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ISSN 2605-6496. Journal of the Geopolitics and Geostrategic Intelligence, Vol.

3, No°3, pp 141-150 Sep 2021

Les entreprises marocaines en Afrique Subsaharienne : Logiques et défis


Amine DAFIR
Enseignant chercheur à l’Université Hassan II Casablanca

Résumé
Conscient de l’importance du marché africain en termes stratégique, géopolitique et
économique, le Maroc s’est engagé dans la voie du renforcement de ses relations avec les pays
de ce continent en adoptant une stratégie multidimensionnelle, dynamique et proactive. Cette
politique africaine vise l’amélioration des chaînes de valeur et le renforcement de l’intégration
régionale du Maroc, ce qui lui a permis de devenir un investisseur majeur dans l’Afrique
Subsaharienne et surtout dans les pays de l’Afrique de l’Ouest.
Par conséquent, le Maroc enregistre depuis plusieurs années une tendance croissante des
investissements sortants vers les pays de l’Afrique Subsaharienne de telle sorte que ça devient
une orientation stratégique des entreprises nationales souhaitant passer à une démarche
d’internationalisation de leurs activités. D’ailleurs, les pays de l’Afrique Subsaharienne
s’accaparent plus que la moitié des stocks d’IDE sortants 1 plaçant le Maroc en tant que
deuxième investisseur africain en Afrique Subsaharienne après l’Afrique du Sud.
Le présent article cherche à mettre en lumière les logiques de cette présence accrue des
investisseurs marocains en Afrique Subsaharienne et les défis de l’internationalisation des
entreprises nationales dans cette zone stratégique pour le pays.

1
D’après la CNUCED, World Investment Report, Country Fact Sheet, 2016.

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Introduction
Aux côtés d’une complexe réalité politique, économique, sociale, sécuritaire, coexiste
une réalité nouvelle, celle d’une Afrique qui affiche des taux de croissance très élevés. Une
situation qui fait dire que le continent africain se trouverait en situation d’émergence2. En effet,
l'attractivité économique de l’Afrique Subsaharienne a généré de nouvelles transformations
d’ordre géopolitique et géoéconomique et a fait braquer le projecteur sur cette zone. D'une part,
les puissances traditionnelles envisagent de consolider leurs parts dans la région. D'autre part,
les pays émergents cherchent à devenir des acteurs économiques de premier plan en Afrique.
Intéressés par la sécurisation des approvisionnements en matières premières et d’hydrocarbures
et soucieux de nouer avec l’Afrique des partenariats politiques leur assurant une plus forte
influence au sein de la communauté internationale3, les nouvelles puissances proposent des
nouvelles formes de coopération et des nouvelles formules d’aide et d’assistance.
Cette quête d’influence et de pouvoir dans le continent a comme principaux outils : les
échanges commerciaux, les investissements directs, l’aide, la culture, la religion, les diasporas,
en plus des outils classiques tels que la puissance militaire des États4.
La stratégie africaine du Maroc entre l’offensive des puissances émergentes et la
persistance des partenaires traditionnels constitue un sujet intéressant dans la mesure où le
Maroc est un pays africain qui cherche à se positionner en tant que partenaire stratégique. La
déclinaison de la stratégie marocaine dans le cadre d’une vision stratégique d’ensemble a
permis au Maroc d’améliorer son image de marque et sa visibilité dans le continent.
En outre, le Maroc se propose comme étant un allié stratégique pour le déploiement de
la coopération Nord-Sud-Sud5, en tant que partenaire engagé dans le cadre de la coopération
tripartite6 et en tant qu’acteur de partage d’expériences et de développement des synergies. Le
Royaume y est devenu un acteur important avec l’ambition de partager son expertise
multisectorielle au service des pays et du développement humain en Afrique7.
La stratégie marocaine a engendrée une augmentation importante du volume
d’investissements du Maroc en Afrique au cours des dernières années8. L’évolution rapide des
investissements marocains a permis au Maroc de devenir le deuxième investisseur africain en
Afrique et le premier en Afrique de l’Ouest9. En effet, les IDE du Maroc dans les pays d'Afrique
en termes de stock ont augmenté au cours des dix dernières années et ont été supérieurs à ceux
réalisés dans les pays d'Europe10. En outre, il y’a lieu de signaler que le Maroc cible

2
Jaidi, Larabi, les pays émergents en Afrique. La vie Economique. Juin 2016.
3
Lafargue, François. « La rivalité entre la Chine et l'Inde en Afrique australe », Afrique contemporaine, vol. 222,
no. 2, 2007, pp. 167-179
4
Voir Philippe HUGON, « Les nouveaux acteurs de la coopération en Afrique », International Development
Policy. Revue internationale de politique de développement, n’1, 2010.
5
Le Maroc cherche à identifier les besoins en coopération des pays du continent et propose des projets de
coopération, basés notamment sur l’expérience des stratégies sectorielles afin d’être financés par les bailleurs de
fonds étrangers.
6
Ce positionnement a permis aux entreprises publiques marocaines de s’impliquer dans la mise en œuvre de
différents projets ayant trait au développement durable de la région.
7
Institut Amadeus "Le Maroc en Afrique." La voie royale, Rabat, 2016
8
Comparé aux IDE que reçoit le Maroc, les IDE sortants restent modestes non seulement en quantité absolue mais
aussi en quantité relative d’après les données de la CNUCED concernant les investissements.
9
Voir Dafir, A. La diplomatie économique marocaine en Afrique subsaharienne : réalités et enjeux. Géoéconomie,
2013, no 4, p. 73-83.
10
OMC, Rapport du cinquième examen de la politique commerciale du Maroc, décembre 2015

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essentiellement les pays d'Afrique subsaharienne qui représentent une moyenne de 90% du total
des flux des IDE sortants vers le continent. A noter que des opérations de grande envergure ou
des fusions acquisitions ont été réalisées par des grands groupes marocains durant cette période.
Selon le rapport Perspectives économiques en Afrique (PEA) publié en 201711, le Maroc est de
loin le premier investisseur africain en Afrique sur les investissements dans des projets
nouveaux en 2015-16 et le cinquième au niveau mondial12. La CNUCED13 considère que le
Maroc s’affirme comme un investisseur de premier plan, signe des gains en capacités des
entreprises marocaines dans les services financiers, les télécommunications et les industries
manufacturières.

La stratégie marocaine d’accompagnement des entreprises

Les entreprises sont les véritables fers de lance de la politique d’influence des pays
émergents en Afrique Subsaharienne. L’internationalisation de leurs entreprises est perçue
comme étant un levier de renforcement de la compétitivité du pays en leur donnant accès à des
actifs stratégiques, à des technologies, à des compétences, à des ressources naturelles et à des
marchés et en leur permettant d’accroître leur efficacité14.
Dans ce sens, Dunning considère que dans certaines économies du Sud, des entreprises
ont accumulé suffisamment de capacités technologiques et d’avantages spécifiques pour
investir, dans une première étape, dans les pays voisins ou proches en termes de niveau de
développement, suivant en cela l’approche stadiale du sentier de développement de
l’investissement15. Ces entreprises sont en général des grandes entreprises, de taille supérieure
à celle de leurs concurrents sur leur marché d’origine comme sur leur marché de destination.
Elles entrent souvent sur un marché étranger par fusion-acquisition16.
Ces multinationales du Sud ont généralement un lien étroit avec leur pays d’origine de
telle sorte que la notion de champions nationaux renvoie à l’idée de patriotisme économique.
La nationalité du capital détenu par les dirigeants d’entreprise ainsi que le lieu d’implantation
du siège social représentant dans ce cas un enjeu politique de premier ordre 17. Dans de
nombreux cas d’investissements Sud-Sud, les objectifs stratégiques des firmes sont assignés
par les autorités publiques18. Par ailleurs, une partie de ces entreprises est motivée par des
considérations d’ordre stratégiques plutôt que par la rentabilité à court terme, reflétant ainsi le

11
Une publication conjointe de la Banque africaine de développement (BAD), du Centre de développement de
l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Programme des Nations unies pour
le développement (PNUD).
12
BAfD, OCDE, PNUD. Perspectives économiques en Afrique 2017 : entrepreneuriat et industrialisation.
13
CNUCED, Global Investment Trends Monitor, No. 22, Conférence des Nations Unies sur le commerce et le
développement, New York et Genève 2016.
14
Voir Ahmed Gdoura. Internationalisation des entreprises : Les expériences internationales et la situation de la
Tunisie. UTICA 2006.
15
Cité par Géraud Magrin et al, « Quand les entreprises du Sud investissent au Sud : un basculement aux contours
encore indistincts», Autrepart 2015/4 (N° 76), p. 3-28.
16
FONTAGNÉ, Lionel, TOUBAL, Farid, et al. Investissement direct étranger et performances des entreprises.
Rapport du CAE, 2010, vol. 89.
17
Trépant, Inès. « Pays émergents et nouvel équilibre des forces », Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 1991-
1992, no. 6, 2008, pp. 6-54.
18
Géraud Magrin et al, « Quand les entreprises du Sud investissent au Sud : un basculement aux contours encore
indistincts», Autrepart 2015/4 (N° 76), p. 3-28.

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rôle des entreprises publiques dans l’investissement à l’étranger19 et leur rôle en tant
qu’ambassadeurs de leur pays d’origine. Pour la Turquie par exemple, la présence massive
d’acteurs socio-économiques, vise deux buts majeurs: le soutien des États africains au sein des
instances mondiales de décisions et internationaliser la turcité20. Un pari réussi, 51 pays
africains sur 53 ont voté en faveur de la Turquie assurant son élection au poste de membre non
permanent au Conseil de sécurité de l'ONU en octobre 200821.
Cependant, la nature du soutien politique et financier de ces pays diffère selon la logique
d’accompagnement, les objectifs assignés et les moyens de l’État. Le soutien vise généralement
l’accompagnement des entreprises afin de les doter d’un avantage concurrentiel. Si des pays,
comme la chine, préfèrent la voie directe en mettant à la disposition des entreprises souhaitant
s’internationaliser une variété de subventions22 et l'accès à des financements peu coûteux des
plus grandes banques appartenant à l'État23, d’autres pays, à l’instar de la Turquie suivent des
politiques d’assouplissement des procédures et de signature d’accords de coopération.
Au Maroc, l’engouement à l’internationalisation des entreprises marocaines a été
encouragé par une batterie de mesures dont notamment l’assouplissement de la règlementation
des investissements, la signature des différents accords internationaux de promotion et de
protection des investissements24 et la conclusion, à partir de 2001, de plus de 500 accords de
coopération dans plusieurs domaines avec les pays de l’Afrique Subsaharienne25. La plupart de
ces accords sont signés lors des déplacements du Roi au niveau de la région. D’ailleurs, la
diplomatie royale est de plus en plus considérée comme étant la locomotive du busines
marocain au niveau de la région. S’ajoute à cela la création d’un fonds de 200 millions de
dirhams afin de renforcer la présence des opérateurs privés marocains sur le marché africain 26.
D’ailleurs, le défi de départ de la stratégie africaine du Maroc est que l’excellence des
relations politiques avec les pays de la région se traduise par une évolution des échanges
commerciaux, financiers et économiques dans cette partie du continent. Un défi réussi vu que
la forte présence diplomatique sur le continent sert aujourd’hui de pont à sa présence
économique dans différents pays.
Cette politique d’accompagnement a permis au Maroc d’avoir des « African
challengers27 » capable de concurrencer les multinationales étrangères sur quelques marchés de
la région. En effet, selon une étude de Boston Consulting Group28 dressant un panorama des

19
Ires, « Les relations Maroc-Afrique : les voies d’une stratégie globale et rénovée ». Novembre 2012
20
BINATÉ, I. La présence turque en Côte d’Ivoire contemporaine: entreprise transnationale au service de
l’éducation, l’humanitaire et l’islam en Afrique de l’ouest. Canadian Journal of African Studies/Revue canadienne
des études africaines, 2019, vol. 53, no 2, p. 215-233.
21
Mbabia, O. (2011). Ankara en Afrique : stratégies d'expansion. Outre-Terre, 29(3), 107-119.
22
En plus, l’État a intervenu en tant qu’investisseur, en tant que financier avec des prêts à faible taux d’intérêt ou
encore par le transfert de technologies et d’innovations développées dans le giron public
23
SALIDJANOVA, Nargiza. Going out: An overview of China's outward foreign direct investment. Washington,
DC : US-China Economic and Security Review Commission, 2011.
24
Ires, « Les relations Maroc-Afrique : les voies d’une stratégie globale et rénovée ». Novembre 2012
25
LO, Moubarack, et al. Relations Maroc-Afrique subsaharienne: quel bilan pour les 15 dernières années?. OCP
Policy Center, 2016.
26
Ministère de l'Economie et des Finances du Maroc. Performance commerciale du Maroc sur le marché de
l'Afrique Subsaharienne. Juin 2012.
27
AMUNGO, E. The Growth and Expansion of African Challengers. In : The Rise of the African Multinational
Enterprise (AMNE). Springer, Cham, 2020. p. 101-122.
28
The Boston Consulting Group « African Challengers: Global Competitors Emerge from the Overlooked
Continent ». 2010.

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quarante plus grandes entreprises en Afrique, six entreprises marocaines s’imposent désormais
comme des leaders mondiaux dans leur secteur. D’après les chiffres fournis par fDi Markets en
201729, les entreprises marocaines ont annoncé plus de 8 milliards de dollars d’investissements
dans des nouveaux projets sur tout le continent durant la période 2015-2016, dépassant pour la
première fois la France et le Royaume Uni. En effet, cet exploit est à imputer en grande partie
à l’annonce de l’OCP de construire une usine d’engrais en Ethiopie pour plus de 3 milliards
USD d’investissements30. Le groupe marocain Office chérifien des phosphates s’est hissé au
cinquième rang des investisseurs en Afrique pour la période 2015-201631.
Dans ce sens, la multiplication des succes stories et la réussite de l’internationalisation
de plusieurs grands groupes privés pendant les dernières années a engendré un intérêt croissant
des entrepreneurs vers cette partie du continent. Les caravanes d’exportations, les salons
d’affaires ou les rencontres entre les associations professionnelles connaissent de plus en plus
un engouement des entrepreneurs marocains qui cherchent des opportunités d’affaires dans la
région32.
Cependant, les investissements marocains en Afrique subsaharienne demeurent
l’apanage d’un cercle restreint d’investisseurs. En outre, la plupart de ces entreprises présentes
en Afrique sont de grands groupes publiques et privés de grande taille ayant évolué
favorablement au niveau du Maroc avant de se lancer dans les pays voisins et qui sont, en outre,
soutenues par l’Etat33.
Dans ce sens, le défi actuel de la stratégie africaine du Maroc est d’élargir le club des
investisseurs en Afrique afin d’intégrer les PME marocaine, qui constituent plus de 90% du
tissu économique du pays. A cet égard, le Maroc a lancé une batterie d’outils pour réussir
l’internationalisation des PME en Afrique (caravanes d’exportation, contrats de croissance à
l'export, incitations fiscales…). Toutefois, l’intérêt de ces entreprises marocaines pour
l’Afrique fait face à une multitude de contraintes logistiques et financières et à la concurrence
de plusieurs pays émergents.

L’Afrique de L’ouest : un point d’entrée

A l’instar des autres régions du monde, les destinations des investissements intra-
africains sont généralement proches géographiquement du pays d’origine34 dans la mesure où
les pays de la même région ont généralement plus de facilités et les entreprises trouvent moins
de difficultés culturelles 35 en se reposant sur les proximités culturelles. Dans ce sens, Géraud
Magrin (2015) considère que la proximité culturelle est l’un des facteurs explicatifs de la

29
Les données analysées ici portent sur les investissements « transfrontières » de création de capacités
nouvelles. Elles proviennent de la base de données fDi Markets du Financial Times (2017), qui constitue
l’ensemble le plus complet sur les investissements internationaux entre villes et entre pays. Ces données rendent
compte des flux d’IDE mondiaux en direction des villes d’Afrique.
30
Suite à la visite officielle du Roi du Maroc en Ethiopie en Novembre 2016.
31
fDi Markets (2017), fDi Markets (database), www.fdimarkets.com (Consulté le 20/09/2019)
32
A. Antil, Le Maroc et sa « nouvelle frontière » Lecture critique du versant économique de la stratégie africaine
du Maroc, Ifri, 2010.
33
Ires, « Les relations Maroc-Afrique : les voies d’une stratégie globale et rénovée ». Novembre 2012
34
A titre d’exemple, plus de 1/3 des IDE de Maurice va à l'Afrique, principalement à Madagascar, un pays voisin
et très proche culturellement.
35
CNUCED: « World investment report 2010 ». P: 36.

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géographie des investissements Sud-Sud. Elle contribue à expliquer l’intimité des interactions
entre acteurs économiques, même si elles ne gomment pas toutes les difficultés36. A cet égard,
les entreprises de grande distribution sud-africaine investissent préférentiellement dans les pays
voisins (Angola, Mozambique, Zambie) ou dans les pays d’Afrique anglophones (Ghana,
Nigéria, Ouganda, etc.)37.
La répartition des investissements marocains en Afrique Subsaharienne par zone de
pays fait apparaître les pays de l’Afrique de l’Ouest en tête des pays destinataires de ces
investissements, avec une moyenne de 65% sur la période 2011-2015, suivis des pays de
l’Afrique Centrale (19%) et ceux de l’Afrique de l’Est (16%).
Cette présence en Afrique de l’Ouest s’explique par l’adoption d’une approche de
proximité conduisant les entreprises à étendre leurs activités d’une manière séquentielle en
commençant par des marchés culturellement et géographiquement proche. Une telle approche
favorise l’apprentissage et permet aux entreprises de réussir leurs internationalisations. Dans ce
cadre, la proximité géographique, culturelle et linguistique, mais aussi les excellentes relations
diplomatiques que le royaume entretient avec la plupart des pays de la région pousse les
entreprises marocaines à favoriser cette zone du continent38. Brahim Benjelloun Touimi,
Président de BMCE Bank of Africa considère que « l’Afrique de l’Ouest constitue un zone de
confort des investisseurs marocains, compte tenu des liens spirituel, économique, politique
extrêmement privilégiés entre le Maroc et la région39».
D’ailleurs, la demande d’adhésion du Maroc à la CEDEAO constitue une grande
opportunité pour les entreprises marocaines souhaitant s’installer dans la région et va permettre
à d’autres entreprises marocaines de s’internationaliser dans cette partie de l’Afrique.
Ventilés par pays, la Côte d’Ivoire, l’île Maurice et le Mali sont les trois premières
destinations des IDE marocains entre 2011 et 2015. La Côte d’Ivoire reste le premier pays
récepteur du stock d’investissements marocains en Afrique Subsaharienne en 2015 avec
4,8Mds DH. Ce montant représente 30% du stock d’IDE en Afrique Subsaharienne40. Elle est
suivie du Maurice avec plus de 16% du stock, du Mali (12%) et du Cameroun (9%). Ces pays
suscitent l’intérêt des investisseurs marocains comme le confirme les flux d’IDE entrants depuis
l’année 2000.
Par conséquent, si le choix du pays d’accueil dépend de plusieurs facteurs dont
notamment la proximité géographique et culturelle, l’existence d’un arsenal juridique
permettant la protection des investissements et l’excellence des relations politiques41, l’objectif
de la stratégie marocaine est de se rapprocher des autres régions du continent.

36
Voir Géraud Magrin et al., « Quand les entreprises du Sud investissent au Sud : un basculement aux contours
encore indistincts », Autrepart 2015/4 (N° 76), p. 3-28.
37
L’analyse des investissements Brésiliens montre que le petit nombre de pays lusophones est très clairement au
premier rang de l’internationalisation vers l’Afrique qui s’effectue avec un appui décidé de l’État. De même, les
diasporas indiennes en Afrique du Sud ou en Afrique de l’Est expliquent certains flux contemporains.
38
C’est le cas aussi pour l’Afrique du Sud qui investit essentiellement dans les pays voisins relevant de l’Afrique
australe, notamment le Botswana, Madagascar, le Malawi, le Mozambique, Maurice et la Namibie.
39
http://www.challenge.ma/afrique-de-lest-bmce-bank-decrypte-les-opportunites-a-saisir-68588/ consulté le
06/07/2020.
40
Ce qui représente 10,5% du stock d’investissements directs étrangers détenu à l’étranger.
41
Ce dernier point est à relativiser avec les nouvelles orientations de la diplomatie marocaine visant l’ouverture
sur des pays reconnaissant la RASD comme l’Ethiopie et la Nigeria.

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Dans ce cadre, la réussite de la diversification géographique des investissements


constitue un défi majeur pour les entreprises marocaines souhaitant étendre leurs zones
d’influence et à gagner de nouveaux marchés en investissant vers des zones à fort potentiel.
Cependant, cette diversification suppose que les entreprises marocaines adoptent des
trajectoires d’émergence avancées afin d’être capable de réussir leur internationalisation dans
des pays éloignés géographiquement et culturellement.

Les banques : un avantage comparatif

Dans la pratique, les entreprises réussissant leur internationalisation sont ceux qui ont
pu développer une spécialisation dans leurs propres pays. Dans ce sens, la priorité est donnée
aux secteurs où le Maroc dispose d’un avantage compétitif existant ou potentiel. Il est donc
logique que les services s’accaparent une grande partie des investissements marocains en
Afrique.
Aussi, les activités de services doivent souvent investir préalablement pour se
développer dans un pays étranger à la différence de l'industrie qui commence souvent par
exporter42. Les services, par les contacts clients importants qu'ils imposent doivent être le plus
souvent customisés de manière à les adapter à la culture, à la langue du pays d'accueil.
Le secteur bancaire (Banques et organismes financiers) occupe la première position du
total des investissements directs en Afrique au cours de la période 2010-2015 en s’accaparant
plus de 43% des investissements . Dinar (2015) considère que la libéralisation financière
engagée dans les années 90, a joué un rôle catalyseur de la concurrence bancaire conduisant à
des opérations de Fusions acquisitions au Maroc. Dinar considère que la concurrence féroce
suite aux mesures de libéralisation engagée en 1990 s’est traduite par un écrasement des marges
bénéficiaires ce qui a eu pour conséquence une ouverture des banques marocaine à l’étranger43.
Ce qui explique que les banques marocaines ont investi considérablement dans les pays
africains depuis plusieurs années, augmentant ainsi les exportations de services. Elles se sont
imposées comme des poids lourds en Afrique subsaharienne avec une présence directe dans
une trentaine de pays44.
Il faut noter dans ce sens que cette présence des banques marocaines en Afrique
constitue aujourd’hui un avantage comparatif pour les opérateurs marocains. En effet, plusieurs
banques mettent leurs réseaux au service des associations professionnelles en assurant
l’accompagnement de l’internationalisation des entreprises marocaines. A titre d’exemple, une
convention a été signée entre BMCE Bank Of Africa45 et l’Association Marocaine des
Exportateurs afin de favoriser les synergies dans leurs domaines de compétence respectifs afin
d’en tirer le maximum d’avantages pour leurs membres et clients dans le but d’accompagner
les entreprises marocaines dans leur développement sur le continent africain. Cette coopération

42
AMELON, Jean-Louis et CARDEBAT, Jean-Marie. Les nouveaux défis de l’internationalisation : quel
développement international pour les entreprises après la crise?. De Boeck Supérieur, 2010. Page :397.
43
Voir Dinar Brahim. L'implantation des banques marocaines en Afrique. Ires 2015.
44
Plusieurs articles et rapports ont mis l’accent sur la réussite de l’expérience de l’internationalisation des banques
marocaines en Afrique dont notamment un rapport de FMI en 2015.
45
BMCE Bank Of Africa est la 1ère banque marocaine présente en Afrique de l’Est à travers ses filiales au Kenya,
Ethiopie, Djibouti, Ouganda, Rwanda, Burundi et Tanzanie.

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concernera la formation, l’échange d’informations et de connaissances économique et


sectorielle et l’organisation de séminaires…
En effet, l’internationalisation des entreprises marocaines malgré son importance et loin
de favoriser les échanges entre le Maroc et la région de l’Afrique Subsaharienne puisque ces
investissements ne se traduisent pas encore par une augmentation des échanges. D’ailleurs, le
défi actuel est de favoriser des investissements industriels avec comme objectif la création de
chaines de valeurs régionales. Toutefois, l’insertion marocaine dans l’économie régionale par
les investissements directs implique des mutations d’attitudes considérables, un changement de
culture, des systèmes de mangement au niveau de l’entreprise et une vision globale intégrant
leurs actions d’internationalisation dans le cadre d’une décomposition régionale des processus
productifs46.
Par ailleurs, il est indispensable d’adopter une approche inclusive pour créer des liens
entre ces investissements et l’économie des pays destinataires et diriger ceux-ci vers des
secteurs où ils peuvent impulser l’investissement intérieur, créer des emplois et stimuler les
capacités productives dans le but de favoriser l’intégration régionale du Maroc avec le reste de
l’Afrique47.

Conclusion
Cette contribution éclaire la problématique relative aux logiques et défis de
l’internationalisation des entreprises marocaines en Afrique Subsaharienne.
Il est clair aujourd’hui que malgré les efforts fournis au niveau de la stratégie
d’accompagnement, les entreprises marocaines éprouvent de multiples contraintes face à
l’internationalisation. En effet, elles font face au manque de ressources humaines et financières
capable de relever les défis de l’internationalisation dans des marchés méconnus. Ces
entreprises font face à de nombreuses difficultés et de nombreux risques dont notamment la
concurrence déloyale, le protectionnisme, l’insolvabilité des partenaires, le non-respect des
engagements, les différences dans la réglementation entre les pays, la volatilité du cours de
change, l’instabilité politique…
La capacité à maîtriser l’information (collecte, analyse et protection) se présente comme
l’une des voies les plus prometteuses pour comprendre et soutenir l’internationalisation des
entreprises. Dans ce sens, l’implication de l’intelligence économique au niveau des stratégies
d’internationalisation des entreprises va permettre le développement des capacités des
entreprises à produire des connaissances utiles à la prise de décision et adaptées aux exigences
de la concurrence internationale dans la région. Elle permettra également la mise en place
d’actions d’influence et de promotion de l’image de marque de ses entreprises48.
Enfin, le retour du Maroc à l’Union Africaine et la possible intégration à la CEDEAO
soulève plusieurs défis et confère à la présence du Maroc en Afrique Subsaharienne une
nouvelle dimension.

46
Dafir, A. La diplomatie économique marocaine en Afrique subsaharienne : réalités et enjeux. Géoéconomie,
2013, no 4, p. 73-83.
47
Voir BERAHAB, Rim, et al. Relations entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne: Quels potentiels pour le
commerce et les investissements directs étrangers?. OCP Policy Center, 2017.
48
DAFIR, A et SALAM, G. L’intégration de la diplomatie économique dans un dispositif national d’intelligence
économique: Quels enjeux pour le Maroc?. Revue internationale d'intelligence economique, 2016, vol. 8, no 2, p.
47-63.

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Bibliographie

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