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2 février 1996

Université Bordeaux-III
Colloque Kant et la pensée moderne

SUR UNE PRETENDUE ONTOLOGIE KANTIENNE : KANT ET


LA NEO-SCOLASTIQUE*

A Gérard Lebrun

Il y a quelques années de cela encore, il aurait pu paraître étrange


d'employer à propos de Kant le terme d'« ontologie ». Dans la vision
scolaire traditionnelle de l'histoire de la philosophie – et on verra que
celle-ci n'était pas nécessairement mal inspirée – Kant n'était-il pas celui
qui avait mis fin précisément aux prétentions ontologiques de la pensée ?
« Ce que les choses peuvent être en soi, je ne le sais pas, et n'ai pas besoin
de le savoir, puisqu'une chose ne peut jamais se présenter à moi autrement
que dans le phénomène » (A 276-277/B 332-333)1. Cette déclaration ne
semble-t-elle pas signer l'arrêt de mort de toute ontologie ? On n'a pas
manqué de l'interpréter dans ce sens : l'être serait retiré à notre pensée,
réduite à une méditation des phénomènes, dans leur capacité à constituer

*
A l'orée des années 90, l'histoire de l'ontologie au long cours de type heideggerien
jetait ses derniers feux, et, suivant un tel axe de lecture, la mode était de lire la Critique
comme une ontologie « puisque l'ontologie, comme produit typique de la pensée
moderne, s'est fondamentalement définie comme théorie des principes de la
connaissance » (ce qui est littéralement vrai), on me le rappela encore à ma soutenance de
thèse (1994). Le sentiment qu'on manquait du tout au tout la problématique de la Critique
à la lire ainsi constitue un des ressorts de ma thèse (parue comme Kant et les Limites de la
Synthèse, Paris, P.U.F., 1996). Dans cette chute de la première partie de ma thèse,
présentée dans un colloque à Bordeaux, et dont une version est parue jadis dans un
collectif, je m'en explique plus précisément. Comme je trouve dans un article récent, non
sans quelque amusement mais sans surprise, une référence à cet article comme soutenant
la thèse selon laquelle la Critique serait une ontologie – qui est exactement celle que je
critique – je juge bon de le mettre en ligne afin de soustraire ses quelques résultats – tout
négatifs, et assez minces – aux manipulations des comprachicos, communes en philosophie
comme dans toutes les disciplines de l'esprit.
1
Comme d'usage, nous indiquons la pagination originale des 1e et 2e éditions de
la Critique de la raison pure (A et B). Notre texte de référence est l'édition de
l'Académie de Berlin (repr. Walter de Gruyter), notée en cas de besoin Ak. En
l'absence de précision, nous utilisons la traduction de La Pléiade (dir. Alquié).
–1–
ou non, sous le joug des formes logiques que sont les catégories, un objet.
L'exégèse gnoséologique ou plus exactement erkenntnistheoretisch (en
cela anti-métaphysique) du néo-kantisme, relayée en France par Alexis
Philonenko2, n'a pas peu fait pour renforcer cette grille de lecture. Il suffit
de se référer à la pénétrante analyse du statut des « catégories » kantiennes
proposée par le principal inspirateur de ce mouvement, Hermann Cohen,
dans la deuxième édition de son grand livre Kants Theorie der Erfahrung.
Là le sens de la Logique transcendantale est dégagé comme celui d'une
désontologisation de la logique, dans la dissolution du lien traditionnel
entre logique et ontologie, tel qu'il se manifeste dans la doctrine
aristotélicienne des catégories dans l'identité des différents modes de la
prédication et des différents sens de l'être3. Le pas accompli par Kant
serait celui d'une réduction, au sens où la portée ontologique de la logique
se voit désormais suspendue, mesurée qu'elle est au problème de la
connaissance, préalable à toute « ontologie ». Le défaut des catégories
aristotéliciennes au contraire résidait dans leur caractère immédiatement
« métaphysique » au sens d'ontologique : elles partaient du concept
d'« étant » (Seiend), dont elles déclinaient les modes, or, écrit Cohen, « le
concept d'étant ne peut être le principe des concepts fondamentaux
(Grundbegriffe) de la connaissance »4. C'est de la connaissance qu'il faut
partir, et non de l'étant.
La vulgate résultant de cette interprétation, dont nous mentionnons ici
pour mémoire la version élaborée, enracinée dans un rapport authentique à
l'histoire de la métaphysique comme telle, pourrait être la suivante : chez
Kant, il n'y a pas d'ontologie dans la mesure exacte où celle-ci relève de la
métaphysique, et où la pensée kantienne se caractérise par le
remplacement de la métaphysique par la théorie de la connaissance.
Ce qui est souvent devenu préjugé scolaire n'aurait pourtant pas dû
pouvoir faire l'économie de quelques mises au point à l'épreuve de ce qui
est la thèse axiale du livre de Martin Heidegger, Kant et le problème de la
métaphysique. Car, que l'on partage ou non cette thèse et son jargon, y
compris le sens très spécial qu'elle accorde à la notion d'ontologie à la
lumière d'Etre et temps, et non sans quelques confusions historiques, il
reste qu'elle s'accompagne d'un présupposé historique sur le texte kantien
lui-même, auquel, dans l'opposition philosophique même à Heidegger, le
commentateur de Kant ne peut rester indifférent. Ce présupposé, c'est que
la Critique de la raison pure, loin, comme on le croit encore trop souvent,
de vouloir supprimer purement et simplement la métaphysique ou de s'en
désintéresser, porte en propre sur elle et essaie d'apporter une réponse à
son problème, qui ne saurait se réduire, comme le pensaient les néo-
2
Alexis Philonenko, L'Oeuvre de Kant, t. I, Paris, Vrin, 1969.
3
Hermann Cohen, Kants Theorie der Erfahrung, 2e éd., Berlin, 1885, p. 240-244.
4
Cohen, op. cit., p. 241.
–2–
kantiens, à une position erkenntnistheoretisch. De ce point de vue les
textes sont tellement nombreux et sans appel qu'il est difficile de ne pas
marquer des points à l'interprétation heideggerienne. Oui, le problème de
la Critique est indubitablement le « problème de la métaphysique », dont
elle est appelée à gérer, et peut-être à résoudre la crise, et non seulement
celui de la « connaissance », pour reprendre le mot de Cassirer. Non, avec
la Critique, il ne s'agit pas d'en finir, ou en tout cas pas purement et
simplement, avec la métaphysique. Assez nombreux sont les textes qui
présentent la Critique comme propédeutique à la métaphysique pour que
l'on doive réévaluer le projet kantien dans son rapport à la métaphysique
qu'il serait censée détruire, que l'on suive ou non Heidegger dans la
refondation dans l'ontologie temporelle du Dasein alors articulée du reste
– ce que pour notre part nous ne ferons pas. La question qui se pose
techniquement – et celle-ci n'a été qu'entrouverte par Heidegger – est celle
de ce qu'était la métaphysique en Allemagne à l'époque de Kant, de ce que
pouvait signifier historiquement pour lui « crise de la métaphysique »5, et
de la réinsertion de son oeuvre critique dans une tradition qui était celle de
la métaphysique telle qu'il pouvait la recevoir. Alors la question du statut
ontologique ou non de la pensée kantienne prend un tout autre sens. Ce
statut est évidemment concerné au premier chef par les réajustements dès
lors nécessaires en histoire des idées, puisque l'ontologie n'est rien d'autre
qu'une des branches de ce qui est traditionnellement reçu sous le nom de
métaphysique, voire la branche principale, selon une tradition plus récente
à l'époque de Kant qu'on ne le croit souvent, et qui en tout cas est celle à
laquelle Kant est très directement confronté.
D'où un renouvellement de la question, fruit d'un certain nombre de
travaux récents, qui ont eu le mérite de documenter une époque encore
très mal connue il y a peu en France. On ne peut plus aborder la crise de la
métaphysique évoquée dès les premières lignes de la Préface de la
Critique sans la resituer dans le contexte allemand avec Michel Puech6.
Surtout, comment ignorer l'enracinement de la problématique précisément
gnoséologique de la Critique dans les « philosophies transcendantales » de
l'âge classique, transmises à Kant par la « Schulmetaphysik », sur les
manuels de laquelle il fait cours et à laquelle il emprunte son vocabulaire7,
philosophies qui se définissent elles-mêmes comme « ontologies », à telle

5
Même si, pour Kant, cette crise n'est pas seulement conjoncturelle, mais
structurelle : il s'agit de « l'état dans lequel la métaphysique se trouve non seulement de
nos jours, mais dans lequel elle s'est toujours trouvée » (lettre à Herz du 11 mai 1781,
Ak. X 252, Pléiade, t. II, p. 4).
6
Michel Puech, Kant et la causalité, Paris, Vrin, 1990, notamment p. 129-212.
7
Cf. les ouvrages classiques de Max Wundt, Die deutsche Schulmetaphysik des
17. Jahrhunderts, Tübingen, 1939 et Die deutsche Schulphilosophie im Zeitalter der
Aufklärung, Tübingen, 1945.
–3–
enseigne que le terme d'« ontologie »8 est inventé à ce moment-là, pour les
besoins de la problématique transcendantale des modernes ? Tout nous
conduit alors à nous interroger sur l'origine de la problématique du
transcendantal telle qu'elle se déploie dans la Critique, selon un chemin
qu'ont peu emprunté jusqu'ici les Français9, et, semble-t-il, à revenir à
Duns Scot via Suarez. C'est ce qu'ont fait chacun à leur façon Jean-Luc
Marion à partir de Descartes10, et surtout Jean-François Courtine11 en
France et Ludger Honnefelder12 en Allemagne. On est ainsi amené à
remonter le fil des modernes « théories de l'objet »13, où indéniablement se
nouent et la définition, proprement moderne, d'une discipline
métaphysique (puis dominant la métaphysique) nommée « ontologie », et
l'apparition d'une interrogation de type critique (se nommant d'abord
« transcendantale ») par rapport à la métaphysique elle-même. Tous ces
travaux ont très sensiblement modifié le jour sous lequel peut nous
apparaître aujourd'hui le kantisme, replacé dans sa tradition. Et pourtant, à
la lumière même de ces mises à jour, la Critique de la raison pure peut-
elle être interprétée comme animée par le projet d'une « ontologie » ?

I L'ONTOLOGIE DANS LA CRITIQUE.

Que la Critique endosse jusqu'à un certain point elle-même le nom


d'ontologie, quelles que soient les réserves qui l'assortissent, c'est
indubitable. La Critique s'est définie dès le départ par son ambition
d'élaborer ce que Kant nomme une « philosophie transcendantale ». «La
philosophie transcendantale est l'idée d'une science dont la critique de la
raison pure doit tracer la plan tout entier» (A 13/B 27). Or la
Méthodologie transcendantale, dans un bilan ultime, présentera cette
« philosophie transcendantale » comme une partie de la métaphysique, qui,
par opposition à la physiologie de la raison pure qui la complète, « ne

8
Introduit en 1647 sous sa forme latine par le cartésien Clauberg, sous sa forme
grecque et probablement pour la première fois dans l'histoire de la pensée par
Goclenius en 1613. A la recherche des origines du terme, voir la généalogie établie par
Courtine, Suarez et le système de la métaphysique, Paris, P.U.F., 1990, p. 444 sq.
9
En Allemagne même, il semble que le premier travail dans ce sens soit celui de
F. Schmidt, De origine termini Kantiani ‘ transcendens ’, Marbourg, 1873.
10
Cf. Sur le prisme métaphysique de Descartes, Paris, P.U.F., 1986 et dans une
moindre mesure Sur la théologie blanche de Descartes, Paris, P.U.F., 1981.
11
Ouvrage cité.
12
Scientia transcendens, Hambourg, Felix Meiner, 1990. Pour une comparaison
des méthodes respectives de Courtine et de Honnefelder, voir Olivier Boulnois,
« Métaphysique : le tournant », Etudes philosophiques, 1992, p. 555-564.
13
Cf. aussi Theo Kobusch, Sein und Sprache. Historische Grundlegung einer
Ontologie der Sprache, Leyde, Brill, 1987.
–4–
considère que l'entendement et la raison même dans un système de tous
les concepts et de tous les principes qui se rapportent à des objets en
général, sans admettre des objets qui seraient donnés » (A 845/B 873).
Vient alors la qualifier, entre parenthèses, le terme latin d'ontologia. Dans
les Progrès de la métaphysique, le terme réapparaît, dans un contexte où il
renvoie si ce n'est au tout, tout au moins à un moment décisif de
l'entreprise critique :
« L'ontologie est cette science (formant une partie de la métaphysique) qui
constitue un système de tous les concepts et principes de l'entendement,
mais seulement dans la mesure où ils portent sur des objets qui peuvent
être donnés aux sens et donc être justifiés par l'expérience. »
Et Kant d'ajouter alors, dans une mise en garde qui semble renforcer
l'identification de l'ontologie avec un moment du procès critique, dans une
évidente similarité de statut par rapport à la métaphysique :
« Elle ne touche pas au suprasensible, qui est cependant la fin ultime de la
métaphysique, et n'appartient donc à cette dernière que comme
propédeutique, comme entrée ou vestibule de la métaphysique proprement
dite, et elle est nommée philosophie transcendantale parce qu'elle
renferme les conditions et les premiers éléments de toute notre
connaissance a priori. »14
De ce mouvement, que faut-il retenir si ce n'est une certaine
assimilation de la critique et de la philosophie transcendantale projetée
d'une part, et d'autre part la délimitation encore plus précise de
l'ontologie15 à ce qui, dans la Critique, a été nommé Analytique
transcendantale16. En effet, qu'est-ce qui constitue un système de tous les
concepts et principes de l'entendement, mais seulement dans la mesure où
ils portent sur des objets qui peuvent être donnés aux sens (restriction du
champ de validité des catégories, qui sont les concepts purs de
l'entendement) ? Le texte de l'Analytique lui-même ne démentira pas cette
parenté, mais il est vrai pour y introduire une réserve, décisive, dans la
mesure où s'y joue certainement la prise de position particulière de la
Critique par rapport à ce qu'on appelle classiquement « ontologie ». En
effet, c'est là que sera formulée l'exigence de la renonciation au « nom
orgueilleux d'ontologie », qui « doit faire place au nom plus modeste de

14
Quels sont les progrès de la métaphysique en Allemagne depuis le temps de
Leibniz et Wolff ?, Ak. XX 260, tr. fr. Jacques Rivelaygue, Pléiade, t. III, p. 1216.
15
La R 5130, Ak. XVIII 100, quant à elle, distingue deux parties au sein de la
philosophie transcendantale : la critique de la raison pure et l'ontologie, comme si,
d'une certaine façon, celle-ci était le résultat, ou la complémentaire, de celle-là.
16
La R 5131, Ak. XVIII 100, confirme cette équation, tout en la complexifiant un
peu, par l'introduction de la distinction entre concepts et jugements, l'Analytique se
voyant renvoyée au seul niveau des concepts : « L'ontologie est la science des
connaissances premières de l'entendement pur : 1°) des concepts, Analytique ; 2°) des
jugements ».
–5–
simple analytique de l'entendement pur » (A 247/B 303). L'ontologie
prétendait « donner des choses en général des connaissances a priori ». Or
l'Analytique transcendantale, quant à elle, devra se restreindre dans ses
principes à ce que Kant appelle « l'exposition des phénomènes », puisque
ce n'est que dans les limites de la sensibilité que des objets peuvent nous
être donnés. Si l'ontologie au sens de la Méthodologie fait donc
abstraction de tout objet donné, en tant que doctrine de l'objet en général,
elle ne pourra faire abstraction des conditions de la donation des objets, en
tant que celles-ci constituent un moment de l'objectité elle-même, et par
là-même, d'une ontologie au sens fort du terme, il faudra passer à une
simple analyse des concepts propres à qualifier ce qui est donné. C'est le
sens général du renversement kantien, souvent souligné, qui passe
certainement en ce sens par une rupture avec la problématique d'une
ontologie comme telle. Pour dire les choses simplement, les « choses »,
objets traditionnels d'une ontologie, qui se définissent essentiellement par
leur être, sont devenues ici des objets, c'est-à-dire sont considérées en tant
qu'elles peuvent être pensées, et en tant que cette pensée détermine a
priori les conditions de leur éventuelle donation, sur le terrain de laquelle
seulement cela aura un sens que de déterminer leur être. La définition de
l'ontologie ici dépassée avait été clairement énoncée dans l'enseignement
précritique de Kant : l'ontologie est « la science des propriétés générales de
toutes les choses »17. L'intention a bien été conservée dans la « philosophie
transcendantale », mais les propriétés générales de la chose ont fait place
aux structures constitutives de l'objet en général, c'est-à-dire, par
construction, de l'objet tel qu'il peut être connu, donc aussi donné (il n'est
pas d'autre « objet »). Ce qui se joue dans ce renversement, c'est la prise de
conscience des principes ontologiques comme ayant certes « une origine a
priori, mais ne valant que pour les objets de l'expérience »18.
Le propre du renversement kantien, qui réassume certes la notion
d'ontologie, mais du bout des lèvres, et pour la déplacer, serait donc de
reconduire le problème de l'être, ou tout au moins de l'étant (la recherche
d'une science de « l'étant en tant qu'étant »19), à celui de la connaissance20.
L'être n'est plus en question ici qu'en tant qu'il doit être connu, et la
science de l'étant en tant qu'étant s'est muée en connaissance de l'objet en
tant qu'objet (puisque l'objet est de soi objet de connaissance). Par là-
même s'est opéré un passage de la «chose» de la métaphysique wolffienne

17
Annonce de M. Emmanuel Kant sur le programme de ses leçons pour le
semestre d'hiver 1765-1766, Ak. II 309, tr. fr. Jean Ferrari, Pléiade, t. I, p. 518.
18
Progrès, Ak. XX 262, Pléiade III, p. 1218.
19
Cf. Aristote, Métaphysique, Γ, 1, 1003 a 20.
20
C'est le thème général de l'interprétation de Cassirer, Das Erkenntnisproblem in
der Philosophie und Wissenschaft der neueren Zeit, Bd. II, 2e éd., Berlin, 1911, repr.
Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1973.
–6–
classique (Ding) à l'objet (Gegenstand), en tant qu'objet de pensée. Encore
Kant ne veut-il retenir de l'objet que la connaissance, qui le constitue (en
cela le formel de l'objet), et non le donné qui le fait à l'image de la chose
et lui restitue une certaine consistance ontologique (le refaisant alors objet
d'« ontologie », mais en un sens second, sous condition de la philosophie
transcendantale, qui la précède alors21). Cela donne lieu à une véritable
redéfinition de la métaphysique : « la métaphysique ne traite pas d'objets,
mais de connaissances »22.
Reste d'un autre côté que l'objet, s'il doit être objet de connaissance,
doit pouvoir être donné, et cette exigence semble constituer l'apport
proprement critique (et non plus seulement « transcendantal ») de la
pensée kantienne en la matière et ce qu'on pourrait appeler la contrainte
propre qu'elle met sur l'ontologie. Comme le texte des Progrès l'atteste,
cette condition semble en effet aux yeux de Kant rénover – et limiter –
profondément le sens qu'il y a à parler d'ontologie et détenir la clé d'une
certaine identification, présente déjà dans la Critique, entre le projet
d'ensemble de la nouvelle philosophie transcendantale et précisément
celui d'une ontologie en ce sens rénové.
Détermination de conditions d'intelligibilité sur les objets, limitation
au sensible... Y a-t-il là vraiment quelque chose de si nouveau en termes
d'« ontologie »?

II RETOUR SUR LES « ONTOLOGIES » CLASSIQUES.

En juger exige qu'on revienne sur le projet des « ontologies »


classiques, tel que l'historiographie récente a pu le mettre en lumière, au
delà des clichés habituellement associés au terme.
Il faut tout d'abord remarquer que si l'on suit le texte des Progrès à la
lettre, le dépassement critique de la métaphysique semblerait bien passer
par une réduction de celle-ci au seul texte d'une ontologie, fût-elle elle-
même restreinte à sa plus simple expression, c'est-à-dire à une analytique
du sensible. En effet le propos de Kant est de remettre en cause la
possibilité même d'une métaphysique en tant que doctrine du
suprasensible, celui-ci entendu comme indépendant de toute donation
sensible. Tel est bien le cas des différents axes de la traditionnelle
« métaphysique spéciale » (doctrine de l'âme, du monde et de Dieu), en
tant qu'elle s'oppose précisément à la « métaphysique générale », doctrine

21
C'est en ce sens qu'on peut entendre la réflexion citée plus haut (R 5130), qui
fait de l'ontologie la seconde partie de la philosophie transcendantale, résultat ou
application de la critique de la raison pure. Cf. aussi le tableau de R 4851, Ak. XVIII
9.
22
R 4853, Ak. XVIII 10.
–7–
de l'étant en tant qu'étant, l'ontologie23. Sur le terrain théorique tout au
moins, la Critique n'aura rien à faire des différents thèmes de la
métaphysique spéciale, si ce n'est les assigner comme Idées de la Raison,
directrices d'un certain mode d'organisation du monde ; alors
qu'indubitablement, certes réduite à sa connaissance (doctrine de la
connaissance de l'étant et non plus de l'étant lui-même) et au sensible
(comme champ d'application exclusif de la connaissance, dans son sens
théorique), il reste la place d'une ontologie. S'opère donc ici un certain
recentrement de la métaphysique théorique sur l'ontologie, dans le
déplacement même des termes du problème. Or cette centration n'est pas
nouvelle : elle constitue un héritage au moins proprement wolffien, et sans
doute plus ancien. C'est à partir de Wolff que l'ontologie s'impose enfin
comme « philosophie première »24 et noyau dur de la métaphysique, autour
de laquelle s'organisent toutes les disciplines de la métaphysique,
lorsqu'elles ne sont pas conformées à son image, dans la mesure où celle-
ci décide de la forme générale de leur objet : l'étant. Mais cette institution
de l'ontologie n'advient elle-même qu'au bout d'une tradition, qui s'y
accomplit et qu'en un sens Kant irait rechercher au delà de Wolff même,
bien des points de sa doctrine l'atteste : il s'agit de la rénovation de la
métaphysique déjà entamée avec Duns Scot, qui va précisément dans le
sens de sa redéfinition comme « ontologie », et dont l'effort séculaire a
seulement permis celle-ci.
Sur le temps long, c'est en effet l'idée scotiste de la scientia
transcendens qui est en travail dans la répétition kantienne du projet d'une
ontologie qui se confond souvent, sous la plume de Kant, précisément
avec celui d'une « philosophie transcendantale » (locution qu'il ne présente
du reste jamais comme réellement nouvelle, même si certainement le
terme « transcendantal » y prend chez lui des accents neufs). On a pu ainsi
remonter la généalogie du concept kantien de transcendantal, et autant la
parenté directe, parfois timidement invoquée par les anciens
commentateurs25, avec la problématique médiévale des
« transcendantaux » paraît improbable , autant la proximité de visée avec
26

23
Cf. Ernst Vollrath, « Die Gliederung der Metaphysik in eine metaphysica
generalis und eine metaphysica specialis », Zeitschrift für philosophische Forschung,
1962, p. 258-284.
24
Cf. Wolff, Philosophia prima sive Ontologia, 2e éd. 1736, éd. J. Ecole,
Gesammelte Werke, II. Abt., Bd. 3, Hildesheim, Olms, 1962. Sur ce mouvement, voir
Honnefelder, Scientia transcendens, p. 313 sq. et 322 sq.
25
Cf. N. Kemp Smith, A Commentary to Kant's ‘Critique of Pure Reason’, 2e éd.
1923, repr. New York, Humanities Press, 1962, p. 73 sq.
26
Kant connaissait cette doctrine (via Wolff), puisqu'il y fait allusion au § 12 de
l'Analytique et l'expose dans ses leçons de métaphysique (Ak. XXVIII, II/1, 16-18,
414-416, 495-497, 555-556, 631-632, 843), mais, il faut le remarquer, sans jamais la
qualifier de « philosophie transcendantale », ce qui prouve bien qu'il faisait une
–8–
la scientia transcendens paraît indiscutable. Celle-ci, loin de constituer la
reprise de la doctrine thomiste, vaguement néo-platonisante (et associée à
la question des Noms divins), des « transcendantaux », en représente bien
au contraire l'adultération radicale, et de ce point de vue un véritable
tournant dans l'histoire de la pensée : l'institution moderne de la
métaphysique elle-même. Le transcensus qui est ici en jeu n'est aucun
autre que celui de l'être lui-même, puisque la scientia transcendens est
celle qui s'occupe de l'ens inquantum ens, de l'étant en tant qu'étant, à
l'exclusion de toute propriété régionale de l'étant27. Par là-même, ce n'est
plus tant de la transcatégorialité de prédicaments éventuellement
réciproquables qu'il s'agit, que de la détermination a priorique de ce qui
constitue la forme générale de l'étant. Sont transcendantales (le terme ne
tardera pas à être employé dans ce sens-là) les propriétés qui sont
communes à l'étant en tant qu'étant, les propriétés générales de l'étant, et
la transcendantalité se met à signifier autant qu'a priorité et généralité. On
est loin de toute « transcendance » au sens platonicien ou chrétien, celle-là
même qui définira encore la métaphysique au sens qu'il critique pour le
Kant des Progrès, métaphysique à laquelle encore chez lui pourrait bien
se substituer une ontologie précisément au sens nouvellement acquis des
philosophies transcendantales : une pure et simple doctrine de l'étant pris
dans sa formalité, en dehors de toute spéculation sur le monde, moi ou
Dieu. C'est en effet le tour pris par la doctrine scotiste chez Suarez28, c'est
aussi celui des philosophies qui, à sa suite, à l'âge classique, porteront le
nom de « transcendantales » (héritières de la scientia transcendens), ainsi
que des modernes « ontologies », dont le nom même apparaît dans ce
contexte, et qui s'identifieront bien vite aux dites philosophies
transcendantales, comme leur dénomination générale29.
Mais, dira-t-on, là-dedans, quid de la connaissance ? Car élaborer une
doctrine de l'être en général, ce n'est assurément pas écrire la Critique.
Encore faut-il le déterminer comme connu. Là serait la rupture propre à la
Critique, dans son passage de l'être à l'objet comme objet de
connaissance.
Et pourtant la métaphysique classique, comme philosophie
transcendantale et/ou ontologie, est-elle si éloignée de cette
problématique ? Il suffit de consulter les textes, que ce soient ceux de

distinction. Cf. Karl Bärthlein, « Von der ‘Transzendentalphilosophie’ der Alten zu der
Kants », Archiv für Geschichte der Philosophie, 58, 1976, p. 355.
27
Cf. Duns Scot, Quaestiones super libros Metaphysicorum Aristotelis, prologue,
n.5, éd. Vivés, Paris, 1891-1895, VII 4 sq. Là-dessus, voir Ludger Honnefelder,
Scientia transcendens, Einleitung, XIV sq.
28
Cf. Jean-François Courtine, Suarez et le système, p. 210 sq.
29
Cf. là-dessus l'historique de Courtine, Suarez et le système, p. 432 sq.
–9–
Wolff ou de Baumgarten ou même déjà du supposé inventeur de
l'ontologie (tout au moins en latin) Clauberg, pour en douter.
Si on ouvre le manuel de Baumgarten, on trouve qu'ontologia est une
partie de la métaphysique30, mais qu'elle peut très bien déjà en elle-même
porter le nom de métaphysique (ou d'ontosophia, comme chez Clauberg
déjà, ou de metaphysica universalis, d'architectonica ou de philosophia
prima) et qu'elle est scientia praedicatorum entis generaliorum31. Mais
comment la métaphysique avait-elle été définie au § 1 ? – Metaphysica est
scientia primorum in humana cognitione principiorum32. Aussi le § 5
affirmera-t-il que les entis praedicata generaliora qui sont les objets
propres de l'ontologie sont aussi les prima cognitionis humanae
principia33, et que c'est dans cette mesure même que l'ontologie peut à bon
droit être reversée au compte de la métaphysique. Ainsi la connaissance
humaine entre-t-elle dans la définition même de l'ontologie. On a dès lors
plus de mal à comprendre en quoi consiste le renversement kantien.
Cette détermination n'est pourtant pas propre à Baumgarten, dont on
pourrait croire que sa prise en compte du champ esthétique34, inédite dans
l'histoire de la métaphysique rationaliste, en fait à l'avance un penseur
critique, ouvert à la finitude humaine et décidé à limiter les pouvoirs de
l'ontologie. En fait elle accompagne toute l'histoire de cette métaphysique
moderne, post-scotiste et post-suarézienne, comme son thème obligé. Déjà
chez Wolff on trouve l'idée que l'ontologie est une science qua omnis
cognitionis humanae principia continentur35. Ce en quoi il ne fait que
prolonger la définition classique de l'ontologie, telle qu'elle est apparue
dans la première moitié du XVIIe siècle. En effet, lorsque Clauberg utilise
ce terme dans sa fameuse Ontosophia, il s'agit certes d'une scientia, quae
contemplatur ens quatenus est36, mais c'est pour immédiatement distinguer
trois acceptions de l'étant (ens) : la première renvoie à ce qui peut être
pensé (l'intelligibile), ce à quoi, précise-t-il, rien ne peut être opposé ; la
seconde dénote ce qui est quelque chose (aliquid), même si personne n'y
pense, et qui a pour opposé le néant (nihil) ; la dernière indique la chose
(res), qui existe par soi, à savoir comme substance, et à quoi on oppose les

30
Alexander Gottlieb Baumgarten, Metaphysica, 3e éd., Halle / Magdebourg,
1757, § 2, Ak. XVII 23.
31
§ 4, Ak. XVII 24.
32
Ak. XVII 23.
33
Ak. XVII 24.
34
Cf. notre article « Du champ et du sol d'une Esthétique transcendantale »,
Archives de philosophie, 57, 1994, p. 307-324.
35
Wolff, détail du titre même de l'Ontologia.
36
Johann Clauberg, Metaphysica de ente, quae rectius ontosophia, 3e éd.
Amsterdam, 1664 (1e Groningue, 1647), in Opera omnia philosophica, Amsterdam,
1691, repr. Hildesheim, Olms, 1968, ch. I, § 1, p. 283.
– 10 –
accidents37. Mais entre ces trois, la première est la prima et generalissima
significatio38, qui embrasse les deux autres, minus latae39, et à ce titre suit
bientôt une définition générale de l'étant, pris dans toute son universalité,
qui fait « catholique »40 cette science qu'est l'ontologie. Ens est quicquid
quovis modo est, cogitari ac dici potest41, l'étant est tout ce qui, d'une
façon ou d'une autre, est, tout ce qui peut être pensé ou être dit. « Alles
was nur gedacht und gesagt werden kann » est-il alors ajouté en allemand,
dans une définition qui ne messiérait pas aujourd'hui aux tentatives
d'ontologies « analytiques ». Ainsi, est-il précisé, pour montrer que ce
premier niveau de définition du champ ontologique (par la simple pensée)
englobe les deux autres, « je dis le rien (nihil), et comme je le dis, je le
pense, et comme je le pense, il est dans mon intellect »42. L'étant est
strictement à la mesure de la pensée, et, en dernier ressort, se définit dans
toute sa généralité comme le pensable (cogitabile et intelligibile) comme
tel, d'où la parenté de l'allemand Ding, un équivalent de res, et de denken
43
– ou le dicible : omne ens potest dici, d'où le fait que Sache, un autre
équivalent allemand de res, vienne de sagen44. Tout un dispositif est mis
en place ici qui a son importance du point de vue de la Critique, car l'ens
en tant que cogitabile, on va le voir, c'est l'objectum, qui n'est rien d'autre
que le concept central de ces philosophies transcendantales arrivées à leur
maturité.
La grande révolution de la Critique, c'est en effet de transformer la
« chose » en « objet », c'est-à-dire en chose pour la connaissance, c'est la
leçon reconnue. Or de ce point de vue, une histoire plus minutieuse de
l'âge moderne de la pensée nous conduit à quelque révision. La notion
d'objet (objectum, Objekt) est en effet loin d'être nouvelle à l'époque de
Kant. Elle semble caractériser toute une modernité qui, au delà de
Descartes, plonge de toute évidence ses racines dans Duns Scot45. Le
problème de la « réalité objective de nos concepts »46 tel que le pose Kant
n'est lui-même pas nouveau : on le trouve posé tel quel, c'est-à-dire en

37
Clauberg, Ontosophia, ch. I, § 4, p. 283.
38
Titre du chapitre II, p. 283.
39
Cf. le titre du chapitre III, p. 285.
40
Ch. I, § 2, p. 283.
41
Ch. II, § 6, p. 283.
42
Ch. II, § 6, p. 283.
43
Ch. II, § 8, p. 283.
44
Ch. II, § 7, p. 283.
45
Cf. notamment Olivier Boulnois, « Etre, luire, concevoir. Note sur la genèse et
la structure de la conception scotiste de l'esse objective », in Collectanea franciscana,
60, 1990, p. 117-135.
46
Cf. Critique de la raison pure, B 114, A 155/B194 et passim ; Sur une
découverte selon laquelle toute nouvelle critique de la raison pure serait rendue
superflue par une plus ancienne, Ak. VIII 188, tr. fr. Alexandre J.-L. Delamarre,
Pléiade, t. II, p. 1311 ; Progrès, Ak. XX 325, Pléiade, t. III, p. 1273.
– 11 –
termes scotistes, dans la IIIe Méditation de Descartes47. L'objet est
essentiellement la chose en tant qu'elle est pensée, le « pensable » comme
tel, et c'est par rapport à lui que peut se poser le problème de la « réalité »,
en tant que teneur de ce qui est pensé. Jusqu'à un certain point, dans la
pensée moderne, objectum et res se confondent, et l'un et l'autre
deviennent les deux noms de l'étant (ens), l'ontologie, au moment même
où elle est baptisée telle (comme si cette conversion la rendait seule
possible en tant que doctrine homogène, surmontant la fondamentale
équivocité de l'être introduite par Aristote), s'affirmant clairement comme
doctrine de ce qui est pensé (l'objet).
L'ontologie, avant même que de trouver son nom, s'est donc faite
doctrine de l'objet, et il y a là une structure commune, qu'on retrouve de
Duns Scot à Kant. Sur quoi la Critique débouche-t-elle en effet, si ce n'est
sur une doctrine de l'objet en général, c'est-à-dire « l'objet transcendantal »
(A 253)48 ? Toute la Critique répond à la question initiale « sur quel
fondement repose le rapport de ce qu'on nomme en nous représentation à
l'objet »49. Or, au bout du compte, qu'entend-on « par cette expression
d'objet des représentations » (A 104) ? Rien d'autre que « quelque chose en
général = X », sujet des éventuels prédicats qu'on peut lui rapporter
(Ibidem). Telle est exactement la figure de « l'objet transcendantal »,
« objet auquel se rapporte le phénomène [...] c'est-à-dire la pensée tout à
fait indéterminée de quelque chose en général », «objet d'une intuition
sensible en général, qui est par conséquent identique pour tous les
phénomènes » (A 253). Mais dans cet Etwas überhaupt, il ne faut
reconnaître rien d'autre que le cogitabile comme tel, le « quelque chose »
de la pensée, donc l'objectum au sens de Clauberg, et avant lui de Duns
Scot et de Suarez. L'objet devient intéressant ontologiquement (et la
mesure même de la toute nouvelle « ontologie ») dans la mesure exacte où
il prend la forme d'un Etwas, pensable qui peut être opposé (au moyen du
principe de contradiction) au nihil negativum de l'impossible (cf. A 291/B
34850). Certes, pour Kant, il y va là d'une intuition, mais « en général » et
indéterminée. L'objet transcendantal est la forme de l'objet tel qu'il peut

47
Descartes, éd. Adam-Tannery, t. VII, p. 42. Sur la continuité Descartes-Kant sur
ce point, cf. Hans Wagner : « Realitas objectiva : Descartes-Kant », Zeitschrift für
philosophische Forschung, 1967, repris dans idem, Kritische Philosophie, Würzbourg,
1980, p. 279-289. Sur la provenance scotiste du concept chez Kant, voir Honnefelder,
op. cit., p. 451.
48
Là-dessus, cf. notre présentation in Kant et les limites de la synthèse. Le sujet
sensible, Paris, P.U.F., 1996, p. 66sq.
49
Lettre à Herz du 21 février 1772, Ak. X 130, tr. fr. Jacques Rivelaygue, Pléiade,
t. I, p. 691.
50
Sur cette filiation, qui conditionne une relecture de la Remarque annexe à
l'Amphibologie des concepts de la réflexion, voir Honnefelder, op. cit., p. 444 et
Courtine, op. cit., p. 248-250, 424sq.
– 12 –
être intuitionné, mais, comme tel, une pure forme, générale et
indéterminée, qui ne restitue l'objet que précisément dans son
intellectualité, condition générale de son être donné. Cet objet formel,
identique en tous les objets, est forme de l'objet, qui n'expose rien d'autre
que son être conceptuel d'objet (objet des « catégories »), sujet propre, il
faut le souligner, des ontologies classiques comme « tinologies »51,
doctrines précisément du « quelque chose en général » en tant qu'objet. Ici,
dans cette doctrine de l'objet transcendantal telle qu'elle réapparaît dans la
première édition de la Critique, on peut reconnaître très exactement le
sens de l'ens ratum secundo modo52, c'est-à-dire de l'objet pris formaliter,
en tant que pur pensable (« quelque chose »), tel qu'il avait déjà été avancé
par Scot. Là serait le texte de « l'ontologie » kantienne au sens classique du
terme, et aussi bien l'explication de l'usage fugitif de ce terme par Kant
pour caractériser le résultat de sa propre entreprise (une Analytique
transcendantale, analyse des concepts de l'entendement pur en tant qu''il
peuvent être rapportés au sensible et produire des objets).
En ce sens-là, Kant, tout autant et mieux que les classiques, serait
« ontologue » et, venant au bout de leur tradition, l'accomplirait
pleinement, dans la superbe architecture de l'Analytique transcendantale,
qui achèverait la traditionnelle interrogation catégoriale sur l'être. Kant,
on l'a souvent dit, serait en cela le dernier des aristotéliciens53. Cela
assurément à la lumière du tournant moderne de l'ontologie en direction
d'une pensée de l'objet, mais qui se joue avant lui.
Et pourtant, il y a en vérité quelque chose de non-satisfaisant dans ce
schéma, qui s'il restitue bien la morphologie transcendantale de la
Critique, ne semble pas réellement en délivrer l'intention, c'est-à-dire
précisément le sens propre où elle se veut transcendantale, sens qui est
toujours présenté par Kant lui-même comme une rupture.

III SUBJECTIVITE ET SENSIBILITE :


LE TRANSCENDANTAL COMME RUPTURE.

Certainement ne suffit-il pas qu'il y ait pensée de l'objet, voire des


conditions formelles de l'objet, pour qu'il y ait « transcendantal » au sens
où Kant l'entend. Reste encore que cette analytique de l'objet doit être
« critique », et que ceci semble tenir dans un certain rapport à la

51
Sur ce concept, voir Courtine, op. cit., p. 536.
52
Cf. Honnefelder, op. cit., p. 454.
53
Cf., très suggestive, l'étude de vocabulaire classique réalisée par Giorgio
Tonelli, « Das Wiederaufleben der deutsch-aristotelischen Terminologie bei Kant
während der Enstehung der Kritik der reinen Vernunft », Archiv für
Begriffsgeschichte, 9, 1964, p. 232-242.
– 13 –
sensibilité, qui est introduite par le Principe suprême des jugements
synthétiques (A 158/B 197) comme condition même du rapport à l'objet,
là où la néo-scolastique (qui n'est rien d'autre que ce que Kant appelle la
« métaphysique ») se serait contentée de la déclinaison formelle des
structures – conceptuelles – de l'objectité en général.
Or telle quelle, cette thèse est inexacte. Il n'est pas vrai que la néo-
scolastique de provenance scotiste ait purement et simplement fait
abstraction de la sensibilité dans sa construction « transcendantale » de la
forme de l'objet. La « critique de la raison », puisque critique de la raison il
y a, dans la limitation de son usage aux conditions qui sont celles de la
sensibilité, est en fait elle-même un thème scotiste, qu'on retrouve à la
source de la tradition ontologique des modernes. L'entendement humain
ne peut, par nature, saisir que la quiddité de ce qui peut être objet
d'expérience sensible54, et cette donnée est constitutive du sens de
l'objectité, en tant qu'elle est objectité pour notre connaissance et qu'elle
peut être objet de ce qu'on appellera bientôt philosophie transcendantale
(dans la mesure où il y va des principia humanae cognitionis). La
métaphysique scotiste n'est possible que sur le fond d'une opposition entre
la connaissance humaine (finie) et celle de Dieu, opposition qu'on
reconnaîtra d'une certaine façon chez Kant dans celle de l'intellect ectype
et de l'intellect archétype55. Reste qu'évidemment, chez le Docteur Subtil,
cette opposition est vue du point de vue de Dieu.
C'est exactement là qu'est le problème. Le « dogmatisme » du canevas
ontologique pré-critique et néo-scolastique, auquel Kant doit tant, tient à
une incapacité de se placer sur le sol même de la connaissance humaine en
tant que connaissance finie, c'est-à-dire de son point de vue même. Telle
est la leçon, somme toute très classique, qui doit nous conduire à rectifier
les conclusions « continuistes » auxquelles pourrait nous entraîner le
premier enthousiasme philologique de la découverte d'une tradition
injustement méconnue.
En réalité, les ontologies classiques sont-elles des analytiques de la
connaissance, c'est-à-dire de la connaissance humaine, du sujet
connaissant ? La question est loin d'être tranchée et il faut se garder de
prendre les énoncés trop au pied de la lettre. Que dans l'ontologie au sens
classique il y ait resolutio de nos concepts au sens scotiste56, en direction
des concepts fondamentaux de notre connaissance, ce n'est pas douteux.

54
Cf. Ludger Honnefelder, Ens inquantum ens. Der Begriff des Seienden als
solchen als Gegenstand der Metaphysik nach der Lehre des Johannes Duns Scotus, in
Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters, nouvelle
série, Bd. 16, Münster, Aschendorff, 1989, p. 55-98.
55
Cf. Critique de la faculté de juger, § 77, Ak. V 408, tr. fr. Jean-René Ladmiral,
Marc B. de Launay et Jean-Marie Vaysse, Pléiade, t. II, p. 1207.
56
Cf. Honnefelder, Scientia transcendens, p. XVIsq.
– 14 –
C'est le sens même de toutes les « noétiques » modernes. Mais est-ce bien
ici notre connaissance en tant que telle qui intéresse ces modernes ? Rien
n'est moins sûr, et Ludger Honnefelder a raison de formuler des réserves
par rapport au jugement de Max Wundt qui, dans les énoncés déjà cités de
Wolff et de Baumgarten, voit un tournant critique au sens d'un tournant
vers le sujet connaissant57. Ces énoncés sont rien moins
qu'erkenntnistheoretisch, et il n'y va certainement pas en eux
principalement de la connaissance en tant que connaissance humaine. Si la
métaphysique et/ou l'ontologie, dans leur quasi-identité, s'occupent des
prima principia omnis cognitionis humanae, c'est que la resolutio de la
connaissance dans ses concepts fondamentaux nous donne à connaître ce
qui dans son être rend possible les autres objets de la connaissance. Sans
les premiers concepts (ontologiques), rien ne serait connu ; car tout ce qui
est connu doit d'abord être connu comme étant. C'est par là une condition
sur la connaissance qui est formulée : toute connaissance connaît quelque
chose, donc un étant ; elle est donc astreinte aux conditions qui sont celles
de l'étant, étant qui définit son cadre général et ses « principes ». On est
donc bien loin d'appréhender ici la connaissance elle-même comme
condition, condition sous lesquelles seulement l'étant peut avoir un sens,
et qui par là-même relativisent la portée de l'ontologie (d'où le passage du
« nom d'orgueilleux d'ontologie » à une modeste Analytique de
l'entendement pur).
Ce déplacement ne devient compréhensible que du jour où l'on revient
à ce simple fait, qui est celui du passage, dans la Critique, du Ding (chose)
au Gegenstand (objet). Assurément l'idée d'objet n'est-elle pas nouvelle, ni
la fixation des philosophies transcendantales sur l'objectivité comme telle.
Mais il s'agit alors d'Objekt (objectum). La nouveauté relative de la
Critique, c'est l'introduction du Gegenstand comme tel, qui va désormais
être interrogé dans sa Gegenständlichkeit, et fournir son thème propre aux
philosophies transcendantales (« idéalistes-transcendantales ») ultérieures
à Kant (Husserl). La substitution de Ding par Gegenstand est, semble-t-il,
extrêmement récente par rapport à la Critique. Elle ne devrait pas
remonter au delà de Tetens58, dont le projet de philosophie critique, pour
le coup, a bien des parentés avec celui de Kant, dans son Ueber
allgemeine spekulativistische Philosophie (1775). Or elle est loin d'être
insignifiante philosophiquement, et touche de très près la définition même
du projet d'une ontologie. Rappelons que la métaphysique allemande de
Wolff, l'inventeur de la langue philosophique allemande (tardive, donc,
c'est une réalité que les lecteurs français tendent trop souvent à oublier)
s'intitule Vernünftige Gedanken von Gott, der Welt und der Seele der
57
Honnefelder, op. cit., p.322 ; Wundt, Die deutsche Schulphilosophie, p. 159sq.
58
Même si bien sûr on peut trouver des antécédents de Gegenstand, en particulier
comme Gegenwurf, jusque chez Eckhart.
– 15 –
Menschen, auch allen Dingen überhaupt (1719), les trois premiers items
déclinant les thèmes classiques de la métaphysique spéciale alors que le
dernier de toute évidence déploie le champ d'une ontologie. Or on
retrouve bien ces Dinge überhaupt dans la Critique, mais sous une autre
forme, comme Gegenstände überhaupt, expression qui n'a probablement
jamais été employée avant la Critique de la raison pure59, et ce n'est pas
sans importance. Cela signifie que le projet transcendantal sous sa forme
classique a été profondément réarticulé. Si l'analytique de l'objectum est
toujours présente, le motif de l'objet transcendantal est là pour en marquer
la résurgence, le passage du Ding au Gegenstand en modifie
profondément la fonction. Aussi ne sera-t-on pas étonné que la discussion
(et la critique) par Kant du terme d'ontologie se focalise précisément sur
cette opposition du Ding au Gegenstand. C'est dire aussi bien, puisque les
termes font indubitablement écho en ce sens, que le lieu véritable de la
critique kantienne de l'ontologie, comme l'exégèse traditionnelle l'avait
pressenti, est bien l'opposition de la chose (Ding, c'est dans ce contexte
que Kant reprend le terme) en soi et du phénomène en tant qu'il est réduit
à sa simple formalité logique, à savoir l'objet (Gegenstand, là Kant
emploie ce terme, non sans flottement il est vrai entre Gegenstand et
Objekt) transcendantal. C'est ce que l'examen des diverses Leçons de
métaphysique nous permettra mieux de mesurer. La définition
traditionnelle de l'ontologie en tant que théorie de l'étant et/ou de l'objet y
est en effet l'objet d'une véritable réélaboration et d'une critique, qui
poursuit et précise celle de la Critique elle-même. L'opposition du
Gegenstand au Ding y est thématique.
Il faudra tout d'abord remarquer tout ce que la définition de l'ontologie
proposée dans les Cours de métaphysique doit à la scolastique tardive
héritée via Baumgarten. Il y va toujours de la déclinaison des propriétés
générales de l'objet, d'abord explicitement présenté comme « chose »
(Ding), en reprise de la définition wolffienne et baumgartenienne. On en a
retrouvé des traces jusque dans la Critique.
La Metaphysik Herder (1762-1764), conformément aux annonces de
cours de cette période précritique, en reprend bien la formule :
« L'ontologie est la science des prédicats généraux de toutes les choses.
Ces prédicats sont vel universalia qui reviennent à toutes les choses, vel
disjunctiva, dont l'un ou l'autre convient à toutes choses. Par exemple,
toute chose a une unité. Mais tout est soit simple, soit composé »60. Ainsi,
avec une attention toute suarézienne aux prédicats disjonctifs, est délimité
le champ d'une ontologie qui « appartient à la métaphysique, puisqu'elle

59
Cf. Tillmann Pinder, « Kants Begriff der transzendentalen Erkenntnis », Kant-
Studien, 77, 1986, p. 14-16.
60
Metaphysik Herder, Ak. XXVIII, II/1, éd. Gerhard Lehmann, p. 7. Cf. aussi
p. 174, 177.
– 16 –
contient en elle les concepts fondamentaux premiers (die ersten
Grundbegriffe) ; elle est donc la philosophia prima authentique et, pour la
métaphysique, ce que la métaphysique est pour la philosophie »61. La
primauté de l'ontologie et son rattachement aux « concepts
fondamentaux » sont ici présentés dans des termes typiquement wolffiens.
Le dispositif de la Metaphysik Pölitz, la plus connue, et probablement
contemporaine de la rédaction de la Critique (1778-1780 ?), n'est pas au
fond très différent. « La philosophie transcendantale est le système de
toutes nos connaissances pures a priori. On la désigne habituellement
sous le nom d'ontologie. L'ontologie traite donc des choses en général
(von den Dingen überhaupt), elle les abstrait de toute particularité. Elle
rassemble tous les concepts purs de l'entendement et tous les principes de
l'entendement ou de la raison »62. Comment ne pas reconnaître ici dans
cette abstraction nécessaire à la constitution comme objet de l'ontologie de
la chose même dans sa formalité « générale » l'abstractio mathematica ou
∏µ…∑≥∑z§≤ç63 qui selon Goclenius, l'inventeur du terme (en grec), est à
la source de l'ontologie, dans l'abstraction préalable de l'étant, comme
« objet » ? Quant à la caractérisation du domaine ainsi obtenu comme celui
des concepts purs de l'entendement et des principes de l'entendement et de
la raison, sans doute ne faut-il pas lui prêter une portée trop
révolutionnaire. N'a-t-on pas affaire ici au retour de la vénérable
problématique scotiste de la resolutio de nos concepts en leurs concepts
fondamentaux, censés réfléchir ce à la mesure de quoi essentiellement ils
sont, à savoir l'être, lui-même alors requalifié comme objet ? Plus
perturbante alors, et à la mesure d'un déplacement réellement nouveau,
serait l'irruption de la question proprement critique des conditions de
possibilité de la connaissance, en tant que celle-ci, parce que posée sur le
plan d'une stricte immanence (de la connaissance à elle-même), devient
bien vite celle de la connaissance elle-même comme condition de
possibilité (de l'ontologie) : « La première et la plus importante question
de l'ontologie est de savoir comment sont possibles des connaissances a
priori. Il faut commencer par résoudre cette question parce que toute
l'ontologie se fonde sur la solution de cette question »64. Le transcensus ici
en cause, et qui est au fondement de la possibilité de l'ontologie, est bien
celui de la connaissance : comment celle-ci peut-elle se « transcender »
elle-même, dans l'acquisition de connaissances a priori ?

61
Op. cit., loc. cit.
62
Metaphysik L2 (Pölitz), Ak. XXVIII, II/1, p. 541 ; tr. fr. Monique Castillo,
Leçons de métaphysique, Paris, Le Livre de Poche, 1993, p. 131.
63
Rodolph Göckel, alias Goclenius, Lexicon Philosophicum, Francfort, 1613,
repr. Hildesheim, Olms, 1964. Cf. Courtine, op. cit., p. 410 et p. 449.
64
Ak. XXVIII, II/1, p. 542 ; Leçons, p. 133sq.
– 17 –
Cette question appelle une réponse proprement critique : il y va de la
possibilité de l'expérience et cela redétermine l'objet (ou plutôt les objets)
de l'ontologie : « L'ontologie ne pose que des objets auxquels un objet de
l'expérience peut être adéquat », écrira la Metaphysik Donha (1792-93)65.
Mais, sur le plan terminologique, c'est encore la Metaphysik Volckmann
(1784-85) qui en tirera les conséquences les plus intéressantes. La
définition baumgartenienne de la métaphysique / ontologie y est
explicitement reprise : scientia primorum cogitationis humanae
principiorum66. Mais le sens en est singulièrement altéré, puisqu'elle ne
donne plus lieu alors à rien d'autre qu'à une fondamentale relativisation de
l'ontologie.
« On nomme l'ontologie une philosophie transcendantale ; mais elle
est la considération des objets (Gegenstände) par notre raison. Elle est une
metaphysica applicata, où je reçois des objets par les principes de la
raison pure. Alors que la philosophie transcendantale est connaissance de
soi de notre raison, et constitue par conséquent une science tout à fait
particulière »67. Ici Kant inaugure un sens tout à fait neuf du
transcendantal, avec cette conscience d'innovation qui marque tout le
discours de la Critique. Or la nouveauté est conquise par une rupture
explicite avec l'ontologie classique, c'est-à-dire aussi bien le sens
classique pour l'« ontologie ». Que l'ontologie classique soit passée par une
analytique de nos concepts pour avoir accès à l'être, dans la formulation
des « principes de la connaissance humaine », c'est bien évident, mais
précisément son tort est-il de croire que nos concepts puissent
immédiatement faire « être » (c'est cela le « dogmatisme »). Reste alors à
mesurer nos concepts en tant que concepts, à interroger notre
connaissance de l'intérieur, dans l'horizon d'immanence qui est le sien.
C'est ce que fera en propre la philosophie transcendantale au sens ici
conquis, qui, conformément à l'intention de la Critique, pourra se définir
comme « connaissance de soi de la raison » (Selbsterkenntnis der
Vernunft : A XI). Ce qui est fondamental, c'est que la Raison ait un « Soi »
et que celui-ci soit interrogé comme tel, dans un retour réflexif de la
Raison sur elle-même. « Par exemple si, sur le terrain de la philosophie
transcendantale, j'en viens au concept de substance, alors je demanderais :
Comment en venir à ce concept ? Qu'est-ce que je peux bien mettre en
place avec lui ? Ainsi j'examinerai ma raison eu égard aux principes, eu
égard à l'origine, à l'usage et aux limites, cela sans parler des choses (von
Dingen) pour savoir si elles sont substances ou accidents (comme ce serait
le cas dans l'ontologie) »68. Il ne suffit plus de déployer la chose à même le

65
Metaphysik Donha, Ak. XXVIII, II/1, p. 617.
66
Metaphysik Volckmann, Ak. XXVIII, II/1, p. 358.
67
Metaphysik Volckmann, Ak. XXVIII, II/1, p. 360-361.
68
Op. cit., p. 361.
– 18 –
concept. Encore faut-il interroger l'usage de ce dernier, ce en quoi il se
détermine comme tel. C'est cette problématique de l'usage de la raison, au
delà de toute méthodologie (l'usage est ce qui précède toute méthode,
comme condition du cheminement même), qui fait la nouveauté radicale
de l'interrogation philosophique kantienne. Par là-même le contact avec
les choses (Dinge) a été perdu, qui permettait de les produire à même la
pensée dans leur essence logique d'objets (Objekte), et qui dans la
subordination apparente de l'être aux conditions du pensable ordonnait en
fait trop immédiatement la pensée à l'être pour que sa valeur
transcendantale fût perçue. Restait à interroger les conditions de la pensée
elle-même, non seulement au sens de ses lois de fonctionnement internes,
mais de l'horizon sous lequel elle fait sens. Ce que fait Kant en s'installant
sur le sol d'une problématique authentiquement transcendantale au sens où
il l'entend.
Si l'ontologie au sens traditionnel est fondée sur une première
abstraction, la philosophie transcendantale en opère par rapport à elle une
seconde : « Dans l'ontologie il semble que nous considérons les choses
elles-mêmes, selon leurs propriétés générales, alors que la philosophie
transcendantale fait abstraction des propriétés des choses, et ne s'occupe
que du pouvoir de notre raison pure, indépendamment de l'expérience qui
consiste à juger de choses. C'est [la philosophie transcendantale] une
connaissance de soi de notre propre raison, une connaissance des sources
à partir desquelles elle peut créer les concepts des choses dont
l'expérience ne peut rien nous apprendre »69. La chose (Ding) est la
généralité de l'objet, comme pensable, ce qui reste de l'objet une fois
qu'on lui a retiré toutes ses propriétés particulières, et là est l'objet de
l'ontologie70. Mais en cela même, la philosophie transcendantale au sens
nouvellement acquis ne pourra pas porter le nom d'ontologie :
« Il ne serait pas convenable à cette science de s'appeler ontologie, car cela
signifierait que nous aurions les choses (Dinge) comme objet (zum
Gegenstand). Or l'objet peut bien être comme il lui plaît (der Gegenstand
mag sein wie er will), je ne considère que sa connaissance en général ;
ainsi que la logique ne détermine rien à propos des objets, mais bien plutôt
à propos des règles de l'entendement en général, ainsi en est-il de
l'ontologie. Le nom d'ontologie n'est pas approprié, car à l'en croire il
semble que la science en question aurait un objet particulier, là où elle n'a
que la raison elle-même comme objet (zum Gegenstand) et où elle ne
regarde que les concepts fondamentaux et les principes de l'entendement
et de la raison purs. Le nom approprié pour cette science est donc celui de
philosophie transcendantale. Une connaissance est une connaissance de la
raison pure dans la mesure où elle est complètement a priori, mais elle ne

69
Op. cit., p. 363.
70
Op. cit., p. 390.
– 19 –
s'appelle pas pour autant encore transcendantale, mais seule la
considération de la possibilité de la connaissance de notre raison pure est
transcendantale »71.
Ce texte assigne très exactement le lieu du décrochage de la
philosophie transcendantale kantienne avec l'« ontologie » des classiques.
La philosophie transcendantale ne peut pas s'appeler ontologie car nous
aurions alors les choses comme objet : c'est dans la distance du Ding au
Gegenstand que la faille vient s'introduire. Nous n'avons pas d'accès à la
chose même, où plus précisément celle-ci ne peut-elle être une « chose »
que sur fond d'objet, sous condition de sa Gegenständlichkeit, qui est ce
qui est précisément mesuré par la philosophie transcendantale, en tant que
réflexion sur la connaissance comme condition de l'objet. Sinon, c'est la
chose en soi (Ding an sich), en elle-même inconnaissable, et donc retirée
à toute spéculation ontologique. Là serait l'être de l'objet (qui « peut bien
être comme il veut »...), mais celui-ci est en lui-même inaccessible. Par là-
même, c'est la transparence de la connaissance à l'être qui est rompue (et
donc le projet des « noétiques » classiques qui est mis en péril), mais aussi
bien le sens et l'intérêt de l'interrogation sur l'être qui disparaît ou est du
moins relativisé. Parler de la connaissance et non de l'être (c'est ainsi que
Kant présente ici son projet), c'est assurément autre chose que de parler de
l'être donc de la connaissance, puisqu'elle constitue l'accès naturel à lui
(ce qui est le projet des « noétiques » classiques, comme « ontologies »).
C'est ce que mesure la substitution du Gegenstand au Ding. Mais en
même temps, par là-même, c'est tout un travail de réélaboration qui est
fait sur la question classique du sujet/objet de la métaphysique72,
supprimée ici et tout à la fois tranformée en philosophie transcendantale.
Quel sera « l'objet » (Gegenstand) de la philosophie transcendantale ?
Aucun, précisément : ici « l'objet de la métaphysique » se dissout dans la
« connaissance de soi de la raison ». La philosophie transcendantale n'a
« aucun objet particulier » non seulement au sens où il y irait de la
généralité qui depuis le début a été celle de l'ontologie (celle-ci ne
s'occcupe d'aucune chose particulière précisément parce qu'elle s'occupe
de la chose en général), mais au sens où plus radicalement, contrairement
à l'ontologie classique, qui, à même la pensée, trouvait les linéaments de
l'être, et donc l'étant comme objet (et donné du reste sous l'espèce de
l'objectum), elle n'a en un sens plus aucun « objet ». En ce sens-là, pour le
dire plus brutalement, la philosophie transcendantale n'est pas une
science, et ne répond donc pas à l'exigence de « scientificité » qui a été
celle de la métaphysique des modernes (doctrine du scibile comme tel).
C'est qu'elle est débat de la raison avec elle-même. Or la raison n'est pas
un objet.
71
Op. cit., p. 391.
72
Sur cette question, voir Courtine, op. cit., p. 9sq.
– 20 –
C'est ce qu'on retrouve, si on lit bien, dans la définition de la
connaissance transcendantale qui est donnée au début de la Critique, où
s'entremmêlent rupture et continuité. Rupture par rapport aux autres, mais
aussi par rapport à soi : comme on l'a souvent remarqué, Kant n'emploie
quasiment jamais « transcendantal » avant la Critique. Dans la
correspondance, le terme n'apparaît qu'avec la fameuse lettre à Markus
Herz du 21 février 1772, qui précisément articule la rupture critique. Dans
les écrits précritiques, il y a deux occurrences (en latin), l'une dans la
Monadologia physica 73 (1756), où Kant entend metaphysica et
philosophia transcendentalis comme synonymes, conformément à la
tradition des « ontologies » classiques, la seconde dans la Dissertation de
177074, où il s'agit, au sens wolffien de la « cosmologie transcendantale »75,
de la matière comme condition transcendantale du monde. Dans la
Critique au contraire, le transcendantal est devenu le concept central, celui
qui caractérise le point de vue dégagé par la Critique en tant qu'il doit être
gagné par un effort qui va contre le penchant naturel de la raison humaine,
donc contre la tradition, et contre le Kant pré-critique même. Le mot
« transcendantal » sert désormais à désigner « l'autre » point de vue, qui
s'excepte à l'histoire de la métaphysique comme dogmatisme. Tel doit être
le sens de la définition du transcendantal proposée au début de la
Critique : « J'appelle transcendantale toute connaissance qui s'occupe non
pas tant d'objets que de nos concepts a priori des objets en général » (A
11-12), modifié dans la seconde édition en « J'appelle transcendantale
toute connaissance qui s'occupe en général non pas tant d'objets que de
notre mode de connaissance des objets en tant que celui-ci doit être a
priori possible » (B 25). On retrouve ici, au moins dans la première
édition, les « objets en général » de l'ontologie classique76 ; mais, nous
l'avons remarqué, il s'agit maintenant de Gegenstände überhaupt. L'intérêt
s'est déplacé des objets vers les concepts, et ceci sans retour possible, au
sens où les concepts ne sont désormais plus tenus pour la meilleure voie
d'accès aux objets comme étants, mais où la connaissance se détourne
résolument des objets auxquels nous avons affaire (comme si ceux-ci

73
Ak. I 475, tr. fr. Sylvain Zac, in Kant, Quelques opuscules précritiques, Paris,
Vrin, 1970, p. 34.
74
Ak. II 389, tr. fr. Ferdinand Alquié, Pléiade, t. I, p. 632.
75
Sur l'inflexion du sens de « transcendantal » déterminée par ce projet, voir
Norbert Hinske, « Die historischen Vorlagen der Kantischen Transzendental-
philosophie », Archiv für Begriffsgeschichte, 12, 1968, p. 86-113. Avec l'idée de
« cosmologie transcendantale », le « transcendantal » prend clairement un sens
gnoséologique, avec la délimitation des conditions de possibilité d'un domaine de
connaissance. Vollrath, art. cit., montre toutefois que la « cosmologie transcendantale »
reste bien en cela même de l'ordre de l'ontologie au sens classique du terme. Elle
dessine les contours de ce qu'il faudra appeler une « ontologie régionale ».
76
Cf. Bärthlein, art. cit., p. 376 ; Courtine, op. cit., p. 248sq.
– 21 –
pouvaient avoir la moindre consistance en dehors de leurs concepts) pour
ne s'occuper que des seuls concepts, ceux-ci mis à l'épreuve de la question
de la possibilité de la connaissance. Ce mouvement d'interrogation en
direction du possible, de la possibilisation de la connaissance comme
telle, qui ne peut rien être de présupposé dont la présupposition nous
garantirait un accès à l'étant, est caractéristique du mouvement des
philosophies transcendantales au sens contemporain (et non plus
moderne) du terme, dont Kant est l'inventeur77, et dont la phénoménologie,
y compris en un sens heideggerienne78, accomplira le projet.
Ce qu'il faut comprendre, c'est que d'une certaine façon rien ne sort ici
de la connaissance. Pour fonder la possibilité de la connaissance, il n'y a
pas d'autre possibilité que de rester dans son plan d'immanence. On ne
peut pas se contenter d'aller chercher un étant particulier (le sujet) pour
obtenir par son regard la connaissance des autres étants (projet qui
consisterait à mesurer réellement l'être à la connaissance, selon la
démarche des noétiques classiques). C'est qu'on n'a pas le sujet d'où
partir. Ce sujet d'où l'on part radicalement, réellement pour la première
fois dans l'histoire de la pensée, on ne l'a pas, telle est la nouveauté inouïe
du point de vue transcendantal. C'est en ce sens-là qu'on se tient au niveau
de la pure « possibilité », qui est celui du « sujet transcendantal » qui, pour
le coup, constitue une nouveauté complète, terminologique et
conceptuelle, dans l'histoire de la pensée.
Si l'« on n'a pas » ce sujet, c'est précisément que l'on est parti de son
point de vue, pour la première fois dans l'histoire de la pensée. On en est
parti parce qu'on ne peut pas faire autrement, nous n'en avons point
d'autre. Il y a là une facticité radicale, inscrite au coeur même de la
constitution esthétique de la connaissance, telle que sa contingence
fondamentale est posée au départ, dans la dimension d'exposition (et non
de déduction) des deux formes a priori de la sensibilité. Nous n'avons les
choses que comme « objets (Gegenstände) de nos sens », telles que nous
les donnent les deux formes a priori de notre sensibilité, qui sont le fait de
notre constitution contingente (nous pourrions en avoir d'autres, mais
comment leur donner un sens ?), et non les « choses en général (Dinge
überhaupt) » qui étaient celles de la métaphysique classique (A 34-35 /
B 51). Mais cette constitution contingente, en vertu de laquelle les choses

77
Cf. Johann Gottlieb Buhle, Entwurf der Transcendentalphilosophie, Göttingen,
1798, § 35, p. 18 : « Kant, l'inventeur de la philosophie transcendantale », cité par
Norbert Hinske, « Verschiedenheit und Einheit der transcendentalen Philosophien »,
Archiv für Begriffsgeschichte, 14, 1970, p. 42. Cf. Bärthlein, art. cit., p. 387sq.
78
Cf. l'affirmation liminaire censée caractériser le point de vue
phénoménologique dans Etre et temps, § 7 C), tr. fr. François Vézin, paris, Gallimard,
1986, p. 66 : « Plus haute que la réalité s'érige la possibilité ». Comme de juste, à la
page précédente, est avancé : « la vérité phénoménologique (ouvertude de l'être) est
veritas transcendentalis ».
– 22 –
sont des objets (Gegenstände) n'est pas pensable « de l'extérieur », et c'est
pour cela qu'elle est fondamentalement « contingente ». Il n'y a pas de
regard extérieur pour la regarder et la fonder dans sa contingence. C'est ce
qui fait la grande différence entre le criticisme kantien et les ontologies
classiques : la finitude de la représentation humaine n'est plus, dans le
premier, adossée à l'infinité de la connaissance divine. Par là-même, le
sujet ne peut plus y être constitué comme objet qui opérerait la médiation
avec les autres objets (d'où, peut-être, il est pour la première fois
pleinement sujet79). Personne n'est là pour me regarder qui fonderait la
capacité de mon regard à déterminer l'étant comme étant. Il n'y a plus de
« troisième terme », dans la mesure exacte où la transcendance de l'être est
définitivement retirée à la transcendance du Dieu – ce qui assurément
n'était par exemple pas le cas chez Descartes.
De ce point de vue, il faudra toujours plus prendre la mesure de la
rupture qui est opérée avec Kant, qu'on pourrait au fond présenter avec
Foucault comme celle du passage de l'ère de la représentation à celle du
transcendantal80, dans leur opposition souvent recouverte dans la platitude
du modèle trop lourd, général et parti de présupposés proprement
contemporains, qui serait celui de l'axe du développement des
« noétiques » classiques. Il faudrait alors saisir que Kant est peut-être au
fond précisément celui à partir duquel « l'analyse des représentations »,
procédé paradigmatique des « noétiques » classiques, n'est plus possible, et
donc celui pour qui par là-même l'ontologie de l'ordre (ajustement des
représentations, dans leur capacité à dire l'être) n'a plus de sens, cela peut-
être dans la mesure exacte où il y a perte de sens pour l'ontologie au sens
classique du terme elle-même – dans laquelle l'ordre n'est pas méthode,
mais principe même. Cette destruction n'est possible qu'au sens où pour
Kant en un sens il n'y a plus rien à analyser. La représentation n'est plus
rien de donné ; ce qui est mis à la question, c'est la faculté représentative
(vis repraesentativa) du sujet elle-même, telle que Leibniz l'avait
introduite, mais encore dans le cadre d'une ontologie dans laquelle l'ordre
était préalable au sujet, ce qui prêtait à la représentation une fois de plus
les vertus d'analysabilité du rationalisme classique, qui est un rationalisme
du point de vue de Dieu, et non du point de vue du sujet. Dans ce retour
réflexif de la représentation sur elle-même s'amorce une percée décisive,
qui est aussi bien entrée dans l'âge contemporain de la pensée, à savoir
celle du transcendantal.

79
Cf. dans les Kant-Studien, 1997, notre «De Leibniz à Kant : l'impensé de la
représentation », sur le tournant subjectif pris par le concept de « représentation », avec
Kant et avec Kant seulement.
80
Cf. là-dessus le remarquable article de Gérard Lebrun, « Note sur la
phénoménologie dans Les mots et les choses », in Michel Foucault philosophe, Paris,
Seuil, 1989, p. 33-53.
– 23 –
Quelles en seraient les conséquences du point de vue de l'ontologie, et
de l'inscription ou non de Kant dans une détermination (et une époque)
ontologique de la pensée ? L'ontologie en ressort diminuée certes, et, de
façon plus intéressante sans doute, pour ainsi dire « relativisée »81. Elle est
à même nos concepts, non pas au sens de l'inscription immédiate de l'être
dans notre pensée (sous condition de la pensée divine, ce qui serait le cas
des « noétiques » classiques), mais au sens d'une relativisation de la
détermination d'être, qui n'a de sens en quelque sorte que dans la
« grammaire » immanente de notre pensée. C'est très exactement ce que
disait le texte des Progrès :
« Il ne s'est pas accompli beaucoup de progrès [dans l'ontologie] depuis
Aristote. En effet, de même qu'une grammaire est la résolution d'une
forme linguistique en ses formes élémentaires, ou la logique quelque chose
de semblable pour la forme de la pensée, elle consiste à résoudre la
connaissance en ces concepts qui résident a priori dans l'entendement et
qui ont leur usage dans l'expérience, système dont on peut fort bien
s'épargner la pénible élaboration, si on a seulement en vue les règles de
l'usage légitime de ces concepts et principes aux fins de la connaissance
empirique parce que l'expérience toujours confirme ou rectifie cet
usage »82.
L'ontologie comme grammaire, détermination de l'usage immanent de
la pensée, qui se règle de lui-même suivant l'épreuve de l'expérience et
donc d'une certaine façon se passe de grammaire, voilà ce que devraient
méditer ceux qui aujourd'hui essaient de retrouver chez Kant la poursuite
et l'achèvement d'un axe ontologique qui traverserait la pensée moderne,
jusqu'à sa catastrophe onto-théologique finale (Nietzsche). Dans la mesure
prise de « l'ontologie comme pensée immanente »83, c'est-à-dire toujours
déjà «naturalisée» et comprise dans le seul usage de notre pensée, en tant
que pensée d'expérience, il y aurait bien des rectifications à faire, dans la
reconquête du sens peut-être pour une autre histoire84, histoire de la
philosophie libérée des modèles et des schémas, scolaires-traditionnels
comme plus ouverts au miroirs de la critique contemporaine (ou tout au

81
Cf., pour une reprise contemporaine de ce thème, W. V. O. Quine, « On what
there is », in From a logical point of view, 2e éd., New York, Harper, 1963, p. 1-19.
82
Progrès, Ak. XX 260, Pléiade, t. III, p. 1216. Cf. aussi Vorlesungen Kants über
Metaphysik aus drei Semestern, éd. Heinze, Leipzig, 1894, p. 698 : «L'ontologie résout
à proprement parler la langue de la métaphysique et a esquissé pour ainsi dire une
grammaire métaphysique. Ces propositions ont sans doute intéressé la raison
spéculative, mais on peut tout de même se tirer d'affaire sans elles, comme Newton l'a
prouvé, et pour elles, on n'entreprendrait rien ».
83
Lettre à Beck du 20 janvier 1792, Ak. XI 300 ; tr. fr. (dir. Marc B. de Launay)
Correspondance, Paris, Gallimard, 1991, p. 498.
84
Telle que peut la préconiser Gérard Lebrun dans son texte « Devenir de la
philosophie », in Notions de philosophie, dir. Denis Kambouchner, Paris, Gallimard,
1995, t. III, p. 569-655.
– 24 –
moins se voulant tels), c'est-à-dire plus sensible à la singularité de chaque
auteur et de chaque texte et aux points d'inflexion qu'ils représentent, en
dehors de toute Histoire préconçue et préécrite. Ceci ne veut pas dire qu'il
faille être inattentif aux petits (aux minores)85, mais qu'il faut toujours,
aussi et simultanément, en les réinscrivant même dans cette histoire grise
de la philosophie quotidienne des siècles enfuis, prendre le pouls des
nuances qui, immaîtrisées et souvent insues, habitent la pensée des grands,
et plus que leur légende, en font les grands auteurs.

Jocelyn BENOIST
Université Rennes 1

85
Dans la constitution d'une véritable philosophie critique et d'une « ontologie
critique », ou plutôt de la rupture critique avec l'ontologie, il y aurait ainsi lieu de
s'interroger, plus que sur la néo-scolastique, sur l'apport indiscutable de Tetens et de
son projet de philosophie « critique » ou « transcendante ». Là-dessus, voir les articles
cités de Hinske, ainsi que son livre Kants Weg zur Transzendentalphilosophie. Der
dreißigjährige Kant, Stuttgart, Kohlhammer, 1970, où la généalogie tardive du
« transcendantal » kantien est déployée avec infiniment de subtilité et de nuances.
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