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Cahiers d'outre-mer

L'élevage dans la région de Maradi (République du Niger)


Guy Mainet

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Mainet Guy. L'élevage dans la région de Maradi (République du Niger). In: Cahiers d'outre-mer. N° 69 - 18e année, Janvier-
mars 1965. pp. 32-72;

doi : https://doi.org/10.3406/caoum.1965.2371

https://www.persee.fr/doc/caoum_0373-5834_1965_num_18_69_2371

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v V

L'élevage dans la région de Maradi

(République du Niger)

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I. — Les conditions de l'élevage

Notre étude se situe dans le cadre de la circonscription d'Elevage


de Maradi, laquelle englobe quatre cercles (fig. 1). La superficie de
cette portion de territoire nigérien est d'environ 40 000 kilomètres
carrés, soit 3,3 % de la superficie totale du Niger.

Maradi,
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de
G.
Les Cahiers d'Outre-Mer Tome XVIII, Pl. III

A. - La vallée du
ovins,
Goulbi
de Peul
de Maradi,
retournant
en aval
en Nigeria,
de Tibiri.
en fin
Un d'hivernage.
troupeau mixte, bovins et

B. - Une attitude caractéristique d'un Peul nomade.


Clichés G. Mainet.
Les Cahiers d'Outre-Mer Tome XVIII, Pl. IV

A. - La longue tâche de rabreuvement, en saison sèche, autour d'un puits muni


d'une poulie facilitant la traction animale.

B. - Les bas-fonds des vallées où se dressent le palmier doum (Hyphaens thebaica)


Clichés J. Nicolas.
l'élevage dans la région de maradi 33

1. - Les conditions naturelles.

a) Les paysages naturels.


Le relief de la région est assez monotone. Les seuls accidents
du terrain sont liés au réseau hydrographique. L'altitude moyenne
est de 350 mètres. Cependant, malgré l'uniformité des paysages,
quelques petites régions naturelles s'individualisent assez bien.
Le cercle de Maradi est traversé par le Goulbi de Maradi
(dénommé Gulbi n'Zandam en Nigeria), qui coule pendant trois à
quatre mois chaque année; ce cours d'eau alimente en période de
crue le lac de Madarounfa et la mare pérenne de Roubassao. Les
autres éléments en creux du paysage sont des vallées fossiles (3).
Elles s'inscrivent dans des plateaux gréseux du Crétacé inférieur
qui sont, sauf en quelques endroits, recouverts par des sables,
amenés de l'Est, des ergs du Ténéré et du Tchad par les grands
vents continentaux des périodes sèches du Quaternaire. En plusieurs
emplacements, sur les hauts des versants, là où les sables ont été
dégagés, on observe des affleurements de carapace ferrugineuse.
Le socle
des marmites
ancien
d'érosion
apparaît
dans
auson
Sud;
lit mineur.
le Goulbi de Maradi a sculpté

Au Nord, la région de Dakoro est uniquement parcourue par


des vallées fossiles; la principale qui passe au Nord de Dakoro
porte le nom de vallée de Tarka. Les affluents mineurs s'appellent,
en langue haoussa, des kori. Au Sud de Dakoro, dans la zone séden¬
taire, le grand axe est constitué par le Goulbi n'Kaba, la « vallée
des palmiers doum » ( Hyphaene thebaica ). Le plateau a toujours sa
couverture sablonneuse, mais elle s echancre de plus en plus vers
le Nord-Est, en direction de l'Ader. La carapace ferrugineuse se
montre à nu plus souvent.
A l'Est, la région de Tessaoua est une succession de cuvettes
installées dans des dépressions tapissées d'argile et situées entre
des masses importantes de sables, qui prennent déjà assez nette¬
ment des allures de véritables dunes. Exposée plus directement aux
sables du Ténéré, cette région est aussi une zone de partage des
eaux entre le Niger et le Tchad. Les quelques vallées, fossiles, sont
embarrassées de sable et nul réseau hydrographique n'a pu rejouer
avec suffisamment de puissance pour réorganiser un cours d'eau
à écoulement superficiel, même temporaire.
Donc, à peu près partout nous sommes en présence d'un modelé
mort, excepté celui du Goulbi de Maradi. Les eaux de pluie se
rassemblent dans les zones déprimées et donnent des mares vite
asséchées; presque toutes le sont dès le mois de mars en année
normale. Devant l'indigence du réseau hydrographique, on a recours
du Niger.
(3) Goulbi, mot haoussa, signifie vallée fossile. On dit dallol, mot peul, plus à l'Ouest

LES CAHIERS D'OUTRE-MER 3


34 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

9 Teguida n' Tessoum

ERG
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DU
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Marendet,<7 falaise I de

Tchin Tabaraden
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:

Madaoua Kornaka
Mayahi;
•Tessaoua .Zinder
Birni n'Konni .MARADI
Garaouo fMatameye
Madarounfa!
Sokoto

50 lOOkrri.

Fig.l. — La circcmscription d'Elevage de Maradi.


1. Circonscription de Maradi. — 2. Limite Nord des cultures. — 3. Limite septen¬
trionale des pâturages. — 4. Cours d'eau temporaires. — 5. Routes. — 6. Pistes. —
7. Limites d'Etats.
>

>

(En carton, la situation de la circonscription de Maradi


dans la République du Niger),
l'élevage dans la région de maradi 35

inévitablement aux puits et à la nappe phréatique. La nappe aqui-


fère a une profondeur fort variable. Dans les terres de vallée, les
puits ont de 5 à 25 mètres; sur les plateaux, l'eau est prélevée de
50 à 80 mètres de profondeur. De façon générale, les puits sont plus
profonds au Nord qu'au Sud de la région de Maradi. La nappe
aquifère varie assez peu dans l'année. Les oscillations de son niveau
dépassent rarement un mètre. En bref, il convient de dire que
nulle part l'eau n'est vraiment rare. Le seul problème pour l'éleveur
est celui de la remontée de l'eau pour la mettre à la portée de ses
bêtes. L'ampleur de sa tâche varie considérablement en fonction de
la présence ou de l'absence d'eau dans les rivières et les mares,
c'est-à-dire selon les saisons (Pl. III A et Pl. IV A).

b) Le climat.
Il est facile d'observer des différences de climat dans le cadre
de la circonscription d'Elevage de Maradi. Au Sud, le climat est de
type nord-soudanien ou soudano-sahélien (Maradi-Tessaoua) avec
près de 600 millimètres de précipitations et, au Nord, de type sahé-
lien (Dakoro-Mayahi) avec environ 300 millimètres (fig. 2).
Du point de vue de l'éleveur s'opposent nettement deux saisons,
la saison sèche et la saison des pluies, séparées par deux périodes
de transition. La saison des pluies, ou hivernage, voit tomber au
sol, à Maradi, en quatre mois, tout le total annuel des pluies, 620
millimètres de moyenne; elle s'étale de la fin de mai au début
d'octobre. Les températures maximales sont de l'ordre de 35 degrés ;
les températures minimales de l'ordre de 20 degrés (fig. 3). Une
période de fin d'hivernage vient ensuite, d'octobre au début de
novembre.
La saison
La sèche
température
dure deoscille
la fin entre
de novembre
20 et 40 àdegrés.
mars. C'est la
période fraîche, celle pendant laquelle souffle l'harmattan qui
dessèche tout. Les températures s'inscrivent entre 6 et 38 degrés.
Puis, peu à peu, durant avril et mai, l'humidité de l'air va en
augmentant. C'est la période chaude qui annonce l'hivernage. Les
températures extrêmes varient entre 25 et 45 degrés.
Dans la zone de Dakoro, au Nord, le climat se rapproche de
celui du Sahara. Les caractéristiques en sont une plus grande séche¬
resse (350 millimètres de précipitations en moyenne), des tempéra¬
tures minimales plus basses et maximales plus élevées. Nous avons
dressé un tableau des précipitations de plusieurs années pour les
trois secteurs de Maradi, Dakoro et Tessaoua (fig. 4). Nous consta¬
tons en particulier la grande variation des pluies d'une année à
l'autre. Les précipitations extrêmes pour une même station varient
de 1 à 3, ce qui a une grande influence sur la végétation, et par là
même sur la conduite d'un élevage soumis aux aléas de la nature.
36 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

200 400 km

Bilma
Iferouane

In Gall Agadès

Tonout
Filingue Konni, Zinder iGouré Nguigmi
■Maradi ■Lac Tchad
,Dosso
Soi [Katsena
iGaya •Kano

Fig. 2. — Carte des isohyètes, en millimètres.


'

Carte établie avec les chiffres de l'année 1960, fournis par le Service de l'Elevage
de la République du Niger.

c) La végétation.

Presque toutes les vallées sont à sec toute l'année, mais elles
sont pourvues d'une végétation arbustive relativement abondante,
riche et variée. Les bords en sont fréquemment cultivés. L'eau est
proche et facile à atteindre. L'on observe de véritables galeries
forestières (Gabi, Takude, Gidan Roumji). Le palmier doum a donné
son nom au Goulbi n'Kaba; cette plante est caractéristique du
Sahel, ainsi qu'une petite graminée aux graines piquantes, le
« cram-cram » (Cenchrus catharticus). Sur les plateaux, la brousse
devient épineuse, les acacias dominent. Mais on trouve de nom¬
breuses Combrétacées, le baobab, et, dans les sols profonds et
humides, le précieux palmier rônier (Borassus flabellifer). De
maigres cultures de mil sont possibles.
Dans le Sud, à la latitude de Maradi, la savane apparaît éclaircie.
Les grands arbres sont le baobab, quelques acacias, les tamariniers.
La savane arborée est souvent supplantée par la savane arbustive.
Les Graminées dominent avec les Légumineuses ; le tapis herbeux est
l'élevage dans la région de maradi 37

moins haut que plus au Sud et les forêts moins fournies que dans
le Nigeria du Nord. La province de Maradi est à proprement parler
fournie
le domaine
sur les
de coteaux
la savane-parc,
et surtout
trèsdans
rabougrie
les bas-fonds
sur les aux
plateaux,
abordsbien
des
mares. De plus, c'est le domaine des mils et des arachides.
Cet aperçu rapide de 1' « aspect » de la végétation pourrait paraî¬
tre somme toute assez favorable à l'élevage, mais ce serait oublier
la situation en latitude de la région, d'où découle l'existence d'une
saison sèche de plus de huit mois (fig. 5). Toute verdure disparaî¬
trait des paysages sans la présence de quelques arbres qui mettent
leurs feuilles en saison sèche, tel l'étonnant Faidherbia albida, le
gao des Haoussa, Yatheus des Touareg. La végétation herbacée
devient ligneuse, rapidement impropre à être consommée par le
bétail. La transhumance ou le déplacement des groupes tout entiers
devient une nécessité ; les pasteurs du Nord descendent vers le Sud,
dans la zone des sédentaires, là où les animaux peuvent encore
pâturer
en contact.
après les cultures et là où pasteurs et cultivateurs entrent

2. - Un élevage aux aspects multiples.


L'importance de l'élevage dans la circonscription de Maradi
place celle-ci à un bon rang dans l'ensemble de la République du
Niger. Le troupeau est surtout constitué de bovins, d'ovins et de
caprins.

a) Les effectifs du troupeau (Tableau I).

ANNEES 1954 1961 1962 ESTIMATIONS 1962

Bovins ............. 231 580 259350 283 000 370000


Ovins et Caprins . . . 639 000 732 620 741 700 1 100000
Ovins: 220000
Caprins: 880000
Anes ............... 26570 31089 30751
Chevaux ............ 8 400 14 516 13 307
Chameaux .......... 9130 10 817 11033

Tableau I. — Les effectifs du troupeau

Ces chiffres ne donnent évidemment que des ordres de grandeur,


recensements officiels ou estimations du Service de l'Elevage étant
approximatifs. Les chiffres donnés pour les bovins en 1962 semblent
meilleurs que ceux des années précédentes, une campagne d'éradi-
cation de la peste bovine ayant permis de dénombrer les animaux
avec plus de soin.
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- -, 250mm

200

degrés
34 _____ 150

32

30
-.100
28

26

24 _.50

22

20.

J F M A M J J A S 0 N D
2

Fig. 3. — Le climat de Maradi.


1. Courbe des températures. — 2. Courbe des précipitations.
>

(Moyennes mensuelles calculées sur la période 1939-1954)

La densité kilométrique du bétail est élevée. Selon des chiffres


donnés par le Service de l'Elevage pour l'année 1954, on évaluait
à 9 la densité kilométrique des bovins dans les secteurs de Maradi
et Tessaoua, à 6 dans le secteur de Dakoro; on comptait 7 ovins
par kilomètre carré à Maradi, 6 à Tessaoua et Dakoro ; les caprins
étaient plus nombreux: 29 à Maradi, 24 à Tessaoua et 8 à Dakoro.
Le rang de la région de Maradi par rapport aux autres régions
d'élevage du Niger est très honorable. Par l'importance de son
troupeau de bovins l'ensemble de la région Maradi-Tessaoua, pour
l'année 1957, se trouvait au troisième rang, après les troupeaux de
régions plus tributaires de l'élevage, comme celles de Tahoua et de
l'élevage dans la région de maradi 39

Gouré-Maïné, pour les ovins, après les troupeaux de Gouré-Maïné,


Zinder et Tahoua. Pour les caprins, la situation était encore meil¬
leure : en deuxième place après la région de Gouré-Maïné.

b) Les races et leurs aptitudes.


Les bovins sont classés en quatre « races » que distinguent bien
les habitants de la région de Maradi. Ces races sont toutes cepen¬
dant du genre zébu ( Bos indicus), dont l'habitat s'étend en Afrique
occidentale du 14e au 18e degré de latitude Nord. Les bororodji et
les yakanaye (ou katsinawa), représentant respectivement 60 % et
10% du total des bovins, sont les bêtes préférées des Peul; la
race bororodji est une race de grande allure, de couleur acajou uni,
et dont les cornes sont hautes et en forme de lyre. Une troisième
race, celle des bokolodji (5 %) est appréciée par les Peul à cause
de ses qualités laitières ; chaque vache produit, en moyenne, deux
litres de lait par jour pendant six mois de l'année, ce qui, en
Afrique tropicale, est fort respectable.
La race azawak, enfin, rassemble 25 % du troupeau bovin. Elle
est, semble-t-il, la plus intéressante. Les vaches azawak sont d'assez
bonnes laitières ; leur lait est riche en matières grasses (plus
de 50%). Cette race donne le meilleur rendement en viande: 45
à 48 % de son poids. L'azawak est calme, plus réceptive au dres>
sage
le bâtque
ou le
les trait.
autresC'est
races.
la monture
Elle est des
« spécialisée
femmes nomades.
» pour le L'azawak
portage,
se rencontre surtout dans les troupeaux des sédentaires haoussa
et chez les Bouzou. Elle est de couleur fort variable : blanche ou
noire, café au lait (isabelle) ou pie.
Les ovins n'ont pas le même aspect que ceux d'Europe. Les
moutons Oudah ( Uda'en ) sont hauts sur pattes, à poils et à queue
longue; leur couleur est assez remarquable, puisqu'ils sont bico¬
lores : leur arrière-train est entièrement blanc, le reste étant noir
ou brun. C'est le mouton du Sahel. On trouve aussi des métis,
d'un poids moyen inférieur, et à la robe toute blanche. Les ovins
sont élevés surtout par les Bouzou et par certains Peul. Ils pro¬
duisent du lait. Cependant chaque sédentaire a à cœur d'élever un
ou deux « moutons de case » qu'il sacrifiera au moment de la
« Tabaski », la fête musulmane du mouton.
Les caprins constituent un facteur d'originalité dans l'élevage
de la région de Maradi. Deux races sont en présence : la race
nomade et la chèvre sédentaire, dite « chèvre rousse de Maradi ».
La chèvre nomade est élevée par les Peul et par les Bouzou. Elle
a une robe blanche, avec l'œil cerclé de noir. C'est la chèvre du
Sahel. Ses aptitudes sont très proches de celles du mouton Oudah.
La chèvre rousse de Maradi a, quant à elle, une individualité très
marquée. C'est une petite chèvre, très mobile. Sa robe est rousse,
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1095

1000
935
900
800
700
600-1
500
400
L366
300 .327
200 215
1945 1950 1955 I960 1962

Fig. 4. — Variations des précipitations annuelles en millimètres.


1. Station de Maradi (1945-1962). — 2. Station de Tessaoua (1945-1955, 1957-1962). —
3. Station de Dakoro (1948-1962). Pour les trois stations, on a noté les années record
des précipitations annuelles maximales et minimales.

à poils courts, serrés, à reflets acajou, souvent avec une raie noire
sur le dos.
Elle est la propriété des sédentaires ; elle n'est pas destinée aux
longs déplacements saisonniers ; elle cherche sa pâture aux abords
des villages. Son berceau original est la région comprise entre
Maradi, Kano et Sokoto en Nigeria. Il semble qu'elle ait trouvé là
son « climax » pour se développer. Son implantation n'a pas pu
s'étendre beaucoup en dehors de cette zone, malgré des efforts
tentés par les services de l'Elevage du Niger (fig. 6). La chèvre
rousse de Maradi est un véritable « pactole » animal. Race bien
exploitée, avec un degré de sélection satisfaisant, sa productivité est
élevée à tous les points de vue. Elle met bas deux fois l'an. Ces
naissances gémellaires sont fréquentes et même les portées de trois
ou quatre chevreaux ne sont pas rares. Elle produit environ 0,5 litre
de lait par jour pendant six mois. Elle est intéressante encore pour
la boucherie. Sa viande est de bonne qualité; le rendement en est
de 44 à 55 % de son poids vif.
Enfin, ce qui n'est pas une des moindres de ses caractéristiques,
la chèvre rousse possède une peau souple, fine, à grain très fin.
Cette peau trouve des utilisations dans la ganterie, la maroquinerie
et la confection des chaussures de luxe. La peau de la chèvre rousse
l'élevage dans la région de maradi 41

est cotée à la Bourse de New York sous le nom de « peau de


Sokoto ». Il va sans dire que la chèvre rousse est le caprin d'avenir
du Niger.
D'autres types d'élevage sont encore pratiqués, à une échelle
bien moindre; on peut les qualifier d'élevages de transport. Les
chevaux sont plus nombreux en zone sédentaire. La possession d'un
cheval est le rêve de tout homme adulte; elle donne le prestige
àsocial.
des courses
De plus
de les
chevaux.
populations de cette contrée aiment participer

Les ânes, de la race du Sahel, commune à toute l'Afrique tropi¬


cale, sous ces mêmes latitudes, sont assez nombreux. Ils sont de
petite taille, à la robe gris roux ou brune. Ces ânes sont endurants
et sobres. On doit compter un âne pour deux ou trois familles
sédentaires (Pl. VIII, A). Par contre, plus au Nord, ils sont rem¬
placés par des « chameaux », en fait dromadaires, de taille moyen¬
ne ; leur robe est le plus souvent marron, tachée de blanc. Ils appar¬
tiennent dans
surtout aux le
Touareg,
secteur aux
de Dakoro.
Bouzou La
et vallée
aussi du
auxGoulbi
Peul. de
Ils Maradi
vivent
par exemple, semble trop humide pour qu'on puisse les y laisser
longtemps. Ils ne font que passer. Le chameau est le camion de
ceux qui l'emploient (Pl. VII B).

3. - Les facteurs humains.

a) L'importance et les densités de population.


D'après les recensements officiels pour l'année de 1960, la popu¬
lation de la région était d'environ 465 000 habitants, ce qui repré¬
sentait par rapport à la population du Niger (2 875 000 habitants)
un pourcentage de 16,8 % sur 3,3 % du territoire. Pour l'ensemble
du territoire de la République du Niger, la densité générale est
de 2,4 habitants par kilomètre carré. Dans la circonscription d'Ele¬
vage de Maradi, les densités de population au kilomètre carré
varient de la manière suivante : 14,5 pour Maradi, 4,8 pour Dakoro
et 17,9 pour Tessaoua. Mais ces chiffres ne sauraient suffire à tra¬
duire la réalité. Par exemple, en certaines régions du Cercle de
Maradi, on trouve des densités beaucoup plus élevées. Le long de
la vallée du Goulbi de Maradi, entre la ville de Maradi et le gros
village de Madarounfa, la densité moyenne doit être de 80 habitants
au kilomètre carré ; elle atteint plus de 100 au kilomètre carré pour
Tarna, Soumarana et Aderaoua. Par contre, en arrière de la vallée
du Goulbi de Maradi, des secteurs entiers sont presque vides
d'hommes. Dans le cercle de Tessaoua-Mayahi, la population est
répartie plus uniformément. Dans le cercle de Dakoro, le moins
peuplé, la densité de population demeure encore le double de celle
de la République du Niger.
42 LES CAHIERS d'0UTRE-MER
280 mm

240

__200
O
40 __160

30. 120

20. 80

10 ___
40

0 0
J FMAMJJASOND

— 3

Fig. 5. — Les températures et les pluies à Maradi et la durée de la période végétative


des plantes. — 1. Courbe des pluies. — 2. Courbe des températures. — 3. Durée
théorique de la période végétative des plantes.

La région ne possède qu'une ville importante, Maradi, qui


groupe un peu moins de 15 000 habitants. Les autres gros centres
sont aussi dans la zone des agriculteurs sédentaires : Tessaoua,
habitants.
Safo-Cikaji et Tibiri, capitale du Gober, qui tous dépassent 5 000

b) Les caractéristiques de ces populations.

La population se distribue en quatre ethnies principales : les


Haoussa, les Peul, les Bouzou et les Touareg. Les sédentaires
haoussa sont, de loin, le groupe le plus important. Parmi eux, il y
a lieu de distinguer plusieurs sous-groupes : les gens de Katsena
(ou Katsenawa), les gens du Gober (ou Goberawa) et les Asna.
Les Asna sont les premiers occupants, les maîtres de la terre dans
la société traditionnelle. Au XIVe siècle, les petites chefferies ani¬
mistes traditionnelles se constituent en sept Etats haoussa (les
Hausa Bakwai ) parmi lesquels on comptait le Katsena et le Gober.
Tels qu'ils sont maintenant dans la région de Maradi, les gens de
Katsena sont des émigrés venus du Sud, chassés de la région de
la ville de Katsena en Nigeria, par le Jihad peul (guerre sainte
du siècle dernier). Les gens du Gober, quant à eux, sont venus durant
l'élevage dans la région de maradi 43

les siècles passés des montagnes de l'Aïr. Ils étaient en relation avec
les sultans
au début dude xixe
Stambul.
siècle.Ils occupaient
Le Haoussajusqu'à
est unla cultivateur
région de Sokoto
et un
commerçant réputé. Il est intelligent, actif, rusé et ergoteur.
Les Peut sont des éleveurs. Les Haoussa les appellent les
Fulani. Pour une part, ils sont venus du Sud, de Nigeria. Partis
de Sokoto, sous la conduite de Osman Dan Fodio après 1800, les
Peul ont lancé la guerre sainte contre les « mauvais musulmans »
du Gober. Les régions de Maradi et de Tessaoua ont alors servi de
zone de refuge aux dynasties haoussa dépossédées. Mais par la
suite, pacifiquement, des Peul Farfaru ont suivi ces dernières et se
sont répandus dans les espaces de « brousse » laissés libres par
les cultures jusqu'à Dakoro. A demi-sédentarisés parfois, ils pro¬
duisent eux-mêmes leur nourriture; mais l'élevage des bovins
demeure leur occupation essentielle.
Mais s'ajoutent aux Fulani, des Peul d'origine différente, puis¬
qu'ils viennent de l'Est, du Nord-Cameroun semble-t-il. Ils sont
établis au Nord de Dakoro surtout. Ce sont de purs éleveurs
nomades, pour la plupart encore « païens ». Ils ont été peu touchés
parbrousse
la la colonisation.
». On les appelle les Bororo, les « hommes de

Les autres éleveurs sont les Bouzou et les Touareg. Ils sont
surtout répandus dans la zone de genre de vie nomade, autour de
Dakoro.

Les Touareg se déplacent entre l'Aïr et l'Ader. Les Bouzou se


sont installés entre Dakoro et Kornaka. Les Touareg, issus des
groupements des Kel Gress et des Kel Ferouane, vont et viennent
entre Agadès et Tahoua. Ce sont essentiellement des éleveurs de
chameaux. Les Touareg sont indépendants, fiers, autoritaires : ils
s'estiment supérieurs à toute autre population. Ce sont des aristo¬
crates, rebelles au travail, ce qui a facilité l'émancipation des
Bouzou. Mais ces derniers ont gardé quelque chose du genre de vie
des Touareg, ne serait-ce que dans leur vêtement et dans l'utilisa¬
tion qu'ils font du chameau.
Les Bouzou sont en effet le résultat d'un croisement entre
Touareg et esclaves touareg. Ils sont appelés Bella dans l'Ouest du
Niger et au Mali. Ils se déplacent entre Maradi et Tegama. Eleveurs
de bovins ou bergers, ils ne répugnent pas à entretenir quelques
champs de mil, à la limite des cultures. Certains Bouzou se sont
même installés en pleine zone de vie sédentaire à l'Est de Tessaoua
et font des cultures d'arachides (4).

Mer, t.(4)XV,Nicolas
1962, n°(Guy).
58, pp.Un138-165.
village bouzou du Niger. Etude d'un terroir. Les Cahiers d'Outre-
44 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

Tahoua

,
Dakoro ibon Kafi
.Filingué
(Birni
Kornaka Ourofan,

,
Birni rfkonni Tessaoua .Zinder'
Dogondoutchi [Tibiri
MARADI .Matameye
Madarounfa
Dosso .SOKOTO ,Magaria
Jibya
'Birnin Argungu Kaura Namoda
Kebbi,
,Jega
KAN<
Gaya
Funtua"
Zaria

Fig. 6. — L'aire de dispersion de la chèvre rousse de Maradi dans le pays haoussa.


1. Limite de dispersion. — 2. Zones des essais d'implantation effectués par le Service
de l'Elevage. — 3. Voies ferrées. — 4. Routes goudronnées. — 5. Pistes permanentes.
— 6. Fleuve. — 7. Frontières entre les Etats. D'après M. Robinet, vétérinaire à
1
Maradi (1954-1955).

II. - Les différents élevages et les modes de vie qui s'y rattachent

Des purs nomades aux sédentaires, tous les modes de vie sont
conditionnés par l'existence de ce bétail qui, nous le savons, est
nombreux. La zone de vie nomade est limitée au Sud par une
« ligne de démarcation », tracée par l'Administration du Niger. Il
s'agissait de séparer nettement, par une frontière administrative,
le domaine des cultures et celui des parcours du bétail pendant
l'hivernage. Cette ligne passe au Nord de Dakoro (fig. 1).
La zone de vie nomade (l'on dit couramment la nomade, au
Niger), a été grignotée à plusieurs reprises par le Sud, au profit
des sédentaires poussés par le désir d'avoir davantage de terres
pour leurs cultures de mil. Le fait a toujours été entériné, jusqu'à
présent, par l'Administration. La limite des cultures joue le rôle
d'un front pionnier dans une région où l'essor démographique
s'accompagne d'une extension de l'agriculture. De plus, la présence
saisonnière des éleveurs transhumants (en saison sèche), et la pré¬
sence permanente des éleveurs sédentaires, en pleine zone agricole,
multiplient les occasions de friction avec les cultivateurs. Nous le
montrerons par quelques exemples.
l'élevage dans la région de maradi 45

1 .-La zone d'élevage nomade.


Des pasteurs de bovins y côtoient des groupes pratiquant une
double transhumance, celle des bovins d'une part, celle des ovins
d'autre part.
a) Les Bororo et les Peul éleveurs de bovins.
Les Bororo résident uniquement à cette latitude (5). Ils sont
groupés administrativement en fractions. Chaque fraction corres¬
pond à un segment du lignage primaire. Elle est dirigée par un
ardo , « conducteur » de son petit groupe, aussi bien dans ses migra¬
tions que ses transhumances d'hivernage. Les Bororo sont venus,
il y a quelques dizaines d'années, de l'Est. Ils mènent une vie
dénuée du plus simple confort: un paravent d'épineux leur sert
d'abri ; il est abandonné lorsqu'ils décampent.
La vie du nomade dépend très étroitement des conditions
naturelles de son environnement. L'alternance , et l'opposition des
deux saisons modifient non seulement l'organisation résidentielle,
la vie sociale, mais aussi l'alimentation (fig. 7).
Au début de la saison des pluies, le chef de fraction, en accord
avec tous les chefs de campements, décide de l'itinéraire à suivre
et de l'endroit où se fera le rassemblement pour fêter les mariages,
en plein hivernage. Les Bororo installent leurs abris en une seule
ligne sur le terrain. Puis ils redescendent par petits groupes des
vallées du Nord pour se disperser près de leurs points d'eau de
saison sèche, lorsque les dernières mares sont taries.
La saison sèche est la période des travaux pastoraux fatigants,
surtout à cause de l'abreuvement. Durant cette période, les Bororo
se nourrissent seulement de lait caillé et d'une faible quantité de
mil. En hivernage, la situation est différente. Les occupations sont
beaucoup moins pénibles et la nourriture est plus abondante et
plus variée : lait frais, beurre et viande. Tout comme la résidence,
la consommation prend un aspect collectif, la viande des nombreux
animaux égorgés au worso (rassemblement pour l'hivernage), le lait
apporté par les femmes du groupe, étant partagés entre tous les
assistants.

La commercialisation, elle aussi, est étroitement liée au rythme


saisonnier. A la fréquentation des marchés en saison sèche s'oppose
leur abandon presque total en saison des pluies, qui est la période
des grands rassemblements. En saison sèche et froide, les Bororo
aiment se rendre chaque semaine au marché, non pas nécessaire¬
ment dans un but commercial, mais pour s'y rencontrer avec des
amis ou des parents, échanger des nouvelles. Ils y vendent leurs
bovins à la période de l'impôt, en pleine saison sèche, alors que
nigérien.
(5) Travaux
Dupire (Marguerite).
et Mémoires dePeuls
l'Institut
nomades.
d'Ethnologie,
Etude Paris,
descriptive
1962. des Wodaabe du Sahel
46 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

Saison sèche

Pâturages Petits
// \\ pauvres
rares et déplacements / x.
fréquents /

///v
/ Abreuvement
pénible
puits
puisards
aux
et \ \\\ /économique
'e \\
//développée s'

/ Alimentation \ / /vie sociale \


/ pauvre : mil, peu de \ / /'peu importante \
1

\ Grands rassemblements s' / \ Hmentation riche: 1


\ cérémonies / \ v/ande, beaucoup de /
\ lait

\\économiques
transactions
\°eu de /déplacements
// Grands
/ Pâturages
riches\Abreuvement
\ \aux
\facile
mares / /7

n. / de et \ /
transhumance abondants

Hivernage
Fig. Marguerite
:VT'C 7. — L'opposition
Dupire. des
Les deux
facteurs
grandes
humains
saisons
de l'économie
chez les Bororo
pastorale,
nomades
ouvrage
(d'après
cité).
i

le bétail est maigre et les prix bas ; ou encore avant de partir en


transhumance, en juin-juillet, pour acheter des vêtements, du sel,
un peu de mil. Au marché, les femmes vendent le lait caillé, le
beurre. Elles l'échangent plus fréquemment contre du mil soit dans
les villages haoussa soit dans les campements bouzou. L'échange
l'élevage dans la région de maradi 47

lait-mil est en effet la base traditionnelle de l'économie des pasteurs


peul et bororo.
En hivernage, les Bororo ont quitté la zone des marchés. Il leur
est cependant facile de pratiquer le troc, même du bétail, avec les
nombreux commerçants itinérants pour obtenir ce dont ils man¬
quent.
le beurre
La dans
grande
desproduction
calebasses de
oùlait
il rancit
permetet àelle
la femme
l'écouléd'accumuler
au marché
en redescendant de transhumance.
Ce genre de vie n'intéresse qu'un groupe humain assez restreint.
Le cercle de Dakoro ne comprend que treize fractions de Bororo
nomades, auxquelles il faut ajouter vingt-deux fractions peul
(Jaobe, Wewebe ou Keketawa, Maîjinko' en, Katsinawa) qui ne cul¬
tivent pas. Au total, cela constitue un groupe de 3 060 personnes
venant d'un peu partout: Maradi, Tessaoua, Nigeria. Ces pasteurs
vivent en saison sèche dans les différentes vallées du Nord : Eliki,
Adua, Orofa, Jadel, Afagag. En hivernage, ils quittent généralement
le cercle pour se rendre dans la vallée du Tadiss de Tahoua (Bagam,
Tamaya ou El Mahouta) jusqu'à Marendet et In Gall ou encore
au Nord-Est, dans la vallée d'Orofa et de Gadambo par laquelle
ils pénètrent dans le cercle d'Agadès (fig. 8).
La zone de vie nomade, au Nord de Dakoro, est une région en
évolution, qui s'ouvre au grand nomadisme pastoral, où ne se
posent, dans l'immédiat, ni problème d'eau, ni problème de contacts
de populations, dont les « marchés » nomades se développent,
concurrençant ceux du Sud et attirant de nombreux éleveurs venant
des cercles voisins. D'autre part, il faut insister sur un fait assez
remarquable. Les Peul de ce cercle, renonçant à la paillote, ont
délibérément choisi la vie nomade, car ils voient leur cheptel aug¬
menter. Comme dans d'autres régions vouées au nomadisme pas¬
toral, on assiste ici à une certaine « renomadisation » : c'est ainsi
que les Katsinawa, aujourd'hui pasteurs, étaient des Peul agri¬
culteurs de la région du Sud de Madarounfa et de Nigeria.

b) Les Peul moutonniers.


A côté de ces Peul éleveurs de bovins, quelques autres groupes
peul s'adonnent aussi à l'élevage du mouton à race bicolore. Ce
sont les Uda'en. Au Nigeria, on les rencontre dans les provinces de
Sokoto ou de Kano, où ils sont semi-sédentaires moutonniers. Ils
ont repris la vie nomade en passant au Niger, où ils élèvent vaches
et moutons, ne faisant que très peu de cultures. Les bergers de
moutons transhument avec leurs parents du Nigeria et se retrou¬
vent vers Kano et Gusau. Ceux qui sont restés en Nigeria envoient
leurs troupeaux vers Marendet. Les Peul exclusivement mouton¬
niers sont extrêmement rares dans la région de Macadi. La plupart
des éleveurs possèdent à la fois un cheptel ovin et un cheptel
Teguido n'Tessoum

Marendet
Tiguidit

Âderbissinat
[Adarnatsson
.Affalindet"
V. Chadawanka
Tahoua
\/aee' \ -0 t- Tanout
.Korahane Tarka DAMERGOU
Dakoro"
\ 0Bongc

K O RN a'1< A Moktar

/ os4?
Birni rfKonni GO Tessaàùaoa
\Sabon Birni liïibiri
MARADI Gan'gara.
Madarounfo

Katsena

Fig. 8. — Les mouvements pastoraux dans le Niger Central (carte établie d'après
M. Dupire, in Peuls nomades et complétée par l'auteur pour les autres ethnies).
A. • Terres de parcours en saison sèche. 1. Bouzou et Touareg. — 2. Peul et Bororo.
B. - Parcours d'hivernage. I. Les aires de nomadisme. — 3. Peul et Bororo. —
4. Bouzou et Touareg.
II. Les déplacements de transhumance, a) vers les terres salées et les oasis. — 5.
Peul et Bororo. — 6. Bouzou et Touareg, b) à partir de points fixes. — 7. Mares.
1

— 8. Vallées, c) et pratiqués par des cultivateurs éleveurs. — 9. Transhumance des


cultivateurs arachidiers.
'

C. - Légende complémentaire. 10. Limite septentrionale des pâturages. — 11. Limite


Nord des cultures-(limite légale). — 12. Vallées sèches. — 13. Terres salées. — 14.
Falaise gréseuse de Tiguidit. ——15.16.Limite
Limites
de lad'Etats.
circonscription d'Elevage de Maradi.
>
1
Les Cahiers d'Outre-Mer Tome XVIII, Pl. V

B. - L'habitat d'un ménage bouzou.


Clichés G. Mainet.
Les Cahiers d'Outre-Mer Tome XVIII, Pl. Vi

B. - Sur le marché de Maradi. A l'arrière-plan, moutons et chèvres du Sahel; au


premier plan, chèvres rousses de Maradi. Clichés G. Mainet.
l'élevage dans la région de maradi 49

bovin, égal ou supérieur en nombre. Comme ces deux troupeaux


suivent des cycles de déplacements différents, il en résulte une
nécessaire division du travail dans les familles ; celles qui ajoutent
l'agriculture à l'élevage des ovins et des bovins, organisent leur
travail en fonction de cette triple activité.
Les Uda'en quittèrent le Nigeria parce que leurs bovins avaient
été décimés. Ils choisirent d'émigrer pour se reconstituer un cheptel
et de pratiquer l'élevage des ovins, dont la commercialisation est
plus aisée. Depuis leur émigration, ces Uda'en ont peu à peu accru
leurs troupeaux de bovins, ce qui était leur objectif final.
L'économie actuelle de ces groupes Uda'en repose, en général,
sur trois éléments : ovins, bovins et agriculture. Ils cultivent tempo¬
rairement des petits champs situés en pleine zone de vie nomade,
autour des puits, où ils abreuvent leurs troupeaux durant toute la
saison sèche. Les sources de revenus de ces moutonniers sont plus
nombreuses que celles des Bororo. Les hommes vendent leurs
ovins plus facilement que leurs bovins et profitent des avantages
des marchés situés sur les deux territoires du Nigeria et du Niger.
Les femmes ont conservé l'habitude de filer le coton et de fabriquer
des fromages de chèvres, les hommes celle de traire les vaches.
L'élevage des moutons a permis à ces groupes d'immigrants de
reconstituer leurs troupeaux de bœufs. Si les ovins ne constituent
plus leur moyen essentiel de subsistance, ils ne sont pas seulement,
comme chez les Bororo, une réserve secondaire, mais une source
réelle de revenus permettant à tout moment de rééquilibrer la
composition du troupeau de bovins ou de combler les déficits
du budget. L'économie de ces moutonniers diffère donc de celle
des pasteurs de bovins. Elle semble avoir profité de conditions
plus favorables et d'une organisation du travail plus systématique.
Il faut signaler, d'ailleurs, que certaines familles nomades ou semi-
nomades des autres groupements, sous l'influence des Uda'en,
se sont mises à pratiquer l'élevage du mouton. C'est un exemple
instructif d'adaptation économique intelligente, bien orientée (Pl.
III. B).

c) La sédentarisation des Touareg et des Bouzou.


La sédentarisation des populations touareg et bouzou, avec
ses conséquences économiques et sociales, semble un des aspects
les plus marquants de leur évolution,
Certains Bouzou restent des nomades et abreuvent leurs trou¬
peaux en saison sèche, aux puits profonds du Nord du cercle de
Dakoro. Ils ne cultivent pas et achètent leur mil. En hivernage, ils
conduisent vers In Gall leurs troupeaux de chamelles, de moutons
et de bovins, ces derniers étant peu nombreux. D'autres Bouzou,
vivant sous la tente, cultivent de petits champs. Ils complètent

LES CAHIERS D'OUTRE-MER 4


50 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

leur récolte en se procurant du mil par des moyens très divers :


rémunération du pilage par les femmes dans les villages, de la
fumure des troupeaux sur les champs. Même les itinérants se
passent rarement de cultiver, vu la modicité de leurs troupeaux
et leurs besoins en céréales plus importants que ceux des Bororo.
Cependant la catégorie des sédentarisés, vivant dans de petits
villages, semble, au total, la mieux représentée. Ils vivent dans des
villages de tentes ou bien, pendant la saison sèche, dans des
paillotes très rustiques en paille de mil, et, en hivernage, dans des
cases en paille, fermées (Pl. V, A et B).
Traditionnellement, les Bouzou se meuvent très facilement d'une
région à l'autre. Les bergers emmènent les troupeaux à la cure
salée de Teguidda n'Tessoum. Ils partent souvent sans la compagnie
de leurs épouses. Ils laissent les cultivateurs protéger leurs champs,
parfois fort étendus, contre les sauterelles. Certains nomades peu¬
vent avoir un pied à terre dans un village bouzou : propriétaires de
troupeaux assez importants (une trentaine de bovins), ils se dépla¬
cent beaucoup. Les Bouzou élèvent surtout des chèvres et des
moutons pour la vente du lait, du fromage, de la viande. Une
grosse partie des bovins que l'on aperçoit dans leurs troupeaux
leur a été confiée en gardiennage par des Haoussa. Malgré cela,
ils cultivent la terre durant la courte période de présence dans les
villages. Les plus aisés arrivent même à vendre du mil.
C'est autour des puits profonds et des forages où Touareg et
Bouzou se rassemblent qu'apparaissent le plus clairement les effets
de la sédentarisation. A quelques kilomètres seulement du forage,
ils forment un véritable village de tentes et de paillotes où se
mêlent nobles, anciens serfs, artisans du fer et du cuir. Les trou¬
peaux parcourent des pâturages à quelques kilomètres, surtout
vers le Nord. Le forage leur offre de l'eau sans effort; près de lui
est né un petit centre commercial. La plupart de ces pasteurs
maintiennent les traditions en pratiquant la cure salée d'hivernage
à Teguidda n'Tessoum (Fig. 8). La sédentarisation de ces groupes
est déjà assez avancée et la transhumance d'hivernage ressemble
plus, chez beaucoup, à un « pèlerinage aux sources » qu'à une
obligation professionnelle (6). La répartition du cheptel à l'inté¬
rieur de la société est beaucoup plus inégale que chez les Peul.
A côté de quelques grands chefs, propriétaires de très importants
troupeaux de chameaux qu'ils utilisent pour le transport du sel,
la vente d'animaux de selle ou de bât, existent des talaka, ou rotu¬
riers, qui en sont à peu près dépourvus. Les troupeaux des Bouzou
sont essentiellement formés de petit cheptel. Les ressources de ces
éleveurs sont plus diverses que celles des Peul, ce qui n'implique

Paris,(6)
Etudes
Dupire
nigériennes,
(Marguerite).
n° 6, 1963,
Les facteurs
55 p. humains de l'économie pastorale. I.F.A.N.-C.N.R.S.,
l'élevage dans la région de maradi 51

pas d'ailleurs que leur revenu moyen soit supérieur. Les nobles
touareg tirent leurs ressources de la culture, de l'élevage camelin,
du transport et du commerce, les Bouzou de la culture, de l'élevage
du petit cheptel, du petit commerce (kola, tabac), de l'artisanat
et de divers travaux manuels (creusement des céanes pour les Peul,
pilage chez les sédentaires). Leurs habitudes alimentaires ne diffè¬
rent que peu de celles des sédentaires. Ils ne peuvent se passer de
mil, même pendant la cure salée; pour s'en procurer ils usent des
techniques les plus diverses, allant même jusqu'à vendre des
génisses, action sacrilège aux yeux des Bororo. Sur les marchés,
où ils vendent du bétail par l'intermédiaire de leurs dillalai (cour¬
tiers), on constate que leur comportement économique se distingue
de celui des Peul. Ils n'hésitent pas à se dessaisir d'un bœuf gras,
d'une génisse ou d'une vache avec son veau pour se procurer du
mil. Ils ont la réputation de faire monter les prix du mil sur les
marchés nomades qu'ils fréquentent en grand nombre.
Leur descente vers le Sud s'accentue, ce qui n'empêche pas
les Touareg de défendre énergiquement leurs droits de propriété
sur les ressources en eau et en pâturages de la zone de vie nomade.
Tandis qu'ils s'installent en zone de vie sédentaire, sur des puits
« administratifs », les chefs font creuser « chez eux », en zone de
vie nomade, des puits qu'ils vendent aux Bororo avec droits d'usage
sur les pâturages attenants. Les conflits fonciers, vifs, qui opposent
les Touareg sédentaires aux Peul occupant « leur » zone de vie
nomade,
de l'effondrement
se doublent
de la
d'une
structure
prise de
féodale
conscience,
de leur chez
société
les et
premiers,
de leur
pouvoir sur les serfs libérés.

2. - La zone de vie sédentaire, dans le cercle de Maradi.


Malgré la densité de sa population et le rôle important de l'agri¬
culture, la zone de vie sédentaire est aussi une région d'élevage.
Pendant la saison des pluies, une forte proportion du troupeau
transhume vers le Nord; en saison sèche, les espaces non cultivés
et les champs récoltés redeviennent des pâturages pour les animaux
revenus vers le Sud. Mais il est aussi une partie du cheptel qui
demeure sur les lieux toute l'année, et notamment en pleine saison
des pluies. Ainsi, dans la zone de vie sédentaire, se juxtaposent
deux
taire. formes de l'élevage: l'élevage transhumant, l'élevage séden¬

a) L'élevage transhumant.
Il concerne principalement les bovins, les ovins et les chameaux.
Il estnomades.
Peul traditionnellement monopolisé par les Bouzou et par les
52 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

Dans le Maradi, les Peul sédentaires sont plus nombreux que


les nomades, la région étant propice aux cultures. A partir de l'artère
principale que constitue la vallée du Goulbi de Maradi, terrain de
parcours de saison sèche, le mouvement de transhumance des Peul
nomades, éleveurs de bovins, est dirigé, comme nous l'avons vu,
vers les vallées du Nord-Est. Les semi-nomades du Nigeria, qui
vivent en saison sèche entre Roume et Sabon Birni, accomplissent
cette transhumance en plusieurs étapes. Ils passent les mois de
mai à juillet sur le territoire de la région, puis de là s'acheminent
dans les vallées de Tarka, d'Egade (octobre-novembre) et rentrent
par le Gober et le Maradi. L'itinéraire des Wodaabe (Bororo) noma¬
des est très similaire : du Goulbi de Maradi en saison sèche, où ils
séjournent entre les villages de Hinkafe, Zurmi, Sabon Birni, ils
se rendent à la saison des pluies dans les deux vallées de Tarka
et d'Egade, d'où ils redescendent en décembre ou janvier. Les Peul
sédentaires sont installés près de Madarounfa. Nous les étudierons
avec l'élevage sédentaire.
Le second groupe de transhumants est celui des Bouzou. Ces
groupements bouzou dépendent administrativement du cercle de
Dakoro. Ils descendent vers le Sud pendant la saison sèche et
fraîche. Ils commencent à apparaître aux alentours de Maradi vers
les mois de novembre et de décembre, alors que les mares se
tarissent au Nord et que les champs riverains du Goulbi de Maradi
sont débarrassés des cultures. Des haies vives ou mortes d'épineux
protègent les cultures de décrue ou irriguées (coton, henné, manioc,
cultures maraîchères ou arbres fruitiers) qui poussent à proximité
du centre urbain de Maradi. Les Bouzou arrivent groupes après
groupes.
restés vers
Toute
Dakoro
la famille
ou Kornaka
n'est ou
pasmême
là. Les
vers
vieux,
Madaoua
en général,
ou Tanout.
sont
Ils transportent peu de choses avec eux. Les femmes des plus
riches montent sur des bœufs porteurs. Certains, uniquement éle¬
veurs de moutons, ne disposent que d'un ou deux ânes pour trans¬
porter leurs bagages. Les plus aisés possèdent des chameaux.
Les Bouzou s'installent en général à proximité du Goulbi de
Maradi. Ils montent leurs tentes en nattes tressées, les « cases
tortues », ou bien aménagent des constructions, de forme paral-
lélépipédique, en tiges de mil. C'est à environ un ou deux kilo¬
mètres du lit mineur de la rivière, qu'ils ordonnent leurs habitations,
d'une façon assez curieuse dans la mesure où tous le font: ils
s'installent
rale du cours
tous
du sur
Goulbi.
une même
De cette
ligne,
manière
parallèle
les Bouzou
à la direction
se trouvent
géné¬
être en plein milieu des parties des terroirs villageois qui ont été
recouverts durant l'hivernage par les mils-sorghos et par les ara¬
chides. Leur bétail récupère ainsi pour sa nourriture les tiges de
céréales et les fanes d'arachides laissées sur le terrain, après les
l'élevage dans la région de maradi 53

récoltes. Leur disposition en ligne doit procéder de la volonté


d'occuper une situation intermédiaire pour faire circuler les bêtes
sans gêne depuis la fadama, là où subsistent des trous d'eau résul¬
tant des pluies de l'hivernage, ou aménagés dans le lit mineur du
Goulbi en creusant dans le sable, jusqu'aux pâturages éventuels du
plateau (7). Enfin, de manière systématique, ces demeures tour¬
nent le dos à l'Est, direction d'où vient le vent qui rend frileux au
petit jour (PL V, A).
Les Bouzou que nous avons pu fréquenter aux abords de Maradi
sont surtout des éleveurs de petit bétail: moutons et chèvres du
Sahel. Quelques grandes familles possèdent en plus des chameaux.
La possession de chameaux leur permet d'effectuer des transports
pour les sédentaires haoussa. Ils mènent au marché le mil et les
arachides récoltées pour la traite par les cultivateurs. Certains
assument des liaisons commerciales entre Maradi et le Nigeria.
Ils rapportent en quantité les poteries dorées de Jibya, très recher¬
chées. Certains s'activent à mettre en condition leurs chameaux,
s'apprêtant à partir pour l 'azalài, le lointain voyage pour Bilma,
d'où ils rapportent des pains de natron nécessaires au bétail, débités
par la suite sur tous les marchés (Pl. VII, B).
ventLes
il existe
Bouzou dess'installent
manières d'alliance
sur les champs
entre certaines
des cultivateurs.
familles. Cha¬
Sou¬
que année l'on revient sur les mêmes champs du même proprié¬
taire, pour les fumer. En échange, le Bouzou reçoit en général une
gerbe de mil par semaine. Mais tout n'est pas ainsi normalisé. Très
souvent, le Bouzou passe une grande partie de son temps en dépla¬
cements pour trouver un agriculteur qui donne régulièrement une
part de mil contre la fumure de ses champs. Lorsque la quantité
de mil fournie par le sédentaire devient insuffisante (ou est jugée
telle par lui) ou cesse d'être donnée, le berger bouzou s'en va
plus loin.
La remontée vers le Nord commence vers les mois d'avril ou
de mai. Il s'agit de se retrouver au campement de base, vers
Dakoro ou Kornaka, au moment des travaux des champs, juste
avant les premières pluies de mai ou juin. Car de façon courante
ces nomades sont capables d'assurer au moins une partie de leur
nourriture en mil. Alors que les chefs de famille et les femmes
restent au village bouzou pour entretenir les champs, les jeunes
partent dans le Nord avec le cheptel, pour la grande transhumance
d'hivernage (Fig. 8).
Tous ces mouvements font de la campagne autour de Maradi,
pendant la saison sèche, une région animée. Quelquefois, une suite

occupant
lisé etde(7)d'arachide,
mil l'Est
les
La fonds
fadama,
nigérien.
estdel'autre
mot
vallée
Le plateau
haoussa,
constituant
ou lesdunaire,
cuvettes
désigne
du terroir
oudu
les
jigawa,
réseau
haoussa.
sols aux
lourds,
hydrographique
sols argilo-sableux
légers, portant
en grande
et leshydromorphes
partie
culturesfossi¬
de
54 LES CAHIERS d'OUTRE-MER

plus importante de gens s'agite autour des campements bouzou.


C'est un chef de fraction à la recherche des personnes de son groupe
pour percevoir l'impôt : c'est en effet en cette période de l'année,
moment des grandes transactions entre éleveurs et cultivateurs, que
les Bouzou possèdent le plus d'argent (8).

b) L'élevage sédentaire.
L'élevage local ne se limite pas à celui des groupements noma¬
des, les agriculteurs sédentaires étant aussi des éleveurs : ils pos¬
sèdent un cheptel important dont ils s'occupent eux-mêmes en
permanence. Les animaux ne transhument généralement pas, hormis
les bovins, et ils sont élevés à proximité des villages, voire à l'inté¬
rieur des « enclos ». Depuis la pacification de la région, les culti¬
vateurs n'ayant plus à redouter les rezzou des pilleurs nomades, à
s'enfermer entre les murs de leurs villages fortifiés, à subir la
rapacité des anciens chefs, se sont aventurés en zone de brousse
où ils disposent d'espaces plus étendus : ce sont les garin gona, ou
« villages de cultures ». L'élévation parallèle de leur niveau de vie
leur a permis d'accroître leur cheptel et surtout d'accéder à la
possession d'un coûteux capital bovin, et à celle, prestigieuse, d'un
cheval (Pl. VIII B). En outre, les grandes épidémies qui décimaient
périodiquement le bétail sont en régression, grâce aux activités du
Service de l'Elevage. De plus, la conversion à l'Islam de nombreux
paysans a sans doute favorisé l'augmentation du petit bétail, les
chèvres surtout, que les multiples sacrifices de jeunes animaux
requis par la religion traditionnelle maintenaient à un taux plus
faible.

Les agriculteurs confient la plupart de leurs bovins à des ber¬


gers nomades, lors de la transhumance. Ils les récupèrent souvent
à la fin de cette période. Durant celle-ci, ils conservent générale¬
ment auprès d'eux les vaches laitières et les jeunes veaux. Une
méfiance de plus en plus grande d'ailleurs, se fait jour à l'égard
des pasteurs, lesquels « augmentent » leurs troupeaux au détriment
des agriculteurs en conservant frauduleusement une partie du croît.
Les bœufs porteurs, utilisés pour le transport des produits et plus
rarement des personnes, restent également près de l'enclos en saison
des pluies. Quant à ceux qui sont utilisés pour la culture attelée,
ils demeurent à la portée du cultivateur.
L'élevage des ovins et caprins est très souvent, surtout en ce
qui concerne les seconds, le fait des femmes. Les chèvres consti¬
tuent un petit capital personnel qu'elles s'efforcent d'accroître sans

des
(Guy).
La
I.F.A.N.-C.N.R.S.,
vallée
Etudes
(8)Notes
On
du
nigériennes
ethnographiques
peut
GulbiParis,
consulter
de, n°Maradi.
Etudes
16, en1964
suroutre
,Enquête
nigériennes,
le
315 terroir,
pages.
sur socio-économique.
l'élevage
l'agriculture
n° 8,dans
1963.laet —vallée
I.F.A.N.-C.N.R.S.,
l'élevage
Mainet
du dans
Goulbi
(Guy)la de
etvallée
Paris.
Maradi
Nicolas
de
Documents
Maradi.
Nicolas
(Guy).
l'élevage dans la région de maradi 55

cesse. Le mari doit procurer à l'épouse nourriture et vêtements,


de sorte que la femme dispose entièrement du revenu de la pro¬
duction de son champ personnel (ou gamana ), ou de ses activités
commerciales. Par ailleurs, l'élevage des moutons est influencé par
la pratique des sacrifices effectués par les musulmans lors de la
fête de la Tabaski et des baptêmes. Beaucoup de sédentaires achè¬
tent un mouton dans le seul but de le revendre engraissé, à l'époque
de la fête, en profitant de l'augmentation du coût correspondant à
l'accroissement brusque de la demande (Pl. VI B).

3 . - La zone de vie sédentaire dans le cercle de Tessaoua.

Ici, comme dans la région de Maradi, il s'agit d'un secteur favo¬


rable à la culture de l'arachide et à l'élevage du petit bétail. Nous
y retrouvons le même type d'association entre la culture et
l'élevage.
La population du cercle de Tessaoua est relativement dense:
11 à 18 habitants au kilomètre carré selon les cantons. Agriculteurs
haoussa ou agriculteurs-pasteurs peul ou bouzou s'adonnent pour
la plupart à la culture de l'arachide. Ce n'est pas une région natu¬
rellement vouée à l'élevage, mais la rareté des pluies entraîne une
diminution de la production agricole dans les cantons du Nord,
laissant ainsi la place vacante aux pasteurs.
L'élevage bovin est beaucoup moins important que celui du
petit cheptel : c'est à la chèvre de Maradi que vont les préférences
des agriculteurs-pasteurs. Ceux-ci trouvent des conditions propices
à cet élevage dans les vallées, où l'eau se rencontre à faible profon¬
deur. Dans toute cette région, on apprécie la fumure animale qui,
transportée à dos d'âne, devient un objet de commerce. Certains
agriculteurs-pasteurs prétendent même n'avoir du bétail que pour
pouvoir fumer leurs champs d'arachides. Les Peul du Sud n'échap¬
pent pas à cette « mentalité arachidière » (9).
Bien qu'en minorité (30 000 pour 238 941 habitants), les Peu!
possèdent plus de la moitié du cheptel bovin du cercle; ils sont
très fortement sédentarisés. Ceux du canton de Korgom ont tou¬
jours beaucoup cultivé : mil, arachide, haricot niébé. Leurs champs
bien fumés sont fixés, hérités de père en fils, ce qui est un facteur
puissant de sédentarisation. Par exemple, les Peul Tchilawa ne se
distinguent plus des Haoussa sédentaires — dont ils parlent la
langue — que par leur habitat : ils vivent dans des paillotes dis¬
persées dans les champs et non dans des villages. Leurs bovins,
peu nombreux, trouvent leur pâture autour du puits et sont abreu¬
vés quotidiennement. Chaque chef de famille possède un champ
près de son habitation, rarement déplacée (tous les vingt à trente
(9) Dupire (Marguerite). Les facteurs humains de l'économie pastorale, ouvrage cité.
56 LES CAHIERS d'0UTRE-MER

ans). La sédentarisation s'accentue depuis que les Tchilawa ont


fait construire leurs propres puits.
Les Wachinawa habitent un canton du Nord (Kanembakatché) ;
ils cultivent plus d'arachides qu'ils ne font d'élevage. Ils classent
leurs revenus par ordre d'importance comme suit : arachides, chè¬
vres, bovins, vente du lait. Leur niveau de vie apparaît supérieur
à celui de la plupart des agriculteurs-pasteurs. Ils se dispersent
autour des céanes creusées dans le Goulbi n'Kaba. Cette dispersion
leur permet de satisfaire les besoins en pâturages de leur petit
cheptel, et ils ne déplacent leurs cases en secco sur leurs champs
que deux fois dans l'année. Ce nomadisme n'exclut pas un atta¬
chement durable aux terres de culture. C'est aussi à peu de chose
près, le genre de vie des Katsinawa qui n'envoient leurs troupeaux
de boeufs en transhumance au Damergou ou dans le Nord-Ouest
du cercle que s'ils sont assez importants, et qui ne vendent que
peu de bovins. Les Peul adultes du groupe dan Papa cultivent
du mil, des haricots, de l'arachide et du coton dans le Sud, tandis
que les jeunes gens transhument en hivernage avec les troupeaux.
Ils ne forment pas de villages dans les régions qu'ils fréquentent
(canton Tessaoua, Korgom, Gangara, quelques puits du canton
d'Agié, le cercle de Mayahi et au Nord, le Goulbi n'Kaba) (Fig. 8).
Ils vendent leur bétail au moment de la traite des arachides pour
en obtenir de bons prix, à Kauna, Dandana et au Nigeria (Meadwa),
et leurs produits laitiers dans les villages voisins. Les Haoussa, plus
sédentarisés et moins riches qu'eux en bétail, leur confient leurs
animaux toute l'année à l'exception des vaches laitières, mais il en
est certains qui vivent comme les Peul dans le Goulbi dan Kama.
On observe donc, dans ce secteur, une sorte d'uniformisation
du genre de vie, un élevage à petite échelle relativement séden¬
tarisé, s'étant adapté à l'activité agricole. Cependant les déplace¬
ments saisonniers des bergers présentent une diversification remar¬
quable, vers le Damergou (Belbeye), les cantons septentrionaux
du cercle de Tessaoua, le Damagaram à l'Est, qui prolonge la région
de Korgom accidentée, boisée et pourvue de bons pâturages d'hiver¬
nage, vers encore le cercle de Dakoro en suivant le Goulbi n'Kaba,
les « réserves forestières » des cantons de Tessaoua et d'Agié et
le Goulbi n'Kaba lui-même où certains stationnent pendant toute
la saison des pluies (Fig. 8). Par exemple, les forêts, les mares et
les régions « montagneuses » du cercle que fréquentent pendant
l'hivernage les fractions du groupe Minialbi sont souvent très pro¬
ches de leur secteur de saison sèche. Ils savent profiter de leur
position centrale : on les rencontre sur les marchés du Nord,
comme sur ceux du Sud et du Nigeria. Pourtant, il ne semble pas
qu'il faille attendre de ces petits éleveurs habitués aux avantages
de la culture arachidière dans le Sud, l'exploitation des possibilités
l'élevage dans la région de maradi 57

pastorales du Nord. D'ailleurs, les nomades ont quitté la région


pour le cercle de Tanout.
Dans le Goulbi Yakawa, le long de l'ancienne route de Gazaoua
à Zinder, les Peul et les Haoussa qui ont adopté ce genre de vie,
ont creusé de nombreux puisards. Ils utilisent aussi un puits
cimenté, d'ailleurs en mauvais état. Dans cette vallée, large, ver¬
doyante, parsemée de rôniers, l'habitat apparaît relativement impor¬
tant. Les cases en secco sont construites à l'intérieur d'un enclos
fermé, comprenant un abri couvert servant de bergerie. Les champs
de gros mil et d'arachide, à l'extrémité desquels se dressent les
greniers, prolongent les habitations qui sont déplacées à chacune
des trois saisons : hivernage, saison sèche et fraîche, saison sèche
et chaude. Le dernier emplacement du bétail fournit la fumure
du champ. Les chèvres trouvent dans cette vallée boisée des feuilla¬
ges à brouter; les bovins vont paître le long du Goulbi jusqu'au
Nigeria pour revenir à Yakawa à la saison des pluies. Coques et
fanes d'arachide sont données aux ovins et caprins ; l'accroissement
du bétail accompagne de fructueuses récoltes. Les enfants consom¬
ment le lait des chèvres en hivernage, tandis qu'il est laissé aux
chevreaux en saison sèche. A Tessaoua, les éleveurs vendent aisé¬
ment leur excédent de produits laitiers. Aux sources de revenus
habituels des agriculteurs de la région s'ajoute ici la vente des
feuilles et fibres des rôniers, des sacs tressés, du miel sauvage.
Cette vallée, en outre, semble convenir particulièrement bien à l'éle¬
vage caprin. Profitant de tous ces facteurs favorables, des pasteurs
se sont fixés. Ceci constitue un exemple intéressant de sédentari¬
sation d'éleveurs, qui, bénéficiant de terres agricoles disponibles,
ont pu accéder à une économie de profit par le moyen de la culture
de l'arachide, même si, à dire vrai, la plupart ne font effectivement
que quelques sacs d'arachides.

III. - Un bilan socio-économique.

1. - Les relations entre nomades et sédentaires et entre pasteurs.

Les relations entre nomades et sédentaires et entre pasteurs


ne sont pas bien définies : on peut se demander s'il y a, dans leurs
relations de voisinage, association ou antagonisme. Dans la zone
de vie nomade, les Bororo se trouvent en présence d'autres popu¬
lations, Touareg et Bouzou, qui, comme eux, pratiquent un élevage
itinérant ; la recherche des puits et des bons pâturages est évidem¬
ment propice à des conflits. Dans la zone de vie sédentaire, le
problème primordial est celui de délimiter et de protéger le secteur
des cultures des empiétements des troupeaux. Mais les conflits ne
58 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

dégénèrent pas outre mesure, les cultivateurs sédentaires ayant


besoin d'une fumure annuelle pour leurs champs. Cela se résoud
par des associations, des contrats passés entre les deux parties.

a) Dans la zone de vie nomade.


Le problème essentiel est ici celui de l'eau. En fin de saison
sèche, les troupeaux font la queue aux grands puits profonds,
cimentés, et l'on peut entendre toute la nuit le crissement continu
des poulies (Pl. IV A).
Les Bororo ne savent pas construire les puits. Ils se cotisent
pour en faire creuser par des puisatiers haoussa. Les puits peuvent
avoir jusqu'à 40 mètres de profondeur. Les Bororo les font cons¬
truire à côté de ceux des Touareg avec lesquels ils voisinent dans
le Nord, pour avoir de l'eau à coup sûr. Le droit d'usage de ces
puits est strictement réservé aux membres de la fraction les ayant
fait construire sur leurs parcours de déplacements. Mais, comme
divers groupes de nomades ont un droit d'accès sur les mêmes
pâturages, on trouve successivement dans la même région des puits
appartenant aux Bororo, aux Touareg ou aux Bouzou; dans la
vallée d'Eliki, par exemple, les puits de ces divers groupes d'éle¬
veurs ne sont distants que de 4 à 10 kilomètres. Les entorses à
ces droits de propriété sont fréquentes. Lorsque le puits de sa
fraction est insuffisant, le Bororo va tâter de celui des Bouzou,
et tant qu'il n'y a pas eu de témoin, l'affaire en reste là. Il n'y a
d'eau commune que celle des mares. Les seules règles naissent
d'habitudes et d'arrangements traditionnels. En fin d'hivernage, il se
produit une véritable course de vitesse entre les derniers transhu¬
mants pour profiter des dernières mares : l'usage accepte la loi
du premier occupant (10). Le Bororo admet mal la propriété com¬
mune d'un puits avec des étrangers. Le Service hydraulique a
construit quelques puits profonds et cimentés, mais l'Adminis¬
tration n'ayant prévu aucune réglementation au début, Bororo
et Bouzou s'y précipitèrent, le premier occupant évinçant par la
force le dernier arrivé. A la longue, et grâce à l'intervention des
agents de l'Administration, l'équilibre se fit peu à peu: les Bouzou
puisent d'un côté, utilisant comme animal de trait un bovin, animal
noble du Peul; les Bororo les narguent de l'autre côté, en faisant
travailler leurs chamelons touareg. Chaque groupe se regarde à
distance « dévalorisant par ce trait d'humour l'essentiel des valeurs
culturelles antagonistes » (10).
La création de ces puits pose des problèmes de pâturages. Ils
attirent en effet de nouveaux groupes de pasteurs en provenance
du Sud, ce qui entraîne un surpâturage et prive d'herbe — en

(10) Dupire (Marguerite). In Peuls nomades, ouvrage cité.


l'élevage dans la région de maradi 59

saison sèche — les troupeaux des fractions traditionnellement éta¬


blies là. Il ne faut pas oublier que le nomade bororo a pénétré le
dernier dans cette région. Il n'a, de ce fait, aucun droit héréditaire,
ni sur l'eau, ni sur les pâturages. Il s'infiltre dans les régions
occupées par les Touareg. Au début, il essayait de se faire admettre
par des cadeaux, ou bien, tout aussi couramment, par la force ou
par
tration.
la surprise. Actuellement il recherche l'appui de l'Adminis¬

Les Touareg qui transhument avec les Bouzou sur les mêmes
terrains que les Bororo ont cédé à ceux-ci une partie de l'eau et
des pâturages excédant les besoins de leurs propres troupeaux de
chameaux et de bovins. Mais, en retour, ils voulurent tirer des
avantages de cette cession : les Bororo étaient autorisés à abreuver
leurs bêtes à condition d'entretenir les puisards. Le Bororo avait
main-d'œuvre.
de l'eau; le Targui
Mais —bientôt
qui n'a
lesplus
Bororo
de serviteurs
refusèrent—d'entretenir
trouvait de les
la

puisards. La coexistence des Bororo et des Touareg ne va donc


pas sans conflit, par suite, notamment, de l'expansion spatiale et
de la vitalité démographique des premiers (10).

b) Dans la zone de vie sédentaire.


Il existe une étroite symbiose, dans la région de Maradi, entre
les nomades et les agriculteurs sédentaires. Cette symbiose est
fondée sur une alternance d'utilisation du sol, sur les échanges
alimentaires (produits laitiers contre produits agricoles), sur un
partage des eaux destinées à l'abreuvement des animaux, ainsi que
sur divers échanges et courants commerciaux.

L'utilisation du sol et de l'eau.

En premier lieu, il existe une sorte de contrat entre les commu¬


nautés villageoises haoussa, les gari, et les groupements de bergers
nomades. Ce contrat porte sur l'utilisation du sol et de l'eau. Dès
la fin des récoltes, le terroir du village est ouvert aux nomades.
Ceux-ci peuvent faire pacager leurs troupeaux sur les chaumes et
utiliser l'eau des mares temporaires. Le retour des troupeaux —
en septembre et octobre pour les Peul — est une des causes de
la hâte avec laquelle sont faites les récoltes, car il arrive très sou¬
vent récoltés
non que les et
bergers
non clôturés.
laissent Les
leursconflits
bêtes pacager
entre éleveurs
sur lesetchamps
séden¬
taires à ce sujet, sont innombrables. Il se dit, dans le pays, que
certains cultivateurs laissent un peu de leur récolte dans les champs,
au-delà des délais fixés, uniquement, semble-t-il, pour susciter le
conflit, espérant en retirer quelque profit, si l'affaire est portée
devant le tribunal! Mais ces conflits vont, sur le terrain, jusqu'à
60 LES CAHIERS d'0UTRE-MER

la lutte armée, où les bergers ne sont pas les moins agressifs. Le


bâton dont ils ne se séparent jamais, est une arme dangereuse
dans leurs mains. C'est dans la vallée du Goulbi, que, là où subsis¬
tent les cultures de décrue, les conflits les plus violents et les plus
fréquents prennent naissance. Les agriculteurs prennent la précau¬
tion
et dans
de rassembler
une même les
clôture
parcelles
de haies
en culture
vives ou
suravec
un secteur
des haies
du terroir
consti¬
tuées par des branches d'épineux rapportées. Cela est une protection
fragile, surtout si le nomade se pique au jeu et entend montrer que
ces obstacles ne l'arrêtent pas, lui et ses bêtes. Il faut d'ailleurs
remarquer que bien des dégâts sont causés par les animaux des
sédentaires eux-mêmes, les chèvres en particulier (Pl. VI A). Mais
l'habitude étant prise, les « Peul » ou les « Bouzou » seront les
éternels responsables de ces méfaits.
Les relations entre éleveurs spécialisés et sédentaires ne sont
pas toujours empreintes d'hostilité. Tout d'abord, une partie des
troupeaux transhumants est constituée par des bêtes confiées aux
nomades par les agriculteurs pendant la saison des pluies, et souvent
au-delà. De plus, des liens multiples relient la famille haoussa — qui
confie ses bœufs — à la famille peul — qui les garde. Celle-ci
dispose d'une partie des jeunes animaux, des produits laitiers et
rend au possesseur la part qui lui revient. En outre, les cultiva¬
teurs haoussa peuvent donner aux éleveurs du mil, du sel et du
natron, des vêtements, en échange des services rendus : parcage
du bétail sur les champs de l'allié en vue de les fumer, don de
moutons, abreuvement des animaux, cadeaux divers. Enfin, quand
le Goulbi ou les mares temporaires sont asséchés (bien que le
Service de l'Elevage ait creusé, en 1959, deux puits réservés au
bétail, et situés à Madarounfa et à Tarna), les nomades demandent
souvent aux sédentaires de leur permettre d'utiliser l'eau de leurs
puits en échange de dons divers ou de services.

Les échanges et courants économiques.

Les échanges commerciaux entre éleveurs et cultivateurs ajou¬


tent à l'intérêt de la coexistence, dans un même espace géographi¬
que, des pasteurs et des sédentaires. Certes, la majeure partie des
ventes de bétail s'effectue en Nigeria, encouragés par l'importance
de la demande et par le cours élevé de la viande. Mais les agricul¬
teurs de la région de Maradi n'en consomment pas moins une part
non négligeable. Le retour de la transhumance s'effectue, en effet,
à une époque où les agriculteurs commercialisent leurs propres
productions et disposent d'un avoir monétaire élevé. Toute élévation
du revenu
ventes et desdes
achats
agriculteurs
de bétail sur
se traduit
le marché
par
local.
une augmentation des
l'élevage dans la région de maradi 61

Les agriculteurs achètent du bétail pour se nourrir. Ils consom¬


ment davantage de viande à l'époque qui suit les récoltes et le
retour des troupeaux. D'autre part, ils commercialisent les peaux
qui sont, soit achetées par le commerce européen, soit transformées
sur place en objets usuels. En outre, ils consomment des produits
laitiers. Pendant la saison sèche, on remplace plus volontiers la
bouillie épaisse, la boule de tuwo, par une bouillie plus légère et
lactée, le jura. Les femmes peul commercialisent ces produits ou
bien les échangent contre du mil.
La commercialisation du bétail des nomades alimente, en outre,
certaines techniques artisanales, complémentaires de l'agriculture
pour les sédentaires. En premier lieu, l'abattage des animaux sur
les marchés est une pratique réservée aux bouchers ( mahauta ).
Ceux-ci tuent les animaux, en débitent la viande, vendent les peaux.
Les tanneurs ( majema ) achètent celles-ci et les revendent apprêtées
aux travailleurs du cuir ( baduku ), lesquels confectionnent vête¬
ments, harnachements, ceintures, sandales, portefeuilles touareg,
puisettes pour l'eau, talismans. Viande et produits artisanaux sont
ensuite commercialisés par des petits commerçants ( dan kasuà) ou
des intermédiaires à la commission (dillalai ). Beaucoup de ces
objets et même la viande sont achetés par les nomades, qui consti¬
tuent une clientèle importante. Ce sont d'ailleurs aussi les commer¬
çants et couturiers haoussa qui fournissent étoffes et vêtements
aux transhumants. Le processus de commercialisation des animaux
intéresse la société locale dans la mesure où les transactions se
font par l'intermédiaire des courtiers (dillalai ) sédentaires. Ce
processus a été étudié par M"e Marguerite Dupire (11). Les dillalai"
prennent à leur charge la vente des animaux et reçoivent en échange
un don de leur nomade. Ces relations entre bergers et dillalaï,
véritables consuls sédentaires, sont permanentes. Ceux-ci vendent
les bêtes en Nigeria ou sur le marché, s'occupent des formalités
douanières ou de change, accueillent les Peul dans leur enclos,
leur procurent souvent les objets qu'ils désirent en retour.

c) La limite Nord des cultures.


C'est dans lé cercle de Dakoro que le problème posé par l'exis¬
tence d'une ligne séparant la « zone sédentaire » de la « zone
nomade » revêt le plus d'acuité. Ici, il y a lutte et non association.
Le sort réservé aux pasteurs nomades les détermine à un dépla¬
cement inévitable. Le nouveau tracé consacre, en effet, une remontée
des cultures vers le Nord.
Les agriculteurs refoulent les éleveurs suivant un processus
assez simple. Les agriculteurs sèment mil et arachide. Or, comme ils
Bororos(11)nomades
Dupire du
(Marguerite).
Niger. I.F.A.N.,
La place
Niamey.
du commerce
Etudes nigériennes,
et des marchés
n° 2, dans
1960, 44
l'économie
pages. des
62 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

se trouvent à la limite de possibilité des cultures, très vite se pose


la question de la fumure des terres. Les engrais verts demande¬
raient beaucoup trop d'efforts et sont, d'ailleurs, pratiquement
inconnus des cultivateurs. Aussi fait-on appel à la fumure animale.
Lorsqu'un Peul manifeste le désir de s'installer près d'une agglo¬
mération, on lui accorde volontiers une parcelle, qu'il s'empresse
d'engraisser avec le fumier de son troupeau. Aussitôt les sédentai¬
res « ouvrent » de petits champs dans ce secteur, finissent par
encercler la parcelle valorisée par le Peul. Immanquablement, les
bêtes de ce dernier occasionnent des dégâts sur les champs voisins.
Contraint de rembourser les déprédations, il ne tarde pas à décam¬
per vers le Nord, comme d'autres avant lui. Et ainsi, pour les
agriculteurs, est obtenu un nouveau terrain. C'est là l'origine de
l'exode de la plupart des Peul vers le Nord (12). Pourtant la
chasse continue, les sédentaires sont toujours à la recherche des
nouveaux terrains fumés de la même façon.

2. - L'exploitation des produits de l'élevage.

aux L'exploitation
communicationsdes faciles
produits
et ouvertes
de l'élevage
au commerce.
se fait dansLes
uneéleveurs
région
ont la possibilité de présenter leurs bêtes sur une multitude de
marchés. La présence aussi, à peu de distance, d'un pays comme
le Nigeria, ou simplement l'existence d'une région à densité et à
pouvoir d'achat relativement élevés sont des stimulants réels de la
production. La consommation en viande est forte; le commerce
des cuirs et des peaux est important, car il peut s'appuyer sur un
troupeau très nombreux de chèvres rousses de Maradi.
a) Les marchés de la circonscription de Maradi.
La circonscription de Maradi possède un nombre respectable de
marchés, points de vente où les éleveurs peuvent échanger leurs
bêtes contre des denrées de toutes sortes. En 1962, on a dénombré
88 marchés. Différents aménagements — abattoirs et séchoirs notam¬
ment — , sont édifiés en grand ou en petit modèle selon le trafic
du centre intéressé. Ils sont financés par les taxes du cercle ou
avec l'aide des S.M.D.R. (Sociétés Mutuelles pour le Développement
Rural). Ces aménagements, que l'on trouve à 62 exemplaires, consis¬
tent, le plus souvent, en une aire cimentée accompagnée d'un hangar
muni de crochets métalliques pour suspendre les peaux mises à
sécher. Pour décider de la construction d'un tel ensemble, il faut
qu'un millier de bêtes aient été présentées dans l'année à l'endroit
choisi. Les moniteurs de l'Elevage surveillent la bonne marche
des transactions sur le marché. Ils inspectent et conditionnent les
(12) D'après les rapports du Service de l'Elevage, Niamey.
l'élevage dans la région de maradi 63

peaux en suivant la dépouille depuis l'abattage jusqu'à la sortie du


séchoir.
Le commerce intérieur porte à la fois sur les animaux de bou¬
cherie et les animaux d'élevage. En 1962, ont été présentés sur les
marchés de la région de Maradi : 96 086 bovins, 257 804 ovins et
392 804 caprins. Quant au commerce extérieur avec le Nigeria, les
estimations l'évaluent à 25 000 bovins, 70 000 ovins et 20 000 caprins.
Une partie de ce bétail ne passe qu'en transit et provient des cercles
limitrophes du Nord: Agadès, Tanout et Tahoua. La fraude reste
importante surtout sur les moutons et les chèvres. Elle offre des
intérêts évidents. Les animaux exportés proviennent pour les deux
tiers des cercles avoisinants. Il faut, enfin, constater qu'il n'y a pas
d'excédent: l'équilibre s'est établi entre abattage, vente et expor¬
tation d'une part et le croît du troupeau d'autre part.

b) La
laitiers.
consommation des produits de l'élevage : viande et produits

La circonscription, dont la densité humaine (12 habitants au


kilomètre carré) est l'une des plus élevées du Niger, est grosse
consommatrice de viande. La moyenne annuelle par habitant est
de 13 kilos, alors qu'elle n'est que de 6 kg pour la totalité du pays.
Le total de viande effectivement obtenu chaque année est de 5 000
tonnes pour une population de 400 000 habitants, dont 90 % sont
en âge de manger de la viande. Mais si l'Africain consommait les
55 grammes de viande considérés comme le minimum quotidien,
la consommation atteindrait 8 000 tonnes, ce qui interdirait l'ex¬
portation et conduirait à faire appel au bétail des régions limi¬
trophes. Le pouvoir d'achat de l'Africain ne lui permettra pas
avant longtemps de couvrir ses besoins en viande. Le besoin mini¬
mum est évalué, par les nutritionnistes à 20 kg par an et le besoin
moyen à 64 kg.
Le commerce de la viande est l'affaire des boucheries, groupées
en une organisation professionnelle de type médiéval. Un chef
boucher est nommé par le chef de province, ou le chef de canton,
moyennant une forte gratification qu'il récupère par la suite en
prêtant avec usure à ses collègues. Très souvent acheteur de peaux,
il monopolise la production du marché et la revend aux rabatteurs
des grandes maisons. Certains terminent leur carrière comme
acheteurs de bestiaux; tous se livrent plus ou moins à l'abattage
clandestin, du
L'autorité bien
chefque
boucher
celui-ciestsoit
trèslégalement
contestée. puni
Il établit
par sa
la fortune
prison.
en se réservant les meilleurs morceaux. En brousse, il contrôle
plusieurs marchés. Dans les centres urbains, il vend de la viande
aux Européens, aux dispensaires, aux foyers, à la prison. Il prête
à ses camarades de petites sommes pour l'achat d'animaux et se
64 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

fait rembourser en viande fraîche qu'il paie à un tarif très bas.


Lorsque le chef boucher ( Serkin Fawa ) de Maradi fut condamné
à trois mois de prison, puis révoqué par le chef de province, il y
a une dizaine d'années, ses anciens sujets firent battre un tam-tam
de réjouissance. La viande est débitée sur les marchés de plusieurs
manières. Elle peut être vendue au tas, en brochettes ou en sauce.
De la viande, séchée au soleil pour sa conservation, est expédiée
aussi vers le Nigeria, où les populations de la forêt ne peuvent
pratiquer l'élevage des bovins, à cause de la présence de la mouche
tsé-tsé.

Le lait et le beurre donnent également lieu à des transactions.


Les ressources de la région sont abondantes de ce point de vue,
tant par les brebis et les chèvres que par les vaches et les cha¬
melles. Le troupeau des chamelles donne aux nomades du Nord
leur aliment principal : les nomades consomment deux litres de lait
par jour, soit frais, soit en dérivés, beurre ou fromage. Mais, en
règle générale, pour les sédentaires, le lait n'entre dans la ration
journalière que dans une proportion très basse, même pour les
enfants. Au total, les besoins de la population africaine sont loin
d'être satisfaits : certaines classes ne boivent jamais de lait, surtout
dans les villes. Les protéines du lait valent deux fois plus cher que
celles de la viande. Sauf pour le producteur, le lait reste un aliment
de luxe, dès qu'il fait l'objet d'une commercialisation.
c) Les cuirs et peaux.
La production des cuirs et des peaux est importante pour l'éco¬
nomie régionale. Le tableau ci-après donne les exportations contrô¬
lées de cuirs et de peaux pour ces dernières années (Tableau II).

Année Nombre
de bovins
de cuirs Nombre
de moutons
de peaux Nombre
de chèvres
de peaux

1959 ...... 11 156 17012 525 420


1960 ...... 8 237 28 300 585050
1961 ...... 10 890 17 080 378 378
1962 10962 34 600 598 026

Tableau II. — Evolution des exportations des cuirs et des peaux.

Pour les exportations, l'année 1962 fut une année record par
rapport aux années antérieures. Mais il fallait noter la forte diffé¬
rence entre le total de peaux de chèvres exportées et le total des
peaux ramassées (338 287 peaux de chèvres), ce qui tenait aux stocks
importants
C.F.A.O., l'U.C.N.
que les
et lamaisons
C.N.F.) de
n'avaient
commerce
pu écouler
(essentiellement
en 1961. Pru-
la
Les Cahiers d'Outre-Mer Tome XVIÏI, Pl. VII

B. - marché,
Les Rouzou
ou bien
transportent
s'apprêtent les
à partir
récoltes
à Bilma,
d'arachides
sur la route
des sédentaires
du
Clichés
sel (azalaï).
G. Mainet.
jusqu'au
Les Cahiers d'Outre-Mer Tome XVIII, Pl. VIII

A. - Les ânes se pressent sur la piste qui mène au marché.

B. - Le Haoussa est fier de prendre part aux grandes cérémonies traditionnelles,


sur son propre cheval.
Clichés J. Nicolas.
l'élevage dans la région de maradi 65

dentes, en 1962, elles ont préféré liquider ces stocks que faire de
nouveaux achats. La majorité des peaux viennent de la circons¬
cription elle-même. A l'exportation, le classement des peaux se fait
au choix. La moyenne générale de l'année fait ressortir les propor¬
tions suivantes : 45 % en premier choix, 35 % en deuxième choix
et 20 % en troisième choix.
Pour la préparation des peaux, il n'y a pas d'usine : simplement
une tannerie artisanale locale florissante. Le chef tanneur travaille
rarement. Il achète les peaux brutes, les revend tannées. Auprès
de lui, un membre de sa famille sert de chef de fabrication avec un
plus ou moins grand nombre d'aides. La tannerie est une cour
carrée en terre battue, avec quinze ou vingt canaris en poterie, des
chevalets pour l'écharnage, des couteaux à double poignée, des
cordes pour le séchage, des sacs de fruits de bagarua (gousses
d'Acacia arabica ) qui sont pilés sur le mortier. Le tannage est
inconstant, irrégulier aussi dans ses résultats. L'acidité, le dosage,
l'influence de la température, l'hygrométrie sont des facteurs
inconnus et négligés.
Le revenu pour le tanneur est de l'ordre de 100 francs pour une
peau de mouton, 70 francs pour une peau de chèvre, 300 francs
pour un cuir. Un tanneur traite dix peaux par semaine et par
ouvrier. La bourre est revendue pour faire le « banco » (l'argile
séchée des demeures) et les matelas.
Pour l'exportation, les peaux de la chèvre rousse de Maradi
sont belles, souples, régulières, mais de faible rendement (en
moyenne cinq pieds carrés par peau). Une bonne peau se vend
aisément 10 francs métropolitains, soit 500 francs CFA le kilo¬
gramme tanné contre 270 francs CFA à l'achat brut.
Les exportations vers le Nigeria ont été interdites depuis 1953.
Auparavant, il y avait là un courant traditionnel. Depuis des siècles,
les peaux de chèvres de la région de Maradi étaient vendues aux
populations sensiblement plus riches de la côte et les Anglais, lors¬
qu'ils fondèrent le Nigeria, entérinèrent cet état de choses en
apportant tous leurs soins à conditionner un produit qu'ils firent
connaître, dans une grande partie de l'Europe et jusqu'aux U.S.A.,
sous le nom de peaux de « Kano » et de « Sokoto », alors que l'admi¬
nistration coloniale du Niger était dans l'impossibilité d'en faire
autant faute de crédits et faute aussi de s'être intéressée, en temps
voulu, à une production qui ne paraissait que très accessoire.
En 1953, des mesures appropriées furent bien prises. Une
compagnie aérienne offrit de transporter des peaux de chèvres, en
sacs de cinquante pièces entre Maradi et Orly. La Tannerie française
disposait ainsi d'une peau d'une exceptionnelle fraîcheur et d'une
exploitation beaucoup plus avantageuse que le même article d'im¬
portation étrangère, d'un prix de revient sensiblement égal, mais

LES CAHIERS D'OUTRE-MER 5


66 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

ayant subi de longs stockages et des transports maritimes dans


des conditions parfois préjudiciables à sa qualité. Malheureuse¬
ment, la Tannerie a reçu avec réticence un produit qu'elle a cru
ne pas connaître. Ses prix et son attitude ont découragé les expor¬
tateurs qui se sont orientés vers les U.S.A. et le Royaume-Uni. Pres¬
sée par le besoin, la Tannerie française ira cependant s'approvision¬
ner à Londres ou à New York, achetant plus cher un article que
le Niger lui offre à un prix qui pourrait être rémunérateur pour
les deux parties. Les experts eux-mêmes ont reconnu qu'il n'y a pas
de différence entre les peaux de Sokoto et les peaux de Maradi
exportées à New York.
Mais, de toute évidence, les sorties réelles de cuirs et de peaux
par le Nigeria restent importantes. On peut estimer que ce com¬
merce traditionnel d'exportation porte sur les quantités suivantes :
10 000 cuirs, 20 000 peaux de moutons, 200 000 peaux de chèvres.
Lorsque se ralentissent les achats des maisons commerciales ou
que se produit une baisse des cours locaux, cuirs et peaux sont
troqués contre les produits qui coûtent meilleur marché en Nigeria
qu'au Niger. Le bénéfice commercial est intégralement réalisé sur
ces marchandises qui sont introduites en contrebande au Niger.
Ainsi, la mévente des peaux de chèvres de 1961, au niveau du
producteur, a dû se traduire par un relèvement des exportations
hors douane, en Nigeria.

3. - Les problèmes de l'élevage dans la circonscription de Maradi.

C'est surtout durant la saison sèche que les problèmes cruciaux


apparaissent concernant l'abreuvement et l'alimentation du cheptel,
la fumure des champs.

a) L'alimentation du bétail.
Les pâturages sont d'autant plus pauvres que la saison sèche
est avancée. En saison des pluies on trouve de l'herbe partout;
mais la nécessité d'écarter les bêtes des champs cultivés, la prati¬
que des cultures et l'instauration de périmètres interdits ont réduit
les espaces libres de la zone sédentaire. Dans les vallées, il existe
des passages à bétail, burtali, permettant de mener les bêtes dans
les espaces incultes généralement situés en zone dunaire, puis de
ceux-ci aux points d'eau. Après les pluies, le bétail dispose des
chaumes (Pl. V A), des fanes d'arachides (Pl. VII A), des herbes
respectées par les agriculteurs, ainsi que du feuillage et des gousses
des arbres comme le gao ( Faidherbia albida), ce qui permet à une
partie du cheptel de survivre pendant quelques mois. On ne constate
aucune mise en réserve de fourrage pendant la saison des pluies,
même parmi les sédentaires.
l'élevage dans la région de maradi 67

En saison des pluies, les bovins des sédentaires sont en majeure


partie confiés à des bergers étrangers qui les élèvent selon leurs
techniques traditionnelles. Les jeunes bergers Farfaru gardent les
troupeaux loin des villages, sans la compagnie de leurs épouses. Au
contraire, les Bororo vivent en famille. Les bovins restés au village
sont élevés avec le petit bétail.
En dehors de la saison des pluies, quelques-uns laissent leurs
bêtes au berger peul, qui s'installe à proximité du village du ou
des propriétaires de bêtes, parfois sur leurs champs pour passer
la nuit. Beaucoup de paysans récupèrent leur bétail qu'ils font
pacager sous la conduite du berger du village ou des enfants dans
la brousse environnant le village ou gari, plus particulièrement sur
leurs champs. Le plus souvent, le bétail de toutes les familles d'un
gari ou d'un quartier (notamment à Maradi) part le matin sous la
conduite d'un berger rémunéré et rentre le soir au village, chacun
reprenant ses bêtes pour la nuit.
Les chèvres sont gardées en toutes saisons par des bergers ou
de jeunes garçons dans les zones de brousse inculte ou attachées à
des piquets que l'on déplace chaque jour, au sein des champs.
Les piquets peuvent soutenir un abri. Les moutons sont élevés de
la même façon, ou bien lorsqu'il s'agit de bêtes à engraisser pour
les sacrifices dans l'enclos de la gida (« concession »). Les ânes et
les chevaux sont entravés et attachés par une patte à un piquet.
Les chevaux sont élevés par les maigida (chefs de famille) eux-
mêmes ; ils ont droit à des calebasses de son de mil.
Un autre aspect de l'alimentation du bétail concerne l'apport
de sel ou de natron ( kanwa ), indispensable. Les nomades pratiquent
généralement la « cure salée » périodique, qui consiste à amener les
troupeaux pacager sur des pâturages salés, surtout à Teguidda
n'Tessoum, au Nord d'In Gall. En dehors de l'époque de la cure,
il convient de procurer cet aliment aux animaux; de ce fait, le
commerce du natron est très actif. Il suscite encore tous les ans
le voyage à Bilma, l'azalaï.
Pour faire pacager le bétail, il reste environ la moitié du terri¬
toire de la circonscription d'Elevage, si l'on soustrait les superficies
cultivées ou protégées (forêts classées). Les calculs établis par le
Service de l'Elevage révèlent une insuffisance importante des pâtu¬
rages. Ces chiffres démontrent clairement l'impérieuse nécessité
que représente la transhumance sahélienne d'hivernage hors des
frontières de la circonscription, dans les conditions actuelles. La
solution réside, dans un premier stade, dans la multiplication des
points d'eau à grand débit, principalement au Nord de la limite
des cultures. Cet équipement hydraulique entraînera une meilleure
distribution dans l'espace des différents points d'eau et la dispa¬
rition du déficit par accroissement du taux de charge des pâtu-
68 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

rages. La conséquence directe sera la sédentarisation des éleveurs,


avec pour corollaire la plus-value d'un cheptel mieux nourri et
mieux abreuvé. Mais très vite un seuil risque d'être atteint, si
dans un deuxième stade on ne se préoccupe pas d'améliorer la
qualité des pâturages. Or, jusqu'à présent, rien de sérieux n'a été
envisagé qui soit applicable sur une grande échelle avant longtemps.
b) L'abreuvement.
En saison des pluies, l'eau dans le Goulbi de Maradi et les
multiples mares temporaires que l'on trouve dans les vallées est
partout présente (Pl. III A et Pl. IV B). Par contre, au fur et à
mesure que les mares s'assèchent, le problème de l'eau devient de
plus en plus crucial. Il faut creuser des puisards dans les mares
asséchées ou avoir recours à l'eau des puits (profonds de dix à
quarante mètres ou plus parfois) des vallées. Mais le problème
essentiel consiste alors à mettre celle-ci à la disposition du bétail.
Les quantités nécessaires à l'abreuvement quotidien du bétail varient
de 50 litres pour les bovins à 5 litres pour les caprins. Les moyens
utilisés pour extraire l'eau des puits sont de plusieurs sortes: les
chadouf pour l'eau de surface, une puisette en cuir tirée à bout
de bras ( guga ) et une puisette en cuir de capacité plus importante,
tirée à l'aide de bœufs porteurs. Ce dernier moyen ne semble pas
devoir fournir plus de 1 200 litres par heure, soit de quoi abreuver
vingt-quatre bovins. C'est la solution adoptée par les nomades
(Pl. IV A). Les sédentaires emploient la puisette à bras.
L'abreuvement constitue l'aspect le plus pénible de l'élevage,
car le besoin en eau augmente à mesure que croît la sécheresse.
Faute de puits et surtout de moyens rapides d'extraction, le bétail
mal abreuvé (la plupart des bovins ne boivent qu'un jour sur deux
ou trois en saison sèche) est déficient. Certains puits de la zone de
vie nomade fonctionnent 24 heures sur 24. L'éleveur sédentaire,
qui peut disposer d'eau en abondance, parvient mieux que le berger
nomade à fournir à ses bêtes le volume d'eau qui leur est néces¬
saire, car son troupeau est de faible importance. Mais souvent les
sédentaires ont à peine assez d'eau pour eux-mêmes.
Peu de puits sont réellement conçus pour l'élevage et réservés
aux éleveurs. Dans la zone sahélo-saharienne, les puits sont en
nombre insuffisant. Le manque d'eau disponible constitue de façon
certaine un frein à l'extension de l'élevage. En saison des pluies,
les troupeaux trouvant de l'eau partout à leur disposition, le
rapport du nombre de têtes à l'étendue du pâturage n'est pas
dangereux pour la flore herbacée. Mais dès que l'eau se raréfie, le
bétail se concentre autour des puits, c'est « l'overstocking » ou
surcharge pastorale qui n'a lieu qu'en saison sèche. Bien que riche
en bétail, la circonscription n'a jamais bénéficié suffisamment des
l'élevage dans la région de maradi 69

F
15000,

14000.

13000.

12000.

11000.

10000.

9000.

7000.

6000.

5000.

4000.

3000.

2000.

1000. <0? „■

v— v— —v— —v— —*

1939 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62
- I OOOOOO 2 .......3 VVVVVVVV 4 __ — 5 M un M II 6 + + + J —- — 8
Fig. 9. — Evolution des prix de l'élevage depuis 1939.
1. Bœuf de 6 ans. — 2. Génisse. — 3. Vache stérile. — 4. Mouton de boucherie. —
5. Chèvre de 3 ans. — 6. Ane. —7. Cheval. — 8. Chameau de bât.
'

crédits F.I.D.E.S.-F.E.R.D.E.S. Le génie rural, la taxe de cercle,


l'Hydraulique humaine et agricole, les Sociétés de Prévoyance ont
contribué seulement à la mise en place de 150 puits en ciment,
chiffre très insuffisant en regard de la superficie (40 000 kilomètres
carrés) de
million et têtes.
du cheptel dont l'ensemble des espèces dépasse 1,5
70 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

c) Les efforts accomplis pour l'amélioration de l'élevage.

Les éleveurs sédentaires pratiquent une certaine sélection du


bétail, notamment sur le plan de la race, du sexe, de l'âge. Pour les
bovins, ils paraissent épouser les préférences du Peul pour la race
bororodji. Il semble que ce choix soit dicté par le rôle des Peul
dans l'élevage des bœufs, les conceptions des courtiers, l'impression
esthétique produite par la prestance de cette race aux larges
cornes en forme de lyre. En ce qui concerne les caprins, plus
nombreux en zone sédentaire, la variété la plus répandue est la
chèvre rousse de Maradi, dont la peau, connue sous le label
« chèvre de Sokoto », jouit d'une réputation mondiale, se commer¬
cialise à plus haut prix. Les services techniques s'efforcent d'obtenir
une sélection exclusive
interviennent dans la mesure
de cetteoùvariété;
la couleur
mais des
des chèvres
facteurs sacrifiées
religieux
aux divinités « animistes » varie selon la destination du sacrifice
et l'occasion de celui-ci. A Maradi, une station zootechnique est en
cours de mise en marche ; elle doit s'occuper d'étudier la « race »
de Maradi et de dégager les caractéristiques spécifiques de cette
remarquable petite chèvre.
Sur le plan de la sélection par sexe, le nombre des mâles est
très inférieur à celui des femelles, dans tous les élevages, sauf en
ce qui concerne le bétail porteur. En effet, les mâles sont éliminés
en priorité par commercialisation et abattage, les éleveurs se réser¬
vant les femelles pour le lait et la reproduction. De façon générale,
la castration est peu usitée.
L'éleveur, nomade ou sédentaire, surtout ce dernier, a tendance
à commercialiser les jeunes bêtes, en conservant des reproducteurs
ayant déjà donné plusieurs produits» Cette tendance peut corres¬
pondre à un souci de préserver les animaux susceptibles de refaire
le troupeau, parce que plus résistants et d'une fécondité certaine,
ainsi que le montre Mlle Dupire à propos des Bororo (13). Ainsi,
« en conservant des bêtes âgées, dans un comportement irrationnel,
le producteur paraît obsédé par le souvenir des hécatombes annuel¬
les causées par la sécheresse et cherche à parer de son mieux à
une menace permanente ». Mais cette attitude peut être guidée
aussi par des motifs d'ordre commercial. En effet, l'acheteur
préfère acquérir deux jeunes bêtes plutôt qu'une bête âgée, ne
serait-ce que pour multiplier les chances de survie. D'autre part le
prix d'une jeune bête correspond mieux aux besoins et aux moyens
monétaires d'un individu, qu'il soit cultivateur, éleveur ou même
boucher, producteur ou acheteur. La vente d'un jeune animal suffit

Bororos
(13)nomades
Dupiredu(Marguerite).
Niger, ouvrageLacité.
place du commerce et des marchés dans l'économie des
l'élevage dans la région de maradi 71

à un producteur pour ses besoins immédiats, pour payer l'impôt (14)


ou pour faire face à une dépense de quelques milliers de francs.
La grosseur de la bête achetée par le boucher est proportionnelle
au volume de la demande existante. L'abattage et le débitage d'un
animal adulte n'est possible que quatre ou cinq fois l'an sur un
marché de brousse. L'achat d'un veau est donc mieux adapté
(Fig. 9).

Conclusion.
L'élevage est une activité relativement importante de la région
de Maradi. Malgré tout, il demeure routinier. Peu d'efforts ont été
accomplis pour tenter d'en faire un élevage moderne (15). Des puits
ou des forages ont été exécutés, mais en nombre très nettement
insuffisant. La plupart des marchés ont été équipés d'installations
en dur, mais abattoirs et séchoirs sont insuffisamment utilisés ; par
suite la présentation des peaux est défectueuse, constituant un
manque à gagner important. Les producteurs ne sont pas suffi¬
samment informés et les moniteurs de l'Elevage se montrent peu
exigeants.
Pourtant Maradi possédait de nombreux atouts en sa faveur.
D'abord sa situation. Située au centre du Niger utile, la ville aurait
très bien pu devenir la capitale du pays. Elle a autour d'elle un
arrière-pays fortement peuplé d'individus travailleurs, réceptifs, les
Haoussa. Ceux-ci se trouvent chez eux, d'un côté comme de l'autre
de la frontière avec le Nigeria. Les communications sont aisées entre
Maradi et Kano, la grande métropole économique du Nigeria du
Nord, une route goudronnée continue sur plus de deux cent cin¬
quante kilomètres relie les deux villes; plus loin une voie ferrée
conduit à Lagos, le grand port du Nigeria.
Maradi avait aussi pour elle une infrastructure intéressante. Sur
son aérodrome de classe B, des D.C. 6 atterrissent encore deux fois
par semaine. Elle possède une école des contrôleurs ou moniteurs
de l'Elevage ; cette école était d'ailleurs l'école fédérale à l'époque
de l'A.O.F. Des abattoirs modernes bien outillés ont été également
édifiés. Un frigorifique fut même projeté; il aurait pu y être adjoint
très facilement, car la ville possède une usine d'électricité. En
outre, deuxième centre arachidier du Niger, après Magaria, Maradi
avait à sa disposition un important réseau commercial constitué
par les grosses maisons du commerce de la traite. Avec l'huilerie

ajouter
CFA,
résultats
vaccination
regroupe
bovins,
(14)lesquatre
(15) très
Une
Ilsont
taxes
150,
s'agit
remarquables.
campagne
conduites
pays
ânes,
sur deleriverains
65,bétail,
l'impôt
chevaux,
par
d'éradication
des
Financée
variables
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et suivant
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980
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Fonds
230.
espèces
francs
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Développement,
active.
aLeseuéquipes
Il30
déjà
faut
francs
elle
des
dey
72 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

de la Siconiger qui produit plus de 5 000 tonnes d'huile par an, on


peut disposer
servent à alimenter
d'un volume
du bétail
important
allemand
de tourteaux
et Scandinave.
qui, pour
La commer¬
l'heure,
cialisation des cuirs et des peaux s'effectuait normalement aussi par
les grosses maisons de commerce. Mais ce réseau est en train de se
distendre et de fonctionner au ralenti, depuis que la traite de
l'arachide a été nationalisée. Ces maisons de commerce n'ont pas
cessé toute activité, mais il est évident qu'elles ont perdu beaucoup
de leur esprit d'entreprise. Il en résulte une certaine désorganisa¬
tion du commerce des cuirs et des peaux. C'est d'autant plus dom¬
mage, que Maradi est le berceau d'une race caprine, économique¬
ment très intéressante, et dont la station caprine qui achève de
s'organiser améliorera encore les qualités.
Dans un avenir immédiat, rien ne laisse présager des chan¬
gements importants dans la conduite des différents élevages de
la région de Maradi. Parler de sédentariser les nomades est un
non-sens, tant que la transhumance s'impose, par suite de l'in¬
suffisance des pâturages dans le Sud. Poser le problème de la
fumure est d'actualité, mais les paysans choisissent le moindre
effort, parce qu'ils sont incapables techniquement, pour l'heure,
de s'intéresser à la fumure par engrais verts. Lancer l'idée du
dressage des bœufs pour des labours et des charrois, c'est oublier
que cela demande un effort long et délicat, et c'est oublier aussi
que la paire de bœufs dressés se vend très bien en Nigeria.
Résoudre tous ces problèmes serait trouver le moyen d'amé¬
liorer l'élevage, d'accroître les revenus qu'il procure. Mais, les
choses étant ce qu'elles sont, l'élevage se contente d'être un appoint
dans l'économie régionale. On peut l'évaluer au quart des revenus
procurés par l'agriculture dans la vallée du Goulbi de Maradi. S'il
est en accroissement, c'est que l'agriculture est en expansion. Il ne
fait que suivre l'évolution de celle-ci, un agriculteur qui a de l'argent
achetant du bétail. Dans la région de Maradi, l'élevage est le baro¬
mètre de l'économie agricole.

Guy MAINET.

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