M. & Carpenter, P. (1980). Individual differencies in working memory and
reading. Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior, 19, 450-466.
49 Büchel, F.P. & Büchel, P. (1995). Découvrez vos capacités, rEalisez vos possibilités, pLani-
fiez votre démarche, soyez créatiFs. DELF : Un programme d’apprentissage pour adoles-
cents et adultes. Russin, Suisse : Centre d’Education Cognitive.

13
Déficiences intellectuelles

Le modèle de Büchel et Büchel sur les trois structures de la mémoire


offre des clés pour comprendre les troubles mnésiques et des apprentissages
chez les personnes déficientes intellectuelles. En effet, dans leur modèle, les
structures de mémorisation sont coordonnées et œuvrent ensemble. Les pro-
cessus de contrôle permettent de trier les informations sensorielles perçues.
Il apparaît que ces processus sont impactés chez les personnes déficientes
intellectuelles. Par conséquent, les informations discernées sont transférées en
mémoire tampon sans avoir subi de sélection. Ce processus est en œuvre, y
compris chez les personnes déficientes intellectuelles chez qui les perceptions
sensorielles sont amoindries. Les stimuli ne sont structurés ni au niveau per-
ceptif ni au moment de l’encodage à ultra court et court terme. Ce manque
de structuration entraîne la perte des informations. L’absence d’informations
retenues provoque une faible construction de schèmes en mémoire à long
terme. Enfin, la présence insuffisante de ces schèmes fait que la personne ne
possède pas ou peu de stratégies pour discriminer les stimuli et donc pour
les encoder de manière efficace.
Les exercices d’entraînement de la mémoire visent à renforcer la mémoire
à court terme. Concernant la remédiation de la mémoire à court terme, plu-
sieurs expérimentations ont été menées à partir des années 1970.
Anderson, dans sa théorie Adaptive Control of Thought50 (ACT), conçoit
la mémoire comme un ensemble de processus cognitifs interactifs. Trois
composantes sont interconnectées : la mémoire déclarative, la mémoire pro-
cédurale et la mémoire de travail.
Les composantes mnésiques sont reliées entre elles. Il existe des nœuds
entre chacune. Les informations perçues dans l’environnement vont activer
ces nœuds et, par la même, faire intervenir la mémoire de travail.
La mémoire de travail est la partie consciente de la mémoire. Elle contient
les représentations de l’environnement à un instant T (représentations visuelles,
auditives, etc.). Elle assure le maintien temporaire d’informations et conserve
les données nécessaires à l’élaboration du raisonnement. Elle joue également
un rôle d’interface entre les composantes de la mémoire à long terme et
l’environnement. Les mémoires déclaratives et procédurales renferment les
informations stockées et les procédures de traitement des informations. En
mémoire procédurale sont stockées les procédures computationnelles (si…
alors…). La mémoire déclarative contient les connaissances théoriques, fac-
tuelles et les associations entre faits et contextes.
Les trois types de mémoire sont coordonnés. Les savoirs (mémoire décla-
rative) et savoir-faire (mémoire procédurale) sont transférables et modifiables.
Les caractéristiques (sensorielles, affectives, etc.) des informations perçues
peuvent favoriser ou entraver leur intégration dans la mémoire.

50 Anderson, J. R. (1983). A spreading activation theory of memory. Journal of verbal learning


and verbal behavior, 22(3), 261-295.

14
Introduction

Ce modèle offre des clés de compréhension pour les troubles des appren-
tissages. Ainsi, face aux personnes ayant des déficits intellectuels, il est
primordial de ne pas multiplier les informations afin de ne pas surcharger
la mémoire de travail. Il est important de permettre aux personnes d’allier
savoirs théoriques et applications pratiques afin de renforcer la mémorisation
au niveau déclaratif et procédural.
La mémoire à court terme est impactée chez la plupart des personnes
déficientes intellectuelles. Les difficultés se situent principalement au niveau
du rappel des informations auditives. Ces déficits seraient davantage liés à
des troubles du traitement et de la récupération des informations qu’à des
difficultés au niveau de l’encodage51.
Ces limitations entraînent des difficultés à élaborer des stratégies
d’apprentissage52.
Ces capacités seraient particulièrement fragilisées chez les personnes triso-
miques 21 et porteuses du syndrome de l’X fragile. A contrario, elles seraient
efficientes chez les personnes ayant le syndrome de Williams53.
Contrairement aux personnes tout-venant, l’empan de mémoire n’aug-
mente pas avec l’âge.
En dehors des troubles fonctionnels, l’absence de stratégies d’apprentissage
ou l’utilisation de méthodes inadéquates d’apprentissage et de récupération
des informations stockées contribuent aux faibles capacités mnésiques.
Ainsi, les personnes déficientes intellectuelles ne parviennent que diffi-
cilement à identifier et organiser le matériel à mémoriser ou à initier des
stratégies d’apprentissage (comme la récapitulation subvocale ou le classement
des informations en fonction d’un dénominateur commun). Ensuite, les défi-
cits langagiers (troubles de l’articulation, par exemple) rendent la restitution
des informations malaisée ce qui, s’ils sont associés à un déclin rapide des
traces laissées par les éléments encodés, perturbe le maintien de ceux-ci.
Comblain54 a proposé une tâche consistant à répéter des « non-mots ».
Cet exercice a pour avantage de pouvoir être proposé aux personnes ayant
une efficience intellectuelle très faible. Les résultats du test démontrent que
les capacités de mémorisation à court terme des personnes trisomiques 21,
comme des personnes ordinaires, sont soumises à des contraintes équivalentes.

51 McDade, H. L. & Adler, S. (1980). Down’s syndrome and short-term memory: a storage or
retrieval deficit. American Journal of Mental Deficiency, 84, 561-567
52 Borkowski, J. & Day, I. (1987). Cognition in special children: Comparative approaches to
retardation, learning disabilities and giftedness. Nordwood, NJ: Ablex.
53 Pennington, B. F. & Bennetto, L. (1998). Toward a neuropsychology of Mental retardation.
Dans Burack J. A., Hodapp R. M. & Zigler E. (dir.), Handbook of mental retardation.
(pp. 80-114). Cambridge: Cambridge University Press
54 Comblain, A. (1999). The relevance of a nonword repetition task to assess individuals with
Down’s syndrome phonological short-term memory. Down Syndrome Research and prac-
tice, 6(2), 76-84

15
Déficiences intellectuelles

Il s’agit notamment des effets de croissance des informations à retenir et de


similarité phonologique.
Les capacités d’encodage phonologique chez les personnes porteuses du
syndrome de Williams sont équivalentes de celles des individus ordinaires.
Par contre, leurs capacités d’encodage lexico-sémantique sont déficitaires55.
Elles ont également des capacités réduites en mémoire visuo-spatiale à court
terme56. Les personnes atteintes par le syndrome de Turner présentent les
mêmes limitations.
Les capacités en mémoire phonologique à court terme sont impactées
chez les personnes trisomiques 21 et porteuses du syndrome de l’X fragile.
Elles sont préservées chez les personnes avec un TSA ou ayant le syndrome
de Williams57.
Les capacités d’imitation sont généralement performantes chez les per-
sonnes déficientes intellectuelles. Ces compétences leur permettent de stocker
un nombre important d’informations verbales, voire de maîtriser des langues
étrangères58. Au-delà du mimétisme, les capacités à construire une représen-
tation mentale du langage participent à l’apprentissage et à la mémorisation
des mots.
Les personnes porteuses du syndrome de l’X fragile présentent des limi-
tations au niveau de la mémorisation des informations auditives et visuelles.
Une autre difficulté concernant la mémorisation des personnes déficientes
intellectuelles vient de la submersion de la mémoire tampon par les infor-
mations sensorielles.
La mémoire à long terme peut être subdivisée en plusieurs éléments :
− la mémoire rétrospective traite les événements passés
− la mémoire épisodique comprend les souvenirs autobiographiques ;
− la mémoire prospective permet une projection dans l’avenir ;
− la mémoire sémantique regroupe les connaissances générales (scolaires
et encyclopédiques) et langagières ;
− la mémoire explicite renvoie aux efforts conscients de rechercher des
éléments anciennement enregistrés. La mémoire implicite concerne
l’utilisation non intentionnelle de la mémoire.
− la mémoire procédurale renferme les habiletés motrices et les savoir-faire.

55 Vicari, S., Brissolara, D., Carlesimo, G., Pezzini, G. & Volterra, V. (1996). Memory abilities
in children with Williams syndrome, Cortex, 32, 503-514
56 Howlin, P. & Yule, W. (1990). Taxonomy of major disorders in childhood. Dans
M. Lewis & S. M. Miller (dir.), Handbook of developmental psychopathology (pp. 371-383).
New-York: Plenum.
57 Pennington, B. F. & Bennetto, L. (1998). Toward a neuropsychology of mental retardation.
Dans J. A. Burack, R. M. Hodapp & E. Zigler (dir.). Handbook of mental retardation
(pp. 80-114). Cambridge: Cambridge University Press.
58 Vallar, G. & Papagno, C. (1993). Preserved vocabulary acquisition in Down’s syndrome:
The role of phonological short-term memory. Cortex, 29, 467-483

16
Introduction

La mémorisation suit trois étapes : une phase d’encodage pendant laquelle


la personne doit mémoriser des éléments (liste de mots, de nombres, d’objets,
d’images, des phrases, etc.) ; une phase de maintien (en situation d’évaluation,
le neuropsychologue propose une tâche distractive) ; une phase de récupé-
ration/restitution pendant laquelle la personne livre ce qui a été mémorisé
lors de la première phase.
Afin de mémoriser efficacement les informations, et donc de les faire tran-
siter de la mémoire à court terme vers la mémoire à long terme, la personne
peut avoir recours à différentes stratégies. Il s’agit notamment de la répéti-
tion mentale de maintien, d’établir des liens entre le nouveau matériel et les
informations déjà connues ou bien de connecter le nouveau matériel à une
signification (effet de la profondeur de traitement de l’information), d’associer
les nouvelles informations au contexte dans lequel elles sont stockées (effet
de contexte), d’organiser les informations selon les concepts, les catégories
sémantiques (effet d’organisation hiérarchique), d’organiser en schéma des
informations et de répartir celles-ci entre éléments centraux et périphériques
ou bien de gérer les ressources cognitives et environnementales.
Certains effets peuvent parasiter les capacités de mémorisation. Il s’agit
notamment de l’effet d’interférence (associer plusieurs informations à un
même item), l’effet du type de tâche (l’exercice de mémorisation comporte
ses propres contraintes qui vont influencer l’investissement des capacités du
participant), la manière dont les questions seront présentées. Les capacités et
limitations propres à la personne jouent également un rôle important.
Les capacités de mémorisation à long terme dépendent étroitement de
l’intégrité du cerveau. Ainsi, il apparaît que les troubles en mémoire à long
terme chez les personnes trisomiques 21 découlent directement des atteintes
des parties médiales du lobe temporal et de l’hippocampe.
Ces troubles ont un impact négatif sur les capacités d’apprentissage. Les
informations ne se maintiennent pas, ou alors de façon incomplète. L’hippo-
campe est également impliqué dans l’orientation spatiale et dans la flexibilité.
Les difficultés des personnes atteintes du syndrome de Down à mémoriser et
reconnaître des noms de lieux, à se repérer dans l’espace (sens de l’orienta-
tion) et à maintenir des consignes de trajet ou à s’adapter aux modifications
de parcours découlent de ces atteintes hippocampiques59.
Les anomalies morphologiques de l’hippocampe impactent négativement
les capacités langagières60. Les capacités de stockage en mémoire sémantique

59 Witton, J, Padmashri, R., Zinyuk, L. E., Popov, V. I., Kraev, I., Line S.J. et al. (2015).
Hippocampal circuit dysfunction in the Tc1 mouse model of Down syndrome. Nature
Neuroscience, 18, 1291–1298
60 Agostini, G., Mancini, J., Chabrol, B., Villeneuve, N., Milh, M., George, F., Maurel, B.
& Girard, N. (2010). Troubles du langage chez les enfants porteurs d’anomalies morpholo-
giques de l’hippocampe. Archives de Pédiatrie, 17(7), 1008-1016.

17
Déficiences intellectuelles

ne différeraient pas entre les personnes déficientes intellectuelles légères et


les personnes ordinaires61.
Les personnes porteuses du syndrome de Williams ont une mémoire
verbale proche de la norme62. Toutefois, alors que l’encodage phonologique
est normal, l’effet de fréquence est nettement plus restreint que celui des
enfants ordinaires. La mémoire à court terme est opérationnelle, mais les
mécanismes d’encodage à long terme sont limités.
Chez les personnes porteuses du syndrome de l’X fragile, la mémoire
verbale et la mémoire visuelle sont déficitaires.
La mémoire et les fonctions exécutives sont connectées et s’influencent.
Les capacités à pouvoir demeurer concentré sans se laisser parasiter, à traiter
les informations, à planifier ses actions et anticiper leurs conséquences
influencent les compétences d’encodage et de mémorisation. De la même
manière, les capacités de stockage des informations ont un impact sur les
capacités d’apprentissage, de raisonnement ainsi que sur le traitement des
informations et les capacités à s’appuyer sur du matériel cognitif ancien pour
adapter ses actions.

5. Les fonctions exécutives


Dans le domaine de la neuropsychologie, les fonctions exécutives ont un rôle
de contrôle cognitif et comportemental. Elles interviennent principalement
dans les situations nécessitant la coordination des actions et l’élaboration
des pensées finalisées, dirigées vers un but. Elles regroupent un ensemble
d’opérations incluant :
− la motivation ;
− l’anticipation :
− la planification ;
− les processus d’organisation et de traitement des informations en
mémoire de travail ;
− le maintien de l’attention ;
− la sélection des informations ;
− la flexibilité mentale ;
− l’inhibition ;

61 Moleux, M., Seigneuric, A. & Ehrlich, M-F. (1998). Mémoire phonologique, mémoire de
travail et compréhension de l’écrit chez des adolescents présentant une déficience intellec-
tuelle. Dans F. P. Büchel, J-L. Paour, Y. Courbois & U. Scharnhorst (dir.). Attention, mémoire,
apprentissage. Études sur le retard mental (pp. 77-96). Lucerne/CH : Ed. SZH-SPC.
62 Vicari, S., Brizzolara, D., Carlesimo, G. A., Pezzini, G. & Volterra, V. (1996). Memory
Abilities in Children with Williams Syndrome. Cortex, 32(3), 503-514.

18
Introduction

− le contrôle du déroulement des schémas d’action ;


− l’évaluation de l’adéquation du résultat avec le but initial.
Les fonctions exécutives jouent un rôle prépondérant dans l’acquisition des
connaissances scolaires63. Elles semblent prédire, de manière plus fiable que
le quotient intellectuel, la réussite potentielle de l’enfant dans son intégration
sociale64 et sa réussite scolaire.
De même, les fonctions exécutives sont corrélées avec la santé psy-
chologique65. Par ailleurs, les troubles dysexécutifs exacerbent les troubles
comportementaux et pénalisent d’avantage l’adaptation sociale des personnes
ayant des troubles cognitifs et psychiatriques66.
Les fonctions exécutives sont des fonctions cognitives complexes. Elles
entrent en jeu lors de l’élaboration de comportements, de stratégies, de séries
d’actions, et de l’adaptation à de nouvelles situations.
La planification permet d’organiser les actions en fonction d’un objectif.
Elle permet également la régulation des comportements67. L’autorégulation
est la capacité à planifier et gérer le temps, à organiser les informations de
manière à atteindre un but. L’autorégulation dépend étroitement des capacités
à organiser et gérer son temps, à organiser les informations perçues dans l’envi-
ronnement selon une stratégie, à subdiviser un but principal en sous-objectifs,
à rester concentré sur une tâche et utiliser ses ressources et ses compétences.
Les personnes déficientes intellectuelles éprouvent des difficultés à identifier et
élaborer des objectifs à moyen et long terme. Par conséquent, leurs habilités à
réguler leur attention et leur comportement s’en trouvent réduites68.
La planification et l’autorégulation peuvent être impactées ou bien être
préservées, mais non mobilisées par les personnes déficientes intellectuelles.
La planification et l’autorégulation jouent un rôle important dans l’appari-
tion et la mise en œuvre de la communication, de la capacité à prendre soin
de soi et dans le self control.

63 Steele, A., Karmiloff-Smith, A., Cornish, K. & Scerif, G. (2017). The multiple subfunctions
of attention: Differential developmental gateways to literacy and numeracy. Child Develop-
ment, 83 (6), 2028-2041
64 Gomes, L., & Livesey, D. (2008). Exploring the link between impulsivity and peer relations
in 5 – and 6-year-old children. Child: Care, Health and Development, 34(6), 763–770.
65 Meyer, S. E., Carlson, G. A., Wiggs, E. A., Martinez, P. E., Ronsaville, D. S., Klimes-Dougan,
B., et al. (2004). A prospective study of the association among impaired executive function-
ing, childhood attentional problems, and the development of bipolar disorder. Develop-
ment and Psychopathology, 16(2), 461–476
66 Einfeld, S. L., Piccinin, A. M., Mackinnon, A., Hofer, S. M., Taffe, J., Gray, K. M., et al.
(2006). Psychopathology in young people with intellectual disability. Journal of the Ameri-
can Medical Association, 296(16), 1981–1989.
67 Santrock, J. W. (2011). Life span development (13th ed.). New York: McGraw-Hill.
68 Nader-Grosbois, N. & Vieillevoye, S. (2012). Variability of self-regulatory strategies in
children with intellectual disability and typically developing children in pretend play situ-
ations. Journal of Intellectual Disability Research, 56(2), 140-156.

19
Déficiences intellectuelles

Des déficits dans ces domaines sont responsables des difficultés à intera-
gir avec les pairs69. Il existe donc des connexions étroites entre troubles des
fonctions exécutives et troubles du comportement70.
Les travaux de Danielsson, Henry, Messer et Ronnberg71 montrent que les
enfants déficients intellectuels ont des compétences inférieures à celles des
enfants neurotypiques sur le plan exécutif. Les enfants déficients rencontrent
des difficultés dans le traitement et la compréhension des informations
(notamment en situation d’échanges sociaux). Ils montrent également des
incapacités dans la résolution de problèmes72.
Les fonctions exécutives jouent un rôle important dans plusieurs com-
portements adaptatifs tels que les capacités à communiquer, prendre soin
de soi, faire preuve de self control, etc. Par conséquent, les troubles exécutifs
sont connectés avec les difficultés dans les interactions avec les paires73 et les
troubles du comportement74.
La flexibilité correspond à la capacité à changer de stratégie en fonction
des contingences de l’environnement. Les déficits au niveau de la flexibilité
sont régulièrement observés chez les personnes ayant un TSA et les personnes
ayant des troubles envahissant du développement75. Le manque de flexibi-
lité entraîne des difficultés dans la reconnaissance des états émotionnels76 et
favorise les manifestations comportementales inadaptées.
L’inhibition est la capacité à résister aux interférences ainsi qu’aux impul-
sions et comportements inappropriés.

69 Reeder, C., Newton, E., Frangou, S., & Wykes, T. (2004). Which executive skills should
target to affect social functioning and symptom change? A study of a cognitive remediation
therapy program. Schizophrenia Bulletin, 30(1), 87-100.
70 Volman, I., Roelofs, K., Koch, S., Verhagen, L. & Toni, Y. (2011). Anterior Prefrontal Cor-
tex Inhibition Impairs Control over Social Emotional Actions. Current Biology, 21(20),
1776-1790.
71 Danielsson, H., Henry, L., Messer, D. & Ronnberg, J. (2012). Strengths and weaknesses in
executive functioning in children with intellectual disability. Research in Developmental
Disabilities, 33, 600-607.
72 Van Nieuwenwenhuijzen, M. & Vriens, A. (2012). Social cognitive skills and social infor-
mation processing in children with mild to borderline intellectual disabilities. Research in
Developmental Disabilities, 33(2), 426-434.
73 Reeder, C., Newton, E., Frangou, S., & Wykes, T. (2004). Which executive skills should
target to affect social functioning and symptom change? A study of a cognitive remediation
therapy program. Schizophrenia Bulletin, 30(1), 87-100.
74 Volman, I., Roelofs, K., Koch, S., Verhagen, L. & Toni, Y. (2011). Anterior Prefrontal Cor-
tex Inhibition Impairs Control over Social Emotional Actions. Current Biology, 21(20),
1776-1790.
75 Kenworthy, L., Yerys, B. E., Gutermuth Anthony, L., Wallace, G. L. (2008). Understanding
Executive Control in Autism Spectrum Disorders in the Lab and in the Real World. Neuro-
psychology Review, 18(4), 320-338.
76 Nelson, T. O. & Narens, L. (1990). Metamemory: A theoretical framework and new
findings. Dans G. H. Bower (dir.), The psychology of learning and motivation (Vol. 26,
pp. 125–173). New York: Academic Press.

20
Introduction

Les fonctions exécutives sont connectées à la métacognition et sont, par


conséquent, à l’œuvre dans l’engagement et le suivi d’une psychothérapie77.
La métacognition regroupe les fonctions cognitives permettant d’acquérir
une connaissance de son fonctionnement et de ses propres outils de pensée
et de connaissances ainsi que de la gestion de ceux-ci. Elle permet à l’indi-
vidu de percevoir ses propres capacités d’apprentissage, de mémorisation, de
réflexion et de résolution de problème.
Ces fonctions sont également à l’œuvre dans l’élaboration d’un jugement
« moral ».
La prise d’une décision adaptée à une situation et la résolution d’un
problème éthique font appel à la mémoire de travail, la motivation (cortex
cingulaire), la planification et la mémoire prospective (cortex préfrontal). La
prise d’une décision rationnelle suppose la capacité d’atténuer l’activation
émotionnelle (amygdale) au profit des capacités d’inhibition, de flexibilité et
d’anticipation (cortex préfrontal, fronto-orbitraire et insulaire).
Concernant l’anticipation, le cortex insulaire, associé au système limbique,
permet d’envisager les éventuelles conséquences aversives découlant de la
décision prise. Le cortex frontal ventro-médian anticiperait les conséquences
positives.
L’approche neuropsychologique permet d’évaluer les troubles des fonctions
cognitives complexes. Elle offre une meilleure compréhension du fonction-
nement de la personne, de ses limitations et de ses capacités.

6. Atteintes neuropsychologiques
et troubles du comportement
Longtemps les troubles du comportement ont fait partie des critères diagnos-
tics de la déficience intellectuelle78.
Actuellement, les troubles comportementaux sont considérés comme étant
une réponse à un environnement inapproprié ou incompréhensible.
Greenspan défend l’idée d’une l’intelligence tripartite contenant l’intel-
ligence conceptuelle, sociale et pratique79. De même, le comportement
adaptatif peut être conçu comme recouvrant une multitude de dimensions.

77 Willner, P. (2006). Readiness for Cognitive Therapy in People with Intellectual Disabilities.
Journal of Applied Research in Intellectual Disabilities, 19(1), 5–16.
78 Arias, B., Verdugo, M. A., Navas, P. & Gomez, L. E. (2013). Factor structure of the
construct of adaptive behavior in children with and without intellectual disability, Interna-
tional Journal of Clinical and Health Psychology, 13, 155-166.
79 Greenspan, S. (2006). Functional concepts in mental retardation: Finding the natural
essence of an artificial category, Exceptionality, 14, 205-224.

21
Déficiences intellectuelles

Il s’agit des domaines conceptuels, sociaux, pratiques ainsi que les compé-
tences motrices.
Le comportement est influencé par les structures du tronc cérébral. Les
lobes frontaux sont « connectés » aux autres régions cérébrales notamment
l’hippocampe et l’amygdale qui jouent un rôle essentiel dans la reconnaissance
des émotions.
Le lobe frontal est impliqué dans plusieurs processus cognitifs (essentielle-
ment la planification, le langage et le mouvement volontaire). Il connaît une
croissance rapide pendant les deux premières années de la vie et continue de
se développer jusqu’à l’âge adulte. Les fonctions régulatrices ne commencent
leur développement qu’entre quatre et sept ans (période préopératoire de
Piaget) et atteignent leur niveau adulte vers l’adolescence.
Le cortex préfrontal sous-tend les capacités cognitives les plus élaborées,
comme les fonctions exécutives. Une atteinte des lobes préfrontaux peut
entraîner des troubles de la personnalité et des fonctions mentales, une dis-
tractibilité accrue, un comportement de persévération, de désinhibition ou
d’apathie et d’autres troubles de la planification.
Ledoux relie le contrôle des émotions pathologiques à l’influence du cortex
préfrontal sur l’amygdale80.
La région orbito-frontale du cortex préfrontal joue un rôle déterminant
dans la perception de ce qui est bon ou mauvais, de ce qui est conforme aux
repères sociaux de ce qui ne l’est pas. Cette aire est connectée à l’amygdale
ainsi qu’à la région cingulaire antérieure. La zone dorso-latérale du cortex
préfrontal se distingue des autres structures cérébrales par le fait qu’elle peut
être « directement modulée par le système de récompense en jeu au cours
d’épreuves81 […] plus la récompense en jeu est importante, plus l’activité du
cortex préfrontal dorso-latéral est importante ».
Les systèmes de récompenses influencent également le maintien ou le
relâchement de l’attention. Cette affirmation est particulièrement importante.
En effet, elle pose la base neurologique sur laquelle s’appuient les prises en
charge comportementales basées sur le conditionnement opérant.
Les troubles du comportement peuvent avoir des causes et conséquences
différentes. Une étude réalisée par Carr, Horner et Turnbull82 révèle que les
troubles du comportement peuvent avoir pour but d’éviter certaines tâches
ou situations déplaisantes, d’attirer l’attention, d’obtenir un bénéfice, de per-
mettre une stimulation sensorielle. Il peut s’agir d’une combinaison de ces

80 Ledoux, J. (1998). The emotional brain. London: Weidenfeld & Nicolson.


81 Levy, R. (2006). Cortex préfontal et fonctions exécutives : organisation anatomo-
fonctionnelle chez le sujet sain et réorganisation chez le patient cérébro-lésé. Dans
P. Azouvi, V. Brun, & P. Pradat-Diehl(2006). Fonctions exécutives et rééducation. Paris :
Masson., p 25
82 Carr, E. G., Horner, R. H., & Turnbull, A. P. et coll. (1999). Positive Behavior Support for People
with developmental disabilities. Washington DC: American Association on Mental Retardation.

22
Introduction

différents points. Pour Novaco83, les comportements problématiques peuvent


être liés à une gestion inefficace des états émotionnels.
Les troubles des fonctions exécutives ont un impact direct sur la régula-
tion du comportement et des relations sociales. Les comportements sociaux
dépendent étroitement de la capacité à traiter rapidement et efficacement les
informations, à maintenir son attention, à mémoriser, à planifier ses actions
et surtout à déterminer quelles en seront les conséquences.
L’agressivité, qui est centrale dans les comportements d’attaque, est direc-
tement liée et régulée par le système limbique et le néocortex.
Vygotsky a mis en lumière l’importance des processus sociaux et culturels
dans le développement cognitif des individus.
Le neuropsychologue, à travers la guidance verbale qu’il fournit lors des
sessions de remédiation, stimule le développement des fonctions cognitives
du patient.
De plus, en travaillant sur les fonctions cognitives complexes, le neuro-
psychologue prépare la personne au travail psychothérapique. Ces éléments
seront détaillés au cours du présent ouvrage.
Les causes des troubles du comportement ne peuvent pas se résumer exclu-
sivement aux atteintes des fonctions exécutives. L’approche comportementale
et cognitive complète les théories neuropsychologiques concernant l’appari-
tion, la régulation et le maintien des comportements. Elle offre également des
outils soutenant la mise en place et la réussite des exercices de remédiation
cognitive.

7. Les thérapies comportementales


et cognitives (TCC)
Les thérapies comportementales et cognitives (TCC) sont une méthode inte-
ractive d’écoute et de discussion autour des troubles psychologiques. En TCC,
les aspects comportementaux (basés sur les théories de l’apprentissage) et
cognitifs (fondés sur l’étude et le traitement de l’information et tout ce qui a
trait aux cognitions, émotions, images mentales) sont pris en compte.
Selon le concept du conditionnement opérant, les comportements (qu’ils
soient adaptés, ou non) ont un but (généralement apporter un plaisir ou
éviter un ressenti pénible) et se maintiennent dans le temps en fonction des
avantages et désavantages qu’ils entraînent. Les éléments qui encouragent
l’apparition et le maintien d’un comportement sont nommés « renforçateurs ».

83 Novaco, R. (1975). Anger control: the development and evaluation of an experimental


treatment, Lexington, MA: Health

23
Déficiences intellectuelles

Un comportement s’il permet d’obtenir une conséquence appréciable (ren-


forçateur positif) ou d’éviter une répercussion aversive (renforçateur négatif)84.
Ce sont les facteurs de l’environnement dans lequel vit la personne qui
contrôlent les probabilités d’apparition du comportement. C’est pourquoi,
avant de débuter tout type de prise en charge, il convient de s’interroger sur les
conditions dans lesquelles vit la personne. Bien des troubles du comportement
s’atténuent et disparaissent lorsque l’environnement a été adapté à la personne.
L’examen attentif de la personne permet de repérer quels sont les potentiels
causes, conséquences et facteurs de maintien des comportements. Ces obser-
vations sont consignées à l’écrit, dans les grilles d’analyse fonctionnelle.
Les outils des TCC ont été adaptés pour les personnes déficientes intel-
lectuelles85. Plusieurs programmes de remédiation cognitive se situent à
mi-chemin entre les TCC et la neuropsychologie. Ils empruntent des éléments
de ces deux disciplines. Par ailleurs, des outils cognitifs et comportemen-
taux sont employés pour compléter les exercices de stimulation et réduire
les troubles du comportement.
Parmi les emprunts faits à la psychologie cognitive se trouvent les méthodes
d’observation. Le Self Monitoring Training permet d’acquérir un meilleur
contrôle inhibiteur grâce à l’auto-enregistrement des comportements86. L’indi-
çage et la médiation verbale sont deux éléments utilisés dans les prises en
charge neuropsychologiques et dans les TCC.
Les concepts en psychologie comportementale et cognitive découlent des
expérimentations faites en laboratoire.
Les techniques comportementales employées sont :
− la technique du shaping87 dans laquelle un objectif thérapeutique prin-
cipal est fixé et décomposé en sous-objectifs. Le participant est invité
à remplir chacun des sous-objectifs, ceux-ci étant répartis selon un
niveau de difficulté croissant ;
− la token economy88 : il s’agit d’une technique de renforcement dans
laquelle le thérapeute définit avec le patient les comportements attendus
ainsi que les répercussions de chacun d’entre eux. Quand le patient

84 Skinner, B. F. (1953). Science and Human Behavior, New York: Macmillian.


85 Fletcher, R. J. (2011). Psychotherapy for Individuals with Intellectual Disability. New York:
The NADD Press.
86 Alderman, N., Fry, R. K. & Yougson, H. A. (1995). Improvement of self-monitoring skills,
reduction of behavior disturbance and the dysexecutive syndrome : comparison of response
cost and a new programme of self-monitoring training, Neurospychological Rehabilitation,
5, 193-221.
87 Skinner, B. F. (1975). The shaping of phylogenic behavior. Journal of the Experimental
Analysis of the Behavior, 24(1), 117–20.
88 Atthowe, J. M., & Krasner, L. (1968). Preliminary report on the application of contingent
reinforcement procedures (token economy) on a «chronic» psychiatric ward. Journal of
Abnormal Psychology, 73(1), 37-43.

24
Introduction

a un comportement adapté, il reçoit un jeton. Il peut ensuite échan-


ger ses jetons contre les renforçateurs matériels. Le nombre de jetons
nécessaires pour obtenir une gratification est défini par le thérapeute
et le patient. Pour les personnes présentant des troubles attentionnels,
l’attente du renforçateur peut être problématique. Il est donc impor-
tant que chaque action positive soit directement suivie par l’attribution
d’un jeton. La token economy comporte également une phase nommée
Response cost. Le participant doit rendre l’un de ces jetons s’il manifeste
un comportement problématique ;
− Le time out : si les comportements adaptés sont valorisés, les com-
portements inadéquats ne reçoivent pas de réponses punitives. Les
punitions sont généralement contre-productives. Elles n’enseignent
pas le comportement qui était attendu et renforcent le sentiment
d’impuissance vis-à-vis de l’environnement. Il est préférable d’avoir
recours au time out face aux comportements problématiques. Lorsque
ceux-ci surviennent, le thérapeute ne formule pas de commentaires. La
personne est isolée du reste du groupe et est réintégrée lorsqu’elle est
apaisée. Après cela, le thérapeute peut rappeler les consignes ainsi que
les comportements qui sont attendus. Il reprend avec le patient ce qui
vient de se produire et essaie d’explorer avec lui les raisons du passage
à l’acte ainsi que les attentes qu’il en avait. Après cela, le thérapeute
peut proposer au patient des stratégies pour gérer ses émotions, pour
disputer ses cognitions inadaptées ainsi que pour adopter une attitude
socialement adéquate ;
− la relaxation : il existe plusieurs techniques allant de la respiration ven-
trale aux exercices de détentes musculaires. La relaxation permet la
régulation des émotions et des impulsions. Elle est un outil clé dans le
traitement de tous les troubles anxieux (phobies, troubles obsessionnels,
crises de panique, etc.), des réactions impulsives et des troubles soma-
tiques dits fonctionnels (hypertension artérielle, céphalées de tension,
lombalgies, etc.). Elle est également une aide précieuse dans la prise en
charge des troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité ;
− le mindfulness : l’objectif est de devenir conscient de chaque instant et
plus concentré sur le moment présent. Face aux ruminations négatives,
la personne est invitée à réorienter ses pensées vers la respiration, le
corps ou les sensations. La personne apprend à observer le flux de
la pensée, tel qu’il se déroule. La décentration vis-à-vis des contenus
mentaux est favorisée. Les techniques basées sur la pleine conscience
(mindfulness) ont montré des effets positifs dans la prise en charge
des personnes déficientes intellectuelles ayant des conduites disrup-
tives. Nous détaillerons l’application d’un programme basé sur la pleine
conscience pour les personnes avec un TSA ;

25
Déficiences intellectuelles

− les expositions : les techniques d’expositions peuvent se faire en ima-


gination et in vivo. Le patient expose une situation jugée aversive. Il
est invité à la détailler et à la rédiger. Elle est ensuite décomposée
en sous-parties qui sont évaluées selon le degré d’aversion qu’elles
entraînent. Le thérapeute propose ensuite au patient de se confronter
progressivement aux situations d’abord en imagination puis en situation
réelle. Les techniques d’exposition peuvent être proposées aux per-
sonnes déficientes intellectuelles légères et moyennes afin de les aider
à apprivoiser les situations anxiogènes ou dépressiogènes (par exemple :
aller dans des magasins très fréquentés). L’exposition in vivo peut se
faire en compagnie d’un éducateur. Toutefois, il est primordial que
la personne vive pleinement l’exposition et ne cherche ni à éviter les
pensées et sensations déplaisantes ni à la neutraliser. Par conséquent,
l’éducateur ne doit pas jouer le rôle de rempart entre le patient et la
situation aversive à laquelle il s’expose ;
− les outils cognitifs et de « dispute » des cognitions : ces outils peuvent
être malaisés à mettre en place pour les personnes les plus déficientes.
En effet, celles-ci ne possèdent pas toujours les capacités d’insight néces-
saires pour prendre conscience de leurs pensées et avoir un impact sur
elles. Les techniques utilisées en thérapies cognitives sont la flèche des-
cendante (relances régulières du patient afin de découvrir les schémas
de pensées dysfonctionnels), la restructuration cognitive (remplacer
les pensées dysfonctionnelles par un discours alternatif, acceptable et
plausible, par l’identification du type d’erreur logique), la résolution de
problèmes (elle se fait en cinq étapes : hiérarchiser les problèmes (les
données du problème sont encodées en mémoire de travail), formuler
des objectifs réalistes et précis, repérer des solutions possibles, tester
leurs avantages et leurs inconvénients et évaluer les moyens à mettre
en œuvre, prise de décision, suivi et évaluation des résultats, ajustement
des stratégies si besoin).
Pour la prise en charge TCC des personnes déficientes intellectuelles, il est
primordial de tenir compte des déficits physiques et cognitifs. Le thérapeute
aménagera la thérapie en fonction des troubles neuropsychologiques.
Les personnes déficientes intellectuelles, du fait d’un insight insuffisant,
peuvent ne pas avoir conscience de leurs pensées et émotions. Par conséquent,
elles sont incapables de les nommer pendant la thérapie. Le thérapeute peut alors
employer des supports émotionnels pour faciliter la prise de conscience. Les
séances groupales, la relaxation et l’appui de tiers constituent également des aides
pour faire émerger et prendre conscience des processus cognitifs et émotionnels.
Plusieurs techniques issues des TCC, et plus particulièrement de la troi-
sième vague, ont été employées avec succès auprès des personnes déficientes
intellectuelles.

26
Introduction

La thérapie comportementale dialectique, conçue par Linehan pour venir


en aide aux personnes ayant un trouble de la personnalité borderline89, a été
adaptée et proposée à des enfants et des adultes déficients intellectuels90.
Cette adaptation consiste en une simplification des consignes, une pré-
sentation multimodale des informations, couplées à la mise en situation des
participants dans des activités concrètes et l’utilisation du thérapeute en tant que
modèle pour développer des interactions affirmées. Le but de la thérapie est la
compréhension des émotions et de la manière dont elles influencent la prise de
décisions et la mise en action. Les sessions sont plus longues, plus structurées. Le
thérapeute emploie un style plus actif et directif que dans des thérapies classiques.
Les techniques de relaxation ont également été employées dans la prise
en charge des personnes déficientes intellectuelles.
Un programme de relaxation comportementale a été adapté spécifique-
ment pour les besoins des personnes ayant une déficience sévère associée à
des troubles anxio-dépressifs91. Ce programme se déroule sur dix minutes et
explore dix parties du corps (tête, yeux, bouche, gorge, épaules, torse, hanches,
bras et jambes, mains, pieds, respiration). Les sessions se déroulent en silence
pour favoriser la détente et la concentration sur les sensations corporelles.
Les prises en charge comportementales sont accompagnées d’exercices de
stimulation neuropsychologique et d’entraînement des capacités de commu-
nication et d’attention.
Le concept de « phénotype comportemental » apporte de nouvelles clés
pour la compréhension et la remédiation des conduites disruptives.
Le phénotype comportemental a été conceptualisé par Nyhan. Il employa
en premier le terme pour désigner les comportements d’automutilation que
s’infligent les personnes ayant le syndrome de Lesh-Nyhan92.
Flint et Yule93 définissent le phénotype comportemental comme étant un
ensemble d’anomalies motrices, cognitives, linguistiques et sociales et sont
constamment associées avec des pathologies biologiques.
Les phénotypes comportementaux englobent tous les comportements
qui sont spécifiquement identifiés dans un syndrome ou un trouble du
développement. Ces comportements étant si typiques qu’ils en deviennent
pathognomoniques.

89 Linehan, M. (1993). Cognitive-behavioral treatment of borderline personality disorder,


New-York: The Guilford Press.
90 Dyskstra, E. & Charlton M. (2004). Dialectical behavior therapy skills training: Adapted for
special populations, University of Denver, Colorado: Aurora Mental Health.
91 Paclawskyj, T. R. & Yoo, J. H. (2006). Behavioral Relaxation Training (BRT): Facilitating
acquisition in individuals with developmental disabilities, the NADD Bulletin, 9, 13-18.
92 Nyhan, W. (1972). Behavioural phenotypes in organic genetic disease. Presidential adress
to Society for Pedriatric Research, May 1, 1971. Pediatric Research, 6,1-9
93 Flint, J. & Yule, W. (1994). Behavioural phenotypes. Dans M. Rutter, E. Taylor and L. Hersov,
(dir.), Child and adolescent psychiatry, 3rd ed., (pp. 666-687). Blackwell Scientific, Oxford.

27
Déficiences intellectuelles

C’est notamment le cas pour les comportements d’hyperphagie du syn-


drome de Prader-Willi, des stéréotypies des mains pour le syndrome de Rett
ou l’aversion du regard dans le syndrome de Williams.
Toutefois, toutes les personnes porteuses d’un syndrome ne manifesteront
pas de conduites stéréotypées. De même, les contingences environnemen-
tales conditionnent les actions des individus. Les déficits cognitifs peuvent
également influencer l’expression du phénotype comportemental. Certaines
manifestations peuvent apparaître dans de nombreux troubles. Elles n’en
sont donc pas l’apanache. C’est notamment le cas pour les troubles neu-
ropsychologiques (troubles de l’attention, hyperactivité, impulsivité) et
certaines conduites disruptives (passages à l’acte auto- et hétéro-agressif,
comportements de repli sur soi, persévération). Enfin, les études réalisées sur
les souris en laboratoire montrent que, pour une même mutation, l’appari-
tion, l’expression et le maintien des comportements varient d’un individu
à l’autre94.
Plusieurs échelles permettent d’évaluer le phénotype comportemental. La
plupart de ces échelles sont constituées d’entretiens semi-directifs s’adressant
aux proches des personnes déficientes intellectuelles95.
La Behavioural Phenotypes Interview de Bax et a.l96 permet d’évaluer
spécifiquement les phénotypes comportementaux. La Diagnostic Assessment
for the Severly Handicapped Scale (DASH) offre la possibilité d’évaluer les
phénotypes comportementaux chez des personnes déficientes intellectuelles
sévères, bien que cette échelle n’ait pas été élaborée spécifiquement dans ce
but97. Il en va de même pour l’Autism Behavior Checklist98 et d’autres échelles
à visée diagnostic.
Nous recenserons les phénotypes comportementaux propres à chaque
syndrome.
Nous détaillerons la complémentarité entre neuropsychologie et thérapie
cognitive et comportementale dans la partie consacrée aux thérapies. Nous
aborderons plus précisément ce thème au moment où nous traiterons de la
remédiation cognitive.

94 Skuse, D. H. (2000). Behavioural phenotypes: What do they teach us? Archives of Disease
in Childhood, 82, 222-225.
95 O’Brien, G. (1991). Behavioural measurement in mental handicap: A guide to existing sche-
dules. Oxford: Society for the Study of Behavioural Phenotypes.
96 Bax, M., Dennis, J., MacKain, K., O’Brien, G., Udwin, O., Yule, W. (1995). The Behavioural
Phenotypes Interview. London: Community Paediatric Research Unit, Chelsea and West-
minster Hospital.
97 Matson, J. L., Coe, D. A., Gardner, W. I., Sovner, R. (1990). Diagnostic Assessment for Seve-
rely Handicapped (DASH) Scale (User Manual). Baton Rouge, LA: Louisiana State
University.
98 Krug, D. A., Arick, J., Almond, P. (1980). Behavior checklist for identifying severly handi-
capped individuals with high levels of autistic behavior, Journal of Child Psychology and
Psychiatry, 21, 221-229.

28
Introduction

8. Double diagnostic
La notion de double diagnostic est répandue dans les pays anglo-saxons depuis
déjà une vingtaine d’années. Elle émerge en France.
La question d’éventuels troubles psychiatriques n’est abordée que lorsque les
personnes déficientes intellectuelles présentent des troubles du comportement
importants. Ces derniers sont traités comme des troubles psychopathologiques
à part entière. La prise de traitements au long court (généralement des neuro-
leptiques) et les hospitalisations récurrentes en milieu spécialisé renforcent la
conviction que les conduites inadaptées seraient des troubles psychiatriques.
Ceci entretient un cercle vicieux.
Les comportements défis sont davantage à considérer comme des causes
et/ou des conséquences de troubles neuropsychologiques et/ou psychiatriques.
Emerson99 propose de concevoir les troubles du comportement soit comme
des manifestations atypiques des troubles psychiatriques, soit comme des
caractéristiques secondaires. Enfin, il envisage une troisième hypothèse selon
laquelle les troubles psychiques seraient un facteur de maintien des troubles du
comportement dans le sens où ceux-ci se pérenniseraient selon les principes
du conditionnement opérant.
La National Association for the Dually Diagnosed (NADD)100 œuvre pour
l’identification et la reconnaissance des troubles psychiatriques chez les per-
sonnes déficientes intellectuelles dans le but que celles-ci bénéficient d’un
traitement adéquat.
Les limitations neuropsychologiques sont connectées avec les troubles
psychiatriques.
Par exemple, les variations pathologiques de l’humeur et les troubles
anxieux101 peuvent être reliés avec des déficits attentionnels et motivationnels,
ainsi qu’avec des capacités réduites concernant la mémoire et la planification.
L’objectif de notre ouvrage sera de présenter les manifestations spéci-
fiques des psychopathologies chez les personnes présentant une déficience
intellectuelle.
Nous présenterons également l’apport des thérapies comportementales
et cognitives dans la compréhension et la prise en charge des affections
psychiatriques.

99 Emerson, E. (2001) Challenging Behaviour, Analysis and Intervention in People with


Severe Behavior Problems. Cambridge: Cambridge University Press
100 www.thenadd.org
101 Charlot, L., Fox, S., Silka, V. R., Hurley, A., Lowry, M. A. & Pary, R. (2007). Mood disor-
ders. Dans R. Fletcher, E. Loschen, C. Stavrakaki & M. First (dir.). Diagnostic Manual-
Intellectual Disability: A Clinical Guide for Diagnosis of Mental Disorders in Persons with
Intellectual Disability (DM-ID). (pp. 157-186). New York: NADD press.

29
Déficiences intellectuelles

9. Remédiation cognitive
Depuis trois décennies, la remédiation des troubles neuropsychologiques
et psychiatriques des personnes en situation de handicap connaît un essor
important. Toutefois, s’il existe de nombreux outils, ceux-ci sont surtout
connus et employés dans les pays Anglosaxons, en Suisse et en Belgique.
En France, il n’existe que deux centres de remédiation cognitive. Le
premier se situe à Lyon et est relié à l’Association francophone de remé-
diation cognitive ainsi qu’à l’équipe EDR-psy (étiopathogénie, diagnostic et
remédiation cognitive en psychiatrie) du Centre hospitalier Le Vinatier. Le
second, le Centre Ressource, Remédiation cognitive, Réhabilitation psycho-
logique est basé à Paris. Ces deux organismes se sont d’abord orientés vers la
prise en charge des personnes schizophrènes. L’application de la remédiation
cognitive pour les personnes déficientes intellectuelles est émergente. Si de
nombreuses associations de personnes en situation de handicap, de parents
et de professionnels œuvrent pour que l’image du handicap et les prises en
charge évoluent, les réponses apportées par les institutions de soins ne sont
pas suffisantes.
En France, le réseau Déficience regroupe les centres de référence dédiés
aux déficiences intellectuelles. Les Centres Ressources Autisme sont dédiés
au dépistage, à l’évaluation et à la prise en charge des personnes ayant
un TSA.

10. Objectifs du présent ouvrage


Pourquoi aborder les thématiques des déficits neuropsychologiques et de
la remédiation cognitive pour les personnes déficientes intellectuelles ?
Tout d’abord, car la neuropsychologie est une jeune discipline. Elle reste
cantonnée aux consultations spécialisées alors qu’elle gagnerait à être rendue
compréhensible et accessible à un plus grand nombre de professionnels des
secteurs médicaux, paramédicaux et éducatifs.
La remédiation cognitive est un outil thérapeutique au carrefour de plu-
sieurs disciplines. Ses effets positifs ont fait l’objet de nombreuses études.
Elle offre la possibilité d’offrir à 2 % de la population présentant une
déficience intellectuelle une prise en charge complémentaire aux soins médi-
camenteux en vue de son épanouissement et de son intégration.
Pour l’individu, la remédiation cognitive offre des avantages à court et
long terme :
− Diminution et arrêt des troubles du comportement qui sont respon-
sables d’arrêts de travail, de destructions de biens et de maintien dans
les institutions médico-sociales, voire pénitentiaires ;

30
Introduction

− Apporter des ressources pour affronter les stresseurs quotidiens ;


− Permettre le maintien dans le système scolaire et l’entrée dans le monde
du travail.
Pour la société, les bénéfices s’observent sur le long terme :
− Diminution des impacts négatifs des troubles du comportement ;
− Réduction du nombre de séjours en milieu hospitalier ou correctionnel ;
− Enrichissement de la société par l’intégration de nouvelles personnes.
Ce livre s’adresse aux professionnels des secteurs sanitaires et éducatifs
travaillant dans le champ du handicap ainsi qu’aux étudiants de ces filières
désireux d’acquérir ou d’enrichir leur connaissance sur les sujets de la neu-
ropsychologie des déficiences intellectuelles, de la remédiation cognitive et
du double diagnostic en psychiatrie.
Nous présenterons plusieurs tests et programmes connus et exploités en
Amérique du Nord et chez nos voisins européens, mais non utilisés en France.
Nous avons choisi de les mentionner dans l’espoir que notre présentation
suscitera l’intérêt et l’envie de se former, de transposer et d’appliquer ces
instruments chez le lecteur.

31
Chapitre 1 1

Rappel historique

Les premières classifications médicales sont apparues pendant l’Anti-


quité1. Hippocrate développe les premiers traités de médecine. Toutefois,
Hippocrate et ses élèves ne se penchent que sur les maladies somatiques et
délèguent aux philosophes les soins prodigués aux pathologies mentales.
Aristote et Platon portent un regard négatif sur les déficiences physiques
et intellectuelles.
Platon interroge2 : « La vie vaut-elle d’être vécue avec un corps en loques
et en ruines ? ».
Le Psysiognomika3, texte attribué à Aristote, fournit une première descrip-
tion des personnes déficientes intellectuelles. Elles présentent, entre autres,
un nez et des mâchoires larges, un écart disproportionné entre la nuque, le
sternum et le nombril, un front rond et une tête de petite taille.
L’avènement du Christianisme apporte une vision un peu moins négative
des handicaps et, par conséquent, une baisse des infanticides4.
Toutefois, la maladie est perçue comme étant l’œuvre du démon et à
chaque pathologie est associé un saint guérisseur (Saint Lydwine pour les
handicapés et Saint Romuald pour les troubles psychiques).
L’Islam protège les personnes déficientes intellectuelles en tant qu’êtres
vivants. Toutefois, le Coran les considère comme étant incompétentes sur
le plan légal5.
Ibn Sina (Avicenne) s’intéresse à la déficience intellectuelle. Il estime que
les facultés mentales peuvent être réparties selon trois groupes.

1 Winzer, M. (1993). The history of special education. Washington, DC: Gallaudet Free Press
2 L. Brisson (2008). Platon – Œuvres complètes. Paris : Flammarion, p. 277
3 Metzler, I. (2016). Fools and Idiots? Intellectual Disability in the Middle Ages. Manchester:
Manchester University Press. p 72.
4 Scheerenberger, R. (1983). A history of mental retardation. Baltimore: Paul H. Brookes.
5 Morad, M., Nasri, Y., Merrick, J. (2001). Islam and the Person with Intellectual Disability.
Journal of Religion, Disability & Health, 5(2-3), 65-71
Chapitre 1 – Rappel historique

− les facultés végétales, reposant sur l’instinct de survie ;


− les facultés animales permettant de distinguer ce qui est bon de ce
qui est néfaste et d’orienter son comportement en conséquence (rejet
des éléments perçus comme potentiellement nuisibles) ;
− les facultés humaines, dont les intelligences pratiques et spéculatives.
Ibn Sina pense que les personnes déficientes intellectuelles restent can-
tonnées au premier groupe des facultés mentales et ne peuvent pas s’élever
au-delà du deuxième groupe6.
Au Moyen-Âge, les « fous de naissance » (soit les personnes déficientes
intellectuelles) sont distingués des « lunatiques » (c’est-à-dire les personnes
présentant une maladie psychiatrique). Les psychopathologies ont des consé-
quences juridiques. En Angleterre7, le roi peut s’approprier les biens des
personnes déclarées « folles ».
En 1614, le médecin suisse, Felix Platter8 décrit les manifestations compor-
tementales des déficits intellectuels chez des enfants. Ces enfants présentent
des signes de « simplicité » dans leurs mouvements et leurs rires. Ils ne prêtent
pas facilement attention à leur environnement ou bien, ils suivent docilement
leur tuteur, mais se montrent incapables de retenir ce qui leur est enseigné.
Bien que Platter ait conceptualisé des thérapeutiques pour venir en aide à
ses patients, il conserve une vision pessimiste de leur avenir : « Ce défaut
d’intelligence, s’il est de causes internes, est incurable »9.
L’Église continue à concevoir les maladies et le handicap comme des
manifestations diaboliques pendant la Renaissance. Martin Luther décrit les
personnes déficientes intellectuelles comme des masses de chairs sans âmes10.
Le lien entre punition divine et maladie commence à être remis en cause au
xviiie siècle. Les premières études sur la cognition humaine et sur ses troubles
apparaissent. C’est également à cette époque qu’apparaissent les premières
thérapies « éducatives ».
Deux théories sur l’étiologie des troubles mentaux et du développement
apparaissent au Siècle des Lumières. La première considère que le sperme et
l’œuf fécondé par celui-ci contiennent un organisme préformé, renfermant
toutes les caractéristiques du futur être humain en miniature. La théorie de

6 Metzler, I. (2016). Fools and Idiots? Intellectual Disability in the Middle Ages. Manchester:
Manchester University Press. p 111.
7 Lambert, J-L., (1995). Introduction à l’arriération mentale (2nde édition). Bruxelles : Pierre
Mardaga, Editeur, Psychologie et Sciences Humaines, p 9.
8 Woolfson, R. C. (1984). Historical perspective on Mental Retardation. American journal of
mental deficiency, 89(3), 231-235.
9 Korpes, J.L, (1988). Notes d’histoire. Lausanne : Les cahiers de L’EESP, éditions EESP p. 32
10 Kanner, L. (1964) A history of the care and study of the mentally retarded. Springfiled, IL:
Charles C. Thomas.

33
Déficiences intellectuelles

l’épigenèse, par opposition, considère que l’embryon acquière des formes


complexes au cours de son développement intra-utérin.
L’Abbé de l’Épée est l’un des précurseurs dans la prise en charge des défi-
cients sensoriels. Il est à l’origine, avec Jacob Rodrigues Periere, du langage
des signes pour les personnes sourdes.
Philippe Pinel et Jean-Baptiste Pussin sont les précurseurs du « traitement
moral » des aliénés et déficients. Ils promeuvent l’amélioration des conditions
de vie dans les asiles de Bicêtre et de la Salpêtrière11.
Au début du xixe siècle, Esquirol12 utilise le terme « idiotie » pour qualifier
les états déficitaires.
En 1837, Séguin ouvre une institution spécialisée pour les déficients intel-
lectuels13. Il différencie les idiots (personnes avec une déficience moyenne
et grave) des imbéciles (personne avec une déficience légère). Après son
émigration aux États-Unis, il devient en 1876 l’instigateur de l’Association
américaine pour le retard mental (AAMR), actuellement American Association
on Intellectual and Developmental Disabilities (AAIDD).
À cette même époque apparaissent les théories sur l’hérédité qui cherchent à
prouver que les maladies et déficiences peuvent se transmettre. Ces hypothèses
sont, en partie, à l’origine des doctrines sur les « races » et les « dégénérescences
nationales » et de leurs funestes conséquences au milieu du xxe siècle.
À la fin du xixe siècle et au début du xxe, la santé, le handicap et la défi-
cience intellectuelle sortent du domaine de la médecine pour devenir des
questions sociétales.
En 1898, la première loi sur la réparation des accidents du travail est pro-
mulguée. Elle accorde une rente forfaitaire aux personnes devenues invalides
suite à un accident de travail.
À partir de 1905, Binet et Simon mettent au point une échelle de dévelop-
pement de l’intelligence constituée d’une série d’épreuves concrètes et variées
proches de la vie courante, faisant appel au jugement, à la compréhension
et au raisonnement. L’éducation est obligatoire depuis les lois Ferry de 1881
et 1882. Il s’agit alors de détecter les retards de développement des enfants
et ainsi de les orienter vers un enseignement spécialisé. L’échelle repose sur
les niveaux d’âges (comparaison entre âge mental et âge chronologique). Les
épreuves et les types de réponses qu’elles suscitent sont gradués et corres-
pondent en principe à des âges allant de 3 ans à 13 ans. Les épreuves font
appel à des fonctions mentales hétérogènes, l’intelligence étant considérée
comme la résultante globale de celles-ci.

11 Didier M. (2006). Dans la nuit de Bicêtre, Paris : Gallimard.


12 Lambert, J-L., (1995). Introduction à l’arriération mentale (2de édition). Bruxelles : Pierre
Mardaga, Editeur, Psychologie et Sciences Humaines, p 9.
13 Kanner, L. (1964) A history of the care and study of the mentally retarded. Springfiled, IL:
Charles C. Thomas.

34
Chapitre 1 – Rappel historique

L’échelle de Binet-Simon permet d’attribuer à un enfant un âge mental.


L’âge mental correspond à l’âge chronologique moyen des enfants ayant fourni
des réponses équivalentes à celles de l’enfant observé. Cependant, cette échelle
ne permet pas de comparer un retard à des âges différents.
Pour pallier à ce problème, Stern propose d’utiliser le rapport entre
l’âge mental et l’âge réel et d’utiliser ce quotient. Il s’agit du quotient
intellectuel.
Le terme de quotient intellectuel (QI) apparaît en 191614. À l’origine, le QI
désigne le rapport entre l’âge mental et l’âge réel d’un enfant, multiplié par
100. Le QI d’un enfant dont l’âge mental correspond à son âge réel est donc
égal à 100. Ainsi calculé, le QI permet des constats, mais n’a pas de valeur
prédictive puisque le développement de l’enfant n’est pas linéaire et continu.
Il qualifie le stade de développement atteint, mais ne permet pas réellement
de quantifier l’intelligence en elle-même.
Binet et Simon assimilent un enfant déficient à un enfant dont l’âge chro-
nologique est supérieur à l’âge mental défini par leurs épreuves. Le seuil entre
intelligence « normale » et ce qu’ils nomment la « débilité mentale » est établi
à 70. Ce chiffre est fixé par la division de l’âge de 11 ans (âge mental auquel
l’enfant a accès à une pensée abstraite) par l’âge de 15 ans (qui correspond,
dans la conception de Binet et Simon, à la fin du développement cognitif de
l’enfant). La limite inférieure de la « débilité » était fixée à 50. En dessous,
l’enfant était considéré comme « inéducable ».
La Classification internationale des maladies et des problèmes de la santé
(CIM) apparaît en 1946. Deux ans plus tard, l’OMS est constituée. Une révi-
sion de la CIM est opérée.
Sur le plan international, la Déclaration des droits du déficient mental15
de 1971 et la Déclaration des droits des personnes handicapées16 de 1975
définissent les droits des personnes déficientes. La Classification internationale
des déficiences, incapacités, handicap (CIH) apparaît en 1980. Elle devient la
Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé
(CIF) en 1992.
Avec la CIF apparaît l’idée d’une égalité des droits et des chances entre
les individus. La personne est considérée comme « experte » de sa propre
situation et devient un « partenaire » dans les différents soins qui lui sont
proposés.

14 Lambert, J-L., (1995). Introduction à l’arriération mentale (2de édition). Bruxelles : Pierre
Mardaga, Editeur, Psychologie et Sciences Humaines, p11.
15 Assemblée Générale des Nations Unies. (1971).Déclaration des droits du déficient mental
(A/RES/2856 (XXVI)). New York, articles 1 et 4. Repéré à http://daccess-dds-ny.un.org/
doc/RESOLUTION/GEN/NR0/330/26/IMG/NR033026.pdf?OpenElement
16 Assemblée Générale des Nations Unies. (1975).Déclaration des droits des personnes handi-
capées (A/RES/3447 (XXX)). New York, articles 1, 3 et 9. Repéré à http://daccess-dds-ny.
un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/003/40/IMG/NR000340.pdf?OpenElement

35
Déficiences intellectuelles

En France, la première loi17 en faveur de l’intégration de toutes18 les per-


sonnes en situation de handicap dans la société date de 1975. Jusqu’alors,
les textes législatifs ne mentionnaient que les personnes devenues invalides
suite à un accident du travail ou les personnes handicapées physiques. La loi
no 75-535 de 197519 règlemente les établissements accueillant les personnes
déficientes intellectuelles. Les missions des structures médico-sociales sont
redéfinies à partir de la loi du 2 janvier 200220.
La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité
(HALDE) est créée en 2004. Le 11 février 2005, la loi sur l’égalité des droits et
des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est
promulguée. Elle rappelle les droits des personnes en situation de handicap
à l’accès à l’éducation, à l’emploi, au logement, aux soins et aux protections.

1. Évolution des diagnostics en France


Comme nous l’avons vu au cours de ce rappel historique, les notions de
handicap et de déficiences intellectuelles sont étroitement liées à l’évolution
de la médecine et des politiques en matière de santé et d’éducation.
Nous nous attarderons sur deux diagnostics très répandus durant les
cinquante dernières décennies : la psychose infantile et la psychose infantile
déficitaire. Bien que ces diagnostics soient à présent caducs, ils continuent à
apparaître dans certains discours et sont toujours posés par quelques profes-
sionnels de santé en France21.

17 Journal Officiel de la République Française. (1975).LOI no 75-534 du 30 juin 1975 d’orien-


tation en faveur des personnes handicapées. JORF du 1er juillet 1975, 6596-6603. Repéré sur
Légifrance.gouv.fr le service public de la diffusion du Droit à http://www.legifrance.gouv.
fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=19750701&numTexte=&pageDebut=06
596&pageFin=
18 Journal Officiel de la République Française. (1957).LOI no 57-1223 du 23 novembre 1957
sur le reclassement des travailleurs handicapés. JORF du 24 novembre 1957. Repéré sur
Légifrance.gouv.fr le service public de la diffusion du Droit à http://www.legifrance.gouv.
fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=19571124&numTexte=&pageDebut=10
858&pageFin=
19 Journal Officiel de la République Française. (1975).LOI no 75-535 du 30 juin 1975 relative
aux institutions sociales et médico-sociales. JORF du 1er juillet 1975, 6604-6607. Repéré sur
Légifrance.gouv.fr le service public de la diffusion du Droit à http://www.legifrance.gouv.
fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=19750701&numTexte=&pageDebut=06
604&pageFin=
20 Journal Officiel de la République Française. (2002).LOI no 2002-2 du 2 janvier 2002 portant
rénovation de l’action sociale et médico-sociale (Publication n°MESX0000158L). JORF du
3 janvier 2002, 124-142. Repéré sur Légifrance.gouv.fr le service public de la diffusion du
Droit à http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000215460
21 Jamain, S., Betancur, C., Giros, B., Leboyer, M., & Bourgeron, T. (2003). La génétique de
l’autisme. M/S : médecine sciences, 19(11), 1081-1090

36
Chapitre 1 – Rappel historique

Le développement du concept de psychose infantile est lié à plusieurs fac-


teurs : la diffusion des travaux psychanalytiques relatifs aux enfants ainsi que
l’application de diagnostics adultes aux jeunes patients. L’application du terme
de psychose avait également pour objectif d’inscrire les enfants en situation de
handicap dans des parcours de soins et de quitter l’étiquette d’« inéducables ».
Le groupe des psychoses infantiles se caractérise par son polymorphisme
clinique et l’absence de signes pathognomoniques.
La psychose est évoquée chez l’enfant lorsque les troubles suivants sont
observés :
− Troubles du comportement ;
− Atteinte de l’efficience et du fonctionnement intellectuel ;
− Retards et/ou anomalies du langage ;
− Expressions d’angoisse intense ;
− Altérations du sommeil, de l’alimentation, des conduites sphinctériennes ;
− Délire et hallucinations.
Les perturbations ont un caractère atypique et évoluent sur une longue
durée dans des tableaux variés.
Le terme de psychose infantile déficitaire a été introduit par Misès en 1963
pour décrire les enfants touchés à la fois par des perturbations psychotiques et
une symptomatologie déficitaire. Misès précise que ce diagnostic n’est possible
que lorsque la psychose présente une atteinte intellectuelle dans son évolution.
Ce terme remplace le diagnostic d’arriération mentale avec troubles affectifs
graves associés ou de débilité évolutive.
La principale différence entre ce type de psychoses et les déficiences intellec-
tuelles est que, chez la personne déficiente, le retard cognitif serait homogène
tandis que chez la personne psychotique déficitaire les retards auraient un aspect
dysharmonique. Certaines capacités sont d’un registre adulte tandis que d’autres
s’expriment sur des registres infantiles, les déficits peuvent apparaître de manière
brutale, se résoudre en partie puis réapparaître. Les personnes psychotiques défi-
citaires auraient cette caractéristique propre à la psychose : les facultés ne sont
pas limitées ou endommagées, c’est leur accès et leur mise en œuvre qui sont
restreints par moments, du fait de perturbations psychologiques. L’apparition
de la psychose entrave le développement et les apprentissages. Le déficit reste
secondaire par rapport aux symptômes psychotiques. Le déficit est, entre autres,
provoqué par la coupure avec la réalité externe, la réalité corporelle, par la confu-
sion identitaire, la confusion entre soi et non soi, par des angoisses et des pulsions
contre lesquelles le patient ne parvient pas à lutter. Plus la psychose va s’exprimer
précocement, plus la réduction des performances cognitives est grave22.

22 Mazet, P. (2004). Les dysharmonies précoces du développement. Dans S. Lebovici, R. Diat-


kine & M. Soulé (dir) Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Correspon-
dances et transcodage – CIM10 (2e édition, pp 1159-1171), Paris : PUF Quadrige Manuels.

37
Déficiences intellectuelles

La description fut reprise par l’OMS en 1967 avant d’être abandonnée. Le


terme de psychose déficitaire n’est pas reconnu internationalement. En effet,
la Classification internationale des maladies de l’OMS ne retient le diagnostic
de psychose que pour les adultes.
Le diagnostic de psychose implique 3 conditions :
− La survenue de troubles mentaux sur un sujet dont le psychisme est
préalablement « normal » ;
− Un retrait par rapport au réel avec souvent délires et/ou hallucinations ;
− Une amélioration de ces troubles (en particulier les délires) par l’utili-
sation de thérapeutiques médicamenteuses ou psychothérapiques.
Selon la Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de
l’adolescent23 (CFTMEA), la psychose déficitaire correspond à l’associa-
tion d’un retard mental avec des traits autistiques ou psychotiques. Il est à
noter que, depuis 2012, le terme de psychose a disparu de la Classification
française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent, même si les
critères diagnostics demeurent inchangés24. Le diagnostic de « dysharmo-
nie » demeure.
Il est important de rappeler que les TSA ont longtemps été intégrés aux
« psychoses infantiles ». La reconnaissance des TSA comme étant des troubles
neurodéveloppementaux ne s’est opérée que récemment.

2. Corrélation entre la psychose infantile


et l’investissement parental,
un mythe ?
Il a longtemps été supposé que la psychose infantile était liée à un manque
d’investissement de la mère vis-à-vis de son enfant. De nombreux auteurs25
émettaient l’hypothèse que la mère aurait traversé une période de dépression
la coupant totalement de son enfant.
Cependant, des recherches effectuées à partir de parents diagnostiqués
comme ayant ou ayant eu une dépression ne font état d’aucun trouble

23 Misès, R. (2012). Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Ado-


lescent R-2012 (5e édition). Paris : Presse de l’École des Hautes Études en Santé Publique.
24 Misès, R. (2012). Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Ado-
lescent R-2012 (5e édition). Paris : Presse de l’École des Hautes Études en Santé Publique.
25 Ferari, P., (2004) « Dépression maternelle et psychose infantile précoce », Dans S. Lebovici,
R. Diatkine & M. Soulé (dir) Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.
Correspondances et transcodage – CIM10 (2e édition, pp1201-1207), Paris : PUF Quadrige
Manuels.

38
Chapitre 1 – Rappel historique

psychotique avéré chez les enfants26. Les troubles de l’adaptation et de l’hu-


meur apparaissent en fonction de la qualité des relations parents-enfants
indépendamment de l’état thymique de la mère, ou des parents de manière
générale27. Enfin, les études portant sur les effets de causalités entre dépression
maternelle et émergence de psychopathologies chez l’enfant rencontrent toutes
les mêmes limites : des petits échantillons de parents et d’enfants hétérogènes
et non représentatifs de l’ensemble de la population, absence ou peu de groupe
contrôle, un biais d’interprétation des résultats ainsi que des explications
théoriques incomplètes concernant les troubles de l’enfant basées uniquement
sur quelques caractéristiques de la mère28.
Nous ne soutenons pas l’apposition des diagnostics de « psychose infan-
tile » pour les personnes déficientes intellectuelles et encore moins pour les
enfants en situation de handicap. Nous mentionnons ces diagnostics à titre
informatif pour les lecteurs, afin qu’ils puissent avoir une lecture critique des
dossiers des patients.

26 Caplan, H. L., Cogill, S. R., Alexandra, H., Robson, K. M., Katz, R., Kumar, R. (1989).
Maternal depression and the emotional development of the child. The British Journal of
Psychiatry. 1989, 154 (6). pp. 818-822
27 Cox, A. D., Puckering, C., Pound, A., Mills, M. (1987). The impact of maternal depression
in young children, The journal of child psychology and psychiatry, 28 (6), 917-928
28 Gelfand, D. M. & Teti, D. M., (1990). The effects of maternal depression on children. Clinical
Psychology Review. 10(3), 329-353

39
Chapitre 2 2

Aspects du développement
affectif et social

Le développement des émotions est directement lié avec celui du cerveau.


Les premiers affects sont centrés autour des perceptions sensorielles. Ces
expériences originelles sont traitées et mémorisées. Les liens entre sensations
et émotions se font grâce à l’hippocampe et l’amygdale.
Zajonc soutient que l’affect précède la cognition. Une émotion peut être
déclenchée par un stimulus. Elle peut également être présente sans que le
stimulus ait été consciemment reconnu1. Cette conception explique la puis-
sance de l’exposition aux stimuli de façon subliminale. Elle pointe également
la limite des techniques comportementales telles que l’extinction. En effet,
l’extinction permet la diminution et la cessation des réponses comportemen-
tales. Cette diminution survient après que le stimulus déclenchant la réaction
ait cessé d’être présenté ou par l’absence de renforcement. Cependant, l’affect
demeure ainsi que les souvenirs et les apprentissages qui lui sont rattachés2.
La conception de Zajonc permet de comprendre les déclenchements de
réactions émotionnelles excessives irraisonnées. Ce phénomène peut aussi
bien survenir chez des personnes dont le cerveau est lésé que chez celles
ayant un fonctionnement cérébral sans pathologies. L’individu est d’autant
plus vulnérable à ces expériences s’il a vécu des traumatismes, surtout si
ceux-ci surviennent dans l’enfance. Au contraire, les liens sécures qui ont été
développés constituent des facteurs de protection.
Un stress prolongé a des effets délétères à la fois sur l’hippocampe et sur
le cortex préfrontal. Il a pour effet de limiter leurs fonctions régulatrices vis-
à-vis de l’amygdale.

1 Zajonc, R. (1980). Feeling and thinking: Preferences need no inferences, American Psycho-
logist, 35, 151-175.
2 Ledoux, J. (2005). Le cerveau des émotions, Paris : Odile Jacob.
Chapitre 2 – Aspects du développement affectif et social

Les personnes ayant des atteintes du lobe frontal montrent des tendances
à la persévération, aussi bien sur les plans comportementaux qu’émotionnels.
Tout l’enjeu de la thérapie et de la remédiation cognitive est de permettre au
cortex préfrontal de reprendre le contrôle sur l’amygdale.
Le développement affectif et social des personnes déficientes intellectuelles
est soumis à plusieurs facteurs :
− Tout d’abord, les troubles neuropsychologiques et biologiques ont un
impact direct sur le développement de l’enfant. Certains comportements
prosociaux font partie des phénotypes comportementaux spécifiques
des syndromes (par exemple : le syndrome de Williams). Les déficits
au niveau des interactions font partie des symptômes des TSA ;
− Le genre joue également un rôle dans le développement et l’expression
des affects. Ainsi, les filles ayant un TSA montrent des déficits moins
importants que leurs homologues masculins pour les compétences
sociales et communicatives3 ;
− Ensuite, l’environnement familial apporte, ou non, les bases nécessaires
pour une construction sereine.

1. Les styles d’attachement


et leurs rapports avec les troubles
du comportement
Nous citerons les travaux d’Ainsworth sur les styles d’attachement4. Ainsworth
répertorie quatre types d’attachement. Ceux-ci sont identifiables à travers
les réactions du jeune enfant lorsqu’il est réuni avec son parent après une
séparation :
− attachement sécurisé : le bébé (12-18 mois) pleure lors de la séparation
et est rapidement consolé et rassuré par la réunion. Ce style d’attache-
ment crée des schémas cohérents. Le personnage d’attachement a des
comportements prévisibles : positifs, approbateurs et rassurants ;
− attachement insécurisé-évitant : le bébé ne proteste pas lors de la
séparation, et il est évitant vis-à-vis du parent à la réunion, focalisant
son attention sur les objets. L’attachement « insécurisé-évitant » crée
des schémas unifiés. Le personnage d’attachement a un comportement

3 Head, A. M., McGillivray, J. A. & Stokes, M. A. (2014). Gender differences in emotionality


and sociability in children with autism spectrum disorders, Molecular Autism, 5-19
4 Ainsworth, M. (1985) Attachment across the life span, Bulletin of the New York Academy
of Medicine, 61. 792-812

41
Déficiences intellectuelles

prévisible : il ne provoque pas de réconfort. Il n’est pas rassurant et peut


même provoquer de la crainte ;
− attachement insécurisé-ambivalent/résistant : le bébé proteste à la sépa-
ration, puis est en colère vis-à-vis du parent et refuse les consolations.
Le personnage d’attachement est perçu comme ayant un comportement
imprévisible : il ne comprend pas ce dont l’enfant a besoin, il est soit
négligent, soit excessif, hyperprotecteur (parent préoccupé, anxieux) ;
− attachement désorganisé : le bébé a des comportements contradictoires
ou conflictuels (par exemple : approcher le parent en détournant la
tête pour éviter son regard, le réclamer bruyamment derrière la porte,
pour ensuite s’en tenir à l’écart). Le bébé considère son personnage
d’attachement comme imprévisible.
Bowlby5 montre que les enfants adaptent leur comportement d’attache-
ment selon les réponses de l’entourage. Les personnes déficientes intellectuelles
manifestent des comportements d’attachement selon leur histoire, les interac-
tions passées ainsi que la réactivité des proches, des soignants et des éducateurs
face à leurs besoins émotionnels.
Les séparations parents-nourrissons et l’exposition à une personne incon-
nue entraînent des comportements d’attachement similaires chez les enfants
trisomiques 21 et les enfants ordinaires. Par contre, des différences sont obser-
vées dans la réponse affective. Celle-ci est retardée, voire émoussée, chez les
jeunes enfants porteurs du syndrome de Down. Ainsi, il est plus difficile pour
les parents et éducateurs d’interpréter adéquatement la signification de ces
signaux6. Ce phénomène explique, en partie, pourquoi seulement la moitié
des parents parvient à établir un attachement sécurisé avec leurs enfants triso-
miques 21. L’autre moitié de ces enfants faisant face à des styles d’attachement
évitants ou désorganisés7.
La plupart des personnes déficientes avec un long parcours institutionnel
n’ont pas pu expérimenter un style d’attachement sécurisé dans l’enfance. Elles
ont d’avantage été confrontées à un attachement insécurisé-évitant (famille
originelle négligente, famille d’accueil où les liens d’attachement sont pros-
crits, environnement pauvre en stimulations affectives) ou à un attachement
insécurisé-ambivalent/résistant et désorganisé (maltraitances, multiplications
des caregivers, changement de lieux de vie récurrents avec perte des liens
précédemment établis, etc.).

5 Bowlby, J. (2002). Attachement et perte. Volume 1, l’attachement, Puf, le fil rouge, Paris.
6 Cicchetti, D. & Serafica, F. C. (1981) Interplay among behavioral systems: illustrations
from the study of attachment, affiliation, and wariness in young-children with Downs-
syndrome. Developmental Psychology, 17,36–49.
7 Schuengel, C. & Janssen, C. G. C. (2006) People with mentalretardation and psychopatho-
logy: stress, affect regulation andattachment. A review. International Review of Research in
Mental Retardation, 32, 229–260.

42
Chapitre 2 – Aspects du développement affectif et social

L’effet délétère des styles d’attachement insécurisés et désorganisés est


d’autant plus prégnant chez les enfants déficients intellectuels. Ceux-ci ont
davantage besoin de s’appuyer sur des adultes rassurants et bienveillants
pour se développer et pallier à leurs limitations cognitives. Les attachements
insécurisés-évitants et désorganisés entre soignants et patients sont la cause
de ces débordements comportementaux.
Les jeunes enfants déficients intellectuels placés dans des lieux de vie col-
lectifs manifestent des comportements d’attachement spécifiques en fonction
des éducateurs et soignants les prenant en charge8.
Les personnes déficientes intellectuelles, quelles que soient leurs capacités
cognitives, manifestent moins de comportements disruptifs ou stéréotypés et
d’affects négatifs (telle que la dépression) si elles ont bénéficié d’un attache-
ment sécurisé. Au contraire, les personnes ayant fait face à un attachement
insécurisé-évitant, ambivalent ou désorganisé manifestent d’avantage de
conduites inadaptées, agressives ou se replient davantage sur elles-mêmes.
Ces manifestations se retrouvent également chez les personnes ayant une
déficience sévère et profonde vivant en institution vis-à-vis des soignants les
entourant9.
Dans le cas des personnes avec un long parcours institutionnel, les carences
affectives sont nombreuses. La vie institutionnelle façonne la personnalité des
résidents. Aussi, certains développent une personnalité dépendante (car c’est
ce qu’induit un environnement dans lequel ce sont des personnes extérieures
qui dirigent la vie dans ses moindres détails) ou une personnalité antisociale
(induite par un environnement strict, où les personnes n’ont que peu d’espaces
de libertés, où elles ne peuvent obtenir une prise en charge personnalisée
ou des avantages sur les autres que si elles se montrent agressives ou si elles
usent de subterfuges. Ce trouble de la personnalité est renforcé dans un envi-
ronnement où les personnes sont maintenues à un statut « d’irresponsables »
du fait de leur statut de personnes en situation de handicap ou sous mesure
de protection).
L’environnement joue également un rôle dans le développement et l’expres-
sion des capacités intellectuelles. Les fonctions cognitives les plus élaborées
sont influencées par les relations interpersonnelles nouées par l’individu. Si
les premières phases du développement cognitif dépendent des bases neu-
robiologiques avec lesquelles la personne vient au monde, le développement
des capacités intellectuelles varie selon les expériences sociales et culturelles10.

8 De Schipper, J. C. & Schuengel, C. (2010). Attachment behaviourtowards support staff in


young people with intellectualdisabilities: associations with challenging behaviour. Journa-
lof Intellectual Disability Research, 54, 584–596.
9 Clegg, J. & Sheard, C. (2002) Challenging behaviour andinsecure attachment. Journal of
Intellectual Disability Research, 46, 503–506.
10 Hodapp, R. M., Burack J. A. & Zigler E. (1990). Issue in the developmental approach to
mental retardation. Cambridge: Cambridge University Press.

43
Déficiences intellectuelles

Ainsi, l’acquisition des compétences de chaque stade du développement pia-


gétien est influencée par l’environnement11. Ces éléments s’observent à la
fois chez les personnes ordinaires et déficientes intellectuelles. L’engagement
de l’environnement favorise la motivation et encourage le développement de
stratégies pour traiter efficacement les informations, les mémoriser (notam-
ment via la médiation verbale qui est stimulée par les interactions sociales),
raisonner et mettre en pratique son raisonnement. Les personnes porteuses du
syndrome de Down, à l’instar des individus ordinaires d’âges mentaux équi-
valents, sont capables de s’engager sur des objectifs de travail et se montrent
persévérantes et motivées si elles sont placées dans un environnement de
travail rassurant avec des éducateurs prenant en compte leurs compétences
intellectuelles et leurs habilités12.
Les facteurs environnementaux influencent les expériences et les attentes
de la personne vis-à-vis de celui-ci.

2. Cognition sociale, jugement moral


et troubles du comportement
La cognition sociale et le sens moral se construisent et s’enrichissent tout au
long de la vie.
Piaget estime que le sens moral est lié aux aspects cognitifs. Dans la
conception piagétienne, le développement moral se construit parallèlement
au raisonnement logique13. Kohlberg14 établit six stades de développement
du jugement moral :
− Le stade pré-conventionnel est divisé en deux parties. La première
dure des premiers instants de la vie jusqu’à l’âge de cinq ans. Les
règles paraissent extérieures à l’enfant et celui-ci élabore son compor-
tement en fonction des attitudes des personnes représentant l’autorité,
qui peuvent soit lui garantir leur protection, soit lui administrer des
punitions. Le bien et le mal ne sont représentés comme tels aux yeux
de l’enfant que d’après leurs conséquences positives ou aversives. La
seconde partie du stade pré-conventionnel s’étale entre la cinquième

11 Piaget, J. (1952). The origins of intelligence in children. Norton, New York.


12 Gilmore, L., Cuskelly, M. & Hayes, A. (2003). A comparative study of mastery motivation
in young children with Down’s syndrome: Similar outcomes, different processes? Journal
of Intellectual Disability Research, 47, 181-190.
13 Piaget, J. (2000). Le jugement moral chez l’enfant, Presses Universitaires de France, Biblio-
thèque de philosophie contemporaine, Paris.
14 Kohlberg, L. (1969). Stage and sequence: The cognitive – development approach to socia-
lization. Dans Goslin, D.A. (dir.) Handbook of socialization theory and research. (pp.347–
480). Chicago, IL: Rand McNally.

44
Chapitre 2 – Aspects du développement affectif et social

année et la pré-adolescence. L’enfant est motivé par son intérêt person-


nel. Ainsi, le bien et l’utile se confondent. Au sein d’un groupe de pairs,
il recherche la satisfaction des besoins dans une visée d’équité. Cette
volonté de maintenir une égalité entre les membres du groupe a pour
principale motivation le fait qu’il ne se sente pas lésé en premier lieu ;
− Le stade conventionnel recouvre également deux sous-stades. Ce stade
se caractérise par la volonté de se conformer au groupe social. Les
actions sont donc entreprises dans le but de se conformer aux attentes
des autres afin d’en acquérir et d’en conserver l’estime. La moralité
des actions est établie par comparaison aux opinions et aux attentes
de la société, y compris lorsque ces actions ne seront pas suivies de
conséquences. L’obéissance aux règles du groupe est jugée primordiale
et la remise en cause de ces règles est très rare. Dans la deuxième
partie du stade conventionnel, l’individu reconnaît ses obligations et
responsabilités pour le maintien de l’ordre dans son groupe social et
la société à laquelle il appartient. Si dans la première partie du stade
conventionnel, l’adolescent et le jeune adulte calquent leurs compor-
tements sur ceux du groupe social avec lequel ils souhaitent fusionner,
dans la seconde partie, ils construisent leur identité selon l’institution
à laquelle ils sont rattachés ;
− Le stade post-conventionnel contient les deux dernières phases du
développement du sens moral. Le jeune adulte est capable de dépasser
les normes de son groupe d’appartenance pour établir son jugement
selon des principes universels. À ce stade, l’obéissance ou la désobéis-
sance n’est plus motivée par les gratifications ou les sanctions, mais par
les valeurs éthiques que la personne a intériorisées. La dignité humaine,
le respect de la vie et des droits fondamentaux sont pris en compte dans
les jugements moraux de l’individu. Aussi, il n’hésite pas à s’opposer
aux normes s’il juge celles-ci contraires à ces valeurs. Ce sont les valeurs
éthiques et non plus les valeurs institutionnelles qui priment.
Plusieurs critiques peuvent être formulées à l’égard des concepts de
Kohlberg. La première concerne le contexte dans lequel ses conceptions du
jugement moral ont été construites. Kohlberg avait soumis des dilemmes
moraux à un large éventail de sujets. Ces dilemmes se présentent sous la
forme d’histoires fictives à l’issue desquelles la personne se trouve dans une
situation de conflit (avec une issue fatale) et doit effectuer un choix.
Le fait que l’individu soit face à une situation fictive constitue un biais.
Tout d’abord, il induit des réponses plus cognitives qu’émotionnelles. Ainsi, il
n’est pas garanti que la personne fournisse la même réponse si elle est placée
directement dans la situation décrite dans le dilemme moral. Par ailleurs,
les dilemmes moraux « théoriques » ne permettent pas de différencier les
individus ordinaires de ceux ayant des troubles de la personnalité ou des

45
Déficiences intellectuelles

comportements antisociaux. Face à des dilemmes moraux impersonnels, les


personnes ayant des lésions préfrontales bilatérales ventro-médianes avec une
sociopathie acquise formulent des réponses morales similaires aux personnes
ordinaires. La différence entre les deux groupes n’est observable que lors des
dilemmes moraux ayant une forte valeur émotionnelle. Les personnes ayant
des lésions cérébrales privilégient alors la solution impliquant le moins de
frustration et s’avérant la plus utile pour eux. Kohlberg ne tient pas compte
des fluctuations intra-individuelles. Une même personne pouvant fournir
des réponses appartenant à des stades différents selon le dilemme auquel
elle est soumise15. La théorie de Kohlberg néglige le rôle joué par l’origine
socio-économique et culturelle de l’individu16.
Les enfants, dès les premiers mois de vie, font preuve d’empathie et
d’abnégation. Warneken et Tomasello montrent que, dès un an, l’enfant
vient spontanément en aide à l’autre sans être influencé par l’attitude de ses
parents17. De même, l’attribution de renforçateurs matériels a pour effet
d’atténuer cette volonté d’aider l’autre18.
Par contre, cette volonté de venir en aide spontanément diminue à partir
de l’âge de cinq ans. L’enfant faisant alors les choix « utilitaires » décrits par
Kohlberg.
Hoffman montre que l’empathie, plus que les capacités cognitives, joue un
rôle déterminant dans le développement moral19. Il apparaît que le jugement
moral dépend de deux composantes : les émotions et les cognitions. Concer-
nant les cognitions, la capacité de l’individu à leur faire prendre le dessus sur
les facteurs émotionnels est déterminante.
Il existe un lien étroit entre jugement moral et comportements antisociaux,
voire criminels. Les personnes ayant commis des actes délictueux présentent
à la fois des troubles dans le développement cognitif et dans celui des com-
pétences sociales20. Les adolescents délinquants montrent des raisonnements
appartenant au deuxième stade de Kohlberg tandis que les adolescents socio-
normés formulent des raisonnements du troisième stade. Chez les jeunes
délinquants, les biais cognitifs sont à la fois la cause et la justification des
actes antisociaux.

15 Lehalle, H., Aris, C., Buelga, S. & Musitu, G. (2014). Développement socio-cognitif et juge-
ment moral : de Kohlberg à la recherche des déterminants de la différenciation du dévelop-
pement moral, Adolescences, 1, 289-314
16 Simpson, E.L. (1974). Moral development research. Human Development, 17, 81–106.
17 Warneken, F. & Tomasello, M. (2013). Parental Presence and Encouragement Do Not
Influence Helping in Young Children, Infancy, 18(3), 345-368.
18 Warneken, F., & Tomasello, M. (2014). Extrinsic rewards undermine altruistic tendencies
in 20-month-olds, Motivation Science, 1(S), 43-48.
19 Hoffman, M.L. (2000). Empathy and moral development: Implications for caring and justice,
Cambridge, UK: Cambridge University Press.
20 Gibbs, J.C. (2003). Moral development and reality – beyond the theories of Kohlberg and
Hoffman, London: Sage.

46
Chapitre 2 – Aspects du développement affectif et social

Doll21 définit la compétence sociale comme étant la capacité à exercer son


autonomie et sa responsabilité sociale. Il voit la difficulté à adapter son com-
portement en situation sociale comme un critère diagnostique de la déficience
intellectuelle. Les hypothèses de Doll sont à l’origine de la conceptualisation
de la Vineland.
Les personnes déficientes intellectuelles feraient preuve de raisonnements
en dessous du stade atteint par les personnes ordinaires ayant le même âge
chronologique22. Par contre, lorsqu’elles sont appareillées à des personnes
d’âge mental équivalent, elles manifestent un raisonnement semblable. Les
adolescents ayant une efficience intellectuelle à la limite de la norme formulent
des raisonnements appartenant au stade pré-conventionnel23. Plus le stade
de développement moral est bas, plus les troubles comportementaux sont
nombreux et influencent négativement la vie des personnes.
Parmi les personnes incarcérées en France, 45 % présenteraient une défi-
cience intellectuelle et/ou un handicap psychique24. Des chiffres équivalents
sont relevés dans d’autres études européennes25. Au-delà de l’efficience intel-
lectuelle, les carences affectives, éducatives et socio-économiques constituent
des facteurs à risque. L’appariement avec un conjoint ayant des comporte-
ments antisociaux constitue également un facteur de risque pour les femmes
avec et sans déficience intellectuelle26.
Ces chiffres posent la question suivante : les comportements antisociaux
sont-ils liés aux limitations cognitives, ou bien les personnes ayant des déficits
intellectuels sont-elles plus exposées à des situations de vie défavorables les
conduisant à commettre des actes réprouvés ? Les limitations intellectuelles
les empêchant à la fois de comprendre le système judiciaire et de mener une
défense efficace.

21 Sparrow, S., Balla, D. & Cicchetti, D. V. (1984). Vineland Adaptative Behavior Scales
(expanded form). Circles Pines, MN: American Guidance Service.
22 Gargiulo, R.M. (1984). Cognitive style and moral judgement in mentally handicapped and
non-handicapped children of equal mental age. British Journal of Developmental Psycho-
logy, 2, 83–89.
23 Sigman, M., Ungerer, J.A. and Russell, A. (1983). Moral judgment in relation to behavioral
and cognitive disorders in adolescents. Journal of Abnormal Child Psychology, 11,
503–511.
24 Desquelles, A. (2005). Le handicap en milieu carcéral en France, Quelles différences avec la
situation en population générale ?, Population, 1(60), 71-98.
25 Hayes, S., Shackell, P., Mottram, P. & Lancaster, R. (2007). The prevalence of intellec-
tual disability in a major UK prison. British Journal of Learning Disabilities, 35,
162–167.
26 Merotte, L., Schiza, G. & Thomas, P. (2014). Les femmes incarcérées pour violence
sexuelle dans le Nord-Pas-de-Calais. Données sociodémographiques et caractéristiques
psychopathologiques, Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, 172(6),
432-436.

47
Déficiences intellectuelles

3. La théorie de l’esprit et l’empathie


La théorie de l’esprit permet la mentalisation, la conceptualisation ainsi que
la représentation des contenus de pensée d’autrui27. Elle regroupe deux com-
posantes : l’une cognitive, l’autre affective.
La théorie de l’esprit cognitive permet la représentation des pensées
d’autrui. Elle est liée aux fonctions exécutives. La seconde offre la possibilité
de visualiser les affects de l’autre. Elle est connectée au cortex préfrontal
ventro-médian.
La théorie de l’esprit peut être de premier ordre lorsque la personne tente
de se représenter ce qu’un autre individu pense. Elle est de second ordre
lorsque la personne essaie de comprendre ce qu’un tiers se représente de ce
qu’un autre individu pense. Ces capacités apparaissent à l’âge de quatre ans
et se développent jusqu’à l’âge de onze ans.
L’un des tests les plus célèbres pour évaluer la théorie de l’esprit est le test
de Sally-Anne de Baron-Cohen. Dans ce test, l’individu écoute l’histoire de
deux fillettes (Sally et Anne) qui jouent ensemble. Au cours du récit, l’une des
fillettes profite de l’absence de l’autre pour dissimuler un objet. L’observateur
doit alors estimer l’endroit où la seconde enfant cherchera l’objet lorsqu’elle
reviendra dans la pièce. Ce test, faisant intervenir la théorie de l’esprit cognitive
de premier ordre, est généralement échoué par les personnes ayant un TSA28.
Sur le plan neuropsychologique, ce test fait intervenir plusieurs zones du
cerveau. Le sillon temporal supérieur droit permet à la personne de suivre
l’intrigue. Le cortex paracingulaire, le lobe frontal et l’amygdale permettent
la mentalisation. Le deuxième intervient pour l’aspect cognitif, le troisième,
pour l’aspect émotionnel.
La théorie de l’esprit émotionnelle peut être évaluée grâce au test Reading
the Mind in the Eyes de Baron-Cohen. Dans ce test, la capacité à lire et à
comprendre des états mentaux à travers le regard est évaluée29.
Deux formes d’empathie peuvent également être distinguées, l’empathie
cognitive et l’empathie émotionnelle. L’empathie cognitive et la théorie de
l’esprit se recoupent. L’empathie permet la reconnaissance et la compréhen-
sion de l’émotion de l’autre, ainsi que la possibilité d’y répondre de manière
adaptée. Elle est liée aux neurones miroirs. Ceux-ci s’activent lorsque les actes
moteurs et les expressions émotionnelles d’autrui sont détectés.

27 Baron-Cohen, S. (1998). La cécité mentale. Un essai sur l’autisme et la théorie de l’esprit.


Presse Universitaires de Grenoble.
28 Baron-Cohen, S., Leslie, A. M. & Frith, U. (1985). Does the autistic child have a «theory of
mind»?, Cognition, 21, 37-46.
29 Baron-Cohen, S., Wheelwright, S., Hill, J., Raste, Y. & Plumb, I. (2001). The «Reading the
Mind in the Eyes» Test revised version: a study with normal adults, and adults with
Asperger syndrome or high-functioning autism, Journal of Child Psychology and Psychia-
try, 42(2), 241-251.

48
Chapitre 2 – Aspects du développement affectif et social

Les cortex frontaux dorso-latéral et orbito-frontal sont associés aux capa-


cités d’empathie. Le premier permet à l’individu de faire preuve de flexibilité.
Cette compétence est nécessaire pour pouvoir changer de point de vue. Le
second est connecté aux émotions. L’amygdale, l’insula, le cortex somatosen-
sitif ainsi que les composantes des lobes temporaux sont également impliqués
dans l’empathie. En effet, ils permettent à l’individu d’être connecté à ses
émotions, à celles de l’autre, à faire intervenir ses compétences mnésiques
pour se référer à des états émotionnels anciens, à se laisser toucher (voire
contaminer) par la détresse émotionnelle observée, etc.
L’empathie émotionnelle apparaît dès les premiers instants de la vie.
L’empathie cognitive survient plus tardivement au cours de l’enfance et de
l’adolescence.

4. Les compétences sociales


et les comportements sociaux :
cas particuliers
Les troubles du comportement soulèvent la question des capacités des per-
sonnes déficientes intellectuelles à anticiper les conséquences de leurs actes, à
faire preuve d’empathie et à émettre un jugement « moral » sur leurs actions.
La dichotomie entre bien et mal n’est pas facile à appréhender et il est
souvent relevé que les personnes déficientes intellectuelles attribuent une
valeur positive ou négative à leurs actes en fonction des répercussions de
ceux-ci et de l’approbation ou de la punition octroyée de la part d’un tiers30.
Le jugement moral peut être évalué à travers plusieurs exercices : ceux repo-
sant sur des dilemmes éthiques, comme le propose le subtest « Compréhension »
de la WAIS ; ceux faisant appel aux capacités d’empathie du participant et cher-
chant à évaluer ses réactions face à une autre personne se trouvant en détresse.
Le jugement moral se développe conjointement avec les grandes fonctions
cognitives. Cependant, une bonne efficience intellectuelle ou des capacités
cognitives performantes n’entraînent pas nécessairement la possibilité d’agir
selon une éthique. De même, des résultats corrects à des tests moraux n’im-
pliquent pas une capacité à généraliser les connaissances.
Les enfants ayant grandi dans des environnements maltraitant et négligeant
montrent une efficience intellectuelle moindre31. Les attachements évitants et

30 Streissguth, A. P. & O’Maley, K. (2000). Neuropsychiatric implications and long-term


consequences of fetal alcohol spectrum disorders, Seminars in Clinical Neuropsychiatry, 5,
177-190.
31 Barahal, R. M., Watermen, J. & Martin, H. P. (1981). The social cognitive development of
abused children, Journal of Counsulting and Clinical Psychology, 49, 508-516.

49
Déficiences intellectuelles

insécures constituent des facteurs négatifs pour le développement d’une stabi-


lité psychologique. Les enfants victimes de maltraitances ou de négligences ont
également une intelligence émotionnelle faible et des capacités de discrimina-
tion des émotions limitées32. La maltraitance précoce affecte le développement
cérébral : l’hémisphère droit, les connexions hypocampe-amygdale et le corpus
collosum sont touchés33. Il en résulte des troubles de l’attachement, de la régu-
lation des émotions, du traitement et de la compréhension des informations
émotionnelles, des expressions affectives et du langage.
Il est cependant impossible de tirer des conclusions générales sur les effets
de la maltraitance, tant les différences interindividuelles sont importantes.
Ainsi, certains enfants utilisent des stratégies pour pallier ces manques et ont
une intelligence émotionnelle dans la norme.
Hobson émet l’hypothèse que les déficits au niveau des interactions sociales
et de la compréhension des émotions, chez les enfants ayant un TSA, sont
liés à des capacités limitées pour identifier et lire les expressions faciales ainsi
que pour en extraire les indices sociaux34. Récemment, il est apparu que
les personnes avec un TSA présentent des compétences particulières pour
traiter les expressions émotionnelles. Elles prêtent davantage attention aux
indices verbaux et aux expressions de la bouche pour identifier et interpréter
les affects35. Les personnes ayant le syndrome d’Asperger sont capables de
reconnaître des émotions telles que la joie, la colère ou la peur, tandis qu’elles
éprouvent beaucoup plus de difficultés à identifier des émotions plus subtiles
tel que le dégout. De même, elles sont capables de reproduire des expressions
émotionnelles qu’elles ont observées. Par contre, leur utilisation des muscles
faciaux diffère de celle des personnes ordinaires36.
Bien que les interactions sociales soient vécues comme particulière-
ment complexes et anxiogènes pour les personnes avec un TSA, elles ne se
montrent pas totalement désunies des autres et manifestent des comporte-
ments d’attachement.
Des jeunes femmes Asperger peuvent rechercher le contact avec autrui et se
montrer volontaires dans l’apprentissage de comportements (principalement

32 Frodi, A. M. & Smetana, J. (1984). Abused, neglected, and nonmaltreated preschoolers’


ability to discriminate emotions in others: The effect of IQ, Child Abuse and Neglect, 8,
459-465.
33 Teicher, M. H.n Andersen, S. L., Polcari, A., Anderson, C. M., Navalta, C. P. & Kim, D. M.
(2003). The neurobiological consequences of early stress and childhood maltreatment,
Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 27(1-2), 33-44
34 Hobson, R. R. (1986). The autistic chikdreb’s appraisal of expressions of emotion: A further
study, Journal of Child Psychology and Psychiatry, 27, 671-680.
35 Lindner, J. I. & Rosen, L. A. (2006). Deconding of emotions through facial expression,
prosody and verbal content in children and adolescentes with Asperger’s Syndrome, Jour-
nal of Autism and Developmental Disorders, 36, 769-777.
36 Lewis, M., Haviland-Jones, J. M. & Feldman, Barrett L. (2010). Handbook of Emotions,
Third Edition, London: The Guilford Press

50
Chapitre 2 – Aspects du développement affectif et social

l’imitation et la mémorisation de phrases et d’attitudes) pouvant les aider


dans ce but37.
De même, Wing a observé que les Asperger parviennent à « camoufler »
leurs traits autistiques dans le but d’interagir et de se rapprocher de leurs pairs
ordinaires38. Ils conservent des déficits au niveau des comportements sociaux,
mais ils mettent en place des stratégies de compensation. Cette capacité qu’ont
les femmes à mettre en place des stratégies de compensation pourrait expliquer
pourquoi elles sont moins représentées dans les diagnostics de TSA que les
hommes39. Ce phénomène a été observé à la fois chez les très jeunes enfants
et les adultes40.
Les enfants nés prématurément peuvent présenter des troubles des capaci-
tés motrices, visuo-motrices et visuo-constructives, de la vitesse de traitement
des informations, de la mémoire de travail, épisodique et visuo-spatiale, des
capacités langagières ainsi que des fonctions exécutives. Ces limitations
cognitives ont un impact sur les comportements sociaux41. Ils montrent
des compétences sociales plus faibles ainsi que des difficultés relationnelles
importantes. Les déficits se situent au niveau du repérage des indices sociaux
pertinents, de la compréhension sociale, du raisonnement et de la résolution
de problèmes. Ces difficultés s’observent y compris chez des enfants préma-
turés avec un poids de naissance très bas ayant un QI dans la norme et sans
atteintes neurologiques repérables42.
Les déficits attentionnels sont également reliés aux comportements
oppositionnels.
Il est important de rappeler qu’à âge gestationnel et poids de naissance
équivalent, il existe un grand nombre de différences entre les enfants. Ces
différences peuvent être dues aux souffrances ressenties par le fœtus, aux
facteurs biologiques, aux complications et soins néonataux ainsi qu’au statut
et fonctionnement familial.

37 Attwood, T. (2007). The Complete Guide to Asperger’s Syndrome. London: Jessica Kingsley
Publishers.
38 Wing, L. (1981). Sex ratios in early childhood autism and related conditions. Psychiatry
Research, 5, 129-137.
39 Carter, A.S., Black, D.O., Tewani, S., Connolly, C.E., Kadlec, M.B. & Tager-Flusberg,
H. (2007). Sex differences in toddlers with autism spectrum disorders. Journal of Autism
Developmental Disorders, 37, 86-97.
40 Baron-Cohen, S. & Wheelwright, S. (2003). The friendship questionnaire: an investigation
of adults with asperger syndrome or high-functioning autism, and normal sex differences.
Journal of Autism Developmental Disorders, 33, 509-517.
41 Van Baar, A. L., van Wassernaer, A. G., Briët, J. M., Dekker, F. W. & Kok, J. H. (2005). Very
preterm birth is associated with disabilities in multiple developmental domains, Journal of
Pediatric Psychology, 30, 247-255.
42 Hack, M., Breslau, N., Aram, D., Weissman, B., Klein, N. & Borawski-Clark, E. (1992). The
Effect of Very Low Birth Weight and Social Risk on Neurocognitive Abilities at School Age,
Journal of Developmental & Behavioral Pediatrics, 13(6), 412-420.

51
Déficiences intellectuelles

Siegel43 démontre dans une étude comparant une centaine d’enfants


nés à terme et prématurés que le statut socio-économique de la famille,
la position de l’enfant dans la fratrie ainsi que les maladies présentées
durant la période périnatale déterminent les potentiels retards dévelop-
pementaux observés chez les enfants des deux groupes à l’âge de trois
ans. Dans cette étude, l’efficience intellectuelle et les capacités de compré-
hension et d’expression langagière des enfants sont évaluées. Les parents
remplissent la Home Observation for Measurement of the Environment44
(HOME). Ce test permet d’évaluer la qualité de l’environnement et des
interactions dont bénéficie l’enfant. Les réponses verbales et émotionnelles
des parents à l’enfant, la proposition d’activités stimulantes, l’encourage-
ment à faire ses propres expériences, le climat familial et les composantes
matérielles de l’environnement font partie des critères d’évaluation de la
HOME. Les enfants dont les parents obtiennent un score élevé à l’échelle
HOME montrent un développement harmonieux et peu de déficits. Ce
phénomène se remarque également chez les enfants rendus vulnérables par
les conditions de naissance et les composantes biologiques. Au contraire,
les enfants dont les parents obtiennent un score bas à la HOME montrent
des retards développementaux. Cet élément est observé chez les enfants
nés à terme et prématurés.
Les troubles de la reconnaissance des expressions faciales sont repérés chez
les enfants épileptiques. Ceux souffrant d’épilepsies temporales et frontales
semblent les plus vulnérables. Les conséquences diffèrent selon que l’épilepsie
touche l’hémisphère droit ou gauche. Ainsi, les épilepsies temporales droites
perturbent la reconnaissance et le traitement des émotions45 et la capacité à
faire preuve d’empathie46, tandis que l’épilepsie temporale gauche implique
des troubles de la reconnaissance et de la nomination des émotions ainsi
que de l’inférence sociale47. Ces deux épilepsies ont des répercussions sur le
comportement socio-affectif.

43 Siegel, L. S. (1982). Reproductive, Perinatal, and Environmental Factors as Predictors of the


Cognitive and Language Development of Preterm and Full-Term Infants, Child Develop-
ment, 53(4), 963-973.
44 Bradley, R. H. & Caldwell, B. M. (1979). Home observation for measurement of the envi-
ronment: a revision of the preschool scale, American Journal of Mental Deficiency, 84(3),
235-244.
45 Amlerova J., Cavanna A. E., Bradac O., Javurkova A., Raudenska J. & Marusic P. (2014).
Emotion recognition and social cognition in temporal lobe epilepsy and the effect of epile-
psy surgery, Epilepsy & Behavior, 36, 86-89.
46 Toller G., Adhimoolam B., Rankin K. P., Huppertz H-J., Kurthen M. & Jokeit H. (2015).
Right fronto-limbic atrophy is associated with reduced empathy in refractory unilateral
mesial temporal lobe epilepsy, Neuropsychologia, 78, 80-87
47 Cohn M., St-Laurent M., Barnett A. & McAndrews M. P. (2015). Social inference deficits
in temporal lobe epilepsy and lobectomy: risk factors and neural substrates, Social Cogni-
tive and Affective Neuroscience, 10(5), 636-644.

52
Chapitre 2 – Aspects du développement affectif et social

Les traumatismes crânio-encéphaliques sont également responsables de


troubles dans la reconnaissance des émotions48.
Des anomalies cérébrales sont observées dans le syndrome de Williams.
Il s’agit notamment d’altérations du cortex orbito-frontal et de l’amyg-
dale. Elles ont des impacts directs sur la régulation des comportements
sociaux. En effet, le circuit fronto-amygdalien gère la régulation interne
des émotions. Il est également impliqué dans la cognition sociale49. Leur
altération explique le développement atypique des comportements sociaux
(notamment l’absence de peur et d’inhibition sociale) dans le syndrome
de Williams.
Les enfants porteurs du syndrome de Williams montrent des capacités
de reconnaissance des expressions faciales humaines identiques à celles des
enfants neurotypiques. Les deux groupes diffèrent dans leur reconnaissance
des visages non humains, les enfants ayant le syndrome de Williams étant
en difficulté50.
La théorie de l’esprit est préservée dans le syndrome de Williams. Les
personnes sont capables d’attribuer des états mentaux à autrui en se basant
sur une histoire contée et sur leurs capacités logiques. Par contre, elles ne
parviennent pas à discriminer les visages exprimant des émotions négatives
parmi une série de visages neutres51. Ce défaut de reconnaissance explique
l’absence d’inhibition sociale.

5. Les réseaux sociaux


La vie sociale englobe le réseau de personnes avec lesquelles l’individu est en
contact (que ce soit dans le milieu familial, amical, éducatif, professionnel
ou dans les espaces publics) et qui ont une influence sur celui-ci. Les pre-
mières recherches sur la vie sociale des personnes déficientes intellectuelles
s’appuyaient exclusivement sur le nombre et la qualité de contacts concrets
que ces personnes avaient avec des membres de leur entourage. L’émergence
des réseaux sociaux ouvre et complexifie les interactions sociales.

48 Yeates K. O., Bigler E. D., Dennis M., Gerhardt C. A., Rubin K. H., Stancin T., Taylor
H. G. & Vannatta K. (2007). Social outcomes in childhood brain disorder: A heuristic inte-
gration of social neuroscience and developmental psychology, Psycyhological Bulletin, 133,
535-556.
49 Ledoux J. (2005). Le cerveau des émotions, Paris : Odile Jacob.
50 Santos A., Rosset D. & Deruelle C. (2009). Human versus non-human face processing:
Evidence from Williams syndrome, Journal of Autism and Developmental Disorders,
39(11), 1552-1559.
51 Plesa-Skwerer D., Faja S., Schofield C., Verbalis A. & Tager-Flusberg H. (2006). Perceiving
Facial and Vocal Expressions of Emotion in Individuals With Williams Syndrome. Ameri-
can Journal on Mental Retardation, 111(1), 15-26.

53
Déficiences intellectuelles

La forme d’anonymat offerte par internet et les réseaux sociaux permet


aux personnes porteuses d’un handicap d’interagir avec des individus avec
lesquels ils n’auraient jamais pu être en relation (du fait de la distance, du
niveau de déficience ou du style de vie). Si les réseaux sociaux offrent la pos-
sibilité « d’effacer » les différences interindividuelles et d’améliorer l’estime que
les individus ont d’eux-mêmes52, ils sont également à l’origine d’expériences
anxiogènes pour les personnes déficientes intellectuelles. Pour pallier à ces
inconvénients, des groupes de soutien et d’accompagnement dans l’utilisation
des réseaux sociaux sont à constituer53.

52 Caton S. & Chapman M. (2016). The use of social media and people with intellectual disa-
bility: A systematic review and thematic analysis, Journal of Intellectual & Developmental
Disability, 41(2), 125-139.
53 Holmes K. M. & O’Loughlin N. (2014). The experiences of people with learning disabilities
on social nerworking sites, British Journal of Learning Disabilities, 42(1), 1-5

54
Chapitre 3 3

Aspects du développement
cognitif

Dans ce chapitre, nous effectuerons un rappel du développement cérébral,


avant de nous concentrer sur les théories piagétienne. Nous décrirons ensuite
brièvement les particularités du développement des personnes déficientes
intellectuelles.

1. Quelques données concernant


le développement du cerveau
et leurs répercussions
Le développement cérébral débute dès les premiers temps de la grossesse.
Pendant la grossesse, le fœtus possède 100 milliards de neurones. La plupart
disparaîtront avant la naissance. Un nombre important de neurones meurent
également avant l’âge de cinq ans. Le réseau diffus de synapse s’élague et se
précise au cours de la petite enfance. L’organisation définitive des synapses
est réalisée à l’entrée dans la vingtaine. La myélinisation des axones se pour-
suit jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans. Les axones du cortex préfrontal sont les
derniers à être myélinisés1.
Dans les premiers mois de vie, l’activité du cerveau évolue en fonction des
expériences et de l’environnement. L’hémisphère droit est plus actif pendant

1 Lagercrantz, H.(2008). Le cerveau de l’enfant, Paris : Odile Jacob.

55
Déficiences intellectuelles

les trois premières années de vie. Après cet âge, l’activité de l’hémisphère
gauche devient prédominante2.
Le métabolisme le plus élevé est d’abord observé dans le cortex sensori-
moteur, puis le cortex occipital. Les régions frontales sont particulièrement
stimulées dans la deuxième année de vie. Les régions frontales jouent un rôle
déterminant dans le développement. Leur maturation au cours de l’enfance
et de l’adolescence correspond à l’augmentation et à l’enrichissement des
fonctions exécutives et des grandes fonctions cognitives.
Les lobes frontaux se développent en trois temps. La première période
se déroule de la naissance à deux ans. Le deuxième entre sept et neuf ans.
Durant cette période, la capacité à résister aux distracteurs, à contrôler ses
impulsions, les capacités à organiser ses actions, à effectuer des recherches
et à tester des hypothèses émergent. Le début de l’adolescence correspond
à la maturation de la fluidité verbale, la flexibilité et de la planification. La
dernière phase se situe à la fin de l’adolescence et au début de l’âge adulte.
L’efficience des régions préfrontales dépend de la qualité des informations
qu’elles reçoivent des autres régions cérébrales.
Le cerveau se développe et se modifie au cours de la vie. Ainsi, la subs-
tance blanche augmente de façon linéaire avec l’avancée en âge. La matière
grise connaît de plus grandes variations au cours du développement. Son
volume dans le cortex préfrontal progresse jusqu’à connaître un pic à l’en-
trée dans l’adolescence (aux alentours de 11 ans) avant de décroître. Un
phénomène similaire s’observe dans le lobe temporal, mais le pic est plus
tardif (16 ans).
La région dorso-latérale du cortex préfrontal connaît la maturation la plus
lente. Cette partie du cerveau, impliquée dans le contrôle des impulsions,
n’atteint le stade adulte qu’à la vingtaine.
Les évolutions neurologiques et les manifestations comportementales pro-
gressent conjointement, l’une influençant l’autre.
Des différences dans le développement du cerveau des personnes ordinaires
et des personnes déficientes intellectuelles s’observent. Ainsi, les personnes
ayant un TSA ont une amygdale plus large à la naissance que leurs pairs
neurotypiques. Cependant, alors que l’amygdale des enfants ordinaires voit
son volume augmenter entre la grande enfance et la fin de l’adolescence, celle
des personnes autistes demeure stable3.

2 Chiron C. & Jambaqué I. (2001). Cerebral maturation and functionnal imaging, in Jamba-
qué I., Lassonde M. & Dulac O. (dir.), Neuropsychology of Childhood Epilepsy (p. 75-84).
New York: Kluver Academic/Plenum Publishers.
3 Schuman C. M., Hamstra J., Goodlin-Jones B. L., Lotspeich I. J., Kwon H., Buonocore
M. H., Lammers C. R., Reiss A. L. & Amaral D. G. (2004). The amygdala is enlarged in
children but not adolescent with autism: The hippocampus is enlarged in all ages, Journal
of Neuroscience, 24, 6392-6401.

56
Chapitre 3 – Aspects du développement cognitif

Kemper et Bauman4 relient l’apparition de TSA avec un développement


inapproprié du cortex limbique et du cervelet. Ils ont également observé des
anomalies dans le développement du tronc cérébral (notamment au niveau
des complexes olivaires : ces derniers sont impliqués dans le traitement des
informations auditives, la motricité, la détection de la nouveauté et des erreurs
pendant une activité). De même, le nombre de cellules de Purkinje (respon-
sables d’un important réseau synaptique) est nettement moindre chez les
personnes autistes comparativement aux personnes ordinaires.
Les anomalies observées sur le plan neurologique évoluent avec l’avancée
en âge. Ainsi, la taille et le nombre de neurones présents dans plusieurs aires
(notamment l’aire de Broca, liée au langage) se modifient au cours de la vie
des personnes autistes5.
Des modifications au niveau des neurotransmetteurs dopaminergiques6 et
sérotoninergiques7 sont observées dans les TSA. Les anomalies au niveau de la
métabolisation de la dopamine sont corrélées avec l’apparition de troubles neuro-
psychologiques tels que les troubles de l’attention et du contrôle des impulsions8.
L’hypothèse que les limitations dans la régulation des comportements sociaux
ainsi que l’hyposensibilité puissent être reliées à un excès d’opioïdes et d’endor-
phines a été soulevée à partir des années 19809. Cependant, cette théorie est
remise en cause. En effet, les résultats des études conduites sont variables10. Par
ailleurs, cette théorie a abouti à des dérives dans la compréhension et les soins
portés aux personnes TSA. Nous citons la théorie de l’intestin perméable qui
aboutit à l’exclusion de certains aliments contenant du gluten (ceux-ci ayant été
rendus responsables de l’apparition de TSA). La suppression du gluten et de la
caséine de l’alimentation des personnes autistes n’a pas démontré d’efficacité11.

4 Kemper T. L. & Bauman M. (1998) Neuropathology of Infantile Autism, Journal of Neuro-


pathology and Experimental Neurology, 57(7), 645-652
5 Bauman ML, Kemper TL. (2005) The Neurobiology of Autism, 2nd edition. Baltimore
(USA): Johns Hopkins University Press
6 Previc F. H. (2007). Prenatal influences on brain dopamine and their relevance to the rising
incidence of autism, Medical Hypotheses, 68(1), 46-60.
7 Martineau J., Barthelemy C., Jouve J., Muh J. P. & Lelord G. (1992). Monoamines (seroto-
nin and catecholamines) and their derivatives in infantile autism: Age-related changes and
drug effects, Developmental Medical Child Neurology, 34, 595-603.
8 Hameury L., Roux S., Barthelemy C., Adrien J. L., Desombre H., Sauvage D. et al. (1995). Quan-
tified multidimensional assessment of autism and other pervasive developmental disorders.
Application for bioclinical research, European Child and Adolescent Psychiatry, 4, 123-135.
9 Pankseep J. & Sahley T. L. (1987). Possible brain opiod involvement in disrupted social
intent and language development in autism. Dans Schopler E. & Mesibov G. B. (dir),
Neurobiological issues in autism (pp. 357-372). New York, NY: Plenum Press.
10 Dubois A., Rattaz C., Pry R. & Baghadadli A. (2010) Autisme et douleur – analyse biblio-
graphique, Pain Research and Management, 15(4), 245-253
11 Piwowarczyk A., Horvath A., Lukasik J., Pisula E. & Szajewska H. (2017) Gluten- and
casein-free diet and autism spectrum disorders in children: a systematic review, European
Journal of Nutrition, 1-8, doi: 10.1007/s00394-017-1483-2

57
Déficiences intellectuelles

Le système dopaminergique est impliqué dans la régulation de l’activité motrice


et comportementale. Des anomalies au niveau des récepteurs de la dopamine
paraissent être l’une des causes des comportements d’automutilation observés chez
les personnes déficientes intellectuelles. C’est notamment le cas pour le syndrome
de Lesch-Nyhan. Les personnes porteuses de ce syndrome ont des niveaux de
dopamine anormalement bas dans plusieurs zones du cerveau12. Ces anomalies
semblent être apparues dès les premiers instants du développement cérébral. Elles
entraînent un déséquilibre entre les taux de dopamine et de sérotonine.
L’activité dopaminergique décline avec l’avancée en âge. Cette diminution
a un impact négatif sur l’activité des zones frontales ainsi que sur les capacités
cognitives et motrices.
La sérotonine est impliquée dans plusieurs processus biologiques (nous
citons, entre autres, le sommeil et l’appétit) et psychologiques (dépression,
anxiété, etc.). Le niveau de sérotonine semble également influencer les com-
portements agressifs13. Il apparaît également que le niveau de β-endorphine est
nettement plus élevé chez les personnes déficientes intellectuelles présentant
des comportements auto-agressifs. La mesure du niveau de β-endorphine
plasmatique, associée à la mesure de la fréquence cardiaque, a permis de
démontré que les personnes autistes ressentent la douleur, mais qu’elles ne
l’expriment pas de la même manière que les personnes ordinaires14.
Nous verrons dans le chapitre sur les démences séniles que le cerveau des
personnes trisomiques 21 présente dès l’enfance des particularités les rendant
plus vulnérables face aux maladies dégénératives.

2. Les théories piagétiennes


sur le développement cognitif
Piaget15 fractionne le développement cognitif de l’homme en plusieurs stades :
le stade sensorimoteur, la période préopératoire, la période des opérations
concrètes et la période des opérations formelles.

12 Göttle M., Prudente C. N., Fu R., Sutcliffe D., Pang H., Cooper D., Veledar E., Glass J. D.,
Gearing M, Visser J. E. & Jinnah H. A. (2014). Loss of dopamine phenotype among mid-
brain neurons in Lesch – Nyhan disease, Annals of Neurology, 76(1), 95-107.
13 Baumeister A. A. & Sevin J. A. (1990). Pharmacologic control of aberrant behavior in the
mentally retarded: toward a more rational approach, Neuroscience and Biobehavioral
Reviews, 14, 253-262.
14 Tordjman S., Anderson G. M., Bitbol M., Brailly-Tabard S., Perez-Diaz F., Graignic R.,
Carlier M., Schmidt G., Rolland A-C., Bonnot O., Trabado S., Roubertoux P. & Bronsard
G. (2009). Pain Reactivity and Plasma β-Endorphin in Children and Adolescents with
Autistic Disorder, PLoS ONE, 4(8): e5289. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0005289
15 Golse, B. (2001). Le développement affectif et intellectual de l’enfant (troisième édition).
Paris : Masson.

58
Chapitre 3 – Aspects du développement cognitif

La période sensiro-motrice s’étend de la naissance à l’âge de 2 ans. Cette


période est elle-même divisée en six stades :
1) La modification des réflexes (schématiquement, de la naissance à
un mois). L’enfant naît avec de nombreux réflexes. Au cours du premier
mois, il les modifie pour qu’ils soient plus adaptés ;
2) Les réactions circulaires primaires (de 1 mois à 4 mois et demi). L’enfant
agit et observe les conséquences de ses actions. Il va ensuite chercher à
répéter les effets qu’il aura trouvé intéressants en reproduisant les gestes
qui les ont précédés. À ce stade, l’enfant ne tente de reproduire que
les actions qui impliquent son propre corps (comme sucer son pouce).
L’enfant commence à s’intéresser à son environnement immédiat (mère,
objets…) et commence à sourire ;
3) Les réactions circulaires secondaires (de 4 mois et demi à 8 mois).
L’enfant élargit son champ d’action et intègre dans ses cycles répétitifs
des objets extérieurs (comme les mobiles ou les balles). Il organise ses
gestes et devient plus efficace. Cependant, il n’y a pas encore d’inten-
tionnalité et de nombreux gestes sont accomplis fortuitement ;
4) La coordination des réactions circulaires secondaires (de 8 à 12 mois).
L’enfant peut maintenant coordonner et enchaîner ses actions. Il com-
mence à comprendre les liens de causalité entre les actions, il intègre
le concept de permanence des objets ;
5) Les réactions circulaires tertiaires (de 12 à 18 mois). L’enfant fait
maintenant varier délibérément, et non plus par effet du hasard, ses
comportements en fonction des effets qu’il recherche ;
6) De 18 à 24 mois, ce sont les débuts de la pensée représentationnelle.
Les représentations internes des événements, des actions, des objets se
mettent en place. Durant cette période, l’enfant commence à jouer. Il
va utiliser les objets pour leur qualité fonctionnelle.
Durant la période préopératoire (de 2 à 6 ou 7 ans), l’enfant commence
à imiter son entourage de manière différée. Le jeu symbolique apparaît à
cette période. Au fur et à mesure, l’enfant commence à adopter les signes
conventionnels. La théorie de l’esprit émerge également durant cette période.
Au stade des opérations concrètes (de 6/7 à 11/12 ans), l’enfant acquiert les
représentations mentales des aspects dynamiques et statiques de l’environnement.
Il peut prendre en compte les transformations, les conservations de quantité. La
métacognition se met en place et devient efficiente à l’issue de ce stade.
Le raisonnement abstrait se met en place au moment de la période des opé-
rations formelles (à partir de 12 ans). Le pré-adolescent intègre les règles sociales
et en invente même d’autres, propres à son groupe. Il perçoit la réalité parti-
culière dans laquelle il vit comme faisant partie d’un nombre infini de réalités
imaginables. Il raisonne scientifiquement, de manière logique et systématique.

59
Déficiences intellectuelles

Actuellement, le modèle de Piaget est critiqué : les âges d’apparition des stades
étant remis en cause. Certaines capacités cognitives apparaissent plus précocement
ou plus tardivement que ce que Piaget suggérait. Enfin, il est possible d’enseigner
à l’enfant certaines compétences qui, selon Piaget, auraient dû apparaître à un
stade plus avancé que celui auquel correspond son âge chronologique16.
Cependant, les théories de Piaget demeurent des références pour les pro-
fessionnels travaillant dans la prise en charge des handicaps. Elles sont à la
base de plusieurs programmes de remédiation, notamment les « Ateliers de
raisonnement logique » et le programme TEACCH.

3. Développement piagétien
dans le cas des déficiences intellectuelles
Le développement des personnes déficientes intellectuelles soulève plusieurs
questions. Deux propositions ont fait l’objet d’un débat. Les personnes défi-
cientes intellectuelles suivent-elles les mêmes stades de développement que
les personnes ordinaires (mais avec des lenteurs et des fixations) ou bien
ont-elles un développement spécifique ?
Inhelder17 propose une approche développementale de la déficience
intellectuelle. Elle relie les déficits à des fixations au niveau des stades du
développement piagétiens. Ainsi, la déficience profonde correspond à une
fixation au stade sensorimoteur, la sévère au début de la période préopéra-
toire, la moyenne à la fin de la période préopératoire et la légère au stade
des opérations concrètes18.
Des données récentes semblent, au contraire, indiquer que les personnes
déficientes intellectuelles se développent en suivant leur propre voie. Il exis-
terait des retards de développement, mais pas de stagnation19.
Les études comparant les personnes déficientes intellectuelles avec des
personnes ordinaires ayant un âge mental équivalent démontrent qu’il existe
des similitudes. Par exemple, les deux groupes montrent des scores semblables
aux épreuves évaluant l’administrateur central et la mémoire de travail20.

16 Santrock, J. W. (2011). Life span development (13th ed.). New York: McGraw-Hill.
17 Inhelder B. (1968). The diagnosis of reasoning in the mentally retarded, Day, New Tork.
18 Woodward M. (1979). Piaget’s theory and the study of mental retardation. Dans Ellis N. R.
(dir.), Handbook of mental deficiency, psychological theory and research, (pp. 169-196).
McGraw-Hill, New York.
19 Cornish, K., Cole, V., Longhi, E., Karmiloff-Smith, A., & Scerif, G. (2013). Mapping develop-
mental trajectories of attention and working memory in fragile X syndrome: Developmental
freeze or developmental change? Development and Psychopathology, 25(2), 365–376.
20 Van der Molen M. J., van Luit J. E. H., Jongmans M. J. & van der Molen M. W. (2007).
Verbal working memory in children with mild intellectual disabilities. Journal of Intellec-
tual Disabilities Research, 51, 162-169.

60
Chapitre 3 – Aspects du développement cognitif

Toutefois, des différences sont repérables entre les deux groupes. Ainsi, à
âge mental égal, les personnes en situation de handicap ont des compétences
moindres que leurs pairs ordinaires pour des épreuves reposant sur la boucle
phonologique21 et les capacités de stockage des informations à court terme22.
Les déficits de la boucle phonologique sont présents, quel que soit le niveau
de déficience.
Selon l’importance et la nature des lésions cérébrales et selon l’importance
des déficiences intellectuelles et physiques, les personnes s’adaptent à leur
environnement et évoluent à leur manière, même si leur répertoire compor-
temental est limité.
Si des déficiences massives existent depuis la naissance, les expériences de
vie ont été limitées. Les personnes se retrouvent dans une situation de relative
déprivation sensorielle, soit parce que les organes des sens ne sont pas ou
peu fonctionnels, soit parce que le cerveau ne peut traiter les informations et
les associer. Le retard de développement se manifeste sur tous les plans. Par
exemple, les personnes trisomiques 21 sont hypotoniques, ce qui va retarder la
progression psychomotrice et avoir des retentissements au niveau de la parole.
Les nourrissons présentant une déficience intellectuelle régulent diffici-
lement leur vigilance. Les interactions s’établissent plus lentement et plus
difficilement. Les productions vocales sont plus tardives et les manifestations
émotionnelles sont peu adaptées.
Les personnes déficientes intellectuelles disposent d’un potentiel de
développement. Pendant l’enfance, les connexions entre les différentes aires
cérébrales et le développement neuronal maximisent les effets des interven-
tions neuropsychologiques et éducatives23. Le rôle de l’environnement est
prépondérant dans le développement des structures neuronales. Par ailleurs,
certaines fonctions cognitives évoluent au cours du développement. Ainsi,
l’attention et ses composantes progressent en parallèle de la maturation du
cortex préfrontal24. De même, l’entraînement de l’attention chez les jeunes
enfants a un impact positif sur la croissance du cortex préfrontal25. Un groupe

21 Van der Molen M. J., van Luit J. E. H., Jongmans M. J. & van der Molen M. W. (2007).
Verbal working memory in children with mild intellectual disabilities. Journal of Intellec-
tual Disabilities Research, 51, 162-169.
22 Schuchardt K., Gebhardt M. & Mäehler C. (2010). Working memory functions in children
with different degrees of intellectual disability, Journal of Intelectual Disability Research,
54(4), 346-353.
23 Wass, S., Scerif, G., & Johnson, M. H. (2012). Training attentional control and working
memory – Is younger, better? Developmental Review, 32(4), 360–387.
24 Toga, A. W., Thompson, P. M., & Sowell, E. R. (2006). Mapping brain maturation. Trends
in Neurosciences, 29(3), 148–159.
25 Rueda, M. R., Rothbart, M. K., McCandliss, B. D., Saccomanno, L., & Posner, M. I. (2005).
Training, maturation, and genetic influences on the development of executive attention.
Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 102(41),
14931–14936.

61
Déficiences intellectuelles

d’enfants d’âge préscolaire a vu ses compétences cognitives progresser après


avoir suivi un programme stimulant l’attention sur dix semaines26. Des cartes
topographiques des cerveaux des jeunes participants montrent qu’à l’issue de
l’entraînement les circuits neuronaux impliqués dans l’activité attentionnelle
s’activent plus rapidement. Le fonctionnement du cortex cingulaire antérieur
(impliqué dans l’attention ainsi que la détection d’erreur et la gestion de
conflit) est amélioré. Cette progression se maintient deux mois après la fin
des sessions d’entraînement.
Le cerveau, d’une manière générale, dispose d’un haut degré de plasticité,
y compris à l’âge adulte. Les déficits cognitifs observés chez les personnes défi-
cientes intellectuelles peuvent être compensés notamment via l’entraînement
des fonctions cognitives. L’entourage doit amener les stimulations, organiser
les perceptions, coordonner celles-ci avec des actions sur l’environnement qui
puissent servir l’autonomie et l’épanouissement.
Pour les personnes déficientes intellectuelles, un développement optimal
peut survenir dans un milieu très structuré, comportant une assistance et une
surveillance constantes, ainsi qu’une relation individualisée avec une figure
d’attachement (qu’il s’agisse d’un membre de l’entourage familial, amical ou
d’un professionnel).

4. Cas particulier : le polyhandicap


Le polyhandicap est défini comme un handicap grave à expression multiple
avec déficience motrice et déficience mentale sévère et profonde, entraînant
une restriction extrême de l’autonomie et des possibilités de perception,
d’expression et de relation.
Le tableau clinique des polyhandicaps est varié et complexe. Il peut associer
des troubles moteurs, neurologiques (épilepsie), des troubles sensoriels, des
troubles somatiques, avec une déficience mentale souvent grave, avec absence
de langage ou langage rudimentaire.
La déficience intellectuelle est constante et sévère (QI inférieur à 50) et
entraîne des difficultés à se situer dans l’espace et le temps, une fragilité des
acquisitions mnésiques, une faible possibilité de raisonnement et de mise en
relation des situations entre elles.
Les interactions sont cependant possibles, avec un partage émotionnel
grâce aux signaux non verbaux27.

26 Rueda, M. R., Checa, P., & Combita, L. (2012). Enhanced efficiency of the executive atten-
tion network after training in preschool children: Immediate changes and effects after two
months. Developmental Cognitive Neuroscience, 25, 192–204.
27 Dalla Piazza S. & Godfroid B. (2004). La personne polyhandicapée, son évaluation et son
suivi, Bruxelles : de Boeck.

62
Chapitre 3 – Aspects du développement cognitif

Dans le polyhandicap, les troubles sensorimoteurs complexifient le déve-


loppement cognitif et l’adaptation comportementale.
Les capacités attentionnelles sont impactées. La compréhension verbale
semble efficiente. Les possibilités d’expression des émotions, de contact avec
l’environnement sont préservées et des acquisitions d’autonomie peuvent se
faire pendant l’enfance à condition que la personne soit prise en charge de
manière adaptée28.
La plupart des personnes polyhandicapées semblent rester fixées à la
période sensiro-motrice29. Cependant, si elles sont stimulées, elles peuvent
apprendre certains comportements par imitation.
L’avancée en âge implique l’apparition de pathologies physiologiques (par
exemple : vieillissement prématuré du système digestif) ou la complexification
de troubles anciens (notamment l’aggravation des déformations orthopédiques
ou le déséquilibre de l’épilepsie30).
Au-delà des critères psychométriques, The Association for Persons with
Severe Handicaps (TASH) définit les personnes déficientes sévères à partir
de leurs relations avec leur environnement et la place qui leur est réservée
au niveau sociétal. Ainsi, la TASH met en lumière l’ostracisme dont sont
victimes les personnes en situation de handicap (être exclues des systèmes
éducatifs, judiciaires, de santé, des logements, des travaux ordinaires ; ne pas
être en mesure de faire valoir leurs droits, être perçues négativement, etc.)31.

5. Théories piagétiennes, constructivisme


et remédiation cognitive
En réaction au comportementalisme pur, Piaget oppose la notion de construc-
tivisme. Sa théorie postule que la connaissance est élaborée à partir de l’activité
mentale et non sur des relations stimulus-réaction. En s’appuyant sur ses
expériences, l’individu se construit et élabore sa vision de son environnement.
Le constructivisme considère le développement comme une succession de
structures. Celles-ci ne se remplacent pas, mais se succèdent, se complètent,
s’équilibrent et demeurent stables.
Piaget distingue deux modes d’apprentissage. Le premier est tourné
vers l’environnement et s’appuie sur les perceptions sensorielles, motrices,

28 Juzeau D. (2010). Vivre et grandir polyhandicapé, Paris : Dunod.


29 Dalla Piazza S. & Godfroid B. (2004). La personne polyhandicapée, son évaluation et son
suivi, Bruxelles : de Boeck.
30 Juzeau D. & Pernes P. (2010). Les questions de santé, Dans Juzeau D. (dir.). Vivre et grandir
polyhandicapé, Paris : Dunod.
31 Agran, M., Brown, F., Hughes, C., Quirk, C. & Ryndak, D. L. (2013). Equity and Full Par-
ticipation for Individuals with Severe Disabilities. Baltimore, MD: Brookes Publishing.

63
Déficiences intellectuelles

procédurales et les associations. Il est tourné vers la réussite des objectifs. Le


second repose sur l’abstraction et la conceptualisation. Elle s’appuie sur les
connaissances antérieures et vise la compréhension.
La construction des savoirs se fait par le biais de l’assimilation (les nouvelles
informations s’intègrent aux structures déjà présentes) et de l’accommoda-
tion (lorsqu’il y a un ajustement entre les nouveaux éléments et le système
cognitif existant).
L’apprentissage passe par une construction, une modification, voire une
déconstruction. L’enrichissement des outils cognitifs se fait tout au long de
la vie32.
Paour33 relie la remédiation cognitive et l’approche constructiviste. La
remédiation cognitive favorise la conceptualisation des expériences :
− Métacognitives : en encourageant le participant à prendre conscience
et à se représenter les procédures mentales qu’il utilise en situation de
travail et dans ses interactions avec autrui. Par exemple, lors des exer-
cices, le thérapeute demande au participant d’expliciter verbalement
sa manière de raisonner et de travailler face au problème. Il l’aide à
prendre conscience de ses procédures mentales (représentation de la
situation et du problème, recherche, revue des procédures, comparaison,
catégorisation, ordination, etc., sélection d’un opérateur, application de
celui-ci et évaluation). La revue des procédures permet au participant de
répertorier ses connaissances et de prendre conscience de ses ressources
et savoir-faire. Elle favorise également la généralisation ;
− Émotionnelles et sociales : la prise de conscience de son fonctionnement
cognitif favorise l’autorégulation et l’adaptation. Elle permet égale-
ment le développement de la motivation et du sentiment d’efficacité
personnelle.
L’approche constructiviste permet de concevoir l’élaboration des connais-
sances à travers les relations dynamiques entretenues par l’individu et son
environnement.
L’objectif de la remédiation cognitive selon les principes du construc-
tivisme est de restructurer les opérations acquises ou émergentes et de
permettre à la personne d’employer ses compétences cognitives de manière
plus adéquate.
Cette approche s’observe dès les premiers travaux d’Inhelder 1963 « le
diagnostic du raisonnement chez les débiles mentaux » pour le diagnostic et
la stimulation des enfants déficients intellectuels.

32 Lieury A. & de la Haye F. (2009). Psychologie cognitive de l’éducation, 2e édition, Paris :


Dunod, les Topos.
33 Paour J-L., Bailleux C. & Perret P. (2009). Pour une pratique constructiviste de la remédia-
tion cognitive, Développements, 3(3), 5-14.

64
Chapitre 3 – Aspects du développement cognitif

Inhelder a conceptualisé plusieurs exercices permettant « d’accélérer l’ac-


quisition des structures opératoires de l’intelligence34 ». Pour cela, l’enfant est
confronté à une série de jeux visant à stimuler ses capacités de résolution de
problèmes. Chacun des exercices fait appel à des compétences spécifiques de
chaque stade de développement (par exemple, la déformation d’une boulette
d’argile pour la période préopératoire). La prise de conscience de ses stratégies,
l’utilisation du potentiel cognitif ainsi que l’augmentation de la motivation
sont visées.
L’approche constructiviste est également centrale dans la conception de
programmes pour remédier aux troubles des apprentissages. C’est notamment
le cas pour le programme Ordo35 de Paour et al. qui vise le développement
des relations d’ordre à travers des histoires. Les buts in fine sont de réinscrire
l’enfant dans des apprentissages scolaires et de généraliser ses connaissances
à toutes les situations de résolution de problèmes.
Les Ateliers de Raisonnements Logiques et le PEI reposent également sur
une démarche constructiviste.

34 Inhelder B. (1963). Le diagnostic du raisonnement chez les débiles mentaux, Neuchatel :


Delachaux &Niestlé, p. 2.
35 Paour, J.-L., Bailleux, C., Cèbe, S., & Goigoux, R. (2011). Ordo. Histoires en images et ali-
gnements pour développer la compréhension des relations d’ordre en Grande Section. Paris :
Hatier

65
Chapitre 4 4

Intelligence
et quotient intellectuel

1. Définitions
L’intelligence a fait l’objet de nombreuses définitions. L’American Association
on Intellectual and Developmental Disabilities (AAIDD) définit l’intelligence
comme étant une capacité mentale incluant la planification, la résolution
de problèmes, la pensée abstraite, la compréhension des idées complexes,
la capacité à apprendre rapidement et à apprendre à partir de l’expérience1.
Par conséquent, la déficience intellectuelle pourrait être définie comme étant
l’incapacité de comprendre une information nouvelle, d’apprendre et d’appli-
quer de nouvelles compétences.
Il existe de nombreuses théories sur le développement cognitif et intel-
lectuel de l’individu.
Le profil de l’intelligence selon Luria2 est composé de trois processus
s’influençant les uns les autres : la planification/organisation des conduites,
le codage/stockage de l’information ainsi que le maintien de l’attention. La
notion de connaissances culturelles n’intervient pas dans ce modèle.
Jagannath Prasad Das3 s’est basé sur les théories de Luria pour modéliser
le fonctionnement neurologique. Il a divisé l’intelligence en quatre processus
interreliés :
− La planification, qui est la capacité à prendre des décisions pour
résoudre des problèmes et réaliser des actions. Cela implique de pouvoir
se fixer des buts, anticiper les conséquences et pouvoir réfléchir a

1 https://aaidd.org/
2 Luria, A. R. (1966). Human brain and psychological processes. New York: Harper and Row
3 Das, J. P. (2002). A better look at intelligence. Current Directions. Psychological Science,
11(1), 28-33.
Chapitre 4 – Intelligence et quotient intellectuel

posteriori sur ce qu’il s’est passé (le feedback). La planification implique


les fonctions d’attention/éveil, de traitement simultané et successif et
serait associée aux lobes frontaux du cerveau ;
− L’attention/éveil, qui engage la capacité à sélectionner les stimuli sur
lesquels l’individu va focaliser son attention tout en ignorant les autres
distracteurs. Les fonctions d’éveil sont généralement associées au tronc
cérébral et au thalamus, tandis que le processus d’attention peut être
rapproché des fonctions de planification du lobe frontal ;
− Le traitement simultané, qui concerne la capacité d’intégrer des stimuli
séparés dans un tout cohésif. Les lobes occipitaux et pariétaux jouent
un rôle important pour ces fonctions ;
− Le traitement successif, qui implique la capacité d’intégrer des stimuli
dans un ordre séquentiel. Ce type de traitement peut être associé au
fonctionnement des lobes frontaux et temporaux.
Pour Vygotsky, l’être humain se caractérise par une sociabilité primaire.
Selon lui, l’enfant ne peut se développer que s’il est étayé par les personnes
qui l’entourent. Vygotski estime qu’il existe une zone entre deux stades de
développement : la « zone proximale de développement ». Celle-ci correspond
au niveau de développement potentiel de l’enfant aidé d’un adulte. C’est par
le biais de l’autre que l’enfant peut s’autonomiser.

2. Dans le cas de la déficience


intellectuelle
Longtemps, les personnes déficientes intellectuelles ont été perçues comme
étant inéducables. En réalité, les capacités intellectuelles des personnes en
situation de handicap peuvent être appréhendées selon des paradigmes
multiples.
L’appréciation des processus cognitifs sous le prisme du quotient intel-
lectuel (QI) rencontre un écueil important. Les tests standardisés les plus
répandus évaluent principalement l’intelligence cristallisée et n’offrent qu’une
vision partielle des compétences de la personne évaluée. Ensuite, dans certains
syndromes, l’expression des capacités intellectuelles subit des variations avec
l’avancée en âge.
Pour la trisomie 21, les scores aux tests d’efficience intellectuelle décroissent
dans l’enfance. Les personnes porteuses du syndrome de Down semblent
rencontrer des difficultés à passer d’un stade à un autre au cours de leur déve-
loppement. Ainsi, au cours de la scolarisation, les transitions entre les classes
ne se font pas sans encombre, notamment lors du passage de la maternelle au
primaire. Ces personnes semblent « perdre » des compétences qui avaient été

67
Déficiences intellectuelles

acquises à un âge précoce et un décalage s’installe entre elles et leurs pairs,


voire leurs cadets.
Dans le cas des personnes porteuses du syndrome de l’X fragile, les résultats
aux tests de QI se modifient au moment de l’entrée dans l’adolescence. Ainsi,
elles sont entravées dans leurs capacités à élaborer et comprendre des raison-
nements abstraits. L’abstraction se développe, chez les personnes ordinaires,
à l’adolescence. Elle est rendue possible par la réorganisation synaptique qui
s’opère dans le cerveau au cours de cette phase du développement.

3. Limites et capacités d’apprentissage


Croteau, Loranger et Laporte4 estiment que chaque enfant, qu’il soit en situa-
tion de handicap ou non, possède les capacités nécessaires à la production de
représentation mentale et à l’application d’opérations mentales. Ainsi, chaque
personne possède les compétences nécessaires pour s’inscrire dans un pro-
cessus d’apprentissage.
Tomkiewicz et Svendsen5 défendent la thèse que les personnes polyhan-
dicapées possèdent une plasticité cérébrale suffisante pour apprendre et
progresser.
Les travaux de Vygotsky ont démontré que l’apprentissage était lié au
contexte et à l’accompagnement proposé par l’éducateur.
L’apprentissage chez les personnes déficientes intellectuelles passe par
les perceptions sensorielles, les liens affectifs et sociaux. Des stimulations au
niveau sensoriel, affectif et social ont un impact positif sur les connexions
entre les neurones, les synapses et permettent l’apprentissage6.
La capacité de transférer et généraliser les connaissances et les compétences
dépend des stratégies d’apprentissages. Les personnes déficientes intellec-
tuelles emploient d’elles-mêmes des démarches d’apprentissage. Seulement,
leur panel de stratégies est peu étendu et elles n’ont pas toujours le réflexe
de les utiliser.
Lors des exercices de remédiation cognitive, le thérapeute enseigne au
participant de nouvelles stratégies d’apprentissage. Ces dernières sont basées
sur l’observation, la répétition verbale et les feedbacks.

4 Croteau P., Loranger M. & Laporte P. (2002) Recherche et intervention en réadaptation et


rééducation. Motricité Cérébrale, 23, 97-107
5 Tomkiewicz S. & Svendsen F. A. (1995) Réflexions pour une éthique au quotidien dans les
institutions pour enfants et adultes polyhandicapés. Revue Francophone de la Déficience
Intellectuelle. 6(1). 65-75
6 Schiffmann S. N. (2001). Le cerveau en constante reconstruction : le concept de plasticité
cérébrale. Cahiers de psychologie clinique. 1(16). 11-23

68
Chapitre 4 – Intelligence et quotient intellectuel

Comme chez les élèves ordinaires, les cognitions liées à la performance, à


l’échec et à ses propres capacités ont un rôle déterminant dans l’apprentissage
pour les personnes déficientes intellectuelles.
En 1998, Turner publie une étude sur les compétences scolaires des
élèves afro-américains ayant une déficience intellectuelle. Il en ressort que les
élèves qui sont convaincus que leur travail détermine leur chance de réussite
déploient plus promptement des stratégies d’apprentissage et obtiennent les
meilleurs résultats7.

4. Le concept d’intelligences multiples


Gardner propose le concept d’intelligences multiples8. Les échelles d’évalua-
tion classiques ne prennent en compte qu’une infime partie de l’intelligence
humaine (les intelligences langagières et logico-mathématiques) et ne per-
çoivent pas toutes les capacités de l’individu. De plus, les résultats aux tests
ne sont ni représentatifs du niveau d’insertion de la personne ni de ses capa-
cités à mener une vie indépendante. Ils ne prédisent pas son intégration ou
son épanouissement dans le milieu socioprofessionnel ou dans ses activités
ludiques. Enfin, ces tests renvoient l’idée, selon Gardner, que l’intelligence
consisterait uniquement à savoir répondre à des épreuves standardisées.
Gardner, à l’instar de Piaget, conçoit l’intelligence comme une faculté
de résolution de problèmes. Il y ajoute le développement des compétences
nécessaires à l’adaptation dans son milieu de vie et à la production de biens.
L’ambition de la théorie des intelligences multiples est de pouvoir rendre
compte de l’ensemble des compétences humaines et de permettre leur recon-
naissance et leur exploitation. Il inclut les îlots de compétences des personnes
ayant un TSA parmi les intelligences multiples. La majorité de ces intelligences
sont non verbales. Elles peuvent être retrouvées chez des individus n’ayant
pas ou peu accès au langage, soit du fait de différences culturelles ou sociales,
soit du fait d’un handicap.
Dans sa conception plurielle de l’intelligence, Gardner met en avant sept
formes d’intelligence :
− Musicale : elle permet la reconnaissance, l’analyse, la création ou la
reproduction de sonorités ;
− Kinesthésique : il s’agit de la capacité à utiliser son corps pour résoudre
des problèmes. L’intelligence kinesthésique englobe les fonctions

7 Turner L. (1998) Relation off attributional beliefs to memory strategy use in children and
adolescents with mental retardation. American Journal of Mental Retardation, 103, 162-172
8 Gardner H. (2004). Les intelligences multiples. La théorie qui bouleverse nos idées reçues.
Paris : Retz

69
Déficiences intellectuelles

cognitives permettant d’analyser, d’anticiper des mouvements ainsi


que d’en prédire les conséquences ;
− Logico-mathématique : selon Gardner, il s’agit de la forme d’intelligence
décrite par Piaget. Elle regroupe les étapes de raisonnements permettant
la résolution de problèmes (qu’ils soient scolaires ou non) ;
− Langagière : elle regroupe toutes les compétences de compréhension,
de communication et d’utilisation du langage (verbal et gestuel) ;
− Spatiale : elle désigne la capacité à agir sur un univers spatial en s’en
construisant des représentations mentales ;
− Interpersonnelle : elle permet de comprendre les autres ;
− Intrapersonnelle : elle est utilisée pour obtenir une connaissance et une
représentation de soi.
Une huitième forme d’intelligence est ajoutée. Il s’agit de l’intelligence
naturaliste qui permet de reconnaître, d’identifier et de classer des formes et
des structures dans la nature (minérale, végétale ou animale).
Chaque intelligence possède un noyau opératoire identifiable. Elle est mise
en action par un certain nombre de stimuli internes et externes.
La conception des intelligences multiples offre des perspectives intéres-
santes dans la compréhension et la prise en charge des personnes déficientes
intellectuelles. Ainsi, cette théorie permet de considérer l’individu comme
étant limité dans certaines formes d’intelligences (par exemple, l’intelli-
gence logico-mathématique), mais compétent dans d’autres (par exemple,
l’intelligence interpersonnelle pour les personnes porteuses du syndrome de
Williams). Enfin, cette théorie permet de nouvelles perspectives en matière
de remédiation des handicaps cognitifs.
Ainsi, les équipes de l’école Orman du Caire9 mènent une expérimentation
sur douze enfants ayant une déficience intellectuelle légère. Les éducateurs
s’appuient sur les formes d’intelligences préservées chez ces enfants (en l’occur-
rence, l’intelligence spatiale et la kinesthésique) pour enseigner des mouvements
d’arts martiaux et développer la communication (intelligence langagière) et les
comportements socialement adaptés (intelligence interpersonnelle).
Les auteurs concluent que l’utilisation d’activités basées sur les intelligences
multiples des jeunes favorise les interactions, la coopération et la tolérance. La
prise en compte des intelligences multiples a influencé les éducateurs et leur
façon de percevoir les enfants ainsi que leur manière de travailler avec eux.
Le concept d’intelligences multiples offre des clés de compréhension inté-
ressantes. Toutefois, il demeure, pour le moment, à l’état de théorie et il
manque des données et expériences permettant de le valider.

9 Hussen S. S. (2010). Effect of using the activities of multiple intelligences to learn some
basic skills in kata and level of harmonic behavior of the mentally Handicapped, Procedia
Social and Behavioral Sciences, 5, 1950-1955.

70
Chapitre 5 5

Évaluer l’intelligence

1. Qu’est-ce que les tests évaluent ?


L’échelle d’intelligence de Wechsler pour adulte1 (WAIS) fait partie des tests
psychométriques les plus connus. Elle offre également la possibilité d’observer,
de façon indirecte, les perturbations neuropsychologiques.
Les subtests de la WAIS peuvent être séparés en deux catégories. Les
subtests évaluant un quotient intellectuel « verbal » (fonctions gérées par
l’hémisphère gauche chez les droitiers) et ceux évaluant un quotient intel-
lectuel de « performance » (fonctions gérées par l’hémisphère droit chez les
droitiers). Les exercices de la WAIS peuvent également être classés selon qu’ils
stimulent l’intelligence fluide ou cristallisée.
Ces deux intelligences ont été conceptualisées par Cattell2. L’intelligence
fluide entre en action dans les tâches de raisonnement et de résolution de
problèmes, la mémoire de travail ainsi que la vitesse idéomotrice. Elle est
indépendante des connaissances scolaires, culturelles et du niveau socio-
économique de l’individu. L’intelligence fluide est mise au travail lors des
exercices logiques, la recherche d’analogies, ou les tests alliant mémorisation,
raisonnement et composantes motrices. Cette intelligence est particulièrement
sensible aux effets du vieillissement.
L’intelligence cristallisée repose sur les connaissances acquises au cours de
la vie ; elle résiste au vieillissement. L’intelligence cristallisée entre en action
lors des tests verbaux, notamment ceux faisant appel aux connaissances sco-
laires culturelles.

1 Wechsler D. (2011). WAIS-IV – Nouvelle version de l’échelle d’Intelligence de Wechsler


pour adultes – Quatrième édition, Paris : ECPA.
2 Cattell R. B. (2004). La théorie de l’intelligence fluide et cristallisée ; sa relation avec les tests
« culture fair » et sa verification chez les enfants de 9 à 12 ans. Revue Européenne de Psycho-
logie Appliquée, 54, 47-56.

71
Déficiences intellectuelles

Il existe une corrélation entre intelligence cristallisée et intelligence fluide.


Ainsi, lors de l’avancée en âge, les données acquises au cours de la vie pallient
à la baisse de l’intelligence fluide et à ses composantes (attention, mémorisa-
tion à court terme, vitesse idéomotrice, etc.).

2. Quelques échelles
En 1905, Binet et Simon conceptualisent leur échelle pour déterminer si les enfants
sont éducables ou non. En 1929, Lashley émet plusieurs hypothèses à partir de
ses études sur les rats. Tout d’abord, l’intelligence n’est pas liée à une structure
spécifique du cerveau. Ensuite, chaque dysfonctionnement neurologique impacte
de manière spécifique les performances de l’individu. Par conséquent, les défi-
ciences intellectuelles sont liées à des anomalies réduisant l’efficacité du cerveau.
En 1947, Halstead développe une batterie neuropsychologique afin de
mesurer une forme d’intelligence « biologique » (biological intelligence). L’intel-
ligence biologique se distingue de l’intelligence généralement mesurée par les
tests de QI dans le sens où elle est indépendante des apprentissages scolaires et
sociaux. Le lobe frontal est conçu comme le siège de l’intelligence biologique.
Sa batterie, composée de tests de performances tactiles et catégoriques
(Category and Tactual Performance Tests), comporte des exercices de réso-
lution de problèmes. La batterie est sensible aux déficits cérébraux généraux.
Toutefois, elle ne permet pas de différencier les troubles issus de syndromes
ou de lésions cérébrales spécifiques. Enfin, il n’existe qu’une faible corréla-
tion entre les résultats obtenus à la Category and Tactual Performance Tests
et ceux obtenus aux tests d’intelligence classiques. Cependant, la batterie de
Halstead permet de mesurer l’intelligence fluide.
Parue en 1948, la Leiter International Performance Scale3 permet d’évaluer
l’efficience intellectuelle des enfants de deux à dix-huit ans. Le test est non
verbal, ce qui permet d’évaluer les jeunes n’ayant pas accès à la parole, sans que
leurs performances soient influencées par leur niveau d’étude ou socio-culturel.
De plus, le test mesure des fonctions neuropsychologiques telles que l’attention,
la vitesse de traitement de l’information et la mémoire. Actuellement, le Leiter
est à sa troisième version. Ce test est surtout distribué en Amérique du Nord.
L’échelle de Brunet-Lézine4 demeure une référence pour l’évaluation des
très jeunes enfants. Elle offre une vue d’ensemble sur leur développement
et leur progression. Cette échelle permet de mesurer quatre domaines : psy-
chomoteur, cognitif, langagier et social. Elle permet de déterminer un âge de
développement global.

3 Leiter R. G. (1948). Leiter International Performance Scale. Chicago, Il: Stoelting.


4 Brunet O. & Lezine I. (2001). BLR, Echelle de Développement Psychomoteur de la première
enfance de BRUNET-LEZINE, Paris : ECPA.

72
Chapitre 5 – Évaluer l’intelligence

Les Échelles différentielles d’efficience intellectuelle (EDEI puis EDEI-R),


conçues à partir des travaux de Misès, permettent d’évaluer les déficiences « dys-
harmioniques ». Misès estime que les déficits intellectuels reflètent la structure
(névrotique ou psychotique) de l’individu. La comparaison des scores obtenus
aux différentes échelles du test permet d’estimer si la déficience intellectuelle
s’étend à l’ensemble des processus cognitifs (elle serait alors qualifiée d’« har-
monique » et soutiendrait l’organisation mentale) ou bien si elle est limitée à
certains aspects (elle serait alors « dysharmonique ». L’insuffisance intellectuelle
serait alors complétée par des troubles psychologiques et relationnels).
Le test des labyrinthes de Porteus5 contribue à l’évaluation du raisonne-
ment, de la planification, de la flexibilité et de l’efficience intellectuelle.
L’échelle de performance6 de Borelli-Oleron permet d’évaluer l’efficience
intellectuelle des enfants dont les capacités de communication sont entravées
soit par des troubles sensoriels, soit par des troubles du langage. Les exercices
permettent d’évaluer l’attention, la mémoire à court terme, les fonctions exé-
cutives et le raisonnement.
Basée sur les travaux de Luria, Das, Cattel-Horn et Caroll, la Kaufman
Assessment Battery for Children7 (K-ABC) permet l’évaluation des fonctions
neuropsychologiques et intellectuelles des enfants âgés de trois à douze ans.
Kaufman estime que l’intelligence se manifeste à travers la façon dont les
individus traitent les informations et résolvent les problèmes. Elle offre la
possibilité de calculer trois indices : l’indice de processus mentaux, l’indice
fluide-cristallisé et l’indice non verbal. La K-ABC comporte des exercices
classiques (« arithmétiques » ou « vocabulaire courant » issus de l’échelle de
connaissances) et des exercices originaux (notamment des items évaluant la
motricité, les capacités d’imitation et de mémorisation (« mouvement des
mains » de l’échelle de processus séquentiels), la mémoire spatiale, la capacité
à traiter une séquence d’images ou à conceptualiser une illustration dans sa
totalité en se basant sur un fragment (exercices issus de l’échelle de processus
simultanés). La K-ABC a été conçue pour pouvoir être administrée à des
enfants en bas âge, à des personnes de langue étrangère et à des individus
très limités dans leurs capacités de compréhension (déficience intellectuelle
ou TSA) ou de mouvements (enfants avec une infirmité motrice cérébrale).
L’évaluation des acquis sensorimoteurs permet de déterminer si l’enfant
possède les compétences pour comprendre et utiliser des concepts basiques.

5 Porteus S. D. (1952). Manuel du test des labyrinthes de Porteus, Paris : ECPA.


6 Gille A. & Lenoble I. (1970). L’échelle de performance Borelli-Oléron, Recherches du labo-
ratoire de pédagogie expérimentale / Université catholique de Louvain, Numéro 7 de
Recherches, Université catholique de Louvain Laboratoire de pédagogie expérimentale,
Louvain : Vander
7 Kaufman, A. S. (1994). K.ABC. Pratique et fondement théorique. Grenoble : La Pensée
Sauvage.

73
Déficiences intellectuelles

Les échelles d’aptitude pour enfants de Mac Carthy (MSCA) permettent


d’évaluer six aptitudes fondamentales (verbale, quantitative, performance per-
ceptive, intellectuelle générale, mémoire, motricité) pour des enfants dont
l’âge est compris entre deux et huit ans.
Les matrices de Raven8 (dans sa version encastrable), la NEMI9 et la WISC10,
rendent également compte des compétences des enfants déficients intellectuels.
Les personnes ayant des déficiences sévères et profondes sont difficilement
évaluables. Les tests classiques ne permettent pas d’apprécier leurs compétences.
Les Échelles d’évaluation du développement cognitif précoce11 (EEDCP)
sont basées sur les théories piagétiennes. Elles permettent d’évaluer des enfants
de tous niveaux d’efficience intellectuelle (y compris des enfants polyhandica-
pés grâce aux exercices mobilisant les schèmes sensorimoteurs). La Griffiths
Mental Developmental Scales (GMDS)12, destinée aux nourrissons dont l’âge
est inférieur à deux ans, offre la possibilité d’évaluer les capacités locomotrices,
sociales, la communication ainsi que la coordination oculomotrice.

3. Le LPAD
Le Learning Potential Assessment Device (LPAD) a été conçu par Feuerstein
afin de rendre compte des capacités manifestes et masquées des personnes13.
L’échelle est reliée à deux concepts forts de la philosophie de Feuerstein sur la
remédiation cognitive : la modifiabilité cognitive et l’expérience de médiation.
Elle est également connectée à la carte cognitive qui offre des clés de compré-
hension des déficiences et des fonctions cognitives. Le LPAD permet d’identifier
les processus d’apprentissage, les fonctions et les opérations cognitives. Ces
évaluations se font à travers des exercices variés stimulant l’intelligence fluide,
l’attention, la motricité, la planification, le raisonnement, la pensée abstraite,
l’orientation visuo-spatiale, la motricité, etc. En cela, le LPAD peut être conçu
comme une alternative aux tests d’efficience intellectuelle classiques14.

8 Raven, J. (1998). Progressive Matrices de Raven, PM. Paris : ECPA.


9 Cognet G. (2006). NEMI-2, Nouevelle Echelle Métrique de l’Intelligence-2, Paris : ECPA.
10 Wechsler D. (2016). WISC-V, Echelle d’Intelligence de Wechsler pour enfants et adolescents-
Cinquième édition, Paris : ECPA.
11 Nader-Grosbois N. (2009). Echelles d’évaluation du développement cognitif précoce : manuel
illustré d’administration, Louvain-la-Neuve, Presses Universitaires de Louvain.
12 Griffiths R. (1996). GMDS Griffiths Mental Developmental Scales 0-2. Firenze: Hogrefe
13 Feuerstein, Ra S., Feuerstein, R., & Falik, L. (2009). LPAD: Learning Propensity Assessment
Device Standard – Manual for the mediator (Third revised edition). Jerusalem: ICELP.
14 Büchel F. P. & Scharnhorst U. (1996).The Learning Potential Assessment Device (LPAD):
Discussion of Theorical and Methodological Problems. Dans J. H. M. Hamers,
K. Sijtsma & A. J. J. M. Ruijssenaars (Eds.). Learning Potential Assessment, Theoretical,
Methodological and Practical Issues. (pp. p 83-111) Lisse: Swets & Zeitlinger Publishers.

74
Chapitre 5 – Évaluer l’intelligence

Le LPAD permet de repérer les structures cognitives bien développées,


les fonctions déficientes, la réponse du participant à l’enseignement des stra-
tégies cognitives, l’investissement de la personne pour compenser ses déficits,
les processus de coping face aux problèmes.
Le LPAD a été conçu pour les adultes, les adolescents et les enfants avec
des troubles de l’efficience intellectuelle ou des troubles des apprentissages
en lien ou non avec des troubles développementaux.
Il comprend des exercices basés sur les travaux de Rey (Nuage de points,
le Test de plateaux et le Test des 15 mots), de Raven (Matrices progressives)
et de Stencil (Representation of Stencil Design Test). Il comporte également des
tâches de progression numérique, de dessin de figures complexes ainsi qu’un
exercice dans lequel le participant doit mémoriser les positions spatiales de
figures. Enfin, le LPAD comprend une épreuve d’organisation qui fait appel
au raisonnement déductif et permet au participant de formuler et de tester
ses hypothèses. Il existe deux versions du LPAD, chacune comportant un test
de rappel associatif différent.
Pour chacun de ces exercices, plusieurs niveaux de complexité sont pro-
posés ainsi que des consignes concernant leur administration. Une fois les
fonctions à travailler repérées, le participant peut bénéficier d’une prise en
charge via le Programme d’enrichissement instrumental (PEI).
Plusieurs problèmes théoriques et conceptuels sont posés par le LPAD. En
effet, l’évaluation est dynamique et basée sur l’observation. Si cette particu-
larité est originale par rapport aux échelles d’évaluation classique, elle rend
l’attribution de points et de score malaisée. La fidélité de l’instrument est
également problématique du fait de la quasi-absence de standardisation15.
Toutefois le LPAD et les travaux de Feuerstein en général ont marqué le
domaine de l’évaluation des déficits cognitifs.

4. Intelligence, fonctions exécutives


et communication : cas particuliers
Le QI des personnes déficientes intellectuelles est soumis à plusieurs variables :
les facteurs (génétiques, neurologiques) causant le handicap, mais également
les facteurs environnementaux, à l’instar des personnes ordinaires.
Les scores bas aux épreuves d’intelligence sont étroitement corrélés aux
troubles neuropsychologiques d’une manière générale.

15 Hessels M. G. P. & Hessels-Schlatter C. (2010). L’apport des tests d’apprentissage dans l’éva-
luation des capacités intellectuelles des élèves avec difficultés scolaires. Dans M. G. P. Hessels
& C. Hessenls-Schlatter (dir.) (2010). Évaluation et intervention auprès d’élèves en difficultés
(p5-35). Bern : Peter Lang

75
Déficiences intellectuelles

Ainsi, une mémoire de travail et une capacité de flexibilité faibles auront


un impact négatif sur les capacités d’imitation de l’individu. Si ses capacités
d’imitation sont insuffisantes, il ne pourra pas s’engager pleinement dans les
premières interactions sociales avec son environnement. Par conséquent, sa
maîtrise des compétences langagières et déductives, ainsi que sa capacité à
faire preuve d’empathie, en seront impactées. Ces éléments influenceront ses
capacités d’apprentissage et, de fait, il risquera d’être mis en échec par les items
d’échelles, telle que la WAIS, mettant en jeu ces fonctions déficientes (par
exemple, « Mémoire des chiffres » pour la mémoire de travail ou « Arithmé-
tiques » pour la mémoire de travail, la flexibilité et la résolution de problèmes).
Les personnes trisomiques 21 voient leur efficience intellectuelle décliner
progressivement dans les premières années de vie. De même, le développe-
ment et le dépôt de plaques séniles à un âge précoce influencent négativement
le déploiement de l’efficience intellectuelle à l’âge adulte16.
Les hommes atteints par le syndrome de l’X fragile montrent un retard
intellectuel important. Les individus des deux sexes ont des déficits sur le plan
exécutif. Ces limitations sont présentes indépendamment du QI des personnes
évaluées. Il s’agit principalement de troubles attentionnels, de l’inhibition et
de la flexibilité. Les troubles exécutifs sont connectés aux troubles du langage
(pensée persévérative, difficulté à rester concentré sur un sujet, etc.). Les
déficits exécutifs entraînent un score bas à l’échelle « Processus séquentiels »
de la Kaufman Assessment Battery for Children (K-ABC)17.
À la K-ABC, les enfants trisomiques 21 montrent un profil plus homogène
que ceux porteurs de l’X fragile18.
Les atteintes de l’attention chez les personnes déficientes intellectuelles
font qu’il leur est difficile de maintenir un comportement communicatif tout
en travaillant sur une activité (défaut d’attention conjointe).
Les déficits neuropsychologiques et comportementaux chez les personnes ayant
un TSA sont d’autant plus invalidants que l’efficience intellectuelle est basse19.
Concernant l’évolution des déficits et capacités cognitives chez les per-
sonnes ayant un TSA, plusieurs éléments sont observés. Eaves et Ho20

16 Janicki M.P. & Dalton A.J.(2000). Prevalence of dementia and impact on intellectual disa-
bility services. Mental Retardation, 38, 276–288
17 Hodapp R. M., Leckman J. F., Dykens E. M., Sparrow S. S., Zelinsky D. G. & Ort S. I. (1992).
K-Abc Profiles in Children With Fragile X Syndrome, Down Syndrome, and Nonspecific
Mental Retardation, American Journal of Mental Retardation, 97(1), 39-46.
18 Burack J. A., Shulman C., Katsir F., Schaap T., Brennan J. M., Iarocci G., Wilansky P., Amir
N. (1999). Cognitive and behavioural development of Israeli males with X fragile and
Down Syndrome, International Journal of Behavioural Development, 23(2), 519-53.1
19 Howlin P. & Yule W. (1990). Taxonomy of major disorders in childhood. Dans
M. Lewis & S. M. Miller (dir.), Handbook of developmental psychopathology (pp. 371-383).
New-York: Plenum.
20 Eaves L. C. & Ho H. H. (2008). Young Adult Outcome of Autism Spectrum Disorders,
Journal of Autism and Developmental Disorders, 38(4), 739-747

76
Chapitre 5 – Évaluer l’intelligence

observent qu’à l’adolescence, les jeunes TSA atteignent un « plateau » et que


leurs compétences intellectuelles et comportementales déclinent après celui-ci.
À l’inverse, certaines personnes ayant été diagnostiquées comme autistes dans
la prime enfance ont connu une évolution telle qu’elles ne remplissent plus
les critères diagnostics du TSA à l’âge adulte21.
Les personnes autistes et déficientes intellectuelles montrent des troubles
plus importants au niveau des fonctions exécutives que les personnes non
autistes ayant le même degré de déficience.
L’évaluation de l’intelligence est complexifiée par plusieurs facteurs :
− La pluralité des définitions de l’intelligence ;
− L’impact des facteurs neuropsychologiques, psychologiques, biologiques,
sensoriels, psychomoteurs et environnementaux sur le déploiement des
compétences intellectuelles.
L’élaboration des premières échelles d’intelligence avait clairement pour
but de discriminer les enfants n’ayant pas les compétences nécessaires pour
intégrer le milieu scolaire.
La mesure de l’efficience demeure une aide précieuse pour la pose d’un
diagnostic. Toutefois, elle ne renseigne pas sur les capacités de la personne
à interagir, à s’adapter et à vivre de manière indépendante. Cette lacune se
vérifie d’autant plus pour les personnes déficientes intellectuelles qui ont un
développement et une présence au monde qui leur est propre. Des évaluations
spécifiques doivent donc leur être proposées.
L’intelligence et le niveau scolaire sont deux éléments distincts. Toutefois,
le milieu éducatif est amené à rencontrer les enfants et à émettre l’hypothèse
d’un déficit intellectuel avant que ceux-ci n’aient eu de contacts avec des pro-
fessionnels de santé spécialisés dans le domaine du handicap. L’élaboration
d’échelles destinées aux éducateurs et enseignants serait pertinente.

21 Eaves L. C. & Ho H. H. (1996). Brief report: Stability and change in cognitive and behavio-
ral characteristics of autism through childhood, Journal of Autism and Developmental
Disorders, 26(5), 557-569.

77
Chapitre 6 6

Évaluer les troubles


chez les personnes
déficientes intellectuelles

1. Évaluations neuropsychologiques :
considération générale
L’examen neuropsychologique analyse la personne et ses troubles dans leur
intégralité.
Avant toutes évaluations, le neuropsychologue évalue le mode d’installation
des troubles, la coexistence de signes neurologiques, la présence d’éventuels
troubles sensoriels, ainsi que le niveau culturel. L’évaluation de la latéralité
est également primordiale. En effet, elle permet de déterminer l’hémisphère
« dominant ».
L’examen neuropsychologique apprécie les points suivants :
− Les capacités de raisonnement, de jugement et d’abstraction ;
− Les capacités d’expression (entre autres, l’expression verbale et la déno-
mination) et de compréhension langagières ;
− La fluidité ;
− Les praxies (constructives, bucco-faciales, idéomotrices) ;
− Les fonctions visuognosiques et visuospatiales ;
− La mémoire ;
− Les fonctions exécutives ;
− L’attention.
L’évaluation des personnes déficientes intellectuelles, quel que soit leur âge,
doit prendre en compte plusieurs dimensions. Elle devra à la fois mesurer
l’efficience intellectuelle, les compétences motrices et communicatives ainsi
Chapitre 6 – Évaluer les troubles chez les personnes déficientes intellectuelles

que toutes les fonctions cognitives et neuropsychologiques soutenant une


vie autonome et indépendante. Le thérapeute repère et évalue les troubles
associés aux déficits intellectuels et neuropsychologiques. Il est important de
pouvoir estimer l’impact des atteintes comportementales, socio-émotionnelles
et psychiatriques.
Les personnes déficientes intellectuelles ont souvent des profils hétéro-
gènes. Certaines fonctions neuropsychologiques peuvent être efficientes et
d’autres déficitaires. Des troubles psychologiques peuvent compromettre la
mobilisation des capacités intellectuelles et l’émergence de comportements
adaptatifs.
Il conviendra de sélectionner les échelles et batteries de tests suffisam-
ment sensibles et prenant en compte des secteurs différents, ainsi que les
variables intra-individuelles. Étant donné que les troubles neuropsycholo-
giques engendrent de la fatigabilité et des sentiments d’échec et d’impuissance,
il est important que l’administration des échelles soit suffisamment souple
et que le neuropsychologue veille à stimuler et maintenir l’engagement et la
motivation.

2. Batteries neuropsychologiques
Il existe une grande variété de batteries neuropsychologiques. Malheureuse-
ment, la plupart des batteries scientifiquement validées ayant fait l’objet du
plus d’études ont été conceptualisées par des auteurs anglo-saxons et n’ont
pas toujours été traduites en français. D’autres ont fait l’objet d’une adaptation
suisse ou canadienne. Il manque alors les normes pour la France.
La batterie la plus complète et commentée est la Batterie neuropsycho-
logique Halstead-Reitan1 (Halstead-Reitan Neuropsychological Test Battery).
Elle permet d’évaluer la mémoire, la résolution de problèmes, le jugement,
l’abstraction, la conceptualisation (subtest des catégories), la planification,
la coordination motrice (subtests de performance tactile, d’oscillation digitale),
la flexibilité mentale, la pensée hypothéticodéductive, la vigilance, 1’attention
et la concentration, 1’audition non verbale, le rythme et la coordination oreille/
œil/main (subtests Seashore de rythme et de perception de sons langagiers),
le balayage visuel, la coordination ainsi que la vitesse motrice (subtest de
traçage de pistes). Des tests auxiliaires complètent les six épreuves principales.
La batterie peut être proposée aux adolescents et aux adultes. Il existe une
version pour les enfants de neuf à quatorze ans et une pour les enfants d’âge
scolaire (à partir de cinq ans).

1 Reitan R., Halstead W. (1985). Halstead-Reitan Neuropsychological Test Battery: Theory


and Clinical Interpretation. Tucson, Arizona: Reitan Neuropsychology.

79
Déficiences intellectuelles

La Halstead-Reitan Neuropsychological Test Battery est bien corrélée avec la


WAIS et est assez sensible pour détecter les troubles découlant des maladies céré-
brovasculaires, des traumatismes crâniens, des tumeurs cérébrales, des scléroses,
de la maladie d’Alzheimer et de Parkinson, des démences séniles, de l’épilepsie
et de la déficience intellectuelle2. Elle fournit des informations importantes sur
les symptômes du participant, la localisation d’éventuelles lésions cérébrales et
constitue une bonne base sur laquelle établir un programme de remédiation.
La batterie fait l’objet de plusieurs critiques. Sa passation nécessite entre
deux et cinq heures. Certaines épreuves reposant sur les capacités physiques,
le thérapeute doit tenir compte de l’âge, du sexe et la forme du participant
au moment où il devra analyser ses résultats. Il a également été observé que
certains subtests comportent des données semblables. Certains des tests com-
posant la batterie ont des consignes répétitives (notamment le subtest de
performance tactile dans lequel le participant doit remplir des formes géo-
métriques avec des cubes alors qu’il a les yeux bandés et en utilisant sa main
dominante, puis ses deux mains avant de dessiner la forme sur une feuille),
ce qui peut induire un biais d’apprentissage. Enfin, si la mémoire peut être
évaluée à travers plusieurs subtests, elle ne fait l’objet exclusif d’aucun exercice.
La NEPSY3 est une batterie neuropsychologique complète basée sur les
théories de Luria. Elle permet d’évaluer l’attention, la compréhension, les fonc-
tions exécutives, les capacités langagières, la mémoire et la psychomotricité.
Elle est proposée aux enfants âgés de trois à douze ans. La NEPSY comporte
vingt-sept subtests. Elle permet de repérer les fonctions déficientes et celles qui
sont préservées. La remédiation cognitive pourra s’appuyer sur ces dernières.
Le thérapeute peut adapter les consignes selon les compétences et déficits de
l’enfant (par exemple, des déficits sensoriels empêchant l’enfant de répondre
aux tests de mémoire narrative ou de traitement visuospatial). Il apparaît que
les scores à la NEPSY sont peu corrélés avec le fonctionnement intellectuel.
La Batterie rapide d’évaluation des fonctions cognitives4 (BREV) permet
de détecter les troubles des apprentissages. Elle est destinée aux enfants
dont l’âge est compris entre quatre et neuf ans. La BREV comporte dix-huit
subtests verbaux et non verbaux. Elle est complétée par un questionnaire sur
les comportements. Certains exercices sont issus des tests classiques (c’est
le cas notamment de « mémoire des chiffres » qui figure également dans les
échelles de Wechsler). D’autres reposent sur les apprentissages fondamen-
taux (lecture, écriture, mathématiques). La BREV permet de discriminer les

2 Hom J. (2003). Forensic Neuropsychology: are we there yet?, Archieves of Clinical Neuro-
psychology, 18(8), 827-845.
3 Korkman M., Kirk U. & Kemp S. (2012). NEPSY-II, Bilan Neuropsychologique de l’enfant,
seconde édition, Paris : ECPA.
4 Billard C. (2002). BREV : Batterie rapide d’évaluation des fonctions cognitives. Isbergues :
Orthoédition.

80
Chapitre 6 – Évaluer les troubles chez les personnes déficientes intellectuelles

troubles des apprentissages des troubles dyspraxiques, du langage et neuro-


psychologiques. Elle différencie les enfants neurotypiques de ceux ayant une
déficience intellectuelle ou souffrant d’épilepsie. La BREV mesure le langage,
les fonctions exécutives, le graphisme, discrimination visuelle, la reconnais-
sance visuo-spatiale, l’attention et la mémoire.

3. Évaluations des troubles de l’attention


L’attention est examinée avec le D25 et le subtest « Barrage » de la WAIS-IV6
pour les patients illettrés.
Le test de l’Odd-Man Out7, test dans lequel le participant repère et élimine
une forme « intrus » parmi une série de cartes, permet d’évaluer l’attention
et le contrôle mental.
Il existe des échelles créées spécifiquement pour l’évaluation des enfants
autistes et déficients intellectuels.
L’Évaluation fonctionnelle des comportements (EFC) permet d’appréhender
de manière synthétique les principaux dysfonctionnements neuropsycholo-
giques survenant dans les troubles envahissant du développement. L’EFC8
est une grille comportementale comportant treize rubriques (attention, per-
ception, association, intention, tonus, motricité, imitation, émotion, contact,
communication, instinct, cognition et régulation). Outre les capacités atten-
tionnelles, l’EFC permet l’évaluation des compétences socio-émotionnelles et
peut servir d’indicateur dans l’évaluation des TSA.
Dans le cas du polyhandicap, les limitations physiques rendent encore
plus difficiles les évaluations cognitives. Toutefois, il apparaît, quel que soit
la nature ou le degré de déficit induit par le handicap, que les personnes
polyhandicapées possèdent les capacités nécessaires à la production de repré-
sentation mentale et à l’application d’opérations mentales, en dehors de toute
action motrice effectuée sur l’environnement9.

5 Brickenkamp R., Zillmer E. (1998). D2, test of attention. Seattle: Hogrefe & Huber
Publishers.
6 Wechsler D. (2011). WAIS-IV échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes (4e édition).
Paris : ECPA .
7 Reed, T.R., & Jensen, A.R. (1993). Choice reaction time and visual pathway nerve conduc-
tion velocity both correlate with intelligence but appear not to correlate with each other:
Implications for information processing. Intelligence, 17, 191-203.
8 Adrien J-L., Roux S., Couturier G., Malvy J., Guerin P., Debuly S., Lelord G. & Barthelemy
C. (2001). Toward a new functional assessment of autistic dysfunction in children with deve-
lopmental disorders: The Behaviour Function Interventory (BFI), Autism, 5(3), 249-264.
9 Croteau P., Loranger M., Laporte P. (2002). Fonctionnement cognitif et neuropsychologie
clinique des enfants atteints de déficience mentale cérébrale : aspects cognitifs et neuropsy-
chologiques cliniques. Motricité cérébrale, 23(4), 175-187.

81
Déficiences intellectuelles

L’échelle de Bayley de développement du nourrisson (BSID-III, Bayley


Scales of Infant and Toddler Development-Third Edition)10 s’adresse aux très
jeunes enfants. Elle repose sur les échanges entre l’enfant et l’examinateur
et évalue cinq domaines (cognitifs, moteurs, verbaux, socio-émotionnels et
adaptatifs). L’échelle offre également la possibilité d’évaluer de façon indirecte
l’attention et la persévérance.
La Conners’ Continuous Performance Test11 permet d’évaluer les troubles
attentionnels chez les enfants à partir de l’âge de huit ans et chez les adultes.
Elle détecte les déficits de l’attention, notamment de l’attention soutenue,
les troubles de la vigilance et les perturbations du contrôle des impulsions.
Le test des labyrinthes de Porteus mesure de façon secondaire les troubles
attentionnels. Le test de Stroop évalue l’attention sélective. Le test d’évaluation
de l’attention chez l’enfant12 (TEA-Ch) mesure l’attention soutenue, sélective
et le contrôle attentionnel. La TEA-Ch est composée de deux séries d’épreuves
pouvant évaluer l’enfant en pré- et post-thérapie.

4. Évaluation de la mémoire
Nous aborderons ici les tests permettant de mesurer les déficits chez des
personnes d’âge et de profil variés, ou bien les tests ayant été conceptualisés
pour évaluer une dimension spécifique de la mémoire. Ces tests peuvent être
inclus dans un protocole pour diagnostiquer une démence ou pour détecter
des troubles survenant à la suite d’un accident (par exemple, après un trau-
matisme crânien).
La Rivermead Behavioural Memory Test13 (RBMT) est une batterie com-
prenant quatorze subtests tous composés de tâches écologiques. Elle permet
d’évaluer la mémoire et les capacités d’apprentissage via des exercices repo-
sant sur les rappels immédiats et différés, l’orientation, la planification et
la mémoire prospective ainsi que la mémoire rétrospective. Il existe deux
autres versions. L’une permettant de détecter les déficits légers (RBMT-E)14
et l’autre offrant la possibilité aux personnes à mobilité réduite de compléter

10 Bayley N. (1969). Bayley Scales of Infant Development, New York, NY: Psychological Corp.
11 Conners C. K. (2004). Conners’ Continuous Performance Test II, Toronton, ON: Multi-
Health Systems.
12 Manly T., Robertson I. H., Anderson V., Mimmo-Smith I. (2004). TEA-Ch, Test d’Évalua-
tion de l’Attention chez l’enfant, Paris : ECPA.
13 Wilson B.A., Cockburn J., Baddeley A.D. (1993). The Rivermead Behavioral Memory Test.
Bury St Edmunds: Thames Valley test Company. Traduction française : RBMT, Paris :
ECPA.
14 Wilson B.A., Clare L., Baddeley A.D. et al. (1999). The Rivermead Behavioral Memory Test
– Extended version (RBMT-E). Bury St Edmunds: Thames Valley test Company.

82
Chapitre 6 – Évaluer les troubles chez les personnes déficientes intellectuelles

les épreuves15. Elle peut être proposée à des personnes ayant des fonctions
cognitives réduites, notamment à des patients cérébrolésés.
Il existe de nombreux tests permettant d’évaluer la mémoire de travail
dont la California Verbal Learning Test16 et sa version pour enfant17 permet
de mesurer la mémoire et l’apprentissage verbal.
Le Rey Auditory Verbal Learning Test18 (RAVLT) permet d’évaluer la
mémoire auditive à court terme, les capacités à encoder, stocker et récupé-
rer les informations verbales, les stratégies d’apprentissage, la sensibilité aux
interférences, ainsi que la présence de confabulation et de confusion. Cette
épreuve est couramment employée pour évaluer les personnes ayant des défi-
cits neuropsychologiques consécutives à des atteintes cérébrales.

5. Apraxie, aphasie et agnosie


Les tests visuomoteurs font partie des batteries évaluant les praxies. Elles offrent
des données précieuses pour l’évaluation des troubles des apprentissages.
La Beery-Buktenica Developmental Test of Visual-Motor Integration19
(BEERY VMI) est une épreuve de copie de dessins. Elle permet d’évaluer la
perception visuelle, les capacités visuo-motrices ainsi que la coordination. Elle
peut être appliquée aux enfants à partir de deux ans et aux adultes.
Le subtest « copie de figures » de la NEPSY permet d’évaluer l’intégration
visuomotrice et les capacités de coordination de l’activité motrice des enfants.
La Batterie neuropsychologique Halstead-Reitan (Halstead-Reitan Neu-
ropsychological Test Battery) est composée plusieurs subtests, dont certains
permettent d’évaluer les capacités sensorielles, perceptrices et motrices. Elle
offre également la possibilité d’évaluer les capacités langagières et de détecter
les agnosies, les aphasies et les dyspraxies. La Halstead-Reitan Neuropsycho-
logical Test Battery permet également de repérer les troubles de la latéralité.

15 Clare L., Wilson B.A., Amslie H. et al. (2000). Adapting the Rivermead Behavioral Memory
Test Extended version (RBMT-E) for people with restricted mobility. British Journal of
Clinical Psychology, 39: 363-69.
16 Delis D. C., Kramer, J. H., Kaplan E. & Ober, B.A. (2000). The California Verbal Learning
Test (2nd edition). Toronto: The Psychological Corporation Harcourt Brace Jovanovich
Inc. San Antonio, TX: The Psychological Corporation.
17 Delis D. C., Kramer, J. H., Kaplan E. & Ober, B.A. (1994). CVLT-C: California Verbal Lear-
ning Test for Children, Toronto: The Psychological Corporation Harcourt Brace Jovano-
vich Inc.
18 Schmidt, M. (1996). Rey Auditory and Verbal Learning Test: A handbook. Los Angeles, CA:
Western Psychological Services.
19 Beery K. E., Beery N. A. & Buktenica N. A. (2010). The Beery-Buktenica Developmental Test
of Visual-Motor Integration, Sixth Edition. San Antonio, TX: Pearson.

83
Déficiences intellectuelles

6. Troubles des fonctions exécutives


Les fonctions exécutives peuvent être évaluées, dans un premier temps, à l’aide
de la Batterie rapide d’efficience frontale20 (BREF). Ce test offre l’avantage
d’être rapide à administrer et comporte une majorité d’exercices concrets,
indépendants des acquis scolaires du participant (série de Luria, Go-No-Go,
consignes contradictoires, etc.). La BREF renseigne sur les déficits du parti-
cipant la conceptualisation, la planification, la flexibilité et l’inhibition.
La Batterie GREFEX21 permet une évaluation complète des fonctions exé-
cutives. Elle comprend une épreuve d’inhibition (le Stroop), une épreuve de
flexibilité (le Trail Making Test), une autre permettant d’évaluer à la fois
l’administrateur central et la mémoire de travail (double tâche de Badde-
ley), une épreuve de fluence verbale, ainsi qu’une épreuve de classement, de
planification et de flexibilité (Modified Card Sorting Test). L’Inventaire du
syndrome dysexécutif comportemental (ISDC) complète la batterie.
Les capacités d’inhibition sont appréciées par le Hayling Sentence Com-
pletion Test22. Pour mesurer la flexibilité, il est possible d’utiliser le Stroop23,
ou bien le Fruit Distraction Test24 (adaptation du Stroop pour les enfants) ou
le Five Digit Test25 (FDT) pour les personnes n’ayant pas accès à la lecture.
Le Modified Card Sorting Test26 (MCST) évalue la planification.
La Behavioral Assement of the Dysexecutive Syndrome27 (BADS) comprend
sept tests évaluant chacun les composantes exécutives (flexibilité, planifica-
tion, résolution de problèmes, jugement, estimation temporelle et contrôle
comportemental). Les exercices de la BADS confrontent le participant à des
questions concrètes, transposables en situations écologiques (élaborer des stra-
tégies et programmer ses actions selon des contraintes spatiales et temporelles
pour sortir un bouchon d’un tube à essai ou organiser une visite au zoo).

20 Dubois B, Slachevsky A, Litvan I, Pillon B. (2000). The FAB: a Frontal Assessment Battery
at bedside. Neurology, 55: 1621–26.
21 Godefroid O. & Groupe de Réflexion pour l’Évaluation des Fonctions Exécutives (2008).
Fonctions exécutives et pathologies neurologiques et psychiatriques, évaluation en pratique
clinique. Marseille : Solal
22 Burgess P. W, Shallice T. (1997). The Hayling and Brixton tests. UK: Thames Valley test
Company Ltd.
23 Stroop, J. R. (1935) Studies of interference in serial verbal reactions. Journal of Experimen-
tal Psychology, 18.
24 Cammock T. & Cairns E. (1979). Concurrent validity of a children’s version of the Stroop
Color-Word Test : the Fruit Distraction Test, Percept Motor Skills, 49(2), 611-616.
25 Sedo, M. A. (2004) The “Five Digit Test”: a color-free, non-reading alternative to the
Stroop. International Neuropsychological Society Liaison Committee Newsletter, 13, 6-7.
26 Nelson H. E. (1976). A Modified Card Sorting Test Sensitive to Frontal Lobe Defects. Cor-
tex, 12(4): 313-24.
27 Wilson B. A., Alderman N., Burgess P. W., Emslie H., Evans J. J. (1996). Behavioural Assess-
ment of the Dysexecutive Syndrome, Bury St Edmunds: Thames Valley Test Company.

84
Chapitre 6 – Évaluer les troubles chez les personnes déficientes intellectuelles

La BADS inclut également une version simplifiée du test des 6 éléments28.


Dans cette épreuve, le participant doit effectuer une dictée, des calculs, des
trajets, dénominer des images tout en respectant des contraintes (ne pas réa-
liser les deux parties d’une même tâche successivement). La BADS se conclut
par un questionnaire évaluant les impacts du syndrome dyséxécutif dans la
vie quotidienne. La BADS offre des exercices variés, mais elle peut s’avérer
trop complexe pour les personnes déficientes sévères et celles n’ayant pas
d’acquis scolaires.
Le test des errances multiples29 permet d’évaluer les fonctions exécu-
tives directement en situation réelle. Le participant est confronté à plusieurs
épreuves de planification et de gestion des contraintes. Dans un premier
temps, il doit élaborer un trajet et envisager la conduite qu’il tiendrait face à
divers obstacles et problèmes à résoudre. Cette phase se déroule au bureau
de l’évaluateur. Le participant conserve la fiche qu’il a complétée. Dans les
phases suivantes, le participant est conduit dans un lieu qui lui est inconnu
et il doit organiser son parcours selon des consignes fournies (réaliser des
achats, atteindre un lieu donné en respectant un horaire, recueillir des infor-
mations dans son environnement, noter ces données). Le participant est suivi
de loin par deux examinateurs qui évaluent les fluctuations de son attention,
son respect des règles, son organisation, la programmation et l’application de
ses stratégies ainsi que sa capacité à changer et à adapter son comportement.

7. Échelles d’évaluation pour les personnes


ayant une déficience sévère et profonde
L’évaluation des personnes déficientes intellectuelles sévères et profondes est
souvent problématique. La plupart des échelles existantes ne sont pas assez
sensibles ou sont composées d’exercices trop complexes pour rendre compte
de leurs capacités et de leurs besoins. Ces premières difficultés sont renfor-
cées lorsque les troubles cognitifs sont associés à des handicaps sensoriels ou
physiques30 (comme dans le cas des personnes polyhandicapées).
L’emploi d’échelles destinées aux très jeunes enfants n’est pas adapté, mais
des batteries d’évaluation ont été développées ces quinze dernières années au
Canada à destination de cette population.

28 Shallice T. & Burgess P. (1991). Deficits in strategy application after frontal lobe damage in
man, Brain, 114, 727-741.
29 Shallice T. & Burgess P. W. (1991). Deficits in strategy application following frontal lobe
damage in man, Brain, 114(2), 727-741.
30 Ellis D. (1986). Sensory Impairments in Mentally Handicapped People, Croom Helm,
London.

85
Déficiences intellectuelles

L’échelle d’évaluation de la personne présentant une déficience intellec-


tuelle sévère ou profonde (EPDSP) de l’équipe du Centre de réadaptation La
Myriade31 permet d’évaluer le développement sensoriel, moteur, cognitif et
social de la personne. Les compétences dans les domaines de la communi-
cation et de l’autonomie sont également mesurées.
L’échelle se présente sous la forme d’une grille pouvant être remplie par un
professionnel ou un proche prenant en charge la personne déficiente intellec-
tuelle sévère ou profonde. À partir des éléments relevés lors de l’évaluation,
des pistes de prises en charge peuvent être élaborées.
La Skills Analysis Model32 de Gardner permet d’évaluer six compétences
chez les personnes ayant des déficits importants. Les éléments évalués sont la
communication, les capacités motrices et cognitives, l’indépendance ainsi que
les capacités à faire face à des situations à risque (survival skills et self-help skills).
L’échelle rend compte des capacités de la personne à répondre de manière
autonome à ses besoins fondamentaux (s’alimenter, éliminer, se vêtir, etc.).

8. Évaluations des comportements adaptatifs


et des comportements défis
Plusieurs échelles permettent d’évaluer les déviations comportementales chez
les personnes souffrant de TSA.
L’Autism Diagnostic Interview Revised33 (ADI-R) et l’Autism Diagnostic
Observation Schedule34 (ADOS) permettent de poser le diagnostic d’autisme
et d’évaluer la présence et la qualité des interactions sociales réciproques,
la communication et le langage ainsi que les comportements stéréotypés.
L’ADOS existe également sous une forme préverbale pour les jeunes enfants
et ceux n’ayant pas accès au langage : la PL-ADOS.
La Vineland Adaptative Behavior Scale35 permet également d’évaluer les
comportements adaptatifs des enfants et des adultes. Elle repose sur des entre-

31 Beaudet J., Jacques L., Simard B. & Tremblay G. (2001). Évaluation de la personne présen-
tant une déficience intellectuelle sévère ou profonde, Québec : Centre de réadaptation
La Myriade, Joliette.
32 Gardner J., Murphy J. & Crawford N. (1983). The Skills Analysis Model, British Institute of
Mental Handicap, Kidderminster.
33 Lord C. & Rutter M. (1994). Autism and pervasive developmental disorders. In Rutter M.,
Taylor E. & Herson L. (Eds), Child and adolescent psychiatry, modern approaches (pp. 569-
593). London, UK: Blackwell.
34 Lord C., Rutter M., Goode S., Heemsberger J., Jordan H., Mawhood L. et al. (1989). Autism
diagnostic observation schedule: a standardized observation of communicative and social
behavior. Journal of Autism and Developmental Disorders, 19, 185-212.
35 Sparrow S., Balla D. & Cicchetti D. V. (1984). Vineland Adaptative Behavior Scales
(expanded form). Circles Pines, MN: American Guidance Service.

86
Chapitre 6 – Évaluer les troubles chez les personnes déficientes intellectuelles

tiens structurés avec les personnes prenant en charge la personne. La Vineland


évalue la communication, la socialisation, les capacités motrices ainsi que la
capacité à vivre de manière indépendante au quotidien. Elle est complétée par
des questions portant sur les comportements problématiques. La Vineland
permet de distinguer les personnes déficientes intellectuelles de celles ayant
un TSA associé ou non à une déficience. Les principales différences entre ces
deux types d’individus s’observent dans les domaines de la communication,
de la socialisation et de la motricité. La Vineland est difficilement applicable à
des personnes vivant en institution et dépendantes de leur environnement. En
effet, les questions portant sur l’autonomie en vie quotidienne et les connais-
sances pratiques supposent que la personne soit en mesure de prendre des
décisions, de mener des actions et des déplacements seule.
L’Échelle d’évaluation globale de la gravité des comportements probléma-
tiques36 (ÉGCP-II-R) permet d’évaluer les troubles du comportement et leur
gravité chez les personnes déficientes intellectuelles. Ce test est principalement
utilisé au Canada.
L’Évaluation, intervention et suivi37 (EIS) permet d’appréhender les capa-
cités des enfants à faire face aux demandes environnementales, ainsi qu’à
adopter un comportement adéquat.
L’EIS propose une évaluation de six domaines d’habiletés fonctionnelles
(motricité fine, motricité globale, adaptation, communication, cognition et
socialisation) et permet de déterminer des objectifs et des activités d’interven-
tion individualisés. Cet outil permet de suivre les progrès des enfants dans les
habiletés. Il permet au thérapeute d’ajuster rapidement le projet thérapeutique.
L’EIS propose également des exercices de stimulation écologiques pouvant
être appliqués par les parents et les professionnels.
Les troubles du comportement peuvent être évalués à l’aide de la Reiss
Screen for Maladaptive Behavior (RSMB)38 ou de l’Aberrant Behavior Chec-
klist (ABC)39.
La première peut être proposée aux personnes ayant une déficience intel-
lectuelle allant de légère à profonde. La seconde s’emploie avec les personnes
dont la déficience varie entre moyenne à profonde.

36 Sabourin, G. (2007). L’Échelle d’évaluation globale de la gravité des comportements problé-


matiques-II (EGCP-II). Montréal : SQETGC.
37 Bricker D. (2006). Programmes EIS – Évaluation intervention et suivi auprès des jeunes
enfants de 0 à 6 ans, traduction de Cordeau-Giard E., adaptation de Dionne, Rivest C.
& Tavarès C-A., Bruxelles : De Boeck.
38 Reiss S. (1999). Comments on the Reiss Screen for Maladaptive Behaviour and its factor
structure. Journal of Intellectual Disability Research, 41(4), 346–354.
39 Aman M.G., Singh N.N., Stewart A.W., & Field, C.J. (1985). The Aberrant Behavior Check-
list: A behavior rating scale for the assessment of treatment effects. American Journal of
Mental Deficiency, 89, 485-491.

87
Déficiences intellectuelles

La SIB-R40 permet d’évaluer les comportements adaptatifs dans les


domaines de la communication, de la motricité et des capacités à vivre en
autonomie et dans la communauté.
La Functional behavioral assessment41 (FBA) peut également être pro-
posée. Cette échelle se centre sur les facteurs sociaux, environnementaux,
affectifs et cognitifs. Elle sert de base de travail pour élaborer un programme
d’intervention.
La Diagnostic Assessment for the Severely Handicapped (DASH)42 peut
être proposée aux personnes dont la déficience est sévère ou profonde. Elle
permet également l’évaluation des troubles psychiatriques.
La Questions About Behavioral Function43 (QABF) comporte vingt-cinq
items répartis dans cinq échelles : l’attention, l’évitement, les comportements
antisociaux, les atteintes physiques et tangibles. Elle permet de réaliser une
analyse complète des troubles comportementaux et permet l’élaboration de
programmes comportementaux.
Conceptualisé par Willaye, Magerotte et al., Impact est un outil informatique
permettant d’évaluer et de comprendre les comportements problématiques44.
Le programme regroupe des guides d’interview, d’observation et d’analyse
fonctionnelle. L’originalité du programme tient au fait que l’évaluateur peut
indiquer son degré de certitude dans ses hypothèses et que le logiciel peut,
le cas échéant, lui proposer de nouvelles pistes à explorer pour améliorer sa
compréhension du fonctionnement de la personne déficiente intellectuelle
ainsi que sa confiance dans son évaluation.
Le programme regroupe plusieurs échelles déjà publiées que les auteurs ont
retravaillées dans le but de les rendre facilement utilisables. Le programme
permet de renseigner les antécédents personnels des individus pris en charge
(tant sur le plan de la santé que sur les plans cognitifs et comportementaux).
Les échelles évaluent la motivation des personnes à l’origine des conduites
disruptives (recherche de sensations, obtention d’un bénéfice, évitement d’un
stimulus aversif, etc.), les facteurs précédents l’apparition des comportements
défis ainsi que leurs fréquences, les renforçateurs ainsi que les comportements
alternatifs connus.

40 Bruinicks R.H., Woodcock R.W., Weatherman R.F., et al (eds). (1984). Development and
Standardization of the Scales of Independent Behavior. Scarborough, ON: Nelson Canada.
41 Gresham F. M., Watson T. S., Skinner C. H. (2001). Functional Behavioral Assessment:
Principles, Procedures, and Future Directions. School Psychology Review, 30 (2), 156-172.
42 Matson, J.L. (1995). The Diagnostic Assessment for the Severely Handicapped revised
(DASH-II). Baton Rouge, LA: Disability Consultants, LLC.
43 Matson J. L. & Vollmer T. R. (1995). User’s Guide: Questions About Behavioral Function
(QABF). Scientific Publishers, Inc., Baton Rouge, LA.
44 Willaye E. & Magerotte G. (2008). Chapitre 4, Impact : un outil pour la compréhension, In
Willaye E. & Magerotte G. (Eds). Évaluation et Intervention auprès des comportements-
défis, Déficience intellectuelle et/ou autisme, DeBoeck, questions de personne, série TED :
Bruxelles, pp.115-152.

88
Chapitre 6 – Évaluer les troubles chez les personnes déficientes intellectuelles

Willaye propose que les différentes composantes du programme Impact


soient complétées par plusieurs intervenants (parents et professionnels) afin
de garantir une évaluation objective et une cohésion entre les personnes qui
mettront en action la remédiation des comportements défis.
Une fois que tous les éléments ont été renseignés, le programme propose
des diagrammes synthétisant l’évaluation fonctionnelle.
Impact sert de base pour élaborer des interventions sur les comportements
défis.
Ces actions sont élaborées selon trois objectifs :
− Agir directement sur les causes environnementales, personnelles et
interpersonnelles des conduites inadaptées ;
− L’apprentissage de comportements alternatifs plus adaptés ;
− Diminuer, voire éliminer, les conséquences pouvant renforcer les
troubles.
Pour cela, Willaye propose aux intervenants de s’appuyer sur les pro-
grammes comportementaux. Ceux-ci seront détaillés dans des chapitres
ultérieurs.

9. Évaluation des compétences


socio-émotionnelles
La cognition sociale est indispensable à la régulation des conduites et des
interactions avec les pairs. Il nous semble important de l’évaluer chez les
personnes déficientes intellectuelles ayant des troubles du comportement.
En effet, en mesurant les capacités des agresseurs à prendre conscience de
leurs cognitions, émotions et des biais d’attribution qu’ils peuvent construire
pendant leurs interactions avec autrui, le thérapeute aurait une meilleure
connaissance des enjeux derrière les comportements violents (par exemple :
l’individu se montre agressif, car il se sent en danger ou mis en échec par
l’autre du fait d’interprétations inadéquates, ou bien il s’en prend à l’autre,
car il n’a pas conscience que celui-ci est un humain semblable avec des états
émotionnels propres).
Les tests classiques permettant d’évaluer la théorie de l’esprit sont mal-
heureusement trop complexes pour être proposés en l’état à des personnes
ayant une déficience moyenne à profonde.
Le test des faux pas de Stone, Baron-Cohen et Knight45 décrit des situa-
tions qui sont très éloignées du quotidien des personnes vivant en institution.

45 Stone, V. E., Baron-Cohen, S., & Knight, R. T. (1998). Frontal lobe contributions to theory
of mind. Journal of Cognitive Neuroscience, 10(5), 640-656.

89
Déficiences intellectuelles

Il peut donc être proposé à des personnes ayant une intelligence limite ou
une déficience légère, vivant en milieu ordinaire dans lequel elles ont accès
à des interactions sociales complexes (par exemple, se rendre de manière
autonome à des fêtes ou dans des boutiques).
Il en va de même pour the Cambridge Behavior Scale. Cette échelle permet
au participant d’évaluer lui-même ses capacités à comprendre les états cogni-
tifs et émotionnels de ses interlocuteurs. Elle permet d’établir un quotient
d’empathie. Seulement, les exemples d’interactions sociales proposées ne cor-
respondent pas au quotidien de personnes déficientes vivant en milieu protégé.
Les tâches d’interprétation du regard de Baron-Cohen46 peuvent être
proposées à des personnes vivant dans tous les lieux de vies (qu’elles soient
indépendantes ou protégées). Il est demandé au participant de définir un état
émotionnel à partir de photographies de regards.
Plusieurs questionnaires permettent d’évaluer la théorie de l’esprit et l’em-
pathie. Nous citons notamment le questionnaire de Mehrabian et Epstein qui
permet la mesure de l’empathie émotionnelle47.
L’Empathy Quotient de Baron-Cohen a été élaboré spécifiquement pour
évaluer les capacités d’empathie. Il peut être appliqué aux personnes ayant le
syndrome d’Asperger. Cependant, la plupart des échelles mesurant l’empathie
évaluent en réalité les croyances de l’individu dans ses propres capacités48.
L’Échelle d’évaluation de la communication sociale précoce49 (ECSP) offre
la possibilité d’évaluer des enfants de moins de trois ans dans leur rapport
avec les objets et les personnes les entourant. Le test comporte 108 items
et mesure les compétences des enfants dans les domaines des interactions
sociales, l’attention conjointe et la régulation des comportements. Au cours
de la passation, les enfants sont laissés libres d’initier, maintenir ou répondre
à la communication. En fonction des comportements des enfants, le clinicien
détermine son âge ou son niveau de développement. La ECSP propose quatre
niveaux de développement, chacun correspondant à une tranche d’âge (niveau
simple, niveau complexe, niveau conventionnel gestuel et verbal ainsi que
niveau symbolique). Cette échelle pourrait être un outil précieux pour le repé-
rage précoce des enfants avec un TSA, mais elle manque de standardisation.

46 Baron-Cohen S., Wheelwright S., Hill J., Raste Y. & Plumb I. (2001). The «Reading the
Mind in the Eyes» Test revised version: a study with normal adults, and adults with Asper-
ger syndrome or high-functioning autism, Journal of Child Psychology and Psychiatry,
42(2), 241-251.
47 Mehrabian A. & Epstein N. (1972). A measure of emotional empathy, Journal of Persona-
lity, 40(4), 525-543.
48 Baron-Cohen, S. & Wheel Wright, S. (2004). The Empathy Quotient: An investigation of
adults with Asperger Syndrome or high functioning autism, and normal sex differences.
Journal of Autism, 34(2), 163-175.
49 Guidetti, M. & Tourette, C. (1992). Un outil original pour l’évaluation des compétences
communicatives chez le jeune enfant : Les ECS. Revue Européenne de psychologie appliquée,
3(42), 185-192

90
Chapitre 6 – Évaluer les troubles chez les personnes déficientes intellectuelles

Les épreuves « Reconnaissance d’Affects », et « Théorie de l’Esprit » de la


NEPSY permettent également d’évaluer la cognition sociale chez les enfants.
La Batterie d’évaluation cognitive et socio-émotionnelle (BECS) d’Adrien
mesure la cognition sociale et le développement cognitif chez les personnes
autistes et déficientes intellectuelles. La BECS renseigne à la fois sur la
période d’âge de développement à laquelle se situe l’enfant (ces périodes
allant de quatre mois à vingt-quatre mois), ses acquis et capacités cogni-
tives (par exemple, permanence de l’objet, relations spatiales), ainsi que ses
capacités socio-émotionnelles (par exemple, attention conjointe, interac-
tion sociale, régulation du comportement, expression émotionnelle, etc.)
et de communication (langage expressif, compréhensif, imitation vocale
et gestuelle).
À partir des résultats de l’enfant aux exercices, son profil de dévelop-
pement est établi (celui-ci pouvant être homogène, hétérogène ou retardé).
L’homogénéité ou l’hétérogénéité du développement des capacités cognitives
est estimée selon que les résultats de l’enfant à une échelle sont cohérents ou
bien si certaines capacités sont émergentes, si les acquissions sont stables ou
fragile, ou bien si aucune acquisition n’existe pour le domaine évalué.
La BECS permet d’établir un indice d’hétérogénéité du développement
général.
La batterie peut être proposée plusieurs fois à l’enfant, ce qui permet d’éva-
luer les progressions et stagnations développementales.
Elle sert de base pour élaborer des programmes de remédiation.
Développé par l’équipe de l’université de Bordeaux et du groupe « Neuro-
psychologie et Psychiatrie », le Protocole d’évaluation de la cognition sociale
de Bordeaux50 (PECS-B) permet d’évaluer la cognition sociale et la théorie
de l’esprit.
Bien que la batterie ait été élaborée à partir de personnes sans handicap
ou troubles psychiatriques et cognitifs, elle semble offrir des perspectives
intéressantes pour la compréhension des comportements défis.
En effet, l’utilisation de la PECS-B avec des personnes déficientes ayant
des comportements agressifs permettrait de déterminer quelles sont les
capacités des agresseurs à reconnaître et comprendre les émotions ainsi que
leurs manifestations physiques. Ces éléments orienteront la prise en charge :
soit vers une thérapie comportementale, basée sur le conditionnement et la
tolérance des émotions aversives, dans le cas où l’agresseur aurait accès à
la théorie de l’esprit, soit vers une prise en charge neuropsychologique et
psychothérapique.

50 Etchepare A., Merceron K., Amieva H., Cady F., Roux S., Prouteaux A. et al. (2014). Éva-
luer la cognition sociale chez l’adulte : validation préliminaire du Protocole d’évaluation de
la cognition sociale de Bordeaux (PECS-B), Revue de Neuropsychologie, 2(6), 138-149.

91
Déficiences intellectuelles

10. Évaluation des troubles psychiatriques


L’évaluation des troubles psychiatriques est complexe, car les échelles
employées traditionnellement (telles que l’Inventaire multiphasique de per-
sonnalité du Minnesota [MMPI]51 ou les tests projectifs de Rorschach52 ou
le Thematic Aperception Test53) dépassent les capacités de compréhension et
d’expression des personnes déficientes intellectuelles.
Les troubles psychiatriques peuvent être évalués à l’aide de l’Assessment
of Dual Diagnosis (ADD)54.
L’Emotional Problems Scales55 (EPS) permet l’évaluation psychopatholo-
gique des personnes déficientes intellectuelles (intelligence limite et déficience
légère). Elle est composée de deux sous-échelles :
− La Behavior Rating Scale (BRS) qui peut être remplie par les profession-
nels accompagnant la personne en situation de handicap et regroupe
des questions portant sur le comportement, les attitudes agressives
(verbales, physiques, sexuelles, tournées contre la personne elle-même
ou des tiers), les troubles attentionnels et l’hyperactivité, les troubles
anxio-dépressifs ou psychosomatiques, l’estime de soi, etc.) ;
− La Self-Report Inventory qui est remplie directement par la personne
déficiente intellectuelle et permet de cerner ses pensées, sentiments et
actions dans des domaines variés.
La passation de ces deux échelles permet d’évaluer la perception des
troubles psychologiques et comportementaux de la personne en situation de
handicap et de son entourage. Elle permet également de définir des pistes
pour un travail thérapeutique.
La Diagnostic Assessment for the Severly Handicapped (DASH)56 comporte
83 items élaborés à partir du DSM-III. Elle permet, entre autres, d’évaluer les
troubles de l’humeur, les troubles anxieux, les troubles psychotiques, les com-
portements antisociaux ainsi que la démence. La DASH a été révisée et permet
l’évaluation des personnes déficientes intellectuelles sévères et ayant un TSA57.

51 Ben-Porath Y. S. & Tellegen A. (2013). Inventaire Multiphasique de Personnalité du Min-


nesota -2- Forme Restructurée (MMPI-2-RF), adaptation française Chudzik L., Vannier
L.C., Paris : ECPA.
52 Rorschach H. (1959). Psychodiagnostic de Rorschach (ROR), Paris : ECPA.
53 Murray H. A. & Bellak L. (1959). Thematic Apperception Test (TAT), Paris : ECPA.
54 Matson J. L. & Bamburg J. W. (1998). Reliability of the Assessment of Dual Diagnosis
(ADD). Research in Developmental Disabilities, 19(1), 89-95.
55 Prout H. T. & Strohmer D. C. (1991). Emotional Problems Scales, Odessa, FL: Psychological
Assessment Ressources.
56 Matson J. L., Coe D. A., Gardner W. I., Sovner R. (1990). Diagnostic Assessment for Severely
Handicapped (DASH) Scale (User Manual). Baton Rouge, LA: Louisiana State University.
57 Sturmey P., Matson J. L. & Lott J. D. (2004). The Factor Structure of the DASH-II, Journal
of Developmental and Physical Disabilities, 16(3), 247-255.

92
Chapitre 6 – Évaluer les troubles chez les personnes déficientes intellectuelles

La Psychopathology Instrument for Mentally Retarded Adults (PIMRA)58


a été conçue, tout comme la DASH, comme une adaptation du DSM-III.
La PIMRA comporte 56 items répartis dans huit échelles évaluant les
troubles de l’humeur, la schizophrénie, l’anxiété, les troubles somatoformes,
les troubles sexuels, les troubles de l’adaptation et de la personnalité, ainsi
que les troubles comportementaux.
La PIMRA se présente sous la forme de deux questionnaires. Le premier
est complété par un professionnel accompagnant la personne déficiente intel-
lectuelle. Le second permet l’auto-évaluation de la personne déficiente.
Ces échelles sont employées dans les pays anglo-saxons. Des traductions
et adaptations françaises sont à élaborer.

58 Matson J. L. (1988). The Psychopathology Instrument for Mentally Retarded Adults


(PIMRA). Orlando Park, IL: International Diagnostic Systems, Inc.

93
Chapitre 7 7

Les troubles du spectre


de l’autisme

1. Les troubles envahissants


du développement et l’autisme
Les troubles envahissants du développement (TED) regroupaient l’autisme
(y compris le syndrome d’Asperger), le syndrome de Rett et d’autres troubles
dont les manifestations symptomatologiques étaient complexes et variées
(troubles envahissant du développement non spécifiés et trouble désintégratif
de l’enfance). Les TED furent distingués des troubles psychotiques à partir
des années 1980. Ils apparaissent comme une entité nosographique à part
entière dans le DSM-III. Ils ne figurent plus dans le DSM-5.
Les recherches sur la présence d’un gène impliqué dans l’apparition des
TED, et plus particulièrement de l’autisme, n’ont pas encore abouti à un
consensus. La survenue des troubles en dehors de tout antécédent familial,
l’influence de l’environnement, ainsi que la proximité entre plusieurs patho-
logies regroupées sous l’appellation de TED compliquent l’identification d’un
gène responsable1. Actuellement, il apparaît que les TSA sont connectés à
plusieurs gènes fonctionnant en réseau2.
Parmi les caractéristiques des TED, figuraient les déficits au niveau des
interactions sociales, de la communication verbale et/ou non verbale, ainsi
que la présence de comportements et d’intérêts stéréotypés.

1 Pinto D., Delaby E., Merico D., Barbosa M., Merikangas A., Klei L. et al. (2014) Conver-
gence of Genes and Cellular Pathways Dysregulated in Autism Spectrum Disorders, Ame-
rican Journal of Human Genetics, 94(5), 677-694
2 Stressman H. A. F., Xiong B., Coe B. P., Wang T., Hoekzema K., Fenckova M. et al. (2017)
Targeted sequencing identifies 91 neurodevelopmental-disorder risk genes with autism
and developmental-disability biases, Nature Genetics, 49, 515-526.
Chapitre 7 – Les troubles du spectre de l’autisme

La faiblesse de la cohérence centrale, les troubles des fonctions exécutives


et de la théorie de l’esprit constituaient également des symptômes des TED.
Les TSA se caractérisent par des dysfonctionnements dans les interactions
sociales, des difficultés de communication, de symbolisation, l’intolérance
au changement et les anomalies de comportement vis-à-vis des stimulations
sensorielles. Ces troubles sont déterminés par des altérations du système
nerveux central.
Il existe probablement autant de définitions de l’autisme qu’il en existe
de manifestations. Depuis 2008, l’autisme a été mis sur le devant de la scène
médicale française, notamment via le « plan Autisme3 » de la ministre de la
Santé R. Bachelot.
En 2012, le ministère de la Santé a reconnu que les prises en charges
cognitivo-comportementales étaient les plus adaptées.

2. Rappel historique
En 1911, Bleuler emploie le terme « autisme » pour définir le repli consécu-
tif à la perturbation de la relation entre monde interne et monde externe
qu’il observe chez les patients schizophréniques. Bleuler perçoit l’autisme
comme une conséquence de la dissociation dans la schizophrénie : le rapport
du patient avec la réalité est fortement perturbé, ce qui entraîne un repli sur
soi, une indifférence et une imperméabilité par rapport au monde. Le terme
« autisme » chez Bleuler ne désigne pas une entité psychopathologique à pro-
prement parler, mais des symptômes observables.
En 1943, Léo Kanner, pédopsychiatre à l’hôpital John Hopkins de Bal-
timore, publie un article sur l’observation de onze enfants. Il crée l’entité
psychopathologique « autisme infantile ».
Kanner, lui, distingue plusieurs critères généraux :
− Un isolement, qualifié d’autistique, marqué par l’incapacité de l’enfant
à communiquer et à établir des relations normales avec les personnes
et à réagir normalement aux situations. Il s’agit là d’un trouble
pathognomonique ;
− Une altération du développement de la communication verbale et non
verbale ;
− Un besoin impérieux d’immuabilité et une résistance au changement
ayant pour conséquence des activités répétitives et stéréotypées ainsi
que des comportements ritualisés ;
− Un âge d’apparition du trouble situé après deux années au moins de
développement normal.

3 cf http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Plan_autisme_2008-2010.pdf

95
Déficiences intellectuelles

Kanner note également la présence d’îlots d’aptitudes, des réactions idio-


syncrasiques aux stimuli sensoriels et une mauvaise coordination motrice
globale. Il décrit cette pathologie sans présupposé étiologique, mais tout en
mentionnant le caractère apparemment inné du trouble.
En 1944, le pédiatre autrichien Hans Asperger repère parmi ses jeunes
patients des enfants présentant les troubles suivants : un manque d’empa-
thie, un langage correct, mais des difficultés à communiquer de manière
appropriée avec les autres, des troubles dans des activités motrices notam-
ment le sport, l’habillage… Enfin, Asperger remarque que ces enfants ont des
centres d’intérêt restreints. Par exemple, ils sont capables de faire de nombreux
calculs, d’emmagasiner des connaissances sur des domaines très pointus ou
sont des collectionneurs obsessionnels de certains objets… Ces spécificités
sont nommées par Asperger « originalité autistique ».
L’autisme décrit par Kanner et le syndrome d’Asperger présentent de
nombreux points communs. Dans les deux cas, les interactions sociales sont
altérées, les comportements sont restreints, répétitifs et stéréotypés… Les
seules différences sont que les personnes atteintes du syndrome d’Asperger
n’ont pas de retard dans le développement du langage et montrent une intelli-
gence, une autonomie et une curiosité conformes, voire supérieures, à celles de
leurs pairs neurotypiques. Malgré de bonnes capacités verbales et cognitives,
les personnes avec le syndrome d’Asperger sont confrontées à d’importantes
altérations sociales et professionnelles (ces dernières dépendant grandement
des possibilités d’intégration sociale offertes).
Selon Kanner, les enfants atteints d’autisme apprennent de façon méca-
nique, sans chercher à comprendre le sens des données qu’ils doivent intégrer.
Au contraire, selon Asperger, les enfants autistes ont une intelligence qu’il
qualifie de « non conventionnelle », ainsi ils acquièrent des connaissances
grâce à leurs expériences personnelles et non par le biais des autres, ce qui
fait supposer à Asperger que c’est le mécanisme de l’apprentissage qui est
troublé et non l’intelligence en elle-même.
Asperger a constaté que la pensée des enfants autistes de haut niveau était
peu commune et s’écartait des connaissances habituelles. Il en a déduit que
cette capacité à l’abstraction les conduirait plus facilement vers la recherche
scientifique. Ainsi, Asperger pensait que parmi les scientifiques, plusieurs
individus étaient autistes. Asperger défendait l’idée que les personnes autistes
pouvaient s’intégrer dans la société à une époque où la vie des personnes en
situation de handicap étaient mise en péril.
Hans Asperger n’a jamais défini de critères spécifiques pour son syn-
drome. Il utilisait lui-même le terme « autisme » et ce n’est que dans les années
1970-1980 que le syndrome d’Asperger est apparu en tant que terminologie
diagnostique.

96
Chapitre 7 – Les troubles du spectre de l’autisme

Tableau 1. Différences entre Autisme selon Kanner et Autisme selon Asperger

Autisme selon Kanner Autisme selon Asperger


Apparition vers 2 ans Apparition vers 2 ans
Interactions sociales altérées Interactions sociales altérées
Comportements restreints, répétitifs Comportements restreints, répétitifs
et stéréotypés et stéréotypés
Besoin d’immuabilité Besoin d’immuabilité
Retard dans l’acquisition du langage Pas de retard dans le développement
(voire absence de langage) du langage
Déficience intellectuelle possible Intelligence normale (parfois supérieure),
mais non conventionnelle
Apprentissage « mécanique » Apprentissage « expérientiel », indépendant
des autres

Le DMS-5 introduit plusieurs changements concernant les critères


diagnostic. Les troubles du spectre de l’autisme reposent sur des défi-
cits sociaux (communication et interactions sociales, la réciprocité sociale
ou émotionnelle, des comportements non verbaux, du développement,
du maintient et de la compréhension des relations) ; des stéréotypies des
mouvements, des comportements ainsi que de l’utilisation des objets et du
langage ; le caractère restreint des intérêts, des activités et des comporte-
ments ; l’intolérance au changement ainsi que des troubles de la régulation
sensorielle.
Le syndrome d’Asperger est inclus dans les TSA et ne constitue plus une
entité psychopathologique à part entière.
Les distinctions à l’intérieur des TSA reposent sur les atteintes intellec-
tuelles, langagières, comportementales et génétiques.

3. Quelques hypothèses concernant


l’étiologie
L’existence de facteurs génétiques a également été postulée. Les études 4
montrent que les frères et sœurs de personnes avec un TSA risquent de
présenter eux-mêmes ce trouble dans 5 % à 10 % des cas. Une autre étude
comparant les jumeaux monozygotes et dizygotes de même sexe révèle que
lorsqu’un des jumeaux est autiste, l’autre l’est aussi dans environ 36 % des

4 Rutter M., Bailey A., Bolton P. & LeCouteur A. (1993). Autism: syndrome definition and
possible genetic mechanisms, Dans R. Plomin & G. E. McClean (dir.), Nature, nurture et
psychology (pp.268-284). Washington DC: American Psychological Association

97
Déficiences intellectuelles

cas pour les vrais jumeaux contre presque 0 % pour les faux jumeaux5.
D’autres résultats émettent l’hypothèse d’un dysfonctionnement hérédi-
taire plus général, qui toucherait la sphère cognitivo-linguistique. En effet,
il apparaît que les frères et sœurs jumeaux d’autistes sont souvent atteints
de troubles au niveau cognitif, social et du langage (environ 82 % chez les
jumeaux monozygotes et 10 % chez les dizygotes).
Kanner estimait que le cerveau des autistes avait une taille plus importante
que celui des personnes ordinaires. Les études morphométriques récentes
tendent à valider cette hypothèse. L’hippocampe des autistes serait effecti-
vement plus large et certains autistes présentent une macrocéphalie. Celle-ci
serait explicable par une croissance importante6 du cerveau survenant au tout
début du développement. D’où le fait qu’environ 10 % des autistes présentent
des compétences dans la norme, voire au-dessus de la norme dans certains
domaines (îlots de compétences)7.
Kanner avait émis l’hypothèse que l’environnement familial participait
à l’émergence et à l’expression des troubles. Il avait dessiné un profil de
parents d’enfants autistes et avait employé le premier l’expression de « emo-
tional refrigeration » désignant des parents « froids » et investissant peu leur
enfant. Cependant, Kanner n’incriminait pas complètement la seule éduca-
tion apportée à l’enfant comme cause de l’autisme et reconnaissait que ces
mêmes parents pouvaient avoir d’autres enfants non autistes. De plus, des
comportements parentaux similaires peuvent être observés dans des familles
non concernées par l’autisme.
Il convient de rappeler qu’aucune recherche scientifique n’a pu établir
une véritable relation entre le comportement des parents et la détection d’un
TSA chez leur enfant.
Le nombre de personnes ayant un TSA a augmenté ces deux dernières
décennies (chiffres aux Étaits-Unis : 1 sur 10 000 en 2004 ; 1 sur 68 en 20148).
Nous pouvons nous interroger si cette augmentation est liée à de meilleures
connaissances du TSA et à de meilleurs diagnostics ou bien si elle est liée au
fait que les critères du TSA sont tellement vastes qu’il est possible d’y inclure
un plus grand nombre de personnes.

5 Folstein S. & Rutter M. (1978). A twin study of individuals with infantile autism, Dans
M. Rutter & E. Schopler (1978). Autism: A reappraisal of Concepts and Treatment (pp.219-
242) New York: Plenum Press.
6 Courchesne E., Redcay E., Kennedy D.P. (2004), The autistic brain: birth through adul-
thood, Current Opinion Neurology, 17, 489-496.
7 Heaton P, Wallace G.L. (2004). Annotation: the savant syndrome, Journal of Child Psycho-
logy Psychiatry, 45(5), 899-911.
8 Référence pour le nombre de TSA en augmentation : communication de Spire-OH K.,
McIntire J.(2014) Research to practice, Advocacy for ASD (Autism Spectrum Disorder),
NADD International Congress/Exhibition 2014

98
Chapitre 7 – Les troubles du spectre de l’autisme

4. Autisme et vaccins
À la fin des années 1990, un article paraît dans The Lancet évoquant un lien
possible entre la survenue d’un TSA et la vaccination. L’article a été rédigé par
un gastroentérologue, le Dr Wakefield9. Il décrit l’apparition d’un nouveau
trouble envahissant du développement, nommé regressive autism-enterocolitis
syndrome, qu’il relie au vaccin contre la rougeole, la rubéole et les oreillons.
Bien que les faiblesses de l’étude menée par Dr Wakefiled aient été relevées
(faible échantillon de patients, absence de groupe contrôle, absence de données
statistiquement fiables) et ses nombreux conflits d’intérêts aient été démontrés,
l’idée que les TSA puissent découler directement de la vaccination se répand.
Plusieurs études ont remis en cause les conclusions de Wakefiled. En
199910, soit un an après la parution de l’article incriminé, l’équipe du Pro-
fesseur Taylor publie une étude menée sur près de 500 participants. Tous ont
été vaccinés au même âge. Aucun symptôme évocateur des TSA et aucune
régression sur les plans développementaux ou comportementaux ne se mani-
festent dans les mois suivants la vaccination.
En 2003, une étude portant sur l’émergence des troubles du spectre
autistique aux États-Unis, en Suède et au Danemark paraît. L’étude cherche
à évaluer un possible lien entre la composition des vaccins contre la rougeole,
la rubéole et les oreillons et l’apparition de TSA. Les auteurs concluent à
l’absence de liens entre le vaccin et le trouble envahissant du développement.
En effet, le diagnostic de TSA avait connu une expansion dans les trois pays
au cours des décennies 1980 et 1990. Cependant, les vaccins employés dans ces
trois états n’ont pas la même composition et aucun lien ne peut être établi11.
Malgré l’absence de preuves en faveur de la théorie de Wakefiled et les
excuses présentées par The Lancet pour avoir permis la publication de l’article
sans avoir contrôlé la rigueur et la validité scientifique, l’article a relancé une
méfiance des familles envers les vaccins12.

9 Wakefiled A. J., Murch S. H., Anthony A., Linnell J., Casson D. M., Malik M., Berelowitz
M., Dhillon A. P., Thomson M. A., Harvey P., Valentine A., Davies S. E., Walker-Smith
J. A. (1998) Ileal-lymphoid-nodular hyperplasia, non-specific colitis, and pervasive deve-
lopmental disorder in children, The Lancet, 351, 637-341
10 Taylor B., Miller E., Farrington P., Petropoulos M-C., Favot-Mayaud I. & Li J. (1999)
Autism and measles, mumps, and rubella vaccine: no epidemiological evidence for a causal
association. The Lancet, 353 (9159), 2026-2029
11 Stehr-Green P., Tull P., Stellfeld M., Mortenson P-B., Simpson D. (2003). Autism and
thimerosal-containing vaccines: Lack of consistent evidence for an association. American
Journal of Preventive Medecine. 25(2), 101-106.
12 Flaherty D. K. (2011). The Vaccine-Autism Connection: A Public Health Crisis Caused by
Unethical Medical Practices and Fraudulent Science, Annals of Pharmacotherapy, 45(10),
1302-1304.

99
Déficiences intellectuelles

5. Considérations actuelles
Bien que la pose du diagnostic de TSA ne soit possible qu’à partir de l’âge
de trois ans, les manifestations peuvent être repérées avant cet âge. Elles sont
notamment caractérisées par des perturbations des interactions sociales, de
la communication verbale et non verbale et du comportement.
Avant 3 ans, il convient de distinguer le TSA des déficiences d’ordre
sensoriel et mental, d’un trouble spécifique du langage et de carences affec-
tives sévères. Les personnes TSA et déficientes intellectuelles se distinguent
d’avantage lorsque les enfants sont plus âgés ou arrivent à un niveau de
développement plus élevé.
La déficience intellectuelle est présente chez environ 70 % des personnes
autistes. 20 % auraient une intelligence dans la norme et 10 % une intelligence
supérieure13.
Les résultats aux tests d’intelligence montrent des disparités dans les
compétences intellectuelles : les performances dans les tâches verbales, concep-
tuelles et abstraites sont bien inférieures à celles dans les tâches visuo-spatiales.
Chez les Asperger, le résultat obtenu aux épreuves verbales est généralement
supérieur à celui des épreuves performances.
Cependant, il ne faut jamais oublier que l’intelligence telle qu’elle est
évaluée par les tests ne rend pas toujours compte de l’intelligence mise en
œuvre dans la vie courante et que des performances élevées peuvent coexister
avec l’incapacité de les mettre en œuvre dans la vie quotidienne.
Les autistes peuvent avoir des talents spécifiques, notamment dans les
domaines de la mécanique, de la musique, des arts graphiques ou du calcul.
On parle alors d’« îlots de compétences ». Cependant ces capacités ne sont pas
toujours fonctionnelles. Par exemple, une personne avec un TSA peut être
capable de mémoriser toutes les routes départementales de France, mais être
incapable d’utiliser ces connaissances sur le plan pratique.

6. La communication verbale et non verbale


ainsi que la théorie de l’esprit
Concernant les compétences verbales, les personnes autistes rencontrent
des difficultés dans la communication et la compréhension des états socio-
émotionnels. Les personnes déficientes intellectuelles non autistes montrent
des lacunes au niveau de la compréhension (et plus particulièrement au niveau

13 E. Fombonne (1999). The epidemiology of autism: a review, Psychology Medical, 29,


769–786.

100
Chapitre 7 – Les troubles du spectre de l’autisme

symbolique) et de l’expression du langage. Les capacités d’imitation peuvent


être préservées.
Les enfants ayant un TSA ont un usage inadapté du langage pragmatique.
Dans les premiers stades du développement de la communication, ils peuvent
centrer leur attention davantage sur des objets que sur les personnes de leur
entourage. Le développement de la communication passe d’un centrage sur
l’objet à une communication sociale.
Le langage des personnes autistes comporte des écholalies immédiates
et différées, des stéréotypies verbales, des persévérations, des inversions
pronominales.
Les personnes autistes présentent un développement phonologique et
syntaxique quasiment normal, bien que retardé. Cependant, l’utilisation du
langage même chez les personnes ayant un bon niveau verbal est troublée.
Selon Baron-Cohen14, la perturbation essentielle dans les TSA réside dans
le fait qu’ils n’arrivent pas à se représenter les états mentaux et ne possèdent
pas (ou peu) la théorie de l’esprit. Ils ne conçoivent pas que chacun (y compris
eux-mêmes) ait une pensée qui lui est propre. Ainsi, les personnes ayant un
TSA se trouvent dans l’incapacité de comprendre et de partager le point de
vue d’autrui. Pour Baron-Cohen, l’absence de théorie de l’esprit expliquerait
les difficultés sur les plans sociaux, symboliques et du langage.
Il existe également un déficit sur les plans de la perception et de la com-
préhension des affects.
L’expression émotionnelle des individus avec un TSA tend à être pauvre
et figée. Le discours de ces personnes peut aussi paraître inhabituel en raison
d’un déficit au niveau de la pragmatique de la communication. Elles ne
semblent pas parvenir à décoder tous les signaux paraverbaux qui ne sont
pas directement explicités par le langage, ni comprendre comment adapter
leur manière de parler à la situation ou à l’interlocuteur.
Le comportement social des personnes avec un TSA se distingue par le
manque d’attention conjointe. Elles ne cherchent pas à partager leur expé-
rience et à amener leurs proches à porter leur attention sur ce qui l’intéresse.
Par conséquent, elles ne tentent ni de rencontrer le regard de leurs interlo-
cuteurs ni de désigner des choses du doigt.
Bien que les enfants ayant un TSA puissent être attachés à leurs parents, ils
ne le manifestent pas en employant des comportements classiques (proximité
physique, paroles tendres ou autres).

14 Baron Cohen S. (1998). La cécité mentale. Un essai sur l’autisme et la théorie de l’esprit,
Grenoble : Presse Universitaires de Grenoble.

101
Déficiences intellectuelles

7. Les troubles des perceptions sensorielles


Dès 1943, Léo Kanner note des suspicions de surdité chez sept des onze
enfants qu’il a étudiés. Il relève que ceux-ci semblent ne pas réagir aux bruits
environnants, ou, au contraire, paraissent hypersensibles aux sons et mani-
festent des réactions d’horreur face aux bruits forts. Paradoxalement, chacun
de ces enfants peut produire spontanément et de façon joyeuse, des bruits
aussi forts que ceux qu’ils redoutent.
Les études montrent qu’il existe avant l’âge de 6 ans, chez 70 % des enfants
autistes, un dysfonctionnement de la modulation sensorielle15. Plusieurs hypo-
thèses sont avancées pour expliquer les rapports complexes des personnes
autistes vis-à-vis des sons :
− Elles ne parviennent pas à traiter les informations quand elles proviennent
de plusieurs canaux sensoriels (par exemple : un autiste peut être totale-
ment insensible aux bruits environnants s’il est absorbé par une activité) ;
− L’hypo ou l’hypersensibilité aux stimuli amène une distorsion des per-
ceptions (ainsi, un son en apparence anodine pourra être perçu comme
menaçant tandis qu’un autre son perçu comme nuisible par l’entourage
pourra être utilisé à des fins d’autostimulation ou être vécu comme
apaisant par l’autiste) ;
− L’incapacité à sélectionner les informations auditives pertinentes de
l’environnement ou à les discriminer les unes des autres (par exemple,
l’enfant ne parvient pas à distinguer la voix de sa mère parmi d’autres
sons ou alors il ne parvient pas à comprendre quelle instruction le
concerne parmi un flot d’ordres) ;
− Il est possible que certaines sensations ou perceptions se superposent les
unes sur les autres (par exemple, un son évoquera simultanément une
couleur ou un événement ou une atmosphère et pourra être apprécié
ou redouté en fonction de ces associations) ;
− L’abaissement progressif des perceptions sensorielles.

8. Intolérance au changement
Kanner décrit le besoin impérieux d’immuabilité chez les personnes TSA. Ainsi,
elles montrent une forte résistance au moindre changement de l’environnement
habituel. La plus petite modification, le déplacement d’un objet ou le change-
ment d’une routine peut entraîner des réactions brutales ou un repli accentué.

15 Ben-Sasson A., Hen L., Fluss R., Cermak S. A., Engel-Yeger B., Gal E. (2008). A meta-
analysis of sensory modulation symptoms in individuals with autism spectrum disorders.
Journal of Autism and Developmental Disorders, 39, 1–11

102
Chapitre 7 – Les troubles du spectre de l’autisme

Les TSA s’accompagnent d’une forte tendance à la ritualisation. Celle-ci


se repère notamment à travers les situations de jeux ; plutôt que d’utiliser les
objets pour leur fonction ou de s’en servir « symboliquement », les enfants
avec un TSA préfèrent collectionner, classer… Ils peuvent éprouver un fort
attachement pour des objets. Ainsi, toutes les pensées semblent focalisées sur
l’objet choisi et la séparation avec celui-ci est problématique. Le caractère
restreint et stéréotypé des actes se manifeste aussi par la volonté inflexible de
maintenir inchangés les rituels et les habitudes quotidiennes. L’environnement
doit rester immuable. Les enfants ont du mal à accepter des changements dans
leur cadre de vie habituel. Un changement peut fortement les contrarier et
provoquer une agitation extrême.
Les personnes ayant un TSA présentent couramment des mouvements
stéréotypés comme tourner les mains, se balancer, voire se frapper.
Chez les individus avec un TSA ayant développé le langage, les produc-
tions verbales peuvent, elles aussi, s’avérer répétitives et révèlent des centres
d’intérêt particulièrement restreints.
Les personnes TSA sont plus sensibles aux variations survenant dans
l’environnement et adoptent des stratégies comportementales, notamment
d’évitement, dans le but de réduire les expériences sensorielles désagréables.

9. Les troubles psychologiques


L’anxiété dans l’autisme est plus un trait qu’un état. Elle croît et décroît en
fonction des situations, mais elle est toujours présente.
Il est parfois difficile de faire la part entre manifestations anxieuses et
manifestations des TDAH.
Parmi les psychopathologies les plus fréquemment présentées par les per-
sonnes autistes figurent16 :
− Troubles de l’humeur (jusqu’à 70 %) ;
− Anxiété (42-56 %) ;
− Déficit de l’attention avec/sans hyperactivité (28-44 %) ;
− Tics/syndrome de Gilles de la Tourette (14-38 %) ;
− Troubles obsessionnels compulsifs (7-24 %).
Les troubles émotionnels sont liés à des dysfonctionnements au niveau
de l’amygdale17.

16 Communication de McCarthy J. (2014). Autism Spectrum Disorders: Pharmacological


Options, NADD International Congress/Exhibition 2014
17 Sassona N., Tsuchiyab N., Hurleya R., Couturec S. M., Pennc D. L., Adolphsb R., Pivena
J. (2007). Orienting to social stimuli differentiates social cognitive impairment in autism
and schizophrenia, Neuropsychologia, 45(11), 2580–2588.

103
Déficiences intellectuelles

Les principales difficultés pour les professionnels sont de pouvoir différencier


les troubles psychologiques des manifestations propres aux TSA, des manifes-
tations d’éventuelles comorbidités, des manifestations des troubles cognitifs
(ceux propres à l’autisme et ceux propres aux comorbidités), des troubles du
comportement, des événements de vie ainsi que des traits de personnalité18.

10. La culture de l’autisme


La culture de l’autisme regroupe les spécificités cognitives des personnes TSA.
Elle ouvre des perspectives pour les prises en charge éducatives. La culture
de l’autisme comprend :
− Un meilleur traitement des informations visuelles ;
− Une attention efficiente sur les détails (mais avec des difficultés à com-
prendre comment ces détails s’assemblent en un tout) ;
− Des difficultés à assembler et organiser les idées ;
− Des troubles attentionnels ;
− Des limitations dans le repérage temporel ;
− Des difficultés à communiquer ;
− Un besoin d’immuabilité ;
− Des intérêts restreints ;
− Des préférences et des aversions pour des stimuli sensoriels déterminés.
Concernant les capacités à communiquer, les personnes ayant le syndrome
d’Asperger possèdent une grande capacité d’imitation de leur entourage. Ils
répètent parfaitement ce qui leur a été dit ou ce qu’ils entendent à la télévi-
sion et donnent l’illusion de s’exprimer avec aisance. Cependant, ils peuvent
entendre et reproduire des discours sans en comprendre le contenu. Le dis-
cours peut alors être parasité par des stéréotypies verbales composées de
phrases empruntées. Cet usage particulier du langage témoigne de bonnes
capacités mnésiques ainsi que d’une pensée associative efficace. La prise en
charge comportementale pourra s’appuyer sur ces points forts.
Concernant l’émergence du langage, Skinner19 identifie sept opérants
verbaux : échoïque, la mande (décrit la demande et le renforçateur souhaité), le
tact, l’intraverbal, le textuel, le transcriptif, réceptif. Skinner ajoute l’autoclitic
qui permet au destinataire du message de s’ajuster par rapport aux propos du
locuteur. Skinner conçoit le comportement verbal comme étant renforcé par
la médiation d’autrui. Ainsi, les mots, les signes, les conduites adaptées ou

18 Communication de Folstein S. E. (2014). Psychiatric Disorders in Autism: Diagnosis and


treatment, NADD International Congress/Exhibition 2014
19 Skinner B. F. (1957). Verbal Behavior, New York: Appleton-Century-Crofts

104
Chapitre 7 – Les troubles du spectre de l’autisme

non, les pictogrammes constituent des comportements verbaux dans le sens


où ils entraînent une réponse de la part d’un autre organisme. Ces concep-
tions ont influencé l’élaboration de programmes tels que la PECS ou l’ABA.
L’emploi de pictogrammes pour désigner les objets, les actions ou les émo-
tions est particulièrement utile pour les personnes TSA. Les programmes
d’aide à la communication existent sous format papier, tel que le Makaton20 ou
la Picture Exchange Communication System (PECS)21, et permettent d’établir
une communication fonctionnelle, de structurer les échanges oraux et écrits
et de favoriser l’intégration sociale. Des programmes sous format électronique
et informatique ont également vu le jour22.
L’entraînement aux compétences sociales suit une progression lente. Il passe
par la tolérance de l’autre, l’apprivoisement, le maintien d’une distance et d’une
proximité physique appropriées, la capacité à faire preuve de flexibilité face aux
situations nouvelles, la modulation de sa voix selon les situations, l’aptitude
à reconnaître et répondre aux émotions de l’autre et comprendre l’humour.
L’autogestion peut être travaillée à partir d’activités quotidiennes.

11. Échelles d’évaluation spécifiques


pour les troubles du spectre autistique
et les troubles envahissant
du développement
L’Échelle d’évaluation des comportements autistiques23 (ECAR) permet d’éva-
luer l’attention, la perception, l’association, l’intention, le tonus, la motricité,
l’imitation, l’émotion, l’instinct, le contact, la communication et la régulation/
modulation.

20 Grove N. & Walker M. (1990). The Makaton Vocabulary: Using manual signs and graphic
symbols to develop interpersonal communication, Augmentative and Alternative Commu-
nication, 6(1), 15-28
21 Charlop-Christy M. H., Carpenter M., Le L., LeBlanc L. A. & Kellet K. (2002) Using the
picture exchange communication system (PECS) with children with autism: assessment of
PECS acquisition, speech, social-communicative behavior, and problem behavior, Journal
of Applied Behavior Analysis, 35(3), 213-231
22 Wainer A. L. & Ingersoll B. R. (2011) The use of innovative computer technology for tea-
ching social communication to individuals with autism spectrum disorders, Research in
Autism Spectrum Disorders, 5(1), 96-107
23 Lelord G., Barthelemy C. (2003). ECAR, Echelle D’Évaluation des Comportements Autis-
tiques, version révisée, Paris : ECPA.

105
Déficiences intellectuelles

La Grille de régulation, adaptation, modulation24 (GRAM) permet d’éva-


luer l’efficience de la fonction de régulation des enfants face à des tâches
de résolution de problèmes socio-cognitifs. La GRAM permet de mettre en
lumière l’existence de répétitions dans les actions, de ruptures et de lenteur
d’activité, de désynchronisations entre les actions ou de troubles d’association.
Ces troubles sont corrélés avec le degré de sévérité de l’autisme25.
La Batterie d’évaluation cognitive et socio-émotionnelle26 (BECS) repose
sur des théories néo-piagetiennes. Cette batterie permet l’évaluation à la fois
des fonctions motrices, cognitives et socio-émotionnelles. Elle permet d’établir
un profil développemental multidimensionnel pour les jeunes avec un TSA
et déficients intellectuels.
Le Profil psycho-éducatif27 (PEP-R pour la forme révisée) a été développé
par Schopler et l’équipe de l’université de Caroline du Nord. Cette équipe
est également à l’origine du programme TEACCH. Cet instrument permet
d’évaluer les comportements des enfants avec un TSA ou ayant un trouble
du développement dans sept domaines : l’imitation, la perception, la motricité
fine, la motricité globale, la coordination occulo-manuelle, les performances
cognitives et la cognition verbale.
L’Adolescent and Adult Psychoeducational Profile28 (AAPEP) fut élaboré
pour évaluer les personnes présentant un TSA avant de leur proposer le
programme TEACCH. La AAPEP permet de mesurer les compétences et
comportements en situations professionnelles, de loisir ainsi que lors des
interactions interpersonnelles. La communication ainsi que l’autonomie sont
évaluées. La AAPEP est composée de trois échelles. La première repose sur
l’observation directe. La deuxième et la troisième sont des questionnaires
évaluant le fonctionnement des personnes au domicile, à l’école ou au travail.

24 Adrien, J.L. (1996). Autisme du jeune enfant. Développement psychologique et régulation de


l’activité. Paris : Expansion Scientifique Française.
25 Nader-Grosbois, N. (2007). L’autorégulation et la dysrégulation chez des enfants autistes
en situation d’évaluation développementale. Revue Francophone de la déficience intellec-
tuelle, 17, 34-52.
26 Adrien J-L. (2007). BECS, Batterie d’Évaluation Cognitive et Socio-émotionnelle, Paris :
ECPA.
27 Schopler E. (1994). Profil psycho-éducatif (PEP-R), traduit par Tréhin C., Bruxelles :
deBoeck
28 Mesibov G. B., Schopler E. & Caison Walt (1989). The Adolescent and Adult Psycho-
educational Profile: Assessment of adolescents and adults with severe developmental hand-
icaps, Journal of Autism and Developmental Disorders, 19(1), 33-40.

106
Chapitre 8 8

Les prises en charge


spécifiques pour les personnes
avec un TSA

Les programmes comportementaux reposent sur les objectifs suivants : le déve-


loppement des comportements adaptatifs, de la communication (verbale et
non verbale), des compétences sociales, ainsi que la diminution des conduites
disruptives (principalement celles pouvant mettre en péril la sécurité de la
personne et de son entourage).
Les interventions peuvent être divisées en trois catégories :
− Celles ciblant les antécédents des comportements problématiques ;
− Celles qui étudient les conséquences ;
− Celles qui promeuvent le développement de nouvelles compétences
pour remplacer les troubles des conduites.

Les deux premiers groupes d’intervention ciblent les éléments repérés lors
de l’analyse fonctionnelle.
Le développement des nouvelles capacités s’opère à travers des
programmes tels que l’ABA, TEACCH ou celui de Denver que nous
détaillerons.

1. A.B.A
Cette méthode a été mise au point par Lovaas et son équipe de l’université
de Californie à Los Angeles, en 1987, après presque 30 ans de recherche.
Ce programme est nommé Applied Behavioral Analysis (ABA). Il a été
popularisé grâce au livre de C. Maurice Let me hear your voice ; A family’s

107
Déficiences intellectuelles

triumph over Autism1, qui retrace le parcours d’une famille avec deux enfants
porteur de TSA.
Le programme repose sur plusieurs constatations :
− Les enfants avec un TSA sont capables d’apprendre, mais ils ne traitent
pas les informations comme les personnes neurotypiques. Par consé-
quent, ils ont besoin de méthodes d’apprentissages spécifiques ;
− Les comportements des enfants sont « appris » et maintenus sur la base
du conditionnement opérant de Skinner. La modification des compor-
tements problèmes doit reposer sur les mêmes principes ;
− Les personnes autistes ne parviennent pas à « décoder » les situations
sociales et donc à adapter leur comportement en fonction. Chaque
comportement approprié doit donc être enseigné aux enfants ;
− Les capacités d’adaptation des personnes ayant un TSA sont personnelles
et atypiques. Par conséquent, il convient d’adapter l’environnement en
fonction des compétences et des déficits des personnes afin de le rendre
plus structuré et sécurisant pour elle.
L’objectif est d’enseigner aux enfants les compétences qui vont leur per-
mettre de mener une vie autonome. Ce sont d’abord les concepts les plus
simples qui sont enseignés, puis le thérapeute se base sur les progrès et
les capacités des enfants pour développer de nouvelles compétences plus
complexes.
Le programme ABA repose sur plusieurs techniques :
− Apprentissage par essais distincts multiples (décomposer la compétence
à acquérir en plusieurs étapes ; enseigner chaque étape jusqu’à sa maî-
trise parfaite, répéter la pratique sur une période de temps précise avec
une aide extérieure qui sera progressivement estompée) ;
− Les renforcements ;
− Les jeux avec les pairs.
Le programme de Lovaas est intensif. Il se déroule en moyenne sur
40 heures par semaines pendant au moins deux ans. Le travail se fait dans le
lieu de vie des personnes avec un TSA en collaboration avec les parents ou
les personnes qui s’occupent de l’enfant.
Les premières séances portent sur la réduction des troubles du compor-
tement et sur l’apprentissage de comportements adaptés. Selon Lovaas, les
conduites inadéquates sont apprises et elles ne pourront être modifiées que
dans un environnement protégé, lors d’entraînements réguliers. La famille
doit alors changer l’environnement des enfants (en le rendant plus sécurisant

1 Maurice C. (1994). Let me hear your voice; A family’s triumph over Autism. New York, NY:
Ballantine Books.

108
Chapitre 8 – Les prises en charge spécifiques pour les personnes avec un TSA

et prédictible, en instaurant une « routine », en rendant certains éléments plus


accessibles aux enfants…).
L’apprentissage des comportements adaptés est facilité par l’utilisation de
renforçateurs. Par exemple, pour apprendre aux enfants à ranger leurs jouets,
le thérapeute adapte l’environnement en attribuant une caisse pour chaque
type de jouets et met une photo sur chaque caisse pour aider les enfants à se
repérer. Ensuite, il apprend aux participants à associer le jouet avec la photo
correspondante. Chaque fois que les enfants placent le jouet avec la photo
appropriée, ils reçoivent un renforçateur. Par la suite, le thérapeute apprend
aux enfants à mettre le jouet dans la boîte avec l’image qu’ils ont appris à
associer avec le jouet. Les associations jouet/image/boîte réussies sont ren-
forcées positivement.
Le programme démarre avec des renforçateurs fréquents. Puis leur fré-
quence d’apparition diminue. Les renforçateurs doivent jouer un rôle de
« facilitateurs » et non pas être la condition sine qua non pour qu’un comporte-
ment apparaisse. L’objectif étant qu’à la fin du programme, les comportements
fonctionnels soient adoptés non pas pour les bénéfices qui en découlent, mais
parce que les participants ont compris que ces comportements sont, de par
leur nature, positifs pour eux.
Trouver des éléments pouvant être renforçants peut constituer la pre-
mière étape de la prise en charge. L’observation attentive des personnes TSA
permet d’identifier ce qui suscite leur intérêt. Il est important d’éviter l’effet
de surjustification et d’habituation. Par exemple, regarder la télévision peut
être renforçant, à moins que cette activité soit librement et fréquemment
suivie par les enfants, au point de leur sembler banale (effet de satiété). Elle
pourra redevenir renforçante si elle est permise aux enfants, si et seulement
s’ils ont effectué un exercice du programme et que le temps passé devant
l’écran est restreint.
Pour éviter que le renforcement perde sa valeur positive, il convient de
disposer d’un panel important de renforçateurs et de les intégrer dans un
« roulement ». Par exemple, pour encourager l’enfant à ranger ses jouets, le
thérapeute ne lui proposera pas systématiquement le même renforçateur. Il
établira une hiérarchie de renforçateurs et il les donnera à l’enfant en fonction
de l’effort et de l’investissement fournis. Si écouter une musique est faiblement
renforçant, cette activité ne sera attribuée que pour les exercices accomplis
aisément. Les activités fortement renforçantes seront proposées pour les objec-
tifs élevés. Il est important de pouvoir associer les renforçateurs matériels
avec des renforçateurs sociaux (sourires, exclamations joyeuses, félicitations
orales) afin de pouvoir sensibiliser l’enfant aux interactions sociales et surtout
parce que ce sont les renforçateurs sociaux qui prendront la relève lorsque
les renforçateurs matériels commenceront à être diminués. Il est également
important de verbaliser pourquoi on donne le renforçateur (afin d’éviter toute

109
Déficiences intellectuelles

ambiguïté) et surtout de s’exprimer dans un langage simple et concret (par


exemple : « Tu es calme, c’est très bien », plutôt que « Tu es attentif/coopérant,
c’est agréable… »).
La diminution des comportements inadaptés passera par la recherche des
causes et motivations liées au comportement (par exemple, crier dans le bus
fait qu’on sera moins enclin à emmener l’enfant dans le bus et donc l’avan-
tage pour lui sera de ne plus être confronté à cette situation stressante). En
général, les comportements problématiques sont des réponses « adaptatives »
à des situations bien précises. Ils suivent un modèle d’escalade par étapes
qu’il convient de repérer et sur lequel il faut agir. Par exemple, avant qu’une
personne se mette à frapper dans le mur, elle aura cherché à attirer l’atten-
tion par des mimiques ou des gestes. Il convient alors d’agir dès les premiers
signes d’agacement.
Les techniques comportementales permettant la diminution des attitudes
inadéquates sont :
− l’extinction : l’enfant n’obtient pas la réponse attendue à son comporte-
ment. Par exemple : chaque fois que l’enfant tape dans le mur, ses parents
interviennent. L’arrivée des parents a involontairement un effet renfor-
çant pour l’enfant, qui retapera dans le mur pour déclencher à nouveau
cette réaction chez ses parents. À l’inverse, si l’enfant tape dans le mur,
mais que les parents ne réagissent pas ou s’ils lui répondent calmement,
l’enfant n’obtiendra pas la réponse qu’il attendait et le comportement
problématique (taper dans le mur) diminuera progressivement ;
− le time out : la personne est isolée temporairement, le temps qu’elle
retrouve son calme ;
− le response-cost : cette technique est employée dans le cadre de la Token
Economy. Si elle a un comportement inapproprié, la personne doit
rendre un de ses jetons. Cette technique peut cependant être source
d’angoisse pour certaines personnes TSA.
Lorsque le comportement problématique survient, il convient de ne pas
rappeler le renforçateur que la personne pourrait (ou aurait pu) recevoir et ne
pas augmenter la mise d’un renforçateur parce que le trouble du comporte-
ment diminue. Le risque étant de perdre de vue le fond du problème pour ne
privilégier qu’un résultat à court terme. De même, lorsqu’un comportement
problématique s’accentue, il ne faut pas introduire de renforçateurs supplé-
mentaires non prévus au programme. Il ne faut mentionner le renforçateur
que lorsque le comportement adapté s’est produit.
Il convient d’éviter au maximum les punitions pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, parce que la punition peut avoir des effets anxiogènes. Ensuite,
parce que la punition pointe le comportement problème, mais elle n’enseigne
pas quel aurait été le comportement adéquat. Enfin, il convient d’éviter les

110
Chapitre 8 – Les prises en charge spécifiques pour les personnes avec un TSA

réactions émotionnelles négatives, car la personne risque d’attribuer plus


d’attention à la forme du discours qu’à son contenu.
Lorsque la prise en charge débute, les troubles du comportement risquent
de se maintenir ou de s’envenimer. Il convient de percevoir ces signes comme
des preuves que la personne prend conscience du changement qui s’opère
autour d’elle et que, dans un sens, elle entre en interaction avec ce changement
et les personnes qui sont autour.
Le meilleur moyen de faire cesser un comportement problématique reste
l’apprentissage d’un comportement alternatif apportant les mêmes bénéfices.
Par exemple, la personne autiste se mord régulièrement et après observa-
tion, on constate que les automutilations apparaissent lorsque la personne
est stressée ; la réduction de l’automutilation passera donc par l’apprentissage
de techniques de relaxation.
La méthode A.B.A demande aux parents une participation active ; ils
doivent appliquer la méthode même lors des moments passés en famille afin
de permettre la généralisation de ce qui a été appris en séance.

Tableau 1. Déroulement d’une séance type de trois heures2

20 minutes Jeu structuré


80 minutes Langage (entrecoupé par des pauses de quelques minutes)
30 minutes Autonomie
30 minutes Jeu structuré
20 minutes Résumé de la séance

Il convient de créer un environnement facilitant le travail pour la personne


autiste et pour le soignant.
Le thérapeute adopte des comportements encourageants pour la personne
autiste :
− Fixer des objectifs simples et réalistes ;
− Décomposer les buts complexes en multiples étapes ;
− Ne donner que des consignes simples, qui peuvent être suivies jusqu’à
la réalisation de l’objectif. Les donner calmement. Élaborer une hié-
rarchie des consignes en fonction de leur difficulté à être suivies par
la personne autiste ;
− Faire une demande à la fois, dans un langage simple et toujours selon
la même formulation (par exemple : il vaut mieux répéter plusieurs fois la
même phrase contenant les informations essentielles comme « va dormir
dans ton lit » plutôt que de donner des phrases différentes pour formuler

2 Leaf R. & McEachin J. (2008). Autisme et ABA : une pédagogie du progrès, Paris : Pearson
éducation

111
Déficiences intellectuelles

la même idée, comme « au lit. », « tu dois aller te coucher », « il est temps


d’aller se reposer », « J’en connais un qui va être énervé demain, s’il ne se
couche pas tôt. », « le marchand de sable est passé », etc.) ;
− Dans la limite des capacités de la personne, lui laisser la possibilité de
prendre des décisions concernant la prise en charge (par exemple, on
peut lui demander de valider les renforçateurs qu’on va lui proposer,
ou bien lui donner la possibilité de choisir par quelle activité elle va
démarrer sa séance…) ;
− Rester le plus neutre possible face aux troubles du comportement ou
aux refus ;
− Alterner entre activités appréciées de l’enfant et activités moins aimées,
entre activités faciles et plus difficiles. Il est important de ne pas abréger
la séance parce que la personne s’énerve. De même, la séance de travail
ne doit pas être prolongée parce que l’individu est dans de bonnes
dispositions. Face aux comportements de défis survenant pendant les
sessions, le thérapeute doit s’interroger. Ses exigences sont elles trop
élevées ? Devrait-il décomposer l’exercice en sous-tâches plus simples ?
− Toujours renforcer les comportements positifs, même les plus anodins
(par exemple, le fait que l’enfant range sa chaise après s’en être servi
nous paraît un minimum, cependant cette action peut lui demander
certains efforts qui méritent d’être relevés et appréciés).
Le thérapeute peut proposer son aide, mais il faut que cette aide soit la plus
souple possible. Elle doit être progressivement estompée pour que l’enfant
accomplisse l’exercice seul.
La deuxième année, le travail avec l’enfant porte sur les habiletés langagières et
les interactions sociales. Après cela, le traitement est réduit à 10 heures par semaine
(minimum). Les séances sont axées autour de la consolidation des acquis ainsi
que sur l’expression des émotions et les apprentissages préscolaires et scolaires.

2. Méthode TEACCH
Le Treatment and Education of Autistic and Related Communication-
handicaped Children a été créé dans les années 1970 par Schopler et son
équipe de l’université de Caroline du Nord.
La méthode TEACCH repose sur des interventions éducatives et vise à
améliorer les comportements sociaux des enfants et à faciliter leurs appren-
tissages préscolaires et scolaires. Le but est de permettre la généralisation des
compétences des enfants dans les activités de la vie quotidienne.
La méthode TEACCH suit l’idée qu’il existe une « Culture de l’Autisme »,
c’est-à-dire que les personnes TSA suivent une manière de pensée qui leur
est propre.

112
Chapitre 8 – Les prises en charge spécifiques pour les personnes avec un TSA

Pour être efficace, le programme tient compte des points forts et faibles
des patients. Il comporte :
− L’évaluation complète des comportements et du développement des
participants ;
− La définition d’objectifs à court, moyen et long terme ;
− L’élaboration d’un emploi du temps dans un cadre très structuré ;
− Les parents sont également formés au programme TEACCH, car il leur
est demandé de reproduire les différents exercices du programme à la
maison avec leurs enfants (en dehors des séances).
La méthode va donc s’appuyer sur des outils concrets (par exemple, un
emploi du temps visuel pour que la personne repère facilement les activités
qu’elle fera) et sur des supports visuels pour renforcer la communication
verbale et les rapports sociaux. Les enfants sont alors pris en charge par
un thérapeute avec lequel ils travaillent sur les domaines ciblés par les éva-
luations (alimentation, propreté, sociabilisassions…). Les séances peuvent
se dérouler dans l’institution qui reçoit les enfants, à la maison, à l’école…
Les parents sont également formés au programme TEACCH, car il leur
est demandé de reproduire les différents exercices du programme à la
maison avec leurs enfants en dehors des séances. Le but est de permettre
la généralisation des compétences des participants dans les activités de la
vie quotidienne.
Les méthodes pour diminuer les troubles du comportement reposent sur
le conditionnement opérant. Les comportements appropriés sont encouragés
par l’attribution de renforçateurs.

3. Prise en charge précoce des troubles


du spectre autistique : le ESDM
Les premiers signes de TSA apparaissent dans la petite enfance. Des prises en
charge précoces favorisent le développement des jeunes et diminuent l’impact
des troubles sur la qualité de vie3.
Dawson, Rogers et leur équipe ont développé un programme permettant
d’intervenir auprès des enfants ayant un TSA dès les premiers mois de vie.
Le programme est nommé Early Start Denver Model (ESDM)4.

3 Rogers S. J. & Vismara L. A. (2008). Evidence-Based Comprehensive Treatments for Early


Autism, Journal of Clinical Child & Adolescent Psychology, 37(1), 8-38
4 Dawson G., Rogers S., Munson J., Smith M., Winter J., Greenson J., Donaldson A. & Varley
J. (2010). Randomized, Controlled Trial of an Intervention for Toddlers With Autism: The
Early Start Denver Model, Pediatrics, 125(1), 17-23

113
Déficiences intellectuelles

Les enfants sont tout d’abord évalués à l’aide d’échelles telles que l’ADI ou
le Vineland. Ces premières évaluations permettent de déterminer les capacités
des jeunes TSA et les points à travailler.
La prise en charge est supervisée par deux thérapeutes et comporte des
séances avec les enfants (quatre heures par jour, cinq jours par semaine
pendant deux ans) ainsi que des sessions avec les parents (plusieurs séances
par mois pendant la durée du programme).
La famille a un rôle central dans la prise en charge. Elle fournit les infor-
mations concernant les enfants (anamnèse, habitudes de vie, développement
de l’enfant, etc.) et poursuit les exercices initiés par les thérapeutes à domicile.
Pour cela, les parents sont formés au programme et supervisés.
L’ESDM utilise des techniques basées sur le conditionnement opérant.
Il emploie également d’autres outils comportementaux tels que le shapping
(diviser un objectif principal en sous-objectifs qui seront progressivement
appliqués) et le chaining (après avoir divisé un comportement complexe en
plusieurs comportements simples, le thérapeute encourage l’apprentissage
de chacun des éléments décomposés. Le renforcement successif entraînant,
in fine, l’apprentissage du comportement souhaité. En d’autres termes : ren-
forcer un comportement A afin que celui-ci encourage l’apparition d’un
comportement B, qui sera renforcé afin qu’un comportement C survienne
et ainsi de suite jusqu’à ce que le comportement complexe Z soit maîtrisé).
L’ESDM emploie les échanges interpersonnels, des activités concrètes, des
matériaux issus de l’environnement quotidien, et fait également appel à la
communication verbale et non verbale. L’intervenant privilégie des échanges
positifs avec les participants. Des suivis avec des pédiatres et des orthopho-
nistes complètent la prise en charge.
Les enfants bénéficiant du programme ESDM voient leurs compétences
cognitives s’améliorer. De même, leurs scores aux tests d’intelligence pro-
gressent, tout comme les comportements adaptatifs ainsi que les capacités
de communication.

4. La thérapie d’échange
et de développement (TED)
Cette méthode a été mise au point dans les années 1980 par Lelord et son
équipe du CHU de Tours. Elle a ensuite été reprise par d’autres spécialistes
de l’autisme comme Adrien.
Cette méthode est basée sur l’idée que les personnes TSA souffrent prin-
cipalement de troubles perceptivo-moteurs et que, par conséquent, elles ne
parviennent pas à traiter les informations et leur environnement comme le
feraient les personnes ordinaires. Par exemple, une hypersensibilité auditive

114
Chapitre 8 – Les prises en charge spécifiques pour les personnes avec un TSA

peut provoquer chez les jeunes TSA des angoisses face à des bruits en appa-
rence anodins. Ces mêmes personnes avec un TSA peuvent s’appuyer sur cette
hypersensibilité pour devenir hypercompétent dans le domaine de la musique.
Le but de la thérapie sera donc la prise en charge des fonctions psycho-
physiologiques défaillantes (comme l’attention visuelle et auditive, la
perception, la régulation) et d’encourager les capacités d’échange et de com-
munication des personnes ayant un TSA.
Pour que la prise en charge soit optimale, le soignant doit rester toujours
calme et l’environnement de travail doit être structuré et sécurisant.
La sociabilité est encouragée par des imitations, des échanges libres et
réciproques de mimiques, de gestes…
Le travail se fait à l’aide de jouets, sélectionnés pour leurs capacités à
répondre aux objectifs thérapeutiques (par exemple, pour travailler avec les
enfants sur la motricité fine, des gros cubes à encastrer les uns dans les autres
sont utilisés et non des Lego).
Les activités sont choisies en fonction du niveau de développement et des
intérêts des participants. Par exemple, pour travailler les capacités attention-
nelles, le thérapeute utilisera des objets appréciés par ses patients.
Ajoutons que ce n’est pas la performance qui est visée, mais la participation
des enfants à la réalisation de l’activité.
Comme pour la méthode A.B.A, le thérapeute alterne entre travail et acti-
vités ludiques, exercices faciles et plus complexes. Les renforçateurs tiennent
également une grande place.

5. Intensive Behavioral Intervention


L’Intensive Behavioral Intervention5 (IBI) est une approche globale, fondée
sur l’enseignement systématique des répertoires comportementaux, verbaux,
cognitifs et sociaux des personnes atteintes de troubles du spectre autistique.
L’IBI comporte entre vingt et quarante sessions hebdomadaires d’une
heure. Le travail se fait en situation duelle (un thérapeute pour un enfant)
et est orienté autour d’un objectif comportemental principal décomposé en
sous-objectifs. Les séances sont menées par un thérapeute comportementaliste.
Celui-ci est supervisé par un psychologue spécialisé.
L’une des premières phases de l’IBI est résumée sous la formulation
« apprendre à apprendre » (learn to learn)6. À cette étape, le thérapeute et

5 Ontario Ministry of Community, Family and Children’s Services (MCFCS) Integrated


Services for Children Division (2000). Program Guidelines for Regional Intensive Early
Intervention Programs for Children with Autism. Toronto: Author.
6 Luiselli J. K., Russo D. C., Christian W. P. & Wilczynski S. M. (2008). Effective practices for
children with autism, New York: Oxford University Press.

115
Déficiences intellectuelles

l’enfant se découvrent mutuellement. Le thérapeute repère ce qui attire l’en-


fant, ce sur quoi se porte son attention et les éléments qui pourront être
utilisés comme renforçateurs. Le thérapeute familiarise également l’enfant aux
sollicitations et demandes d’un inconnu. Pour cela, il tente de devancer les
actions de l’enfant (par exemple, si le thérapeute voit que l’enfant s’apprête
à se lever, il lui dit « lève-toi » et le félicite pour son action. Il s’agit de faire
coïncider les gestes avec les paroles afin de familiariser l’enfant avec le fait
d’entendre des instructions et d’être renforcé pour les avoir suivies). Pendant
cette phase, le thérapeute va également jouer un rôle de modèle et encourager
l’enfant à agir par imitation.
L’IBI souhaite permettre aux enfants avec un TSA d’atteindre le même
niveau de développement que leurs pairs neurotypiques. Pour cela, le thé-
rapeute axe la stimulation sur les compétences langagières (des vocalises à
l’apprentissage et au maniement des mots), de communication (réceptive
et expressive), cognitives (flexibilité, planification, résolution de pro-
blèmes, etc. à travers des jeux d’imitation, d’appariement d’images avec des
objets), sociales (apprentissage de comportements pour interagir avec les
autres allant du soutien du regard aux réponses aux sollicitations), ludiques
(capacité à jouer de manière indépendante ou avec d’autres) ainsi que les
compétences autour des besoins fondamentaux (s’alimenter, aller aux toi-
lettes, dormir, etc.).
Chaque réponse de l’enfant aux sollicitations du thérapeute et aux exercices
proposés est notée et évaluée. À partir de ces enregistrements, le thérapeute
ajuste la prise en charge afin qu’elle soit le plus individualisée possible et que
ses objectifs et moyens mis en place soient les plus proches des besoins et
capacités de l’enfant.
À la fin de la période d’intervention, les effets du programme sont
également évalués. L’enfant peut atteindre un niveau d’indépendance
allant de « très dépendant » à « fonctionnement normal » en passant par
« semi-dépendant »7.
L’Intensive Behaviotal Intervention dérive de l’Applied Behavior Analysis
dont il partage certains points. Tous deux visent une modification durable
des comportements problématiques. Ils peuvent être mis en place à domicile
et les parents sont associés à la prise en charge. L’IBI et l’ABA emploient des
méthodes basées sur le renforcement.
Toutefois, ils se distinguent sur plusieurs aspects. L’IBI est nettement plus
intensif et se déroule sur une période de temps beaucoup plus longue que
l’ABA. Alors que l’ABA peut être proposé à des personnes de tous les âges,

7 Motiwala S. S., Gupta S., Lilly M. B., Ungar W. J. & Coyte P. C. (2006). The Cost-Effectiveness
of Expanding Intensive Behavioural Intervention to All Autistic Children in Ontario, Health-
care Policy/Politique de Santé, 1(2), 135-151.

116
Chapitre 8 – Les prises en charge spécifiques pour les personnes avec un TSA

l’IBI s’avère efficace pour les très jeunes enfants. Il semble que ses effets positifs
soient surtout observés chez des enfants de moins de sept ans8.
L’IBI est principalement utilisé en Amérique du Nord et plus spécifique-
ment au Canada. Les études portant sur le programme montrent des résultats
contrastés. Ainsi, les facteurs pouvant influencer positivement l’intervention et
ses effets sont l’efficience intellectuelle, la durée du traitement et son intensité,
l’environnement familial, l’âge de l’enfant, son fonctionnement adaptatif, ainsi
que ses compétences ou déficits sur le plan neuropsychologique9. Cependant,
ces critères ne permettent pas de prédire le maintien des progrès obtenus au
cours des sessions d’IBI après un an de prise en charge10.

6. Relationship Development Intervention


(RDI)
La Relationship Development Intervention11 (RDI), aussi nommé Floor time par
ses créateurs, est un programme conçu pour les parents d’enfants et d’ado-
lescents ayant un TSA. L’objectif de ce programme est d’offrir aux parents
de nouvelles ressources pour interagir et accompagner leur enfant afin de le
faire entrer en relation avec son environnement et les personnes le composant.
Le parent encourage l’enfant à répliquer de manière plus flexible et à
développer ses panels de réponses comportementales et cognitives.
Avant la mise en œuvre du programme, l’enfant est évalué. Greenspan
a conceptualisé la Functional Emotional Assessment Scale12 à cet effet. Cette
grille permet d’évaluer les capacités sociales (communication et interactions
ludiques), émotionnelles (régulation de l’humeur) et cognitives (attention)
des enfants ayant un âge compris entre sept mois et quatre ans. Elle rend

8 Granpeesheh D., Dixon D. R., Tarbox J., Kaplan A. M. & Wilke A. E. (2009). The effects of
age and treatment intensity on behavioral intervention outcomes for children with autism
spectrum disorders, Research in Autism Spectrum Disorders, 3, 1014-1022.
9 Perry A., Cummings A., Geier J. D., Freeman N. L., Hughes S., LaRose L., Managan T.,
Reitzel J. A. & Williams J. (2008). Effectiveness of intensive behavioral intervention in a
large community-based program, Research in Autism Spectrum Disorders, 2, 621-642.
10 Ben-Itzchak E., Lahat E., Burgin E. & Zachor A. D. (2008). Cognitive, behavior and inter-
vention in young children with autism, Research in Developmental Disabilities, 29,
447-458.
11 Greenspan S. I. & Wieder S. (1997). Developmental Patterns and Outcomes in Infants and
Children with Disorders in Relating and Communicating: A Chart Review of 200 Cases of
Children with Autistic Spectrum Diagnoses, The Journal of Developmental and Learning
Disorders, 1(1), 87-141
12 Greenspan, S. I., DeGangi, G. A., & Wieder, S. (2001). The functional emotional assessment
scale (FEAS) for infancy and early childhood: Clinical & research applications. Bethesda,
MD: Interdisciplinary Council on Developmental and Learning Disorders.

117
Déficiences intellectuelles

également compte des interactions entre l’enfant et les adultes l’entourant dans
des domaines variés. La capacité des adultes à accompagner le développement
de l’enfant est mesurée.
Le programme comporte les éléments suivants :
− Des sessions groupales réunissant les parents ;
− Établissement d’un planning de séances de remédiation dédiées à
chaque enfant. Les séances sont personnalisées et tiennent compte des
caractéristiques bio-psycho-sociales de chacun ;
− Sélection d’objectifs ciblant les aspects développementaux ;
− Sessions de conseils et d’évaluations pour les parents au cours de la
mise en place de la remédiation pour leur enfant.
Au cours des séances de remédiation à domicile, les parents sont invités
à filmer leurs interventions et leurs interactions avec l’enfant. Les films sont
ensuite visionnés et commentés lors des sessions avec le thérapeute supervisant
le programme. Les équipes éducatives des écoles accueillant les enfants sont
également invitées à participer aux sessions de RDI.
La stimulation se fait essentiellement par le jeu. Le but n’est pas que les
adultes compensent les faiblesses de l’enfant, mais qu’ils lui montrent, de
façon ludique, comment interagir et résoudre ses difficultés par lui-même.
Le RDI suit les principaux troubles sociaux présentés par les personnes
TSA : l’attention conjointe, l’entrée en relation et le maintien de celle-ci, la
communication et le jeu réciproque, la construction de liens logiques entre
événements, émotions et cognitions, la régulation émotionnelle, la résolution
de problèmes (demande d’aide et affirmation de soi), la représentation et la
création de concepts et leur utilisation de manière fonctionnelle.
Concernant ce dernier point, le programme propose des jeux stimulant
les capacités langagières, les capacités visuo-spatiales, les représentations sym-
boliques et la flexibilité.

7. Social, Communication, Emotional Regulation


and Transactional Support (SCERTS)
Le modèle Social, Communication, Emotional Regulation and Transactional
Support (SCERTS)13 a été conçu spécifiquement pour la prise en charge de
la régulation sociale et de la communication chez les enfants ayant un TSA.

13 Prizant B. M., Wetherby A. M., Rubin E. & Laurent A. C. (2003). The SCERTS Model.
A transactional, family-centred approach to enhancing communication and socioemotio-
nal abilities of children with autism spectrum disroder, Infants and Young Children, 16,
296-316.

118
Chapitre 8 – Les prises en charge spécifiques pour les personnes avec un TSA

Le SCERTS repose sur deux modules reposant sur des approches


comportementales et éducatives. Au cours des exercices, l’attention conjointe,
l’autorégulation, la régulation réciproque, la gestion des situations de dysré-
gulation sont entraînées. Le thérapeute propose des stratégies pour :
− Identifier et reconnaître les indices (physiologiques, affectifs et com-
portementaux) permettant de comprendre les états émotionnels ;
− Comprendre ses propres affects, les tolérer et réguler les comportements ;
− Diminuer les conduites disruptives traduisant les débordements affectifs ;
− Résoudre les problèmes et utiliser les comportements symboliques.
Les objectifs sont l’acquisition par l’enfant des comportements sociaux
qui facilitent les interactions et qui permettent de s’adapter aux différentes
situations de vie. Les séances sont réparties selon un agenda développemental.
Les interventions tiennent compte des particularités de l’enfant pour traiter les
informations (sensorielles, émotionnelles ou cognitives) et la prise en charge
s’accompagne d’une médication adaptée.

8. Prise en charge TCC des troubles


du comportement
Les troubles du comportement découlent de multiples éléments14 :
− Faible compréhension des règles sociales ;
− Manque d’empathie ;
− Rupture dans la routine ;
− Comportements stéréotypés et « obsessions » ;
− Surcharge sensorielle ;
− Maltraitance ;
− Mésusage de substances ;
− Exclusion sociale ;
− Comorbidités.
Ils ont des motivations variées :
− Recherche de l’évitement (comportements agressifs par renforcement
négatif) ;
− Recherche de comportements sécurisants ;
− Recherche de distraction ;
− Recherche d’automédication.

14 Communication de McCarthy J. (2014). Autism Spectrum DisordersS and Offending Beha-


viours, NADD International Congress/Exhibition 2014

119
Déficiences intellectuelles

Les comportements agressifs réactifs surviennent à la suite d’une menace


(interne, externe ou imaginaire) et s’accompagnent fréquemment d’une expres-
sion émotionnelle et d’une activation du système sympathique. Ils peuvent être
soudains ou apparaître après une augmentation graduelle de tension. Ils sont
observés chez de nombreux individus ayant des troubles neurodéveloppementaux.
Les comportements agressifs maîtrisés visent à obtenir une gratification
et entraînent peu d’expression émotionnelle et peu d’activation du système
sympathique (contrôle des organes internes)15.
Les réponses à proposer aux troubles du comportement peuvent être
regroupées en quatre catégories16 :
− « Antécédent manipulation » ;
− Changement des instructions et du contexte : il s’agit d’adapter l’envi-
ronnement afin que celui-ci ne soit plus invalidant et ne soit plus une
source d’anxiété ;
− Renforcement différentiel : nous avons détaillé les techniques basées
sur les renforcements dans les chapitres précédents ;
− Techniques de « self-management »
L’« antécédent manipulation » réfère au fait d’analyser les circonstances
dans lesquelles le comportement problématique survient et d’agir sur ces
circonstances.
Cette technique suit les étapes suivantes :
− Modifier l’environnement pour que les stimuli provoquant le trouble
du comportement soient réduits (voire annulés) ;
− Inclure dans l’environnement des stimuli favorisant un comportement
adapté.
Les techniques de self-management sont surtout employées pour réduire
les stéréotypies.
Il est appris aux participants à discriminer les comportements appropriés
de ceux qui sont inadaptés. Tout d’abord, le thérapeute identifie quel est
le comportement à améliorer (par exemple, rester à table). Puis, il repère
quels seront les renforçateurs à donner aux personnes lorsqu’elles agissent
correctement. Il élabore alors des outils simples pour les auto-observations
et le self-management (par exemple, mettre un point vert sur son cahier dès
que le comportement souhaité apparaît). Les aides externes sont estompées
progressivement pour que la personne s’approprie la technique.

15 Vitiello, B., & Stoff, D.M. (1997). Subtypes of aggression and their relevance to child psy-
chiatry. Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, 36, 307-315.
16 Machaliceka W., O’Reillya M. F., Beretvasa N., Sigafoosb J. & Lancionic G. E. (2007).
A review of interventions to reduce challenging behavior in school settings for students
with autism spectrum disorders, Research in Autism Spectrum Disorders, 1(3), 229–246

120
Chapitre 8 – Les prises en charge spécifiques pour les personnes avec un TSA

Les procédures de self-management comportent :


− L’auto-évaluation ;
− L’autoenregistrement ;
− L’autorenforcement.
Il est impératif que les compétences exécutives soient efficientes pour que
la personne ait accès à la métacognition. Cette dernière étant primordiale
pour la mise en place de techniques de self-management.

9. Remédiation cognitive
La Cognitive Remédiation Therapy17 (CRT) est un programme axé autour de
la stimulation des fonctions exécutives (flexibilité cognitive, mémoire et plani-
fication). Chacun des modules comporte des séries d’exercices. Le thérapeute
lit les consignes au participant. À l’issue de chaque séance, le participant est
invité à réfléchir à la manière dont il pourrait transposer les éléments travaillés
dans sa vie quotidienne.
La CRT vise la réinsertion sociale et professionnelle des patients. Classique-
ment, la CRT est mise en place pendant trois mois à raison de trois séances
hebdomadaires d’une heure.
Bien que conçu à l’origine pour des patients schizophrènes, ce programme
a été également utilisé avec quelques patients Asperger pour encourager la
tolérance au changement, la mémoire à court terme et les capacités à s’adapter
à l’environnement18. Le programme a également été présenté à des personnes
ayant des troubles du comportement alimentaires et des traits autistiques19.
Pour ce groupe de patients, seuls les exercices stimulant la flexibilité mentale
ont été proposés. Les auteurs concluent à une amélioration des troubles neu-
ropsychologiques et des conduites alimentaires.
Cette méthode thérapeutique reste cependant à l’état de recherche et n’a
pas encore été testée sur un panel suffisamment étendu de patients TSA.
Toutefois, le programme CRT ne peut être utilisé qu’avec des personnes ayant
un minimum de connaissances scolaires

17 Delahunty A., Reeder C., Wykes T., Morice R. & Newton E. (2009). Cognitive Remediation
Therapy. Paris: Edition M.F.
18 Weiner L., Bruckmann J., Bizet E., (2010). “Cognitive remediation therapy of working
memory and executive deficits in Asperger syndrome: preliminary results from single case
studies””, cité par Amado I. & Todd A. (2012). Cognitive remediation therapy (CRT): un
programme de remediation cognitive pour la schizophrénie et les troubles des fonctions
exécutives en pathologie mentale, EMC- Psychiatrie, 9 (2), 1-9.
19 Tchanturia K., Larsson E. & Adamson J. (2016). How anorexia nervosa patients with high
and low autistic traits respond to group Cognitive Remediation Therapy, BMC Psychiatry,
16, 334, https://doi.org/10.1186/s12888-016-1044-x

121
Déficiences intellectuelles

10. Application des TCC auprès des personnes


ayant un trouble du spectre autistique :
le mindfulness
Il est possible d’appliquer les TCC aux personnes autistes de haut niveau.
Celles-ci, du fait des répercussions du TSA sur leurs relations sociales, ont un
risque accru de souffrir de troubles anxio-dépressifs. En effet, leurs difficultés
à décoder les informations dans leur environnement, à comprendre leurs
perceptions sensorimotrices et émotionnelles ainsi que celles des autres, et
leurs déficits exécutifs font qu’elles sont plus enclines à ressentir du stress et à
avoir une opinion négative sur elles-mêmes ainsi que sur leur environnement.
Il est donc important de pouvoir les aider à analyser leurs perceptions, à
reconnaître leurs pensées dysfonctionnelles et à les critiquer. Enfin, le théra-
peute a aussi pour rôle de leur apprendre à décoder les comportements des
autres et à ajuster leurs réactions en conséquence.
L’amélioration de leurs compétences sociales a un effet positif sur leur
capacité de coping, de gestion du stress et prévient l’apparition de troubles
de l’humeur.
Le mindfulness encourage l’auto-régulation, la relaxation mentale et cor-
porelle, l’identification et l’acceptation des émotions, des pensées et des
perceptions sensorielles. Le mindfulness implique l’autorégulation attention-
nelle et la centration sur l’instant présent sans aucun jugement. Pour cela, la
pratique du mindfulness implique l’attention soutenue, la flexibilité et l’atten-
tion divisée.
Les recherches rapportent que la pratique régulière du mindfulness entraîne
des modifications importantes dans l’activité cérébrale. Ces changements
incluent une plus grande activité des cortex préfrontaux et pariétaux20 asso-
ciée à une meilleure régulation de l’activité de l’amygdale. Ces éléments ont
un impact direct sur la régulation émotionnelle et les capacités mnésiques.
Le Mindfulness-Based Stress Reduction (MBSR) a été proposé à des per-
sonnes déficientes intellectuelles. Les groupes suivent les séances pendant huit
semaines. Les participants bénéficient d’exercices reposant sur la méditation
et la relaxation. À l’issue de la prise en charge, les participants montrent une
moins grande vulnérabilité au stress. Un sentiment de mieux être et une plus
grande empathie sont également exprimés21.

20 Klingberg T., Forssberg H. & Westerberg H. (2002). Increased Brain Activity in Frontal and
Parietal Cortex Underlies the Development of Visuospatial Working Memory Capacity
during Childhood, Journal of Cognitive Neuroscience, 14(1), 1-10.
21 Robertson B. L. (2011). The Adaptation and Application of Mindfulness-Based Psychothe-
rapeutic Practices for Individuals with Intellectual Disabilities, Dans R. J. Fletcher (dir.),
Psychotherapy for Individuals with Intellectual Disability (pp. 91-106). New York: NADD
Press.

122
Chapitre 8 – Les prises en charge spécifiques pour les personnes avec un TSA

Plusieurs recherches (des études de cas individuels ou de groupe) menées


auprès de personnes ayant une déficience intellectuelle ou un TSA montrent22 :
− Une diminution des agressions verbales et physiques ;
− Une diminution des contentions, des périodes d’isolement ;
− Une diminution de l’automutilation ;
− Une diminution des comportements offensants ;
− Une diminution de la destruction d’objets ;
− Une augmentation de la coopération ;
− Une augmentation de l’autocontrôle ;
− Une amélioration de l’autorégulation des émotions ;
− Une augmentation des capacités d’écoute et d’attention à la tâche ;
− Une augmentation de la participation sociale en ayant accès à des acti-
vités de jour valorisantes ;
− Une augmentation du respect des règles sociales dans leur milieu de vie.
La pleine conscience ne vise pas l’élimination des psychopathologies.
L’objectif est d’accepter les émotions, les pensées, les sensations physiques
sans jugement, dans la pleine conscience. Il s’agit également d’accepter ses
expériences et, in fine, de s’accepter soi-même. L’exposition aux ressentis sans
réaction et sans lutte. Le changement cognitif repose sur la distinction entre ce
qui est pensé et ce qui est. Les pensées sont considérées comme étant seulement
des pensées et non des faits ou des vérités. L’autorégulation des émotions permet
la réduction de l’hyperactivation émotionnelle par l’acceptation de ses émotions.
La relaxation participe au lâcher-prise qui réduit les tensions physiques.
Pour les personnes porteuses d’un TSA la pleine conscience vise :
− Le développement chez ces personnes d’une plus grande capacité de
gestion de la détresse et de l’anxiété ;
− La diminution de la fréquence des comportements problématiques ainsi
que de leurs conséquences (par exemple : des mesures de contrôle telles
que la contention ou l’isolement) ;
− Le déploiement des habiletés sociales.
L’adaptation du mindfulness pour les personnes ayant un TSA23 passe
par la réduction de la durée de chaque séance et une augmentation de leur
fréquence.

22 Singh N. N., Wahler R. G., Adkins A. D., Myers R. E., The Mindfulness Research Group
(2003) Soles of the Feet: a mindfulness-based self-control intervention for aggression by an
individual with mild mental retardation and mental illness, Research in Developmental
Disabilities, 24 (3), 158-169
23 Prout, H.T. & Nowak-Drabik, K.M. (2003) Psychotherapy with persons who have mental
retardation: An evaluation of effectiveness. American Journal on Mental Retardation. 108,
2, 82-93.

123
Déficiences intellectuelles

Tout d’abord, le programme est présenté sous une forme bimodale (emploi
de supports visuels tels que des pictogrammes en complément des paroles
du thérapeute). Ce prélude favorise le traitement visuel et auditif-verbal de
l’information de présentation des informations verbalement et à l’aide de
supports visuels de façon simultanée. Chaque session débute24 par un résumé
de la séance précédente. Les participants et le thérapeute discutent sur les
éléments déclencheurs de stress. Les membres du groupe réalisent ensuite
un exercice de pleine conscience guidé par l’animateur, assisté par le co-ani-
mateur (qui soutient au besoin les participants tout au long de la séance). À
la fin de l’exercice, les participants sont invités à s’exprimer, à tour de rôle,
sur ce qu’ils ont vécu de leur expérience personnelle (pensées, émotions,
sensations physiques). Un retour sur les exercices pratiqués durant la semaine
précédente permet à chaque participant de s’exprimer sur sa propre expérience
de la méditation. Un nouvel exercice de méditation est ensuite proposé au
groupe. Il est suivi par une période d’échanges sur l’exercice de méditation.
La séance s’achève sur des exercices de détente musculaire.
L’animateur prescrit les exercices à entreprendre durant la semaine à
l’aide de supports visuels. Le contenu des exercices est adapté en fonction
des capacités de chaque personne. Le thérapeute a recours au modeling afin de
promouvoir des attitudes appropriées. Chaque personne est accompagnée au
quotidien par un tiers aidant qui supervise la mise en pratique des exercices
pratiqués lors des sessions. L’aide apportée est progressivement estompée afin
d’encourager l’autonomie.
Un exercice de mindfulness pouvant être proposé aux personnes déficientes
intellectuelles est nommé « Méditation de la tête aux pieds ». Cet exercice
a été proposé à des adultes déficients intellectuels auteurs d’agressions. Le
principe de l’exercice est de rediriger l’attention qu’ils portaient à leur colère
à un objet neutre, à savoir la plante de leurs pieds et les points de contact de
celle-ci avec le sol. En redirigeant l’attention, la tension émotionnelle baisse
et les participants réfléchissent et n’agissent plus impulsivement25.
Le mindfulness peut également être proposé aux personnes souffrant de
stress post-traumatique.
Robertson26 détaille la thérapie d’un homme ayant une déficience moyenne
(QI évalué à 48) et ne s’exprimant pas par la parole. Celui-ci a été orienté vers

24 Pahnke J., Lundgren T., Hursti T. & Hirvikoski T. (2014) Outcomes of an acceptance and
commitment therapy-based skills training group for students with high-functioning autism
spectrum disorder: A quasi-experimental pilot study. Autism, 18(8), 953-964.
25 Singh N. N., Lancioni G., Winton A., Adkins A., Singh J. & Singh A. (2007). Mindfulness
Training Assists Individuals with Moderate Mental Retardation to Maintain Their Com-
munity Placements, Behavior Modification, 31(6), 8000-814.
26 Robertson B. L. (2011). The Adaptation and Application of Mindfulness-Based Psychothera-
peutic Practices for Individuals with Intellectual Disabilities, Dans R. J. Fletcher (dir.), Psycho-
therapy for Individuals with Intellectual Disability (pp. 91-106). New York: NADD Press.

124
Chapitre 8 – Les prises en charge spécifiques pour les personnes avec un TSA

le thérapeute à cause de ses comportements auto et hétéro-agresifs. La prise


en charge s’est déroulée en plusieurs étapes. La première, étalée sur deux
mois, se centre sur la construction d’un cadre thérapeutique sécurisant et
l’établissement d’un rapport de confiance. Des exercices respiratoires sont
présentés. Le thérapeute guide le patient et introduit des imageries mentales
via la parole. Une fois le patient familiarisé avec ces premiers exercices, il est
guidé dans la création de ses propres imageries, ainsi que dans la concep-
tion d’un espace de sécurité mentale. Après ces deux mois de préparation,
le programme thérapeutique est centré sur l’identification des déclencheurs
émotionnels, l’observation sans jugement des pensées, sensations et émotions
douloureuses, ainsi que la redirection de l’attention sur l’espace de sécurité.
Sans la pratique quotidienne, les bienfaits sont mitigés.

125
Chapitre 9 9

Trisomie 21

En 1862, Langdon Down relève les premières caractéristiques d’un syndrome


qu’il nomme « mongolisme ». Il justifie cette appellation par la ressemblance
qu’il trouve entre les personnes trisomiques 21 et les populations des steppes
d’Asie. Ce n’est que dans les années 1950 que les anomalies chromosomiques
sont découvertes et donc que ce syndrome peut être expliqué.
Trisomie 21 et déficience intellectuelle ne sont pas systématiquement liées
et ne doivent pas être confondues.

1. Hypothèses concernant
le chromosome surnuméraire
Dans 90 % des cas, il s’agit d’une distribution chromosomique erronée. Cette
erreur se produirait avant la fertilisation et serait donc présente dès la forma-
tion du spermatozoïde ou de l’ovule. La probabilité d’absence de disjonction
des chromosomes s’accroît avec l’âge (risque est évalué à 1 sur 15 000 en
dessous de 30 ans et à 1 sur 130 entre 40 et 44 ans)1. Dans 10 % des cas,
l’erreur chromosomique est liée soit à un mosaïcisme, soit à une transloca-
tion. Il est question de mosaïcisme quand le corps comporte une partie de
ses cellules avec 3 chromosomes 21 et l’autre partie avec 2 chromosomes 21.
Cette distribution se déroule après la fertilisation.
Les personnes présentent des caractéristiques physiques moins marquées et
elles ont généralement un niveau intellectuel efficient ou légèrement déficient.
La translocation est évoquée lorsqu’il y a une partie ou la totalité d’un
chromosome qui est attachée à une partie ou à la totalité d’un autre.

1 Erickson J.D. (1978). Down syndrome, paternal age, maternal age and birth order, Annals
of Human Genetics, 41(3), 289–298.
Chapitre 9 – Trisomie 21

La probabilité d’avoir un enfant porteur du syndrome est égale à 15 % des


grossesses lorsque la mère est porteuse de la translocation et à 5 % lorsque
le père est porteur.

2. Troubles spécifiques liés à la trisomie,


aspects neurologiques
Wisniewski montre que certaines aires du cerveau des personnes tri-
somiques 21, notamment du cortex cérébral et du lobe frontal, sont
sous-développées dès le début de la vie2. Les premières disparités entre
le cerveau des personnes porteuses du syndrome de Down et celui de
leurs pairs se manifesteraient dès la 22e semaine de grossesse3. Après la
naissance, un retard dans la myélinisation des fibres nerveuses apparaît.
Ce retard touche particulièrement les fibres reliant les lobes frontaux et
temporaux. Cependant, ce retard ne toucherait que 25 % des personnes
trisomiques 214.
Le cerveau des personnes trismiques 21 a une taille réduite par rapport
à celui des personnes tout-venant. Les principales différences se situent au
niveau du tronc cérébral (accompagné d’un nombre réduit de neurones), du
cervelet, du lobe frontal ainsi que du néocortex5 .
Les personnes porteuses du syndrome de Down ont un volume cérébral
inférieur à celui des personnes ordinaires. Les matières grises et substances
blanches des lobes pariétaux et temporaux auraient un volume plus impor-
tant6. De même, le volume de l’hippocampe est également limité. L’amygdale,
quant à elle, ne présenterait pas de différences avec celles des tout-venant.
Les structures sous-corticales seraient également préservées.
Ces réductions ont un impact sur les retards de développement. Par contre,
elles ne joueraient aucun rôle dans la démentification précoce des personnes
trisomiques 21.

2 Wisniewski K. E. (1990) Down syndrome children often have brain with maturation delay,
retardation of growth, and cortical dysgenesis. American Journal of Medical Genetics (sup-
plement 7), 274-281.
3 Schmidt-Sidor B., Wisniewski K. E., Shepard T. H., Sersen E. A. (1990) Brain growth in
Down syndrome subjects 15 to 22 weeks of gestational age and birth to 60 months, Clinical
Neuropathology, 9(4), 181-190
4 Rondal J-A., Perera J. (2006) Down Syndrome: Neurobehavioural Specificity, Chivhester,
Royaume Uni: Wiley
5 Rondal J-A., Perera J. (2006). Down Syndrome: Neurobehavioural Specificity. Chivhester,
Royaume Uni: Wiley
6 Pinter J. D., Eliez S., Schmitt J. E., Capone G. T. & Reiss A. L. (2001). Neuroanatomy of
Down’s syndrome: A high-resolution MRI study. American Journal of Psychiatry, 158,
1659-1665.

127
Déficiences intellectuelles

Une hypoplasie cérébelleuse est présente chez les personnes porteuses


du syndrome de Down. Celle-ci est directement connectée avec les troubles
du tonus, de la coordination motrice ainsi que des troubles articulatoires et
de la syntaxe.
Les troubles de l’attention et la tendance à la persévération sont liés à des
réductions au niveau du lobe frontal.
Les troubles neurologiques entraînent :
− Des troubles perceptifs (troubles oculomoteurs, troubles auditifs, diffi-
cultés respiratoires, sensibilité de la main se réduirait à partir de l’âge
de deux ans et demi) ;
− Des troubles du sommeil ;
− Des hypotonies musculaires (diminution de la tonicité musculaire) ;
− Des troubles de la latéralité ;
− Des troubles dans la coordination des mouvements (troubles
cérébelleux) ;
− Des troubles de la sensibilité tactile (seuil de douleur plus bas) ;
− La préhension se met en place chez les enfants trisomiques au même
âge que chez les enfants ordinaires. L’évolution est normale jusqu’aux
deux ans et demi ou trois ans de l’enfant. La qualité de la préhension
se détériore ensuite. La sensibilité de la main se réduit, la précision
du geste est plus limitée, la préhension des objets devient malhabile.
Comme la sensibilité diminue, le seuil de douleur s’en trouve abaissé,
ce qui gêne les différentes phases exploratoires.
Certains troubles apparaissent progressivement au cours du développement.
Il faut toutefois rappeler que le cerveau, y compris celui des personnes
porteuses du syndrome de Down, est particulièrement robuste. Concernant
la trisomie 21, l’arborisation dendritique serait plus développée que celle des
personnes tout-venant. Ce phénomène est particulièrement visible chez le
nourrisson et permettrait de compenser les retards de développement du
cerveau. Cependant, ce phénomène déclinerait à partir de l’âge de deux ans.

3. Troubles spécifiques liés à la trisomie,


aspects cognitifs
La trisomie et la déficience intellectuelle sont deux entités différentes ne
coïncidant pas nécessairement. Certaines personnes trisomiques ont une
intelligence dans la norme tandis que d’autres sont très invalidées.
Le retard global de développement induit un retard pour toutes les acqui-
sitions dès la période sensorimotrice, puis lors de l’émergence de l’activité
symbolique.

128
Chapitre 9 – Trisomie 21

Le retard porte sur les facultés :


− D’apprentissage ;
− De raisonnement ;
− De langage : dans le syndrome de Down, la communication est centrée
sur ses aspects sociaux et pragmatiques dans les premiers mois de vie.
Les enfants trisomiques 21 peuvent montrer une réponse émotionnelle
réduite et des retards dans le développement du langage. Cependant,
leur volonté et leur habilité à entrer en contact avec les autres sont
fortes. Ils maîtrisent généralement bien le jeu symbolique ;
− De mémoire (surtout mémoire verbale) ;
− De l’adaptation du comportement : la capacité à se fixer un objectif et à
travailler efficacement pour l’atteindre a fait l’objet de plusieurs études.
Il apparaît que si elles sont socialement stimulées, les personnes triso-
miques 21 montrent la même motivation, concentration et persistance
que les personnes d’âge mental équivalent7 (notons qu’âge mental égal
ne signifie âge chronologique égal). A contrario, pour les tâches de per-
formance, centrées sur des compétences cognitives et n’impliquant que
peu d’interactions sociales, les personnes trisomiques 21 font preuve
d’un comportement passif, voire évitant. Elles prennent peu d’initiatives
et de persévérance. Leurs performances décroissent à mesure que les
exercices se succèdent et que la difficulté augmente8. Il apparaît donc
que l’adaptation du comportement dépend étroitement des interactions
sociales et de la validation apportée par des tiers ;
− De la régulation émotionnelle : les personnes trisomiques 21 peuvent
manifester peu d’affects. Toutefois, la faible expression des émotions
n’équivaut pas à leur absence. Dans la plupart des études, il est relevé
que les enfants porteurs du syndrome de Down manifestent peu de
plaisir dans les activités impliquant des travaux dirigés vers un but.
Les personnes trisomiques 21 présentent un risque de développer des
troubles de l’humeur.
Les personnes trisomiques 21 présentent une distractibilité importante, des
déficits au niveau de l’attention alternée ainsi que des difficultés à maintenir
leur attention sur le long terme9. Elles présentent également une impulsi-

7 Landry S. H., Miller-Locar C. L. & Swank P. R. (1998). Goal-directed behavior in children


with Down syndrome: the role of joint play situation, Early Education and Development, 9,
375-392.
8 Wishart J. G. (1999). Learning and development in children with Down’s syndrome, Dans
Slater A. & Muir D. (dir.), Blackwell reader in developmental psychology, (pp. 493-508).
Oxford: Blackwell.
9 Seynhaeve I., Nader-Grobois N. (2005), Trajectoires développementales et particularités
dysfonctionnelles de trois enfants à trisomie 21 en période sensori-motirce, Revue franco-
phone de la déficience intellectuelle, 16 (1), p 137-59

129
Déficiences intellectuelles

vité importante ainsi que des troubles exécutifs (notamment au niveau de


l’inhibition).
Les risques de présenter une démence sénile de type Alzheimer sont les
mêmes chez les personnes déficientes que chez les personnes ordinaires (soit
5 % pour les personnes de 65 ans et plus). La surexpression du chromo-
some 21 peut être à l’origine de la « démentification » précoce des personnes
trisomiques10. Cependant, le risque serait plus élevé chez les personnes triso-
miques après l’âge de 40 ans.
Les symptômes sont les mêmes que ceux des personnes ordinaires : des
troubles de la mémoire (surtout trouble de la mémorisation des informations
récentes) ainsi que des déficits cognitifs (aphasie, apraxie, agnosie, trouble
des fonctions exécutives, etc.)
Avec l’avancée en âge, les personnes trisomiques 21 présentent un risque
accru de développer des troubles endocriniens (notamment, l’hypothyroï-
disme), des maladies dermatologiques, des troubles de l’oralité, des maladies
cardiovasculaires ainsi que musculo-squelettiques. Les troubles sensoriels sont
également fréquents.

10 Dessibourg C-A. (2009). Handicap mental : approche transdisciplinaire, Paris : édition


Masson.

130
Chapitre 10 10

Autres syndromes
découlant d’anomalies
chromosomiques

1. Le syndrome de Prader-Willi
Le syndrome de Prader-Willi fut décrit pour la première fois en 1956 par Prader,
Willi et Labhart. Ce syndrome survient à la suite d’une délétion du chromosome
15 paternel ou d’une disomie uniparentale1 (c’est-à-dire que la mère fournirait
deux chromosomes 15 au lieu d’un seul), ou suite à une mutation.
Le syndrome de Prader-Willi est un trouble neurodéveloppemental surve-
nant avec une égale fréquence dans les deux sexes. Les personnes présentant
ce syndrome sont de petite taille, ont un fonctionnement moteur, intellectuel
et émotionnel altéré et souffrent d’hyperphagie2. Elles présentent également
de petites mains et pieds ainsi que des visages dysmorphiques. Des anomalies
orthopédiques, telles que des scolioses, sont également observées. Les troubles
du sommeil sont également fréquents. Chez les hommes, une cryptorchi-
die (soit l’absence de descente d’un ou des deux testicules dans le scrotum)
est repérée. Les nourrissons atteints par le syndrome sont hypotoniques et
souffrent de troubles de l’oralité. L’obésité et l’avancée en âge s’accompagnent
de troubles cardiaques ainsi que des maladies liées au diabète et au cholestérol3.

1 Nicholls R. D., Saitoh S. & Horsthemke B. (1998). Imprinting in Prader-Willi and Angel-
man syndromes, Trends in Genetics, 14, 194-200.
2 Greenswag, L. R. (1987), Adults with PRADER-WILLI SYNDROME: a survey of 232 cases,
Developmental Medicine & Child Neurology, 29, p 145–52.
3 Schrander-Stumpel, C. Th.R.M., Curfs, L. M.G., Sastrowijoto, P., Cassidy, S. B., Schrander,
J. J.P. & Fryns, J.-P. (2004). Prader–Willi syndrome: Causes of death in an international
series of 27 cases. American Journal of Medical Genetics, 124A(4), 333–338.

131
Déficiences intellectuelles

Holsen et ses collaborateurs4 ont recherché les zones du système nerveux


responsables des comportements hyperphagiques qui étaient observés dans
le syndrome de Prader-Willi. Ils ont comparé les réponses neuronales des
personnes présentant un syndrome de Prader-Willi devant des images de
nourriture avec celles de personnes contrôles, avant et après un repas.
Leur expérience révèle que les systèmes limbique et paralimbique ainsi que
l’amygdale (liés à la régulation des émotions et impliqués dans la sensa-
tion de satiété) sont perturbés. Le cortex orbito-frontal (lié au circuit de
« récompense » dans le système nerveux), ainsi que le cortex préfrontal (lié
au contrôle des fonctions exécutives et des comportements) sont égale-
ment troublés. Ces différents éléments expliquent, en partie, pourquoi les
personnes présentant un syndrome de Prader-Willi ne parviennent ni à
expérimenter les sensations de satiété ni à autoréguler leurs comportements
alimentaires.
Des dysfonctionnements au niveau de l’axe hypothalamo-hypophysaire
(notamment une réduction des sécrétions d’ocytocine ainsi que dans la
communication entre l’hypothalamus et le lobe occipital) sont également res-
ponsables des troubles du comportement alimentaire ainsi que des troubles
du sommeil et de la régulation de la température corporelle5.
Les autres troubles du comportement exprimés par les personnes ayant le
syndrome de Prader-Willi sont les automutilations, les troubles de l’humeur,
la faible tolérance à la frustration, l’impulsivité et la persévération. Elles pré-
sentent également des compulsions et des obsessions semblables à celles des
individus ayant des troubles obsessionnels compulsifs (compulsions de ran-
gement, de calcul ou de nettoyage)6.
Les personnes atteintes par le syndrome de Prader-Willi peuvent présenter
des troubles des apprentissages et des déficits cognitifs importants malgré
une efficience intellectuelle dans la norme ou légèrement en dessous. De
même, les impacts sur le plan cognitif varient selon que les personnes ont
une délétion du chromosome 15 ou bien qu’ils aient deux chromosomes 15
issus de leur mère7.

4 Holsen L. M., Zarcone J. R., Brooks W. M., Butler M. G., Thompson T. I., Ahluwalia J. S.,
Nollen N. L., Savage C. R. (2006), Neural Mechanisms Underlying Hyperphagia in Prader-
Willi Syndrome. Obesity, 14: 1028–1037
5 Lukoshe A., van Dijk S. E., van den Bosch G. E., van der Lugt A., White T. & Hokken-
Koelega A. C. (2017), Altered functional resting-state hypothalamic connectivity and
abnormal pituitary morphology in children with Prader-Willi syndrome, Journal of Neuro-
developmental Disorders, 9: 12, doi: 10.1186/s11689-017-9188-7
6 Shriki-Tal L., Avrahamy H., Pollak Y., Gross-Tsur V., Genstil L., Hirsch H. J. & Benarroch
F. (2017) Psychiatric disorders in a cohort of individuals with Prader-Willi syndrome,
European Psychiatry, 44, 47-52.
7 Roof E., Stone W., MacLean W., Feurer I. D., Thompson T. & Butler M. G. (2000). Intel-
lectual characteristics of Prader-Willi syndrome: comparison of genetic subtypes, Journal
of Intellectual Disability Research, 44(1), 25-30.

132
Chapitre 10 – Autres syndromes découlant d’anomalies chromosomiques

Les techniques issues des thérapies comportementales et cognitives offrent


une aide aux personnes ayant le syndrome de Prader-Willi. Un aménagement
de l’environnement est nécessaire afin que les individus puissent évoluer dans
un cadre clair avec des journées organisées autour d’actions routinières rassu-
rantes. L’utilisation de renforçateurs pour valoriser les comportements adaptés
et de techniques d’extinction face aux conduites disruptives permet une réduc-
tion des troubles des conduites, dont celles en lien avec l’alimentation8.
Par ailleurs, leur efficience intellectuelle leur permet d’accéder aux pro-
grammes de remédiation cognitive et d’apprendre de nouvelles stratégies
adaptatives9.

2. Le syndrome d’Angelman
Tout comme le syndrome de Prader-Willi, le syndrome d’Angelman résulte
d’une anomalie au niveau du chromosome 15. Bien que la même région de
ce chromosome soit impliquée dans les deux syndromes (15q11-q13), les
personnes atteintes par le syndrome d’Angelman souffrent de troubles plus
invalidants.
La délétion survient dans la majorité des cas sur le chromosome 15 mater-
10
nel . Il en résulte des retards psychomoteurs, une hypotonie, une absence de
langage, une microcéphalie, une macrostomie, une hypoplasie maxillaire, un
prognathisme, un strabisme, une ataxie ainsi que des troubles neurologiques
tels que des crises d’épilepsie11.
En raison de la physionomie particulière des personnes atteintes par le
syndrome d’Angelman, ce syndrome a également été syndrome du pantin
hilare (happy puppet syndrome)12.
Les symptômes apparaissent dans les 6 premiers mois de la vie. Des retards
staturo-pondéraux en lien avec des troubles de l’oralité sont observés chez les
nourrissons. Les reflux gastro-œsophagiens sont fréquents.

8 Richard C. (2014). Chapitre VI. Troubles neuromoteurs, cognitifs et du comportement


alimentaire, 06. Anorexie mentale, boulimie, hyperphagie et potomanie. Dans Réseau
Lucioles (dir.) Troubles de l’alimentation et handicap mental sévère (pp. 104-105), Lyon :
France.
9 Morel A. & Demily C. (2017) Cognition sociale dans les troubles neuro-génétiques de
l’enfant : revue de la littérature, Archives de Pédiatrie, 24(8), 757-765.
10 Hall J. G. (1990). Genomic imprinting: Review and relevance to human diseases, American
Journal of Human Genetics, 46, 103-123.
11 Moncla A., Malzac P., Livet M. O., Voelckel M. A., Mancini J., Delaroziere J. C., Philip N.
& Mattei J. F. (1999). Angelman syndrome resulting from UBE3A mutations in 14 patients
from eight families: Clinical manifestationns and genetic counselling, Journal of Medical
Genetics, 36, 554-560.
12 Bower B. D. & Jeavons P. M. (1967). The «happy puppet» syndrome. Archives of Diseases
of Childhood, 42, 298-302.

133
Déficiences intellectuelles

Le déficit intellectuel est sévère. L’absence de langage ainsi que les troubles
visuels, attentionnels et cognitifs sont fortement corrélés13.
Le phénotype comportemental comprend une hyperexcitabilité, des com-
portements pro-sociaux, une démarche « en pantin », des éclats de rire avec
battements des mains, une hyperactivité sans agressivité, une attention réduite,
des troubles du sommeil.
Les troubles du comportement peuvent être remédiés grâce aux techniques
issues du conditionnement opérant. Ces dernières, associées à des traitements
pharmacologiques, montrent des résultats positifs, notamment dans le trai-
tement des troubles du sommeil14. Le programme comportemental inclut la
tenue d’un agenda du sommeil ainsi que des modifications dans l’environ-
nement et les relations parents-enfants au moment du coucher. Les objectifs
sont de réduire au maximum les sentiments de détresse ressentis par les
parents et les enfants et de remédier au fait que le lit soit devenu un « objet
phobique » pour la personne ayant le syndrome d’Angelman. L’apprentis-
sage de techniques de relaxation, la mise en place de renforcements positifs
et l’information des proches sur les troubles du sommeil ainsi que l’inter-
prétation des signes en lien avec les troubles favorisent la décroissance des
comportements défis et l’augmentation du temps de repos.

3. Le syndrome de Rett
Le syndrome fut d’abord observé par A. Rett puis par Hagberg et ses colla-
borateurs15. Cette pathologie touche principalement les femmes.
Le syndrome de Rett est lié à une mutation du chromosome X. Celle-ci
survient accidentellement sur le chromosome X du spermatozoïde fécondant
l’ovocyte de la mère. Cette mutation peut apparaître de novo ou bien être
« héritée » d’un des deux parents qui présenterait un mosaïsme. Le gène res-
ponsable des troubles serait le MECP2 situé sur le site Xq2816.

13 Micheletti S., Palestra F., Martelli P., Accorsi A., Galli J., Giordano L., Trebeschi V. & Fazzi
E. (2016). Neurodevelopmental profile in Angelman syndrome: more than low intelligence
quotient, Italian Journal of Pediatrics, 42, 91, doi: 10.1186/s13052-016-0301-4.
14 Allen K. D., Kuhn B. R., DeHaai K. A. & Wallace D. P. (2013). Evaluation of a behavioral
treatment package to reduce sleep problems in children with Angelman Syndrome,
Research in Developmental Disabilities, 34(1), 676-686.
15 Hagberg B., Aicardi J., Dias K. & Ramos O. (1983). A progressive syndrome of autism,
dementia, ataxia, and loss of purposeful hand use in girls: Rett’s syndrome: Report of 35
cases. Annals of Neurology, 14, 471-479.
16 Amir R. E., Van den Veyver I. B., Wan M., Tran C. Q., Francke U. & Zoghbi H. Y. (1999).
Rett syndrome is caused by mutations in X-linked MECP2, encoding methyl-CpG-binding
protein 2, Nature Genetics, 23, 185-188.

134
Chapitre 10 – Autres syndromes découlant d’anomalies chromosomiques

Ce syndrome est une maladie évolutive dont les symptômes n’apparaissent


qu’entre 1 an et 4 ans. Les premiers signes peuvent toutefois être relevés
dans les premiers mois de vie. Il s’agit notamment d’un ralentissement de la
croissance de la circonférence de la tête, une perte des acquis moteurs (au
niveau de la motricité manuelle) ainsi que des dysfonctionnements de la
communication et un retrait social. Ces détériorations sont davantage liées à
un trouble du développement qu’à une maladie dégénérative17
Les mouvements stéréotypés des mains (clappements, nettoyage, mise de
la main et des doigts dans la bouche, etc.) constituent l’un des éléments
du phénotype comportemental. Ces gestes apparaissent conjointement à la
perte des mouvements volontaires et aux détériorations psychomotrices. Une
apraxie et une ataxie surviennent à partir de la première année de vie.
Le langage est sévèrement impacté tant au niveau expressif que réceptif.
Le contact visuel est soutenu et constitue la principale forme d’entrée en
communication avec l’entourage.
Au niveau neurologique, le volume total du cerveau est généralement
amoindri chez les personnes porteuses du syndrome de Rett. Par conséquent,
les volumes de substances blanches et de matières grises sont réduits. La
taille des ganglions de la base (y compris les noyaux caudés) est régalement
amoindrie. Il en va de même pour le thalamus18.
Les lobes frontaux semblent être moins alimentés en sang, en acide n-acétyl-
aspartate (la n-acétyl-aspartate joue des rôles différents selon le sexe biologique
de l’individu : pour les femmes, elle serait liée à l’intelligence verbale19), mais
davantage en glucose et en choline (vitamine précurseur du neuromodula-
teur et neurotransmetteur acétylcholine. L’acétylcholine joue un rôle sur le
système nerveux central et périphérique. Le système cholinergique est relié
aux fonctions vitales ainsi qu’à la régulation de l’attention, notamment dans
le cadre du système de récompense).
Ces anomalies neurochimiques sont connectées aux troubles du développe-
ment ainsi qu’à la survenue des troubles du comportement et de pathologies
physiologiques telles que les crises d’épilepsie ou les troubles respiratoires20.

17 Cass H., Reilly S., Owen L., Wisbeach A., Weekes L., Slonims V., Wigram T. & Charman
T. (2003). Findings from a multidisciplinary clinical case series of females with Rett syn-
drome, Developmental Medicine and Child Neurology, 45, 325-337.
18 Dunn H. G., Stoessl A. J., Ho H. H., MacLeod P. M., Poskitt K. J., Doudet D. J., Schulzer M.,
Blackstock D., Dobko T., Koop B. & de Amorim G. V. (2002). Rett syndrome: Investigation
of nine patients, including Pet scan, Canadian Journal of Neurological Science, 29, 345-357.
19 Pfleiderer B., Ohrmann P., Suslow T., Wolgast M., Gerlach A. L., Heindel W. & Michael
N. (2004). N-acetylaspartate levels of left frontal cortex are associated with verbal intelli-
gence in women but not in men: a proton magnetic resonance spectroscopy study, Neuro-
science, 123(4), 1053-1058.
20 Naidu S., Kaufmann W. E., Abrams M. T., Pearlson G. D., Lanham D. C., Fredericksen
K. A., Barker P. B., Horska A., Golay X., Mori S et al. (2001). Neuroimaging studies in Rett
syndrome, Brain and Development, 23, 62-71.

135
Déficiences intellectuelles

Sur le plan intellectuel, les personnes porteuses du syndrome de Rett ont


une déficience sévère à profonde.

4. Le syndrome de l’X fragile


Le syndrome de l’X fragile est caractérisé par une déficience intellectuelle, des
troubles des apprentissages, du langage et des particularités physiques (face
allongée avec des joues et des oreilles protubérantes ainsi que des testicules
élargis à la fin de la puberté).
Le syndrome de l’X fragile fut décrit pour la première fois en 194321.
Toutefois, ce n’est qu’à la fin des années 1960 que fut repérée la zone lésée
du chromosome X responsable de la survenue du syndrome22. Le site du
chromosome impacté est nommé FRAXA. Deux autres sites de ce même chro-
mosome sont également impliqués dans la survenue du syndrome lorsqu’ils
sont lésés (FRAXE et FRAXF)23.
Au début des années 1990, un gène a été spécifiquement relié au syndrome
de l’X fragile. Il s’agit du FRM1. Ce dernier produit une protéine (la FMRP)
qui joue un rôle dans la transmission des données entre les différentes parties
de la cellule. L’apparition des traits caractéristiques du syndrome dépendra
de l’impact subit par le FRM1.
Les effets du syndrome sur l’efficience intellectuelle varient.
Les deux sexes peuvent présenter le syndrome de l’X fragile. Toutefois,
les signes diffèrent d’un individu à l’autre. Par exemple, chez les femmes, le
X intact peut compenser le X fragilisé. Ainsi, les symptômes seront moins
invalidants. Ces données doivent toutefois être nuancées. En effet, bien que
chaque femme ait deux chromosomes X, seulement l’un d’eux est actif dans
chaque cellule du corps (l’autre étant par conséquent inactif). L’apparition
et l’impact des symptômes de l’X fragile dépendront du nombre de cellules
dans lesquelles l’X fragile est actif. Ce déséquilibre entre cellules contenant
l’X fragile et celles contenant l’X sain sera responsable de l’expression (ou
non) du syndrome chez les femmes.
Les traits caractéristiques du syndrome de l’X fragile sont :
− Un visage long ;
− Un menton large et proéminent ;

21 Martin J. P. & Bell J. (1943). A pedigree of mental defect showing sex linkage. Journal of
Neurological Psychiatry, 6, 154-157
22 Lubs H. A. (1969). A marker X chromosome. American Journal of Human Genetics, 21,
231-244
23 Hagerman R. J. (1999) Fragile X Syndrome. Dans R. J. Hagerman (dir.). Neurodevelopmen-
tal Disorders: Diagnosis and Treatment (pp. 61-132). New York, NY: Oxford University
Press

136
Chapitre 10 – Autres syndromes découlant d’anomalies chromosomiques

− Des oreilles allongées ;


− De petits yeux légèrement gonflés ;
− Des plis épicanthiques ;
− Un palais à haute voute et une mauvaise disposition des dents.
Le syndrome de l’X fragile s’accompagne également de troubles somatiques
tels que des infections fréquentes de la sphère ORL, un strabisme, des erreurs
de réfractions, des anomalies dermatologiques, des scolioses, une dislocation
congénitale de la hanche ainsi que des troubles cardiaques. Une hypotonie,
une faible coordination motrice, une hypersensibilité visuelle, auditive et
tactile sont également relevées. Les troubles sensoriels peuvent s’expliquer
par le fait que les personnes présentant le syndrome de l’X fragile ont une
taille amoindrie du cervelet. Ce dernier est responsable à la fois du traitement
sensoriel ainsi que de l’attention.
Au moment de la puberté, les hommes présentent des testicules élargis.
Chez les femmes, la ménopause survient précocement. Le syndrome de l’X
fragile est responsable d’un retard de croissance à l’adolescence. Ce syndrome
retarde, mais n’empêche pas la puberté. Les personnes ayant le syndrome de
l’X fragile peuvent procréer.
Avec l’avancée en âge, le risque de souffrir de troubles cardiovasculaires,
de maladies musculo-squelettiques, d’une ménopause précoce, d’épilepsie ou
de troubles sensoriels s’accentue.
Des dysfonctionnements au niveau du système nerveux central sont obser-
vés chez les personnes porteuses du syndrome sous une forme atténuée 24.
De même, les personnes avec un mosaïsme sont plus à risque de souffrir de
troubles gynécologiques et de troubles neurodégénératifs avec l’avancée en
âge25.
Le syndrome de l’X fragile s’accompagne d’un retard dans l’apparition et
l’acquisition du langage. Environ 11 % des hommes atteints par le syndrome
ne parleraient pas à l’âge de cinq ans. Les capacités d’expression conservent
leur retard par rapport aux aptitudes de compréhension. Les personnes ayant
un syndrome de l’X fragile s’expriment de manière rapide, avec un rythme
erratique. Des difficultés dans la pragmatique et la capacité à maintenir son
attention sur un sujet de conversation sont relevées26.

24 Jacquemont S., Hagerman R. J., Leehey M., Grigsby J., Zhang L., Brunberg J. A., Greco C.,
Des Portes V., Jardini T., Levine R. et al. (2003). Fragile X premutation tremor/ataxia syn-
drome: Molecular, clinical, and neuroimaging correlates, American Journal of Human
Genetics, 72, 869-878.
25 Hagerman P. J. & Hagerman R. J. (2004). The fragile-X premutation: a maturing expe-
rience, American Journal of Human Genetics, 74, 803-816.
26 Hagerman R. J. (1999) Fragile X Syndrome. Dans R. J. Hagerman (dir.). Neurodevelopmen-
tal Disorders: Diagnosis and Treatment (pp. 61-132). New York, NY: Oxford University
Press

137
Déficiences intellectuelles

Sur le plan psychomoteur, les acquisitions sont également retardées. Les


activités nécessitant de la coordination (notamment de la coordination œil-
main) demeurent problématiques. Cependant, les enfants ayant un syndrome
de l’X fragile montrent généralement des capacités adéquates au niveau de la
motricité fine et une bonne dextérité.
Sur le plan neuropsychologique, les personnes ayant le syndrome de l’X
fragile ont une tendance à la persévération (y compris dans les capacités
d’expression orale), un déficit de l’attention avec une hyperactivité. De même,
les capacités de planification et d’inhibition sont peu efficientes.
La mémoire de travail est également impactée. Le traitement et l’encodage
des informations auditives sont faibles. Il en est de même pour la compréhen-
sion et la mémorisation des informations complexes et abstraites. Par contre,
le traitement et l’encodage des informations visuelles sont généralement bons.
Les personnes ayant le syndrome de l’X fragile peuvent traiter plusieurs infor-
mations simultanément. Leurs capacités à résoudre les problèmes sont faibles,
mais l’apprentissage environnemental est correct.
Les capacités d’apprentissage sont touchées par le syndrome et celles-ci
stagnent après l’adolescence.
Les hommes ayant un syndrome de l’X fragile font preuve d’une dis-
tractibilité importante ainsi que des difficultés à maintenir l’attention. Une
hyperactivité est relevée chez les deux sexes, les hommes se révélant plus
vulnérables27. Et si les personnes atteintes de l’X fragile portent de l’intérêt
aux interactions sociales, ces dernières sont souvent une source de stress.
Sur le plan comportemental, les personnes avec un syndrome de l’X fragile
présentent des clappements des mains et des mordillements, des maniérismes,
des évitements du contact oculaire, des comportements et activités répétitives.
Les troubles du comportement semblent s’améliorer lorsqu’une supplémen-
tation en acide folique est prescrite. Cependant, le nombre d’études sur le
sujet demeure restreint.
Les personnes ayant un syndrome de l’X fragile peuvent manifester des
comportements semblables à ceux des personnes autistes (évitement du
contact, stéréotypies gestuelles, tendance à la persévération, intérêts res-
treints), mais les personnes ayant un TSA présentent des signes que ne
partagent pas celles avec le syndrome de l’X fragile. C’est notamment le cas
au niveau des capacités de communication, ainsi que pour les comportements
répétitifs et la gestion des stimuli sensoriels. De même, les comportements
d’évitement en matière d’interactions sociales sont davantage reliés aux
troubles anxieux ou à l’hypersensibilité sensorielle des personnes présentant
le syndrome de l’X fragile. Toutefois, l’incidence des troubles du spectre de

27 Baumgardner T. L., Reiss A. L., Freund L. S. & Abrams M. T. (1995). Specification of the
Neurobehavioral Phenotype in Males with Fragile X Syndrome, Pediatrics, 95(5),
744-752.

138
Chapitre 10 – Autres syndromes découlant d’anomalies chromosomiques

l’autisme chez les personnes avec un syndrome de l’X fragile reste important
(environ 15 %)28.

5. Le syndrome de Williams
Le syndrome de Williams fut décrit pour la première fois en 1961 par le
Dr Williams29 et en 1962 par une équipe allemande composée de Beuren,
Apitz et Harmjanz30. Williams, Beuren et leurs collègues s’intéressaient à la
présence élevée de calcium dans le sang des patients. La pathologie porta le
nom de syndrome d’hypercalcémie infantile avant d’être renommée syndrome
de Williams (ou syndrome de Williams-Beuren).
Le syndrome de Williams est causé par une microdélétion de 1 500 000 paires
de base du locus q11.23 du chromosome 7.
L’apparition du syndrome de Williams chez des enfants peut survenir
sans que leurs parents en soient porteurs. De même, la naissance d’un enfant
avec un syndrome de Williams n’aurait aucune valeur prédictive quant à la
survenue du syndrome chez un autre membre de la fratrie.
Les personnes porteuses du syndrome de Williams présentent de nom-
breuses atteintes physiologiques : anomalies cardiovasculaires, hyperlaxité des
articulations, hypotonie, des troubles digestifs et éliminatoires.
Concernant les troubles cardiaques, le syndrome de Williams s’accompagne
d’une sténose aortique supravalvaire, d’une sténose des vaisseaux sanguins,
d’une artériosclérose ou d’une hypertension.
Le syndrome de Williams est reconnaissable à des caractéristiques faciales :
un grand front, des joues pleines, une grande bouche avec une lèvre inférieure
éversée, une pointe du nez bulbeuse, des cernes pleins et une hypoplasie malaire.
Le syndrome de Williams entraîne des troubles sensoriels. Les personnes
peuvent présenter une ésotropie (convergence des yeux vers l’intérieur) et
une hyperopie peut perturber la vision. Le syndrome de Williams peut aussi
s’accompagner d’une hyperacousie. Les personnes manifestent des réactions de
peur ou d’angoisse face à des sons quelconques. À l’âge adulte, une désensibi-
lisation est possible et les environnements sonores peuvent être mieux tolérés.
À la naissance, les nourrissons avec un syndrome de Williams ont un poids
et une taille inférieurs à la norme. Des retards au niveau de l’acquisition du
langage et de la motricité sont observés. Cependant, une fois le langage acquis,

28 Feinsteine C. & Reiss A. L. (1998). Autism: The point of view from fragile X studies. Journal
of Autism and Developmental Disorders, 28, 393-405
29 Williams J. C., barrett-Boyes B.G. & Lowe J. B. (1961). Supravalvular aortic tenosis. Circu-
lation, 24, 1311-1318.
30 Beuren A. J., Apitz J. & Harmjanz D. (1962). Supravalvular aortic stenosis in association
with mental retardation and a certain facial appearance. Circulation, 26, 1235-1240.

139
Déficiences intellectuelles

les enfants développent un style de communication sophistiqué, composé de


mots peu communs. Ce langage leur permet de masquer leurs limitations sur
le plan intellectuel et la forte anxiété que les interactions sociales peuvent
induire. Bien que le vocabulaire soit étendu et la grammaire correcte, les
personnes ayant un syndrome de Williams ont souvent des scores en dessous
de la norme aux épreuves verbales des tests d’intelligence.
Sur le plan intellectuel, le syndrome de Williams s’accompagne d’une
déficience légère (QI moyen estimé entre 50 et 60). Les capacités de com-
munication sont généralement bonnes. Les personnes ayant un syndrome de
Williams ont des capacités de reconnaissance faciale efficientes. La mémoire
à court terme est également préservée.
Toutefois, les personnes présentent des troubles de l’attention, des troubles
visuospatiaux, de la planification (surtout sur le plan moteur), la coordina-
tion œil-main et des troubles dans la motricité fine. Ces troubles font que
les personnes peuvent décrire verbalement une figure complexe, mais sont
incapables de la reproduire avec des cubes ou en la dessinant. Les déficits
visuospatiaux pourraient être liés à la zone pariéto-occipitale du cerveau. La
capacité à traiter les informations visuelles serait liée à la zone temporale.
Sur le plan comportemental, les personnes ayant un syndrome de Wil-
liams sont décrites comme étant sociables et amicales. Leur facie « elfique »
associée à leur maîtrise du langage favorise des comportements positifs et
des interactions avec leur entourage. Par ailleurs, la théorie de l’esprit serait
préservée par le syndrome de Williams31. Toutefois, les interactions sociales
peuvent être une source de stress importante pour les personnes avec un
syndrome de Williams. Celles-ci peuvent éprouver des difficultés à mainte-
nir des distances relationnelles adaptées et leurs émotions sont labiles. Ces
éléments ont pour conséquences que ces personnes ont du mal à conserver
des relations sur le long terme. Elles peuvent se mettre en danger par leurs
comportements désinhibés.
Des troubles psychiatriques, notamment des troubles anxieux ou des
phobies, peuvent se manifester chez les personnes ayant un syndrome de
Williams.

6. Syndrome de Smith-Magenis
Le syndrome de Smith Magenis résulte d’une délétion d’une portion du
chromosome 17 (il s’agit de la région dénommée 17p11.2). Cette anomalie
n’est pas héréditaire. Ainsi, la présence d’un enfant porteur du syndrome ne

31 Tager-Flusberg H., Boshart J. & Baron-Cohen S. (1998). Reading the windows to the soul:
Evidence of domain-specific sparing in Williams syndrome. Journal of Cognitive Neuros-
cience, 10, 631-639

140
Chapitre 10 – Autres syndromes découlant d’anomalies chromosomiques

permet pas de faire de pronostic quant à la survenue du syndrome chez un


autre membre de la fratrie.
Zori a décrit le cas d’une personne chez qui la délétion n’était pas pré-
sente dans l’intégralité des cellules du fait d’un mosaïsme. Cependant, ces
personnes peuvent engendrer des enfants chez qui le syndrome s’exprime
dans chaque cellule32.
Sur le plan physique, le syndrome de Smith-Magenis se manifeste à
travers un retard de croissance staturo-pondérale, une hypotonie, des pom-
mettes peu développées, des anomalies au niveau de la cloison nasale, de
la forme des oreilles et de la bouche (notamment au niveau du palais),
des plis palmaires. La mâchoire est proéminente et la lèvre supérieure est
saillante. Le squelette présente les caractéristiques suivantes : déformation
de la colonne vertébrale, de mains larges dotées de doigts courts ainsi que
des orteils joints.
Les personnes ayant le syndrome de Smith-Magenis présentent un élec-
trocardiogramme (ECG) anormal. Les malformations cardiaques toucheraient
plus de 30 % des personnes porteuses du syndrome33.
Le syndrome a également des effets sur le plan sensoriel. La vue peut être
perturbée (myopie, strabisme, détachement de la rétine potentiellement lié aux
actes auto-agressifs34), tout comme l’audition. Le syndrome est responsable
d’une réduction des cavités sinusales. Les anomalies au niveau de la sphère
ORL sont responsables de la survenue récurrente d’otites, elles-mêmes res-
ponsables de la perte d’audition.
Sur le plan neurologique, elles risquent également de souffrir d’épilepsie.
Plusieurs malformations cérébrales ont été observées.
Greenberg observe une absence partielle de vermis du cervelet. De même,
il repère des calcifications dystrophiques du lobe frontal35. La calcification
est due aux dépôts de calcium dans le cerveau. Le lobe frontal, et plus par-
ticulièrement le cortex préfrontal, joue un rôle central dans la capacité d’un

32 Zori R. T., Lupski J. R., Heju Z., Greenberg F., Killian J. M., Gray B. A. et al (1993). Clinical,
cytogenetic, and molecular evidence for an infant with Smith-Magenis syndrome born
from a mother having a mosaic 17p11.2p12 deletion. American Journal of Medical Genetics,
47, 504-511
33 Greenberg F., Lewis R. A., Potocki L., Glaze D., Parke J., Killian J., Murphy M. A., et al
(1996). Multi-disciplinary clinical study of Smith-Magenis syndrome: A possible
contiguous-gene syndrome associated with del(17)(p11.2). American Journal of Human
Genetics, 49, 1207-1218
34 Finucane B. M., Jaeger E. R., Kurtz M. B., Weinsteine M. & Scott C. I. (1993). Eye abnor-
malities in the Smith-Magenis contiguous gene deletion syndrome. American Journal of
Medical Genetics, 45, 443-446.
35 Greenberg F., Lewis R. A., Potocki L., Glaze D., Parke J., Killian J., Murphy M. A., et al
(1996). Multi-disciplinary clinical study of Smith-Magenis syndrome: A possible conti-
guous-gene syndrome associated with del(17)(p11.2). American Journal of Human Gene-
tics, 49, 1207-1218

141
Déficiences intellectuelles

individu à planifier et ajuster son comportement. Il participe également à


la régulation des émotions et des réactions cognitives et comportementales
associées à celles-ci.
Le syndrome de Smith-Magenis est également responsable de l’appari-
tion de neuropathies périphériques. Les nerfs périphériques étant atteints, la
sensibilité à la douleur serait réduite. Ces éléments expliqueraient les com-
portements auto-agressifs dont font preuve les personnes atteintes par le
syndrome de Smith-Magenis.
Au niveau comportemental, des troubles récurrents du sommeil sont obser-
vés. L’endormissement est perturbé. Les personnes porteuses du syndrome
de Smith-Magenis se réveillent fréquemment sans parvenir à se rendormir.
Pendant la journée, elles ont besoin de faire plusieurs siestes. Les troubles du
sommeil sont liés à un déficit de mélatonine. Chez les personnes atteintes par
le syndrome, la mélatonine augmente pendant la matinée et atteint un pic à
la mi-journée. Ce phénomène est contraire aux variations habituelles de la
mélatonine. En effet, chez les personnes ordinaires, la mélatonine augmente
à partir de 21 heures jusqu’à atteindre un pic à minuit, avant de redescendre
progressivement jusqu’au réveil.
Les comportements hyperactifs manifestés par les personnes ayant le syn-
drome de Smith-Magenis pourraient être perçus comme des conséquences de
ces fluctuations de la mélatonine. Ces comportements sont utilisés pour lutter
contre le sommeil. La luminothérapie régule les troubles de la mélatonine et
apporte un apaisement36.
Les actions auto et hétéro-agressives, les stéréotypies ainsi que les désin-
hibitions font partie des troubles du comportement les plus fréquemment
observés. Les morsures des mains et poignets, le secouement violent de la
tête, les coups auto-infligés, l’onychotillomanie (arracher les oncles), la poly-
embolokoilomanie (insérer des objets dans les orifices) et la trichotillomanie
(arracher les cheveux) font partie des automutilations. La prévalence de ces
actes varie selon l’âge de la personne. Ainsi, l’onychotillomanie serait absente
dans la petite enfance et n’apparaîtrait qu’après 6 ans37. Les gestes agressifs
peuvent être reliés aux troubles neuropsychologiques, notamment les troubles
attentionnels.
Parmi les gestes stéréotypés, le comportement d’auto-enlacement semble
apparaître spécifiquement chez les personnes atteintes par le syndrome de
Smith-Magenis. Cet acte survient lorsque l’individu est excité ou heureux.

36 Smith A. C., Dykens E. & Greenberg F. (1998). Sleep disturbance in Smith-Magenis syn-
drome. American Journal of Medical Genetics, 81, 186-191
37 Greenberg F., Guzetta V., De Oca-Luna R. M., Magenis R. E., Smith A. C. M., Richter S. F.
et al (1991). Molecular analysis of the Smith-Magenis syndrome: A possible
contiguous-gene syndrome associated with del(17)(p11.2). American Journal of Human
Genetics, 49, 1207-1218.

142
Chapitre 10 – Autres syndromes découlant d’anomalies chromosomiques

Un autre comportement stéréotypé fréquent chez les personnes ayant


le syndrome de Smith-Magenis est la succion des doigts, voire de la main
complète, avant et pendant une activité38. Les troubles du comportement
apparaissent dans la très petite enfance, vers dix-huit mois. L’auto-enlacement
et les stéréotypies des mains font partie du phénotype comportemental de
ce syndrome.
Les personnes ayant un syndrome de Smith-Magenis recherchent acti-
vement l’attention et le contact. Paradoxalement, elles ont des difficultés
à maintenir elles-mêmes leur attention sur un interlocuteur ou un groupe
d’interlocuteurs. Elles éprouvent également des difficultés à adapter leurs
comportements et peuvent se montrer ouvertement affectueuses avec des
inconnus. De même, elles ne parviennent pas à modérer leurs étreintes. Ces
personnes se montrent particulièrement sensibles aux états émotionnels
d’autrui.
Sur le plan cognitif, le syndrome de Smith-Magenis entraîne une déficience
intellectuelle légère à moyenne. Les capacités cognitives ne déclineraient pas
avec l’avancée en âge39.
La mémoire est impactée, notamment la mémoire de travail. La mémoire
à long terme serait plutôt préservée40. Les déficits sensoriels font que les
personnes ne peuvent que difficilement s’appuyer sur des stimuli visuels ou
auditifs pour soutenir leurs capacités cognitives.
Les retards dans l’acquisition du langage sont communs. Les capaci-
tés réceptives sont meilleures que les capacités d’expression. Les individus
porteurs du syndrome peuvent communiquer verbalement et à l’aide de
pictogrammes.
Les capacités à traiter les informations sont inégales. Le traitement séquen-
tiel est perturbé tandis que la perception des formes est préservée.
Sur le plan psychiatrique, les personnes atteintes du syndrome de Smith-
Magenis présentent des troubles anxieux, une hyperactivité accompagnée ou
non d’un déficit de l’attention ainsi que des troubles de l’humeur.
Leur sensibilité et porosité aux émotions d’autrui entraînent une labi-
lité de l’humeur. Par conséquent, il est recommandé aux intervenants de
s’exprimer sur un ton neutre. Ces personnes sont également sensibles aux
renforçateurs.

38 Dykens E. M., Finucane B. M. & Gayley C. (1997). Brief report: Cognitive and behavioral
profiles in persons with Smith-Magenis Syndrome. Journal of Autism and Developmental
Disorders, 27, 203-211.
39 Osório A., Cruz R., Sampaio A., Garayzábal E., Carracedo A., Fernández-Prieto M. (2012).
Cognitive functioning in children and adults with Smith-Magenis syndrome. European
Journal of Medical Genetics, 55(6-7), 394-399.
40 Dykens E. M., Finucane B. M. & Gayley C. (1997). Brief report: Cognitive and behavioral
profiles in persons with Smith-Magenis Syndrome. Journal of Autism and Developmental
Disorders, 27, 203-211.

143
Déficiences intellectuelles

7. Syndrome de DiGeorge
ou syndrome de délétion 22q
Le syndrome de DiGeorge correspond à une anomalie chromosomique.
Le chromosome 22 subit une délétion sur l’une de ces parties.
Bien que le syndrome ait été décrit dès les années 1950 (une première fois
par le Dr Sedlackova, puis par le Dr DiGeorge), la délétion ne fut repérée qu’au
cours des décennies 1980-1990. Le syndrome est également nommé Syndrome
de délétion 22q11.2, en référence à la partie impactée du chromosome 22.
La pluralité des symptômes observés fait que le syndrome a connu plu-
sieurs dénominations. Des signes sont communs tandis que d’autres ne se
manifestent que chez certains patients.
Le syndrome de délétion 22q11.2 soulève encore de nombreuses inter-
rogations. Le nombre et l’ampleur des symptômes ne semblent ni dépendre
de la position ni de la taille de la délétion sur le chromosome. Ainsi, lors
d’expériences sur les rongeurs pendant lesquelles les chercheurs recréent la
délétion, il est observé que seule une partie des souris présente des symptômes
visibles41. Par ailleurs, certains patients présentent les signes cliniques typiques
du syndrome sans que la délétion au niveau du chromosome 22 soit détectée
par les tests standards. Les questions relatives à la présence d’autres sites de
délétion, de mécanismes génétiques, d’interactions avec d’autres facteurs ou
d’autres syndromes ayant un impact négatif sur le développement ou d’un
mosaïsme restent ouvertes42.
La délétion apparaît de novo dans la majorité des cas. Toutefois, il semble
que 10 % des personnes aient « hérité » de cette délétion de l’un de leurs
parents (celui-ci pouvant porter cette délétion sans en montrer de signes
cliniques). Dans tous les cas, il apparaît que la délétion survient avant la
conception, probablement pendant la gamétogenèse, soit dans la formation
de l’ovule ou des spermatozoïdes43.
Les personnes porteuses du syndrome ont des caractéristiques physiques
similaires. Elles ont des fentes palpébrales étroites, de petites oreilles, un nez
proéminent avec pointe bulbeuse, une petite bouche, des mâchoires étroites,
un hypertélorisme. Les individus peuvent aussi présenter une fente palatine
ainsi qu’une luette bifide. Ils souffrent également d’une insuffisance vélopha-
ryngienne responsable de troubles de l’oralité et respiratoires.

41 Lindsay E. A. (2001). Chromosomal microdeletions: dissecting del22q11 syndrome. Nature


Reviews Genetics, 2, 858-868
42 Demczuk S. & Aurias A. (1995). DiGeorge syndrome and related syndromes associated
with 22q11.2 deletions: A review. Annales de Genetique, 38(2), 59-76.
43 Eldemann L., Pandita R. K., Spiteri E., Funke B., Goldberg R., Palanisamy N. et al. (1999).
A common molecular basis for rearrangement disorders on chromosome 22q11. Human
Molecular Genetics, 8(7), 1157-1167.

144
Chapitre 10 – Autres syndromes découlant d’anomalies chromosomiques

Les personnes porteuses de la délétion 22q11.2 montrent un retard staturo-


pondéral. Le faible poids peut se maintenir du fait de troubles de l’oralité et
de la digestion. Par la suite, elles présentent une taille dans la norme. Elles
peuvent montrer des retards dans leur développement psychomoteur. Des
troubles au niveau de la coordination et de la motricité fine sont le plus
souvent observés chez les enfants44. Ces troubles seraient associés à des ano-
malies survenant au cours du développement du système nerveux central.
Une hypotonie est observée chez les enfants. Les retards psychomoteurs,
associés aux désordres de la sphère orale, ont un impact sur les capacités
d’élocution et d’articulation.
Au niveau gastro-œsophagien, les personnes porteuses de la délétion
22q11.2 montrent des troubles de la déglutition. Elles sont sujettes au reflux
gastro-œsophagien, à la dysmotilité ainsi qu’à un retard de la vidange gastrique.
Le syndrome de DiGeorge entraîne des malformations conotroncales. La
plupart des malformations sont détectées avant l’âge d’un an, mais certaines
défectuosités peuvent évoluer à bas bruit (notamment une communication
interauriculaire).
La tétralogie de Fallot est présente chez une majorité de personnes porteuses
de la délétion 22q11.2. Elle regroupe une communication interventriculaire,
une obstruction de la voie de sortie du ventricule droit, une racine aortique « à
cheval » sur le septum interventriculaire et une hypertrophie ventriculaire droite.
Les autres anomalies cardiaques dont peuvent souffrir les personnes ayant
le syndrome de DiGeorge sont la communication interventriculaire et l’insuf-
fisance ventriculaire. Elles peuvent également subir des malformations de
l’artère pulmonaire.
Le syndrome entraîne une immunodéficience, qui est liée à l’absence ou
à l’atrophie du thymus45. Des maladies auto-immunes telles que l’hypo- et
l’hyperthyroïdisme, l’arthrite, la thrombopénie idiopathique, les maladies
inflammatoires chroniques de l’intestin et la maladie cœliaque sont repérées.
D’autres pathologies physiques peuvent survenir chez les personnes por-
teuses de la délétion 22q11.2. Il s’agit notamment de scoliose, de pathologies
rénales, d’une polydactylie et d’une hyperlaxité articulaire.
Sur le plan sensoriel, des troubles de l’audition peuvent survenir consé-
quemment à des infections. Une microcéphalie est observée chez 10 % des
personnes ayant le syndrome46.

44 Gerdes M., Solot C., Wang P. P., McDonald-McGinn D. M. & Zackai E. H. (2001). Taking
advantage of early diagnosis: Preschool children with the 22q11.2 deletion. Genetics in
Medecine, 3(1), 40-44.
45 Sullivan K. E. (2001). DiGeorge syndrome/chromosome 22q11.2 deletion syndrome. Cur-
rent Allergy & Asthma Reports. 1, 438-444.
46 Digilio M. C., Marino B., Cappa M., Cambiaso P., Giannotti A. & Dallapiccola B. (2001).
Auxological evaluation in patients with DiGeorge/velocardiofacial syndrome (deletion
22q11.2 syndrome). Genetics in Medecine, 3(1), 30-33.

145
Déficiences intellectuelles

Une hypocalcémie présente dès la naissance est fréquemment observée.


Cette hypocalcémie, qui peut résulter d’anomalies dans le développement et
le fonctionnement de la glande parathyroïde, entraîne des crises épileptiques.
Des anomalies neurologiques ont été observées chez les personnes por-
teuses de la délétion 22q11.2. Le volume total du cerveau est généralement
réduit par rapport à celui des personnes tout-venant. Les volumes des matières
grises et blanches sont également réduits. De même, les lobes frontaux et
pariétaux diffèrent de ceux des personnes ordinaires de par leur volume
et l’absence de symétrie. Ces anomalies sont connectées aux troubles des
apprentissages ainsi que du langage.
Il s’agit notamment d’atrophies corticales et cérébelleuses ainsi que de malfor-
mations au niveau des ventricules47. Le cerveau des personnes ayant le syndrome
de DiGeorge présente des particularités anatomiques semblables à celles des
personnes psychotiques. Il s’agit notamment de la présence de ventricules de
taille inhabituelle et d’un volume moindre de matière grise48. Une réduction
du volume de substance blanche a également été relevée, mais elle semble ne
pas être observable chez toutes les personnes porteuses de la délétion 22q11.249.
Sur le plan cognitif, le syndrome a une répercussion sur l’efficience intellectuelle.
Celle-ci varie de la déficience moyenne à une intelligence dans la norme50. Le QI verbal
serait supérieur au QI performance. Des troubles des apprentissages sont régulière-
ment relevés. Ils sont associés à une distractibilité associée à des troubles de l’attention
ainsi qu’à des déficits dans la résolution de problèmes51.
Sur le plan neuropsychologique, la compréhension verbale est touchée à
des niveaux différents en fonction des individus. Pour certains, les capacités
d’expression et de compréhension sont impactées. Pour d’autres, les compé-
tences verbales, la lecture, la mémorisation des informations lues sont des
points forts. Ces personnes peuvent alors bénéficier de programmes d’appren-
tissage par ordinateur52.

47 Chow E., Watson M., Young D., Weksberg R. & Basset A. S. (1999). Qualitative MRI fin-
dings in adult with 22q11 Deletion Syndrome and Schizophrenia. Biological Psychiatry, 46,
1436-1442.
48 Chow E. W. C., Zipursky R. B., Mikulis D. J. & Bassett A. S. (2002). Structural brain abnor-
malities in patients with Schizophrenia and 22q11 Deltion Syndrome. Biological Psychiatry,
51(3), 208-215.
49 Eliez S., Blasey C. M., Schmitt E. J., White C. D., Hu D. &Reiss A. L. (2001). Velocardiofa-
cial syndrome: Are structural changes in the temporal and mesial temporal regions related
to schizophrenia? American Journal of Psychiatry, 158, 447-453.
50 Swillen A., Vogels A., Devriendt K. &Fryns J. P. (2000). Chromosome 22q11 deletion syn-
drome: Update and review of the clinical features, cognitive-behavioral spectrum, and
psychiatric complications. American Journal of Medical Genetics, 97, 128-135.
51 Shprintzen R. J., Goldberg R. B., Young D., and Wolford L. (1981). The velo-cardio-facial
syndrome: A clinical and genetic analysis. Pediatrics, 67, 167-172.
52 Kok L. L. & Solman R. T. (1995). Velocardiofacial syndrome: Learning difficulties and
intervention. Journal of Medical Genetics, 32, 612-618.

146
Chapitre 10 – Autres syndromes découlant d’anomalies chromosomiques

Pour d’autres personnes porteuses de la délétion 22q11, des difficultés


dans la communication non verbale, dans le raisonnement, les compétences
visuo-spatiales, la mémorisation (notamment au niveau de la mémoire de
travail) et de l’attention ont été observées53.
Les personnes ayant le syndrome de DiGeorge sont vulnérables aux psy-
chopathologies. Les troubles anxio-dépressifs et les addictions (principalement
le mésusage d’alcool) sont le plus souvent relevés54. Certaines présentent des
symptômes psychotiques55, des troubles schizo-affectifs ou un trouble de la
personnalité de type schizotypique56.
Les troubles du comportement peuvent être directement reliés à la labilité
émotionnelle. Des comportements semblables à ceux manifestés dans les TSA
peuvent également être présents57.

8. Le syndrome de Turner
Le syndrome de Turner fait partie des pathologies causées par des anomalies
au niveau du chromosome sexuel X.
Les premières descriptions du syndrome ont été faites par O. Ulrich en
1930, puis H. Turner en 1938. Turner évoque un syndrome d’infantilisme
sexuel accompagné d’une petite stature, d’un cubitus valgus ainsi que d’un
cou à l’aspect palmé58.
En 1959, Ford et son équipe identifient la cause génétique du syndrome
de Turner : l’absence d’un chromosome X59. Cette absence découlerait d’une
erreur au moment de la division des cellules reproductrices. Cette anomalie se
produit de façon aléatoire. Le Syndrome de Turner peut également survenir

53 Swillen A., Vogels A., Devriendt K. &Fryns J. P. (2000). Chromosome 22q11 deletion syn-
drome: Update and review of the clinical features, cognitive-behavioral spectrum, and
psychiatric complications. American Journal of Medical Genetics, 97, 128-135.
54 Goldberg R., Motzkin B., Marion R., Scambler P. J. &Shprintzen R. J. (1993). Velo-cardio-
facial syndrome: A review of 120 patients. American Journal of Medical Genetics, 45,
313-319.
55 Murphy K. C., Jones L. A. &Owen M. J. (1999) High rates of schizophrenia in adults with
velo-cardio-facila syndrome. Archives of General Psychiatry, 56, 940-945.
56 Gothelf D., Frisch A., Munitz H., Rockah R., Laufer N., Mozes T. Hermesh H., Weizman
A. & Frydman M. (1999). Clinical characteristics of schizophrenia associated with velo-
cardio-facial syndorme. Schizophrenia Research, 35: 105-112.
57 Niklasson L., Rasmussen P., Óskarsdóttir S. & Gillberg C. (2001). Neuropsychiatric disor-
ders in the 22q11 deletion syndrome. Genetics in Medecine, 3(1), 79-84.
58 Nora JJ, Sinha AK. (1968). Direct Familial Transmission of the Turner Phenotype. Ameri-
can Journal of Disease Children, 116(4): 343–350.
59 Ford C. E., Jones K. W., Polani P. E., de Almeida J. C. & Briggs J. H. (1959). A sex-chromo-
some syndrome anomaly in a case of gonadal dysgenesis (Turner syndrome). The Lancet,
1, 711-713.

147
Déficiences intellectuelles

chez des femmes ayant deux chromosomes X, mais dont l’un est fortement
altéré.
Le gène responsable de la survenue du syndrome n’a pas encore été iden-
tifié. Il est toutefois possible qu’il s’agisse du gène SHOX placé à l’extrémité
du chromosome X. Ce gène est impliqué dans le développement du squelette
et la croissance des os (principalement ceux des bras et des jambes)60.
Sur le plan physique, à la naissance, les femmes ont un retard staturo-pondéral,
un œdème présent sur le dos de la main et du pied et la présence de plis de peau
au niveau de la nuque. Les autres caractéristiques physiques sont une mâchoire
avec une petite mandibule, des oreilles décollées, des cheveux positionnés très bas
au niveau de la nuque, un pli épicanthique, un palais arqué, un torse large avec
un espace important entre les deux tétons, ainsi que des ongles hyperconvexes.
Le syndrome de Turner peut également être associé à des troubles car-
diaques (notamment des anomalies telles que la dilatation ou la coarctation de
l’aorte qui est un rétrécissement de celle-ci dans sa portion descendante) ainsi
que de l’hypertension61. Des troubles sensoriels peuvent aussi être observés
chez certaines personnes.
Cependant, toutes ces malformations ne sont pas systématiquement
repérées chez les personnes porteuses du syndrome de Turner. Il existe des
formes mosaïques pour lesquelles les anomalies propres au syndrome sont
quasi-absentes62.
La maturation sexuelle ne survient pas à l’entrée dans l’adolescence. Le
niveau bas d’œstrogènes entraîne le non-développement de la poitrine, une
aménorrhée ainsi qu’une infertilité. Toutefois, pour environ 10 % des personnes
porteuses du syndrome, une puberté survient, mais l’insuffisance ovarienne fait
qu’une stérilité s’installe après quelques cycles menstruels. Pour ces quelques
femmes et pour celles ayant recours au don d’ovocyte ou à une assistance médi-
cale à la procréation, une grossesse est physiologiquement possible. Cependant,
le risque de la survenue de complications pendant la grossesse, mettant en péril
aussi bien la vie de la mère que celle du fœtus, est important63.
Les atteintes aux niveaux développemental, social et émotionnel varient
d’un individu à l’autre. Les femmes atteintes du syndrome de Turner présentent

60 Clement-Jones M., Shiller S., Rao E., Blaschke R. J., Zuniga A., Zeller R., Robson S. C.,
Binder G., Glass I., Strachan T., Lindsay S. & Rappold G. A. (2000). The short stature
homebox gene SHOX is involved in skeletal abnormalities in Turner syndrome, Human
Molecular Genetics, 9(5), 695-702.
61 Ho V. B., Bakalov V. K., Cooley M., Van P. L., Hood M. N., Burklow T. R., Bondy C. A.
(2004). Major Vascular Anomalies in Turner Syndrome, Prevalence and Magnetic Reso-
nance Angiographic Features, Circulation, 110, 1694-1700.
62 Cabrol S. (2007). Le syndrome de Turner, Annales d’endocrinologie, 68(1), 2-9.
63 Fénichel P., Letur H. (2008). Procréation et syndrome de Turner : quelles recommanda-
tions avant, pendant et après la grossesse ? Gynécologie Obstétrique & Fertilité, 36(9),
891-897.

148
Chapitre 10 – Autres syndromes découlant d’anomalies chromosomiques

un risque dans l’enfance et l’adolescence de développer des troubles atten-


tionnels et de l’hyperactivité, des troubles anxieux ainsi que des troubles de
la personnalité. Il existerait une corrélation entre les anomalies structurelles
liées au chromosome X et la sévérité des troubles comportementaux64. De
même, les troubles du développement et psycho-comportementaux diffèrent
selon que le chromosome X soit absent ou détérioré et que ce chromosome
provienne de la mère ou du père65.
Sur le plan neurologique, les structures situées au niveau de l’hémisphère
droit sont impactées. Les lobes pariétaux et occipitaux ont un volume amoin-
dri. Les volumes de la matière grise au niveau pariétal postérieur droit, frontal,
occipital, au niveau l’hippocampe ainsi que de l’amygdale sont réduits66.
La métabolisation du glucose serait également déficitaire dans les régions
pariétales et occipitales. Ces anomalies peuvent être reliées aux faibles per-
formances des personnes porteuses du syndrome de Turner aux épreuves
stimulant des capacités visuo-spatiales, d’orientation et de jugement.
Sur le plan cognitif, l’efficience intellectuelle se situe dans la norme67. Le
QI performance semble cependant plus faible que le QI verbal. Cette diffé-
rence peut être expliquée par les faiblesses au niveau du repérage spatial et
des troubles psychomoteurs présentés par les personnes porteuses du syn-
drome. Les incapacités au niveau des apprentissages non verbaux peuvent
être reliées à des dysfonctionnements de l’hémisphère droit68. Des troubles
des apprentissages sont également relevés.
Les relations sociales peuvent être difficiles à appréhender et gérer pour
les personnes porteuses du syndrome de Turner. Ces gênes sont connec-
tées aux troubles psychopathologiques (troubles anxieux, de l’humeur et de
la personnalité) ainsi qu’à une faiblesse dans la discrimination des facies et
affects exprimés par autrui69. Sur le plan neuropsychologique, des déficits

64 Rovet J. & Ireland L. (1994). Behavioral phenotype in children with Turner syndrome,
Journal of Pediatric Psychology, 19, 779-790.
65 Skuse D., Elgar K. & Morris E. (1999). Quality of life in Turner syndrome is related to
chromosomal constitution: Implications for genetic counselling and management, Acta
Paediatrica, 88, 110-113.
66 Kesler S. R., Haberecht M. F., Menon V. Warsofsky L. S., Dyer-Friedman J., Neely
E. K. & Reiss A. L. (2004). Functionnal neuroanatomy of spatial orientation processing in
Turner syndrome, Cerebral Cortex, 14, 174-180.
67 Siegel P. T., Clopper R. & Stabler B. (1998). The psychological consequences of Turner
syndrome and review of the National Cooperative Growth Study psychological substudy,
Pediatrics, 102, 448-491.
68 Semrud-Clikeman, M., & Hynd, G. W. (1990). Right hemisphere dysfunction in nonverbal
learning disabilities: Social, academic, and adaptive functioning in adults and children.
Psychological Bulletin, 107(2), 196-209.
69 Ross J. L., Stefanatos G., Roeltgen D., Kushner H. & Cutler G. B. Jr (1995). Ullrich-Turner
syndrome: Neurodevelopmental chanfes from childhood through adolescence, American
Journal of Medical Genetics, 58, 74-82.

149
Déficiences intellectuelles

de l’attention, de la mémoire à court terme, des fonctions exécutives (dont


la fluence verbale, la planification et la flexibilité) sont relevés. Les troubles
psycho-comportementaux sont directement connectés à ces déficits70.

9. La neurofibromatose de type 1
La neurofibromatose survient après que le gène NF1 (situé sur le chromo-
some 11) ait subi une mutation. Il en résulte une croissance et une
différenciation anormale des cellules et des tissus des systèmes nerveux cen-
traux et périphériques. La neurofibromatose s’accompagne de nombreuses
manifestations cliniques : la peau comporte des tâches, voire des nodules, et
des nodules de Lisch sont observables à la surface de l’iris.
Sur le plan neuropsychologique, les personnes porteuses de la neurofibro-
matose de type 1 présentent des troubles de la mémoire à court terme et de
la mémoire auditive. Les informations verbales sont correctement encodées
tandis que les informations non verbales ne parviennent pas à être stockées.
Les troubles des apprentissages sont relevés chez presque la moitié des
personnes. Des troubles au niveau des interactions sociales, ainsi que des
comportements auto- et hétéro-agressifs sont observés71. Les déficits lan-
gagiers sont modérés. Toutefois, des troubles au niveau de la construction
et de l’expression (articulation) sont repérés. Les D2ficits de l’intégration
visuospatiale sont fréquents.

70 MacCauley E., Kay T., Ito J. & Treder R. (1987). The Turner Syndrome: Cognitive Deficits,
Affective Discrimination, and Behavior Problems, Child Development, 58(2), 464-473.
71 Dalla Piazza S. & Dan B. (2001). Handicaps et déficiences de l’enfant, Bruxelles : De Boeck,
Questions de personnes.

150
Chapitre 11 11

Déficiences liées à l’épilepsie

1. Les épilepsies, données générales


Entre 13 % et 24 % des personnes déficientes intellectuelles souffrent
d’épilepsie1.
Les épilepsies peuvent être classées en trois catégories :
− Les épilepsies symptomatiques sont caractérisées par les lésions céré-
brales observables dont elles découlent et les retards cognitifs qu’elles
entraînent ;
− Les cryptogéniques sont des crises d’épilepsie dont l’étiologie est diffi-
cilement déterminable. Elles peuvent être liées à des atteintes cérébrales
discrètes ;
− L’épilepsie est qualifiée d’idiopathique lorsqu’aucune cause sous-jacente
n’apparaît. Elle peut être reliée à des facteurs génétiques2. L’épilepsie
idiopathique serait responsable de 30 % des épilepsies infantiles.
L’épilepsie interfère avec le développement des fonctions corticales. Les
dommages causés par les crises d’épilepsie sont d’autant plus importants s’ils
surviennent dans les premières années de vie, alors que le réseau neuronal est
en plein développement et qu’il y a une grande concentration de neurones et
de neurotransmetteurs dans des surfaces restreintes.
Si les crises épileptiques se poursuivent pendant le développement, les
connexions entre les aires et la maturation de celles-ci ne pourront s’opérer

1 Deb S. &Joyce J. (1999). Characteristics of epilepsy in a population bases cohort of adults


with learning disability, Irish Journal of Psychological Medicine, 16(1), 5-9.
2 Levav M., Mirsky A. F., Herault J., Xiong L., Amir N. & Andermann E. (2002). Familial
association of neuropsychosocial traits in patients with generalized and partial seizure
disorder, Journal of Clinical and Experimental Neuropsychology, 24, 311-326.

151
Déficiences intellectuelles

de manière optimale. Les fonctions cognitives sous-tendues par ces aires en


pâtiront3.
Les crises d’épilepsie peuvent être partielles ou généralisées. Elles sont
qualifiées de partielles lorsqu’elles sont circonscrites à une région du cerveau.
Ces crises peuvent être « simples » si elles n’affectent pas l’état de conscience,
dans le cas inverse, la crise est qualifiée de complexe.
L’épilepsie généralisée est qualifiée de multifocale lorsque la crise débute
dans des aires cérébrales indépendantes. Les deux hémisphères cérébraux
sont alors impliqués.
Les crises s’accompagnent de manifestations motrices automatiques ou
végétatives, qui permettent d’élaborer une première hypothèse quant aux
zones cérébrales touchées. Les crises sont qualifiées de toniques lorsqu’une
hypertonie de l’axe et des quatre membres est observée. Cette hypertonie
s’accompagne d’une révulsion des yeux ou d’une fixité du regard. Les hypo-
toniques, au contraire, sont définies par un relâchement musculaire et une
courte apnée. Les crises cloniques sont caractérisées par des secousses lentes.
Enfin, les crises myocloniques comprennent des secousses brusques et brèves.
Les spastiques comportent des contractions brusques et soutenues de la mus-
culature axiale pendant une période de temps extrêmement brève.

2. Impacts de l’épilepsie
Les enfants épileptiques présentent des retards de développement, notam-
ment lorsque l’épilepsie survient durant le stade sensorimoteur. La survenue
de crises récurrentes en bas âge constitue le principal facteur de risque de
l’apparition d’une déficience intellectuelle (même si le développement avait
été normal jusque-là). Un seul épisode de status epilepticus (crise convulsive
d’une durée supérieure à 30 minutes) survenant avant l’âge d’un an peut
engendrer des séquelles cognitives qui se manifestent environ trois mois après
la convulsion. Les convulsions fébriles survenant dans la petite enfance (avant
21 mois) peuvent également entraîner des déficits. Cependant, ce retard intel-
lectuel ne s’observe pas systématiquement.
Les facteurs qui risquent d’avoir un effet néfaste sur le développement
cognitif, psychologique et social de l’enfant sont : une apparition précoce de
l’épilepsie, un faible contrôle des crises, la présence de plusieurs types de
crises, la polypharmacologie et la présence de lésions ou de malformations
du système nerveux central.

3 Chiron C. & Jambaqué I. (2001). Cerebral maturation and functionnal imaging. Dans
I. Jambaqué, M. Lassonde & O. Dulac (dir.), Neuropsychology of Childhood Epilepsy
(p. 75-84). New York: Kluver Academic/Plenum Publishers.

152
Chapitre 11 – Déficiences liées à l’épilepsie

Les conséquences sur le développement cognitif de l’enfant diffèrent en


fonction de la gravité des crises. D’autre part, plus l’épisode de status epilep-
ticus survient tardivement, plus le risque de présenter des troubles exécutifs
est important.

3. Les différents syndromes


Le syndrome de Lennox-Gastaut est une encéphalopathie épileptique sévère
de l’enfant entraînant différentes crises épileptiques (absences atypiques,
crises toniques axiales et chutes subites atoniques ou myocloniques). Il peut
provoquer une déficience intellectuelle profonde et des troubles cognitifs
généralisés.
Le syndrome de West, aussi connu sous le nom de spasmes infantiles,
est une forme d’épilepsie du nourrisson pouvant entraîner une régression
des fonctions psychomotrices et cognitives. Comme ce syndrome apparaît
en bas âge (entre 4 et 10 mois, soit pendant la période sensorimotrice), il
affecte toutes les fonctions qui se développent durant cette période4. Ces
nourrissons peuvent ne plus présenter de poursuite oculaire, de préhension,
ou de sourire. De même, le maintien de la tête devient difficile, l’enfant
présente une hypotonie et, dans certains cas, des troubles comportementaux
tels que des stéréotypies. Sur le plan intellectuel, l’impact du syndrome
sur l’efficience est variable. Toutefois, des troubles de l’attention, de la
mémoire et des capacités d’apprentissage sont observés, y compris chez
les personnes dont l’intelligence est dans la norme. Une prise en charge
pluridisciplinaire permet une amélioration des capacités de communication
verbale. Des troubles du langage et des troubles du comportement sont
également observés.
Le syndrome de Landau-Kleffner5 est responsable d’une aphasie acquise.
Ce syndrome survient durant l’enfance et jusqu’à l’âge de 13 ans. Le langage
régresse à la suite d’un désordre convulsif alors que son développement avait
été jusqu’alors normal. Cette régression s’accompagne d’une détérioration
de la compréhension voire d’une agnosie auditive verbale. Cette agnosie est
liée à un trouble de décodage phonologique. L’enfant ne percevant plus les
paroles, il réagit de moins en moins lorsqu’un tiers s’adresse à lui et il peut
même ne plus réagir aux bruits de son environnement.

4 Guzetta F. (2006). Cognitive and Behavioral Outcome in West Syndrome, Epilepsia, 47(2),
49-52.
5 Stefanatos G. (2011). Changing Perspectives on Landau-Kleffner Syndrome, The Clinical
Neuropsychologist, 25(6), 963-988.

153
Déficiences intellectuelles

En dehors des troubles du langage, le syndrome de Landau-Kleffner peut


aussi entraîner des déficits cognitifs ainsi que des troubles psychomoteurs6.
Les troubles du comportement sont également observés. Les régressions
dans l’expression et la compréhension du langage, ainsi que la diminution
des conduites sociales, sont telles qu’il est parfois question de « régres-
sions autistiques7 ». Une intervention chirurgicale peut s’avérer bénéfique
pour la limitation, voire l’arrêt, des crises épileptiques et l’amélioration des
comportements8.
Dans le cas d’épilepsie temporale, la majorité des enfants présentent un QI
dans la norme, mais ils peuvent présenter des troubles spécifiques. Notam-
ment des troubles de la mémoire, ou des difficultés dans la reconnaissance
des visages ainsi que des troubles du langage dans le cas de l’épilepsie tem-
porale gauche. L’épilepsie temporale entraîne également des troubles dans la
régulation des émotions. Ainsi, les personnes peuvent exprimer de la peur,
de la colère, de la joie ou de la tristesse au moment de la crise alors qu’aucun
élément environnemental ou contextuel ne se prête à ces sentiments9. Une
« régression autistique » est également observée. Certains troubles des fonc-
tions exécutives découlent également des épilepsies temporales. Une tendance
à la persévération, des limitations dans la planification et la flexibilité sont
relevées. Ces déficits sont expliqués par le fait que l’activité épileptogène se
diffuserait dans l’ensemble du cerveau. Les déficits exécutifs demeurent moins
importants dans les épilepsies temporales que dans les épilepsies frontales.
Des atteintes des fonctions mnésiques sont également repérées. Elles sont
d’autant plus importantes que les crises sont chroniques10. À long terme, les
personnes ayant une épilepsie temporale seraient plus à risque de développer
des maladies neurodégénératives11.

6 Korkman M., Granström M-L., Appelqvist K. & Liukkonen E. (1998). Neuropsychological


characteristics of five children with the Landau-Kleffner syndrome: Dissociation of
auditory and phonological discrimination, Journal of the International Neuropsychological
Society, 4(6), 566-575.
7 Rapin I. (1995). Autistic regression and disintegrative disorder: How important the role of
epilepsy?, Seminars in Pediatric Neurology, 2(4), 278-285.
8 Neville B. G. R., Harkness W. F. J., Cross J. H., Cass H. C., Burch V. C., Lees J. A. & Taylor
D. C. (1997). Surgical treatment of severe autistic regression in childhood epilepsy, Pedia-
tric Neurology, 16(2), 137-140.
9 Neville B. G. R., Harkness W. F. J., Cross J. H., Cass H. C., Burch V. C., Lees J. A. & Taylor
D. C. (1997). Surgical treatment of severe autistic regression in childhood epilepsy, Pedia-
tric Neurology, 16(2), 137-140.
10 Helmstaedter C., Kurthen M., Lux S., Reuber M. & Elger C. E. (2003). Chronic epilepsy and
cognition: A logitudinal study in temporal lobe epilepsy, Annals of Neurology, 54(4),
425-432.
11 Hermann B. P., Seidenberg M. & Bell B. (2002). The neurodevelopmental impact of child-
hood onset temporal lobe epilepsy on brain structure and function and the risk of progres-
sive cognitive effects, Progress in Brain Research, 135, 429-438.

154
Chapitre 11 – Déficiences liées à l’épilepsie

Des modifications de la personnalité12 sont observées. L’embrasement du


système limbique au cours de la crise épileptique serait la cause de ces modi-
fications. La personne développerait alors une forte labilité émotionnelle,
des comportements obsessionnels, une hypergraphie, une irritabilité et une
impulsivité.
Des conséquences émotionnelles différentes sont observées selon que l’épi-
lepsie temporale touche l’un des deux hémisphères ou bien les deux. Ainsi,
l’agressivité semble plus marquée dans les épilepsies temporales bilatérales13.
Les épilepsies temporales seraient également responsables de la survenue de
symptômes dépressifs.
L’épilepsie frontale a des répercussions directes sur les fonctions exécu-
tives : les personnes montrent alors des difficultés à planifier, à contrôler
leurs impulsions et à coordonner leurs mouvements. Des troubles du langage
(accès limité aux mots), des déficits de l’attention et de la mémoire de travail
(responsable de à la fois du traitement et du maintien des informations à
court terme) sont également relevés.
Les épilepsies frontales survenant dans l’enfance perturbent le dévelop-
pement des fonctions régulatrices des comportements. Elles ont également
un impact négatif sur les fonctions langagières ainsi que sur la mémoire
sémantique. Les désordres cognitifs rejaillissent sur les capacités sociales et
d’apprentissage.
L’épilepsie des lobes pariétaux et occipitaux peut être responsable de
troubles dans le développement cognitif14. Il s’agit notamment de troubles
des apprentissages. L’épilepsie occipitale serait responsable de troubles visuels.
En conclusion, l’épilepsie est une comorbidité à de nombreux syndromes.
L’importance et la fréquence des crises convulsives ont un impact négatif sur
le développement, l’indépendance, l’espérance de vie et le vieillissement15.

12 Nubukpo P., Clément J-P. & Preux P. M. (2003). Conséquences psychopathologiques de


l’épilepsie. À partir de l’analyse de 10 observations, Annales Médico-psychologiques, revue
psychiatrique, 161(4), 272-282.
13 Lambrey S., Adam C., Baulac M. & Dupont S. (2009). Le Syndrome de psychose post-ictale :
une entité clinique à connaître, Revue Neurologique, 165(2), 155-163.
14 Lassonde M. & Jambaque I. (2001). Évaluation neuropsychologique chez l’enfant épilep-
tique, Epilepsies, 13(1), 19-22.
15 Bowley C. & Kerr M. (2000). Epilepsy and intellectual disability, Journal of Intellectual
Disability Research, 44(5), 529-543.

155
Chapitre 12 12

Déficiences intellectuelles
liées à des causes multiples

1. Hydrocéphalie
L’hydrocéphalie est causée par un excès de liquide cérébro-spinal. Bien que
l’hydrocéphalie ne soit pas une entité pathologique, elle est au carrefour de
plusieurs troubles cognitifs.
Deux types d’hydrocéphalie sont distingués : la première est dite
« non-communicante » en raison d’un obstacle observable sur la filière
ventriculaire, la seconde est nommée « communicante », car il n’y a pas
d’obstacle observable.
L’hydrocéphalie peut être aiguë (apparition brutale avec des symptômes
d’hypertension intracrânienne) ou bien chronique (l’apparition est progres-
sive et le patient présente des troubles moteurs, sphinctériens ainsi que des
symptômes démentiels). L’hydrocéphalie a des répercussions sur le cerveau en
cours de développement. Elle entraîne des malformations et réduit le volume
de matière grise et de substance blanche.
Des malformations du système nerveux central et des défauts du tube
neural (notamment lié au spina-bifida) sont à l’origine l’hydrocéphalie.
Une sténose aqueducale peut également être observée chez les personnes
hydrocéphales. De même, chez les grands prématurés, des hémorra-
gies intra-ventriculaires peuvent entraîner une hydrocéphalie. Enfin, la
malformation de Dandy-Walker comprend l’hydrocéphalie parmi ses
symptômes.
L’hydrocéphalie peut également survenir après la naissance, soit pendant
l’enfance, soit à l’âge adulte.
Les symptômes cognitifs sont hétérogènes et leur sévérité varie d’un indi-
vidu à l’autre. L’environnement a une influence positive ou négative sur
Chapitre 12 – Déficiences intellectuelles liées à des causes multiples

le développement de l’enfant. Une étude regroupant 103 enfants suédois1


présentant une hydrocéphalie à la naissance montre que 37 % d’entre eux
présentent une déficience intellectuelle et des troubles des apprentissages.
Des différences significatives sont observées chez les enfants déficients selon
l’étiologie de l’hydrocéphalie. La prématurité, associée à l’hydrocéphalie, a
un impact négatif sur le développement intellectuel. Il en va de même pour
les enfants dont l’hydrocéphalie est associée à un syndrome épileptique. Par
contre, les enfants dont l’hydrocéphalie est associée à un spina bifida myélo-
mélingocèle ont des résultats aux tests d’efficience intellectuelle relativement
meilleurs.
L’hydrocéphalie consécutive au spina bifida myélomélingocèle a un impact
négatif sur le développement cognitif général. Ainsi, les enfants hydrocéphales
montrent des performances plus faibles que les enfants tout-venant aux
épreuves d’évaluation de l’efficience intellectuelle, de la vitesse de traitement,
de la mémoire à court terme, du langage et des apprentissages. Le dévelop-
pement cognitif présente des retards. Dans certains cas, des régressions sont
observées au fil des années2.
Chez les personnes âgées ayant une hydrocéphalie, associée à une pression
intra-crânienne normale, des limitations de l’attention, de la concentration et
des troubles dysexécutifs sont observés. Par contre, les capacités mnésiques
sont préservées3. Toutefois, des personnes hydrocéphales avec une pression
intra-crânienne normale, mais ayant une atrophie de l’hippocampe montrent
des déficits cognitifs (dont des troubles de la mémoire) importants4.
L’hydrocéphalie peut être traitée chirurgicalement grâce à un drain per-
mettant la régulation du fluide. La chirurgie peut être réalisée dès la première
année de vie.
La macrocéphalie peut être causée par une hydrocéphalie.

1 Lindquist B., Carlsson G., Persson E-K., Uvebrant P. (2005). Learning disabilities in a
population-based group of children with hydrocephalus, Acta Paediatrica, Nuturing the
child, 94(7), 878-883.
2 Jacobs R., Northam E., Anderson V. (2001). Cognitive Outcome in Children with Myelo-
meningocele and Perinatal Hydrocephalus: A Longitudinal Perspective, Journal of Develop-
mental and Physical Disabilities, 13(4), 389-405.
3 Ogino A., Kazui H., Miyoshi N., Hashimoto M., Ohkawa S., Tokunaga H., Ikejiri Y.,
Takeda M. (2006). Cognitive Impairment in Patients with Idiopathic Normal Pressure
Hydrocephalus, Dementia and Genetic Cognitive Disorders, 21, 113-119.
4 Golomb J., de Leon M.J., George A.E., Kluger A., Convit A., Rusinek H., de Santi S., Litt A.,
Foo S.H. & Ferris S.H. (1994). Hippocampal atrophy correlates with severe cognitive
impairment in elderly patients with suspected normal pressure hydrocephalus. Journal of
Neurology, Neurosurgery and Psychiatry. 57(5): 590–593.

157
Déficiences intellectuelles

2. Microcéphalie et autres anomalies


cérébrales
La microcéphalie peut être liée à diverses causes, dont certains syndromes tels
que le Cri-du-chat (causé par une délétion du chromosome 5).
La microcéphalie ne constitue pas une entité diagnostic en elle-même.
Elle est souvent une répercussion d’une anomalie génétique (trisomie 18)
ou bien elle est liée à la contraction de maladies pendant la grossesse (par
exemple, le virus Zika, même si la microcéphalie n’est pas systématique-
ment observée5).
Dans les microcéphalies liées à des causes génétiques, la circonférence
occipitofrontale est inférieure à la norme. Dans le cas de la microcéphalie
primaire autosomique récessive, des retards psychomoteurs sont observés.
L’impact sur l’efficience intellectuelle est variable. Plusieurs gènes ont été
identifiés pour la microcéphalie primaire autosomique récessive6. Ceux-ci
sont nommés MCPH et vont de MCPH1 à MCPH6.
Le syndrome d’Edwards7 correspond à la trisomie 18. Ce syndrome est
observé relativement rarement chez les nouveau-nés, la plupart des gros-
sesses se terminant par un avortement spontané. Lorsque la grossesse est
menée à terme, l’espérance de vie est très limitée (de l’ordre de quelques
mois). En complément de la présence de trois chromosomes 18, un sur-
nombre de chromosome X est également observé chez les enfants, peu
importe leur sexe.
La trisomie 18 est responsable des symptômes suivants :
− Troubles du tonus ;
− Troubles de l’oralité ;
− Microcéphalie ;
− Dysmorphies crânio-faciales ;
− Excès de peau au niveau du cou (qui est particulièrement court) ;
− Anomalies des parties génitales ;
− Anomalies des membres inférieurs et supérieurs ;

5 Cauchemez S., Besnard M., Bompard P., Dub T., Guillemette-Arthur P., Eyrolle-Guignot
D., Salje H., Van Kerkhove M., Abadie V., Garel C., Fontanet A. & Mallet H-P. (2016).
Association between Zika virus and microcephaly in French Polynesia, 2013-15: a retros-
pective study, The Lancet, 387(10033), 2125-2132.
6 Trimborn M., Richter R., Sternberg N., Gavvovidis I., Schindler D., Jackson A. P., Prott
E-C., Sperling K. Gillessen-Kaesbach G. & Neitzel H. (2005). The first missense alteration
in the MCPH1 gene causes autosomal recessive microcephaly with an extremely mild
cellular and clinicla phenotype, Human Mutation, Variation, Informatics and Disease,
26(5), 496.
7 Taylor A. I. (1968). Autosomal trisomy syndromes: a detailed study of 27 cases of Edwards’
syndrome and 27 cases of Patau’s syndrome, Journal of Medical Genetics, 5(3), 227-252.

158
Chapitre 12 – Déficiences intellectuelles liées à des causes multiples

− Pathologies consécutives à des malformations viscérales (cœur,


poumons, appareil digestif, etc.) ;
− Déficits sensoriels ;
− Déficience intellectuelle profonde.
Le syndrome de Patau8 est causé par la présence d’un chromosome 13
supplémentaire. Comme pour le syndrome d’Edward, la trisomie 13 est respon-
sable de nombreuses malformations des organes et d’anomalies crânio-faciales.
Des épilepsies peuvent être observées dans les deux syndromes. La survie
de l’enfant porteur du syndrome de Patau est estimée à quelques semaines,
éventuellement quelques mois. Les individus dont la trisomie est due à un
mosaïcisme ont une espérance de vie plus longue9. Le cerveau des enfants
porteurs du syndrome de Patau comporte un nombre réduit de neurones.
Des troubles moteurs et sensoriels, une déficience intellectuelle profonde ainsi
qu’une microcéphalie sont observés.
La lissencéphalie10 est due à un défaut spécifique de migration neuronale
lors de l’embryogenèse. L’une de ses caractéristiques est l’apparence anormale
des circonvolutions du cerveau. La surface du cerveau paraît lisse. Le cortex
est fortement épaissi et montre quatre couches au lieu des six habituelles. La
giration normale du cortex cérébral est absente ou extrêmement réduite. Des
retards développementaux importants sont identifiés.
La lissencéphalie11 est liée à des anomalies au niveau des gènes LIS1 du
chromosome 17p et DCX du chromosome Xq. Ces deux gènes sont des régu-
lateurs des microtubules (ceux-ci sont impliqués dans la division cellulaire
et la régulation de la forme et de la motilité des cellules). L’impact sur l’effi-
cience intellectuelle est variable. Les troubles cognitifs prédominent même si
certaines personnes ont un quotient intellectuel dans la norme12. La lissencé-
phalie est généralement compliquée par des crises d’épilepsie. Toutefois, si
l’épilepsie est observée chez l’ensemble des patients, elle ne se manifeste pas
aux mêmes périodes de la vie.

8 Taylor A. I. (1968). Autosomal trisomy syndromes: a detailed study of 27 cases of Edwards’


syndrome and 27 cases of Patau’s syndrome, Journal of Medical Genetics, 5(3), 227-252.
9 Zoll B., Wolf J., Lensing-Hebben D., Pruggmayer M. & Thorpe B. (1993). Trisomy 13
(Patau syndrome) with an 11-year survival, Clinical Genetics, 43(1), 45-50.
10 Barkovich A. J., Koch T. K. & Carrol C. L. (1991). The spectrum of lissencephaly: Report of
ten patients analyzed by magnetic resonance imaging, Annals of Neurology, 30(2),
139-146.
11 Cardoso C., Leventer R. J., Dowling J. J., Ward H. L., Chung J., Petras K. S., Roseberry J. A.,
Weiss A. M., Das S., Martin C. L., Pilz D. T., Dobyns W. B. & Ledbetter D. H. (2002). Cli-
nical and molecular basis of classical lissencephaly: Mutations in the LIS1 gene (PAFAH1B1),
Human Mutation, Variation, Informatics, adn Disease, 19(1), 4-15.
12 Leventer R. J., Cardoso C., Ledbetter D. H. & Dobyns W. B. (2001). LIS1 Missense muta-
tions cause milder lissencephaly phenotypes including a child with normal IQ, Neurology,
57(3), 416-422.

159
Déficiences intellectuelles

La lissencéphalie associée à des anomalies du chromosome X entraîne un


développement réduit des parties génitales. Les femmes ont généralement
une intelligence dans la norme. Par contre, les hommes montrent des retards
importants. L’épilepsie est fréquemment observée chez ces personnes13.
L’holoprosencéphalie est lié à un défaut de clivage médian du prosencé-
phale (aussi nommé cerveau antérieur ; le prosencéphale est situé au-dessus
du cervelet et est lié à la mémoire, la planification, la déduction et la fabri-
cation) survenant pendant la grossesse. L’holoprosencéphalie est responsable
d’anomalies faciales, d’altérations sensorielles et motrices ainsi que de retards
développementaux. Dans les cas les plus extrêmes, l’holoprosencéphalie cause
des anomalies trop importantes pour la poursuite de la grossesse et la survie
de l’enfant (elle est notamment responsable d’une cyclopie et de la réduction
du cerveau à un seul ventricule). D’autres cas ont été repérés dans lesquels
l’holoprosencéphalie était responsable de dégâts moins importants sur le déve-
loppement cérébral et les manifestations cliniques étaient peu invalidantes14. Il
apparaît que l’importance des symptômes et leur impact invalidant dépendent
des chromosomes et gènes impliqués dans l’anomalie cérébrale15.

3. Maladie de Lesch-Nyhan
La maladie de Lesch-Nyhan est une maladie rare liée à l’accumulation d’acide
urique dans le sang. Le sang s’agglutine en cristaux dans diverses partie du
corps (entre autres, des calculs rénaux). Il s’agit d’une maladie récessive liée
au chromosome X et, plus précisément, à une mutation du gène HPRT-1
survenant sur la région q26-q27 du chromosome. Il en résulte une déficience
de l’enzyme hypoxanthine-guanine phosphoribosyltransferase (HGRT). Cette
enzyme est présente dans toutes les cellules et plus particulièrement celles du
cerveau (notamment des ganglions de la base). Le déficit en HGRT entraîne
une production excessive d’acide urique. Cette surproduction d’acide urique

13 Dobyns W. B., Andermann E., Andermann F., Czapansky-Beilman D., Dubeau F., Dulac
O., Guerrini R., Hirsch B., Ledbetter D. H., Lee N. S., Motte J., Pinard J-M., Radtke R. A.,
Ross M. E., Tampieri D., Walsh C. A. & Truwit C. L. (1996). X-linked malformations of
neuronal migration, Neurology, 47(2), 331-339.
14 Muenke M., Gurrieri F., Bay C., Yi D. H., Collins A. L., Johnson V. P., Hennekam R. C.,
Schaefer G. B., Weik L. & Lubinsky M. S. (1994). Linkage of a human brain malformation,
familial holoprosencephaly, to chromosome 7 and evidence for genetic heterogeneity, Pro-
ceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 91(17),
8102-8106.
15 Piccione M., Serra G., Consiglio V., Di Fiore A., Cavani S., Grasso M., Malacarne M., Pier-
luigi M., Viaggi C. & Corsello G. (2012). 14q13.1-21 deletion encompassing the HPE8 locus
in an adolescent with intellectual disability and bilateral microphthalmia, but without
holoprosencephaly, American Journal of medical genetics, 158A(6), 1427-1433.

160
Chapitre 12 – Déficiences intellectuelles liées à des causes multiples

entraîne des troubles moteurs, des retards de croissance, une anémie ainsi
que les symptômes de la goutte16.
Il a été observé que certaines personnes présentent une déficience en
HGRT, une hyperuricémie ainsi que des troubles neurologiques, sans pour
autant montrer les signes comportementaux ou moteurs propres au syndrome
de Lesch-Nyhan. Cette présentation partielle du syndrome fait que ces per-
sonnes sont porteuses de variantes du syndrome de Lesch-Nyhan.
Des anomalies concernant le développement moteur apparaissent dans les
premiers mois de vie : perte d’équilibre et de tonus, mouvements inadaptés, etc.
L’efficience intellectuelle oscille entre une détérioration légère à moyenne.
Les principaux symptômes sont les comportements auto-agressifs. Ces
troubles sont suffisamment importants et spécifiques pour que Nyhan les
qualifie de « phénotypes comportementaux »17. Les personnes porteuses
du syndrome se mutilent les mains (y compris les doigts), la bouche et
les mucosités buccales. Elles peuvent également frapper leur tête ou leurs
membres contre des surfaces rigides, s’arracher les ongles, frapper leurs yeux
ou être sujettes aux vomissements psychogènes18. Les troubles anxieux, la
tendance à la coprolalie et l’hétéroagressivité sont d’autres signes pouvant se
manifester dans le syndrome de Lesch-Nyhan. Les troubles du mouvement
et les automutilations seraient liés à des anomalies dans la régulation de
la dopamine19.
L’avancée en âge et la maturation font que l’individu peut développer des
stratégies pour réguler ses troubles du comportement. Les comportements
d’automutilation sont maximisés par les troubles psychopathologiques. Ces
derniers devront donc être pris en charge en priorité. La chirurgie dentaire20,
l’utilisation de casques protecteurs ou d’outils de contention font partie des
méthodes employées pour prévenir les automutilations21.
La prise en charge comportementale montre de bons résultats face aux
comportements d’automutilation22. Les techniques d’extinction consistant à

16 Page T. & Nyhan W. L. (1989). The spectrum of HPRT deficiency: An update, Advances in
Experimental Medicine and Biology, 253A, 129-132.
17 Nyhan W. (1972). Behavioural phenotypes in organic genetic disease. Presidential address
to the Society for Pediatric Research, May 1, 1971. Pediatric Research, 6: 1-9
18 Anderson L. & Ernst M. (1994). Self-injury in Lesch-Nyhan disease, Journal of Autism and
Developmental Disorders, 24, 67-81.
19 Harris J. (1998). Lesch-Nyhan disease. Dans J. Harris (dir.), Assessment, diagnosis and
treatment of developmental disorders (pp. 306-318). Oxford University Press, New York.
20 Rodrigues Silva D. & da Fonseca M. A. (2003). Self-injurious behavior as a challenge for the
dental practice: a case report, Pediatric Dentistry, 25(1), 62-66.
21 Ball T. S., Datta P. C., Rios M. & Constantine C. (1985), Flexible arm splints in the control
of a Lesch-Nyhan victim’s finger biting and a profoundly retarded client’s finger sucking,
Journal of Autism and Developmental Disorders, 15, 177-184.
22 Romer M., Dougherty N. & Fruchter M. (1998). Alternative therapies in the treatment of
oral self-injurious behavior: a case report, Special Care in Dentistry, 18, 66-69.

161
Déficiences intellectuelles

ne pas fournir de réponse aux comportements problématiques et le renfor-


cement positif des conduites adaptées sont efficaces. A contrario, l’emploi de
méthodes punitives augmente la survenue du stress et par conséquent des
troubles du comportement.

4. Causes prénatales
La toxoplasmose est une infection causée par un protozoaire. Inoffensive
pour l’adulte, elle provoque une inflammation de la rétine, une calcifica-
tion cérébrale, un accroissement du tonus musculaire ainsi que des troubles
neurologiques.
La rubéole, contractée au cours de la grossesse, provoque des troubles
sensoriels (notamment de l’audition et de la vue), des troubles de la croissance
et des lésions osseuses.
Une incompatibilité des rhésus sanguins entre une mère à rhésus négatif
et un enfant à rhésus positif entraîne chez le fœtus des lésions neurologiques
(entre autres, au niveau des ganglions de la base).
Les maladies liées aux cytomégalovirus (herpès, varicelle, zona, virus
Epstein-Barr, etc.), ainsi que les maladies sexuellement transmissibles telles
que la chlamydia, la syphilis ou le VIH/SIDA entraînent des troubles neuro-
logiques, des handicaps sensoriels et une mortalité néonatale.
La malnutrition pendant la grossesse peut être responsable d’un retard de
croissance in utero et d’un faible poids de naissance. Elle a un impact sur le
risque de mort néonatale, des troubles neurologiques ainsi que des troubles
cognitifs et des apprentissages23.

5. Spina bifida
Le spina bifida correspond à une ouverture dorsale (postérieure) des
vertèbres associée à une atteinte plus ou moins prononcée de la moelle
épinière. L’étiologie du spina bifida est multiple. La déficience en acide
folique pendant la grossesse apparaît comme un des facteurs responsables
du spina bifida.
Le spina bifida peut être repéré avant ou juste après la naissance. Il entraîne
presque systématiquement des troubles moteurs, sphinctériens, ainsi que des
anomalies orthopédiques. Plus la lésion est située à un point élevé de la moelle,

23 Abu-Saad, K. & Fraser, D. (2010). Maternal nutrition and birth outcomes. Epidemiologic
Reviews, 32, pp. 5-25

162
Chapitre 12 – Déficiences intellectuelles liées à des causes multiples

plus les déficits seront importants24. Ainsi, une lésion à un point élevé entraîne
des malformations cérébrales importantes et conduit à une efficience intel-
lectuelle restreinte.
Les enfants avec un spina bifida au niveau lombaire et sacré montrent des
performances langagières efficientes. Par contre, ils ont des capacités percep-
tives et motrices limitées25.
Les enfants ayant un spina bifida ont des capacités de compréhension et
d’expression langagière hétérogènes. Ils peuvent comprendre et employer
des mots seuls sans être capables de les reconnaître lorsqu’ils sont parmi un
groupe de mots, de les utiliser dans des phrases ou de comprendre un texte
lu26. De même, ils montrent des compétences faibles en mathématiques et
en écriture. Ainsi, les jeunes enfants échouent à comprendre les concepts de
correspondance ou à utiliser le comptage manuel. Ce déficit est directement
lié aux troubles moteurs et perceptifs qui limitent le jeune enfant dans la
découverte de son environnement et ses premières expérimentations. Par
la suite, les capacités de l’enfant à retenir et résoudre des problèmes sont
perturbées par les troubles de la mémoire de travail27.
Au niveau neuropsychologique, la mémoire de travail, l’attention, les fonc-
tions exécutives sont touchées. Toutefois, les déficits varient d’un individu à
l’autre et peuvent même varier chez une même personne. Ensuite, les fonc-
tions cognitives étant connectées entre elles et dépendantes des compétences
psychomotrices, l’atteinte de l’un de ces éléments rejaillira sur l’ensemble.
Ainsi, les enfants ayant des atteintes au niveau du cervelet ont des capacités
perceptives limitées. Ils possèdent également des capacités de mémoire de
travail restreintes. Leur possibilité à prédire les conséquences de leurs actes sur
l’environnement sera moindre. En conséquence, ils auront des scores faibles
aux épreuves de discriminations visuelles ou de motricité avec des contraintes
temporelles28. Les enfants ayant un spina-bifida peuvent également présenter
un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité.
La mortalité parmi les personnes ayant un spina bifida reste importante.
Les principales causes de décès sont les troubles cardiaques, rénaux, les

24 Fletcher J. M., Copeland K., Frederick J. A., Blaser S. E., Kramer L. A., Northrup H. et al.
(2005). Spinal lesion level in spina bifida: a source of neural and cognitive heterogeneity,
Journal of Neruosurgery, 102, 268-279.
25 Dennis M., Fitz C.R., Netley C.T., Sugar J., Harwood-Nash D.C., Hendrick E.B., et al.
(1981). The intelligence of hydrocephalic children. Archives of Neurology. 38, 607–615.
26 Fletcher J. M., Barnes M. A. & Dennis M. (2002). Language development in children with
spina bifida, Seminars in Pediatric Neurology, 9(3), 201-208.
27 English L., Barnes M.A., Taylor H.B. & Landry S.H. (2009). Mathematical development in
spina bifida. Developmental Disabilities Research Review, 15, 28–34.
28 Dennis M., Edelstein K, Hetherington R., Copeland K., Frederick J., Blaser S. E. et al.
(2004). Neurobiology of perceptual and motor timing in children with spina bifida in rela-
tion to cerebellar volume, Brain, 127(6), 1292-1301.

163
Déficiences intellectuelles

complications survenant pendant les procédures chirurgicales pour pallier


au spina bifida ou sont liées à des comorbidités neurologiques (comme
l’épilepsie)29.
À l’âge adulte, certaines caractéristiques cognitives observées dans l’enfance
se maintiennent. Ainsi, les évaluations de l’efficience intellectuelle réalisées
chez des enfants30 et des adultes avec un spina bifida montrent toutes un QI
verbal supérieur à un QI performance31. Les troubles de la mémoire semblent
s’accentuer avec l’avancée en âge.
Outre les éléments physiologiques et cognitifs, le développement des
enfants ayant un spina bifida dépend étroitement de l’environnement dans
lequel ils vivent. Ainsi, les enfants d’origine hispanique avec un spina bifida
vivant aux États-Unis dans des milieux économiquement et socialement
précaires montrent une efficience intellectuelle et des capacités langagières
moindres que ceux d’origine anglo-saxonne issus de la classe moyenne32.
Il est donc primordial d’associer les parents à la prise en charge de
leur enfant. Ils doivent être encouragés à stimuler l’enfant tant au niveau
moteur, langagier que psychosocial. Ces stimulations peuvent être faites
via des jeux simples (répondre aux vocalises de l’enfant, placer des jouets
attractifs à proximité de lui, mais à une distance suffisante pour qu’il soit
obligé de faire des mouvements pour les atteindre, offrir la possibilité à
l’enfant d’interagir avec des pairs tout-venant, etc.). Concernant les troubles
des apprentissages, il est important de connaître les caractéristiques phy-
siques, cognitives et neuropsychologiques de l’enfant et de s’appuyer sur
ses compétences. Celles-ci auront un « effet levier » pour la prise en charge
des déficits. L’éducateur doit privilégier l’apprentissage verbal, suivant un
programme progressif avec des tâches concrètes et organisées. L’apprentis-
sage avec des pairs est important. Aux enseignements scolaires est associé
l’apprentissage de stratégies d’auto-régulation et de résolution de problèmes.
Les enfants ayant un spina bifida ont des capacités de généralisation faibles.
Par conséquent, le thérapeute doit également intégrer des applications pra-
tiques aux exercices théoriques33.

29 McDonnell G.V. & McCann J.P. (2000). Why do adults with spina bifida and hydrocepha-
lus die? A clinic-based study. European Journal of Pediatric Surgery, 10(1), 31–32.
30 Anderson E. M. (1973). Cognitive deficits in children with spina bifida and hydrocephalus:
a review of the literature, British Journal of Educational Psychology, 43(3), 257-268.
31 Roach J.W., Short B.F. & Saltzman H.M. (2011). Adult consequences of spina bifida: a
cohort study, Clinical Orthopaedics and Related Research, 469(5), 1246–1252
32 Swartwout M.D., Garnaat S.L., Myszka K.A., Fletcher J.M., Dennis M. (2010). Associations
of ethnicity and SES with IQ and achievement in spina bifida meningomyelocele. Journal
of Pediatric Psychology, 35(9): 927–936.
33 Fletcher J. M., Lyon G. R., Fuchs L. S. & Barnes M. A. (2006). Learning disabilities: From
identification to intervention, New York: Guilford Press.

164
Chapitre 12 – Déficiences intellectuelles liées à des causes multiples

6. Prise de toxiques pendant la grossesse


et syndrome d’alcoolisation fœtale
La prise de toxiques et de certains médicaments (ainsi que la mauvaise gestion
du diabète et des médications associées) entrainent des malformations, des
troubles cardiovasculaires et respiratoires, un retard de croissance intra-utérin,
la mort fœtale in utero, des fausses couches et une prématurité ainsi que des
retards de développements.
L’exposition aux drogues entraîne une réduction du périmètre crânien, un
faible poids de naissance, des troubles du comportement, des déficits neuro-
psychologiques (mémoire, attention, compréhension verbale, communication)
et des troubles des apprentissages.
Le syndrome d’alcoolisation fœtale est décrit pour la première fois en 1968
par Lemoine et ses collègues. Ils étudient les répercussions de l’alcoolisation
maternelle sur 127 enfants. Ils repèrent plusieurs malformations et troubles
du développement34.
Les répercussions de l’alcool sur le développement du fœtus diffèrent
d’un individu à l’autre. Tout d’abord, l’absorption de l’alcool n’est pas la
même d’une femme à l’autre. Pour des expositions à l’alcool équivalentes,
des jumeaux dizygotes sont touchés différemment. Par contre, les jumeaux
monozygotes montrent des déficits équivalents au niveau du développement
général et de l’efficience intellectuelle35.
Sur le plan physique, l’intoxication à l’alcool entraîne un retard de crois-
sance intra-utérin, une microcéphalie, une hypotonie, des troubles de la
coordination, des déficits sensoriels et des anomalies cardiaques. Les enfants
ayant le syndrome d’alcoolisation fœtale présentent des traits caractéristiques :
front bas et bombé, arcades sourcilières aplaties, fentes palpébrales rétrécies,
fentes oculaires étroites avec un épicanthus, un hypertélorisme, un nez court
en trompette avec une hypoplasie de l’os, une atrésie des choanes, une lèvre
supérieure mince et convexe, un menton petit et fuyant, des oreilles basses
et décollées.
L’alcool a un impact toxique direct et indirect sur le développement
neuronal. Le développement de l’hippocampe, du corps calleux ainsi que
la séparation des deux hémisphères cérébraux peuvent être incomplets. Un
spina bifida peut également être observé. L’éthanol conduit à l’hypoplasie
des ganglions de la base et à la mort cellulaire, notamment dans la région
du lobe frontal. Ces éléments entraînent des déficits des grandes fonctions

34 Lemoine P., Harrousseau H., Borteryu J. P. & Menuet J. C. (1968). Les enfants de parents
alcooliques : Anomalies observées à propos de 127 cas, Question Médicale, 21, 476-482.
35 Streissguth A. P., Bookstein F. L., Barr H. M., Sampson P. D., O’Malley K. & Young J. K.
(2004). Risk factors for adverse life outcomes in fetal alcohol syndrome and fetal alcohol
effects, Journal of Developmental and Behavioral Pediatrics, 25, 228-238.

165
Déficiences intellectuelles

cognitives et de la régulation émotionnelle. L’efficience intellectuelle se situe


à la limite inférieure de la norme.
Sur les plans cognitifs et neuropsychologiques, les capacités d’attention, de
concentration et de mémorisation sont déficitaires. L’abstraction, le jugement,
le raisonnement, la planification ainsi que la généralisation sont également
perturbés. Une impulsivité importante ainsi qu’une hyperactivité entraînent
des troubles des conduites.
Les enfants atteints du syndrome d’alcoolisation fœtale, en raison de leurs
troubles neuro-développementaux associés à un environnement insécure lié à
la prise de toxiques par leurs parents, ont un risque accru d’être victimes de
maltraitances et de souffrir de psychopathologies (notamment des troubles
anxieux)36. De même, les potentielles carences éducatives et les difficultés
pour ces enfants à relier les actions et leurs conséquences entravent la pos-
sibilité d’effectuer des jugements « moraux » et donc entraînent l’apparition
de comportements jugés antisociaux37.

7. Causes péri- et post-natales


Une prématurité importante, une asphyxie, une hémorragie, une jaunisse,
l’hypoglycémie et l’épilepsie sont responsables de la survenue de troubles
neurologiques.
La grande prématurité (naissance avant la 32e semaine d’aménorrhée)
est un facteur de risque accru de déficience intellectuelle, de troubles des
apprentissages, de troubles dysexécutifs ainsi que de troubles sensorimoteurs
et visuospatiaux38. Entre 6 % et 24 % des grands prématurés présentent un
trouble neuromoteur ou sensoriel39.
Les déficits peuvent être reliés à des séquelles de lésions cérébrales précoces,
notamment des leucomalacies périventriculaires, des atrophies cérébrales, des

36 Chokroborty-Hoque A., Alberry B., Singh S. M. (2014). Exploring the Complexity of Intel-
lectual Disability in Fetal Alcohol Spectrum Disorders, Frontiers in Pediatrics, 2, 90, doi:
10.3389/fped.2014.00090
37 Streissguth A.P., Barr H.M., Kogan J. & Bookstein F. L. (1996). Understanding the Occur-
rence of Secondary Disabilities in Clients with Fetal Alcohol Syndrome (FAS) and Fetal
Alcohol Effects (FAE), Final Report to the Centers for Disease Control and Prevention
(CDC), August, 1996, Seattle: University of Washington, Fetal Alcohol & Drug Unit, Tech.
Rep. No. 96-06.
38 Johnson S., Strauss V., Gilmore C., Jaekel J., Marlow N. & Wolke D. (2016). Learning disa-
bilities among extremely preterm children without neurosensory impairment : Comorbi-
dity, neuropsychological profiles and scholastic outcomes, Early Human Development, 103,
69-75.
39 Kitchen W. H., Rickards A. L., Lissenden J. V. & Ryan M. M. (1986). Children of bir-
thweight < 1000g: Changing outcome between ages 2 and 5 years. Journal of Pediatrics, 110,
283-288.

166
Chapitre 12 – Déficiences intellectuelles liées à des causes multiples

dilatations ventriculaires, des lésions hémorragiques et hypoxo-ischémqiues40.


Toutefois, certaines séquelles ne sont pas détectées en période néonatale et
le nourrisson paraît indemne de lésions cérébrales précoces. Des troubles
neuropsychologiques et/ou des apprentissages peuvent toutefois apparaître
au cours du développement chez ces jeunes enfants.
Les déficits cognitifs observés chez les grands prématurés touchent l’inté-
gration visuomotrice, le raisonnement et la compréhension41. Les troubles
de l’attention, des habilités spatiales et visuelles sont également relevés.
Les troubles des apprentissages se manifestent indépendamment du quo-
tient intellectuel des enfants anciens prématurés42. En revanche, ils montrent
des déficits au niveau de l’attention et de la mémoire de travail43. Ces
limitations se manifestent principalement au niveau spatial et surviennent
indépendamment du quotient intellectuel. Toutefois, les enfants sont capables
de mettre en place des stratégies pour compenser leurs déficits.
L’anoxie cérébrale désigne la privation d’oxygène. Elle peut survenir suite
à des complications lors de la naissance ou suite à un arrêt cardiaque. Elle
conduit à des dommages, voire à la mort des cellules. L’anoxie a un impact
négatif sur le lobe temporal et l’hippocampe. Elle a également un effet délétère
sur les ganglions de la base. Par conséquent, les répercussions neuropsycholo-
giques de l’anoxie sont principalement les troubles mnésiques (principalement
atteinte de la mémoire antéro et rétrograde, trouble de la mémoire diffé-
rée et de la mémoire de travail ; une désorientation temporo-spatiale peut
également survenir) ainsi que le syndrome dysexécutif avec des troubles du
comportement. L’efficience intellectuelle est également liée à l’atteinte céré-
brale anoxique. Chez les personnes adultes ayant subi une anoxie, les scores
aux tests cognitifs sont généralement inférieurs à ceux attendus, y compris
pour ceux ayant eu des atteintes légères. Dans les cas les plus sévères, le patient
se retrouve dans un état de dépendance complet.
L’asphyxie, quant à elle, est un manque d’oxygène. Elle peut être plus sou-
daine et sévère que l’anoxie. Le manque d’oxygène se repère au moment du
test d’Agpar (par exemple, peau d’aspect bleuté, pouls et respiration faibles).
Le manque d’oxygène et de circulation sanguine dans le cerveau risque
d’entraîner une encéphalopathie hypoxique-ischémique. L’encéphalopathie

40 Saliba E. (2015). Lésions cérébrales du nouveau-né prématuré, Contraste, 1(41), 85-105.


41 Saigal S., Szatmari P., Rosenbaum P., Campbell D. & King S. (1991). Cognitive abilities and
school performance of extremely low birth weight children and matched term control
children at age 8 years: A regional study, The Journal of Pediatrics, 118(5), 751-760.
42 Saigal S., Szatmari P., Rosenbaum P., Campbell D. & King S. (1991). Cognitive abilities and
school performance of extremely low birth weight children and matched term control
children at age 8 years: A regional study, The Journal of Pediatrics, 118(5), 751-760.
43 Vicari, S., Caravale, B., Carlesimo, G. A., Casadei, A. M., & Allemand, F. (2004). Spatial
Working Memory Deficits in Children at Ages 3-4 Who Were Low Birth Weight, Preterm
Infants. Neuropsychology, 18(4), 673-678.

167
Déficiences intellectuelles

hypoxique-ischémique a un impact négatif sur le fonctionnement neu-


rologique, les capacités respiratoires et de déglutition et le maintien de la
température corporelle. Elle est aussi liée à un risque de convulsions.
Les troubles métaboliques (comme le syndrome de Tay Sachs, la phényl-
cétonurie, l’hypothyroïdisme) entraînent des troubles développementaux et
des troubles neurologiques.
L’empoisonnement au plomb et au mercure affecte le développement
cognitif de l’enfant. Les troubles comportementaux, neurologiques et neuro-
psychologiques (notamment au niveau de l’attention), les déficits sensoriels
sont également des conséquences de l’empoisonnement au plomb et au
mercure. Les dommages sont irréversibles.

8. Négligences et maltraitances
Les comportements maltraitants ont été divisés en quatre catégories par
Trocmé44 et ses collègues. Ces catégories sont les négligences (non-reconnais-
sance et absence de réponse aux besoins de l’enfant), les violences physiques
et sexuelles ainsi que la violence psychologique.
Le retard de croissance d’origine non organique fait partie des consé-
quences de la maltraitance. Dans ce cas, un arrêt de croissance survient sans
qu’aucune cause organique ne soit trouvée. Le développement intellectuel est
amoindri chez les enfants victimes de maltraitances45. Ces enfants montrent
également des troubles du langage expressif.
Les mauvais traitements n’entraînent pas systématiquement des déficits
de l’efficience intellectuelle. Par contre, ils ont des répercussions sur le déve-
loppement affectif, moteur et neuropsychologique. Les enfants ayant vécu
des maltraitances physiques et des négligences sans atteintes physiques ont
une dextérité manuelle amoindrie comparativement à celle des enfants ne
partageant pas leur vécu traumatique. Les enfants maltraités montrent une
attention amoindrie. Il existe cependant des différences entre les enfants vic-
times de négligences et ceux ayant subi des abus physiques. Les premiers ont
des capacités faibles en attention auditive et visuelle tandis que les seconds
ont des capacités d’attention visuelle dans la norme46.

44 Trocmé N. M., MacLaurin B. J., Fallon B. A., Daciuk J. F., Billingsley D. A., Tourigny M.,
Mayer M., Wright J., Barter K., Burford G., Hornick J., Sullivan R. & McKenzie B. (2001).
Canadian Incidence Study of Reported Child Abuse and Neglect, Ottawa: Public Works and
Government Services Canada.
45 Barahal R. M., Watermen J. & Martin H. P. (1981). The social cognitive development of
abused children, Journal of Counsulting and Clinical Psychology, 49, 508-516.
46 Nolin P. (2004). Neuropsychologie et étude de la maltraitance, Dans P. Nolin & J-P. Lau-
rent (dir.) Neuropsychologie, Cognition et développement de l’enfant (pp.235-270). Sainte-
Foy : Canada, Presse de l’université du Québec.

168
Chapitre 12 – Déficiences intellectuelles liées à des causes multiples

La mémoire et les capacités d’apprentissage sont également touchées. Les


enfants victimes ayant des empans visuels, visuospatiaux et verbaux limités. De
même, les fonctions visuographiques sont touchées. Les capacités langagières
et de compréhension des informations verbales sont également déficitaires.
Au niveau des fonctions exécutives, seule la planification semble limitée.
Les troubles observés peuvent être des conséquences des mauvais traite-
ments (par exemple, traumatisme crânien suite à des violences). Ils peuvent
également être reliés aux impacts psychologiques des abus. Ainsi, l’exposi-
tion continuelle au stress perturbe le développement cérébral et entraîne des
dysfonctionnements des capacités mnésiques, attentionnelles et des fonctions
exécutives.
Les blessures provoquées par de mauvais traitements peuvent avoir des
conséquences irrémédiables. Blessures portées au crâne, œdème cérébral,
hématome et thrombose survenant de manière accidentelle ou volontaire
endommagent le cerveau.
Dans le cas des bébés secoués et du syndrome de Silverman-Tardieu, des
lésions osseuses multiples sont provoquées.
Il apparaît que les enfants déficients intellectuels ont un risque plus élevé
d’être victimes de maltraitances, qui ont des conséquences sur le développe-
ment de l’enfant et aggravent le handicap47.
Les mauvais traitements participent également à la constitution d’une
estime de soi basse ainsi qu’à un sentiment d’impuissance qui peut se géné-
raliser à l’ensemble des éléments de vie.

9. Méningites et traumatismes crâniens


La méningite peut être d’origine infectieuse ou réactionnelle à un autre pro-
blème infectieux. Parfois, elle apparaît sans cause infectieuse. Dans le cas
de la méningite, le handicap associé à l’infection comprend, entre autres,
des troubles neuropsychologiques permanents et une déficience auditive.
Les méningites bactériennes restent une cause importante de mortalité et de
séquelles neurologiques et sensorielles.
Les traumatismes cérébraux crâniens font partie des principales causes
des syndromes dysexécutifs. Bien que le lobe frontal, et plus spécifiquement
le cortex préfrontal, soient les structures associées aux fonctions exécutives,
des syndromes dysexécutifs peuvent se manifester sans qu’une lésion dans
cette région soit repérée. Ce syndrome peut survenir consécutivement à des
lésions diffuses de la substance blanche.

47 Hershkowitz I., Lamb M. E. & Horowitz D. (2007). Victimization of children with disabi-
lities. American Journal of Orthopsychiatry, 77(4), 629-635.

169
Déficiences intellectuelles

Des lésions frontales et pariétales sont responsables de troubles dans la


vitesse de traitement des informations, de l’attention sélective, de l’attention
soutenue, de l’exploration visuelle ainsi que des fonctions mnésiques.
Plus le traumatisme crânien survient tôt, plus les séquelles sont importantes
malgré la plasticité cérébrale. Les traumatismes crâniens entraînent des hémor-
ragies cérébrales (hématomes sousduraux, hémorragies sous-arachnoïdiennes,
contusions corticales), des lacérations et des lésions cérébrales, voire des
œdèmes ainsi que des nécroses.
Les traumatismes crâniens peuvent évoluer. Une amélioration est observée
si le patient bénéficie d’une prise en charge rééducative dans les six mois
suivant l’accident. Cependant, même dans les formes mineures, des troubles
apparaissent (il s’agit notamment de déficits attentionnels et des fonctions
exécutives, de la mémoire de travail pouvant être accompagnée d’une amnésie
rétrograde et antérograde plus ou moins transitoire).
Dans ses formes les plus sévères, le traumatisme crânien peut entraîner
des déficits mnésiques et attentionnels, des atteintes des fonctions cognitives
(raisonnement, vitesse de traitement, résolution de problèmes), des troubles
instrumentaux et des fonctions visuoconstrives, des limitations du langage
(expression et compréhension) pouvant aller jusqu’au mutisme ainsi que des
troubles du comportement. Un syndrome démentiel frontal peut être observé
après un traumatisme crânien.
Les traumatismes crâniens ont un impact sur la personnalité et sont res-
ponsables de difficultés d’adaptation sociales, familiales et scolaires. Irritabilité,
impulsivité, hyperactivité, troubles du jugement et de l’humeur et conduites
agressives sont relevés. Des attitudes régressives (par exemple, une énurésie)
et des troubles du sommeil sont retrouvés.

10. Infirmité motrice cérébrale


L’infirmité motrice cérébrale (IMOC) est liée à des lésions cérébrales surve-
nant avant ou pendant la naissance48. Elle n’est pas évolutive.
Les troubles et leurs conséquences sur le développement dépendent de
la localisation et de l’étendue des lésions. Ainsi, la plasticité cérébrale peut
compenser des défaillances très localisées. Les déficits sont alors isolés.
La maladie de Little survient chez les prématurés ayant une leucomala-
cie périventriculaire cavitaire. Elle comporte, entre autres, une diplégie, des
troubles visuomoteurs, des troubles de l’attention visuelle et une dyspraxie. De
ces déficits découlent des difficultés dans les apprentissages (lecture, géométrie

48 Boog G. (2010). Asphyxie périnatale et infirmité motrice d’origine cérébrale (I- Le diagnos-
tic), Gynécologie Obstétrique & Fertilité, 38(4), 261-277.

170
Chapitre 12 – Déficiences intellectuelles liées à des causes multiples

et toutes les matières mettant en jeu la vue, la graphie et le contrôle moteur


d’une manière générale). Toutefois, des stratégies de compensation peuvent
être proposées via la médiation verbale49. Le raisonnement par analogie ou
par déduction, ainsi que l’organisation conceptuelle font partie des méthodes
de compensation.
Ainsi, Tardieu décrit des enfants, dont les infirmités ne touchent que la
sphère motrice, l’intelligence étant préservée50. Les troubles moteurs varient,
allant de la diplégie spastique à la tétraplégie.
L’épilepsie fait également partie des comorbidités régulièrement observées.
Les personnes ayant une IMOC présentent des troubles sensoriels et gno-
siques. Des déficits des fonctions verbales et non verbales sont aussi relevés.
Les IMOC sont réparties en différentes formes selon l’importance des limita-
tions motrices qu’elles entraînent (spastiques, dyskinétiques ou ataxiques, etc.).
Les atteintes motrices peuvent entraîner des troubles instrumentaux.
Il existe de grandes différences interindividuelles. Certaines personnes
ayant une IMOC ont une intelligence dans la norme et d’autres des déficits
cognitifs. Des troubles des apprentissages51 peuvent être observés, y compris
dans le cas où l’efficience intellectuelle est préservée.

49 Zabalia M. & Mazingue A. (2004). Pensée conceptuelle et troubles visuels chez l’enfant
atteint d’infirmité motrice cérébrale, A.N.A.E., 80, 375-380.
50 Tardieu G. (1968). Le dossier clinique de l’infirmité motrice cérébrale. Méthode d’évalua-
tion et applications thérapeutiques, Revue de Neuropsychiatrie Infantile, 16, 6-90.
51 Cuvellier J. C., Pandit F., Casalis S., Lemaître M. P., Cuisset J. M., Platof A. & Vallée L.
(2004). Analyse d’une population de 100 enfants adressés pour troubles d’apprentissage
scolaire, Archives de Pédiatrie, 11(3), 201-206.

171
Chapitre 13 13

Aspects psychopathologiques
et double diagnostic

La notion de « double diagnostic » (c’est-à-dire l’association des diagnostics


de déficience intellectuelle et de troubles psychiatriques) est relativement
récente.
Elle est apparue il y a une vingtaine d’années en Amérique du Nord.
Auparavant, la déficience était considérée comme un facteur de protection
contre les psychopathologies et il était considéré qu’une personne en situation
de handicap ne pouvait pas présenter d’autres troubles.
Nous avons dû opérer des choix dans les psychopathologies que nous
traiterions dans le présent ouvrage : nous avons finalement décidé d’évoquer
les troubles les plus fréquemment présentés par les personnes déficientes intel-
lectuelles1. Nous souhaitions également évoquer les psychopathologies ayant
fait l’objet de prises en charge thérapeutiques adaptées pour les personnes
en situation de handicap.
Nous présentons les adaptations des diagnostics traditionnels réalisées
par la NADD. Leur manuel n’est pas encore traduit en français, ce qui est
problématique, car il s’agit d’un outil essentiel pour les professionnels pour
comprendre les troubles psychiatriques et leurs manifestations spécifiques
chez les personnes déficientes intellectuelles.
La pose des diagnostics de troubles psychiatriques pour les personnes défi-
cientes intellectuelles est complexe pour plusieurs raisons.
− Les différences phénoménologiques qui existent entre les symptômes
des personnes déficientes intellectuelles et ceux des personnes ordi-
naires. Par exemple, les adultes déficients intellectuels se montrent

1 Fletcher R., Loschen E., Stavrakaki C. & First M. (Ed.) Diagnostic Manual-Intellectual Disa-
bility: A Clinical Guide for Diagnosis of Mental Disorders in Persons with Intellectual
Disability (DM-ID), New York: NADD press.
Chapitre 13 – Aspects psychopathologiques et double diagnostic

plus irritables et présentent davantage de comportements disrup-


tifs ou inadaptés socialement que les adultes ordinaires 2. Plusieurs
troubles psychiatriques impliquent des changements au niveau des
comportements alimentaires (perte ou augmentation de l’appétit dans
la dépression et les troubles des conduites alimentaires). Ces change-
ments peuvent être difficiles à repérer chez des personnes déficientes
intellectuelles pour qui les troubles des conduites alimentaires font
partie intégrante de la symptomatologie3. Les symptômes cognitifs
liés aux psychopathologies (désespoir, idées noires, culpabilité, etc.)
peuvent être difficiles à évaluer chez les personnes ayant une défi-
cience sévère4. De plus, chez les personnes déficientes intellectuelles,
les symptômes dépressifs peuvent cohabiter ou entraîner des troubles
anxieux5. Par conséquent, des symptômes tels que la recherche d’at-
tention, les comportements ritualisés, les comportements de type
« attaque/fuite », les réactions de paniques et les expressions de peur
devraient aussi bien orienter un diagnostic de dépression que de
trouble anxieux.
− Les déficits sur le plan développemental entraînent des variations au
niveau de la symptomatologie. Les personnes déficientes intellectuelles
ont un répertoire comportemental et cognitif limité. Ces limitations
peuvent résulter de déficits de leur système nerveux central6, ainsi que
de déficits au niveau des fonctions exécutives7. Par conséquent, les per-
sonnes déficientes intellectuelles possèdent peu de stratégies de coping
et font plutôt preuve de comportements impulsifs sous l’emprise de
débordements émotionnels. Certains syndromes constituent un facteur
de risque pour les personnes déficientes intellectuelles de présenter
des troubles anxieux, de l’humeur, de l’adaptation, des conduites ali-
mentaires et des dépendances aux toxiques. Par exemple, les personnes

2 Charlot L., Fox S., Silka V. R., Hurley A., Lowry M. A. & Pary R. (2007). Mood disorders.
Dans R. Fletcher, E. Loschen, C. Stavrakaki & M. First M. (dir.) Diagnostic
Manual-Intellectual Disability: A Clinical Guide for Diagnosis of Mental Disorders in Per-
sons with Intellectual Disability (DM-ID), New York: NADD press, p. 159.
3 Gravestock, S. (2000), Eating disorders in adults with intellectual disability. Journal of Intel-
lectual Disability Research, 44: 625–637
4 Tsiouris, J. A. (2001), Diagnosis of depression in people with severe/profound intellectual
disability, Journal of Intellectual Disability Research, 4, 115–120
5 Lindsay W. R., Michie A. M., Baty F. J., Smith A. H. W. & Miller S. (1994), The consistency
of reports about feelings and emotions from people with intellectual disability, Journal of
Intellectual Disability Research, 38, 61–66
6 Hynd G. W., Marshall R., Gonzales J. (1991) Learning Disabilities and Presumed Central
Nervous System Dysfunction, Learning Disability Quarterly, 14, 283-296
7 Willner P., Bailey R., Parry R., Dymond S. (2010). Evaluation of executive functioning in
people with intellectual disabilities, Journal of Intellectual Disability Research, 54(4),
366-79.

173
Déficiences intellectuelles

ayant une trisomie 21 présentent un risque accru de développer un


épisode dépressif majeur8.
− L’influence des facteurs environnementaux. Les personnes déficientes
intellectuelles peuvent montrer des signes de perturbation face à des
changements dans leur milieu de vie (y compris pour les changements
réguliers comme l’alternance des saisons ou les vacances ou les chan-
gements d’équipes). Ces facteurs doivent être pris en compte avant
d’envisager la présence d’un trouble de l’humeur.
− Les caractéristiques des troubles eux-mêmes. Par exemple, la dépression et
la bipolarité sont des pathologies chroniques. Elles peuvent être présentes
pendant des mois, voire des années, si bien qu’elles peuvent être considé-
rées, à tort, comme une partie intégrante de la personnalité des personnes
déficientes intellectuelles. Par ailleurs, la personnalité des patients peut être
(ou non) affectée durablement par les troubles de l’humeur9.
− Le peu d’études sur le sujet. Par ailleurs, les personnes déficientes intel-
lectuelles constituent un « groupe de patients » très hétérogènes. Il existe
des différences au niveau du fonctionnement cognitif et social parmi
les personnes de niveaux intellectuels différents ainsi que parmi les
personnes de même niveau intellectuel.
− En première intention, les personnes déficientes intellectuelles
consultent un médecin (ou sont envoyées en consultation) pour leurs
troubles du comportement. Les troubles psychiatriques n’apparaissent
qu’au second plan dans les motifs de consultation, ce qui peut entraîner
une éventuelle méconnaissance de ces troubles.
− Le manque d’informations sur l’histoire et les antécédents familiaux. La
présence d’une psychopathologie chez des parents ou parmi la fratrie
permettrait de s’interroger quant à la présence de ces mêmes troubles
chez les personnes déficientes intellectuelles.
− Les personnes déficientes intellectuelles peuvent présenter des symp-
tômes s’apparentant aux psychopathologies lorsqu’elles ressentent une
forte douleur physique (non diagnostiquée) sur un temps prolongé. À
l’inverse, des troubles psychiatriques peuvent découler d’atteintes soma-
tiques. Ainsi, l’hypothyroïdisme aurait un impact sur la durée des cycles
chez les personnes souffrant de troubles bipolaires10. Enfin, les désordres
neuroendocriniens peuvent être responsables à la fois de troubles soma-
tiques et de l’humeur. Ces éléments ont notamment été observés dans

8 Myers B. A., Pueschel S. M. (1991). Psychiatric Disorders in Persons with Down Syndrome,
Journal of Nervous & Mental Disease, 179 (10), 609-613.
9 Bagby R. M., Joffe R. T., Parker J. D. A., Kalemba V. & Harkness K. L. (1995). Major
Depression and the Five-Factor Model of Personality, Journal of Personality Disorders, 9(3),
224-234.
10 Ranga Rama K. K. (2005). Psychiatric and Medical Comorbidities of Bipolar Disorder,
Psychosomatic Medicine, 67(1), 1-8.

174
Chapitre 13 – Aspects psychopathologiques et double diagnostic

les cas de femmes présentant des ovaires polykystiques11. Autre exemple,


la neurofibromatose, maladie génétique touchant le système nerveux,
peut être responsable d’une humeur irritable, d’une labilité affective, de
comportements impulsifs, d’anxiété et de dépression12.
− Les médications données pour certains troubles peuvent induire des
symptômes identiques à ceux présents dans les psychopathologies. Ainsi,
la prise ou la modification de la prise de neuroleptiques peut entraîner des
variations au niveau du sommeil13, de l’appétit14 et des comportements15.
− Le manque d’insight des personnes déficientes intellectuelles fait qu’elles
ne sont pas capables de fournir des informations sur leurs états émo-
tionnels ou leurs comportements, qu’ils soient ouverts ou couverts. Par
conséquent, le clinicien doit chercher à connaître le fonctionnement
habituel des patients et interroger toutes les personnes intervenant
auprès d’eux. Cette démarche de recherche est importante. Toutefois,
elle peut également constituer une source de difficultés supplémentaires.
− Tous les intervenants n’auront pas la même lecture du trouble.
Nous aborderons la dépression, les troubles obsessionnels compulsifs, les
addictions avec substances et le trouble de la personnalité borderline. Nous
avons fait le choix de ne pas aborder les psychoses et la schizophrénie pour plu-
sieurs raisons : historiquement les psychoses et les déficiences intellectuelles ont
longtemps été conçues comme interdépendantes. S’il est vrai qu’une psychopa-
thologie telle que la schizophrénie peut avoir un impact négatif sur les fonctions
cognitives, elle n’entraîne pas systématiquement un déficit intellectuel16.
Les symptômes psychotiques sont difficilement repérables chez des per-
sonnes déficientes intellectuelles. Elles peuvent exprimer des idées ou des
paroles qui paraissent naïves ou inhabituelles à un auditeur sans pour autant
être délirantes. Pour les personnes n’ayant pas accès à la parole, le diagnostic
ne peut être posé qu’à partir des attitudes des patients. Ce diagnostic sera

11 Kerchner A., Lester W., Stuart S. P. & Dokras A. (2009). Risk of depression and other men-
tal health disorders in women with polycystic ovary syndrome: a longitudinal study, Ferti-
lity and Sterility, 91(1), 207-212.
12 Johnson N. S., Saal H. M., Lovell A. M. & Schorry E. K. (1999). Social and emotional pro-
blems in children with neurofibromatosis type 1: Evidence and proposed interventions, the
Journal of Pediatrics, 134(6), p. 767-772.
13 Cohrs S. (2008) Sleep Disturbances in Patients with Schizophrenia, Impacts and Effect of
Antipsychotics, CNS Drugs, 22(11), 939-962.
14 Allison D. B., Mentore J. L., Heo M., Chandler L. P., Cappelleri J. C., Infante M. C., Weiden
P. J. (1999). Antipsychotic-Induced Weight Gain: A Comprehensive Research Synthesis,
The American Journal of Psychiatry, 156 (11), 1686-1696.
15 Caligiuri M. P., Jeste D. V. & Larco J. P. (2000). Antipsychotic-Induced Movement Disor-
ders in the Elderly, Epidemiology and Treatment Recommendation, Drugs & Aging, 17(5),
363-384.
16 Aylward, E., Walker, E., & Bettes, B. (1984). Intelligence in schizophrenia: Meta-analysis of
the research. Schizophrenia Bulletin, 10(3), 430-459.

175
Déficiences intellectuelles

essentiellement basé sur des interprétations personnelles de signes trop subtils


et qui pourraient avoir d’autres significations (par exemple, le fait qu’une per-
sonne déficiente intellectuelle enfonce des cotons ou du papier dans ses oreilles
pourrait être interprété, à tort, comme une tentative pour faire cesser des
hallucinations psychosensorielles alors qu’il pourrait également s’agir d’une
réaction de défense face à une douleur physique. De même, des comporte-
ments désorganisés peuvent être observés chez des personnes schizophrènes
et chez des déficientes intellectuelles non-schizophrènes).
Enfin, l’emploi de neuroleptiques et d’antipsychotiques dans le but de
réduire les troubles du comportement a pour effet de brouiller la présentation
cognitive et comportementale des personnes.

1. Les troubles dépressifs persistants


Les troubles dépressifs se caractérisent par :
− Une humeur dépressive présente toute la journée ;
− Une diminution marquée de l’intérêt et du plaisir ;
− Une perte ou gain de poids ;
− Une insomnie ou hypersomnie ;
− Une agitation ou ralentissement ;
− Une perte d’énergie ;
− Un sentiment de dévalorisation ;
− Une diminution de l’aptitude à penser ;
− Une pensée de mort.
La dépression peut être liée à une perte réelle ou imaginée, elle entraîne
une souffrance morale importante, des douleurs somatiques fréquentes, un
dérèglement de l’horloge biologique, un changement de comportements et
des répercussions dans tous les domaines de la vie.
La dépression peut être conçue comme une réponse de l’organisme à des
stimuli. Elle est donc modifiable, comme tous les comportements appris.
Pour Lewinsohn17, la dépression découle d’un déséquilibre des renforce-
ments. Une diminution des renforçateurs positifs et une augmentation des
renforçateurs négatifs s’opèrent.
Les pensées dépressiogènes sont des conséquences de ce déséquilibre de
renforçateurs. Le faible taux de renforçateurs positifs peut dépendre soit
de l’environnement, soit d’un déficit du sujet. L’humeur est corrélée au
nombre d’activités plaisantes dans lesquelles la personne s’engage.

17 Lewinsohn P. M. (1985). A Behavioral Approach to Depression, Dans J. C. Coyne (dir).


Essential Papers on Depression (pp.150-180). New York: New York University Press.

176
Chapitre 13 – Aspects psychopathologiques et double diagnostic

L’impuissance apprise de Seligman18 désigne un état psychologique, résul-


tant d’un apprentissage dans lequel le sujet fait l’expérience de son absence
de contrôle sur les événements survenant dans son environnement. Cette
impuissance est « apprise », car elle se généralise même aux classes de situa-
tions dans lesquelles l’action du sujet aurait pu être efficace. Dès leur jeune âge,
les personnes ayant une déficience intellectuelle vivent trop souvent des situa-
tions d’échec. Comme leurs déficits les placent dans un statut de dépendance
vis-à-vis des autres, elles ont tendance à penser que les tiers savent mieux
qu’elles ce qui leur sera positif. Par conséquent, elles se montrent passives ou
abandonnent facilement lorsqu’elles sentent que les proches n’approuvent pas
leurs actions ou manières d’agir. De même, elles vont demander l’assistance
de tiers, y compris lorsque cette aide n’est pas nécessaire.
Les jugements négatifs que les individus portent sur eux même sont auto-
matisés. Les personnes ayant une personnalité dépendante sont entourées
par des proches, des éducateurs ou des soignants prenant en charge tous les
aspects de leur vie. Par conséquent, elles n’auront aucune conscience et aucune
confiance en leurs propres capacités. Face aux épreuves, elles se retrouvent
confrontées à ce que Seligman nomme l’« impuissance apprise ».
Beck19 postule l’existence d’une triade cognitive négative. Il s’agit d’un
filtre à travers lequel le patient traite les informations. Ce filtre est source de
biais. La triade se compose d’une opinion négative sur soi-même, un jugement
pessimiste sur le monde extérieur et un point de vue négatif de l’avenir. La
vision de soi est apprise. Une représentation de soi négative est souvent le
résultat d’expériences négatives (trauma) et de critiques. Le déprimé prévoit
l’avenir en termes de continuation, voire de confirmation de sa souffrance
actuelle. Le traitement des informations s’opère via les pensées automatiques.
Pour Beck, ces erreurs sont caractéristiques des sujets déprimés et démontrent
un système de pensée bloqué au stade préopératoire.

2. Aspect de la dépression chez les personnes


avec une déficience intellectuelle
Les premières adaptations des critères diagnostics des troubles de l’humeur
pour les personnes déficientes intellectuelles ont été effectuées par Sovner et

18 Miller W. R., Rosellini R. A. & Seligman M. E. P. (1985). Learned Helplessness and Depres-
sion, Dans J. C. Coyne (dir.). Essential Papers on Depression (pp.181-220). New York: New
York University Press.
19 Kovacs M. & Beck A. T. (1985). Maladaptive Cognitive Structures in Depressions. Dans
J. C. Coyne (dir.). (1985). Essential Papers on Depression (pp.240-258). New York: New
York University Press.

177
Déficiences intellectuelles

Hurley20. Selon ces auteurs, les symptômes se manifestent d’une façon par-
ticulière du fait des déficits développementaux et cognitifs. Par conséquent,
les troubles de l’humeur peuvent ne pas être repérés ou alors être confondus
avec des troubles du comportement21.

Tableau 1. Comparaison entre critères diagnostics du DSM-IV et ceux du DM-ID22

Critère du DSM-IV Critères adaptés pour les personnes


pour l’épisode dépressif majeur déficientes intellectuelles (DM-ID)
Humeur dépressive Humeur dépressive (expression faciale triste,
affects émoussés ou absence d’expression
d’émotionnelle, sourires rares, pleurs ou
expression pleureuse) ou humeur irritable
(faciès grincheux ou colérique, comporte-
ments agités, attaque, auto-agressivité,
comportement destructifs).
Intérêt diminué pour les activités Refus des activités plaisantes, participe, mais
(qui étaient perçues comme plaisantes montre aucun signe de plaisir, se montre
jusqu’alors) agressif lorsqu’on lui propose de participer
à une activité, ne répond plus aux renforce-
ments, les activités ou objets qui jusque-là
augmentaient la motivation ne sont plus
appréciés, évite les activités sociales, se
montre agressif ou agité quand doit partici-
per aux activités sociales qui étaient jusque-là
appréciées, passe plus de temps seul.
Perte de poids significative (sans régime) Absorption excessive de nourriture, est
ou gain de poids important (changement obsédé par la nourriture, vole de la nour-
d’environ 5 % du poids par mois) riture, refuse les repas, gagne ou perds du
poids, montre des comportements agités/dés-
organisés pendant les repas ou en lien avec la
nourriture (par exemple, jette la nourriture
par terre).

20 Sovner R. & Hurley A. (1983) Do the mentally retarded suffer from affective illness? Archives
of General Psychiatry 40, 61–7.
21 Tsiouris, J. A., Mann, R., Patti, P. J. and Sturmey, P. (2003), Challenging behaviours should
not be considered as depressive equivalents in individuals with intellectual disability. Jour-
nal of Intellectual Disability Research, 47, 14–21
22 Charlot L., Fox S., Silka V. R., Hurley A., Lowry M. A. & Pary R. (2007) Mood disorders,
Dans R. Fletcher, E. Loschen, C. Stavrakaki & M. First M. (dir.) Diagnostic Manual-
Intellectual Disability: A Clinical Guide for Diagnosis of Mental Disorders in Persons with
Intellectual Disability (DM-ID), New York: NADD press. (pp.170-173), New York: NADD
press.

178
Chapitre 13 – Aspects psychopathologiques et double diagnostic

Critère du DSM-IV Critères adaptés pour les personnes


pour l’épisode dépressif majeur déficientes intellectuelles (DM-ID)
Insomnie ou hypersomnie Difficultés à s’endormir, réveils précoces,
temps de sommeil excessifs, monte des
troubles du comportement tard le soir ou
au moment du coucher ou du lever, siestes
fréquentes, tombe de sommeil pendant
la journée, dort peu pendant la nuit ou se
réveille fréquemment et est fatigué pendant
la journée.
Agitation ou ralentissement psychomoteur N’arrive pas à rester assis, marche rapidement,
fait des mouvements lents, ralentissement ou
arrêt dans le débit langagier, moins actif phy-
siquement qu’à l’accoutumée.
Perte d’énergie Fatigué, refuse ou se montre agité au moment
des activités (surtout celles nécessitant un
effort physique), passe la majorité du temps
assis ou allongé.
Sentiment d’inutilité ou sentiment Discours dépressiogène, se décrit comme
de culpabilité excessif et inapproprié « mauvais » ou « nul », s’attend souvent à
être puni (sans qu’il y ait des antécédents de
maltraitances), s’accuse de manière inadaptée
au moindre problème, montre des craintes
inadaptées envers les soignants (peur d’être
attaqué ou rejeter après une transgression
mineure), recherche la réassurance de façon
excessive.
Capacités de concentration et de pensée Baisse de la productivité lors des activités,
diminuées baisse des capacités à prendre soin de lui-
même, semble facilement distrait ou ne peut
pas achever une tâche qu’il réussissait aupara-
vant, se montre agité quand doit participer
à une activité requérant de la concentration,
difficultés de mémorisation intermittentes,
perte d’habilités ou de capacités non expli-
quées, ne parvient pas à apprendre de
nouvelles compétences ou cesse de travailler
ou de suivre des entraînements du fait de
ses mauvaises performances, sans qu’aucun
trouble cognitif ne viennent expliquer ce
changement.
Pense à la mort de façon récurrente, Parle régulièrement de la mort ou de per-
idéation suicidaire sans scénario spécifique, sonnes décédées ou a des préoccupations
tentative de suicide ou scénario suicidaire morbide, présente des plaintes somatiques
élaboré sans fondement, redoute de tomber malade
ou de mourir, menace de se faire du mal ou
de se tuer ou a des conduites à risques suicid-
aires (se jette devant les voitures, saute depuis
une fenêtre, etc.)

179
Déficiences intellectuelles

Les troubles dépressifs sont plus importants chez les personnes déficientes
intellectuelles âgées23. La dépression au long cours entraîne des déficits cogni-
tifs chez les personnes ordinaires24. Ce phénomène s’observe également chez
les personnes déficientes intellectuelles. Des épisodes dépressifs chroniques
entraînent une augmentation des troubles cognitifs et comportementaux25.
La dépression peut également annoncer l’entrée dans une démence sénile26.
À âge égal, la dépression est davantage répandue chez les personnes triso-
miques 21 que chez les autres personnes déficientes intellectuelles27.
Les causes de la dépression sont les mêmes que celles des personnes ordi-
naires âgées : l’isolement social, la perte d’activité et de repères à la fin de la
vie professionnelle, la perte des habitudes de vie.

3. Quelle prise en charge proposer


aux personnes déprimées ?
Les personnes déficientes intellectuelles, de par leur déficit, sont parti-
culièrement vulnérables à l’impuissance apprise. Il faut réintroduire de la
contrôlabilité sur les événements du quotidien. La réalisation d’au moins
une sortie par jour et de trois activités plaisantes permet de réintroduire des
renforçateurs positifs. Il peut être nécessaire de faire remplir un emploi du
temps à la personne, repérer les espaces vides et les compléter par des activités
plaisantes, puis des activités sociales.
Pour aider les personnes déficientes intellectuelles à identifier leurs émo-
tions, le thérapeute peut avoir recours à des pictogrammes.
La réalisation d’une grille d’analyse fonctionnelle est une étape essentielle
de la thérapie. Elle permet d’identifier les éléments causant et maintenant le
trouble de l’humeur. Il est primordial de tenir compte des déficits neuropsy-
chologiques au moment de la rédaction de l’analyse fonctionnelle. En effet,

23 Devanand D. P., Nobler M. S., Singer T., Kiersky J. E., Turrett N., Roose S. P. & Sockeim
H. A. (1994). Is dysthymia a different disorder in ederly, American Journal of Psychiatry,
151, 1592-1599.
24 Gorwood P., Corruble E., Falissard B., Goodwin G. M., Med F. (2008)., Toxic Effects of
Depression on Brain Function: Impairment of Delayed Recall and the Cumulative Length
of Depressive Disorder in a Large Sample of Depressed Outpatients, The American Journal
of Psychiatry, 165(6), 731-739.
25 Harper D. C. & Wadsworth J. S. (1990). Dementia and depression in elders with mental
retardation. A pilot study, Research in Developemntal Disabilities, 11(1), 1977-1980.
26 Gurland B. (1997). Epidemiology of psychiatric disorders in ederly compared with younger
adults with learning disabilities, British Journal of Psychiatry, 170, 375-380.
27 Burt D. B., Loveland K. A. & Lewis K. (1992). Depression and the onset of dementia in
adults with mental retardation syndrome, American Journal of Mental Deficiency, 96,
502-511.

180
Chapitre 13 – Aspects psychopathologiques et double diagnostic

ceux-ci seront pris en compte pour comprendre les erreurs de jugement et


les impacts des contingences environnementales sur l’attitude la personne.
Ainsi, la dépression n’aura pas les mêmes répercussions chez une per-
sonne déficiente intellectuelle avec des troubles mnésiques (ce qui constitue
un obstacle à la compréhension de l’environnement et au stockage des feed-
backs du thérapeute) ou un individu avec un TSA (pour qui la dépression
sera compliquée par des difficultés dans la gestion des informations et des
interactions sociales. Rappelons que la relation thérapeutique en fait partie).
Comme pour les personnes ordinaires, la thérapie de la dépression des
personnes déficientes intellectuelles passe par l’identification des pensées
automatiques inadaptées.
À ce premier travail cognitif peut être ajouté l’apprentissage d’outils pour
« lire » les comportements d’autrui et savoir y répondre.
Pour les personnes ayant un TSA, l’inscription dans des groupes d’habilité
sociale dans lesquels les scenari sociétaux sont présentés de façon détaillée,
des techniques de communication affirmée et des stratégies de coping sont
enseignées induit un sentiment de maîtrise, augmente le savoir-faire et savoir-
être social et permet de réduire l’anxiété et la dépression.
Les stratégies de coping sont les actions que la personne met entre elle et
les événements problématiques. Les méthodes montrées en thérapie reposent
sur la résolution de problème, la relaxation, l’affirmation de soi, la planifica-
tion et la gestion du temps.
La restructuration cognitive peut être proposée aux personnes avec un syn-
drome d’Asperger et celles ayant une déficience intellectuelle légère. Cette méthode
remédie aux erreurs d’interprétation, surtout celles découlant de schémas cogni-
tifs rigides. Il est important que le thérapeute garde à l’esprit que ces schémas
(méfiance, dépendance, imperfections, etc.) sont d’autant plus prégnants et rigides
que les personnes déficientes intellectuelles sont régulièrement confrontées à des
situations où elles sont mises en difficulté ou en échec du fait de leur handicap.
Les colonnes de Beck qui reposent sur l’auto-observation et l’auto-évalua-
tion des distorsions cognitives et émotionnelles en vue de leur modification
peuvent également être proposées.
La psychoéducation tient une place importante et doit être proposée à la
personne déficiente intellectuelle et à son entourage.
La validation de Feil28 est à privilégier pour les personnes traversant un deuil.
Bien que cette technique découle de l’expérience de son auteure auprès des per-
sonnes âgées, il nous semble qu’elle peut également être utilisée auprès de toutes
personnes éprouvant des difficultés à s’exprimer. La validation recommande au
thérapeute d’être dans le non-jugement, de reconnaître son interlocuteur comme
un individu unique, de se centrer sur les émotions qu’il exprime. Il s’agit de
repérer les émotions et de les nommer. De la sorte, la personne se sent comprise.

28 Feil, N. (1992). Validation Therapy, Geriatric Nursing, 13(3), 129-133.

181
Chapitre 14 14

Le trouble obsessionnel
compulsif

1. Rappel des critères diagnostics


Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) sont caractérisés par la présence
de :
− Pensées, impulsions ou représentations récurrentes et persistantes, res-
senties comme intrusives et inappropriées, entraînant une anxiété ou
une détresse importante ;
− Comportements répétitifs ou d’actes mentaux que le sujet se sent obligé
d’accomplir en réponse à une obsession ou selon certaines règles qui
doivent être appliquées de manière inflexible.

2. Rappels théoriques
Le TOC1 s’articule autour de quatre points majeurs : l’obsession, la compul-
sion, l’anxiété et l’évitement.
Selon Mowrer2, le comportement obsessionnel est acquis dans un premier
temps par conditionnement classique et, dans un second temps, il est ren-
forcé et maintenu par un conditionnement opérant. Le rituel mis en place
par le patient vise à faire diminuer l’anxiété. Les obsessions sont causées
par des interprétations erronées surestimant l’importance des pensées, des
images mentales et des impulsions antisociales. Les interprétations de l’indi-

1 Sauteraud A. (2005). Le trouble obsessionnel compulsif : le manuel du thérapeute, Paris :


Odile Jacob.
2 Mowrer O.H. (1960). Learning theory and behavior, New York: Wiley.
Chapitre 14 – Le trouble obsessionnel compulsif

vidu sur ses pensées sont reliées à des schémas de danger, de responsabilité,
de culpabilité et d’infériorité. Ils sont des « grilles de lecture » selon lesquelles
le patient traite automatiquement les informations et d’où découlent les
rituels.
Mac Fall et Wollersheim3 estiment que les conduites obsessionnelles se
développent en deux temps. Dans un premier temps, le sujet perçoit un stimu-
lus auquel il associe la possibilité de la survenue d’un événement désagréable.
La surestimation du risque est basée sur des croyances personnelles. Il existe
quatre types de croyances obsessionnelles. Le premier est que les pensées
peuvent être source de malheurs. Le deuxième regroupe les pensées de per-
fection et de responsabilité. Le troisième concerne les fantasmes de culpabilité.
Le dernier s’axe autour de la pensée que les rituels permettraient de baisser
l’anxiété. Dans un second temps, le patient sous-estime sa capacité à gérer
sa peur. Il conserve un doute et éprouve un sentiment de perte de contrôle
qui contribue à l’émergence et au maintien des rituels et des ruminations
obsédantes.

3. Adaptation des critères diagnostics


pour les personnes déficientes
intellectuelles
3,5 % des personnes déficientes intellectuelles présentent des TOC4.
Les critères diagnostics du DSM-IV peuvent être appliqués aux per-
sonnes ayant une déficience légère à moyenne. Une adaptation des critères
est nécessaire pour les personnes présentant une déficience sévère à
profonde.
Les compulsions nécessitent l’accès à une forme de pensée abstraite. Elles
nécessitent également que la personne ait suffisamment de capacités d’intros-
pection et de communication pour pouvoir transmettre à un tiers ses pensées
obsédantes.
Les personnes déficientes intellectuelles peuvent être incapables de concep-
tualiser et de formuler leurs pensées. De plus, leur difficulté à accéder à une
pensée abstraite fait qu’elles peuvent avoir recours à des comportements

3 Mac Fall M. E, Wollersheim J. P. (1979). Obsessive-compulsive neurosis: a cognitive-


behavioral formulation and approach to treatment, Cognitive Therapy and research, 3 (4),
p333-48.
4 King R., Stavrakaki C. & Gedye A. (2007) Obsessive-Compulsive Disorder Dans R. Fletcher,
E. Loschen, C. Stavrakaki & M. First M. (dir.) Diagnostic Manual-Intellectual Disability:
A Clinical Guide for Diagnosis of Mental Disorders in Persons with Intellectual Disability
(DM-ID), New York: NADD press, p. 209.

183
Déficiences intellectuelles

compulsifs sans lien logique avec ce qui les préoccupe réellement. Par exemple,
le lavage compulsif des mains est traditionnellement associé à la pensée obsé-
dante d’être contaminé par des germes. Or, cela signifie avoir connaissance
de l’existence de germes, pouvoir être capable de se représenter le contact
avec ces germes comme étant potentiellement dommageable et de pouvoir
se représenter les conséquences d’une contamination. Enfin, il faut pouvoir
concevoir le lavage des mains comme étant un moyen de protection contre
la contamination. Les personnes déficientes intellectuelles peuvent être inca-
pables de mentaliser de tels liens de cause à effet. Elles peuvent avoir recours
au lavage des mains, car elles perçoivent que cet acte à un effet apaisant, sans
pour autant relier leurs gestes à une peur de la contamination. De même, elles
peuvent se laver les mains pour lutter contre la pensée obsédante et angois-
sante d’avoir mal fermé leur porte et d’être dévalisées. Ainsi, une obsession
qui déclencherait logiquement des compulsions de vérification aboutit à un
comportement de lavage.
La présence d’un handicap sensoriel peut également freiner la pose du
diagnostic approprié. En effet, une malvoyance peut limiter la mise en place
de compulsions de vérifications ou de nettoyage. De même, il sera difficile
pour un observateur extérieur de différencier des touchers répétitifs propres
à rassurer une personne malvoyante, des compulsions de vérifications ou
de répétition. Une personne malentendante ne pourra exprimer ses pensées
obsédantes que par le langage des signes.
Un défaut de compréhension des normes sociales peut également conduire
les personnes déficientes intellectuelles à ne pas comprendre en quoi leurs
compulsions peuvent perturber leurs proches. Ainsi, elles peuvent poser
les mêmes questions inlassablement sans percevoir l’agacement que celles-
ci provoquent. De même, elles peuvent se montrer agressives si elles sont
interrompues dans leurs rituels.
De plus, la fatigabilité importante des personnes déficientes intellectuelle
fait qu’elles ne peuvent pas consacrer autant de temps à leurs compulsions
que les personnes ordinaires.
Les risques de formuler un diagnostic de TOC faussement positif sont éga-
lement importants : des comportements d’emmagasinement d’objets peuvent
être confondus avec un TOC de collection.

184
Chapitre 14 – Le trouble obsessionnel compulsif

Tableau 1. Comparaison entre critères diagnostics du DSM-IV et du DM-ID5

Critères adaptés pour Critères adaptés pour


Critère du DSM-IV les personnes déficientes les personnes déficientes
pour le TOC intellectuelles légères intellectuelles profondes
à moyennes (DM-ID) à sévères (DM-ID)
Obsessions définies par les critères suivants
Pensées, impulsions ou Les pensées obsédantes Les pensées obsédantes
représentations récurrentes peuvent ne pas être perçues peuvent ne pas être perçues
et persistantes qui, à un comme étant inappropriées comme étant inappropriées
certain moment de l’affec- et ne pas déclencher d’anxiété et ne pas déclencher d’anxiété
tion, sont ressenties comme
intrusives et inappropriées et
qui entraînent une anxiété ou
une détresse importante
Les pensées, impulsions ou Pas d’adaptation Pas d’adaptation
représentations ne sont pas
simplement des préoccupa-
tions excessives concernant
les problèmes de la vie réelle
Le sujet fait des efforts Peut être difficile à évaluer La personne peut être
pour ignorer ou réprimer du fait des limitations des incapable d’ignorer ou de
ces pensées, impulsions ou capacités de mentalisation et réprimer les obsessions. De
représentations ou pour neu- de communication même, elle peut être dans
traliser celles-ci par d’autres l’incapacité d’en parler à un
pensées ou actions tiers
Le sujet reconnaît que les Peut être difficile à évaluer Critère impossible à appliquer
pensées, impulsions ou du fait des limitations des
représentations obsédantes capacités de mentalisation et
proviennent de sa propre de communication
activité mentale
Compulsions définies par les critères suivants
Comportements répétitifs ou Les comportements répéti- Les personnes déficientes
actes mentaux que le sujet tifs les plus employés sont intellectuelles sévères et pro-
se sent poussé à accomplir le rangement, le frottement, fondes peuvent employer des
en réponse à une obsession le stockage, la répétition de compulsions en lien avec des
ou selon certaines règles qui phrases ou de questions. pensées simples ou bien sans
doivent être appliquées de Les compulsions mentales liens logiques apparents avec
manière inflexible les plus employées sont des obsessions « classiques »
difficilement identifiables
du fait des limitations des
capacités de mentalisation
et de communication

5 King R., Stavrakaki C. & Gedye A. (2007) Obsessive-Compulsive Disorder Dans R. Flet-
cher, E. Loschen, C. Stavrakaki & M. First M. (dir.) Diagnostic Manual-Intellectual Disabi-
lity: A Clinical Guide for Diagnosis of Mental Disorders in Persons with Intellectual
Disability (DM-ID)(pp.212-214). New York: NADD press.

185
Déficiences intellectuelles

Les comportements ou les La fonction des compul- La fonction des compul-


actes mentaux sont destinés sions peut être difficile à sions peut être difficile à
à neutraliser ou à diminuer déterminer déterminer
le sentiment de détresse ou
à empêcher un événement
ou une situation redoutée,
cependant ces comporte-
ments ou ces actes mentaux
sont soit sans relation réaliste
avec ce qu’ils se proposent de
neutraliser ou de prévenir,
soit manifestement excessifs
Au cours de l’évolution du La reconnaissance du carac- Critère impossible à appliquer
trouble, le sujet a reconnu tère excessif des obsessions
que les obsessions étaient peut être absente
excessives ou irraisonnées
Les obsessions ou com- L’anxiété ou la détresse L’anxiété ou la détresse
pulsions sont à l’origine peuvent être absentes ou peuvent être absentes ou
de sentiments marqués bien ne pas être les seules bien ne pas être les seules
de détresse, d’une perte émotions en lien avec les émotions en lien avec les
de temps considérable compulsions et obsessions compulsions et obsessions.
« prennent plus d’une heure Des sentiments de joie ou Les personnes déficientes
par jour » ou interfèrent de de colère peuvent également intellectuelles sévères et pro-
façon significative avec les être en lien avec les obses- fondes peuvent consacrer un
activités habituelles du sujet, sions ou compulsions temps limité à leurs obses-
son fonctionnement profes- sions et compulsions du fait
sionnel « ou scolaire » ou ses d’une fatigabilité importante
activités ou relations sociales Les personnes peuvent se
habituelles montrer agressives si elles
sont entravées dans leurs
compulsions. Elles peuvent
avoir recours à des com-
portements hétéro- ou
auto-agressifs
Si un autre trouble de l’axe Nécessité de distinguer les Nécessité de distinguer les
I est aussi présent, le thème compulsions des stéréotypies compulsions des stéréotypies
des obsessions ou des com-
pulsions n’est pas limité à ce
dernier
La perturbation ne résulte Pas d’adaptation Critère impossible à appli-
pas des effets physiologiques quer pour les personnes ne
directs d’une substance ni pouvant pas exprimer leurs
d’une affection médicale ressentis physiques
générale

186
Chapitre 14 – Le trouble obsessionnel compulsif

4. Abords thérapeutiques
Les techniques issues des TCC classiques peuvent être proposées aux per-
sonnes déficientes intellectuelles. Des adaptations peuvent être nécessaires
comme l’emploi de supports visuels ou l’appel à un tiers aidant.
En amont de la prise en charge, il est important de tenir compte des par-
ticularités de la personne déficiente intellectuelle.
Les personnes ayant le syndrome de Prader-Willi présentent un risque
accru de souffrir de TOC6.
De même, il sera important de distinguer les TOC des comportements
ritualisés des personnes avec un TSA7. De même, les personnes avec un TSA
peuvent développer des conduites répétitives autour de centres d’intérêts très
spécifiques. Il est alors important d’en tenir compte au moment du diagnostic
différentiel. Lorsqu’une thérapie est mise en place, il convient de cibler unique-
ment les obsessions et compulsions et non les comportements caractéristiques
du TSA8. Les TOC peuvent apparaître à un instant clef du développement ou
à une période particulière et de la journée et se résoudre spontanément9. Le
thérapeute tiendra compte des capacités et déficits neuropsychologiques de
la personne (notamment des troubles de l’attention, des troubles mnésiques
et du contrôle des impulsions).
Vera10 recommande d’utiliser des techniques d’exposition aux stimuli
anxiogènes avec prévention de la réponse. Les stimuli déclencheurs sont ana-
lysés en termes de force compulsive à déclencher le rituel. L’exposition répétée
au même stimulus entraînerait une anxiété de moins en moins intense et de
durée de plus en plus courte par habituation. Le patient doit régulièrement
s’entraîner par des exercices à domicile. Toutes les expositions et la prescrip-
tion de tâches à domicile sont établies sur un mode contractuel entre patient
et thérapeute. La thérapie cognitive est axée sur la conscience des obses-
sions et des neutralisations. La personne est exposée à ses pensées obsédantes
sans que la neutralisation soit possible, par la verbalisation de ses pensées et

6 Clarke, D. J., Boer, H., Whittington J., Holland, A., Butler, J. & Webb T. (2002). Prader-
Willi syndrome, compulsive and ritualistic behaviours: the first population-based survey,
The British Journal of Psychiatry, 180(4), 358-362.
7 Zandt, F., Prior, M. & Kyrios, M. (2007). Repetitive Behaviour in Children with High Func-
tioning Autism and Obsessive Compulsive Disorder, Journal of Autism and Developmental
Disorder, 37(2), 251-259.
8 Reaven, J. & Hepburn, S. (2003). Cognitive-behavioral treatment of obsessive compulsive
disorder in a child with Asperger syndrome, A case report. Autism, 7(2), 145-164).
9 Hollingsworth, C. E., Tanguay, P. E., Grossman, L., et al (1980). Long-term outcome of
obsessive—compulsive disorders in childhood. Journal of the American Academy of Child
and Adolescent Psychiatry, 19, 134 -144.
10 Vera L. (2004). Les troubles obsessionnels compulsifs. Dans B. Samuel-Lajeunesse, C. Mira-
bel-Sarron, L. Vera & F. Mehran (dir.). Manuel de théorie comportementale et cognitive
(pp113-24). Paris : Dunod.

187
Déficiences intellectuelles

l’évaluation du niveau d’anxiété. La technique d’arrêt de la pensée n’est pas


toujours adaptée, car elle peut exacerber la neutralisation. Cottraux11 estime
que la thérapie cognitive des TOC doit porter non pas sur la pensée obsédante
pénible que le patient tente de neutraliser, mais sur la pensée automatique
qu’elle déclenche. La thérapie cognitive et comportementale suit les étapes
suivantes : isoler la pensée intrusive, décatastropher, réattribuer la culpabilité,
isoler et discuter les pensées automatiques neutralisantes, isoler et discuter les
postulats, exposer en imagination puis en réalité et modifier la recherche de
réassurance. L’exposition se déroule graduellement. La répétition d’exercices
réduit l’intensité et la durée de l’anxiété et favorise la généralisation. Il est
demandé au patient de répertorier les situations anxiogènes dans lesquelles il
aurait recours à ses compulsions. Pour les personnes déficientes intellectuelles,
les situations anxiogènes peuvent être listées et placées sur une échelle visuelle
avec un code couleur attribué selon leur pénibilité. La situation jugée la moins
anxiogène est choisie comme support pour le premier exercice d’exposition
graduée. L’exercice s’effectue, tout d’abord, dans le bureau du thérapeute,
puis il est demandé au patient de reproduire l’exercice à domicile. Pour les
personnes déficientes intellectuelles, ces étapes peuvent se faire en partenariat
avec un professionnel ou un aidant familial. L’accompagnant aidera au repérage
des pensées obsédantes et des compulsions. Il participera à la rédaction des grilles
d’observation des TOC.
L’aidant aidera également le patient à mettre en place des comportements
alternatifs face aux situations anxiogènes. Il est possible d’utiliser des picto-
grammes pour symboliser chacune des stratégies. Le patient peut conserver les
pictogrammes avec lui ou bien un aidant peut les lui présenter chaque fois qu’il
ressent du stress. Un pictogramme pourra être sélectionné dans la liste et le
comportement correspondant sera appliqué.
Pendant la prise en charge du TOC, le thérapeute sera attentif à tous les
facteurs pouvant renforcer le trouble. Par exemple, des craintes irraisonnées
concernant la transmission des maladies peuvent être à l’origine de compulsions
de nettoyages. La transmission d’informations sur les facteurs de transmissions
des germes et virus peut apporter un soulagement et contribuer à l’abaissement
de l’angoisse responsable du TOC. De même, la famille, les pairs et les pro-
fessionnels (éducateurs, soignants, enseignants, collègues de travail, bénévoles
d’associations etc.) qui entourent le patient peuvent s’être adaptés au TOC (par
exemple en veillant à ce que la personne ne soit pas confrontée à certains stimuli
stressants ou en adaptant la vie familiale en fonction des rituels de la personne et
du temps qu’elle leur consacre). Il sera alors important de travailler sur ces fac-
teurs environnementaux et sociaux. La personne devra se confronter aux stimuli
anxiogènes afin de les apprivoiser.

11 Cottraux J. (2001). Les thérapies cognitives, comment agir sur nos pensées et nos émotions ?,
Paris : Retz.

188
Chapitre 14 – Le trouble obsessionnel compulsif

La bienveillance vis-à-vis de la personne en situation de handicap et de ses


troubles est nécessaire. Toutefois, il est important que les proches définissent
un cadre et des règles de vie. Un cadre précis s’avérera plus rassurant pour
la personne.Il est également important que l’entourage renforce positivement la
personne pour les efforts et les actes positifs accomplis (y compris ceux n’ayant
aucun lien avec le TOC et la thérapie). Ainsi, le patient trouvera un soutien et
des réponses valorisantes indépendamment de ses troubles psychologiques.
Lorsque la personne en situation de handicap vit dans sa famille ou dépend
d’elle, il est primordial d’inclure celle-ci dans la thérapie et de proposer une
écoute et un soutien à l’ensemble du groupe. Dans le cas d’un TOC avec des
obsessions agressives, par exemple, la peur d’attaquer des inconnus avec des
objets du quotidien (stylos, sacs, clefs etc), il peut être demandé au patient
de passer quelques minutes avec une autre personne (le thérapeute ou bien
d’autres patients dans la salle d’attente) avec l’objet anxiogène sur lui. Une
technique employée en thérapie cognitive et comportementale des TOC est le
flooding. Il s’agit d’exposer le patient à ses idées obsédantes via l’exposition en
imagination. Contrairement à la technique de la désensibilisation, le patient
est directement confronté, en imagination, à la situation la plus anxiogène
jusqu’à ce que son angoisse diminue et s’éteigne. Le patient doit prendre
alors conscience que la peur diminue et qu’elle est « inutile ». L’exposition
avec prévention de la réponse ritualisée est une technique mise en place par
Meyer en 1966. Elle consiste à exposer graduellement le patient aux situations
redoutées et évitées, tout en les empêchant d’accomplir leurs rituels. Le but de
cette méthode est que le patient passe « de la pensée magique à une concep-
tion plus objective des effets de [ses] actions12 ». Le thérapeute peut jouer
un rôle de modèle en affrontant lui-même la situation, en encourageant le
patient à participer à l’expérience d’exposition, tout en l’aidant à restructurer
ses cognitions et à développer son sentiment d’efficacité personnelle. Cette
technique est le « modeling de participation ».
Une adaptation de la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT13) a
été proposée à des personnes déficientes intellectuelles souffrant de TOCs14.
ACT propose un traitement individualisé et flexible. Il encourage le dévelop-
pement de nouvelles réponses face aux situations aversives jusqu’alors évitées.
Il permet également la régulation comportementale.

12 Cottraux J. (1998). Les ennemis intérieurs : Obsessions et compulsions. Paris : Odile Jacob,
p175
13 Hayes S. C. (2016). The Act in Context, The Canonical Papers of Steven C. Hayes, Oxford:
Taylor & Francis Group Ltd.
14 Brown F. & Hooper S. (2009). Acceptance and Commitment Therapy (ACT) with a lear-
ning disabled young person experiencing anxious and obsessive thoughts, Journal of Intel-
lectual Disability, 13(3), 195-201.

189
Chapitre 15 15

Addictions avec substances

1. Rappel théorique
Les comportements addicts reposent sur un apprentissage par modeling,
conditionnement répondant et conditionnement opérant (les sensations
agréables induites par le produit constituent des renforçateurs positifs ;
l’échappement aux émotions déplaisantes permis par la consommation étant
un renforçateur négatif). Les biais cognitifs « sociétaux » jouent également
un rôle important.
Les attentes rationnelles et irrationnelles, associées au contexte social,
déterminent la mémorisation des effets du produit comme étant renforçante.
Il existe trois dimensions de la dépendance :
− Psychologique : le produit est utilisé pour ses effets psychotropes. Il a
une valeur « d’automédication » ;
− Comportementale : le conditionnement répondant, le contexte va déter-
miner l’envie du produit ;
− Physiologique : tempérance, abstinence.

Les alcoolisations peuvent être perçues comme des stratégies de coping,


une façon de coller aux figures d’autorité ou d’obtenir un statut dans un
groupe. Les actes ritualisés tiennent un rôle important dans mise en place
d’une addiction.
Les personnes porteuses des syndromes de Prader Willy ou de DiGeorge
sont particulièrement vulnérables face aux dépendances aux toxiques.
Pour comprendre la survenue et le maintien des conduites addictives,
Beck met l’accent sur les pensées anticipatoires soulageantes et permissives.
Les effets du produit vont conforter les croyances anticipatoires.
La thérapie sera découpée en deux temps : la phase motivationnelle et la
phase thérapeutique à proprement parler.
Chapitre 15 – Addictions avec substances

2. Adaptation des critères diagnostics


pour les personnes déficientes
intellectuelles
Les personnes déficientes intellectuelles apparaissent comme étant les plus
vulnérables vis-à-vis des toxiques1.
Leurs faibles capacités d’inhibition et de planification font qu’elles ont un
contrôle limité sur leur consommation. De plus, du fait de leurs difficultés à
établir des liens de causes à effets, elles peuvent ne pas prendre conscience des
variations de leur consommation de toxiques en fonction des effets recherchés
ou de leur impact sur leur métabolisme.
Certains symptômes apparaissant dans le cadre de mésusage de substances
sont difficilement identifiables chez les personnes déficientes intellectuelles
du fait de leurs faibles capacités exécutives et de mémorisation.
C’est notamment le cas pour les premiers critères de l’Axe I du DSM.
Ceux-ci reposent sur la tolérance de la personne face aux produits toxiques.
Or, pour que ces critères soient appliqués, il faut que le patient puisse se remé-
morer ses expériences passées ainsi que ses intentions et les effets recherchés
au moment de la prise de toxiques. Ces capacités font souvent défaut aux
personnes déficientes intellectuelles.
Une autre difficulté pour les soignants réside dans le fait de pouvoir distin-
guer les manifestations comportementales propres au mésusage de substances
de celles liées à la déficience intellectuelle ou à un trouble associé. Cette dis-
tinction est d’autant plus complexe à percevoir chez les personnes déficientes
intellectuelles présentant des troubles du comportement. En effet, ceux-ci
peuvent ne subir que de légères variations sous l’influence de toxiques. Il
conviendra donc d’établir un relevé des comportements de la personne défi-
ciente intellectuelle lorsqu’elle est sobre. Ce relevé servira de ligne de base
pour l’étude des troubles du comportement manifestés suite à la consom-
mation de toxiques.
Le neuropsychologue devra évaluer et discriminer les manifestations cogni-
tives et comportementales découlant d’atteintes neuropsychologiques liées à
la déficience intellectuelle de celles liées à un abus de toxiques répété.
Par exemple, les symptômes psycho-comportementaux (épisodes
d’agressivité, d’impulsivité, absence d’empathie et de prise en compte de
l’environnement social) se retrouvent à la fois chez les personnes souffrant
de démences alcooliques et les personnes déficientes intellectuelles.

1 Annand J. & Stavraki C. (2007) Substance-Related Disorders. Dans R. Fletcher, E. Loschen,


C. Stavrakaki & M. First M. (dir.) Diagnostic Manual-Intellectual Disability: A Clinical
Guide for Diagnosis of Mental Disorders in Persons with Intellectual Disability (DM-ID),
New York: NADD press, p 135

191
Déficiences intellectuelles

Lorsque l’arrêt du comportement addict sera envisagé, il conviendra de


prendre en compte tous les facteurs pouvant freiner le processus de change-
ment. Par exemple, si la personne déficiente intellectuelle s’est engagée dans
un sevrage tabagique, il faudra être attentif au fait que cet arrêt n’entraîne pas
une restriction des contacts sociaux, notamment des contacts entre patient
et soignant si ceux-ci s’établissaient à l’occasion d’une cigarette partagée2.

Tableau 1. Comparaison entre critères diagnostics du DSM-IV et du DM-ID


pour l’abus de substance3

Critère du DSM-IV Critères adaptés pour les personnes


pour l’abus de substance déficientes intellectuelles (DM-ID)
Utilisation répétée d’une substance condui- Pas d’adaptation (ce critère peut être difficile
sant à l’incapacité de remplir des obligations à appréhender pour des personnes vivant en
majeures, au travail, à l’école ou à la maison institution)
(par exemple, absences répétées ou mauvaises
performances au travail du fait de l’utilisation
de la substance, absence, exclusions tempo-
raires ou définitives de l’école, négligence des
enfants ou des tâches ménagères)
Utilisation répétée d’une substance dans des Utilisation répétée d’une substance dans des
situations où cela peut être physiquement situations où cela peut être physiquement
dangereux (par exemple, lors de la conduite dangereux : l’utilisation de substances aug-
d’une voiture ou en faisant fonctionner une mente les troubles du comportement
machine alors qu’on est sous
l’influence d’une substance)
Problèmes judiciaires répétés liés à l’uti- Pas d’adaptation (ce critère peut être difficile
lisation d’une substance (par exemple, à appréhender pour des personnes vivant en
arrestations pour comportement anormal institution)
en rapport avec l’utilisation de la substance)
Utilisation de la substance malgré des Pas d’adaptation
problèmes interpersonnels ou sociaux, per-
sistants ou récurrents, causés ou exacerbés
par des effets de la substance (par exemple,
disputes avec le conjoint à propos des consé-
quences de l’intoxication, bagarres).

2 Abbott, S. & Mcconkey, R. (2006). The barriers to social inclusion as perceived by people
with intellectual disabilities. Journal of Intellectual Disabilities, 10, 275-287.
3 Annand J. & Stavraki C. (2007) Substance-Related Disorders. Dans R. Fletcher, E. Loschen,
C. Stavrakaki & M. First M. (dir.) Diagnostic Manual-Intellectual Disability: A Clinical
Guide for Diagnosis of Mental Disorders in Persons with Intellectual Disability (DM-ID),
New York: NADD press, p 141

192
Chapitre 15 – Addictions avec substances

Tableau 2. Comparaison entre critères diagnostics du DSM-IV et du DM-ID


pour la dépendance à une substance4

Critère du DSM-IV Critères adaptés pour les personnes


pour la dépendance à une substance déficientes intellectuelles (DM-ID)
La substance est souvent prise en quantité Pas d’adaptation
plus importante ou plus longtemps que prévu
Incapacité de diminuer ou contrôler la Pas d’adaptation
consommation malgré un désir persistant
d’arrêter ; apparition d’un sevrage à l’arrêt
de la consommation ou consommation
d’autres substances pour éviter un syndrome
de sevrage
Existence d’une tolérance aux effets de la Pas d’adaptation (pour les personnes défi-
substance : à dose constante, l’effet de la subs- cientes intellectuelles suivant une médication
tance diminue, ou besoin de doses plus fortes au long cours, il est recommandé d’être
pour obtenir le même effet qu’auparavant attentif aux éventuelles interférences entre
le toxique et le traitement. Il convient éga-
lement de se rappeler qu’une faible dose de
substances peut conduire à une intoxication)
Beaucoup de temps passé à se procurer la Pas d’adaptation
substance, à la consommer ou à se remettre
de ses effets
Réduction ou abandon d’activités sociales, Pas d’adaptation
professionnelles ou de loisirs au profit de
l’utilisation de la substance
Persistance de la consommation malgré des Pas d’adaptation
conséquences néfastes psychiques ou phy-
siques évidentes
Existence d’une tolérance aux effets de la Pas d’adaptation
substance : à dose constante, l’effet de la subs-
tance diminue, ou besoin de doses plus fortes
pour obtenir le même effet qu’auparavant
Persistance de la consommation malgré des Pas d’adaptation
conséquences néfastes psychiques ou phy-
siques évidentes

4 Annand J. & Stavraki C. (2007) Substance-Related Disorders. Dans R. Fletcher, E. Loschen,


C. Stavrakaki & M. First M. (dir.) Diagnostic Manual-Intellectual Disability: A Clinical
Guide for Diagnosis of Mental Disorders in Persons with Intellectual Disability (DM-ID)
(pp.140-141). New York: NADD press.

193
Déficiences intellectuelles

3. Abords thérapeutiques
La psychothérapie est axée, dans un premier temps sur le travail motiva-
tionnel. Il est important d’évaluer les connaissances de la personne sur sa
consommation et ses répercussions. Si la personne possède des capacités d’in-
trospection, de mémorisation et de planification limitées, l’aide d’un proche
pourra être demandée.
Il conviendra de déterminer si l’objectif à atteindre est un sevrage total ou
bien une consommation raisonnée. Il est important d’utiliser la technique du
shapping (décomposition de l’objectif principal en sous-objectif) afin de favo-
riser la motivation au changement et éviter le découragement de la personne
si elle est confrontée à un but inatteignable et donc à l’échec.
De même, au moment de la thérapie, il pourra être proposé au patient
de se fixer des mini-objectifs à remplir entre les séances. À chaque objectif
sera attribué un renforçateur positif. Le thérapeute sera attentif au fait que
le patient définit des buts réalistes et à sa portée. Les personnes déficientes
intellectuelles peuvent se fixer des objectifs soit trop bas, soit trop élevés.
Des objectifs faibles traduisent une faible estime de soi et des doutes dans
ses capacités. Ils forment également la base des prédictions autoréalisatrices.
Des objectifs élevés sont reflets d’angoisses de performance. En se fixant des
objectifs inatteignables, la personne provoque l’échec, ce qui paradoxalement
lui donne le sentiment de maîtriser l’échec.
Les objectifs rationnels fixés font l’objet d’un contrat thérapeutique
auquel souscrit le patient et dont les soignants et éducateurs sont témoins5.
La personne est invitée à réfléchir sur sa manière de s’alimenter et de boire
d’une manière générale et d’envisager des changements si besoin. La tenue
d’un carnet alimentaire sera nécessaire. Celui-ci pourra être rempli par la
personne déficiente intellectuelle seule ou en compagnie d’un soignant ou
d’un éducateur référent.
Le thérapeute réalise avec le patient une analyse fonctionnelle autour de
ses comportements addicts. L’accompagnement d’un soignant ou éducateur
référent peut être nécessaire. Le thérapeute et le patient listent les situations
déclenchant le comportement addict. Les comportements addicts des personnes
déficientes intellectuelles peuvent paraître « automatisés » (cigarettes prises à
heures fixes, alcool consommé sans émotions ou pensées identifiables, etc.).

5 Corso, D. (2010) Aide aux fumeurs et publics déficients : Développement d’un module de
mise en projet destiné aux résidents fumeurs d’une institution hébergeant des personnes
affectées par la déficience mentale. Exploration de stratégies visant à mobiliser l’équipe édu-
cative ainsi qu’à soutenir la dynamique au sein de la structure. (Mémoire présenté en vue
de l’obtention du Certificat de Tabacologie). Formation continue inter universitaire.
Bruxelles : FARES (Bruxelles).

194
Chapitre 15 – Addictions avec substances

Le thérapeute peut encourager la prise de conscience des phénomènes


comportementaux, émotionnels et cognitifs sous-tendant le comportement
addict en demandant au patient ou à son référent de différer la réalisation du
comportement de façon volontaire ou en créant un obstacle à sa réalisation.
Cette situation devrait créer un conflit entre l’envie de réaliser le comporte-
ment et l’envie de le stopper. Les pensées facilitantes et les croyances autour du
produit devraient émerger. Il sera alors possible de les critiquer. Cette stratégie
permet également à la personne de réaliser que différer l’assouvissement de
son désir du produit provoque la diminution de l’envie.
Le thérapeute et le patient repèrent également les situations « pièges » et
définissent des stratégies d’urgence d’autocontrôle (par exemple, des moyens
de contrôles externes). L’apprentissage des stratégies de gestion du stress, de
résolution de problèmes et de décentrage est proposé.
L’exposition avec prévention de la réponse est possible, mais complexe à
cause des persévérations et des faibles capacités d’inhibition des personnes
déficientes intellectuelles. De même, l’exposition en imagination peut être
malaisée.
L’apprentissage de techniques d’affirmation de soi permet à la personne
de se positionner vis-à-vis de ses proches, surtout si ceux-ci continuent à
consommer.

195
Chapitre 16 16

Les troubles des conduites


alimentaires

1. Rappel des critères diagnostics


Les troubles des conduites alimentaires (TCA) regroupent les comporte-
ments de restriction alimentaire, les excès alimentaires et les comportements
« atypiques ».

1.1. L’anorexie mentale


L’anorexie mentale se définit par l’ensemble des symptômes suivants : refus
de maintenir un poids corporel au niveau ou au-dessus d’un poids minimum
normal, diminution ou perte de l’appétit (ce qu’on appelle le symptôme ano-
rexique), peur intense de prendre du poids, altération de la perception du
poids ou de la forme corporelle, amaigrissement et aménorrhée. Elle peut
être volontaire, ou non, et être renforcée par des vomissements volontaires
ou non1. Il convient de ne pas confondre anorexie mentale et restrictions
alimentaires. En effet, les restrictions alimentaires peuvent intervenir sans
être motivées par une volonté de perdre du poids ou par une perception de
l’image du corps défaillante. Le « symptôme anorexique » désigne le com-
portement de perte d’appétit globale ou sélective. Il n’est pas spécifique qu’à
l’anorexie mentale.
De même, il faut distinguer le symptôme anorexique des restrictions ali-
mentaires qui sont caractérisées par le refus de consommer certains aliments.

1 Tribolet S. & Shahidi M. (2005). Nouveau précis de sémiologie des troubles psychiques, Paris,
heures de France
Chapitre 16 – Les troubles des conduites alimentaires

Enfin, il est primordial de discriminer les comportements relevant d’une


authentique anorexie de ceux étant une réponse à des souffrances physiques
(par exemple, reflux gastro-œsophagiens) ou à une perte de motivation par
rapport à l’acte alimentaire (par exemple, symptôme dépressif ou simple rejet
des aliments présentés mixés).

Figure 1. Modèle de l’anorexie restrictive2

Surévaluation de l’apparence,
du poids et de leur contrôle

Régime strict, sans comportements


compensatoires ou de stratégies
comportementales de contrôle
du poids

Poids significativement bas renforçant :


– les préoccupations autour de l’alimentation
– l’impact social
– le sentiment de plénitude
(sensation physique, pensées obsédantes,
perceptions abdominales, sensations
concernant des habits, impression d’être
« gros ».
– l’obsession pour la nourriture et le poids

1.2. La boulimie
La boulimia nervosa comporte :
− Une absorption sur un temps limité d’une quantité de nourriture
importante ;
− Un sentiment de perte de contrôle ;
− Des comportements compensatoires inappropriés ;
− Une estime de soi influencée par le poids.
Les comportements compensatoires sont des symptômes « essentiels » à
la boulimie. En leur absence, il n’est pas question de boulimie (boulimia
nervosa), mais d’hyperphagie boulimique.

2 Fairburn C. G. (2008). Cognitive Behavior Therapy and Eating Disorders, New York:
Guilford Press, p. 21.

197
Déficiences intellectuelles

Les signes spécifiques de l’hyperphagie boulimique sont :


− Manger jusqu’à éprouver une sensation pénible de distension
abdominale ;
− Manger plus rapidement que la normale, en grande quantité indépen-
damment de sensation physique de faim et largement plus que ce que
la plupart des gens absorberaient en une période de temps similaire et
dans les mêmes circonstances ;
− Manger solitairement à cause de la gêne ressentie vis-à-vis de la quantité
de nourriture ingérée.
Ces épisodes s’accompagnent d’un sentiment de perte de contrôle sur le
comportement alimentaire.

Figure 2. Modèle de la boulimie

Image négative de soi

Sentiments dépressifs

Pensées intrusives concernant la nourriture

Impulsion : dévalorisation de ses capacités d’autocontrôle

Perte de contrôle

Accès boulimique

Pensées automatiques normalisantes

Vomissements forcés

1.3. La sitiomanie
Il s’agit d’un comportement impulsif, obligeant la personne à absorber une
quantité importante de nourriture. Ce qui distingue la boulimie de la sitioma-
nie est l’absence de considérations pour l’apparence corporelle chez ce dernier.

198
Chapitre 16 – Les troubles des conduites alimentaires

1.4. Le craving
Le craving3 est le désir ardent pour un aliment. Contrairement au boulimique,
la personne souffrant de craving ne se tournera que vers son aliment de
prédilection (la personne boulimique, au contraire, peut avaler pendant ses
crises des aliments qu’elle n’apprécie pas en temps normal).

1.5. La gloutonnerie
La gloutonnerie (ou voracité) est l’avidité à manger excessivement et avec
rapidité. L’ingestion rapide de quantités importantes ou des corps étrangers
peut provoquer des étouffements. Ce type de comportement peut s’obser-
ver dans certains syndromes démentiels. Il s’agit alors d’une libération des
pulsions instinctives par manque de contrôle au niveau des fonctions intel-
lectuelles supérieures. Ce TCA s’observe conjointement à d’autres troubles
du comportement.
Chez les personnes déficientes intellectuelles, on peut également observer
ce type de TCA.

1.6. Le pica
Le pica désigne l’ingestion de substances non nutritives. Cette absorption est
inappropriée compte tenu du niveau de développement. Le comportement
ne représente pas une pratique culturellement admise.
D’après Carter4. et al., la capacité à distinguer ce qui peut être mangé de
ce qui ne l’est pas est liée aux apprentissages sociaux. En effet, des comporte-
ments de type Pica sont permis lors de rituels culturels ou religieux dans de
nombreuses communautés du globe5. Des TCA de type Pica peuvent égale-
ment être liés à des troubles anxieux, comme c’est le cas chez des animaux
domestiques vivants confinés6.

3 Tribolet S. et Shahidi M. (2005). Nouveau précis de sémiologie des troubles psychiques, Paris,
heures de France, p231
4 Carter, S.L, Mayton, M. R & Wheeler, J.J. (2004). Pica: a review of recent assessment and
treatment procedures. Education and training in developmental disabilities, 39 (4),
346-358.
5 Hunter, J. M. (1973). Geophagy in Africa and in the United States: A culture nutrition
hypothesis. Geographical review, 63 (2), 170-195.
6 Schubnel, E. & Arpaillange, C. (2008). Principaux troubles de comportement du chat
confiné. Pratique Médicale et Chirurgicale de l’Animal de Compagnie, 43(2), 63-70

199
Déficiences intellectuelles

Des études réalisées en Grande-Bretagne7 entre 1978 et1999 estiment


qu’entre 4 et 26 % des personnes déficientes intellectuelles présentent des
troubles alimentaires du type pica.
De nombreuses hypothèses explicatives ont été émises concernant ce
trouble. Parmi les plus citées se trouvent les anémies en fer et zinc, ainsi
que les carences nutritionnelles, les maltraitances et les carences affectives
précoces, les troubles de l’humeur comme la dépression ou l’anxiété.
Selon Marchi et Cohen8, le pica peut être associé à un trouble du contrôle
des impulsions. Ces auteurs ont observé que certains enfants présentant un
pica mettent des objets dans la bouche de manière impulsive. La consomma-
tion de ces objets dans un but nutritif n’apparaît que très secondairement.
De nombreuses personnes déficientes intellectuelles présentent des déficits
au niveau de l’attention et du contrôle des gestes. Il n’est donc pas exclu que
des comportements de type pica soient davantage liés à un défaut d’inhibi-
tion (difficulté à réprimer les gestes impulsifs et/ou automatiques) qu’à un
trouble alimentaire.
La coprophagie est définie comme étant « l’ingestion d’excréments avec ou
sans barbouillage (jeux avec les matières fécales)9 ». Selon Motta et Basile10,
la coprophagie peut être considérée comme une forme de pica. Ces deux
troubles du comportement alimentaire ont des causes et des contingences
de maintien identiques.

1.7. Le mérycisme et la potomanie


Le mérycisme est le retour volontaire ou non des aliments de l’estomac dans
la bouche où ils sont à nouveau mastiqués.
La potomanie désigne le besoin difficilement contrôlable, d’ingérer de
grandes quantités de liquide (généralement de l’eau). Ce comportement peut
conduire le sujet à un état d’hyponatrémie pouvant aboutir à un coma. À ne
pas confondre avec la dipsomanie, qui est son pendant pour l’alcool.

7 Gravestock, S. (2000). Eating disorders in adults with intellectual disability. Journal of


Intellectual Disability Research, 44(6), 625-637.
8 Marchi, M. & Cohen, P. (1990). Early childhood eating behaviors and adolescent eating
disorders. Journal of the American Academy of child and adolescent psychiatry, 29,
112-117
9 Tribolet S. et Shahidi M. (2005). Nouveau précis de sémiologie des troubles psychiques,
heures de France, Paris, p231
10 Mottar, R.W, Basile, D.M. (1998). Pica, Dans L. Phelps (dir). Health-related disorders in
children: A guidebook for understanding and educating (pp.524-527). Washington, DC:
American Psychological Association.

200
Chapitre 16 – Les troubles des conduites alimentaires

2. Rappels théoriques
Les premières prises en charge des TCA sont basées sur le conditionnement
opérant11. Le patient reçoit des renforçateurs sociaux et matériaux en réponse
au comportement qu’il manifeste en présence de la nourriture et de la prise
de poids. Selon Cotraux12, la personne boulimique montre un lieu de maîtrise
(locus of control) externe. En effet, elle se perçoit comme étant soumise à son
environnement ou à ses impulsions.
Les crises de binge eating apparaissent dans un contexte cognitif et émo-
tionnel particulier13.Ces crises atténuent pendant un court laps de temps les
émotions pénibles et permettent à la personne de se couper de ses cognitions
négatives.
Fairburn conçoit la boulimie comme un château de cartes14. Le traite-
ment de la boulimie passe par l’identification et le remplacement de la carte
maintenant le trouble. Il classe les mécanismes renforçants le TCA en cinq
catégories15 :
− La surévaluation de l’importance de la silhouette et du poids ;
− La surévaluation du contrôle sur l’alimentation ;
− Les régimes restrictifs : la personne suit des règles « diététiques » rigides.
Ces méthodes ont pour effet de restreindre les quantités et le type
d’aliments consommés ;
− Les restrictions alimentaires : la personne mange de très faibles quantités ;
− Le fait d’être en sous-poids.
Les crises sont influencées par les événements et la réactivité émotionnelle
de la personne. La personne utilise son TCA comme stratégie de coping face
aux pensées et sentiments pénibles. Ce type de fonctionnement se retrouve
chez la personne ayant un TCA de type « purge ». Les personnes déficientes
intellectuelles présentent les mêmes préoccupations autour de leur apparence
que les neurotypiques. Ces interrogations peuvent être renforcées par la prise
de poids induite par les médications.

11 Bachrach, A. J., Erwin, W. J. & Mohr, J. P. (1965). The control of eating behavior in an
anorexic by operant conditioning techniques. Dans L. P. Ullmann, L. Krasner (dir.), Case
studies in Behavior Modification, (pp 153-163). New York, Holt, Rinehart and Winston.
12 Cottraux J. (2001) Les thérapies cognitives, comment agir sur nos pensées et nos émo-
tions ?, Paris : Retz, p207
13 Cottraux J. (2001) Les thérapies cognitives, comment agir sur nos pensées et nos émo-
tions ?, Paris : Retz, p208
14 Fairburn C. G., (2008). Cognitive Behavior Therapy and Eating Disorders, New York, NY,
the Guilford Press.
15 Fairburn C. G., (2008). Cognitive Behavior Therapy and Eating Disorders, New York, NY,
the Guilford Press, p93

201
Déficiences intellectuelles

3. Un comportement compensatoire
méconnu : le rectal purging
La volonté de contrôler l’expulsion des excréments est un élément relevé
régulièrement chez les patients souffrant de TCA. Ceux-ci peuvent avoir
recours aux laxatifs ou à d’autres méthodes16. Le comportement compen-
satoire consistant à évacuer manuellement les selles (rectal purging) est peu
connu. Nous relevons des exemples dans la littérature scientifique de cas de
patients souffrant de TCA et y ayant recours : « Je pense aussi à telle patiente
boulimique chez qui les vomissements étaient une manière de shunter le
passage par l’intestin et l’anus. Ou encore, cet homme obèse chez qui la
compulsion à manger mise au premier plan se doublait d’une constipation
permanente qui l’amenait à aller chercher à mains nues un bouchon fécal
récurrent…17 »
Les patients n’abordent pas spontanément ce comportement compensatoire.
Celui-ci est parfois découvert en dehors de la prise en charge psychothérapique
à l’occasion d’une consultation somatique. Ce cas a été décrit par Guerdjikova,
O’Melia, Riffe, Palumbo et McElroy18 qui exposent le cas d’une jeune femme
boulimique utilisant le rectal purging comme méthode pour compenser les
répercussions de son hyperphagie boulimique. L’utilisation excessive du doigt
pour induire la défécation entraîne un prolapsus rectal qui nécessite deux
chirurgies correctrices en quinze mois d’intervalle.
Le rectal purging semble présent chez les personnes déficientes intellec-
tuelles atteintes d’anorexie de type binge/purge, mais aussi pour les patients
avec une boulimie, et plus particulièrement ceux qui souffrent du syndrome
chronique de l’intestin irritable, de constipation chronique et d’abus de
laxatifs19.
Ces éléments laissent supposer que le rectal purging est un comportement
présent chez les patients ayant des TCA. Il n’est découvert qu’à cause des
complications somatiques qu’il entraîne ou lorsque les patients surmontent
leur appréhension pour en parler au soignant. Si les thérapeutes questionnent
systématiquement leurs patients sur leurs recours au rectal purging aussi bien
durant la prise en charge des TCA que lorsqu’ils sont accueillis dans les

16 Mitchelle, N. & Norris, M. N. (2013). Rectal prolapse associated with anorexia nervosa:
a case report and review of the literature. Journal of Eating Disorders, 1(39), doi:
10.1186/2050-2974-1-39
17 Bon, N. (2009). Animalus horribilis. Une pulsion détestée. Le Journal des psychologues,
6 (269), 70-74.
18 Guerdjikova, A. I., O’Melia, A., Riffe, K., Palumbo, T. and McElroy, S. L. (2012), Bulimia
nervosa presenting a rectal purging and rectal prolapse: Case report and literature review.
International Journal of Eating Disorders, 45, 456–459.
19 Malik M., Stratton J. & Sweeney W. B. (1997). Rectal prolapse associated with bulimia
nervosa: report of seven cases, Diseases of the Colon & Rectum, 40(11), 1382-1385.

202
Chapitre 16 – Les troubles des conduites alimentaires

services de gastro-entérologies, il sera possible d’établir la prévalence de ce


comportement.

4. Adaptation des critères diagnostics


pour les personnes déficientes
intellectuelles
Comme chez les personnes ordinaires, les TCA peuvent être causés par une
mauvaise perception de l’image du corps et des cognitions inadaptées.
Les éléments suivants peuvent également être à l’origine des TCA :
− Causes organiques : problèmes sur le plan neurologique. Perturbations
des systèmes limbique et paralimbique, de l’amygdale (lié à la régula-
tion des émotions et impliqués dans la sensation de satiété)n du cortex
orbito-frontal (lié au circuit de « récompense » dans le système nerveux),
ainsi que le cortex préfrontal (lié au contrôle des fonctions exécutives
et des comportements) ;
− Événements perturbateurs : deuils, maltraitances, carences affectives
ou éducatives, etc. ;
− Environnement perturbateur : environnement bruyant au moment des
repas, peu d’occasions de dépenser de l’énergie, etc. ;
− Perturbations psychologiques ;
− Trouble de la perception des sensations corporelles.
Les TCA peuvent constituer soit un trouble du comportement parmi
d’autres, soit être une expression concomitante au handicap. C’est notamment
le cas des patients présentant un syndrome de Prader-Willi. Ce syndrome est
lié à un trouble chromosomique et n’entraîne pas toujours une déficience
intellectuelle. Toutefois, il entraîne quasi systématiquement des troubles du
comportement, notamment des TCA comme de l’hyperphagie.

203
Déficiences intellectuelles

Tableau 1. Comparaison entre critères diagnostics du DSM-IV et du DM-ID


pour l’anorexie mentale

Critère du DSM-IV Critères adaptés pour les personnes


pour l’anorexie mentale déficientes intellectuelles (DM-ID)
Refus de maintenir le poids corporel au niveau La peur de prendre du poids peut se manifes-
ou au-dessus d’un poids minimum normal ter par des manifestations d’anxiété face à la
pour l’âge et pour la taille (par exemple, perte nourriture ou au moment des repas
de poids conduisant au maintien du poids à
moins de 85 % du poids attendu, ou incapa-
cité à prendre du poids pendant la période
de croissance conduisant à un poids inférieur
à 85 % du poids attendu)
Peur intense de prendre du poids ou de Pas d’adaptation
devenir gros, alors que le poids est inférieur
à la normale
Altération de la perception du poids ou de la Pas d’adaptation
forme de son propre corps, influence exces-
sive du poids ou de la forme corporelle sur
l’estime de soi, ou déni de la gravité de la
maigreur actuelle
Chez les femmes post-pubères, aménorrhée, Pas d’adaptation
c’est-à-dire absence d’au moins 3 cycles
menstruels consécutifs (une femme est consi-
dérée comme aménorrhéique si les règles ne
surviennent qu’après administration d’hor-
mones, tels les œstrogènes)
Refus de maintenir le poids corporel au niveau Pas d’adaptation
ou au-dessus d’un poids minimum normal
pour l’âge et pour la taille (par exemple, perte
de poids conduisant au maintien du poids à
moins de 85 % du poids attendu, ou incapa-
cité à prendre du poids pendant la période
de croissance conduisant à un poids inférieur
à 85 % du poids attendu)
Peur intense de prendre du poids ou de Pas d’adaptation
devenir gros, alors que le poids est inférieur
à la normale
Altération de la perception du poids ou de la Pas d’adaptation (peut être difficile à
forme de son propre corps, influence exces- appréhender chez les personnes ayant une
sive du poids ou de la forme corporelle sur déficience moyenne à profonde)
l’estime de soi, ou déni de la gravité de la
maigreur actuelle

204
Chapitre 16 – Les troubles des conduites alimentaires

Tableau 2. Comparaison entre critères diagnostics du DSM-IV et du DM-ID


pour la boulimie

Critère du DSM-IV Critères adaptés pour les personnes


pour la boulimie déficientes intellectuelles (DM-ID)
A. Pas d’adaptation
1. Absorption, en une période de temps
limitée (par exemple, en 2 heures), d’une
quantité de nourriture largement supérieure
à ce que la plupart des gens mangeraient dans
une période de temps similaire et dans les
mêmes circonstances
2. Sentiment d’une perte de contrôle sur le
comportement alimentaire pendant l’épisode
(par exemple, sentiment de ne pas pouvoir
s’arrêter de manger ou de ne pas pouvoir
contrôler ce que l’on mange ou en quelle
quantité)
B. Pas d’adaptation
Les épisodes de boulimie sont associés à au
moins 3 des caractéristiques suivantes :
1. manger beaucoup plus rapidement que la
normale
2. manger jusqu’à se sentir inconfortablement
plein
3. manger de grandes quantités de nourriture
sans ressentir la faim physiquement
4. manger seul parce qu’on se sent gêné par
la quantité de nourriture que l’on absorbe
5. se sentir dégoûté de soi-même, déprimé ou
très coupable après avoir trop mangé
Le comportement boulimique est la source Pas d’adaptation
d’une souffrance marquée
Le comportement boulimique survient, en Pas d’adaptation
moyenne, au moins une fois par semaine
depuis 3 mois
Types spécifiques : Pas d’adaptation (penser à évaluer la présence
– avec comportements de purge d’un rectal purging)
– sans comportements de purge (compor-
tements compensatoires de type exercices
physiques excessifs)

205
Déficiences intellectuelles

5. Abords thérapeutiques
Les TCC des troubles des conduites alimentaires utilisent les techniques
suivantes20 :
− Mise en place d’un contrat thérapeutique dans lequel sont notés les
objectifs (augmentation et régulation de la prise alimentaire, (ré)intro-
duction des aliments évités, modification des modalités des repas et
supression des stratégies de contrôle) ;
− Le rétablissement d’une alimentation régulée ;
− La tenue d’un carnet alimentaire ;
− L’apprentissage de la relaxation. Le but est de diminuer l’anxiété liée
au repas, aux crises d’hyperphagie et aux répercussions corporelles des
prises alimentaires ;
− La mise en place de comportements alternatifs incompatibles avec la
boulimie et des comportements compensatoires. Il peut être demandé
au patient d’effectuer une relaxation ou un travail de restructuration
cognitive entre le binge eating et les vomissements ;
− L’exposition à la prise d’aliments anxiogènes, suivie de la prévention
des accès boulimiques. L’exposition aux aliments se fait de façon pro-
gressive et, dans un premier temps, sous la surveillance du soignant.
Par la suite, le patient est invité à reproduire l’exercice d’exposition
seul, sous autocontrôle ;
− La désensibilisation ;
− La restructuration cognitive. Celle-ci est centrée sur l’identification et
l’examen des croyances erronées autour du poids, de la forme corporelle,
des besoins nutritionnels, ainsi que sur l’efficacité des comportements
compensatoires ;
− Des entraînements aux habiletés sociales. Ces derniers peuvent être
effectués aussi bien lors de séances individuelles (techniques d’affirma-
tion de soi), qu’en groupe (repas pris avec le thérapeute pour favoriser
l’apprentissage vicariant et les habilités sociales).
Les programmes de traitements de l’obésité, associant composantes dié-
tétiques et thérapies cognitives et comportementales, sont reconnus comme
étant efficaces sur le long terme. Ils combinent une modification de l’alimen-
tation, du comportement et une augmentation de l’activité physique.

20 Divac, S. M., (2004). Les troubles du comportement alimentaire : Anorexie, Boulimie, Dans
B. Samuel-Lajeunesse, C. Mirabel-Sarron, L. Vera & F. Mehran (dir). Manuel de théorie
comportementale et cognitive, (pp 167-192), Paris : Dunod

206
Chapitre 16 – Les troubles des conduites alimentaires

Maglieri et ses collègues21 ont montré que l’utilisation de renforçateurs


sociaux (félicitations pour les comportements adaptés) a suffi à réduire les
vols de nourriture d’une fillette présentant un syndrome de Prader-Willi.
Nous distinguons les comportements de restrictions alimentaires liés à
un refus de certains aliments, des symptômes anorexiques liés à une perte
d’appétit. Dans le premier cas, le refus alimentaire peut être pallié via des tech-
niques d’« apprivoisement » de l’aliment rejeté et de conditionnement opérant.
Par exemple, dans le cas d’une personne refusant de manger des tomates, la
stratégie thérapeutique consiste à d’abord aider la personne à « apprivoiser »
le fruit. Il lui est présenté au moment des repas, la personne n’est pas forcée
de le consommer et elle peut le manipuler. De nombreuses personnes (pas
uniquement les personnes déficientes intellectuelles) présentent une certaine
défiance vis-à-vis des nouveaux aliments. Il est alors question de « néopho-
bie ». Il peut être utile de montrer à la personne que le nouvel aliment n’est
ni dangereux ni mauvais, en en consommant un peu soi-même. Cette tech-
nique favorise l’apprentissage par imitation. Par la suite, la tomate va être
intégrée au menu de la personne et elle sera présentée en même temps que
ses plats préférés. Chaque bouchée est fortement encouragée et renforcée par
un système de récompense avec le don d’un aliment apprécié. L’objectif de
cette technique est que la personne associe la tomate à son aliment préféré
et puisse la consommer.
Le refus alimentaire peut apparaître après un événement vécu comme
traumatique (fausse route, forçage alimentaire, accident, maladie, etc.). La
personne va manifester un fort stress à l’approche des repas. Le refus ali-
mentaire peut être total ou bien sélectif. Il convient alors de ne pas forcer la
personne, car cela renforcerait le comportement de refus. Suivre la stratégie
d’« apprivoisement » des aliments décrite plus haut peut aider à débloquer la
situation.
Le comportement de refus alimentaire de la personne déficiente intellec-
tuelle peut être le reflet du comportement ou du ressenti de sa famille ou
des soignants.
Parfois, les refus alimentaires des personnes déficientes intellectuelles
profondes suivent le même schéma que l’« anorexie d’opposition » observée
chez le jeune enfant. Tous deux peuvent apparaître sans qu’aucune altération
organique ne puisse les expliquer. Ils entraînent le « cercle vicieux » suivant :
la personne refuse les aliments, les parents ou les soignants essaient de la
forcer à se nourrir. Plus la personne rejette la nourriture, plus les parents ou
les soignants insistent, ce qui renforce l’opposition de la personne. Souvent, le
fait de casser ce cercle vicieux, en tranquillisant les parents ou les soignants et

21 Maglieri, K. A., Deleon, I. G., Rodriguez-Carter, V., Sevin B. M. (2000). Treatment of


Covert Food Stealing in an Individual with Prader-Willi Syndrome. Journal of Applied
Behavior Analysis, 33, 615-618

207
Déficiences intellectuelles

en les convainquant d’être moins pressants, peut suffire à remédier au trouble.


Dans d’autres cas, la perte d’appétit est le signe d’un syndrome de glissement.
Avant de commencer une intervention sur le pica, il convient d’observer
la personne et de noter dans quelles circonstances le comportement apparaît.
L’observation peut être effectuée par les soignants ou par la famille, dans
le lieu de vie de la personne ou bien dans une salle spécialement conçue à
cet effet dans l’institution. Piazza22 et ses collègues recommandent de placer
la personne seule dans une salle équipée d’une vitre, afin que les soignants
puissent l’observer à distance, sans la perturber. Cette observation attentive
permet d’établir dans quelles circonstances apparaît le comportement, quelle
est sa fonction et quels sont les facteurs qui le renforcent. Nous ajoutons
que l’observation permet également de différencier des comportements de
type pica ou coprophage, s’apparentant à des troubles des conduites, de ceux
appartenant à un authentique TCA. Lorsque le TCA n’a pas d’autre fonction
que le plaisir buccal, il est décrit comme « auto-renforçant ». Piazza et ses
collaborateurs23 conseillent de décomposer le comportement et l’objet utilisé
dans le pica afin de déterminer ce qui est renforçant. Ainsi, dans leur étude
d’un patient présentant un pica lié aux cigarettes, ils ont déterminé que la
nicotine était l’élément renforçant. Pour Goh24 et al., c’est la stimulation
main-bouche qui est renforçante dans le pica.
La stratégie thérapeutique passe par la stimulation de la personne déficiente
intellectuelle lors des repas et l’apprentissage de comportements alternatifs
ayant les mêmes contingences de renforcement que le pica, mais étant plus
adaptés et moins dommageables pour la santé. Par exemple, Goh et ses colla-
borateurs ont réussi à faire diminuer la fréquence des comportements de pica
chez quatre personnes déficientes intellectuelles modérées en leur proposant
d’apporter les objets qu’ils ingéraient aux soignants afin qu’ils soient échangés
contre leur aliment préféré (sucreries, popcorn, etc.). Autre exemple : Piazza
et ses collaborateurs brandissent une carte violette devant la personne pour
lui signifier que le comportement était inapproprié et qu’elle le stoppe. Ces
méthodes supposent que la personne bénéficie d’un minimum d’autonomie
et d’autocontrôle.
D’autres études évoquent la diminution du comportement de pica par
conditionnement répondant. Le conditionnement répondant se base sur une
réponse innée de l’organisme. Contrairement au conditionnement opérant,

22 Piazza, C. C., Hanley, G.P., Blackley-Smith, A. B. & Kinsman, A. M (2000). Effects of search
skill training on the pica of a blind boy. Journal of developmental and physical disabilities,
12, 35-41
23 Piazza C.C., Hanley G.P., Fisher W.W. (1996). Functionnal analysis and treatment of ciga-
rette pica, Journal of applied behavior analysis, 29, 437-450
24 Goh, H.L, Iwata, B.A., Shore, B.A., Deleon, I.G., Lermand, D.C., Ulrich, S.M. & Smith, R.G.
(1995). An analysis of the reinforcing properties of hand mouthing. Journal of applied
behavior analysis, 28, 269-283

208
Chapitre 16 – Les troubles des conduites alimentaires

il n’est pas demandé à l’individu de faire un choix, mais de « simplement »


répondre à un stimulus. La réponse est très facile à encourager, car elle est
basée sur un processus automatique.
Matson, Stephens et Smith25 ont obtenu la diminution du pica chez une
femme déficiente profonde de 57 ans en associant l’objet qu’elle ingérait avec
une boisson composée d’eau et de sauce piquante qui était déplaisante pour
elle. De même, Ferreri, Tamm et Wier26 ont associé les objets en plastic
qu’un garçon autiste de 4 ans mettait à sa bouche avec un pudding au tapioca
(aliment détesté par l’enfant).
Les prises en charge comportementales des TCA offrent des résultats
intéressants. Elles sont complémentaires avec les techniques médicales et de
rééducation. Elles s’intègrent facilement aux prises en charge hospitalières et
nutritionnelles et peuvent être employées dans les lieux de vie des personnes
déficientes intellectuelles.

25 Matson, J.L., Stephens, R.M. & Smith, C. (1978). Treatment of self-injurious behaviour
with overcorrection. Journal of mental deficiency research, 22, 175-178
26 Ferreri, S. J, Tamm, L. & Wier, K.G. (2006). Using Food Aversion to Decrease Severe Pica
by a Child with Autism. Behavior modification, 30, 456-471.

209
Chapitre 17 17

Les troubles de la personnalité


chez les personnes déficientes
intellectuelles

La personnalité est le produit de facteurs biologiques, psychosociaux, envi-


ronnementaux et expérientiels.
Les troubles de la personnalité chez les personnes déficientes intel-
lectuelles sont méconnus et donc sous-diagnostiqués1. Ils sont perçus
comme un facteur aggravant de la déficience intellectuelle et des troubles
psychiatriques2.
Plusieurs études montrent l’influence de la personnalité sur l’adaptation,
la santé physique et mentale, la longévité, les occupations, l’emploi ainsi que
les relations amoureuses. Cette influence (positive ou négative) se manifeste,
quel que soit le niveau intellectuel de la personne3.
Les stéréotypes sur les personnes déficientes intellectuelles et le handicap
sont un frein à la perception des troubles de la personnalité et des symptômes
psychiatriques d’une façon générale.
Une estime de soi basse, une dépendance affective, des aspirations et des
espérances faibles ainsi qu’un manque de confiance dans ses capacités à faire

1 Wink L. K., Erickson C. A., Chambers J. E., McDougle C. J. (2010) Co-morbid intellec-
tual disability and borderline personality disorder: a case series, Psychiatry 73(3),
277-287.
2 Dosen, A. (2005). Applying the developmental perspective in the psychiatric assessment
and diagnosis of persons with intellectual disability: part II--diagnosis. Journal of Intellec-
tual Disability Research, 49(Pt 1), 9-15.
3 Boyd S. E. (2013) Personality and Personality Disorder in Adults with Intellectual Disabili-
ties, Theses and Dissertations-- Psychology. Paper 30. Doi: http://uknowledge.uky.edu/
psychology_etds/30
Chapitre 17 – Les troubles de la personnalité chez les personnes déficientes intellectuelles

face aux obstacles font partis des traits relevés lors d’évaluation de la person-
nalité des personnes déficientes intellectuelles4.
Ces caractéristiques trouvent leur origine dans les expériences psychoso-
ciales marquées par des échecs répétés, des brimades, du rejet ainsi que par
le manque de perspectives d’avenir offertes aux personnes en situation de
handicap. Par conséquent, les personnes déficientes intellectuelles sont plus
à risque de développer des troubles de l’humeur et de la personnalité.

1. La personnalité borderline
1.1. Rappel des critères diagnostics
de la personnalité borderline
− Efforts effrénés pour éviter les abandons (réels ou imaginés)
− Relations instables et intenses (alternance entre fusion et rejet, idéali-
sation et dévalorisation, passion et haine, etc.)
− Perturbation de l’identité
− Impulsivité avec une potentielle mise en danger
− Gestes suicidaires ou autoagressifs répétés
− Instabilité affective
− Sentiment chronique de vide
− Colères intenses
− Idées de persécutions ou symptômes dissociatifs transitoires lors de
périodes de stress

1.2. Établir un diagnostic différentiel


Le principal critère permettant de distinguer un trouble de la personnalité
d’un trouble de l’adaptation est la persistance du trouble de la personnalité
dans le temps et le lieu de vie.
Si une personne déficiente intellectuelle présente des conduites à risque,
fait preuve d’instabilité dans ses liens avec les autres, a une humeur labile,
mais qu’une fois sortie de son environnement institutionnel cette même per-
sonne peut se resocialiser, alors il est probable qu’elle présente un trouble de
l’adaptation et non de la personnalité.
Il est également important de prendre en considération les accompa-
gnements dont a bénéficié la personne au cours de son développement

4 Ziegler E. & Burack J. A. (1989). Personality development and the dually diagnosed person,
Research in Developmental Disabilities, 10, 225-240.

211
Déficiences intellectuelles

(La personne a-t-elle grandi dans un milieu « sécurisant » ? La personne a-t-


elle eu l’opportunité d’apprendre les normes sociales ? L’environnement était-il
stimulant ? Quelles étaient les attentes des proches concernant son dévelop-
pement et son avenir ? etc.).
De même, il convient de distinguer les troubles du comportement liés à des
troubles psychiatriques (Axe I du DSM-IV) de ceux consécutifs aux troubles
de la personnalité, de ceux apparaissant en lien avec un syndrome génétique
(par exemple, len lien avec syndrome de Prader Willi ou Lesh Nyhan)5.
Enfin, il est important de dissocier les troubles résultant d’un retard de
développement de ceux liés à des troubles de la personnalité.

Tableau 1. Comparaison entre critères diagnostics du DSM-IV et du DM-ID6

Critère du DSM-IV pour le trouble Critères adaptés pour les personnes


de la personnalité borderline déficientes intellectuelles (DM-ID)
Efforts effrénés pour éviter les abandons Du fait de leur relation de dépendance vis-
(réels ou imaginés) à-vis de leur proche et des professionnels,
les personnes déficientes intellectuelles ont
tendance à être davantage anxieuses quant
aux éventuelles séparations et à rechercher
une plus grande proximité. Ces caractéris-
tiques doivent être prises en compte
Relations instables et intenses (alternance Pas d’adaptation
entre fusion et rejet, idéalisation et dévalo-
risation, passion et haine, etc.)
Perturbation de l’identité Ce critère est difficilement évaluable, car il
suppose des capacités d’insight et de com-
munication importantes afin de pouvoir
décrire son vécu
Impulsivité avec une potentielle mise en Être vigilant quant aux troubles consécutifs
danger des syndromes génétiques et facteurs déve-
loppementaux et environnementaux
Gestes suicidaires ou auto-agressifs répétés Être vigilant quant aux troubles consécutifs
des syndromes génétiques et facteurs déve-
loppementaux et environnementaux
Instabilité affective Pas d’adaptation

5 Di Nuovo S. & Buono S. (2011). Behavioral phenotypes of genetic syndromes with intellec-
tual disability: comparison of adaptive profiles, Psychiatry Research, 189(3), 440-445.
6 Lindsay W. R., Dana L. A., Dosen A., Gabriel S. R. & Young S. (2007) Personality disorders,
Dans R. Fletcher, E. Loschen, C. Stavrakaki & M. First M. (dir.) Diagnostic Manual-Intel-
lectual Disability: A Clinical Guide for Diagnosis of Mental Disorders in Persons with Intel-
lectual Disability (DM-ID)(pp.322-323), New York: NADD press.

212
Chapitre 17 – Les troubles de la personnalité chez les personnes déficientes intellectuelles

Critère du DSM-IV pour le trouble Critères adaptés pour les personnes


de la personnalité borderline déficientes intellectuelles (DM-ID)
Sentiment chronique de vide Ce critère est difficilement évaluable, car il
nécessite que la personne ait des capaci-
tés de communication et d’introspection
sophistiquées
Colères intenses Être vigilant quant aux troubles consécutifs
des syndromes génétiques et facteurs déve-
loppementaux et environnementaux
Idées de persécutions ou symptômes disso- Pas d’adaptation
ciatifs transitoires lors de périodes de stress

2. La Dialectal Behavior Therapy (DBT)


Cette thérapie fait partie des thérapies de troisième vague des TCC. Elle
cible les déficits dans la régulation émotionnelle, la tolérance aux émotions
négatives ainsi que dans les relations interpersonnelles. La DBT a été concep-
tualisée par Linehan pour prendre en charge les personnes ayant des troubles
de la personnalité (notamment des troubles de la personnalité borderline)7.
Elle a fait l’objet de nombreuses études et validations.
La DBT est également proposée aux personnes ayant une déficience intel-
lectuelle ainsi que des troubles mettant en péril leur épanouissement et leur
autonomie. Du fait de leur vulnérabilité biologique, neuropsychologique,
psychologique et sociale, les personnes déficientes intellectuelles sont plus à
risque de développer des troubles de la personnalité, de la régulation émo-
tionnelle ainsi que des troubles du comportement. La DBT permet de prendre
en charge ces différents aspects.
De plus, la DBT offre également des clés pour comprendre les troubles de
la personne comme étant la réponse à un environnement invalidant. Linehan
définit un environnement invalidant selon trois caractéristiques :
− Le rejet des émotions et de la transmission des éléments personnels ;
− La non-considération des émotions et l’application de réponses aver-
sives lorsque celles-ci sont exprimées ;
− Une simplification extrême de la manière de résoudre les problèmes
et des méthodes pour atteindre un objectif.
Ces éléments ont pour effet de contraindre la personne à taire ses
impressions et ses expériences personnelles, à ne pas faire confiance

7 Linehan M. (1993). Cognitive behavioral treatment of borderline personality disorder, New


York: The Guilford Press.

213
Déficiences intellectuelles

en ses propres ressentis, de ne laisser les émotions paraître que lorsque


leur retenue est devenue insupportable (les affects ne se manifestant que
lorsqu’ils ont atteint leur climax), ainsi que d’induire et de renforcer un
sentiment d’échec.
La DBT repose sur des outils issus des première, deuxième et troisième
vagues des TCC. Elle prend en compte l’aspect comportemental en repé-
rant les comportements problématiques qui seront travaillés. Le thérapeute
propose au patient de nouvelles stratégies comportementales pour résoudre
ses difficultés sans passer par des conduites disruptives. L’objectif est que le
patient acquière de nouvelles stratégies de résolution de problèmes afin qu’il
puisse les appliquer spontanément.
Les premiers comportements qui sont ciblés sont ceux mettant le patient
en danger (actes auto- et hétéro-agressifs), ceux interférant avec la thérapie
et la qualité de vie (évitements, échappements, attitudes de dépendance, etc.),
enfin ceux exprimant un stress post-traumatique.
La DBT propose également l’emploi de la relaxation et des outils issus
du Zen et du Mindfulness. Le patient apprend à être attentif et ouvert à ses
propres jugements sur les autres et lui-même.
Le dernier aspect de la thérapie concerne la partie « dialectique ». L’aspect
dialectique lie à la fois les composantes biologiques, psychologiques,
comportementales et environnementales. La DBT tente d’aider le patient
à mener ses propres combats, à résoudre ses problèmes personnels et à
interagir habilement avec son environnement. Pour cela, le thérapeute trans-
met des outils pour s’affirmer et prendre son indépendance. Le thérapeute
assure la généralisation des acquis au milieu naturel, structure l’environne-
ment thérapeutique afin de soutenir le patient et le thérapeute (pour éviter
l’épuisement de l’un et de l’autre), augmente la motivation et le sentiment
d’auto-efficacité.
La DBT a été employée avec succès auprès de personnes déficientes
intellectuelles et trisomiques 21. Elle a obtenu des résultats positifs dans le
traitement de la dépression et des troubles du comportement8.

8 Lew M., Matta C., Tripp-Tebo C., Watts D. (2006) Dialectical Behavior Therapy (DBT) for
Individuals with Intellectual Disabilities: A Program Description. Mental Health Aspects of
Developmental Disabilities. 9(1). 1-13.

214
Chapitre 17 – Les troubles de la personnalité chez les personnes déficientes intellectuelles

Figure 1. Modèle de régulation émotionnelle inadaptée pour les personnes déficientes


intellectuelles9

Événement négatif Émotion

D’autres événements Réaction (trouble


négatifs du comportement)

Les buts de la régulation émotionnelle sont de :


− Comprendre les émotions. Pour cela, la personne est encouragée à
« observer » son émotion, l’identifier et comprendre ses conséquences ;
− Contrôler le comportement : celui-ci passe par la compréhension de
la manière dont l’émotion affecte la personne, la prise de décisions
rationnelles et non émotionnelles ;
− Arrêter de se sentir mal tout le temps : le patient accepte ses émotions
douloureuses et les laisse passer. Il comprend que des conséquences
positives découlent des choix adaptés.
La thérapie suit la philosophie suivante : trouver un équilibre entre tra-
vailler sur ce que la personne est capable de changer et accepter ce qui ne
peut pas être changé. Par exemple, au lieu de forcer la personne à changer sa
façon de réagir face aux situations difficiles, il lui est enseigné une nouvelle
manière de comprendre et d’accepter ses émotions.

9 Charlton M. & Dykstra E. J. (2011) Dialectical Behavior Therapy for Special Populations:
Treatment with Adolescents and Their Caregivers, Dans R. J. Fletcher (dir.) Psychotherapy
for Individuals with Intellectual Disability. New York: The NADD Press, p. 23

215
Déficiences intellectuelles

Figure 2. Exemple de prise en charge selon la DBT

Un événement se produit Je réfléchis à ce qui vient


de se produire

Je prête attention
aux changements corporels
que cela entraîne (pleurs,
palpitations, etc.)

Je prête attention
à mon émotion

Je nomme mon émotion

J’accepte mon émotion


comme étant normale
et temporaire

La DBT suit quatre modalités thérapeutiques :


− Les groupes psycho-éducationnels (auxquels les proches des personnes
déficientes intellectuelles peuvent être conviés afin de mieux comprendre
leurs troubles et accompagner la restructuration de l’environnement et
l’application des techniques thérapeutiques). Le travail groupal permet
aux patients de prendre conscience de toutes les composantes de leurs
troubles (impulsivité, dysrégulation cognitive et émotionnelle, instabi-
lité de l’image de soi, etc.) : de découvrir les stratégies mises en place
par des pairs (apprentissage vicariant) et de s’entre-aider. Le groupe et
les relations d’aide développées dans le groupe permettent d’augmenter
le sentiment d’efficacité personnelle ;
− La thérapie individuelle : elle intervient en parallèle des séances grou-
pales. Les objectifs sont de renforcer l’appropriation des stratégies vues
lors des séances groupales et d’accompagner leur mise en œuvre. Les
séances individuelles permettent de centrer les stratégies de résolution
de problèmes sur le patient, de le soutenir et de lui fournir des outils
pour s’ajuster et traverser les situations de crises ;
− Les techniques pour faire face aux situations de crise : pour cela, les
outils issus du Mindfulness sont employés. L’objectif est d’augmenter la
tolérance face aux affects qui jusqu’alors étaient source de détresse et de
comportements inadaptés dans le but de fuir, de soulager ou d’excitater.
Le sentiment d’efficacité personnelle et interpersonnelle est encouragé ;

216
Chapitre 17 – Les troubles de la personnalité chez les personnes déficientes intellectuelles

− Les équipes de consultation : il s’agit avant tout d’offrir des lieux de


paroles et de supervision pour le thérapeute.
Les séances se concluent par une attribution de tâches à mettre en œuvre
avant le prochain rendez-vous.
La DBT est une thérapie longue. Elle est composée d’une phase de « pré-
thérapie » pendant laquelle le thérapeute et le patient se rencontrent et
concluent un contrat thérapeutique. Les sessions groupales et individuelles
s’étalent sur plusieurs semaines (une vingtaine en moyenne).
Le thérapeute reste à l’écoute du patient et peut modifier le cadre thé-
rapeutique en fonction des besoins de ce dernier (besoin de rapprocher ou
d’espacer les consultations, besoin de contacts téléphoniques dans les situa-
tions de crises, etc.).
L’application de la DBT pour les personnes déficientes intellectuelles néces-
site quelques ajustements par rapport au modèle initial. La présence d’un tiers
aidant (famille, ami, collègue, etc.) peut s’avérer nécessaire afin d’augmenter
leurs connaissances des troubles présentés par leurs proches et de favoriser
la généralisation. Le tiers aidant peut également intervenir comme support
pour aider la personne déficiente intellectuelle à gérer la détresse émotion-
nelle. Pendant les sessions groupales et individuelles, l’utilisation d’exercices
concrets et de supports matériels s’avère nécessaire.
Les modalités des séances sont ajustées selon les déficits neuropsycholo-
giques et les vulnérabilités biologiques, développementales, comportementales
et psychiatriques des patients10. La thérapie comporte des séances plus nom-
breuses, mais plus courtes que dans le programme initial. Le thérapeute
n’hésite pas à répéter et résumer le contenu des séances ainsi qu’à s’appuyer
sur des supports que le patient peut conserver et rapporter (« Diary Card »
rappelant les comportements cibles ainsi que les méthodes à employer).
La DBT vise à augmenter l’indépendance de l’individu. Elle propose au
participant des outils pour s’affirmer, négocier et défendre ses droits. Ces
capacités risquent de rentrer en conflit avec les institutions dans lesquelles
vivent les personnes déficientes intellectuelles. Pour cela, il est primordial
que les professionnels de ces établissements mènent également leurs propres
réflexions sur l’environnement de vie des personnes qu’ils accompagnent,
qu’ils soient prêts à modifier certaines de leurs pratiques et à accueillir sans
jugement les nouvelles aptitudes des personnes déficientes intellectuelles11.

10 Lew M., Matta C., Tripp-Tebo C. & Watts D. (2006). Dialectical Behavior Therapy (DBT)
for Individuals with Intellectual Disabilities: A Program Description, Mental Health
Aspects of Developmental Disabilities, 9(1), 1-13.
11 Charlton M. & Dykstra E. J. (2011). Dialectical Behavior Therapy for Special Populations:
Treatment with Adolescents and Their Caregivers. Dans R. J. Fletcher (dir.) Psychotherapy
for Individuals with Intellectual Disability. New York: The NADD Press, p. 27

217
Déficiences intellectuelles

L’emploi de la DBT pour les personnes déficientes intellectuelles permet


l’abaissement des comportements à risque ainsi qu’une meilleure tolérance aux
émotions. La DBT, en offrant une nouvelle conception de l’environnement,
permet également une adaptation de celui-ci et un ajustement des pratiques
et interactions entre professionnels et personnes accompagnées12.

12 Sakdalan J. A., Shaw J. & Collier V. (2010). Staying in the here-and-now: A pilot study on
the use of dialectical behaviour therapy group skills training for forensic clients with intel-
lectual disability, Journal of Intellectual Disability Research, 54(6), 568-572.

218
Chapitre 18 18

Pathologies
neuropsychologiques
en lien avec le vieillissement
chez les personnes
déficientes intellectuelles

Dans le présent chapitre, nous aborderons les troubles pouvant survenir avec
l’avancée en âge chez les personnes déficientes intellectuelles.
La longévité des personnes en situation de handicap s’est accrue. Au début
du xxe siècle, peu de personnes trisomiques dépassaient l’âge de 40 ans.
Actuellement, une personne porteuse de la trisomie 21 sur dix dépasse l’âge
de 70 ans. Leur espérance de vie demeure moindre que celle des personnes
ordinaires (notamment du fait des pathologies cardiaques auxquelles elles
sont particulièrement vulnérables).
L’avancée en âge s’accompagne de manifestations propres à chaque indi-
vidu. Elle coïncide avec l’amoindrissement de troubles du comportement
pour certains. Pour d’autres, les troubles psychologiques s’accentuent. Enfin,
l’apparition de troubles démentiels chez les personnes déficientes intellec-
tuelles apporte de nouveaux défis aux soignants.

1. Vieillissement normal et pathologique


dans la population ordinaire
L’avancée en âge entraîne des modifications cérébrales. En premier lieu, une
perte neuronale s’opère à partir de l’âge de 20 ans. Il s’agit de l’apoptose.

219
Déficiences intellectuelles

Entre l’âge de 20 ans et celui de 100 ans, l’être humain perdrait 10 % de ses
neurones. Ensuite, une baisse du volume de la matière grise apparaît.
Le cerveau vieillissant « sain » et celui touché par la maladie d’Alzhei-
mer montrent certaines similitudes. Tous deux sont touchés par des plaques
séniles1. L’hippocampe, les lobes frontaux, pariétaux ainsi que la région cingu-
laire antérieure subiraient des dommages au cours du vieillissement normal.
Ces impacts restent moindres comparativement à ceux subis par ces mêmes
régions dans la maladie d’Alzheimer2.
La principale différence entre vieillissement normal et pathologique réside
dans la préservation et la qualité de la plasticité neuronale, des connexions
synaptiques et de l’arborisation dendritique3.
Un autre facteur déterminant est la consommation cérébrale en glucose
et en oxygène4.
Un modèle explicatif concernant les vieillissements normaux et patholo-
giques est celui de la réserve cognitive.
La réserve cognitive reposerait sur plusieurs éléments. Tout d’abord, des
facteurs biologiques incluant le volume cérébral, le nombre de neurones ou le
nombre de synapses5. Cette richesse anatomique aurait un effet protecteur
et permettrait de limiter l’impact négatif des plaques séniles6.
La flexibilité neuronale et la capacité à évoluer pour élaborer des stratégies
cognitives alternatives en cas de lésions seraient un autre aspect de la réserve
cognitive7.
Paradoxalement, alors qu’une réserve cognitive importante permet de
retarder l’apparition des symptômes des démences séniles, elle ne protége-
rait ni d’une détérioration accélérée une fois les symptômes déclarés ni d’un
décès prématuré du fait de la maladie.

1 Escourolle F., Hauw J.J., Duyckaerts C. (2001) Neuropathologie du vieillissement cérébral,


Gérontologie et société, 2(9), 9-31.
2 Desgranges B., Kalpouzos G., Eustache F. (2008) Imagerie cérébrale du vieillissement nor-
mal : contraste avec la maladie d’Alzheimer. Revue Neurologique, 164(3), S102-S107.
3 Satz P. (1993) Brain reserve capacity on symptom onset after brain injury: a formulation
and review of evidence for threshold theory, Neuropsychology, 7: 273-95.
4 Garibotto V, Borroni B, Kalbe E, Herholz K, Salmon E, Holtoff V, et al (2008) Education
and occupation as proxies for reserve in MCI converters and AD: FDG-PET evidence.
Neurology, 7, 1342-9
5 Satz P. (1993). Brain reserve capacity on symptom onset after brain injury: a formulation
and review of evidence for threshold theory, Neuropsychology, 7, 273-95.
6 Bennett D.A., Schneider J.A., Wilson R.S., Bienias J.L. & Arnold S.E. (2005) Education
modifies the association of amyloid but not tangles with cognitive function. Neurology, 65,
953-5.
7 Stern Y. (2003). The concept of cognitive reserve. A catalyst for research. Journal of Clinical
and Experimental, Neuropsychology, 25, 589-93.

220
Chapitre 18 – Pathologies neuropsychologiques en lien avec le vieillissement

2. L’impact du vieillissement sur les troubles


psychologiques et du comportement,
considérations générales
L’avancée en âge implique une augmentation des troubles du comportement,
notamment des attitudes auto-agressives et des actes destructeurs8. Ceux-ci
peuvent avoir été présents tout au long de la vie de la personne déficiente
et s’accentuer au fil des années, ou, ils peuvent survenir chez des individus
vieillissants qui, jusqu’alors, n’avaient pas eu de manifestations violentes.
Les troubles du comportement ne portent pas de signification en
eux-mêmes. Ils peuvent coexister avec des troubles psychiatriques ou géron-
tologiques, mais ils n’en sont pas nécessairement la cause ou la conséquence.
De même, les troubles psychiatriques ou gérontologiques peuvent influencer
des troubles du comportement déjà présents, notamment dans leur fréquence,
leur intensité et leur variabilité.
L’apparition de conduites disruptives chez des personnes déficientes
intellectuelles âgées doit être analysée en fonction des facteurs bio-psycho-
sociaux. Par conséquent, chaque trouble doit être étudié en fonction des
stimuli le précédant, des vulnérabilités bio-psycho-sociales de la personne
ainsi que des conséquences directes de ce comportement. Parmi les facteurs
bio-psycho-sociaux, les troubles psychiatriques et les traitements qui leur
sont apportés doivent être pris en compte. Par exemple, une automutilation
peut être utilisée dans une visée anxiolytique chez une personne ayant des
troubles anxio-dépressifs. Ce même comportement peut également survenir
suite à un inconfort lié aux éventuels effets secondaires de traitements (par
exemple, la survenue de démangeaisons avec les neuroleptiques).
Enfin, les impacts spécifiques de chaque syndrome sur le plan neuropsy-
chologique et comportemental ne disparaissent pas avec la sénescence.

3. Conséquences des syndromes


démentiels sur les troubles psychologiques
Les démences séniles ont des manifestations différentes en fonction des
profils cliniques et neuropsychologiques. Les personnes trisomiques 21 défi-
cientes intellectuelles manifestent des symptômes de la maladie d’Alzheimer
à un âge plus jeune que les personnes dont la déficience est associée à une

8 Charlot L. R., Ducette A. C. &Mezzacappa E. (1993) Affective symptoms of institutiona-


lized adults with mental retardation. American Journal on Mental Retardation, 98,
408-416.

221
Déficiences intellectuelles

autre étiologie. De même, les démences séniles se manifestent à travers des


symptômes dépressifs, des troubles du sommeil et de l’hyperactivité chez
les individus ayant le syndrome de Down, tandis que, chez les personnes
déficientes intellectuelles non trisomiques 21, les troubles des conduites consti-
tuent le signe dominant9. L’apparition de conduites agressives peut survenir
à tous les stades de la démence.

4. Trisomie 21 et maladie d’Alzheimer


L’apparition de symptômes démentiels chez des personnes porteuses du syn-
drome de Down a été décrite dès la fin des années 194010. Des plaques séniles
et des dégénérescences neurofibrillaires avaient été observées lors de l’autopsie
de trois personnes trisomiques 21.
La maladie d’Alzheimer est caractérisée par des dépôts amyloïdes et neu-
rofibrillaires intracellulaires. La protéine amyloïde s’agrège dans des plaques
séniles. Une hyperphosphorylation de la protéine tau serait responsable de
l’apparition de dépôts neurofibrillaires intracellulaires et des interférences dans
le fonctionnement neuronal11. Ces déséquilibres protéiques seraient d’abord
responsables des déficits en neurotransmetteurs, puis de la mort des neurones.
La maladie d’Alzheimer est composée de plusieurs phases : une phase
asymptomatique pouvant durer plusieurs années, puis des dégradations pro-
gressives à mesure que le processus cérébral ne parvient plus à compenser
les déficits.
Les personnes porteuses de la trisomie 21 seraient particulièrement vulné-
rables à la maladie d’Alzheimer. 55 à 75 % d’entre elles souffriraient de cette
démence sénile à partir de l’âge de cinquante ans12.
Il apparaît que chez les personnes trisomiques 21, des dépôts d’amyloïde se
forment dans le cerveau dès les premières décennies de vie. Les nourrissons et les
très jeunes enfants ayant le syndrome de Down13 connaissent un développement
semblable à celui de leurs pairs. Les capacités d’apprentissages et de mémorisa-

9 Cooper S-A & Prasher V. P. (1998). Maladaptive behaviours and symptoms of dementia in
adults with Down’s syndrome compared with adults with intellectual disability of other
aetiologies, Journal of Intellectual Disability Research, 42(4), 293-300.
10 Jervis G. (1948). Early senile dementia in mongoloid idiocy. American Journal of Psy-
chiatry, 105, 102-106.
11 Guyonnet S., Delrieu J. & Vellas B.(2016) Alzheimer : pistes de recherche et perspectives in
Trivalle C. (2016) Gérontologie préventive, Eléments de prévention du vieillissement patho-
logique, Paris : Elsevier Masson, collection Abrégés, 3e édition, 87-106.
12 Lai F. &Williams R. S. (1989) A prospective study of Alzheimer disease in Down syndrome.
Archives of Neurology, 46, 849-853.
13 Ohr P. S. & Fagen J. W. (1991) Conditioning and long-term memory in three-mont old
infants with Down syndrome. American Journal on Mental Retardation, 96, 151-162.

222
Chapitre 18 – Pathologies neuropsychologiques en lien avec le vieillissement

tion sont semblables. Cependant, des retards sur le plan cognitif commencent
à apparaître dans la première décennie de vie. Les compétences des enfants tri-
somiques 21 dans les domaines du langage, de la phonologie et de la mémoire
auditive s’amoindrissent par rapport à celles de leurs pairs à l’âge scolaire.
Les plaques séniles sont d’abord observées sur les aires superficielles du
lobe frontal et du lobe temporal (plus précisément au niveau du cortex ento-
rhinal qui est impliqué dans la mémorisation et l’olfaction)14. Si dans un
premier temps, le cerveau tente de compenser les effets de la maladie, ses
capacités sont dépassées et les symptômes deviennent apparents et s’aggravent.
Les symptômes de la maladie d’Alzheimer chez les personnes trisomiques 21
se manifestent d’abord sur les plans émotionnels et comportementaux. Les
signes précoces se traduisent par un émoussement affectif et une perte de
la motivation. Ces éléments sont assez légers pour être confondus avec une
dépression. Par la suite, des symptômes neuropsychologiques, comme des
troubles de la planification, de la flexibilité ou de l’inhibition, apparaissent et
s’accentuent. Ces troubles exécutifs découlent de la déposition et de l’accu-
mulation précoce de plaques séniles dans le lobe frontal.
Les personnes trisomiques perdent progressivement leur capacité à effec-
tuer des tâches quotidiennes. Des signes de confusion et de désorientation
apparaissent. Des troubles de l’humeur (notamment une forte irritabilité)
s’accentuent. La coordination psychomotrice décline et une tendance à la
persévération est relevée.
L’épilepsie participe au déclin cognitif des personnes trisomiques 21. Elle
interfère dans le fonctionnement cognitif (notamment sur le plan attention-
nel). Les crises d’épilepsie entraînent une vulnérabilité et une augmentation des
dommages causés par la démence sénile. Par ailleurs, la maladie d’Alzheimer,
à un stade avancé, constitue un facteur de risque pour les crises d’épilepsie15.
Les sédatifs, les hypnotiques et les analgésiques peuvent induire des états
confusionnels, une perte de la mémoire immédiate ainsi qu’une léthargie chez
les personnes trisomiques 21 âgées.
L’emploi de neuroleptiques en réponse aux troubles du comportement
est une démarche thérapeutique répandue. Les antipsychotiques atypiques
montrent une efficacité face aux symptômes comportementaux de la maladie
d’Alzheimer16.

14 Azizeh B. Y., Head E., Ibrahim M. A., Torp R., Tenner A. J., Kim R. C., Lott I. T. & Cotman
C. W. (2000) Molecular dating of senile plaques in aged Down’s syndrome and canine
brains, Experimental Neurology, 163, 111-122.
15 Menéndez M. (2005) Down syndrome, Alzheimer’s disease and seizures, Brain and Deve-
lopment, 27(4), 246-252.
16 Lee P. E, Gill S. S, Freedman M., Bronskill S. E., Hillmer M. P., Rochon P. A. et al. (2004)
Atypical antipsychotic drugs in the treatment of behavioural and psychological symptoms
of dementia: systematic review BMJ ; 329 (7457), 75, doi: https://doi.org/10.1136/
bmj.38125.465579.55

223
Déficiences intellectuelles

5. Évaluer les troubles démentiels


chez les personnes déficientes
intellectuelles
Diagnostiquer la démence est une démarche complexe. Elle requiert une
phase d’observation et d’évaluation. Contrairement aux neurotypiques, les
personnes déficientes intellectuelles peuvent être dans l’incapacité d’énoncer
leurs symptômes. Elles ne peuvent ni évoquer leurs difficultés à enregistrer
ou à maintenir des informations en mémoire ni leur incapacité à effectuer
des actions qu’elles maîtrisaient auparavant.
L’entourage peut évoquer des signes comportementaux et les soignants
déterminent si ceux-ci s’inscrivent dans une pathologie démentielle ou non.
L’anamnèse et les habitudes de vie doivent être prises en compte.
Sur le plan neuropsychologique, les tests classiques, tel que le Mini Mental
Test Examination (MMSE), ne sont pas appropriés17.
Le Dementia Screening Questionnaire for Individuals with Intellectual Disa-
bilities (DSQIID) permet d’évaluer les habilités, le degré d’indépendance ainsi
que l’apparition et l’impact de nouveaux symptômes chez des personnes défi-
cientes intellectuelles pour lesquelles une entrée dans un syndrome démentiel
est suspectée18. Le DSQIID a été traduit en français et validé par une équipe
québécoise19.
L’échelle Dementia Scale for Down Syndrome (DSDS) permet d’évaluer
les détériorations cognitives chez les personnes trisomiques 21, y compris
celles ayant un niveau de fonctionnement intellectuel bas. Cette échelle est
suffisamment sensible pour permettre de distinguer les détériorations liées
à la démence sénile, de celles survenant dans le cadre d’une dépression ou
d’une autre pathologie20. La version française fut élaborée par Gedye elle-
même et son équipe21.

17 Strydom A. & Hassiotis A. (2003) Diagnostic instruments for dementia in older people
with intellectual disability in clinical practice, Aging & Mental Health, 7(6), 431-437.
18 Deb S., Hare M., Prior L. & Bhaumik S. (2007) Dementia Screening Questionnaire for
Individuals with Intellectual Disabilities (DSQIID). British Journal of Psychiatry, 190,
440-444.
19 Agence de la santé et des services sociaux de la Montérégie. (2010) Questionnaire de repé-
rage de la démence chez les individus ayant une déficience intellectuelle. Traduction fran-
çaise du Dementia Screening Questionnaire for Individuals with Intellectual Disabilities,
(DSQIID), Shoumitro Deb, 2007, 440-444.
20 Gedye, A. (1995). Dementia Scale for Down Syndrome: The Manual. P.O. 39081, Point
Grey, Vancouver, Colombie-Brinannique, V6R 4P1.
21 Gedye, A. (1995). «Dementia Scale in Down’s syndrome» – Echelle d’évaluation de la
démence pour le syndrome de Down» version française 2000. Point Grey, Vancouver,
Colombie-Brinannique, V6R 4P1.

224
Chapitre 18 – Pathologies neuropsychologiques en lien avec le vieillissement

La Batterie d’évaluation cognitive (BEC 96)22 peut être employée pour


repérer les troubles cognitifs chez les personnes ayant des déficits intellec-
tuels23. Elle est composée de huit épreuves mesurant la mémoire de travail,
l’orientation spatio-temporelle, les capacités d’encodage et de récupération,
ainsi que les fonctions exécutives.
Au moment de l’élaboration du diagnostic, il conviendra de rechercher si
les manifestations démentielles observées sont ou non réversibles.
Freeman et Rudd24 estiment qu’approximativement 15 % des symptômes
relèvent d’une pseudo-démence.
La dépression, les crises d’épilepsie et les troubles métaboliques (notam-
ment l’hypo- ou l’hyperthyroïdisme, l’hypo- et l’hypernatrémie) peuvent
entraîner des symptômes pseudo-démentiels, notamment chez les personnes
trisomiques 21.
Il en va de même pour les carences en vitamine B12 et en folate, ainsi
que pour les maladies de Cushing, de Lyme, de Waldenström25 et d’Addison26.
D’autres pathologies telles que la méningite tuberculeuse, les méningites
fongiques et encéphaliques, certaines maladies sexuellement transmissibles
(dont le SIDA27), les parasitoses du système nerveux et les abcès intracrâniens
entraînent des troubles neurologiques.

22 Signoret J.L., Bonvarlet M., Benoit N., Bolgert F., Eustache F., Leger J.M. (1988). Batterie
d’estimation des états démentiels ; description et validation. In Congrès de Psychiatrie et de
Neurologie de langue française, la maladie d’Alzheimer et ses limites, Paris : Masson,
265-270.
23 Jacus J. P., Martin C., Ailleret-Jean C., Courcet L., Delmotte-Tsocanakis G., Faraldi O. et al.
(2001). Vieillissement cognitif des psychotiques chroniques, La Presse Médicale, 30(25),
cahier 1, 1246-1252.
24 Freeman F. R. &Rudd S. M. (1982) Clinical features that predict potentially reversible pro-
gressive intellectual deterioration. Journal of the American Geriatrics Society, 30, 449-451.
25 Messaoudene A., Sbaï A. P. Ghillani-Dalbin M.-C., Diemert L., Sutton B. & Wechsler
L. (2003) A propos d’un cas de maladie de Waldenström révélé par un syndrome démentiel
pseudo-Alzheimer, Annales de Biologie Clinique, 61(1), 99-102.
26 Leigh H., Kramer S.I. (1984). The psychiatric manifestations of endocrine diseases.
Advance Intern Medecine, 29: 413-445
27 Brew B.J. (2004) Evidence for a change in AIDS dementia complex in the era of highly
active antiretroviral therapy and the possibility of new forms of AIDS dementia complex,
AIDS, 18(Suppl.1): S, 75-78.

225
Chapitre 19 19

La remédiation cognitive

L’un des premiers programmes de remédiation à avoir été conceptualisé


est le programme de guidance externe de Luria1. Dans ce programme, le
participant se voit mettre des fiches à sa disposition. Celles-ci servent d’aides
externes lorsque la personne est mise en échec face à un problème. Elles
lui rappellent alors la démarche à suivre. Le participant est encouragé à
suivre les étapes « classiques » de la résolution de problèmes (analyse de
la situation, élaboration de concepts et de stratégies, application puis éva-
luation). Si le programme rappelle les étapes nécessaires à la résolution
de problèmes, il ne donne aucune solution directe. Le but poursuivi n’est
pas de fournir la réponse au participant, mais de lui permettre de réguler
son attention et ses pensées, de contrôler son impulsivité, d’améliorer sa
capacité à planifier et prendre des décisions ainsi que sa préparation et la
coordination de ses actions.
À l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, R. Feuerstein a débuté ses
recherches sur ce qui deviendrait le Programme d’enrichissement instrumental
(PEI). Le PEI fut conceptualisé pour venir en aide aux enfants souffrants de
séquelles psychologiques et cognitives importantes. Par la suite, le programme
fut régulièrement complété et enrichi.
À partir des années 1990, Büchel et Büchel2 ont élaboré le programme
d’éducation cognitive DELF (Découvrez vos capacités, rEalisez vos possibilités,
pLanifiez votre démarche, soyez créatiFs). Le public ciblé reste les enfants et
adolescents.

1 Luria A.R. & Tsvetkova L.S. (1967). Les troubles de la résolution de problèmes. Paris : Gau-
thier Villars.
2 Büchel, F.P. &Büchel, P. (1995). Découvrez vos capacités, rEalisez vos possibilités, pLanifiez
votre démarche, soyez créatiFs. DELF : Un programme d’apprentissage pour adolescents et
adultes. Russin, Suisse : Centre d’Education Cognitive.
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

En 1988, l’Association of Behavioral Analysis International3 défend les


droits des personnes à bénéficier d’un traitement comportemental adéquat.
Elle définit les principes qui doivent guider la prise en charge. Bien que ces
droits aient été définis dans le cadre du programme ABA, ils sont transpo-
sables à toutes les prises en charge de remédiation :
− Un environnement propice à la prise en charge thérapeutique : celui-
ci comprenant des conditions de vie décentes, la possibilité pour la
personne d’être stimulée, d’avoir des interactions sociales et de ne pas
être entravée par des limitations physiques ou sociales non justifiées.
− Le but de toutes actions et services thérapeutiques est le bien-être de la
personne : le participant est au centre de la prise en charge et participe
à l’élaboration et la mise en œuvre des programmes de remédiation.
Dans les cas où la personne ne serait pas en mesure d’exprimer son
accord, les décisions la concernant sont prises dans le respect de ses
droits. Les décisions sont prises de manière groupale afin de déterminer
si le traitement envisagé sera pertinent sur le plan clinique et bénéfique
pour la personne, s’il sera respectueux des normes, s’il ne mettra pas
en péril ses droits et libertés.
− Être pris en charge par un thérapeute comportementaliste compétent :
le thérapeute doit connaître les comportements, les méthodes d’éva-
luation et de traitement, la méthodologie de la recherche et l’éthique
professionnelle. Il doit aussi avoir une solide expérience pratique (Nb :
certains programmes exigent que le thérapeute ait au moins une expé-
rience de cinq ans). L’ABAI demande un niveau de connaissances élevé,
car le thérapeute sera amené à prendre des décisions pour le bien-être
de la personne si celle-ci se trouve dans une situation à risque ou si la
poursuite de la thérapie rencontre des obstacles.
− Les programmes doivent permettre au participant d’enrichir ses compé-
tences ou d’en acquérir de nouvelles : l’objectif de la remédiation étant
la maîtrise de comportements adaptatifs qui permettront d’accroître
l’indépendance, ainsi que l’élimination des comportements qui sont
dangereux ou qui, autrement, font obstacle à l’indépendance.
− L’évaluation régulière de la prise en charge et de ses avancées : les
comportements de la personne doivent être évalués avec des outils
de mesures objectifs avant, pendant et à l’issue de la prise en charge.
− Le thérapeute doit proposer les procédures de traitement le plus efficaces
disponibles : chaque patient a droit à un traitement efficace et scientifi-
quement validé. L’utilisation de traitements potentiellement restrictifs

3 Van Houten R., Axelrod S., Bailey J. S., Favell J. E., Foxx R. M., Iwata B. A. & Lovaas O. I.
(1988). The right to effective behavioral treatment, Journal of Applied Behavior Analysis,
21(4), 381-384

227
Déficiences intellectuelles

ne se fait qu’après avoir évalué le niveau de limitations, la quantité de


temps nécessaire pour produire un résultat cliniquement significatif et
les conséquences qui résulteraient du retard de l’intervention.
Pour les enfants, il convient d’ajouter un dernier objectif : la reconnaissance
des besoins fondamentaux sur les plans affectifs et sécuritaires. Les outils
proposés aux enfants devront donc cibler les déficits cognitifs, promouvoir les
comportements adaptatifs et renforcer les ressources émotionnelles, commu-
nicatives et sociales. Le thérapeute devra renvoyer une image d’adulte stable,
bienveillant et soutenant. Il devra également veiller à inclure les parents ainsi
que tous les professionnels intervenant auprès de l’enfant et participant à son
développement. La collaboration continue entre ces intervenants garantit la
transposition des exercices de remédiation dans le milieu de vie, la généra-
lisation des compétences et la pérennisation des comportements adaptatifs
ainsi que du sentiment d’efficacité personnelle4.
Pour les adultes, le thérapeute s’appuiera sur le modeling pour encourager
les comportements adaptatifs.
L’un des présupposés théoriques soutenant la remédiation cognitive est que
l’entraînement régulier et répété d’un domaine cognitif spécifique entraînera
un accroissement des compétences de la personne dans ce domaine, aura
un impact positif sur les autres fonctions cognitives via un transfert et une
généralisation des compétences acquises et aura des répercussions positives
sur le comportement.
Par ailleurs, alors que les traitements pharmacologiques ciblent les mani-
festations comportementales des troubles neuropsychologiques, la remédiation
cognitive agit directement sur les causes des conduites disruptives et permet
leur réduction via l’apprentissage de stratégies de raisonnement et de réso-
lution de problèmes.

1. Considérations dans le choix


et l’application des programmes
de remédiation
Pour répondre efficacement aux besoins des personnes déficientes, les exer-
cices de remédiation cognitive doivent pouvoir répondre aux critères suivants :
− Encourager une participation active des participants ;
− S’appuyer sur les capacités existantes ;

4 Bandura A. (1969). Principles of behavior modification, New York: Holt.

228
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

− Enseigner de nouvelles stratégies que les apprenants pourront facile-


ment s’approprier ;
− Obtenir une adhésion des apprenants aux nouvelles stratégies et
croyance de ceux-ci en leur valeur ;
− L’emploi de technique d’estompage ;
− Proposer des exercices aisément transférables en situations réelles (exer-
cices écologiques) ;
− Être régulièrement proposées (plusieurs sessions d’entraînement par
semaine, même si celles-ci sont de courtes durées) ;
− Les exercices doivent permettre le maintien des compétences travaillées
sur le long court, y compris après une période sans stimulation.
Paour conçoit la remédiation cognitive selon l’approche constructiviste5.
Ainsi, les objectifs de la remédiation sont : l’amélioration des processus de
traitement, l’acquisition de stratégies cognitives et le développement de la
métacognition, l’acquisition de concepts et la transformation du conatif
(aspect comportemental) par l’émergence des processus cognitifs.
Le thérapeute souhaitant mettre en œuvre un programme de remédiation
cognitive doit tenir compte de deux éléments :
− Le ou les domaines cognitifs qu’il souhaite stimuler et les répercussions
attendues de leur entraînement ;
− Le profil du participant et l’adaptation du programme de remédiation
selon les capacités et les déficits de ce dernier.
Pour être efficace, le thérapeute doit sélectionner le programme de remé-
diation cognitive en fonction des compétences que le participant souhaite
améliorer. Les programmes de remédiation sont plus bénéfiques aux per-
sonnes montrant des déficits dans des domaines spécifiques. Ainsi, les effets
des programmes stimulant l’attention sur des enfants tout-venant et sur
d’autres enfants ayant des symptômes avérés de troubles de l’attention ont
été comparés. Ces derniers ont de meilleurs résultats à l’issue de la prise en
charge que leurs pairs tout-venant. De plus, les améliorations se maintiennent
sur le long terme pour les enfants diagnostiqués avec un trouble de l’atten-
tion tandis que celles observées chez les enfants tout-venant s’estompent au
fil du temps6.
Pour les personnes déficientes intellectuelles, il est primordial de tenir
compte également du profil spécifique de chaque participant. Ainsi, bien
que des déficits neuropsychologiques équivalents soient observés dans de

5 Paour J-L., Bailleux C. & Perret P. (2009). Pour une pratique constructiviste de la remédia-
tion cognitive, Développements, 3(3), 5-14.
6 Rabiner, D. L., Murray, D. W., Skinner, A. T., & Malone, P. S. (2010). A randomized trial
of two promising computer-based interventions for students with attention difficulties.
Journal of Abnormal Child Psychology, 38(1), 131–142.

229
Déficiences intellectuelles

nombreux syndromes, les capacités d’apprentissage et de travail diffèrent


d’un syndrome à l’autre et même entre deux individus porteurs du même
syndrome. Ainsi, le thérapeute ne pourra pas proposer les mêmes exercices
de stimulation à une personne trisomique 21 ou une personne autiste ou
porteuse du syndrome de Williams sans avoir au préalable évalué leur effi-
cience intellectuelle, leurs capacités et déficits généraux et dans le domaine visé
ainsi que leur plasticité ou rigidité. Enfin, il devra s’assurer que le participant
pourra s’appuyer sur des compétences minimales afin de pouvoir réaliser les
exercices et ne pas se sentir en échec.
Le thérapeute doit sélectionner les compétences qui seront stimulées
pendant les sessions de remédiation cognitive selon les répercussions atten-
dues sur l’environnement. Ainsi, les interventions les plus précoces montrent
les meilleurs résultats sur le long terme7.
La généralisation des compétences sera facilitée selon les fonctions neu-
ropsychologiques stimulées et les exercices écologiques qui accompagneront
les sessions de remédiation.
L’un des écueils à éviter au moment du choix du programme et des exer-
cices de remédiation est de se focaliser sur une compétence isolée. Il est
important de pouvoir proposer des exercices stimulant une variété de fonc-
tions cognitives. Cette considération s’applique également pour les capacités
les moins déficitaires. L’idéal est de pouvoir proposer des activités remédiant
les troubles et stimulant les domaines cognitifs, psychomoteurs et commu-
nicatifs dans lesquels le participant se montre efficace. Ainsi, le thérapeute
pourra maintenir la motivation. Il évitera également de renforcer l’hétérogé-
néité du profil cognitif du participant en ne travaillant que sur un aspect et
en négligeant les autres.

2. Le rôle du thérapeute
dans la remédiation cognitive
Il s’agit d’un quadruple rôle. Ceux-ci peuvent être tenus par deux profes-
sionnels distincts.
1) L’évaluation : le neuropsychologue procède à l’évaluation du participant.
À partir des résultats, il détermine ses points forts et faibles. Le pro-
gramme de remédiation cognitive et ses exercices seront administrés en
fonction des compétences à stimuler. Pour suivre l’évolution de la théra-
pie, des mesures à intervalles rapprochés sont effectuées. Le participant

7 Wass, S., Scerif, G., & Johnson, M. H. (2012). Training attentional control and working
memory – Is younger, better? Developmental Review, 32(4), 360–387.

230
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

est évalué en pré- et post-thérapie afin de contrôler les progrès réalisés


sur le plan neuropsychologique. Sur le plan comportemental, les progrès
réalisés par le participant sont constatés via les observations et les relevés
effectués par les équipes l’encadrant. Un comparatif entre ces éléments
effectués en pré- et post-thérapie permet d’avoir un recul suffisant.
2) Le guide : avant de commencer les séances de remédiation cognitive,
le thérapeute lit les consignes de chaque exercice. Le clinicien n’a pas
qu’un statut d’administrateur et de correcteur d’exercices. Son rôle est
dynamique. Il explique les instructions au participant et il a une fonc-
tion d’étai dans la génération d’hypothèses et de stratégies de travail.
Le clinicien enseigne les méthodes de traitement de l’information au
participant. Les techniques employées sont :
t La verbalisation des indices ;
t La réduction de l’information ;
t La subdivision des tâches ;
t La catégorisation et le regroupement des informations semblables ;
t La répétition des informations jusqu’à leur mémorisation ;
t Les stratégies mnémotechniques ;
t Le classement, l’organisation des informations et la restructuration
de la tâche.
Le clinicien est un soutien et un guide pour le participant lorsque
celui-ci élabore des stratégies de résolution de problèmes. Afin de maxi-
miser les chances de réussite du participant, le clinicien emploie les
techniques de « l’apprentissage sans erreur » de Baddeley et Wilson8.
Pour cela, il peut :
t Simplifier les tâches et les adapter aux capacités du participant ;
t Faire émerger des éléments de réponses pour le participant par le
biais de questionnements directifs ;
t Réguler la vitesse de travail du participant en l’interpelant oralement ;
t Encourager le participant à utiliser les stratégies de traitement de
l’information qui lui ont été enseignées ;
t Apporter une aide active au participant.
3) La médiation verbale : Vygotsky9 a démontré que la médiation verbale
participait à la modification et à la progression des fonctions cognitives.

8 Wilson, B. A., Baddeley A., Evans J. & Shiel A. (1994) Errorless learning in the rehabilita-
tion of memory impaired people. Neuropsychological Rehabilitation: An International
Journal, 4 (3), 307-326.
9 John-Steiner V. & Mahn H. (1996). Sociocultural approaches to learning and development:
A Vygotskian framework. Educational Psychologist, 31(3-4), 191-206.

231
Déficiences intellectuelles

Le clinicien joue un rôle de médiateur et guide le participant dans


son travail pendant les sessions de remédiation cognitive. À travers
la médiation verbale, le clinicien aide le participant à reformuler les
instructions, à fixer des objectifs, à élaborer et verbaliser ses stratégies
de travail. Il encourage le développement des capacités d’apprentis-
sage, de mémorisation et de récupération des informations. Le clinicien
demande également au participant de planifier quand il utilisera les
compétences entraînées pendant les sessions de remédiation. Il aide
également le participant à prendre confiance dans ses capacités de
travail et d’auto-régulation. Volkmar, Hoder et Cohen10 ont démontré
qu’un environnement structuré favorise l’émergence des comporte-
ments d’interaction sociale. Il est recommandé d’effectuer les séances de
remédiation cognitive dans un lieu calme et fixe. Il s’agit de préférence
d’un bureau dans lequel le nombre de distracteurs sonores et visuels
sont réduits à leur minimum.
4) Les renforcements : durant les séances de remédiation cognitive, le
clinicien encourage le participant chaque fois qu’il fait preuve d’un
comportement adéquat. Le clinicien note explicitement la progression
du participant et leur explique verbalement les points sur lesquels il
a progressé à l’issue de chaque session. L’emploi des renforçateurs
(sociaux et/ou matériels) encourage le participant à effectuer les choix
les plus adéquats et à faire preuve de comportements adaptés. Il renforce
également l’alliance thérapeutique. Les renforçateurs ont un impact
positif sur les capacités d’auto-contrôle face aux stimuli parasites, à
l’augmentation de l’attention span et à la baisse de la distractibilité11.
Ils ont également un impact sur le fonctionnement cérébral. En effet,
les renforçateurs stimulant l’activité du cortex préfrontal12.
Associer les proches et les professionnels à la prise en charge des secteurs
médicaux, paramédicaux, sociaux et éducatifs est primordial. Certains pro-
grammes recommandent également de joindre des pairs avec ou sans déficits
cognitifs à la remédiation.
La mise en place de dyades de travail est surtout employée dans les pro-
grammes remédiant aux troubles des apprentissages.

10 Volkmar F. R., Hoder E. L. & Cohen D. J (1985) Compliance, «Negativism» and the effect
of Treatment Structure in Autism: a naturalistic behavioral study. Journal of Child Psycho-
logy and Psychiatry, 26, 865-77
11 Burack J. A., Evans D. W., Klaiman C. & Iarocci G. (2001). The mysterious myth of atten-
tion deficits and other defect stories: Contemporary issues in the developmental approach
to mental retardation. Dans I. M. Glidden (dir.) International review of research in mental
retardation (Vol. 24, pp. 299-320). San Diego, CA: Academic Press.
12 Azouvi P., Brun V. & Pradat-Diehl P. (2006). Fonctions exécutives et rééducation. Paris:
Masson.

232
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

La mise en place d’un tutorat entre élèves a des effets bénéfiques pour les
apprentissages et la réduction des troubles du comportement13. Ces amélio-
rations s’observent également chez les enfants avec un trouble de l’attention
avec ou sans hyperactivité.

3. Application de programmes de remédiation


auprès des personnes déficientes
intellectuelles
Le défaut de récapitualtion subvocale (base de la mémoire tampon) par les
personnes déficientes intellectuelles a été ciblé en tant que point à remé-
dier. Plusieurs stratégies ont été proposées allant de l’utilisation de supports
visuels14, des gestes15, l’appariement d’items16, une augmentation croissante
du nombre d’items à retenir17.
Les capacités de mémorisation à court terme ont progressé chez l’ensemble
des personnes déficientes intellectuelles entraînées. Toutefois, le maintien des
nouvelles stratégies sur le long terme n’est pas systématique et dépend de
la maturité et de l’adhésion des apprenants pour ces nouvelles stratégies18,
ainsi que du soutien apporté par des personnes de confiance (enseignants,
éducateurs, soignants, proches, etc.)19.
Broadley et MacDonald ont formalisé un programme de remédiation
des déficits mnésiques20 pour les enfants trisomiques 21. Le protocole com-
porte une phase d’évaluation (les auteurs emploient des batteries proposant
des exercices de mémorisation reposant sur des contenus visuels et sonores

13 Shapiro, E. S. (2004). Academic skills problems: Direct assessment and intervention


(3rd ed.). New York: Guilford Press.
14 Brown A. L., Campione J. C. & Murphy M. D. (1974) Keeping track of changing variables:
Long-term retention of the trained rehearsal strategy by retarded and adolescents. Ameri-
can Journal of Mental Deficiency, 78, 446-453.
15 Bowler, D. (1991) Rehearsal training and short term free-recall of sign and word labels by
severely handicapped children. Journal of Mental Deficiency Research, 35, 113-124.
16 Broadley I., MacDonald J. 1 Buckley S. (1994) Are children with Down’s syndrome able to
maintain skills learned from short-term memory training program?, Down’s Syndrome:
Research and Practice, 2, 116-122.
17 Farb, J. and Throne, J. (1978) Improving the generalised mnemonic performance of a
Down syndrome child. Journal of Applied Behavioural Analysis, 11, 413-419.
18 McBane B. M. (1976) Rehearsal and dimensional independence of retardates. Journal of
Experimental Psychology, 22 (2), 216-228.
19 Comblain A. (1994) Working memory in Down’s syndrome: Training the rehearsal stra-
tegy. Down’s Syndrome: Research and Practice, 2, 123-126.
20 Broadley I. & MacDonald J. (1993). Teaching short term memory skills to children with
Down syndrome. Down Syndrome Research and Practice, 1(2); 56-62

233
Déficiences intellectuelles

et stimulant les capacités motrices, perceptuelles et déductives), suivie par


une phase d’entraînement. Le programme dure six semaines à raison d’une
séance de vingt minutes hebdomadaires. Les objectifs du programme sont
d’enseigner aux enfants les compétences cognitives sous-tendant et renforçant
la mémoire, d’encourager la généralisation et d’augmenter l’estime de soi.
Les enfants sont répartis dans des groupes de travail en fonction de leurs
capacités et déficits dans les domaines de compréhension, de dénomination
et d’expression, de reconnaissance et mémorisation des informations audi-
tives et visuelles. Les exercices de remédiation sont basés sur l’organisation
et l’appariement des informations ou sur la répétition d’un nombre croissant
d’items. À l’issue de ce programme, les enfants sont réévalués. Leurs com-
pétences cognitives ont progressé. La reconnaissance et la mémorisation des
contenus visuels demeurent les plus performantes. Il apparaît que, même
après un entraînement cognitif, la mémoire auditive demeure moins per-
formante que la visuelle chez les personnes ayant le syndrome de Down. Le
programme de remédiation a donc compensé les déficits sans pour autant
les effacer ou réduire les écarts entre les fonctions cognitives. Par contre,
les effets bénéfiques généraux ont été observés et se sont maintenus sur le
long terme.
Certains programmes élaborés pour remédier à des troubles neuropsy-
chologiques spécifiques peuvent être appliqués aux personnes déficientes
intellectuelles.

3.1. Le Cogmed Working Memory Training


Le Cogmed Working Memory Training21 a été élaboré pour stimuler la
mémoire de travail et l’attention. Le programme repose sur des exercices
informatiques stimulant à la fois le traitement visuo-spatial et auditivo-verbal.
Les sessions sont réalisées quotidiennement par le participant et durent entre
30 et 45 minutes. Le programme s’étend sur cinq semaines et est ponctué par
des entretiens réguliers avec le thérapeute. L’un des points forts du Cogmed
est qu’il s’adapte aux capacités du participant et lui fournit régulièrement des
feedbacks et des renforçateurs.
Le Cogmed a été proposé à des enfants déficients intellectuels. À l’issue
des cinq semaines d’entraînement, ceux-ci ont vu leurs résultats aux échelles
évaluant la mémoire de travail et les fonctions langagières s’améliorer22.

21 www.cogmed.com
22 Soderqvist, S., Bergman Nutley, S., Ottersen, J., Grill, K. M., & Klingberg, T. (2012). Com-
puterized training of non-verbal reasoning and working memory in children with intellec-
tual disability. Frontiers in Human Neuroscience, 6, 271.

234
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

Le Cogmed a également été utilisé dans la prise en charge d’enfants triso-


miques 2123. Les résultats de l’étude sont plus contrastés. Tout d’abord, les
jeunes participants montrent des capacités de compréhension trop faibles
pour pouvoir réaliser les exercices, y compris lorsque ceux-ci sont réduits
à leur niveau de difficulté le plus élémentaire. L’équipe pilotant l’étude a
alors proposé aux enfants la Junior Cogmed Working Memory Training qui
est destinée à des enfants ayant un âge chronologique inférieur à celui des
participants de l’étude (7 à 12 ans). Ce changement de programme a permis
une amélioration significative de la mémoire de travail. Ces progrès se sont
étendus sur les compétences non entraînées pendant les sessions et se sont
maintenu pendant les quatre mois suivants l’arrêt du programme.
Concernant les déficits attentionnels, une des difficultés rencontrées par le
thérapeute est qu’un nombre important de programmes mettent la déficience
intellectuelle et les troubles du développement parmi leurs critères d’exclu-
sion24. C’est notamment le cas du programme Self Alert Training25 (SAT).

3.2. Le RehaCom
Le programme RehaCom®26 a été conçu pour remédier aux déficits des
adultes cérébrolésés. Il peut être proposé à des personnes ayant des troubles
cognitifs et intellectuels légers ainsi qu’à des enfants. RehaCom® a été utilisé
pour évaluer les capacités attentionnelles de jeunes trisomiques 2127. Le pro-
gramme s’appuie sur des exercices informatiques et permet l’entraînement de
l’attention et de la concentration, de la mémoire topologique, des fonctions
exécutives au travers d’exercices de raisonnement logique, de planification
et de formation de concepts dans des situations écologiques. Le programme
propose vingt-quatre modules avec des exercices de difficultés variées s’adap-
tant aux capacités du participant à partir de ses réponses. Les performances,
le nombre d’erreurs et le temps nécessaire à la réalisation de chaque exercice

23 Bennett, S. J., Holmes, J., & Buckley, S. (2013). Computerized memory training leads to
sustained improvement in visuospatial short-term memory skills in children with Down
syndrome. American Association on Intellectual and Developmental Disabilities, 118(3),
179–192.
24 Salomone S., Fleming G. R., Shanahan J. M., Castorina M., Bramham J., O’Connell
R. G. & Robertson I. H. (2015). The effects of a Self-Alert Training (SAT) program in adults
with ADHD, Frontiers in Human Neuroscience, 9 (45), doi: 10.3389/fnhum.2015.00045
25 O’Connell R. G., Bellgrove M. A., Dockree P. M., Lau A., Fitzgerald M. & Robertson I. H.
(2008). Self-Alert training: volitional modulation of autonomic arousal improves sustained
attention. Neuropsychologia, 46, 1379–1390.
26 Schuhfried Ges G., Rehacom®. http://www.rehacom.fr/index.php/aboutrehacom
27 Abd El-Hady S. S., Adb El-Azim F. H. & Adb El-Azim Mohamed El-Talawy H. (2017).
Correlation between cognitive function, gross motor skills and health – Related quality of
life in children with Down syndrome, Egyptian Journal of Medical Human Genetics, In
Press, https://doi.org/10.1016/j.ejmhg.2017.07.006

235
Déficiences intellectuelles

et module permettent une continuité sur plusieurs sessions et constituent un


stockage de données sur la personne.

3.3. Le Amsterdam Attention and Memory Training Program


Le Amsterdam memory and attention training for children (Amat-c) a
été conçu pour remédier aux troubles cognitifs des enfants atteints par un
cancer28. Il a été proposé à des enfants victimes de traumatismes crâniens et
d’autres troubles neurologiques (tumeur cérébrale, des hémorragies intra-
crâniennes, etc.29).
Le programme se déroule sur 18 à 20 semaines. L’enfant exécute différents
exercices pendant des séances quotidiennes de 45 minutes. Chaque semaine
est consacrée à la réhabilitation d’une fonction cognitive.
Le programme vise à stimuler plusieurs composantes attentionnelles
(attention soutenue, focalisée, divisée) et mnésiques (mémoire de travail,
sémantique et épisodique). Les exercices sont répétés jusqu’à ce que la com-
pétence travaillée soit acquise ou réhabilitée. Pendant les séances, l’enfant
travaille avec un thérapeute. Celui-ci aide l’enfant à élaborer des stratégies et
entraîne les capacités de communication. Le thérapeute questionne l’enfant
sur la manière dont il pourrait appliquer ses nouvelles compétences dans des
situations écologiques.
Le programme a fait l’objet d’études aux Pays-Bas30 et en Suède31. Il a
fait l’objet d’études préliminaires en Australie32. Les enfants ayant participé
au Amat-C ont vu leurs capacités attentionnelles et mnésiques progresser.
Ces améliorations ont des répercussions directes sur le comportement des
enfants. Les parents et enseignants constatent une amélioration des com-
pétences sociales ainsi qu’une meilleure gestion des émotions. Les enfants
interrogés expliquent se sentir plus à l’aise face aux apprentissages scolaires
après les sessions de Amat-c. Une amélioration de leurs résultats en mathé-
matique a été constatée. Toutefois, le programme, à cause de son intensité,

28 Hendriks, C. M. (1996). Attention and memory training in childhood cancer survivors,


European Cancer Society Newsletter, 5, 13-14
29 Van't Hooft, I., Andersson, K., Sejersen, T., Bartfai, A., & von Wendt, L. (2003). Attention
and memory training in children with acquired brain injuries, Acta Paediatrica, 92,
935-940.
30 Hendriks, C., & van den Broek, T. (1996). Amat-C Manual and Workbook. Lisse: Swets and
Zeitlinger.
31 Sjö, N. M., Spellberg, S., Weidner, S. & Kihlgren, M. (2010). Training of attention and
memory deficits in children with acquired brain injury, Acta Paediatrica, 99, 230-236.
32 Catroppa, C., Stone, K., Hearps, S.J., Soo, C., Anderson, V., & Rosema, S. (2015). Evalua-
tion of an attention and memory intervention post-childhood acquired brain injury: preli-
minary efficacy, immediate and 6 months post-intervention. Brain Injury, 29(11),
1317–1324.

236
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

semble difficile à intégrer dans la vie quotidienne de l’enfant lorsque celui-ci


vit au domicile de ses parents et est scolarisé à temps plein.
Actuellement, le programme Amat-c n’est disponible qu’en néerlandais,
en danois, en suédois et en anglais.

4. Programme d’enrichissement instrumental


À partir de 1945, le professeur R. Feuerstein33 a développé le Programme
d’enrichissement instrumental. Celui-ci est destiné aux enfants présentant des
troubles des apprentissages ou une déficience intellectuelle. Le programme
s’appuie sur deux théories indépendantes :
− Celle de « la modifiabilité cognitive » quels que soient l’âge et les défi-
ciences du sujet ;
− Celle de « la médiation » qui facilite le dialogue du sujet et de son envi-
ronnement. Le médiateur est l’intermédiaire entre la notion étudiée et
l’apprenant. Il doit filtrer et organiser les stimuli proposés par l’environ-
nement. Il utilise les savoirs du sujet pour que celui-ci se les approprie
et les utilise correctement.
Le médiateur joue un rôle central dans le programme. Il suscite la motivation,
donne un sens à l’action, aide le participant à se fixer des objectifs et à prendre
conscience de ses propres processus de pensée et de ses stratégies cognitives.
Les objectifs34 du PEI sont :
− Permettre au participant de modifier lui-même ses stratégies cognitives,
ses comportements et son rapport au monde ;
− L’élaboration de stratégies de résolution de problèmes qui seront appli-
cables dans les apprentissages scolaires, la vie professionnelle et la vie
quotidienne ;
− L’augmentation de l’estime de soi.
Le travail de remédiation suit trois phases de l’acte mental :
− L’input qui correspond à la sélection des informations pertinentes :
− L’élaboration de la solution à partir des données sélectionnées ;
− La transmission des informations élaborées. Cette dernière étape cor-
respond à l’output.

33 Feuerstein, R., (1996). Le PEI (Programme d’Enrichissement Instrumental) In Martin J.


& Paravy G. (Eds.) Pédagogies de la Médiation : Autour du PEI. Lyon : Chronique Sociale,
119-166.
34 Feuerstein, R., (1996). Le PEI (Programme d’Enrichissement Instrumental) In Martin J.
& Paravy G. (Eds.) Pédagogies de la Médiation : Autour du PEI. Lyon : Chronique Sociale,
119-166.

237
Déficiences intellectuelles

Le PEI comporte une carte cognitive qui permet d’analyser et d’interpréter les
performances de la personne selon sept critères (l’environnement, le langage, les
trois phases de l’acte mental, les opérations cognitives, les niveaux de complexité
et d’abstraction, le niveau d’efficacité avec lequel l’acte mental est accompli).
Il se compose d’exercices de type papier/crayon regroupés dans quatorze
cahiers correspondant chacun à des instruments (organisation de points,
orientation spatiale I et II, comparaisons, perception analytique, classification,
relations familiales, relations temporelles, progressions numériques, consignes,
syllogismes, relations transitives, représentation stencils design et illustra-
tions). Chaque instrument est dédié à la rééducation d’une fonction cognitive.
La formation est conçue à partir du niveau opératoire du participant ainsi
que de son objectif (par exemple, pouvoir suivre une formation de l’ensei-
gnement général ou occuper un emploi particulier). Les fonctions déficitaires
repérées lors de l’administration du LPAD sont travaillées. L’administration
des modules suit l’ordre chronologique des instruments.
Les sessions débutent par des explications fournies par le médiateur sur les
exercices et les objectifs de travail. Le participant est ensuite invité à résoudre
les exercices. Après cela, une phase d’échanges entre médiateur et participant
est proposée. Tout au long de l’exercice, le participant verbalise ses pensées,
ses stratégies de résolution de problèmes et recherche les méthodes les plus
efficaces. Au moment de la discussion de fin de session, le participant écoute
les stratégies alternatives proposées (soit par le médiateur, soit par des pairs
dans le cas de séances de groupe) et s’approprie la méthode lui paraissant la
plus appropriée.
La généralisation fait partie des buts poursuivis par le PEI. Le participant
est invité à déterminer, à partir des stratégies élaborées pendant l’exercice, une
règle applicable à des situations de travail ou de la vie courante. Un résumé
de la séance est ensuite effectué.
Avant de débuter le programme et à l’issue de celui-ci, le participant est
évalué à l’aide du LPAD.
La remédiation se déroule sur une longue période, le programme pouvant
représenter trois ans de formation comprenant deux à trois séances hebdo-
madaires d’une heure.
Plusieurs critiques ont été émises concernant la méthode de Feuerstein.
L’une d’elle est le fait que les améliorations reposent principalement sur la
personnalité du médiateur qui sait (ou non) stimuler et guider le participant
vers le but visé. Toutefois, de nombreux témoignages positifs à travers le
monde participent à la renommée du programme.

238
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

5. Les ateliers de raisonnement


logique
Les ateliers de raisonnement logique35 (ARL) ont été conçus à partir des
théories piagetiennes. L’objectif poursuivi est la maîtrise des opérations intel-
lectuelles du stade concret au stade formel.
Les ARL sont centrés sur le participant ainsi que sur ses facultés de rai-
sonnement et de résolution de problème.
L’objectif n’est pas l’atteinte de la solution. Les erreurs sont considérées
comme étant structurantes. Elles permettent la prise de conscience des erreurs
de raisonnement et des stratégies pour se corriger.
Le thérapeute joue un rôle de catalyseur dans l’émergence des fonctions
cognitives.
Les ARL sont composés de quinze séries d’exercices sous format papier-
crayon. Les séries ont des difficultés progressives.
Pendant la séance, le participant travaille d’abord seul. Une phase de cor-
rection succède au travail individuel. Pendant la correction, le participant peut
échanger avec le thérapeute et d’autres personnes suivant le programme. Le
but de ces discussions pour le participant est de réfléchir sur sa démarche de
travail, son raisonnement et sa gestion des conflits socio-cognitifs.
À l’issue des exercices, le participant est invité à réfléchir au transfert des
opérations travaillées vers des situations professionnelles ou personnelles.
Le programme dure entre dix et quarante heures. Il y a une alternance entre
session de remédiation et situations concrètes dans lesquelles le participant
est invité à appliquer les compétences travaillées.

6. Le développement des contenants


de pensée
Le développement des contenants de pensée36 (DDCP) est un programme
psychothérapique avant d’être un programme de remédiation. Il allie les
concepts cognitifs et psychodynamiques et s’adresse à des enfants ayant des
déficiences intellectuelles et/ou des troubles envahissants du développement.
Dans ce programme, le thérapeute s’appuie sur plusieurs apports théo-
riques pour remédier aux troubles de l’enfant. Selon les conceptions de
Vygotsky, il joue un rôle de médiateur dans l’émergence des stratégies de

35 Higele P., Hommage G. & Perry E. (1988). Ateliers de Raisonnement Logique – Exercices
progressifs pour l’apprentissage des opérations intellectuelles, livret du formateur, Nancy :
CAFOC Nancy-Metz.
36 Douet B. (2001). DDCP, Développement des Contenants de Pensée, Paris : ECPA.

239
Déficiences intellectuelles

l’enfant. Le thérapeute tient compte des théories de Klein et Winnicott pour


repérer le « contenu latent » sous-tendant les démarches réflexives de l’enfant
(notamment les représentations affectives, les mouvements pulsionnels, élé-
ments fantasmatiques, etc.)37.
Le terme « contenant de pensée » tient son origine dans les théories de Bion
sur la fonction du thérapeute. Ce dernier met en sens ce que lui transmet
le patient par la parole ou par des attitudes non verbales. Dans le DDCP,
le thérapeute joue ce rôle de mise en sens à la fois dans l’accompagnement
des constructions logiques et de l’élaboration des composantes affectives et
psychiques.
Le DDPC comporte quatre fichiers d’induction : les activités catégorielles,
la mise en relation, les encodages ainsi que les émotions et conflits. Ces
modules stimulent à la fois les capacités cognitives (encodage, planification
et catégorisation) et les conceptions psychodynamiques de la pensée (émo-
tions, interprétations libres, permanence de l’objet et conflits intrapsychiques).
L’administration du DDPC se déroule en trois temps. Le premier permet
d’identifier le problème posé, de comparer les éléments entre eux et d’en
rechercher les ressemblances et dissemblances. Cette phase correspond égale-
ment à la construction des stratégies de résolution de problèmes. La deuxième
étape correspond à la mémorisation, à l’application et au renforcement de ces
stratégies. La dernière phase est celle de la généralisation.
Les résultats du DDPC sont mitigés. Des retours positifs ont été faits par
les familles et les enseignants lors de la phase de test. Les enfants participants
se montrent également plus assurés face à leurs capacités et à leurs difficultés
au niveau des apprentissages. Des prises en charge individuelles montrent
une amélioration de l’efficience intellectuelle38. Cependant, il existe peu de
protocoles scientifiquement validés utilisant ce programme et les progrès des
enfants à qui il a été proposé sont difficilement quantifiables39.

37 Douet B. (2005). Prise en charge des déficiences et dysharmonies cognitives d’un double
point de vue cognitif et psychodynamique. Dans B. Vivicorsi & R. Collet (dir.). Handicap,
Cognition et prise en charge individuelle, Des aspects de la recherche au respect de la personne
(pp.163-177). Monts : Publications des Universités de Rouen et du Havre.
38 Douet B. (2004). La dimension thérapeutique d’une remédiation cognitive chez une enfant
sourde profonde, La psychiatrie de l’enfant, 47(2). 555-587.
39 Douet B. (2005). Prise en charge des déficiences et dysharmonies cognitives d’un double
point de vue cognitif et psychodynamique. Dans B. Vivicorsi & R. Collet (dir.). Handicap,
Cognition et prise en charge individuelle, Des aspects de la recherche au respect de la personne
(pp.163-177). Monts : Publications des Universités de Rouen et du Havre.

240
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

7. Multistage Neuropsychological
assessment-intervention Model
Le Multistage Neuropsychological assessment-intervention Model40 (MNM)
a été conçu pour les enfants porteurs d’un trouble neuropsychologique ou
développementaux. Ce programme vise à lier évaluation et intervention
neuropsychologiques.
L’évaluation suit huit étapes :
1) Identification du problème : l’enfant est observé en situation concrète.
Ses proches ainsi que les professionnels le côtoyant (professeurs, édu-
cateurs, etc.) sont reçus en entretien pour aborder leur perception de
l’enfant et les difficultés que celui-ci peut rencontrer. Le problème
(qu’il s’agisse d’un trouble du développement, des apprentissages,
des conduites) est identifié, analysé et des pistes d’interventions sont
introduites. Le thérapeute évalue les ressources de l’environnement et
des proches de l’enfant. La décision d’une remédiation et le choix des
stratégies de réhabilitation sont pris.
2) Élaboration d’un plan d’intervention comportementale : à partir
des données recueillies lors de la première étape, un plan d’inter-
vention comportemental est établi. Celui-ci peut être réalisé par un
neuropsychologue ou bien par un professionnel de l’éducation. Les
comportements qui feront l’objet d’une prise en charge sont répertoriés.
Certains comportements ne seront sciemment pas travaillés. Ce choix
est opéré pour plusieurs raisons : la volonté de privilégier des cibles afin
de ne pas surcharger l’enfant ainsi que l’observation de l’évolution des
comportements bénéficiant de l’intervention par rapport aux compor-
tements non travaillés qui servent de « témoins ». Les outils écologiques
sont privilégiés. Le professionnel détermine le niveau scolaire atteint
par l’enfant, ses comportements en situation d’apprentissage et face à
la frustration. Les stratégies comportementales sont sélectionnées selon
les besoins et les objectifs de l’enfant (par exemple, des techniques de
self-control pour un enfant impulsif ou bien des stratégies d’organisa-
tion du travail). Les outils proposés viennent également répondre à des
objectifs pédagogiques (par exemple, enseigner à l’enfant des stratégies
de mémorisation). Un enfant plus âgé peut également être invité à
intervenir en tant que tuteur. Les outils comportementaux « classiques »
(tels que l’établissement d’un contrat thérapeutique avec un objectif
principal et des sous-objectifs ainsi qu’un temps d’intervention défini,

40 Semrud-Clikeman M, & Teeter Ellison P. A. (2009). Child Neuropsychology Assessment and


Interventions for Neurodevelopmental Disorders, 2nd Edition, New York, NY: Springer
Science.

241
Déficiences intellectuelles

l’emploi de renforçateurs, de feedbacks, des auto et hétéro-évaluations


régulières) sont employés.
3) Étude du fonctionnement cognitif de l’enfant : l’évaluation la plus
complète possible de l’enfant est réalisée (l’efficience intellectuelle, les
connaissances académiques, la mémoire, l’attention, le raisonnement,
les capacités langagières et de communication, la compréhension verbale
et non verbale, les fonctions exécutives, les compétences socio-émo-
tionnelles, etc.). Les stratégies métacognitives de l’enfant en situation
d’apprentissage sont également recherchées et identifiées.
4) Élaboration d’un plan d’intervention cognitif : à partir de ces relevés
effectués à l’étape 3, de nouvelles cibles d’intervention sont définies.
Pour un enfant ayant des troubles des apprentissages et rencontrant
des difficultés en lecture, l’intervention reposera sur des jeux autour
des phonèmes associés à l’apprentissage de stratégies de décodage des
mots et non-mots. Dans cette étape du programme, le professionnel
recherche les cognitions freinant l’apprentissage (angoisses de per-
formance, cognitions autour de l’échec, estime de soi basse, etc.) et
enseigne à l’enfant à les surmonter et à leur opposer des cognitions
plus adaptées. Il évalue également si l’enfant est bien intégré dans son
groupe de pairs ou si ses déficits cognitifs et ses difficultés concernant
les apprentissages ont pu l’éloigner socialement. Si tel est le cas, le
professionnel y remédie en partenariat avec les éducateurs, les parents
et les condisciples de l’enfant.
5) Évaluation neuropsychologique : les évaluations de l’étape 3 permet-
taient de dresser un portrait « général » des compétences cognitives de
l’enfant. Il s’agit ici de relever les atteintes spécifiques liées au han-
dicap que peut présenter l’enfant. Le professionnel sélectionne des
échelles de mesures adaptées au syndrome dont l’enfant est porteur.
Cette étape, tout comme la suivante, ne peut être conduite que par un
neuropsychologue.
6) Élaboration d’un plan d’intervention neuropsychologique : le neuro-
psychologue élabore des exercices pour remédier aux déficits repérés à
l’étape 5. Ainsi, pour pallier aux troubles de la mémoire de travail, le
neuropsychologue propose à l’enfant de répéter des mots ou de nommer
des objets, de mémoriser et de répéter des rythmes et des histoires. Il
enseigne à l’enfant des stratégies telle que la répétition subvocale, la
décomposition des blocs d’information en sous-groupes, l’emploi des
paraphrases, etc.
7) Évaluation neurologique et médicale : cette étape est effectuée par une
équipe médicale pour les enfants porteurs de syndromes (par exemple,
l’épilepsie) ou de maladies, ou de complications physiologiques (par
exemple, un trouble cardiaque pour un enfant trisomique 21) qui

242
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

pourraient mettre en péril la santé et l’intégration de l’enfant dans un


lieu d’apprentissage et de vie ordinaire. Le professionnel tient compte
de ces éléments pendant les phases de remédiation (par exemple, en
proposant des séances régulières, mais courtes à un enfant ayant une
fatigabilité importante).
8) Réhabilitation neurologique et médicale : le programme MNM
promeut une prise en charge écologique. Du fait de troubles soma-
tiques, psychiatriques ou neurologiques, l’enfant peut être amené à
fréquenter de manière séquentielle les lieux d’apprentissages ordinaires.
C’est pourquoi il est important que le professionnel puisse maintenir
ses interventions auprès de l’enfant dans les lieux de soins l’accueil-
lant (service de pédiatrie, hôpital de jouer, etc.). Un travail collaboratif
avec les équipes médicales, paramédicales, sociales et éducatives est
primordial.

8. Programme DELF (Découvrez vos capacités,


rEalisez vos possibilités, pLanifiez
votre démarche, soyez créatiFs)
et DELV (Das Eigene Lernen Verstehen)
Le programme DELF41 s’adresse aux enfants confrontés à des troubles des
apprentissages. Conçu par Büchel et Büchel, le programme fait l’objet d’un
travail et remaniement récurrent.
Le programme DELF poursuit les objectifs suivants :
− La prise de conscience par le participant de ses stratégies d’apprentissage ;
− La mise en évidence des stratégies erronées, la prise de connaissance de
leur déploiement automatique en situation de travail, la confrontation
de ces stratégies avec le matériel du DELF et correction ;
− L’optimisation des processus cognitifs déficitaires ;
− L’acquisition de nouvelles méthodes de résolution de problèmes et leur
substitution aux raisonnements inefficaces ainsi que leur généralisation.
Les séances suivent ces objectifs pour élaborer les stratégies de travail :
identification et décentration par rapport aux stratégies inefficaces, appren-
tissage, application et généralisation de nouvelles méthodes de raisonnement.
Le programme se déroule sur l’ensemble d’une année scolaire à raison d’une

41 Büchel F., Paour J.-L. (2005). Déficience intellectuelle : déficits et remédiation cognitive,
Enfance, 3(57), 227-240.

243
Déficiences intellectuelles

session hebdomadaire. Cette durée peut être aménagée selon l’âge et le han-
dicap des participants.
La médiation verbale joue un rôle prépondérant. En effet, à chaque étape
de travail, le participant est encouragé à formuler et expliciter ses pensées.
L’intervenant supervisant la mise en pratique du programme questionne et
relance régulièrement le participant.
Le but, in fine, n’est pas un accroissement de l’intelligence, mais une mobi-
lisation et utilisation plus efficace des processus cognitifs et métacognitifs.
Le programme a été proposé à des jeunes adultes déficients intellectuels42.
Il a montré des résultats encourageants.
Depuis 2011, DELF est devenu DELV43 et s’adresse tant aux enfants qu’aux
adultes. Le programme vise le renforcement de la métacognition et des capaci-
tés d’apprentissage via l’entraînement des fonctions exécutives. Il est composé
d’un module général et de deux modules de formation ciblant spécifiquement
la mémoire, le contrôle exécutif et les stratégies d’analyse et d’apprentissage.
Le participant doit élaborer des stratégies afin de résoudre au mieux les
problèmes posés par chaque exercice. Pour cela, il peut avoir recours à dif-
férents processus cognitifs (décomposer la tâche, résumer, encoder, répéter,
comparer, classer et apparier, intégrer des informations à d’autres connais-
sances, etc.), à des stratégies cognitives et métacognitives (planifier, contrôler
ses gestes, adapter ou changer de stratégies, gérer ses ressources attention-
nelles, employer les données stockées en mémoire à long terme…).
La centaine d’exercices composant le DELV sont constitués de textes,
d’images à décomposer, à étudier et à manipuler mentalement (illusions
d’optique, superposition ou rotation d’images, énoncés faisant appel à l’ima-
gination et la représentation mentale de séquences de mouvements, etc.).
Les énoncés comportent des instructions variées pouvant être complétées
par des informations supplémentaires pour aiguiller le participant dans son
raisonnement. À la fin de chaque exercice, il est explicitement demandé au
participant d’expliciter la stratégie qu’il a choisie, de déterminer pourquoi
celle-ci s’avérait être la plus adaptée et de réfléchir à sa transposition pour
résoudre des problèmes scolaires. Enfin, des questions sur le fonctionnement
cognitif et émotionnel de l’apprenant viennent le faire réfléchir sur sa façon de
gérer ses ressources intellectuelles dans et en dehors des situations d’appren-
tissage ainsi que de prendre conscience de ses stratégies pour résoudre ses
propres tensions internes.

42 Strasser, D., & Büchel F.P. (1998). Formation métacognitive dans un centre de formation
professionnelle pour jeunes filles présentant un handicap mental. Dans F.P. Büchel, J.L.
Paour, Y. Courbois, & U. Scharnhorst (dir.), Attention, mémoire, apprentissage. Études sur
le retard mental (pp. 141-152). Lucerne : Edition SZH/SPC.
43 Büchel F. & Büchel P. (2011). DELV : comprendre son propre apprentissage. Un pro-
gramme pour améliorer l’apprentissage et le raisonnement des adolescents et des adultes.
Tegna, Suisse : Centre d’éducation cognitive.

244
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

L’intervenant a un rôle de médiateur et de catalyseur pour faire émerger les


processus d’apprentissage. Le participant est confronté, à travers les exercices,
à son propre fonctionnement de pensée et il fait lui-même l’expérience de
ses processus métacognitif. Par conséquent, l’appropriation et l’application
de stratégies de résolution de problèmes se font naturellement.
Le programme peut être suivi en individuel, en binôme ou en groupe
dans une classe. Afin de limiter les cognitions d’échecs en lien avec le vécu
scolaire du participant, les exercices du DELV sont « décontextualisés » et
s’appuient sur des éléments concrets (bâtiments, pays, énigmes, pistes de
skate, échiquier ou cubes, etc.). Cela a pour effet de garantir l’aspect ludique
de l’apprentissage et de renforcer la motivation et le sentiment d’auto-effi-
cacité de l’apprenant.
Afin de compléter les effets du programme, Büchel encourage la tenue
d’un journal d’apprentissage. Ce journal a plusieurs objectifs : soutenir la
régulation des apprentissages, la conscientisation des processus métacognitifs,
la communication avec soi-même, le médiateur et ses condisciples.
Le journal des apprentissages demande au participant de pouvoir travailler
en autonomie. Il doit donc faire preuve de motivation et d’autorégulation. Il
permet de conserver une trace du développement des aspects émotionnels-
motivationnels et cognitifs liés aux apprentissages. Il permet également au
participant de planifier ses prochains travaux et encourage la communication
de ses objectifs et résultats. Le journal peut être tenu sur support papier ou
informatique, mais aussi sur téléphones portables. La tenue du journal nous
paraît difficilement réalisable pour des personnes déficientes intellectuelles.
Un aménagement nous semblerait pertinent (par exemple, association d’un
tiers aidant).

9. Reasoning & Rehabilitation Program


et ses variantes
Le programme R&R44 fut publié en 1986. Le programme a été régulière-
ment retravaillé et complété afin de pouvoir répondre aux besoins de publics
spécifiques (hommes, femmes, adolescents, personnes avec des déficits atten-
tionnels, etc.). Le Reasoning and Rehabilitation Mental Health Programme
(R&R2MHP) est l’adaptation destinée aux personnes présentant des troubles
psychiatriques45.

44 Ross, R. R., Fabiano, E. A., & Ross, R. D. (1986). Reasoning and Rehabilitation: A handbook
for teaching cognitive skills. Ottawa: Center for Cognitive Development.
45 Young S.J. & Ross R.R. (2007). R&R2 for youths and adults with mental health problems:
a prosocial competence training program. Ottawa: Cognitive Centre of Canada.

245
Déficiences intellectuelles

Le R&R est destiné aux personnes déficientes intellectuelles46 et/ou souf-


frant de troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité et ayant commis
des actes délictueux. Le programme a été conceptualisé à partir de deux
approches : une neurocognitive et une psychocriminelle.
Il vise à remédier aux déficits cognitifs et, par voie de conséquence, à
diminuer les troubles comportementaux qui en découlent. Il a été traduit
dans plusieurs langues et a fait l’objet de plusieurs études dans lesquelles son
efficacité a été prouvée47. Le programme existe en français et est employé
au Canada et en Suisse.
Le programme a plusieurs objectifs :
− Encourager l’empathie et les comportements socialement adaptés ;
− Enseigner des stratégies de résolution de problèmes ;
− Résoudre les difficultés cognitives en lien avec les conduites antiso-
ciales (identification et interprétation erronées des émotions, afférences
arbitraires, abstractions sélectives, troubles des capacités de conceptua-
lisation et de raisonnement, etc.) ;
− Stimuler la motivation et renforcer le sentiment d’auto-efficacité ;
− Aborder les situations de vie en tant que personne socialement adaptée,
attentive aux autres et pouvant résoudre les difficultés.
Le R&R comporte des exercices entraînant la métacognition, le repérage et
la compréhension des émotions (les siennes et celles d’autrui), les compétences
de communication interpersonnelle (communication verbale et non verbale,
l’écoute active), l’identification des schémas cognitifs actifs dans les rela-
tions sociales (prendre conscience de ses pensées, des distorsions cognitives,
des schémas inadaptés influençant les pensées et comportements), pouvoir
planifier ses actions et anticiper leurs conséquences, renforcer les conduites
socialement adaptées.
Les sessions peuvent se faire en individuel (version R&R2MHP) ou en
groupe.
En amont du travail thérapeutique, les capacités des participants à gérer
la colère et à élaborer des stratégies de résolution de problèmes sont éva-
luées. Le thérapeute utilise également des tests pour repérer la façon dont le
participant perçoit les événements et s’il estime pouvoir avoir un impact sur
ceux-ci (perception du locus of control), sa perception de la violence ainsi que
son fonctionnement social.

46 Waugh.A,. Gugjonsson, G.H., Rees-Jones, A., & Young, S. (2014). A feasibility study of the
Reasoning and Rehabilitation Mental Health Programme (R&R2MHP) in male offenders
with intellectual disability. Criminal Behaviour and Mental Health, 24, 222-224.
47 Burkhard, S., Loretan, N., Steinbach, J., Ermer, A., & Peper, M. (2011). Changes in self-
evaluated empathy and aggressive propensities in violent offenders: preliminary data from a
multicenter forensic rehabilitation program. Berlin: DGPPN conference.

246
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

Les participants reçoivent un cahier d’exercices et bénéficient de nombreuses


sessions de stimulation (entre 15 et 30 si les participants suivent le programme
original ou l’une des versions conceptualisées pour répondre à des probléma-
tiques spécifiques). Les participants peuvent être secondés par un proche qui les
encourage à poursuivre les exercices en dehors des séances avec le thérapeute
et veille à la généralisation des compétences acquises lors des sessions.
Les exercices sont sur supports audiovisuels, informatiques et matériels
(cartes à jouer). Le thérapeute utilise également les jeux de rôle. Le programme
R&R peut être associé à une prise en charge cognitive et comportementale.
Les versions du programme R&R élaborées pour venir en aide à des publics
présentant des troubles neuropsychologiques48 comportent des exercices
visant à stimuler les fonctions exécutives (notamment la planification pour
élaborer leurs comportements et prévoir leur répercussion ; l’inhibition pour
encourager le contrôle des impulsions et bénéficier des attitudes réfléchies et
accepter de ne pas avoir de réponses positives immédiates ainsi que la flexi-
bilité pour envisager d’autres stratégies en dehors de celles mises en place de
façon spontanée ou par habitude), les capacités attentionnelles et mnésiques
ainsi que la tolérance émotionnelle.

10. Programmes de remédiation


autour de la cognition sociale
et de la théorie de l’esprit
Le programme Cognitus & Moi49 a été élaboré pour les enfants d’âges pri-
maires avec et sans déficience intellectuelle.
Le programme stimule à la fois l’orientation dans l’espace et les fonctions
oculomotrices, l’attention, la mémoire, la cognition sociale ainsi que les fonc-
tions exécutives. Les exercices sont réalisés sur ordinateur et sous format
papier/crayon. Ils sont proposés en fonction des objectifs et des capacités
de l’enfant.
Le Cogitus & Moi se déroule sur seize séances hebdomadaires de quarante-
cinq minutes. Des activités réalisées à domicile permettent la généralisation
des compétences apprises. Des renforçateurs positifs sont régulièrement attri-
bués à l’enfant. Le programme informatique offre également la possibilité
de répéter les consignes (ce qui permet de pallier aux troubles mnésiques

48 Young S.J. & Ross R.R. (2007). R&R2 for ADHD Youths and Adults: A Prosocial Compe-
tence Training Program. Cognitive Centre of Canada, Ottowa, Canada.
49 Demily C., Rigard C., Peyroux E., Chesnoy-Servanin G., Morel A., Franck N. (2016).
«Cognitus & Moi»: A Computer-Based Cognitive Remediation Program for Children with
Intellectual Disability, Frontier in Psychiatry, 7, 10.

247
Déficiences intellectuelles

et attentionnels) et d’apprendre à l’enfant à organiser son temps de travail.


Cognitus & Moi encourage la verbalisation et, par conséquent, stimule la
métacognition.
Le programme comporte également un livret pour apporter des expli-
cations aux parents sur les troubles de leur enfant (psychoéducation) et les
accompagner dans la prise en charge.
À travers les exercices stimulant les capacités visuo-spatiales et visuo-
perceptives, le programme Cognitus & Moi encourage l’émergence et la
consolidation des cognitions sociales. En effet, l’un des freins au développe-
ment de la cognition sociale est l’incapacité à repérer et analyser les expressions
faciales. De même, la stimulation de la métacognition favorise également la
décentration de son propre vécu et l’empathie.
Le programme Navigating the Social World de MacAfee50 s’adresse aux
personnes porteuses du syndrome d’Asperger. Il comporte trois niveaux d’ap-
prentissages. Le premier est axé sur la reconnaissance des émotions simples
et la redirection des pensées automatiques. Les affects négatifs sont régulés
grâce à des exercices de relaxation. La deuxième étape vise l’identification,
la nomination et la mise en pratique des émotions. Pour cela, le thérapeute
propose des jeux de rôles. Dans le dernier niveau, les participants apprennent à
percevoir toutes les nuances émotionnelles dans leurs manifestations verbales
et non verbales. Les personnes TSA sont encouragées à trier les manifestations
affectives selon leurs intensités et à leur attribuer une valeur appropriée.
Sterkenburg51 a développé l’Integrative Therapy for Attachment and Beha-
viour (ITAB) pour les enfants atteints de déficiences visuelles et intellectuelles
non autistes. Le programme suit trois étapes. La première partie de l’ITAB
dure six mois. Elle comporte trois séances hebdomadaires durant lesquelles
le thérapeute établit un lien sécurisé avec l’enfant. L’objectif est de permettre
à l’enfant de développer des compétences en régulation émotionnelle ainsi
que d’accroître l’effet renforçant des interactions sociales avec le thérapeute.
Pour cela, le thérapeute établit des contacts verbaux et tactiles. Il identifie
les comportements d’approbation ou de résistance de l’enfant. Le thérapeute
cherche également des signes montrant que l’enfant a acquis la permanence
de l’objet. Cette étape est importante, car elle permet d’estimer si l’enfant
perçoit la présence et l’absence du thérapeute. Ce dernier s’appuiera sur la
permanence de l’objet lors des jeux.
La deuxième phase est celle des modifications comportementales. Les ren-
forçateurs sociaux sont particulièrement employés pour encourager l’émergence

50 Attwood, T. (2007). The Complete Guide to Asperger’s Syndrome. London: Jessica Kingsley
Publishers.
51 Sterkenburg P.S., Janssen C.G.C. & Schuengel C. (2008). The effect of an attachment-based
behaviour therapy for children with visual and severe intellectual disabilities. Journal of
Applied Research in Intellectual Disabilities. 21, 126-135.

248
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

d’attitudes adaptées. La dernière phase est celle de la généralisation. Le thé-


rapeute guide l’entourage dans l’établissement de relations sécurisées avec
l’enfant. L’action du thérapeute s’efface à mesure que les proches et éducateurs
de l’enfant développent un attachement sécurisé avec ce dernier.
Le programme a pour le moment été expérimenté sur un nombre limité
d’enfants. Il apparaît que les enfants bénéficiant du programme montrent
davantage de comportements adaptés que ceux ayant reçu une prise en charge
comportementale classique.

11. Programme Positive Behavior Support


et remédiation des troubles
du comportement
Plusieurs techniques et programmes ont été conceptualisés afin de remé-
dier aux conduites inadaptées. L’un des premiers outils élaborés à la Token
Economy basée sur le conditionnement opérant de Skinner. Un nombre
important de programmes d’intervention ont ensuite été conçus en s’appuyant
sur l’utilisation des renforçateurs.
Le Positive Behavior Support de Lucyshyn52 vise la diminution des conduites
disruptives, l’apprentissage de comportements socialement adaptés ainsi que
la valorisation du rôle social. In fine, le programme cherche à promouvoir
l’autodétermination et l’intégration de la personne déficiente intellectuelle
dans la communauté.
Le programme fut conceptualisé en réponse aux prises en charge institu-
tionnelles des comportements défis des personnes déficientes intellectuelles.
Les réponses apportées par les lieux d’accueil étaient principalement punitives.
Lucyshyn et ses collègues proposent de concevoir les attitudes disruptives
comme étant des réponses adaptatives au système dans lequel évolue l’in-
dividu. Ainsi, les principes du Positive Behavior Support sont appliqués à
l’ensemble des acteurs de ce système.
Le premier point qui est travaillé est l’environnement dans lequel évolue
l’individu. Pour cela, l’intervenant étudie le milieu de vie, les facteurs d’appa-
rition et de maintien des comportements, l’entourage, la santé, l’alimentation,
les activités, les temps de transition entre chaque instant de la journée, de la
semaine, des mois, etc. Ainsi, tous les systèmes (familiaux et sociaux) dans
lesquels évolue la personne sont évalués et feront l’objet d’interventions
spécifiques.

52 Lucyshyn J. M., Dunlap G. & Albin R. W. (Ed) (2002). Families and Positive Behavior Sup-
port: Adressing Problem Behavior in Family Contexts. Baltimore: Paul H. Brookes.

249
Déficiences intellectuelles

Le Positive Behavior Support ne propose pas que des interventions compor-


tementales, il suggère également des modifications des lieux, des organisations,
des ressources et du management des professionnels entourant la personne
déficiente intellectuelle.
Ainsi, le programme valorise de façon égale chaque intervenant : la per-
sonne prise en charge, ses proches et les professionnels l’accompagnant.
Chacun des membres est considéré comme étant expert et garant de la cohé-
rence du travail en équipe, responsable et vecteur du changement ou de la
stagnation des comportements défis.
Le Positive Behavior Support suit les mêmes principes d’intervention que
l’ABA. Une fois que l’analyse fonctionnelle des comportements est réalisée,
les attitudes adaptées sont enseignées et renforcées tandis que les conduites
inadéquates ne font l’objet d’aucun renforcement et d’aucune punition. La
personne et son environnement font l’objet d’évaluations régulières afin
d’apprécier les effets du programme et l’ajuster au besoin.
Les interventions sur les composantes environnementales consistent à
rendre celui-ci plus compréhensible et tolérable pour la personne déficiente
intellectuelle. Pour cela, les temps de la journée sont délimités de manière à
être plus facilement identifiables (l’utilisation de supports visuels est régu-
lièrement proposée). La personne déficiente intellectuelle est encouragée à
effectuer ses propres choix (notamment à travers l’élaboration conjointe et la
signature d’un contrat thérapeutique) et à communiquer. Le développement
d’outils de communication a pour objectif de permettre à l’individu de sortir
de l’institution et de mener une vie indépendante dans la société.
Pour résumer, le Positive Behavior Support vise l’adaptation et l’empower-
ment de l’individu.
Il repose sur les actions suivantes :
− Observation et identification des comportements problématiques dès
leurs premières apparitions ;
− Repérage des contingences environnementales, sociales et personnelles
précédant, entourant et renforçant les troubles ;
− Élaboration et offre d’aides individualisées pour enseigner de nouvelles
réponses comportementales ;
− Réflexion sur les lieux et groupes dans lesquels évolue la personne ;
− Considération de ceux-ci en tant que système ;
− Intervention sur ces systèmes et enrichissement de ceux-ci afin que ces
modifications aient des conséquences positives sur la vie de la personne ;
− Apport d’informations et de soutiens aux proches ;
− Apport de nouveaux outils pour gérer les situations de crise et les
débordements comportementaux. Pour cela, l’aménagement de temps
et de lieu de répit permettant à la personne de s’isoler pour s’apaiser
(technique du time out) est à privilégier ;

250
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

− Cessation des réponses punitives aux attitudes des personnes déficientes


intellectuelles ;
− Accès à de nouvelles activités, de nouvelles réponses aux comporte-
ments, de nouveaux lieux de travail et de vie ;
− Promouvoir la généralisation des attitudes socialement adaptées dans
le but de désinstitutionnaliser la personne et lui permettre de mener
une vie indépendante et de participer activement à la vie sociale. Il
est important de s’appuyer sur des comportements déjà présentés par
la personne. Ceux-ci sont renforcés positivement chaque fois qu’ils
apparaissent. Les renforçateurs peuvent être matériels. Il est toutefois
préférable d’employer des renforçateurs sociaux.
Les études sur l’efficacité des programmes de remédiation cognitive
montrent des résultats contrastés. La plupart concluent en une amélioration
significative des fonctions stimulées53. Un transfert des compétences d’une
composante neuropsychologique à une autre non stimulée pendant les ses-
sions de remédiation est également repéré.
Toutefois, les améliorations sont principalement observées via les évalua-
tions en pré- et post-traitement. Celles-ci ont comme « défaut » de présenter
de nombreuses similitudes avec les exercices des programmes utilisés. Ensuite,
les progrès objectivés par les scores aux tests ne sont pas toujours observés
une fois que le participant a quitté la salle de travail et est à nouveau placé
en situation concrète54. Ces éléments démontrent les limites de la remédiation
cognitive. Celle-ci est principalement efficace sur les domaines travaillés.
Un autre défaut de la remédiation cognitive est que ses effets se main-
tiennent de façon inégale selon les participants et les fonctions stimulées.
Si la plupart des études montrent que les effets positifs des exercices sont
observables à court et moyen terme, ils semblent ne pas se maintenir au-delà
de quelques mois après l’arrêt de la stimulation55.
Pour que les effets de la remédiation cognitive se pérennisent, des exercices
d’entraînement doivent donc être proposés régulièrement aux participants.
La compliance au programme est un facteur clé pour la réussite56. Cette
compliance peut être complexe à obtenir et à maintenir auprès des personnes

53 Beck, S. J., Hanson, C. A., Puffenberger, S. S., Benninger, K. L., & Benninger, W. B. (2010).
A controlled trial of working memory training for children and adolescents with ADHD.
Journal of Clinical Child and Adolescent Psychology, 39(6), 825–836.
54 Beck, S. J., Hanson, C. A., Puffenberger, S. S., Benninger, K. L., & Benninger, W. B. (2010).
A controlled trial of working memory training for children and adolescents with ADHD.
Journal of Clinical Child and Adolescent Psychology, 39(6), 825–836.
55 Rabiner, D. L., Murray, D. W., Skinner, A. T., & Malone, P. S. (2010). A randomized trial
of two promising computer-based interventions for students with attention difficulties.
Journal of Abnormal Child Psychology, 38(1), 131–142.
56 Jaeggi, S. M., Buschkuehl, M., Shah, P., & Jonides, J. (2014). The role of individual diffe-
rences in cognitive training and transfer. Memory & Cognition, 42(3), 464–480.

251
Déficiences intellectuelles

déficientes intellectuelles pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elles peuvent


méconnaître leurs troubles. Du fait du phénomène d’impuissance apprise
et d’un locus of control externe, elles n’ont pas conscience de leurs propres
capacités à être actrices d’un changement dans leur vie. De plus, les troubles
neuropsychologiques ont également pour effet de complexifier la planification
et la conception de bénéfices futurs ainsi que le maintien de la motivation sur
une longue période. Enfin, la motivation intrinsèque et le sentiment d’efficacité
personnelle sont les moteurs permettant aux personnes ordinaires de se lancer
dans des travaux complexes et potentiellement fatigants et frustrants. Ces deux
composantes sont faibles chez les personnes déficientes intellectuelles. Ainsi,
elles ont besoin qu’un tiers leur attribue des renforçateurs régulièrement pour
pouvoir rester concentrées et maintenir leur compliance sur le long terme.
L’inclusion dans un groupe, les renforçateurs sociaux ainsi que la remise
de prix et d’attestation de réussite à l’issue des programmes thérapeutiques
sont des facteurs motivationnels importants57.
Les personnes déficientes intellectuelles suivent de manière plus constante
et rigoureuse les programmes informatiques que ceux se présentant sous le
format papier/crayon. Cette différence d’investissement peut être expliquée par
plusieurs facteurs. Les nouvelles technologies, grâce aux écrans tactiles, sont
accessibles aux personnes ayant des troubles psychomoteurs tandis que les
exercices de type papier/crayon mettent en difficulté les personnes ayant des
troubles de la motricité fine. De plus, les programmes informatiques peuvent
être proposés aux enfants déficients intellectuels d’âge préscolaire ou ayant des
acquis scolaires minimaux58. Il s’agit d’un avantage non négligeable étant donné
que les prises en charge les plus précoces sont celles apportant les bénéfices
les plus importants. Ensuite, les programmes informatiques sont généralement
plus stimulants tant au niveau visuel qu’au niveau auditif. Enfin, ils offrent des
retours sur les compétences des participants et des renforçateurs immédiats59.
Ces éléments sont particulièrement importants pour les jeunes autistes.
L’utilisation de programmes informatiques montre de meilleurs résultats que
les prises en charge comportementales classiques, y compris pour les appren-
tissages scolaires60.

57 Darcy S. & Dowse L. (2013). In search of a level playing field – the constraints and benefits
of sport participation for people with intellectual disability, Disability & Society, 28(3),
393-407.
58 Dawson, G., Rogers, S., Munson, J., Smith, M., Winter, J., Greenson, J., et al. (2010). Ran-
domized, controlled trial of an intervention for toddlers with autism: The early start Den-
ver model. Pediatrics, 125(1), E17 – E23.
59 Mineo, B. A., Ziegler, W., Gill, S., & Salkin, D. (2009). Engagement with electronic screen
media among students with autism spectrum disorders. Journal of Autism and Develop-
mental Disorders, 39(1), 172–187.
60 Moore, M., & Calvert, S. (2000). Brief report: Vocabulary acquisition for children with
autism: Teacher or computer instruction. Journal of Autism and Developmental Disorders,
30(4), 359–362.

252
Chapitre 19 – La remédiation cognitive

Les programmes de remédiation cognitive sur support informatique


montrent des résultats encourageants dans la stimulation et le renforcement
de la compréhension verbale, des capacités motrices et de l’acuité visuelle
et auditive, y compris chez les personnes déficientes intellectuelles les plus
inhibées.
En résumé, l’investissement et la réussite des participants dépendront étroi-
tement de la capacité du programme à fixer régulièrement et précisément des
objectifs, à suivre une progression claire et facile à comprendre ainsi qu’à
transmettre des feedbacks et des renforçateurs réguliers tout en étant ludique.

253
Conclusion
Complémentarité entre
la neuropsychologie et les TCC,
de la remédiation des troubles
à l’auto-détermination

Les déficiences intellectuelles ont des causes et des conséquences multiples.


Des déficits neuropsychologiques communs sont repérés dans plusieurs
syndromes. Toutefois, il convient de toujours tenir compte des différences
intra et inter-individuelles.
L’identification et l’évaluation des atteintes cognitives sont complexes. Des
performances dans la norme à des tests ou à des exercices de stimulation ne
garantissent pas l’autonomie. De même, le thérapeute doit être vigilant à ce
que la progression des scores lors des évaluations post-traitement soit bien
le reflet d’améliorations cognitives et non pas d’une meilleure appropriation
des tests.
Le principal écueil de programmes de remédiation est la difficulté à trans-
poser et généraliser les compétences travaillées. Ainsi, les exercices stimulent
des fonctions que le participant, s’il ne bénéficie pas d’un accompagnement
éducatif régulier, ne saura pas mettre en pratique en vie quotidienne.
Une autre faiblesse des programmes de remédiation est que, sans stimu-
lations récurrentes, les améliorations repérées à la fin de l’intervention ne se
maintiennent pas.
L’association de la neuropsychologie et des conceptions cognitivo-
comportementales offrent des perspectives intéressantes pour la compréhension
et la prise en charge des personnes déficientes intellectuelles et plus particu-
lièrement celles ayant des troubles du comportement.
Ces derniers sont conçus comme des tentatives d’adaptation face aux
contraintes environnementales. Le panel de réponses comportementales est
Conclusion

le reflet des compétences de l’individu à faire preuve d’attention, de flexibilité,


d’inhibition, de planification, d’anticipation, d’empathie, de raisonnement
logique et affectif, de résolution de problèmes ainsi que de mémorisation.
Ces éléments s’influencent les uns les autres. Les composantes cérébrales
déterminent la manière dont la personne pourra (ou non) réguler ses émo-
tions et ses comportements pour s’adapter à son milieu de vie. En fonction
de ses actions, son environnement lui renverra des réponses qui lui seront
soit bénéfiques soit aversives. Ces renforçateurs auront un impact direct sur
le cerveau (l’activité du cortex préfrontal dorso-latéral pouvant être, comme
nous l’avons vu dans ce livre, modulée la récompense en jeu). Elles condition-
neront l’élaboration et la mise en œuvre par des stratégies et des actions de
la personne. Celles-ci se maintiendront selon leurs répercussions sur l’envi-
ronnement et ainsi de suite.
La neuropsychologie et les théories cognitivo-comportementales offrent
également des clés pour la compréhension des manifestations spécifiques des
troubles psychiatriques chez les personnes déficientes intellectuelles.
Sans la prise en compte des spécificités neuropsychologiques, psychia-
triques et comportementales, la prise en charge risque de manquer son
objectif. Prenons l’exemple d’une personne trisomique 21 qui briserait ses
outils de travail dans un établissement et service d’aide par le travail (ESAT) :
entreprendre la prise en charge du trouble du comportement (destruction
de matériel) n’a pas de sens si elle ne s’accompagne pas de celle de l’envi-
ronnement (travail) des cognitions (pensées autour de la performance ou de
l’échec) et émotions (angoisse) l’accompagnant. Ces mêmes affects et pensées
ne peuvent être compris qu’en tenant compte des particularités neuropsy-
chologiques de l’individu (troubles attentionnels, mnésiques, exécutifs, etc.).
Ils ne peuvent également être compris qu’à la lumières de l’anamnèse de la
personne (échecs répétés lors d’autres expériences professionnelles, accidents
du travail, etc.).
Tenter de remédier aux seuls troubles du comportement (par exemple en
utilisant la Token Economy) ou aux seules cognitions et émotions (à l’aide
de la relaxation ou en employant des méthodes cognitives), ou aux déficits
neuropsychologiques (avec un programme de remédiation) ou aux trauma-
tismes anciens (à l’aide de techniques telles que l’exposition ou issues de la
troisième vague des TCC) sans prendre en considération les autres éléments
serait voué à l’échec. Les troubles neuropsychologiques empêcheraient la
personne de maintenir son attention sur un temps suffisamment long pour
pouvoir obtenir un renforçateur ou bénéficier de la psychothérapie. Les
troubles du comportement freineraient la progression de la psychothéra-
pie et de la remédiation neuropsychologique. La non-reconnaissance des
traumatismes anciens perturberait la compréhension des déclenchements
de l’anxiété et des troubles du comportement associés. Enfin, sans analyse

255
Déficiences intellectuelles

de l’environnement, le thérapeute ne pourra pas déterminer quels sont les


stimuli entraînant l’anxiété et ne saura pas si une adaptation du milieu de
vie est nécessaire.
Seule une approche holistique de la personne permettra l’élaboration d’une
prise en charge efficace.
La prise en charge neuropsychologique est essentielle à la réussite de la
TCC. Par exemple, le suivi de la thérapie ne sera possible que si les troubles
attentionnels ont d’abord été remédiés. Les techniques comportementales
poursuivent la stimulation neuropsychologique. Ainsi, Alderman1 montre que
la technique du response-cost a un impact positif sur le contrôle inhibiteur.
Cet effet se maintient même après l’arrêt de la prise en charge.
Un trouble de la mémoire de travail fera que la personne ne pourra
pas retenir les feedbacks ou les contingences de renforcement données
par le thérapeute. Ces déficits sont responsables de l’insuccès relatifs des
programme de remédiation ou d’apprentissage quand ils sont appliqués tels
quels auprès des personnes déficientes intellectuelles ou ayant des troubles
exécutifs. Il est donc primordial d’évaluer et de tenir compte de toutes les
composantes internes du participant avant de proposer un programme
d’entraînement.
Les travaux concernant le double diagnostic sont encore émergents. Des
adaptations françaises pour les diagnostics sont à concevoir.
La remédiation cognitive permet de pallier aux déficits existants et de
stimuler les capacités présentes ou émergentes.
L’objectif final est d’améliorer la qualité de vie des personnes en situation
de handicap. Nous pouvons étendre notre réflexion en proposant que les buts
de la remédiation soient également le développement de stratégies permet-
tant aux personnes déficientes intellectuelles de prendre le contrôle de leur
propre vie. Ce contrôle passe par le développement de l’autodétermination.
L’autodétermination se définit par la capacité des personnes à agir de manière
autonome, à planifier des objectifs ainsi qu’à mettre en place des stratégies
pour s’autoréguler et résoudre des problèmes, à connaître leurs potentialités
et limites pour faire preuve d’empowerment et s’auto-réaliser2.
Ces compétences ne sont acquises qu’après plusieurs étapes.
Une première phase comporte la prise de conscience et la gestion des
aptitudes et incapacités. Les évaluations cognitives et neuropsychologiques
contribuent à cette prise de conscience. La deuxième consiste à déterminer

1 Alderman N., Fry R. K. & Yougson H. A. (1995). Improvement of self-monitoring skills,


reduction of behavior disturbance and the dysexecutive syndrome: comparison of response
cost and a new programme of self-monitoring training, Neuropsychological Rehabilitation,
5, 193-221.
2 Haelewyck, M-C. & Nader-Grosbois, N. (2004). L’Autorégulation : Porte d’entrée vers
l’autodétermination des personnes avec retard mental ?, Revue Francophone de la Défi-
cience Intellectuelle, 15(2), 173-186.

256
Conclusion

et fixer des objectifs. La troisième étape est consacrée à la transmission et


l’appropriation d’outils thérapeutiques pour communiquer de manière asser-
tive et de stratégies pour compenser les déficits et accepter ceux ne pouvant
être remédiés. Dans cette troisième étape, la remédiation cognitive tient une
place prédominante. Enfin, les personnes sont encouragées et accompagnées
dans la réalisation de leurs objectifs.
Ces étapes conduisent à l’empowerment psychologique qui comporte
le sentiment d’efficacité personnelle, le locus de contrôle interne (avoir la
conviction que ses actions et non des forces extérieures ont un impact sur
son devenir) et des attentes de solution positives. L’adoption d’un locus de
contrôle interne est d’autant plus importante pour les personnes qui, de par
leur handicap, ont vécu sous la tutelle d’instances extérieures3.
La remédiation des déficits neuropsychologiques peut conduire à l’éman-
cipation. Cette démarche est à encourager au niveau sociétal.

La remédiation cognitive
en vue de l’empowerment
et de la désinstitutionalisation ?
En Amérique du Nord, les années 1970 et 1980 ont vu apparaître le concept
de « normalisation ». La normalisation vise à ouvrir l’accès aux personnes
déficientes intellectuelles aux mêmes services que les personnes ordinaires4.
Bien que les actions menées depuis les années 1970 jusqu’à la loi de 2005
pour l’égalité des droits et des chances5 tentent de favoriser l’accueil des per-
sonnes en situation de handicap dans la cité, la vie en hôpital demeure une
réalité pour un nombre important de personnes déficientes intellectuelles en
Europe et en France6.

3 Wehmeyer, M. L. (1993) Perceptual and psyhological factors in career decision making of


adolescents with and without cognitive disabilities. CareerDevelopment of ExceptionalIndi-
viduals, 16, 135-146.
4 Wolfensberger W. (1972). The principle of normalization in human services, Natonal Insti-
tute on Mental Retardation, Toronto, Ontario.
5 Journal Officiel de la République Française. (2005). Décret no 2005-223 du 11 mars 2005
relatif aux conditions d’organisation et de fonctionnement des services d’accompagnement
à la vie sociale et des services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés
(SANA0424257D). JORF no 61 du 13 mars 2005, texte no 6, 1-4
6 Scown S. (2013). Too many people with learning disabilities live in hospitals, Census
highlights the need for more community care and support options. Guardian Professionnal,
London. Repéré à http://www.theguardian.com/social-care-network/2013/dec/17/
learning-disabilities-hospitals-census

257
Déficiences intellectuelles

Un rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne7


révèle que les personnes déficientes intellectuelles sont toujours victimes de
discriminations, et plus particulièrement dans le domaine de la santé.
Nous pouvons étendre cette conclusion à notre réflexion sur la remédia-
tion cognitive. Les familles et professionnels sont encore trop peu informés et
formés à cette pratique. Les récents débats concernant la prise en charge des
TSA8 montrent que les personnes en situation de handicap sont tributaires
des conceptions que les soignants ont de leur pathologie et ne sont pas libres
de choisir leur prise en charge.
Nous avons montré au cours de cet ouvrage qu’il existe de nombreux
outils d’évaluation et de remédiation. Toutefois, un nombre important des
programmes cités n’ont pas été traduits et nous ne disposons pas de normes
françaises. Ce retard dans l’arrivée des programmes existants sur notre sol
et dans la conception de nouveaux outils est à la fois préjudiciable pour les
professionnels et les bénéficiaires des soins.
Enfin, le nombre de structures et de services pouvant diagnostiquer et
prendre en charge les personnes en situation de handicap demeure restreint.
L’accès à un logement indépendant, à des services de qualité et adaptés
au handicap ainsi que la pleine possession de ses droits de citoyen sont des
objectifs encore difficilement atteignables pour la plupart des personnes défi-
cientes intellectuelles.
Des avancées légales favorables et la possibilité pour les individus à
connaître et revendiquer leurs droits sont des moyens pour réaliser ces projets.
L’accès à la connaissance et à la défense de ses droits passe par l’ajuste-
ment de l’environnement de la part des personnes neurotypiques ainsi que
par la compensation des déficits chez les personnes déficientes intellectuelles.
Pour atteindre ces objectifs, les techniques comportementales et éducatives
visant à renforcer l’empowerment et réduire les conduites inadaptées sont
recommandées.
Il nous apparaît primordial de développer les réflexions autour des prises
en charges neuropsychologiques des handicaps ainsi que d’encourager l’appli-
cation des programmes de remédiation, de rééducation et de réhabilitation.

7 Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne. (2012). Inégalités et discrimination mul-
tiple dans le domaine des soins de santé. Luxembourg, Office des publications. Repéré à http://fra.
europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/1947-FRA-Factsheet_InequMultDiscrimination_FR.pdf
8 Pelloux A-S. (2011). L’autisme dans tous ses états, Champ de mines ou nouvelles fonda-
tions ?, Enfance & Psy, 4(53), 6-12

258

Vous aimerez peut-être aussi