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Georg Lukács

Introduction à une esthétique marxiste


Sur la particularité en tant que catégorie esthétique

I. LA QUESTION LOGIQUE DU PARTICULIER CHEZ KANT ET SCHELLING

Les relations entre universalité, particularité et singularité sont, bien sûr, un très vieux problème de
la pensée humaine. Si nous ne distinguons pas, au moins dans une certaine mesure, ces catégories,
si nous ne les délimitons pas mutuellement et n'acquérons pas une certaine connaissance de leur
interpénétration mutuelle, il nous sera impossible de nous orienter dans la réalité, il nous sera
impossible d’avoir une praxis même au sens le plus courant du terme. Il est donc évident que dès
que la pensée dialectique intervient (même de façon spontanée), et surtout lorsqu'elle peine à
atteindre la conscience, de tels problèmes ne peuvent manquer de se poser. Lénine l'avait déjà
remarqué chez Aristote. Il cite un passage dans lequel il est clair qu'Aristote avait observé le danger
idéologique d'une autonomisation de l'universel : "Car, naturellement, on ne peut penser qu'il y a
une maison (une maison en général) en dehors des maisons visibles" (« οὐ γὰρ ἂν θείημεν εἶναί τινα
οἰκίαν παρὰ τὰς τινὰς οἰκίας » )1. Le commentaire de Lénine, qui se limite ici à la relation
dialectique entre l'universel et le singulier, mais peut aussi être étendu au particulier, va sans aucun
doute bien au-delà d'Aristote :

« Par conséquent, les contraires (le singulier s'oppose à l'universel) sont identiques : le singulier
n'existe pas autrement que dans le lien qui mène à l'universel. L'universel n'existe que dans le
singulier, à travers le singulier. Tout ce qui est singulier est (d'une manière ou d'une autre) universel.
Chaque universel est (une partie, ou un côté, ou une essence) du singulier. Tout universel n'englobe
qu'approximativement tous les objets singuliers. Tout singulier n'entre qu'incomplètement dans
l'universel. Et ainsi de suite. Chaque singulier est relié par des milliers de transitions à des
singularités appartenant à un autre genre (choses, phénomènes, processus). Etc.2

Le danger de l'autonomisation de l'universel, perçu par Aristote, et qui, auparavant, avait pris une
forme claire dans la philosophie de Platon, est approfondi dans la philosophie médiévale avec le
réalisme conceptuel. Une composante importante de ce danger, pour le problème qui nous occupe,
est la non appréhension de la singularité, de la particularité et de l'universalité comme
déterminations de la réalité elle-même, même dans leurs relations dialectiques réciproques, et de
considérer, au contraire, une seule de ces catégories comme plus réelle que les autres, et même
comme la seule réelle, la seule objective, alors que les autres ne sont reconnues que pour leur
importance subjective. Dans le réalisme conceptuel, c'est l'universalité qui reçoit cet accent
gnoséologique. L'opposition nominaliste renverse les termes et fait de l'universalité une
détermination purement subjective et fictive. Cette opposition au réalisme conceptuel qu’est le
nominalisme, spontanément matérialiste - et, certainement, conformément aux circonstances
historiques, également de type théologique - arrive à une subjectivisation de l'universel. Marx
découvre dans Duns Scot un matérialisme spontané, déguisé sous des voiles théologiques, et le
définit comme la « première expression du matérialisme »3. Dans les débuts du matérialisme de la
1 Lénine, « Sur la dialectique », in Cahiers philosophiques, Œuvres T. 38, p. 345.
2 Ibid.
3 Marx, La Sainte Famille, Ed. Sociales, 1969, p. 154.
2

philosophie moderne aussi, prévaut une tendance nominaliste de ce genre ; à cet égard précisément,
Marx cite Hobbes(2). Le moment même souligné par Engels dans le développement de la
philosophie moderne, au cours duquel la naissance et les premiers pas des sciences naturelles ont
établi, dans une première phase, une prédominance de la pensée métaphysique, ce moment
détermine dans une mesure décisive l'absence, ou tout au plus la présence sporadique de la
dialectique de la particularité. Il est certain que certaines des figures centrales du fondement
philosophique des nouvelles sciences mathématiques-géométriques-mécaniques étaient aussi de
remarquables dialecticiens, comme Descartes et Spinoza. Ce dernier, avec sa définition selon
laquelle omnis determinatio est negatio ("toute détermination est négation"), a apporté une
contribution très essentielle - comme nous le verrons plus loin - à la compréhension exacte de la
particularité. Cependant, la question que nous traitons n'a commencé à être placée au centre de
l'intérêt philosophique que lorsque l'intérêt scientifique ne s'est plus limité à la physique (conçue
essentiellement comme mécanique) et s'est étendu à la chimie et, surtout, à la biologie ; c'est-à-dire
lorsque, en biologie, les problèmes de l'évolution ont commencé à apparaître, lorsque la Révolution
française a mis la lutte pour l'idée d'évolution au premier plan des sciences sociales et historiques
elles-mêmes.

Il n'y a aucune raison de s'étonner qu'un tel fait se soit produit dans la philosophie classique
allemande. C'est la philosophie classique allemande qui, dans cette grande crise de croissance de la
pensée, a commencé à poser le problème de la dialectique et à chercher à le résoudre. Dans son
célèbre exposé sur le grand débat entre Cuvier et Geoffroy de Saint-Hilaire, Goethe souligne à
plusieurs reprises que Saint-Hilaire se référait aux exigences de la philosophie allemande de la
nature pour perfectionner sa méthode évolutionniste, tandis que Cuvier lui reproche cet attachement
spirituel à la « mystique allemande ».

Le premier ouvrage dans lequel le problème de la particularité - typiquement moderne dans sa


formulation consciente mais ancien en soi - occupe une place centrale est la Critique de la faculté
de juger de Kant. Le fait que nous reconnaissions Kant comme initiateur n'implique pas, comme
nous le verrons bientôt, la moindre concession à l'interprétation bourgeoise de Kant du siècle
dernier. À notre avis, la philosophie de Kant (et, en son sein, la Critique de la faculté de juger) ne
représente ni une synthèse fondamentale grandiose sur la base de laquelle la pensée ultérieure doit
être construite, ni la découverte d'un nouveau continent, « une révolution copernicienne » dans
l'histoire de la philosophie. Elle représente plutôt - et ce n'est pas rien - un moment important dans
la crise philosophique aiguë qui s'est déclenchée au XVIIIe siècle. Lénine a souligné les oscillations
de Kant entre le matérialisme et l'idéalisme. De même, des oscillations entre la pensée
métaphysique et la pensée dialectique peuvent être observées chez lui, comme nous le verrons
bientôt. Chacun sait, par exemple, que la dialectique transcendantale dans la Critique de la raison
pure pose la contradiction comme problème central de la philosophie. Il est certain qu'il ne le fait
que comme un problème qui détermine les limites insurmontables de « notre » pensée, et comme un
problème dont - hormis cette mise en place de limites - aucune conséquence d'aucune sorte ne peut
être tirée pour la méthode de la connaissance, pour la méthode des sciences. Et là où Kant confère
une importance décisive à la raison, dans l’éthique, la contradiction disparaît complètement ; et il ne
reconnaît que l'opposition rigide, antinomique, entre la domination de la raison et les sentiments
humains, entre le moi intelligible et le moi empirique. Par conséquent, son éthique établit une
soumission exclusive et inconditionnelle au devoir-être ; et dans celle-ci, il n'y a pas place pour une
dialectique des conflits éthiques. Ainsi, Kant est devenu - contre sa propre volonté et sans en avoir
conscience - la première figure importante et influente dans la création de la méthode dialectique
dans la philosophie classique allemande de l'idéalisme. Sa philosophie est plus un symptôme de la
3

crise qu'une tentative vraiment sérieuse de la résoudre. Et de ce point de vue, la Critique de la


faculté de juger elle-même ne fait pas exception. Cependant, ce n'est pas un hasard si, dans cet
ouvrage, on soulève les questions qu'une nouvelle science émergente, la biologie, avait présentées à
la philosophie, questions qui ont obligé à briser le cadre de la pensée mécaniste cohérente des
courants dominants de l'époque.

Sur ce point également, nous devons commencer par une restriction. La naissance de la biologie en
tant que science est liée à la lutte autour de l'évolution. Il est certain qu'au moment de la rédaction
de la Critique de la faculté de juger, la tendance classificatrice mécaniste de type Linné était encore
prédominante, mais la lutte avait déjà commencé (pour ne parler que de l'Allemagne), avec la
découverte de l'os intermaxillaire chez l'homme, faite par Goethe. Dans un tel tableau, Kant prend
résolument position contre le nouveau courant :

« Il est absurde pour les hommes de former un tel projet, ou d'espérer, qu'il surgira un jour quelque
Newton, qui pourrait rendre compréhensible ne serait-ce que la production d’un brin d’herbe d’après
des lois naturelles non ordonnées par une intention »4.

Pour tout connaisseur de Kant, le nom de Newton, utilisé ici symboliquement, est doublement
significatif. D'une part, comme expression de la méthode réellement scientifique en général (cf.
l'approche de la physique dans la Critique de la raison pure) ; d'autre part, parce que le rejet par
Kant de la possibilité d'une théorie scientifique de la genèse et de l'évolution implique également le
rejet du nouveau genre de méthode scientifique qui dépasserait celle des XVIIe et XVIIIe siècles. Il
est certain que le simple fait, le simple phénomène de la vie l'oblige à dépasser la méthodologie de
la Critique de la raison pure. Les nouveaux problèmes posés et les tentatives de solutions ne
viennent cependant pas - comme c'était déjà le cas à l'époque pour Goethe, ou quelques années plus
tard pour Schelling - au secours de la théorie de l'évolution alors en train de naître, mais tendent
simplement à créer une base gnoséologique pour la classification biologique statique.

Cependant, le simple fait que le domaine de la biologie soit subordonné à une enquête logique,
méthodologique et gnoséologique engendre de nouveaux problèmes qui ne peuvent être résolus
avec l'appareil conceptuel que la Critique de la raison pure soumet à la critique et cherche à
développer. Même si, comme Kant, on ne veut voir ici que des questions de classification, il devient
nécessaire de reformuler méthodologiquement et gnoséologiquement des catégories telles que les
espèces, les genres, etc. Kant voyait de façon relativement claire les tâches qui lui étaient proposées
(dans les limites qui lui imposaient, bien sûr, l'idéalisme subjectif et l'anti-évolutionnisme). En
raison de l'importance de cet ensemble de problèmes, nous devons reproduire en détail le passage
où Kant formule la question :

« La forme logique d'un système consiste simplement dans la division de concepts universels
donnés (en l’occurrence, ici, de celui d’une nature en général), permettant de penser selon un certain
principe le particulier (ici, l’empirique), avec sa diversité, comme contenu sous l'universel. Or, tel est
le cas d’une classification du divers, lorsqu'on procède empiriquement et que l'on s’élève du
particulier à l'universel : on y compare entre elles plusieurs classes, chacune d'elles se rangeant sous
un concept déterminé ; et, lorsqu'elles sont complètes, selon le caractère commun, on les subsume
sous des classes plus élevées (genres), jusqu'à atteindre le concept qui contient en lui-même le
principe de toute classification (et constitue le genre suprême). Si, au contraire, on part du concept
universel pour descendre ensuite vers le particulier, à travers une division complète, cette procédure
doit être désignée comme la spécification du divers sous un concept donné, puisqu'on procède du

4 E. Kant, Critique de la faculté de juger, § 75, p. 215.


4

genre suprême vers les genres inférieurs (sous-genres ou espèces) et des espèces aux sous-espèces.
On s'exprimerait de manière plus correcte si, au lieu de dire (comme dans le langage courant) qu'il
faut spécifier le particulier placé sous l’universel, on disait qu'on spécifie le concept universel
puisqu'on ramène le divers sous lui. Car, le genre (considéré au point de vue logique) est, pour ainsi
dire, la matière ou le substrat brut que la nature élabore par déterminations successives en espèces et
sous-espèces particulières ; on peut donc dire que la nature se spécifie elle-même selon un certain
principe (ou l'idée d'un système), par analogie avec l'utilisation de ce mot chez les juristes lorsqu'ils
parlent de la spécification de certaines matières brutes »5.

Cette longue citation dit très clairement comment le problème est apparu chez Kant. En premier
lieu, nous voyons que chez lui - comme dans la pratique générale de la pensée des Lumières - la
pensée s'identifie spontanément et sans critique à la pensée métaphysique. De ce fait, il s'ensuit,
deuxièmement, que l'évolution est pour Kant conceptuellement incompréhensible (n'existant pas).
Pour lui, il n'y a qu'une classification ou une spécification, selon que la pensée s'élève du particulier
à l'universel ou se développe de l'universel au particulier. Cela revient à dire que l'induction et la
déduction, qui jusqu'alors se présentaient souvent comme des écoles philosophiques placées les
unes à côté des autres, et parfois clairement divisées (pensez à Bacon d'un côté et à Spinoza de
l'autre), sont présentées ici comme des méthodes coordonnées. Il est certain que chez Kant aussi, il
s'agit d'opérations mentales rigidement séparées les unes des autres. Troisièmement, l'oscillation de
Kant entre le matérialisme et l'idéalisme, soulignée par Lénine, se fait également sentir ici. Une telle
ambiguïté est clairement visible dans des formulations telles que "la nature se spécifie elle-même".
Dès qu'il concrétise le problème et cherche des moyens concrets de le résoudre, Kant se réfugie
dans l'idéalisme subjectif. À ce stade, nous devons observer - en anticipant les arguments qui
suivront - qu'une telle fuite, après l'identification de la faculté de pensée humaine en général avec la
pensée métaphysique, prend nécessairement l'apparence d'une intuition imprégnée d'irrationalisme.
Dans la Critique de la faculté de juger, Kant dit : "Notre entendement est une faculté des concepts,
c'est-à-dire un entendement discursif"6. Nous aurons l'occasion de revenir plus en détail sur ce
problème.

Il est clair que tant la classification que la spécification posent le problème des relations réciproques
entre universalité et particularité. Pour pouvoir trouver, en général, une réponse quelque peu
cohérente aux questions que soulèvent ces relations, Kant doit dépasser ce rapport entre la pensée et
l'être qu'il a établi dans la Critique de la raison pure, dans lequel toute morphologie, tout principe
formateur, se trouve exclusivement du côté du sujet, tandis que le contenu provient de cette
"affection" que la chose en-soi exerce sur le sujet à travers les impressions des sens. Mais comme
toutes les catégories, toutes les formes, sont des produis de la subjectivité créatrice transcendantale,
Kant a besoin, de manière cohérente, de nier toute morphologie au contenu, au monde des choses
en-soi, de les concevoir comme un chaos qui, en principe, n'a pas d'ordre et ne peut être ordonné
que par les catégories du sujet transcendantal (Kant lui-même n'a jamais déduit cette conséquence
avec une cohérence radicale ; elle est devenue plus tard la base de la philosophie
schopenhauerienne). La classification et la spécification obligent Kant à aller au-delà de cette
conception ; il le fait certainement sans se rendre compte qu'il est infidèle aux principes de ses
principaux travaux théoriques. En fait, le programme gnoséologique déjà cité, en ce qui concerne ce
domaine, est inconciliable avec l’opposition radicale qui précède entre la formativité purement
subjective et le chaos du contenu.

5 E. Kant, Première introduction à la critique de la faculté de juger, pp. 35-36.


6 E. Kant, Critique de la faculté de juger, § 77, p. 220.
5

L'oscillation de Kant entre matérialisme et idéalisme se présente ici, comme nous le voyons, à un
degré plus élevé, plus concrètisé. Il ne s'agit plus de cette existence abstraite en général -
inaccessible par principe à la pensée - des choses en-soi, des choses indépendamment de la
conscience ; cette indépendance reçoit une forme plus concrète : la nature, le monde extérieur
objectif doit se spécifier lui-même, afin que la pensée qui spécifie puisse comprendre
gnoséologiquement la descente de l'universel au particulier. À ce stade, un idéaliste objectif
conséquent (sans parler d'un matérialiste) devrait dépasser énergiquement la conception de la réalité
propre à la Critique de la raison pure ; il devrait chercher les racines, les fondements de la
spécification - et, bien sûr, aussi de la classification - dans la réalité objective elle-même ; les
principes de spécification et de classification élaborés par une telle voie devraient être des
propriétés objectives, caractéristiques des objets en-soi, de leur enchaînement et de leur
développement. Il est clair que pour Kant, une telle consécution logique n'était absolument pas
possible. En tant qu'idéaliste subjectif, il ne peut postuler qu’une faculté subjective consciente ; il
est obligé de reproduire à un niveau supérieur la contradiction fondamentale de la Critique de la
raison pure, s’il veut parvenir à une solution (même si elle est apparente) sans démolir tout son
système. D'où les déclarations de Kant sur le plan programmatique :

C’est donc une supposition transcendantale subjectivement nécessaire que celle-ci : cette
inquiétante disparité sans bornes des lois empiriques et cette hétérogénéité des formes de la nature,
ne conviennent pas à la nature ; tout au contraire,cette nature se qualifie comme système empirique
grâce à l'affinité des lois empiriques particulières sous des lois universelles, pour constituer une
expérience7.

Cette oscillation entre matérialisme et idéalisme - qui chez Kant se termine toujours par la victoire
du second - n'est pas la seule difficulté pour la construction de la nouvelle théorie de la
connaissance. En fin de compte, la conception n'est pas seulement un idéalisme subjectif mais,
comme nous l'avons vu, c'est aussi de la métaphysique ; cependant, cette conceptualisation
métaphysique naît à la suite d'un processus, en raison de l'oscillation entre la métaphysique et la
dialectique. Dans sa précédente tentative de sauver la validité objective des lois naturelles, des
mathématiques et de la physique - qui en lui est essentiellement mécanique - d’un "scandale pour la
philosophie et pour la raison humaine commune"8, des conséquences extrêmes du solipsisme d'un
Berkeley ou d'un Hume, il a dû recourir aux a priori de la sensibilité (espace et temps) et de
l'entendement, qui étaient destinés à garantir l'objectivité de la structure formelle du monde
extérieur. Même en faisant abstraction des limites idéologiques générales de cette conception, la
structure du monde extérieur et les lois sont toutes modelées sur la base de la méthodologie des
mathématiques et de la physique (mécanique). Mais comment comprendre le phénomène de la vie
avec cet appareil conceptuel ? Toujours là, au moins en partie, Kant a vu la difficulté et l'a exprimée
clairement :

L’entendement, lui, dans sa législation transcendantale de la nature, fait abstraction de toute


multiplicité de lois empiriques possibles ; il n’y prend en considération que les conditions de
possibilité d'une expérience en général selon sa forme. On n'y trouve donc pas ce principe de
l'affinité des lois particulières de la nature9.

La faculté de juger reçoit dans le système kantien des "facultés de l'âme" la tâche de lancer un pont
sur cet abîme, de "ramener les lois particulières, même en ce qui les différencie des lois universelles

7 E. Kant, Première introduction à la critique de la faculté de juger, Vrin, p. 29


8 E. Kant, Critique de la raison pure, Préface 2e édition, GF, p. 53.
9 E. Kant, Première introduction à la critique de la faculté de juger, pp. 29-30.
6

de la nature, sous des lois plus élevées, toujours empiriques cependant »10. Sa fonction dans Kant,
cependant, change selon qu'elle passe du particulier à l'universel (classification) ou vice-versa
(spécification). La séparation métaphysique rigide entre le chemin du bas vers le haut et le chemin
du haut vers le bas a pour conséquence que, à ce stade, pour comprendre les relations de l'universel
au particulier, il est nécessaire de recourir à deux organes cognitifs différents ou "facultés de l'âme".
Dans la Première introduction à la critique de la faculté de juger, Kant nous donne une image
précise de la façon dont il conçoit cette division du travail entre les "facultés de l'âme".
Entendement : "la faculté de connaître l'universel (les règles)" ; faculté de juger : "la faculté de
subsumer le particulier sous l'universel" ; raison : "la faculté de déterminer le particulier par
l'universel (dériver des principes)"11 L'attribution de cette dernière tâche à la raison signifie, dans le
domaine de la pensée kantienne, un agnosticisme. En fait, nous savons que - à l'exception de la
praxis, de l'action humaine, ou plutôt, de l'intention d'une telle action - Kant ne reconnaît aux
facultés de "notre" âme aucune possibilité d'une connaissance rationnelle concrète se référant à la
réalité : "notre" usage de la raison ne peut consister qu'à établir des limites pour l'entendement. Ce
point de vue est maintenu dans la Critique de la faculté de juger. Mais le fond de la question traitée
a pour conséquence que ce point de vue ne peut être appliqué qu'au prix d'une incohérence extrême.
En fait, dans la théorie mécaniste de la connaissance, l'agnosticisme n'est qu'un problème de limites.
Les résultats particuliers de la physique ne sont pas affectés par la distance de l'horizon
gnoséologique. Il est possible pour des scientifiques, comme le disait Lénine, d'être matérialiste
dans leurs recherches particulières et de ne se soucier de l'agnosticisme que lorsqu'ils commencent à
philosopher. Ici, cependant, le problème gnoséologique, malgré toutes les limites des conceptions de
Kant concernant l'évolution, découle finalement du problème concret de la biologie (organisme, vie,
espèce, genre, etc.). Le refus total de toute connaissabilité de ces phénomènes serait plus qu'un
agnosticisme gnoséologique : ce serait la reconnaissance de l'échec de la science.

Pour cette raison, la Critique de la faculté de juger est un compromis par rapport à la Première
Introduction. Aux antipodes de la séparation radicale des deux voies évoquée plus haut,
contrairement à leur attribution à des "facultés de l'âme" différentes, la tâche de la connaissance,
dans les deux cas, est désormais attribuée à la faculté de juger. Il est certain que, comme nous le
verrons bientôt, d'une manière tout à fait différente, le jugement est déterminant dans le passage de
l'universel au particulier ; et il n'est réfléchissant que si l'universel est recherché à partir du
particulier. Cette contradiction n'est pas simplement équivalente à l'affirmation, que l'on trouve dans
de nombreux livres de logique, selon laquelle l'induction donne des résultats moins certains que la
déduction. Dans le cas de Kant, il s'agit d’un problème général, de la crise de la pensée
métaphysique en général (même s'il n'en avait pas conscience), et cette crise dans le second cas
s'approfondit qualitativement. Un problème profond est également présent, sans doute, dans le
premier cas. Mais dans ce cas, il peut sembler à Kant qu'avec la déduction transcendantale des
catégories, les lois universelles que l'entendement (selon la conception de Kant) prescrirait à la
nature ont reçu un fondement logique suffisant. Cependant, dans toute application concrète, c'est-à-
dire dans toute recherche et détermination d'une particularité quelconque (que ce soit celle d'un
groupement ou d'une loi particulière), le problème apparaît lourd de conséquences. dit Kant :

Toutefois, il y a tant de formes diverses de la nature et pour ainsi dire tant de modifications des
concepts transcendantaux universels dans la nature, modifications laissées sans détermination par les
lois que l'entendement pur donne a priori, puisque ces lois ne concernent que la possibilité d'une
nature en général (comme objet des sens), que pour cela aussi il doit y avoir des lois qui, certes,

10 Ibid. p. 30 ;
11 Ibid. p. 20
7

comme lois empiriques, peuvent très bien être contingentes, au regard de notre entendement,mais qui
cependant, pour mériter d’être appelées des lois (comme l'exige le concept même de nature), doivent
pouvoir être considérées comme nécessaires à partir d’un principe d'unité du divers – encore que
celui-ci nous reste inconnu12.

Il est nécessaire de souligner comme moments décisifs de l'argumentation de Kant que, d'une part,
toutes les lois (empiriques) particulières sont contingentes "au regard de notre entendement" et cette
contingence pour "notre" pensée reste nécessairement insurpassable ; et, d'autre part, pour "être
appelées des lois", il faut placer comme fondement un "principe d'unité du divers" qui "pour nous"
est inconnu et inconnaissable.

Il est évident que nous sommes encore en présence d'un agnosticisme, mais d’un agnosticisme qui
est qualitativement différent celui de de la Critique de la raison pure. Il s'agissait là-bas d'une
inconnaissabilité de principe de la chose en-soi, ce qui n'excluait pas une connaissance sans cesse
croissante et perfectionnée des phénomènes. Le fait que ces connaissances ne se réfèrent qu'au
monde des phénomènes et non à la réalité objective, comme nous l'avons vu, n'a pas de
conséquences initiales sur la pratique scientifique concrète. Nous disons "initialement", mais la
vérité est que, dès que le développement de la physique en tant que science et son approche plus
exacte de la réalité objective dissolvent l'homogénéité mécaniste-métaphysique (qui prévalait
encore à l'époque de Kant) du monde reflétée dans la science, dès qu’ apparaissent des phénomènes
particuliers, ou des groupes de phénomènes et de lois particuliers, qui ne sont plus subordonnés
(subsumables) les uns aux autres à une métaphysique mécaniste, l'idéalisme subjectif agnostique
interfère de manière profondément néfaste dans la praxis scientifique concrète des physiciens.
Lénine a signalé cette ligne de développement, dès qu'elle s'est manifestée, comme un danger pour
les sciences naturelles ; et il a entrepris contre elle une lutte idéologique destructrice. Aujourd'hui,
cette crise apparaît dans son extrême acuité, tant en ce qui concerne la théorie de la relativité que la
théorie quantique.

Une telle crise a existé dès le début en gnoséologie et dans la méthodologie des sciences
biologiques ; on pourrait même dire que l'émergence de la biologie en tant que science s'est
exprimée sous la forme de cette crise. Nous avons vu que, déjà chez Kant, l'agnosticisme idéaliste
subjectif ne se réfère plus seulement aux principes les plus abstraits de la connaissance scientifique
en général, mais directement et immédiatement à la praxis scientifique concrète elle-même : toute
loi particulière, dans sa relation avec une loi universelle (selon Kant, dans sa subsomption), est dès
le début problématique, puisqu'une telle relation est en même temps purement subjective,
inéluctablement hypothétique, et pourtant, elle doit aussi être objective scientifiquement. La
cognoscibilité du monde objectif, indépendante de la conscience, se retrouve dans chaque
affirmation concrète, déterminant le contenu scientifique et la méthode scientifique.

Cette contradiction apparaît encore plus profondément lorsqu'il faut partir du particulier pour aller
vers l'universel, dans le domaine du jugement réflexif. Kant dit : "la faculté de juger réfléchissante
ne peut que se donner à elle-même comme loi un tel principe transcendantal, sans pouvoir
l’emprunter ailleurs (car elle deviendrait ainsi une faculté de juger déterminante) ; ni le prescrire à
la nature..."13. Le subjectivisme et l'agnosticisme apparaissent donc encore plus prononcés :
l'agnosticisme domine tout le domaine de la science, tous ses problèmes concrets, ses relations. Et
toute la méthode est durcie par un subjectivisme ouvert.

12 E. Kant, Critique de la faculté de juger, Introduction, § IV, p. 28.


13 Ibid., p. 28.
8

Toutes ces contradictions insurmontables sont finalement le résultat de l'idéalisme philosophique.


Dès l'instant où la biologie en tant que science existe, la philosophie bourgeoise se trouve face à un
dilemme insoluble : soit elle tente de résoudre les problèmes biologiques avec les moyens de la
pensée métaphysique (c'est-à-dire qu'elle tente de les réduire aux lois de la mécanique) et tombe en
contradiction avec les faits spécifiques de la vie, soit elle tente de comprendre les nouveaux
phénomènes avec un appareil conceptuel qui transcende la mécanique et tombe nécessairement dans
la catégorie de la finalité et toutes les contradictions de cette catégorie dans sa formulation idéaliste.
Kant tente également de suivre cette deuxième voie. En sa faveur, il faut dire que, contrairement à
ses contemporains et à ses successeurs réactionnaires, il ne veut pas que la finalité s'inspire
ouvertement et directement de la théologie ; et il n'a pas l'intention d'utiliser la finalité comme une
nouvelle catégorie pour éloigner les lois de la causalité, mais cherche plutôt à la situer en accord
avec le système général de ces lois. Il définit donc la finalité comme "une légalité (conformité à la
loi) du contingent comme tel"14.

Cependant, comme chez Kant, malgré les aspects dialectiques importants, la pensée métaphysique
prédomine, les difficultés deviennent encore plus insurmontables. En réalité, en lui - en tant que
penseur métaphysique - la nécessité et la contingence s’opposent de manière immédiate et rigide.
Pour Kant, seul ce qui peut être connu a priori est nécessaire ; le reste glisse inévitablement dans
l'imprévu. Ainsi, pour lui, toute différenciation, toute spécification de la réalité - et, par conséquent,
tout ce qui est particulier et singulier - doit nécessairement apparaître comme contingente. Voir la
contingence à la fois dans la spécification et dans la finalité, rechercher les catégories propres à la
biologie sans abandonner ou minimiser celles de la nature sans vie : dans tout cela, il y a sans doute
des moments progressifs, même si Kant est loin d'avoir correctement formulé ces problèmes et
encore plus loin de les avoir résolus, comme l'affirment tant d'historiens bourgeois de la
philosophie. Il a extrait ces problèmes de la réalité, du développement des sciences : et c'est déjà un
mérite historique, surtout quand il est certain qu'il a au moins senti leur importance.

En ce qui concerne la particularité, nous avons déjà attiré l'attention sur le génie de la définition de
Spinoza. Lorsque Kant, dans le rapport du particulier à l'universel, voit le moment de la
contingence, il a sans doute partiellement raison, compte tenu de la rupture avec la métaphysique
rigidement mécaniste dans le passage du particulier à l'universel et vice versa, ainsi que de
l'observation que ce qui constitue la particularité n'est pas, dans sa spécificité, susceptible d'être
simplement déduit de l'universel, et que du particulier on ne peut pas simplement obtenir un
universel. La proposition du problème de la contingence dans cette relation réciproque est, en ce
sens, justifiée. Il est certain que ce n'est le cas que pour une pensée vraiment dialectique, qui, en
même temps, reconnaît dans la contingence un élément, un moment de la nécessité. Et de cette
reconnaissance, il n'y a pas de trace chez Kant. Mais à ce stade, il faut clairement distinguer Kant
des "biologistes" réactionnaires, il faut souligner avec une insistance particulière qu'avec la
"conformité à la loi du contingent" de ce qui est finalisé (l'organisme), il ne pense pas à éliminer la
nécessité causale et la légalité, mais plutôt à la préserver dans l'objectivité (possible, dans son
système) de la causalité conçue de façon mécanique. Pour ne pas connaître la dialectique de la
nécessité et de la contingence, nous pouvons la voir, encore ici, dans les méandres des antinomies
du type de celles de la dialectique transcendantale dans la Critique de la raison pure :

14 E. Kant, Première introduction à la critique de la faculté de juger, op. cit., p. 40.


9

"Thèse : toute production de choses matérielles est possible par des lois simplement mécaniques.
Antithèse : quelques productions de ces choses matérielles ne sont pas possibles par simples lois
mécaniques"15.

Les arguments ultérieurs de Kant indiquent que cette antinomie est basée sur le modèle formel de la
dialectique transcendantale et qu'elle entraîne, comme son modèle, des conséquences agnostiques ;
cependant, comme nous l'avons déjà observé, elle a un caractère différent de la Critique de la
raison pure. Cette différence s'exprime surtout dans le fait que l'inconnaissable qui se présente
comme le résultat de l'antinomie insurpassable n'est plus une chose en soi complètement dépourvue
de contenu et de forme, mais - bien que présenté comme un problème insoluble - reçoit une
physionomie claire de contenu et de forme. Ainsi, Kant, en exposant les conséquences de
l'antinomie susmentionnée, formule la question :

Si, dans le fondement interne de la nature, qui nous est inconnu, la liaison physique-mécanique et la
liaison finale pour les mêmes choses ne seraient pas reliées en un même principe. ; seule notre raison
est impuissante à les unir en un tel principe »16.

Nous avons là une nouvelle oscillation caractéristique de la philosophie kantienne : d'une part, elle
nie toute cognoscibilité objective de la vie et, d'autre part, elle fournit à la recherche des indications
relativement concrètes (et ce n'est certainement pas un hasard si le passage cité figure parmi ceux
que Goethe a approuvés et soulignés dans son exemplaire de la Critique de la faculté de juger).
L'exigence d'une telle conformité aux lois des organismes a d'autant plus de poids que Kant a le
sentiment exact que tout mode de vie phénoménal concret et spécifique, considéré du point de vue
de la conformité pure et simple aux lois mécaniques, doit avoir un caractère contingent
insurpassable : "que la nature, considérée comme un mécanisme, aurait pu procéder de mille autres
manières"17.

Cette exigence persiste chez Kant aussi, car sa conception métaphysique et a-historique du monde
(basée sur un idéalisme subjectif) rend impossible la compréhension du finalisme dans la vie
organique. Kant définit le finalisme de la manière suivante : "une chose existe comme fin naturelle,
lorsqu'elle est cause et effet d'elle-même (bien que ce soit dans un double sens)"18. Il en résulterait,
d'une part, qu'elle se produit à la fois comme espèce et comme individu et, d'autre part, qu'un lien
doit exister entre les parties de telle sorte que "la conservation de la partie et la conservation du tout
dépendent l'une de l'autre" ; que "les parties (en ce qui concerne leur existence et leur forme) ne sont
possibles que par leur relation au tout". Cependant, au lieu de découvrir ici une nouvelle forme
supérieure de connexions selon les lois, au lieu de développer dialectiquement la "force formatrice"
à partir de ce qui est mécanique (par opposition à la "seule force motrice" de la mécanique), encore
une fois Kant est attaché à une opposition rigide, aussi métaphysique qu'agnostique : "Pour parler
en toute rigueur, l'organisation de la nature n'a rien d’analogue avec une quelconque causalité
connue de nous"19.

La tentative gnoséologique de Kant de fonder une méthodologie scientifique de la vie organique se


termine donc par un agnosticisme complet. Pour donner au moins l'apparence d'une construction
scientifique aux concepts, il est contraint d'inventer une "adaptation" complètement mystifiée de la

15 E. Kant, Critique de la faculté de juger, op. cit., § 70, p. 203.


16 Ibid., § 70, p. 204.
17 Ibid., § 61, p. 182.
18 Ibid., § 64, p. 190
19 Ibid., § 65, pp. 193 & 194.
10

réalité objective à "notre faculté cognitive". On y trouve sûrement encore quelques traces de
l'oscillation de Kant entre matérialisme et idéalisme, déjà soulignée par Lénine : rappelons qu'il
affirme que la nature se spécifie elle-même. En fait, si le lien entre l'universel et le particulier
supposé ici par Kant était déterminé comme la propriété de la réalité objective elle-même, cette
"affinité" (comme cela se produit souvent dans Hegel) ne serait qu'une expression idéalement
inversée du fait que notre savoir s'adapte à la réalité objective indépendamment de notre conscience,
du fait que le savoir aspire sans cesse à refléter cette réalité de la manière la plus appropriée
possible. L'expression inversée ne serait alors qu'une des nombreuses illusions de la spontanéité du
sujet qui sait de façon naïve et non critique. Mais l'idéalisme subjectif agnostique de Kant ne
pouvait pas aller aussi loin.

Cette "faveur" énigmatique offerte par la nature à notre faculté cognitive ne peut être utilisée par
Kant, dans toute sa pureté, que pour le fondement de son esthétique. Et, ici aussi, seulement de la
manière suivante : en faisant en sorte que tout ce qui est esthétique soit confiné à la sphère
subjective et que toute conformité aux lois et à la conceptualité objective soit donc retirée de
l'esthétique. « La faculté de juger esthétique est ainsi une faculté de juger particulière pour juger les
choses d’après une règle et non suivant des concepts »20. Ainsi, chez Kant, l'esthétique devient non
seulement subjectiviste mais aussi formaliste : la suppression du concept compte dans la dissolution
du contenu (dans quelle mesure Kant réalise ou cesse de réaliser ce programme - et l'échec de sa
réalisation compte en sa faveur - n'est pas une question à discuter ici). En bref : l'esthétique devient
ainsi une « réserve naturelle », soigneusement isolée de la sphère de la connaissance. Cependant,
une séparation aussi claire est méthodologiquement impossible pour Kant lorsqu'il s'agit de savoir
ce qui est organique. Par conséquent, cette connaissance, dans son mode de considération
téléologique, ne possède aucune « faculté particulière, mais simplement la faculté de juger
réfléchissante en général ». Il s'agit d'une connaissance par concepts, mais de telle nature qu'il ne
peut y avoir de faculté « déterminant les objets »21. Ainsi, l'objectivité scientifique de la biologie est
à la fois requise et refusée.

Pour ces antinomies mystifiantes, on ne peut qu'offrir un moyen de sortir de la mystification. Kant
expose une gnoséologie dans laquelle tous les problèmes concrets, qui sont insolubles pour "nous",
doivent néanmoins être résolus. Les limites de la connaissance, ici, ne se situent pas, comme dans la
Critique de la raison pure, dans l'horizon de la connaissance concrète réelle (sans la toucher), mais
au milieu de la connaissance concrète. Ici, le dépassement des limites n'est pas interdit, comme dans
la première critique, et doit même être tenté : les limites doivent être dépassées, mais avec la
conscience philosophique qu'il s'agit d'un savoir - pour "nous" - insupportablement problématique.
Cette position encore plus oscillante de Kant indique clairement qu'il a au moins l'intuition et le
ressenti de la crise philosophique de son temps. C'est pourquoi, ayant admis un problème non
résolu, il propose, contrairement à la première critique, un saut dans l'abîme du nouveau. Kant ne
voit cependant pas que son problème, son échec (même sans la limite idéaliste générale), annonce la
crise décisive de la pensée métaphysique et son effondrement face à l'émergence de problèmes
manifestement dialectiques.

On peut clairement voir que Kant était impliqué dans la pensée métaphysique quand on voit qu'il
identifie la pensée métaphysique avec toute pensée humainement possible ("notre") ou avec toute
pensée conceptuellement rationnelle (qu'il appelle "pensée discursive"). Une telle formulation
erronée et fausse ne peut qu'entraîner une réponse erronée qui déforme encore davantage le

20 Ibid., Introduction, § VIII, p. 40.


21 Ibid., p. 40.
11

problème : la pensée placée au-delà des limites imposées à "notre" pensée n'est pas une pensée
dialectique (aux antipodes de la pensée métaphysique) mais plutôt une pensée intuitive (aux
antipodes de la pensée rationnelle-conceptuelle, discursive). Voici comment que Kant expose
l'antithèse dans ses propres mots :

Notre entendement est une faculté des concepts, c'est-à-dire un entendement discursif, pour lequel la
spécificité et la diversité du particulier, qui peut lui être donné par la nature, et qui peut être rangé
sous ses concepts, sont choses contingentes. Mais comme l'intuition est nécessaire aussi à la
connaissance et que la faculté d’une complète spontanéité de l'intuition constituerait une faculté de
connaître différente de la sensibilité et entièrement indépendante de celle-ci (c'est-à-dire un
entendement, au sens le plus universel du terme), on peut aussi concevoir un entendement intuitif
(négativement, c'est-à-dire simplement en tant que non discursif), qui n’irait pas du général au
particulier et ainsi jusqu’au singulier (par des concepts), et pour lequel n’(existerait pas cette
contingence de l'accord de la nature avec l’entendement dans ses productions d’après des lois
particulières, contingence qui rend si difficile pour notre entendement de ramener la diversité de
celles-ci à l'unité de la connaissance22.

Cette connaissance intuitive serait une « universalité synthétique », en antithèse à l'« universalité
analytique » de l’entendement discursif. Pour une telle façon de savoir, le problème de la
contingence - par exemple, dans la connexion du tout avec les parties, dans la connexion de
l'universel avec le particulier - n'existerait pas du tout. Comme on peut le voir, la dialectique interne
des problèmes amène Kant au point où les questions de dialectique se posent, mais à ce stade il fait
marche arrière et recourt à l'intuition, à l'irrationalisme.

Certes, il est également évident que Kant a une perception claire des dangers découlant de sa
position philosophique. Il est loin d'indiquer, comme un chemin que l'on peut entièrement parcourir,
celui que ses considérations indiquent comme une issue méthodologique et qui conduit à l'intuition
et à l'irrationnel. Il refuse même énergiquement à "notre savoir" cette faculté d'intuition qu'il a
postulée pour lui-même ; et il est clair qu'avec cela, l'abdication de "notre" savoir face à toute
dialectique est impliquée. Ici encore, la connaissance intuitive n'émerge que comme un horizon,
comme une perspective ultime. Kant prétend seulement avoir démontré que l'hypothèse d'un
entendement intuitif (d'un intellectus archetypus) ne contient "aucune contradiction". Dans cette
thèse cognitive, il voit un "plus tard", quelque chose qui pour "notre" pensée est par principe
impossible à réaliser.

Il est compréhensible qu'en plein milieu de la crise de croissance de la science et de la philosophie,


cette position plus qu'oscillante de Kant devrait susciter une énorme impression, une grande
excitation. On peut dire que à trvers cette répercussion, les précautions gnoséologiques de Kant ont
été sommairement mises de côté. Avec la Critique de la faculté de juger, on a ouvert les portes
d'une pensée impétueusement exigée par le développement des sciences naturelles et par la vision
du monde qui en découle : la pensée dialectique.

Ici, il faut cependant distinguer deux voies, très différentes. Goethe, dont le rôle dans la situation
que nous allons maintenant aborder dans un autre chapitre, salue la Critique de la faculté de juger
comme la confirmation philosophique de sa manière spontanément dialectique d'envisager les
phénomènes de la nature. L'antithèse entre le discursif et l'intuitif en général n'éveille pas son
intérêt : en tant que matérialiste spontané, il n'hésite pas à mettre de côté les scrupules de Kant.

22 Ibid., § 77, p. 220.


12

Schelling, à son tour, développe de manière décisive le problème kantien de la pensée discursive et
intuitive. Dans mon livre La destruction de la raison(20), j'ai montré que la dialectique de Schelling
dégénère nécessairement en un irrationalisme intuitif. Et, à cet égard, l'impression décisive que lui a
laissée la Critique de la faculté de juger et, en particulier, la contraposition entre la pensée
discursive et la pensée intuitive, n'a certainement pas eu une fonction méprisable, du point de vue
idéologique. Apparemment, Schelling, d'une manière analogue à Goethe, fait du postulat de Kant -
irréalisable - une réalité mise hors discussion. Schelling, cependant, assume l'antithèse kantienne du
discursif et de l'intuitif et l'identifie à l'antithèse entre la pensée métaphysique et la pensée
dialectique. Ainsi, la "pensée jeune et sincère" de Schelling (Marx) conduit au cercle vicieux
aveugle de l'irrationalisme, bien que sa philosophie de jeunesse contienne des indications
intéressantes pour l'élaboration d'une dialectique de l'universel et du particulier qui dépasse Kant.
Schelling devait cependant indiquer un organon, une garantie qui permettrait à cette pensée
véritablement dialectique de placer l'intuition sur le même plan que la dialectique, de la
connaissance authentique de la réalité, afin de dépasser le postulat pur et simple de Kant. Si cet
organon était l'attitude esthétique, il était encore possible d'osciller entre la dialectique idéaliste
objective et l'irrationalisme. Après son départ à Wurzbourg en 1803, lorsqu'il commença à voir cet
organon dans la religion, il opta pour une chute complète dans un pur irrationalisme réactionnaire,
devenu a-dialectique.

Par conséquent, le dépassement de Kant par Schelling a deux visages. Nous trouvons chez lui de
véritables indications de la solution dialectique de ces questions qui, chez Kant, avaient, d'une
certaine manière, été imposées de l'extérieur et qu'il devrait, par conséquent, subjectiviser et laisser
ouvertes. Cette tendance se combine et se fond dans le jeune Schelling avec une irrationalisation
mystique des problèmes, qui conduit à la dissolution croissante des éléments d'une dialectique
efficace. Nous ne nous intéressons ici qu'à la première tendance ; l'autre a déjà été évoquée par nous
dans le livre que nous venons de mentionner (La destruction de la raison). Schelling va résolument
au-delà du concept kantien de la vie organique, emporté par le processus logique spontanément
juste selon lequel l'unité des lois naturelles ne peut être éliminée par la reconnaissance d'une
manière particulière de former ce qui est organique. Dans son Ame du monde, Schelling - en
relation avec la pensée de Kant, que nous connaissons déjà, sur la contingence de l'impulsion
formatrice de ce qui est organique - écrit :

Le concept de l'impulsion formative contient le fait que la formation ne se produit pas seulement à
l'aveuglette, c'est-à-dire par des forces propres à la matière en tant que telle, et qu'au nécessaire
existant dans ces forces s'ajoute le contingent d'une influence étrange qui, dans la mesure où elle
modifie la force formative de la matière, la contraint en même temps à produire une figure
déterminée.

Schelling rejette aussi fermement la supposition d'une "force vitale" particulière(21) ; dans
l'explication du phénomène de la vie, il ignore une telle force spécifique. La vie consiste - poursuit-
il - "en un libre jeu de forces, qui est continuellement entretenu par un certain afflux extérieur. La
vie n'est donc pas une em-si particulière : "elle n'est qu'une certaine forme d'être"(22). Et, de façon
cohérente, il conclut ces considérations par les mots suivants

Par conséquent, les forces qui sont en jeu pendant la vie ne sont pas des forces particulières, propres
à la nature organique ; ce qui met en jeu ces forces naturelles dont le résultat est la vie doit
cependant être un principe particulier, que la nature organique recherche en quelque sorte dans la
13

sphère des forces universelles de la nature et transfère à la sphère supérieure de la vie, transformant
ce qui serait autrement un produit mort en forces de formation.

Si nous faisons attention au fait que le livre susmentionné est paru en 1798, et si nous rappelons le
niveau que les sciences naturelles avaient atteint à cette époque (en particulier la biologie), il nous
semble incontestable que Schelling, ici, a fait un grand pas en avant par rapport à Kant. Et en effet,
non seulement dans la tentative de comprendre la vie de manière dialectique, mais aussi dans le
développement et la réalisation du particulier. Le jeune Schelling avait même un certain sentiment
du rôle de l'environnement à la naissance et à la fin de la vie, de la relation dialectique réciproque
entre l'organisme et l'environnement. C'est précisément pour cette raison que le contingent et le
particulier supposent en lui un sens dialectique que Kant n'aurait pas pu comprendre : les deux
catégories commencent à perdre cette rigidité et ce caractère métaphysique abstrait qu'elles avaient
chez Kant, elles deviennent plus concrètes, elles s'insèrent dans des connexions dialectiques.

Cette tendance à la dialectique s'exprime de façon encore plus décisive dans ses considérations
ultérieures. Dans la première ébauche du système de la philosophie de la nature (1799), Schelling
écrit sur la vie et la mort :

La vie s'affirme à travers la contradiction de la nature, mais elle disparaîtrait si la nature ne la


combattait pas... Si l'afflux extérieur contraire à la vie sert précisément à maintenir la vie, ce qui
semble être la chose la plus favorable à la vie, l'insensibilité absolue à cet afflux doit être la raison
de la fin de la vie. Le phénomène de la vie est si paradoxal qu'il en est même à sa cessation. Le
produit, en tant que produit biologique, ne peut jamais sombrer dans l'indifférence... La mort est le
retour à l'indifférence universelle... Les éléments qui avaient été soustraits à l'organisme universel
lui reviennent, et comme la vie n'est qu'un état plus intensifié de forces naturelles communes, le
produit, dès que cet état cesse, tombe sous la domination de ces forces. Les mêmes forces qui,
pendant un certain temps, ont maintenu la vie la détruisent, après tout, et la vie elle-même n'est
donc pas du tout quelque chose ; ce n'est que le phénomène d'un passage de certaines forces de cet
état élevé à l'état habituel de l'universel(23).

Bien sûr, déjà à cette période du développement de Schelling, au moment même de cette
argumentation relativement avancée, les tendances problématiques de toute sa philosophie sont
également révélées. Ils se concentrent sur son maintien ferme du faux dilemme kantien du discursif
et de l'intuitif, ainsi que sur le développement irrationnel de l'archétype intellectus en tant
qu'intuition intellectuelle. Cela peut être perçu dès le tout début de la carrière de Schelling. Dans
son ouvrage de jeunesse L'âme du monde, dont nous avons cité plus haut quelques points de
dialectique dans l'explication de l'organisme, Schelling, sur la question de la contingence du
développement organique, tire des conclusions qui indiquent déjà clairement une orientation vers la
théorie de la liberté mystique :

En effet, la nature ne doit pas nécessairement les produire (organismes - G.L.) ; la nature, là où elle
est née, doit avoir agi librement ; ce n'est que dans la mesure où l'organisation est produite par la
nature dans sa liberté (par un libre jeu de la nature), qu'elle peut susciter des idées de finalisme ; et
ce n'est que dans la mesure où elle suscite de telles idées qu'elle est organisation(24).

Ici, les deux défauts du jeune Schelling sont déjà clairement visibles : la contraposition adialectique
claire de la nécessité et de la liberté, comme héritage kantien ; la mystification de la liberté, comme
conséquence de la philosophie de l'intuition.
14

La situation devient encore plus claire lorsque Schelling cherche à réaliser la relation entre
universalité et particularité. Il part précisément de la célèbre définition de Spinoza que nous avons
déjà citée ("toute détermination est une négation"). Cependant, dans la tentative de découvrir
l'interconnexion de l'universalité, du particulier et du singulier, il insiste pour comprendre cette
interconnexion comme une simple déductibilité, comme une subsomption sans résidus "non
contingents" du particulier et du singulier sous l'universel. Cette formulation du problème, dérivée
de la pensée métaphysique, conduit nécessairement à une réponse irrationnelle de ce type :

Compte tenu des deux faits simultanément - c'est-à-dire que la limitation déterminée ne peut être
déterminée par la limitation en général et que, néanmoins, elle naît avec cette dernière et dans un
seul acte - la conclusion est qu'elle est incompréhensible et inexplicable pour la philosophie... Ce
qui est donc inexplicable, ce n'est pas le fait que je sois limité d'une manière déterminée, mais le
mode même de cette limitation(25) .

Le problème du finalisme est résolu par Schelling de manière analogue. Lorsqu'il pense aux
influences réciproques caractéristiques entre l'organisme et l'environnement, qui se produisent sans
qu'une conscience les accompagne et dont la structure est cependant telle que nous sommes les
seuls à la concevoir comme quelque chose de finaliste lorsqu'elles se présentent en termes
conscients, Schelling a le sentiment de savoir exactement comment les choses se passent. Il est
certain que le niveau atteint à son époque par la science l'empêchait de développer ces pensées de
manière cohérente et profonde, l'empêchait de suivre le développement si riche en bonds et en
limites de la matière en mouvement jusqu'à ce qu'il atteigne l'organisme. Schelling, cependant,
résout aussi ce problème de manière purement apodictique ; et non seulement il renverse tout avec
son idéalisme mystique, mais il déforme le problème et le rend méconnaissable. Le monde objectif
naît donc "par un mécanisme d'intelligence complètement aveugle". Ce n'est que dans un tel monde,
dit-il, qu'une activité finaliste peut être pensée sans conscience ; ce n'est que de cette manière que la
nature devient possible comme quelque chose "qui est finaliste sans être produit de manière
finaliste"(26).

Nous ne pouvons ici que mentionner brièvement quelques cas plus illustratifs concernant à la fois le
dépassement de Kant et la chute dans la mystique irrationnelle. Pour notre problème, il est décisif
de savoir comment Schelling, en allant au-delà de cette question particulière extrêmement
importante, mais en restant dans la méthodologie déterminée par elle, cherche à développer la
dialectique de l'universel et du particulier. Face à Kant, c'est un grand progrès qu'il suppose une
compensation réciproque des différents moments, un dépassement mutuel de ceux-ci, une
conversion de l'un en l'autre. Au départ, Schelling veut seulement donner un complément
philosophico-naturel et objectif à la Doctrine de la Science de Fichte, sans soumettre son point de
vue à une critique de principe. Ce n'est que sous l'influence personnelle de Hegel que l'idéalisme
objectif de Schelling se place sur une base adéquate. Cette objectivité reçoit cependant un caractère
platonique, c'est-à-dire que l'intellect intuitif postulé par Kant se réalise dans Schelling comme une
tentative de renouvellement dialectique de la doctrine platonicienne des idées. Nous devons
certainement souligner que ce revirement donne à Schelling la possibilité de proclamer à nouveau la
connaissance des choses elles-mêmes sur le terrain de l'idéalisme objectif ; pour cette raison, les
tendances à l'objectivité, à l'admission de la connaissance du monde extérieur sont également
présentes dans son travail - malgré tout le mysticisme irrationnel - et ces tendances vont bien au-
delà de Kant. Schelling résume ainsi le nouveau programme de sa philosophie : "En appliquant
commodément l'interprétation dynamique des choses, on en vient à savoir comment la nature elle-
15

même agit"(27). Ce programme, qui révèle des tendances saines en abandonnant l'explication
idéaliste subjective de la nature, fait cependant fi nécessairement du mysticisme irrationnel, en se
développant jusqu'au fond : "La nature elle-même est, pour ainsi dire, une intelligence raidie par
toutes ses sensations et ses intuitions"(28).

Par conséquent, même si cet objectivisme idéaliste signifie un progrès face à Kant, et même si à sa
base la relation dialectique de l'universel et du particulier pourrait devenir un moment important de
la méthode philosophique, l'éclectisme et l'irrationalisme de Schelling, comme nous l'avons vu,
détruisent à chaque étape les acquis qui avaient à peine été réalisés. Toujours dans ce cas, nous
devons nous contenter d'illustrer cet état de fait par un exemple unique et important. Nous savons
que l'un des moments les plus importants dans la "construction" schématique du monde est la
catégorie de pouvoir. Cette catégorie est née, assez tôt, à Schelling, exactement de la dialectique de
l'universel et du particulier. Dans le livre juvénile Idées pour une philosophie de la nature, l'idée est
encore assimilée à la monade leibnizienne : "Toute idée est quelque chose de particulier qui est
absolu en tant que tel ; l'absolu est toujours un... la différence ne réside que dans la manière dont
l'absolu est dans l'idée sujet-objet"(29) Ainsi naissent à Schelling les moments constructifs des
puissances, et chacune de ces puissances est, à la fois, l'absolu (l'universel, l'identique) et, aussi,
insupportablement, le particulier. Cela est essentiellement lié au fait que Schelling ne reconnaît et ne
réalise l'objectivité, la reproduction de la réalité par la pensée, que dans une universalité abstraite.
Et c'est pour cette raison qu'en lui le pouvoir n'est pas une véritable médiation entre l'immédiat et
l'absolu, mais un rapport quantitatif présumé de principes (subjectifs et objectifs, etc.), de sorte que
le choix, la détermination de ces proportions quantitatives est simplement abandonné à la volonté
qu'il construit. Hegel a donc raison quand il dit de la construction schéllinguistique par les
pouvoirs : "Représenter tout comme une série est du formalisme ; on trouve des déterminations sans
nécessité ; et au lieu de concepts, on trouve des formules"(30).

Les idées, dit Schelling, "ne sont rien d'autre que la synthèse de l'identité absolue de l'universel et
du particulier"(31). Par conséquent, dans les pouvoirs, selon la conception de Schelling, apparaît, en
même temps que l'unité dialectique de l'universel et du particulier, l'unité du principe objectif et
subjectif : "de sorte que ce type de phénomène universel se répète nécessairement aussi dans le
particulier et, comme le même et identique, dans le monde réel et idéal". (32) Ce qui implique - en
dépit des constructions mystico-irrationnelles - l'idée ou, du moins, le pressentiment que l'universel
et le particulier ne sont pas de simples déterminations de la pensée, mais que la détermination idéale
n'est que l'expression subjective de la réalité objective existant en soi. Dans l'application concrète de
la théorie du pouvoir, Schelling ne développe cependant pas la dialectique objective et subjective de
l'universel et du particulier comme une dialectique concrète de la nature : il finit par se divertir de
manière abstraite et souvent caricaturale avec des analogies formelles très souvent artificielles et
infondées. L'impulsion vers la dialectique dégénère en un jeu vide d'analogies et de parallèles.

Malgré tout, il faut noter que Kant a fait un pas en avant, notamment sur le plan esthétique. Les
tentatives de trouver une relation dialectique entre l'universel et le particulier n'ont eu aucune
influence sur l'esthétique de Kant. Cette esthétique est restée subjective, privée d'objet et de concept
; la conception subjective idéaliste, portée à la philosophie de la nature, de l'adéquation du monde
aux besoins de notre faculté cognitive, ne pouvait qu'accroître ce subjectivisme esthétique. Ce n'est
que dans la philosophie de la nature organique que les premiers signes d'objectivité apparaissent.
Dans Schelling, la philosophie de la nature et l'esthétique demandent des fondements idéalistes
objectifs. Le platonisme de Schelling a pour conséquence que tout - y compris la question du
rapport de l'universel au particulier - subit une inversion radicale : l'essence de la réalité objective
16

apparaît comme consciente, mais l'idée ne doit pas être le reflet de la chose, mais la chose reçoit son
existence, son em-si, de l'idée. Ainsi, tout un monde propre aux idées émerge. Si, dit Schelling, "à
partir de là, on conclut qu'il devrait alors exister autant d'univers que d'idées de choses particulières,
on sera parvenu exactement à la conclusion que nous visions"(33). Ainsi, contrairement à la théorie
platonique originale des idées - dans laquelle les idées représentent l'universalité, la légitimité des
choses et des relations angulaires -, la dialectique de l'universel et du particulier est ramenée
directement au monde des idées lui-même : "Les choses particulières, tout en étant absolues dans
leur particularité (et donc, en même temps, universelles), sont appelées idées". (34) Cet idéalisme
platonicien de Schelling rend la dynamique (plus désirée et perçue que clairement perçue) à
nouveau statique : la dialectique abstraite de l'universel et du particulier - pensez aussi à la
définition du pouvoir - redevient une assimilation sans résidus et mystiquement colorée du
particulier dans l'universel abstrait. Schelling dit : "Les formes particulières sont en tant que telles
des formes pures sans essentialité ; elles ne peuvent exister dans l'absolu que lorsque, en tant que
particulières, elles reprennent en elles toute l'essence de l'absolu"(35) ou encore : "Si la forme
particulière doit être réelle en elle-même, elle ne peut l'être en tant que particulière mais seulement
en tant que forme de l'univers"(36).

C'est ainsi que l'impulsion vers la dialectique devient un formalisme pur et simple. Naturellement,
la dialectique de la forme et du contenu est immergée dans celle de l'universalité et de la
particularité. Mais, au lieu d'étudier concrètement les relations réciproques souvent très complexes
qui découlent de ce lien, au lieu d'essayer de les expliquer, la méthode de construction
schéllinguistique crée des équations analogiques-formelles. Ainsi, par exemple, la matière est
identifiée à l'universel et la forme au particulier. Schelling est puni pour son platonicisme. Il voulait
voir dans l'art un couronnement a posteriori qui justifierait tout ce qui l'a précédé dans son système.
Cependant, puisque le contenu, la matière, l'argument (chez Schelling : la mythologie comme une
chose en soi, qui est identique à l'idée) représentent l'universel, alors que la forme est la réalisation
particulière, formelle, exactement comme Schelling l'entend, n'est pas présentée comme un principe
réellement réalisé (complété) par l'esthétique : elle rabaisse l'universel de sa grande pureté, de sa
réalité (bien sûr, la priorité du contenu idéal n'exclut pas absolument la complétude esthétique,
obtenue par la réalisation formelle).

L'esthétique de Schelling va au-delà de Kant aussi parce qu'elle tend à fonder une dialectique
historique de l'art. L'opposition de Schelling entre l'ancien et le moderne doit être dérivée de la
dialectique historique de l'universel (genre) et du particulier (individu). Sur certains points
singuliers, on trouve souvent dans Schelling des réflexions pertinentes et ingénieuses qui éclairent
les faits réels et les conditions du développement historique de l'art. Ne citons qu'un passage de
l'esthétique pour montrer comment, souvent à partir de simples prémisses, on tire de Schelling des
généralisations abstraites et déformées ; ou comment des hypothèses fausses et déformées sont
rectifiées par des observations exactes :

Le monde moderne - dit Schelling - peut généralement être appelé le monde des individus ; le vieux
peut être appelé celui des sexes. Dans ce dernier, l'universel est le particulier, le genre est l'individu ;
donc, bien que dominé par le particulier, c'est le monde des genres. Dans le premier, le particulier
ne signifie que l'universel ; par conséquent, puisque l'universel y domine, le monde moderne est le
monde des individus, de la décadence. Dans le premier cas, tout est éternel, durable, impérissable ;
le nombre, pour ainsi dire, n'a pas de pouvoir, car le concept universel de genre coïncide avec celui
de l'individu. Dans le monde moderne, la transformation et le changement sont la loi dominante.
Tout ce qui est fini périt, car il n'existe pas en soi, mais seulement pour signifier l'infini(37).
17

Notes de bas de page :

(1) Lénine, Aus dem philosophischen Nachlass (Œuvres philosophiques posthumes), Vienne-Berlin,
1932, p. 287.

(2) Marx et Engels, Die heilige Familie, Werke (Works), MEGA, Moscou, livre III, p. 305. Sauf
indication contraire, Marx et Engels seront cités selon cette édition.

(3) Kant, Critique de l'arrêt, § 75.

(4) Kant, Erste Einleilung in die Kritik der Urteilskraft. (Première introduction à la critique du
jugement), Werke (Works), éd. Cassirer, Berlin, 1922, volume V, pages 195-96.

(5) Kant, Critique de l'arrêt, § 77.

(6) Kant, Erste Einleitung... page 191.

(7) Ibid.

(8) Ibid, p. 184.

(9) Critique de l'arrêt, introduction, section IV.

(10) Ibid.

(11 ) Kant, Erste Einleitung..., p. 198.

(12) Critique de l'arrêt, § 70.

(13) Ibid.

(14) Ibid, § 64.

(15) Ibid, § 61.

(16) Ibid, § 65.

(17) Ibidem, introduction, section VIII.

(18) Ibid.

(19) Ibid, § 77.

(20) A paraître en 2019 par l'Institut Lukács, en édition bilingue. N. dos E.

(21) Schelling, Werke, Stuttgart, 1856, vol. II, p. 565-566.


18

(22) Op. cit.

(23) Op. cit, vol. III, p. 89-90.

(24) Op. cit., vol. II, p. 567.

(25 ) Op. cit., vol. III, p. 410.

(26) Op. cit, p. 606.

(27)Op. cit, vol. IV, p. 75.

(28) Op. cit.

(29) Op. cit, vol. II, p. 64.

(30) Hegel, Werke, Berlin, 1932, vol. XV, p. 672. Hegel sera cité ci-dessous, sauf indication
contraire selon cette édition.

(31) Schelling, Werke, éd. cit.

(32) Op. cit.

(33) Op. cit., vol. V, p. 389.

(34) Op. cit.

(35) Op. cit.

(36) Op. cit.

(37 ) Op. cit, p. 444.


19

II. LA TENTATIVE DE SOLUTION DE HEGEL

Nous avons eu l'occasion de constater que les tentatives intéressantes de Kant et Schelling pour
comprendre la relation exacte entre universalité et particularité et pour déterminer la place de la
particularité dans le contexte dialectique des catégories se sont terminées, dans le premier cas, par
l'impasse de l'agnosticisme et, dans le second, par celle de l'irrationalisme. Cet échec est dû à la
situation historique de ces penseurs et à leur position face aux problèmes de l'époque. D'une part,
les sciences, dont la naissance et le développement ont imposé ces problèmes à la philosophie - en
premier lieu la biologie - étaient encore à un niveau primitif, dans une phase d'essai, de telle sorte
que des questions générales abstraites pouvaient être posées aux philosophes, qu'elles n'étaient pas
encore en mesure de fournir des indications méthodologiques concrètes. Cette situation défavorable
est encore aggravée par le fait que Kant n'a pas pu adhérer à l'avancée décisive que représente ce
développement scientifique, c'est-à-dire la recherche de l'évolution ; déjà Schelling, dont la pensée
était orientée vers la compréhension philosophique de l'évolution, mystifiait irrationnellement les
intuitions et les références, alors encore rares, d'une théorie de l'évolution universelle. D'autre part,
tant Kant que Schelling ont abordé les problèmes d'universalité et de particularité presque
uniquement du point de vue d'une compréhension philosophique du problème de la vie en biologie.
Ils ont presque complètement échappé au fait que cet ensemble de questions serait appelé à jouer un
rôle décisif également dans les sciences socio-historiques, suite au fait nouveau de la Révolution
française. Kant y a pensé parce que sa pensée sociale était déterminée par les Lumières pré-
révolutionnaires, dont il a traduit les problèmes en langue germano-idéale ; la révolution se reflète
certainement, du point de vue du contenu, et de multiples façons, dans ses écrits socio-historiques,
sans toutefois provoquer un renversement de ses conceptions méthodologiques. Quant à Schelling,
son attitude plutôt négative à l'égard de la Révolution française dès son plus jeune âge l’a empêché
de pouvoir utiliser ses expériences dans sa philosophie ; sa pensée, précisément dans la période
d'épanouissement maximum, était si résolument orientée vers la philosophie de la nature qu'il lui
manquait toutes les conditions préalables pour approfondir ces questions.

Hegel, comme je l'ai amplement souligné en expliquant son activité de jeunesse23, est parti
précisément de la tentative de comprendre philosophiquement les bouleversements sociaux de son
époque ; les problèmes de la philosophie de la nature ne s'inscrivent que plus tard dans son système.
C'est pourquoi il a pu surmonter de façon concrète et originale les obstacles qui ont fait dévier Kant
de son chemin. Certes, dès qu'il étend sa méthode aux phénomènes naturels, des limites idéalistes
analogues à celles de ses prédécesseurs apparaissent en lui. Dans ce cas également, comme Engels
l'a démontré pour toute la philosophie hégélienne, ces limites découlent de l'opposition du système
et de la méthode. Alors que la méthode dialectique tend à concevoir tous les secteurs de l'être et de
la conscience comme un processus historique mû par des contradictions, le système fermé élimine
ce mouvement vers le présent et le futur, introduit des contradictions insolubles même dans la
conception que la pensée a du mouvement, transformant fréquemment le développement reconnu
par la méthode en un développement seulement apparent. Bien que les philosophies de Schelling et
de Hegel soient constitutionnellement diverses et même opposées sur des points décisifs, elles ont
en commun cette limite de l'idéalisme objectif : l'identité sujet-objet au lieu d'une réalité
indépendante de la conscience et reflétée dans la pensée. Cette limite est présente partout, mais de
manière encore plus décisive dans le traitement de la nature comme développement. Le jeune
Schelling expose une théorie mystico-irrationnelle du développement dans la nature et dans
l'histoire, dans laquelle la nature est conçue comme inconsciente, l'histoire comme consciente, et sa
synthèse résiderait dans l'art comme activité consciente-inconsciente. Pour Hegel, la nature est

23 G. Lukacs, Le jeune Hegel, 2 tomes, Gallimard, Paris,


20

l'idée "aliénée" d'elle-même, son "être autre" face à elle-même. Ainsi, la philosophie de Hegel
atteint la conséquence obscure et anti-dialectique que dans la nature il ne peut y avoir de
développement réel comme celui qui se produit dans la société et dans l'histoire. La nature dans sa
totalité, selon Hegel, doit être « considérée comme un système de degrés ». Le développement, « la
métamorphose ne convient qu'au concept, dont seul le changement est un développement »24. Avec
cette théorie, Hegel, dans sa conception du développement, reste loin derrière ses contemporains
allemands comme Goethe ou Oken, sans parler de Lamarck ou Geoffroy de Saint-Hilaire.

Malgré ces limites et ces contradictions insolubles, Hegel est le premier penseur à placer au centre
de la logique la question des rapports entre singularité, particularité et universalité ; et non pas
comme un problème singulier plus ou moins important ou plus ou moins accentué, mais comme la
question centrale, comme le moment déterminant de toutes les formes logiques, de jugement, de
concept et de syllogisme. Naturellement, dans son traitement, toutes les distorsions causées par
l'idéalisme objectif, par l'identité sujet-objet, par la contradiction entre système et méthode sont
révélées ; sur les plus importantes pour nos objectifs, nous reviendrons longuement par la suite.
Cependant, avec toutes ses contradictions, la logique de Hegel représente un important pas en avant
dans la réalisation et la clarification de notre problème. Nous verrons aussi qu'il n'a pu faire ce pas
que parce qu'il a fait de multiples tentatives pour comprendre philosophiquement les expériences de
la révolution bourgeoise de son temps, pour y trouver les bases de l'existence d'une dialectique
historique, pour partir d'ici la construction d'une logique d'un nouveau type.

Cette nouvelle position du problème est déjà clairement visible chez le jeune Hegel à l'époque de
Francfort. Dans sa tentative d'exposer philosophiquement la révolution bourgeoise, Hegel adopte un
point de vue à peu près similaire à celui de la brochure du célèbre abbé Sieyès sur le tiers état.
Comme on le sait, Hegel a répudié le jacobinisme dès son plus jeune âge, mais il a approuvé les
objectifs anti-féodaux de la bourgeoisie et la politique de la Révolution française. Pour Hegel aussi,
le point de départ est le contraste entre le poids économique et social réel du tiers État et sa nullité
politique. Pour Hegel, la tâche de la révolution est précisément de créer un ordre étatique qui
corresponde aux relations sociales réelles. Cherchant à clarifier cette question d'un point de vue
philosophique, il est confronté au problème de la dialectique historico-sociale de l'universalité et de
la particularité. Dans cette transposition d'une question sociopolitique concrète dans l'abstraction de
la philosophie, se manifeste naturellement l'idéalisme de Hegel, le fait que tout son monde idéal est
déterminé par le retard de l'Allemagne. Malgré cette observation nécessaire, il ne faut pas oublier
que dans ces abstractions, le sens que Hegel a de la dynamique concrète des luttes de classes se fait
également sentir. Hegel considère l'état de l'Ancien Régime comme une formation qui nourrit la
prétention de représenter la société dans son ensemble (en logique : d'être universel), mais un tel
état sert exclusivement les intérêts des couches féodales dominantes (en logique : du particulier).
Pour Hegel, il existe donc, dans la dynamique historique de la révolution, un tableau dans lequel un
système social survivant exerce une véritable et réelle tyrannie qui est déshonorante pour tout le
peuple (l'universel devient particulier). La classe révolutionnaire, la bourgeoisie, le Tiers-Etat, au
contraire, représentent dans la révolution le progrès social ainsi que les intérêts des autres classes (le
particulier devient universel).

Dans un fragment de Francfort, intitulé La Constitution de l'Allemagne, Hegel développe cette


pensée de la manière la plus décisive. Il part du constat suivant : « Tous les phénomènes de ce
temps indiquent que le lieu de la satisfaction n’est plus la vie ancienne ». Dans l'Ancien Régime
« se sont agrandies d’un côté la mauvaise conscience consistant à faire de sa propriété, de ses

24 GWF Hegel, Précis de l’encyclopédie des sciences philosophiques, § 249, p. 139.


21

affaires, un absolu ; et par là, d’un autre côté, les souffrances des hommes ». C'est aussi dans ce
tableau que « l'universel n’existe plus en tant que réalité, mais seulement sous forme de pensée ».
Hegel voit clairement qu'une telle situation conduit à la lutte pour le pouvoir : « la vie limitée en
tant que puissance ne peut donc être entamée avec hostilité par une vie meilleure douée de
puissance que si cette vie meilleure est aussi devenue une puissance, et si elle doit craindre la
violence ». Si l'on considère les choses immédiatement, c'est la lutte d'un particulier avec un autre
particulier, la lutte des classes. Mais l'Ancien Régime « fonde sa domination non pas sur la violence
de particuliers contre des particuliers, mais bien plutôt sur l'universalité. Cette vérité, le droit qu'il
revendique pour lui-même, doit lui être retirée et être accordée à cette partie de la vie dont
l'exigence se fait sentir »25. Comme on peut le voir, Hegel transpose ici en termes philosophiques les
situations sociales et les idées politiques qui les expriment. Cependant, cette transposition dans
l'abstraction logique est une généralisation concrète des motifs réels et essentiels de la Révolution
française. Non seulement une généralisation de la pensée des acteurs importants de la révolution,
mais aussi de cette situation objective conditionnée idéologiquement, dont Marx a plus tard défini
les formes d'expression comme des "illusions héroïques", comme la prétention - inconsciente de la
part de ceux qui l'ont réalisée - de représenter les intérêts de l'ensemble de la société, bien qu'en
réalité, ils n'aient lutté avant tout que pour la domination d'une nouvelle classe, pour le
remplacement d'une forme d'oppression et d'exploitation par une autre. Hegel aussi, bien sûr, est
resté sur le terrain de ces illusions. Cela ne change rien au fait, cependant, que sa transposition en
termes philosophiques était le reflet d'une réalité sociale.

Il ne s’agit absolument pas là d’une idée isolée de Hegel, mais plutôt d’une forme typique de ses
tentatives de résoudre philosophiquement les problèmes sociaux et historiques sous l'influence
décisive de la Révolution française. Dans notre plus vaste exposé sur le développement de la
jeunesse de Hegel, nous soulignions la grande importance de la catégorie de "positivité" dans cette
période de sa vie et repérions dans ce concept le prédécesseur de concepts centraux ultérieurs, tels
que l'aliénation et l'étrangeté. Mais même dans la jeunesse de Hegel, la "positivité" subit une
modification substantielle : à l'époque de Francfort, elle apparaît historiquement et socialement
relativisée comme une catégorie historique-dialectique. Dans sa période d’Iena, Hegel combat la
"positivité" sur un terrain purement philosophique, lorsqu'il souligne, par exemple, la positivité dans
l'éthique formaliste de Kant et de Fichte. Certes, à ce stade, il ne faut pas oublier que derrière
l'antithèse entre son idéalisme objectif et l'idéalisme subjectif de Kant et de Fichte, l'antithèse
historique se manifeste dans la critique des formations sociales passées, face auxquelles Hegel tente
de démontrer la supériorité de la société bourgeoise née de la Révolution française, telle qu'il la
conçoit. Dans un premier temps, il cherche à indiquer que la "positivité" conduit à un durcissement,
en raison d'un formalisme qui a toujours pour Hegel des fondements subjectivistes, en raison d'une
manière "par laquelle une puissance se pose isolée et absolue"26. Ce cadre conceptuel formaliste
déforme la réalité ; même un phénomène qui en soi ne serait pas "positif" apparaît dans ce contexte,
ou plutôt, dans cet isolement, dans cet être détaché de ses relations existantes en soi, comme
"positif" :

En effet, celui-ci (le formalisme des idéalistes subjectifs - G.L.) déchire l'intuition et son identité de
l'universel et du particulier, oppose l’une à l’autre les abstractions de l'universel et du particulier, et,
ce qu’il peut exclure de cette vacuité-là, mais subsumer sous l'abstraction de la particularité, il le

25 GWF Hegel, Premier écrits (Francfort 1797-1800), Vrin, pp. 362-64.


26 GWF Hegel, Des manières de traiter scientifiquement du droit naturel, Vrin, p. 93. La terminologie de Hegel est
encore dans de nombreux cas celle de Schelling ; c'est le cas, dans le passage cité, du terme "puissance".
22

tient pour du positif ; - sans réfléchir que, par cette opposition, l'universel devient tout autant un
positif que le particulier... Mais le réel est absolument une identité de l'universel et du particulier 27.

Hegel explique également que l'unité dialectique de l'universel et du particulier disparaît


précisément parce que la connexion dialectique vitale de la contingence et du besoin est
conceptuellement annulée. Plus ces analyses deviennent concrètes, plus la base sociale des
différences philosophiques apparaît clairement au premier plan.

Ainsi, une dure controverse s'élève contre Kant (y compris la Critique de la faculté de juger) en
raison de sa conception métaphysique de la relation entre universel et particulier, entre nécessaire et
contingent. La plus connue est la polémique contre la tentative kantienne de spécifier socialement
l'impératif catégorique, de l'appliquer dans des cas particuliers ou singuliers, en maintenant son
caractère abstraitement universel. Kant entend démontrer que le vol d'un dépôt conduirait à des
contradictions internes, c'est-à-dire à l'impossibilité qu'il y ait en général un dépôt et que, pour cette
raison, l'interdiction de voler un dépôt découle - par une nécessité logique - de la forme universelle
de l'impératif catégorique. La critique de Hegel, que nous ne considérons ici que du point de vue de
notre problème, vise précisément le rapport de l'universel et du particulier :

Mais, qu’il n’y ait absolument aucun dépôt, quelle contradiction y aurait-il là-dedans ? Le fait qu'il
n'y ait aucun dépôt serait en contradiction avec d'autres déterminités nécessaires, tout comme le fait
qu'un dépôt soit possible serait lié à d'autres déterminités nécessaires et, par là, serait lui-même
nécessaire. Mais il ne faut pas invoquer d'autres buts et raisons matérielles, mais c’est la forme
immédiate du concept qui doit décider de la justesse de la première ou de la deuxième hypothèse.
Mais, en ce qui concerne la forme, l'une des déterminités opposées est aussi indifférente que l'autre 28.

Le fait que Hegel utilise l'expression "déterminité" ne change rien à la question de principe,
puisque, ici comme ailleurs, déterminité a de façon absolument claire le même sens que
particularité. De même, « la forme immédiate du concept » signifie chez Hegel l'universalité. Dans
cette controverse entre Kant et Hegel, c'est précisément le fait de savoir s'il est possible, à partir
d'une loi universelle (ici, de l'impératif catégorique), d'obtenir les cas particuliers de son application
par une simple subsomption logique, ou si, entre eux, des relations réciproques dialectiques plus
compliquées dominent la dialectique des déterminité les plus diverses au sein d'une totalité
concrète. Il est caractéristique de la manière unilatérale dont Kant place ce problème dans la
Critique de la faculté de juger qu'il ne pense pas absolument aux difficultés qui le préoccupent dans
la construction des concepts biologiques lorsqu’il fait face à la société et à l'éthique, et qu'il croit
alors pouvoir les éviter par une subsomption métaphysique.

Au contraire, Hegel traite de la relation réciproque de l'universalité et de la particularité en rapport


avec les questions les plus importantes du droit et de la morale, en relation constante avec son
problème central de l'époque, le problème de la "positivité". La somme de ses intuitions concernant
ce problème tend également à révéler dans quelle mesure un particulier ou un universel devrait
nécessairement devenir positif. À première vue, il s'agit de l'extrême opposé de la dispute avec Kant
au sujet du dépôt. Mais on voit immédiatement que les deux extrêmes renvoient au même point
central : la relation dialectique réciproque entre l'universel et le particulier, dans laquelle Hegel
rejette la subsomption métaphysique avec la même énergie qu'il rejette l'isolement également
métaphysique, l'autonomie du particulier. Il dit :

27 Ibid., p. 94.
28 Ibid., p. 37.
23

Ce n'est donc pas la philosophie qui prend le particulier, parce qu’il est un particulier, pour un
positif ; mais cela ne se produit que dans la seule mesure où il atteint une part d'indépendance en
tant que partie en dehors de la connexion absolue du tout29.

La "positivité" (ainsi que, plus tard, chez Hegel, l'aliénation) a principalement un caractère non
philosophique mais historico-social. Par exemple, Hegel pose la question de savoir si le féodalisme
doit être considéré comme quelque chose de simplement "positif". Sa réponse est la suivante : cela
dépend du cas. Dans une nation, un tel degré d'abjection peut se produire que, dans ce cas, « la
constitution féodale et la servitude ont une vérité absolue » comme moyens appropriés d'exprimer
cette dégénérescence ; dans ce cas, ces formations ne sont en aucun cas positives, mais « la seule
forme possible de la vie éthique »30. Si, au contraire, une fracture sociale se produit, si la lutte entre
le nouveau et l'ancien s'intensifie, si le problème concret de l'abolition du féodalisme se pose,
l'ancien - qui se présente avec la prétention de représenter l'universalité sociale à un certain stade -
apparaît indéniablement comme "positif". Nous avons déjà trouvé cette conception de Hegel dans
une formulation de l'époque de Francfort. Cependant, ce sont des conceptions qui seront toujours
déterminantes pour la philosophie de Hegel à toutes les périodes de son activité. Ainsi, dans ses
leçons sur la philosophie de l'histoire, il dit

« Le passage d'une forme spirituelle à une autre tient à ce que l’universel qui décline est supprimé et
dépassé par le fait qu’il se pense comme particulier. Le principe supérieur qui lui succédera et qu’on
peut appeler genus proximum de l'espèce antérieure,existe déjà intérieurement,, mais ne s’est pas
encore imposé :c’est bien cela qui fait que la réalité existante est chancelante, brisée »31.

Le développement qui commence à ce stade est révolutionnaire et progresse de collision en


collision sociale. La transformation de l'universalité en particularité et, avec elle, comme nous
l'avons vu, la dialectique de l'universalité et de la particularité est le problème de la transformation
ininterrompue de la société en tant que loi fondamentale de l'histoire. dit Hegel :

« Ces possibilités deviennent dès lors historiques ; elles contiennent en elles-mêmes un universel
d'une autre espèce que celui qui est à la base de l'existence d'un peuple ou d'un État. Cet universel est
un moment de l'Idée créatrice, un moment de l’élan de la vie elle-même »32.

Il n'est pas difficile d'indiquer, même dans ces positions dialectiques et progressistes de Hegel, la
limite idéaliste. Non seulement parce que dans cette dialectique de l'universel et du particulier la
fonction de la pensée, de la conscience, est presque toujours surévaluée par rapport à l'être social,
mais aussi en raison de la tendance de Hegel à prêter aux formations sociales qui suivent un rapport
d'espèce et de genre (particulier et universel). Il y a là, sans aucun doute, un moment de défense
historique de la révolution bourgeoise. La société bourgeoise qui émerge de la révolution doit
apparaître non seulement comme une forme simplement supérieure au féodalisme du point de vue
historique, mais aussi comme la forme la plus élevée possible de la société en général, comme sa
forme la plus universelle ; pour cette raison, la forme postérieure est placée comme genre, comme
universalité, et la forme antérieure comme espèce, comme particularité. Outre l'idée saine que la
forme inférieure doit être comprise du supérieur et non l'inverse, il y a là aussi un idéalisme qui
déforme les faits, notamment parce que feu Hegel a conçu les promesses d'une Constitution
prussienne (faites par Frédéric Guillaume III pendant les guerres de libération et qui ne se sont

29 Ibid., p. 101.
30 Ibid., p. 97.
31 Hegel, La raison dans l’histoire, 10/18, pp. 119-20.
32 Ibid., p. 120.
24

jamais concrétisées) comme la forme la plus élevée du système étatique, comme le concept
universel et générique de l'État33.

Ces réserves critiques nécessaires face aux distorsions idéalistes ne peuvent cependant pas éliminer
le fait que la dialectique de l'universel et du particulier dans l'histoire est présentée dans Hegel à un
niveau beaucoup plus élevé que dans n'importe quel prédécesseur, que ses pensées fondamentales
ne sont pas des schémas formels absolument purs, mais plutôt des tentatives sérieuses de saisir les
moments réels du développement historique. Dans la Phénoménologie de l'esprit, dont Hegel
espérait encore, à l'époque de sa rédaction, qu'une nouvelle condition sociale émergerait pour
l'Allemagne de la Révolution française sous sa forme napoléonienne, le philosophe révèle encore de
fortes tendances à comprendre les moments de nouveauté. Il arrive entre autres à la théorie
intéressante selon laquelle ce qui apparaît souvent comme nouveau dans l'histoire doit
nécessairement, au début, recevoir une forme simple, abstraitement générale. Ce n'est que
progressivement, avec la consolidation de la victoire, que les traits particuliers apparaissent à la
lumière du jour ; ce n'est qu'au cours de ce processus que se développe une totalité vraiment
concrète, possédant une dialectique multilatérale et compliquée de moments universels et
particuliers. Ainsi, Hegel affirme que « la première apparition du nouveau monde n'est encore que
le tout caché, enveloppé dans sa simplicité, que le fondement universel de ce tout ». Il affirme
également que la conscience qui comprend et vit le nouveau « déplore dans la figure nouvelle qui
apparaît la perte de l’extension et de la particularisation du contenu »34. La particularisation est le
contenu du processus historique objectif qui en découle. Nous savons que le vieil Hegel a dû
renoncer à de tels espoirs politiques ; s'il a, selon cette résignation, radicalement transformé alors sa
philosophie de l'histoire, s'il a conçu comme un tournant de l'histoire, comme le début de l'époque
moderne, non plus la Révolution française, mais la Réforme, ce fait est bien plus qu'un pur et
simple changement de périodisation : C'est un changement de point de vue, de perspective ;
l'humanité, selon sa conception, n'est plus au début d'une transformation radicale, mais à la fin d'une
période au-delà de laquelle le vieil Hegel ne peut entrevoir aucune possibilité de développement
supérieur. Il se tourne donc maintenant vers le passé, et non plus vers l'avenir. Cependant, la pensée
fondamentale de la Phénoménologie, que nous avons citée, sur la voie et le développement du
nouveau, se trouve encore - même si elle n'est plus sous la forme intense du grand travail de
jeunesse - dans les dernières leçons sur la philosophie de l'histoire.

Hegel, ici, ne se contente pas de relier les problèmes importants de la philosophie de l'histoire avec
la dialectique de l'universalité et de la particularité ; cette dialectique a aussi un rôle important en
indiquant les lois plus générales du mouvement de l'histoire. Nous voyons ici, c'est certain, les côtés
progressistes et réactionnaires de l'idéalisme objectif dans son extrême acuité. Dans la mesure où
l'esprit du monde se présente à Hegel comme le démiurge de l'histoire, l'idéalisme mystificateur
atteint son apogée précisément ici. D'autre part, cependant, Hegel cherche à concevoir sa propre
histoire comme le théâtre des passions humaines, des intérêts égoïstes, des objectifs particuliers, et
représente ces aspirations particulières des hommes, des groupes humains, etc. Comme l'a souligné
Engels, il est décisif ici que, bien que par une inversion idéaliste, la grande vérité historique soit
affirmée que ce sont ces luttes des passions particulières et égoïstes des hommes, en fait, qui
mettent directement les événements en mouvement ; mais que, dans l'ensemble, d'autres contenus
naissent et meurent, plus élevés et plus universels que ceux que les hommes mettent immédiatement
en jeu. C'est l'essence de la théorie hégélienne de la "ruse de la raison".

33 Cf. Engels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande


34 Hegel, Phénoménologie de l’esprit, Flammarion, p.16.
25

« L'intérêt particulier de la passion est donc inséparable de l'affirmation active de l'universel ; car
l'universel résulte du particulier et du déterminé, et de leur négation. Le particulier a son propre
intérêt dans l'histoire universelle ; c'est quelque chose de fini et, en tant que tel, il doit
nécessairement périr. C'est le particulier qui s’use dans le combat, et est en partie détruit. Mais c'est
précisément de ce combat et de cette disparition du particulier, que résulte l'universel »35.

Le double visage de la philosophie hégélienne est ici révélé de la manière la plus claire possible.
Marx critique à juste titre le fait que Hegel fasse en sorte que "l'esprit absolu comme l'esprit absolu"
créent "l'histoire seulement en apparence"(14). Naturellement, chez l'idéaliste Hegel, c'est une
inconséquence. En effet, lorsque Hegel aborde plus concrètement la logique et la méthodologie de
l'histoire, lorsqu'il reste fidèle à la méthode dialectique ("c'est le particulier qui s’use dans le
combat"), il conçoit l'histoire comme étant réellement et exclusivement faite par les hommes.
D'autre part, cependant, de ce conflit d'intérêts et de passions humaines, l'universel ne naît pas
directement - comme l'aurait voulu aussi la conception hégélienne de la méthode dialectique, de la
relation dynamique entre le particulier et l'universel - comme son produit le plus adéquat (le nouvel
universel qui implique dans la dégradation et l'anéantissement de l'ancien, comme nous l'avons
indiqué plus haut), mais cet universel devient de manière imprévisible quelque chose de
transcendant, est mystifié de manière idéaliste, et apparaît situé dans un "au-delà" des luttes
humaines, du processus historique effectif. En fait, immédiatement après les considérations que
nous avons citées, Hegel dit : "Ce n'est pas l'Idée qui s’expose au conflit, au combat et au danger ;
elle se tient en arrière hors de toute attaque et de tpout dommage et envoie au combat la passion
pour s’y consumer »36. Marx critique donc, à juste titre, l'inconséquence de cette conception de
l'histoire. Il ajoute ironiquement que l'idéaliste subjectif Bruno Bauer surmonte l'inconséquence de
Hegel. Mais il y a aussi chez Bruno Bauer une rupture avec tous les moments méthodologiques
fertiles et progressifs de la philosophie de Hegel, en premier lieu avec la tentative de Hegel de
découvrir dans l'histoire le lien réel entre la réalisation de l'idée et la lutte des intérêts. Ainsi, lorsque
Marx, en polémique avec Bruno Bauer, dit que « "l'idée" a toujours échoué lamentablement dans la
mesure où elle était distincte de "l'intérêt" »(16), son combat est plus dirigé contre Bauer que contre
Hegel.

Il est caractéristique, pour la problématique interne et pour les destinées de l'idéalisme objectif, que
la source de cette inconséquence dans la position de Hegel critiquée par Marx soit, précisément,
l'une de ses plus brillantes découvertes : la découverte du lien entre le travail et la téléologie. Déjà à
l'époque où il préparait la Phénoménologie, Hegel écrivait : « "… des buts singuliers de l'être
naturel deviennent un universel. La pulsion, ici, se retire entièrement du travail ; elle laisse la nature
se dépenser, veille paisiblement et se borne à gouverner le tout avec peu d'effort : ruse" »37. L'idée
décisive de la méthode historique hégélienne, la conception de la "ruse de la raison", a donc son
fondement philosophique dans la conception de l'instrument et du travail de Hegel. L'idéalisme
empêche toutefois Hegel de généraliser cette brillante intuition des connexions réelles,
rétrospectivement et prospectivement, de manière cohérente et correcte. La conscience de l'homme
qui se fixe un objectif - qui est, comme l'indique Marx dans Le Capital(18), le principe essantiel qui
le différencie spécifiquement du travail humain, le principe substantiel qui le différencie du "travail
animal" - est appliquée sans critique, de façon schématique, mystificatrice, à l'histoire. Lorsque,
chez Hegel, l'esprit du monde devient l'artisan et le démiurge de l'histoire, il y a une généralisation
mystificatrice de ce qui était, dans le travail humain, la véritable compréhension de son essence
concrète. L'ambiguïté de la "ruse de la raison" hégélienne, que nous avons analysée plus haut,
35 Hegel, La raison dans l’histoire, 10/18, pp. 129.
36 Ibid., p. 129.
37 Hegel, Realphilosophie d’Iena, in J. Taminaiux, Naissance de la philosophie hégélienne de l’État, Payot, p. 213.
26

indique que son sens du réel fuit le mysticisme débridé qui en découle, cette théologie cosmique qui
transcende l'homme, mais indique aussi qu'il n'est pas en mesure de comprendre la dialectique réelle
qui, fondée sur les aspirations particulières d'hommes et de groupes singuliers, développe
l'universalité des modifications historiques des formations sociales qui en découlent.

La même contradiction apparaît, de façon encore plus aiguë si cela est possible, lorsque Hegel
entend élever sa pensée au niveau de la plus haute généralisation, dans sa Logique. Comme Lénine
l'a également compris, c'est un progrès remarquable que Hegel conçoive la téléologie (c'est-à-dire le
travail) comme une "vérité", comme un degré qui résume, dépasse et est supérieur au mécanisme et
à la chimie. En tant qu'idéaliste, il ne peut cependant pas développer cette pensée en conséquence.
Dans la construction de la logique, la vie vient après la téléologie (du travail), bien qu'il soit évident
que dans la succession logique, ainsi que dans la généralisation historique, sa place est sans doute
avant la téléologie. La téléologie comme vérité du mécanisme et de la chimie est le plus haut degré
rendu conscient d'un long processus, qui embrasse essentiellement la naissance de la vie, l'évolution
des êtres vivants jusqu'à atteindre l'homme et son travail. Marx s'est exprimé, à cet égard, avec une
clarté sans équivoque et a indiqué combien réside précisément en cela la grande contribution de
Darwin à une conception dialectique du monde. Dans la proposition sur le travail, que nous avons
citée, Marx souligne précisément que, dans l'analyse du travail, nous devons voir l'aboutissement
d'un long développement : "Nous ne traiterons pas ici des premières formes de travail, animalières
et instinctives. (19) Ailleurs, il souligne les mérites de Darwin dans la découverte de cette situation :
« Darwin a attiré l’attention sur l’histoire de la technologie naturelle, C’est-à-dire sur la formation
des organes des plantes et des animaux en tant qu’instruments de production de la vie des plantes
et des animaux ». (20) Ce que Marx appelle ici technologie naturelle est un niveau supérieur du
processus vital d'adaptation des êtres vivants à leur environnement. Dans sa polémique contre
Dühring, Engels se réfère clairement au niveau le plus primitif de ces extériorisations de la vie, de
ces relations réciproques entre les organismes et l'environnement, comme présupposé de tout
processus vital : "Mais qu'est-ce que l'adaptation sans intention consciente, sans cette médiation des
idées... mais une activité finaliste si inconsciente"(21) ?

Lénine affirme que l'idée de Hegel de traiter le problème de la vie en toute logique est
"compréhensible - et géniale"(22). Cependant, Hegel le fait de telle manière que les limites
idéalistes de sa pensée sont source de confusion. Comme il ne voit dans la nature qu'une auto-
aliénation de l'esprit, il est obligé de nier dans le domaine de la nature toute évolution historique
réelle ; pour cette raison, la naissance et l'essence de la vie ne peuvent pas non plus être
correctement comprises. Lorsque Hegel, dans Logique, parle de la vie, les problèmes réels et
authentiques de la vie réelle, les problèmes de la biologie, sont ignorés ; Hegel en vient même à
construire une antithèse entre la vie réelle qui est traitée dans la philosophie de la nature et la vie
dans l'esprit. Et il ajoute :

La première, comme la vie dans la nature, est la vie telle qu'elle est jetée dans l'extériorité de
l'existence et a sa condition dans la nature inorganique, tandis que les moments de l'idée sont une
multiplicité de formations réelles. La vie dans l'idée n'a pas de tels présupposés... Son présupposé
est le concept ...(23)

(Hegel, ici, s'éloigne si résolument d'une conception réelle de la vie qu'il devient plus idéaliste que
le jeune Schelling). La fausse construction de la logique - la vie après la téléologie - révèle donc la
limite idéaliste fondamentale de Hegel. Sur de nombreux points, Hegel a correctement critiqué
l'idéalisme de Kant ; cependant, il ne l'a pas vraiment surmonté, car, comme Kant, il est incapable
27

de voir et de saisir conceptuellement dans le processus de la vie une réelle évolution. La conception
ingénieuse de la téléologie en rapport avec le travail reste donc limitée à ce domaine ; Hegel ne peut
expliquer ni les présupposés naturels ni les conséquences de cette juste intuition sans déformer
mystiquement et idéalement toute la question.

Ce n'est que lorsque Hegel, malgré son idéalisme, reste fermement attaché à l'idée de
développement, que sa dialectique donne de grands résultats. Comme nous l'avons vu, cela est vrai
non seulement en ce qui concerne le problème du travail, mais aussi en ce qui concerne le
traitement de divers problèmes historico-sociaux. L'un de ces résultats est la dialectique de
l'universel et du particulier, énergétiquement concrétisée en elle, c'est-à-dire la conversion
réciproque de ces moments les uns en les autres. Et ici il faut souligner, comme un grand pas en
avant, le fait que dans cette dialectique - au moins selon les principes et la méthode, bien que pas
toujours au fond de la réalisation systématique - le contenu historico-social est précisément un
facteur déterminant, et non, comme dans Schelling, un schéma abstrait, une construction formaliste.

Ce tournant vers une priorité déclarée du contenu sur la forme représente un progrès important, qui
a certainement, comme toujours, un double aspect dans Hegel. En effet, lorsqu'il établit
correctement une relation d'universel et de particulier, et vice versa, il l'atteint non pas tant parce
qu'il suit certaines règles logiques, mais plutôt parce qu'il comprend correctement, en fonction du
contenu, le phénomène vital dont la généralisation apparaît dans une telle relation. Et ces
inexactitudes, chez Hegel, doivent nécessairement être abondantes, surtout à cause de sa
philosophie idéaliste ; à cause, par conséquent, des limites posées même à la conception du monde
démocratique bourgeois le plus avancé et le plus conséquent (et nous savons que Hegel, à cet égard,
était très loin d'une véritable cohérence) ; à cause, enfin, de l'afflux croissant de la misère
allemande, au moment de la Sainte Alliance, sur la philosophie de son époque la plus mûre. À ce
stade, il convient de souligner avec force qu'il ne s'agit pas seulement du fait que les conceptions
justes de la dialectique de l'universel et du particulier sont affectées par des distorsions de la
position philosophique et économico-sociale, mais que, motivées par cette fausse base, surgissent
des conceptions formalistes, mystifiées, qui provoquent des erreurs précisément dans la dialectique
de l'universel et du particulier. Le vrai et le faux, le progressiste et le réactionnaire dans la
philosophie de Hegel, sont donc souvent immédiatement l'un à côté de l'autre.

Ainsi, parfois, Hegel peut indiquer à la société dans son ensemble des déterminations qui
correspondent largement aux caractéristiques essentielles du rapport de l'universel et du particulier
dans la réalité du monde capitaliste. Afin de déterminer l'essence de l'État, l'État moderne, Hegel
donne la définition suivante de sa réalité : "La réalité est toujours l'unité de l'universalité et de la
particularité, la distribution de l'universalité dans la particularité, qui apparaît sans doute comme
réalité autonome, mais n’existe et ne se construit que dans le tout »38. Il est nécessaire d'observer, à
ce stade, de ce que « réalité » a chez Hegel une signification spécifique, comme une apogée des
différents degrés des concepts de l'être. Lorsque cette dialectique de l'universel et du particulier est
inexistante, l'État correspondant n'a qu'une existence, mais pas de réalité ; ce qui, selon la méthode
de Hegel, signifie que la dialectique du processus historique détruira tôt ou tard un tel État,
annihilant sa fausse existence (réfléchissons à ce que nous avons dit précédemment sur la
dialectique de l'universel et du particulier dans la révolution bourgeoise). Pour les formations
étatiques qui ont une réalité dans ce sens, Hegel définit ainsi la nécessité : "La nécessité consiste en
ceci : que la totalité se divise en les différences du concept, et que ce tout ainsi divisé produit une

38 Hegel, Principes de la philosophie du droit, add. Au § 270, Vrin, p. 343.


28

déterminité solide et durable, qui n'est pas sclérosée, mais se recréée toujours dans sa
dissolution »39. Ce n'est donc pas un simple processus de conversion réciproque incessante des
moments qui forment la totalité : ce processus a aussi une direction, une tendance déterminée, qui se
répète de manière variée : c'est un processus d'autoreproduction continu. Le réel révèle le besoin
qu'il contient - selon les termes de Goethe - précisément lorsqu'il ne "veut pas s'endurcir dans
l'être", ce qui conduirait nécessairement à une "dissolution dans le néant", [« Car au néant doit aller
tout chose si elle veut persévérer dans l’être ». ] mais, au contraire, dans l'acte de se générer sans
interruption, d'être la dissolution - contemporaine et apparente - de l'unité, de la totalité, de la
cohérence, c'est-à-dire dans l'acte d'être précisément le véhicule d'une auto-génération renouvelée.

Hegel est venu très près, ici, de l'idée de la reproduction comme manière d'être des formations
sociales. Certes, la différence entre la reproduction simple et la reproduction élargie n'est même pas
évoquée. En l'absence de cette détermination décisive et plus précise, la limite politico-
philosophique de sa pensée de la maturité s'exprime à nouveau : puisqu'il ne peut avoir de
perspective sociale pour l'avenir, puisque la misère de son présent est pour lui le couronnement final
de l'histoire, de la dialectique interne de l'autoreproduction de la société, l'idée d'un développement
qualitatif supérieur ne peut s'exprimer. C'est pourquoi l'historicité de la dialectique historique
hégélienne ne se réfère qu'au chemin qui mène du passé au présent, et non à celui qui mène vers
l'avenir.

Cette limite, dont les effets sont perceptibles même dans les parties de la philosophie hégélienne
qu'elle n'affecte pas directement, n'empêche pas Hegel de comprendre conceptuellement certaines
caractéristiques essentielles de la société bourgeoise moderne ; en particulier - et cela démontre son
importance solitaire parmi les contemporains - le rôle et la signification de l'économie politique
dans la structure et la reproduction de cette société. Il est très intéressant de constater que, dans la
philosophie économique hégélienne également, la dialectique du particulier et de l'universel joue un
rôle décisif. Le point de départ de Hegel pour délimiter le "système des besoins" est le suivant :

« La particularité, qui est d’abord définie comme ce qui est déterminé en général, comme ce qui
s’oppose à l'universalité de la volonté, est besoin subjectif ».

L'analyse des besoins devient science avec cette affirmation :

« Le but du besoin est la satisfaction de cette particularité subjective, mais l'universel s'y affirme par
la relation avec les besoins et la volonté libre arbitre des autres » (§ 189)

Apparemment, on tombe ainsi dans le monde de la pure contingence, puisque les forces motrices de
la société bourgeoise sont les désirs, les aspirations, les passions, etc. singuliers de l'individu
singulier. Cependant, en tant que disciple de Smith et de Ricardo, Hegel reconnaît :

« Mais ce foisonnement de facteurs arbitraires résulte cependant de déterminations universelles ; et


cet amas d’éléments en apparence dispersés et privés de pensée sont, en réalité, régis par une
nécessité qui intervient d’elle-même » (§ 189 add.).

Hegel compare la science qui émerge ici, et qui est nouvelle en Allemagne, avec l'une des plus
exactes, l'astronomie :

39 Ibid.
29

« Cet entrelacement qui, au premier abord, paraît difficile à admettre, parce que tout semble
dépendre de l’arbitraire individuel, est extrêmement remarquable et présente une analogie avec le
système des planètes, qui n’offre à l’œil que des mouvements irréguliers, mais dont les lois ont pu
néanmoins être connues » (Ibid.).

Fils d'un pays alors très arriéré du point de vue capitaliste, Hegel ne peut pas élaborer une économie
concrète et scientifiquement construite, comme celle de ses maîtres anglais. Il doit se contenter de
déclarations philosophiques générales sur le contenu fondamental et la méthode. Elles indiquent
cependant qu'il a été fortement influencé par les principes de l'économie classique. C’est dans son
sens, par exemple, qu’il traite des problèmes de la division du travail. D'une part, il y indique le
rapport au travail lui-même : « Ce qu’il y a d’universel et d’objectif dans le travail est constitué par
l'abstraction que produit la spécification des moyens et des besoins, d’où résulte aussi la
spécification de la production et la division du travail ». D'autre part, il en résulte la « dépendance et
les rapports mutuels entre les hommes », tant au niveau de la production que de la consommation (§
198) :

« Par cette dépendance mutuelle dans le travail et dans la satisfaction des besoins, l'égoïsme subjectif
se transforme en contribution à la satisfaction des besoins de tous les autres, en médiation du
particulier par l'universel, dans un mouvement dialectique tel qu’en gagnant, produisant et jouissant
pour soi, chacun gagne et produit en même temps pour la jouissance des autres... » (§ 199).

Dans ces considérations, Hegel règle ses comptes avec les « illusions héroïques » de la Révolution
française, qui avaient éclairé et guidé sa propre jeunesse en termes d'adhésion à la société capitaliste
et à sa forme idéale représentée par l'économie anglaise classique. Mais en même temps, cette
position implique une réfutation radicale de toutes les idéologies de la Restauration, qui - sous des
habits plus ou moins romantiques - proclamaient un retour aux conditions féodales (Haller, Savigny,
etc.). Cette approbation résolue de l'économie capitaliste, en revanche, a des conséquences très
importantes pour la conception hégélienne de l'histoire ; elle devient un facteur déterminant dans le
jugement et la nouvelle évaluation de Hegel sur l'antiquité classique, qui était son idéal et son
modèle à l'époque des « illusions héroïques ». Hegel voit l'antithèse décisive entre l'antiquité et le
présent précisément dans le domaine de l'économie et, selon ses conceptions que nous venons
d'apprendre, cette antithèse apparaît philosophiquement, en même temps, comme une
transformation historique dans la manière d'être de la dialectique de l'universel et du particulier : La
fonction dialectique exercée dans la société moderne par le particulier, en tant que principe de ses
lois et auto-renouvellement nécessaire, devrait nécessairement être dans l'antiquité un principe
d'autodestruction de la société :

« Le développement autonome de la particularité est le moment qui, dans les États de l’Antiquité, se
présente comme l’introduction de la corruption des mœurs, et la cause déterminante de leur
décadence » (§ 185 Rem.).

Nous avons ici, chez Hegel, quelque chose de plus qu'une démarcation claire entre la société
ancienne et la société moderne. L'antithèse exprimée ici - et qui, comme nous l'avons vu,
conditionne plusieurs formes de dialectique du particulier et de l'universel - transcende, aux yeux de
Hegel, l'économique et le social ; elle se présente comme un principe universel de développement,
qui pourrait être formulé ainsi : moins le principe du particulier est développé dans la vie et dans la
pensée, moins l'universel pourra conserver sa véritable totalité concrète. Hegel ne dit pas clairement
que la déficience du particulier est socialement conditionnée (mais c'est le sens implicite des
propositions que nous avons citées, comme celle sur la division du travail) ; au contraire, il
30

considère la concrétisation de la dialectique de l'universel et du particulier - et, par conséquent, la


concrétisation des deux concepts - comme étroitement liée, au moins, à la réalisation de la
particularité dans la vie, dont l'expression la plus intense est l'économie du capitalisme.

Le fait que Hegel, dans certains cas particuliers, attribue cette mission à la religion chrétienne ne
modifie en rien le lien que nous avons vu plus haut. En fait, on peut montrer qu'après Thermidor,
après le choc subi par les « illusions héroïques » de l'époque la plus révolutionnaire, le christianisme
et l'économie smithienne servent à Hegel, en étroite relation et simultanément, à fonder
philosophiquement le caractère spécifique du présent comme un monde de contradictions
dialectiques fertiles. Hegel exprime cette idée du développement et de la réalisation historique de
l'universel dans sa théorie du concept de la petite logique" comme suit :

« L'universel, entendu dans sa signification vraie et complète, est une pensée, à l'égard de laquelle on
peut dire qu'il a fallu des milliers d'années pour l'élever à la conscience de l'humanité, et que c'est le
christianisme qui le premier l'a pleinement reconnu ».

Et, exactement dans le sens de ses déclarations sur la différence entre la société ancienne et la
société moderne, il illustre cette situation en contrepoint des représentations que les deux époques
ont faites de Dieu :

« Les Grecs, qui avaient d'ailleurs une si haute civilisation, n'ont eu la conscience de la vraie
universalité ni de Dieu ni de l'homme. Les dieux des Grecs n'étaient que des puissances particulières
de l'esprit, et le Dieu universel, le Dieu des nations, était pour les Athéniens un Dieu encore
inconnu ». (Encyclopédie, § 163, Complément).

Cet exemple, bien sûr, ainsi que les considérations qui en découlent sur le rôle du christianisme
dans l'abolition de l'esclavage, indiquent tous les aspects faibles de la philosophie de Hegel. Mais le
fait qu'en concluant de telles considérations, il voit dans la « volonté générale » de Rousseau
l'incarnation authentique de ce qui est « vraiment universel », précisément en opposition à
l'Antiquité, démontre que, malgré toutes les distorsions idéalistes-mystifiantes, il a vraiment
enquêté sur le développement historique de la dialectique comme étant universelle et particulière,
ou du moins en a eu l'intuition.

Avec beaucoup moins de clarté que dans l'opposition entre société moderne et société ancienne, la
délimitation historique entre féodalisme (absolutisme féodal) et société bourgeoise moderne est
esquissée dans Hegel. Ici, une certaine régression est même visible ; en effet, dans la
Phénoménologie, la Révolution française est encore conçue comme la limite des Temps modernes,
alors que la périodisation ultérieure - avec la Réforme comme ligne discriminante - est déjà très
confuse (et, plus que jamais, dans la subdivision historique de l'esthétique avec la conception de l'art
romantique). La faiblesse dans la construction des catégories historiques du capitalisme ne vient
donc pas en premier lieu du fait que Hegel parle ici de strates (et non de classes), mais du fait que
cette terminologie inexacte confond les limites et que Hegel - qui, comme nous le verrons plus tard,
est sévèrement critiqué par le jeune Marx - tente très souvent d'interpréter le nouveau à partir de
l'ancien, et non l'inverse. Il serait cependant injuste de ne pas observer que, malgré toutes ces
oscillations, certaines des déterminations importantes de la société bourgeoise moderne sont
comprises.

Ce double visage acquiert une évidence absolue lorsque nous nous penchons sur la définition
hégélienne du Stand (état, ordre, corporation, classe) :
31

En tant que particularité qui s’est elle-même rendue objective, le Stand, se divise, en ses diverses
espèces générales, selon son concept. Mais, on peut aussi se demander à quoi tient qu’un individu
appartient à une classe déterminée. Certes, le naturel, la naissance et les circonstances ont leur part
d’influence, mais la détermination ultime et essentielle réside dans l'opinion subjective et dans le
libre arbitre particulier. Celui-ci se donne dans cette sphère son droit, son mérite et son honneur, de
telle sorte que ce qui s'y produit par une nécessité interne a lieu aussi par la médiation du libre arbitre
et a, pour la conscience subjective, la figure d'être l'œuvre de sa volonté propre » (§ 206)

On voit bien ici comment Hegel accorde un rôle important aux moments concrets de stratification
de classe dans la société bourgeoise ; ainsi, tout d'abord, au moment du hasard dans l'appartenance à
une classe, à propos duquel il faut certainement s'étonner qu'il lui attribue une exclusivité qui n'a
jamais existé dans la réalité. Ici aussi, Hegel - en tant que disciple de Smith et Richard - met
fortement en avant les aspects positifs de l'économie capitaliste ; de plus, il voit souvent avec
précision les côtés négatifs, mais ceux-ci n'ont que peu d'influence sur ses déterminations
conceptuelles décisives.

Dans tous les cas, une différence essentielle est ainsi soulignée par rapport aux formations
précédentes et à leur expression théorique.

En antithèse, Hegel cite l'État platonicien et les castes indiennes ; dans le premier cas, l'État lui-
même, dans le second, la simple naissance, détermine l'appartenance de l'individu à une classe. Il en
découle, selon le concept de Hegel déjà connu de nous, selon lequel la particularité de telles
formations exerce nécessairement une fonction désagrégatrice, la suivante :

« N’ayant pas sa place dans l'organisation du tout et n’étant pas réconciliée avec elle, la particularité
subjective, parce qu’elle constitue, elle aussi, un moment essentiel, se révèle comme un principe
hostile, comme un facteur de corruption de l'ordre social » (§ 206 Rem.)

Il est significatif pour feu Hegel que - contrairement à la dialectique politique de l'universel et du
particulier qu'il a élaborée, comme nous l'avons indiqué, à propos de la liquidation révolutionnaire
du féodalisme - il ne distingue ici clairement du capitalisme que la société orientale et la société
ancienne, sans même essayer de comprendre philosophiquement l'antithèse économico-sociale entre
le capitalisme et le féodalisme. C'est là que réside le défaut intime de cette dialectique.

La formulation abstraite et générale de l'essence de la société bourgeoise moderne est à nouveau


juste dans ses lignes essentielles :

« La substance éthique est ici perdue en ses extrêmes... Ici, la réalité est extériorité, dissolution du
concept, indépendance des moments existants rendus libres. Mais, bien que, dans la société civile
[Sittlich], la particularité et l'universalité se soient séparées, elles restent cependant à la fois liées et
conditionnées mutuellement. Alors que l'une semble agir en s’opposant à l'autre et ne paraît pouvoir
subsister qu’en s’en tenant à l’écart, chacune est pourtant conditionnée par l’autre » (§ 184 add.).

Hegel rejette ici, comme ailleurs, toutes les idéologies romantiques-féodales de la Restauration
comme utopiques et réactionnaires. Il proteste contre l'idée qu'il serait préférable pour l'universalité
d’« intégrer davantage en elle les forces de la particularité ». Il voit bien qu'une telle conception -
calquée plus ou moins sur l'État platonicien - ne pourrait jamais correspondre à la réalité. De ces
conceptions, dit-il :
32

« Mais là encore, il ne s’agit que d'une apparence, puisque la particularité et l’universalité n’existent
que l'une par l'autre et l'une pour l'autre et communiquent réciproquement. En réalisant mon but, je
réalise l'universel et celui-ci réalise, à son tour, mon propre but » (Ibid.).

Nous avons ici, bien sûr, traduit en langage philosophique, la théorie économique classique de
l'harmonie. Nous savons déjà que Hegel était très loin de simplement ignorer toute une série de
phénomènes dissonants de l'économie capitaliste. Mais son idéalisme, ancré dans le retard
allemand, l'amène à surmonter tout désaccord avec l'aide de l'État :

La particularité pour soi est ce qui est excessif et sans mesure ; les manifestations de cet excès sont
elles-mêmes démesurées. L'homme, à travers ses représentations et sa réflexion, élargit le cercle de
ses désirs - qui ne forment pas un cercle clos, comme les instincts des animaux - et les conduit au
mauvais infini. Mais, d'autre part, si l’on envisage l’autre côté, la privation et la détresse sont
quelque chose de démesuré, et le désordre de cette situation ne peut être ramené à l’harmonie que
par la puissance de l'État s’exerçant sur elle » (§ 185 add.).

Cette limite idéaliste de la philosophie sociale hégélienne est déjà présente dans la jeunesse de
Hegel ; et même alors, elle a déformé ses vues plus justes sur l'économie du capitalisme. Le fait qu'à
cette époque, il voyait dans les États fondés par Napoléon - qui ont plus ou moins entièrement
détruit les vestiges féodaux - son État idéal, alors que plus tard le contenu et la forme de cet État ont
commencé à être déterminés par les promesses jamais réalisées de Frédéric Guillaume III au
moment des guerres de libération, ce fait devrait nécessairement élargir et approfondir les
distorsions idéalistes. Le jeune Marx a vivement critiqué cet aspect de la philosophie de Hegel.
Nous reviendrons longuement sur cette critique. Pour l'instant, nous ne ferons qu'observer au
préalable que, si les rapports entre l'économie et l'État, entre le Stand (classe) et l'État, entre
bourgeois et citoyen, etc., qui sont les phénomènes fondamentaux de la société bourgeoise, sont
déformés de manière décisive en raison d'une conception erronée et idéaliste, il est évident que cette
déformation doit nécessairement avoir des conséquences de grande importance pour la dialectique,
que Hegel reconnaît comme importante, de l’universel et du particulier.

Ce qui est précisément, dans l'analyse de Hegel, l'aspect le plus positif, c'est le fait qu'il conçoit les
relations d'universalité, de particularité et de singularité de manière non formaliste, comme un
problème non exclusivement logique, mais comme une partie importante de la dialectique vivante
de la réalité, dont la plus haute généralisation devrait produire une forme plus concrète de logique,
ce fait a pour conséquence que la conception logique est toujours dépendante de la justice ou de
l'erreur de la conception de la réalité. Les limites de la logique de Hegel, ici, sont également
déterminées par les limites de sa position face à la société et à la nature, de même que ses moments
géniaux sont déterminés par le caractère progressif de son attitude face aux grands problèmes
historiques de son temps.

Ces limites de la philosophie de Hegel se révèlent de la manière la plus évidente lorsque sa méthode
dialectique contredit les tendances rétrogrades de son système face à un problème concret.
Naturellement, ces limites se retrouvent aussi dans ses expositions purement méthodologiques,
notamment lorsqu'il veut assurer à la philosophie - en antithèse avec la science - une position
privilégiée et particulièrement élevée. Nous nous limiterons ici à citer un argument de son
esthétique, dans lequel il cherche à déterminer conceptuellement la beauté comme l'unification de la
théorie et de la pratique, comme le dépassement des limites et des unilatéralités des deux concepts
(puisque, comme nous le savons, la philosophie est chez Hegel supérieure à l'art, la théorie n'est
33

comprise ici que comme une science). Hegel veut démontrer « la finitude et la liberté » dans l'objet
des théories ; cela consiste dans le manque d’« être pour soi » de l'objet : « l'unité et l'universalité »
sont en dehors de l'objet.

Dans cette extériorité du concept, chaque objet existe donc en tant que simple particularité tournée
vers l'extérieur avec ses différences, une particularité que ses relations infiniment multipliées
semblent exposer aux jaillissements, aux mutations , aux violences et aux disparitions qui
accompagnent les autres œuvres » (36).

Contrairement aux importantes déterminations de sa propre logique, dont nous parlerons bientôt,
Hegel veut limiter le théorique (le scientifique) au particulier, ce qui n'est pas juste même pour la
totalité de la pensée quotidienne, et encore moins pour la vraie science.

Naturellement, ces tendances limitatives se font également sentir dans les points de vue bourgeois
les plus révolutionnaires. Les « illusions héroïques » de l'époque révolutionnaire, par exemple,
inversent nécessairement la relation entre bourgeois et citoyen dans un sens idéaliste. L'évolution de
Hegel, surtout après la chute de Napoléon, fait également que le citoyen qui bouleverse l'ancien
devient de plus en plus un bureaucrate prussien. Dans la Philosophie du droit, en effet, ce
bureaucrate apparaît aussi comme un groupe social particulier, ou plutôt - ce qui est symptomatique
- comme un groupe social universel : « La classe universelle ou, plus précisément, la classe qui se
consacre au service du gouvernement, a immédiatement pour destination d’avoir l'universel comme
fin de son activité essentielle ». (§ 303) Cette transformation du citoyen de la révolution
démocratique en bureaucrate de l'absolutisme semi-féodal prussien, le fait d’affirmer -
immédiatement du point de vue du contenu - la citoyenneté comme universelle, doit nécessairement
avoir un effet de distorsion sur toute la dialectique économico-sociale de l'universel et du
particulier, correctement comprise jusqu'à un certain point ; notamment sur la dialectique de
l'universel et du particulier dans le rapport des groupes sociaux (classes) entre eux et avec la société
et l'État.

Nous avons vu que la transformation économique immédiate du particulier en universel est un


fondement important pour caractériser la société bourgeoise moderne, sa differentia specifica par
rapport à l'Antiquité et à l'Orient ; l'universalité immédiate de la bureaucratie crée, précisément ici,
des préventions qui provoquent la confusion et qui sont réactionnaires. Et, bien sûr, ces tendances
déformantes dans la véritable structure de la société bourgeoise moderne sont accentuées lorsque
Hegel tente logiquement d’en « déduire » les institutions particulières de la Prusse de l'époque.
Surtout, par exemple, dans la « déduction » de la monarchie. dit Hegel :

« Le pouvoir du prince contient en lui les trois éléments de la totalité : l'universalité de la


Constitution et des lois, la délibération comme rapport du cas particulier avec l'universel, et le
moment de la décision finale, à laquelle revient tout le reste et de laquelle celui-ci tire le
commencement de sa réalité » (§ 275).

Toute véritable dialectique de l'universel, du particulier et du singulier disparaît ici, remplacée par
une pseudo-dialectique formaliste et trompeuse. Et cela devient de la pure caricature lorsque Hegel
– ce qui découle nécessairement de ces fausses hypothèses - cherche à déduire « de manière
purement spéculative » la personne du monarque. Ce n'est pas un hasard si, là aussi, Hegel - comme
toujours d'ailleurs, lorsque son idéalisme devient clairement réactionnaire - a recours à la soi-disant
preuve ontologique de l'existence de Dieu. Il suffit de mentionner un point décisif pour clarifier ces
conséquences du système comme corrompant la méthode dialectique :
34

« Ce soi suprême de la volonté de l'État, envisagé sous cette forme abstraite, est un soi simple et, par
suite, une individualité immédiate. Dans son concept même est impliquée la détermination de la
naturalité. Par conséquent, le monarque en tant que tel est essentiellement caractérisé comme étant
cet individu, abstraction faite de tout autre contenu, et cet individu est déterminé de manière
immédiatement naturelle, par sa naissance, à être élevé à la dignité de monarque » (§ 280).

Comme on le voit, l'analyse hégélienne de la société bourgeoise, la tentative de saisir


conceptuellement ses caractéristiques dans l'être et le devenir comme dialectique de l'universel, du
particulier et du singulier, comporte toute une série d'idées brillantes (ou, du moins, d'intuitions),
mais aussi un sophisme vide et réactionnaire. Il faut garder à l'esprit ce mélange de juste et de faux
si l'on veut comprendre l'importance du fait que Hegel - pour la première fois dans l'histoire de cette
discipline - fonde tout l'édifice de la logique sur le rapport de l'universalité, de la particularité et de
la singularité. Toute la doctrine du concept, du jugement et du syllogisme a pour base et pour
contenu ces relations. Naturellement, notre objectif n'est pas d'examiner de manière critique la
logique de Hegel dans tous ses rapports ; nous ne traiterons que les questions qui contiennent des
éléments de principe concernant notre problème.

Dans le passage au concept, en développant la dialectique de l'action réciproque, Hegel produit la


définition la plus générale de l'universalité, de la particularité et de la singularité comme base de la
doctrine du concept, dans laquelle les contradictions précédentes (substantialité et causalité,
nécessité et contingence, nécessité et liberté, etc.) reparaissent à un niveau supérieur. Ici, l’identité
de l'identité et de la non-identité revêt une importance décisive, surtout pour les réflexions qui nous
intéressent ; en effet, la conception hégélienne des concepts concrets s' y exprime de la manière la
plus claire. La première forme sous laquelle cette identité se présente (que l'on retrouve d'ailleurs
déjà chez Aristote) est l’identité du singulier et de l'universel, précisément dans sa contradiction,
dans laquelle ils "sont posés comme la négativité identique à elle-même. Cette déclaration est donc
formulée par Hegel :

« Mais du point de vue immédiat, étant donné que l'universel n'est identique à soi que pour autant
qu'il est supprimé comme déterminité, c’est-à-dire pour autant qu’il est le négatif en tant que négatif,
c'est la même négativité qui est au fond du singulier ; et comme de son côté, le singulier est le
déterminé en tant que déterminé, le négatif en tant que négatif, il représente, du point de vue
immédiat, la même identité que l'universel. Cette identité simple du singulier constitue sa
particularité, qui contient, fondues ensemble, la déterminité du singulier et la réflexion sur soi de
l'universel. Ces trois totalités sont donc les produits d’une seul et même réflexion »40.

C'est ainsi que Hegel conçoit généralement l'essence du dépassement [Aufhebung]. Peu avant, dans
le même contexte, il souligne que - en plaçant la liberté - la nécessité ne disparaît pas ; elle ne fait
que "se manifester dans l'identité intérieure"(41)

Pour mieux comprendre ces passages logiques de Hegel, nous allons également ajouter quelque
chose sur la fonction exercée à ce stade par les concepts de détermination, de détermination, etc.
Hegel applique toujours, de manière conséquente, la célèbre définition de Spinoza : "omnis
determinatio est negatió" ; c'est pourquoi, chez Hegel, le processus de détermination est toujours un
chemin qui mène de l'universel au particulier. Chez lui, en général, le particulier n'est pas tant un
état intermédiaire, une catégorie médiatrice stable entre l'universel et le singulier ; mais surtout le
moment - en mouvement autonome - d'un processus de déplacement de la spécification. Cette

40 Hegel, Science de la logique, t. III, Logique de l’essence, p. 238.


35

pensée se manifeste déjà, comme nous l'avons vu, dans Kant. Mais chez Kant, ce fait se produit
surtout comme le résultat d'un processus dont l'essence, la direction du mouvement, la
correspondance avec les lois doivent rester - en principe - quelque chose d'inconnu pour nous ; chez
Hegel, au contraire, le processus et le résultat sont donnés en simultanéité dialectique, et la
cognoscibilité des deux ne peut jamais devenir un problème. Naturellement, chez Hegel, non
seulement la particularité mais aussi l'universalité et la singularité sont à la fois processus et résultat
; universaliser et singulariser sont en revanche chez lui un mouvement logiquement compréhensible
et exprimable des choses et de leurs relations, au même titre que la spécification, l'a
particularisation de soi (la détermination). Ce sont précisément ces mouvements et leur connaisance
de soi qui constituent pour Hegel la véritable et authentique dialectique, l'activité de la pensée
concrète, en antithèse avec la conception métaphysique qui reste dans les limites très inférieures de
la représentation pure : "Seule la représentation pure, pour laquelle l'abstraction les a isolés, est
capable de maintenir en état de séparation l'universel, le particulier et le singulier »41.

Nous le répétons : il n'est pas possible, en ce lieu, d'exposer toute la dialectique de l'universalité, de
la particularité et de la singularité de la théorie hégélienne du concept, du jugement et du syllogisme
(ces trois théories sont construites sur une telle dialectique), et encore moins de tenter de discerner
le juste de l’inexact. Telle serait la tâche d'une critique marxiste et d'un développement critique
ultérieur de toute la logique hégélienne. Les considérations qui suivent portent presque
exclusivement sur notre problème spécifique. C'est pourquoi nous pouvons dire, par anticipation,
que dans l'effort de Hegel pour maintenir toujours le concept, le jugement et le syllogisme en
mouvement dynamique, en transformation réciproque, en conversion de la diversité en son
contraire, nous voyons quelque chose de résolument positif et progressif ; mais nous ne pourrons
pas affronter, même brièvement, le problème - qui n'a pas grand chose à voir avec notre question
actuelle - de savoir où cet héraclitéisme logique de Hegel présente nécessairement des limites, de
savoir où les droits de la logique formelle doivent être défendus face à ses arguments.

Hegel considérait comme l'une de ses principales tâches d'indiquer le mouvement dialectique qui
mène de chaque catégorie traitée aux autres. Nous illustrons cette méthode de Hegel par l'exemple
de la singularité dans la doctrine du concept. Hegel proteste contre la conception qui entend réduire
la relation d'universalité, de particularité et de singularité à une relation purement quantitative.
Ainsi, dit-il, tout ce qui est essentiel dans le développement logique qui conduit au concept serait
perdu. Cet argument indique l'opposition radicale entre Hegel et ses prédécesseurs en ce qui
concerne les problèmes de logique. Alors que dans ces derniers, dans la plupart des cas, le
traitement du concept initie la logique, chez Hegel, le concept est le couronnement et la synthèse
d'une longue et riche explication des déterminations logiques. Le concept hégélien hérite de tout ce
que ce processus a mis en lumière dans la pensée : "Le concept est ce qui est le concret et le plus
riche, parce qu'il est la base et la totalité des déterminations antérieures, des catégories de l'être et
des déterminations réflexives ; aussi retrouve-t-on tout cela en lui »42. C'est donc uniquement dans
l'esprit de cette méthodologie que Hegel peut parler d'un concept concret et total.

Quant au caractère du singulier en tant que tel, Hegel le définit ainsi :

41 Hegel, Science de la logique, t. IV, Logique du concept, p. 296.


42 Ibid., p. 292.
36

« Ainsi que nous l’avons déjà montré, la singularité est déjà posée par la particularité, qui est
l’universalité déterminée ; c'est donc la déterminité se rapportant à elle-même, le déterminé
déterminé »43 .

Et, de ce point de vue, il peut dire : « L'universalité et la particularité apparaissent... comme des
moments du devenir de la singularité »44. Il s'ensuit cependant, en même temps, que les singularités
- dans leur existence réelle - ne peuvent jamais être conçues indépendamment du particulier et de
l'universel. À ce stade, la logique dialectique rompt complètement avec tout type d'empirisme ou de
nominalisme ; ceux-ci ne reconnaissent comme existant objectivement que le singulier, voyant dans
le particulier et l'universel des produits purement subjectifs de la pensée. Cette polémique, parfois,
ne peut être qu'une pure et simple conséquence d'un idéalisme objectif, et donc sous-évaluer, avec
un orgueil spéculatif, l'importance des données sensibles pour la réflexion. La tendance de
l'idéalisme objectif à placer la singularité, la particularité et l'universalité au même niveau de réalité
révèle cependant un objectivisme souvent au moins aussi justifié ; ou, comme dirait Engels, un
matérialisme "inversé". Le singulier, donc, pour Hegel aussi, est « une unité qualitative ou un
cela »45. Pour parvenir de là à l'universel, il ne suffit pas d'extraire - par pure abstraction - ce qui est
commun à de nombreux singuliers donnés immédiatement. "En entendant par universel", dit Hegel,
"ce qui est commun à plusieurs singuliers, on admet implicitement un caractère indifférent de leur
existence et l’on introduit dans la détermination conceptuelle l'immédiateté de l'être »46. Mais la
tâche de la philosophie consiste précisément à dépasser cette immédiateté. En fait, chaque singulier
- et ce objectivement, indépendamment de la pensée subjective - est médiatisé, et ce de manière très
complexe et multiforme. Le singulier en tant que tel, c'est-à-dire dans son apparente pure
immédiateté, est « l’immédiat rétabli à la faveur d’une médiation »47. Bien que cette polémique de
Hegel puisse être justifiée dans ses lignes essentielles, elle indique à nouveau - dans la mesure où
elle refuse d'admettre a limine que l'universalité est atteinte par la détermination de traits communs -
les limites idéalistes de la pensée de Hegel.

Nous pensons que cet exemple révèle clairement l'essence du traitement méthodologique de Hegel.
L'objectivité et la dynamique interne du concept lui-même sont précisément au centre de ce
traitement. S’exprime ici, d'une part, le grand progrès que la méthode de Hegel a apporté à la
logique : la priorité du contenu par rapport à la forme. D'autre part, elle exprime également une
exagération idéaliste de l'objectivité. Hegel affirme, en polémiquant avec la logique métaphysique
et subjective de l'entendement, « que ce n’est absolument pas nous qui formons les concepts et le
concept en général ne doit absolument pas être considéré comme quelque chose de créé »48. La
dialectique matérialiste, dans laquelle l'objectivité est garantie par le reflet de la réalité qui existe et
se meut indépendamment de la conscience, peut naturellement considérer les problèmes de
l'objectivité d'une manière beaucoup plus élastique et dialectique que Hegel lui-même ; puisque
pour lui l'objectivité n'est présente que dans l'atmosphère de la pensée, de "l'esprit", Hegel est
fréquemment amené à une certaine rigidité afin de pouvoir éviter - en s'appuyant en tout cas sur le
platonisme - une rechute dans l'idéalisme subjectif. Dans la pratique de Hegel, se prenant au cas par
cas, on trouvera certainement de nombreux exemples d'un traitement dialectique élastique, mais
l'attitude continue de prudence face à l'idéalisme subjectif agit nécessairement, avec la même
fréquence, comme une tendance au raidissement.
43 Ibid., pp. 293-94.
44 Ibid., p. 294.
45 Ibid., p. 297.
46 Ibid., p. 297.
47 Ibid., p. 298.
48 Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, supplément au § 163.
37

Plus clairement encore que dans le cas de la subjectivité, Hegel souligne le caractère processuel de
la relation entre universalité et particularité. Nous avons déjà observé qu'il rejette comme
métaphysique, ou du moins considère comme un mode de présentation inférieur qu'il faut dépasser,
cette forme d'universalité qui est une simple somme abstraite de traits singuliers morts :

« L'universel du concept n'est pas un élément commun (ein Gemeinschaftliches) qui existe pour soi
en face du particulier, mais c'est l'universel qui se particularise et se spécifie lui- même »49.

Ou, de façon plus concise et positive :

«Toutefois, l'universel est ce qui est identique à soi, expressément dans le sens où il contient en lui-
même en même temps le particulier et le singulier. De plus, le particulier est le différent ou la
déterminité concrète, mais dans le sens d'être universel en lui-même et en tant que singulier »50.

Le singulier a le sens d'être sujet, un fondement qui contient en lui-même le genre et l'espèce, étant
lui-même substantiel. Cette pensée est exprimée de façon encore plus significative dans la
Propédeutique philosophique :
« Ce qui vaut, par conséquent, de l'universel vaut également du singulier et du particulier ; ce qui
vaut du particulier vaut aussi du singulier ; mais non point vice-versa »51.

Ou encore :

« L'universel comprend sous lui le particulier et le singulier, comme le particulier comprend aussi le
singulier ; en revanche le singulier comprend en lui la particularité et l’universalité, comme le
particulier comprend l’universel »52.

Hegel indique ici, comme plus tard aussi dans la Logique, la subsomption et l’inhérence de ces
concepts relationnels, dont la dialectique détermine la connexion de ces catégories entre elles. Ainsi,

« la particularité est la détermination de l'universel, mais de telle façon qu'elle soit


supprimée/dépassée dans l'universel, c’est-à-dire que l'universel demeure en elle ce qu'il est »53.

Hegel reconnaît également la relativité positionnelle de ces catégories :

« Le particulier est, par rapport au singulier, un universel, et, par rapport à l'universel, un déterminé ;
c'est le moyen terme qui contient en lui-même les termes extrêmes de l'universalité et de la
singularité et qui, par conséquent, les unit »54.

Ainsi, Hegel - dans la mesure où cela est possible pour un système idéaliste - a déterminé la
position spécifique de la particularité dans sa logique de manière dialectique.

Naturellement, il faut noter que ces citations de la Propédeutique proviennent de contextes qui
transcendent la théorie des concepts. Mais, lorsque nous citons des phrases hégéliennes des

49 Ibid.
50 Ibid., § 164, remarque.
51 Hegel, Propédeutique philosophique, II, 3, § 93.
52 Ibid., III, 1, § 5.
53 Ibid., III, 1, § 4.
54 Ibid., III, 2, § 172.
38

différentes étapes de la logique, en raison de leur importance méthodologique, nous pouvons le faire
dans l'esprit de sa méthode dialectique. En fait, sa doctrine du concept, comme nous l'avons déjà
démontré, n'est pas différente de celle de ses prédécesseurs uniquement parce qu'elle ne constitue
pas le début de la logique, mais aussi - en étroite relation avec ce fait - parce que ces trois parties
(concept, jugement, syllogisme) s'imbriquent plus énergiquement l'une dans l'autre, s'anticipent
mutuellement et - au triple sens hégélien du terme - se préservent mutuellement (en se surmontant).
Dans toutes les logiques qui partent du concept, celui-ci n'est rien d'autre qu'une abstraction,
artificiellement isolée. Le lien, la relation, le lien n'apparaissent que lorsque les concepts,
rigidement fermés en eux-mêmes, s'unissent dans le jugement à d'autres concepts, puis réalisent, par
le biais du jugement, le même processus dans le syllogisme. Chez Hegel, au contraire, le concept a
une longue préhistoire logique, riche en modifications et en conversions. Il est donc beaucoup plus
concret et plein de sens que chez d'autres philosophes. Et cette richesse de contenu, cette
concrétisation, ne se réfère pas seulement à la sphère de signification du concept. Dans Hegel, au
contraire, la liaison réciproque des objets est déjà contenue dans le concept lui-même.

Précisément ici, en niant la possibilité d'un sens du concept absolument indépendant des relations
avec d'autres objets, la logique hégélienne se révèle à nouveau comme un matérialisme à l'envers.
Ainsi, le chemin du concept au syllogisme en passant par le jugement représente une série
ininterrompue de passages dialectiques, de conversions à leur opposé, de modifications réciproques.
Comme toujours chez Hegel, un grand nombre de ces passages sont extrêmement artificiels, car ils
sont construits de manière formaliste. Mais là encore, c'est l'hommage que tout idéalisme doit
rendre à la réalité lorsqu'il entend la refléter absolument dans toutes ses connexions ; néanmoins, le
mouvement essentiel est authentiquement dialectique. Il y a beaucoup de profondeur dans le fait
que le passage du concept au jugement se produit précisément sous la forme de la réduction de la
détermination à la singularité, pour prendre ensuite un nouvel élan au sens de particularités et des
généralités de signification supérieure55. Le fondement réel de ces passages logiques réside dans le
fait que, selon Hegel, « la détermination conceptuelle est essentiellement elle-même un rapport »56.
Ainsi, naturellement, le jugement (et, par rapport au jugement, le syllogisme) n'est pas dégradé en
une simple tautologie, en une explication purement formelle de quelque chose qui est déjà
complètement présent. Le concept, en vérité, est une relation en soi ; mais c'est aussi,
inséparablement, quelque chose de fini en soi : c'est l'unité de ces moments antithétiques. Pour cette
raison, le jugement peut produire une synthèse supérieure, une unité plus riche et avec des
déterminations plus explicites : « Les déterminations réfléchies sur elles-mêmes sont des totalités
déterminées ou précises, et cela aussi bien dans leur existence indifférente, sans rapports les unes
avec les autres, que du fait de leur médiation réciproque »57.

Toute la théorie hégélienne du jugement et du syllogisme est l'histoire et le système de ces


mouvements. Ils ne passent pas simplement du singulier à l'universel et vice versa (et, dans ce
processus, pour les deux mouvements, le particulier a l'inévitable fonction de médiation) ; mais
aussi, en même temps, ils passent de l'universalité abstraite à l'universalité concrète, de l'universalité
inférieure à l'universalité supérieure, ce qui transforme l'universalité précédente en particularité,
ainsi que de la singularité purement immédiate à celle médiatisée, etc. Ceci a pour conséquence que,
pour la première fois dans l’histoire de la logique, la place de la particularité est déterminée comme
celle d'un membre insurpassable de la médiation entre singularité et universalité ; et ceci dans les
deux sens du mouvement. La particularité, cependant, est plus qu'un moment de médiation qui n'est

55 Hegel, Science de la logique, Logique du concept, p. 298.


56 Ibid., p. 306.
57 Ibid., p. 300.
39

que formellement nécessaire. Nous avons vu que de véritables connexions de la réalité, de la nature
et de la société sont en jeu, et qu'elles reçoivent dans la logique leur réflexion la plus abstraite, mais
une réflexion qui tend à correspondre à la réalité. Il n'est pas non plus décisif que la théorie
hégélienne de la connaissance ne repose pas sur la théorie du reflet ; malgré cela, la Logique aspire
objectivement à un tel reflet de la réalité objective. Nous avons eu l'occasion d'observer, à propos de
ce problème, comment et avec quelle nécessité des images correctes apparaissent dans Hegel à côté
d'images fausses et entièrement déformées. Il est clair que cette duplicité doit nécessairement se
faire sentir encore plus dans la logique que sur d'autres points. Par conséquent, si les grandes et
importantes réalisations de la dialectique hégélienne doivent être utilisées également dans cet
ensemble de questions concernant la science et la philosophie, il est d'abord nécessaire de dégager
radicalement le terrain de ces moments de la problématique hégélienne qui sont faux du point de
vue du contenu social ; tant dans la connaissance de la nature que dans celle de la société, la juste
conception dialectique-matérialiste des faits et des connexions doit remplacer sa distorsion
bourgeoise idéaliste. C'est seulement sur cette base qu'une critique matérialiste profonde de la
logique hégélienne devient possible en ce qui concerne le problème de l'universalité, de la
particularité et de la singularité ; en bref, une critique qui aide vraiment à utiliser dans la science les
découvertes et les intuitions géniales de Hegel.

Notes de bas de page :

(1) Georg Lukács, Der junge Hegel (Le jeune Hegel), Zurich, 1948. Édition pour la République
démocratique allemande : Aufbau-Verlag, Berlin, 1954.

(2) Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, § 249.

(3) Hegel, Die Verfassung Deutschlands. Schriften zur Politik und Rechtsphilosophie (La
Constitution de l'Allemagne. Écrits sur la politique et la philosophie du droit), Leipzig, 1923, p.
140-141.

(4) Hegel, Wissenschaftliche Behandlungsarten des Naturrechts (Méthodes scientifiques de


traitement du droit naturel), Ibidem, p. 402. La terminologie de Hegel est encore dans de nombreux
cas celle de Schelling ; c'est le cas, dans le passage cité, du terme "puissance".

(5) Ibid. p. 403.

(6 ) Ibid., p. 352.

(7 ) Ibid, p. 409.

(8 ) Ibid, p. 406.

(9) Hegel, Die Vernunft in der Geschichte (La raison dans l'histoire), Leipzig, 1917, p. 74.

(10 ) Ibid. p. 75.

(11) Engels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, in Marx-Engels,


Obras Escolhidas, trad. portuguesa, Editorial Vitória, Rio de Janeiro, 1963, tome III, p. 174.
40

(12) Hegel, Werke (Œuvres), op. cit., tomo II, page 11

(13) Hegel, Die Vernunft in der Geschichte, cit.

(14) Marx, Werke (Works), op. cit.

(15) Hegel, Die Vernunft, cit.

(16) Marx, op. cit.

(17) Marx, Das Kapital, Berlin, 1947, livre I, pp. 185-186.

(18) Hegel, Jenenser Realphilosophie (Iena Philosophie), Leipzig, 1931, livre II, p. 198. Pour tout le
problème du travail et de la téléologie, voir mon livre Der junge Hegel, cité.

(19) Ibid.

(20) Ibid. p. 389.

(21) Engels, Antidühring, in MEGA (Œuvres complètes de Marx et Engels), op. cit.

(22) Lénine, philosophe Nachlass, op. cit.

(23) Hegel, Werke, prise V, p. 238.

(24) Hegel, Rechtsphilosophie (Philosophie du droit), § 270, addendum.

(25) Ibid

(26) Ibid, § 189.

(27) Ibid, addendum.

(28) Ibid, § 198.

(29) Ibid, § 199.

(30) Ibid, § 185

(31) Hegel, Encyclopédie, § 163, addendum I.

(32) Hegel, Rechtsphilosophie, § 206.

(33) Ibid.

(34) Ibid, § 184, addendum.

(35) Ibid, § 185, addendum.


41

(36) Hegel, Werke, cit, tomo X, I, p. 147.

(37) Hegel, Rechtsphilosophie, § 303.

(38) Ibid, § 275.

(39) Ibid, § 280.

(40) Hegel, Werke, cit, tomo IV, p. 234-235.

(41) Ibid. p. 234.


(
42 ) Ibidem, prise V, page 61.

(43) Ibid, p. 57.

(44) Ibid. p. 58.

(45) Ibid. p. 59.

(46) Ibid. p. 62.

(47) Ibid.

(48) Hegel, Encyclopédie, § 163, addendum 2.

(49) Ibid, § 163.

(50) Ibid, § 164.

(51) Hegel, Werke, Ausgabe (édition) Glockner, livre III, p. 139.

(52) Ibid., p. 146.

(53) Ibid.

(54) Ibid, page 214

(55) Hegel, Werke, cit., tomo V, p. 63.

(56) Ibid, p. 71.

(57) Ibid. p. 64.


42

III. LE PARTICULIER À LA LUMIÈRE DU MATÉRIALISME DIALECTIQUE

Ainsi, malgré les déformations idéalistes, Hegel a été le premier à poser le problème du particulier
de manière correcte et multilatérale ; chez Kant, on ne trouve que des tentatives isolées de poser la
question, bien que celles-ci ne soient nullement négligeables. Les successeurs immédiats de Hegel
n'ont jamais compris l'universalité de ce problème et sa référence à la réalité. La vaste logique de
Rosenkranz, par exemple, maintient dans la doctrine du concept, du jugement et du syllogisme les
catégories formelles d'universalité, de particularité et de singularité, mais les traite de manière
purement formaliste ; sa méthode - comme l'a immédiatement réalisé Ferdinand Lassalle, un
Hégélien "orthodoxe" - est un pas en arrière de Hegel à Kant. Ainsi, toutes les réalisations
problématiques de la logique de Hegel sont silencieusement abandonnées.

Seule la critique du jeune Marx à Hegel révèle, dans son intégralité, les problèmes qui sont ici
présents et cachés. Cette critique est faite, au départ, du point de vue d'un hégélianisme de gauche
radical ; sa première critique de la philosophie sociale de Hegel est toujours celle d'un démocrate
révolutionnaire. Naturellement, avec son évolution vers le matérialisme philosophique, vers le
communisme, cette critique - l'élaboration critique de l'héritage de Hegel, le renversement
matérialiste de la dialectique idéaliste - s'élève à un niveau toujours plus élevé, tant du point de vue
social concret que du point de vue philosophique universel. En exil à Londres, lorsqu'il écrit la
première version du Capital et rédige la Contribution à la critique de l'économie politique, Marx est
occupé avec une intensité renouvelée par la logique de Hegel ; en 1858, naît le projet d'élaborer de
façon concise, dans un bref écrit, ce qui est rationnel dans l'œuvre de Hegel(1). Bien que ce projet
n'ait jamais été réalisé, les ouvrages précités, qui apparaissent à cette époque, révèlent de
nombreuses traces d'un intérêt renouvelé et intense pour la philosophie de Hegel.

Dans l'Introduction à la Critique de l'économie politique, Marx démontre qu'il est scientifiquement
erroné de partir de la réalité sociale immédiatement donnée. L'économie commence certainement
par l'étude de la "totalité vivante" de la société, mais son développement en tant que science
s'exprime précisément dans le fait qu'elle dégage, par l'abstraction et l'analyse, "quelques rapports
généraux abstraits déterminants ". Ce n'est que par cette voie que la science économique peut
revenir de ces déterminations simples et universelles à la totalité de la réalité, que l'on peut
précisément connaître maintenant comme une réalité authentique et concrète. Cette enquête
méthodologique conduit donc à la compréhension matérialiste-dialectique du concret : "Le concret
est concret parce qu'il est la synthèse de multiples déterminations, donc unité de la diversité "(2).
Ainsi, si avec ces considérations, tout empirisme est supprimé, l'idéalisme de Hegel est démasqué -
de manière non équivoque - comme quelque chose d'illusoire. Marx affirme le caractère synthétique
susmentionné du concret :

"C'est pourquoi il apparaît dans la pensée comme procès de synthèse, comme résultat, non comme
point de départ, bien qu'il soit le véritable point de départ et par suite également le point de départ
de la vue immédiate et de la représentation. ... C'est pourquoi Hegel est tombé dans l'illusion de
concevoir le réel comme le résultat de la pensée, qui se concentre en elle-même, s'approfondit en
elle-même, se meut par elle-même, alors que la méthode qui consiste à s'élever de l'abstrait au
concret n'est pour la pensée que la manière de s'approprier le concret, de le reproduire sous la forme
d'un concret pensé. Mais ce n'est nullement là le procès de la genèse du concret lui-même." (3).
43

Ainsi, les bases de l'investigation matérialiste sont définies de manière critique et méthodologique.
Cependant, nous avons déjà observé chez Hegel que les catégories qui, de cette façon, apparaissent
au premier plan (donc, pour nous, à nouveau la particularité) ne sont pas des formes logiques
primaires qui "s'appliquent" en quelque sorte à la réalité, mais plutôt les reflets de situations
objectives dans la nature et la société, qui doivent être confirmés dans la praxis humaine afin de
devenir - par un processus ultérieur d'abstraction, qui ne doit jamais perdre le contact avec la réalité
et avec la praxis objective - des catégories logiques. C'est pourquoi nous ne pouvons comprendre et
apprécier à juste titre la véritable critique de Marx à l'égard de Hegel qu'en examinant son analyse et
sa représentation concrète du monde objectif lui-même. Il ne s'agit pas seulement d'un matériau plus
riche, mais c'est précisément l'essence des catégories qui apparaît ici, comme un reflet de la réalité
qui leur correspond, dans une clarté et une concrétisation qualitativement diverses.

Nous avons déjà observé comment le problème de la particularité se pose à Hegel à partir des tâches
de la révolution bourgeoise, de l'analyse de la société bourgeoise, de la Révolution française, de la
défense historique du progrès social. Il est évident qu'ici aussi nous avons vu comment l'influence
de l'arriération allemande et l'idéalisme philosophique de Hegel déforment les problèmes sociaux et
par conséquent aussi les problèmes méthodologiques et logiques généraux. C'est précisément là que
la critique aiguë du jeune Marx à l'égard de Hegel entre en jeu. Avec l'évolution de Marx vers le
matérialisme philosophique et les fondements du communisme, cette critique se développe et se
matérialise ; elle oppose de plus en plus clairement et résolument les acquis réels de la dialectique
matérialiste, de la conception du monde socialiste, aux irrésolutions et ambiguïtés de la conception
bourgeoise, de la dialectique idéaliste. Il ne s'agit cependant jamais, comme dans le cas de
Feuerbach, d'une réfutation complète des résultats de la méthode dialectique, mais d'une critique
authentique : une annulation critique de ce qui est faux et déformé, une capture du noyau rationnel
qui existe même dans les processus spéculatifs les plus effrénés, un ajustement matérialiste des
déterminations dans lesquelles il y avait une impulsion à la conscience adéquate des connexions
réelles, mais qui - à cause de la formulation idéaliste - n'avaient pas pu être développées au point de
saisir la vérité. La base de cette critique est le développement de la société elle-même, le reflet
adéquat des connexions proposées par le développement lui-même. Pour cette raison, le jeune Marx
- avant même de fonder socialement et philosophiquement la nouvelle science - pouvait exercer une
critique adéquate de la philosophie hégélienne du droit, malgré le fait qu'il partait d'une position
démocratique révolutionnaire de gauche, certainement peu orthodoxe.

Lorsque nous traitions de Hegel, nous avons souligné son mérite d'avoir reconnu la dialectique de
l'universel et du particulier dans la révolution démocratique : c'est-à-dire de démasquer la prétention
des anciennes classes dominantes à représenter les intérêts de la société entière (l'universel), alors
qu'elles entendaient réaliser uniquement leurs intérêts de classe restreints et égoïstes (le particulier) ;
la nouvelle classe révolutionnaire, au contraire, doit se présenter - même si, naturellement, elle lutte
avant tout pour ses propres intérêts de classe (le particulier) - comme la représentante de tous ceux
qui ont été lésés par l'Ancien Régime (l'universel). Marx peut accepter le schéma abstrait de cette
conception, puisqu'il s'accorde avec la réalité. Les expériences historiques les plus riches, l'angle de
vision supérieur orienté vers la révolution, l'amènent cependant à poser et à résoudre toute la
question d'une manière beaucoup plus concrète que ne l'avait fait Hegel, notamment parce qu'il a
déjà en tête une révolution démocratique dans laquelle le prolétariat aura un rôle de premier plan et
qui contient en elle-même la possibilité de se transformer en révolution socialiste. Dans son ouvrage
Critique de la philosophie du droit de Hegel, Marx pose la question suivante : "Sur quoi repose une
révolution partielle, simplement politique ? Sur ceci : une fraction de la société bourgeoise
s'émancipe et accapare la suprématie générale, une classe déterminée entreprend, en partant de sa
44

situation particulière, l'émancipation générale de la société. ... Il n'est pas de classe de la société
bourgeoise qui puisse jouer ce rôle, à moins de faire naître en elle-même et dans la masse un
élément d'enthousiasme, où elle fraternise et se confonde avec la société en général, s'identifie avec
elle et soit ressentie et reconnue comme le représentant général de cette société, un élément où ses
prétentions et ses droits soient en réalité les droits et les prétentions de la société elle-même, où elle
soit réellement la tête sociale et le cœur social. Ce n'est qu'au nom des droits généraux de la société
qu'une classe particulière peut revendiquer la suprématie générale. "(4).

Marx démontre cette dynamique en ce qui concerne le rôle de la bourgeoisie dans la Révolution
française, ainsi que celui du prolétariat dans la révolution démocratique allemande souhaitée.

L'intuition de Hegel devient un savoir révolutionnaire précis. La modification, l'enrichissement et la


réalisation décisifs résident dans le fait que Marx est maintenant en mesure de rendre pleinement
compte de toutes les illusions - historiquement nécessaires - des révolutions bourgeoises. C'est
pourquoi, dans cette dialectique de l'universel et du particulier, le concept d'universel subit une
modification et une clarification qualitativement déterminantes. Dans L'idéologie allemande, Marx
dit

Toute classe qui aspire à la domination, même lorsque - comme dans le cas du prolétariat - sa
domination implique le dépassement de toute ancienne forme de société et de domination en
général, doit d'abord conquérir le pouvoir politique, afin de représenter, à son tour, son intérêt en
tant qu'universel, en y étant d'abord obligée. C'est précisément parce que les individus ne
recherchent que leur intérêt particulier, qui ne coïncide pas avec leur intérêt collectif, et que
l'universel en général est une forme illusoire de collectivité, qu'il s'impose comme un intérêt
universel, à son tour particulier et spécifique, qui leur est "étranger" et "indépendant", ou alors les
individus eux-mêmes doivent s'opposer les uns aux autres dans ce dissimulé, comme en
démocratie(5).

Si ici, ils sont élevés à une théorie concrète, matériellement fondée, des indications déterminées et
réelles de Hegel, sur d'autres points, le contraste est beaucoup plus intense. En fait, on connaît le
choc causé dans la conception hégélienne de l'histoire par la chute de Napoléon : la dégradation de
ses aspirations à une réforme de la société au niveau des promesses de Frédéric Guillaume III,
pendant les guerres de libération. Pour Hegel, cette involution des perspectives du développement
historique a d'abord pour conséquence que le tableau idéal de la Prusse a été représenté comme la
couronne finale de l'histoire, comme sa fin. Deuxièmement, cependant, une démission similaire
diminue également la relation des catégories à la réalité. Outre l'inévitable distorsion due à
l'idéalisme philosophique, les catégories philosophiques singulières sont de moins en moins
élaborées sur la base de la réalité sociale elle-même. Ils sont maintenant, à bien des égards, des
catégories de logique appliquées dans la société. Aujourd'hui aussi, Hegel veut comprendre la
société. Sa philosophie du droit ne vise rien d'autre. Mais le jeune Marx, pas encore socialiste,
constate à juste titre que ces prétentions ne sont plus justifiées : "Mais cette compréhension ne
consiste pas, comme le croit Hegel, à reconnaître partout les déterminations du concept pur, mais
plutôt à concevoir la logique spécifique de l'objet spécifique"(6).

La conséquence en est que les déductions de Hegel doivent avant tout devenir apparentes, et qu'il
faut en tirer d'autres conséquences pour l'universel et le particulier, qui planent dans l'air et ne sont
pas des images abstraites reflétant des situations sociales réelles. Marx critique le passage de la
famille à la société civile, tout comme Hegel l'a fait :
45

Le passage ne découle donc pas de l'essence spécifique de la famille et de l'essence spécifique de


l'État, mais de la relation universelle entre le besoin et la liberté. C'est en tout le même passage qui,
en logique, se fait de la sphère de l'être à la sphère du concept. Le même passage est établi, dans la
philosophie de la nature, de la nature inorganique à la vie. Ce sont toujours les mêmes catégories
qui animent tantôt une sphère, tantôt une autre. Il est important pour Hegel de ne trouver, pour les
déterminations concrètes singulières, que les déterminations abstraites correspondantes(7).

Cette méthode de Hegel, comme nous l'avons déjà indiqué, a pour conséquence inévitable le fait
que toutes les questions importantes de son temps apparaissent idéalement inversées, qu'il s'agisse
du rapport entre la société civile et l'État, ou du rapport entre le citoyen et le bourgeois. À ce stade,
la profonde influence réciproque entre l'idéalisme philosophique et le retard politique de Hegel
devient évidente.

Hegel voit, plus ou moins clairement, la lutte entre l'ancien et le nouveau comme le contenu
essentiel de l'histoire. Cependant, comme nous l'avons déjà indiqué, il interprète souvent le nouveau
avec les principes de l'ancien, au lieu d'utiliser les principes du nouveau pour une critique
authentique de l'ancien. Il connaît (ou plutôt, il intuitionne) la différence, voire l'opposition, entre
les couches féodales et les classes modernes, mais cherche à les expliquer par celles-ci et non
l'inverse. Le jeune Marx, en tant que démocrate révolutionnaire, reconnaît et combat ce principe
réactionnaire à Hegel avec la plus grande énergie.

C'est la manière non critique et mystique d'interpréter une conception archaïque du monde dans le
sens d'une conception moderne, dans laquelle la première ne devient rien de plus qu'une chose
malheureusement hybride, dans laquelle la forme trompe le sens et le sens trompe la forme, et le
sens n'atteint pas la forme et ne devient pas un sens réel, et la forme n'atteint pas le sens et ne
devient pas une forme réelle. Cet acronyme, ce mysticisme, est à la fois l'énigme des constitutions
modernes (χα-'εξοχπν formé par des strates) et le mystère de la philosophie hégélienne, philosophie
du droit et philosophie de la religion, avant tout(8) .

Cette méthode falsifie nécessairement, lorsqu'il passe à l'exposition, même ce que Hegel a
relativement bien compris. Sa philosophie du droit est écrite du point de vue de la monarchie
constitutionnelle. Même le jeune Marx ne nie pas que cette forme d'État a été synonyme de progrès,
bien que relatif, face à l'absolutisme féodal. Cependant, comme Hegel veut faire de cette relative
progressivité l'incarnation finale de l'esprit absolu, une réalité adaptée à l'idée, quelque chose de
clairement réactionnaire naît en lui.

De tous les attributs du monarque constitutionnel de l'Europe moderne, Hegel fait des
autodéterminations absolues de la volonté. Il ne dit pas : la volonté du monarque est la décision
ultime ; mais plutôt : la décision ultime de la volonté est - le monarque. La première phrase est
empirique, la seconde déforme le fait empirique en le transformant en un axiome métaphysique(9).

Ainsi, cette position méthodologique de Hegel devient un contenu politique. Le jeune Marx critique
ici la philosophie de Hegel, de son point de vue démocratique révolutionnaire de l'époque, comme
une théorie qui déforme toute perspective d'avenir et, par là, falsifie la connaissance du passé et du
présent.
46

La démocratie est la vérité de la monarchie, la monarchie n'est pas la vérité de la démocratie... La


démocratie est le genre de la constitution. La monarchie est une espèce, et une mauvaise espèce. La
démocratie, c'est "le contenu et la forme". La monarchie ne doit être que formelle, mais elle change
le "contenu"(10).

Comme en économie, ici aussi le mérite de Hegel, selon Marx, est de voir équitablement l'être du
présent. Cette fausse position a cependant pour conséquence que, sur la base de données exactement
observées, et même exactement connues dans sa structure, il tire non seulement de fausses
conséquences, mais interprète également de manière erronée le fondement connu précédemment.
Ainsi, par exemple, dans le cas de la relation entre les couches et l'État : "Il fait de l'élément de
classe l'expression de la séparation, mais en même temps cet élément doit être le représentant d'une
identité qui n'existe pas"(11). Le programme de Hegel est une médiation continue entre les
différents moments et les différentes tendances de la société bourgeoise. Étant donné que, de
manière mystifiante, elle introduit dans les strates cette duplication (substantiellement
inconciliable), il est toujours possible de les faire apparaître dans des médiations et des conciliations
de ce type.

Comme les catégories purement logiques dans sa construction sont maintenant formées selon ce
modèle, elles peuvent - apparemment - jouer leur rôle dans la philosophie de l'État et de la société
sans problème. La pseudo-orité de ces liens reçoit une pseudo-évidence dans la mesure où ces
catégories se laissent unifier "par elles-mêmes" dans un syllogisme. Mais tout cela n'est qu'une
apparence formaliste. De cette façon, l'élément de strate devient un médiateur entre le peuple et le
souverain, entre la société civile et le gouvernement, etc. Les strates ou couches hégéliennes sont,
d'une part, les corporations médiévales et, d'autre part, en même temps, les classes de la société
bourgeoise moderne. Comme Hegel force cette inconciliabilité à coexister dans la même catégorie,
il en résulte un mixtum compositum - au lieu du concept concret auquel il aspire - et, comme il
l'utilise comme terme moyen pour le syllogisme, le double sens contradictoire entre nécessairement
en action et mystifie le lien, au lieu d'exprimer son noyau rationnel. "Le moyen terme est le fer du
bâton, c'est l'opposition dissimulée entre universalité et singularité"(12). Et cela parce que les
couches, en tant que classes d'une société bourgeoise moderne, doivent par conséquent faire de
"leur particularité la puissance déterminée de l'ensemble". Hegel, au contraire, veut obtenir avec eux
"que "l'universel en soi et pour soi", l'État politique, ne soit pas déterminé par la société civile, mais,
au contraire, qu'il la détermine"(13) Ainsi, derrière une façade d'apparente logique rigoureuse, se
profile un chaos de contenus qui agissent en sens inverse ; la médiation toujours placée sur le terrain
est, en fait, une manière de dissimuler cette opposition. Marx résume évidemment ce caractère
involontairement antinomique de la philosophie sociale de Hegel par rapport au pouvoir législatif.
Hegel a voulu voir et représenter, également dans cette dernière, un moment de médiation ; derrière
cette médiation, il y a pourtant dans la réalité sociale exactement le contraire : "Mais, en vérité, il y
a l'antinomie entre l'État politique et la société civile, il y a la contradiction entre l'État politique
abstrait et lui-même. Le pouvoir législatif est la position de révolte". Ici, avec une grande clarté,
toute la contradiction de la philosophie de Hegel est révélée. Marx poursuit donc le raisonnement
susmentionné :

La principale erreur de Hegel consiste en ce qui suit : il suppose que la contradiction du phénomène
est l'unité par essence, par idée, lorsque cette contradiction a sa raison d'être dans quelque chose de
plus profond, c'est-à-dire dans une contradiction substantielle, tout comme, par exemple, la
contradiction du pouvoir législatif lui-même n'est, dans ce cas, que la contradiction de l'État
politique avec lui-même et, par conséquent, de la société civile avec elle-même(14) .
47

Les principes, ainsi que l'importance historique, de la critique de Marx à l'égard de Hegel sont déjà
clairement visibles. Ce fut, en son temps, une réalisation importante de Hegel que d'avoir traité un
problème d'apparence exclusivement logique, tel que la relation de l'universel au particulier et du
singulier, comme un problème de structure et de développement de la société. À cet égard, nous
pouvons constater que les traits les plus négatifs dans la réalisation de son programme découlent
précisément de cette position nouvelle et fructueuse. Le nouvel élément d'anticipation et celui de la
mystification qui génère la confusion y sont étroitement liés d'une manière difficile à démêler. Pour
cette raison, une critique qui indiquerait la voie de l'avenir ne pouvait être faite que du point de vue
d'un être social plus développé et d'un autre type : dans le cas de Marx, celui de la démocratie
révolutionnaire et, surtout, plus tard celui du communisme.

Tous les successeurs bourgeois de Hegel, sans exception, qu'ils soient partisans ou ennemis de sa
méthode et de son système, se sont retrouvés face à ce problème sans la moindre idée de ce qu'il
fallait faire. La critique juste et pertinente des nombreuses pseudo-universalités et
pseudoparticularités de Hegel ne pouvait donc se manifester que lorsqu'elle s'opposait au jugement
erroné sur la réalité sociale, d'où sont nées ces formations logiques erronées, jugement juste du
point de vue du contenu politico-social. Nous avons déjà indiqué les plus graves absurdités des
déductions dans Hegel (monarchie, bureaucratie, etc.). Nous allons maintenant citer une autre
observation critique du jeune Marx afin d'éclairer pleinement la méthodologie de sa critique dans
son unité de vues logique et politique. Il dit, en parlant de la bureaucratie comme la "strate
universelle" à Hegel :

Il (la bureaucratie - G.L. ) est la "conscience de l'État", la "volonté de l'État", la "force de l'État",
dans la mesure où il s'agit d'une société (l'"intérêt général", face à l'intérêt particulier, ne peut se
comporter que comme un "particulier", jusqu'à ce que le particulier, face au général, se comporte
comme un "général" : la bureaucratie est donc obligée de protéger la généralité imaginaire de
l'intérêt particulier, l'esprit de la société, afin de protéger la particularité imaginaire de l'intérêt
général, son propre esprit : l'État doit être une société, jusqu'à ce que la société veuille être un État),
par conséquent une société privée, fermée, dans l'État. (15)

On voit ici exactement comment tout ce qui est faux chez Hegel du point de vue du contenu (et
donc du point de vue logique) émerge de la même source qui a produit ses grandes découvertes, du
lien indissociable d'un contenu politico-social et de manière logique, avec une priorité décisive et
une détermination de ce dernier par ce dernier. Il s'ensuit, bien sûr, que la critique de Marx à l'égard
de Hegel ne peut, dans une mesure toujours plus grande, se limiter à la critique ; au contraire, le
démasquage de ce qui est faux devient une indication ininterrompue de ce qui est juste du point de
vue socio-politique, et il s'ensuit également une clarification logique et méthodologique des
catégories. Bien sûr, cette critique, cette accentuation de la nouveauté, se réfère à toute la
philosophie de Hegel, à toutes les catégories qu'il a interprétées en partie pour la première fois ; ici,
il faut se limiter à l'ensemble des problèmes qui se posent.

Ce n'est pas un hasard, bien sûr, si la critique de Marx à l'égard de Hegel se concentre sur le
problème de l'universel. Non seulement parce qu'il s'agit d'une catégorie de pensée scientifique (et
le marxisme, qui fonde un nouveau type de science qualitativement supérieure, doit nécessairement
déterminer exactement les concepts centraux de la science et éliminer toute possibilité de confusion
avec la pseudo-science de l'idéalisme et de la métaphysique), mais aussi parce que la définition
erronée de la catégorie de l'universalité a une fonction très importante dans l'apologie du
48

capitalisme. Il suffit d'illustrer cette situation par quelques exemples également tirés de la
production ultérieure de Marx, surtout parce que nous avons déjà traité de près ces tendances sur le
terrain politique, en exposant la critique de la "couche universelle" hégélienne. Du point de vue
économique, cette question se pose dans la grande introduction - qui reste fragmentaire - au premier
essai du Capital. Marx étudie ici le concept de "production générale". Il note qu'il s'agit, dans
certaines limites, d'une "abstraction compréhensible". Ses limites sont surtout fixées de telle sorte
que "en raison de l'unité... la diversité substantielle n'est pas négligée". C'est précisément ici que se
pose le problème de l'apologie du capitalisme : "Dans cette négligence se trouve, par exemple, toute
la sagesse des économistes modernes, qui démontrent l'éternité et l'harmonie des relations sociales
existantes. Marx cite la nécessité des instruments de production, dont les excuses aboutissent à la
conclusion suivante :

Le capital est donc un rapport naturel éternel et universel ; mais ceci à condition que j'abandonne
précisément l'élément spécifique qui est le seul à faire d'un "instrument de production", du "travail
accumulé", un capital(16).

On peut voir comment l'apologétique - du point de vue méthodologique - part du fait qu'une
généralisation justifiée dans certaines limites est élargie de façon illimitée ; ce résultat ne peut être
obtenu que dans la mesure où le concept d'universalité est "libéré" de toute relation dialectique
(détermination, limitation, enrichissement, concrétion, etc.) avec la particularité. La formulation
apologétique et abstraite de l'universel, donc, en même temps, liquide la dialectique de l'universel et
du particulier, ou - tout au plus - ne permet qu'une pseudodialétique formaliste. Toute analyse du
capitalisme - peu importe qu'il s'agisse d'une question singulière ou du problème fondamental du
système dans son ensemble - confirme nécessairement cette constatation sur la dialectique de
l'universel et du particulier. Ainsi, en traitant de la surproduction capitaliste dans les Fondements de
la critique de l'économie politique, Marx dit :

Il suffit de démontrer ici que le capital contient une limitation particulière de la production - qui
contredit sa tendance générale à en dépasser toute limite - d'avoir devant nous la base de la
surproduction, la contradiction fondamentale du capital développé, pour découvrir qu'il n'est pas,
comme le pensent les économistes, la forme absolue du développement des forces productives...(17)

De plus, dans Le Capital, Marx exprime des formulations qui résument le problème dans son
ensemble, qui montrent comment la dialectique de l'universel et du particulier est la détermination
la plus précise du problème à travers précisément cette dialectique, la réflexion logique d'un fait
fondamental : que l'être est un processus, celui de la nature historique de l'être de toute formation
économique et, par conséquent, aussi du capitalisme. L'extinction de la dialectique à laquelle nous
nous référons est, en même temps, l'extinction de la conception historique. Dans Le Capital, Marx
donne à cette problématique des formulations qui indiquent clairement, c'est-à-dire sur la base de
relations concrètes et de tendances économiques de développement, la bonne voie dans cette
question de méthodologie. Nous nous limiterons à citer l'un d'entre eux :

L'analyse scientifique du mode de production capitaliste démontre au contraire qu'il s'agit d'un
mode de production d'un type particulier, spécifiquement défini par le développement historique ;
que, comme tout autre mode de production déterminé, il présuppose un certain niveau de forces
productives sociales c de leurs formes de développement comme condition historique ; Cette
condition est elle-même le résultat historique et le produit d'un processus antérieur, dont part le
nouveau mode de production, puisqu'un tel processus est son fondement donné ; que les relations de
49

production correspondant à ce mode de production spécifique, déterminé historiquement (relations


dans lesquelles les hommes pénètrent dans leur processus de vie sociale, dans la création de leur vie
sociale) ont un caractère spécifique, historique, transitoire. (18)

Ces considérations montrent très clairement les raisons pour lesquelles - notamment avec la crise
idéologique de la bourgeoisie - il existe nécessairement une affinité décisive entre l'économie
apologétique et l'idéalisme philosophique. Cette tendance apparaît déjà clairement dans la
dissolution de l'hégélianisme. Ce n'est donc pas un hasard si Marx, dans sa polémique avec les
frères Bauer, met au premier plan la faillite gnoséologique de l'idéalisme, précisément par rapport
au problème de l'universalité. Marx illustre cette impasse de l'idéalisme philosophique par un
exemple général et simple, qui atteint même la banalité. La représentation abstraite "le fruit" naît du
processus mental justifié qui consiste à résumer en un concept les caractéristiques communes des
pommes, des poires, etc. La mystification spéculative a lieu lorsque ce processus réel est inversé,
lorsque le fruit est conçu comme une substance et les pommes, les poires, etc. comme des modes de
cette substance. D'une part, la réalité sensible est par cette procédure annulée spéculativement ;
d'autre part, une difficulté inventée mais désormais insurmontable est née. Mais il est aussi facile -
dit Marx - de produire, à partir d'un fruit réel, l'idée abstraite "le fruit", qu'il est difficile de produire,
à partir de l'idée abstraite "le fruit", un fruit réel. Il est même impossible d'arriver à une abstraction
par opposition à l'abstraction sans renoncer à l'abstraction"(19) Pour mener à une pseudosolution ce
problème insoluble, l'idéalisme spéculatif a besoin de tous ses artifices : les pommes, les poires, etc.
sont les "auto-différenciations" de sa substance, le fruit, c'est-à-dire les différents "membres du
processus vital" de cette substance.

Marx résume comme suit la description ironique de cette mystification spéculative des faits en soi si
simple :

L'homme du commun ne croit pas qu'il dise quelque chose d'extraordinaire quand il dit qu'il y a des
pommes et des poires. Le philosophe, au contraire, lorsqu'il exprime ces existences de manière
spéculative, dit quelque chose d'extraordinaire, pratique un miracle, produit de l'être intellectuel
irréel "le fruit" des êtres naturels réels, la pomme, la poire, etc. c'est-à-dire de son propre intellect
abstrait - qu'il imagine comme un sujet absolu existant en dehors de lui-même, dans ce cas comme
"le fruit" - il a créé ces fruits ; dans toutes les existences qu'il exprime, il pratique un acte
créatif(20).

Lénine critique également cet aspect de la philosophie idéaliste, lorsqu'il souligne l'exagération de
l'équivoque et l'autonomisation de l'universel comme sa principale erreur. Il affirme que Hegel
"divinise l'universalité" ; et, quant à Aristote, il observe : "Idéalisme originel : l'universel (le
concept, l'idée) est un être particulier"(21)

Comme nous l'avons déjà observé, dans ce domaine également, Marx ne se limite pas à la critique
pure et simple, à l'anéantissement des positions d'idéalisme, mais ce travail de destruction est
toujours lié à l'indication concrète de ce qui est positif et juste. Détruire les conceptions idéalistes
vides de sens de l'universalité sert avant tout à rétablir cette catégorie, précisément formulée dans
son application dialectique, juste et scientifique. L'analyse susmentionnée de la production en
général l'avait déjà démontré. Et l'on peut dire : Marx considère l'universalité comme une
abstraction réalisée par la réalité elle-même, et alors - alors seulement - elle devient une idée juste,
c'est-à-dire lorsque la science reflète adéquatement le développement vital de la réalité dans son
mouvement, dans sa complexité, dans ses vraies proportions. Mais si la réflexion doit correspondre
50

à ces critères, elle doit être à la fois historique et systématique, c'est-à-dire qu'elle doit soulever la
notion de mouvement concret. Dans ce sens, Marx dit de l'œuvre :

L'œuvre semble être une catégorie très simple. Même la représentation du travail dans cette
généralité, comme le travail en général, est très ancienne. Et pourtant, considéré dans cette
simplicité du point de vue économique, le travail est une catégorie aussi moderne que les relations
qui produisent cette simple abstraction(22).

Les considérations suivantes rendent cette dialectique historique encore plus concrète :

L'indifférence à un genre de travail particulier présuppose un ensemble très développé de genres de


travail réels, dont aucun ne domine plus l'ensemble. Ainsi, les abstractions plus générales
n'apparaissent que lorsqu'un développement plus riche du concret est donné, lorsqu'une
caractéristique s'avère commune à un grand nombre, à une totalité de phénomènes. Ensuite, il cesse
de pouvoir être pensé uniquement sous une forme particulière(23).

Les exemples cités suffisent à indiquer combien est riche et variée la manière dont la dialectique de
l'universel et du particulier se manifeste dans la réalité historico-sociale et combien il serait faux de
déduire à l'avance de ces processus, si divers les uns des autres, un quelconque schéma. La science
authentique extrait de la réalité elle-même les conditions structurelles et leurs transformations
historiques, et, si des lois sont formulées, elles embrassent l'universalité du processus, mais de telle
manière que, à partir de cet ensemble de lois, on peut toujours revenir - même si c'est fréquemment
par le biais de nombreuses médiations - aux faits singuliers de la vie. C'est précisément la
dialectique concrètement réalisée de l'universel, du particulier et du singulier. Ce lien peut être très
bien étudié dans l'analyse de Marx sur la capitale en général. Il dit :

Le capital en général, contrairement au capital privé, n'apparaît 1) que comme une abstraction : pas
une abstraction arbitraire, mais plutôt une abstraction qui comprend les différences spécifiques du
capital, le distinguant des autres formes de richesse... Et les différences au sein de cette abstraction
sont aussi des particularités abstraites qui caractérisent toutes sortes de capital alors qu'il s'agit de
son affirmation ou de sa négation (par exemple, le capital fixe ou circulant) ; 2) le capital en
général, cependant, différemment du capital privé et réel, est lui-même une existence réelle... Par
conséquent, si l'universel, d'une part, n'est qu'une pensée specifica differentia, il est en même temps
une forme réelle et particulière à côté de la forme du particulier et du singulier(24).

Cette méthode est systématiquement appliquée dans toutes les œuvres des classiques marxistes.
Ainsi, tous les pseudoproblèmes et pseudoanthinomies des phases antérieures au marxisme
disparaissent dans le vide. Pensons au problème de la subsomption ; nous avons vu chez Kant les
difficultés qui y sont liées, difficultés qui s'infiltrent aussi dans la logique de Hegel. Tant que la
subsomption est conçue de manière idéaliste comme une pure opération mentale, elle se heurtera
inévitablement à des antinomies. Pour Marx, la subsomption est aussi le reflet des connexions qui
sont présentes dans le processus réel, qui sont des moments en mouvement de ce même processus
réel. C'est pourquoi il peut ironiquement alléguer à Stirner : "Ce qui lui apparaît comme un produit
de la pensée, je l'aurais compris comme un produit de la vie"(25)

Marx présente ce processus de subsomption dans toute sa multiplicité historiquement explicite, en


amenant chacune de ses relations d'origine historique et ses modifications à sa légitimité spécifique.
51

Tant dans le rapport de l'individu avec la classe que dans la division du travail, cette véritable
subsomption - réalisée par la vie - est en action :

Mais au cours du développement historique, et précisément à travers l'inévitable indépendance que,


dans la division du travail, les relations sociales acquièrent, une différence se fait jour entre la vie de
chaque individu, alors qu'elle est personnelle et qu'elle est subsumée à toute branche du travail et à
ses conditions relatives(26) .

La manière dont cette subsomption se produit, cependant, est extrêmement diverse dans les
différentes formations sociales. Dans la strate médiévale, et bien sûr plus encore dans la strate
ethnique ou familiale, elle est immédiate et comprend tout ce qui est personnel. Dans le capitalisme,
elle est inséparable de l'action du hasard ; ce hasard dans la subsomption apparaît chez Kant,
comme nous l'avons vu, comme une limite de "notre" faculté cognitive. Concrètement, cette
corrélation entre subsomption et hasard découle de la structure du capitalisme, étant, avec une égale
nécessité, pour ceux qui participent au capitalisme, la cause d'une réflexion inversée du lien réel :

La compétition et la lutte des individus entre eux produisent et développent cette précarité en tant
que telle. Ainsi, sous le règne de la bourgeoisie, les individus sont plus libres qu'auparavant dans
leur imagination, puisque pour eux les conditions de vie sont occasionnelles ; en réalité, bien sûr, ils
sont moins libres parce qu'ils sont subsumés sous une force objective(27).

Ce n'est que dans le communisme que ce mode de subsomption de l'homme au travail, de division
du travail, etc. disparaît(28). Au cours du développement des sociétés de classes, une situation
similaire ne peut se présenter que dans des circonstances particulièrement favorables à un type
d'homme privilégié en termes de talent et de caractère ; Engels l'a démontré de façon convaincante
dans sa célèbre description des grands hommes de la Renaissance(29).

On peut déjà voir ici qu'il s'agit de processus objectifs qui, dans les sociétés de classes, se déroulent
de manière élémentaire. Marx décrit, par exemple, ce processus dans l'industrie des machines :

Le processus de production n'est plus un processus de travail dans le sens où le travail, tel qu'il le
domine, le dépasse. Elle n'apparaît au contraire que comme un organe conscient en de nombreux
points du système mécanique chez les travailleurs vivants individuels ; subsumée au processus
global de la machine elle-même, et même elle n'apparaît que comme un membre du système lui-
même, dont l'unité n'existe pas chez les travailleurs vivants, mais dans la machine vivante (active),
qui, face à l'activité individuelle insignifiante du travailleur, lui apparaît comme un organisme
puissant(30).

Bien sûr, de cette façon, tout travail individuel indépendant est socialement annulé. C'est pourquoi
les travailleurs sont subsumés dans des machines dans leur intégralité, puisqu'ils - dans le double
sens de Marx - sont devenus et se sont libérés. La généralisation complète du travail dans une telle
subsomption est, en même temps, la dissolution de toute particularité et unicité du processus de
travail. Marx considère l'étape précédente, dans laquelle le travailleur possède ses instruments de
production, comme suit :

Quand on a la propriété de l'instrument, ou la référence du travailleur à l'instrument comme étant le


sien, quand il travaille comme propriétaire de l'instrument (ce qui suppose en même temps la
52

subsomption de l'instrument à son travail individuel, c'est-à-dire à cette phase particulière et


restreinte du développement de la force de travail productive)...(31)

L'espèce et le degré, la quantité et la qualité de la subsomption sont donc déterminés concrètement


en fonction des stades de développement réels des forces productives. Si l'on pense à cette richesse
de relations existantes dans la réalité, concrètement reconnues à la lumière d'une loi, on comprend
pourquoi Marx rejette si fortement toute conception idéaliste, rigide et schématique de la
subsomption. Ainsi, il écrit à propos d'Héraclite de Lasalle : "L'idéologie le domine et la méthode
dialectique est utilisée de façon erronée. Hegel n'a jamais qualifié la dialectique de subsomption
d'une masse de "cas" en vertu d'un principe général"(32)

Ces extraits extrêmement fragmentaires indiquent comment Marx aborde le problème de la


dialectique de l'universel et du particulier : il s'agit toujours d'y clarifier la forme concrète de sa
relation, au cas par cas, dans une certaine situation sociale, par rapport à une certaine relation de la
structure économique ; mais aussi - ce qui est décisif - de découvrir dans quelle mesure et dans
quelle direction les transformations historiques modifient cette dialectique. D'une analyse concrète
similaire, il ressort la relativisation dialectique de l'universel et du particulier toujours et partout ;
dans certaines situations concrètes ils deviennent l'un dans l'autre, dans certaines situations
concrètes l'universel devient spécifique, dans une certaine relation il devient particulier, mais il peut
aussi arriver que l'universel dilate et annule la particularité, ou qu'un particulier antérieur se
développe en universalité ou vice-versa. Marx considère comme une tâche importante de la science
d'étudier et de décrire, d'une manière historiquement concrète, sans a priori schématique et avec
précision, ces relations et leurs transformations. Mais en même temps, et dans la même corrélation,
il découvre que les contradictions concrètes ainsi perçues doivent être comprises, d'un point de vue
logico-méthodologique, comme des cas concrets et des expressions d'une dialectique de l'universel
et du particulier.

Ainsi, comme nous l'avons vu, les mystifications idéalistes, la simplification abstraite et les
abstractions grossières de la philosophie de Hegel sont dépassées. Cependant, il serait unilatéral de
supposer que la lutte de Marx dans ce domaine est exclusivement dirigée contre la dialectique de
l'idéalisme absolu. Ce dernier, au contraire, malgré toutes ses limites et ses distorsions, se présente
comme un pas en avant dans la connaissance du caractère social originel indestructible de l'homme
- même s'il est en constante modification historique. Les idéologies de la bourgeoisie décadente, au
contraire, cherchent à dissoudre et à éliminer cette sociabilité. Peu importe, comme nous l'avons vu,
qu'il divinise et fétichise l'universalité sociale, ou qu'il devienne un concept subjectif et
nominalement dissous, puisque l'homme singulier - dans toutes ces conceptions - s'oppose à la
totalité, en éloignant idéalement de lui toutes les médiations sociales. Ce processus commence déjà
avec la dissolution de l'hégélianisme. Ainsi, Bruno Bauer représente l'individu de la société
capitaliste comme un atome isolé ; ainsi, Max Stirner construit sa philosophie sur l'"un". Dans
toutes ces conceptions se cache la rébellion de la bourgeoisie décadente contre la reconnaissance de
la détermination de classe des hommes, de la lutte de classe de la société, même si ce n'est qu'un fait
acquis (comme on le sait, les idéologues de la bourgeoisie progressiste avaient non seulement admis
la lutte de classe dans l'histoire, mais l'avaient même traitée comme le problème central de l'histoire.
Que les historiens français de la Restauration se souviennent).

Dans le contexte de ces controverses, la dialectique de l'universel et du particulier dans la société a


une fonction majeure ; le particulier représente ici précisément l'expression logique des catégories
53

de médiation entre les hommes singuliers et la société. Ainsi, Marx - dans les Manuscrits
économico-philosophiques - dit

Surtout, il faut éviter de fixer la "société" comme une abstraction face à l'individu. L'individu est
une entité sociale. Sa manifestation de vie - même si elle n'apparaît pas sous la forme directe d'une
manifestation de vie commune, réalisée en même temps avec d'autres - est donc une manifestation
et une affirmation de la vie sociale. La vie individuelle et la vie générique de l'homme ne sont pas
distinctes, même si - nécessairement - le mode d'existence de la vie individuelle est un mode de vie
générique plus particulier ou plus général, et la vie générique est une vie individuelle plus
particulière ou plus générale(33) .

L'économie, bien sûr, constitue la base de ces relations. Son caractère de médiation multiple et
compliquée de toutes catégories s'exprime ici dans une dialectique concrète, de l'universel et du
particulier, soumise à de multiples modifications. Le fait que Marx ait révélé cet aspect de la
question, alors que les économistes favorables à la bourgeoisie l'ont fait disparaître, a également des
raisons qui vont au-delà de la méthodologie formelle pure et simple de la science économique.
L'époque de la fondation de l'économie marxiste est postérieure à la dissolution de l'économie
classique, tout comme la fondation de la dialectique matérialiste est postérieure à la dissolution de
la philosophie classique. Nous avons déjà souligné les motivations sociales qui étaient à l'œuvre
dans ce dernier processus. En économie, il s'agit de l'absolutisation du régime économique
capitaliste. Pour atteindre cet objectif, un processus de division du travail est vérifié dans la science
bourgeoise. Tout d'abord, la science économique est désistorisée. La naissance d'une nouvelle
science, la sociologie, sert fondamentalement à traiter les catégories sociales en les déconnectant de
l'économie et donc, d'une part, à les transformer - maintenant qu'elles ont été détachées de la base
économique - en formes "éternelles", "universelles" de coexistence humaine conçues de manière
abstraite, et, d'autre part, à mettre en évidence les phénomènes économiques de leur référence à la
société et donc à les transformer - également convertis en formes "purement économiques" - en
formes "éternelles" et "universelles". La méthode dialectique de Marx - dans laquelle l'histoire, la
société et l'économie sont représentées comme un processus unitaire inséparable (en maintenant
fermement la priorité de la base économique) - est donc une intense polémique contre cette
séparation mentale de ce qui est en réalité lié, contre cette unilatéralisation abstraite de secteurs
partiels artificiellement divisés, contre l'exclusion des médiations économiques et sociales réelles,
contre la dissolution artificielle et sophistique des contradictions, etc. Et c'est même le cas lorsque le
texte de Marx lui-même manque d'observations critiques.

Il est certainement impossible ici de se faire une idée, même approximative, de ces orientations de
l'économie de Marx ; nous sommes donc obligés de nous limiter à illustrer cette ligne fondamentale
par quelques exemples incisifs, visant ici aussi exclusivement notre problème, la dialectique de
l'universel et du particulier. Ainsi, par exemple, à propos des formes de travail, Marx dit : "La forme
naturelle du travail, sa particularité, est ici sa forme sociale immédiate, et non sa généralité,
puisqu'elle se produit sur la base de la production de biens" ;(34) à propos du caractère
contradictoire des biens :

La même contradiction entre la nature particulière de la marchandise en tant que produit et sa nature
universelle en tant que valeur d'échange, qui a engendré la nécessité de la placer de manière double,
une fois comme cette marchandise particulière, une fois encore comme argent, la contradiction entre
ses caractéristiques naturelles et particulières et ses caractéristiques sociales contient, dès le départ,
54

la possibilité que ces deux formes d'existence distinctes de la marchandise ne soient pas
réciproquement convertibles(35) .

Sur le développement du moyen d'échange : "Plus les produits deviennent particuliers, multiples,
indépendants, plus le moyen d'échange universel devient nécessaire"(36) ; sur la monnaie :

De la monnaie comme pur moyen de circulation, on peut dire qu'elle cesse d'être une marchandise
(marchandise particulière)... D'autre part, on peut dire qu'il n'est plus qu'une marchandise
(marchandise universelle), la marchandise dans sa forme pure, indifférente à sa particularité
naturelle...(37)

Ces exemples pourraient facilement être développés, précisément parce que la dialectique concrète
de l'universel et du particulier fait partie intégrante de la dialectique de l'économie de Marx et, en
même temps, constitue une arme méthodologique contre la vulgarisation apologétique et un
instrument pour clarifier les liens réels.

Si l'importance de cette dialectique est si grande, il ne sera pas surprenant que la relation du
singulier, du particulier et de l'universel joue également un rôle significatif dans la structure
méthodologique des œuvres économiques de Marx. Malheureusement, nous n'avons pas la logique
conçue par Marx ; nous ne pouvons donc pas savoir avec certitude quelle serait son attitude vis-à-
vis de la structure de la logique de Hegel, qui - comme on le sait - repose sur cette dialectique du
singulier, du particulier et de l'universel. C'est un fait que les manuscrits des Fondements de la
critique de l'économie politique, écrits pendant la période de ce projet, prouvent clairement que
Marx a traité sérieusement cette question, comme celle concernant la structure logique de
l'ensemble de l'œuvre. Dans l'introduction, le projet de traiter les relations de production, de
distribution, etc., selon le modèle de la logique de Hegel, est abordé. Il est vrai que cette idée est
rejetée : "Maintenant, c'est certainement un lien, mais superficiel",(38) dit Marx. Au cours des
élaborations ultérieures, cependant, un schéma apparaît qui ordonne les différentes espèces et
tendances du développement du capital comme une représentation de l'universalité, de la
particularité et de la singularité. Et ce, de deux manières : non seulement la division fondamentale
part de ses relations, mais aussi cette triade se répète à l'intérieur de chaque rubrique(39). Ce projet
n'a pas non plus été réalisé. D'autre part, cette forme de construction logique apparaît en plusieurs
points de La Capitale. Ainsi, le chapitre sur la division du travail dans l'industrie et la société,
extrêmement important du point de vue théorique, commence par les considérations suivantes :

Si l'on considère le travail pris en lui-même, on peut désigner la division de la production sociale
dans ses grands genres, l'agriculture, l'industrie, etc. comme division du travail en général ; la
division de ces classes de production en espèces et sous-espèces, comme division du travail en
particulier, et enfin, la division du travail au sein d'un atelier comme division du travail en
détail(40).

Plus important encore est le fait qu'une partie aussi décisive de l'œuvre principale de Marx, celle de
la déduction de la forme de la valeur au début du premier volume, est construite selon ce principe.
Marx rejette certainement, comme nous l'avons clairement vu dans les documents cités jusqu'à
présent, le formalisme, que la théorie hégélienne du syllogisme considère comme artificiel.
Cependant, les idées décisives qui ordonnent tout le matériel sont précisément les relations du
singulier, du particulier et de l'universel. Ainsi, chez Marx, la première étape est "la forme de la
valeur simple, singulière, c'est-à-dire accidentelle"(41) . Le fait qu'ici la singularité ne soit pas la
55

seule caractéristique du développement des valeurs, est quelque chose qui n'est certainement pas
fortuit. Précisément parce que parmi les caractéristiques il y a, outre la singularité, la chance, nous
avons ici une de ces importantes formulations qui mettent sur vos pieds ce problème qui, depuis
l'époque de Kant, était à l'ordre du jour. Cette réalisation est avant tout historique. La simplicité, la
singularité et - avec elles - le caractère aléatoire de la forme de valeur caractérisent sa genèse
historique, le type et la structure de l'étape initiale. Par conséquent, chaque mot doit être strictement
compris dans son sens historique. Lorsqu'Engels caractérise toute la période de la société de classes,
qui suit la dissolution du communisme primitif, par les mots "les produits et la production sont
laissés au hasard"(42), l'expression "hasard" a un sens différent, plus large et plus riche que celui
contenu dans l'analyse déjà examinée de Marx. Dans le premier cas, le hasard est le pôle opposé et
complémentaire de la nécessité, désignant la manière dont la nécessité est réalisée dans les
économies des sociétés de classe. Dans la seconde, au contraire, le hasard est compris de façon
simple et littérale : à ce degré d'échange économique peu développé, c'est le hasard qui fait qu'un
acte d'échange a généralement lieu, et ces actes occasionnels singuliers ont - précisément à cause de
leur hasard - certains traits communs en vertu de l'analogie des causes qui les ont mis en
mouvement ; ils restent cependant des actes singuliers dont le hasard n'est pas encore entièrement
dépassé par une loi et une nécessité supérieures. Il désigne le caractère immédiat, socialement non
développé, des actes d'échange à ce stade ; l'idée importante de Hegel, à laquelle nous nous sommes
référés à l'endroit approprié, selon laquelle le nouveau est d'abord présenté dans l'histoire sous une
forme abstraite simple et ne prend place que progressivement sous une forme explicite au cours du
développement historique, apparaît dans sa réalisation matérialiste. Ici aussi, le caractère social de
l'immédiateté est visible. Dans toute société richement articulée, ce n'est qu'ainsi qu'apparaissent des
médiations largement absorbées, que la pensée et l'analyse doivent découvrir dans la réalité,
dépassant ainsi l'immédiateté sur le plan conceptuel.

Il est évident que cette immédiateté est, en même temps, quelque chose de relatif ; cependant, étant
donné que - à ce stade - des médiations de grande importance ne peuvent pas encore exister du point
de vue économique, cette simplicité et cette immédiateté sont des caractéristiques importantes du
moment où, pour la première fois, la forme de la valeur est présentée. C'est donc le développement
économique lui-même qui détermine progressivement les médiations. Cette caractérisation est
également opportune car le véritable sens de la singularité, lorsqu'elle est le point de départ de la
déduction dialectique, n'est présenté que dans ces corrélations (la singularité, très différemment, est
riche en déterminations lorsqu'elle est l'anneau concluant d'une chaîne de connaissances qui
conduit, à partir des lois découvertes de l'universalité concrète, à la singularité comme fin du
processus de pensée).

Les chemins de la pensée à la connaissance sont le reflet du processus de développement objectif


(dans le cas concret : l'économie). Par conséquent, le prochain degré de déduction est celui de la
forme totale, ou explicite, de la valeur. Apparemment, il s'agit d'un approfondissement purement
quantitatif. Cela signifie que la valeur "s'exprime actuellement dans d'autres éléments nombreux du
monde des biens"(43). Cette extension quantitative de l'échange de biens apparaît toutefois comme
une forme de valeur qualitativement diverse, plus élevée et plus explicite que la "forme particulière
d'équivalence" :

La forme naturelle et déterminée de chacun de ces biens est une forme particulière d'équivalence à
côté de beaucoup d'autres. De la même manière, maintenant, les multiples genres de travail
déterminé, concret et utile contenus dans les différents groupes de biens comptent autant que
56

d'autres formes particulières de réalisation ou de manifestation du travail humain en tant que


tel(44) .

C'est un immense pas en avant par rapport à la simplicité et à l'unicité de la forme originale de la
valeur : le caractère social de l'échange de biens crée, déjà ici, des généralisations supérieures et
plus explicites, il produit une forme de la valeur la plus universelle : précisément la particulière.
Mais en même temps, elle a une grande imperfection : la méchanceté, pour reprendre une
expression de Hegel. Marx définit ce stade de développement comme suit :

Étant donné que la forme naturelle de chaque type unique de marchandise est ici une forme
particulière d'équivalent à côté d'innombrables autres formes particulières d'équivalent, il n'existe
généralement que des formes limitées d'équivalent qui s'excluent mutuellement. De même, le sexe
déterminé, concret et utile du travail contenu dans chaque équivalent particulier de marchandises
n'est qu'une forme particulière de manifestation du travail humain : particulier, donc non
complet(45) .

Seul le dépassement de cette misinfinitude, qui se produit avec la disparition de la série infinie
d'équivalents grâce à laquelle un bien donné se présente comme l'équivalent de tous les biens,
produit la forme universelle de la valeur. Naturellement, cette généralisation extrême, cette
élévation de la forme de valeur au degré de l'universalité authentique, n'est pas un produit de la
pensée économique : elle n'est rien d'autre que le reflet de ce qui s'est réellement passé au cours du
développement historique de l'économie : "La forme de valeur développée, dit Marx, est en fait
présentée pour la première fois lorsqu'un produit du travail, par exemple, le bétail, est échangé
contre d'autres marchandises différentes, non pas de manière exceptionnelle, mais de manière
habituelle"(46). La pensée humaine ne peut effectuer une véritable généralisation dans l'économie
que lorsqu'elle reflète de manière adéquate ce qui a été produit par le développement historico-
social. Dans notre cas, nous voyons comment l'explication de la forme de la valeur, due au
développement économique réel, passe - en réalité objective - de l'unicité à l'universalité par la
particularité.

Il est donc très intéressant que Lénine - analysant le syllogisme de Hegel et les relations entre le
singulier, le particulier et l'universel - se réfère précisément à ce point du Capital : "Imitation de
Hegel par Marx dans le premier chapitre" ; et, peu après, ajoute cet aphorisme :

Le Capital de Marx, notamment le premier chapitre, ne peut être parfaitement comprise si toute la
logique de Hegel n'a pas été étudiée en profondeur et comprise. Ainsi, un demi-siècle plus tard,
aucun marxiste n'a compris Marx(47)

Les considérations ultérieures de Lénine indiquent très clairement qu'il a à l'esprit précisément ce
point de Marx que nous avons étudié comme étant méthodologiquement décisif : "Et Hegel a
vraiment démontré que les formes et les lois logiques ne sont pas une coquille vide, mais plutôt le
reflet du monde objectif. Ou plutôt : il ne l'a pas démontré, mais a deviné avec génie"(48) Lénine
souligne donc avec un maximum d'énergie cet aspect de l'utilisation critique de l'héritage de Hegel
par Marx.

On ne regrettera jamais assez l'impossibilité pour Marx de réaliser le plan visant à extraire le noyau
rationnel de la logique de Hegel. Ce sur quoi nous mettons actuellement l'accent, en le saisissant pas
à pas dans ses travaux économiques, serait devant nous avec une clarté sans équivoque. Lénine s'est
57

certainement exprimé très fréquemment sur ce problème, surtout dans ses extraits philosophiques,
mais une position directe et absolument claire sur notre problème ne se trouvera que dans la
Dialectique de la nature d'Engels, où il donne une interprétation matérialiste détaillée de la doctrine
hégélienne du jugement. Notre exposition part de la position des classiques du marxisme sur la
relation entre la logique et l'histoire. Notre analyse de Marx a déjà indiqué comment il a conçu ce
lien. Mais Engels fournit une synthèse palpable de ses principes dans son examen de la Contribution
à la critique de l'économie politique :

La seule méthode indiquée était logique. Mais il ne s'agit en réalité que de la méthode historique,
dépouillée seulement de sa forme historique et de ses contingences inquiétantes. Là où l'histoire
commence, la chaîne de pensée doit également commencer, et son développement ultérieur ne sera
que l'image réfléchie abstraite et théoriquement conséquente de la trajectoire historique ; une image
réfléchie corrigée, mais corrigée selon les lois qui fournissent la trajectoire historique elle-même ; et
ainsi, chaque facteur peut être étudié au point de développement où il a atteint sa pleine maturité, sa
forme classique(49).

Si, dans l'oeuvre de Marx, l'explication historique des catégories économiques est synthétisée
logiquement de la manière définie par Engels, dans le passage cité de la Dialectique de la nature,
Engels emprunte - vu de l'extérieur - le chemin inverse : il cite, corrigeant et uniformisant, un bref
extrait de la théorie du jugement de Hegel afin de découvrir - dans l'interprétation qui en découle -
le développement historique qui est à la base de la succession des formes de jugement dans Hegel,
d'un point de vue de principe et réellement historique. Engels opère cette simplification et cette
correction du cours historique en laissant simplement de côté tous les passages artificiels, etc., de
Hegel et en faisant voir, dans la série ordonnée des formes de jugement, l'action d'une impulsion
irrésistible dans le développement de la pensée humaine, qui va du singulier à l'universel en passant
par le particulier. Cette impulsion est présente dans la pensée humaine (conçue historiquement
comme le développement de la pensée humaine), mais seulement parce qu'elle reflète les lois du
mouvement de la nature et de la société au niveau de conscience qui peut être atteint à chaque étape.
Engels fournit donc également une "image correcte" du développement des connaissances
humaines, qui tend à une synthèse - basée sur des lois - des phénomènes naturels.

Engels montre que l'invention du feu correspond, selon sa structure interne, au noyau rationnel du
jugement unique de Hegel. Il faut plusieurs millénaires pour que le jugement se dégage "le
frottement est une source de chaleur, un jugement d'être, et précisément positif"(50). Et là encore,
une longue période de développement humain serait nécessaire, même si elle est incomparablement
plus courte que la précédente, pour qu'un jugement de réflexion (un stade de particularité) puisse
devenir un patrimoine pratique et théorique des hommes, c'est-à-dire le jugement "tout mouvement
mécanique peut être transformé en chaleur par le biais du frottement"(51). Engels résume ainsi le
développement ultérieur :

Mais maintenant, il marchait vite. Ce n'est que trois ans plus tard que Mayer a pu - au moins en
substance - élever le jugement de réflexion au niveau où il était valable à l'époque : toute forme de
mouvement, sous certaines conditions déterminées dans chaque cas, peut - ou plutôt, est obligée -
de se transformer, directement ou indirectement, en toute autre forme de mouvement : le jugement
de la notion, et précisément apodítico, la forme suprême du jugement en général(52) .

Bien sûr, Engels ne se contente pas d'ajouter ces exemples convaincants pour illustrer son inversion
matérialiste de la théorie hégélienne du jugement et du mouvement du singulier à l'universel en
58

passant par le particulier ; il voit clairement les conséquences logiques de ses considérations sur
l'histoire des sciences :

On peut concevoir le premier jugement comme singulier : le fait singulier (le fait que le frottement
génère de la chaleur) est enregistré. Le deuxième jugement comme particulier : une forme
particulière de mouvement, la mécanique, a montré la propriété de se transformer, dans des
circonstances particulières (par frottement), en une autre forme particulière de mouvement, la
chaleur. Le troisième jugement est l'universel : toute forme de mouvement s'avère d'ailleurs capable
de se transformer en toute autre forme de mouvement(53).

Engels déclare, à plusieurs reprises, voir ici la ligne fondamentale du mouvement de la pensée
dialectique. Nous voulons nous limiter à un seul exemple :

En fait, toute connaissance efficace et complète ne consiste qu'en ce qui suit : que l'on élève, par la
pensée, la singularité à la particularité et de celle-ci à l'universalité, que l'on redécouvre et que l'on
établisse l'infini dans le fini, l'éternel dans le vide. La forme de l'universalité, cependant, est une
forme fermée en soi, c'est-à-dire l'infini ; elle est la synthèse des nombreux finis de l'infini(54).

Tant la déduction dialectique de la forme de la valeur chez Marx que l'interprétation de la théorie
hégélienne du jugement chez Engels indiquent, en réalité et dans leur conscience à peu près
adéquate, un mouvement irrésistible, une aspiration progressive qui conduit du purement singulier à
l'universel en passant par le particulier. Si l'on considère ce mouvement de façon unilatérale, ou de
façon purement formelle, il aboutit nécessairement à de faux résultats (que l'on pense à la
divinisation de l'universalité chez les idéalistes, critiquée par Lénine)(55). Certes, toutes ces
catégories ont dans le matérialisme dialectique une physionomie tout à fait différente de celle
qu'elles ont dans l'idéalisme. Non seulement parce que tous les concepts et processus mentaux y
trouvent leur point de départ dans la réalité objective indépendamment de la conscience, de la
nature et de la société, mais aussi - par conséquent - par la substance logique. L'universalité, surtout,
n'est jamais un point d'arrivée autonome de la pensée. Marx, dans l'introduction théorique (souvent
citée par nous) du premier essai de son travail économique, parle de deux chemins que doit suivre la
connaissance humaine : c'est-à-dire de la réalité concrète des phénomènes singuliers aux
abstractions les plus élevées, et de celles-ci encore à la réalité concrète, qui - à l'aide des
abstractions - peut maintenant être comprise de manière de plus en plus exacte. Il faut ici souligner,
avant tout pour nos considérations, le caractère précisément approximatif de la science. En fait, le
processus de cette approximation est essentiellement lié à la dialectique du particulier et de
l'universel : le processus de la connaissance transforme sans interruption des lois qui jusqu'alors
étaient valables comme les plus hautes universalités en modes particuliers de présentation d'une
universalité supérieure, dont le caractère concret conduit très souvent, en même temps, à la
découverte de nouvelles formes de particularité à mesure que les déterminations, les limites et les
spécifications les plus proches de la nouvelle universalité se concrétisent. Ce dernier, donc, dans le
matérialisme dialectique, ne peut jamais être fixé comme le couronnement définitif de la
connaissance, comme cela s'est produit même dans la dialectique au niveau d'Aristote et de Hegel,
mais exprime toujours une approximation, le plus haut degré de généralisation obtenu dans chaque
étape de l'évolution.

Ainsi, la conception dialectique-matérialiste de l'universalité détruit toute forme de mystification, de


fétichisation de cette catégorie, qui émerge continuellement, surtout dans les systèmes idéalistes
objectifs.
59

Ce dépassement de tout durcissement découle de l'union du caractère réflexe qui a la pensée avec la
réalisation conséquente de son essence en tant que processus ; Ainsi, la dialectique matérialiste
surmonte à la fois la gnoséologie du matérialisme mécaniste, dont le principal défaut réside, selon
Lénine, "dans l'incapacité d'appliquer la dialectique à la théorie des images, au processus et au
développement de la connaissance", et l'idéalisme dialectique, qui chez Hegel, cependant, saisit
l'être processus de la pensée, mais qui - puisque Hegel ne connaît pas et ne peut pas appliquer la
théorie des réflexes - aboutit nécessairement à une mystification de l'universalité. La dialectique
matérialiste, au contraire, dans la mesure où elle réalise et développe l'approche de la réalité
objective avec le caractère processuel de la pensée comme moyen de cette approche, peut
comprendre l'universalité dans une tension continue avec la singularité, dans une conversion
continue en particularité, et vice-versa. Ainsi, le caractère concret du concept universel est purifié
de toute mystification, il est conçu comme le véhicule le plus important pour connaître et maîtriser
la réalité objective. Engels a formulé ce caractère d'universalité concrète de manière suggestive :
« Abstrait et concret. La loi générale du changement de forme du mouvement est bien plus concrète
que tout exemple singulier "concret" de celui-ci »58.

Plus les liens de la réalité, ses lois et ses contradictions sont authentiques et profonds, plus ils en
viennent à être conçus - de manière approximative et appropriée - sous la forme d'une universalité,
d'une manière encore plus concrète, ductile et exacte ; le singulier peut aussi être compris.
L'immense supériorité du marxisme-léninisme sur toute théorie bourgeoise se fonde, entre autres,
sur cet usage ininterrompu des lois de l'unité dialectique et sur le caractère contradictoire dans le
rapport de la singularité, de la particularité et de l'universalité. Ceux qui étudient les grandes
analyses historiques des classiques du marxisme-léninisme, ses explications théoriques des étapes
décisives et des revirements historiques, trouveront toujours l'élaboration et l'application de cette
dialectique. L'analyse la plus profonde et la plus fine, qui prend en compte toutes les traces uniques
de l'unicité d'une situation politique, sociale et économique, est indissociable, dans les classiques du
marxisme-léninisme, de la découverte et de l'application des lois les plus universelles du
développement historique ; il suffit de penser à l'exigence, posée continuellement par Lénine,
d'analyser concrètement des situations concrètes. Si l'on examine de plus près ces analyses des
classiques du marxisme, on a toujours l'impression que l'unicité (la singularité) d'une certaine
situation ne peut être élevée à la clarté théorique, et donc devenir utilisable dans la pratique, que
lorsqu'on indique comment les lois universelles sont spécifiées (le particulier) dans le cas en
question, de telle sorte que cette situation caractéristique, qui par principe ne se répète jamais de la
même manière, puisse être comprise dans la relation réciproque totale des lois connues, universelles
et particulières.

Ainsi, même en ce qui concerne la singularité, seul le matérialisme dialectique est en mesure de
déterminer exactement les liens. Pour l'idéalisme et le matérialisme sensualiste, les mêmes
problèmes insolubles qui naissent dans la connaissance de la singularité naissent dans celle de
l'universalité. Surtout, parce que le moment de l'approximation est négligé, voire disparaît, et
ensuite parce que - si le singulier est conçu de manière isolée - sa corrélation dialectique complexe
avec le particulier et l'universel se dissout. Les deux aspects de cette fausse conception sont
clairement visibles dans la critique de Feuerbach à l'égard de Hegel. Dans la Phénoménologie,
Hegel s'interroge sur l'"ici", le "maintenant", le "ceci", posant le problème de la relation dialectique
du singulier avec l'universel. La chose correcte, dans sa tentative, est le fait qu'il entend indiquer
que sans de telles relations, la connaissance du singulier est impossible. Mais déjà dans l'expression

58 Engels, Dialectique de la nature, p. 224.


60

linguistique extrêmement simplifiée est contenue une certaine généralisation. Cette intention juste
est toutefois immédiatement déformée sur le plan idéaliste. En fait, de la présence nécessaire de
l'universalité dans l'expression linguistique la plus simple, il déduit que le singulier est "le non vrai,
le non rationnel, ce qui est purement opiné (en antithèse avec la pensée - G.L.)"(57). Dans sa
Critique de la philosophie de Hegel, Feuerbach proteste à juste titre contre ce parti pris de la
singularité. Il souligne l'idéalisme de Hegel, notamment lorsqu'il interprète le caractère fugitif de la
singularité comme un degré inférieur de réalité ; Hegel dit, par exemple, d'un arbre qui apparaît
comme "ici", qu'il suffit de tourner le dos pour faire disparaître cette vérité. Dans cette polémique,
l'idéaliste objectif Hegel se rabat sur l'idéalisme subjectif. Du point de vue du matérialisme,
Feuerbach s'y oppose à juste titre :

Oui, bien sûr, en phénoménologie, où le demi-tour ne coûte pas plus qu'un petit mot ; mais en
réalité, là où je dois tourner mon corps lourd, l'"ici" se révèle à moi, même dans mon dos, comme
doté d'une existence bien réelle. L'arbre limite mon dos, il me jette hors de la place qu'il occupe
déjà(58).

Il a également raison de dire que "la langue ici n'a rien à voir avec la chose"(59) En fait, c'est
d'abord la réalité de la singularité qui se reflète avec les sens, et seulement ensuite la façon juste de
la penser. Mais, même ainsi, la connaissance de la singularité n'est en aucun cas résolue : Hegel fait
disparaître idéalement l'être du singulier, tandis que Feuerbach se limite - sensuellement - à son
immédiateté.

L'approche dialectique dans la connaissance de la singularité ne peut se faire indépendamment de


ses relations multiples avec la particularité et avec l'universalité. Celles-ci sont déjà, en elles-
mêmes, contenues dans les données immédiatement sensibles de chaque singularité, et leur réalité et
leur essence ne peuvent être comprises exactement que lorsque ces médiations (les particularités et
universalités relatives) cachées dans l'immédiateté sont mises en lumière. Lorsque, contre les
robinsonades, Marx souligne que l'homme est un animal "que seule la société peut lui permettre de
s'isoler"(60), il caractérise précisément cette base de l'être social qui indique le mode de cette
connaissance de la singularité. La manière dont les tentatives d'approximation mentale de la
singularité en tant que singularité sont pratiquement réalisées varie extraordinairement, selon les
objectifs concrets de la connaissance ; le degré atteint dépend du niveau de la science en question.
En statistique, par exemple, la singularité est un nombre dont la qualité est largement annulée ; en
médecine, on recherche un maximum d'approximation à la singularité déterminée, de la manière la
plus exacte possible. Il est clair que cette approximation du singulier en tant que tel présuppose la
connaissance la plus développée possible des universalités et particularités relatives ; c'est-à-dire
que le singulier, précisément en tant que singulier, est connu d'autant plus sûrement et d'autant plus
conforme à la vérité (diagnostic exact en médecine) que s'éclairent ses médiations avec l'universel
et le particulier, plus riches et plus profondes. Il y a bien sûr des cas où la connaissance du singulier
est possible et suffisante grâce à des caractéristiques isolées et purement abstraites ; dans ces cas,
cependant, il s'agit plus souvent d'une question de reconnaissance (au sens d'identification) que de
connaissance. Réfléchissons à la fonction des empreintes digitales en criminologie, où le caractère
abstrait de la singularité isolée apparaît de la manière la plus évidente possible. Mais il est clair que
si l'empreinte digitale permet une identification sûre, elle ne produit que le début d'une connaissance
au sens criminologique du terme ; elle suppose elle-même un système compliqué de médiations
(d'universalité et de particularité). En général, il y a l'idée - aussi répandue qu'erronée - que la
demande hégélienne de vérité concrète ne se réfèrerait qu'à l'universel, et qu'il n'y aurait qu'une
universalité concrète et abstraite ; la vérité, au contraire, est que l'antithèse du concret et de l'abstrait
61

se fait sentir dans l'application des catégories de particularité et d'unicité de la même manière que
celle de l'universalité. Que tout cela est également valable pour la singularité, est démontré - dans la
période du domaine du positivisme - par la méthode appliquée dans l'histoire de l'art par Lermoliev-
Morelli. Il entendait obtenir une méthode "positive" pour déterminer la paternité des œuvres en
utilisant les empreintes digitales comme signe distinctif. Cette méthode de singularité abstraite,
assez problématique, a disparu presque immédiatement après avoir suscité un certain bruit (à ce
sujet, il faut observer que ces tendances agissent spontanément aussi dans la pensée quotidienne
pré-scientifique. Rappelons-nous, par exemple, le jeune Gorki : il se donne très tôt pour observer les
traits typiques des hommes qu'il rencontre, les compare entre eux, les range dans un système afin de
mieux connaître, par cette voie indirecte, les hommes singuliers en tant qu'individualités).

Naturellement, il n'est jamais possible de saisir sans résidu le singulier comme point d'intersection
et de combinaison des particularités et des universalités, et encore moins de le "déduire"
simplement de celles-ci. Il reste toujours un résidu, qui n'est ni déductible, ni soumis. Mais ce résidu
assume, dans une mesure de moins en moins grande, le caractère d'un cas brut et insurpassable par
rapport à ce qui a déjà été connu, dans la mesure où les particularités et les singularités médiatrices
mentionnées sont connues de manière plus profonde et plus précise. Engels analyse à juste titre la
question, en se référant aux soi-disant grands hommes de l'histoire :

Et c'est là qu'apparaissent les soi-disant grands hommes. Le fait que l'un d'eux apparaisse -
précisément celui-ci ; à un moment donné et dans un pays donné - constitue naturellement un pur
hasard. Mais si nous le supprimons, le besoin de le remplacer se fera sentir et un substitut apparaîtra
; il sera pire ou meilleur - mais il apparaîtra tôt ou tard. C'est une coïncidence que ce soit
précisément le Napoléon corse qui ait joué le rôle de dictateur militaire exigé par la République
française, épuisé par sa propre guerre. Mais s'il n'y avait pas eu un Napoléon, un autre serait venu
prendre sa place. Cela est démontré par le fait que, chaque fois qu'un homme était nécessaire - que
ce soit César, Auguste, Cromwell, etc. -, cet homme est apparu(61).

Avec cela, Engels ne nie absolument pas la possibilité et la nécessité pour l'historien d'analyser et de
connaître les traits purement personnels de Napoléon ou de Cromwell (le singulier). Il indique
cependant que ces traits ne peuvent être compris scientifiquement que lorsque - en clarifiant les
universalités et les particularités socio-historiques qui agissent sur eux - on délimite l'espace
historique dans lequel ce qui est spécifiquement personnel (le singulier) peut devenir concrètement
efficace. Mais à ce stade, le sens dialectique du hasard, sa conversion continue en nécessité, doit
être fermement établi, car, sinon, tout ce qui n'est pas simplement déductible et subsumé devient
irrémédiablement irrationnel, ce qui ne peut être compris qu'intuitivement. Kant y avait déjà été
conduit dans la Critique du jugement ; cette tendance se renforce et devient un but conscient dans la
philosophie bourgeoise ultérieure.

C'est pourquoi Lénine souligne avec force, dans la logique d'Aristote, l'unité dialectique et la
connexion contradictoire du singulier et de l'universel :

En commençant par n'importe quelle locution, des plus simples, des plus courantes et des plus
utilisées, etc. : les feuilles de l'arbre sont vertes ; Ivan est un homme ; Zhuchka est un chien, etc.
Déjà ici (comme Hegel l'a fait remarquer génialement) il y a une dialectique : le singulier est
l'universel... Ainsi, les contraires (le singulier est l'opposé de l'universel) sont identiques : le
singulier n'existe que dans sa relation à l'universel. L'universel n'existe qu'au singulier, à travers le
singulier. Chaque singulier est (d'une manière ou d'une autre) universel. Tout universel est (particule
62

ou aspect, ou essence) singulier. Tout universel n'embrasse qu'approximativement tous les objets
singuliers. Chaque singulier fait incomplètement partie de l'universel, etc. Chaque singulier est
relié, par des milliers de transitions, aux singuliers d'un autre genre (objets, phénomènes,
processus), etc. Il y a déjà ici des éléments, des germes, du concept de nécessité, de la relation
objective dans la nature, etc. L'occasionnel et le nécessaire, le phénomène et l'essentiel, sont déjà
là...(62)

Seule la connaissance de ces liens permet de passer des lois universelles à des cas individuels, et,
d'autre part, d'établir au singulier l'activité spécifique des lois universelles. Alors que la pensée
bourgeoise oscille, ici et là, entre un empirisme brut (qui, surtout aujourd'hui, se transforme en
irrationalisme) et un vide formaliste aprioriste, la dialectique matérialiste rétablit conceptuellement,
en la perfectionnant sans cesse, le lien inséparable existant dans la réalité entre universalité et
singularité.

Le mouvement dialectique de la réalité, tel qu'il se reflète dans la pensée humaine, est donc une
impulsion incontrôlable du singulier vers l'universel et de celui-ci, à nouveau, vers l'universel.
Naturellement, il existe des syllogismes dans lesquels le particulier n'est pas la médiation, mais
plutôt le point de départ ou la conclusion. Mais cela ne modifie en rien la ligne essentielle, établie
par nous, de la réflexion scientifique de la réalité. Dans la vie quotidienne, on peut comprendre qu'il
existe des opérations mentales étroitement liées à la pratique, qui la préparent ou en tirent des
conclusions, dans lesquelles le particulier a une fonction de résultat probant. À cet égard, il convient
toutefois de noter que la distinction claire et précise - qui n'exclut certainement pas les passages et
les conversions dialectiques - entre universalité et particularité, d'une part, et entre singularité et
particularité, d'autre part, est à l'origine peu développée dans la manière de penser de la vie
quotidienne. Le particulier est confondu, dans sa détermination et sa délimitation, soit avec
l'universel, soit avec le singulier. Ainsi, dans la construction conceptuelle scientifique et
philosophique, les extrêmes sont développés avant les moyens de médiation. Naturellement, la
différenciation de la pensée scientifique a, à son tour, des conséquences différenciatrices sur la
pensée quotidienne, y compris en ce qui concerne le particulier. Il serait ridicule de nier
l'importance et la présence du particulier comme résultat dans la réflexion scientifique de la réalité.
Cela ne signifie pas pour autant que la ligne principale de la réflexion scientifique cesse d'avancer
dans la direction que nous avons indiquée. C'est quelque chose de plus complet que la doctrine du
syllogisme, dans laquelle les syllogismes singuliers et les chaînes de syllogismes, les recherches
singulières, etc. peuvent très bien figurer comme des médiations.

Sans cette tension des pôles, constamment en acte, sans la conversion dialectique réciproque
constante des déterminations et des membres intermédiaires qui ont une fonction de médiation, sans
cette union des pôles eux-mêmes, si riche en contradictions, il ne peut y avoir d'approche
authentique et vraie de la compréhension adéquate de la réalité, aucune action correctement guidée
par la théorie. D'où également la relation dialectique entre la théorie et la pratique. D'une part, la
structure élémentaire de ces liens se présente beaucoup plus tôt en pratique, y est appliquée bien
avant d'être bien comprise et formulée en théorie. Même l'idéaliste agit, dans la vie pratique
quotidienne, presque toujours comme s'il était matérialiste, c'est-à-dire qu'il doit nécessairement
réagir à la réalité comme quelque chose d'indépendant de sa conscience (par exemple, s'il traverse la
rue, il n'agit pas comme si les automobiles n'étaient que ses représentations mentales). Et aussi ceux
qui pensent de manière métaphysique dans la vie quotidienne appliquent, instinctivement, des
connexions categoryis dont il rejetterait, en théorie, la formulation théorique comme étant une
"confusion absurde". (Par exemple, il n'admet pas que la quantité se transforme en qualité, mais il
63

n'est pas indifférent à la consommation de fruits mûrs ou verts). Cependant, si ce matérialisme


spontané, cette dialectique spontanée, sans laquelle aucun homme ne pourrait vivre, restent
spontanés et inconscients, leur application sera nécessairement fragmentaire et désinvolte ; et ce
d'autant moins que la praxis porte sur les objets, les relations et les liens immédiats de la vie
quotidienne. Dans ces cas, les préjugés théoriques mécanistes et idéalistes peuvent avoir une
influence extrêmement défavorable sur la pratique. Pour cette raison, le fait que la dialectique
matérialiste, avec sa méthode, fasse prendre conscience de la relation exacte entre les hommes et la
réalité objective ne réfute en rien l'observation que ce n'est qu'avec elle qu'est devenue possible une
science authentique, une direction théorique correcte de la praxis. Prendre conscience ne signifie
pas seulement étendre le champ des connaissances à d'innombrables cas où la spontanéité échoue
nécessairement complètement ; mais aussi, même lorsque la science et la spontanéité semblent
coïncider, il ne s'agit pas d'un simple approfondissement quantitatif : la possibilité de découvrir
exactement toutes les déterminations d'une situation, même les plus lointaines, est un saut qualitatif
par rapport au comportement de la spontanéité ou de la fausse conscience.

Le passage du singulier à l'universel et inversement est toujours médiatisé par le particulier ; c'est
un véritable membre intermédiaire, tant dans la réalité objective que dans la pensée, qui le reflète de
manière à peu près adéquate. Il s'agit toutefois d'un membre intermédiaire qui présente des
caractéristiques bien spécifiques. Hegel, qui attribue souvent au "moyen terme" du syllogisme un
secteur exagéré, le mystifiant - c'est pourquoi, comme nous l'avons vu, il a été vigoureusement
critiqué par le jeune Marx - a de temps en temps une intuition du caractère du médium (le
particulier). C'est-à-dire qu'il voit que la structure triadique dominante dans la logique, y compris la
sienne, pourrait facilement être transformée en schématisme formel ; et il voit aussi que - pour une
analyse exacte - des différentes formes de syllogisme ne dérive pas une structure à trois membres,
mais à quatre, puisqu'en fin de compte il faut accepter une double négation dans la médiation(63).
(Nous pensons que, indépendamment de la doctrine du syllogisme, que nous n'avons pas l'intention
d'examiner ici, les observations de Hegel contiennent une juste exigence, notamment si l'on conçoit
la quadruplicité de la structure aussi peu formellement que, ici, Hegel conçoit la triplicité. En
d'autres termes, même dans la division en quatre membres, on ne devrait voir qu'une simple
tendance, et non quelque chose de concluant : il est faux de vouloir limiter numériquement la durée
moyenne du mandat des médiateurs. Nous reviendrons bientôt sur cette question). Cependant, le fait
que la triade soit devenue formellement dominante n'est pas un hasard, puisque le début, le milieu et
la conclusion décrivent la structure formelle nécessaire à toute opération mentale. À ce stade,
cependant, il est nécessaire de rappeler que la relation entre la forme et le contenu est une relation
plus étroite et plus convergente au début et à la fin qu'au milieu. Ce dernier n'a qu'un caractère
formel (et dans certains cas singuliers) qui peut être fixé à un certain point : c'est une expression
complexe et synthétique de l'ensemble des déterminations qui médiatisent réciproquement le début
et la conclusion.

Il ressort déjà de nos considérations précédentes que le début et la conclusion (universalité et


unicité) ne sont en aucun cas des points fermes au sens strict du terme, que le développement de la
pensée et de la connaissance a précisément tendance à les transférer de plus en plus. Cependant, si
l'on considère correctement le mouvement dialectique de l'universel au singulier et vice versa, on
doit observer que le médium médiateur (la particularité) peut être encore moins un point ferme, un
membre déterminé, et aussi non pas deux points ou deux membres intermédiaires, comme le dit
Hegel en critiquant le formalisme de la triplicité, mais plutôt, dans une certaine mesure, tout un
champ de médiations, un champ concret et réel qui, selon l'objet ou le but de la connaissance, se
révèle plus ou moins grand. L'amélioration des connaissances peut élargir ce domaine, en insérant
64

dans la connexion des moments dont on ignorait auparavant quelle fonction ils avaient dans la
relation entre une certaine singularité et une certaine universalité. Et elle peut aussi la diminuer dans
la mesure où une série de déterminations médiatrices - qui jusqu'à un certain moment étaient
conçues comme indépendantes les unes des autres et autonomes - sont maintenant subordonnées à
une détermination unique.

Ce n'est pas un hasard, bien sûr, si la question évoquée plus haut concernant la triade hégélienne
apparaît au premier plan précisément dans le traitement marxiste de la logique. Béla Fogarasi le
propose - sans le mettre en relation avec notre problème du particulier - comme la question du
"polysilogisme" et, sur la base d'un vaste matériel bien choisi et bien groupé, montre qu'il joue un
rôle important précisément dans les classiques du marxisme-léninisme, qui fait partie de ces
avancées importantes en vertu desquelles le développement et l'application scientifique de la théorie
du réflexe dépasse les étapes initiales de la pensée logique, nécessairement plus limitées du point de
vue formel. dit Fogarasi :

La relation entre prémisse et conclusion, le syllogisme comme proposition, comme jugement,


obtenu par des propositions, par des jugements : c'est le noyau durable de la théorie aristotélicienne.
Cependant, les figures schématiques de la syllogistique ne sont pas en mesure, à elles seules, de
reproduire le cours compliqué de ces syllogismes qui englobent et formulent les grandes
découvertes scientifiques. Cela ne signifie pas qu'ils sont, en tant que schémas de réflexion mentale
des liens avec le caractère élémentaire, faux ou dénués de sens. Au contraire : ils sont les
instruments, les ustensiles élémentaires de la pensée. Mais la différence entre les formes
élémentaires et les déductions scientifiques, qui concentrent des processus mentaux compliqués,
n'est pas moindre que celle qui existe entre les instruments de travail de l'homme primitif, ses
premiers ustensiles, et les gigantesques machines de la grande industrie moderne(64).

Dans les considérations qui précèdent, Fogarasi appelle à juste titre à la manière dont Staline
résume la théorie léninienne de l'impérialisme et de la révolution prolétarienne. Staline établit trois
"lignes directrices" dans la pensée de Lénine, chacune examinant un vaste complexe de faits
nouveaux de la période impérialiste sur la base de ses lois et de ses conclusions, et résume ainsi les
résultats : "Lénine résume toutes ces conclusions dans une conclusion plus générale : 'l'impérialisme
est le prélude de la révolution socialiste'"(65)

Ce n'est pas non plus une coïncidence si Staline parle ici, par l'intermédiaire de Lénine, d'une
"conclusion plus générale" comme couronnement de l'ensemble du bâtiment. Ce caractère plus
général devient encore plus évident si nous nous tournons directement vers la structure et la
méthode de l'impérialisme de Lénine. Cet ouvrage contient toute une série de recherches, chacune
visant à clarifier un nouvel aspect particulier de l'impérialisme dans ses caractéristiques spécifiques
(domination des monopoles, capital financier, parasitisme, division du monde colonial, etc.) Ces
recherches étroitement liées mènent à la conclusion que l'impérialisme peut être clairement défini
comme la "phase supérieure du capitalisme". Ainsi naît - précisément grâce à l'approfondissement
des nouveaux aspects particuliers de l'impérialisme - une conception du capitalisme qui élargit et
approfondit son concept, l'élevant à un niveau supérieur d'universalité. Une analyse minutieuse du
particulier n'est qu'un moyen d'atteindre ce degré supérieur d'universalité.

La discussion avec Boukhárin sur le programme du parti en 1919 montre l'importance que Lénine
attachait à cet aspect méthodologique et en même temps méprisant pour une compréhension précise
de l'impérialisme. Boukhárin voulait précisément omettre la vieille définition du capitalisme (celle
65

de 1903) et, comme point de départ du socialisme, se limiter à une caractérisation de l'impérialisme.
Pour notre problème actuel, la chose la plus importante dans la critique démolissante de Lénine est
qu'il insiste sur l'extension de l'universalité du capitalisme (capitalisme pré-impérialiste plus
impérialisme), ne permettant pas que les traits particuliers de l'impérialisme - les moments
particuliers au sein du capitalisme - soient déformés au point de devenir des universalités existant à
côté du capitalisme. Le fondement économique et les conséquences politiques de cette discussion
dépassent le cadre du problème que nous traitons aujourd'hui. Il nous intéresse seulement d'établir
que Lénine refuse de transformer des moments particuliers - bien que très importants - d'un
complexe unitaire, dont la connaissance a fourni une universalité supérieure non encore précise, en
un nouveau concept universel qui rendrait un secteur partiel inadmissiblement autonome. Lénine
présente cette véritable unité dialectique dans le capitalisme conçu plus largement, en montrant non
seulement que, par exemple, les monopoles - contrairement à ce que pensaient les opportunistes - ne
surmontent pas la concurrence, mais ne font que la modifier ou même l'aiguiser, mais aussi que la
subversion révolutionnaire de l'impérialisme ne détruit pas, au premier plan et partout, le vieux
capitalisme qui est à sa base :

Mais je dis que ce n'est pas le cas. Le capitalisme décrit par nous en 1903 existe toujours en 1919,
dans la République Prolétarienne Soviétique, précisément à cause de la décomposition de
l'impérialisme, suite à sa faillite(66).

Outre la recherche elle-même, nous voyons comment le domaine du particulier englobe ici tout un
monde (toute une période de développement), dont seule l'intégrité crée la base de l'extension du
concept universel le plus complet, le fondant. Il est donc clair que le particulier n'est pas
simplement le membre ponctuel de la médiation dans une triade, mais une sorte de champ de la
médiation au sens de l'universel (et, dans les cas particuliers, du singulier).

Il serait certainement erroné de tirer de ces considérations la conclusion que le particulier est une
bande de connexion amorphe et inarticulée entre l'universel et le singulier. Comme nous l'avons
déjà dit, les choses ne sont pas comme ça. Le champ de la médiation, dont nous avons parlé plus
haut, s'articule naturellement, chaque étape que la connaissance atteint dans un tel champ peut - là
aussi, bien sûr, seulement de façon approximative - être clairement déterminée et fixée, de la même
façon que l'universalité et la singularité peuvent être déterminées et fixées. Le fait que, dans de
nombreux cas, toute une chaîne de membres particuliers de la médiation doit être fixée afin de lier
correctement universalité et unicité, n'implique nullement un caractère amorphe d'unicité. De plus,
la langue elle-même nous indique qu'il s'agit d'une détermination moins univoque que celle de
l'universel et de la singularité. Si ces termes ont déjà une signification assez précise du point de vue
de la langue, l'expression "particularité" peut signifier beaucoup de choses. Elle désigne à la fois ce
qui est impressionnant, ce qui se distingue (dans un sens positif ou négatif), et ce qui est spécifique ;
elle est utilisée, notamment en philosophie, comme synonyme de "déterminé", etc.(67) Cette
oscillation du sens linguistique n'est pas fortuite, mais elle n'indique pas non plus un amorphisme
fugace ; elle renvoie uniquement au caractère positionnel de la particularité, c'est-à-dire au fait
qu'elle représente, par rapport au singulier, une universalité relative, et, par rapport à l'universel, une
singularité relative. Comme toujours, ici aussi, cette relativité positionnelle ne doit pas être conçue
comme quelque chose de statique, mais comme un processus. La conversion même, que nous avons
soulignée, de ce "moyen terme" en l'un des extrêmes implique déjà ce caractère procédural. Ce n'est
pas seulement que les sciences, en s'élargissant et en s'approfondissant, transforment très souvent
une universalité particulière ; nous avons également vu que la vraie science est obligée - dans
certains cas - de déterminer exactement des universalités relatives précisément par l'accentuation de
66

leur caractère particulier. Réfléchissons à la remarque de Marx sur l'universalité et la particularité


face au problème historique de l'essence du capitalisme. Dans la particularité, la détermination et la
spécification, il y a donc un élément de critique, la détermination^ qui est plus proche et plus
concrète d'un phénomène ou d'une loi. C'est une concrétisation critique obtenue grâce à la
découverte des véritables médiations ascendantes et descendantes dans la relation dialectique de
l'universel et du particulier. C'est seulement dans ce sens que les malentendus cessent de surgir,
c'est-à-dire lorsque dans la particularité nous voyons, au moins dans une mesure égale, à la fois un
principe du mouvement de la connaissance et une étape, un moment, du cheminement dialectique.
L'oscillation linguistique dans le sens de ce mot n'est donc pas sans lien avec le sens logique et la
fonction méthodologique de la particularité.

Certes, comme la plupart des déterminations de ce type, la nôtre ne doit pas être accentuée de
manière disproportionnée et déformée en une sorte d'héraclité logique, comme cela se produit
parfois à Hegel. En fait, les moments de médiation particuliers ont souvent, dans la nature comme
dans la société, une existence relativement bien définie, une figure qui leur est propre. Que l'on
pense à l'espèce, au genre, etc., à la nature, ou à la classe, à la strate, etc. Engels a souligné avec
force, face à la pensée rigide et métaphysique des naturalistes de son temps, les limites
insaisissables, les transformations mutuelles de tels concepts classificateurs ; mais, naturellement, il
n'a jamais pensé qu'à cause de cela l'existence particulière des espèces, des genres, etc. devait être
niée.

Parce qu'elle est nécessairement présentée dès le début de la pensée scientifique, la classification
constitue naturellement pour les philosophes l'incitation à traiter de la catégorie de particularité. Son
sens le plus large, que nous venons d'examiner, présuppose déjà un contenu concret très explicite de
la matière traitée par la science afin de pouvoir mener à maturité les importants problèmes
dialectiques liés à cette problématique. Ce n'est donc pas un hasard si l'ancienne dialectique -
surtout celle des présocratiques - exprimait la conversion réciproque des extrêmes (de la singularité
et de l'universalité) avec beaucoup plus de force que leur médiation par la particularité. Lénine, qui
suivait de près les tendances dialectiques d'Aristote, notait même face à sa philosophie : "Une
confusion naïve, une confusion regrettable et irrémédiable dans la dialectique de l'universel et du
particulier"(68). Ce n'est pas un hasard si la philosophie bourgeoise aborde ce problème
relativement tard dans l'ère classique allemande. La question ne peut recevoir une véritable solution
que dans le matérialisme dialectique.

Mais ce n'est pas non plus un hasard si la philosophie bourgeoise, dès que sa tendance à la
décadence se fait sentir, "oublie" à nouveau la particularité, l'élimine des considérations
philosophiques et n'opère qu'avec les extrêmes, les déformations, de la singularité et de
l'universalité. Cette tendance commence déjà avec la dissolution de l'hégélianisme. Nous nous en
souvenons en ce qui concerne le libéral Rosenkranz. La gauche radicale Hegelian Stirner non
seulement abandonne la particularité, mais lance une polémique contre celle-ci, dans laquelle il
cherche à utiliser de façon démagogique la multiplicité des significations de ce mot. Il s'exclame
pathétiquement : "Nous ne devrions pas nous attarder sur "quelque chose de particulier", comme les
juifs ou les chrétiens. Je ne m'attarde en aucun cas sur une chose en particulier, mais sur la seule.
Marx ne se limite pas à montrer l'enchevêtrement mental de Stirner ; il révèle également le contexte
social de sa démagogie :

Sancho (Stirner - G.L.) veut ou croit vouloir que les individus aient des relations purement
personnelles entre eux, que leurs relations ne soient pas médiatisées par un tiers, par quelque chose
67

(cf. le concours). Ce tiers est ici le "particulier" ou l'antagonisme particulier, non absolu, c'est-à-dire
la position réciproque des individus, conditionnée par les relations sociales actuelles. Sancho, par
exemple, ne veut pas que deux individus se trouvent en "antagonisme" en tant que bourgeois et
prolétaire, il proteste contre le "particulier" que le bourgeois a "en relation" avec le prolétaire ; il
voudrait qu'ils entrent dans une relation purement personnelle, et restent en relation comme de
simples individus. Il ne réfléchit pas au fait que, dans le cadre de la division du travail, les relations
personnelles se développent et s'ancrent nécessairement dans les relations de classe, et que, par
conséquent, toutes ses inepties ne sont qu'un désir pieux et pur qu'il pense pouvoir réaliser en
exhortant les individus de ces classes à sortir de leur tête la représentation de leur "antagonisme" et
de leur "privilège" particulier(69).

Marx montre que Stirner cherche à retirer idéalement de la vie des hommes, avec le particulier, les
déterminations sociales, qu'il passe ainsi outre le caractère de classe de la société capitaliste et que,
par conséquent, l'anarchiste "radical" devient un apologiste du capitalisme. Une tendance similaire a
déjà été constatée chez Bruno Bauer (l'homme comme atome) et, certainement avec des accents tout
à fait différents, chez Kierkegaard, où la singularité sous forme d'unicité devient la catégorie
suprême de valeur, qui doit être placée - en excluant consciemment toute catégorie de médiation -
en relation immédiate avec Dieu. Cette tendance imprègne toute philosophie bourgeoise de la
décadence, y compris la sémantique américaine moderne : l'homme doit toujours être compris
comme singulier, excluant de son existence toute médiation de la socialité, et excluant toute
particularité médiatrice.

Pour les mêmes raisons sociales (sans, bien sûr, l'avouer ouvertement) de Stirner ou de Kierkegaard,
l'élimination du particulier comme moment de lutte contre l'objectivité, la dialectique et la
concrétisation commence aussi dans la logique. Le Trendelenburg, la première logique importante
qui a critiqué Hegel, polarise également les extrêmes de l'universalité et de la singularité sans
membres intermédiaires de la médiation. Cependant, il ne les polarise plus comme des
déterminations homogènes de l'être ou de la pensée, les laissant donc, même en opposition, sur un
terrain gnosiologique commun ; elles apparaissent plutôt en lui comme des représentations de
l'antithèse de la pensée et de l'être, de telle sorte que, naturellement, toute médiation - du point de
vue méthodologique - est exclue d'avance. dit Trendelenburg :

Le mouvement, en tant que fond vital de la pensée, a le caractère d'universalité, alors que le
mouvement de l'être est limité et donc isolé. Par conséquent, toutes les formes de pensée portent en
elles l'universalité, comme un trait fondamental qui les imprègne. Le singulier, lorsqu'il est pensé,
devient universel, et nous saisissons le concept même de singulier par l'universel, tel que nous le
produisons et le délimitons par cette activité universelle(70).

Et il ajoute : "Le singulier est, en soi, l'incommensurable de la pensée"(71). Le Trendelenburg


affirme l'opposition insurmontable de la pensée et de l'être, en la limitant très souvent par des
réserves, mais le sens de son raisonnement est également très clair : puisque l'être est singulier et la
pensée est universelle, la pensée ne peut jamais exprimer adéquatement l'être. De là découle
nécessairement un agnosticisme qui contient déjà en lui-même tous les germes de l'irrationalisme.
La singularité étant totalement étrangère à la pensée, qu'est-ce qui peut être irrationnel (ce n'est pas
un hasard si Kierkegaard a toujours nourri une profonde vénération pour le Trendelenburg).

) Nous n'avons pas l'intention ici de suivre les développements ultérieurs de la philosophie
bourgeoise. Il est immédiatement évident que, sur cette base, soit une "divinisation de l'universel",
68

qui est certainement déjà de type idéaliste subjectif, soit la dégradation de l'universalité au rôle de
subvention purement technique. La doctrine du mythe à l'époque impérialiste offre un mélange
éclectique des deux points de vue. Si cette conception de l'universalité comme pure détermination
de la pensée est une source d'agnosticisme, de l'autre pôle, de la conception de l'être comme pure
singularité, l'irrationalisme doit émerger. Et les philosophes impérialistes, en réalité, même s'ils ne
veulent pas consciemment être irrationnels, se trouvent sur cette voie ; c'est le cas du Windelband
avec sa méthode "idéographique", c'est le cas de Rickert avec sa conception du singulier historique
comme indivisible, comme "in-dividuum". Chez Windelband et Rickert, la tendance apologétique
qui consiste à retirer de l'histoire toute correspondance avec les lois, notamment sociales, se fait
déjà clairement sentir. De là, en un pôle, naît une irrationalisation de l'histoire, surtout à Rickert,
avec une canonisation de la méthode de Ranke et de ses disciples, c'est-à-dire d'exclure de l'histoire
tous les moments qui dépassent la singularité des phénomènes historiques (et donc toute
particularité et universalité). À l'autre pôle, les généralités analogiques sont vides et totalement
dépourvues de contenu des sociologies bourgeoises (Simmel, Max Weber, etc.). Cette tendance est
continuellement renforcée pendant la période impérialiste. Ainsi, après le bref épisode de la
philosophie allemande classique, le problème de la particularité disparaît de la pensée bourgeoise.
Seul le matérialisme dialectique est en mesure de régler ce problème et de le résoudre. L'esquisse
présentée ici ne se veut en aucun cas une solution ; nous nous contentons d'y mentionner les
problèmes les plus importants qui en découlent.

continue>>>

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Notes de bas de page :

(1) Marx a Engels, 14-1-1858, in Briefweschel (Correspondance), II, p. 275. (retour au texte)

(2) L'appareil Grundrisse der Kritik der politischen Okonomie (Fondements de la critique de
l'économie politique) renvoie à une série de passages qui témoignent de l'intense travail sur Hegel.
(retour au texte)

(3) Marx, Grundrisse, p. 21-22. (retour au texte)

(4) Marx-Engels, Gesamtausgabe (Œuvres complètes), (MEGA), 1, 1, p. 617. (retour au texte)

(5 ) MEGA, 5, page 23. (retour au texte)

(6 ) MEGA 1, page 510. (retour au texte)

(7 ) Ibid, p. 409. (retour au texte)

(8) Ibid, pp. 500-501. (retour au texte)

(9 ) Ibid. p. 428. (retour au texte)

(10 ) Ibid., p. 434. (retour au texte)


69

(11 ) Ibid., p. 502. (retour au texte)

(12 ) Ibid., p. 489. (retour au texte)

(13 ) Ibid, p. 509. (retour au texte)

(14) Ibid, p. 509-510. (retour au texte)

(15 ) Ibid., p. 455. (retour au texte)

(16) Marx, Grundrisse, p. 7 (retour au texte)

(17) Ibid. p. 318. (retour au texte)

(18) Marx, Das Kapital (La capitale), Hambourg, 1919, III, II, pp. 414-415. (retour au texte)

(19 ) Marx, MEGA, 3, p. 228. (retour au texte)

(20) Ibid, page 230. (retour au texte)

(21) Lénine, philosophe Nachlass (Cahiers philosophiques), op. cit. (retour au texte)

(22 ) Marx, Grundrisse, p. 24. (retour au texte)

(23) Ibid. p. 25. (retour au texte)

(24) Ibid. p. 353. (retour au texte)

(25) Marx, MEGA, 5, page 226. (retour au texte)

(26 ) Ibid. p. 65. (retour au texte)

(27) Ibid. p. 66. (retour au texte)

(28) Ibid. p. 373. (retour au texte)

(29) Engels, Dialektik der Natur (Dialectique de la nature), op. cit. (retour au texte)

(30) Marx, Grundrisse, p. 585. (retour au texte)

(31) Ibid., p. 398. (retour au texte)

(32 ) Marx a Engels, 9-12-1861, in Briefweschel, III, page 49. (retour au texte)

(33) Marx, MEGA, 3, page 117. (retour au texte)

(34 ) Marx, Grundrisse, p. 65. (retour au texte)


70

(35) Ibid., p. 113. (retour au texte)

(36) Ibid. p. 127. (retour au texte)

(37) Marx, Kapital, I, p. 83. (retour au texte)

(38) Marx, Grundrisse, p. 11 (retour au texte)

(39) Ibid, p. 186. (retour au texte)

(40) Marx, Kapital, I, p. 368. (retour au texte)

(41) Ibid. p. 53. (retour au texte)

(42) Engels, L'origine de la famille, la propriété privée et l'État. São Paulo. Expressão Popular,
2012. p. 219. (retour au texte)

(43) Marx, Kapital, I, p. 68. (retour au texte)

(44) Ibid, p. 69-70. (retour au texte)

(45) Ibid. (retour au texte)

(46) Ibid, p. 71. (retour au texte)

(47) Lénine, philosophíscher Nachlass, cité, p. 97 et 99. (retour au texte)

(48) Ibid, page 99. (retour au texte)

(49) Engels, Contribuição à Critica da Economia Política de Karl Marx, in Marx-Engels, Obras
Escolhidas, trad. portuguesa, cit. (retour au texte)

(50) Engels, Dialektik der Natur, op. cit. (retour au texte)

(51) Ibid. (retour au texte)

(52) Ibid. (retour au texte)

(53) Ibid. (retour au texte)

(54) Ibid, p. 652. (retour au texte)

(55) Lénine, philosophe Nachlass, op. cit. (retour au texte)

(56) Engels, Dialektik der Natur, op. cit. (retour au texte)

(57) Hegel, Werke (Travaux), op. cit. (retour au texte)


71

(58) Feuerbach, Werke (Obras), Leipzig, 1846 ss., II, p. 214. (retour au texte)

(59) Ibid, p. 212. (retour au texte)

(60) Marx, Grundrisse, p. 6. (retour au texte)

(61) Engels a Starkenburg, 25-1-1894, in Marx-Engels, Obras Escolhidas, trad. port. op. cit. (retour
au texte)

(62) Lénine, philosophe Nachlass, p. 287. (retour au texte)

(63) Hegel, Werke, op. cit. (retour au texte)

(64) Béla Fogarasi, Logik (Logique), édition de l'Académie hongroise des sciences, Budapest, 2e
édition, 1953, p. 222 (en hongrois). (retour au texte)

(65) Staline, Les fondements du léninisme, traduction portugaise, Editorial Calvino, Rio de Janeiro,
1945, p. 39. Cité par Fogarasi, p. 216. (retour au texte)

(66) Lénine, Bericht über das Parteiprogramm auf dem achten Parteitag (Rapport sur le programme
du parti présenté au VIIIe Congrès du PC (b) de Russie), in Ausgewählte Werke (Œuvres
complètes), Moscou-Leningrad, 1932 ss., VIII, p. 335. (retour au texte)

(67) Il est peut-être intéressant, à cet égard, que Marx donne l'étymologie suivante des expressions
"universalité" et "particularité" : "Mais que dirait le vieux Hegel s'il savait dans l'au-delà que
l'universel en allemand et en nordique ne signifie rien d'autre que la terre commune, et le particulier
rien d'autre que la propriété privée séparée de la terre commune ? Voici, en effet - bon sang ! - les
catégories logiques proviennent de "notre commerce"". Marx a Engels, 25-3-1868, in Briefweschel,
IV, p. 34. (retour au texte)

(68) Lénine, philosophe Nachlass, op. cit. (retour au texte)

(69) MEGA, 5, p. 414-415. (retour au texte)

(70) A. Trendelenburg, Logische Untersuchungen (Relevés logiques), 3e édition, Leipzig, 1870, II,
p. 229. (retour au texte)

(71) Ibid, page 230. (retour au texte)

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