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LE FRANÇAIS, LANGUE DIPLOMATIQUE

Author(s): ANDRÉ FRANÇOIS-PONCET


Source: Revue des Deux Mondes (1829-1971) , 15 AVRIL 1956, (15 AVRIL 1956), pp. 577-
585
Published by: Revue des Deux Mondes

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44595991

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LE FRANÇAIS,
LANGUE DIPLOMATIQUE

diplomatique. Il semble qu'il ne jouisse plus, aujourd'hui,


Le ou, diplomatique.ou,français
du moins,du plus
moins,dansa laétémême
plusmesure,
pendantduIlmême
sembleprivilège.
dans plu la qu'il même s de deux ne mesure, jouisse siècles du plus, et même demi aujourd'hui, privilège. la langue
Comment s'explique, après une aussi longue faveur, cet apparent
déclin ? En sommes-nous responsables ? Une autre langue a-t-elle
pris, est-elle en train de prendre sa place ? S'il est vrai qu'il ne
le soit plus, le français peut-il espérer redevenir l'instrument
préféré des diplomates ? Sur ce thème, je voudrais présenter ici
quelques observations et réflexions.
Les traités de Westphalie sont, si je ne m'abuse, les derniers
grands traités rédigés en latin, le latin ayant été, jusque là, la
langue commune des chancelleries européennes. Mais déjà, à
cette époque, nos négociateurs avaient fait sensation en employant
le français dans les interminables et fastidieuses conversations qu'ils
menaient avec leurs collègues, tant à Münster qu'à Osnabrück.
Désormais, notre langue va supplanter le latin. Tous les traités
seront rédigés en français. Les Traités de Louis XIV, de Louis XV,
de Louis XVI, ceux de Napoléon Ier, les Traités de Vienne, le
Traité de Francfort - et non seulement les traités dans lesquels
la France est partie, mais ceux qui sont conclus par d'autres pays
que la France et en dehors d'elle ; et non seulement le français
sera la langue diplomatique écrite, il sera aussi la langue- diploma-
tique parlée ; il sera la langue de la correspondance courante et
des notes officielles, et aussi celle des audiences, celle des confé-
rences et des congrès.
C'est ainsi que le français a été la langue du Congrès de Berlin,
en 1878.
Il convient d'ailleurs de noter que cette primauté du français
lui est reconnue en fait, mais non en droit.
LA REVUE N® 8 1

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Des réserves formelles, inscr


de Rastadt (17.14), dans les T
de Paris (1763), ou encore da
Congrès de Vienne (1815), le spéc
On recourt de plein gré au fran
mais on a soin de préciser que
pour imposer l'usage de sa langu
culièrement à le marquer. Son
Grenville, recommande, du re
du Foreign Office, de s'exprimer
dans leurs échanges de vues av
accrédités à Londres.
Le français n'en règne pas moins sans contestation pendant
la seconde moitié du xvne, pendant le xvnie et le xix® siècle.
Cette suprématie s'explique sans peine. Elle est due à la position
dominante que la France, à la tête d'une Europe qui conduit le
monde, occupe à la fois sur le plan de la population, de la richesse,
de l'influence politique, de la force militaire, et sur le plan de la
pensée, des techniques, des arts, des modes de vie, domaine où
les œuvres qu'elle produit, les mœurs qu'elle adopte suscitent en tous
lieux la sympathie, l'admiration, l'imitation. Tous les regards
sont tournés vers elle. C'est un pays plus avancé que les autres,
comme il en a été de l'Italie, au temps de la Renaissance ; une
source de lumière qui émane d'un Roi-Soleil. Aussi sa langue
est-elle celle de toutes les cours souveraines, de l'élite aristocratique,
de l'élite intellectuelle, des milieux dirigeants des grands et des
petits Etats, la langue de la communauté européenne, chrétienne,
monarchiste et humaniste.
Mais on ne l'emploie pas seulement parce qu'elle est la langue
d'un puissant et brillant royaume. On l'apprécie à cause de ses
mérites propres. On voit dans le français le plus digne héritier du
latin, un instrument d'expression supérieur aux autres, parce qu'il
est construit sur une solide armature grammaticale qui oblige à
la rigueur dans l'analyse et à la précision dans les termes, parce
qu'il convient particulièrement à l'argumentation logique, à la
démonstration, aux démarches progressives du raisonnement,
parce qu'il exige et répand la clarté, - cette clarté qui, dans
les actes diplomatiques, doit éliminer les malentendus et le rebon-
dissement des conflits, - parce qu'en même temps, et enfin, il
se prête avec une souplesse inégalable à l'énoncé des nuances

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les plus délicates, les plus passionnées ou les plus galantes du


sentiment. Du consentement général, ce qui passe par le français
est transformé, mis au point, ajusté, rendu accessible et compré-
hensible à tous.
Ce sont donc ses qualités qui ont fait de la langue française
la langue universelle. « De toutes les langues, elle est la seule qui
ait une probité, attachée à son génie... Sûre, sociale, raisonnable,
ce n'est plus la langue française, c'est la langue humaine ! Et voilà
pourquoi les Puissances l'ont appelée dans leurs traités. » Telle
est l'affirmation de Rivarol, dans le mémoire fameux qui lui valut
le prix de l'Académie de Berlin (178Ķ), ou plutôt la moitié de ce
prix, car l'Académie couronna, en même temps, la dissertation,
écrite en allemand, de Johann Christoph Schwab.
Mais tout change, tout coule ; la vie, c'est le mouvement,
qui tout défait et tout refait, sans cesse.
Les raisons qui ont procuré au français le privilège d'être
la langue diplomatique se modifient et s'affaiblissent peu à peu.
Sans doute, à travers les vicissitudes de son histoire, la France
garde-t-elle un rôle politique primordial. Ses échecs n'amoin-
drissent pas son influence. Quand son astre se voile, c'est pour briller,
l'instant d'après, d'un feu plus vif. A plusieurs égards, elle perd,
cependant, l'avance dont elle bénéficiait. Elle n'est plus l'Etat le
plus peuplé d'Europe. L'Allemagne, l'Angleterre, qu'elle dépassait
de beaucoup, la rattrapent et la dépassent à leur tour, largement.
D'autres cultures, qui se sont enrichies, souvent grâce à elle, d'autres
langues qui, à son exemple, se sont perfectionnées, rivalisent avec
elle. Au fur et à mesure des progrès de la démocratie, les hommes
•politiques dirigeants, les diplomates ne se recrutent plus exclusi-
vement dans les milieux de l'aristocratie. La bourgeoisie, le peuple,
d'où ils proviennent, ne parlent que la langue de leur propre pays.
Enfin, le nationalisme, nourri par le romantisme du xixe siècle,
devient la passion croissante, et de plus en plus dévorante, des
hommes. La langue, si l'on ose dire, est un drapeau. Elle est une
manifestation essentielle du sentiment national. Chacun met son
point d'honneur à parler sa langue et à rédiger en sa langue.
Si l'on joint à ce phénomène le fait que, non seulement les
Dominions, mais les Etats-Unis interviennent et occupent une
place de plus en plus importante dans la politique de l'Europe
et du monde, et qu'ignorant les langues étrangères, et ne désirant
pas les apprendre, ils apportent par leur présence un renfort consi-

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580 LA REVUE

dérable à l'usage de l'anglai


première guerre mondiale,
rédaction du Traité de Versai
langue diplomatique, à égalit
le ministre des Affaires étr
avait proposé que l'on se co
adoptât le français, comme
Lloyd George et le Présiden
le rôle joué dans la guerre pa
ils réclamèrent pour l'anglai
de trois jours, la France céda.
parleraient, à leur guise, l'un
verbaux de leurs discussions
l'autre. Le traité lui-même
article 440 précisa que le texte
côte à côte sur deux colonnes
sorte que, si des divergences
elles eussent été sans fin et sans remède.
Certains pensent qu'en agissant comme il l'a fait, Lloyd George
a obéi à un sentiment de malveillance envers nous et qu'il y a
entraîné le Président des Etats-Unis. Peut-être suffit-il d'admettre
que les deux hommes d'Etat se sentaient ennuyés, sinon humiliés,
de ne pas savoir le français et que plusieurs de leurs collaborateurs,
au moins parmi ceux de l'Américain, étaient dans la même gêne.
La clef d'un pareil état d'esprit, il est possible qu'elle nous soit
fournie par le passage suivant d'une lettre peu connue du prince
de Bismarck et dans lequel celui-ci déclare : « En prenant contact
avec le monde, tu te trouveras souvent dans des situations où tu
ressentiras un malaise, et même une humiliation, si tout ce qui est
français ne t'est pas familier. »

**♦

Il n'est pas exact, d'ailleurs, que le Traité de Versailles ait


été le premier grand traité rédigé en français et en anglais. Avant
lui, le Traité de Portsmouth, qui a mis fin, en 1905, à la guerre
russo-japonaise, avait été écrit dans ces deux langues. Plus ancien-
nement encore, en 1861, le traité conclu entre la Chine et le Zollve-
rein avait reçu simultanément une version française, une version
allemande et une version chinoise. Les traités qui firent suite au

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Traité de Versailles et qu'on appelle quelquefois « les traités de


banlieue », ceux de Saint-Germain, de Sèvres et de Neuilly, furent
rédigés en français, en anglais et en italien.
L'accord turco-yougoslave du 14 avril 1932, les accords de
compensation passés de 1931 à 1934 par l'Italie avec l'Autriche,
la Hongrie, la Yougoslavie, la Turquie, la Roumanie, n'ont été
écrits qu'en français.
Cependant, le pacte à Quatre, du 7 juin 1933, a été rédigé
en allemand, en anglais, en italien et en français. Mais, dans son
article 6, il a indiqué que la version française ferait foi. Et cette
clause figure dans tous les actes qui viennent d'être cités, à l'excep-
tion du Traité de Versailles.
Le français n'est donc plus la langue diplomatique unique.
D'autres langues' sont utilisées concuremment avec lui, et notam-
ment l'anglais. Mais il garde au milieu d'elles le rôle d'un arbitre.
C'est lui qui, à l'occasion, les départage. Il passe avant elles, primus
inter pares , comme Lotiis XVIII, qui pénétrait le premier dans
sa salle à manger, avant l'empereur d'Autriche, le roi de Prusse et
le tsar de toutes les Russies, ses invités.
L'usage, à égalité, du français et de l'anglais dans la négociation
du Traité de Versailles, s'il est vrai qu'il est bien le signe de l'avè-
nement d'une nouvelle époque, a entraîné, du même coup, une
conséquence fort notable. Il a fait apparaître un personnage jus-
qu'alors inconnu, du moins eh Europe occidentale : l'interprète.
L'obligation de traduire en français tous les propos tenus en
anglais, et inversement, a eu l'inconvénient d'allonger les séances ; elle
a eu, en compensation, l'avantage de donner à l'interlocuteur
un délai, souvent très utile, de réflexion supplémentaire ; mais
elle a surtout investi l'interprète d'un pouvoir redoutable. Car
ce dernier n'est pas une machine ; c'est un homme. On est en droit
d'attendre de lui qu'il possède une connaissance parfaite des deux
langues entre lesquelles il évolue. Il est donc nécessaire qu'il soit
instruit et cultivé. S'il est d'un niveau intellectuel assez haut,
il a d'autant plus facilement des pensées propres, un jugement,
des sentiments personnels. Quel que soit son effort de neutra-
lité et d'impartialité, il n'est pas absolument maître du ton et
des inflexions qu'il emploie. Sa traduction en revêt une couleur,
qui n'est pas toujours exactement celle de l'original, soit qu'elle
l'accentue, soit qu'elle l'affaiblisse. En outre, si le discours qu'il
doit traduire est long et improvisé, il faut qu'il ait une mémoire

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infaillible ou qu'il sache prend


reproduire sans omission. Ai
moderne un facteur d'incert
lorsque le français était la
Camerlynck ont été les cré
Versailles. L'un et l'autre ont
et leur talent, leur honnêteté
par la suite. L'interprète de
sité était assurément gran
était possible, adouci les éclats
qu'effectivement il s'y appli
A la Société des Nations, le
s'est conservé. Le français e
officielles. Mais, favorisé p
emporté, dans la pratique.
seconde guerre mondiale, dans
qui a pris le dessus.
A l'O. T. A. N., à l'O. E. C.
du français est aussi forte
Au Conseil de l'Europe, à Str
sont, pareillement, le franç
si l'on peut dire, plus de clien
et l'anglais peut, du reste, ê
qui s'en sert fournisse la tr
A la Communauté du Charbon et de l'Acier, l'allemand a
droit de cité. C'est pourtant le français qui domine.
En fait, dans les grands pays, les diplomates continuent à
user du français. La plupart des jeunes fonctionnaires du Foreign
Office et de Y Auswärtiges Amt , les Italiens et les Espagnols, le
comprennent parfaitement, le parlent et l'écrivent couramment.
Les représentants des pays dont la langue est peu usitée rédigent
leurs notes soit en français, soit en anglais. Il serait donc exagéré,
du moins pour le moment, de prétendre que l'anglais ait supplanté
et évincé, dès maintenant, le français. Il a pris place à côté de lui, et
sur le même rang, comme dans les colonnes du Traité de Versailles.
Les deux langues vivent en bonne intelligence, la balance penchant
tantôt vers l'une, tantôt vers l'autre.
Récemment, dans une réunion de la Croix- Rouge internationale,
un Américain s'était laissé aller à dire qu'il n'était pas nécessaire
de traduire son discours en français, parce qu'à l'heure actuelle

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tout le monde, assurait-il, parlait anglais. Là-dessus vinrent à la


tribune un Polonais, un Brésilien, un Turc, un Persan, un Grec,
un Roumain. Tous s'exprimèrent en français. Je lui envoyai alors
un mot ainsi conçu : « Cher Ami, je ne sais si je me trompe, mais j'ai
l'impression qu'il y a encore quelque^ pays qui préfèrent parler le
français, plutôt que l'américain. »
Il y ą peu de mois, les gouvernements des Etats fédérés d'Alle-
magne Occidentale voulurent décider que l'anglais serait la première
langue étrangère, obligatoirement enseignée. De nombreuses pro-
testations s'élevèrent aussitôt, principalement , dans les Laender
du Sud, en Wurtemberg, en Bade, en Bavière, si bien que, dans la
pratique, le français demeurera première langue d'enseignement,
là où les intéressés en exprimeront le désir. Les raisons invoquées
par les partisans du français étaient tirées de l'histoire, de l'influence
prédominante exercée par la France sur l'Allemagne au cours de
plusieurs siècles, des rapports étroits, bien que souvent tumultueux,
des deux pays, mais aussi de motifs d'un autre ordre. Le français,
affirmaient ses défenseurs, a, pour les Allemands, une vertu « for-
matrice ». Il a une syntaxe, des temps, des modes, des règles,
qui obligent les esprits à réfléchir. Il est porteur d'une discipline
qui lui confère une valeur éducative, comparable à celle du latin,
et que l'anglais ne possède pas.
L'ombre de Rivarol a dû, j'imagine, frémir d'aise en constatant
que son discours, vieux de cent soixante et onze ans, et les argu-
ments qu'il énonce, gardaient leur force.
Qu'il y ait encore des étrangers, voire des Allemands, pour s'en
faire les avocats, nous autorise à considérer que la cause du français
est loin d'être perdue. Mais nous ne devons pas, pour autant,
nous leurrer d'illusioni. A la vérité, le français conserve dans les
échanges de la diplomatie une situation meilleure que dans la vie
quotidienne des peuples. -C'est la diplomatie qui lui demeure le plus
fidèle. Il est en recul en Russie. Les chefs soviétiques ne le parlent
pas et, semble-t-il, ne le comprennent pas ; en tout cas, ils ne
s'en servent pas ; leurs satellites des Balkans y ont encore recours,
mais non sans hésitation et avec la crainte manifeste de déplaire
à leurs maîtres. Dans les pays d'Amérique latine, la jeune généra-
tion, même si elle ne ressent pas pour la toute-puissante Amérique
une sympathie particulière, se montre de plus en plus attirée
par l'anglais.
En revanche, le français reste la langue d'un tiers du

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Canada, du Proche-Orient,
Occidentale et Equatoriale, d
peut dire qu'il est toujours,
mondiale.
Le phénomène frappant n'est pas tant que l'anglais, qui était
déjà la langue maritime et qui est devenu la langue aérienne,
progresse à ses dépens. C'est plutôt l'accentuation de la tendance,
sensible dès le début du siècle, et qui pousse chacun dans les réunions
internationales à parler sa langue, comme si d'emprunter une
langue étrangère était un acte de déloyauté ou de trahison envers
sa propre patrie. Phénomène singulier et bien paradoxal, si l'on
songe que, parallèlement, se poursuivent des efforts obstinés pour
renverser les barrières trop étroites des Etats et créer des entités
plus vastes ! La conséquence logique de ce mouvement devrait
être la recherche et l'adoption d'une langue commune. On assiste, au
contraire, en matière de langage, à l'aggravation du particularisme
nationaliste. L'Europe d'aujourd'hui est moins avancée que celle
du Moyen-âge, qui parlait latin, ou que celle du xviii6 siècle, qui
parlait français.
L'un des résultats d'une pareille contradiction, c'est la multi-
plication des interprètes. A la Conférence de la Paix, en 1919, à
Versailles, ils n'étaient que quelques-uns. Ils sont, aujourd'hui,
légion. On se contentait, jusqu'ici, de la traduction dite « succes-
sive ». On réclame, maintenant, la traduction « simultanée ». Une
conférence internationale offre le spectacle d'une assemblée dont
les membres ont sur les oreilles un casque de demoiselle du téléphone,
tandis qu'au fond de la salle, enfermés dans des cages de verre,
qui les font ressembler à de diligents écureuils, des virtuoses de
la traduction transposent, en trois ou quatre langages différents,
les discours des orateurs, en même temps qu'ils sont prononcés,
mais toujours avec une phrase de retard.

Se lassera-t-on de ce Babélisme ? Mettra-t-on bas les casques ?


Dans une telle hypothèse, il n'est pas interdit d'espérer que l'on
découvrira, de nouveau, l'avantage d'une langue commune et que
cette langue pourra être le français. Quoi qu'il en soit, notre devoir
est de ne rien négliger pour développer, s'il est possible, et de toute
façon, pour entretenir à travers le monde l'usage et la connaissance
de notre langue. A cet égard, l'Alliance française témoigne d'une
activité, d'un zèle, d'une persévérance, que l'on ne saurait trop

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LE FRANÇAIS, LANGUE DIPLOMATIQUE 585

proclamer, ni trop louer et dont nous lui sommes profondément


reconnaissants. Elle est l'auxiliaire précieux, indispensable, de nos
Services culturels.
Et puisque je prononce ce mot de « culturel », je rappellerai
qu'une langue est essentiellement le support, le véhicule d'une
pensée, l'expression d'une civilisation, le moyen de la diffuser
et de la faire rayonner, le moyen aussi d'arriver jusqu'à elle et de
s'en imprégner. Il faut donc que cette pensée soit, elle-même, subs-
tantielle, vigoureuse, vivante, qu'elle soit claire - penser, écrire,
parler en termes obscurs, c'est décevoir les amis du français - il faut
qu'elle réponde aux interrogations, aux inquiétudes de la conscience
moderne, qu'elle touche les cœurs et les esprits de ceux qui atten-
dent d'elle un signe, il faut que, tout en guidant sur les chemins
de l'avenir ceux qui viennent à elle, elle demeure fidèle aux tradi-
tions de liberté, de générosité, d'humanité, qui ont toujours été
l'honneur de notre pays.
Prenons garde, en outre, que le temps présent attachę une
importance croissante aux valeurs scientifiques. Il juge un peuple
d'après le tonnage d'acier qu'il produit, la quantité d'énergie
qu'il consomme, les découvertes auxquelles il attache son nom,
plutôt que d'après ses pièces de théâtre et ses romans.
Dans cette émulation, la France ne doit pas rester en arrière.
Pour occuper une place digne d'elle, il est nécessaire qu'elle consacre
sa peine, ses ressources, son génie, aux recherches qui font progresser
les sciences et les techniques.
Mais elle ne doit pas, pour autant, se détourner des valeurs
littéraires, qui ont fait sa gloire, qu'elle n'a pas cessé d'aimer et de
cultiver et dans le domaine desquelles elle est toujours riche et
brillante. Il lui appartient de concilier en une synthèse équilibrée les
sciences et les lettres, de corriger par les qualités dès unes les défauts
des autres, d'empêcher que ne s'établisse le règne inexorable de
l'équation, de la réaction chimique, de la machine, de réserver leur
part à la fantaisie individuelle, aux arts, à l'élégance, à la poésie.
C'est, selon moi, sa vocation, sa mission.
Si elle sait l'accomplir, le français conservera son empire ; car
il sera le reflet d'une civilisation harmonieuse et de juste mesure,
et qui restera dans l'avenir ce qu'elle a toujours été dans le passé :
la plus humaine de toutes.

ANDRÉ FRANÇOIS-PONCET.

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