Vous êtes sur la page 1sur 5

Document généré le 2 nov.

2023 18:55

Québec français

L’engagement des romanciers québécois


Gilles Dorion

Numéro 131, automne 2003

L’engagement dans la littérature

URI : https://id.erudit.org/iderudit/55678ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)
Les Publications Québec français

ISSN
0316-2052 (imprimé)
1923-5119 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet article


Dorion, G. (2003). L’engagement des romanciers québécois. Québec français,
(131), 75–78.

Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 2003 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.
https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.


Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de
l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à
Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
https://www.erudit.org/fr/
LITTÉRATURE

L'engagement des
romanciers québécois
> > GILLES D O R I O N *

D
epuis la décennie 1940, au cours de laquelle elle avait des connotations sut- que se comparer à un funambule : « Écrire,
tout politiques et sociales, l'expression « écrivain engagé » s'est étendue ra- c'est marcher sur un fil. Il y faut toute l'at-
pidement dans des ramifications diverses, dont la plus importante, à mon tention et la concentration du funambule.
avis, se situe tout naturellement dans le domaine de l'écriture. Dans son essai intitulé Si créer c'est au fond agencet des éléments,
Qu'est-ce que la Uttérature ?, dans lequel il se demande « Qu'est-ce qu'écrite ? », « Pout- agencet c'est équilibrer. [...] L'écrivain
quoi éctire ?» et « Pour qui écrit-on ? », Jean-Paul Sartre, qui se croyait obligé de mettre s'écrit, il est non seulement un funambule,
entre guillemets le mot « engagé », avec son acception nouvelle, en explique la por- mais, comme l'araignée, il produit à mesure
tée : « L'éctivain "engagé" sait que la parole est action : il sait que dévoiler c'est changer le fil de son récit7 ». La formule « s'écrit »
et qu'on ne peut dévoiler qu'en projetant de changet' ». Précisant sa pensée, il en pro- mérite certes le rapprochement avec le
pose une définition qu'il veut opératoire : « Je dirai qu'un écrivain est engagé lorsqu'il « véctite » de François pour l'implication
tâche à prendre la conscience la plus lucide et la plus entière d'être embatqué, c'est-à- qu'elle suscite.
dire lotsqu'il fait passer pour lui et pout les autres l'engagement de la spontanéité au ré-
fléchi2 ». Il en découle que le principe de l'engagement repose sur une incontournable
subjectivité impliquant des prises de position qui débouchent sur des formes d'interven-
tion effectives. Nombreux sont les éctivains québécois qui ont pris parti, en patticuliet
à l'époque de la Révolution tranquille des années 1960, puis des décennies qui ont suivi,
groupés pour la plupart autout de Liberté et de Parti ptis et de sa revue, tels les André
Majot, André Brochu, Claude Jasmin, Paul Chamberland, Claude Maheu, Jacques
Renaud, Hubert Aquin, Laurent Girouard, Jacques Godbout, entre autres, sans exclure
les Roch Carrier, Victot-Lévy Beaulieu ou même Jacques Poulin. Cependant, je vais me
I un n cr à quatre romanciers aussi différents que les derniers nommés : Godbout, Carrier,
Beaulieu et Poulin. Et pout bien circonscrire mon sujet, je m'attacherai à trois domai-
nes où l'un ou l'autre se sont engagés, à savoir l'écriture, la langue, le socio-politique,
étant entendu d'entrée de jeu que ces trois domaines d'intervention s'interpénétrent et
se recoupent inévitablement dans la pratique quotidienne.

Écrire, disent-ils JACQUES G O D B O U T

Salut Galarneau ! ( 1967) de Godbout fournit certes l'une des diverses prises de posi-
tion relatives au métier de l'éctivain. François Galarneau, malheureux en amour, floué La premiere phrase Sun
par son propre frère, écrivain en herbe qui noircit ses cahiers des résultats de son inspi-
ration, ne trouve comme exutoite à son inquiétude existentielle qu'un moyen somme
roman, c'est la liberie.
toute dérisoire : s'isoler du monde des hommes en élevant un mut autour de sa maison. La seconde découle de la
Cependant, le jout de son vingt-sixième anniversaire, il décide d'escalader le mur pour première. Puis l'écrivain
se remettre à vivre tout en écrivant : « Je sais bien que de deux choses l'une : ou tu vis,
ou tu écris. Moi je veux vécrire3 ». Ce mot a fait le tout des collèges et universités pour
construit sa cage el
caractétiset à la fois la prise de position de Galarneau et celle de Godbout. Celui-ci re- s'enferme avec le tigre.
prendra la même intetrogation dans son Journal 1981-1990, intitulé L'écrivain de pro-
vince : « Depuis quelques semaines déjà, j'annonce à la ronde que je vais bientôt me mettre
à écrire un roman. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que je gâte la journée de ceux que
j'aime puisque j'exige d'eux le silence et que je me retire du monde4 ». Précisant sa pen-
sée, il ajoute : « La première phrase d'un roman, c'est la liberté. La seconde découle de
la première. Puis l'écrivain construit sa cage et s'enferme avec le tigre5 ». Mais, en toute
L'écrivain de province. Journal 1981 -1990.
humilité, il avoue ne faire que des « propositions6 ». Alots que son petsonnage de Fran- Pans. Le Seuil. 1991. page 103.
çois, encagé, escalade le mur qu'il s'est bâti, Godbout, devant la page blanche, ne peut

AUTOMNE 2003 | Quebec français 131 | 75


Pour Jacques Poulin, écrire constitue un seulement la silhouette dans la brume ou du jeune éctivain néophyte en lutte avec
exercice difficile. Dans les dix romans qu'il le lointain, résume merveilleusement toute un dur métier, la création littéraire, jusqu'à
a fait publier jusqu'à maintenant, ses per- la pensée de Poulin à ce sujet, sinon son la maîtrise de son art, à la maturité, qui
sonnages écrivains, ou ceux qui en tien- engagement : « Quand vous commencez à débouche natureUement sur un exercice
nent lieu, peinent sut la page blanche. éctire une histoire, vous êtes comme un tout à fait libre de contrainte et même
Dans Volkswagen blues, Jack Waterman, fa- voyageut qui a vu de très loin un châ- jubilatoire. N'avait-on pas relevé une sem-
cilement assimilé à l'auteur lui-même teau" », commence-t-il. Mais, au fur et à blable frénésie de création dans le portrait
comme dans plusieurs autres de ses romans, mesure qu'il s'en approche, le chemin se que se faisait Jack de l'éctivain idéal dans
« s'était fait depuis toujours une image de rétrécit jusqu'à ne devenir qu'un sentier, de Volkswagen blues ? Dans « La générosité de
l'écrivain idéal et il était loin de ressem- nombreux obstacles se dressent sur sa l'éctivain », Beaulieu présente l'éctivain
bler à ce modèle. Il se rangeait patmi ceux route, rivière, forêt, montagne, colline, comme un créateut : « Ce qui seul importe,
qu'il appelait "l'espèce laborieuse" : patient enfin le château entrevu de loin ne se ré- c'est la croyance que nous avons encore en
et obstiné mais dépourvu d'inspiration ou duit plus qu'à « une vieille maison délabrée la fiction, au plaisir de dire, de nommer,
même d'impulsions, il se mettait à l'œuvre et, cutieusement, elle ressemble beaucoup d'outrager par les mots la condition hu-
tous les jours à la même heure et, grâce à à celle où vous avez passé votre enfance12 ». maine16 ». Il insiste sut « la générosité de
un travail méthodique et opiniâtre, il arri- De là à déduire qu'il considère le fait l'éctivain, ce mouvement qui le porte à dire
vait à écrire "sa" page quotidienne8 ». Voilà d'éctire comme une entreprise autobiogra- le plus possible, dans un foisonnement de
le portrait exact de Jim, « l'écrivain le plus phique, la frontière est mince. Pour phrases, dans une véritable orgie du
lent du Québec », dans Le vieux Chagrin'. Godbout et Poulin, l'écriture est un exer- dire17 », ce dont il ne s'est pas privé, témoin
Aussi Jack se fabrique-t-il l'image de l'écti- cice périlleux, sinon jalonné d'obstacles. la quantité prodigieuse de ses œuvres. « Le
vain idéal, de celui qu'il voudrait être. Il Victot-Lévy Beaulieu, certes plus émo- plaisir d'écriture » débute ainsi : « Parfois,
imagine une scène qui se déroule dans un tif et engagé, tant dans l'écriture de ses c'est nettement plus fort que moi - alors je
bar du Vieux-Québec, dans laquelle une romans par interprètes interposés que sont m'assois à ma table de travail, j'oublie la
idée surgit à l'improviste dans la tête d'un ses peisonnages, principalement Abel fatigue et la colère, j'oublie la banale vie
écrivain, qui se met fébrilement à griffon- Beauchemin, dans lequel tous les critiques du banal quotidien, je me dépouille de tout
ner sur n'importe quel bout de papiet qui ont vu sans se tromper la silhouette de le dérisoire qu'il y a en moi, comme cela
se présente. Les mots et les phrases se bous- Beaulieu lui-même, que dans ses essais, est en toute bête et en toute chose, et je
culent, c'est lafrénésiede la création. Mal- dont le plus important recueil demeure ne deviens plus qu'écriture, c'est-à-dire ma
heureusement pour lui, tout cela n'était Entre la sainteté et le terrorisme, oscille cons- beauté à être18 ». Et il continue sut ce ton
peut-être qu'un rêve dont il se réveille dou- tamment entte la « douleut lancinante frénétique, sans ponctuation forte, dans un
loureusement trois jours plus tard sur un lit d'écriture13 », « L'écriture comme spirale style marqué par le mouvement incoerci-
d'hôpital10. Dans Le vieux Chagrin, la ma- avalante14 » et « Le plaisir d'écriture" ». ble de la pensée, la phrase unique, intet-
gnifique allégorie de l'écriture, introduite Cette oscillation, bien compréhensible si minable, se déroulant comme une im-
comme une vétitable intrusion de l'auteut, l'on tient compte de la durée dans laquelle mense spirale significative de la création
quand Jim tente de voir, puis de rencon- elle s'inscrit, soit vingt ans, de 1964 à 1984, non empêchée. Pourtant, me tétotqueront
tre! Marika, dont il a jusqu'alots aperçu marque jusqu'à un certain point l'évolution les connaisseurs de l'œuvre de Beaulieu, les
personnages de ses romans, en particulier
son double Abel, peinent sur l'écriture, se
JACQUES POULIN débattent dans d'horribles cauchemars, se
butent à des difficultés énormes d'incom-
préhension de leur entourage, bref se sen-
Quanti vous commencez à tent mal dans leur peau d'écrivains trop en-
écrire une histoire, vous êtes gagés, en apparence et d'une façon tout à
comme un voyageur qui a vu fait conttadictoite détachés des réalités de
ce monde, ce dont on leur fait continuel-
de très loin un château. Mais,
lement gtief, témoins, par exemple, Dis-
cours de Samm ou Steven le Hérault, entre
approche, le chemin se rétrécit autres. L'on reviendrait, pout ainsi dite,
jusqu'à ne devenir qu'un dans la prétendue donnée autobiographi-
sentier, de nombreux obstacles se dressent sur sa route, rivière, que de sa production littéraire, soulignée
par un engagement non équivoque du pei-
forêt, montagne, colline, enfin le château entrevu de loin ne se sonnage écrivain, ou, si l'on préfère, du per-
réduit plus qu'à - une vieille maison délabrée et, curieusement, elle sonnage et de l'écrivain. Toutefois, l'enga-
ressemble beaucoup à celle où vous avez passé votre enfance. gement de Beaulieu dérive le plus souvent
veis la question nationale, comme nous le
Le vieux Chagrin. Montréal /Arles. Leméac / Actes sud. 1989, page 62.
venons plus loin, en ce qu'elle lui est inti-
mement et très étroitement liée.

76 | Québec français 131 | AUTOMNE;


un ciéateui de langage. Il ne doit tejetei en un sens, de ceux de Cairiet. Il n'hésite
aucun appoit vivant mais les assimilet. pas à affiimei : « Nous écrivons en une
L'éctivain doit veillei sut l'héritage du lan- langue que nous ne pouvons que mutilei
gage, le protéget mais aussi l'exploitet et le cai elle ne dit à peu près rien de notre être
faite fructifier Ma langue française s'est collectif5 ». À la suite d'un article plutôt
imposée d'elle-même à cette pièce. Le fran- sévère qu'il avait éciit sut le roman et les
çais est ma langue maternelle et non le tomancieis québécois, il réplique à
VICTOR-LEVY BEAULIEU jouai. Ma grand-mère pariait la langue de Andrée Fetretti en réitérant que le pro-
Montaigne (sans l'avoif lue...)21 ». blème du jouai est un faux problème et
Il pouisuit plus loin : « Je veux que « c'est à l'éctivain de choisit son lan-
( le qui seul importe, c'est la gage et d'en faite un style qui lui soit
ECRIRE. La langue est un matéiiau vi-
croyance que nous avons vant. Il ne s'agit pas de choisit entie ptopie et qui soit signifiant dans son
encore en la fiction, au plaisir jouai et fiançais. Il s'agit d'écrire une lan- monde26 ». Dans un article passionné, in-
de dire, tic nommer, d'outraser gue qui soit la nôtre et une langue qui titulé « Etre éctivain québécois », patu
bénéficie de toutes les alluvions de la dans Le Devoir du 21 octobre 1972 et re-
vie22 ». Il en fournit une preuve vivante pris dans son recueil d'essais, il soutient
humaine dans son plus récent roman, Une chaise, encore : « Petsonnellement, j'adopte vo-
Entre la sainteté et le terrorisme. Montreal. où il évoque sa giand-mèie Odélie qui lontieis [la langue] qui me plaît, celle que
VLBéditeur. 1984. page 180. je trouve efficace. Je ne crois pas éctite en
relate de multiples anecdotes de sa vie
passée dans un vieux français emptun- jouai. Je crois plutôt écrite dans la fu-
tant la plupart de ses ttaits phonétiques reui27 ». En 1974, il reviendra sut le sujet
Dans quelle langue, et lexicaux à Rabelais et à Montaigne. La dans un texte ptovocateut écrit dans une
quel langage ? majorité de ces vocables anciens sont langue qu'on pounait nommet le jouai,
La guerre, yes sir !, de Roch Carrier, attestés pai des dictionnaires spécialisés mais qui emprunte à de multiples niveaux
fournit, foit brièvement, une téponse et manifestent le souci évident de Car- de langue, « Moman, popa, le jouai pis
préalable à cette question primordiale : liei de s'appiopiiei, avec nostalgie, un moue !28 », où il règle son cas à cette ques-
dans quelle langue les Québécois doivent- pattimoine oublié, des « mots petdus », tion souvent débattue.
ils s'exprimer ? Résumant les pages d'his- selon la maison Larousse. « Du Moyen
toire que les soldats anglais avaient appri- Age, les mots ont passé pat les œuvres de Le politique et le social
ses sut l'épisode de la Conquête, le Rabelais et déiivé jusqu'aux teires basses Enfin, s'écrieront plusieuts lecteuts,
naitateui, pat personnages délégués, de Québec, près du fleuve. [...] De géné- voici l'aspect ptincipal de l'engagement
s'écrie, devant la fête sauvage qui préside ration en génération [...] on s'est trans- des éctivains québécois, ce qui n'est cer-
à la veillée au coips : « Puisque la France mis les mots comme des bijoux23 ». VLB tainement pas évident jusqu'ici, l'écriture
les avait abandonnés, pouiquoi ne vou- rejoint même Poulin sous ce rapport et la langue fotmant le fondement même
laient-ils pas accepte! le privilège de de- quand, dans son article « Ecrite », il évo- de leut activité créatrice. Les prises de
venii Anglais ? L'Angletene les aurait que avec émotion les mots maintenant position socio-politiques sont, à plusieuts
civilisés. Ils ne seraient plus des porcs de usés : « tabatnance, touche, platan, égaids, les plus frappantes, surtout à l'épo-
French Canadians. Ils sauraient compren- navot, chicot, picasse, mémoire [sic, poui que de la tiansfoimation du « pays » du
dre une langue civilisée. Ils parieraient ménoiie], robbeuis - mais miens mots Québec, de son accession à la modernité,
une langue civilisée, non un patois1' ». Ce appiis dans l'ailleuis de mon monde24 ». ainsi que l'ont claironné à l'envi l'ensemble
passage, souvent cité, renferme une dou- Poui Beaulieu, la question de la lan-
ble connotation, à la fois politique et lin- gue se pose en teimes qui se rapprochent,
guistique, comme on le remaïque facile-
ment. Il n'est pas inutile de tappelei ici
que les lecteuts anglophones ont ptis au R O C H CARRIER
pied de la lettre les réflexions faites in petto
pat leuis compattiotes, ainsi que le souli-
gne Piètre Hébert20. Je veux ECRIRE. La
Carrier reviendra personnellement sut langue est un matériau
le sujet de la langue loisque, inteipellé à vivant. Il ne s'agit pas de
propos de la langue qu'il emploie en écri-
vant Le cirque noir, il sent le besoin de ré-
choisir entre jouai et
sume! sa pensée : « J'ai écrit en québécois français, il s'agit d'écrire une langue qui soit la noire et une
La guerre, yes sir ! Je peux aussi écrire le langue qui bénéficie de toutes les alluvions de la vie.
jouai montréalais. Je peux écrire la musi-
que de l'accent beauceron. Il faut donnei
leut langage aux peisonnages. L'auteut est Le cirque noir. Montréal / Paris. Stanké. 1982. page 83.

M l i A I M 2003 I Oucbca /.,


des analystes et des ciitiques de la société le chiruigien dans lequel on a voulu re- taine soit dans l'agencement des événe-
québécoise. J'ai retenu trois exemples connaître le premier ministre fédéral de ments qu'ils racontent, soit dans les por-
paimi plusieuts, soit Cattiet, Godbout et l'époque, Pierre Elliott Ttudeau : on pro- traits des personnages qu'ils mettent en
Beaulieu. Quant à Poulin, ses ptises de cède à l'« amalgame » des deux têtes. Le scène, soit dans le vocabulaire qu'ils em-
positions politiques se manifestent surtout résultat ? Charles-François Papineau écrit ploient.
dans son ptemier roman Mon cheval pour une lettre de remerciements à son méde-
un royaume. cin, rédigée en anglais et signée Châties
Professeur émérite et membre associé du
Je reviens très brièvement sut le passage F. Papineau. Le français / François est à CR1LCQ, Université Laval (Québec)
déjà cité de La guerre, yes sir ! de Roch toutes fins utiles éliminé, la loi du plus fort
Carrier pour ne rappeler, hors la langue, a joué. Il convient de relire L'écrivain de
que l'aspect social qui y est soulevé, à sa- province, déjà cité, pout connaître un peu Notes
voit la « civilisation » à l'anglaise. C'est plus la pensée de Godbout relative au pro- 1 Jean-Paul Sartre, Qu'esKe que la littérature ?, Pa-
ris. Gallimard (Idées), 1948, p. 30.
l'image de pourceaux qui vient à l'esprit des blème de la dualité canadienne. On pour-
2 (bid., p. 98.
soldats anglais qui veillaient sut le cercueil rait au hasard trier plusieurs pages de ce
3 Jacques Godbout, Salut Galarneau I, Paris, Le Seuil,
de Corriveau : « Quelle sorte d'animaux journal, écrit souvent d'une façon désin- 1967, p. 154 (en italique dans le texte). Godbout
étaient donc ces French Canadians ? Ils volte comme ses romans et retenir par est familier avec ces erases : « Écrivain et ci-
avaient des manières de pourceaux dans la exemple : « On disait, pendant le référen- néaste. L'agréable et l'utile. O u bien devrais-je
dire : écrivasse I Ou peut-être cinévain t », dans
porcherie. [...] ils étaient de vrais porcs, ces dum, qu'il fallait choisit entre une carte L'écrivoin de province. Journal 1981-1990, Paris, Le
French Canadians dont la civilisation con- d'identité et une carte de ctédit. Les Qué- Seuil, 1991, p. 115.
sistait à boire, manget, péter et rotet ». Le bécois ont choisi la carte de crédit. Ce 4 L'écrivain de province, op. cit., p. 103.
natrateui complète ainsi leur pensée : « Les sera l'American Express.. .30 » ou encore : 5 Idem.
French Canadians étaient solitaires, crain- « 1960 : la révolution tranquille ; 1970 : 6 Ibid., p. 43.
tifs, peu intelligents ; ils n'étaient doués ni la violence du FLQ ; 1980 : le référendum 7 Ibid., p. 43-44.
pout le gouvernement, ni pout le com- perdu ; 1990 : l'assurance tranquille d'une 8 Jacques Poulin, Volkswagen blues, Montréal, Qué-
merce, ni pour l'agriculture ; mais ils fai- société distincte. Il nous teste dix ans pour bec / Amérique, 1984, p. 47.

saient beaucoup d'enfants29 », ce qui ré- inventet, encadrer, dynamiser ce nouvel 9 Jacques Poulin, Le vieux Chagrin, Montréal /Arles,
Leméac / Actes sud, 1989, chap. 6.
sume dans leur ensemble les préjugés de la état d'âme, en faire un état d'être ». Ce
10 Volkswagen blues, op. cit.. p. 46-51.
« race supérieure ». Il faut insistet ici sut le « nous », comment l'interprétet ? Dans
11 Le vieux Chagrin, op. cit., p. 62.
mode carnavalesque mettant en scène les quel clan se place Godbout ? La question
12 Idem.
villageois à l'occasion de la veillée au corps est posée, elle n'est pas clairement réso-
13 Victor-Lévy Beaulieu, Entre ta sainteté et le terro-
de l'un des leurs, avec ses excès, ses rires, lue31. risme, Montréal, VLB éditeur, 1984, p. 23 et suiv.
ses grivoiseries, ses dérisions, ses renverse- Il me faudrait, pour faire bonne me- 14 Ibid., p. 209 et suiv.
ments de situation, ses rabaissements, ses sure, décortiquer les nombreux articles à 15 Ibid., p. 466 et suiv.
vulgatités, bref avec tout ce qui constitue saveut politique qui sont rassemblés dans 16 Ibid., p. 180.
une fête populaire. Si le principal élément le recueil de Victor-Lévy Beaulieu, Entre 17 Ibid., p. 184.
de tabaissement n'a pas été compris par la sainteté et le terrorisme. Ce qui est incon- 18 Ibid., p. 466.
certains « exégètes », c'est qu'ils n'ont rien testable, c'est la valeut d'engagement et 19 Roch Carrier, Lo guerre, yes sir !, Montréal, Édi-
compris à l'esprit de carnaval qui détet- de conviction de cet éctivain démesuré, tions du Jour, 1968. p. 92.
mine toute fête populaire, c'est-à-diie celle qui choit dans la plus amère déception de- 20 Pierre Hébert, « La réception des romans de
qui se déroule dans la couche la plus hum- vant le projet avotté d'un Québec souve- Roch Carrier, au Québec et au Canada anglais, ou
le syndrome Krieghoff », dans Le roman contem-
ble de la société. rain. Sa profonde amertume s'exprime porain au Québec (1960-1985). Archives des let-
Godbout use, quant à lui, d'un procédé avec vigueur, désespoir et aigreur dans la tres canadiennes, p. 197-213.

qui en a étonné plusieurs, celui de l'allé- quatrième et dernière partie du recueil, in- 21 Roch Carrier, « Notes parallèles prises pendant
l'écriture du Cirque noir et qui ne sont pas vrai-
gorie politique d'un corps à deux têtes, qui titulée « Le têve québécois », qui com- ment importantes », dans Le cirque noir, Mon-
se rapproche jusqu'à un certain point, ose- prend dix-huit textes stigmatisant « le tréal / Paris, Stanké. 1982. p. 83.
tais-je ajouter, du carnavalesque. Un être pays équivoque ». 22 Ibid., p. 84.
à deux têtes, voyons donc, quelle invrai- J'aurais pu choisir d'étudier plusieurs 23 Roch Carrier, Une chaise. Montréal, Stanké, 1999,
semblance ! Invraisemblance ou pas, il autres écrivains pour répondre à la ques- p. 44.

faut savoir interpréter l'allégorie proposée tion : les éctivains québécois sont-ils en- 24 Entre la sainteté et le terrorisme, op. cit. p. 241.

par le romancier : un « corps », entendons gagés ? Le fait est indéniable, c'est oui ! 25 /bid., p. 83.
ici un pays, en l'occutrence le Canada, J'aurais pu développer mon sujet autout de 26 Ibid., p. 231.
ayant deux têtes, pariant deux langues dis- la question féministe. Les exemples 27 Ibid., p. 252.

tinctes, l'anglais et le français, soit les pro- n'auiaient absolument pas manqué. 28 Ibid., p. 305-312. Article repris de la revue Alain-
tenant, mars 1974.
vinces anglaises sous la gouverne du par- J'aurais pu m'attaquer à la vogue extraor-
29 Lo guerre, yes sir , op. cit, p. 90-91.
lement fédéral, soit le Québec, dirigé par dinaire des romans histotiques, genre ni
30 L'écrivain de province, op. cit, p. 34.
un gouvernement provincial. L'opération fortuit ni innocent, où les éctivains qué-
31 Ibid., p. 291.
étant devenue nécessaite est décrétée par bécois font montre d'une subjectivité cer-

78 | Québec fronçai. 131 | AUTOMNE 2003

Vous aimerez peut-être aussi