Vous êtes sur la page 1sur 203

Economie des équipements

pour l’eau et l’environnement

Coordinateur : Jean-Philippe Terreaux

- version préliminaire -
2
ECONOMIE DES EQUIPEMENTS
POUR L'EAU ET L'ENVIRONNEMENT

Coordinateur:
Jean-Philippe Terreaux

avec les contributions de


Olivier Alexandre, Rémi Barbier, Philippe Bontems,
Guy Gleyses, Jean-Luc Janel, André Le Bozec,
Sébastien Loubier, Jacques Méry, Marielle Montginoul,
Etienne Pierron, Gilles Rotillon, Nadine Turpin,
Eugène Weber et Caty Werey

Cemagref
UR Irrigation
Groupement de Montpellier
361,rue Jean-François – BP 5095
34196 Montpellier Cedex 5
Tél.04 67 04 63 00 – Fax 04 67 63 57 95
jean-philippe.terreaux@cemagref.fr

3
Economie des équipements pour l’eau et l’environnement,
Coordinateur : Jean-Philippe Terreaux, 2005, version préliminaire, Cemagref, 203 pages

4
Le Cemagref, au cœur du dispositif de recherche et d'expertise en environnement,
est un organisme national ancré sur des partenariats territoriaux et bien inséré dans
l'espace européen. Il mène des recherches finalisées sur des enjeux identifiés ou
émergents liés au développement durable, après les avoir traduitsen questions
scientifiques et en objets de recherche La complexité des enjeux et des phénomènes
impose l'excellence scientifique pour développer et intégrer des connaissances
relevant de plusieurs disciplines.

Les travaux du Cemagref portent essentiellement sur des systèmes continentaux,


naturels et anthropisés, dans la perspective d'une meilleure gestion des eaux et des
territoires. Pour ce faire il participe à la création de méthodes ou aux innovations
technologiques. La compréhension et la caractérisation des systèmes étudiés
s’appuient fortement sur l'expérimentation et la modélisation.

En dialogue constant avec les scientifiques du Cemagref, les utilisateurs (ingénieurs,


responsables publics, entreprises …) contribuent à faire émerger les enjeux et à
définir les besoins. Ils participent à l'élaboration des modalités de mise à disposition
et d'usage des savoir-faire et des résultats. Cette démarche interactive et itérative
fonde et assure la pertinence et l'évaluation opérationnelle des recherches.

Quatre départements de recherche pilotent neuf axes thématiques de recherche :


 gestion de l'eau et des services publics associés,
 risques liés à l'eau,
 technologies et procédés de l'eau et des déchets,
 qualité des systèmes écologiques aquatiques,
 systèmes écologiques terrestres,
 agriculture multifonctionnelle et nouvelles ruralités,
 technologies pour des systèmes agricoles durables,
 méthodes pour la recherche sur les systèmes environnementaux,
 technologies et procédés physiques pour la sûreté des aliments.

5
Résumé

Cet ouvrage propose une approche inédite pour la résolution de problèmes relatifs à
l’économie des équipements pour l’eau et l’environnement, fondée sur les outils d’analyse
utilisés en économie et en sociologie.

Les trois premiers chapitres abordent la question de l’augmentation du prix de l’eau potable,
les différents instruments économiques envisageables pour la gestion de l’eau (potable ou
d’irrigation), puis l’évaluation des multiples coûts de renouvellement des réseaux d’eau,
notamment en milieu urbain. Les deux chapitres suivants portent sur la définition et le calcul
du coût de l’eau d’irrigation et sur la durabilité des équipements. Les chapitres six à neuf
traitent de l’évaluation économique et du coût environnemental d’un équipement public, ici en
l’occurrence celui d’un centre de stockage des déchets ménagers, au travers de la gestion
des conflits, des échelles d’organisation et de la modernisation des financements. Enfin, le
chapitre dix aborde l'exemple plus complexe de la gestion des pollutions diffuses induites par
les activités agricoles, quand elles altèrent fortement la qualité des eaux. Différents moyens
de lutte ainsi que les modalités de mise en place de mécanismes réellement incitatifs pour
enrayer ces pollutions sont présentés.

Ce livre ne nécessite aucune connaissance préalable et s'adresse spécialement à tous ceux


qui prennent part directement ou indirectement aux décisions d ’investissement en matière
d’équipements pour l’eau et l’environnement ainsi qu’à leur gestion : décideurs politiques,
techniciens et ingénieurs des services de l’État et des collectivités locales, des bureaux
d’études, des centres de recherche, ou des organismes de développement et de conseil.

Summary

This book presents a new approach for the resolution of problems related to the economics of
water and environement equipments, based on the analytical tools used in economics and
sociology.

The first three chapters deal with the increase of drinking water price, the different economic
tools which may be used for drinking or irrigation water management, the assessement of the
different costs for operation, maintenance and replacement of water networks, especially in
urban areas. The next two chapters aim at defining and assessing the irrigation water costs
and the equipment sustainability. Chapter six to nine deal with the economical estimation of
the environmental cost of a public infrastructure - applied to municipal solid waste dumps -
taking into account issues such as organisation scales, modernization and updating of the
financial plans and methods for conflict management. Chapter ten deals with the reduction of
water diffuse pollution due to agricultural activities. Incentive mechanisms to reduce this
pollution are presented from both practical and theoretical viewpoints.

This book does not require any prerequisite knowledge. It is intended to all persons directly or
indirectly involved in the management of equipments for water and environment: decision-
makers, technicians and engineers working for the State services or local authorities,
consulting and design engineer departments, research and development institutes.

6
Sommaire

Présentation de l'ouvrage
Jean-Philippe Terreaux

Chapitre 1: Le prix de l'eau potable en France dans les années 1990: principaux enseignements
Marielle Montginoul, Olivier Alexandre

Chapitre 2: Les instruments économiques pour la gestion de l’eau : entre concurrence et


complémentarité
Marielle Montginoul

Chapitre 3: Renouvellement des réseaux d’eau potable : Quels coûts prendre en compte et comment les
évaluer?
Caty Werey, Jean-Luc Janel, Eugène Weber

Chapitre 4: Définition du coût de l'eau d'irrigation: méthode et applications


Jean-Philippe Terreaux - Guy Gleyses – Sébastien Loubier

Chapitre 5: Durabilité des équipements d'irrigation : nature de leur propriété et politiques publiques
Sébastien Loubier

Chapitre 6: Un exemple d’évaluation de coût externe environnemental : les décharges d’ordures


ménagères
Jacques Méry

Chapitre 7: L’implantation conflictuelle des équipements collectifs: Réflexions à partir de la gestion des
déchets
Rémi Barbier

Chapitre 8: L'évolution vers des territoires pertinents pour la gestion des déchets ménagers : influence
des lois sur les pratiques
André Le Bozec

Chapitre 9: La modernisation du financement du service des déchets ménagers par l'introduction d'une
redevance incitative au tri des emballages
Etienne Pierron, André Le Bozec

Chapitre 10: Restauration de la qualité des eaux de surface : comparaison de mécanismes incitatifs
Nadine Turpin , Philippe Bontems , Gilles Rotillon

7
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Table des matières

Présentation de l'ouvrage
Jean-Philippe Terreaux

Chapitre 1: Le prix de l'eau potable en France dasn les années 1990: principaux enseignements
Marielle Montginoul, Olivier Alexandre
1. Introduction
2. Une forte hausse du prix moyen au cours des années 1990
2.1. Une forte augmentation pour répondre aux normes
2.2. Vers une homogénéisation des prix pratiqués?
3. La structure tarifaire: du forfait au volume?
3.1. Avant 1992: une tarification essentiellement forfaitaire
3.2. La loi sur l'eau de 1992 et la tarification binôme
3.3. Vers une tarification uniquement au volume?
3.4. Conclusion sur les modes de tarification
4. Le prix: un facteur explicatif limité de la consommation d'eau potable
4.1. Une sensibilité au prix faible mais en progression
4.2. Le prix de l'eau: un des facteurs explicatifs du niveau de consommation
4.3. Les raisons de la baisse de la consommation en eau potable des années 90: le prix de
l'eau et d'autres facteurs
5. Conclusion: quel prix de l'eau demain?
5.1. La poursuite de la mise en conformité avec d'anciens textes
5.2. L'application de nouvelles normes plus sévères
5.3. La mise au jour de nouvelles sources de pollution non encore quantifiées
5.4. Le financement du renouvellement des réseaux de distribution d’eau potable.
Références bibliographiques

Chapitre 2: Les instruments économiques pour la gestion de l’eau : entre concurrence et


complémentarité
Marielle Montginoul
1. Introduction
2. Présentation des instruments économiques de gestion de l'eau
2.1. La tarification
2.2. Le système de quotas
2.3. Les marchés de l'eau
3. Des intruments de gestion concurrents face à un objectif particulier
3.1. Rareté de la ressource en eau
3.2. Variabilité de l'offre
3.3. Sensibilité de la demande
3.4. Coûts de mise en œuvre
3.5. Bilan: quels instruments dans quel environnement?
4. Des intruments complémentaires pour l'atteinte simultanée d'objectifs différents
4.1. Quotas et tarification
4.2. Quotas et marché de l'eau
4.3. Quotas, tarification et marché de l'eau
5. Conclusion
Références bibliographiques

Chapitre 3: Renouvellement des réseaux d’eau potable : Quels coûts prendre en compte et comment les
évaluer?
Caty Werey, Jean-Luc Janel, Eugène Weber

8
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

1. La problématique du renouvellement des réseaux d'eau potable


2. Comment évaluer les coûts directs?
2.1. Les coûts de renouvellement
2.2. Les coûts de réparation
3. Quels coûts sociaux?
3.1. Coûts sociaux liés à la rupture de conduite
3.2. Coûts sociaux liés aux travaux de réparation ou de renouvellement
4. Evaluation des coûts sociaux
4.1. Effets d'une coupure d'eau
4.2. Dommages à tiers dus à la rupture
4.3. Gêne à la circulation
5. Conclusion
Références bibliographiques

Chapitre 4: Définition du coût de l'eau d'irrigation: méthode et applications


Jean-Philippe Terreaux, Guy Gleyses, Sébastien Loubier

1. Motivations et présentation du document


2. La méthode de l'actualisation sur un horizon infini
2.1. La méthode de l'actualisation
2.2. Horizon infini et durée de vie des investissements
2.3. Méthodes alternatives
2.4. Pourquoi un taux hyperbolique n'est pas admissible
2.5. Eléments pour le choix d'un taux d'actualisation
3. Application à quatre périmètres en France
3.1. Présentation des sites
3.2. Les quatre composantes du coût
4. Commentaires
Références bibliographiques

Chapitre 5: Durabilité des équipements d'irrigation : nature de leur propriété et politiques publiques
Sébastien Loubier

1. Contexte et problématique
2. L'irrigation et les politiques publiques en France
2.1. Place de l'irrigation en France
2.2. Les politiques publiques
2.3. Une nécessaire intervention publique: Détermination d'un taux minimal de subvention
des investissements initiaux
3. Nature de la propriété des équipements d'irrigation et horizon temporel des gestionnaires
3.1. Des droits de propriété des agents…
3.2. …à la propension à gérer les équipements à court terme
4. La maintenance et le renouvellement des équipements gérés par les ASA
4.1. Définitions
4.2. Les stratégies de gestion des ASA
5. Soutien public, maintenance et renouvellement
5.1. Incidence du soutien public initial sur le choix et le dimensionnement des
équipements: une zone d'arbitrage économique élargie
5.2. Incidence du soutien public escompté pour le renouvellement

9
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

5.3. Incidence de l'actualisation sur le choix de stratégies de maintenance et de


renouvellement
6. Conclusions et perspectives
Références bibliographiques

Chapitre 6: Un exemple d’évaluation de coût externe environnemental : les décharges d’ordures


ménagères
Jacques Méry

1. Introduction
2. Méthodologies d'évaluation des externalités environnementales
3. Les applications aux décharges d’ordures ménagères : état de l’art et synthèse
4. Conclusion
Références bibliographiques

Chapitre 7: L’implantation conflictuelle des équipements collectifs. Réflexions à partir de la gestion des
déchets
Rémi Barbier

1. Ce qui se joue dans les conflits, essai de clarification


1.1. Variété des motifs d'engagement dans un conflit
1.2. Les entrepreneurs en contestation, profils et fonctions
1.3. Les logiques d'action: protestation réactive ou controverse?
1.4. Dynamique des controverses: réception du projet et extension des
intérêts
2. L'expérimentation collective, nouveau modèle d'implantation?
2.1. Conception négociée des projets
2.2. Suivi partagé
2.3. Respect mutuel et sens de la "juste mesure"
3. Conclusion : Un modèle pour la gestion des objets à risques
Références bibliographiques

Chapitre 8: L'évolution vers des territoires pertinents pour la gestion des déchets ménagers : influence
des lois sur les pratiques
André Le Bozec

Rappel : La gestion des déchets ménagers et assimilés nécessite une coopération


intercommunale
1. La typologie des organisations territoriales dans la gestion des déchets
1.1. Les statuts disponibles de coopération intercommunale
1.2. Les activités exercées comme déterminant de l'intercommunalité
1.3. La typologie des activités productrices des activités
2. La construction de l'intercommunalité rurale par nécessité d'offre de service (lois de 1992)
2.1. L'évolution historique de l'intercommunalité
2.2. Les lois de gestion des déchets et d'administration territoriale de la république de 1992
comme bases d'une réorganisation territoriale
3. La structuration de l'intercommunalité urbaine par obligation légale (Loi du 12 juillet
1999)
3.1. L'évolution législative de l'intercommunalité
3.2. Les transformations territoriales induites par la loi

10
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

3.3. Les conséquences sur l'organisation territoriale et le financement du service


d'élimination
4. L'évolution future de la gestion des déchets dans les départements
5. Conclusion
Liste des sigles
Références bibliographiques

Chapitre 9: La modernisation du financement du service des déchets ménagers par l'introduction d'une
redevance incitative au tri des emballages.
Etienne Pierron, André Le Bozec

1. Les fondements économiques de la tarification


1.1. La tarification au coût marginal: fondements théoriques
1.2. La tarification non-linéaire comme moyen de révéler la demande
2. Les expériences novatrices de financement du service de gestion des déchets ménagers
2.1. Les objectifs poursuivis
2.2. Le modèle américain: le Unit Pricing
2.3. Les systèmes de financement en Europe et leurs effets
2.4. Les exemples français de tarification innovante
3. Conclusion
Références bibliographiques

Chapitre 10: Restauration de la qualité des eaux de surface : comparaison de mécanismes incitatifs
Nadine Turpin , Philippe Bontems , Gilles Rotillon

1. Pollutions diffuses: phénomène et régulations existantes


1.1. Conséquences, perception et mécanismes en jeu dans les pollutions diffuses
1.2. Régulations mises en place
2. Moyens de lutte possibles – une lecture d'économiste
3. Exemple de construction d'un mécanisme incitatif
4. Plusieurs politiques sont possibles
5. Conclusion
Références bibliographiques

11
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Présentation de l'ouvrage

Jean-Philippe Terreaux

Cemagref et UMR Lameta – Montpellier

Cemagref, Unité de Recherche Irrigation,


361 rue JF Breton, BP 5095, 34196 Montpellier Cedex 5
jean-philippe.terreaux@cemagref.fr

L'eau, l'environnement, les choix d'investissements, les coûts du service, la durabilité


des équipements, la résolution des conflits lors de leur implantation comptent désormais parmi
les préoccupations majeures de nos concitoyens, et par conséquent parmi celles des hommes
politiques de notre pays. Cet ouvrage resitue ces thèmes dans leur cadre réglementaire et
apporte différents éclairages, en introduisant et en utilisant les outils de l'économie et de la
sociologie.

La lecture de ce livre ne nécessite aucune connaissance préalable. Il est écrit tout


spécialement pour tous ceux qui prennent part directement ou indirectement aux décisions
d'investissement dans des équipements pour l'eau et l'environnement, et aussi à la gestion de
ces derniers. Les décideurs politiques, les techniciens et ingénieurs des services de l'Etat et des
collectivités locales sont les premiers destinataires, ainsi que tous ceux qui concourent à la
réalisation de ces équipements, qu'ils travaillent dans des bureaux d'études, des centres de
recherches, ou des organismes de développement ou de conseil. Il s'adresse aussi à tous ceux
qu'intéresse la mise en oeuvre de solutions acceptables par tous dans ces domaines.

Cet ouvrage, que nous allons présenter plus en détail, aborde ainsi dans les trois
premiers chapitres le problème de l'augmentation du prix de l'eau potable (de combien,
pourquoi, comment, que nous réserve l'avenir?), les différents instruments économiques
envisageables pour la gestion de l'eau (potable ou d'irrigation), puis l'évaluation des multiples
coûts de renouvellement des réseaux d'eau, notamment en milieu urbain. Les deux chapitres
suivants, appliqués ici à l'eau d'irrigation, mais dont les résultats concernent bien d'autres
secteurs d'activités économiques, portent sur la définition et le calcul du coût de l'eau
d'irrigation, et sur la durabilité des équipements dans ce domaine.

On présente ensuite les différents aspects de l'évaluation économique du coût


environnemental d'un équipement public, ici en l'occurrence celui d'une décharge d'ordures
ménagères. Il est évident que ce type d'équipement est générateur de nombreux conflits: la
sociologie nous permet d'en mieux comprendre les enjeux afin de nous aider à les résoudre.
Nous nous attachons alors à décrire les modifications induites par les derniers textes
réglementaires sur l'organisation de la collecte et sur le traitement des déchets ménagers ainsi
que sur le territoire de gestion pertinent (la commune, l'agglomération…). De ces exigences

12
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

émerge un besoin de modernisation du financement du service, telle la redevance incitative au


tri des déchets développée à l’étranger et encore expérimentale en France

Enfin, dans une dernière partie, nous abordons un exemple plus complexe de gestion
des pollutions, celles diffuses induites par les activités agricoles, qui altèrent fortement la
qualité des eaux (et en particulier de ce fait imposent des traitements de potabilisation), dans le
but de mettre en place des mécanismes socialement acceptables et réellement incitatifs à une
amélioration de l'environnement.

Dans le premier chapitre Marielle Montginoul et Olivier Alexandre dressent un


historique de l'évolution des prix de l'eau potable au cours de la décennie 1990 et nous en
décrivent les véritables raisons économiques, ainsi que l'explication des écarts de prix qui
subsistent entre les régions, les départements et les villes. Le mode de tarification lui aussi
évolue : on progresse d'une tarification au forfait (indépendante de la consommation) vers une
tarification dite "binôme" avec une part fixe et une part dépendant du volume consommé. Les
auteurs étudient ensuite les raisons de la baisse de la consommation d'eau qui ne résulte pas
uniquement de la hausse des prix. Enfin ils tentent de mieux discerner quelle pourra être
l'évolution future des prix et des volumes consommés dans le cadre de la mise en conformité
avec les derniers textes réglementaires.

Marielle Montginoul, au chapitre deux, nous décrit de manière générale les trois
principaux instruments économiques utilisés pour gérer la ressource en eau : le quota, la
tarification et le marché de l’eau. Le premier consiste à attribuer à chacun des utilisateurs une
quantité d'eau (un quota) de manière arbitraire, le deuxième à faire payer un prix qui augmente
avec le volume consommé, le troisième à permettre une réallocation de l'eau après qu'il y a eu
une première appropriation privée. Il est clair que cela s'applique à d'autres biens pour lesquels
il faut répartir au mieux une pénurie. Le choix d'un instrument dépend du niveau de rareté de
la ressource, de l’évolution de l’offre et de la demande, de la sensibilité au prix de la demande
mais aussi du coût de mise en place de ces instruments et notamment des informations
requises. Il est parfois de l'intérêt du gestionnaire de combiner ces différentes méthodes :
Marielle Montginoul nous donne ainsi l'exemple d'une combinaison des trois instruments
permettant d'obtenir un équilibre budgétaire satisfaisant pour le gestionnaire (par le biais d'une
tarification adaptée), de respecter un objectif d'équité (par l'attribution de quotas), et enfin de
tendre vers une meilleure efficience économique (à travers le recours à un marché de l'eau).

Caty Werey, Jean-Luc Janel et Eugène Weber abordent dans le chapitre trois le
problème du renouvellement des réseaux d'eau potable, et la mise en place des outils d'aide à
la décision nécessaires pour planifier les travaux, en particulier sur le plan budgétaire. Cela
nécessite entre autres d'évaluer les coûts directs, à l'échelle de la conduite puis du réseau, d'une
défaillance et d'une réparation, et les coûts sociaux liés à la rupture d'approvisionnement, sans
oublier les dommages aux tiers ou la gêne à la circulation.

13
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Les principes et quelques exemples d'application de la théorie de l'investissement et du


calcul du coût d'un équipement sont abordés au chapitre quatre par Jean-Philippe Terreaux,
Guy Gleyses et Sébastien Loubier. Par une application à la détermination du coût de l'eau, ici
d'irrigation, ce qui rend le problème initial assez complexe, on montre comment tenir compte
de la différence de durée de vie des matériels et des infrastructures, pour arriver au final par
exemple à un coût annuel du service de l'eau. Un des paramètres qui interviennent dans ce
calcul est le taux d'actualisation, et les auteurs donnent quelques indications théoriques et
pratiques pour son estimation. Pour illustrer les différents principes et concepts, le coût de
l'eau est calculé dans quatre périmètres irrigués, et on montre en particulier que le coût
d'opportunité du capital immobilisé dans les équipements ne peut pas être négligé.

Sébastien Loubier poursuit dans le chapitre cinq par une étude de la durabilité des
équipements d'irrigation. Il nous présente tout d'abord quelle est la politique française en
matière d'irrigation, qu'il resitue dans un contexte international. Il nous montre en particulier
pourquoi une intervention publique est nécessaire. Cependant la nature de la propriété des
équipements d'irrigation (en particulier les différents droits de propriété des agents
économiques) n'est pas sans influence sur la propension à les gérer uniquement à court terme.
Différentes stratégies de gestion peuvent être envisagées, en tenant compte du fait qu'il y a le
plus souvent un arbitrage à faire entre maintenance et renouvellement si l'on veut éviter la
défaillance des équipements. De ce fait, le soutien public, tel qu'il est pratiqué actuellement, a
un impact élevé sur le choix et le dimensionnement des équipements. Ainsi le gestionnaire
peut adopter un comportement stratégique en terme de maintenance et être incité à négliger la
maintenance préventive, quitte par exemple à devoir procéder plus tôt au renouvellement des
équipements. L'actualisation, c'est à dire la préférence pour le présent, joue ici aussi un rôle
important. Différentes solutions d'amélioration du système en place sont alors proposées.

Les effets indirects non marchands doivent être de mieux en mieux intégrés lors de
l'implantation d'équipements publics. Jacques Méry montre dans le chapitre six comment ces
effets peuvent être mesurés dans le cas des décharges d'ordures ménagères. Après nous avoir
montré l'importance du choix du taux d'actualisation pour mieux prendre en compte le facteur
temps, il passe en revue les impacts d'une décharge, impacts globaux, comme l'effet de serre,
ou locaux comme les fuites de biogaz ou de lixiviat, le trafic routier induit, les pertes de bien-
être des riverains, mais aussi des effets positifs, comme la récupération éventuelle de biogaz à
des fins énergétiques. Il dégage ainsi quelques ordres de grandeur, et montre surtout qu'un
point faible de toute estimation est l'ensemble des incertitudes qui pèsent sur différents plans,
en particulier sur la pérennité des dispositifs d'étanchéité.

Les choix, supposés rationnels, sont de ce fait particulièrement difficiles, même dans
l'hypothèse où le décideur ne cherche que l'intérêt général. Mais que se passe-t-il lorsque
certains acteurs parviennent à brouiller ces repères de rationalité et cette notion d'intérêt
général, par exemple quand des opposants ou des militants veulent redéfinir ces termes ou
mettre en avant certaines incertitudes scientifiques? Rémi Barbier aborde ce problème dans le
chapitre sept et montre comment il est possible de proposer une autre légitimité aux
décisions, en donnant un nouveau contenu à ces concepts. Dans un premier temps il clarifie les
enjeux, souvent obscurs, de très nombreux conflits, et les motifs d'engagement de la plupart

14
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

des partenaires. Ensuite il présente les méthodes les plus fréquemment observées qui
permettent de contester un projet, ou de lancer des controverses publiques remettant en cause
les fondements, le contexte ou les objectifs du projet. Face à cela différents moyens sont
envisageables pour éviter un blocage : tout d'abord une conception négociée du projet, puis un
suivi partagé des nuisances de l'équipement (commissions locales d'information et de
surveillances par exemple) le tout dans le respect mutuel et le sens de la "juste mesure". Le
succès de telles démarches dépend de détails très concrets, fondés sur l'établissement d'un
contrat clair, si possible piloté par une personne bénéficiant localement d'un fort capital de
confiance.

Au chapitre huit, André Le Bozec aborde le problème de la détermination du


territoire pertinent pour la gestion des déchets ménagers et assimilés. Après avoir rappelé
pourquoi une coopération intercommunale est indispensable dans la plupart des cas, il passe
en revue les différents types possibles de coopération (syndicats ou communautés). Il indique
quels ont été les effets concrets des lois de 1992 et 1999, en secteur urbain, avec des
transformations "au pas de charge", et en secteur rural, avec un certain "effet retard" . Il
examine ensuite les conséquences sur le terrain et les questions soulevées, en matière
d'organisation et de financement du service d'élimination. Le problème du financement de ces
activités reste essentiel et les différentes possibilités (taxes ou redevances) sont présentées, en
notant toutefois que la transparence des prix pour le citoyen reste un objectif. En partant d'un
travail antérieur réalisé sur deux régions françaises, l'auteur décrit quatre grands schémas
d'organisation au niveau départemental qui devraient se voir généralisés. Une meilleure
connaissance de ces organisations doit permettre un meilleur dimensionnement des
équipements, une réduction des coûts et leur "traçabilité", ainsi qu'un meilleur pilotage de
l'ensemble.

L'introduction d'une redevance incitative au tri des emballages, dans le cadre de la


modernisation du financement du service des déchets ménagers, est l'objet du chapitre neuf,
réalisé par Etienne Pierron et André Le Bozec. Ils présentent tout d'abord les fondements
économiques de la tarification au coût marginal, ses avantages et ses difficultés d'application.
Bien entendu, inévitablement le problème de l'équilibre budgétaire est soulevé. Pour pallier ce
problème, la tarification non linéaire a pour objet de tenir compte des différents types
d'utilisateurs, tout en imposant l'équilibre budgétaire comme contrainte. Un cas particulier est
celui de la tarification à deux parts, qui consiste à faire payer un droit d'accès au service d'un
montant fixe, auquel s'ajoute un montant variable avec les "quantités de service" utilisées.
Revenant aux applications de ces résultats théoriques, ils décrivent alors différentes
expériences novatrices de financement de la collecte et du traitement des déchets, aux Etats-
Unis et en Europe, avec leurs effets indirects plus ou moins désirables. Enfin ils présentent en
détail différentes expériences françaises, avec leurs impacts et ils analysent les enseignements
provisoires que l'on peut en retirer.

Les pollutions diffuses sont aussi la cause de dégradations sévères de l'environnement.


Leurs conséquences ne se limitent pas à la seule augmentation du coût du traitement des eaux.
C'est pourquoi dans le chapitre dix, Nadine Turpin, Philippe Bontems et Gilles Rotillon
abordent le problème essentiel de la restauration de la qualité des eaux par une diminution des

15
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

pollutions diffuses d'origine agricole. Après avoir fait un état des lieux, analysé la place de ces
pollutions parmi les préoccupations des français, et après avoir rappelé les différents textes
réglementaires en vigueur, ces auteurs nous présentent sur le plan théorique les différents
moyens de lutte possibles, et comment en pratique un mécanisme incitatif à la réduction des
pollutions peut être construit. En fait plusieurs politiques sont possibles, avec des résultats
différents en terme d'efficacité globale, d'équité entre les agriculteurs, de réduction de la
pollution, de coûts pour les éleveurs selon les caractéristiques de leur exeploitation (taille,
production à l'hectare etc.).

Ces travaux ont tous été initiés dans le cadre du "thème mobilisateur" « Economie des
Equipements » du département « Equipements pour l'Eau et l'Environnement » du Cemagref,
entre 1997 et 2000, thème mobilisateur mis en place par Rémi Pochat. L'objectif était de faire
travailler ensemble les chercheurs en SHS (les sciences humaines et sociales) du département ,
ou au moins faciliter à ce niveau la communication et l'échange d'idées. Ces différents travaux
ont en fait permis d'initier de véritables recherches en ce domaine, qui ont conduit à apporter
des réponses aux décideurs publics et privés, notamment dans le cadre de contrats de
recherches et d'études ultérieurs. Que Rémi Pochat en soit ici remercié.

16
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Chapitre 1¤

Le prix de l’eau potable en France dans les années 1990 :


principaux enseignements

Marielle Montginoul*, Olivier Alexandre**

*
Cemagref, Unité de Recherche Irrigation,
361 rue JF Breton, BP 5095, 34196 Montpellier Cedex 5
marielle.montginoul@cemagref.fr

**
DDAF, 45 bd Marcellin Berthelot 13200 Arles
olivier.alexandre@agriculture.gouv.fr

Travaux réalisés à l’Unité Mixte de Recherche Cemagref-ENGEES en Gestion des Services


Publics, 1 quai Koch, BP 1039 F, 67070 Strasbourg Cedex.

1. Introduction

Au début du XXème siècle, l’Etat mène une importante politique d’intervention


sociale dans le domaine de l’eau. Il accompagne en particulier l’effort entrepris par certaines
communes de distribuer de l’eau potable à domicile par une politique de subvention soutenue
(Goubert, 1986). C’est ainsi que le taux de desserte qui était de 23% des communes en 1930
concerne actuellement 99% des habitants (Grosclaude, 1999). Ce sont les communes rurales
qui ont été raccordées le plus tardivement : en 1945, encore 70% d’entre elles ne sont pas
desservies (Centre d'information sur l'eau, 2000). Cet accès quasi généralisé a été permis par la
volonté de l’Etat et des collectivités locales. Elle s’est traduite par le fait que les usagers ne
payaient pas le vrai prix de leur adduction au réseau public de distribution de l’eau potable.

Mais dans un contexte de libéralisation et de rationalisation de l’économie, une telle


situation ne pouvait perdurer : il fallait identifier les sources de coût et les faire payer aux
personnes qui en sont responsables du fait de leur consommation. C’est la loi sur l’eau du 16
décembre 1964 qui a impulsé une telle idée, en se limitant à l’aspect pollution : en créant les
« Agences Financières de Bassin » (futures Agences de l’Eau), elle cherche à appliquer le
principe « pollueur-payeur » (qui sera ensuite adopté en 1972 par les pays membres de
l’OCDE1), les pollueurs devant supporter les coûts des dommages environnementaux qu’ils
génèrent. En 1989, les membres de l’OCDE votent un principe plus général (relayé par la loi
sur l’eau de 1992 en France) : le principe « usager-payeur ». ‘La tarification doit au minimum
¤
Référence: Montginoul M., O. Alexandre, 2004, Le prix de l'eau potable en Franc dans les années 1990,
principaux enseignements, in J.P. Terreaux (Ed.), Economie des Equipements pour l'Eau et l'Environnement,
Cemagref, Antony.

1
Organisation de Coopération et de Développement Economiques

17
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

couvrir les coûts d’opportunité des services de l’eau : les coûts d’investissement,
d’exploitation, de maintenance ainsi que les coûts environnementaux’ (OCDE, 1989). En
1997, l’assemblée générale des Nations Unies va plus loin : non seulement il faut que « l’eau
paie l’eau » mais il faut aussi que les usagers soient incités à économiser l’eau : la tarification
doit donc servir non seulement à couvrir les coûts de l’eau mais aussi à allouer la ressource de
manière efficiente (United Nations, 1997). Cette tendance est confortée par la Directive Cadre
du l’Eau votée par le Parlement Européen en 1999 : son article 9 stipule que les "Etats
membres veillent, d’ici à 2010, à ce que la politique de tarification de l’eau incite les usagers à
utiliser les ressources de façon efficace et contribue ainsi à la réalisation des objectifs
environnementaux..."

Cette évolution explique la forte hausse du prix de l’eau potable des années 1990
(section 2) et le changement de structure tarifaire (section 3). Cette augmentation a été l’un
des facteurs explicatifs de la baisse de la consommation d’eau observée durant cette décennie
(section 4).

2. Une forte hausse du prix moyen au cours des années 1990

Historiquement, la première hausse brutale du prix de l’eau s’est produite vers 1971
pour incorporer la taxe d’assainissement (accroissement de 30 à 40% du prix) (Valiron, 1991).
Après une accalmie d’une vingtaine d’année durant laquelle ce prix1 a connu une progression
plus faible que le niveau général des prix, il a très fortement augmenté (cf. figure 1)2 : entre
1991 et 2000, il s’est accru de 70% en euros courants, passant de 1,56 à 2,65 €/m3, et de 48%
en euros constants. Le rythme de progression s’est toutefois ralenti : très fort au début des
années 90 (+ 11% par an), il tend maintenant vers le taux de croissance du niveau général des
prix (+ 1,7% entre 1999 et 2000 contre 1,6% pour l’inflation). Cette forte augmentation est
due principalement aux nouvelles normes imposées par la loi sur l’eau de 1992 et les
différentes directives européennes sur la gestion de l’eau.

2.1. Une forte augmentation pour répondre aux normes

La mise en œuvre de trois objectifs fixés par la loi sur l’eau de 1992 a conduit à une
augmentation significative du prix de l’eau :

2.1.1. Pour une incitation à l’économie d’eau : l’interdiction du forfait.

1
Le prix de l’eau potable est en fait un prix moyen de l’eau établi à partir du calcul d’une facture type pour une
consommation de référence définie par l’INSEE à 120 m3.
2
Il est important de préciser la source sur laquelle l’analyse porte : sauf mentions contraires, les chiffres présentés
ci-après proviennent des études réalisées chaque année (entre 1991 et 2000) par la DGCCRF (Direction Générale
de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) auprès d’un échantillon de 738 communes
réparties sur l’ensemble du territoire français et représentant, en 1999, 23 millions d’habitants. Notons que cet
échantillon sur-représente les grandes communes et sous-représente les communes rurales. A partir de ces chiffres,
nous avons procédé, dans la majorité des cas, à une comparaison des situations en « euros constants 2001 », pour
éliminer le facteur inflation.

18
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Pour inciter les consommateurs à économiser l’eau, le forfait qui était l’un des moyens les plus
usités pour faire payer l’eau jusque dans les années 90 (cf. section 3) a été interdit par la loi
sur l’eau du 4 janvier 1992 dans son article 13. Elle préconise la mise en place d’une
tarification proportionnelle aux mètres cube d’eau consommés voire d’une tarification binôme
pour les abonnés1. Une dérogation est prévue exceptionnellement si « la ressource en eau est
naturellement abondante et si le nombre d’usagers raccordés au réseau est suffisamment
faible, ou si la commune connaît habituellement de fortes variations de population ».

Taux de croissance depuis 1991


Assainissement
90%

80%

70%

60%

50%
Facture totale

40%

30%
Eau distribuée
20%

10%

0%
1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000

(euros constants)

350
euros
Facture totale
300

250

200
Assainissement
150
Eau potable
100

50

0
1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000

(euros courants)
Figure 1 : Evolution de la facture d’eau entre 1991 et 2000 (DGCCRF, 2001)

2.1.2. Pour que l’eau paie l’eau, une obligation d’équilibre budgétaire.

Jusqu’en 1992, il n’y avait aucune obligation d’équilibre budgétaire pour le service
rendu par la distribution de l’eau et par la collecte des eaux usées. Cela a conduit la plupart des
communes qui géraient l’eau en régie à ne pas différencier le coût de l’eau des autres charges
qu’elle supportait. La base du calcul du prix de l’eau pouvait alors être surprenante : ainsi, à
Nevers jusqu’en 1910, le prix payé pour l’eau potable ne dépend pas du coût réellement
supporté mais du prix du loyer (Goubert, 1986).

1
L’abonné est la personne qui reçoit la facture d’eau. Il peut être un ménage ou un « groupe de
ménages » dans le cas, par exemple, d’immeubles où l’abonné peut être unique (le syndic).

19
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

C’est pourquoi, pour que l’eau paie l’eau et uniquement l’eau, l’instruction comptable
M49 du 10 novembre 1992 oblige de son côté l’équilibre du budget des services des eaux des
communes. Un budget « eau » annexe au budget de la commune doit être créé.

2.1.3. Pour que l’eau soit restituée au milieu dans le meilleur état possible, une obligation
d’assainissement.

La Directive Européenne sur le traitement des eaux usées de 1991 a été retranscrite
dans la loi sur l’eau française de 1992, rendant obligatoire l’assainissement (collectif ou non
collectif) à horizon de 2005.

Ce dernier point explique la très forte croissance de la part de l’assainissement dans la


facture d’eau (Figure 2) (cf. annexe 1 pour la description des éléments de la facture de l’eau) :
le « service de l’eau » qui constituait 54% de la facture en 1991 n’en représente plus que 44%
en 2000 au profit de l’assainissement. Notons à ce propos un autre élément explicatif de la
hausse significative du prix de l’eau : la très forte croissance des redevances perçues par les
Agences de l’Eau qui correspondent en 2000 à 18% de la facture d’eau, contre 8% en 1991.
7%
1991 9% 2000
7%

Ser
l’environnemen

16%
au

vice
Service de

de l’ e

l’ en
Ser onne

de l
vir

53%
vic men
ce

eau ’
Servi

ed

32%
e t

42%
t

1% 31% 2%
Distribution de l'eau
Redevance préservation des ressources
Collecte et traitement des eaux usées
Redevance pollution
FNDAE + VNF + TVA
Figure 2 : Décomposition du prix de l’eau (DGCCRF, 2001)

2.2. Vers une homogénéisation des prix pratiqués ?

L’éventuel processus d’homogénéisation est analysée dans cette section sous trois
angles : la géographie, la taille des communes et le mode de gestion1.

1
Les observations présentées maintenant sont toujours issues de l’enquête de la DGCCRF. Elles reposent sur des
comparaisons statistiques sommaires en terme d’écart observé entre deux types de situation. Pour une plus grande
validité, une étude économétrique réalisée sur un grand nombre de communes aurait été nécessaire pour mettre en

20
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

2.2.1. Une différenciation géographique qui perdure

Que ce soit à l’échelle du département ou à celle du bassin hydrogéographique, les


différences de factures d’eau restent de mise : ainsi, en 2000, le rapport entre le département le
plus cher et le moins cher est de 1,7 et entre la région la plus chère et la moins chère de 1,3. La
Bretagne, avec une facture d’eau 15% plus chère que la moyenne nationale et le Nord Pas de
Calais sont les régions les plus chères ; l’Auvergne pratique quant à elle les prix les plus bas.
Au niveau géographique correspondant aux territoires des Agences de l’Eau, le plus
cher est celui de l’Artois-Picardie ensuite Rhin-Meuse puis Loire-Bretagne, Seine-Normandie,
Rhône-Méditerranée-Corse et enfin Adour-Garonne. Le territoire qui a connu la plus forte
augmentation est celui d’Artois Picardie, en particulier du fait de la très forte croissance de
l’assainissement (Figure 3).

Cette diversité semble logique : selon l’endroit, les conditions d’accès à la ressource,
le niveau de traitement préalable à la distribution, la manière d’assainir les eaux usées varient,
ce qui induit différents niveaux de coûts et donc des prix de l’eau.

Artois-Picardie

Seine-Normandie

Rhin-Meuse

Loire-Bretagne

Rhône-Méditerranée-Corse

Adour-Garonne

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70%


Eau Assainissement

Figure 3 : Progression de la facture d’eau entre 1991 et 2000 en fonction des bassins
hydrographiques (euros constants 2001) (DGCCRF, 2001)

2.2.2. Un écart de prix selon la taille de communes sensiblement le même depuis 10 ans

En excluant Paris, la disparité selon la taille des communes ne s’est pas très fortement
réduite au cours des années 90 : le rapport entre la facture moyenne la plus chère et la moins

évidence l’importance relative des différents facteurs dans la constitution du prix de l’eau : géographie, taille de la
commune, mode de gestion, etc. Elle n’a pas, à notre connaissance, été réalisée.

21
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

chère (selon la taille de la commune) était de 1,11 en 1991 et de 1,09 en 2000 (Tableau 1).
C’est dans les communes de moins de 5000 habitants que l’on rencontre les factures les plus
faibles, malgré l’augmentation des prix la plus importante (hors Paris) et ce sont les
communes de 10 000 à 100 000 habitants qui ont les factures les plus fortes.

euros constants 2001 1991 2000 Evolution 2000/1991


Paris 159 280 76%
Villes de plus de 100 000 hab. 223 315 41%
Entre 50 000 et 100 000 hab. 226 341 50%
Entre 10 000 et 50 000 hab. 226 333 47%
Entre 5 000 et 10 000 hab. 215 325 51%
Moins de 5 000 hab. 205 312 52%
Tableau 1 : Facture d’eau (euros constants 2001)
et taille des communes (DGCCRF, 2001)

2.2.3. Une différence de prix entre modes de gestion qui s’amenuise

Le prix de l’eau diffère en fonction du mode de gestion : en 2000, selon la DGCCRF1,


la différence de facturation entre une gestion entièrement en régie et une gestion entièrement
déléguée2 (i.e. même situation que ce soit pour l’eau potable ou pour l’assainissement) s’élève
à -16%. Cet écart a tendance à se réduire, il était de -23% en 1991. La principale raison de sa
réduction vient de la mise en conformité des régies par rapport à l’obligation de constituer un
budget d’eau séparé du budget général et de l’équilibrer.

1
Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.
2
Quand la distribution de l’eau potable (ou l’assainissement ) est assurée par les services de la
collectivité locale, on parle de régie ; quand elle est confiée par contrat à durée déterminée à une
entreprise privée qui devient responsable de l’exploitation du service, on parle de délégation.

22
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

euros
2000
350
2000
2000
300

250 1991
1991
1991
200

150

100

50

0
Régies Services délégués Services en gestion mixte

60%

50%

40%

30%

20%

10%

0%
1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
Régies Services délégués Services mixtes

Figure 4 : Evolution des factures d’eau


selon le mode de gestion (DGCCRF, 2001) (euros constants 2001)

La différence entre ces modes de gestion reste toutefois significative et


risque de perdurer, en particulier si la tendance observée en 2000 (ralentissement
de la hausse pour les régies et poursuite de celle des services délégués) se
confirme. Notons, selon une autre source (IFEN, 2001)1, une disparité encore plus
élevée : l’écart de prix serait, en 1999, de 27% sur l’eau potable et de 20% sur
l’assainissement. Il serait encore plus important (44%) en comparant les communes
entièrement en régie communale de celles entièrement en affermage
intercommunal. Le rapport Tavernier (Tavernier, 2001) explique en partie la
différence notée entre les deux enquêtes : cette dernière serait composée de
communes plus rurales que celles, essentiellement grandes et urbaines, retenues par
la DGCCRF.

Mais pourquoi un tel écart ? En reprenant les propos défendus par


Tavernier (2001) :
- Il y a des charges (par exemple la taxe professionnelle et la redevance
pour l’occupation du domaine public) que seules les entreprises privées ont à
supporter.

1
Enquête réalisée en 2000 par le Service Central des Enquêtes et des Etudes Statistiques, SCEES du
Ministère chargé de l’agriculture et l’Institut Français de l’Environnement, IFEN.

23
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

- Il y a aussi des effets de structures : « les collectivités territoriales


délèguent volontiers le service lorsque celui-ci présente des difficultés qui auront
logiquement une répercussion sur son prix. C’est pourquoi les délégations sont
dominantes dans les grandes villes qui ne peuvent souvent être alimentées que par
de l’eau puisée au loin et acheminée sur des distances importantes. »
- « Il n’en demeure pas moins surprenant que des groupes de la taille de
ceux qui dominent le marché français de l’eau et de l’assainissement ne fassent pas
bénéficier les usagers d’économies d’échelles permises par le nombre considérable
de contrats qu’ils détiennent. »

3. La structure tarifaire : du forfait au volume ?

Au-delà du niveau du prix de l’eau, la structure de la tarification a


progressivement évolué d’une tarification au forfait vers une tarification
volumétrique.

3.1. Avant 1992 : une tarification essentiellement forfaitaire

Le forfait a été l’un des moyens les plus usités pour faire payer l’eau jusque
dans les années 90. Mais l’absence de comptage ne signifiait pas pour autant que la
tarification était toujours identique. Cette dernière pouvait dépendre :
- du nombre de personnes résidant dans le logement (Paris, règlement de 1881)
(Goubert, 1986). Prenons par exemple le cas de la commune de Goux-les-Usiers
qui appliquait depuis 1984 une tarification forfaitaire en se référant au nombre
d’habitants (pour 2 personnes, le tarif annuel était de 152 F ; pour 3 à 5 personnes,
de 228 F ; pour 6 personnes, de 304 F) et au nombre de tête de bétail (12 francs par
tête) (Menetrier, 1991) ;

- de la consommation d’eau estimée : « à Nevers, d’après le tarif du 31 mai 1857 –


resté en vigueur jusqu’en 1909 – la consommation journalière était estimée par la
compagnie concessionnaire à 1 hectolitre par ménage, auquel s’ajoutaient, le cas
échéant, 0.40 hectolitre par voiture de luxe ou de voyage … » (Goubert, 1986) ;

- du confort du logement (qui permet également de donner une estimation de la


consommation) : le nombre de robinets (commune de Saint A., 258 habitants
(R.I.C., 1989)), de prises d’eau, d’appareils consommant de l’eau, du nombre de
pièces ;

- de la surface habitable ou de la valeur foncière (Menetrier, 1991) ;

- voire de la participation à l’investissement initial : ainsi, « à Argelès (Hautes-


Pyrénées), l’eau avait été vendue à titre perpétuel et ne coûtait que très peu de
chose aux consommateurs, du moins à ceux qui avaient eu assez d’argent pour
investir de la sorte » (Goubert, 1986).

24
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

En réalité, les gestionnaires qui appliquaient un forfait strict (sans


comptage de la consommation d’eau) étaient peu nombreux. Selon une enquête du
FNDAE1 (Ballay, 1991) portant sur 494 collectivités françaises, la tarification
strictement forfaitaire était en fait très minoritaire, vu qu’elle n’était pratiquée que
par 3% des services en zone rurale (et aucun pour l’urbain)2 (Tableau 2). Une
tarification plus communément adoptée était la tarification « binôme avec forfait »
et plutôt dans les zones rurales : en 1985, elle concernait 54% des collectivités
rurales (soit 55% des équivalents-habitants ruraux desservis) et 45% des
collectivités urbaines (représentant 40% des équivalents-habitants urbain
desservis ).

Rural (11 millions) Urbain (45 millions)


% des % des % des % des
communes habitants communes habitants
Sans comptage 3% 3% 0% 0%
Avec comptage et forfait de
consommation 54% 55% 45% 40%
Avec comptage et sans
forfait 43% 42% 55% 60%
Tableau 2 : Importance des différents modes de tarification
des services de distribution d’eau en 1985 (Ballay, 1991).

Nous retrouvons ces résultats dans l’étude réalisée par (Piquet, 1988) pour
les gestions directes en région parisienne où trois modes de tarification
prédominent (et correspondent à près de 99% des volumes d’eau potable facturés) :
plus on s’éloigne du centre de Paris, plus les gestionnaires ont tendance à adopter
une tarification avec un forfait minimum de consommation mais aucun ne semble
avoir opté pour une tarification strictement forfaitaire (Tableau 3).

(en % par ligne) Tarif monôme Tarif binôme Tarif binôme avec forfait
Paris 100 0 0
Petite Couronne 92 5 3
Grande Couronne 42 18 40
Région 79 8 13
Tableau 3 : Modes de tarification en gestion directe
dans la région parisienne d’après (Piquet, 1988)

Les quelques communes qui appliquaient le forfait strict semblent en plus


l’avoir fait dans le cadre que définira plus tard la loi sur l’eau en 1992 : dès que des
problèmes de ressources se posaient ou quand des travaux devenaient nécessaires,
les communes posent des compteurs et instaurent des tarifs binômes, souvent avec
forfait (R.I.C., 1989).

1
Fond National d'Adduction d'Eau Potable.
2
Notons toutefois que « si en milieu urbain, la tarification sans comptage est inexistante, un nombre
important de consommateurs urbains pour lesquels l’eau potable est incluse dans les charges
collectives d’une résidence sont en fait ramenés à ce type de tarification » (FNDAE, 1992).

25
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Trois raisons ont conduit de nombreuses communes à recourir à la


tarification binôme avec forfait :

1. Elle encourage à consommer un volume minimum d’eau du réseau


public :
- raisons sanitaires : « ce volume peut être considéré comme nécessaire à l’hygiène
personnelle » (Jousseaume, 1979) ;
- raisons techniques : un volume minimum est nécessaire pour le « bon
fonctionnement du réseau d’égout qui exige un certain débit » (Jousseaume,
1979) ;
- cela « incite les habitants de villages récemment desservis à abandonner leurs
captages individuels et à se raccorder au réseau public » (Lapeyre, 1988) ;

2. Elle assure une plus grande régularité de recettes du service (Boistard,


1993b) et aussi permet un niveau de prix acceptable (du fait du nombre le plus
important possible de consommateurs d’eau) (Lapeyre, 1988)

3. Elle permet de faire payer plus cher les abonnés qui ont des
consommations très faibles, par exemple les populations saisonnières (Boistard,
1993b). Ainsi, (Ballay and Boistard, 1988) constate que « 60% des consommateurs
résidant dans des collectivités où la part relative de la population saisonnière est
supérieure à la moyenne nationale ont une tarification avec un forfait de
consommation, contre 38% seulement pour ceux qui résident dans une collectivité
où cette capacité est inférieure à la moyenne nationale » en 1985.

Mais ce forfait est décrié : d’abord, il n’est pas équitable. Ainsi, à Nevers
(commune qui appliquait une tarification forfaitaire), « certains abonnés
consommaient outre mesure : un industriel taxé à 25 hectolitres en dépensa 80 ou
100. On put alors estimer que 20% de l’eau distribuée étaient ‘sans emplois
connus’ ! » (Goubert, 1986). Et surtout, il n’incite pas les ménages à économiser
l’eau. Cela explique la tendance observée dès le milieu des années 1980 à
l’abandon du minimum de consommation ou au moins à sa réduction au profit
d’une tarification binôme sans forfait ou monôme (sans partie fixe) (FNDAE,
1992).

Dès 1979, le Comité National de l’Eau (Comité National de l'Eau, 1979)


invite les collectivités locales à simplifier les divers modes de tarification, à éviter
en particulier les tarifications strictement forfaitaires et conseille à celles qui
souhaitent maintenir un minimum de consommation de ne pas dépasser 30 ou 40
m3 par an, en préconisant plutôt d’instaurer une tarification binôme par paliers
croissants (avec un premier palier au prix très faible).

Le cahier des charges type d’affermage de mars 1980 limite le forfait de


consommation à 30 m3. En 1991, aucun des forfaits rencontrés n’excèdent 80 m3
dans l’année pour un abonné (Ballay, 1991).

En 1990, « le volume moyen annuel des forfaits de consommation les plus


faibles proposés par les services de l’échantillon est de 43 m3/an, toutes

26
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

collectivités confondues (entre 10 m3/an et 110 m3/an pour les services de


l’échantillon) » (FNDAE, 1992).

3.2. La loi sur l’eau de 1992 et la tarification binôme

La loi sur l’eau du 3 janvier 1992, en prônant l’abandon du forfait, ne fait


donc qu’entériner une tendance vers plus de responsabilisation du consommateur.
La pratique du forfait strict et même de la tarification binôme avec minimum de
consommation devient rapidement l’exception.

Mais de nouvelles questions surgissent à propos cette fois-ci de la part fixe


de la facture sur sa base de facturation, son montant voire même sa légitimité .

3.2.1. La base de facturation de la part fixe

La règle est une facture d’eau par abonné. Mais le montant de la part fixe
n’est pas nécessairement identique quel que soit l’abonné. Il dépend de trois
critères :

La personne redevable : la base de facturation peut être diverse :


Pour la majorité (?), à un abonné correspond une part fixe ;
Pour d’autres, c’est le nombre de logements desservis qui compte : donc il
y aura autant de parts fixes que de logements desservis par un même branchement.
C’est par exemple le cas à Métabief (25), Nontron (24) et Saint-Malo (35)
(Ministère de l'Equipement des Transports et du Logement et Office International
de l'Eau, 2000).
Enfin (mais le cas est très rare), cela peut être le nombre d’habitants et leur
durée de résidence qui définit le montant de la part fixe à payer. Ainsi, en 1995, la
commune de Bougnon (70) a fixé un quota de 3.5 m3 par personne (résident
permanent ou non) et par mois de résidence à 2.5 F/m3. Ces quotas de
consommation correspondent en fait au niveau de la part fixe que doivent payer les
abonnés.

Le branchement : dans certaines communes, plus le diamètre de la conduite


d’amenée d’eau est important, plus la partie fixe augmente. C’est par exemple le
cas à la Communauté Urbaine du Grand Nancy (54), du Syndicat Intercommunal
des Eaux de la Vallée de l’Hérault (34), etc.

Le niveau de consommation : dans certains cas, la part fixe varie selon le niveau de
consommation : la part fixe sera différente si l’on consomme plus ou moins de 500
m3 à Soustons (40) (Ministère de l'Equipement des Transports et du Logement et
Office International de l'Eau, 2000) ; dans certaines communes gérées par la
Société des Eaux de Marseille, une prime fixe « liée à l’usage par tranche de 20
m3 » est définie.

27
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Certains syndicats de copropriétaires ont dénoncé l’individualisation des


abonnements dans l’habitat collectif. Si la jurisprudence1 ne semble pas encore
stabilisée (Ministère de l'Equipement des Transports et du Logement et Office
International de l'Eau, 2000), nous pouvons toutefois essayer de dégager ses
grandes tendances : en schématisant,
si la part fixe est destinée à couvrir les dépenses liées à la gestion
de l’abonné (location et relevé de compteur, établissement d’une facture,
etc.), il n’y a aucune raison d’individualiser les abonnements ;
en revanche, si elle est affectée à la couverture d’autres coûts, il
peut être légitime de différencier les tarifs fixes selon le type d’abonné.
Ainsi, la taille de la prise d’eau conditionne la qualité du service rendu
(plus de pression, etc.). De même, dans certains cas2 l’argument suivant a
été trouvé légitime : « la volonté de faire participer les abonnés au
financement des charges fixes en proportion de leur capacité à
consommer » (Ministère de l'Equipement des Transports et du Logement et
Office International de l'Eau, 2000) (et en particulier dans le cas de
communes à fortes variations saisonnières).

3.2.2. Le niveau de la part fixe

Très peu d’enquêtes3 existent sur la structure de la tarification de l’eau


potable en vigueur actuellement en France4. Résumons les tendances qui se
dégagent :
En 1997, la part fixe ‘distribution de l’eau’ représenterait en moyenne 25
€/an en sachant que 59% des communes ont un abonnement compris entre 15 et 46
€ (DGCCRF, 1999) et il y aurait une tendance vers une part fixe élevée dans les
petites communes (Figure 5).
En 1998, la partie fixe ‘abonnement et/ou location de compteur’ s’élèverait
en moyenne à 48 € pour une partie proportionnelle au mètre cube de 2.13 €/m3. En

1
http://www.seaus.org/jurisprudence/abonnement.html
2
par exemple Tribunal Administratif de Bordeaux 25/06/1998 n°95-01350, SLEE-Dumez c/Syndicat
des copropriétaires de la Résidence « Bleue Marine ».
3
A notre connaissance, seules trois enquêtes récentes sont disponibles. Elles portent sur une année
donnée et ne concernent pas forcément la facture d’eau dans sa globalité :
- (DGCCRF, 1999) : données 1997 uniquement sur la part ‘distribution de l’eau’ pour 692
communes métropolitaines. Enquête ensuite affinée par le METL (Ministère de l'Equipement des
Transports et du Logement and Office International de l'Eau, 2000) sur 70 collectivités de cet
échantillon mais principalement tournée sur les collectivités ayant des niveaux de parts fixes élevées
(supérieures à 76 €).
- (IFEN, 2001) : données 1998 sur un échantillon représentatif du cas français de 5000
collectivités locales.
- (Consommation Logement et Cadre de Vie, 2001) : données 2001 sur l’assainissement
uniquement pour 133 communes intercommunales de moins de 100 000 habitants dans 44
départements.
4
Les observatoires des prix de l’eau ne présentent que des valeurs en prix moyen (pour une
consommation type de 120 m3). S’ils nous permettent de voir les différences de prix de l’eau
pratiqués par les différentes communes et selon les clés classiques présentées dans la section 2
(géographie, type de gestionnaire, …), ils ne renseignent pas sur les types de structure et en particulier
sur le poids de la part fixe dans la facture d’eau.

28
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

comparant ces deux chiffres, la part fixe serait équivalente à une consommation de
23 m3 (IFEN, 2001).
En 2000, pour les 42% des collectivités de l’échantillon ayant choisi une
tarification binôme, la part de la partie fixe de l’assainissement varierait de 2,3% à
65,3% du prix total de l'assainissement facturé (Consommation Logement et Cadre
de Vie, 2001).
Plus de 76 €
De 46 à 76 €
5% Moins de 15 €
11% 25%

Entre 15 et 46 €
59%

Montant de la part fixe


100%

90%

80%

70%

60%

50%

40%

30%

20%

10%

0%
Moins de 15 € Entre 15 et 46 € De 46 à 76 € Plus de 76 €

Moins de 5000 habitants Plus de 5000 habitants

Structure tarifaire et nombre d’habitants


Figure 5 : Niveau de la part fixe
dans la facturation de l’eau potable en 1997 (DGCCRF, 1999)

Le niveau de la part fixe n’est donc pas homogène d’une commune à une
autre, même en le rapportant par rapport au montant de la partie proportionnelle.
Le Tableau 4 résume quelques cas particuliers trouvés dans la littérature ou
collectés sur les sites Internet des communes ou des syndicats. De ce tableau
(même s’il faut faire très attention par rapport à des conclusions hâtives), a l’air de
se dégager une tendance à la baisse du poids de la part fixe : celle-ci correspondait
à une consommation d’eau d’environ 100 m3 avant la loi sur l’eau, cette moyenne
semble être réduite de moitié voire davantage.

Des communes conservent toutefois des niveaux particulièrement élevés de


part fixe, ce qui conduit parfois les abonnés à protester. Prenons le cas (extrême ?)
des communes de Plouénan, Santec, Plougoulm et Mespaul (29) (soit 6874
habitants en 1999) dans lesquelles certains abonnés ont constitué une association
en 2000 pour protester contre l’importance de la part fixe : elle équivaut à
consommer 92 m3, ce qui correspond à un poids d’autant plus important que la part
proportionnelle est déjà particulièrement élevée (2.13 €/m3, 231 € d’abonnement).
Cela conduit à un prix de 4.44 €/m3 pour une consommation annuelle de 120 m3.

29
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

3.2.3. La légitimité de la part fixe

Plus que le niveau de la part fixe, certains consommateurs relayés par des
associations contestent même sa légitimité. Citons à ce propos le cas du syndicat
intercommunal d’adduction d’eau potable et d’Assainissement de Baurech,
Cambes et Saint-Caprais de Bordeaux : 16 abonnés se sont élevé contre le passage
d’une tarification monôme à une tarification binôme, changement réalisé pour
financer l’extension des réseaux d’eau potable et d’assainissement (Conseil d'Etat,
2002). Citons également le cas de certaines associations de consommateurs (telle la
CLCV - Consommation Logement et Cadre de Vie et l’UFC - Union Fédérale des
Consommateurs) qui contestent le caractère selon elles injustifié d’une part fixe
dans la facture d’eau (et en particulier pour l’assainissement1). Elles invoquent le
fait (1) que certaines communes (comme Marseille) n’ont pas « d’abonnement »
(tarification monôme) et que (2) d’autres services publics ne la pratiquent pas
(comme la téléphonie mobile, …).

Mais déjà, quelle est la proportion des différents modes de tarification ? Si


elle était connue avec une relative précision avant la loi sur l’eau de 1992, les
études sont encore plus rares que celles sur le poids de la part fixe. Citons l’étude
de l’agence de l’eau Rhône-Méditerrannée-Corse effectuée sur 1235 communes du
bassin (15% des communes, 71% de la population du bassin) en 1999 et présentée
sur son site Internet. Elle conclut à la prépondérance d’une tarification binôme pour
la part « alimentation en eau potable » que ce soit en raisonnant par rapport au
nombre de communes ou d’habitants (Figure 6). Au niveau de l’assainissement, les
résultats sont plus mitigés. Ce que l’on peut dire, c’est que pour les communes
ayant une part assainissement (soit 90% des communes de l’échantillon et 98% de
la population), plus la commune est importante, plus elle a de chance d’avoir une
tarification pour l’assainissement de type monôme.

1
Le décret n° 2000-237 du 13 mars pris pour l'application des articles L. 224-7 à L. 2224-12 du code
général des collectivités territoriales et modifiant le code des communes réaffirme la possibilité de
mettre en place une partie fixe pour la redevance d'assainissement collectif.

30
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

100% monôme
binôme
86%
80%

60% 54%
46%
40%

20% 14%

0%
Alimentation en eau potable Assainissement

% des communes

100% monôme
binôme

80%
70%
66%
60%

40% 34%
30%

20%

0%
Alimentation en eau potable Assainissement

% de la population

Figure 6 : Structure tarifaire dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse


en 1999 (source : site de l’agence l’eau RMC)

3.3. Vers une tarification uniquement au volume ?

Face à ces remises en cause, la jurisprudence actuelle réaffirme la


légitimité d’une part fixe. Plusieurs décisions vont dans ce sens, comme : le décret
du 13 mars 2000 (2000a) qui autorise les communes à appliquer une part fixe à
l’assainissement ou la décision du Conseil d’Etat du 8 mars 2002 (Conseil d'Etat,
2002) qui valide le principe de la part fixe pour l’eau et l’assainissement.

Ces décisions ont ensuite fait l’objet de nombreux débats lors de la


discussion du projet de loi sur l’eau de 2002. Celui-ci soulignait qu’il était
nécessaire d’encadrer la part fixe pour qu’il n’y ait pas de dérives : il limitait ainsi
l’éventuelle partie fixe de la redevance du service de distribution de l’eau aux
charges de gestion du comptage et de facturation.

Le nouveau projet de loi (selon un document de travail du 22 juin 2004)


semble également préférer une tarification monôme, mais il légitime pleinement la
part fixe, « toute facture d’eau […] pouvant, [outre la partie proportionnelle au

31
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

volume d’eau consommé], comprendre un montant calculé indépendamment de ce


volume compte tenu des charges fixes du service et des caractéristiques du
branchement ». S’il ne semble pas que nous nous dirigions vers une tarification
monôme, le débat est donc loin d’être clos, surtout avec la volonté soulignée dans
ce nouveau projet de loi de mettre en place des tarifications incitatives à
l’économie d’eau. Il nous semble donc indispensable de conduire des études plus
précises sur les modes de tarification de l’eau et de l’assainissement actuellement
en vigueur en France, ce que nous initions ici.

3.4. Conclusion sur les modes de tarification

Nous nous sommes focalisés dans cette section sur la différenciation entre
la part fixe et la part variable. Comme nous l’avons souligné, les études récentes
sur ce sujet sont rares et encore plus rares (voire inexistantes) sont celles portant
sur l’analyse de la structure globale de la facture d’eau. Or les cas d’étude
paraissent à ce niveau très divers. Prenons le cas de la Société des Eaux de
Marseille (SEM) et de la tarification en vigueur pour 59 communes dont elle a
l’entière gestion (eau potable et assainissement). Seules 14% ont la même structure

32
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Cas d’études Equivalent m3 de la Sources


part fixe
Avant Commune C. (06) 29 (R.I.C., 1989)
1992 SIVOM région d’I. (63) 35 ‘’
Châtillon sur Loire 62 Site OIEau
S.I.A.E.P. d’A.S. (53) 69 (R.I.C., 1989)
Syndicat des A. (53) 94 ‘’
Syndicat Départemental de
Vendée (85) 991 (Vatron, 1990)
Commune de A. (52) 100 (R.I.C., 1989)
S.I.A.E.P. de C. (53) 103 ‘’
Commune P. (52) 136 ‘’
Commune de A. les V. 137 ‘’
Commune A. (53) 147 ‘’
Commune de P. (30) 167 ‘’
Syndicat de la S. (30) 300 ‘’
Après St Martin d’Hères (38) 13
1992 CU du Grand Nancy (54) 14
SIAEP de Bais-Hambers (53) 21 (surtaxe communale)
SIEVH (34) 35 +/- 18 m3
SIAEP Vallée du Sichon (03) 58 Sources internet
Métabief (25) 68
SIEB (39) (sauf St-Malo) 73 (part eau potable)
Plouénan, Santec,
Plougoulm, Mespaul (29) 92
Société des Eaux de
Marseille 38 +/- 53 m3
Tableau 4 : Partie fixe en équivalent m3 sur quelques cas particuliers

1
Un tarif spécial est destiné aux abonnées qui bénéficient du Fonds National de Solidarité,
l’équivalent en mètre cube de l’abonnement est alors de 25.

33
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

tarifaire car elle est de type monôme (prix uniquement en fonction du volume
consommé que ce soit pour l’eau ou pour l’assainissement) (Tableau 6). Pour les
autres, il y a presque autant de communes que de structures tarifaires car elles
combinent différents systèmes à savoir :

Des structures binômes simples ou par paliers croissants. Et les 27% qui
ont adopté la structure par paliers n’ont ni les mêmes niveaux de paliers1, ni le
même nombre (la grande majorité n’a qu’un seuil, deux communes ont 3 paliers et
une 4) ; 54% d’entre elles l’appliquent exclusivement sur la partie eau potable, les
autres également sur la partie eaux usées (et quand c’est le cas, le niveau des
paliers peut également différer2).

Des parties fixes parfois variables. Les facteurs de variabilité de la partie


fixe sont divers et peuvent ou non se combiner : en fonction du diamètre du
compteur (10% des communes ont à cet égard une tarification différenciée), en
fonction de la consommation (64% des communes facturent semestriellement un
montant forfaitaire pour chaque tranche de 20 m3 consommés) ;

Des bases de facturation des parties « abonnement » différentes. Pour la


moitié des communes, la facturation se fait par abonné, pour 14% c’est par
logement et pour 20% c’est une combinaison (la base de facturation est alors
différente pour la partie eau potable et celle assainissement).

Des échéances diverses. Dans 78% des communes, la facturation de la part


fixe est semestrielle, mais nous trouvons aussi des situations dans lesquelles elle se
fait annuellement, trimestriellement ou est une combinaison de périodicités : ainsi à
Lourmarin, la redevance de location du compteur est annuelle et les redevances
d’abonnement sont trimestrielles.

4. Le prix : un facteur explicatif limité de la consommation d’eau potable

En théorie, l’augmentation du prix de l’eau potable et le fait de


« responsabiliser les consommateurs » par une structure tarifaire avec une part
volumétrique prépondérante devraient conduire les usagers vers des
comportements de consommation plus économes. Mais qu’en est-il réellement ?
Un prix de l’eau élevé induit-il une consommation, toutes choses étant égales par
ailleurs, plus faible ? Et plus généralement qu’est-ce qui détermine le niveau de la
consommation d’eau ?

1
En moyenne pour la partie eau potable, le premier seuil est à 46 m3 (mais cela s’échelonne
entre 18 et 120 m3).
2
Pour la commune de Cuges les Pins, il y a 3 paliers pour l’eau potable et l’eau usée. Si le
premier seuil est commun (30 m3), le second est de 90 m3 pour l’eau potable et de 120 m3
pour l’eau usée.

35
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

4.1. Une sensibilité au prix faible mais en progression

Le prix de l’eau est un facteur explicatif de la consommation d’eau potable,


mais un facteur limité. Voilà ce qui ressort des études réalisées principalement aux
Etats-Unis et en Europe (annexe 2). Un tel constat se retrouve dans le cas français :
une hausse du prix de 10% provoque une diminution de la consommation d’eau de
1% à 3.1%, c’est-à-dire que l’on observe une élasticité de –0.10 à –0.31 (Tableau
5).

Auteurs Années étudiées Lieu Elasticité prix


Point (1993) in (Nauges, 1975 Gironde - 0,17
1999)
(Boistard, 1993b) 1975-1980-1985-1990 France entière - 0,10 à - 0,20*
- 0,25 à - 0,35**
(Pouquet and Ragot, 1997) 1989 France entière - 0,12
1995 -0,32* - 0,31**
(Le Coz, 1998) 1995 Bassin de - 0,31
Yerres
(Nauges et al., 1998) 1990 à 1994 Gironde - 0,08
1989-1993 Moselle - 0,22
(Azomahou, 2000) 1989-1993 Moselle - 0,23
* à court terme (2-3 ans)
** à long terme (5-10 ans)
Tableau 5: Estimation des élasticités prix en France

Les études décrites dans le Tableau 5 sont toutes très partielles : elles ont
été réalisées sur des échantillons de population et/ou sur une région précise. De
plus, à part celle de Le Coz, elles ont été conduites à l’échelle de la commune, une
description fine des comportements individuels étant dès lors exclue. Elles ne
peuvent donc que difficilement prétendre à une représentativité des comportements
en matière de consommation d’eau potable des français.

Les limitations de la portée des résultats étant données, notons que ces
études ont été conduites en France sur trois périodes :

- Les premières (Point ; Boistard ; Pouquet et Ragot) ont été réalisées sur
des données antérieures à l’épisode de forte augmentation du prix des années
1990 : ces études sont caractérisées par des élasticités prix très faibles (entre -0,20
et -0,10) (sauf pour le long terme dans l’étude de Boistard) ;
- Les deuxièmes sont à cheval sur les deux périodes (Nauges ;
Azomahou) : elles concluent, sauf pour le cas de la Gironde, à une élasticité prix
plus importante que les premières, de -0,23 à -0,22.

Les troisièmes s’intéressent à l’année 1995, époque à laquelle le prix de


l’eau a alors déjà connu une augmentation de 46% depuis 1991. Les élasticité
semblent plus fortes (-0,31) et les ajustements des comportements d’eau aux
modifications de tarifs plus rapides, Pouquet et Ragot trouvant quasiment la même
élasticité du prix de l’eau à court terme et à long terme. Ces auteurs notent

36
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

également une différence de comportement entre les ménages consommant moins


de 63 m3 et les autres. D’après les résultats de leur étude, en 1995, seuls les
premiers ne seraient pas sensibles au prix de l’eau.

La sensibilité prix, tout en restant relativement faible, semble donc avoir


été accrue face à l’augmentation importante du prix de l’eau.

En résumé, le prix influence le niveau de consommation plus ou moins


fortement selon (1) son niveau et (2) son évolution (annexe 3). Mais ce prix n’est
pas le seul facteur explicatif du niveau de consommation.

4.2. Le prix de l’eau : un des facteurs explicatifs du niveau de consommation

Si le prix (à savoir son niveau et son évolution) influence le niveau de


consommation d’eau plus ou moins fortement, ce n’est pas le seul facteur explicatif
(annexe 3). Cette dernière s’explique également par les caractéristiques de l’habitat
et du ménage ainsi que par les actions entreprises par des acteurs locaux ou
nationaux pour sensibiliser à l’économie d’eau.

Certaines variables ont été reconnues par des tests statistiques comme étant
des facteurs explicatifs de la consommation d’eau : la température, la pluviométrie,
le type et l’âge du logement, la surface habitable, le taux d’équipement, la présence
d’un jardin ou d’une piscine, le revenu, la taille et l’âge moyen du ménage, le prix
de l’eau. Toutefois :
- Ces variables ne sont pas forcément statistiquement significatives dans
tous les contextes. Ainsi, le climat est un facteur explicatif de la consommation
d’eau en Gironde mais pas en Moselle.
- Il peut y avoir une évolution au cours du temps. Ainsi, selon l'Association
des Responsables de Copropriété (2001), si durant les premières années suivant une
augmentation de prix on observe des économies significatives, au cours du temps,
il y a un relâchement.

Les autres variables ne sont pas obligatoirement non significatives, soit


parce qu'elles n’ont pas été testées en tant que telles, soit parce que dans le contexte
(toujours particulier) d’une étude, elles n’expliquaient pas statistiquement la
consommation d’eau.

37
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

% des Prix % de résidences


communes moyen principales
concernées (€/m3) (INSEE 1999)
(120 m3)
Modes de tarification Monôme 14% 2.52 88%
Binôme 59% 2.69 88%
Binôme par 27% 3.09 73%
paliers
Base de facturation des Aucun 17% 2.69 89%
abonnements « eau Abonné 49% 2.77 86%
potable » et « eaux Logement 14% 3.01 73%
usées » Combinaison 20% 2.72 83%
Existence de tranches Oui 64% 2.67 90%
fixes (20 m3) Non 36% 2.83 81%
Existence d’une Oui 10% 2.98 87%
redevance de location Non 90% 2.75 84%
de compteur
Tableau 6 : Modes de tarification pour 59 communes
dont la SEM a l’entière gestion

4.3. Les raisons de la baisse de la consommation en eau potable des années 90 :


le prix de l’eau et d’autres facteurs

D’après les éléments qui viennent d’être décrits, nous pouvons maintenant
donner les principales raisons de la baisse de la consommation d’eau observée dans
les années 901. La première est naturellement la forte progression du prix de l’eau.
Mais ce n’est pas la seule, d’autres facteurs expliquent cette baisse. Nous
distinguons deux niveaux d’analyse (qui se complètent) :

4.3.1. Au niveau individuel

- S’il ne semble pas que les ménages aient cherché particulièrement à


économiser de l’eau (Jaskulke et al., 2000), les nouveaux appareils utilisant de
l’eau sont plus économes ;
- L’extension des compteurs individuels semble avoir incité les ménages à
réduire les sources de gaspillage (fuites) ;

1
Il est communément admis, sans qu’il y ait eu d’étude réalisée au niveau national, qu’après les
années d’après guerre pendant lesquelles la consommation d’eau a fortement augmenté, il y a eu une
inversion de la tendance au cours des années 90.

38
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

- Le constat d’une consommation d’eau potable stable ou en baisse ne


signifie pas toujours économie d’eau : face à l’augmentation du prix de l’eau
potable, certains ménages ont eu recours à une ressource de substitution pour
certains usages n’exigeant pas une eau de qualité (arrosage des jardins, remplissage
des piscines, alimentation des chasses d’eau) voire pour tous les usages
(Montginoul and Rinaudo, 2002). Ainsi, lorsqu’ils habitent dans des pavillons
individuels, certains installent des citernes permettant la récupération des eaux de
pluie ou des forages individuels dans leurs jardins (cas de la commune de Canet,
Hérault) (Montginoul and Rinaudo, 2001) ; d’autres se connectent à des réseaux de
distribution d’eau brute gérés par des Sociétés d’Aménagement Régional ou des
associations d’usagers (cas de la commune de Gignac, Hérault) (Montginoul et al.,
2002). Cela réduit la consommation d’eau potable mais pas de la consommation
d’eau totale (eau potable + eau brute). Cette dernière aurait même plutôt tendance à
augmenter.

4.3.2. Au niveau collectif

Nous reprenons ici les conclusions de l’étude (Jaskulke et al., 2000) qui
portait sur un quartier de Paris dans lequel une baisse de la consommation a été
constatée. Les principales raisons de cette baisse sont les suivantes :
1. « Le type d’occupation et le taux d’occupation (déménagement de
bureaux, nombre de jours de fermeture, vacances scolaires pour les logements,
etc.) ;
2. La politique d’économie des ‘grands comptes’ : les gros consommateurs
privés et publics ‘économiques’, peu décentralisés dans leur gestion, ont initié des
opérations ‘anti-fuite’ dont les résultats ont été rapidement visibles sur la
consommation locale ;
3. La restructuration des patrimoines : changement d’activité,
réhabilitation, transformation des bureaux en logements, aménagement d’espaces
verts à arrosage automatique, etc. ».

5. Conclusion : quel prix de l’eau demain ?

Quelle sera l’évolution du prix de l’eau potable dans les années à venir ?
Depuis 1999, sa croissance s’est fortement infléchie, mais des éléments pourraient
présager à une reprise de la hausse :

5.1. La poursuite de la mise en conformité avec d’anciens textes.

- Les périmètres de protection des captages. Selon l’article 13.I. de la loi


sur l’eau de 1992, « si un point de prélèvement, un ouvrage ou un réservoir, (…) ne
bénéficie pas d'une protection naturelle permettant efficacement d'assurer la qualité

39
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

des eaux, des périmètres de protection sont déterminés par déclaration d'utilité
publique, dans un délai de cinq ans à compter de la publication de la loi no 92-3 du
3 janvier 1992 sur l'eau. » Or, compte tenu du temps nécessaire pour mener la
procédure de "mise en conformité" des captages (Grandguillaume and Séropian,
2002) et du nombre de situations à régulariser, un retard important a été pris. Fin
2000, « seuls 30% des captages d’eau potable du territoire sont correctement
protégés » (Burlot, 2001). Notons toutefois que l’impact sur le prix de l’eau
pourrait être moins élevé que ce qu’il semblait de prime abord selon l’étude
réalisée par Sodexper pour le Commissariat Général au Plan (Grandguillaume and
Séropian, 2002).

- L’assainissement des eaux usées (décret no 94-469 du 3 juin 1994 relatif à


la collecte et au traitement des eaux usées mentionnées). « Les communes dont le
territoire est compris en totalité ou en partie dans le périmètre d'une agglomération
produisant une charge brute de pollution organique comprise entre 120 kg par jour
et 900 kg par jour doivent être équipées, pour la partie de leur territoire incluse
dans ce périmètre, d'un système de collecte [et de traitement] avant le 31 décembre
2005. » Ce décret est donc un facteur d’augmentation du prix de l’eau à venir pour
les petites communes qui ne se sont pas encore mises aux normes.

- Le traitement des boues des stations d’épuration (décret no 97-1133 du 8


décembre 1997 relatif à l'épandage des boues issues du traitement des eaux usées et
l’arrêté du 8 janvier 1998 modifié par l'arrêté du 3 juin 1998 fixant les prescriptions
techniques applicables aux épandages de boues sur les sols agricoles) : une
augmentation du prix de l’eau de 0,1 à 0,3 €/m3 est à prévoir après la mise en
conformité des communes suite au décret du 8 décembre 1997 qui devait être mis
en application immédiatement ou dans un délai maximal de 3 ans pour les
épandages existants. Les procédures d’épandage sont désormais en effet plus
chères qu’auparavant du fait de la nécessité des contrôles à réaliser et des
traitements préalables à faire pour mettre les boues en conformité avec cette
législation. Et si le débouché agricole venait à disparaître, le prix de l’eau risque
d’être encore augmenté, les solutions alternatives (incinération ou compostage)
étant plus chères.

5.2. L’application de nouvelles normes plus sévères.

Le décret no 2001-1220 du 20 décembre relatif aux eaux destinées à la


consommation humaine (à l'exclusion des eaux minérales naturelles) introduit un
nouveau contrôle de la qualité de l’eau au robinet du consommateur (en plus de
celui effectué à la sortie de la station de production de l’eau potable). Il rend plus
sévères les valeurs limites pour certains éléments présentant des risques pour la
santé : le plomb, le nickel, l’arsenic. Il en rajoute d’autres, tels que les
trihalométhanes et les bromates. Tout ceci aura donc tendance à rendre inutilisables
certaines ressources et à obliger à rechercher de nouvelles ressources, ce qui
alourdit la facture, d’autant plus que dans certains cas les normes actuelles (en
particulier concernant les nitrates) ne sont pas encore respectées. Ainsi, en 2000,

40
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

10% des stations (sur 927) suivies par le Réseau National de Connaissance des
Eaux Souterraines (RNES) avaient une teneur en nitrates supérieure à la valeur
limite définie pour les eaux destinées à la consommation humaine (50 mg/l)
(Detoc, 2002).

5.3. La mise au jour de nouvelles sources de pollution non encore quantifiées.

Certains éléments polluants ne sont pas encore intégrés dans les contrôles
réalisés sur les eaux de consommation. C’est le cas en particulier des pesticides.
Ces derniers ne sont, à l’heure actuelle, pas systématiquement recherchés dans les
eaux du fait du coût élevé des analyses (800 € par analyse pour 20 composants).
Or, lorsque de telles analyses sont réalisées, leur présence est souvent détectée.
Ainsi, « l’analyse de l’ensemble des analyses d’eau disponibles de 1998 et 1999
[réalisées par l’IFEN], tous types de réseaux confondus, montre que 54% des 4094
points de surveillance des eaux souterraines sont altérés par la présence de
pesticides » (Detoc, 2002). De plus, les coûts de traitements étant élevés, il faudra
rechercher de nouvelles ressources, ce qui induira de nouveaux coûts
d’investissement et donc une hausse probable du prix de l’eau.

5.4. Le financement du renouvellement des réseaux de distribution d’eau


potable.

Depuis leur construction, ces réseaux n’ont pas fait l’objet d’une politique
de renouvellement systématique. Le patrimoine vieillissant, le problème de son
renouvellement apparaît et semble très coûteux. Pour davantage d’information sur
ce domaine, se référer au chapitre de Werey et al. .

Références bibliographiques

(2000a). Décret n° 2000-237 du 13 mars pris pour l'application des articles L. 224-
7 à L. 2224-12 du code général des collectivités territoriales et modifiant le code
des communes. JORF.

(2000b). “L'évolution de la consommation d'eau en France”. TSM (Techniques,


Sciences et Méthodes) 2: 56-59.

Agence de l'Eau Loire-Bretagne, 1999, Economie d'eau dans la ville, Orléans.


plaquette, mars, 2 p.

Agence de l'Eau Loire-Bretagne et Conseil Régional de Bretagne, 1999,


Economiser l'eau dans la ville et l'habitat : sur les traces de l'expérience des Villes-
pilotes en Bretagne, Guide méthodologique, mars, 64 p.

41
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Alexandre, O. et T. Azomahou, 2000, “Modéliser la demande en eau potable : une


étude de cas sur 115 communes de la Moselle”, TSM (Techniques, Sciences et
Méthodes), 2, 50-55.

Association des Responsables de Copropriété, 1998, La gestion de l'eau dans


l'habitat collectif, novembre-décembre, 52 p.

Association des Responsables de Copropriété, 2001, La maîtrise de l'eau en


copropriété, Paris, mars, 48 p.

Azomahou T., 2000, Dépendance spatiale et structure de données de panel -


Application à l'estimation de la demande domestique d'eau, Thèse de Doctorat
Européen spécialité Sciences Economiques UMR Cemagref-ENGEES en "Gestion
des Services Publics" et Bureau d'Economie Théorique et Appliquée, Université
Louis Pasteur Strasbourg 1, 251 p.

Ballay D., 1991, Tarification et prix de l'eau. Agence de l'Eau Seine-Normandie,


Coût et prix de l'eau de demain, Paris, 22 mai.

Ballay D. et P. Boistard, 1988, Consommation domestique et prix de l'eau potable -


Evolution en France de 1975 à 1985, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. Coût
et prix de l'eau en ville - Alimentation et assainissement, Paris, Presses de l'ENPC.
6-8 décembre, 315-332.

Boistard P., 1993a, Elasticité de la demande au prix de l'eau : réflexion sur les
motivations réelles du choix du mode de tarification des services publics de
distribution d'eau en France. in La ville et le génie de l'environnement, Ed. B.
Barraqué, Paris, Presses de l'ENPC.

Boistard P., 1993b, Qualité et prix des services publics de distribution d'eau
potable, Approche d'un prix de la qualité de l'eau et de la desserte, Doctorat en
Sciences et Techniques de l'Environnement Ecole Nationale des Ponts et
Chaussées, Paris, 347 p..

Brechet J. P.,1982, La demande en eau résidentielle, Etude économique et


économétrique, Doctorat de 3ème cycle Faculté des sciences économiques et de
gestion Université de Poitiers.

Burlot T., 2001, “Les périmètres de protection des captages”, La Gazette des
Communes, 1625: 55-56.

Cambon-Grau S., 2000, Baisse des consommations d'eau à Paris : enquête auprès
de 51 gros consommateurs, TSM (Techniques, Sciences et Méthodes), 2, 37-46.

Centre d'information sur l'eau, 2000, La généralisation de l'eau à domicile au


XXème siècle, http://www.cieau.com/toutpubl/sommaire/texte/3/323.htm, ed.
2002.

42
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Centre d'information sur l'eau, 1995, Mémento, l'essentiel sur l'eau potable.

Comité National de l'Eau, 1979, Rapport du groupe de travail "Lutte contre le


gaspillage et prix de vente de l'eau".

Conseil d'Etat, 2002, Un arrêt de principe qui valide la part fixe pour l'eau et
l'assainissement, Journ'eau 365: 1-2.

Conseil Régional de Bretagne, 2001, Economies d'eau, la Région s'engage dans les
lycées bretons : état des lieux des 65 premiers lycées diagnostiqués, Rennes, 6 p.

Consommation Logement et Cadre de Vie, 2001, Structure tarifaire de l'eau et de


l'assainissement, compteurs individuels de l'eau froide: il y a encore beaucoup à
faire en matière de transparence!, Consommation, Logement et Cadre de Vie,
2002.

Detoc S., 2002, L'état des ressources en eau souterraine en France. Etat qualitatif et
quantitatif des eaux souterraines - la directive cadre européenne. Colloque
d'Hydrotechnique - 170ème session du Comité Scientifique et Technique, Paris,
Société Hydrotechnique de France, 13 et 14 mars, 39-46.

DGCCRF, 1999, Enquête sur le prix de l'eau: 1991-1997, Ministère de l'Economie,


des Finances et de l'Industrie.

DGCCRF, 2001, Evolution des prix de l'eau 1995/2000, Ministère de l'Economie,


des Finances et de l'Industrie, Paris, 27 novembre.

Direction Départementale de l'Equipement 92, Conseil Régional d'Ile de France,


Conseil Général des Hauts de Seine et Agence Financière de Bassin Seine-
Normandie, La maîtrise de l'eau, Campagne d'Information, 20 p.

Dufour A., 1995, Opinions des français sur l'environnement et appréciations sur
l'eau du robinet, CREDOC et IFEN, Paris, Collection Etudes et Travaux, 6,
octobre, 118 p.

FNDAE, 1992, Consommation domestique et prix de l'eau - Evolution en France


de 1975 à 1990, Les services publics communaux et départementaux, 181-195.

Francheteau S., 2002, L'évolution des consommations d'eau : le cas de l'Ile de


France, TSM (Techniques, Sciences et Méthodes), 1, 65-70.

Girardot P. L., A. Divenot, J. Bustarret, 1972, L'évolution de la demande en eau


(1er partie), TSM (Techniques, Sciences et Méthodes), 69, 7, 281-290.

Goubert J.-P., 1986, La conquête de l'eau, Pluriel, Robert Laffont. 302 p.

43
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Grandguillaume J.-J., J.-C. Séropian, 2002, Réussites et difficultés liées à la mise


en place des périmètres de protection. Etat qualitatif et quantitatif des eaux
souterraines - la directive cadre européenne, Colloque d'Hydrotechnique - 170ème
session du Comité Scientifique et Technique, Paris, Société Hydrotechnique de
France, 13 et 14 mars, 85-92.

Grangé P., B. Laborie, J. Rossi, 1999, Structure tarifaire dans la facturation de l'eau
et de l'assainissement, Aquae, 3, 2-3.

Grosclaude G., Ed., 1999, Un point sur ... l'eau, tome 2 : usages et polluants, Paris,
INRA, 210 p.

Guellec A., 1993, Quelles sont les missions du comité de bassin ?, Courants
23(Hors série), 51-53.

Guellec A., 1995, Le prix de l'eau: de l'explosion à la maîtrise? Assemblée


Nationale, Rapport d'information, 2342.

IFEN, 2001, Eau potable: diversité des services ... grand écart des prix, Les
données de l'environnement, 65, 4.

Jaskulke E., J. P. Maugendre, S. Cambon-Grau, 2000, Vercingétorix : analyse des


consommations d'eau dans un quartier de Paris, TSM (Techniques, Sciences et
Méthodes), 2, 47-49.

Jousseaume, 1979, La tarification de l'eau potable, Comité National de l'Eau,


Groupe de Travail "Tarification", 15 p.

Lapeyre M., 1988, La tarification de l'eau dans les communes rurales françaises,
Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, Coût et prix de l'eau en ville -
Alimentation et assainissement, Paris, Presses de l'ENPC, 6-8 décembre, 432-438.

Le Coz C., 1998, Valorisation des fonctions de l'eau, Application à l'eau


domestique sur le bassin versant de la rivière Yerres, Thèse de doctorat Sciences de
l'Environnement, ENGREF Paris, France. 338 p.

Maresca B., 1997, Les déterminants de la consommation domestique, Cahiers de


Recherche du CREDOC, 104: 5-11.

Martinez-Espiñeira, R., 2002, Residential Water Demand in the Northwest of


Spain, Environmental and Resource Economics, 21, 2, 161-187.

Menetrier V., 1991, La tarification de l'eau - Principes et illustration. Université de


Franche-Comté - UFR de Sciences juridiques, économiques et de gestion,
Besançon, Mémoire pour l'obtention du DESS "Economie industrielle et
décentralisation".

44
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Ministère de l'Equipement des Transports et du Logement et Office International


de l'Eau, 2000, Les factures d'eau dans l'habitat, 84 p.

Montginoul M., Y. Lunet de Lajonquière, P. Garin, 2002, Impact de la présence


d'un réseau de distribution d'eau brute sur la consommation en eau potable, Le cas
de la commune de Gignac (34), UMR GSP Cemagref-ENGEES, Strasbourg, 27 p.

Montginoul M., J.-D. Rinaudo, 2001, Impact des forages individuels sur la
consommation en eau potable et la gestion des services d'eau et d'assainissement -
Etude de cas dans la moyenne vallée de l'Hérault: la commune de Canet (34),
BRGM - Cemagref/ENGEES, Orléans, BRGM/R 99999, 21 p.

Montginoul M., J.-D. Rinaudo, 2002, Impact de la tarification sur les stratégies de
consommation et d'approvisionnement en eau des ménages, Colloque SHF
Economie et eau, Paris.

Nauges C., 1999, La consommation d'eau potable en France: analyse


économétrique de la demande domestique, Thèse de doctorat Université des
Sciences Sociales de Toulouse, Toulouse, 308 p.

Nauges C., A. Reynaud et A. Thomas, 1998, Consommation domestique d'eau


potable et tarification, INRA Sciences Sociales, Toulouse, 4 p.

OCDE, 1989, Gestion des ressources en eau - politiques intégrées, Paris.

OPHLM, 1997, Patrimoine - Gestion de l'eau : méthode d'analyse et propositions


d'actions, Les collections d'actualités HLM, 50, 52 p.

Piquet Y., 1988, Prix de l'eau en Ile-de-France - Coût de l'eau et son financement
en gestion directe, ENPC (Ecole Nationale des Ponts et Chaussées), Coût et prix de
l'eau en ville: alimentation et assainissement, Paris. 202-213.

Poquet G., 1997, Comportements et représentations de l'usage de l'eau, Cahiers de


Recherche du CREDOC, 104, 13-62.

Pouquet L. et K. Ragot, 1997, Les ménages sont-ils devenus plus sensibles au prix
de l'eau ?, Cahiers de Recherche du CREDOC, 104, 163-168.

R.I.C., 1989, La formation du prix de l'eau potable dans les communes rurales,
Ministère de l'Agriculture et de la Forêt - Direction de l'espace rural et de la forêt -
Sous-Direction du développement rural, Paris, 14 p. + annexes.

Saisatit T., 1988, Etude sur la prévision de la demande en eau en milieu urbain :
application à l'agglomération chambérienne, Thèse de Doctorat Université de
Savoir, Faculté des Sciences et Techniques, spécialité : Génie de l'Environnement
Chambéry.

45
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Tavernier Y., 2001, Rapport d'information sur le financement et la gestion de l'eau,


Assemblée Nationale, Paris. n°3081, 22 mai.

United Nations, 1997, Programme for the further implementation of Agenda 21


(S/19~2), Resolution adopted by the General Assembly at its nineteenth special
session, 19 september.

Valiron F., 1991, Gestion des eaux, Coût et prix de l'alimentation en eau et de
l'assainissement, Paris, ENPC.

Vatron F, 1990, Le prix de l'eau et sa péréquation, Université de Paris I,


Laboratoire "Gestion des Services Publics" - ENGEES, Strasbourg, Mémoire en
vue de l'obtention du Diplôme d'Etudes Approfondies de Gestion Publique, 207 p.

46
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Annexe 1 : La décomposition du prix de l’eau potable

La facture d’eau comporte trois grands postes :

La rémunération du service rendu pour la distribution de l’eau potable et


l’assainissement des eaux usées. Ce poste permet de couvrir les coûts d'exploitation
des services de distribution d'eau potable et d'assainissement (unité de
potabilisation/d'assainissement et réseaux d'eau potable/d'eaux usées) et parfois
aussi d’investissement. Ces sommes se répartissent, suivant le mode de gestion,
entre la Commune, l'éventuelle structure intercommunale ou la société privée.

Une redistribution par l’intermédiaire d’organismes mutualistes


parapubliques, partant du principe de solidarité :
- Principalement les Agences de l’Eau qui perçoivent des redevances sur
les prélèvements d’eau (« préservation des ressources ») et les pollutions émises
(« pollution »), redevances qu’elles redistribuent sous forme d’aides financières
aux collectivités lors de leurs investissements ou pour participer à la couverture des
coûts de fonctionnement des ouvrages d'épuration.
- S’y ajoute la redevance au Fonds National d’Aide au Développement des
Adductions d’Eau (FNDAE), fonds du Ministère de l’Agriculture destiné à soutenir
les services d’eau en milieu rural.

Des taxes diverses : la TVA (5.5%) et parfois une taxe au profit de


l’établissement public Voies Navigables de France (c’est une taxe hydraulique
payée par les entreprises, les agriculteurs et les collectivités locales sur la base de
leurs prélèvements et rejets). Ce sont les seuls éléments de la facture qui ne
concourent pas directement au financement des services de l'eau et de
l'assainissement.

47
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Annexe 2 : Principales études sur la demande domestique en eau potable;


In (Nauges, 1999) page 142
Auteurs Données Région Méthode Elasticité prix
1
économétrique2
Howe-Lineaweaver (1967) CT USA MCO -0,23
Gibbs (1978) CT Miami (USA) MCO -0,51
Foster-Beattie (1979) CT USA MCO -0,52
Billings (1982) ST Tucson (USA) VI -0,70
Hanke-de Maré (1982) ST Malmö (Suède) MCO -0,15
Schefter-David (1985) CT Wisconsin (USA) MCO -0,12
Chicoine et al. (1986) CT Illinois (USA) ES -0,71
Chicoine-Ramamurthy (1986) CT-ST Illinois (USA) MCO -0,48
Nieswiadomy-Molina (1989) CT-ST Denton (USA) VI/DMC -0,86/-0,36*
Boistard (1993) CT-ST France MCO -0,20 à -0,10*
-0,35 à -0,25
Point (1993) CT Gironde (France) MCO -0,17
Hewitt-Hanemann (1995) ST Denton (USA) D/C -1,63/-1,57**
Hansen (1996) ST Copenhague MCO -0,10
(Danemark)
CREDOC (1997) CT France MCG -0,12 (1989)
-0,31 (1995)
Höglund (1997) CT-ST Suède PANEL -0,20
Renwick-Archibald (1997) ST Santa-Barbara (USA) DMC -0,33
(Le Coz, 1998) CT Yerres (France) VI -0,31
(Nauges et al., 1998) ST Gironde (France) VI -0,08
Moselle (France) -0,22
(Azomahou, 2000) ST Moselle (France) PANEL -0,23
(Martinez-Espiñeira, 2002) ST Nord-ouest (Espagne) PANEL -0.12/–0.17**
1
CT pour coupe transversale, ST pour série temporelle
2
ES pour équations simultanées, D/C pour modèle à choix discret/continu ; MCO
pour Moindres Carrés Ordinaires, MCG pour Moindres Carrés Généralisés ; VI
pour Variables Instrumentales et DMC pour Doubles Moindres Carrés
* : tarification par bloc croissante et décroissante
** : élasticité prix global, somme de l’élasticité prix marginal et de celle associée à
la variable différence.
NB : en italique, études rajoutées par rapport au tableau de (Nauges, 1999).

48
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Annexe 3 : facteurs explicatifs de la consommation d’eau potable

Nous listons ici toutes les variables qui ont été décrites comme étant susceptibles
d’influer sur le montant de la consommation d’eau en France. En gras apparaissent
celles pour lesquelles un lien statistique significatif a été établi par des études
économétriques. Nous indiquons également le sens dans lequel elles jouent (+ si
plus elles sont importantes, plus la consommation est élevée, - si c’est l’inverse).

Facteurs Sens Cités par1


1. Caractéristiques de l’habitat
1.1. Géographie locale (Direction Départementale de l'Equipement 92 et al.) ;
(FNDAE, 1992) ; Site du SIARL
Température + CREDOC (1995) ; (Alexandre and Azomahou, 2000) ;
(Association des Responsables de Copropriété, 1998)
Température estivale moyenne + (Saisatit, 1988)
Pluviométrie - (Brechet, 1982; Saisatit, 1988; Alexandre and
Azomahou, 2000) ; CREDOC (1995) ; (Association
des Responsables de Copropriété, 1998)
1.2. Nature de l’habitat
Type de logement immeubles (Girardot et al., 1972) ; Mérillon (1996) repris dans le
collectifs (-) / site de l’Agence de l’Eau Artois-Picardie ; (Pouquet
maisons indi- and Ragot, 1997); (Le Coz, 1998) ; (Francheteau,
viduelles (+) 2002)
% de maisons (Nauges, 1999)
individuelles (-)
Localisation du logement campagne (-) / (Direction Départementale de l'Equipement 92 et al.)
ville (+)
Statut du logement
Statut de l’occupant Propriétaire /
locataire
Taux d’occupation Saisonnier (-) / (FNDAE, 1992; Grangé et al., 1999)
permanent (+)
Age du logement Ancien (+) / (Le Coz, 1998; Nauges, 1999)
récent (-)
Taille du logement
Surface habitable + (Azomahou, 2000)
Nombre de pièces + (Girardot et al., 1972; Pouquet and Ragot, 1997; Le
Coz, 1998)
1.3. Equipement du logement
Existence d’un compteur - (Guellec, 1995) ; (Agence de l'Eau Loire-Bretagne
1
Certaines sources citées ici ont été prises dans des articles d’autres auteurs qui y faisaient référence :
- Bouffard (2000) était cité par (2000b)
- (Brechet, 1982) et (Saisatit, 1988) étaient cités par (Le Coz, 1998)
- (Centre d'information sur l'eau, 1995) et CREDOC (1995) étaient cités par (Poquet, 1997)
- (Guellec, 1995) était cité par (Nauges, 1999)
- Mérillon (1996) : chiffres évoqués par Yves Mérillon, direction de l’eau, Ministère de
l’Environnement lors d’un séminaire.

49
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

divisionnaire and Conseil Régional de Bretagne, 1999) ; (Cambon-


Grau, 2000; Association des Responsables de
Copropriété, 2001)

Accès à la ressource unique (+) / (Le Coz, 1998) ; (Grangé et al., 1999) ; Bouffard
diversifié (-)
Taux d’équipement + (Girardot et al., 1972; Centre d'information sur l'eau,
1995; Maresca, 1997; Pouquet and Ragot, 1997;
Association des Responsables de Copropriété, 1998;
Le Coz, 1998; Nauges, 1999; Alexandre and
Azomahou, 2000)
Equipements ménagers moins - (Guellec, 1995; Agence de l'Eau Loire-Bretagne and
consommateurs d’eau Conseil Régional de Bretagne, 1999)
Contrat d’entretien de la - (Association des Responsables de Copropriété, 1998;
robinetterie Agence de l'Eau Loire-Bretagne and Conseil
Régional de Bretagne, 1999; Cambon-Grau, 2000;
Jaskulke et al., 2000)
Fuites1 + (Centre d'information sur l'eau, 1995 ; Guellec, 1995;
OPHLM, 1997; Conseil Régional de Bretagne, 2001)
Besoins en eau pour l’extérieur + Bouffard
Présence d’un jardin + (Le Coz, 1998)
Type d’arrosage asperseur (+) /
goutte à goutte (-) /
arrosage
automatisé (-)
Présence d’une piscine + (Girardot et al., 1972; Le Coz, 1998)
2. Caractéristiques du ménage
Revenu du ménage + (Direction Départementale de l'Equipement 92 et al.,
; Dufour, 1995; Pouquet and Ragot, 1997;
Association des Responsables de Copropriété, 1998)
Taux d’activité du ménage Chômage (-) (Alexandre and Azomahou, 2000)
Taille du ménage + (Girardot et al., 1972) ; CREDOC (1995) ; (Maresca,
1997; Pouquet and Ragot, 1997; Le Coz, 1998;
Grangé et al., 1999; Azomahou, 2000)
Age moyen du ménage - (Association des Responsables de Copropriété,
1998 ; Le Coz, 1998; Alexandre and Azomahou,
2000; Azomahou, 2000; Francheteau, 2002)
Catégorie socio-professionnelle Elevée (-)2 (Girardot et al., 1972; Dufour, 1995; Le Coz, 1998)
du ménage
3. Prix de l’eau
Niveau du prix de l’eau - (Brechet, 1982 ; Saisatit, 1988) ; Site du Cartel OIEau ;
(Le Coz, 1998); (Alexandre and Azomahou, 2000)
Evolution du prix de l’eau

1
Données sur les fuites : robinet en goutte à goutte, 35 m3/an ; robinet avec mince filet d’eau, 140
m3/an ; fuite d’une chasse d’eau, 175 m3/an ; robinet avec filet d’eau, 438 m3/an.
2
Les ménages appartenant à un milieu socioculturel élevé seraient économes car ils chercheraient à
éviter le gaspillage de ressources naturelles.

50
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Forte hausse - (Guellec, 1993; Maresca, 1997; Pouquet and Ragot,


1997; Francheteau, 2002)
Long terme - (Boistard, 1993a).
Evolution de la facture d’eau - (Brechet, 1982)
(= combinaison entre
l’évolution du prix de l’eau et
de la consommation)
Structure de la tarification
(monôme, binôme simple/par
paliers, etc.)
4. Actions de sensibilisation - (Agence de l'Eau Loire-Bretagne and Conseil Régional
de Bretagne, 1999) ; (Agence de l'Eau Loire-Bretagne,
1999)

51
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Chapitre 2¤

Les instruments économiques pour la gestion de l’eau :


entre concurrence et complémentarité

Marielle Montginoul

Cemagref, Unité de Recherche Irrigation,


361 rue JF Breton, BP 5095, 34196 Montpellier Cedex 5
marielle.montginoul@cemagref.fr

1. Introduction

La question de l’allocation de la ressource en eau se pose dès lors que ce


bien devient économique, c’est-à-dire quand l’eau acquiert une valeur. Cette
valorisation naît lorsque la ressource en eau est insuffisante pour répondre aux
besoins et se traduit par l’apparition de conflits d’usages. Ces conflits entre les
utilisateurs potentiels (l’urbain, l’industrie, l’agriculture, l’environnement, etc.)
peuvent être résolus de deux manières : par une action sur l’offre en augmentant la
ressource en eau disponible et/ou par une intervention sur la demande, en indiquant
aux usagers la rareté du bien à l’aide d’instruments de gestion. Les grands
aménagements permettant une augmentation de la ressource ayant déjà été réalisés
en France et les créations de nouvelles retenues d’eau ne pouvant satisfaire la
totalité de la demande, c’est souvent le problème de l’allocation d’un stock limité
qui se pose désormais.

Ce chapitre analyse les différents instruments économiques mis en place


par les acteurs de la gestion de l'eau permettant d’allouer une ressource limitée
et/ou de générer des recettes suffisantes pour couvrir les coûts de production en
s’appuyant sur des exemples concrets de gestion à l’échelle du bassin versant.
Trois types d’outils économiques sont principalement utilisés : la tarification, le
quota et le marché de l’eau (section 2). Ces instruments sont souvent considérés
comme concurrents (section 3) dans le sens où ils peuvent atteindre un même
objectif (efficience, équité, équilibre budgétaire). Toutefois, dans la pratique, ils
sont souvent combinés pour répondre simultanément à plusieurs objectifs (section,
4).

¤
Référence: Montginoul M., 2004, Les instruments économiques pour la gestion de l’eau :
entre concurrence et complémentarité, in J.P. Terreaux (Ed.), Economie des Equipements
pour l'Eau et l'Environnement, Cemagref, Antony.

52
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

2. Présentation des instruments économiques de gestion de l’eau

Les instruments que nous allons maintenant décrire permettent d’atteindre


deux types d’objectifs : (1) une répartition efficiente et/ou équitable de la ressource
en eau1 et (2) un équilibre budgétaire (ou un bénéfice) pour le gestionnaire.

2.1. La tarification

Principal instrument de gestion utilisé en France, la tarification a été au


départ conçue pour couvrir les coûts supportés par le gestionnaire puis pour allouer
l’eau de manière efficiente.

Théoriquement, une tarification est bâtie en fonction de la demande et


de l'offre. Elle tient compte de la demande pour estimer la capacité à payer des
usagers (ainsi, l’eau urbaine peut être plus chère que l’eau d’irrigation) et leur
réaction face à un prix et/ou pour allouer l'eau à l'usage qui la valorise le mieux.
Des critères d’équité peuvent être aussi intégrés : pour des objectifs
d’aménagement du territoire, un usager urbain paie parfois le même prix qu’un
usager rural pour lequel pourtant le coût d’amenée de l’eau est plus élevé
(péréquation). La tarification considère aussi l'offre et donc les coûts supportés par
le gestionnaire. Elle est alors bâtie en fonction du coût moyen historique lié à
l’amenée de l’eau à l’utilisateur ou du coût marginal (coût supporté par la dernière
unité produite). Si le coût marginal permet théoriquement d’allouer la ressource
optimalement, il est parfois difficile à déterminer du fait des nombreuses données
nécessaires (connaissance de la demande et des coûts actuels et futurs) et des
hypothèses sur l’avenir qui sont faites (en particulier du taux d’actualisation). Cela
explique que le coût marginal ne soit pas systématiquement utilisé.

Ces fondements théoriques sont ensuite traduits dans le choix d'une


structure tarifaire. Le prix de l'eau peut ainsi dépendre de la quantité réellement
consommée ou être forfaitaire, le forfait étant fondé sur une estimation de la
consommation (débit auquel l'utilisateur a accès, surface irriguée, forfait par
ménage). Les différentes structures tarifaires présentent chacune des avantages et
des inconvénients. Ainsi, la tarification forfaitaire sécurise les recettes du
gestionnaire et est facilement compréhensible par les usagers. Par contre, les
usagers n’étant pas incités à économiser de l’eau, elle induit un gaspillage de la
ressource et conduit à un sur-dimensionnement des équipements. La tarification
proportionnelle incite les usagers à économiser l’eau mais nécessite des compteurs
d’eau et peut conduire à un déséquilibre budgétaire du gestionnaire si la demande
est inférieure aux prévisions. C’est pourquoi le mode de tarification le plus souvent
utilisé est de type binôme, ce qui sécurise une partie des recettes du gestionnaire
tout en incitant à l’économie d’eau. Une tarification binôme par paliers est parfois
1
Une répartition est efficiente si l’eau est allouée entre les individus de façon à maximiser
le bien-être général ; une répartition est équitable si elle permet à tous d’accéder à la
ressource en eau.

53
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

adoptée : plus fine, elle permet d’induire le comportement de consommation


souhaité. Par paliers croissants, elle autorise l'accès de l'eau à des usages la
valorisant faiblement tout en révélant la rareté croissante de la ressource en
instaurant un prix bien plus élevé à partir d’un certain seuil. D’aspect attractif pour
le gestionnaire, elle a l’inconvénient majeur d’être plus difficilement
compréhensible par l’usager. Notons un dernier mode de tarification de l’eau,
parfois employé : la tarification saisonnière, consistant à faire payer plus cher l’eau
quand elle est rare et fortement demandée (en été) que quand elle est abondante (en
hiver).

2.2. Le système de quotas

Un système de quotas est mis en place pour allouer une ressource limitée
en plafonnant la consommation des usagers. C’est un mécanisme autoritaire dans le
sens où il contraint directement les décisions des agents au lieu de modifier
indirectement leur comportement par l'émission de signaux sur le marché.
Généralement critiqué dans la littérature économique pour sa rigidité, il est
fréquemment utilisé, en particulier du fait de sa facilité de mise en oeuvre, de son
aspect équitable et accepté par la société.

En fonction des objectifs du gestionnaire, de l'information dont il dispose et


des contraintes techniques de son infrastructure, le quota est spécifié en volume
maximum prélevable, en débit maximum prélevable ou en temps de
prélèvement autorisé. Ainsi, quand le gestionnaire dispose d'un volume connu
(souvent garanti par les stocks dans des barrages), il alloue cette disponibilité en
explicitant un volume maximum prélevable par unité de référence (unité de surface
ou par préleveur) et pendant une période donnée (saison, année). On parle alors de
quota volume. Quand le gestionnaire connaît le débit disponible dans une rivière ou
dans un réseau de canaux gravitaires et quand il attribue à chaque usager une
fraction du débit total, il instaure un quota débit. Si le quota ainsi octroyé est fixé
en valeur nominale (par exemple en mètres cube par seconde), il est équivalent à
un quota volume à durée d’utilisation identique. S’il est exprimé en pourcentage du
débit total et si ce dernier fluctue dans le temps, il permet de répartir équitablement
la variabilité de la ressource mais n'est plus équivalent à un volume garanti. Enfin,
lorsque le gestionnaire ne dispose ni de moyens de mesure des volumes prélevés
par les usagers (compteurs), ni d'information sur les débits de prélèvement
(capacité des pompes, tailles des prises d'eau), ou s'il ne peut pas répertorier tous
les préleveurs, il doit limiter le temps pendant lequel les usagers sont autorisés à
prélever. Un quota en temps de prélèvement autorisé leur est alors attribué1. Dans
la plupart des cas, une rotation de l'autorisation de prélèvement est instaurée :
chaque usager (ou groupe d'usagers) se voit attribuer un tour d'eau, c'est-à-dire une
autorisation de prélèvement spécifiée pour une date et pour une durée précise. A
l'issue de son tour d'eau, un autre usager (ou groupe) est autorisé à prélever. Le
nombre d'usagers prélevant simultanément est donc contrôlé et la quantité totale
prélevée réduite (si les capacités de prélèvement ne varient pas).
1
Les mesures de restriction d’eau prises par les préfets en cas de pénurie s’inscrivent dans
ce type d’instrument. En effet, le préfet va interdire le prélèvement d’eau, soit totalement,
soit pour un certain nombre de jours dans la semaine.

54
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Ces différents systèmes de quotas présentent des avantages et des


inconvénients. En résumé, le quota volume est le système le plus sécuritaire et le
plus équitable pour l’usager mais nécessite des compteurs. L'instauration d'un
quota temps minimise le volume d'informations nécessaires tant sur l’estimation
des ressources en eau disponibles que sur les usagers (à savoir le débit des prises
voire la quantité d’eau consommée). Cependant, le contrôle du volume d’eau
prélevé avec un quota temps est difficile, les usagers pouvant augmenter leur
capacité de pompage et donc prélever davantage en moins de temps (Labbé, Ruelle
et al., 1997). C'est pourquoi il ne doit être utilisé que pour répondre à des pénuries
exceptionnelles, les usagers n'ayant pas le temps de s'adapter.
Dans la pratique, le gestionnaire de la ressource choisit parfois de combiner
plusieurs types de quotas. Deux combinaisons sont principalement rencontrées :
d’une part, le couplage d'un quota en temps et en débit, permettant de contrôler les
volumes prélevés par chaque usager sans avoir à mettre en place des procédures de
comptage volumétrique ; d’autre part, le couplage d'un quota en débit et en
volume : le gestionnaire garantit ainsi une consommation totale inférieure ou égale
aux ressources disponibles dans les retenues d’eau tout en s'assurant que la somme
des débits prélevés est inférieure au débit disponible dans la rivière ou le canal à
chaque instant.

2.3. Les marchés de l’eau

Un marché de l’eau est, dans un contexte de rareté de la ressource, un lieu


d’échange de droits d’eau entre des individus ou des collectivités. Il est mis en
place pour maximiser le bien-être étant données les ressources, la technologie, les
préférences des consommateurs et la distribution du pouvoir d’achat mais aussi
pour répondre à une modification des conditions de production ou de
consommation lorsque l’allocation première n’atteint pas ou plus l'efficience.

Pour qu’il fonctionne, trois conditions doivent être réunies (Montginoul et


Strosser, 1999). Tout d’abord, la ressource en eau doit être inférieure aux besoins.
Ensuite, un droit d’eau doit être entièrement défini et donc être universellement
reconnu, exclusif (pour que tous les bénéfices et les coûts soient le résultat de
l’appropriation et de l’utilisation de l'eau attachée au droit), transférable (ce qui
exige en particulier une infrastructure pour transporter la quantité d'eau associée au
droit) et protégé (comme tout droit de propriété). Enfin, une allocation initiale doit
être réalisée, ce qui peut être fait selon trois principes : la proximité par rapport à la
ressource (le plus proche), la priorité temporelle (le premier) et la valeur
économique (le plus offrant). De plus, pour que le marché de l’eau soit efficient,
les effets externes doivent être pris en compte pour maximiser le bien-être de la
collectivité et non pas seulement celui des participants à la transaction.

Les marchés de l’eau observés dans la pratique sont très différents


(Strosser and Montginoul, 2001). En effet, l'objet de la transaction varie : le droit
d'eau correspond à un débit prélevable, un volume disponible ou une part de la

55
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

réserve ou du flux. Il est un droit proportionnel, donnant accès à une part de la


ressource existante, ou un droit avec priorité, donnant accès à une quantité
déterminée avec un ordre de priorité. La ressource échangée est souterraine (nappe
profonde) ou de surface (écoulement en rivière, eau stockée dans un réservoir). De
plus, le transfert est permanent (droit d'accès à la ressource) ou temporaire
(volume d'eau ou vente d'un tour d'eau) et prend la forme d’une vente, d’une
location à long terme ou saisonnière ou d’une prise d'option. Ensuite, le marché de
l’eau est organisé ou non, formel (reconnu par la législation) ou non. Enfin, les
échanges s’effectuent à l’intérieur d’un même usage ou entre usages, au niveau
individuel ou à un niveau plus agrégé (entre groupements d'usagers, organisations
publiques ou privées) à une échelle locale, régionale, nationale ou transnationale.

3. Des instruments de gestion concurrents face à un objectif particulier

Le gestionnaire peut se poser la question du choix de l'instrument


économique à mettre en œuvre pour chercher à atteindre les différents objectifs
qu’il s’est fixé en fonction des contraintes qui se posent à lui. Dans certaines
circonstances, plusieurs instruments peuvent être utilisés pour atteindre le même
objectif, en particulier pour la répartition de la ressource en eau (l’équilibre
budgétaire ne pouvant être réalisé qu’à l’aide de l’outil tarifaire). Ils sont alors
concurrents.

Le choix de l'instrument le plus adapté au contexte spécifique se pose alors.


Pour cela, le gestionnaire doit prendre en compte les caractéristiques propres de
son système, à savoir le niveau de rareté de la ressource en eau et de la variabilité
de l’offre, le degré de sensibilité de la demande par rapport au prix de l’eau et
l’information dont il dispose.

3.1. Rareté de la ressource en eau

Si la ressource en eau est abondante, l’eau étant alors considérée comme un


« bien libre », la mise en place d’outils de gestion pour la répartition de l’eau n’est
pas nécessaire. Par contre, lorsque la somme des besoins des consommateurs
potentiels (agriculture, industrie, alimentation en eau potable, environnement) est
supérieure à la ressource disponible, une situation de pénurie apparaît et l’eau
devient un « bien économique » qui nécessite l’instauration d’un outil pour répartir
la rareté. L’instrument choisi sera efficace s’il permet de résorber l’excès de
demande.

Les trois instruments économiques de gestion de l’eau sont alors


concurrents car ils permettent de répartir la ressource en eau. Mais leur
concurrence est réduite par le fait qu’ils ne le font pas de la même manière, certains
permettant d’allouer la ressource limitée équitablement, d’autres de manière
efficiente : le quota (en particulier le quota-volume), qui alloue l’eau
autoritairement, est l’instrument pouvant permettre de répartir équitablement la
pénurie. Le marché de l’eau, par auto-régulation, permet une réallocation efficiente
de la ressource en eau, que le quota ne peut réaliser a priori car il n’est pas alloué

56
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

selon une volonté de maximisation du bien-être collectif. Enfin, la tarification ne


garantit pas systématiquement le non dépassement de la quantité maximale et peut
permettre une répartition équitable ou efficiente de la ressource en fonction de la
structure tarifaire adoptée. Par exemple, si la tarification forfaitaire ne garantit pas
une répartition efficiente de la ressource, une tarification par paliers croissants peut
y parvenir.

Au-delà de leur capacité à atteindre un objectif d’équité et/ou d’efficience,


les instruments ne permettent pas de résoudre de la même manière la pénurie d’eau
si elle est structurelle ou conjoncturelle. Ainsi, seul le marché de l’eau permet de
répondre aux deux types de crises puisqu’il réalloue l’eau en fonction de l’offre et
de la demande. Par contre, les deux autres instruments doivent être adaptés : ainsi,
pour une crise conjoncturelle, un quota-temps ou une tarification exceptionnelle
doit être mis en place. En cas de crise structurelle, l’instauration d’un quota volume
ou une tarification de pointe (s’il existe des demandes saisonnières) ou croissante
(si la demande suit une tendance croissante) est nécessaire.

3.2. Variabilité de l’offre

Un changement dans l’offre1 peut être pris en compte par les différents
types d’instruments. Toutefois, ces instruments sont toujours définis par rapport à
une année de référence. Ainsi, quand la demande en eau augmente, le quota
garantit une quantité maximale d'eau prélevée dans les cours d'eau, tandis que la
tarification (elle aussi rigide à moyen terme) entraîne une augmentation de la
quantité d'eau consommée.

Prix Quota = ressource Prix Quota Ressource disponible


disponible

Courbe de demande (fixe)


Courbe de demande (fixe)

Tarification Tarification

Q1 Q2 Quantité Q1 Q2 Quantité

Demande excédentaire Perte valorisée en terme de surplus collectif

Année déficitaire Année excédentaire

Figure 1: Tarification et quota


en fonction de la rareté de la ressource en eau

Lorsque la rareté de la ressource en eau varie, les deux modes de gestion


peuvent avoir des impacts non souhaités (figure 1) : en année sans contrainte forte
sur la ressource en eau, le quota apparaît comme un instrument de gestion trop
1
Le même raisonnement peut être conduit lorsque la demande est variable, par exemple du
fait des variations climatiques.

57
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

pénalisant pour les usagers : son instauration, limitant artificiellement la


consommation en eau, provoque une perte de surplus collectif (en supposant que
l’eau économisée n’est pas valorisée par un autre usage). Les agriculteurs, par
exemple, auraient pu en effet augmenter leurs rendements et donc leur revenu avec
une quantité d’eau supérieure. Par contre, quand la contrainte sur la ressource est
forte, une tarification progressive par paliers dont la structure est fondée sur
l’année normale n’est pas suffisante pour limiter la consommation : ainsi, les
agriculteurs sont alors prêts à payer l’eau à un prix élevé pour sauver leurs cultures.
Une quantité d’eau excédant la ressource serait alors consommée.

Ainsi, le surplus résultant de l’instauration d’un instrument pour une


longue période n’est pas distribué aux mêmes usagers. Par exemple, en instaurant
des quotas d’eau pour l’usage agricole tels qu’ils garantissent un débit minimal
d’étiage neuf années sur dix, l’agriculture souffre des effets d’une pénurie
constante et, en année où la ressource n’est pas contrainte, ce sont les autres
secteurs (la rivière, l’environnement, etc.) qui bénéficient de l’excès d’eau. A
l’inverse, si une tarification correspondant à une situation de pénurie normale est
instaurée, c'est l'environnement et les autres secteurs qui souffrent d’une crise
conjoncturelle. En effet, quand une pénurie survient, l'agriculture n'est pas incitée à
économiser, la valeur marginale de l'eau devenant alors bien supérieure au prix, ce
que nous allons développer maintenant.

3.3. Sensibilité de la demande

Les instruments de gestion de l’eau sont concurrents quand la demande est


sensible au prix de l’eau. En effet, si la demande est rigide face à une variation de
prix, aucun instrument d'ordre incitatif ne peut alors pousser les usagers à réduire
leur consommation en eau ni à échanger entre eux. Dans ces conditions, les usagers
ne modifiant pas leur comportement de consommation en eau face à une variation
du prix, seul un instrument permettant une allocation autoritaire de la ressource en
eau (tel le quota) et donc de mettre en œuvre des procédures de rationnement pour
contraindre les usagers à ne pas dépasser un certain volume pourra être mobilisé.

Le choix de l’instrument lorsque la demande est sensible au prix dépend


alors de l’objectif à atteindre (équité ou efficience) et de la manière d’y parvenir
(autoritairement ou de manière incitative).

3.4. Coûts de mise en oeuvre

La concurrence des instruments de gestion dépend également de la nature


des informations à collecter par le gestionnaire et plus généralement des coûts de
mise en œuvre du système de gestion de l’eau proposé. En effet, trois types de
coûts interviennent : les coûts d’information sur la ressource, les acteurs et leurs
comportements, les coûts de mise en place de l’instrument choisi et les coûts de
contrôle (en particulier contrôle des engagements pris par les acteurs en termes de
consommation en eau, etc.). Or ces coûts dépendent du mode de gestion, ce qui est
un facteur important dans le choix de l'instrument. Ainsi, la tarification nécessite la

58
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

connaissance de la fonction de demande en eau et, sauf en cas de forfait, de la


quantité d’eau consommée. Si cette courbe est mal estimée, des déséquilibres et des
gaspillages se produisent. Pour déterminer le quota, le gestionnaire a besoin de
connaître l’élément de base de la facturation (la surface irriguée, le nombre de
personnes constituant le ménage, etc.) et, en cas de quota-volume, l’eau
consommée. Enfin, pour que le marché de l’eau fonctionne de manière optimale,
les participants potentiels au marché doivent être connus.

3.5. Bilan : quel instrument dans quel environnement ?

Nous avons vu que les instruments de gestion sont concurrents dans le sens
où plusieurs d’entre eux permettent de répartir la ressource en eau. Toutefois, cette
concurrence est amoindrie par le fait qu’ils ne peuvent pas tous tenir compte des
contraintes qui se posent au système (rigidité de la demande par rapport au prix,
coût de mise en place, etc.) et d’atteindre certains objectifs. Le tableau 1 positionne
ces différents instruments en fonction de l’objectif du gestionnaire (répartition
efficience, répartition équitable, équilibre budgétaire). Deux contextes ont été
distingués pour l’efficience : en statique, l’environnement est stable, tandis qu’en
dynamique l’outil de gestion doit prendre en compte le fait que l’état de
l’environnement évolue.

Répartition efficiente Répartition équitable Equilibre


Statique Dynamique budgétaire
Tarification 1. Proportion- 1. Conjoncturel : t° 1. t° identique sur une t° forfaitaire
nelle exceptionnelle zone hétérogène
2. t° de pointe 2. Structurel : t° 2. t° par paliers
3. Taxe croissante croissants (si les
environne- annuellement défavorisés utilisent peu
mentale d’eau)
Quota Volume 1. Conjoncturel : Volume Non pertinent
temps
2. Structurel : volume
Marché de Non pertinent 1. Conjoncturel : Non pertinent Non pertinent
l’eau (ce serait une banque d’eau ou
allocation) marché à option ;
2. Structurel : auto-
réalisation
Tableau 1 : Types d’instruments de gestion de l’eau efficaces en fonction des
objectifs à atteindre (t°°: tarification)

4. Des instruments complémentaires pour l’atteinte simultanée d’objectifs


différents

Dans la réalité, le gestionnaire de la ressource en eau doit identifier un


mode de gestion permettant d’atteindre simultanément plusieurs objectifs (équité,
efficience et équilibre budgétaire), ce qui est difficile à réaliser à l’aide d’un seul
instrument. Une combinaison d’instruments permet alors de concilier des objectifs
différents. Ainsi, des quotas (souvent mis en place pour répondre à des objectifs

59
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

d’allocation équitable) sont fréquemment associés à une tarification (instaurée alors


pour des contraintes d’équilibre budgétaire). Parfois, des marchés de l’eau sont
alors instaurés pour permettre une meilleure valorisation de la ressource, ce qui
permet d’atteindre simultanément les trois objectifs.

4.1. Quotas et tarification

La combinaison la plus fréquente, et la seule utilisée en France pour l’eau


d’irrigation, est celle d’un système de quotas avec une tarification. Le quota
permet de contraindre la consommation des usagers, soit dans un objectif d’équité,
soit parce que la demande est inélastique. La tarification garantit alors l’équilibre
budgétaire. Ainsi, en France, le quota et la tarification sont combinés différemment
selon que les acteurs appliquent une gestion comme celle du système Neste ou du
bassin de la Charente.

Dans le système Neste, le gestionnaire, la Compagnie d’Aménagement des


Coteaux de Gascogne (CACG) cherche simultanément à répartir équitablement la
ressource en eau qui est rare et variable et à équilibrer son budget (Hurand, 1994).
Les deux instruments utilisés (quota et tarification) sont combinés différemment
selon l’état de la ressource (défini par rapport au nombre de quotas distribués
correspondant à une quantité d’eau maximale consommée) : (1) en situation de
pénurie d’eau (situation normale), un quota débit-volume (4000 m3 par litre par
seconde souscrit) est associé à une tarification forfaitaire ce qui permet
simultanément de répartir équitablement la pénurie et d’équilibrer le budget. Quand
la ressource en eau est supérieure au quota autorisé (2), une tarification par paliers
croissants1 se substitue au système précédent. Elle garantit l’équilibre budgétaire et
une allocation efficiente de l’eau, le prix associé au second palier (0.58 F/m3 en
1996) étant un signal de la rareté croissante de la ressource. Ainsi, le système de
base est ici constitué par un quota permettant une répartition équitable de la
pénurie et une tarification forfaitaire pour assurer l’équilibre budgétaire. Ce
système est assoupli lorsque la ressource en eau est moins contrainte par
l’autorisation de dépassement du quota utilisé, ce qui se traduit par l’instauration
d’une tarification par paliers.

Le fleuve Charente est, quant à lui, caractérisé par une forte variabilité de
la ressource en eau. Pour résoudre ce problème, les acteurs ont décidé de combiner
une tarification binôme par paliers croissants (par l’imposition d’un prix dissuasif
en cas de dépassement des volumes de référence) et un quota-temps (interdictions
avec tour d’eau) lorsque la ressource en eau est insuffisante. Dans ces conditions,
une tarification est construite pour inciter les agriculteurs à économiser de l’eau : il
s’agit du mécanisme principal d’allocation de la ressource, celui qui détermine le
niveau de consommation de chaque irrigant. Ainsi, le système de base dans le cas
de la Charente est l’instauration d’une tarification incitative pour répondre à une
sécheresse moyenne et permettre l’équilibre budgétaire (ici partiel) du
gestionnaire. En cas de pénurie d’eau plus importante, un système de quotas
1
Plus exactement, la tarification peut être assimilée à une tarification avec volume
forfaitaire, le quota restant en vigueur mais les agriculteurs étant autorisés à consommer
davantage d’eau sous contrainte d’un paiement supplémentaire.

60
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

(interdictions de prélèvement et tours d’eau) est ajouté, ce qui garantit, dans la


limite des comportements des agriculteurs (qui peuvent contourner l’interdiction),
un débit minimal dans le fleuve.

QUOTA TARIFICATION
Eau rare M1 M2 M3 M4 M5 M6 Eau abondante
Rigidité Quota volume Tarification Quota temps Tarification Tarification Tarification Souplesse
(avec sanctions) par paliers et tarification par paliers proportionnelle forfaitaire
(avec palier binôme simple (avec paliers ou binôme simple
dissuasif) incitatifs)

Figure 2: Tarification et/ou quota, dans quelle situation ?

En conclusion, la tarification et le quota sont utilisés modulairement en


fonction de leur caractère plus ou moins rigide par rapport à une évolution de la
demande et de leur adéquation à l’évolution des besoins en eau d’irrigation (figure
2) : quand la ressource en eau est abondante, la tarification forfaitaire (mode de
gestion M6) est la plus adaptée et permet aux usagers de consommer la quantité
d’eau désirée sans contrainte tout en garantissant l’équilibre budgétaire du
gestionnaire. Progressivement, quand l’eau devient rare, une tarification prenant en
compte le volume d’eau consommé doit être mise en place : tout d’abord
proportionnelle (M5), puis par paliers croissants (incitatifs à l’économie d’eau mais
sans décourager la consommation, M4, puis dissuasifs, M2). Un quota temps couplé
à une tarification binôme simple permet de gérer les situations exceptionnelles de
pénurie mais laisse aux agriculteurs la possibilité de consommer davantage en
augmentant leur capacité de pompage (M3) ; un quota volume impose une limite à
la consommation, l’offre en eau étant alors rigide (M1).

4.2. Quotas et marché de l’eau

Un système de quotas peut constituer le mécanisme d’allocation de la


ressource entre les usagers et permettre, par exemple, d’atteindre un objectif
d’équité. Pour augmenter la flexibilité du système et donc son efficience globale,
des échanges d’eau peuvent être autorisés en fonction du quota détenu par chaque
usager. Ainsi, la combinaison quota - marché de l’eau permet d’atteindre
simultanément l’efficience (via les réallocations en fonction de la valeur marginale
dans chaque usage) et l’équité (chaque usager recevant un quota peut soit l’utiliser,
soit décider de le vendre sur le marché).

De tels mécanismes de réallocation pourraient être instaurés en France


lorsque les allocations initiales ne correspondent plus aux besoins exprimés. Par
exemple, dans le système Neste, une liste d’attente répertoriant les agriculteurs
souhaitant accéder à l’irrigation ou augmenter leur surface irriguée est constituée
pour définir un ordre de priorité dans l’attribution des quotas libérés par l’arrêt de
l’irrigation chez certains agriculteurs. Ce système pourrait être amélioré en rendant
négociables les quotas d’eau. Toutefois, les transferts ne pourraient se faire que

61
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

pour une année, la législation française n’ayant pas défini de droits d’eau (seules
des autorisations annuelles sont données).

La définition des droits d’eau est la principale différence des systèmes de


gestion de l’eau qui sont rencontrés dans d’autres pays comme les Etats-Unis où
des droits d’appropriation ont été initialement attribués. Ces droits, qui
s’apparentent à des quotas d’eau, ne reflètent plus les besoins actuels car ils ont été
attribués longtemps auparavant. Des marchés de droits se sont alors constitués, se
traduisant le plus souvent par une location ou une vente de droits d’eau par les
agriculteurs au profit des villes. Par exemple, pour répondre à de fortes sécheresses
(1991 et 1992), des banques d’eau ont été instaurées en Californie (Bhatia, Cesti et
al., 1995). Réunissant en un même lieu les détenteurs de droits d’eau
(essentiellement des agriculteurs) et les demandeurs potentiels d’eau, elle ont
permis de faciliter les transferts d’eau vers les usages considérés comme prioritaire
(c’est-à-dire ceux n’ayant pas ou pas assez de droits d’eau pour assurer la survie
des hommes et des espèces vivant dans le milieu aquatique). Ces banques d’eau
connaissent toutefois des limites : elles ont été imposées par l’Etat, les agriculteurs
étant obligés de « louer » leur droit d’eau pour une durée de trois ans lorsqu’un
usage jugé prioritaire réclamait ce droit. La loi de l’offre et de la demande n’a pas
non plus fonctionné : c’est l’institution chargée de la banque d’eau qui déterminait
le prix de vente du droit et non la confrontation de l’offre et de la demande. Ainsi,
pour qu’il n’y ait pas de spéculation, elle fixait un prix en rapport avec la perte
subie par les agriculteurs. Ce système de vente d’eau à court terme ne peut donc
exister qu’exceptionnellement en cas de sécheresse conjoncturelle.

D’autres systèmes ont été créés pour permettre une réallocation du droit
d’eau sur le long terme. Ainsi, dans le sud-ouest des Etats-Unis, des marchés pour
l’eau souterraine ou de surface fonctionnent. Ils permettent de transférer des droits
d’eau de l’usage agricole (premier usage historiquement et donc celui possédant les
droits) vers les villes. Mais il est alors nécessaire de prendre en compte les
conséquences sur les personnes ne participant pas à l’échange mais que sont
affectées (les « tiers ») ce qui réduit de ce fait les quantités échangées (Saliba,
1987).

4.3. Quotas, tarification et marché de l’eau

Les trois instruments sont parfois combinés. Ainsi, au Pakistan (pays doté
du plus grand périmètre irrigué du monde), une allocation initiale lors de la
domination britannique a consisté en la mise en place d’un système de quotas
répondant à un souci d’équité (Jurriens and Mollinga, 1996). Schématiquement,
tout acre cultivé a droit d’accès à l’eau (exprimé en temps de prise d’eau, donc en
tours d’eau). En parallèle, une tarification forfaitaire est instaurée pour financer le
coût du système. Toutefois, ce système ne permet plus de maximiser la production
agricole, les droits d’eau n’ayant pas évolué depuis la conception. Comme un
changement brutal n’est pas envisageable pour des raisons d’acceptabilité, la

62
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Banque Mondiale propose d’instaurer des marchés de l’eau, en transformant les


quotas en droits d’eau échangeables sur un marché. La mise en place de ce marché
est d’autant plus pertinente que des échanges d’eau informels sont déjà constatés,
en particulier pour l’eau souterraine (Rinaudo, Strosser et al., 1997).

Ces marchés permettraient d’augmenter l’efficience du système,


l’allocation initiale étant essentiellement fondée sur des critères d’équité.
Toutefois, ils ne peuvent pas être instaurés à toutes les échelles (Strosser, 1997),
car leur mise en œuvre est coûteuse : par exemple, les canaux primaires
(correspondant aux plus grandes unités hydrauliques) ne peuvent pas supporter des
variations de volume d’eau transportée de plus de 30%. Comme ces unités sont
souvent identiques en terme de caractéristiques économiques moyennes de la
population des agriculteurs, les gains de productivité espérés sont limités. Les
marchés de l’eau ne fonctionneraient qu’à la marge. C’est pourquoi, à ce niveau,
les exigences en matière d’organisation et les coûts (de collecte d’information, de
confrontation entre les acheteurs et les vendeurs potentiels) semblent prohibitifs par
rapport aux gains de productivité espérés.

Les trois instruments peuvent être utilisés pour atteindre trois objectifs
parfois contradictoires : l’équilibre budgétaire du gestionnaire (grâce à une
tarification de l’eau), l’équité (à l’aide de l’instauration de quotas qui permettent
une allocation initiale équitable) et l’efficience avec les marchés de l’eau (qui
permettent des réallocations après l’allocation initiale). Ces instruments ne doivent
cependant pas être mis en place systématiquement à tous les niveaux, mais
uniquement lorsque les bénéfices espérés sont supérieurs aux coûts induits.

5. Conclusion

Ces quelques exemples choisis en France et à l’étranger montrent que les


instruments de gestion de l’eau sont souvent combinés pour permettre de répondre
simultanément (1) à des contraintes locales (d’offre, de demande et de niveau
d’information), (2) à plusieurs objectifs simultanément (équilibre budgétaire du
gestionnaire, répartition équitable et efficace), (3) tout en gardant la souplesse par
rapport à la variabilité de l’environnement naturel et économique.

L’analyse développée ici explique la diversité des instruments rencontrés


dans la pratique. Parfois, ce sont les conditions externes (le contexte) qui priment et
déterminent les instruments possibles, ne laissant que peu de choix au gestionnaire.
De manière générale, les trois principales caractéristiques de l’environnement
conditionnant le choix d’un instrument sont le niveau de rareté de la ressource en
eau, le degré de sensibilité de la demande en eau et la quantité d’informations
requises pour qu’il soit efficace quant à l’objectif recherché. Ainsi, quand la
demande est inélastique, peu de solutions existent à part le quota. Parfois, au
contraire, les conditions externes permettent d’adopter plusieurs instruments, c’est
l’objectif retenu par le gestionnaire qui détermine alors le choix. Enfin, l’objectif
du gestionnaire ayant en général plusieurs facettes, une combinaison des
instruments est rendue nécessaire. Ainsi, l’atteinte des trois objectifs est

63
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

envisageable, par l’utilisation de la tarification pour équilibrer le budget, du quota


pour allouer l’eau équitablement et des marchés de l’eau pour la réallouer de
manière efficiente.

Toutefois les instruments doivent, pour être efficaces, être utilisés si


certaines conditions sont réunies. Un cadre législatif ou réglementaire doit exister
pour indiquer les objectifs prioritaires et créer des organes de gestion adaptés ; de
plus, la gestion de l’eau envisagée doit avoir un bénéfice social net ; enfin, les
instruments de gestion de l’eau doivent pouvoir être mis en place, ce qui nécessite
une acceptation par la société, une infrastructure adaptée et des organes
garantissant leur application. Si l’objectif est l’efficience, l’instrument à adopter
doit indiquer la rareté de la ressource, être facilement compréhensible par les
usagers pour ne pas induire de comportements « irrationnels », être stable dans le
temps et tenir compte de l’incertitude sur l’offre et des augmentations possibles de
la demande.

Références bibliographiques

Bhatia R., R. Cesti et J. Winpenny, 1995, Water conservation and reallocation :


best practise cases in improving economic efficiency and environmental quality.
UNDP-World Bank, 102 p.

Hurand P., 1994, Water management in the Neste system (France), Engineering
Risk in Natural Management, 435-448.

Jurriens R., et P. Mollinga, 1996, Scarcity by design : protective irrigation in India


and Pakistan, ICID Journal, 45, 2, 31-53.

Labbé F., P. Ruelle, P. Garin, P. Leroy, J.-C. Mailhol et J. M. Deumier, 1997,


Pratiques d'irrigation au niveau de l'exploitation agricole et analyse de la gestion de
l'eau en situation de manque: étude de cas en Charente, Actes du colloque de la
CIID, Oxford.

Montginoul M. et P. Strosser, 1999, Analyser l'impact des marchés de l'eau : pour


une meilleure prise en compte de la rigidité des systèmes de distribution d'eau et de
l'hétérogénéité spatiale, Economie Rurale, 254, 20-27.

Rinaudo J.-D., P. Strosser et T. Rieu, 1997, Linking water market functioning


access to water resource and farm production strategies, Journal of Irrigation and
Drainage Systems, 11, 261-280.

Saliba B. C., 1987, Do water markets "work"? Market transferts and trade-offs in
the southwestern states, Water Resources Research, 23, 7, 1113-1122.

Strosser P., 1997, Analysing alternative policy instruments for the irrigation sector
- an assessment of the potential for water market development in the Chishtian

64
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Sub-division, Ph.D. Thesis Wageningen Agricultural University, Netherlands, 343


p.

Strosser P. et M. Montginoul, 2001, Vers des marchés de l'eau en France ?


Quelques éléments de réflexion, Annales des Mines, Responsabilité et
Environnement, 23, 13-31.

65
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Chapitre 3¤
Renouvellement des réseaux d’eau potable :
Quels coûts prendre en compte et comment les évaluer?

Caty Werey*, Jean-Luc Janel**, Eugène Weber***

*U.M.R. Cemagref – ENGEES en « Gestion des Services Publics »


1, quai Koch, BP 1039F, 67070 Strasbourg cedex
caty.werey@cemagref.fr

** Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt de Meurthe et Moselle


travaux réalisée au sein de l’UMR GSP

*** in memoriam

1. La problématique du renouvellement des réseaux d'eau potable

Un quart du réseau français de distribution d’eau potable est estimé avoir


plus de 50 ans. Le maintien en état de ces infrastructures laisse présager de
nombreux travaux de réhabilitation ou de renouvellement, dont le phasage dans le
temps devra être géré avec soin. L’évolution de la réglementation impose de plus
lourds investissements aux collectivités. Les contraintes financières plus fortes
obligent ces collectivités à mieux argumenter leurs choix d’investissement et à se
tourner vers une logique de planification à long terme. Jusqu’à présent, les
décisions de renouvellement sont principalement fonction du taux de défaillances
et se trouvent étroitement liées aux travaux de voirie. Le processus de décision est
essentiellement curatif ; la mise en place de méthodologies de programmation des
besoins en renouvellement s’avère donc nécessaire.

Des modèles d’aide à la décision commencent à être développés, les uns


dans une optique de planification pluriannuelle du renouvellement du réseau
(Karaa 1984, Herz 1996, CARE-W 2001…) en vue de prévoir les budgets et les
politiques de renouvellement à mettre en œuvre, d’autres pour la construction des
programmes annuels de travaux donc pour aider aux choix des secteurs et
conduites à renouveler (Andreou 1986, Kennel 1992, Werey 2000a 200b, Le
Gauffre & alii. 2001…). Les études réalisées s’appuient sur des éléments
techniques pour modéliser le vieillissement ou la qualité de l’eau (Eisenbeis 1994,
Malandain 1999…) et sur des données socio-économiques (Kennel 1992, Werey
2000a, 2000b…). Ainsi l’arbitrage « réparer ou renouveler » est souvent au centre
des débats. Il pose la question des coûts à prendre en compte et de leur évaluation.

¤
Référence: Werey C., J.-L. Janel, E. Weber, 2004, Renouvellement des réseaux d’eau
potable: Quels coûts prendre en compte et comment les évaluer? in J.P. Terreaux (Ed.),
Economie des Equipements pour l'Eau et l'Environnement, Cemagref, Antony.

66
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Nous nous focalisons, ici, sur le renouvellement des conduites d’eau


potable et nous intéresserons, d’une part aux coûts directs liés aux travaux de
renouvellement ou à l’intervention de réparation, d’autre part aux coûts indirects ou
coûts sociaux engendrés par les travaux ainsi que par l’incident qui a nécessité une
réparation. En effet, les coûts directs ne sont pas les seuls à devoir être pris en
compte dans le processus de décision, il est nécessaire de tenir compte de la
localisation de la conduite dans le tissu urbain et de l’effet d’une défaillance sur les
différents usagers.

Toute réflexion sur le renouvellement nécessite de réaliser un inventaire


des conduites permettant de connaître au minimum le diamètre, la nature du
matériau , la longueur et si possible la date de pose (Janel & alii. 2001). D’autres
éléments sur l’environnement de la conduite (position sous trottoir ou sous
chaussée, nature du sol,…), la fonction hydraulique du tronçon (transfert,
distribution…), l’architecture du réseau (maillé, antenne), la spécificité des
consommateurs (domestique, industriel, hôpital….) permettent d’envisager des
démarches plus fines. Toute démarche de programmation nécessite de connaître
d’abord l’état du réseau et de mettre en place les outils pour suivre son évolution
(mesures, base de données…).

2. Comment évaluer les coûts directs?

2.1. Les coûts de renouvellement

Deux approches peuvent être utilisées, l’une s’appuyant sur les coûts
historiques, c’est à dire les données d’archives relatives à la construction des
différents éléments du réseau, c’est un coût de renouvellement à l’identique qu’il
faut actualiser, l’autre faisant référence à une valeur à neuf, c’est à dire, au coût
d’un renouvellement avec les techniques et les matériaux mis en œuvre
actuellement. Deux échelles d’évaluation sont envisageables :

- A l’échelle globale du réseau


Elle consiste à raisonner à l’échelle du réseau ou à diviser un réseau en 4 ou 5
zones. On peut déterminer un coût moyen à partir de données de travaux réalisés
dans le service en exploitant les factures ou les décomptes de travaux. Une étude
réalisée en 1992 (Kennel 1992) sur un échantillon de 9 km des conduites
renouvelées en 1991, en divisant un réseau urbain en 4 secteurs géographiques, a
abouti aux coûts de renouvellement au mètre linéaire présentés dans le tableau 1.

En utilisant le taux d’inflation données par l’INSEE ou les valeurs des


index TP d’évolution des prix on peut ramener ces valeurs en euros 2002. Cette
méthode est fondée sur la notion de moyenne sur un secteur géographique, ce qui
permet de tenir compte des spécificités de chaque secteur. Ceci est vrai en
particulier ici, pour le secteur centre, dans lequel la réalisation des travaux est
soumise à des sujétions spécifiques. Cette approche s’appuie sur les données du
service en question.

67
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Coût de Minimum Maximum Minimum Maximum Moyenne


renouvelleme sans sans avec avec avec
nt branchements branchement branchements branchement branchements
Secteur centre 1 577 F1991 3 606 F1991 2 060 F1991 3 991 F1991 2 745 F1991
Secteur 696 F1991 986 F1991 1 145 F1991 1 343 F1991 1 244 F1991
nord
Secteur ouest 576 F1991 1 222 F1991 726 F1991 2 963 F1991 1 028 F1991
Secteur 648 F1991 1 008 F1991 864 F1991 1 667 F1991 1 230 F1991
sud
Tableau 1: coûts de renouvellement, au ml, par secteur (Kennel 1992)

Une autre méthode consiste à reconstituer des coûts pour raisonner en


valeur à neuf (Grand d’Esnon & alii 2000), par mètre linéaire de conduite, à
appliquer au linéaire de réseau de la zone. Cette valeur à neuf tient compte des
matériaux et des spécifications de pose actuelles, elle peut être déterminée à partir
de bordereaux de prix ou de factures récentes.

Ces méthodes nécessitent peu de données mais, elles ne tiennent pas


compte des spécificités des tronçons ni surtout du fait que, sur une période de
temps donnée les renouvellements peuvent porter sur des ensembles de conduites
non représentatifs de la situation moyenne globale.

- A l’échelle de la conduite ou du tronçon

Une première approche peut consister à s’appuyer sur des données


d’inventaire de type : matériau, diamètre, longueur et à appliquer un coût moyen
sur un groupe de conduites de mêmes caractéristiques techniques. Ce coût moyen
est, comme précédemment, issu de bordereaux de prix ou de factures récentes.

Une approche plus fine est envisageable à l’échelle d’un tronçon (défini
comme un élément de conduites homogène pour les différents paramètres), si des
données d’environnement sont disponibles.

Une fonction de coût peut être établie en différenciant les coûts de


terrassement et ceux de pose pour la conduite et les branchements et en définissant
un profil type de tranchée pour chaque configuration possible. Cette méthode
permet de tenir compte du nombre de branchements réels sur le tronçon, du type de
matériau, de la nature du terrain, de la nature du revêtement de surface…

La valeur à neuf d’un tronçon Vtron peut être définie par la relation suivante
(Janel & alii, 2001)

Vtron = α ⋅ β ⋅ [Vter + Vcana ⋅ γ + Vbt ] (1)

avec:
Vter valeur à neuf des terrassements sur la longueur du tronçon,
Vcana valeur à neuf de la fourniture et pose des canalisations constituant le tronçon,

68
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Vbt valeur à neuf des branchements du tronçon


γ coefficient multiplicateur pour tenir compte des équipements sur la conduite
(ventouse, vidange…)
α coefficient multiplicateur d’une série de prix de référence pour tenir compte de
conditions locales
β coefficient multiplicateur pour tenir compte des frais supplémentaires liés à la
maîtrise d’œuvre, à la coordination sécurité, aux imprévus, etc.

Le Tableau 2 montre les données qui peuvent être prises en compte pour
déterminer les différents coûts :

données utilisées pour les coûts de :


terrassements fourniture et pose de
conduites
matériau de la conduite X
diamètre X X
longueur X X
trafic X
nature du sol X
occupation du sol X
fonction de la conduite X
Tableau 2 : données utilisées pour des différentes composantes
du coût de réparation (Janel & alii 2001)

Cette méthode d’évaluation a été mise au point et appliquée sur les données
recueillies par le Conseil Général du Bas-Rhin à l’occasion de l’inventaire
départemental des réseaux d’eau potable réalisé en 2000. L’information sur les
branchement n’étant pas assez précise ; un coût pour les branchements a été
déterminé à partir du nombre et de la longueur moyenne des branchements par
matériau.

Cette méthode permet une détermination plus fine du coût de


renouvellement de chaque tronçon présent dans la base de données inventaire tout
en évitant un métré individualisé pour chaque tronçon.

L’évaluation du coût de renouvellement à l’échelle du tronçon est plus fine


et permet de connaître plus précisément les enveloppes financières à mettre en
œuvre ; elle nécessite d’avoir les données suffisantes pour pouvoir être appliquée.

2.2. Les coûts de réparation

Les coûts de réparation peuvent être évalués en partant d’un historique de


réparations, qui peut permettre, soit d’identifier la réparation la plus fréquente et de

69
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

déterminer le coût de cette intervention à partir d’un référentiel de coûts ou de


données de coûts enregistrées avec les réparations, soit d’exploiter l’ensemble des
données enregistrées sur les réparations à croiser éventuellement avec des données
d’environnement de la conduite.

La première approche consiste à déterminer une intervention standard, en


l’occurrence:« pose d’un manchon ». Nous citons en exemple, 2 méthodes
d’évaluation :

- Un premier exemple de détermination du coût de réparation noté C r , sur des


données américaines, est donné par la relation suivante (Walski & Pellicia 1982) :

C r = main d ' oeuvre + équipement + manchon + repavage + frais généraux (2)

avec :
coût de la main d’œuvre = coût horaire d’une équipe de 3 hommes et d’1 engin
durée de l’intervention = 6,5*diamètre0,285
coût pour l’équipement (compresseur, compacteur) : une même valeur pour tous les
diamètres
coût du manchon = fonction de la longueur, l’épaisseur, le diamètre de la
conduite…
coût du repavage, au m2, sur une longueur de 3,60m, avec des largeurs de
tranchées fonction du diamètre de la conduite
frais généraux = 20% du coût de réparation total, pour frais de contrôle et imprévus

- Un second exemple, provient de données françaises en secteur urbain (échantillon


de 112 interventions) (Grenier 1996). Le tableau 3 présente les quantités et durées
standards déterminées pour chaque élément constitutif de l’intervention « pose
d’un manchon » :

Durée Main compresseur motopompe


d’ouverture d’œuvre
Valeur 1 à 5 jours 27 h 0,8h 1,6h
moyenne
pelleteuse camion remblai manchon

Valeur 2,5h 2,9h 4,4t 1


moyenne

Tableau 3 : quantités et durées standards pour une réparation (Grenier 1996)

Les taux horaires pour la main d’œuvre sont déterminés de la façon suivante :

70
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

masse salariale + frais d ' habillemen t + frais divers (3)


taux mo =
coef d ' absence ∗ nombre d ' heures payées

et pour les véhicules et les machines :

entretien cumulé + réparation s cumulées + équipement s cumulés


amort . + carburant an +
age du véhicule
taux v =
nombre d ' heures d ' utilisatio n
(4)

Les taux horaires ainsi déterminés et les prix unitaires pour le remblai et le
manchon permettent de déterminer un coût standard pour l’intervention « pose
d’un manchon ».

Ces deux exemples s’appuient sur des données spécifiques au service mais
après traitement donnent un coût moyen, standard, pour toute intervention.
La première démarche utilisée pour le coût de renouvellement à partir de
factures est également applicable ici, elle permet de tenir compte de tous les types
de réparations et non seulement de la mise en place d’un manchon qui certes est
majoritaire mais est considéré comme exclusif dans les deux approches proposées
ci-dessus.

Une autre approche serait de raisonner à partir de données disponibles au


niveau du tronçon et de réaliser une analyse des données pour expliquer le coût en
fonction de paramètres propres à la conduite et à son environnement. Cela suppose
un archivage, au fil du temps, de données techniques et financières cohérentes. Un
première étude a été réalisée sur un échantillon urbain de 512 réparations de 1995 à
2001 (Dufour 2002). D’une part les données techniques de la conduite et les
données de son environnement ont été prises en compte, d’autre part les relevés
horaires d’utilisation engin, de main d’œuvre, de matériaux de remblai, de
fourniture de pièces et les coûts unitaires correspondants ont permis de reconstituer
le coût de chaque intervention. L’analyse des données a permis de réaliser une
typologie des réparations essentiellement en fonction du quartier, de la nature du
sol, du coût de réparation. Cette approche ne donne pas une réponse à l’échelle du
tronçon mais a permis d’identifier des familles homogènes en matière
d’environnement de la conduite et de type de quartier afin de déterminer une classe
de coût de réparation pour chaque famille.

3. Quels coûts sociaux?

Nous avons présenté jusqu’ici les coûts directs liés à un renouvellement et


à une réparation. Nous nous intéressons à présent aux impacts sociaux liés à une
rupture de conduite ou aux travaux nécessaires, soit pour réparer dans l’urgence

71
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

cette défaillance, soit pour renouveler la conduite lors d’un programme de


renouvellement.

Les principaux coûts sociaux liés à une rupture de conduite ou à des


travaux sur le réseau sont liés aux effets indirects suivants :

- Effets de la coupure d’eau sur les différents consommateurs et notamment en


terme de perturbation économique
- Dommages et dérangements dans la vie des usagers (inondations de cave,
accessibilité aux commerces, déviation routière…)
- Absence de sécurité incendie
- Pertes d’eau
- Effet sur l’image de marque du service
- Risque de contamination et santé publique
-…

Il est à noter que certains de ces effets indirects concernent plus l’incident
rupture et d’autres les travaux de réparation. Un certain nombre de ces coûts
existent également mais dans une moindre mesure lors de travaux de
renouvellement.

3.1. Coûts sociaux liés à la rupture de conduite

La caractéristique de toute défaillance est son caractère brutal et inattendu.


Une rupture de conduite d’eau potable, selon son diamètre et le quartier où elle se
trouve, peut avoir des conséquences relativement importantes : coupure d’eau,
dommages causés sur la chaussée et qui peuvent bloquer la circulation, préjudices
causés aux tiers (inondation de caves, affouillement de fondations d’immeubles…).

La coupure d’eau ou la chute de pression liée à une rupture de conduite


pourra concerner un nombre plus ou moins important de consommateurs selon que
le réseau est plus ou moins maillé. La possibilité d’isolement du secteur ou de la
rue concernée sera fonction de la sectorisation du réseau. On peut considérer que
dans un cas normal en site urbanisé (urbain ou péri-urbain), seuls les
consommateurs les plus proches sont concernés par la coupure d’eau nécessaire au
temps de réparation, cette durée est annoncée de 2h à 8h par les gestionnaires de
réseaux. L’effet de cette coupure sera différent selon la spécificité des
consommateurs touchés : pour un consommateur domestique, l’effet devrait être
moindre, mais variable selon le jour ou l’heure d’occurrence, pour certaines
activités socioprofessionnelles l’effet peut être considérable comme par exemple
pour un dentiste ou une entreprise utilisant l’eau dans son process de fabrication et
qui peut risquer l’immobilisation de la chaîne de fabrication.

3.2. Coûts sociaux liés aux travaux de réparation ou de renouvellement

72
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

La différence entre les deux interventions est que la première est réalisée
dans l’urgence avec tous les problèmes liés au fait que les « gens »
(consommateurs d’eau, riverains, automobilistes…) n’ont pas pu être prévenus de
la survenance d’une gêne. La seconde est programmée, ce qui permet de prévenir
les différents acteurs concernés et de prévoir des solutions de substitution (eau en
bouteille, report d’un rendez-vous chez le dentiste, déviation…) et d’information et
ainsi de réduire l’effet des nuisances.
Les coûts sociaux liés à la réparation et au renouvellement comprennent l’effet dû à
la coupure d’eau chez les consommateurs proches le temps d’intervenir sur le tuyau
et les effets liés à l’ouverture et à la fermeture de tranchée et à la réfection de la
chaussée qui vont concerner les usagers de la rue (riverains professionnels et
particuliers, automobilistes….).

4. Evaluation des coûts sociaux

Nous nous intéressons ici à l’évaluation de certains des coûts sociaux énumérés plus
haut.

4.1. Effets d’une coupure d’eau

-Les incidences sur les consommateurs industriels peuvent être prises en


compte, en première approche au travers du coût d’arrêt de production lié ici à une
coupure d’eau (Beuret et Clochard 1992). Pour cela on considère une typologie par
activité (code NAP) et l’exploitation de ratios fournis par la « centrale des bilans »
de la Banque de France. Cette approche nécessite de connaître l’effectif et le code
NAP de l’entreprise sur laquelle on évalue la perte en chiffre d’affaire, les données
étant disponibles dans le fichier SIRENE de l’INSEE.

Ainsi la perte d’exploitation R pour une interruption d’une durée D en jours


s'écrit:
D
R = R1 ⋅ R2 ⋅ N ⋅ en K€ (5)
220

avec :
R1 résultat d’exploitation annuel/chiffre d’affaire annuel HT
R2 chiffre d’affaire annuel/effectif
N effectif de l’entreprise

Cette approche a été adaptée aux ratios actuels de la Banque de France et


évaluée pour une coupure d’eau de 2h (Kennel,1992-Werey2000a):
2 / 24
R = R7 ⋅ R9 ⋅ R20 ⋅ N ⋅ en K€ (6)
220

avec :
R7 : coefficient de capital : capital d’exploitation moyen/valeur ajoutée CDB

73
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

R9 : ratio de rendement apparent de la main d’œuvre : valeur ajoutée CDB/ effectif


moyen
R20 ratio de rentabilité brute de capital : excédent brut d’exploitation/capital
d’exploitation moyen

Pour être réaliste cette démarche nécessite de s’interroger sur le rôle de


l’eau dans le process de l’industriel et de s’assurer qu’il n’existe pas une ressource
de substitution (forage, citerne…). Dans ce cas, c’est le coût de la mise en place de
cette solution de substitution qui peut servir de référence à l’évaluation des coûts
indirects. Par ailleurs, l’interruption de l’alimentation en eau peut conduire à
stopper un process industriel pour une durée supérieure à celle de l’interruption
initiale.

-Pour les autres activités socioprofessionnelles, on pourra s’appuyer sur les


résultats de l’étude réalisée sur l’évaluation des conséquences socio-économiques
de l’incendie de l’usine PROTEX à Azouer (8 juin 1988) qui entraîna l’arrêt de la
distribution potable de la ville de Tours pendant 110 heures (JCH Consultants
1988). Cette étude permet une approche en terme de coupure d’eau ou d’arrêt de
distribution pour raison de santé publique mais elle peut également servir de
référence pour une coupure due à une rupture de canalisation (Kennel 1992, Werey
2000a), on y trouve notamment des valeurs pour des professions sensibles telles
que les dentistes, coiffeurs…

-Pour les consommateurs domestiques, l’effet est, à priori, moindre. Pour


donner une évaluation monétaire du préjudice on peut évaluer un nombre de
bouteilles d’eau de substitution et le coût de devoir acheter l’eau ailleurs
(Laughland&alii 1993) :
C i = ( Pa ⋅ m) ⋅ R ⋅ M (7)

avec :
Ci : coût mensuel associé à l’action d’acheter l’eau ailleurs
Pa : coût moyen de fonctionnement d’une voiture (par km)
m : nombre de km par voyage pour aller chercher l’eau
R : nombre de voyages estimé par semaine (estimé à 1,62)
M : nombre de semaines par mois (env.4,33)

Dans une approche similaire à celle utilisée par EDF qui évalue le
préjudice d’une coupure de chauffage de 8h, au coût d’une nuit d’hôtel, on peut
utiliser le coût d’un repas pris à l’extérieur pour un foyer, en considérant que la
survenance de la coupure d’eau aux heures du repas de midi notamment pourrait
décider le foyer à déjeuner au restaurant (Werey 2000a 2000b).

Il est à noter que l’on fait ici l’hypothèse que tous les usages ne sont pas
substitués, certains sont seulement retardés (lessive…).

4.2. Dommages à tiers dus à la rupture

74
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Nous nous intéressons ici aux problèmes d’inondation de caves, de


déstabilisation de fondations, de dégâts sur d’autres réseaux… Dans ces cas, il y a
en général indemnisation par l’assurance souscrite par le service. L’étude des
dossiers d’indemnisations (Kennel 1992, Montori 2002) et les conditions du contrat
d’assurance peuvent donner des éléments pour mettre une valeur à ce coût indirect
mais il est nécessaire d’avoir des données suffisantes pour pouvoir établir une
typologie et pas seulement travailler sur des valeurs moyennes.

Une autre approche possible serait de transposer les résultats des études de
coûts de dommages liés à d’autres types d’inondations (Torterotot 1993, Le
Gauffre&alii 2001), sous réserve que l’on soit en mesure d’établir une
correspondance entre les coûts et les caractéristiques respectives des submersions,
mais aussi de prendre en compte les caractéristiques des bâtiments touchés. On
peut également se fonder sur des indicateurs établis dans les études citées
précédemment. Le tableau 4 présente, par exemple, une échelle numérique, pour le
facteur de vulnérabilité, basée sur la valeur des biens exposés à l’inondation, par
type d’habitat:

Type d’habitat Facteur de


vulnérabilité
Habitat individuel avec commerce de proximité 0,69
Habitat individuel sans commerce de proximité, lotissement 0,65
Habitat en agglomération rurale 0,65
Immeuble collectif de grande hauteur 0,56
Habitat mitoyen de faible hauteur 1,00
Habitat mitoyen collectif de faible hauteur 1,00
Tableau 4 : Facteur de vulnérabilité sur un niveau de bâtiment
en fonction du type d’habitat (Le Gauffre & alii 2001)

Ce facteur de vulnérabilité a servi de base à l’évaluation d’un critère


d’impact pour une analyse multi-critères dont l’objectif était de repérer à côté des
coûts de travaux, les conduites présentant le plus fort potentiel en terme
d’externalités.

4.3. Gêne à la circulation

Cette gêne concerne les automobilistes mais également les usagers des
transports en commun.
-Pour les automobilistes, on peut évaluer le coût de la perte de temps par
(Angot 1991) :
C Tr = Tr ⋅ RHM ⋅ D (8)

avec :

75
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

C Tr : coût du temps de retard imposé aux automobilistes par jour de chantier


Tr : temps de retard moyen imposé par un chantier sur le parcours moyen d’un
véhicule (valeur proposée :30/3600heures)
RHM : rémunération horaire moyenne (euros/heure) évaluée à 7,80 euros/heure
(Montori 2002)
D : densité moyenne du trafic (véhicule/jour)

-Pour les usagers des transports en commun, on peut utiliser le barème d’indemnités que
réclament les compagnies de transports en commun aux concessionnaires de réseaux
(Montori 2002). L’évaluation repose sur l’étude de la déviation envisagée, elle prend en
compte la fréquence de la ligne de bus et la longueur de la déviation. Le coût représente
le coût des kilomètres à faire en plus, ce coût est basé sur la rémunération du chauffeur
et le prix du carburant. Il est nécessaire de tenir compte s’il s’agit d’un jour de semaine
ou non. Les éléments pris en compte par la CTS (Compagnie des Transport
Strasbourgeois) sont donnés dans le tableau 5 :

Type de déviation Distance cumulée Coût pour la Coût pour la


1ère journée
2 sens de circulation journée
d’exploitation supplémentaire
(HT) (HT)
Type 1 <500 mètres 200 euros 45 euros
Type 2 500 à 1000 mètres 280 euros 124 euros
Type 3 1000 à 2000 mètres 438 euros 173 euros
Type 4 > 2000 mètres ou Calcul fonction Calcul fonction de
plusieurs lignes à de la distance la distance
dévier
Tableau 5 : barème d’indemnisation utilisé par la CTS (Montori 2002)

Ces différentes méthodes d’évaluation permettent d’une part, d’attribuer


une valeur aux coûts indirects subis par un type de consommateur , ce qui peut
permettre d’établir une échelle de sensibilité, d’autre part d’évaluer les coûts
indirects relatifs à un tronçon de conduite en fonction de consommateurs identifiés
sur le tronçon.

5. Conclusion

Nous nous sommes intéressés à analyser les coûts à prendre en compte


dans un outil d’aide à la décision du renouvellement des conduites d’eau potable :
d’une part, les coûts directs de réparation et de renouvellement, d’autre part, les
coûts indirects, liés à la défaillance et aux interventions de réparation et de
renouvellement.

Pour les coûts directs, selon la richesse des données et la finesse de la


démarche adoptée, le calcul pourra se faire à l’échelle du réseau, d’un secteur du
réseau, d’une rue ou d’un tronçon.

76
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

La prise en compte des coûts indirects permet de tenir compte d’effets


autres que ceux liés à la conduite et à son vieillissement. Par contre, il soulève la
question des méthodes d’évaluation qui s’apparentent à celles de l’économie de
l’environnement : évaluation contingente, prix hédonistes.

Cependant la prise en compte de ces coûts indirects dans la programmation


sur le renouvellement s’avère nécessaire et permet notamment une meilleure prise
en compte de l’usager (consommateur d’eau) comme du riverain.

Les méthodes présentées ici permettent une première approche de


l’évaluation monétaire des effets indirects liés à une rupture de conduite et aux
travaux de réparation ou de renouvellement. L’amélioration de cette démarche peut
être envisagée sous deux angles différents : d’une part la mise en œuvre de
développements économiques et sociologiques plus poussés pour étudier et évaluer
le comportement des usagers face aux différentes gênes ( par exemple réactions
individuelles aux coupures d’eau), d’autre part l’utilisation d’approches multi-
critères permettant d’introduire certaines valorisations monétaires en compléments
d’autres critères non monétaires (Le Gauffre & alii 2001).

Références bibliographiques

Andreou S.A., 1986, Predictive models for pipe failures and their implications on
maintenance planning strategies for deteriorating water distribution systems, PhD
thesis, Department of civil engineering, Masschussets Institute of Technology,
Cambridge MA, 191p.

Angot C., 1991, Prise en compte du coût social pour la promotion de techniques
innovantes de pose de conduites, DESS « Gestion de la technologie et de
l’innovation », Université Paris IX Dauphine, Générale des Eaux, 90p.

Beuret et Clochard, 1992, Etude de sûreté AEP en région parisienne, Techniques


Sciences et Méthodes (TSM), n°11, Nov. 92, pp.565-569.

CARE W., 2001, Computer Aided Rehabilitation of Water networks, Contrat N°


EVKI-CT-2000-00053 du 5ième PCRD, Union Européenne.

Dufour Y., 2002, Renouvellement du réseau d’eau potable, Analyse de données des
coûts de réparation. Mémoire de maîtrise en sciences économiques. U.L.P.
Strasbourg, UMR GSP, 36p.

Eisenbeis P., 1994, Modélisation statistique de la prévision des défaillances sur les
conduites d’eau potable , Thèse de doctorat en « génie de l’environnement », ULP
Strasbourg1, ENGEES, 156p.+ a.

77
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Grand d’Esnon A., M. Galaup, L. Guérin-Schneider, E. Weber, V. Royère, O.


Alexandre, 2000, Diagnostic technico-économique des services d’eau et
d’assainissement, Ingénieries EAT, n° spécial 2000, pp. 53-57.

Grenier R., 1996, Approche des coûts par les activités dans un service public de
distribution d’eau potable, application aux travaux d’entretien du réseau, mémoire
d’Ingénieur ENGEES, UMR GSP, 99p.

Herz R.K., 1996, Dégradation et renouvellement des infrastructures: un modèle de


survie par cohorte. Flux, 23, pp. 21-36.

Janel J.L., G. Gandon, C. Werey, J.P. Villette, E. Weber, 2001, Inventaire des
réseaux d’eau potable du Bas-Rhin 2000, rapport au Conseil Général du Bas-Rhin,
UMR GSP, 7 cahiers, 235p.

J.C.H. Consultants, 1988, Rapport pour la mairie de Tours: évaluation des frais
engagés, des pertes et des préjudices subis par la ville de Tours à la suite de la
pollution de la Brenne et de la Loire consécutive à l’incendie de l’usine Protex, 59
p.

Karaa F.A., 1984, A decision support model for the investment planning of the
reconstruction and réhabilitation of mature water distribution systems, PhD thesis,
departement of civil engineering, M.I.T., Cambridge MA, 250 p.

Kennel S., 1992, Optimisation du renouvellement des canalisations d’eau potable:


approche méthodologique, DESS «Economie Industrielle et Décentralisation»,
U.F.C. Besançon, UMR GSP, 79p.

Laughland A.S., L.M. Musser, W.N. Musser, J.S. Shortle, 1993, The opportunity
cost of time and averting expenditures for sake drinking water. Water Resources
Bulletin, 29(2), pp. 291-299.

Le Gauffre, P., K. Laffréchine, R. Baur, V. Di Federico, P. Eisenbeis, A. Kønig, M.


Kowalski, S. Sægrov, J.P. Torterotot, L. Tuhovcak and C. Werey 2001: Criteria for
the prioritisation of rehabilitation projects. D6 report. CARE-W (Computer Aided
Rehabilitation of Water networks), EU project under the 5th framework
programme, contract n°EVK1-CT-2000-00053, 70 p. + annexes, December 2001.

Malandain J., 1999, Modélisation de l’état de santé des réseaux de distribution


d’eau pour l’organisation de la maintenance. Etude du patrimoine de
l’agglomération de Lyon, Thèse de doctorat en « génie urbain », INSA Lyon,
1999, 150 p.

Montori J., 2002, Evaluation des coûts sociaux liés à une défaillance ou à des
travaux sur le réseau d’adduction en eau potable. Mémoire d’ingénieur Engees,
UMR GSP, 70p.

78
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Torterotot, J.P., 1993, Le coût des dommages dus aux inondations : estimation et
analyse des incertitudes, Thèse de doctorat en « sciences et techniques de
l’environnement », Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, Paris, 300+ 350 p.

Walski T.M., A. Pellicia, 1982, Economic analysis of water main breaks. Journal
of AWWA, 74(1982), pp.140-147.

Werey C., 2000a, Politiques de renouvellement des réseau d’eau potable. Thèse de
Doctorat en « Sciences de gestion », U.L.P. Strasbourg1, UMR GSP, 162 p.

Werey C., 2000b, Maintenance des conduites d’eau potable : réparation ou


renouvellement, Ingénieries EAT, n° spécial 2000, pp. 67-75.

79
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Chapitre 4¤

Définition du coût de l'eau d'irrigation:


Méthode et applications

Jean-Philippe Terreaux* - Guy Gleyses** – Sébastien Loubier**

*Cemagref et UMR Lameta


Cemagref, Unité de Recherche Irrigation,
361 rue JF Breton, BP 5095, 34196 Montpellier Cedex 5
jean-philippe.terreaux@cemagref.fr

** Cemagref – Montpellier

1. Motivations et présentation du document

Le terme de ressource en eau recouvre tout un ensemble de biens


différents, par leurs qualités, le lieu ou encore la date de leur disponibilité. A
travers l'histoire, les sociétés ont souvent cherché à transformer un bien en un autre.
Par exemple dans le cas de l'irrigation, la mise en place d'infrastructures a permis
de déplacer de l'eau dans l'espace (par exemple de la rivière au champ) ou dans le
temps (cas d'un barrage). Ces transferts présentent des avantages évidents en terme
d'augmentation ou de sécurisation de la production agricole. Mais ces avantages
doivent pouvoir être comparés à leur coût, dont le calcul constitue l'objet de ce
document.

La pression des usages a nécessité de gérer de plus en plus adroitement la


ressource. Cependant les crédits privés ou publics alloués aux travaux de
réalisation d'infrastructures nouvelles, ou d'entretien des infrastructures existantes
ont diminué dans de nombreux pays. Dans ces conditions il est nécessaire d'avoir
une évaluation fiable de l'intérêt des investissements publics ou privés dans les
opérations de valorisation de l'eau, ne serait-ce que pour choisir entre différentes
options techniques, ou pour éventuellement décider de réaliser des investissements
dans d'autres secteurs économiques.

La première difficulté est de définir quel type de coût sera intégré dans ce
calcul. Ici nous ne tiendrons pas compte des coûts, ni d'ailleurs des bénéfices,
environnementaux associés à l'irrigation, à cause des difficultés de mesure qu'ils
posent. Nous supposons seulement que les différentes contraintes imposées aux
systèmes irrigués permettent à ces coûts de ne pas franchir certains seuils (par
exemple par le respect de débits d'étiage).
¤
Référence: Terreaux J.P., G. Gleyses, S. Loubier, 2004, Définition du coût de l'eau d'irrigation:
Méthode et applications, in J.P. Terreaux (Ed.), Economie des Equipements pour l'Eau et
l'Environnement, Cemagref, Antony.

80
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Nous nous attacherons en revanche à calculer du mieux possible les coûts


financiers liés à la mise en place et à la gestion d'un périmètre irrigué. Les trois
composantes d'un tel coût sont les investissements (dont la plus grosse part a
souvent lieu en début de vie du périmètre irrigué), l'exploitation du système (à peu
près stable année après année) et la maintenance (croissante jusqu'au
renouvellement des principaux équipements). Une des difficultés essentielles d'un
tel calcul vient du fait que ces coûts s'étalent sur une longue durée (typiquement
plusieurs décennies, voire bien plus), et qu'il est en conséquence illusoire de
vouloir additionner des sommes qui ne sont pas comptées dans les mêmes unités.

Peut-on faire l'économie du traitement de ce problème? Certains auteurs


(par exemple Verdier et Millo, 1992) ont cru contourner la difficulté en se référant
à la notion d'équilibre à chaque pas de temps entre certaines recettes et certaines
dépenses. Cela ne permet malheureusement pas de répondre à la question relative à
la meilleure répartition possible des ressources (eau, finances). De plus cela reste
trompeur puisque certains de ces critères aboutissent irrémédiablement à la faillite
du système, si la puissance publique n'injecte pas régulièrement des crédits.

L'objectif de ce document est de proposer une méthode moins discutable


permettant de comparer les sommes investies dans un projet d'irrigation, avec
l'usage alternatif des fonds, et implicitement de la ressource. Après quelques
considérations théoriques, et une comparaison avec certaines méthodes
actuellement pratiquées, nous donnons différentes illustrations pratiques de cette
méthode.

Dans un premier temps (section 2) nous revenons sur les fondements des
calculs permettant la comparaison de paiements ayant lieu à des dates différentes et
nous indiquons pourquoi il est nécessaire d'actualiser les recettes et dépenses (coûts
et bénéfices) liés à un projet donné. Les projets ou parties de projets (barrage,
pompes) ayant des durées de vie différentes, nous montrons comment on peut
contourner ce problème en travaillant sur un horizon infini. Sections 2.4 et 2.5 on
aborde le problème du choix du taux d'actualisation. Ce point a fait l'objet de
débats récents, notamment dans le cadre des calculs relatifs à la lutte contre l'effet
de serre. Nous examinons pourquoi la solution consistant à utiliser des taux dits
"hyperboliques" doit être évitée. Nous appliquons ensuite, section 3, la méthode
proposée à différents périmètres irrigués, et section 4 nous commentons les
résultats obtenus.

2. La méthode de l'actualisation sur un horizon infini

L'objectif de calculer le coût de l'eau d'irrigation soulève différentes


difficultés:
- d'une part ce coût est composé de différentes parties monétaires et
d'autres non monétaires, par exemple le coût environnemental de certaines prises
d'eau en rivière. Nous ne tenons pas compte de ces dernières ici, non pas parce que

81
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

nous les jugeons peu importantes, mais parce qu'elles seront l'objet de travaux
ultérieurs. Elles présentent en effet des difficultés importantes de mesure, ou
d'intégration des résultats de ces mesures dans les calculs, qui nécessitent une
approche spécifique.
- Ces coûts sont répartis à travers le temps, avec ou non limitation de la
durée (c'est à dire en horizon fini ou infini). Lorsqu'ils ont lieu dans un futur
proche, ils sont en général assez bien connus, encore que certains projets publics
ont des coûts qui dépassent assez largement les budgets initialement prévus, mais il
s'agit alors plutôt d'un biais inhérent aux processus de décision,
- Certains coûts sont aléatoires, notamment, mais pas uniquement, ceux
qui ont trait à la maintenance et à l'entretien.

2.1. La méthode d'actualisation

L'actualisation n'est pas qu'une simple technique de calculs. Comme le


rappelle Frayssé et alii (1990) ou Hirshleifer (1977), elle repose sur des principes
plus fondamentaux. Supposons ainsi que 1/ Le marché financier soit parfait
(possibilité d'emprunter et de placer les sommes nécessaires au projet à un même
taux) et fonctionne avec le taux d'intérêt r, 2/ que l'on ne tienne pas compte des
risques et incertitudes, enfin 3/ que l'objectif du gestionnaire soit de maximiser le
profit, ou de minimiser les coûts entre plusieurs projets incompatibles, alors il est
facile de montrer que les meilleures décisions sont issues de la maximisation des
recettes moins dépenses actualisées avec le taux r.

La démonstration (voir par exemple Frayssé et al., 1990) est fondée sur la
notion de coût d'opportunité. Par exemple si l'on cherche à savoir s'il est intéressant
ou non de réaliser un investissement, alors on peut considérer qu'à sa place, il serait
possible d'investir les sommes disponibles sur le marché financier (Gollier, 1997).
En conséquence le revenu issu du projet doit être au moins égal au taux de
placement sans risque sur ce marché.

C'est à dire que tout autre choix conduirait à une suite de revenus nets
dominée par la suite de revenus nets qu'il est possible d'engendrer à partir du projet
de valeur actualisée maximale. Notons que ce choix du meilleur projet est objectif
au sens où il ne dépend pas des préférences intertemporelles de l'agent (préférence
pour le présent plus ou moins marquée). Le taux r est issu du marché financier et
n'est pas lié à l'agent considéré (voir Terreaux, 1997 où l'on montre que r peut être
plus grand ou plus petit que le taux d'escompte psychologique de l'agent). D'autre
part on montre aisément que ce choix du meilleur projet est indépendant des autres
activités, des autres flux de recettes et de dépenses de l'agent, ce qui permet une
décentralisation des décisions. On peut aussi montrer aisément que le projet ayant
la plus grande valeur actualisée en termes réels (sans inflation) est aussi le meilleur
projet (au sens précédent) en termes nominaux (avec inflation).

Dans ce cadre des marchés parfaits, on peut reprendre les différents


raisonnements pour la détermination du seul coût de l'eau d'irrigation : il est alors
égal à la valeur actualisée de l'ensemble des débours passés et/ou à venir. La notion

82
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

d'horizon de travail prend ici toute son importance. Le plus simple, nous y
reviendrons, consiste à supposer un service de l'eau à partir de la date de mise en
service du périmètre irrigué, et sur une durée infinie. Son coût est alors celui de
l'ensemble des dépenses passées et à venir sur cette même durée infinie.

Bien entendu des recherches ont été menés pour étendre ces résultats, d'une
part dans le cadre de marchés imparfaits, d'autre part dans celui de situation où les
risques voire les incertitudes ne pouvaient être négligées. Pour ne pas alourdir
l'exposé, nous ne mentionnerons pas les résultats obtenus. Le lecteur intéressé
pourra se reporter, pour ce qui concerne le risque, à Sidibe (1999), Gollier (1997)
ou Brown (1983) et Prince (1985), et pour ce qui a trait à l'imperfection des
marchés financiers à Frayssé et al. (1990).

2.2. Horizon infini et durée de vie des investissements

Ce sont deux éminents forestiers du XIXe siècle, Faustmann (1849) et


Pressler (1860), qui ont les premiers correctement formulé et résolu les problèmes
de chaînes d'investissement (voir Crabbé, 1988). Pourtant dans ce secteur, plus
encore que dans celui de l'irrigation, les externalités menaçaient de camoufler le
cœur du problème d'investissement.

Comment comparer entre eux deux investissements de durées de vie


différentes? La méthode mise au point par les forestiers consiste à considérer un
renouvellement à l'infini de chacun des systèmes: ainsi, on sera amené à comparer
le coût de deux systèmes d'irrigation, chacun fournissant un même service, sur une
durée de vie infinie. Pour avoir des éléments de comparaison plus facilement
interprétables, il est facile ensuite de les traduire en terme de coût annuel (coût
annuel = coût sur durée infinie multiplié par le taux d'actualisation). Cela ne
suppose nullement que l'on s'engage à renouveler effectivement indéfiniment le
système irrigué. Bien entendu, si l'on intègre risque ou incertitude, une prime de
flexibilité (une valeur d'option) doit être attribuée au système que l'on pourra
effectivement modifier au plus tôt, afin de s'adapter au plus vite à d'éventuelles
nouvelles conditions de marché.

2.3. Méthodes alternatives

Les méthodes d'actualisation ont été souvent rejetées pour plusieurs


raisons: tout d'abord elles nécessitent de faire un choix difficile et duquel dépend
en grande partie le résultat obtenu, celui du taux à utiliser. Ensuite, même si les
concepts peuvent être acquis assez facilement, il n'en reste pas moins difficile de
poser correctement les problèmes à résoudre dans des contextes plus complexes car
plus réalistes, que ceux utilisés précédemment.

En outre ces méthodes d'actualisation ont pu conduire, lorsqu'elles étaient


mal comprises, à recommander des critères incorrects, comme la maximisation du
taux interne de rentabilité. En effet la maximisation de ce taux interne n'a aucune

83
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

raison de conduire à l'investissement optimal dans des conditions données, même


dans des cas très simples. En plus ce critère peut conduire à des situations
paradoxales (voir Terreaux, 1990). Enfin il n'est d'aucune utilité dans un problème
comme le nôtre qui consiste à évaluer les seuls coûts de l'eau.

De nombreuses autres méthodes ont pu voir le jour, liées essentiellement à


la sensibilité d'origine des auteurs : ainsi les personnes d'origine agricole ou
forestière ont pu chercher essentiellement une maximisation du volume ou de la
valeur de la récolte. De même certains gestionnaires ont cherché avant tout un
équilibre année après année de leur budget, en y intégrant ou non subventions et/ou
amortissement de tout ou partie des investissements, ainsi que d'éventuelles
provisions de renouvellement des matériels ou des ouvrages.

2.4. Pourquoi un taux hyperbolique n'est pas admissible

Certains auteurs ont cru devoir rejeter l'actualisation au motif que les
valeurs actualisées diminuant exponentiellement avec le temps, leur utilisation
semble poser problème sur de longues périodes. Il s'agit en fait d'un curieux
renversement du problème (voir Frayssé et al., 1990) puisque c'est justement
lorsque l'immobilisation des capitaux est longue qu'il est primordial pour
l'investisseur privé ou public de pouvoir comparer les recettes et/ou les dépenses à
des dates très éloignées, donc d'une façon ou d'une autre, d'actualiser.

Les projets dont il est question ici sont des projets dont la durée de vie est
de l'ordre de plusieurs décennies (barrages, réseaux de tuyauterie, etc.). Il serait
tentant sur un horizon aussi lointain d'appliquer un taux d'actualisation décroissant
avec l'horizon d'investissement.

Il est nécessaire ici de faire une distinction entre deux types de méthodes
d'actualisation: l'actualisation 'classique', dite exponentielle, avec un taux identique
pour le futur année après année, faute d'information plus précise sur les
opportunités alternatives d'emploi des fonds. Rien n'empêche alors ce taux d'être
d'autant plus faible que l'horizon d'immobilisation des fonds est plus important, ce
qui semble correspondre à de nombreuses observations empiriques. Ainsi Gollier
(1997) propose d'utiliser des taux de 5% pour les projets d'horizon à moyen terme
(50 à 100 ans) et des taux beaucoup pus faibles (de l'ordre de 1.5%) lorsque les
investissements sont faits pour le long terme (au delà de 200 ans).

La seconde méthode consiste à utiliser pour un même projet un taux


d'autant plus faible que la recette ou la dépense s'éloigne dans le futur.
Généralement on emploie une fonction hyperbolique pour représenter la
décroissance du taux en fonction du temps, d'où le nom d'actualisation
hyperbolique. Mais le problème essentiel que pose l'emploi de tels taux est
l'inconsistance temporelle de la méthode : si l'on emploie par exemple un taux de
5% pour les 10 prochaines années et de 2% pour les dix suivantes, au bout de 10
ans, on emploiera à nouveau un taux de 5% pour les 10 années à venir : en pratique
cela se traduit par le fait que, même si aucun événement nouveau n'est venu

84
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

perturber le plan d'aménagement ou d'actions initialement choisi, celui-ci ne sera


pas réalisé. Autrement dit les prévisions sont intrinsèquement fausses. Ce point est
suffisant à faire rejeter l'emploi de tels taux, et bien entendu il serait relativement
facile d'en déduire d'autres incohérences. Par exemple, comme le montrent Cropper
et Laibson (1999), la solution au problème d'investissement obtenue avec un tel
taux n'est plus efficace au sens de Pareto (c'est-à-dire que l'on pourrait trouver une
autre solution améliorant la situation pour chaque pas de temps).

2.5. Eléments de choix d'un taux d'actualisation

Il est difficile et pourtant crucial de choisir un taux d'actualisation


correspondant bien aux agents et au projet concernés. Afin de donner une idée de la
dispersion des taux sur un ensemble d'agents, on peut remarquer que par une étude
économétrique portant sur des choix réels réalisés par plus de 65000 personnes aux
USA, Warner et Pleeter (2001) ont montré que les taux d'actualisation implicites de
ces personnes s'étalaient entre 0 et plus de 30 % par an, variant sensiblement selon
les caractéristiques sociales des agents et les sommes mises en jeu.

Pour les projets de nature strictement financière, le taux d'actualisation


employé est en général le taux d'intérêt auquel l'agent considéré (par exemple le
gestionnaire du périmètre irrigué) a accès, dans les conditions de risque et de durée
qui sont celles du projet. Dans ce document, on utilise les taux d'intérêts hors
inflation, encore appelés taux réels. Il est important de pouvoir les transformer en
taux courants, c'est à dire inflation ou anticipation de l'inflation incluse, afin de les
comparer aux taux pratiqués sur les marchés financiers. La première approximation
habituellement utilisée consiste à additionner taux réel et taux d'inflation pour
obtenir le taux courant. Cette approximation ne reste néanmoins valable que pour
des taux (réels et inflation) faibles et pour des durées relativement courtes (voir
Terreaux, 1997).

Pourquoi les taux d'actualisation doivent-ils être positifs? La première


raison, appelée l'effet richesse est due à l'économiste autrichien E. von Bohm-
Bawerk (1884). Elle consiste à supposer que dans le futur les conditions de vie
seront probablement meilleures que par le passé. Alors, puisque les sociétés seront
plus riches, la valeur ou l'utilité d'une unité d'un bien donné sera probablement
moindre (ce que l'on représente dans les modèles économiques par la concavité de
la fonction d'utilité). Donc l'échange d'une unité de bien dans le présent contre une
unité de bien dans le futur ne serait pas acceptable et il est nécessaire de diminuer
la valeur du bien lorsque celui-ci est consommé dans le futur.

A combien évaluer cet effet richesse: Dans une première approximation,


cet effet peut être évalué comme étant égal au taux de croissance du revenu par
habitant (actuellement de l'ordre de 2% dans nos sociétés occidentales) multiplié
par la sensibilité de la valorisation aux variations du revenu (estimé par Arrow

85
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

(1995) à 1.5 à 2, valeur que l'on retrouve dans Pearce (1994)), ce qui conduit à un
taux d'actualisation de 3 à 4 % selon le premier auteur.

La seconde raison est la préférence "pure" pour le présent. Une


interprétation de cette préférence pour le présent est que les agents préfèrent en
général bénéficier immédiatement de différents agréments et n'en supporter les
coûts que plus tard. Ces raisons sont plus difficiles à analyser. Il n'est pas certain
par exemple qu'elle soit essentiellement liée au risque de ne pouvoir effectivement
bénéficier plus tard des agréments anticipés. Cet effet est estimé d'après Arrow à
1%, Pearce aboutit à un taux compris entre 0.5 et 1.5 %. Au total, avec l'effet
richesse, Arrow propose un taux d'actualisation de l'ordre de 4% par an.

Il ne s'agit bien entendu que de considérations très générales, et le choix


d'un taux doit être adapté aux conditions dans lesquelles le projet étudié est réalisé,
et aux agents concernés. Il doit aussi tenir compte de l'irréversibilité de
l'investissement réalisé, de la nature des risques encourus etc. Nordhaus (1994) a
montré que la plupart des propositions de taux pour le long terme s'étageaient entre
1 et 3%. Dans la suite de ce document, nous employons un taux de 3% par an.

3. Application à quatre périmètres irrigués en France

3.1. Présentation des sites

La méthode présentée précédemment est utilisée dans quatre cas réels de


mobilisation de la ressource en eau depuis son site naturel jusqu'à la parcelle
agricole. Ces quatre sites ont été choisis pour leur diversité et leur représentativité
des situations les plus fréquentes en France continentale et Outre Mer. Mais notons
que malgré la diversité des situations étudiées, ces études de cas ne sont en aucune
manière généralisables et ont pour seul objectif d'illustrer l'application de la
méthode présentée précédemment, et quelques uns des résultats qui en découlent.
Plus de détails sur cette méthode, et une présentation détaillée des équations
utilisées se trouvent dans Gleyses et alii (2001). On y présente aussi d'autres cas
d'application.

Le Tableau 1 décrit pour chaque cas le type de réseau, la nature du lieu de


prélèvement et le coût en investissement initial.

Site Réseau Ressource Coût


d'investisse
ment initial
en €/ha
A Individuel Nappe 915
B Collectif Rivière avec étiage sévère 10 091
C Collectif Rivière avec soutien d'étiage 5 305
D Collectif Rivière et stockage intermédiaire - (1)

86
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

(1) Il s'agit d'un réseau mixte d'irrigation et d'alimentation en eau potable. Le


résultat obtenu est non comparable à celui des sites A, B et C sans clé de répartition

Tableau 1: Description des sites étudiés: type de réseau, nature de la ressource


et coût d'investissement initial (en €/ha)

Nous présentons Fig. 1 les coûts au m3 obtenus pour chacun de ces cas.
Rappelons qu'aucune conclusion générale ne peut être tirée de la comparaison de
cas individuels, en matière de hiérarchie générale des coûts par exemple entre les
périmètres individuels et les périmètres collectifs.

€ / m3

0,450

0,389
0,375

0,300

0,224
0,225

0,146
0,150

0,081
0,075

Rivière Rivière Rivière


Nappe avec avec et stockage
étiage sévère soutien d ’étiage intermédiaire

Figure 1: Coût de l'eau d'irrigation (voir texte) en €/m3, pour les quatre sites étudiés

3.2. Les quatre composantes du coût

Ce coût se répartit entre quatre composantes (voir Fig. 2): Les coûts
d'exploitation, de maintenance, la dépréciation physique du capital et le coût
d'opportunité du capital.

Les coûts d'exploitation se divisent en coûts administratifs et de gestion


courante, en coûts en énergie (proportionnels aux volumes pompés), et en coûts en
personnel, ces derniers étant en général identifiés aux coûts salariaux, en veillant

87
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

toutefois à ne pas faire de double compte avec les coûts des salaires des personnes
affectées à la maintenance.

Les coûts de maintenance augmentent au fur et à mesure que les


équipements vieillissent. Il existe certaines évaluations de la croissance de ces
coûts en fonction de l'âge des équipements (Tiercelin, 1998, Gleyses et alii, 2001).
Notons qu'en France, en règle générale, la maintenance est prise en charge
intégralement par le gestionnaire du réseau d'irrigation. Ce n'est pas toujours le cas
à l'étranger.

Enfin il nous faut distinguer le coût de dépréciation physique du capital du


coût d'opportunité du capital. Notons bien qu'ici il n'y a pas redondance d'un même
coût. En effet supposons un capital V0 investi à la date t0 et dont la durée de vie est
de T années, avec une valeur de récupération du capital VT nulle. Le coût d'usage
de cet investissement pendant une année est la somme (i) du coût d'opportunité du
capital, qui représente les intérêts qui auraient pu être retirés d'un placement
alternatif de ce capital V0 et (ii) de la dépréciation du bien dans lequel on a investi,
qui correspond à son usure physique au cours de l'année considérée.

Si Vt est la valeur du bien à la date t, le coût de dépréciation du bien est


alors:
Vt-1 – Vt

Et, si r est le taux d'intérêt, le coût d'opportunité du capital est r.Vt

Au total, les coûts de dépréciation physique et d'opportunité du capital sont


de:
Vt-1 – Vt+ r.Vt

Pour les quatre cas étudiés, le coût d'opportunité du capital (c'est à dire le
coût d'immobilisation des fonds dans les investissements) représente entre 24 et
34% du coût de l'eau et le coût de dépréciation physique du capital entre 31 et 39%
de ce coût. Les coûts de maintenance représentent entre 10 et 18%. Les coût
d'exploitation entre 13 et 30%.

Nous avons intégré dans ces différentes valeurs la part des frais supportés
par la puissance publique sous forme de subventions: dans les trois cas
correspondant aux réseaux collectifs (B, C et D) les coûts de maintenance et
d'exploitations sont pris en charge par le gestionnaire des réseaux, mais les coûts du
capital ne le sont qu'à hauteur du tiers à la moitié de leur montant.

Sensibilité aux taux d'actualisation

Lorsque l'on augmente de 3 à 6% le taux d'actualisation, les coût de l'eau


d'irrigation augmentent selon les valeurs données dans le Tab. 2.

Site A B C D

88
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Augmentation du coût 28% 34% 40% 24%


Tableau 2: Augmentation du coût de l'eau d'irrigation
lorsque le taux d'actualisation passe de 3 à 6%

12%

maintenance
34%
exploitation
30%
dépréciation physique

coût d’opportunité
24%
Nappe

(Prélèvement individuel)

18% 13% 10%

33%
39% 31%
13% 23% 23%

30% 33% 34%


Rivière
Rivière avec étiage sévère Rivière avec soutien d ’étiage
et stockage intermédiaire

(Réseau collectif)

Figure 2: Répartition des quatre composantes du coût

La sensibilité au taux d'actualisation est plus élevée pour les réseaux


collectifs B et C, ce qui s'explique par la grande partie des équipements de durée de
vie supérieure à 30 ans qui les composent. En revanche, pour le réseau collectif D,
ces équipements de longue durée de vie ont été réalisés de manière étalée dans le
temps, ce qui amoindrit la sensibilité au taux d'actualisation.

Dans Gleyses et alii (2001) on indique aussi quelle est la sensibilité du coût
de l'eau à la durée de vie des équipements.

4. Commentaires

Ce travail ne constitue qu'une première étape vers le calcul du coût complet


de l'eau d'irrigation, ce dernier intégrant aussi les externalités, dont le coût
d'opportunité de l'usage de l'eau. Il permet toutefois, à effets externes identiques, de
comparer entre eux sur le plan économique différents modes de mobilisation de la

89
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

ressource, et pour les projets futurs ou la gestion des périmètres en activité, de


minimiser ce coût. De plus il autorise à calculer la part supportée par chaque agent
économique (puissance publique, irrigants…).

Les calculs réalisés sur des cas concrets ont permis, bien que leurs résultats
ne soient pas généralisables, d'avoir quelques conclusions qualitatives. Tout
d'abord, les différences de coût constatées s'expliquent essentiellement par le
dénivelé et aussi la distance entre la ressource et les parcelles irriguées, la pression
et le débit à la borne d'irrigation. Le coût en capital (dépréciation physique du
capital et coût d'opportunité) est la principale composante du coût de l'eau, et la
part du coût d'opportunité est d'autant plus élevée que les réseaux sont composés
d'équipements à durée de vie longue.

La sensibilité du résultat vis à vis du taux d'actualisation augmente avec la


proportion de biens à durée de vie longue, et diminue lorsque les projets sont
réalisés progressivement. Mais la hiérarchie des coûts entre les projets ne dépend
pas du choix du taux d'actualisation dans la plage de variation qui a été testée.
Cependant ce dernier résultat ne peut pas être généralisé à d'autres situations.

La méthode proposée est robuste sur le plan théorique et simple à mettre en


œuvre. Il ne reste plus qu'à ajouter les coûts individuels pour amener l'eau de la
borne d'irrigation à la plante, ainsi que les externalités liées à l'irrigation, afin
d'avoir une évaluation du coût complet que représentent les opérations d'irrigation.

Références bibliographiques

Arrow K.J., 1995, Effet de serre et actualisation, Conférence de l'Institut


d'Economie Industrielle, Toulouse, 24 Avril, 10 p.

von Bohm-Bawerk E. 1884, Histoire critique des théories de l'intérêt du capital,


trad. J. Bernard, 2 Vol., Paris (1902-1903).

Brown S.P.A. 1983, A note on environmental risk and the rate of discount, Journal
of Environmental Economics and Management, 10, 282-286.

Crabbé P. 1988, The literacy of the natural resource economist, Université


D'Ottawa, Département de Sciences Economiques, Cahier de recherche 8802.

Cropper M., D. Laibson, 1999, The implications of hyperbolic discounting for


project valuation, in Discounting and intergenerational equity, Portney P.R., J.P.
Weyant Ed., Resources for the Future,

Faustmann M., 1849, Berechnung des Wertes welchen Waldboden sowie noch
nicht haubare Holtzbestände für die Waldwirschaft besitzen, Allgemeine Forst und
Jagd-Zeitung, 25, 441-455.

90
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Frayssé J., M. Moreaux. J.P. Terreaux, 1990, Actualisation et gestion forestière,


Cahiers d'économie et sociologie rurales, 15-16, 111-125.

Gleyses G., S. Loubier, J.P. Terreaux, 2001, Evaluation du coût des infrastructures
d'irrigation, Ingénieries, 27, 3-11.

Gollier C., 1997, Discounting an uncertain future, Gremaq and IDEI, University of
Toulouse, miméo, 22 p.

Hirshleifer J., 1977, Sustained Yield versus Capital Theory, in B. Dowdle (Ed.)
The economics of sustained yield, Seattle, University of Washington, College of
Forest Resource.

Nordhaus W.D., 1994, Managing the global commons, Cambridge, MIT Press,
English.

Pearce I, 1994, Evaluation des projets et politiques: intégrer l'économie et


l'environnement, documents OCDE, Paris.

Pressler M.R., 1860, Aus der Holzzuwachslehre, Allgemeine Forst und Jagd-
Zeitung, 36, 173-191.

Prince R., 1985, A note on environmental risk and the rate of discount: Comment,
Journal of Environmental Economics and Management, 12, 179-180.

Sidibe K., 1998, Evaluation du taux d'actualisation, Mémoire de DEA "Economie


des Organisations", ENGEES, Strasbourg.

Terreaux J.P., 1990, Principes de gestion des investissements en forêt, Thèse de


doctorat, Université de Toulouse 1.

Terreaux J.P., 1997, Choix d'investissements et détermination du taux


d'actualisation, Cemagref, Working Paper 97-01, Montpellier, 19 p.

Verdier J., J.L. Millo, 1992, Maintenance of irrigation systems, ICID Paper n°40,
Cemagref-Editions, Antony, France, 243 p.

Warner J.T., S. Pleeter, 2001, The personal discount rate: Evidence from military
downsizing programs, American Economic Review, 91-1, 33-53.

91
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Chapitre 5¤

Durabilité des équipements d'irrigation :


nature de leur propriété et politiques publiques1

Sébastien Loubier*

* Cemagref, Unité de Recherche Irrigation,


361 rue JF Breton, BP 5095, 34196 Montpellier Cedex 5
sebastien.loubier@cemagref.fr

1. Contexte et problématique

En 40 ans, la superficie irrigable mondiale a triplé (Dinar et al. 1997). Elle


représente aujourd’hui 1/6 des terres cultivées et fournit 1/3 de l’offre alimentaire.
En 1994, Waggoner (1994) estimait qu'au cours des 25 années passées, 50% de la
hausse de production alimentaire était venue de terres irriguées et la FAO (1996)
prévoit qu'au cours de la première moitié du 21ième siècle, 60% des nouveaux
besoins devront être satisfaits par l'agriculture irriguée.

Il ne fait donc aucun doute que l'irrigation jouera, comme par le passé, un
rôle majeur dans la satisfaction des besoins alimentaires des populations et qu'au-
delà de l'opportunité de créer de nouveaux périmètres irrigués de plus en plus
coûteux, il est dans l'intérêt de tous d'assurer une gestion durable de l'existant.

Le point critique du développement durable en irrigation est le maintien au


niveau du projet de la durabilité écologique, opérationnelle et financière (Mergos
1995). Nous ne reviendrons pas sur la durabilité écologique pour centrer notre
réflexion sur la durabilité opérationnelle et financière. Accroître la durabilité
financière est associé, en matière de gestion des réseaux d’irrigation, à la réduction
des coûts récurrents supportés par les Gouvernements ou bailleurs de fond
internationaux pour financer la réhabilitation ou le renouvellement d’équipements
des réseaux (Mergos 1995). Mais cette vision de la durabilité financière est dictée
par un contexte de concurrence accrue sur la ressource, souvent de désengagement
progressif des bailleurs de fonds, et de promotion par les instances internationales
du transfert de la gestion des périmètres irrigués à des associations d’usagers.

¤
Référence: Loubier S., 2004, Durabilité des équipements d'irrigation: nature de leur
propriété et politiques publiques, in J.P. Terreaux (Ed.), Economie des Equipements pour
l'Eau et l'Environnement, Cemagref, Antony.
1
Ce chapitre est issu d’un travail de doctorat réalisé au Cemagref – Montpellier. La thèse,
soutenue en juillet 2003, est consultable en texte intégral sur le site
http://www.montpellier.cemagref.fr

92
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Or, d’un point de vue économique, rien ne justifie a priori qu’un système
est plus durable lorsqu’il ne bénéficie pas de soutien financier public. Il est donc
nécessaire de distinguer clairement cette notion de durabilité du point de vue de
chacun des deux agents concernés : les gestionnaires et les bailleurs de fonds.

Pour l’État ou les bailleurs de fonds, le degré d’intervention est fonction du


coût d’opportunité des fonds mobilisés. Sous contrainte budgétaire, il devrait
allouer ses fonds aux projets qui présentent le ratio coûts / bénéfices le plus faible.
Or, il est particulièrement difficile d’évaluer chacune des composantes de ce ratio.
Dans les bénéfices collectifs entrent non seulement en compte le supplément de
revenu induit mais également tous les effets positifs en terme d’aménagement et de
développement du territoire. En supposant que l’État soit en mesure d’évaluer ces
bénéfices, il faut encore évaluer les coûts, pour une partie1, composés du montant
des subventions initiales et des subventions pour renouvellement, modernisation ou
réhabilitation des réseaux. Pour simplifier la tâche, l’État ou les diverses
collectivités participant au financement des réseaux d’irrigation se fixent des taux
de subventions exprimés en pourcentage du montant des équipements et devant
permettre de faire émerger des projets contribuant à la satisfaction des objectifs
qu’il poursuit. Si l’analyse coûts avantage est favorable au projet, il sera réalisé et a
priori durable compte tenu des informations disponibles.

Le risque de non durabilité financière pour l’État vient postérieurement à la


réalisation du projet de deux manières distinctes mais pas indépendantes. D’une
part, lorsque la priorité de ses objectifs ou sa contrainte budgétaire change au cours
du temps, le taux de subvention pour les investissements de seconde génération
peuvent être réduits et conduire ainsi à des coûts non acceptables par les
gestionnaires et usagers. Cette situation se traduirait par une désaffection puis une
disparition progressive du réseau et conjointement à un éloignement des objectifs
initiaux d’aménagement du territoire. D’autre part, les taux de subvention pour les
équipements de seconde génération, fixés indépendamment des fréquences de
renouvellement, peuvent également conduire à un double risque de non durabilité.
Un risque de non durabilité opérationnelle (Mergos 1995) ou moindre efficience
technique (Lipsey et al. 1995 ; Montginoul 1997) de l’organisme gestionnaire qui
en négligeant la maintenance de ses équipements peut accroître la fréquence des
demandes de soutien public. Acceptées, ces demandes généralisées conduiraient à
réduire la durabilité financière des bailleurs de fonds et refusées, réduiraient celles
des gestionnaires.
La durabilité financière du gestionnaire ou de l’État est donc étroitement
liée à la durabilité technique (opérationnelle ou efficience de production) des
composantes physiques du réseau, c’est-à-dire à la qualité de maintenance
effectuée, elle même fonction du mode de gestion des équipements.

2. L’irrigation et les politiques publiques en France

1
Il faudrait ajouter les coûts environnementaux, administratifs…

93
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

2.1. Place de l’irrigation en France

La superficie irriguée en France représentait en 2000 5,7% de la superficie


agricole métropolitaine soit 2,63 million d’hectares dont 56% irriguée à partir de
systèmes de prélèvements individuels et 54% dans le cadre de réseaux collectifs.
On distingue au sein des réseaux collectifs diverses structures juridiques. Les
Associations Syndicales Autorisées1 (ASA) représentent 52% des superficies, les
Concessions d’État dont la gestion est généralement confiée aux Sociétés
d’Aménagement Régionales (SAR) représentent 10%, et les 38% restant
regroupent des syndicats intercommunaux, interdépartementaux, des coopératives
et des Associations Syndicales Libres. Si les SAR et les ASA ont abondamment été
étudiées, les autres structures juridiques demeurent assez peu connues et, compte
tenu de la nomenclature utilisée pour les recensements agricoles, elles compte
certains irrigants qui ont aussi accès à une ressource individuelle.

Superficie
française irriguée

56% 44%

Réseau individuel Réseau collectif

52% 38% 10%

Autres
ASA SAR
réseaux

Figure 1 : Répartition de la superficie irriguée en France (Garin et al. 2001)

2.2. Les politiques publiques

En France, l’histoire des interventions publiques en hydraulique agricole


est longue de plusieurs siècles (Ruf 2001). Mais c’est surtout depuis l’adoption en
1865 des textes de lois réglementant la création et le fonctionnement des ASA que
l’intervention financière publique s’est institutionnalisée. Les ASA ont alors été un
des piliers essentiels de la politique française de développement de l’irrigation. Des
systèmes de canaux datant parfois du moyen âge ont adopté ce statut. La puissance
publique a financé la création de nombreux réseaux pour équiper les plaines du sud
de la France à la fin du XIXème. Mais ce statut a également servi à l’expansion des
réseaux de distribution sous pression depuis les années 60 (Garin et al. 2001). Pour
aménager et développer des territoires plus vastes, l'État a financé et donné en
concession, aux Sociétés d’Aménagement Régionales principalement, de grands

1
Les ASA sont des groupements de propriétaires constitués en vue de permettre l’exécution
et l’entretien à frais communs de travaux immobiliers tant d’utilité publique que privée.

94
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

ouvrages structurant mais également des réseaux de distribution de taille plus


modestes.

L’intervention financière de la puissance publique s’est particulièrement


accrue depuis les années 70 et a contribué en 30 ans à tripler la superficie irriguée à
partir de réseaux collectifs. L’objectif était alors double, d’une part aménager et
développer des territoires ruraux et d’autre part répondre aux objectifs des
politiques agricoles, notamment l’autosuffisance agricole communautaire. Deux
systèmes de soutien sont alors mis en place: une politique de financement des
infrastructures et un soutien des prix des produits agricoles puis de prime aux
cultures, notamment des céréales. Ainsi, en 1995, la culture du maïs représentait
44% de la superficie irriguée (Janin 1996).

2.3. Une nécessaire intervention publique : Détermination d’un taux minimal


de subvention des investissements initiaux

Les réseaux d’irrigation sont des équipements particulièrement difficiles à


gérer de par leur nature. Ils sont en effet composés de biens durables c’est-à-dire à
durée de vie élevée, qui dépasse généralement l’horizon temporel des usagers, et
qui est étroitement liée à la maintenance effectuée. De plus, l’intensité
capitalistique y est particulièrement élevée (Garin et Loubier 2002) et le coût du
capital représente de 60 à 70% du coût global (Loubier et al. 2001)1. On sait que
les réseaux individuels d’irrigation se développent lorsque la distance entre la
ressource et les parcelles à irriguer est faible. C’est-à-dire, lorsqu’il est
relativement moins coûteux pour l’irrigant de financer la quasi-totalité d’un réseau
individuel, plutôt que de supporter une faible part du coût d’un réseau collectif.

Compte tenu du montant des investissements initiaux et des durées


d’emprunt maximales offertes par les institutions bancaires, quasiment aucun
réseau collectif financé intégralement sur fonds privé ne pourrait naître sans un
important soutien financier de la puissance publique. Ceci explique les forts taux
de subvention accordés pour financer les investissements initiaux des réseaux
collectifs d’irrigation : de l’ordre de 60 à 80% voire localement plus.

Parallèlement à la réalisation d’une typologie d’exploitations et à


l’évaluation de la demande en eau d’irrigation (Palacio et al. 1995), on peut
facilement déterminer un seuil minimal de subventions permettant de faire émerger
des projets d’aménagements d’hydraulique agricole selon les types de cultures
irriguées envisagées sur la zone. Le consentement à payer des agriculteurs permet
de déterminer ce taux minimal de subventions initiales « α ».

Avec « I0 » le montant de l’investissement initial, « i » le taux d’intérêt réel


des l’emprunts, « N » la durée de l’emprunt, « E » les coûts d’exploitation, « M »
les coûts de maintenance, « CAP » le consentement à payer des agriculteurs et
« A » le montant des annuités d’emprunt, il faut que : A + E + M < CAP.

1
Voir également le chapitre 4 de l’ouvrage pour plus de détails.

95
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

i(1 + i) N
Soit : I 0 (1 − α ) + M + E < CAP
(1 + i) N − 1
(CAP − E − M)[(1 + i) N − 1]
C’est-à-dire : α > 1 −
I 0 i(1 + i) N
ou α > seuil d’acceptabilité.

Ceci n’est cependant valable que lorsque le taux d’inflation est inférieur au
taux de croissance des dépenses de maintenance, pour que l’avantage retiré du
remboursement des annuités en monnaie dépréciée soit supérieur au différentiel de
coût de maintenance.

Prenons l’exemple d’un réseau sous pression typique du Sud-Ouest qui à


vocation à être utilisé pour irriguer du maïs. Prenons les valeurs suivantes des
paramètres : I0 = 5000 €/ha, M = 30 €/ha, E = 80 €/ha, 4% < i < 6%, 15 < N < 20 et
250 < CAP < 300 €/ha.

Le seuil d’acceptabilité est alors compris entre 48 et 73% du montant des


investissements initiaux, ce qui est inférieur aux taux réels précédemment évoqués
(60 à 80%). Cet écart a permis à beaucoup de gestionnaires de faire face à une
moindre rentabilité de certaines cultures irriguées, dont le maïs, alors que les
emprunts initiaux n’étaient pas encore remboursés, que les coûts de maintenance
entraient dans une phase de croissance soutenue et que l’inflation était relativement
bien maîtrisée.

3. Nature de la propriété des équipements d’irrigation et horizon temporel des


gestionnaires

3.1. Des droits de propriété des agents…

Un droit de propriété est l'autorité de prendre des actions particulières


relatives à un domaine spécifique (Schlager et al. 1992). Un cadre d'analyse des
droits de propriété a été développé par Schlager et al. (1992). Les auteurs
distinguent les droits de propriété à un niveau opérationnel (où les évènements se
déroulent), à un niveau collectif (où se prennent les décisions), et éventuellement à
un niveau constitutionnel où les droits sont conçus et contestés en permanence.

Au niveau opérationnel on distingue le droit d'accès physique dans la zone


et le droit de prélever. Le niveau collectif participe à la définition des droits
opérationnels du futur : droit de gérer, droit d'exclure (accès, perte ou
transférabilité des droits) et droit d'aliéner (autoriser la vente ou la location de l'un
ou l'autre des deux droits précédents).

Le droit opérationnel de prélèvement est dérivé du droit collectif de gestion


et le droit opérationnel d'accès est dérivé du droit collectif d'exclusion. Un

96
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

propriétaire plein dispose des cinq droits alors qu'un simple usager ne dispose que
des droit d'accès et de prélèvement.

Le droit de gestion est un droit de choix collectif qui autorise son


propriétaire à concevoir au niveau opérationnel les droits de prélèvement. Le droit
d'exclusion est un droit de choix collectif qui autorise celui qui le possède à définir
les droits d'accès au niveau opérationnel. Le droit d'aliénation est un droit de choix
collectif permettant à celui qui le possède de transférer tout ou partie de ce droit à
un autre individu ou groupe d'individu. (vente ou location du droit de gestion et /
ou d'exclusion).

La distinction du droit à un niveau opérationnel et collectif est primordial.


C'est la différence entre exercer un droit et participer à la définition des futurs
droits.

La situation des usagers face aux infrastructure d’irrigation fait apparaître


des situations très variées en terme de droits de propriété.

Les infrastructures collectives d’irrigation, à l’exception des CUMA et des


Associations Syndicales Libres, sont propriété de la puissance publique : de l'État
pour les SAR, des communes ou des départements pour les syndicats et des ASA
elles mêmes qui ont un statut d’établissement public. A l’exception des SAR qui
sont des concessions accordées par l'État, chacune des autres structures peut être
affermée ou confiée en gérance.

Au sein des SAR, la répartition des droits est parfaitement claire. L'État,
possède le droit d’aliénation et l’utilise puisqu’il laisse en concession aux SAR la
gestion des infrastructures c’est-à-dire les droits de gestion et d’exclusion alors que
les usagers ne disposent que des droits d’accès et de prélèvement1.

Sur les périmètres gérés par les ASA la distinction est nettement moins
claire. Certains usagers peuvent ne posséder que les droits opérationnels2 alors que
d’autres jouissent des 5 droits. Si tous les usagers ne disposent pas des 5 droits, à
l’inverse, tous ceux qui dispose des 5 sont usagers ou propriétaires.
Mais la question n’est pas tant d’avoir des droits mais de savoir quelle distribution
de ces droits permettra d’atteindre un objectif donné (Sandberg 1993).

3.2. … à la propension à gérer les équipements à court terme

Comme tous les agents économiques, les agriculteurs ont une préférence
pour le présent, que l’on représente généralement par le taux d’actualisation. Mais

1
Certains représentants des usagers peuvent également partager avec la SAR les droits de
gestion et d’exclusion.
2
C’est le cas des locataires ou fermiers non mandatés par leur propriétaire pour les
représenter en assemblée générale ou bien des propriétaires ne disposant pas de la
superficie ou du débit d’équipement minimal leur conférant le droit d’être représenté en
Assemblée Générale.

97
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

bien plus que les autres, ils sont soumis à un ensemble de risques et
d’incertitudes1 : risque climatique, risque de marché, risque foncier2… incertitudes
sur la disponibilité future de la ressource compte tenu de l’évolution des conflits
d’usages, sur les objectifs des politiques publiques à venir tant au niveau agricole
que d’aménagement du territoire (hydraulique agricole)…

La préférence pour le présent, le risque et l’incertitude sont autant de


facteurs qui contribuent à accroître la propension des usager à gérer leurs
équipements à court terme (Loubier, 2003). Ceci ne pose pas de problème
particulier de gestion des équipements d’irrigation à la parcelle qui ont
généralement une espérance de durée de vie assez courte et qui sont la propriété
exclusive de l’irrigant. Mais lorsque l’on s’intéresse aux réseaux collectifs
d’irrigation, composés de biens durables en grande partie subventionnés, la
propension à gérer les équipements à court terme revêt une dimension différente.

En fait, la durabilité des infrastructures est vraisemblablement corrélée


négativement au nombre de droits possédés par les usagers. En effet, la possession
croissante de droits facilite l’importation progressive au sein de l’institution de
gestion , de la propension des usagers à gérer à court terme.

Dans le système des SAR, les différents droits n’étant jamais possédés par
les mêmes agents, et le concédant imposant un « cahier des charges3 » au
gestionnaire, les infrastructures ont plus de chances d’être gérées durablement4
qu’au sein des ASA gérées par des usagers possédant l’intégralité des droits. Les
ASA se comportent parfois comme un fermier n’ayant aucun cahier des charges à
suivre en terme de maintenance et de renouvellement des équipements et qui sont
tentées de faire un maximum d’économie sur les coûts de maintenance tant que
l’ouvrage reste opérationnel (Plantey 1999).

4. La maintenance et le renouvellement des équipements gérés par les ASA

4.1. Définitions

"La maintenance est l’ensemble des actions permettant de maintenir ou de


rétablir un bien dans l’état spécifié ou en mesure d’assurer un service déterminé.
L’objectif étant la pérennité du fonctionnement normal » (norme AFNOR NF X
60-010).

1
Selon (Knight 1921), les risques caractérisent les situations ou l'on dispose de
distributions de probabilités des principales variables et l'incertitude définit celles où ces
distributions ne sont pas connues.
2
Risque de ne pas avoir de repreneur de l’exploitation lors du « départ » à la retraite.
3
Obligation d’effectuer des provisions pour maintenance et renouvellement des
équipements (J.O.R.F. 1982).
4
Nous ne portons pas ici de jugement de valeur sur les ASA, qui permettent par ailleurs de
s’adapter rapidement à des changements de contexte externe (PAC par exemple) et qui
permettent de réduire considérablement les coûts de la fonction d’exploitation souvent
assurée par des adhérents bénévoles (Lesbats et al. 1996).

98
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

On distingue généralement la maintenance préventive1, effectuée selon des critères


prédéterminés dans l'intention de réduire la probabilité de défaillance de
l'aménagement ou la dégradation du service rendu et la maintenance corrective,
déclenchée par la défaillance d'un élément du système d'irrigation (défaillances
partielles ou pannes, et simple insuffisance du service ou interruption du service).

On parle de réhabilitation d'un système d'irrigation quand le degré de


dégradation de ses éléments ou leur obsolescence2est tel qu'il devient nécessaire de
procéder à des opérations lourdes de rénovation, reconstruction, modification et
(ou) modernisation (Verdier et al. 1992 ; Plantey et al. 1998). Il est en pratique
particulièrement difficile de distinguer certaine opérations de maintenance
corrective et de réhabilitation, de rénover sans modifier ou de reconstruire sans
moderniser.

Pour une analyse économique, il est bien plus simple de ne considérer que
la maintenance préventive, la maintenance corrective et le renouvellement. Ce
dernier pouvant être déclenché selon un critère d’obsolescence, de défaillance ou
selon un critère économique en fonction du types d’équipement et de la qualité de
maintenance effectuée.

Certains équipements peuvent être renouvelés indépendamment des coûts


de maintenance occasionnés. C’est le cas des équipements qui ne sont plus en
mesure d’assurer les fonctions requises pour une qualité de service supérieure à la
qualité initiale. La modernisation de l’équipement s’impose donc à partir de la date
TO selon un critère d’obsolescence (Figure 2). C’est également le cas des
équipements qui, selon le risque de défaillance entraînerait une rupture de service
jugée inacceptable. Éviter cette rupture de service suppose qu’à partir d’un certain
seuil (risque de défaillance), l’équipement soit renouvelé selon un critère de
défaillance à la date TD (Figure 2).

1
Qui se compose du contrôle systématique (maintenance effectuée selon un échéancier
établi selon le temps ou le nombre d'unité d'usage, il s'agit de l'ensemble des actions
programmées d'entretien courant et périodique) et de la maintenance conditionnelle
(subordonnée à un type d'événement prédéterminé révélateur de l'état de dégradation d'un
élément du système).
2
Obsolescence: "vieillissement technologique de l'équipement industriel dû à l'apparition
d'un matériel nouveau de meilleure qualité ou d'un plus grand rendement " (dictionnaire
ROBERT).

99
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Probabilité de Seuil
défaillance d'obsolescence

Seuil de
défaillance

Zone d'arbitrage entre


Maintenance et
Renouvellement

Temps
T T
D O

Figure 2 : Les critères de renouvellement

Ferry et al. (1991) proposent deux autres critères de renouvellement que


nous négligerons dans la suite mais qui méritent d’être cités. La durée de vie d’un
bien peut être bornée par un critère fonctionnel. Le bien ne sera pas renouvelé mais
déclassé car il ne correspond plus aux besoins de production. A l’inverse, un bien
peut être déclassé selon un critère social et légal même s’il est en mesure d’assurer
sa fonction productive.

Mais il peut également être économiquement justifié de renouveler


l’équipement lorsque les coûts de maintenance deviennent trop importants. Le
critère utilisé est donc un critère économique (Figure 3) consistant à remplacer
l’équipement lorsque le coût moyen (CM) est minimal, soit à la date TE. Le coût
moyen correspondant à la somme du coût moyen actualisé du renouvellement
(CMAR) et du coût moyen actualisé de maintenance (CMAM). Certains praticiens
ou auteurs raisonnent en coût total or, cela ne permet pas de tenir compte de la
répartition des dépenses dans le temps.

Pour un taux d’actualisation positif, le minimum du coût total actualisé est


toujours atteint à une date inférieure au minimum du coût moyen actualisé. La
procédure de calcul du coût moyen consiste à rechercher l’équivalent annuel d’une
somme de dépenses actualisées. Pour cela, il suffit de multiplier le coût total par un
facteur « x ».

Le coût total à la date « t » est de la forme :


CTt = CAM t + CAR t
Et le coût moyen sur la période [ 0 , t ] est de la forme :
CM t = x CTt = x CAM t + x CAR t = CMAM t + CMAR t
a (1 + a) t
avec x = et « a » le taux d’actualisation.
(1 + a) t − 1

Notons que pour les équipements qui ont un taux de croissance des
défaillances inférieur au taux d’actualisation, c’est-à-dire dont le coût total

100
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

actualisé est strictement décroissant, la date optimale de renouvellement


économique tend vers l’infini et par conséquent, le critère de renouvellement à
utiliser sera un des deux précédents.

Coût

CM

C
E

CMAR

CMAM

TE Temps

Figure 3 : Critère de renouvellement économique

Pour un équipement donné, il faudra alors procéder à son renouvellement


au minimum des trois dates précédemment décrites : T* = Min ( TO ; TD ; TE )

4.2. Les stratégies de gestion des ASA

Traditionnellement, l’analyse en terme de gestion des différentes fonctions


des réseaux d’irrigation et de leur financement, séparait les fonctions d’exploitation
et de maintenance des activités de financement des infrastructures. Cette
dichotomie, qui pouvait être justifiée pour des raisons comptables1, politiques2 ou
sociales3 ne permet plus aujourd’hui de répondre clairement aux nouveaux

1
La maintenance et l’exploitation des réseaux est généralement financée par la section de
fonctionnement (ou compte de résultat) alors que les activités de financement des
investissements sont regroupées sous la section d’investissement (ou bilan). Cette
distinction s’adapte d’ailleurs très bien à la plupart des tarifications binômes dont l’assiette
de la partie fixe est essentiellement composée des annuités d’emprunt.
2
Le très fort niveau de soutien public favorisait également l’analyse ou la comptabilité
séparée de ces fonctions.
3
Dans certains pays, où il est économiquement souhaitable de maintenir l’irrigation et où il
n’est socialement pas possible de recouvrer auprès des usagers l’intégralité des coûts
d’exploitation et de maintenance, rien ne pousse le gestionnaire à analyser finement la
fonction de financement des infrastructures.

101
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

objectifs de gestion durable dans un contexte de coût d’opportunité des fonds


publics élevés, de risque de désengagement des bailleurs de fonds et de
renforcement législatif du contrôle et de la récupération des coûts (O.J.E.C. 2000).

Certains théoriciens préconisent la mise en place d’ « Asset Management


Programs1 » au sein des organismes gestionnaires pour accroître la durabilité (le
Vol.3 N°2 de Irrigation and Drainage System est en partie consacré aux AMP).
Cependant, l’horizon temporel particulièrement court de certains gestionnaires et
l’absence de système d’information dédié à la maintenance sont autant de facteurs
limitant leur mise en place (Loubier 2001).

Une autre dichotomie généralement rencontrée en économie des ressources


en propriété commune consiste à distinguer les activités d’allocation et de
fourniture de la ressource. Les activités d’allocation concernent la définition des
règles de partage de la ressource, leur mise en place et leur contrôle alors que les
activités de fourniture ou provision concernent la création, la maintenance, la
réhabilitation, la modernisation ou le renouvellement des infrastructures.
(Aggarwal 2000) constate en analysant plusieurs systèmes d’irrigation autogérés
que la coopération au sein du groupe pour assurer les activités précédentes est plus
élevée pour les activités (i) souvent répétées, (ii) pour lesquelles on dispose
d’informations communes sur les coûts et bénéfices et (iii) où les bénéfices de
court terme d’une défection sont faibles comparés aux bénéfices de long terme dus
à la coopération. (Blomquist et al. 1994) notent également que selon la nature de la
ressource (stockable ou non, mobile ou non), il sera plus ou moins facile de
développer des solutions aux problèmes d'appropriation et de fourniture a cause de
l'impact sur la fiabilité et du coût de l'information nécessaire pour assurer ces
activités.
Ce cadre d’analyse de la gestion durable des ressources en propriété communes2
s’applique particulièrement bien aux ASA qui, bien qu’ayant le statut
d’établissement public, sont en fait autogérées par les adhérents disposant des cinq
droits précédemment décrits.

Une analyse institutionnelle montre (Loubier, 2003) qu’au sein des ASA la
gestion des activités d’allocation est particulièrement bien assurée mais que les
stratégies de gestion de la maintenance et du renouvellement des équipements
souffrent d’un manque d’intérêt et de moyens.

Ces stratégies que nous qualifions de court ou moyen terme (Garin et al.
2001), consistent généralement à assurer un niveau de maintenance préventive

1
Un AMP est « une stratégie pour la création ou l’acquisition, la maintenance,
l’exploitation, la réhabilitation, la modernisation et le renouvellement des biens
d’équipement pour l’irrigation afin de fournir un niveau de service convenable au moindre
coût et durablement » (van Hofwegen et al. 1997). Les AMP reposent sur le concept déjà
ancien de coût de cycle de vie (Life Cycle Cost).
2
Voir (Wade 1988 ; Ostrom 1992 ; Baland et al. 1996 ; Agrawal 2001) pour une revue
complète des principes de gestion durable des ressources en propriété commune.

102
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

minimal1 afin d’éviter une rupture de service trop longue en cours de campagne et
à ne pas tenir compte de la consommation actuelle de capital fixe, c’est-à-dire à ne
pas effectuer de provisions ni pour la croissance des coûts futurs de maintenance
corrective ni pour le renouvellement des équipements. Plusieurs facteurs2
permettent d’expliquer ces choix de stratégie qui sont à la base conditionnés par le
degré de soutien public comme nous le montrons dans le paragraphe suivant.

5. Soutien public, maintenance et renouvellement

Nous allons donc montrer que le choix de stratégie de maintenance et de


renouvellement des équipements est étroitement lié au niveau de soutien public
initial en agissant sur le choix et le dimensionnement des équipements, mais
également au niveau de soutien pour le renouvellement.

5.1. Incidence du soutien public initial sur le choix et le dimensionnement des


équipements : une zone d’arbitrage économique élargie

De la confrontation des objectifs de la puissance publique aux contraintes


des agriculteurs naît un fort niveau de soutien pour les investissements initiaux.

Les bénéficiaires ne supportant qu’une faible part des coûts


d’investissement sont souvent tentés par une stratégie de suréquipement. Les
stations de pompage sont par exemple souvent dotées d’une pompe de secours pour
éviter, en cas de défaillance majeure, une rupture de service trop longue. Ce
suréquipement se traduit par un relèvement du seuil de défaillance et accroît pour
certains équipements la zone d’arbitrage économique entre maintenance et
renouvellement (Figure 4).

Mais l’élargissement de la zone d’arbitrage économique peut également


venir d’un déplacement du seuil d’obsolescence (Figure 4). C’est le cas notamment
lorsque le bénéficiaire des subventions opte pour du matériel de pointe (plus
coûteux mais obsolète plus tard) notamment en matière de régulation,
d’électronique et informatique, mais également lorsque le réseau est conçu avec un
débit de suréquipement pour faire face soit à une hausse de la demande soit à une
densification du réseau.

1
Certaines ASA raisonnant à très court terme négligent sciemment la maintenance
préventive quitte à engendrer des coûts importants de maintenance corrective et à accélérer
les fréquences de renouvellement des équipements dans un futur risqué et incertain.
2
Économique, psychologique, sociologique, technique, juridique, politique, historique et
relatif aux sciences de gestion (Garin et al. 2002).

103
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Probabilité de
Seuil d'obsolescence
défaillance

équipement
Sur-
Seuil de
défaillance
Zone d'arbitrage entre
Maintenance et Renouvellement
Matériel de
pointe

T D
T O
Temps

Figure 4 : Déplacement des seuils de défaillance et d’obsolescence

Le relèvement des seuils de défaillance et d’obsolescence, parfaitement


justifiable sur le plan économique, augmente la zone d’arbitrage économique c’est-
à-dire la probabilité de devoir renouveler l’équipement lorsqu’il devient
relativement plus coûteux de continuer à l’entretenir plutôt que de le remplacer.

Or, certains gestionnaires dont les ASA, ne disposant pas de système


d’information voué à la maintenance et ne raisonnant pas sur des pas de temps
aussi longs que la durée de vie de certains équipements, ne peuvent pas effectuer
cet arbitrage sans sources d’erreurs importantes.

Cet important soutien financier accordé pour les investissements initiaux


influence donc indirectement la durabilité du système en favorisant le
suréquipement ou le choix de matériel que les gestionnaires ne savent pas gérer de
manière optimale.

5.2. Incidence du soutien public escompté pour le renouvellement

Le niveau de soutien public escompté (que les gestionnaires pensent


obtenir) pour le renouvellement des équipements peut influencer non seulement la
date de renouvellement mais également le choix de stratégie de maintenance des
gestionnaires.

Du point de vue de la collectivité, les équipements devraient être


renouvelés, en TE si l’on procède à un renouvellement économique, en TO si le
critère de renouvellement est l’obsolescence ou bien en TD si l’on renouvelle selon
un critère de défaillance (Figure 4).

104
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Supposons un équipement de valeur V et pour lequel une maintenance de


bonne qualité entraîne en année t les dépenses mt :
 
(1 + b) t − 1 − bt
mt = V + p
 b 
 

avec « p » les dépenses de maintenance préventives exprimées en pourcentage de


la valeur de l’équipement et constantes au cours de la durée de vie du bien et « b »
un paramètre de forme de la fonction de maintenance corrective.

En année « T », la somme actualisée des dépenses de maintenance est alors


de la forme MT :


 (1 + b)  (1 + a) T − (1 + b) T   
t =T   T T p  (1 + a) T − 1 
 mt  = V.    (1 + a) − 1 (1 + a) − 1 T  
MT = ∑  (1 + a) t  
b(a − b)(1 + a) T

ab(1 + a) T
− 2 +
a (1 + a) T −1 a(1 + a) T
+
a(1 + a) T

t =1
   
 
 

avec « a » le taux d’actualisation.

Et le coût moyen de maintenance ( M T ) de la date de mise en service


a(1 + a) T
jusqu’en années T est obtenu en multipliant MT par soit :
(1 + a) T − 1
 
 a(1 + b)  (1 + a) T − (1 + b) T  
   T 1 1 
 
MT = V.  + T
− − − 1 + p
  (1 + a) − 1 b a
 b(a − b)  (1 + a) T − 1 
   
 
V
Le coût du renouvellement en année T est de la forme : R T =
(1 + a) T
Va
Et le coût moyen du renouvellement est égal à R T =
(1 + a) T − 1
La date de renouvellement économique correspond donc au minimum de la
somme des coûts moyens de maintenance et de renouvellement, soit à : CT =
RT + MT

Supposons un équipement pour lequel le gestionnaire consacre p = 1.5% de


sa valeur en maintenance préventive et occasionnant un paramètre b = 8.10-5 et
obsolète en t = 35 (le taux d’actualisation étant égal à 3%). Il faudra alors procéder
au renouvellement de l’équipement en T1 = 35 puisque la date de renouvellement
économique est postérieure à la date d’obsolescence (Figure 5) et le coût moyen de
maintenance et de renouvellement du point de vue de la collectivité correspond à
C1 = 4,4% de la valeur de l’équipement.

105
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

5,0%

C1 = 4,4%
4,0%

3,0%

2,0%

1,0%

0,0%
0 5 10 15 20 25 30 T1 =3535 40

Renouvellement Maintenance Coût moyen

Figure 5 : Coût et date du renouvellement du point de vue de la collectivité

Supposons maintenant que la puissance publique finance « α = 50 % » de


la valeur de l’équipement à renouveler. Le coût moyen du renouvellement pour le
gestionnaire sera alors de la forme
Va(1 − α) Vaα
R T 2 ;G = T2
et R T 2 ;P = pour la puissance publique.
(1 + a) −1 (1 + a) T 2 − 1

L’intervention publique, en réduisant le coût moyen du gestionnaire, incite


à renouveler l’équipement avant la date d’obsolescence (T2 = 30) (Figure 6) et
occasionne un coût moyen pour le gestionnaire de C2 = 3,5% de la valeur de
l’équipement. A stratégie de maintenance identique, seule la répartition de la
charge d’investissement étant modifiée, un renouvellement plus précoce ne peut
qu’entraîner une hausse du coût du point de vue de la collectivité. En effet, si le
coût du gestionnaire est réduit de C1 – C2 = 0.9 % de la valeur de l’équipement, la
part supportée par la puissance publique est supérieure à ce différentiel :
R T; P = 1.05 % de V. L’intervention publique entraîne donc une hausse de 3.6 %
du coût collectif.

Si la collectivité accepte ce surcoût, il peut être considéré comme le prix


collectif à payer pour satisfaire aux objectif initiaux d’aménagement du territoire,
d’emploi, de politique agricole…

106
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

5,0%

4,0%
C2 = 3,5%

3,0%

2,0%

1,0%

0,0%
0 5 10 15 20 25 T2=30
30 35 40

Renouvellement Maintenance Coût moyen

Figure 6 : Renouvellement et soutien public

Par contre, le gestionnaire peut adopter un comportement stratégique en


terme de maintenance1 c’est-à-dire négliger la maintenance préventive (p = 0)
quitte à accroître les dépenses futures de maintenance corrective (b = 2.10-4) et à
devoir procéder au renouvellement plus tôt. Le gestionnaire optera pour cette
stratégie lorsque le surcoût annuel actualisé du renouvellement est inférieur à
l’équivalent annuel des économies réalisées sur la maintenance. C’est-à-dire
lorsque : C 3 ≤ C 2 .

Compte tenu des paramètres retenus et en supposant un maintien du taux


de financement public, il est économiquement préférable pour le gestionnaire de
renouveler en T3 = 21, date où il supportera un coût moyen de C3 = 3 % de la
valeur de l’équipement (Figure 7), soit une baisse du coût moyen de 0.5 % de V ou
bien une réduction de coût de 14.6 % par rapport à la situation précédente. En
contrepartie, la part du coût supportée par la puissance publique passe de 1.05 à
1.74 % de V soit une hausse de +66 % par rapport à la situation où le gestionnaire
soignait la maintenance des équipements. Au total le coût moyen collectif
représente 4.73 % de V soit 4% de plus que dans la situation précédente et 8 % par
rapport à la première situation où la puissance publique n’intervenait pas.

Le taux escompté de subvention pour le renouvellement conditionne donc


le choix de stratégie de maintenance. Un taux élevé réduit la date de
renouvellement et ce d’autant plus que le gestionnaire néglige les activités de
maintenance.

1
Le terme stratégique suppose une connaissance des causes et des conséquences des
actions entreprises. Or, certaines ASA optent pour des stratégies dites de maintenance
médiocres faute de disposer d’informations suffisantes et fiables sur les conséquences de
leurs actions. D’autres, conscientes des causes et des conséquences sont à la fois dans
l’incapacité de sous-traiter la maintenance et techniquement incapables de l’effectuer elles
mêmes.

107
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

5,0%

4,0%

C3 = 3,0%
3%

2,0%

1,0%

0,0%
0 5 10 15 20
T3 = 21 25 30 35 40

Renouvellement Maintenance Coût moyen

Figure 7 : Renouvellement et comportement stratégique

Certains équipements qui du point de vue de la collectivité auraient du être


renouvelés selon un critère d’obsolescence, seront renouvelés plus précocement
selon le critère économique (tel que dans l’exemple précédent). D’autres, qui
auraient du être renouvelés selon un critère économique seront, en cas de
négligence de la maintenance, renouvelés plus tôt selon un critère de défaillance.

Le niveau de soutien public pour le renouvellement des équipements


conditionne donc la durabilité financière du système. Mais cette durabilité est
également étroitement liée à la préférence pour le présent des gestionnaires.

5.3. Incidence de l’actualisation sur le choix de stratégies de maintenance et de


renouvellement

La préférence pour le présent et le niveau de soutien public escompté pour le


renouvellement ont donc une influence sur le choix de stratégie de maintenance et
indépendamment de ce choix, sur la date de renouvellement économique des
équipements. Or, comme nous l’avons vu, pour un niveau de soutien public non
nul, toute modification de la date de renouvellement entraîne une variation de la
part du coût collectif supporté par la puissance publique.

La figure 8 illustre schématiquement l’influence qu’ont mutuellement, la


préférence pour le présent et le niveau de soutien public, sur la part du coût
collectif supporté par la puissance publique.

108
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Préférence pour le présent des gestionnaires

Faible Forte

Faible
Soutien public escompté 1
3

Fort 4

Part du coût collectif supporté par la puissance publique


Faible
Forte

Figure 8 : Variation du coût collectif en fonction


du niveau de soutien public et de la préférence pour le présent des gestionnaires

1. Un taux d’actualisation et un niveau d’intervention faibles (Zone 1, figure 8),


entraîne un renouvellement tardif de l’équipement, éventuellement borné par la
date d’obsolescence. Le transfert de coût du gestionnaire vers la puissance
publique est d’autant plus faible que les stratégies de maintenance médiocre
sont peu attractives.

2. Lorsque le niveau de soutien public augmente, la préférence pour le présent


demeurant faible (Zone 2, figure 8), les gestionnaires ont naturellement
tendance à renouveler leurs équipements plus tôt et à négliger la maintenance.
Pour des niveaux de soutien public très élevé, cette stratégie peut devenir très
attractive et occasionner un transfert de coût d'autant plus important.

3. Pour un niveau de soutien public faible et une préférence pour le présent élevée
(Zone 3, figure 8), les gestionnaires ont tendance à renouveler leurs
équipements assez tardivement. En effet, un fort taux d’actualisation, toutes
choses égales par ailleurs, ne signifie pas que les équipements seront
renouvelés plus tôt ; au contraire. Les gestionnaires qui ont une forte
préférence pour le présent acceptent de supporter des coûts de maintenance
élevés mais dévalorisés, plus longtemps que s’ils avaient une faible préférence
pour le présent. Par contre, pour ces gestionnaires là, les stratégies de faible
maintenance sont très attractives même pour des niveaux de soutien public
relativement faibles, risquant d'occasionner des transferts de coûts vers la
puissance publique plus que proportionnels au niveau d'intervention.

109
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

4. La part du coût collectif supporté par la puissance publique est naturellement


plus élevée pour de forts niveaux de soutien public et une forte préférence pour
le présent (Zone 4, figure 8). Les stratégies de faible maintenance deviennent
rapidement très attractives et occasionnent quasi systématiquement un
important surcoût collectif intégralement supporté par la puissance publique.
Le choix de stratégie de maintenance est étroitement lié à la préférence pour le
présent des gestionnaires, que l’on représente par leur taux d’actualisation,
mais également aux niveaux de risques et d’incertitudes auxquels ils sont
soumis.

Si le gestionnaire opte pour une stratégie de maintenance de qualité


médiocre en ayant une information parfaite sur l’évolution future des dépenses, il
n’aura aucun regret à avoir même lorsqu’il devra faire face aux coûts élevés de
maintenance corrective ou aux renouvellement plus précoces.

Par contre, si la stratégie de maintenance repose sur des informations


erronées, le gestionnaire peut regretter son choix initial et tenter de modifier sa
stratégie de maintenance au cours du cycle de vie de l’équipement. Or, le choix
initial d’une stratégie de maintenance de qualité médiocre est un choix irréversible
pour beaucoup d’équipements. En effet, il est d’autant plus difficile d’infléchir la
croissance des coûts de maintenance corrective que la stratégie de faible
maintenance est mise en œuvre depuis de nombreuses années. Les gains potentiels
d’un changement de stratégie peuvent alors être bien inférieurs aux coûts
nécessaires pour rectifier la tendance initiale.

Une solution consisterait donc à réduire le taux de subvention pour


favoriser l’émergence de stratégies dites de bonne maintenance dès la mise en
service de l’équipement. Or, les gestionnaires qui ont un fort taux d’actualisation,
plus enclins à négliger la maintenance, sont généralement ceux dont les usagers ont
du mal à rentabiliser la ressource suite à des variations de prix de marché, de
politique agricole, de concurrence sur la ressource… La puissance publique est
alors face à une situation où une réduction du soutien financier risque de conduire à
une désaffection du réseau, c’est-à-dire à un éloignement de ses objectifs initiaux et
où le maintien d’un soutien élevé favorise l’émergence de stratégies financièrement
non durables en accélérant les fréquences de demandes de subventions.

6. Conclusion et perspectives

Le fort soutien public pour le financement des investissements initiaux des


réseaux d’irrigation, a permis à la puissance publique d’atteindre ses objectifs
d’aménagement du territoire et de politique agricole. Mais il a également favorisé
le suréquipement, le surdimensionnement et l’acquisition de matériel de pointe.
Cette stratégie, en retardant l’obsolescence du matériel et en rendant le gestionnaire
moins sensible à la défaillance d’un équipement, accroît la zone où il est nécessaire
de procéder à un arbitrage économique entre continuer à entretenir l’équipement ou

110
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

bien le renouveler. Or, la capacité des gestionnaires à faire cet arbitrage dépend
essentiellement des systèmes d’information dont ils disposent et de l’horizon
temporel auquel ils raisonnent.

Une analyse en terme de droits de propriété montre par exemple que


l’horizon temporel de gestion des ASA (gérées par les usagers eux mêmes) est
dicté par des objectifs externes à l’institution. Cette importation d’objectifs et de
contraintes externes favorise la propension à gérer les équipements à court terme.

De plus, le taux escompté de subvention pour le renouvellement réduit non


seulement la date à laquelle le gestionnaire aura économiquement intérêt à
renouveler son équipement mais peut également favoriser l’émergence de
stratégies de maintenance de moindre qualité. Un taux élevé, en accélérant la
fréquence des demandes de soutiens financiers, a pour effet de transférer une partie
du coût du gestionnaire à la collectivité.

Deux situations sont alors possibles selon la priorité des objectifs de la


puissance publique. Ne pas modifier les politiques de soutien financier aux
renouvellements d’équipements et accepter, malgré un coût d’opportunité élevé des
fonds publics, la charge financière que cela représente afin de contribuer à la
satisfaction des objectifs initiaux d’aménagement du territoire ou bien, se
désengager partiellement du renouvellement pour responsabiliser les gestionnaires
et favoriser l’émergence de stratégies de bonne maintenance, moins coûteuses du
point de vue de la collectivité. Si cette dernière solution contribue au respect de la
contrainte budgétaire de la puissance publique, c’est-à-dire accroît sa durabilité
financière, elle peut également accroître la propension des gestionnaires à gérer
leurs infrastructures à court terme en réduisant les activités de maintenance pour
maintenir un certain niveau de rentabilité immédiate des cultures irriguées. La
durabilité technique des équipements puis la durabilité financière du gestionnaire
seraient alors remises en cause là où les systèmes de production dominants ont déjà
une rentabilité faible. Cependant, la disparition de certains systèmes de production
peut contribuer à satisfaire de nouveaux objectifs de politique agricole ou
environnementale et favoriser une réallocation de la ressource aux usagers qui la
valorisent le mieux.

Une analyse des modes de financement de la part non subventionnée des


renouvellements d’équipements gérés par des ASA montre que celles-ci
n’effectuent aucune provision et empruntent le moment venu l’intégralité du capital
dont elles ont besoin (Garin et al. 2001). Si cette stratégie, compte tenu de la
myopie des ASA, est optimale de leur point de vue (Loubier 2001), elle reporte sur
la puissance publique la responsabilité de la défaillance du système en cas de
réduction des subventions.

La puissance publique, pour éviter de contribuer autant au renouvellement


des équipements gérés par les ASA pourrait intervenir réglementairement en les
contraignant à suivre un cahier des charges et / ou en imposant la pratique d’un
certain niveau d’amortissement technique des infrastructures. Or, de telles mesures,
en ôtant des prérogatives à l’ASA, iraient à l’encontre des principes de gestion

111
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

durable définis en économie institutionnelle et réduirait le capital social local qui


est la force même des ASA (Garin et Loubier 2002).

Une alternative serait de mettre en place un système incitatif tel qu’une


mutuelle de financement du renouvellement des équipements des ASA (Loubier
2003). Cette mutuelle permettrait de réconcilier objectif et contraintes de court
terme des ASA et durabilité par un mécanisme incitatif en terme de maintenance.
En utilisant les cotisations actuelles pour le financement des renouvellements
présents, la mutuelle permettrait : (1) d'éviter le recours coûteux à l'emprunt, (2)
d'éviter l'érosion monétaire des dotations, (3) d'annuler les effets de la
méconnaissance des dates de renouvellement, (4) de bénéficier d'économies
d'échelles sur les achats de matériel, (5) de limiter les comportements opportunistes
des ASA en instaurant un système de bonus malus basé sur la qualité de la
maintenance préventive, ce qui permettrait de surcroît de pallier à l'absence de
système d'information sur la maintenance des équipements, et (6) de réduire les
asymétries d'informations entre la puissance publique et les ASA. En effet, la
garantie d’un financement privilégié aux ASA adhérentes dévoilerait en partie les
objectifs des politiques publiques, et l’adhésion à une mutuelle fournirait aux
bailleurs de fonds d'importantes informations sur le montant et la fréquence des
demandes de soutien financier.

Références bibliographiques

Aggarwal R.M., 2000, Possibilities and limitations to cooperation in small groups:


the case of group-owned wells in southern india, World Development, 28-8, 1481-
97.

Agrawal A., 2001, Common Property Institutions and Sustainable Governance of


Resources, World Development, 29-10, 1649-72.

Baland J-M., J.-P. Platteau, 1996, Halting degradation of natural resources: is there
a role for rural communities?, FAO and Clarendon press Oxford, 421p.

Blomquist W., E. Schlager, S.T. Tang, E. Ostrom, 1994, Regularities from the
field and possible explanation," in E. Ostrom, R. Gardner and J. Walker : Rules,
games, and common-pool resources, Ann Arbor, University of Michigan Press,
301-16.

Dinar A., A. Subramanian, 1997, Water pricing experiences: a international


perspective, Washington, D.C., World Bank Technical Paper 386, 1-12.

FAO, 1996, World Food Summit Fact Sheet, FAO ed, Rome.

Ferry D.J., R. Flanagan, 1991, Life cycle-costing : a radical approach, London,


Construction Industry Research and Information Association.

112
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Garin P., S. Loubier, 2002, Durabilité et fragilité des Associations Syndicales


Autorisées (ASA) d'irrigation en France, C. R. Acad. Agric. Fr 88, 61-71.

Garin P., S. Loubier, G. Gleyses, J.-P. Platon, Y. Lunet De Lajonquierre, 2001, Les
associations syndicales autorisées: Bilan d'étude sur leur fonctionnement et leurs
stratégies de maintenance, CEMAGREF - Série Irrigation "Rapports" 2001-01,
Montpellier, 57p.

J.O.R.F., 1982, Instruction interministérielle relative à certaines dispositions


applicables aux sociétés d'aménagement régionales concessionnaires, Journal
Officiel du 9 Décembre 1982.

Janin J-L., 1996, L'irrigation en France depuis 1988, La Houille Blanche 8, 27-34.

Knight F. H., 1921, Risk, Incertainty and Profit, Boston and New York Houghton
Miffin co., 381 p.

Lesbats R., H. Tardieu, M. Heritier, 1996, Associations d'irrigants dans le sud-


ouest de la France et leurs relations avec la CACG, La Houille Blanche 8, 61-65.

Lipsey R.G., K.A. Chrystal, 1995, Positive Economics: Oxford University Press,
Oxford, 1995.

Loubier S., 2001, Les stratégies de financement de la maintenance et du


renouvellement des équipements gérés par des ASA: une gestion optimale non
durable,in La gestion des périmètres irrigués collectifs à l'aube du XXIe siècle,
enjeux, problèmes, démarches, Cirad édition, 22 - 23 janvier 2001, Montpellier,
France. 141-54.

Loubier S., J-P. Terreaux, G. Gleyses, 2001, On the principles of economic


evaluation of irrigation systems - Sur les principes de l'évaluation économique des
systèmes irrigués, 19th European Regional Conference of ICID: Brno and Prague,
Czech Republic, 4-8 June 2001, 13p.

Loubier S., 2003, Gestion durable des aménagements d'hydraulique agricole:


conséquences sur la tarification et les politiques publiques en hydraulique agricole,
Thèse de doctorat de l'Université de Montpellier 1 - Cemagref UR Irrigation, 339p.

Mergos J., 1995, Sustainability, cost recovery and pricing for water in irrigation
investment, Economic aspect of water management in the Mediterranean area,
Serie A - N°31, Marrakech, 125-35.

Montginoul M., 1997, Une approche économique de la gestion de l'eau d'irrigation:


des instruments, de l'information et des acteur, Université de Montpellier I, Thèse
de Sciences Economiques, 296p.

O.J.E.C., 2000, Directive 2000/60/EC of the European Parliament and of the


Council, establishing a framework for Community action in the field of water

113
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

policy, Official Journal of European communities n° L 327, 22.12.2000, 23


October 2000, p 0001.

Ostrom E., 1992, Crafting Institution for Self-governing Irrigation Systems, San
Fransisco, Institute for Contemporary Studies Press, 111p.

Palacio V., G. Gleyses, S. Morardet, 1995, Typologie d'exploitations et demande


en eau pour d'irrigation, Ingénieries, EAT, 2, Juin 1995, 39-53.

Plantey J., 1999, Sustainable management principles of French hydro-agricultural


schemes, Irrigation and Drainage System, 3:2, 189-205.

Plantey J., J. Blanc, 1998, Management d'un organisme gestionnaire de périmètre


irrigué, in Traité d'irrigation, Tiercelin R. ed., Lavoisier Tec&Doc, Paris, 813-62.

Ruf T., 2001, Droits d'eau et institutions communautaires dans les Pyrénées-
Orientales: les tenanciers des cannaux de Prades (XIVe-XXe siècle), Histoire et
Sociétés Rurales, 16:2, 11-44.

Sandberg A., 1993, Gestion des ressources naturelles et droits de propriété dans le
grand Nord Norvégien: éléments pour une analyse comparative, Natures Sciences
Sociétés, 2 (4), 323-33.

Schlager E., E. Ostrom, 1992, Property-Rights Regimes and Natural Resources: A


Conceptual Analysis, Land Economics, 68:3, 249-62.

Van Hofwegen P.J.M., H.M. Malano, 1997,. Hydraulic infrastructure under


decentralised and privatised irrigation system management,. DVWK Bulletin,
N°20 - deregulation, decentralisation and privatisation in irrigation, 188-216.

Verdier J., J.-L. Millo, 1992, Maintenance des périmètres irrigués: Ministère de la
coopération et du développement, Collection "Techniques rurales en Afrique",
323p.

Wade R., 1988, Village republics: economic conditions for collective action in
South India, Oackland, ICS Press.

Waggoner P.E., 1994, How much land can ten billion spare for nature?, Council for
Agricultural Science and Technology, The Rockfeller University, New York.

114
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Chapitre 6¤

Un exemple d’évaluation de coût externe environnemental :


les décharges d’ordures ménagères

Jacques MERY

Cemagref, Unité de Recherche Hydrosystèmes et Bioprocédés,


Parc de Tourvoie, BP44 92163 Antony Cedex

jacques.mery@cemagref.fr

1. Introduction

La justification économique des choix énergétiques ou de l’implantation


d’ouvrages collectifs tient de plus en plus compte des effets non marchands comme
les pollutions engendrées localement ou globalement, y compris en matière de
traitement des déchets (Dufeigneux et Plantu, 2004). Cette internalisation des
externalités permettant de prendre en compte les intérêts de toutes les parties
intéressées peut néanmoins buter sur des difficultés d’évaluation des impacts
d’une part, de leur traduction monétaire d’autre part. Nous allons en donner un
exemple dans le domaine de l’environnement avec le cas du stockage des déchets
ménagers.

Les réactions biochimiques au sein d’une décharge d’ordures ménagère


sont dus aux déchets organiques qui passent par une courte dégradation aérobie
(quelques semaines), puis, avec leur enfouissement et leur hydratation par les eaux
météoriques, par des phases anaérobies d’abord acides (plusieurs mois) puis
méthanogènes (plusieurs années). Il s’ensuit des émissions de lixiviats en fond de
décharge et de biogaz (gaz carbonique et méthane) en couverture. Les textes
réglementaires imposent depuis plusieurs années une étanchéité en fond, le
drainage et la récupération des lixiviats, et la captation du biogaz s’accumulant
sous la couverture. S’agissant d’ouvrages géotechniques, la récupération de ces
émissions liquides et gazeuses ne peut être aussi contrôlée que dans une installation
industrielle (comme un méthaniseur, par exemple) et il existe donc toujours, même
dans les décharges modernes, des émissions de lixiviat et de biogaz dans
l’environnement. D’autres nuisances physiques peuvent être signalées, comme la
présence d’animaux, les odeurs dues au biogaz et le trafic induit (bruit, pollution de
l’air, dégradation des chaussées).

Une approche économique complète quantifiant et cherchant à maximiser


le bien-être de la collectivité ne saurait toutefois en rester à cette analyse purement
¤
Référence: Méry J., 2005, Un exemple d’évaluation de coût externe environnemental : les
décharges d’ordures ménagères, in J.P. Terreaux (Ed.), Economie des Equipements pour
l'Eau et l'Environnement, Cemagref, Antony.

115
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

physique. On peut en effet très bien imaginer que les riverains d’une décharge
subissent une perte de bien-être, quand bien même n’y aurait-il aucun flux
physique mesurable émis. La quantification de cette perte de bien-être ne peut
évidemment plus se faire par les sciences de l’ingénieur synthétisées par exemple
dans les démarches d’analyse de cycle de vie ou d’évaluation des risques, mais doit
faire appel aux sciences sociales.

2. Méthodologies d’évaluation des externalités environnementales

Il est possible de classer les méthodologies d’évaluation des externalités


dans le domaine de l’environnement en deux grandes catégories : celles issues des
sciences de l’ingénieur, privilégiant les effets « réels » car fondées sur des données
matérielles donc objectives (analyse de cycle de vie, évaluation des risques
sanitaires, coûts des travaux de suppression des dommages à la source ou au
récepteur cible) et celles issues des sciences sociales, privilégiant les effets
« perçus » car fondées sur des données humaines donc subjectives, par exemple le
principe économique de souveraineté du consommateur reconnu seul juge de son
bien-être et dont il faut connaître les préférences explicitement (évaluation
contingente) ou implicitement (utilisation de comportements ou de marchés
corrélés aux externalités étudiées).

Un exemple classique de la première catégorie est donné par les recherches


financées par la commission européenne dans les années 1990 sur les externalités
de l’énergie (CE, 1995), dont les principes méthodologiques ont été décrits dans un
rapport spécifique et actualisé (CE, 1998) et ont été repris en partie dans le
domaine de la santé publique pour les évaluations quantitatives du risque sanitaire
(INVS, 2000 ; INERIS, 2000).

Un exemple classique de la seconde catégorie concerne l’évaluation de


biens environnementaux non marchands comme la qualité d’un paysage ou la
biodiversité (par exemple la non disparition de certaines espèces animales
particulièrement populaires). Cette seconde catégorie fait usage de techniques
d’enquête de consentement à payer ou à recevoir, cherchant à faire exprimer
explicitement et souvent monétairement les préférences environnementales
supposées pré-exister des agents économiques (méthode d’évaluation contingente),
ou à révéler ces préférences par l’analyse statistique du comportement des agents
économiques sur un marché supposé corrélé au bien environnemental à évaluer
(méthode des prix hédonistes). Dans le cas des décharges, le marché en question
est typiquement le marché immobilier, et le bien environnemental la distance à la
décharge. La méthode d’évaluation contingente fait tout particulièrement l’objet de
débats, du fait de l’universalité de son champ d’application et de sa fiabilité
discutable (NSS, 1999 ; Hanemann, 1994 ; pour une description plus précise des
techniques d’enquête et d’analyse employées, voir Bateman et al (2002)). La
méthode des prix hédonistes a été appliquée à certaines décharges nord-
américaines (COWI, 2000), et tout récemment aux décharges anglaises (DEFRA,
2003).

116
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Toutefois, les méthodologies issues des sciences de l’ingénieur


n’échappent pas, outre leur applicabilité moindre (il faut pouvoir identifier et
mesurer des flux polluants de matière ou d’énergie), à la nécessité d’évaluer deux
grandeurs difficilement objectivables : la vie humaine et le temps.

La vie humaine a pu être estimée par la valeur d’une réduction du risque de


mortalité, conduisant à la valeur de la « vie statistique » (environ 3 millions d’euros
dans l’étude ExternE (CE, 1995)).

La valeur du temps se traduit par le taux d’actualisation, dont le principe


même pose des problèmes d’ordre éthique sur le long terme (équité entre
générations) et dont le choix est d’autant plus délicat qu’on ne se situe ici plus dans
le secteur marchand où il peut être assimilé dans certains cas au taux d’intérêt.
Compte tenu de l’importance de ce paramètre pour le stockage, activité par
définition de long terme, il n’est pas inutile de présenter ici certains
développements récents en la matière.

L’étude ExternE a éludé la question du choix du taux d’actualisation en


proposant trois valeurs : 0%, 3% et 10%. Les évaluations économiques sur l’effet
de serre prennent souvent des valeurs d’environ 5% sur la base d’une préférence
pure pour le présent d’environ 2% et d’une croissance économique constante et
modérée au 21ème siècle de 2 à 3% par an (Arrow, 1995). Certaines font même des
hypothèses sur la distribution de probabilité du taux (variant par exemple entre 0%
et 3% (Fankhauser, 1994)), donnant ainsi accès à des analyses probabilistes de
Monte-Carlo.

Par contre très peu d’études (Charpin et al, 2001 ; HM Treasury, 2003)
proposent d’appliquer des concepts plus novateurs, comme les taux décroissants
dans le temps dont la justification est d’ordre à la fois technique (Weitzmann,
2001) et psychologique (Frederick et al, 2002) ou comme les taux fondés sur la
démographie dont la justification est qu’une préférence collective doit être la
somme des préférences d’individus mortels (Kula, 1997 ; Bayer, 2003).

Nous donnons à titre d’exemple l’évolution dans le temps des facteurs


d’actualisation pour un taux constant de 8% (celui utilisé par l’Etat pour les projet
publics) et pour un taux décroissant dans le temps selon une loi hyperbolique
choisie pour donner des facteurs similaires à court terme (tableau 1).

Facteur 1 an 5 10 20 50 100
d’actualisation ans ans ans ans ans
D(t)=1/(1,08)t 0,93 0,86 0,46 0,21 0,02 0,00
D(t)=1/(1+0,1t) 0,91 0,67 0,50 0,33 0,17 0,09
Tableau 1: évolution de facteurs d’actualisation pour des taux constants et
décroissants

117
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

On peut aisément constater qu’à long terme, les facteurs d’actualisation


divergent sensiblement et peuvent donc conduire à des évaluations à long terme
totalement différentes. Toutefois, notons que l’emploi de taux décroissants posent
des problèmes théoriques actuellement non résolus, qui conduisent actuellement à
préférer d’autres approches (voir l’article de Terreaux et al. dans ce même
ouvrage).

3. Les applications aux décharges d’ordures ménagères : état de l’art et


synthèse

Le lecteur intéressé pourra trouver dans un récent rapport de la commission


européenne (COWI, 2000) une récapitulation et une analyse critique des études
ayant tenté d’évaluer le coût externe du stockage des déchets ménagers. Il en
ressort que la principale étude crédible sur le sujet émane du CSERGE (CSERGE,
1993), complétée d’études spécifiques ultérieures sur les pertes de bien-être dues
au voisinage d’une décharge (employant généralement la méthode des prix
hédonistes).

On peut distinguer les impacts locaux du principal impact global qui est
l’effet de serre du méthane.

L’effet de serre du méthane

L’effet de serre de l’atmosphère est dû au gaz carbonique d’une part (du


fait des quantités rejetées) et certains gaz au potentiel radiatif particulièrement
élevé d’autre part (le protocole de Kyoto considère le méthane, l’oxyde nitreux et
de nombreux gaz fluorés). Le méthane compte entre 10% et 20% dans cet effet.
Une moitié est d’origine naturelle (marais, sols, animaux), l’autre moitié d’origine
anthropique (ruminants, cultures, déchets). Bien que la contribution des déchets
soit faible, elle est une des rares à pouvoir être réduite à moindre coût, d’où
l’intérêt actuellement porté au biogaz issu des déchets, et en particulier des
décharges. Idéalement, il suffirait de connaître le coût du dommage causé par
l’effet de serre d’une quantité donnée de méthane pour obtenir le coût externe de
l’effet de serre issu d’une décharge. Malgré les progrès des sciences de la terre qui
prédisent actuellement un réchauffement situé entre 1,5 et 6 °C et une élévation du
niveau des océans de l’ordre du mètre en 2100 (IPCC, 2001), les conséquences sur
le monde végétal, animal et humain sont bien évidemment plus difficiles à
quantifier.

Les économistes qui ont tenté une évaluation de ces dommages arrivent à
quelques % de la richesse mondiale (avec des variations pouvant être importantes
entre pays), soit entre 1 et 20 euros la tonne de carbone, qu’il s’agit ensuite de
convertir en tonne de méthane à l’aide du potentiel de réchauffement global du
méthane par rapport au gaz carbonique. L’étendue des valeurs obtenues due aux
incertitudes sur un tel horizon temporel, les problèmes méthodologiques et éthiques
rencontrés (sensibilité au taux d’actualisation, valeur de la vie humaine et de la
biodiversité) et la probabilité faible mais non nulle d’un scénario catastrophique

118
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

(dû par exemple à des boucles de rétroaction positive du système climatique)


rendent finalement ces évaluations moins opérationnelles que le calcul du coût de
mise en œuvre d’un principe de précaution comme le protocole de Kyoto. En effet,
on reste là dans la sphère marchande, où le calcul économique n’a pas de
problèmes de légitimité. Ainsi, les valeurs de la tonne de carbone fossile
actuellement retenues varient de 80 à 150 euros (Blanchard et Criqui, 1999). Mais
il faut rester conscient du caractère conventionnel de ces chiffres.

Les fuites de biogaz

L’utilisation de récentes études européennes sur la pollution de l’air permet


l’évaluation monétaire de leurs impacts sur la santé humaine. Dans le cas des
décharges, ces impacts s’avèrent négligeables, car les concentrations en polluants
(SO2, NOx, composés organiques) sont faibles. Du fait de la migration latérale du
biogaz dans le sol, déjà constatée jusqu’à quelques centaines de mètres, des risques
d’explosion dans les bâtiments avoisinants et des risques d’asphyxie de plantes et
d’animaux existent. De tels événements restent toutefois exceptionnels et seront
négligés ici.

Par contre, les odeurs engendrées par certains composés (H2S, organiques),
même non dangereuses, peuvent conduire à une perte de bien-être des riverains
(qui peut, elle, engendrer des problèmes de santé). On est alors obligé d’évaluer
explicitement le consentement à payer ou recevoir des personnes concernées. Le
coût de ces évaluations fait qu’elles ont rarement été appliquées à ce seul problème.

Les fuites de lixiviat

Bien que ce risque ait motivé la réglementation technique du stockage, il y


a très peu d’études qui soient parvenues à calculer une valeur monétaire de
l’impact sur la santé d’une pollution de nappe par des lixiviats.

Cela provient de la difficulté à détecter et quantifier ces fuites, du caractère


local et pas toujours bien connu du contexte hydrogéologique, et de relations dose
réponse probablement moins établies que dans le domaine de la pollution de l’air.
De ce fait, l’approche la plus souvent retenue est de quantifier les coûts de
réparation en cas de pollution de nappe (changement de captage, réhabilitation de
nappe par pompage localisé ou confinement), ce qui est différent de l’évaluation
des dommages, mais souvent pratiqué car ne nécessitant que la connaissance du
coût de travaux.

La principale étude ayant quantifié ce risque ((CSERGE, 1993), reprise


dans (COWI, 2000)) donne le chiffre d’un euro par tonne de déchets stockés. Elle
s’est fondée pour cela sur une distribution supposée raisonnable d’accidents, dont
le coût de réparation était connu. La pollution graduelle, due à des défauts du
dispositif d’étanchéité drainage, n’est pas explicitée alors qu’il s’agit d’un risque
non négligeable qui peut croître dans le temps (vieillissement des géomembranes et

119
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

comportement sous contrainte de leurs éventuels plis, colmatage physique et


biologique des drains, hétérogénéités de perméabilité et fissuration de retrait dans
les barrières minérales)

Le trafic induit

On peut se demander si cet impact indirect doit être pris en compte, dans la
mesure ou toute autre technique de traitement des déchets induirait aussi un trafic,
en particulier un incinérateur. Son évaluation est de mieux en mieux cernée
(Boiteux, 2001), mais la contribution à l’effet de serre du transport routier conduit
aux même problèmes d’évaluation que celle du biogaz et l’évaluation de la
nuisance sonore nécessite d’évaluer le consentement à payer ou recevoir des
personnes concernées, sauf à adopter la méthode des coûts de réparation (coût d’un
mur anti-bruit).

Connaissant le coût externe du transport routier et le tonnage transportés,


on peut alors ramener le coût de cet impact à la tonne de déchets stockés.

Les pertes de bien-être des riverains

Bien que les désagréments subis par les riverains puissent être directement
occasionnés par les impacts précédents (sous forme de problèmes de santé
notamment), on peut très bien imaginer que l’image négative de la décharge,
indépendamment de toute pollution due à un flux physique, puisse diminuer leur
bien-être. C’est là que l’on s’aperçoit du caractère très général de la théorie
économique par rapport à des approches comme les analyses de cycles de vie qui
ne peuvent accéder, par définition, qu’aux flux matériels voire énergétiques (bruit).

Les techniques d’évaluation consistent alors soit à faire exprimer


directement les préférences des riverains en termes de consentement à payer ou
recevoir – méthode d’évaluation contingente (Hanemann, 1994 ; Bateson et al,
2002) - soit à révéler leurs préférences par l’intermédiaire de marchés corrélés à
l’impact considéré comme les prix de l’immobilier (méthode des prix hédonistes).
Il faut alors faire attention à ne pas faire de double compte avec les évaluations des
impacts précédemment cités (par exemple, en cas d’odeurs, distinguer les effets sur
la santé de la simple gêne). De nombreuses études nord-américaines ont appliqué
ces techniques aux centres de stockage de déchets industriels et ont conduit à une
valeur monétarisée de perte de bien-être d’une quarantaine d’euros par personne.
Moyennant certaines hypothèses démographiques, cette perte de bien-être
représente une trentaine d’euros par tonne de déchets stockés (COWI, 2000).

Les coûts évités

La récupération du biogaz nécessite soit de le brûler en torchère, soit de


l’utiliser comme source d’énergie sous forme de chaleur ou d’électricité. Dans le
second cas, si l’on considère l’énergie issue des déchets comme une ressource

120
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

renouvelable, on peut être amené à considérer qu’elle remplace des sources


d’énergie fossile. Les coûts marchands évités ne constituent pas une externalité
puisque le gestionnaire de la décharge pourra vendre l’énergie produite (ceci
supposant que le marché évalue correctement le prix des ressources épuisables),
mais éviter une autre source d’énergie constitue une externalité si la source
d’énergie remplacée est polluante. C’est le cas des centrales au charbon (coût de la
pollution évitée de 4 euros par tonne de déchets ménagers stockés), des centrales au
fuel (coût de la pollution évitée de 3 euros par tonne de déchets ménagers stockés)
ou au gaz (coût de la pollution évitée de moins de 3 euros la tonne de déchets
ménagers stockés). Le cas des centrales nucléaires est un peu particulier : leur
pollution immédiate étant négligeable par rapport aux sources précédentes, le coût
de la pollution évitée est quasiment nul (dans la mesure où le problème du stockage
et de la dissémination des déchets nucléaires ont disparu par la magie de
l’actualisation, et où aucune étude n’a semble t-il évalué la perte de bien-être des
riverains des centrales nucléaires). Le choix de l’énergie de remplacement peut se
faire sur différents critères (fourniture de base ou de pointe notamment), et influe
évidemment sur les résultats.

Synthèse

Le tableau 2 ci-dessous, issu du rapport (COWI, 2000) synthétise les


chiffres données aux paragraphes précédents, avec en note les principales
hypothèses de calcul ayant permis de les obtenir.

121
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Externalités des décharges Avec confinement1 Sans


2
confinement
(Hors transport des déchets) Moyenne (min; max) Moyenne (min;
max)
(Euros/tonne) (Euros/tonne)

Effet de serre3,4 5 (1 ; 14) 8 (2 ; 23)


Pollution de l’air5 0,10 (0,02 ; 0,20) 0
Pollution sols et eaux6 0,0 (0,0 ; 1,0) 1,5 (1,0 ; 2,0)
Dommages physiques bruts 5 (1 ; 15) 10 (3 ; 25)

Pertes de bien-être7 10 (6 ; 19) 10 (6 ; 19)

Externalités brutes 15 (7 ; 34) 20 (9 ; 44)

Coûts évités par 4 (1 ; 10) 0


Récupération du biogaz
(pollution de l’air par
centrale au charbon évitée8)

Externalités nettes9 11 (6 ; 24) 20 (9 ; 44)

1) Taux de fuite : lixiviat 0%, biogaz 60%


2) Taux de fuite : lixiviat 100%, biogaz 100%
3) Valeurs issues de (Fankhauser, 1995), où le taux annuel d’actualisation
varie de 0% à 3%
4) Intègre une incertitude de 50% autour de la production moyenne de biogaz
5) Exploitation énergétique du biogaz associée au confinement, génératrice de
pollution
6) Espérance mathématique du coût de réparation d’après (CSERGE, 1993)
7) Incluent les effets physiques sur la santé. Calculées à partir d’hypothèses
raisonnables mais arbitraires
8) Hypothèse la plus défavorable. Ces coûts sont en général inférieurs, voire
nuls si l’énergie substituée est d’origine nucléaire et le taux d’actualisation
strictement positif
9) Pour calculer les minima (respectivement maxima) des valeurs nettes, il
n’y a pas eu addition des minima (maxima) des externalités brutes et des
minima (maxima) des coûts évités, car ces cas extrêmes sont très peu
probables : un fort coût d’effet de serre (externalité brute) implique un fort
coût évité

Tableau 2 : Evaluation des externalités des décharges selon (COWI, 2000)

122
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

4. Conclusion

Le tableau synthétisant l’état de l’art en matière d’évaluation des


externalités environnementales du stockage de classe 2 montre que les pertes de
bien-être des riverains sont du même ordre de grandeur monétaire que les
dommages physiques, ce qui n’était pas évident a priori et justifierait, pour le
moins, un meilleur financement des structures associant les parties intéressées, par
exemple les contre-expertises demandées dans le cadre des Commissions Locales
d’Information et de Surveillance.

Cela ne signifie toutefois pas qu’il n’y a pas d’impact physique sur
l’environnement : aux fuites de lixiviats déjà mal connues sur les décharges
construites récemment, s’ajoute la question de la pérennité de leurs dispositifs
d’étanchéité à long terme. Cette épée de Damoclès des décharges justifie les
recherches en cours sur le stockage en bioréacteurs, destiné à accélérer
artificiellement la dégradation des déchets afin de ne plus avoir de source
potentielle de pollution quand le temps de défaillance de l’étanchéité sera atteint.
Ces techniques peuvent contribuer au développement durable en ce sens que
chaque génération assume ses propres déchets, sans transmettre de cadeau
empoisonné à ses successeurs.

Références bibliographiques

Arrow K., 1995, Effet de serre et actualisation, Revue de l’Energie, n° 471.

Bateman I., Carson B., Hanemann M., Hett T., Jones-Lee M., Loomes S., Mourato
E., Özdemiroglu E., Pearce D., Sugden R., Swanson J., 2002, Economic valuation
with stated preference techniques : a manual, Edward Elgar, 480 pp.

Bayer S., 2003, Generation-adjusted discounting in long-term decision-making,


International Journal of Sustainable Development, 6-1, 133-149.

Blanchard O., Criqui P., 1999, Le concept de valeur du carbone, évaluation et


applications dans les politiques de lutte contre le changement climatique, Rapport
au commissariat général du Plan, juin 1999.

Boiteux M., 2001, Transports : choix des investissements et coût des nuisances, La
documentation française, 441 p.

Charpin J., Dessus B., Pellat R., 2001, Etude économique prospective de la filière
électrique nucléaire, rapport du Commissariat Général au Plan.

CE, 1995, Externalities of Energy, vol. 1 à 7, rapport de la Commission


Européenne.

CE, 1998, Externalities of Energy - Methodology, 1998 update, vol. 8, rapport de


la Commission Européenne.

123
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

COWI, 2000, Economic valuation of environmental externalities from landfill


disposal and incineration of waste, Rapport (téléchargeable) de la Commission
Européenne.

CSERGE, 1993, Externalities from landfill and incineration, U.K. Department of


the Environment, 62 p. et annexes.

Dufeigneux J.L., Tetu A., 2004, Rapport de l’instance d’évaluation de la politique


du service public des déchets ménagers et assimilés, Commissariat général du plan,
La Documentation Française, 811 p. et annexes

DEFRA, 2003, A study to estimate the disamenity costs of landfill in Great Britain,
Cambridge Econometrics

Fankhauser S., 1995, Valuing climate change : the economics of the greenhouse,
Earthscan publications.

Frederick S., Loewenstein F., O’Donoghue T., 2002, Time discounting and time
preference : a critical review, Journal of Economic Literature, 15, 351-401.

Hanemann M., 1994, Valuing the environment through contingent valuation,


Journal of Economic Perspectives, 8(4), 19-43.

HM Treasury, 2003, The Green Book : appraisal and evaluation in central


government, London.

INERIS, 2000, Evaluation des risques sanitaires liés aux substances chimiques
dans l’étude d’impact des ICPE, Référentiel de l’Institut National de
l’Environnement Industriel et des Risques, Direction des risques chroniques.

INVS, 2000, Guide d’analyse du volet sanitaire des études d’impact, Institut
national de veille sanitaire.

IPCC, 2001, Troisième rapport d’évaluation. Résumé pour les décideurs,


Intergovernmental Panel on Climate Change.

Kula E., 1997, Time discounting and future generations, Quorum books, 181 p.

NSS, 1999, Séminaire sur la méthode d’évaluation contingente, Nature Sciences


Sociétés, 7-2/3.

Weitzmann M., 2001, Gamma discounting, American Economic Review, 91-1,


261-271.

124
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Chapitre 7¤

L’implantation conflictuelle des équipements collectifs.


Réflexions à partir de la gestion des déchets

Rémi Barbier

U.M.R. Cemagref – ENGEES en « Gestion des Services Publics »


1, quai Koch, BP 1039F, 67070 Strasbourg cedex
remi.barbier@cemagref.fr

La multiplication des conflits autour des équipements collectifs pose avec


insistance la question de la place des personnes ordinaires dans la conduite de tels
projets. Pendant longtemps, elles ont occupé bon gré mal gré la modeste place qui
leur avait été réservée : « l’insertion harmonieuse des activités dans
l’environnement » se jouait d’abord en petit cercle dans la « région élevée de
l’intérêt général », avant de redescendre, pour de modestes ajustements, dans
l’enfer des intérêts particuliers. La généralisation et la virulence des conflits montre
à quel point ce modèle paraît à bout de souffle : ici des opposants souhaitent
redéfinir collectivement l’intérêt général et ne plus en laisser le monopole aux seuls
élus, là des riverains potentiels veulent « donner leur avis » sans pour autant devoir
se transformer en experts, ailleurs des militants mettent en avant les incertitudes
scientifiques pour exiger un moratoire sur l’incinération…

Autant de revendications plongeant les porteurs de projet dans le


désarroi… et provoquant des interprétations divergentes. Nous proposerons donc
dans une première partie un certain nombre de clarifications, afin de séparer ce qui
dans l’action est souvent mêlé ou obscurci. Quelles sont les motivations des
opposants ? Quelles sont les logiques d’action repérables ? Le problème est-il celui
d’un manque de communication ? Dans une seconde partie, nous serons amené à
proposer et explorer une hypothèse plus générale. La multiplication des conflits
met en crise le modèle classique d’implantation, habituellement résumé par la
formule « décider-annoncer-défendre-ajuster ». Sa légitimité reposait sur la double
référence à l’intérêt général et à la rationalité technique, repères que les acteurs
parviennent précisément à brouiller. On doit alors imaginer un substitut à ce
modèle de l’Autorité savante, susceptible de générer de nouvelles représentations
et de nouvelles pratiques. A la suite de Latour (1999), nous tenterons de préciser ici
le modèle de l’expérimentation collective. Nous nous appuyons sur une série de

¤
Référence: Barbier R. , 2005, L’implantation conflictuelle des équipements collectifs,
Réflexions à partir de la gestion des déchets, in J.P. Terreaux (Ed.), Economie des
Equipements pour l'Eau et l'Environnement, Cemagref, Antony.

125
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

travaux consacrés à l’implantation des équipements de traitement des déchets


(Barbier, 1994 ; Barbier, Waechter et al., 2000)1.

1. Ce qui se joue dans les conflits, essai de clarification

1.1. Variété des motifs d’engagement dans un conflit

La première question que nous pouvons tenter de clarifier est celle des
motivations qui peuvent pousser des « personnes ordinaires » à s’engager dans un
conflit à propos d’un projet technique. On peut distinguer cinq motifs explicatifs
différents, qui peuvent évidemment se combiner et évoluer dans le temps : le motif
des intérêts, celui de la sociabilité, celui du ressentiment, celui des craintes et
inquiétudes, et enfin celui de la responsabilité.

Le motif des intérêts est le plus répandu, en sciences sociales comme dans
les interprétations spontanées des porteurs de projet. Les opposants poursuivraient
tout simplement la défense de leurs intérêts particuliers, et notamment de leurs
intérêts de propriétaires : quoi qu’ils en disent, ils visent surtout à préserver la
valeur d’un patrimoine inévitablement menacé par la proximité d’un équipement
générateur de nuisances. C’est d’ailleurs ce qui est sous-entendu lorsqu’on parle de
conflit nimbyiste (de l’acronyme nimby : not in my back-yard, soit : pas dans mon
jardin !). Lorsqu’on soumet cette explication à des opposants, loin de s’en
offusquer, ils reconnaissent qu’il y a bien là pour certains un facteur explicatif de la
mobilisation : « C’est vrai que ça a joué, on ne peut pas dire le contraire, la décote
[immobilière] pouvait aller jusqu’à 30 à 40%. Il y a des gens qui ont donné 1000F
pour l’association, maintenant que le projet est annulé, ils sont moins motivés »,
explique par exemple le président d’une association de défense du cadre de vie
constituée pour lutter contre un incinérateur. Il faut reconnaître que la figure du
propriétaire a joué historiquement un rôle central dans l’émergence de la société
démocratique bourgeoise, et que de nombreux comportements relèvent de la
défense des intérêts privés. Toutefois, au moins dans le contexte culturel français
contemporain, les intérêts particuliers semblent avoir plus de mal à légitimer une
opposition publique. Comme nous le verrons, les acteurs manifestent une
compétence à mobiliser d’autres catégories d’intérêts.

On reconnaît également que les bénéfices ou gratifications recherchées par


les opposants peuvent être de nature plus symbolique : on passe alors du motif des
intérêts à celui de la sociabilité, c’est-à-dire du plaisir éprouvé dans la participation
à l’action commune. Cette dernière provoque un resserrement des liens de
communication, le renforcement du sentiment d’appartenance à une collectivité, en
même temps qu’une rupture par rapport à la routine du quotidien. Voici par
exemple les souvenirs que la lutte récemment engagée contre un projet
d’incinérateur rappelle au président d’une association : « Notre expérience de la
1
Ce programme de recherches a bénéficié du soutien du Cemagref et de celui de l’Agence
des Villes. Une première version de ce texte a été présentée, en collaboration avec I.
Sannié, au colloque ISWA tenu à Paris en juillet 2000 sur le thème : « 2000 and beyond :
which choices for waste management ? ».

126
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

vie associative remonte à il y a quelques années, lorsqu’il était prévu de faire


passer la RN 154 au milieu du village. Un petit village paisible est alors devenu
révolutionnaire ; il y a eu une dynamique formidable... (...). La création d’une
association a démultiplié comme par cent la communication au sein du village. La
plupart des gens au sein de l’association se tutoient ». A la limite, l’objet n’est plus
finalement qu’un prétexte.

Un peu dans le même ordre d’idées, les conflits permettent d’exprimer un


agrégat de ressentiments, frustrations, méfiances multiples. Il est vrai que certains
équipements semblent se prêter particulièrement bien à ce rôle de catalyseur
négatif. Si on suit par exemple Nahon (1999), pour certaines catégories de la
population riveraine, l’incinérateur grenoblois Athanor fait figure de bouc
émissaire, « exutoire de tous les maux du temps » dont le « sacrifice
symbolique serait porteur d’une fonction régénératrice des liens sociaux ». L’objet
de ce ressentiment peut être davantage ciblé : suivant Jodelet et al. (1997), on peut
dire que cette méfiance à l’égard des projets trouve sa source dans une méfiance à
l’égard des acteurs officiels de la gestion des déchets, voire de la gestion publique
en général. Les exploitants sont suspectés de privilégier le court-terme et la
rentabilité immédiate au détriment du respect de l’environnement ; de leur côté, les
administrations comme les élus sont supposés être trop sensibles aux arguments
des pollueurs.

Les craintes et inquiétudes, sanitaires et/ou environnementales, forment


également un puissant motif d’engagement. On avance parfois que le déchet serait
intrinsèquement un objet menaçant, un « mauvais objet persécutant ». Il est vrai
que les déchets ont de tout temps constitué un défi appelant une intervention
collective. Historiquement, la nature des défis et les réponses apportées ont bien
évidemment considérablement varié : enjeux d’encombrement, sanitaires et
écologiques se sont succédés et combinés (Barbier, 1997). Mais, à la suite de M.
Douglas (1992), on peut considérer qu’ils relèvent d’une trame anthropologique
commune, celle qui fait du déchet une « offense contre l’ordre », une « anomalie »
relative à nos systèmes de classification des matières et des espaces, des choses
qu’il convient par conséquent « d’écarter vigoureusement » afin qu’elles
s’indifférencient « au sein d’un tas d’ordures quelconque ». Tous les règlements,
équipements et acteurs constitutifs de l’univers des déchets sont en quelque sorte
destinés à assurer cette mise en ordre, à prévenir ce brouillage des espaces, et à
rendre possible cette indifférenciation.

L’activation du motif des craintes et inquiétudes tient précisément au fait


que les déchets échappent régulièrement à cet horizon d’attente : l’anomalie paraît
irréductible, soit que les déchets débordent des espaces et circuits où on les pensait
assignés, soit que, comme ces déchets toxiques qui polluent lentement le sol, ils
résistent au processus d’indifférenciation que nous attendons d’eux. Jodelet et al.
(1997) nuancent ce propos, en expliquant que plusieurs années d’action publique
ont contribué à banaliser le statut du déchet. Néanmoins les équipements de
traitement continuent à alimenter de plusieurs manières le registre des inquiétudes,
à cause des nuisances et des menaces qu’ils font peser. Outre les gênes sensorielles,
les personnes interrogées mentionnent à propos des décharges les risques de

127
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

perturbation des équilibres naturels et les risques pour la santé. Ceux-ci relèvent de
deux catégories : ceux qui s’inscrivent dans une alternative de vie ou de mort, à
travers la pollution de l’air et de l’eau ; ceux qui s’inscrivent dans une logique de
propagation de maladies nouvelles, voire de mutation (génétique).

On peut pour conclure identifier un dernier motif explicatif. Ecoutons une


future riveraine d’un incinérateur d’ordures ménagères expliquer l’origine de son
opposition : « C’est par les journaux qu’on a appris l’existence du projet et en tant
que citoyens on a été choqués ». Si on prend au sérieux cette mise en avant de la
citoyenneté, et il n’y a aucune raison de ne pas le faire, force est alors de
reconnaître, à la suite de Lascoumes (1994), que « le référent principal de l’action
associative [est] le besoin démocratique de participer aux décisions
d’aménagement. On peut rapporter cet engagement à une modification profonde
ayant trait à l’émergence du citoyen responsable ». Il n’est peut-être pas inutile de
rappeler que cette revendication de responsabilité rejoint une histoire longue, celle
de la parole des personnes ordinaires et de la reconnaissance qui lui est accordée
lorsqu’elle s’aventure au-delà des domaines qui lui sont réservés. Cette question est
posée dès la genèse de l’espace public démocratique. Ainsi, parcourant les rapports
rédigés par les indicateurs du préfet de police de Paris au XVIIIe siècle, Farge
(1992) a mis en évidence leur étonnement à propos de « ces gens du plus simple
peuple » qui osaient s’aventurer à prendre « continûment et hardiment parti » sur
des grandes questions de politique et de religion et qui de surcroît déconcertaient
par « l’opiniâtreté des convictions émises et par l’élaboration des réflexions ».

La prise de parole du profane porte désormais aussi bien sur les sciences et
les techniques, naguère abandonnées aux experts, que sur la prétention de la
puissance publique à détenir le monopole d’établissement de l’intérêt général. On
peut voir dans le premier point la contrepartie du rôle décisif joué par les
technosciences dans la construction du « monde commun ». Sur fond d’élévation
générale du niveau culturel et de professionnalisation des mouvements associatifs,
la fin d’une certaine conception de la science la rend également plus accessible :
entourée d’une large publicité, la généralisation des controverses et des débats
d’experts apparemment irréductibles empêche la science de jouer son rôle habituel
de juge de paix entre les intérêts et les passions humaines. La figure du Savant
s’efface devant celle du chercheur perplexe en quête d’une vérité incertaine,
comme par exemple à propos des dioxines émises par les incinérateurs : quels
peuvent être les effets de faibles doses à moyen ou long terme ? Par ailleurs, la
montée en puissance du thème de la « société du risque » (Beck, 2001) donne une
actualité nouvelle à cette définition anthropologique de la pollution, ce « danger
qui guette les étourdis » (Douglas, 1992), qui invite à l’exercice d’une vigilance
collective. Enfin, l’émergence de nouvelles formes d’intérêts, comme ceux des
générations futures ou de la nature, complique et parfois déstabilise le clivage
traditionnel entre intérêt général et intérêts particuliers. En fin de compte, les
monopoles du savoir et de la légitimité sont mis en cause, et à travers eux les
mécanismes régulateurs du modèle traditionnel d’implantation.

1.2. Les entrepreneurs en contestation, profils et fonctions

128
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Une chose est d’avoir de « bonnes raisons » de se mobiliser, une autre est
de passer à l’acte. On sait bien, depuis Olson (1978), que l’action collective peut
tout simplement ne jamais démarrer en raison du phénomène du « passager
clandestin ». Chacun peut en effet être amené à tenir le raisonnement suivant : si
d’autres se mobilisent et que la contestation réussit, alors ma contribution
personnelle n’est pas essentielle et par ailleurs je bénéficierai également des
résultats obtenus (par exemple l’abandon du projet) ; si personne d’autre ne se
mobilise, alors j’aurai perdu en vain du temps et éventuellement de l’argent. La
théorie de l’action collective voit dans l’intervention d’acteurs spécifiques, les
entrepreneurs en opposition, une solution possible à ce problème (Neveu, 2000).
Outre le temps qu’ils consacrent à leur cause, les apports de ces entrepreneurs sont
de plusieurs ordres. Mais avant de les passer en revue, dressons brièvement le
portrait de quelques-uns de ces acteurs-clefs.

Les entrepreneurs ont évidemment des positions sociales et des histoires


personnelles très diverses. Dans les cas étudiés, on trouve parmi les présidents
d’association ou les éléments moteurs de la contestation : un ingénieur en
préretraite, un militant associatif ancien élu local, un ancien journaliste, un
correcteur en édition… Dans la plupart des cas, une qualité personnelle - une
« facilité d’élocution », une « habitude de la lutte », « des connaissances générales
en ingénierie » - les amène à considérer qu’il est de leur devoir de « faire quelque
chose » contre un projet qui, par ailleurs, remet en cause un choix de vie. La
diversité vaut également pour les ressources et stratégies utilisées. Certains seront à
l’aise dans l’action spectaculaire et pourront même revendiquer un droit à « la
polémique et à l’ironie », voire à l’« utilisation de la psychologie » pour alerter les
habitants et gagner leur adhésion. D’autres, estimant au contraire que l’efficacité
implique retenue et discrétion, privilégieront des arènes de négociation plus
discrètes. Au-delà des rivalités qui ne manquent évidemment jamais d’apparaître, il
peut de facto s’opérer une sorte de division du travail : la complémentarité des
positionnements et des répertoires d’action leur permet d’accéder et de toucher
plusieurs publics, de mobiliser plusieurs types de réseaux… La pression exercée
par les « extrémistes », parfois qualifiés d’irresponsables par certains porteurs de
projets, permet alors aux « modérés » de jouer plus facilement leur rôle de
« bonificateurs de projets ».

Vis-à-vis de la contestation elle-même, les entrepreneurs prendront en


charge tout ou partie de ses « frais d’établissement et de fonctionnement » :
rédaction et distribution de tracts ou de pétitions, sollicitation de personnalités,
organisation de réunions, et, le cas échéant, orchestration de la dramaturgie autour
du projet et animation de la « guérilla juridique »… Vis-à-vis des personnes
ordinaires plus précisément, ils peuvent jouer le rôle de « passeurs », en prenant en
charge le coût intellectuel de la traduction d’un sentiment de « mécontentement »,
de « stupeur » ou encore d’« indignation » en une position présentable à l’espace
public. Dans le même ordre d’idées, dans les enquêtes publiques, la rédaction d’un
avis type que les habitants n’auront plus qu’à recopier soulage le « coût de l’écrit et
le coût à se mettre en avant » (Blatrix, 1999). Vis-à-vis du projet technique enfin,
ils jouent un rôle important dans sa réception locale : ancrage dans l’histoire et le

129
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

collectif local, montée en généralité obtenue en technicisant les arguments et en


élargissant la problématique.

1.3 - Les logiques d’action : protestation réactive ou controverse ?

Deux grandes logiques d’action peuvent être identifiées chez les opposants
aux projets, reflétant des ambitions et stratégies spécifiques. La première logique,
largement répandue, est celle de la protestation réactive. Elle consiste à dresser
contre le projet un catalogue de critiques et de revendications sans nécessairement
chercher à en faire un argumentaire cohérent. Tel est le cas, étudié par Barouch
(1987), d’une association de riverains constituée contre l’implantation d’une
décharge. L’isolement de l’association fut la conséquence de ce choix et de cette
volonté de « se limiter aux questions concernant l’intérêt local ». Face à une
protestation réactive, les porteurs de projet vont combiner l’une ou l’autre des
stratégies suivantes : engager une démarche d’ajustement du projet à la marge,
voire de compensation ; miser sur l’isolement, le (relatif) discrédit attaché au
localisme et l’épuisement progressif des protestataires ; faire remonter le débat sur
les principes légitimant le projet.

Très différente est la situation dans laquelle la dynamique des acteurs


conduit à transformer une protestation dans ce qu’on peut appeler une controverse
publique. Il s’agit cette fois d’engager une discussion sur la composition du monde
commun que l'on veut construire, avec ou sans le nouvel équipement collectif.
Ainsi, à Villeneuve d’Ascq près de Lille, la controverse reconstruit un monde local
à travers une série de trois basculements : il s’agit tout à la fois de redéfinir
l’identité de la population locale, d’inventer un projet de ville et de recomposer le
projet d’incinération (Barbier 1994). Reprenons-les brièvement.

Le premier basculement, tel qu’il est exprimé par l’élu en charge de


l’instruction du projet, porte sur la qualification des opposants, provisoirement
reconnus, après de multiples péripéties, comme constituant le « cœur de la ville, sa
population la plus stable », dont l’opposition est légitime car « la ville leur
appartient autant qu’à nous [les élus] ». Deuxième changement, le terrain sur lequel
l’incinérateur devait être construit est lui aussi requalifié : de terrain plus ou moins
abandonné, il est redécouvert et devient une « réserve d’extension pour le centre
ville ». Enfin, cette évolution n’épargne pas l’économie d’ensemble du projet de
traitement des déchets en faisant sauter, au profit de l’électricité, une exigence qui
était celle de la valorisation thermique à travers un réseau de chaleur. A l’issue de
la controverse et des engagements multiples des divers protagonistes, le monde
local n’est plus exactement le même et dans ce monde renouvelé, reconstruit,
l’incinérateur n’a plus sa place et les riverains ne sont plus qualifiés de nimbyistes.
Au passage, il est aisé de constater que cette qualification désigne simplement une
place (en général infamante) dans un jeu d’acteurs fait d’accusations réciproques
(Barbier, 1994). Une controverse pourra être finalement définie comme une
opération de qualification conjointe des projets et des groupes concernés.

130
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

1.4. Dynamique des controverses : réception du projet et extension des intérêts

Venons-en aux opérations réalisées par les opposants engagés dans une
controverse. Nous en citerons deux principales, la réception du projet technique, et
l’extension des intérêts défendus. Les opérations de « réception de l’objet
technique » permettent aux protagonistes de la controverse de transformer l’objet,
de le recontextualiser (Barthélémy et Quéré, 1995). La réception du projet s’entend
tout d’abord dans une perspective historique. C’est ainsi qu’au terme d’un travail
de réception, un projet de plate-forme de compostage de boues de stations
d’épuration se retrouva lié à une « série d’agressions contre la nappe phréatique
alsacienne », faisant sens pour la population locale et installant avec force le thème
de la faillibilité des systèmes techniques.

La réception s’entend ensuite dans une logique d’explicitation socio-


technique : derrière l’objet technique bien circonscrit, la réception met au jour un
véritable projet socio-technique, c’est-à-dire un scénario distribuant des rôles,
assignant des responsabilités, mobilisant des savoirs, articulant des entités variées,
et donc en définitive contribuant à la stabilisation d’une certaine définition du
monde commun. Illustrons cette caractérisation abstraite : le dimensionnement
d’un incinérateur traduit toute une série de choix ou de paris, plus ou moins
explicites, comme le fait d’accepter ou non des déchets industriels, de miser sur le
développement du recyclage, d’opter pour une intercommunalité élargie, paris qui
deviennent évidemment discutables après le travail d’explicitation mené par les
contestataires… Autre exemple, avec le cas de Villeneuve d’Ascq. La controverse
bascule lorsqu’il devient clair, à la suite du travail des opposants, qu’on se situe
dans un autre contexte que celui qui avait été anticipé par les porteurs de projet :
l’écologie urbaine et non plus l’équilibre énergétique. Lorsque des acteurs
parviennent ainsi à imposer un changement du contexte du projet, donc du cadre de
la controverse, ils opèrent une redistribution des alliances, des acteurs et des
éléments pertinents, éventuellement à leur avantage.

La seconde catégorie d’opérations regroupe celles par lesquelles les


opposants visent la reconnaissance publique de la justesse de leur combat. Cela les
conduit à aller au-delà de la défense des intérêts particuliers, même si
chronologiquement cette motivation peut s’avérer déclenchante. Ils vont tenter,
parfois avec réussite, parfois sans, de faire les opérations nécessaires pour passer
d’intérêts faibles à des intérêts plus forts : il s’agit en effet pour eux de devenir des
porte-parole légitimes d’intérêts qui les dépassent, et donc de pouvoir engager plus
qu’eux-mêmes dans le conflit. Les extensions vont se faire naturellement en
direction de l’intérêt général. Tel est le cas de cette association qui passa d’une
contestation locale très ciblée à une ambition beaucoup plus large, dont témoigne
son changement de nom : l’Association de défense du cadre de vie se transforma en
GATORU, Groupement Associatif pour le Traitement Optimisé des Résidus
Urbains. Cette extension ne va pas de soi : comme l’ont noté Lafaye et Thévenot
(1993), pour les associations « la localité passera aisément pour la preuve de
l’égoïsme de l’intérêt qu’elle défend ».

131
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

L’extension pourra le cas échéant viser des biens communs plus fragiles ou
socialement moins bien constitués que ne l’est l’intérêt général. Parmi ceux-ci, on
peut citer le patrimoine. Sous réserve qu’elle soit réussie, la patrimonialisation
permet d’établir un lien entre des entités relevant de mondes a priori assez
éloignés : éléments du patrimoine naturel, paysager, historique, générations
présentes, générations futures… On peut ainsi construire un ensemble composite,
défendable selon plusieurs perspectives, ancré dans « la matérialité du monde »
(Trom, 1999), donc mieux à même de résister à l’évidence institutionnalisée de
l’intérêt général et de la rationalité des choix. Bien souvent, la patrimonialisation
procède par identification et sélection d’aménités territoriales ou de singularités
naturelles, transformées en emblèmes d’un monde à défendre : ainsi telle
association qui fonde son opposition à un projet de décharge sur la « proximité de
trois villages, de deux écoles, de trois sites classés », ainsi que sur la présence « au
cœur de la décharge » d’une orchidée faisant l’objet de mesures de protection
(Barbier et Waechter, 2001).

A l’occasion de ces opérations de réception et d’extension, les expertises


ou documents techniques peuvent être soumis à des épreuves susceptibles de les
remettre brutalement en cause : soit ils ne sont pas assez robustes pour soutenir le
cadrage socio-technique proposé initialement et ils deviennent obsolètes suite à un
basculement de celui-ci ; soit les implicites et les zones d’ignorance qu’ils recèlent
sont soulignés et transformés en autant de sujets de négociation. De même, la
position des élus locaux, qui signeront en définitive le permis de construire, peut
elle aussi être amenée à basculer. L’élu, comme tout représentant, se trouve
toujours dans cette situation paradoxale « d’exercer un pouvoir sur [le groupe] qui
lui donne pouvoir » (Bourdieu, 1987). Il peut donc être amené soit à exercer un
« magistère » sur ses administrés, soit à agir en « commis du souverain ». En
d’autres termes, il précède ou il suit. C’est précisément un basculement entre ces
deux conceptions qui est acté par cet élu, après qu’il a renoncé à un projet
d’incinérateur fortement contesté : « Les habitants nous ont retrouvés comme leurs
représentants ». Le « magistrat » s’est transformé en « commis ». Ce passage
dépend de la sensibilité personnelle des élus, des stratégies éventuellement
développées en parallèle sur d’autres scènes politiques et notamment sur la scène
de l’intercommunalité, comme enfin des rapports de force établis par les opposants
en vue de rendre manifeste le décalage entre la « communauté réelle » et la
« communauté légale ». D’où l’importance pour les entrepreneurs de manifester,
c’est-à-dire de rendre manifeste le groupe au nom duquel ils prétendent parler et
dont ils tirent leur légitimité.

2. L’expérimentation collective, nouveau modèle d’implantation ?

La participation du profane et les controverses qu’elle suscite jouent un


rôle positif qui a été souligné par de nombreux auteurs : évaluation sociale
informelle des techniques pour Cambrosio et Limoges (1991), garde-fou
démocratique contre des projets parfois aberrants selon Romi (1997). Cette
participation est de surcroît justifiée sur un plan plus général par Stengers (1997) :
loin d’être antagonistes, l’exigence démocratique et l’exigence de rationalité se

132
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

rejoignent dans la contrainte positive de la négociation et de la prise en compte des


intérêts de tous ceux qui sont « susceptibles de faire valoir une dimension de [la]
réalité, et qui peuvent contribuer à ce que le problème que nous posons à propos de
‘la’ réalité prenne en compte les exigences multiples que nous impose cette
réalité ». Au-delà de cette reconnaissance positive des controverses, il s’agit
désormais, dans une perspective plus normative, de proposer un nouveau modèle
d’implantation des équipements collectifs.
Proposée par Latour (1999), la notion d’expérimentation collective permet
de donner un sens à ces changements multiples. Cette notion désigne un processus
à la fois incertain, contrôlé et suivi, qui engage la totalité de la collectivité par le
biais de la négociation. Les controverses n’y sont pas pathologiques : par les
épreuves qu’elles provoquent, elles permettent d’explorer et de composer
progressivement un nouveau collectif. L’acceptabilité sociale des équipements
dépendra de la qualité de l’expérimentation collective engagée et de la confiance
qu’elle inspire. Selon nous, la démarche d’expérimentation collective implique
trois choses : d’une part une conception négociée du projet, d’autre part un suivi
partagé de l’équipement, enfin l’invention d’un nouveau type de comportement.

2.1. Conception négociée des projets

Comment peut-on associer un « profane » à la conception d’un projet


technique ? Une objection fréquente à tout projet de démarche participative
consiste à mettre en avant le risque de dérive vers l’irrationnel ou le passionnel,
risque qui ne pourrait être évité que par l’éducation préalable du public. Plus
généralement, on tend à faire de la communication l’outil de base pour gérer ces
conflits. Mais l’espoir selon lequel une « bonne information » permettrait
nécessairement de réduire les conflits et de provoquer du consensus social relève
de ce que Breton (1997) appelle l’idéologie de la communication. Cette idéologie
est doublement trompeuse. D’abord, parce que derrière la visée d’une société tout
entière et exclusivement occupée à faire circuler l’information, Breton pointe un
« déni systématique du conflit ». Or, une société transparente, sans secret, sans
conflit, serait entièrement dépolitisée et ne serait donc tout simplement pas une
société. Cette idéologie est également trompeuse car elle donne à croire que la
transmission de l’information engage les individus dans un pur rapport intellectuel.
Or, ce sont toujours des êtres sociaux qui sont mis en rapport, avec leurs cadres
interprétatifs, fruits de leur histoire personnelle et des réseaux sociaux dans
lesquels ils sont inscrits.

En fait, avec le discours sur la communication, on n’est jamais très loin de


ce que Bourdieu (1996) appelle la « violence symbolique ». Il s’agit en effet
d’amener les opposants à voir le monde dans les mêmes termes et selon la même
perspective que les porteurs de projet, bref de les transformer en collègues. Ce qui
leur est dénié, c’est donc la possibilité de faire valoir un autre point de vue sur le
projet et d’être porteur d’autres exigences. Il faut donc réaffirmer que le problème
réside moins du côté des profanes et de la possession d’une compétence abstraite,
scolaire, que du côté des porteurs de projet et de leur capacité à placer les gens
dans des conditions propres à leur permettre de « faire valoir un point de vue

133
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

intéressant sur la réalité qui, sans eux, aurait été négligé » (Stengers, 1997). Cela
fait, non seulement la rationalité du projet se trouve renforcée mais aussi son
acceptabilité : comme l’explique Callon (1996), lorsqu’un scénario est élaboré
progressivement et collectivement, alors « il s’impose aux différents acteurs parce
qu’ils s’en savent les auteurs ». On n’oubliera pas enfin qu’une procédure doit être
à la fois efficace, juste et à un coût acceptable.

Cela dit, comment faire ? On peut citer des exemples de référendum sur
des projets techniques, par exemple un incinérateur. Mais il est clair que le vote
n’est pas, loin s’en faut, la seule méthode permettant d’inscrire le profane,
apparaissant ici sous les traits du citoyen, dans un processus de choix technique.
Procédure de participation historique, l’enquête publique s’adresse surtout à
l’habitant porteur d’intérêts : cette forme de médiation entre conception et
consultation, pourtant récemment dépoussiérée, reste néanmoins sujette à la
critique traditionnelle du « trop peu, trop tard ». Pour le porteur de projet, le rêve
serait évidemment de jouer la participation avec le riverain idéal, un autre lui-
même partageant ses connaissances, représentations et objectifs : on a déjà
mentionné l’inanité de cet espoir. Quels seraient alors les dispositifs permettant de
mobiliser d’autres figures que celles du citoyen, de l’habitant ou du riverain idéal ?

Comme certains auteurs l’ont déjà noté (Wynne, 1980), la « négociation en


public » peut s’avérer parfois pertinente et suffisante sur le plan de l’acceptabilité
sociale : à travers par exemple un dispositif de réunions publiques d’information,
elle convoque la figure abstraite du citoyen spectateur, tenu au courant des
évolutions successives d’un projet. Néanmoins, une telle procédure est grosse de
frustrations multiples : ce qui est envisagé par les uns comme une démarche de
communication et information réciproques peut être définie par les autres comme
une situation de négociation (Defrance, 1988). Ainsi la figure du « juré », appelé à
participer à l’« instruction publique d’un projet » au sein d’un comité restreint
rendant compte publiquement et régulièrement de ses travaux, nous paraît
représenter une piste prometteuse.

Elle permet de concilier un double impératif, celui d’ouverture aux


profanes et en même temps celui de fermeture, indispensable pour que puissent
avoir lieu les nécessaires apprentissages individuels et collectifs. Sans cette
fermeture, le risque qu’encourt une procédure de conception négociée est d’être
condamnée à l’échec, parce qu’il faudrait reprendre sans arrêt, au fil de réunions
ouvertes, la discussion avec tout nouvel arrivant (Barbier 1994; Monediaire, 1995).
Un dernier élément à souligner est que doivent être clairement explicités tant le
mandat de ce comité restreint (par exemple la rédaction du cahier des charges des
études préalables) que les mécanismes de « redevabilité » qui lieront le comité
restreint au « public » en général, et les élus à l’ensemble du dispositif (par
exemple un engagement à rendre compte de la manière dont les exigences
reconnues légitimes auront effectivement été prises en compte dans le processus
décisionnel).

2.2. Suivi partagé

134
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Giddens (1994) a montré que notre rapport aux grands systèmes techniques
était un rapport ambivalent, une sorte de « pacte placé sous le signe d’un mélange
de déférence et de scepticisme, de confort et de crainte ». Parce que nous n’avons
pas véritablement le choix, nous faisons confiance à ces systèmes et cette confiance
repose à la fois sur un acte de foi envers les savoirs sous-jacents, envers les
professionnels qui les mettent en œuvre, mais aussi sur une « foi pragmatique »
issue des observations que nous faisons jour après jour du bon fonctionnement
général de ces systèmes. Or, pour tout un ensemble de raisons (cf supra : les motifs
de l’engagement), cette foi pragmatique est profondément altérée dans le domaine
de la gestion des déchets. Souvent faute de mieux, menacés par un équipement
avec lequel les relations ne pourront que difficilement être « routinisées » par un
pacte de confiance, les riverains s’efforceront de conjurer le risque et de limiter les
nuisances par l’exercice d’une surveillance partagée avec l’administration et
l’exploitant. Cette exigence de suivi partagé est également impliquée par la
vigilance requise par la société du risque. Imposée souvent par l’action spontanée
des acteurs, relayée parfois au niveau réglementaire, elle doit faire partie intégrante
du modèle d’expérimentation collective.

Les Commissions locales d’Information et de Surveillance, ou CLIS,


installées auprès des équipements de traitement des déchets, représentent un cas
particulièrement intéressant de dispositif de suivi partagé. Le pouvoir réglementaire
s’est-il d’ailleurs effrayé de l’audace du pouvoir législatif ? Toujours est-il que la
mission de surveillance, mentionnée dans le texte de la loi sur les déchets de 1992,
n’est pas reprise et donc encore moins détaillée dans le texte du décret
d’application du 29/12/1993. Il ressort particulièrement d’une étude effectuée sur le
fonctionnement de ce dispositif en Alsace qu’au-delà de la déclaration d’intention,
la réussite d’un droit aussi ambitieux – mais vague – que celui qui touche à la
surveillance exercée par des profanes se joue paradoxalement sur une série de
questions de procédure très concrètes (Henry, 1998). C’est dans l’empilement de
ces détails que se joue la construction d’un public selon l’un des trois modèles
possibles : le public comme simple récipiendaire d’information, comme
« fournisseur officiel de point de vue pour l’administration » ou enfin comme
acteur effectif de la surveillance.

Ces détails de procédure commencent par la composition de la


commission. Présidée par le préfet, la CLIS est une structure paritaire comprenant
quatre collèges : l’administration, les élus, les associations, l’exploitant.
Apparemment, dans le cas des CLIS étudiées, comme l’explique un sous-préfet,
« on a pris de vrais opposants », attitude qui semble recueillir l’assentiment des
élus au nom du fait « qu’il faut des vues extrêmes, sinon un volet risque d’être
oublié ». Mais, dans la volonté de ne fâcher personne, cette large ouverture des
CLIS a pour conséquence d’en gonfler rapidement l’effectif : à chaque fois qu’un
collège accueille un nouveau membre, le paritarisme oblige à faire de même pour
les autres collèges. L’effectif augmentant, les réunions deviennent plus facilement
des assemblées formelles, d’où l’intérêt de la « commission restreinte » que nous
présenterons ultérieurement. La question de la formation des membres non
professionnels est aussi très importante. A Lille, l’Observatoire de

135
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

l’Environnement avait par exemple proposé d’instituer une « coordination des


CLIS », afin de favoriser les échanges d’expérience.

Comme l’explique Henry (1998), le règlement intérieur est le « reflet des


ambitions de la CLIS ». Permet-il un pouvoir de saisine plus étendu que celui
prévu par le décret ? Prévoit-il explicitement combien de temps à l’avance et avec
quels documents sont envoyées les convocations ? Prévoit-il une autonomie
budgétaire, capitale pour mener d’éventuelles contre-analyses, et, le cas échéant, à
qui la maîtrise du fonds est-elle confiée ? Dans le même ordre d’idées,
l’observation participante montre que la conduite de la réunion peut s’avérer
décisive, notamment pour ce qui est d’être plus ou moins attentif à mettre en relief
les accords et les désaccords, et à établir un relevé de décisions.

La disponibilité de la CLIS comme mécanisme de réaction rapide face à un


imprévu paraît également importante pour sa crédibilité. L’Observatoire
communautaire de l’environnement de Lille, déjà cité, proposait d’« organiser une
saisine urgente du CLIS, en démarche d’alerte à la demande prioritaire des
riverains, avec possibilité d’intervention rapide d’expertise et de contre-expertise ».
Compte tenu du nombre souvent élevé de participants, une telle mesure suppose
probablement la mise en place de structures plus légères, de type « commission
restreinte », comme sur une des CLIS étudiées en Alsace : créée suite à deux
incendies rapprochés, elle fut chargée d’émettre un avis sur la réouverture du site,
elle se réunit trois fois en un peu plus d’un mois, puis encore à deux reprises après
une réunion plénière.

2.3 – Respect mutuel et sens de la « juste mesure »

Si l’action de contestation ou de surveillance n’est plus d’emblée


disqualifiée comme non pertinente et illégitime, elle ne s’exerce évidemment pas
en dehors de toute contrainte sociale. On fera ici l’hypothèse selon laquelle,
collectivement, les acteurs inventent progressivement de nouveaux types de
contraintes, et stabilisent les contours du comportement acceptable en situation
d’expérimentation collective. On peut prendre comme indicateur de ces nouvelles
exigences les réactions d’indignation formulées par les différents acteurs. Du côté
des opposants, c’est souvent le mépris dont ils s’estiment victimes qui déclenchera
l’indignation. Les dispositifs mis en place dans le cadre de l’expérimentation
collective sont susceptibles d’y répondre. De leur côté, certains porteurs de projet
acceptent que leur projet soit compliqué et ralenti, mais leur indignation émerge
face à des comportements de type « langue de bois » ou « court-circuit vers le
pire » des opposants : « ah, se souvient un ingénieur à propos d’un stockage de
boues, mais ça allait être terrible, notre projet allait tout détruire ». Le rejet en bloc
d’un projet ou d’une argumentation scientifique provoque également l’indignation,
car elle s’apparente à un « manque de respect » du travail effectué. Plus
généralement, un impératif de respect mutuel et de « juste mesure » de l’action
semble ainsi se dessiner.

136
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Là aussi, au-delà des formules incantatoires, ce sont beaucoup les


circonstances pratiques qui pourront être déterminantes pour imposer ce nouveau
type de comportement. C’est ce qu’illustre le fonctionnement de la commission
restreinte évoquée ci-dessus. D’après Henry (1998), le travail en petit comité rendit
possible l’expression d’un comportement plus personnel, « moins modelé par les
appartenances à tel ou tel collège ». L’effectif réduit permit d’organiser plus
facilement des visites sur le terrain, et fit évoluer la perception ou les
représentations que les membres non professionnels se faisaient de l’équipement en
question : « Depuis la mise en place de la commission restreinte, j’ai le sentiment,
explique un représentant de l’administration, que le fait d’impliquer physiquement
les gens sur le terrain démystifie l’activité et rend les débats moins passionnés ». Il
serait possible de commencer toute expérimentation collective par la mise en débat
d’une charte présentant et explicitant les compétences démocratiques essentielles
(Blanc, 1999) attendues des participants : s’exprimer, écouter, arbitrer et s’engager.

3. Conclusion : Un modèle pour la gestion des objets à risques

Le modèle de l’expérimentation collective vise à éviter le blocage


systématique des projets d’équipement tout en faisant droit aux exigences et
demandes nouvelles. Il offre une place au citoyen responsable, ouvre largement la
discussion sur la construction du monde commun, remplace l’assurance de la
science par la qualité des procédures d’identification, d’évaluation et de suivi des
incertitudes et des intérêts. Pour fonctionner, le modèle requiert que soit négociée
et établie la légitimité du projet, et que l’équipement fasse ensuite l’objet d’un suivi
partagé et de qualité. Le travers traditionnel des formules de participation est
qu’elles visent surtout à « faire participer à la participation ». Nous avons insisté
sur le fait que la crédibilité de l’expérimentation collective dépendait d’une série de
détails très concrets. Il s’agit moins de proclamer des ambitions que d’établir un
contrat clair et de s’y tenir, le cas échéant en imaginant un rôle de garant ou de
médiateur qui pourrait être confié à une « personne de référence » bénéficiant
localement d’un fort capital de confiance. Il faut également prendre garde à une
autre défaillance possible de la participation : la distribution inégale des
compétences démocratiques, ce qui suppose le cas échéant d’identifier et
d’accompagner ceux pour lesquels la prise de parole est plus difficile. Ce modèle
que nous venons d’esquisser pourrait être généralisé à la prise en charge des objets
à risques. En effet, nous commençons seulement à découvrir la variété et l’étendue
des problèmes que pose leur socialisation, c’est-à-dire notre capacité à les rendre
compatibles avec les exigences de la vie collective.

Références bibliographiques

Barbier R., 1994, Etude sur l’implantation des UIOM en milieu urbain, Rapport du
Centre de Sociologie de l’Innovation pour l’ADEME, 50 p.

Barbier R., V. Waechter, M. Sbaï, P. Henry, 2000, Enquête sur le phénomène


NIMBY, Rapport pour l’Agence des Villes, UMR GSP, 45 p.

137
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Barbier R., V. Waechter, 2001, Débats autour d’une décharge, Annales des Ponts et
Chaussées, n° 97, 48-53.

Barouch G., 1987, La création d’une décharge de déchets industriels dans la


carrière de la fosse marmitaine. L’environnement dans l’analyse et la négociation
des projets, Cahiers du Germes.

Barthélémy M., L. Quéré, 1995, Les enquêtes d’utilité publique : une production
collective ?, L’administration de l’équipement et ses usagers, C. Quin (ed.), La
Documentation française, 281-299.

Beck U., 2001, La société du risque, Aubier, 516 p.

Blanc M., 1999, Participation des habitants et politique de la ville, La démocratie


locale (CURAPP / CRAPS), PUF, 177-196.

Blatrix C., 1999, Le maire, le commissaire-enquêteur et leur ‘public’. La pratique


politique de l’enquête publique, La démocratie locale. Représentation, participation
et espace public, CURAPP/CRAPS, PUF, 161-176.

Bourdieu P., 1987, Choses dites, Les Editions de Minuit, 230 p.

Bourdieu P., 1996, Raisons pratiques, Le Seuil, 248 p.

Breton Ph., 1997, L’utopie de la communication, La Découverte, 171 p.

Callon M., 1996, Concevoir : modèle hiérarchique et modèle négocié. L'élaboration


des projets architecturaux et urbains en Europe, M. Bonnet, Plan Construction et
Architecture.

Cambrosio A., C. Limoges, 1991, Controversies as Governing Processes in


Technology Assessment, Technology Analysis & Strategic Management, vol. 3
n°4.

Defrance J., 1988, Donner la parole, la construction d’une relation d’échange,


Actes de la recherche en sciences sociales, n°73, 52-66.

Douglas M., 1992, De la souillure, La Découverte, 193 p.

Farge A., 1992, Dire et mal dire. L’opinion publique au XVIIIe siècle, Le Seuil,
317 p.

Henry Ph., 1998, Le système local et la mise en œuvre du décret du 29 décembre


1993, Mémoire de fin d’études en Administration des collectivités locales,
Université R. Schuman de Strasbourg, 70 p.

Giddens A., 1994, Les conséquences de la modernité, L’Harmattan, 190 p.

138
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Jodelet D., Moulin P., Scipion C., 1997, Représentations, attitudes et motivations
face à la gestion des déchets - Autour du phénomène Nimby, Rapport du
laboratoire de psychologie sociale de l’EHESS pour le Ministère de
l’Environnement, 90 p.

Lafaye C., L. Thévenot, 1993, Une justification écologique? Conflits dans


l’aménagement de la nature, Revue Française de Sociologie, XXXIV-4, 495-524.

Lascoumes P., 1994, L’éco-pouvoir, La Découverte, 312 p.

Latour B., 1999, Politiques de la nature, La Découverte, 382 p.

Monediaire G., 1995, Rapport d’évaluation relatif à la procédure expérimentale


d’audience publique conduite en 1994 dans la Commune de Ménigoute, Rapport du
CRIDEAU pour la Région Poitou-Charentes, 45 p.

Nahon Th., 1999, Etude des représentations de la population riveraine d’une usine
d’incinération. L’exemple d’Athanor, Déchets – Sciences et techniques, 13, 18-22.

Neveu E., 2000, Sociologie des mouvements sociaux, La Découverte, 120 p.

Olson M., 1978, Logique de l’action collective, PUF, 190 p.

Romi R., 1997, Droit et administration de l’environnement, Montchrestien, 535 p.

Stengers I., 1997, Sciences et pouvoirs, Labor, 120 p.

Trom D., 1999, De la réfutation de l’effet NIMBY considérée comme une pratique
militante, Revue française de sciences politiques, n° 49-1, 31-50.

Wynne B., 1980, Technology, risk and participation : on the social treatment of
uncertainty, Society, technology and risk assessment, J. Conrad (ed.), Academic
Press, 173-208.

139
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Chapitre 8¤

L'évolution vers des territoires pertinents


pour la gestion des déchets ménagers :
influence des lois sur les pratiques

André Le Bozec 1

Cemagref
Unité de recherche Gestion environnementale et traitement biologique
17, avenue de Cucillé, CS 64427 35044 RENNES Cédex
andre.le-bozec@cemagref.fr

La mise en place des plans départementaux d'élimination des déchets


ménagers et assimilés s'appuie sur une organisation territoriale qui a connu dans les
dix dernières années deux réformes importantes, en 19922 et en 19993. Les
créations des communautés de communes en 1992 et des communautés
d’agglomération en 1999 se sont accompagnées de nouvelles règles d’organisation
des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI)4, renouvelant
ainsi le cadre territorial d’exercice de la compétence déchets, au moment même où
l'élaboration des plans départementaux d’élimination des déchets ménagers et
assimilés venait d’être rendue obligatoire5.

De nombreuses publications traitent de l'approche juridique de


l'intercommunalité à fiscalité propre (les communautés) en matière de gestion des
déchets, telle qu'elle est définie par la loi de juillet 1999. Il en résulte une
présentation incomplète d'une réalité intercommunale qui s'appuie en fait, pour la
fourniture du service d'élimination des déchets, sur une complémentarité entre les
nouvelles structures intercommunales à fiscalité propre et les structures syndicales.

Tout en analysant les implications des deux grandes lois intercommunales


de 1992 et de 1999, nous nous proposons de rétablir la réalité de cette complexité
de l'organisation territoriale de l'élimination-valorisation des déchets ménagers et

¤
Référence: Le Bozec A., 2004, L'évolution vers des territoires pertinents pour la gestion
des déchets ménagers: influence des lois sur les pratiques, in J.P. Terreaux (Ed.),
Economie des Equipements pour l'Eau et l'Environnement, Cemagref, Antony.
1
Je remercie Alain Tetu du Conseil Général du Génie Rural des Eaux et des Forêts et
Pascal Mallard du Cemagref de Rennes de leurs conseils avertis de relecture qui ont permis
d'apporter des améliorations sensibles à cet article écrit en avril 2002.
2
Loi N° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République.
3
Loi N° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la
coopération intercommunale.
4
Une liste des sigles utilisés est donnée à la fin du texte.
5
Loi N° 92-646 du 19 juillet 1992 relative à l’élimination des déchets ainsi qu’aux
installations classées pour la protection de l’environnement.

140
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

assimilés, dont l'histoire a commencé en 1967, et d'analyser la confrontation de la


dernière loi aux réalités de terrain.

Rappel : La gestion des déchets ménagers et assimilés nécessite une


coopération intercommunale

De l'ensemble des pays européens, la France est le pays qui a la population


moyenne par commune la plus basse : 1577 habitants, et une faible surface
moyenne par commune : 14,93 km². Seule la Grèce présente une situation
similaire. Entre 5000 et 10000 habitants par commune se trouvent l'Espagne, l'Italie
et l'Allemagne. Entre 17000 et 35000 habitants par commune figurent la Belgique,
les Pays-Bas, le Danemark, l'Irlande et le Portugal. Et enfin la Grande-Bretagne fait
figure d'exception avec plus de 100 000 habitants par commune.

De façon théorique se pose la question de la dimension appropriée, en


terme de population, pour la production et la fourniture des services publics locaux,
la commune traditionnelle étant, le plus souvent, trop petite pour assurer cette
offre. Dès lors, la collaboration intercommunale permet d'accéder à des seuils
compatibles avec la production des activités dans des installations de tailles
minimales requises pour la mise en œuvre de procédés efficients, respectueux de
l'environnement et à des coûts économiquement supportables.

Les déterminants essentiels de la coopération intercommunale sont :


- d'ordre économique, tels que la recherche d'économies d'échelle
toujours évoquées et jamais démontrées, l'obtention de la taille
minimale compatible avec un procédé efficace, à coût acceptable, et
garant de la protection de l'environnement.
- d'ordre financier, pour accroître les ressources financières et limiter les
effets de débordement (passagers clandestins) afin de faire coïncider
l'aire des bénéficiaires et l'aire des payeurs.
- d'ordre géographique, tels que la densité de population, la topographie,
les contraintes environnementales pour la localisation des installations
de valorisation et de stockage.
- d'ordre politique enfin, selon P. MOQUAY (1998), «lors de la
négociation intercommunale, l'organisation de la structure, qui passe
pour durable, prend le pas sur la réflexion relative à la nature de
l'action intercommunale», laquelle fera l'objet de négociations
ultérieures.

Les arrangements entre les communes portent sur :


- la répartition du pouvoir qui doit respecter très scrupuleusement les
équilibres politiques locaux,
- la répartition des coûts pour le financement des actions qui pose le
choix du passage à la fiscalité propre ou celui de la clé de ventilation
des contributions communales dans la forme syndicale. Ce n'est pas
tant le montant en valeur absolue qui est évalué que la progression
relative année après année,

141
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

- la répartition des avantages tirés du processus intercommunal qui


permet de justifier cet engagement des communes et la contribution
financière correspondante.

Il en résulte que la coopération intercommunale est largement répandue dans


l'offre du service d’élimination des déchets ménagers où elle présente une grande
diversité d'arrangements territoriaux s’appuyant sur l'ensemble des statuts des
établissements publics de coopération intercommunale.

1. La typologie des organisations territoriales dans la gestion des déchets

1.1. Les statuts disponibles de coopération intercommunale

Il y a aujourd'hui coexistence de deux logiques intercommunales : la


logique de gestion et la logique de projet ou de développement.

- L'intercommunalité de gestion comprend des formes syndicales


multiples : syndicat à vocation unique (SIVU), syndicat à vocation
multiple (SIVOM), syndicat à la carte, syndicat mixte. Les structures
syndicales, s'adressant avant tout à l'espace rural, présentent une
grande souplesse de fonctionnement, et sont constituées pour mettre en
place et gérer un service public local. Les compétences exercées sont
définies par les communes membres et financées par des contributions
de ces communes. Cette forme syndicale préserve l'autonomie
communale et permet d'organiser l'offre de services sur des périmètres
territoriaux pertinents, ceci explique son succès.
- L'intercommunalité de projet vise à favoriser la solidarité
intercommunale au travers de compétences obligatoires, notamment en
aménagement de l'espace et en développement économique, et d'une
fiscalité propre. Les communes perçoivent souvent comme une
dépossession de pouvoir les attributions de compétences à ces
nouvelles institutions. Ces EPCI sont les communautés de communes
qui s'adressent aussi bien à l'espace rural ou urbain, les communautés
d'agglomération et les communautés urbaines qui structurent l'espace
urbain.

Selon la DGCL, les derniers chiffres connus du dénombrement des


groupements de communes font apparaître 18504 syndicats de communes au 1er
janvier 1999 (14885 SIVU, 2165 SIVOM et 1454 SM) et 2174 groupements à
fiscalité propre au 1er janvier 2002 (120 CA, 14 CU et 2032 CC).

 Les EPCI de gestion

Les communes membres se dessaisissent des attributions qui constituent


l'objet du syndicat selon le principe de la spécialité. Dès lors, une dichotomie
apparaît ici sur la spécialité, selon la ou les activités exercées.

142
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

 Les SIVOM

Cette forme d'intercommunalité est développée entre communes rurales


pour l'exercice de multiples compétences et conduit à une restriction de fait du
périmètre intercommunal pour favoriser la maîtrise technique par l'EPCI. Les
SIVOM réalisaient majoritairement l'activité de collecte, mais ils sont de plus en
plus remplacés par des communautés de communes.

 Les SIVU

Les SIVU exercent les activités de collecte et de traitement en assurant un


compromis dans la cohérence entre les périmètres de collecte et de traitement.
Toutefois, le périmètre est souvent étroit pour réaliser l'équipement d'incinération
avec récupération d'énergie. Ils s'appellent le plus souvent SICTOM, SICOM,
SITOM.

 Les syndicats mixtes

Les syndicats mixtes sont une forme attractive pour l'exercice de l'activité
" traitement des déchets " dès lors que le champ d'action territoriale concerne à la
fois des communes, des syndicats de communes et/ou des communautés de
communes. Leur place dans l'exercice de la compétence "traitement" est appelée à
croître.

 Les EPCI de projet

L'intercommunalité de projet dispose de compétences obligatoires et de la


possibilité d'attribution de compétences optionnelles, notamment en élimination
des déchets ménagers. Tous les EPCI, à fiscalité propre, peuvent exercer la
compétence "Elimination et valorisation des déchets des ménages" dans un bloc de
compétences plus large relatif à la "protection et à la mise en valeur de
l’environnement".

 Les communautés urbaines

De par l'importance de leur population urbaine, elles présentent un


territoire pertinent d'exercice des activités de collecte et de traitement des ordures
ménagères qui sont d'ailleurs l'une de leurs compétences obligatoires. Leur création
a été rendue possible en 1999 par regroupement de communes pour former un
ensemble de plus de 500 000 habitants.

 Les communautés d'agglomération

Les communautés d'agglomération se rencontrent en milieu urbain et


regroupent plus de 50000 habitants autour d'au moins une commune de 15000
habitants. Elles exercent de plein droit 4 compétences et de manière optionnelle 3
compétences dans une liste de 5. L'élimination des déchets est une action au sein de

143
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

la compétence optionnelle consacrée aux actions en matière de protection et de


mise en valeur de l'environnement et du cadre de vie.

 Les communautés de communes

Les communautés de communes sont présentes en milieu rural. Elles ont


deux blocs de compétences obligatoires et un bloc de compétences optionnelles
dont la compétence "Elimination des déchets ménagers et assimilés" qui peut
constituer l'option choisie au titre de la "Protection de l'environnement". L'exercice
de cette compétence est par ailleurs prise en compte dans l'éligibilité à la DGF
majorée pour les communautés remplissant les conditions demandées. Les
communautés de communes trouvent ainsi une incitation à inclure les déchets dans
leur compétence, malgré une dimension territoriale souvent faible.
Nous présentons, tableau n° 1, les principales différences de ces structures
intercommunales.

Possibilité
Forme
Compétences Compétence
de transfert
d'intercom- Statuts d'EPCI
obligatoires DMA à un autre
munalité
EPCI1
A fiscalité Communauté 12 ( avant 1999) De plein droit Non
propre urbaine 6 (depuis 1999)
Communauté 4 blocs +3 En option ou Oui
d'agglomération options facultative
Communauté de 2 blocs + 1 option En option Oui
communes
Sans Syndicat à Non possible
fiscalité vocation unique
propre (SIVU)
Syndicat à Non possible
vocation
multiple
(SIVOM)
Syndicat mixte Non possible
Tableau n° 1 - Les statuts de coopération intercommunale

I.2. Les activités exercées comme déterminant de l'intercommunalité

Le service d'élimination des ordures ménagères présente une grande


diversité et hétérogénéité de situations organisationnelles. Mais sur un territoire
donné, l'organisation intercommunale (étendue, statuts, imbrication) résulte de la
compétence (collecte et/ou traitement) exercée en production. Ces relations sont
figurées sur le schéma N°1 ci-dessous.

1
Cette possibilité de transfert est examinée au §3.3.1.

144
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Nous avions ainsi montré (A. Le Bozec 1999) que l'exercice des activités
de collecte et/ou traitement, sous la contrainte de seuils minimums pour le
dimensionnement des équipements, détermine l'étendue de la coopération
intercommunale. Aujourd’hui, nous semblons assister à un arrangement de
communautés pour l’exercice de compétences qui comprennent ou non, selon les
conditions locales, celle de l’élimination des déchets. Il en résulte que la
territorialisation du service se réalise avec des constantes et les autorités
organisatrices de tailles voisines présentent des similitudes quant aux compétences
exercées et aux statuts adoptés.

Etendue de
l’intercommunalité
Choix du statut de l’EPCI

Seuils minimums
d’exercice d’activités Compétences exercées

Schéma n° 1 – Relations statut-compétences-étendue de l'EPCI

 L'étendue de la coopération explique le choix du statut

Seule la communauté urbaine dispose de la compétence " Ordures


ménagères " dans ses compétences obligatoires, l'exercice de cette compétence ne
peut donc être qu'une compétence d'attribution dans tous les autres statuts. Les
différents EPCI peuvent exercer cette compétence, c'est d'ailleurs ce que l'on
observe dans l'Ouest de la France avec une répartition entre les EPCI à fiscalité
propre et ceux de type syndical.

- le SIVU et le syndicat mixte concernent les zones rurales où un grand


nombre de communes sur une vaste étendue s'associent pour la gestion
du seul service d'élimination des ordures ménagères,

- les SIVOM et les communautés de communes, coopérant sur plusieurs


domaines de compétences, exercent ces compétences sur un territoire
plus restreint de 5 à 15 communes pour 5 000 à 15 000 hab.

Le choix du statut juridique de l'EPCI apparaît lié à l'étendue de la


coopération intercommunale en termes de population et de communes regroupées.

145
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Ainsi à une échelle de progression de la population correspond une forme


d'intercommunalité :

Pop (CC) < Pop (SIVOM) < Pop (SIVU)< Pop (SM) < Pop (CU)

La place récente des communautés d'agglomération dans la gestion des


déchets n'a pas fait à ce jour l'objet d'une enquête, mais on peut penser que cette
compétence sera largement exercée en raison de l'étendue de ces groupements de
communes.

 L'activité exercée détermine l'étendue de la coopération

La compétence " Elimination et valorisation des déchets des ménages " est
unique et comprend les activités de collecte et de traitement. Les procédés
techniques de collecte et de traitement s'appuient sur des seuils minimums
différents de population (porteurs du tonnage de déchets) qui orientent peu ou prou
les formules intercommunales.

Le constat d'un fractionnement du service entre collecte et traitement nous


amène, par souci de clarification, à parler de " compétence collecte " et de
" compétence traitement ". Cette distinction a d'ailleurs été officialisée par la loi de
1999, qui dans son article 71 évoque la possibilité de transférer la seule
"compétence traitement". Le traitement des ordures ménagères s'accorde avec une
population plus importante que celle de la collecte. Les EPCI exerçant la seule
"compétence traitement" s'appuient sur une population supérieure le plus souvent à
50 000 habitants, alors que les EPCI n'exerçant que la "compétence collecte"
concernent le plus souvent moins de 20 000 habitants (A.Le Bozec 1999). Les
équipements de traitement des déchets à forte technologie sont un déterminant
majeur d'une intercommunalité étendue. Les autorités organisatrices, propriétaires
d'une unité de traitement des ordures ménagères à forte composante technologique
(unité de valorisation énergétique par incinération) vont de pair avec une
intercommunalité importante (il faut 30000 t/an de déchets pour alimenter un four
de 4,5 t/h, soit les déchets émis par une population regroupée de 100 000
habitants).

1. 3. La typologie des autorités productrices des activités

Pour lever toute ambiguïté juridique sur la notion de compétence exercée


dans cette typologie, nous convenons que l'exercice d'une compétence correspond à
l'exercice réel de cette compétence entendu comme la production de l'activité qui
relève de cette compétence. Par convention, nous définissons l'exercice de la
"compétence traitement" par la propriété de l'installation de traitement et l'exercice
de la "compétence collecte" par la responsabilité exercée dans l'organisation de la
collecte et le choix du mode de gestion, directe ou prestation de service (A.Le
Bozec 1994).

Les exigences d'un traitement moderne des déchets impliquent la mise en


œuvre d'une technologie difficilement conciliable avec le périmètre d'exercice de la

146
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

collecte, notamment pour les usines d'incinération, les centres de tri, les centres de
stockage des déchets et, dans une moindre mesure, pour les unités de compostage.
Nous sommes donc en présence d'une intercommunalité large dépendant du choix
technologique de traitement et d'une intercommunalité plus restreinte en collecte,
résultat d'une volonté politique.

De cette opposition des forces motrices qui séparent les activités


" collecte " et " traitement " résulte un arrangement des collectivités en autorités
organisatrices spécialisées (AOC et AOT) d'où découle cette superposition
intercommunale, notamment en milieu rural.

Quatre types d'autorités organisatrices ont été définis (A. Le Bozec 1994)
que nous schématisons ci-après (schéma n°2) et que nous présentons dans le
tableau n°2 suivant. De plus et très logiquement, l'existence d'une liaison entre
l'exercice des activités de production et le choix du statut des groupements de
communes a pu être établie :
- Les AOC+T =AOC + AOT ont la compétence "Elimination des déchets
ménagers" et exercent les deux activités "collecte" et "traitement". Ce sont des
EPCI à vocation unique et spécialisée (SIVU) et les EPCI urbains (CA et CU).

- Les AOC/AOT, tout en ayant la compétence "Elimination des déchets


ménagers", n'exercent réellement que l'activité "collecte" et s'adressent à un
tiers, en client, pour le traitement. Ils sont largement représentés par les CC ou
les SIVOM et quelques SIVU.

- Les AOC exercent la seule compétence "collecte" et sont de statut SIVOM ou


CC. Ces AOC présentent une faible étendue intercommunale et adhèrent aux
AOT.

- Les AOT exercent la seule compétence "traitement" en milieu rural, sur de


grands périmètres (SIVU, SM, CC) ou en zone urbaine (CA). Elles sont
propriétaires de l'installation de traitement.

Types Compétence exercée Production exercée


Collecte Traitement Activité Activité traitement
collecte
AOC+T Oui Oui Oui (régie ou Propriétaire d'une
=AOC+ AOT société) UTOM
AOC/AOT Oui Oui Oui (régie ou Client d'une société
société) ou client d'une AO
différente
AOC Oui Non Oui (régie ou Adhésion à une AO
société) différente
AOT Non Oui Non Propriétaire d'une
UTOM
Source : Le Bozec 1994
Tableau n° 2 - Typologie des autorités organisatrices

147
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Schéma N°2 – Schéma des types d'autorités organisatrices

(A. Le Bozec 1994)

Type : AOC+T TYPE : AOC/ AOT Type : AOC et AOT


= AOC + AOT en superposition

communes communes
communes

société privée
dim PC = dim PT ou AOC + AOT dim PT > dim PC
ou AOT

Adhérent AO : autorité organisatrice collecte


Client dim P : dimension production
traitement
C : collecte
limites EPCI T : traitement

148
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

De plus, nous avons observé en 1996 (A. Le Bozec 1999) l'émergence d'un
phénomène nouveau de juxtaposition de groupement de communes AOD exerçant
la seule activité "déchetterie", les communes étant de plus adhérentes à un EPCI de
collecte. Constaté dans certains départements, cet arrangement territorial n’est pas
justifiable et de plus n'est pas conforme à la loi du 12 juillet 1999.

2. La construction de l'intercommunalité rurale par nécessité d’offre de


service (lois de 1992)

2.1. L'évolution historique de l'intercommunalité

La création d'EPCI s'étend de 1950 à nos jours et l'analyse fait apparaître


quatre périodes rythmées par l'influence des lois relatives à la gestion des déchets
(1975 et 1992) et à la coopération intercommunale (1992 et 1999).

- De 1950 à 1975 : la création de SIVOM prédomine et correspond aux


attentes des communes de se grouper afin de s'équiper en équipements
de collecte des déchets, la mise en décharge en étant l'exutoire. Les
services de l'Etat (DDA, DDE) ont établi en 1967 les schémas
départementaux de collecte et de traitement des ordures ménagères qui
vont enclencher la construction des premiers périmètres de gestion des
déchets.

- De 1975 à 1992 : l'élimination des déchets ménagers par les


communes, devenue obligatoire avec la loi n°75-53 du 15 juillet 1975,
doit s'adapter aux nouvelles contraintes réglementaires et économiques
qui conduisent à mettre en œuvre des outils de traitement des déchets.
Cette période post-législative en matière de déchets s'accompagne de la
création des SIVU, plus étendus territorialement, guidée par la mise en
commun des moyens financiers nécessaires à la réalisation de la
première génération d'unités de traitement : incinération simple,
compostage, broyage préalable à la mise en décharge.

- De 1992 à 1999 : alors même que l'organisation territoriale de la


gestion des déchets semblait stabilisée, les communautés de communes
surgissent et font irruption dans l'exercice de la collecte sur des
territoires restreints. Les plans départementaux d'élimination des
déchets ménagers et assimilés s'élaborent avec une préoccupation
tournée vers un découpage territorial orienté par la mise en œuvre
d'unités de valorisation des déchets, de plus grandes capacités, dans des
périmètres pertinents et donc poussés vers l'élargissement.

149
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

- De 1999 à 2002 : la coopération intercommunale en milieu urbain se


trouve très fortement incitée et ce, dans des conditions simplifiées de
choix pour les communes. Dans ce contexte, les communautés
d'agglomération surgissent et connaissent un succès rapide et le
nombre de communautés de communes augmente aussi de plus de
50%. L'intercommunalité, dotée de la fiscalité propre, trouve enfin une
place que les pouvoirs publics cherchaient à lui donner, mais les
communes perdent l'essentiel de leurs prérogatives sur les activités
structurantes.

Avant 1992, les EPCI créés sont, dans 91 % des cas, de type syndical.
Après 1992, les EPCI nouvellement créés sont à fiscalité propre dans 84 % des cas.
Un basculement brutal s'est donc opéré en 1992.

2.2. Les lois de gestion des déchets et d'administration territoriale de la


république de 1992 comme bases d'une réorganisation territoriale

L'année 1992 apparaît donc comme une année charnière avec la


conjonction de deux lois qui se sont ignorées. D'une part, la loi du 6 février 1992
d'Administration Territoriale de la République (ATR) qui créa, notamment les
communautés de communes. D'autre part, la loi du 13 juillet 1992 relative à
l'élimination des déchets qui demanda aux départements de se doter de plans
départementaux d'élimination des déchets ménagers et assimilés. Alors que la
nécessité de gérer les déchets était le moteur de l'intercommunalité de gestion
(syndicats) avant 1992, rappelons les conséquences respectives de ces lois sur la
réorganisation territoriale en gestion des déchets, à la lumière d'une enquête
réalisée en 1996 par le Cemagref auprès de 9 départements de l'Ouest de la France
(A. Le Bozec 1999).

 L'effet de la loi ATR de 1992

La loi ATR est à l'origine de ces communautés de communes et a contribué


à générer de nouvelles structures qui s'empilent sur les anciennes avec toutefois un
mouvement de transformation des statuts des SIVOM anciens par substitution.
- Les créations ex-nihilo d'EPCI depuis 1992 représentent environ 10 %
du total d'EPCI existants, mais avec une forte prédominance de
communautés de communes (78 %). Ce mouvement est donc
relativement restreint mais contribue à la superposition des structures
pour l'exercice séparé des activités de collecte et de traitement.

- La transformation des statuts de structures existantes a une ampleur


plus grande puisqu'elle touche, de 1992 à 1996, environ 25 % des
EPCI. Ce mouvement touche particulièrement les SIVOM, puisque sur
la zone d'étude, 40 % d'entre eux ont modifié leurs statuts, sans
nouvelle création. On assiste donc à un mouvement de création de
communautés de communes sur les cendres des SIVOM par
substitution, en raison de l'avantage financier procuré par la DGF et

150
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

non par une meilleure adaptation à la gestion des déchets. Ainsi, le


Finistère qui disposait en 1990 d'une mosaïque de petites structures
syndicales à vocation multiple a été un terrain particulièrement
favorable à l'émergence des communautés de communes pour la
collecte des déchets.

- L'enquête réalisée par l'ADCF en juin 1998, auprès de 175 EPCI à


fiscalité propre (CC, districts) confirme d'ailleurs ces observations, à
savoir : «le service est rarement assuré dans sa globalité par une seule
et même collectivité ». De plus, «l'intercommunalité à fiscalité propre
(CC) est surtout active dans la collecte et les déchetteries, seuls
quelques EPCI urbains couvrent des territoires pertinents pour assurer
le traitement des déchets ». Il est d'ailleurs éloquent d'observer que la
dénomination des communautés de communes fait souvent référence
au " bassin ", à la " vallée ", au " pays ". La volonté politique est
d'appréhender globalement les actions (développement économique,
aménagement, environnement) sur un territoire identifiable, car limité,
permettant une meilleure lisibilité de l'action publique.

 L'effet de la loi déchets de 1992

La demande d'élaboration des plans départementaux d'élimination des


déchets ménagers et assimilés conduit à étendre le périmètre pour l'exercice de
l'activité de traitement. Or les communautés de communes correspondent
généralement à des territoires, compatibles avec l'activité de collecte, mais de trop
faibles étendues pour l'activité de traitement. Par ailleurs, une grande stabilité de
l'étendue des EPCI existants est observée, puisque 71 % des EPCI n'ont pas
modifié leur nombre de communes adhérentes, 23 % ont enregistré des adhésions
nouvelles et seulement 6 % des EPCI ont vu le nombre de leurs communes
adhérentes diminuer. La loi de 1992 relative aux déchets n'est donc pas le moteur
de cette intercommunalité renouvelée. Mais elle joue un rôle de catalyseur en
contribuant à favoriser la mise en place d'un nouvel arrangement intercommunal,
qui n'est pas achevé actuellement, pour accueillir les infrastructures de traitement-
valorisation des déchets ménagers.

L'analyse de la dynamique intercommunale en lien avec la modernisation


de la gestion des déchets montre une orientation vers un double mouvement propre
à chaque activité. D'une part, une réactivité forte des collectivités pour mettre en
place des collectes spécifiques proches et visibles des citoyens, qui s'exercent sur
des territoires faiblement étendus et portés par l'avantageux statut des
communautés de communes. D'autre part, une lente transformation pour
moderniser le traitement qui s'appuie sur des structures plus larges, à créer ou à
étendre, aptes à atteindre des seuils techniques opérationnels mais avec des
conséquences financières redoutées.

151
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

La DGCL recense, au 1er janvier 1999, 2433 EPCI exerçant une


compétence en ordures ménagères, dont un tiers, soit 812 EPCI à fiscalité propre
(195 districts, 606 communautés de communes et 11 communautés urbaines) et
deux tiers d'EPCI de type syndical sans fiscalité propre (713 SIVU, 743 SIVOM et
165 syndicats mixtes). La gestion des déchets s'appuie donc sur ces deux formes
d'intercommunalité où tous les statuts sont représentés. C'est dans ce contexte
qu'intervient la loi de 1999 qui vise à renforcer l'intercommunalité à fiscalité
propre, notamment sur le secteur urbain.

3. La structuration de l'intercommunalité urbaine par obligation légale (Loi


du 12 juillet 1999 )

La loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la


simplification de la coopération intercommunale vise à développer
l'intercommunalité urbaine par une meilleure cohérence spatiale et économique
ainsi que la solidarité financière et sociale. Cette loi transforme le paysage
intercommunal français de manière importante, tant dans le secteur urbain que dans
le secteur rural, mais à des vitesses différentes et selon des aspects spécifiques. De
plus, la loi a cherché à clarifier l'organisation territoriale du service d'élimination
des déchets des ménages ainsi que son financement.

3.1. L'évolution législative de l'intercommunalité

Les modifications récentes relatives à l'élimination des déchets sont


présentées dans le tableau n°3 page suivante.

3. 2. Les transformations territoriales induites par la loi

3.2.1. Le secteur urbain : des transformations au "pas de charge"

La loi a transformé l'intercommunalité urbaine sous les effets combinés de


deux leviers, l'un de contrainte calendaire, l'autre, de "carotte fiscale". La nouvelle
catégorie d'EPCI : "Communauté d'agglomération" regroupe des communes
formant un ensemble de plus de 50 000 habitants autour d'au moins une commune
de plus de 15 000 habitants ou du chef-lieu de département. Sa création a été aidée
par une attribution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) substantielle
(250 F/hab. au 1er janvier 2000). Dès lors, la communauté d'agglomération s'est
imposée dans un délai record comme "la structure intercommunale urbaine". En un
peu plus de deux années, 120 communautés d'agglomération sont apparues dans le
paysage intercommunal français au 1er janvier 2002 (tableau n°4).

152
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 Loi n° 99-1126 du 28 décembre 1999


(intercommunalité urbaine) (CGCT)
Art. 71 : Transfert de compétence (collecte et/ou T) Art. 16 (TEOM/REOM)
Art. 84 : Institution de la TEOM
Art. 85 : Institution de la REOM
Circulaire du Ministère de l’Intérieur du 25 février 2000 : chap. 1, section 2, II (TEOM, REOM)
Arrêté du 24 juillet 2000 : M14 Vol I, Tome 1, Titre2, Rub 812 (si REOM=SPIC=budget annexe)

Loi de finances rectificative du 13 juillet 2000, Article 33

Circulaire NOR INT B 00 00249 C du 10 novembre 2000 du Ministère de l'Intérieur " Gestion de
l'élimination des déchets ménagers"
Circulaire NOR INT B 01 00197 C du 5 juillet 2001 du Ministère de l'Intérieur " Pertinence et
exercice effectif des compétences"
Loi N° 2001-1275 du 28 décembre 2001 (loi de finances 2002), art 109, " TEOM et REOM par les
syndicats mixtes

Tableau n° 3 – Textes réglementaires consécutifs à la loi de 1999


(situation en avril 2002)

153
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

EPCI à fiscalité propre 1999 2000 2001 2002


CU 12 12 14 14
CA 0 50 90 120
CC 1349 1532 1717 2033
SAN 9 9 8 8
Districts 305 242 171 -
CV 5 1 - -
Nombre de groupements 1680 1846 2000 2175
Source : DGCL 2002

Tableau n° 4 —Nombre d'EPCI à fiscalité propre au 1er janvier de l'année

154
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

La constitution des communautés d'agglomération s'est faite


essentiellement pour 75 % d'entre elles par transformation de structures existantes :
communautés de communes et districts, seules 25 % sont de nouvelles créations
(Tableau n°5). La loi prévoyait en effet que les communautés de communes
pouvaient se transformer. De plus, les districts et les communautés de villes
devaient disparaître avant le 1er janvier 2002 en se transformant en communautés
de communes ou en communautés d'agglomération. L'architecture de
l'intercommunalité s'est donc clarifiée et l'essentiel des chefs-lieux de région et de
département est intégré dans une communauté d'agglomération. C'est le cas dans
l’Ouest des districts de Rennes, Angers, Lorient, Vannes, St Brieuc, des
communautés de communes de Morlaix et Laval. Les villes de Vitré et de St Malo
ont fédéré les communes voisines pour créer une communauté d'agglomération. Au
plan national, la dernière vague en 2003 devrait concerner environ une vingtaine de
nouvelles communautés d'agglomération avec les villes moyennes restantes et les
communautés de communes qui auront élargi leur périmètre pour atteindre 50 000
habitants.

Constitution par : 2000 2001 2002 Total


Création ex-nihilo 6 14 11 31
Transformation de CC 15 15 7 37
Mode de
Transformation de CV 4 1 0 5
constitution
des CA Transformation de SAN 0 1 0 1
Transformation de district 25 9 12 46
TOTAL CA 50 40 30 120
Source DGCL 2002
Tableau n° 5 —Constitution des communautés d'agglomération
au 1er janvier de l'année

Avec les nouvelles règles de constitution de la communauté urbaine, deux


nouvelles communautés urbaines ont été créées en 2001, celles de Nantes
(transformation du district) et de Marseille.

3.2.2. Le secteur rural : des transformations avec " effet retard"

Depuis 1999, le nombre de communautés de communes continue de


croître, témoignant, selon la DGCL, de leur adaptation aux lieux faiblement
urbanisés. Leur souplesse et leur avantage fiscal expliquent cette évolution.
Néanmoins, nous ne disposons pas de statistiques sur l'évolution des structures
syndicales sur la même période permettant d'expliquer s'il y a un effet substitution,
empilement, rétrécissement des structures intercommunales. Toutefois, le milieu
rural poursuit actuellement sa mutation après les bouleversements opérés dans le
milieu urbain.

3.2.3. Le statut déterminé par l'importance de la population

155
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Le tableau n° 6 montre que les populations et nombre de communes


regroupées dans des EPCI à fiscalité propre sont très différentes selon le statut de
l'EPCI et sont le résultat des contraintes législatives. Entre 1999 et 2002, la
population moyenne des communautés urbaines et des communautés
d'agglomération a augmenté de manière régulière, alors que le phénomène inverse
s'observe sur les communautés de communes.

Au 1er janvier 2002 Nb moyen de Population


communes moyenne
Communauté urbaine 25 442985
Communauté d'agglomération 16 132696
Communauté de communes 12 10942
D'après DGCL 2002
Tableau n° 6 —Etendue des EPCI à fiscalité propre

3. 3. Les conséquences sur l'organisation territoriale et le financement du


service d'élimination

La loi de 1999 a abordé spécifiquement les conditions d'exercice de la


compétence "Elimination des déchets ménagers et assimilés". Examinons ces
conséquences sur le terrain et les questions qu'elles soulèvent.

3.3.1. Une clarification de l'exercice de la compétence "Elimination des


déchets ménagers et assimilés"

a) Le principe d'unicité du service est réaffirmé

La loi du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la


récupération des matériaux a rendu obligatoire l'exercice de la compétence
"élimination des déchets ménagers" par les communes ou leurs groupements.
L'élimination s'entend par toutes les opérations de collecte, transport, tri,
traitement, stockage qu'implique la gestion des déchets. Les collectivités peuvent,
de plus, assurer l'élimination des déchets assimilés aux déchets ménagers, d'origine
commerciale ou artisanale, qui peuvent être collectés et traités sans sujétions
techniques particulières, sans autre forme d'obligation que de mettre en place une
"redevance spéciale" pour financer ce service additionnel.

Le principe d'unicité du service d'élimination des déchets ménagers et


assimilés est réaffirmé par la loi de 1999, alors même que la production des
activités de ce service relève d'un ou de plusieurs EPCI. Un décret n°2000-404 du
11 mai 2000 demande désormais la présentation d'un rapport annuel sur la qualité
et le prix de ce service public d'élimination des déchets.

b) Le principe d'un transfert, total ou partiel, de la compétence est reconnu

156
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Alors même que la production du service d'élimination des déchets repose


souvent sur la mise en œuvre éclatée des activités de collecte et de traitement entre
différents EPCI, comme nous l'avons vu précédemment, le législateur a pour la
première fois reconnu cet état de fait et a cherché à restreindre les possibilités de
découpage des activités, en donnant un cadre à l'exercice de ces différentes
activités.

Ainsi, l'article 71 de la loi de 1999 précise que « Les communes peuvent


transférer à un EPCI ou à un SM, soit l'ensemble de la compétence d'élimination et
de valorisation des déchets des ménages, soit la partie de cette compétence
comprenant le traitement, la mise en décharge des déchets ultimes ainsi que les
opérations de transport, de tri ou de stockage qui s'y rapportent ». Sans déroger au
principe d'unicité du service, le partage observé sur le terrain de la compétence
"élimination" en une partie de compétence (collecte) et en une autre partie
(traitement, tri, stockage) transférable à un autre EPCI est reconnu. La circulaire de
novembre 2000 évoque même deux missions distinctes du service. Ainsi
l'élimination se trouve scindée en deux blocs d'opérations ou d'activités qui
semblent ne pas pouvoir être dissociés ; l'un "collecte" comprenant les collectes
d'ordures ménagères, des emballages ménagers et journaux-magazines, les
déchetteries, l'autre "traitement" qui comprend la valorisation matière (compostage,
centre de tri) et énergétique (incinération) et les centres de stockage.
L'interprétation de la limite entre ces deux blocs d'activités reste néanmoins un peu
floue, notamment pour les opérations de transport et celles s'effectuant dans les
déchetteries. Sur ce point, la circulaire du 10 novembre 2000 de la DGCL laisse
une souplesse d'interprétation aux collectivités.

c) Le principe de transfert en cascade est permis

Afin d'éviter les chevauchements désordonnés de périmètres d'exercice de


collecte et de traitement, et apporter une certaine cohérence dans les flux collectés
et traités, le législateur a pris des mesures d'encadrement des transferts de la
compétence "élimination" ou de la partie de compétence "traitement", rappelées
dans l'article 71 ci-dessus. Les possibilités de transfert de la compétence
"élimination" ou de la partie "traitement" sont schématisées (schéma n°3) ci-
dessous. Désormais, le transfert se fait en cascade par l'Autorité Organisatrice qui a
la compétence "élimination", soit de par la loi (Commune), soit en résultat d'un
transfert de la compétence par les communes. Le transfert dit en "étoile" par les
communes de la collecte à une Autorité Organisatrice et du traitement à une
Autorité Organisatrice différente est désormais interdit. En outre, la loi interdit
désormais à une commune d'appartenir à plus d'un EPCI à fiscalité propre.

Il en résulte qu'une commune a trois possibilités :


- conserver la compétence collecte et traitement (cas rare),
- conserver la compétence collecte et transférer la compétence
traitement,
- transférer l'ensemble de la compétence à un EPCI ou SM (cas général).

157
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Par ailleurs, au regard de son statut, l'EPCI peut ou non transférer la


compétence "élimination" ou la partie "traitement" (tableau n°1). Les communautés
urbaines et les communautés de communes à DGF bonifiée (Art L.5214-23-1
CGCT) doivent exercer la compétence "élimination". Enfin, le Département peut se
voir confier la responsabilité de la partie compétence "traitement" par convention
avec les EPCI.

d) Les interférences de périmètres entre EPCI : Le principe de retrait et le


principe de substitution

 Le principe de retrait des communes, qui participent à une CA ou à une CU, des
syndicats dont ces communes sont membres pour les compétences obligatoires et
optionnelles de ces communautés. Alors, ce retrait des communes membres du
syndicat n'est pas soumis à l'acceptation du conseil syndical et des autres
communes membres, il s'impose au syndicat.

 Le principe de substitution s'applique dès lors qu'il y a inclusion de l'EPCI à


fiscalité propre dans le syndicat ou interférence du périmètre communautaire et du
périmètre syndical. L'EPCI à fiscalité propre est, pour les compétences qui lui sont
transférées, substitué à ses communes membres au sein du syndicat intercommunal,
et ce de manière automatique. Le syndicat devient alors un syndicat mixte. Les
interférences de périmètres entre les EPCI à fiscalité propre et les syndicats font
l'objet de la circulaire du 5 juillet 2001 de la DGCL.

e) Discussion et confrontation avec la réalité actuelle

 Par le respect du principe de transfert en cascade, la loi devrait éviter les


chevauchements de compétences entre structures intercommunales. Il devrait en
résulter un processus de concentration des moyens humains et matériels au profit
des structures intercommunales à fiscalité propre fortement intégrées pour un
exercice effectif de la compétence, notamment en milieu urbain et périurbain.

 La place et l'avenir des syndicats de communes exerçant la collecte posent


questions. Les communautés de communes peuvent bénéficier d'une DGF majorée
et l'exercice de la compétence "élimination" contribue à l'augmentation du
coefficient d'intégration fiscale (CIF) demandé. De plus, les conditions de retrait de
communes d'un syndicat pour adhérer à une communauté de communes pour la
compétence déchets sont automatiques. Ainsi, selon J. Pélissard (AMF 2000), les
communautés de communes ont un intérêt financier à exercer la compétence
collecte, réduisant ainsi la taille des syndicats de collecte existants. Il est donc à
craindre un éclatement ou un rétrécissement des structures syndicales qui ont fait
leur preuve dans la gestion des déchets par leur souplesse. Les conséquences du
retrait de certaines communes peuvent s'avérer très lourdes en créant un
déséquilibre financier compromettant l'exploitation du service et l'amortissement
des investissements.

158
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Schéma n°3 - Montages intercommunaux possibles


pour l’exercice de la compétence déchets
SM ou EPCI
Communes

Elimination

AOC
+
AOT

Communes SM ou EPCI

Traitement

AOC AOT

EPCI SM
Communes

Elimination Elimination AOC


+
AOT

EPCI SM ou Département
Communes

Elimination Traitement

AOC AOT

159
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

 Toutefois la possibilité de transférer tout ou partie de la compétence à un


syndicat mixte renforce la place de cette structure pour l'exercice de la compétence
"traitement". Le type AOT ne semble donc pas condamné, bien au contraire et le
développement de syndicats mixtes devrait se confirmer, et ce même au niveau
départemental.

 Beaucoup d'EPCI de collecte ont confié l'exercice des collectes sélectives à


l'EPCI "traitement" en raison des moyens techniques spécifiques à mettre en
œuvre. Par ailleurs, l'aire d'exercice de la collecte sélective est plus importante que
celle de la collecte des ordures ménagères. Dès lors, nombreuses sont les
communautés de communes qui s'interrogent aujourd'hui sur le devenir de
l'exercice de leur rôle en gestion des déchets puisque la compétence "collecte" n'est
pas fractionnable. Deux possibilités s'offrent à elles, soit se dessaisir de la totalité
de la collecte des ordures ménagères, soit exercer la collecte sélective des
emballages, en plus de la collecte traditionnelle des ordures ménagères résiduelles,
avec le risque d'une sous-utilisation des moyens de collecte.

 Une question importante subsiste sur la dimension pertinente pour l’exercice de


la collecte des emballages ménagers. Cette aire est-elle proche de celle de
l’exercice du traitement et à mettre en relation avec la capacité du centre de tri ?
Dès lors cette interrogation conduit aussi à s’interroger sur le découpage de la
compétence entre « collecte » et « traitement » (A.Le Bozec 1998).

 La réalisation du rapport annuel sur la qualité et le prix du service se heurte à


une double difficulté. D'une part, celle de traçabilité des dépenses et des recettes
rendue difficile par les arrangements territoriaux des groupements de communes.
D'autre part, l'affectation des coûts par nature et quantités de déchets dans le cas
des équipements de collecte et traitement communs est délicate et rend complexe la
détermination de tarifications spécifiques par nature de déchets.

3.3.2. Le financement du service est conditionné à l'exercice de la


compétence collecte

Les communes et les EPCI à fiscalité propre peuvent financer le service


d'élimination des déchets ménagers par le budget général ou opter, comme les
syndicats de communes, pour un financement spécifique par la taxe ou la
redevance. Les conditions d'institution du mode de financement du service
d'élimination des déchets ménagers et assimilés par les EPCI ont été clarifiées sans
que les modalités de définition de la taxe ou de la redevance aient été rénovées.

a) Le principe d'unicité territoriale du mode de financement sur la totalité


du territoire d'exercice de la collecte

Une clarification des conditions de financement du service a accompagné


la loi du 12 juillet 1999. Ainsi l'institution du mode de financement du service
d'élimination des déchets ménagers et assimilés (TEOM ou REOM) relève

160
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

désormais de la commune, de l'EPCI ou du SM qui a la compétence "élimination"


et qui assure au moins la collecte. Ce principe est en continuité avec celui de
l'unicité du service. Les mêmes règles de financement selon la taxe (Art 84) ou la
redevance (Art 85) seront donc appliquées sur l'ensemble des communes membres
de l'EPCI de collecte.

Cette possibilité existait déjà auparavant, mais la nouveauté tient dans le


fait que les EPCI ne peuvent plus renoncer à percevoir la taxe ou la redevance et
laisser cette liberté de choix entre TEOM et REOM à chacune des communes
membres. Chaque commune était alors libre de recourir au moyen de son choix
(budget, taxe, redevance) pour répercuter sur les habitants sa contribution à l'EPCI
pour l'élimination des déchets. Cette disposition est maintenant abrogée. Cette
mesure va donc dans le sens de la transparence des prix pour le citoyen et d'une
responsabilisation de l'Autorité Organisatrice.

La seule dérogation possible concerne les syndicats mixtes qui peuvent


renoncer à instituer la taxe ou la redevance et laisser cette possibilité aux EPCI à
fiscalité propre ( Art L2333-76 du CGCT).

b) Le principe de zones de perception selon le service rendu

La loi rappelle fort opportunément la nécessité de se rapprocher d'un


financement selon le principe du service rendu, principe que les collectivités
n'appliquent guère à ce service public local.

 La taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM). Son assiette n'est pas
modifiée, il s'agit d'un impôt direct additionnel à la taxe foncière sur les propriétés
bâties qui est sans rapport avec le service et indifférente à tout effort de tri de la
part des ménages. Elle peut faire l'objet de modulations du taux selon le niveau du
service rendu (fréquence de collecte). Cette disposition n'est pas nouvelle, mais elle
est clairement rappelée dans la loi, car elle semble mal connue des groupements de
communes qui préfèrent la simplicité et ont tendance à uniformiser les règles de
tarification. La TEOM peut être complétée par une partie du budget de la
collectivité pour financer le service des déchets ménagers. Le financement d'un
service des déchets assimilés se fera par une redevance spéciale.

 La redevance d'enlèvement des ordures ménagères (REOM) s'applique


selon le service rendu. Les paramètres pris en compte pour le calcul de la
redevance peuvent donc être le volume des récipients corrigé de la fréquence de
collecte, la nature des déchets, l'organisation de la collecte, le nombre de personnes
vivant au foyer. Néanmoins, certains critères liés à la production des déchets
ménagers résiduels présentent un caractère incitatif pour mieux impliquer et
motiver le citoyen au tri de ses emballages ménagers (Voir chapitre 9 de
l’ouvrage). L'application de la redevance est exclusive de tout recours à la taxe, au
budget ou à la redevance spéciale.

c) Discussion et confrontation à la réalité actuelle

161
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

 En attribuant aux EPCI exerçant la collecte le soin de percevoir la taxe ou la


redevance, les communes peuvent se sentir dessaisies de toute prérogative dans la
gestion des déchets et ne plus s'impliquer dans la nécessaire proximité avec le
citoyen pour améliorer les comportements responsables des ménages face à la
gestion de leurs déchets. Toutefois, cela rend plus lisible les actions de l’autorité
organisatrice par les citoyens.

 Sur un même périmètre de gestion des déchets ménagers, il y a désormais une


égalité de traitement des bénéficiaires avec la mise en œuvre de l'unicité territoriale
du mode de financement du service.

 Mais, face à l'intérêt d'un mode de financement identique sur un même périmètre
de collecte des déchets, les conséquences attendues sont doubles. D'une part, les
clés de ventilation, que se donnaient les EPCI pour déterminer les contributions des
communes, remontent souvent à la création du syndicat de communes et prenaient
en compte la richesse fiscale pour cimenter la solidarité intercommunale (potentiel
fiscal) (A. Le Bozec 1994). L'effet de cette disposition disparaissant, des tensions
sont à craindre entre communes riches et communes pauvres ou entre communes
rurales et communes urbaines dans les structures intercommunales. Il n'est pas
interdit de penser que les ménages de certaines communes connaissent une
croissance de leur taxe ou redevance du fait de cette disposition.

 D’autre part, en 2000, la TEOM touchait 76,5% de la population pour un produit


de 18,97 Mds de F alors que la REOM ne concernait que 12,7% de la population
pour un produit de 2,18 Mds de F (10% du produit total) (DGCL 2001). Mais cette
REOM était appliquée essentiellement par les communes de moins de 10000
habitants et notamment celles inférieures à 2000 habitants. La REOM est absente
des communes et groupements de plus de 20000 habitants. Alors même que la
REOM occupe actuellement une faible place dans le financement du service, un net
recul de son importance est envisageable avec l'obligation désormais faite aux
EPCI exerçant la collecte d'instituer le mode de financement du service, les
communautés d’agglomération nouvellement constituées marquant une préférence
pour la TEOM.

4. L'évolution future de la gestion des déchets dans les départements

L'analyse réalisée en 1996 (A. Le Bozec 1999) sur les régions Bretagne et
Pays de Loire a permis de mettre à jour des particularités départementales et
d'effectuer des rapprochements en dégageant des similitudes de situations au regard
de la gestion des déchets ménagers et assimilés.

Ainsi l'influence déterminante de la densité de la population explique que


le département d'Ille et Vilaine (118 hab/km²), avec un nombre de 28 communes
groupées par EPCI, identique à celui de la Mayenne (54 hab/km²), regroupe une
population moyenne par EPCI trois fois plus importante. Autre cas de figure,

162
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

l'Orne (48 hab/km²) doit faire coopérer une quarantaine de communes contre
seulement 10 pour la Loire Atlantique (154 hab/km²) pour atteindre 25000
habitants par EPCI. L’évaluation de l'intensité de l'intercommunalité en s'appuyant
sur l'étendue intercommunale exprimée selon la population moyenne regroupée, ou
selon le nombre moyen de communes, ne conduit pas à la même conclusion. De
plus, sur l'ensemble des deux régions, l'intercommunalité de gestion (type syndical)
est prépondérante sur l'intercommunalité de projet (à fiscalité propre) dans la
proportion respective, en 1996, de deux tiers contre un tiers pour la compétence
déchets. Néanmoins des différences existent entre les départements, certains ont
fait une grande place à l'intercommunalité de projet et d'autres à l'intercommunalité
de gestion. Mais depuis 1992, les structures nouvelles sont largement dominées par
les EPCI à fiscalité propre.

Partant du constat fait en 1996 et de l'évolution intercommunale depuis


1999, quatre schémas d'arrangements intercommunaux pour la valorisation des
déchets semblent se mettre en place dans les départements :

- un premier groupe de départements où les groupements de communes


exercent la totalité de la compétence " Déchets ménagers ", mais sans
disposer d'unités de traitement (type AOC/AOT). Dans ces
départements, des sociétés privées locales assurent traditionnellement
le traitement des déchets, par enfouissement technique, dans des
centres de stockage des déchets, il y a un partage public/privé dans les
décisions d'organisation;

- un second groupe de départements où il y a "unicité de compétence" au


sein de structures intercommunales de type AOC + AOT étendues
disposant de leur unité de traitement et qui exercent les activités de
collecte et de traitement, (SIVU, CA, CU);

- un troisième groupe où il y a une superposition des structures


intercommunales exerçant l'une l'activité de collecte (type AOC) et
l'autre l'activité de traitement (type AOT),( SM, CA);

- un quatrième groupe de départements où le département ou un syndicat


mixte départemental s'est vu confié l'exercice de la compétence
traitement par les autorités organisatrices qui exercent l'activité de
collecte (AOC ).

Ces deux derniers groupes correspondent aux situations les plus


fréquemment rencontrées, le second groupe ayant tendance à diminuer avec la
nécessité de valoriser les déchets dans des installations de taille plus importante. A
terme, la pénurie de capacités de traitement peut conduire à une augmentation des
situations décrites dans le premier groupe.

Les départements devraient se voir confier l’élaboration et la mise en


œuvre des plans départementaux d’élimination des déchets ménagers et assimilés.

163
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Ils seront notamment amener à jouer un rôle important pour la mise en œuvre des
installations de traitement-valorisation desservant les collectivités rurales et les
villes petites et moyennes. On verra donc coexister dans les départements, d’une
part, des communautés urbaines ou d’agglomérations qui auront les moyens
d’exercer la totalité de la compétence collecte et traitement sur leurs territoires et
d’autre part, des EPCI de plus faible taille qui exerceront la collecte et qui, soit
chercheront à construire leur installation de traitement, soit rechercheront une
solution auprès d’un syndicat mixte départemental ou d’une société privée.

5. Conclusion

La coexistence de deux approches territoriales distinctes de la collecte et du


traitement se trouve confirmée par les faits et désormais légitimée par la loi. La
collecte est exercée par des communautés de communes où l'on assiste à une
globalisation de l'action territoriale, le territoire étant ici au cœur de l'action
publique qui repose sur un impératif de proximité et de démocratie participative.
Quant au traitement, il relèverait d'un territoire fonctionnel guidé par l'efficacité
économique. Ce phénomène précédemment observé est désormais légalisé et son
développement dans la mise en place des plans départementaux d'élimination des
déchets ménagers devrait se confirmer. La gestion des déchets va s'appuyer sur une
intercommunalité à fiscalité propre en secteur urbain, alors qu'en milieu rural la
place des structures syndicales devrait rester forte, tant les communautés de
communes apparaissent de taille trop restreinte à ce jour pour permettre le
développement de l'activité de traitement dans des aires pertinentes.
La connaissance de l'organisation intercommunale est importante au regard des
enjeux qu'elle porte et parmi lesquels on peut citer, outre le dimensionnement des
équipements, la traçabilité des coûts, la gouvernance du système, le partenariat
public-privé dans la production et la fourniture du service.

Liste des sigles

ADCF Assemblée des districts et des communautés de France


AMF Association des maires de France
AO Autorité organisatrice
ATR Administration territoriale de la république
CA Communauté d'agglomération
CC Communauté de communes
CGCT Code général des collectivités territoriales
CIF Coefficient d'intégration fiscale
CV Communauté de villes
CU Communauté urbaine

164
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

DDA ou DDAF: Direction départementale de l'agriculture (actuellement DDAF)


DDE Direction départementale de l'équipement
DGCL Direction générale des collectivités locales
DGF Dotation globale de fonctionnement
DMA Déchets ménagers et assimilés
EPCI Etablissement public de coopération intercommunale
REOM Redevance d'enlèvement des ordures ménagères
SAN Syndicat d'agglomération nouvelle
SICOM Syndicat intercommunal de collecte des ordures ménagères
SICTOM Syndicat intercommunal de collecte et de traitement des ordures
ménagères
SITOM Syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères
SIVOM Syndicat intercommunal à vocation multiple
SIVU Syndicat intercommunal à vocation unique
SM Syndicat mixte
SPIC Service public à caractère industriel et commercial
TEOM Taxe d'enlèvement des ordures ménagères
UTOM Usine de traitement des ordures ménagères

Références bibliographiques

AMF, 2000, Document de travail du groupe "Intercommunalité et déchets" du 25


octobre 2000, 14p.

LE BOZEC.A, 1999, La dynamique territoriale dans la production des activités de


collecte et de traitement des ordures ménagères en Bretagne et Pays de Loire,
Cemagref Ingénieries- EAT-N°19, septembre 1999, 3-17.

LE BOZEC. A, 1998, Organisation intercommunale : enjeu majeur dans la


modernisation de la gestion des déchets, Environnement & Technique / Info-
Déchets-Courants, juin 1998 N°177, 31-35.

LE BOZEC. A, 1994, Le service d'élimination des ordures ménagères :


organisation-coûts-gestion, Editions Cemagref- L'Harmattan, 460 p.

LOUP.F, VINCENT.M.A, 1998, Que font réellement les groupements


intercommunaux pour la gestion des déchets? l'ADCF a mené l'enquête,
Intercommunalités, N°18-novembre 1998, 7-8.

Ministère de l'Intérieur, 2002, 2175 groupements de communes à fiscalité propre


regroupant 45 millions d'habitants au 1er janvier 2002, Communiqué du 11/02/02
de la Direction Générale des Collectivités Locales, 14 p.

165
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Ministère de l'Intérieur, 2001, Rapport de l'Observatoire des finances locales 2001,


dossier Fiscalité, Direction Générale des Collectivités Locales.

MOQUAY.P, 1998, Coopération intercommunale et société locale, L'Harmattan,


304 p.

166
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Chapitre 9¤

La modernisation du financement du service des déchets ménagers par


l'introduction d'une redevance incitative au tri des emballages.

Etienne Pierron*, André Le Bozec**

*CREREG, Université Rennes 1, 7 place Hoche, 35065 Rennes Cédex


etienne.pierron@cemagref.fr
**
Cemagref, 17 avenue de Cucillé, CS 64427, 35044 Rennes Cédex
andre.le-bozec@cemagref.fr

La modernisation de la gestion des déchets passe non seulement par la mise


en œuvre d’infrastructures performantes mais aussi par le besoin de rénovation du
financement du service. En effet, à minima, le service s’appuie désormais sur deux
composantes liées relatives, l’une aux déchets d’emballages ménagers et journaux
magazines, l’autre aux ordures ménagères résiduelles, qui justifient la rénovation
du système tarifaire. Il s’agit d’induire un nouveau comportement du citoyen face à
ses déchets, en le considérant, non plus comme un usager du service, mais comme
un co-producteur dans la gestion des déchets. Alors que les systèmes actuels de
financement du service (taxe, budget) ne tiennent pas compte des efforts de tri des
emballages par les citoyens, notre article se situe dans l’application du principe
« PAYT » (« pay as you throw ») développé aux Etats-Unis et appliqué dans
quelques pays européens et timidement en France. Dans ce cas, le service
d’élimination des déchets est considéré comme un service public à caractère
industriel et commercial (SPIC) finançable par une redevance.

Dans la réglementation française actuelle, la redevance est calculée selon le


service rendu, entendu comme l’offre de service aux habitants dont les
caractéristiques sont arrêtées par la collectivité organisatrice. Avec le principe dit
de « redevance incitative », les caractéristiques du service rendu sont déterminées
par le citoyen, soit par la consommation qu’il en fait (volume ou poids de déchets),
soit par la révélation de ses préférences quant au niveau d’offre du service (volume
du bac, fréquence de vidage). Le citoyen est alors responsabilisé face à la gestion
de ses déchets. Les problèmes liés à la révélation des préférences des individus et
donc de la contribution monétaire qu’ils sont prêts à fournir résident
essentiellement dans le fait que le service de gestion des déchets présente les
caractéristiques d’un bien collectif (divisibilité, excludabilité).

L’article comporte deux parties. La première présente les apports


théoriques des sciences économiques relatifs au financement des services publics.
La seconde partie est consacrée à l’analyse des pratiques innovantes de tarification

¤
Référence: E. Pierron, A. Le Bozec, 2004, La modernisation du financement du service
des déchets ménagers par l'introduction d'une redevance incitative au tri des emballages,
in J.P. Terreaux (Ed.), Economie des Equipements pour l'Eau et l'Environnement,
Cemagref, Antony.

167
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

du service des déchets ménagers, laquelle pourra être lue indépendamment de la


première.

1. Les fondements économiques de la tarification

1.1. La tarification au coût marginal : fondements théoriques

Si la tarification était auparavant un instrument de collecte des ressources


financières nécessaires au financement des investissements, elle évolue aujourd’hui
comme un moyen d’orienter les comportements des agents économiques et comme
un moyen d’assurer une meilleure allocation des ressources productives. D’après
Hotelling (1938) « l’optimum du bien être général de la société correspond à la
tarification de tout bien et service au coût marginal ». Afin de comprendre l’impact
de la tarification au coût marginal, nous allons tout d’abord examiner l’analyse
traditionnelle de ce système. Nous analyserons ensuite les critiques qui peuvent
survenir suite à la mise en place d’une tarification au coût marginal, en particulier
celles relatives aux difficultés d’obtention de l’équilibre budgétaire.

1.1.1. La présentation théorique de la tarification au coût marginal

Pour traiter le cadre général de la tarification au coût marginal, nous


pouvons prendre le cas d’un monopole public multiproduit (dans le but de
généraliser le résultat). Contrairement au monopole privé qui va chercher à
maximiser son profit en égalisant sa recette marginale à la demande, le monopole
public va quant à lui facturer chaque unité consommée à un prix personnalisé, égal
à la disposition à payer pour cette unité. Pour atteindre ce résultat, le monopole va
chercher à maximiser le surplus collectif. Nous supposons une économie à n biens
indicés par i, consommés par un consommateur, en quantité q i . Les prix des biens
sont notés p i (par souci de simplification, nous utiliserons dans les formalisations
de tarification les mêmes annotations).

On considère que les consommateurs sont hétérogènes et qu’ils sont


représentés par θ ( θ est un indicateur des préférences des agents et de leurs goûts)
~
qui a pour fonction de densité g (θ ) . La fonction de répartition G (θ ) représente la
~
proportion de population qui a un indice θ < θ , on a donc G (θ ) = 1 et G (θ ) = 0 .

Nous supposons que les consommateurs ont des préférences quasi-


linéaires, et que leur fonction d’utilité est représentée par U (q1 ,..., q n ,θ ) . Le
surplus du consommateur (c’est-à-dire l’avantage net procuré par l’acquisition d’un
bien) traduisant une mesure agrégée de la disposition à payer des consommateurs
s’écrit :

168
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

 n

S = ∫ u (q ( p )),θ ) − ∑ pi q i ( p1 ,..., p n ,θ )g (θ )dθ (1)
θ  i =1 

On représente le profit du producteur, tel que :

n
π = ∑ pi Qi ( p1 ,..., p n ) − CT (Q1 (.),..., Qn (.) ) (2)
i =1

où CT = CT (Q1 ,..., Qn ) , est le coût total de production et Qi est la demande


agrégée pour le bien i, égale à Qi = qi ( p1 ,..., p n ,θ ) g (θ )dθ . Afin d’obtenir
θ
l’efficacité allocative, le monopole public cherche à maximiser la fonction de bien-
être social qui est la somme du surplus du consommateur et du profit du
producteur, représentée par :

 n

Max W = S + π =
pi ≥ 0 ∫  u (q (
θ 
1 ( p 1 )),..., q n ( p n ), θ ) − ∑ p i q i ( p 1 ,..., p n , θ )  g (θ ) d θ + π (.)
i =1 
(3)

∂Q j  ∂CT 
La résolution de ce programme nous donne ∑ ∂p
 p j − ∂Qj  = 0 , ce
j i  
∂CT
qui nous donne quel que soit j et quel que soit i, p j = C ' j où C 'j = , c’est-à-
∂Q j
dire qu’à l’optimum le prix est égal au coût marginal. Une telle règle de tarification
maximise le bien-être social mais ne prend pas en compte l’équilibre budgétaire du
monopole. Dans le cas où le monopole fait face à des coûts fixes élevés, une telle
tarification ne lui permettra pas d’atteindre l’équilibre budgétaire puisqu’il aura un
coût marginal inférieur à son coût moyen. Dans ce cas, la tarification au coût
marginal, appelée aussi tarification de premier rang, conduit les pouvoirs publics à
subventionner le déficit à travers des prélèvements de taxes sur les consommateurs,
ce qui est socialement coûteux et peu incitatif en faveur d’une gestion efficace du
monopole.

1.1.2. Les difficultés d’application de la tarification au coût marginal

Selon Maurice Allais et al. (1947), « un système de tarification au coût


marginal entraîne pour les services publics, qui sont des activités à rendements

169
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

croissants1, un déficit qui doit être financé par la puissance publique ». Cependant,
comme nous l’avons déjà évoqué ci-dessus, de tels transferts peuvent provoquer
des distorsions entre les usagers et les non-usagers. En outre, si un système de
tarification ne fait supporter aux usagers qu’une partie des coûts, ne risque-t-il pas
de conduire, en ne favorisant pas la révélation des préférences, à une demande
excessive?

De nombreuses difficultés restreignent alors son application. En effet, dans


des conditions d’imperfection de marché (asymétrie d’information, existence
d’externalités…) la mise en place d’une tarification au coût marginal ne permet pas
d’atteindre l’équilibre budgétaire car l’existence de coûts fixes importants ou de
façon plus générale de rendements d’échelles croissants ne permettent pas
d’appliquer une tarification au coût marginal tout en assurant l’équilibre
budgétaire.

Par ailleurs, la tarification au coût marginal comporte d’autres difficultés


majeures :

- la première difficulté réside dans l’existence d’une limite « de capacité de


production rigide », c’est-à-dire que l’investissement ne peut pas être ajusté de
manière infinitésimale mais évolue par palier. Cette rigidité entraîne des
difficultés dans la détermination des prix lorsqu’il y a des variations de la
demande.

- s’il existe un avantage découlant de la fourniture d’une unité supplémentaire de


service, la tarification au coût marginal peut provoquer certaines externalités.
En effet, le prix qu’un usager sera prêt à payer pour la dernière unité de service
obtenu, «sous-évaluera » les avantages pour la collectivité,

- théoriquement, les limites de capacité des infrastructures des services servent de


support à l’offre lorsque celle-ci est inférieure à la demande. La tarification au
coût marginal ne permet cependant pas de rationner la demande lorsqu’elle est
supérieure à l’offre. Cette critique n’est toutefois pas valable pour le service de
gestion des déchets ménagers. En effet, celui-ci n’est pas contraint par des
limites de capacités ou de ressources, auxquels sont notamment confrontés les
services de distribution d’eau et d’électricité, si l’on considère la subtituabilité
des installations de traitement des déchets.

D’autres éléments posent problème lors de la tarification au coût marginal


des services publics et poussent les économistes à étendre ce concept afin qu’il se
rapproche d’une application pratique. Il en est ainsi :

- lorsqu’on considère les coûts marginaux de façon dynamique (tarification au


coût marginal de long terme et de court terme selon trois méthodes possibles: la
1
On parlera de rendements croissants lorsqu’après une augmentation de toutes les
quantités de facteurs dans la même proportion, la production augmentera dans des
proportions supérieures (économies d’échelles)

170
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

méthode d’étude des projets d’investissement, la méthode de Turvey (1976), la


méthode du coût marginal moyen) ;

- lorsque la demande ne s’exprime pas sous la forme d’un flux régulier mais
présente des pointes saisonnières (tarification de pointe (Crew M., 1995)) ;

- lorsque des changements technologiques s’opèrent dans le but de résorber les


pointes (tarification de pointe et choix technologique (Kleindorfer, P. and M.
Crew, 1992)).

1.1.3. La tarification avec prise en compte de l’équilibre budgétaire

Dans le cas de services publics qui ont des obligations d’équilibre


budgétaire, les règles de tarification ne sont plus exactement les mêmes, de surcroît
lorsque le même service public est un monopole naturel. En effet, comme nous
l’avons signalé au-dessus, la tarification au coût marginal ne permet pas de
satisfaire aux exigences d’équilibre budgétaire. C’est pourquoi, une tarification au
coût moyen peut lui être préférée bien que celle-ci entraîne une perte de surplus
chez le consommateur.

Il est toutefois possible d’amenuiser la perte de surplus du consommateur


en introduisant une tarification dite de « Ramsey-Boiteux » (Boiteux M., 1956). Ce
système tarifaire permet alors de concilier l’allocation optimale des ressources au
respect de l’équilibre budgétaire. Le modèle théorique de la tarification Ramsey-
Boiteux repose sur la maximisation de la fonction de bien-être social (1) sous la
contrainte d’équilibre budgétaire du producteur :

n
π = ∑ pi Qi ( p1 ,..., p n ) − CT (Q1 (.),..., Qn (.)) ≥ 0 (4)
i =1

La firme publique va choisir un niveau d’output tel qu’il maximise le bien-être


social sous contrainte que le profit de la firme soit supérieur à 0, c’est-à-dire qu’il
couvre parfaitement ses coûts. La résolution de ce programme nous donne que
  ∂CT 
 pj − ∂Q 
j  p jQ j λ 1

∑ 
j∈Ν  pj

 pi Qi
=−
(1 + λ ) η ji
, i ∈ Ν , c’est-à-dire que l’écart
 
 
relatif entre les prix pratiqués et les coûts marginaux est inversement proportionnel
à l’élasticité prix de la demande, η ji . En effet, le niveau de la tarification Ramsey-
Boiteux varie avec la valeur de la contrainte budgétaire, impliquant la prise en

171
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

considération de l’élasticité de la demande : plus la valeur d’un bien est élastique,


moins le prix peut être relevé pour satisfaire la contrainte budgétaire (et vice versa).
λ
C’est donc le coefficient de proportionnalité, , qui permet de satisfaire la
(1 + λ )
contrainte budgétaire. Cependant ces paramètres sont difficiles à calculer lorsque
les élasticités de la demande sont difficiles à apprécier.

Bien qu’attirantes en théorie, la tarification au coût marginal et la tarification


Ramsey-Boiteux n’en sont pas moins délicates à appliquer en pratique. En effet,
des données, tel que le coût marginal, sont difficiles à déterminer.

1.2. La tarification non-linéaire comme moyen de révéler la demande

La tarification prend de plus en plus de nos jours le rôle d’un outil incitatif.
On entend par-là, qu’un système tarifaire doit pouvoir permettre à la fois
l’équilibre budgétaire mais aussi inciter les individus à révéler leurs préférences
dans l’objectif de pouvoir ainsi orienter leurs comportements. Or, dans le cas de la
fourniture de biens publics, les individus ont tendance à ne pas révéler leurs
véritables préférences et à se comporter comme des passagers clandestins. C’est
pourquoi la mise en place de mécanismes de contribution volontaire et de
tarification permettant la révélation des préférences est nécessaire.

1.2.1. Les fondements théoriques de la tarification non-linéaire (Spence, 1977)

La tarification non-linéaire, appelée aussi tarification de second rang,


consiste à mettre en place un système tarifaire qui tient compte des différents types
de consommateurs notés θ. Le régulateur prend alors en compte l’hétérogénéité des
consommateurs en leur associant des préférences différentes afin d’inciter les
agents à révéler leur véritable type, donc à révéler leur véritable demande pour le
bien. Le modèle théorique d’un tel système tarifaire repose sur l’hypothèse de la
maximisation du bien être social, qui se fonde sur la notion de valeur du service
soumis à la contrainte d’équilibre budgétaire, par un planificateur bienveillant.
Celui-ci va alors avoir pour but de maximiser la fonction de bien-être social qui
s’écrit (après quelques transformations):

θ θ
W = ∫ V (θ ) g (θ )dθ + ∫ (θu (q,θ ) − V (θ ) − C ' q (θ )) g (θ )dθ − K ,
θ θ
(5)

qui est une fonction agrégée de l’utilité du consommateur selon ses préférences et
du profit du producteur qui tient compte de l’hétérogénéité des consommateurs.

172
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

V (θ ) et K représentent respectivement la fonction d’utilité indirect des individus


et le coût fixe du service. Le résultat de ce programme va nous donner comme
résultat : p = C '+ 1 − G (θ )   λ   ∂u + θ ∂u ²  , c’est-à-dire que les tarifs
 g (θ )  1 + λ   ∂q ∂θ∂q 
  
dépendent des quantités achetées et consommées. L'intérêt de cette tarification
réside dans le fait que la nième unité de biens consommés coûte proportionnellement
moins chère que la (n-1)ième unité (ce système tarifaire est surtout utilisé dans le
service de distribution d'eau potable).

Dans ce cas, les premières unités consommées viennent financer les


consommations marginales. Le consommateur à forte demande consomme quant à
lui une quantité correcte du point de vue du bien-être social1. Si ce consommateur
venait à payer un prix supérieur au coût marginal, le monopoleur pourrait diminuer
faiblement son prix de telle sorte que le consommateur le plus important soit incité
à acheter davantage. L’intérêt d’une telle tarification est qu’elle confère des
avantages aussi bien pour le consommateur que pour les firmes l’ayant mise en
place. Elle permet aux consommateurs d’effectuer une auto-sélection de sa
consommation en lui permettant de choisir ses quantités suivant ses préférences.

Une question se pose alors en matière de gestion des déchets ménagers :


est-il possible d’appliquer une tarification non-linéaire identique à celle mise en
place dans le service de distribution d’eau potable ? En effet, si on reprend la
définition stricto sensu de la tarification non-linéaire et si on l’applique au service
des déchets, la dernière unité consommée (de déchet ou de service) coûterait moins
cher à l’usager que l’avant dernière unité. Un tel système n’inciterait donc pas les
usagers à réduire leur production de déchets où à participer au tri sélectif.

1.2.2. Le cas particulier de la tarification à deux parts (Feldstein M., 1972)

La tarification à deux parts consiste à faire payer aux consommateurs un


droit à consommer le service public d'un montant fixe et une partie variable avec
les quantités consommées. C'est une tarification non-linéaire dans la mesure où le
prix moyen décroît avec la quantité totale consommée.

Cette tarification est une solution intéressante au problème de la gestion


des monopoles naturels qui subissent la règle de l'équilibre budgétaire.
L'abonnement est destiné à limiter le déficit budgétaire qui résulte de la tarification
au coût marginal. Un tel système permettrait alors d'équilibrer le budget du service
mais éviterait aussi toutes distorsions causées par le financement par la puissance
publique de ce déficit. L'objectif du régulateur est de maximiser le bien-être
collectif qui est la somme du surplus des consommateurs et du profit du monopole
naturel, par rapport au droit d’entrée et à la partie variable du tarif, sous la
contrainte que le profit de l'entreprise soit positif ou nul. La maximisation de ce

1
En effet, à l’optimum parétien, le prix d’un bien est égal au coût marginal de production
de ce bien.

173
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

A + ( p − C ' ) q ( p, θ ∗ ) 1 1
programme nous informe que A = = . On peut
A 1+ λ ε A
interpréter ce résultat de deux façons distinctes. Dans un premier temps,  A nous
rappelle l'indice de Lerner1. En effet, il nous indique que l'écart relatif entre le prix
et le coût marginal doit être proportionnel à l'inverse de l'élasticité prix, notée ε A .
Le coefficient de proportionnalité est alors fonction du nombre d'abonnés, du
nombre d'unités consommées et de la consommation totale du consommateur
marginal. Dans un second temps, la relation définit la charge fixe optimale, notée
A, qui peut s'interpréter comme le prix optimal de participation. Le coût d'accès du
consommateur marginal est donné par (p-C')q(p,θ*). Du moment où p>C', la firme
dégage un profit marginal sur le consommateur marginal. De plus, nous pouvons
préciser que λ2 doit être strictement positif, pour que la contrainte budgétaire soit
respectée. Dans le cadre du service des déchets, la partie fixe peut prendre la forme
d'un abonnement forfaitaire.

2. Les expériences novatrices de financement du service de gestion des déchets


ménagers

Dans cette partie nous présentons les récents développements en matière de


tarification des déchets ayant pour objectif d’inciter les individus au tri de leurs
déchets.

2.1. Les objectifs poursuivis

Les Etats-Unis, observant l’impact grandissant des déchets ménagers sur


l’environnement et donc sur la qualité de vie des individus, ont été les premiers à
mettre en place des systèmes de financement novateurs pour la gestion des déchets
ménagers.

La problématique des déchets en Europe s’inscrit quant à elle dans un


programme de politique environnementale que les Etats membres de la
communauté européenne ont commencé à développer à partir des années soixante-
dix. Cette politique de protection environnementale s’est construite
progressivement par des modifications apportées au Traité de Paris (1951), au
Traité de Rome (1957), au Traité de Maastricht (1992) et au Traité d’Amsterdam
(1997). La politique communautaire de gestion des déchets repose sur une série de
principes : principe de précaution, principe de prévention à la source des atteintes à
l’environnement, et principe du pollueur-payeur.
1
L’indice de Lerner est l’écart, en pourcentage, entre le prix de monopole et le prix
socialement optimal (c’est-à-dire le prix correspondant au coût marginal) divisé par le prix
de monopole. Il est égal à l’inverse de l’élasticité de la demande.
2
λ (qui est le multiplicateur de Lagrange) indique approximativement quel est l’impact
marginal causé par une faible variation des variables dans la contrainte budgétaire. λ est
aussi appelé « prix fictif des fonds publics ».

174
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

A l’échelle nationale, le décret n°92-377 du 1 avril 1992 relatif à la mise en


place d’un dispositif de reprise des emballages ménagers dans les collectivités a
posé les bases d’une nouvelle orientation vis-à-vis de la gestion des déchets
ménagers en France. Malgré l’existence préalable de certaines collectes sélectives,
ce décret marque le début d’une reconsidération du problème de gestion des
déchets ménagers.

2.2. Le modèle américain : le Unit Pricing

Ce système de tarification a été mis en place pour la première fois à


Olympia (38 000 habitants), Washington, en 1961 et est appliqué aujourd’hui par
plus de 4000 collectivités. Le système « unit pricing », appelé aussi «système à
taux variable » ou encore PAYT (« pay as you throw ») est fondé sur le principe
que chaque consommateur paie en fonction de ce qu’il jette. Toutefois la mise en
place d’un tel système a suscité la création de différentes modalités d’applications
qui ont leurs avantages mais aussi leurs inconvénients.

2.2.1. La typologie des systèmes existants aux Etats-Unis

Plusieurs types majeurs du système « unit pricing » ont été implantés dans
les municipalités. Ils sont principalement de deux natures : ceux fondés sur le
volume des déchets, et ceux fondés sur le poids des déchets.

Le système à poubelles variables (volume)


Le service de collecte des déchets facture aux usagers selon le nombre
et/ou la taille des poubelles.

Le système de sacs payés d’avance (volume)


Les usagers achètent des sacs poubelles « spéciaux » imprimés d’un logo.
Le prix des sacs va alors inclure une partie ou la totalité du tarif de la collecte et de
traitement des déchets.

Le système d’étiquettes ou d’autocollants payés d’avance (volume)


Les usagers achètent des étiquettes ou des autocollants qu’ils fixeront sur
des sacs poubelles classiques. Le prix de ces étiquettes et de ces autocollants inclut
le coût d’élimination pour un niveau de service maximum.

Le système hybride à deux parts (volume)


Ce système est une combinaison de taxe traditionnelle associée à un
système d’étiquettes ou d'autocollants. Le service des déchets fournit un niveau de
base de sacs ou de poubelles pour une taxe forfaitaire, et chaque unité
supplémentaire de déchets est facturée en plus de la taxe forfaitaire. En général, on
utilise le système d’étiquettes pour facturer les unités supplémentaires de déchets
collectés.

175
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Le système fondé sur le poids (poids)


Les ménages paient selon le poids de déchets jetés.

L’adoption de tel ou tel système dépend des caractéristiques des villes


telles que la taille de la ville, le mode de collecte (municipale, privée), la situation
de ville ou banlieue, les programmes de recyclages mis en place, etc.

2.2.2. L’impact de l’introduction du système « unit pricing »

Les villes qui ont appliqué le système à taux variable associé à un


programme de recyclage ont observé une réduction de 25% à 45% du tonnage
allant dans les usines de traitement. On peut citer plusieurs exemples caractérisant
ce phénomène.

La « Reason Foundation »(Scarlett, 1993) a examiné 8 villes du


Massachusetts ayant introduit le système « unit pricing », 5 d’entre elles ont signalé
la réduction de la production de déchets après l’introduction de ce système. Une
ville n’a pas annoncé de réduction, une a abandonné le système, et une n’a pas su si
le traitement des déchets résidentiels avait diminué. Seule une ville, Gloucester a
été capable d’estimer le taux de diversion qui résultait de l’introduction du
système. La ville a annoncé qu’avant la mise en place du programme, elle
produisait 20 000 t/an de déchets. Après l’introduction du « unit pricing », cette
production a chuté à 12 000 t/an. Les autorités locales ont cependant minimisé cette
baisse car une certaine quantité de déchets pouvait être détournée vers d’autres
sites de traitement. De plus, ils ajoutent que de mauvaises conditions économiques
ont pu contribuer à ce déclin, c’est pourquoi la réduction de la production de
déchets due à l’introduction du système reste difficile à calculer.

Dans une étude menée en 1997 par l’Université de Duke, Miranda et


LaPalme (Miranda, 1996) ont obtenu diverses informations sur les résultats des
villes qui montrent que durant les premières années de l’application du PAYT, la
réduction de la quantité de déchets déversée en décharge était comprise entre 14%
et 27%. Certaines villes ont remporté un énorme succès avec l’introduction du
système « unit pricing » (par exemple, Wilkes-Barre, a rendu compte d’une
augmentation de la participation au tri de 120%), alors que d’autres villes ont rendu
compte d’une réduction plus modeste (Gainesville a réduit sa production de
déchets de 18%). Dans certains cas, l’expérience n’a rien changé (tel que Denver),
et même, dans d’autres villes, le niveau de déchets produits a augmenté (Fremont a
rapporté une augmentation de 25%).

La différence de succès dans l’introduction du système PAYT est


souvent le résultat des efforts de sensibilisation mis en œuvre dans les différents
programmes supplémentaires que les villes offrent aux usagers (tel que l’éducation,
le recyclage au porte-à-porte, la collecte des déchets verts ou le ramassage des
encombrants). Les villes avec des programmes plus complémentaires ont
logiquement un plus large succès bien que certaines villes aient réussi à réduire
leur production de déchets sans pour autant utiliser ces programmes. Sans se

176
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

soucier du nombre de programmes qu’ils utilisent, la majorité des villes ont rendu
compte que la quantité collectée de déchets solides avait diminué après
l’introduction du PAYT.

Concernant l’existence de comportements déviants suite à


l’introduction du PAYT, les études menées sur des villes, telles que Gloucester
(Massachusetts), Perkasie (Pennsylvanie) ou encore White Bear Lake (Minnesota),
ont montré que ces comportements (rejets sauvages, brûlages illégaux,…) ont dans
la plupart du temps été considérés par les collectivités soit comme un problème
temporaire qu’elles pouvaient maîtriser, soit comme n’étant pas du tout un
problème (Miranda, and LaPalme, 1997).

2.3. Les systèmes de financement en Europe et leurs effets

De nombreux outils de taxation sont à la disposition des décideurs pour


faciliter la gestion des déchets : le régime général de taxation qui s’appuie sur les
impôts directs qui composent le budget général, la taxe spécifique d’élimination
des déchets ménagers, la redevance.
La redevance est la contrepartie financière du service rendu. On distingue :
- la redevance fixe qui correspond à un montant forfaitaire qui
est indifférencié entre les ménages,
- la redevance variable non liée à la production des déchets est
une redevance différenciée avec des paramètres sans rapport
avec la production de déchets (par exemple : importance du
foyer, éloignement de la collecte, fréquence de collecte…),
- la redevance variable liée à la production des déchets est une
redevance différenciée avec des paramètres liées à la quantité
de déchets (poids, volume, nombre de vidage du récipient…).
On peut dorénavant faire une liste des pratiques suivant quelques pays
européens (Proietti, 1999):
- la taxation générale (budget) est généralisée au Royaume-Uni,
- la taxation spécifique est utilisée en Espagne, en France, en Grèce, en
Italie, et au Portugal,
- la redevance fixe est appliquée en Belgique, au Danemark, et en
Irlande,
- la redevance variable non liée à la production de déchets est présente
en Belgique, en France, aux Pays-Bas et en Suisse,
- la redevance variable liée à la production de déchets est fort répandue
en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Finlande, au
Luxembourg, en Suède et en Suisse.

177
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Parmi ces outils tarifaires, la redevance variable liée à la production de


déchets est celui qui permet d’orienter les comportements des usagers vers une
augmentation de la participation au tri sélectif.

2.3.1. Les modalités d’application de la redevance variable liée à la production


de déchets

La redevance variable liée à la production de déchets ménagers est fixée en


fonction du service rendu mais est différenciée sur la base de paramètres
directement liés à la production de déchets, comme le volume (sacs payants ou
autocollants payants), la fréquence de vidage et le poids.
On peut tirer certaines tendances de l’observation des pays européens :
• Le volume est la principale modalité d’application dans tous les pays
européens concernés (en général le coût de l’unité est dégressif).
• La fréquence de présentation au vidage des récipients rigides est un
système tarifaire répandu. Les tarifs liés à la fréquence sont généralement
dégressifs mais s’ils deviennent progressifs, comme dans certains cas, ils
peuvent inciter à une réduction des déchets,
• Le poids est beaucoup moins diffusé. Ce système est fondé sur des
techniques évoluées, ce qui pose des problèmes d’application.

D’autres modalités sont prises en compte, telles que la taille du ménage et


de l’habitation (Allemagne), le loyer (Danemark), la valeur locative (Pays-Bas),
certaines mesures sociales (Belgique), etc.
On peut aussi ajouter que ces tarifs sont en général scindés en deux parties
(une fixe et une variable) permettant d’une part, la couverture des coûts fixes et des
coûts variables et d’autre part, la minimisation des effets de non-paiements. La
comparaison des aspects financiers de la redevance pour les déchets ménagers est
complexe du fait des différences qui existent entre les pays considérés. Le niveau
moyen des redevances variables est de l’ordre de 100 € par an pour un contenant
de 120 litres collecté chaque semaine.

2.3.2. Les effets de la redevance variable liée à la production de déchets

En Allemagne, plusieurs expériences fondées sur les coûts constants de


l’unité de volume, sur la fréquence de vidage, sur des étiquettes ou encore des
systèmes électroniques d’identification du bac ont montré une réduction sensible de
la production de déchets, une augmentation du tri, une forte participation au
compostage individuel, mais certains effets pervers ont aussi été constatés. En
Belgique, certaines études ont montré une augmentation des fractions collectées
séparément, mais aussi malheureusement une mauvaise qualité du tri.

178
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Au Luxembourg, les projets expérimentaux ont conduit à une forte


diminution des déchets dans deux communes tests. Au Pays-Bas, une étude a
montré que les systèmes de différenciation des tarifs entraînent une réduction des
déchets ménagers, une augmentation des déchets triés, mais malheureusement aussi
des effets pervers (rejets et brûlages illégaux…).

2.4. Les exemples français de tarification innovante

Aujourd’hui en France, quelques collectivités se sont lancées dans des


programmes de modernisation du financement de leur service des déchets
ménagers par la mise en place de redevance liée à la production de déchets et
invitant le citoyen à trier ses emballages.

Le Cemagref et l'Université de Rennes 1 réalisent un travail de recherche1


dénommé "Définition d'incitations au développement de l'activité industrielle de la
collecte sélective des déchets d'emballages ménagers". Ce travail consiste à évaluer
et à concevoir des pratiques de tarification incitative permettant d’améliorer
l’engagement du citoyen au tri de ses emballages.

Afin de comprendre les mécanismes tarifaires innovants adaptés et


d'examiner ceux qui pourraient être retenus pour un travail de simulation, nous
avons réalisé une enquête en début 2002 auprès des collectivités identifiées comme
étant engagées dans une démarche de tarification innovante de leur service
d'élimination des déchets ménagers. Ces collectivités, présentées ci-dessous avec
le dispositif technologique d’application de la redevance, sont essentiellement
rurales et leurs populations ne dépassent pas, en général, 20 000 hab ; Besançon est
la seule la ville urbaine importante.

Collectivités Population Date de mise Technologie


en place
C. C. Pays de Mormal et de 10018 1995 Sac
Maroilles (59)
C. C. Pays de Villefagnan (16) 3251 1997 Sac
C. C. Région de Dannemarie (68) 13789 1999 Pesée
embarquée
C. C. Vallée de Kaysersberg(68) 16906 01/1997 Bac
Ville de Besançon (25) 120000 01/1999 Bac
S. M. Montaigu-Rocheservière (85) 38617 01/2001 Comptage
vidage bac
C.C : communauté de communes, SM : syndicat mixte
1
Pour le Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable dans le cadre du programme
interinstitutionnel de recherches et d’études en économie de l'Environnement (PIREE)

179
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Tableau 1: Redevance incitative dans les collectivités françaises

Il apparaît que quatre dispositifs technologiques sont retenus par les


collectivités : le sac, le bac roulant, la pesée embarquée, le comptage du nombre de
vidage de bacs par informatique embarquée.

2.4.1. La tarification : assiette et paramètres adoptés par les collectivités (voir


tableau 2)

Le système tarifaire est constitué, d'une part, des paramètres du tarif qui nécessitent
un dispositif d'identification et de comptage de la consommation du service et,
d'autre part, de l'assiette constituée par les dépenses servant de base à l'application
du tarif.

A/ Les paramètres du tarif

On peut distinguer deux grandes familles de paramètres :

 Les paramètres de production de déchets


Ces critères sont le poids ou le volume de déchets générés par le ménage.
Ils sont applicables, respectivement, avec le bac roulant et la pesée individuelle (C.
C. Région de Dannemarie) et le sac (C. C. Pays de Villefagnan).

 Les paramètres de demande de service


On distinguera :
- d'une part, les tarifs s'appuyant sur le volume du bac roulant. Dans cette
configuration, les ménages choisissent la capacité de leur bac et le présentent à
chaque collecte, la fréquence de collecte étant imposée (Ville de Besançon, C.
C. de Kaysersberg). Il s'agit d'une approximation du volume de déchets.
- d'autre part, le tarif qui s'appuie sur le nombre de présentations du bac. Dès
lors, le volume du bac est défini par la collectivité (à terme C. C. Pays de
Mormal et de maroilles, C. C. de Dannemarie et S. M. de Montaigu-
Rocheservière). C'est le foyer qui choisit son rythme de sortie du bac.

Les paramètres de demande de service conduisent l'usager :


- d'une part, à trier ses déchets d'emballages pour réduire sa demande de service
de collecte des ordures ménagères résiduelles,
- d'autre part, à soit ajuster son volume de récipient à ses besoins, soit à ne
présenter à la collecte que son récipient plein.

Par le choix de ces paramètres, la collectivité peut chercher à améliorer les


performances de la collecte, en évitant la surdotation de bacs et en ne vidant que
des bacs pleins (rapidité de la collecte). Toutefois, lorsque la collecte est
hebdomadaire, il apparaît délicat de conserver ses déchets deux semaines (risque de
nuisances).

180
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

B/ Les assiettes du tarif

La combinaison de la structure des tarifs (variable, binomiale), des


paramètres choisis et des assiettes d'application est un exercice difficile qui doit
s'appuyer sur :
- la recherche d'une incitation au tri,
- l'objectif d'équilibre budgétaire,
- la structure des coûts (fixes, variables),
- l'organisation intercommunale (unicité ou superposition
d’établissements publics de coopération intercommunale.

Les dépenses totales (collecte et traitement) des déchets d'emballages


ménagers, des ordures ménagères résiduelles et des autres prestations (collectes des
déchets spéciaux, des encombrants, déchetteries, locations bacs, achat récipients)
sont financées auprès de l'usager par le biais d'un tarif qui s'appuie sur des
paramètres de la collecte et du traitement des ordures ménagères résiduelles. Ceci
revient à permettre aux ménages d'utiliser le service de collecte des déchets
d'emballages ménagers sans contraintes (gratuité apparente).

Il apparaît quatre combinaisons assiette/structure tarifaire mises en œuvre


par les collectivités.

 La totalité des dépenses répartie selon une structure binomiale comprenant une
partie fixe par foyer et par an et une partie calculée selon la production de déchets
(C. C. Villefagnan et C. C. Dannemarie) ou le nombre de vidage des bacs (S. M.
de Montaigu-Rocheservière).

 Les dépenses de collecte couvertes par une contribution fixe et les dépenses de
traitement réparties selon le volume des bacs (librement choisi par l’usager) (C. C.
Kaysersberg). La collectivité suit ainsi la structure de ses dépenses, variables pour
le traitement (payées en F/t) et fixes pour la collecte en considérant qu'au regard du
passage de la benne, les coûts sont engendrés, que le bac soit présenté ou non à la
collecte.

 Les dépenses de collecte et de traitement sont réparties distinctement selon des


paramètres différents (Ville de Besançon). Le coût du traitement est réparti selon le
volume du récipient (librement choisi par l’usager). Le coût de collecte est réparti
selon le volume du bac, mais en réalité selon des critères (fréquence, coefficient
temps) qui sont imposés par classes de bacs. Toutefois, la ville laisse la possibilité
aux foyers d'habitat individuel de coopérer pour choisir des bacs plus importants et
donc de réduire leur contribution financière.

 Enfin, les dépenses relatives aux deux flux ( ordures ménagères et emballages
ménagers ) sont réparties distinctement. C'est l'orientation qu'envisage la C. C. des
Pays de Mormal et de Maroilles de mettre en application en 2003. Le tarif sera
composé de deux parties dont chacune sera calculée selon le nombre de
présentations du bac (puce et informatique embarquée). Une première partie
couvrira les dépenses du flux des ordures ménagères résiduelles (1er bac) (collecte

181
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

+ traitement) et une deuxième partie couvrira les dépenses du flux des déchets
d'emballages ménagers (2ème bac) (collecte + tri).

2.4.2. Les impacts de la mise en place de la redevance

 Les impacts observés

Des baisses de tonnages importantes, de 25% à plus de 50%, résultent du


transfert vers les déchetteries et d'une participation accrue aux collectes sélectives.

Il est indéniable, comme pour tout système de tarification, que des usagers
cherchent à adopter des comportements de resquilleurs pour réduire leur
contribution. Les comportements déviants semblent très faibles ( brûlages,
compactages, transferts,..) et surtout observables au démarrage des changements
tarifaires. Toutefois, aucune collectivité n'a mis en place un service de nettoyage de
dépôts sauvages.

 Services induits par la mise en place de la redevance

La mise en place de la redevance nécessite bien évidemment un service de


gestion de la redevance (établissement et envoi des redevances), de même que la
mise en place des collectes sélectives d'emballages impose une communication en
direction des citoyens. Le Syndicat Mixte Montaigu-Rocheservière a réalisé un
guide pratique pour les habitants afin de leur expliquer les services à leur
disposition et le nouveau système de tarification.

182
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Collectivités Assiette Unités tarifaires Structure du tarif Répartition

C.C.P. Mormal/ Maroilles OMR : collecte, Achat de sacs OMR : consommation de Variable Coût total selon le volume
Syndicat SMIAA sacs (nombre, taille) de déchets
OMR : traitement 2002 pour 10 sacs de 50l
JM : collecte et tri : 10€ et 120l : 14,50€
1 déchetterie

C. C. Pays Villefagnan OMR : collecte OMR : consommation de 2002


Achat des sacs sacs (nombre, taille) Fixe : 50 €/foyer ( > 2 p)
Syndicat départemental : 35 € /foyer de 1p
OMR : traitement
DEM/JM : collecte et tri Variable :
1 déchetterie 30 l : 1 €
50 l : 1,80 €
100 l : 2,60 €

C. C. Région Dannemarie OMR : collecte et traitement OMR : Poids 2002 Coût total du service
DEM/JM : collecte et tri Nombre vidages du bac 0,45 €/vidage + 0,22 €/kg réparti selon une clé entre
Collecte des encombrants vidages et tonnages
4 plates-formes déchets verts + Fixe : 15,25 €/foyer/an
Location bac OMR

C. C. Vallée Kaysersberg OMR :Collecte OMR : volume du bac, et 2001 collecte : partie fixe
sacs apportés sur les points Fixe : 64,80 €/foyer/an
DEM/JM : collecte + tri de regroupement en écarts (78,50 €/foyer/an : écarts)

OMR :Traitement V : 0,30 €/l x foyer traitement : partie variable

Ville de Besançon OMR :Collecte DEM/JM : OMR : Volume du bac 1999 Collecte : selon fréquence
Collecte et tri (en cours de Collecte : 91,45 € x et "temps"
mise en place ) fréquence collecte x temps
unitaire de vidage

OMR : Traitement (UIOM) Traitement : €/t x volume Traitement : au poids


récipient x masse estimé de déchets
volumique x fréquence
collecte

S. M Montaigu OMR : Collecte OMR : Nombre de vidages 2002 pour un bac de 120l Coût total du service
Rocheservière fourniture et maintenance bac du bac Fixe : 75 €/foyer. réparti selon :
DEM/JM :Collecte et tri 1/3 en fixe
Fourniture sacs , Déchetteries

OMR : Traitement

2/3 en variable
Variable : 3,51 €/vidage

OMR : ordures ménagères résiduelles; DEM/JM : déchets d'emballages ménagers et journaux-magazines

Tableau 2 : Systèmes tarifaires : assiette, paramètres, structure

183
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

 Les motivations des élus

Clairement, les décideurs recherchent, par un dispositif tarifaire innovant, à


modifier le comportement des citoyens afin qu'ils s'engagent dans le tri de leurs
emballages par la voie de l'incitation financière. Même si le retour d'expérience est
très limité dans le temps et l'espace, il est intéressant d'observer que l'incitation à
trier les emballages ménagers et par conséquent à réduire la quantité de déchets
apparaît aux collectivités comme un objectif accessible par une redevance
s'appuyant sur un tarif approprié. De plus, elles ne considèrent pas la mise en place
de la redevance comme un dispositif coûteux, source de contestations.

2.4.3. Les enseignements de ces opérations pilotes : éléments de réflexion pour


la recherche et l'expérimentation

L'exploitation du questionnaire d'enquête, enrichie d'entretiens


téléphoniques auprès des collectivités locales, a permis de tirer un certain nombre
d'observations et d'enseignements utiles pour guider la réflexion dans le travail de
recherche en cours. Ceux-ci sont rapidement présentés ci-après :

1. La diversité des possibilités de tarification incitative ressort des cas étudiés,


lesquels sont très récents.

2. Les paramètres d'application de la redevance, pour la part variable, sont au


nombre de quatre :
- la consommation de sacs (nombre, volume unitaire),
- le volume du bac roulant,
- la pesée des déchets en bac roulant,
- le nombre de présentations du bac roulant.

3. L'élaboration des tarifs peut relever de deux objectifs :


- inciter au tri des emballages. Ce sont les tarifs qui prennent en compte
la quantité de déchets ou le volume du récipient corrigé de la fréquence
de collecte,
- inciter à optimiser le temps de collecte. Ce sont les tarifs qui prennent
en compte le nombre de présentations des bacs (C. C. Région de
Dannemarie, SM de Montaigu-Rocheservière). Les habitants sont
invités à ne présenter que des bacs pleins au vidage et dès lors, le
ramassage est plus rapide ( taux de présentation des bacs <100 %).

4. Les tarifs assis sur des paramètres de production de déchets conduisent à une
plus grande réduction des quantités de déchets (> 25 %).

5. Les tarifs s'appuyant sur les paramètres de demande de service (volume du bac,
nombre de vidages) devraient conduire à une approche plus aisée de l'équilibre
budgétaire. Néanmoins, le S. M. de Montaigu-Rocheservière a connu un déficit
budgétaire de 13 % la première année par rapport à son budget primitif (difficulté à
anticiper le comportement des habitants).

184
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

6. La structure binomiale du tarif l'emporte. Les structures variables évoluent


dans le temps vers la structure binomiale (partie fixe, partie variable) afin de
respecter la contrainte de l'équilibre budgétaire.

7. L'assiette de la redevance est constituée :


- soit de la totalité des dépenses groupées de collecte et de
traitement,
- soit des dépenses, de collecte et de traitement, séparées (Besançon, C.
C. de Kaysersberg),
- soit des dépenses séparées selon les flux, ordures ménagères et déchets
d'emballages (sera testée par C. C. de Mormal et de Maroilles).

8. Contrairement aux idées reçues, les impacts négatifs des systèmes tarifaires
(rejets sauvages, brûlage, tassement des déchets, impayés, contestations…) souvent
évoqués pour rejeter la redevance, ne sont pas pour les collectivités des motifs de
rejet du système. Les désagréments qui apparaissent au départ, soit s'estompent,
soit trouvent une solution de correction par l’information du citoyen et si nécessaire
par le recours à des mesures coercitives (amendes).

9. Le cas des foyers d'une à deux personnes doit faire l'objet d'une attention
particulière pour éviter de les pénaliser, bien souvent involontairement en raison,
soit de la capacité technologique des bacs (difficile de descendre sous 80 litres),
soit de les amener à stocker des ordures ménagères (au-delà de la semaine), avec le
paramètre du nombre de vidage.

10. L'application de la redevance incitative trouve sa limite en habitat collectif


(Besançon) et en habitat épars desservi par des points de regroupements (CCV
Kaysersberg) .

11. La Ville de Besançon permet aux habitants de maisons individuelles de


coopérer pour réduire leur niveau de redevance (bac collectif). Il s'ensuit pour la
collectivité un gain de productivité (rapidité) de la collecte.

12. Le récipient à usage multiple, bac roulant, comme interface entre l'usager et le
service de collecte permet des combinaisons variées pour responsabiliser le citoyen
face au tri.
- Formule 1 : indépendante du volume du bac (Dannemarie)
pesée individuelle un bac distribué par foyer

- Formule 2 : volume du bac imposé (Dannemarie, Montaigu)


volume imposé le foyer a le choix de la fréquence de
présentation.

- Formule 3 : volume du bac libre (Kaysersberg, Besançon)


fréquence imposée le foyer a le choix du volume du bac.

185
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

13. L'informatique embarquée présente un intérêt certain pour la gestion des


déchets sur les points suivants :
- gestion du parc de bacs roulants,
- adaptation des besoins de volume de bacs roulants aux besoins des
foyers,
- optimisation et équilibrage des circuits de ramassage des déchets,
- connaissance des quantités de déchets assimilables industriels et
commerciaux,
- définition des paramètres des circuits (distances, temps, nombre de
vidages, taux de présentation….)

Ceci permet notamment au Syndicat Mixte de Montaigu-Rocheservière de


fonder sa tarification sur le nombre de vidages des bacs, sans avoir recours à la
pesée embarquée qui est d'une mise en œuvre plus compliquée.

3. Conclusion

L’application de la redevance incitative au tri des déchets d'emballages


ménagers pour financer le service d'élimination des ordures ménagères s’appuie sur
le principe polleur-payeur. Elle est très anecdotique en France à ce jour. Toutefois,
les tentatives rapportées dans la seconde partie montrent qu'elle n'est pas utopique
mais peut conduire à une gestion plus efficace des déchets ménagers. Le message
envoyé par le tarif en direction du citoyen est bien compris et la participation au tri
des emballages ménagers s'améliore sensiblement. La population adhère à ce mode
de financement qui leur apparaît plus compréhensible.

Toutefois, les exemples en cours montrent la difficulté d’atteindre


l’équilibre budgétaire avec un tarif linéaire en raison de la réactivité des ménages.
La théorie économique de la tarification, présentée en première partie, suggère
l’application d’une tarification non-linéaire à deux parts, l’une fixe et l’autre
variable avec la consommation du service. Nous avons observé que les collectivités
ont corrigé leur tarif par l’introduction d’une partie fixe pour faciliter l’approche de
l’équilibre budgétaire, tout en permettant aux ménages de révéler leurs préférences.

Le travail en cours se poursuit par une simulation réalisée sur deux des
collectivités précédentes afin d'examiner les conditions de flexibilité et de
gouvernabilité du système tarifaire dans un objectif d'accroître l'efficacité du tri des
déchets par les citoyens sous la contrainte de l'équilibre budgétaire.

Remerciements

Nous adressons nos remerciements aux collectivités locales, citées dans le


présent document, qui ont bien voulu participer à l'enquête et ainsi contribuer à la
réflexion sur la modernisation du financement du service d'élimination des déchets
ménagers.

186
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Ce travail de recherche s’inscrit dans le cadre du Programme


Interinstitutionnel de Recherches et d’Etudes en Economie de l’environnement
(PIREE) du Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable. Il sera publié
en 2004.

Références bibliographiques

Allais M., M. D. Viscoso, L. D. D. Lavinelle, C. J. Oort, and H. S. Seidenfus, 1947,


Options de la politique tarifaire dans les transports, Bulletin des Ponts et Chaussée
et de Mines.

Boiteux M., 1956, Sur la gestion des monopoles publics astreints à l'équilibre
budgétaire, Econometrica, 26-40.

Crew M., 1995, The theory of peack-load pricing: A survey, Journal of


Regulatory economics, 8, 215-248.

Feldstein M., 1972, Equity and efficiency in public sector pricing : The optimal
two-part tariffs, Quaterly Journal of Economics, 175-187.

Hotelling H. S., 1938, The general welfare in relation to problems of taxation and
of railway and utility rates, Econometrica, 6, 242 –269.

Kleindorfer P., M. Crew, 1992, Regulation and Diverse Technology in the Peak
Load Problem, Journal of Public Economics, 335-343.

Le Bozec A., 2002, La redevance incitative au tri des emballages ménagers :


analyse de pratiques innovantes en France, Cemagref ,14 p.

Miranda M. L., 1996, Unit pricing of residential municipal solid waste : Lessons
from nine case study communities, Office of Policy, Planning and Evaluation, U.S.
Environment Protection Agency.

Miranda M. L., and S. La Palme, 1997, Unit pricing of residential solid waste: A
preliminary analysis of 212 Communities, Washington: U.S. Environmental
Protection Agency, 19.

Pierron E., 2000, Efficience d’une tarification spécifique au service des déchets,
mémoire de DEA, Université de Rennes 1, Cemagref.

Proietti S., 1999, Les Compétences des autorités locales en Europe en matière de
tarification et de fiscalité relatives à la collecte des déchets ménagers, European
postgraduate programme in environmental management.

187
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Scarlett L., 1993, Mandates or incentives? comparing packaging regulations with


user fees for trash collection..

Spence M., 1977, Nonlinear prices and welfare, Journal of public economics, 8, 1,
1-18.

Turvey R., 1976, Analyzing the marginal cost of water supply, Land economics,
52, 2, 158-169.

188
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Chapitre 10¤

Restauration de la qualité des eaux de surface :


comparaison de mécanismes incitatifs

Nadine Turpin*, Philippe Bontems**, Gilles Rotillon***

* Cemagref, 24 avenue des Landais, BP 50085 63172 Aubière cedex 1


nadine.turpin@cemagref.fr
travaux réalisés au Cemagref Rennes

** Université de Toulouse (INRA – IDEI)

*** Université de Paris X Nanterre

La dégradation de l'environnement par les activités anthropiques est un


thème de plus en plus souvent abordé au niveau politique mondial avec la
Conférence de Stockholm sur l'environnement en 1972, le sommet de Rio en 1992,
celui de Kyoto en 1997 puis celui de Johannesburg en 2002. Cette dégradation de
l'environnement a plusieurs facettes. D'une part des accidents industriels (Seveso
en 1986, Tchernobyl en 1986, Torrey Canyon en 1968, Amoco Cadiz en 1978,
Erika en 2000) provoquent des émissions toxiques qui peuvent affecter la santé des
humains à court terme, alertent les opinions par leur caractère spectaculaire, et
perturbent les écosystèmes de régions entières pour des décennies et modifient
profondément leur économie (sans parler du confort de vie de leurs habitants).
D'autre part, des catastrophes "naturelles" liées ou attribuées à l'augmentation de
l'effet de serre, comme des sécheresses, d'importantes inondations affectent des
milliers de personnes et provoquent des dizaines de morts : celle de l'Elbe et du
Danube, durant l'été 2002 est la plus récente en Europe, celles liées au phénomène
El Niño sont spectaculaires dans le Pacifique.

Ces catastrophes et ces accidents, spectaculaires, largement relayés par les


médias, aux conséquences visibles, immédiates et affectant toute la population de
grandes régions, font parfois oublier qu'il existe d'autres dégradations, qui sont
responsables de désagréments quotidiens pour des populations aussi importantes.
Parmi ces dégradations se placent la pollution de l'air, les pluies acides, la pollution
des nappes, des rivières et des mers.

C'est ce dernier phénomène qui nous intéresse. Les pollutions diffuses des
eaux par les nutriments, apparaissant comme relativement peu spectaculaires, ne
bénéficient que de moyens de lutte réduits. De plus, bien que ces pollutions soient

¤
Référence: Turpin N., P. Bontems, G. Rotillon, 2005, Restauration de la qualité des eaux
de surface: comparaison de mécanismes incitatifs, in J.P. Terreaux (Ed.), Economie des
Equipements pour l'Eau et l'Environnement, Cemagref, Antony.

189
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

connues depuis longtemps (Catroux, et al., 1974, Ctgref, 1974), elles sont en
constante augmentation dans la plupart des régions d'Europe, sauf dans les pays
scandinaves et au nord de l'Ecosse (European Environment Agency, 2002). Enfin,
elles sont associées au "développement" de l'agriculture et des régions : peut-on
tenter de limiter les pollutions diffuses sans affecter leur compétitivité (Bureau et
Mougeot, 2004) ?

Plusieurs mesures peuvent être envisagées pour améliorer la qualité la


pollution des eaux superficielles lorsqu'elles sont affectées par des pollutions
diffuses. Des mesures palliatives permettant de traiter l'eau brute destinée à être
rendue potable sont fréquemment employées. Des mesures préventives, cherchant à
limiter les pollutions dès les bassins versants amont sont également possibles. Dans
ce chapitre, nous allons nous intéresser aux mesures non structurelles : l'objectif de
ce chapitre est de comparer un mécanisme de régulation sur le niveau de
production et s'appuyant sur la théorie de l'Agence à des mécanismes uniformes
plus classiques (taxes, quotas, bonnes pratiques). Pour cela, nous allons décrire les
spécificités des phénomènes de pollution diffuse des eaux par les nutriments
d'origine agricole, examiner quelques moyens de prévention puis construire un
mécanisme incitant les agriculteurs à réduire leurs émissions et le comparer à
d'autres régulations possibles.

1. Pollutions diffuses : phénomène et régulations existantes

1.1. Conséquences, perception et mécanismes en jeu dans les pollutions


diffuses

L'excès de nutriments dans les rivières, les lacs et les nappes phréatiques
apparaît comme un problème d'importance moindre devant la pollution des eaux
par les matières organiques à l'échelle mondiale. Dans les pays développés
cependant, l'augmentation continue, depuis plusieurs décennies, d'apports de
nutriments aux eaux douces s'est traduite par une dégradation sensible de leur
qualité. D'une part, l'apport aux populations d'une eau conforme aux normes de
potabilité (en Europe moins de 50 milligrammes de nitrates par litre) pose des
problèmes de plus en plus aigus. D'autre part, l'augmentation de la quantité de
phosphore a provoqué des phénomènes d'eutrophisation en eaux de surface, avec
prolifération de phytoplancton et de végétaux. Des proliférations algales liées aux
flux d'azote ont été constatées en eaux marines. Le déséquilibre des quantités
relatives d'azote et de phosphore dans les eaux, enfin, perturbe fréquemment les
écosystèmes, avec dans certains cas apparition de cyanophycées produisant des
neuro-toxiques (Auby, et al., 1994).

La pollution des eaux d'origine agricole est un problème récurent, connu


depuis près de vingt ans. Pour l'azote, de très nombreux points de mesure dans les
bassins versants ruraux dépassent, en moyenne annuelle, la concentration de
25 mg/l de nitrates, valeur guide pour la consommation humaine préconisée par

190
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

l'Union européenne en 1991. Ces bassins devront figurer, à court ou moyen terme,
dans les zones vulnérables définies par la Directive Nitrates.

De plus, les concentrations en nitrates continuent à augmenter dans de


nombreuses rivières. L'Union européenne utilise comme indicateur de
contamination la médiane des moyennes annuelles. Cet indicateur ne montre pas de
tendance nette à l'augmentation sur l'Europe entière. A contrario, avec la mise en
place des traitements des eaux usées et la diminution du phosphore dans les
lessives, la contamination des fleuves par les matières organiques, l'ammoniac et le
phosphore a en général diminué depuis 10 à 15 ans (Kristensen, 1999), même en
Europe de l'est.

La perception des problèmes environnementaux par l'opinion publique


évolue en France depuis le début des années 90. En 2001, les préoccupations
environnementales des français concernent principalement le réchauffement de
l'atmosphère (31 %), la pollution de l'air dans les agglomérations (31 %), la
pollution des lacs, des rivières et des mers (29 %) (Ifen, 2002). Par contre, les
enquêtes du Credoc indiquent que les actions que l'Etat doit mener en priorité dans
le domaine de la protection de l'environnement concernent d'abord la réduction des
pollutions de l'air pour près de 40 % des réponses ; la lutte contre la pollution de
l'eau n'est citée que par 15 % des réponses (Figure 1).
lutte contre le bruit
100

90 élimination et tri des déchets

80 protection des paysages

70 lutte contre les risques de l'industrie nucléaire

60
sauvegarde des plantes et des animaux

50
développement de nouvelles technologies
40 respectueuses de l'environnement
réduction de la pollution de l'air et de
30 l'atmosphère
lutte contre la pollution de l'eau, des rivières et
20 des lacs

10

0
1998 1999 2000 2001 2002

Figure 1 : répartition des actions que l'Etat doit mener en priorité dans le domaine de la
protection de l'environnement (adapté d'après Ifen, 2002).

La qualité des eaux fait partie des sujets d'inquiétude, mais elle se situe de
plus en plus loin derrière la qualité de l'air pour l'opinion publique. A contrario, les
départements et les régions consacrent un budget important à la protection de
l'environnement (3,4 % de leurs dépenses totales), dont les deux tiers pour la
protection des eaux ; ce budget évolue peu sur les dernières années (Ifen, 2003).
Pour les décideurs locaux, la protection de la qualité des eaux devient un enjeu

191
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

d'importance pour les années à venir, même si cet enjeu est souvent occulté par des
pollutions importantes et spectaculaires (Erika par exemple).

Les décideurs publics, au niveau national et régional, sont donc confrontés


à un problème non négligeable (le nombre de points de captage de qualité médiocre
est grand, il existe de vastes zones sur lesquelles il y a peu de points de captage de
bonne qualité). Cependant, puisque ce problème est perçu comme important mais
pas prioritaire par les habitants, ces décideurs ne peuvent pas mobiliser de moyens
importants pour le réduire.

Il existe deux difficultés supplémentaires :

- les nutriments ne sont pas des substances toxiques, leur présence dans les eaux ne
devient un problème que lorsqu'elle dépasse certains seuils et dans certaines
conditions. Par exemple, le phosphore est indispensable à la croissance des algues
et du phytoplancton dans les rivières, et donc à toute la chaîne trophique. Si le
phosphore est présent en quantités importantes, il va permettre une augmentation
de la croissance des micro et macrophytes, un accroissement de la biomasse, plus
de poissons pour les pêcheurs... Mais dans certains endroits de la rivière, ceux de
moindre profondeur (ayant donc une eau plus chaude, moins riche en oxygène), ou
ceux de courant plus faible (permettant une meilleure fixation des algues), il peut
arriver que la croissance algale soit telle qu'elle consomme tout l'oxygène
disponible : dans ce cas, le milieu, devenu eutrophe (trop riche), ne permet plus aux
vertébrés de vivre et on assiste à des mortalités de poissons.

- les nutriments ne sont, la plupart du temps, pas rejetés directement dans l'eau par
les activités anthropiques, mais ils transitent dans le sol, où ils interfèrent avec des
cycles biogéochimiques de longueur diverse (de quelques heures à plusieurs
centaines d'années) et ne transitent vers l'eau que sous l'influence d'événements
climatiques stochastiques. On ne peut donc pas se contenter de limiter les
émissions directes comme ce qui est réalisé pour les pollutions ponctuelles. On ne
peut pas non plus, la plupart du temps, mesurer les émissions liées à l'activité d'un
pollueur potentiel, même s'il est bien identifié : tout au plus peut-on, de façon
coûteuse, utiliser des indicateurs approchant un risque d'émission, comme des
achats d'engrais, des bilans de minéraux, un niveau d'intensification, un indicateur
de qualité des sols, certains processus de production réputés polluants, etc.

1.2. Régulations mises en place

L'union européenne a un rôle moteur dans l'élaboration des mécanismes de


régulation des pollutions diffuses d'origine agricole dans ses Etats membres, en
particulier avec la Directive 75/440/CEE qui fixe les normes de qualité pour les
prélèvements d'eau superficielles destinées à être rendues potables, la Directive
80/778/CEE qui fixe les normes de qualité pour les eaux potables distribuées aux
populations, et la Directive 91/676/CEE, dite Directive Nitrates. Plus récemment,
la Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000
établit un cadre pour une politique communautaire de l'eau. Cette Directive met en

192
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

cohérence l'ensemble des textes antérieurs portant sur la gestion de l'eau, et prend
en compte plusieurs rapports sur l'état de l'environnement et la mise en œuvre de la
politique européenne. La Directive insiste sur la nécessité de réduire les émissions
de produits dangereux dans les eaux, et considère que "l'eau n'est pas un bien
marchand comme les autres mais un patrimoine qu'il faut protéger, défendre et
traiter comme tel". Cette directive demande aux Etats membres de coordonner les
mesures administratives au sein de districts hydrographiques, dont la définition est
très proche de celle des six bassins liés aux agences de l'eau. Chaque district
administratif doit faire l'objet d'une analyse de ses caractéristiques, de l'incidence
de l'activité humaine sur l'état des eaux (de surface et souterraines) et une analyse
économique de l'utilisation de l'eau. Avec comme objectif de prévenir la
détérioration de l'état de toutes les masses d'eau de surface, mais aussi de préserver,
améliorer et restaurer ces masses d'eau, les Etats membres sont priés de prendre
toutes les mesures nécessaires, et en particulier de veiller à l'application des
Directives européennes existantes. Il faut noter que la directive impose le retour à
un "bon état écologique" de toutes les masses d'eau, cet objectif étant plus
contraignant que simplement produire de l'eau potable partout.

La transposition de cette Directive en droit national a été réalisée fin 2003,


des plans de gestion des districts hydrographiques doivent être élaborés dans les six
années suivantes, et chaque Etat doit obtenir une eau de qualité "bonne" dans tous
ses districts hydrographiques d'ici fin 2015, sauf à justifier par une analyse
économique que les mesures à prendre sont trop onéreuses et doivent être réparties
sur une période plus longue.

Les régulations mises en place à ce jour pour tenter de limiter les pollutions
diffuses agricoles sont presque toutes de type "command and control" : le
régulateur demande aux pollueurs potentiels d'adopter des pratiques qu'il juge
bonnes1 ou de limiter l'emploi d'un intrant potentiellement polluant2 et il se charge
de faire adhérer les pollueurs potentiels en assurant un contrôle du règlement qu'il
impose. Le point important est la définition des bonnes pratiques, réalisée par le
régulateur, et sur laquelle les agents régulés ont peu de prise. Une fois définies, les
"bonnes pratiques" sont imposées le plus souvent par des lois, parfois sous forme
d'accord volontaire (contrats entre des sociétés de distribution d'eau et groupe
d'agriculteurs, CTE, CAD). Ce type de régulation est connu pour poser plusieurs
problèmes lorsqu'il s'applique aux pollutions diffuses :
- d'une part il est fait l'hypothèse a priori que le régulateur connaît bien
les relations entre les pratiques qu'il impose et les phénomènes de pollution qu'il
cherche à réguler, ce qui, parce que les pollutions diffuses sont de nature
stochastique, est loin d'être vérifié.
- d'autre part le contrôle de l'adoption effective des pratiques est
quasiment impossible. Aussi surprenant que cela puisse paraître un certain
nombre de mesures agro-environnementales existantes sont dans ce cas
(Instance Nationale d’Evaluation du Contrat Territorial d’Exploitation, 2003).
1
les mesures agri-environnementales, le PMPOA ou les codes de bonnes pratiques
agricoles élaborés dans le cadre de la Directive nitrates en sont des exemples.
2
par exemple, la Directive nitrates impose une limitation de la quantité d'azote d'origine
animale épandue sur les parcelles agricoles.

193
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

- enfin, la plupart des études comparatives réalisées par des économistes


de l'environnement montrent que ce type de régulation est le plus onéreux et/ou
le moins efficace parmi l'ensemble des mécanismes possibles.

2. Moyens de lutte possible – une lecture d'économiste

Un des thèmes souvent abordés en économie de l'environnement considère


qu'en présence d'effets externes (comme des pollutions) les ressources sont
allouées de façon non optimale : il existe des situations pour lesquelles le bien être
de la société pourrait être plus important sans que personne ne voit sa situation se
dégrader. Pour atteindre ces situations, il est nécessaire de corriger l'effet
indésirable des externalités par des instruments économiques. Les instruments les
plus étudiés dans la littérature sont les taxes, les normes, les marchés de permis
négociables et plus récemment l'adhésion volontaire à un programme de bonnes
pratiques. Ces instruments ont pour objectif de permettre l'échange d'un bien ou
d'un "mal" (une pollution) à un prix qui reflète la valeur que la société leur attribue.
De nombreux travaux ont ainsi cherché à comparer l'effet de différents instruments
économiques sur l'échange de "mals" (Baumol et Oates, 1988, Kolstad, 2000).

Dans cette approche, qui est un prolongement de la théorie économique


standard (pour laquelle la coordination entre les agents est sans frais et où les coûts
de mise en place d'une réglementation sont négligeables), les inefficacités qu'une
pollution engendre peuvent être éliminées de façon équivalente par les différents
instruments que sont les taxes, les normes, les marchés de permis négociables : il
suffit que l'instrument permette que les entreprises polluantes égalisent leur coût
marginal de production avec le dommage marginal qu'elles génèrent.

Mais dans la réalité, un régulateur (un responsable de la politique de l'eau,


un "décideur public", une agence environnementale) ne dispose pas de
l'information qui lui est nécessaire pour mettre en place ces instruments : il ne
connaît pas les dommages générés par chaque agent, ni les coûts individuels de
dépollution de ces agents. Il ne peut donc pas définir un objectif de dommage qui
soit "socialement acceptable", ni répartir de façon efficace l'effort de réduction des
rejets entre les différents types de pollueurs. Pire, il n'existe pas de mécanisme qui
permette, avec un instrument unique (la même taxe sur une quantité de polluants
quel que soit l'agent auquel elle s'applique), d'éliminer complètement les
distorsions induites par une pollution : il y aura dans ce cas toujours des pollueurs
qui seront incités à faire plus d'efforts qu'ils ne le devraient, et d'autres que l'on
laisse polluer plus qu'il ne serait efficace (Kolstad, 2000). De fait, si les
caractéristiques des agents sont très différentes, le seul moyen d'égaliser les coûts
marginaux de production avec le dommage marginal est de mettre en place un
mécanisme qui affecte à chaque agent une taxe individuelle (voir Figure 2 pour un
exemple dans le cas de deux agents).

Pour cela, il est possible de s'appuyer sur les développements de


l'économie moderne, pour laquelle les interactions entre les agents et les asymétries
d'information sont essentielles. Ainsi, l'application de la théorie de l'Agence aux
problèmes de pollution (Laffont, 1994) montre que s'il est possible d'inciter les

194
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

agents à révéler correctement leur vrai coût de dépollution, le régulateur peut faire
dépendre sa politique de contrôle de cette révélation, et répartir de façon efficace
l'effort de réduction des rejets entre les agents. Bien entendu, les agents ont intérêt
à manipuler l'information qu'il transmettent au régulateur. Pour assurer une
révélation correcte des coûts de dépollution, le régulateur doit alors introduire
plusieurs instruments : il propose aux agents un ensemble de contrats, qui
comporte, pour chaque valeur du paramètre que le régulateur cherche à connaître,
un objectif d'effort de réduction des rejets associé à un transfert monétaire. Et pour
inciter chaque agent à choisir le contrat qui correspond à son véritable coût de
dépollution, le régulateur lui assure par le transfert monétaire au moins la rente
qu'il gagnerait en mentant sur ses coûts (Salanié Bernard, 1994).

coût
marginal coût
 (e1) marginal dommage
(e2) marginal (x)

taxe2
taxe1

e1 e2
e : émissions

Figure 2 : application d'une taxe individuelle pour que chaque agent égalise son
coût marginal avec le dommage marginal qu'il génère dans le cas de deux types
d'entreprises polluantes ayant des caractéristiques très différentes

Ce mécanisme se traduit par un menu de contrats, par lequel le régulateur


alloue une production ou la consommation d'un bien, contre un transfert (une
subvention ou une taxe), chaque allocation étant individuelle et déterminée par le
type de l'agent qui la choisit. En choisissant une allocation, chaque agent révèle son
type au régulateur.

Les développements théoriques sont nombreux dans le domaine de la


pollution diffuse (Wu et Babcock, 1996). Cependant, la validation de ces
développements par leur application à des cas concrets demeure encore rare.

3. Exemple de construction d'un mécanisme incitatif

Examinons comment un régulateur peut construire un mécanisme incitatif


non linéaire. Nous avons pour cela un régulateur souhaitant à la fois préserver le

195
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

revenu des agriculteurs sur un bassin versant, diminuer la pollution de l'eau liée à
l'activité agricole et limiter les transferts monétaires des contribuables vers les
agriculteurs. Ce régulateur ignore une caractéristique importante de la population
d'agriculteurs dont il veut limiter la pollution1. Par contre, il a à sa disposition une
fonction de répartition des types dans la population d'agriculteurs, et des fonctions
reliant le type, la production réalisée et les émissions de polluants qu'il souhaite
limiter. Dans notre cas d'application, une étude préalable (par enquête d'un
échantillon représentatif de la population, par l'utilisation de modèles
hydrologiques) a permis de les déterminer sur le bassin considéré.

Une fois en possession de ces fonctions, le régulateur va maximiser une


fonction de bien être collectif, composée du profit des agriculteurs, moins les
transferts liés à la régulation, moins le dommage qu'ils génèrent. Cette fonction de
bien être sera maximisée sous des contraintes liées au mécanisme que le régulateur
met en place :
- des contraintes d'incitation sont imposées de façon à ce qu'un pollueur
potentiel ait toujours plus intérêt à choisir le contrat qui lui est destiné
personnellement que toute autre contrat qui lui est proposé (en pratique s'il
choisit un autre contrat qui ne lui est pas destiné, il sera pénalisé, en réalisant un
profit moindre que s'il choisit le contrat qui lui est destiné),
- des contraintes de participation : le régulateur peut choisir de laisser à
chaque agriculteur un profit minimal, ou désirer qu'une partie de la population
augmente son profit après régulation par rapport à la situation non régulée.

La maximisation sous contrainte a pour résultat le menu de contrats


efficace (voir Figure 3), chaque contrat étant représenté par une production
autorisée et un transfert (selon les cas, ce transfert sera une taxe ou une
subvention). Un éleveur dont le type est inconnu du régulateur choisira
spontanément dans la liste le contrat qui lui permettra de réaliser le profit le plus
grand, et qui est par construction le contrat qui correspond à son type. De fait, en
choisissant un contrat, l'éleveur révèle son type.

1
Cette caractéristique est appelée le type de chaque agriculteur.

196
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

enquête sur bibliothèque


échantillon représentatif de fonctions
modèles hydrologiques :
relation entre θ et émissions

maximisation
d'une fonction de bien être
distribution du type θ
sous contraintes
modèles économiques : de participation
relation entre θ et production

menu de contrats :
1 contrat =
1 production autorisée
+ 1 transfert

éleveur de type choisit 1 contrat


θ inconnu a priori dans le menu

contrat adapté
si le θ annoncé contrat qui pénalise l'éleveur
est le vrai s'il cherche à tricher sur son θ

Figure 3 : méthode permettant de construire un mécanisme non linéaire

4. Plusieurs politiques sont possibles

Revenons à notre régulateur qui souhaite à la fois préserver le revenu des


agriculteurs sur un bassin versant, diminuer la pollution de l'eau liée à l'activité
agricole et limiter les transferts monétaires des contribuables vers les agriculteurs.
Ce régulateur a à sa disposition plusieurs démarches possibles, et il cherche
maintenant à déterminer laquelle est la plus adaptée à ses objectifs :
- il peut imposer des bonnes pratiques, comme ce qui est fait dans
le cadre des programmes d'action de la directive nitrates,
- il peut bâtir une politique de choix volontaire de bonnes
pratiques, contre l'attribution de subventions, comme ce qui est réalisé dans
les contrats territoriaux d'exploitation,
- il peut imposer des taxes sur les intrants à l'origine de la pollution
(ici nous nous limiterons aux engrais minéraux),
- il peut limiter la production, en imposant des quotas de
production (ou en modifiant des quotas existants), ou en réduisant la
surface cultivée,
- il peut enfin essayer de bâtir une régulation appliquant la théorie
de l'Agence et reposant sur une variable facilement observable. Dans la
suite de ce chapitre, nous avons mis l'accent sur la taxation non linéaire du
niveau de production.

197
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Ces politiques diffèrent par leur base de régulation (l'effort imposé ou


volontaire, les intrants, le niveau de production) et leur mode d'application
(uniforme ou différencié selon les producteurs).

Pour pouvoir choisir entre ces différentes démarches, le régulateur doit


pouvoir les comparer, sur un critère d'efficacité (par exemple la diminution
d'émission de polluants attendue), sur un critère de coût et sur un critère
d’acceptabilité de la nouvelle technique ou de la mesure réglementaire. Nous allons
nous appuyer sur un exemple pour effectuer une telle comparaison. Les travaux qui
sont décrits ici ont été réalisés dans le cadre du projet de recherche européen
AgriBMPWater, dont l'objectif est de fournir une grille coût-efficacité de
modifications de pratiques agricoles sur 8 bassins européens. Le bassin qui nous a
servi de support est le bassin du Don, un affluent de la Vilaine. Le Don se jette
dans la Vilaine un peu en amont d'une station de captage d'eau destinée à être
rendue potable. Le bassin, situé sur schistes, a une superficie totale de 705 km²,
dont 55 000 hectares de surface agricole utile. Sur ce bassin, les agriculteurs
produisent essentiellement du lait, de la viande bovine, des céréales. Pour
simplifier, nous avons restreint notre analyse à la production laitière et nous avons
restreint l'évaluation économique du coût du dommage au coût moyen de
traitement des eaux brutes destinées à être rendues potables.

Une fois construit un mécanisme non linéaire, nous avons introduit dans le
modèle trois types de régulations :
- nous avons d'abord recherché quelle serait la taxe sur les engrais azotés1,
uniforme (la même pour tous les éleveurs) et optimale dans notre situation
(celle qui maximise la somme du profit des éleveurs, diminuée du dommage et
du coût des transferts).
- nous avons ensuite examiné quel serait l'effet d'une extensification linéaire :
chaque éleveur se voit imposer de diminuer son niveau de production laitière
par hectare, la diminution étant identique pour tous les éleveurs.
- enfin, nous avons déterminé quel serait la limitation optimale d'emploi des
engrais minéraux azotés.

A chaque fois, nous avons déterminé la taxe, la diminution de niveau de


production ou le quota d'engrais qui maximisait la fonction objectif du régulateur.
Nous avons alors comparé, pour chaque mécanisme, la diminution des émissions
d'azote vers l'eau que le régulateur peut espérer avec la variation de profit attendue
pour les éleveurs, et avec la variation de la fonction de bien être collectif du
régulateur.

Nous avons ensuite effectué la même démarche mais en recherchant la


valeur de chaque instrument qui permette d'atteindre le niveau de dommage du
1
Nous aurions pu imaginer une taxe sur les excédents d'azote. Mais dans notre cas
d'application, l'excédent d'azote ne reflète que très mal les émissions de nitrates vers l'eau :
des exploitations ayant un excédent similaire peuvent être très polluantes ou au contraire
respectueuses de l'environnement,selon la répartition des pratiques entre les parcelles et la
sensibilité des sols.

198
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

mécanisme non linéaire "ext.50". Avec ces trois mécanismes, tous les éleveurs
voient leur profit diminué. Nous avons alors testé la possibilité pour le régulateur
d'attribuer une subvention aux éleveurs, élaborée de façon à ce qu'une proportion α
d'éleveurs augmentent leur profit après régulation. Pour pouvoir comparer plus
simplement ces différentes régulations, nous présentons leurs conséquences
lorsqu'elles permettent à la moitié des éleveurs de bénéficier de leur mise en place
(α = 50 %).

Nous avons enfin considéré que le régulateur pouvait aussi choisir


d’imposer de nouvelles pratiques agricoles, que nous avons notées BMPs (Best
Management Practices).

La figure 4 compare différents mécanismes de régulation en termes de ratio


coût/efficacité et d’acceptabilité. Le ratio coût/efficacité est déterminé par
simulations (voir Bontems et al., 2004 pour plus de détails) : le coût est la variation
de bien être (incluant la variation de profit des agriculteurs, le surplus des
contribuables et le dommage) entre la situation de statu quo et la situation après
régulation. Ce « coût » peut être un bénéfice lorsque le bien être est augmenté par
la régulation. L’efficacité est la diminution attendue d’azote à l’exutoire du bassin
versant. On obtient ainsi un ratio coût/efficacité en euros par kg d’azote évité dans
l’eau. L’acceptabilité a été obtenue par enquête pour les BMPs techniques (elle
représente alors la proportion d’agriculteurs qui se déclarent prêts à appliquer la
technique) ou par simulation (c’est alors la proportion d’agriculteurs bénéficiant de
la régulation).

proportion α d'éleveurs bénéficiant


de la régulation

80

ext.. 75
70

60
taxe N + t
ext. lin. + t
ext. 5050 quota N min. + t
BMP1
40

BMP3
30 BMP2
ext. 25
20

bénéfice 10

ext. autoritaire taxe N quota N min. coût


0
-30 -20 -10 0 10 20 30 40
ext. lin. coût/efficacité (euros/kg N évités)

légende :

199
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Les mécanismes représentés par des ronds blancs ne permettent pas d'atteindre la valeur
guide de 25 mg [NO3-]/l en année moyenne, ceux représentés par des losanges noirs
atteignent, voire dépassent, cette limite.
mécanismes non linéaires :
ext. autoritaire. » : extensification non linéaire (le taux varie selon l’agriculteur ), imposée à tous les éleveurs
« ext. α» : extensification non linéaire associée à une subvention élaborée de façon à ce que à α %
des agriculteurs de bénéficient de la mesure.
modification de techniques :
« BMP1 » : fertilisation raisonnée
« BMP2 » : épandage raisonné des engrais organiques (valorisation sur toute la surface fourragère en
tenant compte des rotations)
« BMP 3 » : BMP1 + BMP2
régulations linéaires :
« taxe N » : taxe sur les engrais azotés
« quota N min » quota d’engrais
« ext. lin. » : extensification linéaire (taux identique quel que soit l’agriculteur)
«+t»: mesure précédente avec un niveau de l'instrument permettant d'atteindre le niveau de
dommage du mécanisme non linéaire "ext.50" + redistribution d’une subvention construite pour que 50 %
bénéficient de la mesure.

Figure 4 : coût/efficacité (eu euros/kg N) et proportion d'éleveurs bénéficiant de


la régulation pour différents mécanismes sur le bassin du Don

Plusieurs notions peuvent être dégagées de l’examen de la Figure 4 :

- tout d’abord, certaines régulations ne permettent pas d’atteindre, sur le bassin


du Don, la valeur guide de 25 mg NO3/l. Elles sont représentées par des ronds sur
le graphique.

- imposer des modifications de pratiques (points BMP1, 2 et 3 de la figure) peut


être réalisé à un coût relativement faible, mais nous n’avons pas considéré ici le
coût du contrôle. Malgré une perte attendue de leur profit, liée à la mise en place
potentielle de ces techniques, il faut noter qu’une proportion non négligeable des
agriculteurs se disent prêts à les mettre en place.

- une taxe sur les engrais minéraux azotés, fixée au niveau permettant de
maximiser le bien être ici, 0,23 € par kg d’azote (ce qui est élevé par rapport au
prix des engrais) ne permet pas de diminuer sur notre bassin les émissions vers le
cours d’eau de façon suffisante pour atteindre la valeur guide de 25 mg/l. Elle se
traduit par un bénéfice en raison du coût social marginal d’utilisation des fonds
publics. Si l’on augmente le niveau de la taxe et qu’on l’associe à une subvention
redistribuant son montant, il devient possible d’atteindre cette valeur guide, mais
à un coût extrêmement élevé pour la société (35 €/kg N évité).

- on obtient le même type de résultat avec une extensification imposée ou un


quota d’azote, le quota étant plus coûteux.

- les mécanismes non linaires testés se traduisent par un bénéfice pour la société :
dans notre cas, les agriculteurs de type élevé sont incités à désintensifier leur
production laitière plus que ce qu’ils seraient amenés à effectuer en information

200
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

complète1, au bénéfice des agriculteurs possédant un type plus faible. Cette ré-
allocation de « niveaux d’intensification » crée une distorsion, qui est cependant
sur notre cas suffisamment faible pour que les émissions de nitrates soient en
dessous de la valeur guide de 25 mg/l. Deux mécanismes ont été analysés ici :
une extensification non linéaire autoritaire qui pénaliserait tous les agriculteurs, et
un mécanisme qualifié de « politique » associant une subvention conçue pour
qu’une proportion donnée d’agriculteurs bénéficient de la mesure.

Les simulations réalisées sur le bassin du Don suggèrent ainsi que de


nombreux mécanismes peuvent être élaborés pour limiter les fuites de nitrates sous
la valeur guide de 25 mg/l, même en région d’élevage intensif. Ces mécanismes se
différencient par le coût qu’ils induisent et la proportion d’agriculteurs qui en
bénéficient (ou qui l’acceptent). Par ailleurs, appliquer des mécanismes non
linéaires (par le biais de contrats ou de taxations progressives) permet d’atteindre
des niveaux d’acceptabilité importants, tout en dégageant un bénéfice pour la
société.

5. Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons comparé une taxation non linéaire du niveau
de production à des politiques uniformes basées sur la réduction d'intrants, la
diminution du niveau de production ou imposant l'adoption de bonnes pratiques.
Cette comparaison a été menée à l'aide d'un modèle s'appuyant sur la théorie de
l'Agence et alimenté par des données provenant du bassin versant du Don.

Les principaux résultats obtenus sont de deux ordres. D'une part, le


mécanisme non linéaire basé sur le niveau de production génère, par rapport à la
situation non régulée, le plus grand accroissement de bien-être à proportion
d'éleveurs bénéficiant de la régulation identique. En particulier, lorsque cette
proportion est nulle (tous les éleveurs pâtissent de la régulation), le gain de bien-
être avec ce mécanisme est près de six fois supérieur à celui obtenu par une
taxation linéaire optimale des intrants.

D'autre part, sur le bassin du Don, qui est consacré à un élevage intensif,
nous avons mis en évidence plusieurs politiques permettant de respecter la valeur
guide européenne de 25 mg de nitrates par litre d'eau (en année moyenne). Parmi
ces politiques, le mécanisme non linéaire est le seul qui conduise à un bénéfice
social positif.

1
Si le régulateur pouvait avoir accès sans coût à toute l’information connue de chaque
agriculteur, ainsi qu’à la relation entre ses pratiques et les émissions d’azote résultant dans
l’eau, il pourrait construire un mécanisme dit en information complète, dans lequel il
affecterait à chaque agriculteur exactement le coût du dommage lié à sa production
individuelle.

201
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Remerciements

Les travaux dont quelques résultats sont présentés ici ont été rendus
possibles par l'appui financier du Cemagref (Thème mobilisateur Economie des
Equipements), de l'Union européenne sur le bassin du Don dans le cadre du projet
AgriBMPWater (http://www.bordeaux.cemagref.fr/adbx/agribmpwater/index.html), du
Conseil régional et de l'Union européenne sur le sous-bassin du Cétrais (Turpin, et
al., 2001).

Les auteurs sont reconnaissants à André Le Bozec, Pascal Mallard, Nicolas


Petit, Etienne Pierron, François Roche qui ont bien voulu relire et commenter une
première version de ce chapitre, ainsi qu'à François Lacroix et Sébastien Loubier
qui ont permis d'aboutir à la version définitive. Toute erreur et omission restant ne
sont dues qu'aux auteurs et n'impliquent en aucun cas leurs organismes respectifs.

Références bibliographiques

Auby I., F. Manaud, D. Maurer D., G. Trut, 1994, Etude de la prolifération des
algues vertes dans le bassin d'Arcachon, 163 p.

Baumol W.J., W.E Oates, 1988, The theory of environmental policy, Cambridge
University Press, Cambridge, 299 p.

Bontems P., G. Rotillon, N. Turpin, 2004, Self-selecting agri-environmental


policies with an application to the Don watershed, Environmental and Resource
Economics, 34 p.

Bureau D., M. Mougeot, 2004, Politiques environnementales et compétitivité,


Conseil d'Analyse Economique, La Documentation française, Paris, 159 p.

Catroux G., J.C. Germon, P.Graffin, 1974, L'utilisation du sol comme système
épurateur, Annales Agronomiques, 25, pp. 179-193.

CTGREF, 1974, Procédés de traitement et d'utilisation des lisiers de porcs comme


fertilisants, Informations Techniques du CTGREF, cahier 14, 4 p.

European Environment Agency, 2002, Environmental signals 2002 : benchmarking


the millennium, European Environment Agency, Copenhagen, 145 p.

Ifen, 2002, Les attentes des Français en matière d'environnement, les données de
l'environnement, n°74, 4p.

202
Economie des équipements pour l'eau et l'environnement

Ifen, 2003, Les dépenses des Régions en matière d'environnement, Les données de
l'environnement n° 82, 4p.

Instance Nationale d’Evaluation du Contrat Territorial d’Exploitation. 2003. Le


programme CTE, Rapport d’évaluation. Décembre 2003, 177 pages.

Kolstad C.D., 2000, Environmental Economics, Oxford University Press, New


York, 400 p.

Kristensen S.P., 1999, Agricultural land use and landscape changes in Rostrup,
Denmark: processes of intensification and extensification, Landscape and Urban
Planning, 46, pp. 117-123.

Laffont J.-J., 1994, Regulation of Pollution with Asymetric Information, Nonpoint


source pollution regulation: Issues and analysis, pp. 39-66.

Salanié B., 1994, Théorie des contrats, Economica, Paris, 141 p.

Salanié F., A. Thomas, 1997, Evaluer l'efficacité d'une régulation d'agents


pollueurs, Cahiers d'Economie et de Sociologie Rurale, 39-40, pp. 16-35.

Turpin N., K. Granlund, T. Bioteau, S. Rekolainen, P. Bordenave, F. Birgand,


2001, Testing of the Harp guidelines #6 and #9, last report : results, Cemagref and
FEI, Rennes, 43 p.

Wu J.J., B.A. Babcock, 1996, Contract design for the purchase of environmental
goods from agriculture, American Journal of Agricultural Economics, 78, pp. 935-
945.

203

Vous aimerez peut-être aussi