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Saint Antoine de Padoue /

par le R. P. Léopold de
Chérancé,...

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Léopold de Chérancé (1838-1926). Auteur du texte. Saint Antoine
de Padoue / par le R. P. Léopold de Chérancé,.... 1906.

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Vo~Hmés.~pai'MS~
I. etH. Viede ~saint Franopia, par ].e P. 'B'ËRN.ARp d'A i:
dërtnàtt.ayot. ÏH-l3.3:francs;t'a'ftcn. S.fr. Ci-
~H. Sainte <~)a!'re.:<j'Assise, par te P. LÉopoLD de Citëranc~
'tV:Sa.int'FM:ê)& de Sigmaringenj par te
,'Mûtte-Servo~eix. In-ta.t-fr. 50; /'r~~co
R.~B'tpiiLE de
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'V. Fiër~tti de saint.Françoisd'Assise, traductipn parir.M. !<'
-~S~ in~t9. t fr. 60; franco. t û'. QO

~H.~LangogEe.I;lZ. ~'ranea.
"V!.[.:E.eSatnt Joyeux (Caspin de VtterbÈ), par !e P. P!H d<'
i.fr- 50; t fr. 80
Retraite, par ie Père PAÇtFtQUE d~ Samt-PaL h)!j
VUt.Apotre,dë!a Tpm:p.èt'ance (P. Maihiëù),.p:H'. M. P).
TtER.tn-tS~~t.'fr./ep' 't fr. 80
IX. Sa.in!të~É);i8aë'pth:'ti'eH.ongri.e, par Cabbë SAUBiN.
i.'fr.~eOf; !ia.
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X.. Une Mr~ion~.eM~ÉtM.ô~te," .tt:P. Ai.F~Eb;'de~aMnige.
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~3B~eM~UT'B;UX~ ~pfir' le"
~d~(~§ey.~M-î~~i~B~Bp. ~t. fr~'80

~'<a:~ntp. galette "d:e..Corbié'p:ariA~


~a~'2-~âncs.&~cu~ .0:
~îï.à,B{e~heuif'ë<.tse~;sanne'Mt).riede M:t!H&jaar;
'ÊQPOt.B de f;ti.ér.attce. lH-t~S franc& fi-an.f- ~h'4-~
S~~H~:iSatn.t~A!'9toir)e~ dt'' Padbue, d'après tc!j dpC'ni.M'its.
Fin d'une série de documents
en couieur
J(.À1.INE
S~NE DE PADOUE
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

Saint François d'Assise. In-8° illustré


(Plon) 4
In-t2(PoussieIgue). 230
Saint Antoine de Padoue. In-i2 (Pous-
sielgue) i5o
Sainte Marguerite de Cortone. In -8°
illustré (Plon) io
In-i2(PoussieIgue). i~5
»

Saint Bonaventure. In-i2 (Poussielgue).. i 5o


Sainte Claire d'Assise.- In-ia (Poussielgue). i 5o
(Poussielgue).
Saint Léonard de Port-Maurice. In-i2
i5o
(Siraudeau).
Les Proscrits d'Angers. In-8" illustré

In-8°.
Bienheureuse Jeanne-Marie de Maillé.
In-i2(Poussielgue).
sielgue).
Jeanne d'Arc et la France. In-i2 (Pous-
i

2
3

020
«
»
Sa~nt Antoine
P. LÉOPOLD
e**<
DE/CHÉt~
*Mtt )*
de Padoue
d'après les documents primitifs

PARIS 1 COUVIN
V~ CH. POUSSIELGUE MAISON SAINT-ROCH
l5 RUE CASSETTE, VI* BELGIQUE
1906
Cttw licentia superiorum.

Droits de reproduction et de traduction réserves.


APPROBATION

ÉVÊCHÉ
D'ANGERS

A~efs, juin j~o6.

MON CHER ET RÉVÉREND PÈRE,

Elle est merveilleuse l'histoire du thaumaturge,


du moine idéal, de l'ange de pureté, de l'apôtre
infatigable, émule du Séraphin d'Assise, qui sema
sa parole, ses exemples et ses miracles en Portugal,
en Italie et en France, et qui, depuis son entrée
dans la gloire, n'a pas cessé de multiplier sur tous
les points du globe ses grâces et ses bienfaits.
Les cités et les nations l'acclament comme leur
protecteur; toutes les églises, les plus riches comme
les plus modestes, possèdent son image; et devant
elle la prière monte confiante et exaucée.
Votre Saint Antoine de Padoue d'après les ofbcM-
ments primitifs sera donc bien accueilli. La piété
dévorera ces pages où la foi et le surnaturel trans-
paraissent perpétuellement, où les plus opportunes
leçons se mêlent harmonieusement à la trame de
vos récits sans en diminuer le charme. La critique
d'ailleurs n'aura rien à redire vous remontez aux
sources primitives vous les indiquez dix années
de recherches persévérantes vous ont permis d'éta-
blir vos affirmations sur les seuls documents au-
thentiques. On lira avec un intérêt particulier les
chapitres sur l'hérésie albigeoise et sur l'apostolat
du Saint dans le Velay, le Berry et le Limousin.
Bien volontiers je bénis donc le livre et son
auteur, en offrant à celui-ci la nouvelle expression
de mon affectueux dévouement en N.-S.
f JOSEPH,
Évêque d'Amers.
J~Ë~~C~

Au cours du xix* siècle, selon la réflexion d'MM


des plus profonds penseurs de nos jours, a. l'acqui-
sition d'un sens nouveau, celui de la diversité des
époques, <; trunsformé l'histoire en un art dont la
grande ambition, rivalisant pour ainsi dire avec
celle de la peinture même, a été de nous rendre ce
qu'on pourrait appeler la couleur e~ la physio-
nomie du temps (i)
D'un mot, en rendant hommage au siècle qui
vient de s'écouler, Brunetière dessine le véritable
f~~e de l'histoire. Elle est un art en même temps
qu'une science; à ce titre elle a son idéal, qui est
de nous représenter au ut/' les idées et les MiceMrs~
les lois et les coutumes du passé. Ces pensées de
l'éminent écrivain nous ont guidé dans les pa~ës
nouvelles que nous consacrons à la gloire de saint
Antoine de Padoue, notre frère en religion et notre
modèle.
Un premier travail sur le même sujet n'était
qu'une ébauche hdtive et sur plusieurs points
inexacte. L'honneur 6< la justice nous faisaient un

t. BRUNETIÈRE, Un Siècle, p. 58S (Oudin, éditeur).


devoir de le retoucher et de restituer à notre héros
sa physionomie originale; et c'est ce que nous
avons <e7t~ en nous aidant des lumières de la cri-
M<yue mode?'Me, des documents inédits récemment
remis en lumière et de l'excellente étude de Léon
de Kerval sur la bibliographie et les controverses
antoniennes (i).
Disons un mot des sources CM nous avons puisé
nos renseignements, et de leur caractère spéci-
fique.
1.
LES SO!7~C~6'
i. Legenda prima En tête des documents anto-
niens se place un ouvrage anonyme que nous
distinguerons dans le cor ps du volume sous le titre
de Légende primitive. C'est la source la plus
antique et la moins contestable. Le texte, tiré des
manuscrits 206 et 293
du monastère d'Alcobaza, a
été intégralement publié pour la première fois en
T~~ par les Monumenta Portugalliae historica
(t. 7, Lisbonne, p. 7/6-o). Le P. Hilaire de
Paris nous en a donné une autre édition en ~~po
(Montreuil-sur-Mer), d'après un manuscrit de
Lucerne qui porte la date de 7~7; de même le
P. Josa eït jS~ (Bologne), d'après le manuscrit 74
de là Bibliothèque antonienne de Padoue version
remaniée ça et là et que le docteur ~e?Kpp a très
justement apprécie, t Avec ses corrections et ses
additions, remarque-t-il, elie nous représente la
physionomie du Saint telle qu'elle était comprise
i. S. Antonii de Padua VttcB ~MeB (Fischbacher, 1904).
Ce volume renferme 1° une édition critique de la
légende primitive 2° la Légende Benignitas; 3° J'énumé-
ration des sources de l'histoire antonienne. Nous le
citerons plus d'une fois.
chez les Frères-Mineurs de Padoue, dans le dernier
quart du xin" siècle. » Enfin, en Tpo~ Léon de
Kerval a publié une édition critique de la même
Légende.
La Bibliothèque nationale de Paris (ms. 14.363,
fol. /7~6) et le British Museum (Cleop. B. n~
f. 156-186) nous fournissent un texte conforme à
celui de Lisbonne et de Lucerne. On peut donc le
considérer comme authentique.
Pour l'indication des chapitres, nous suivrons
la division adoptée par les manuscrits de Lisbonne
et de Lucerne.
Rédigée sur les instances des Frères, et peut-être
par ordre de Grégoire IX, cette Légende fut
composée, selon l'opinion deM, de Mandach (i),peu
après le 3o mai 7~~ probablement avant
sûrement avant ~$'.
L'auteur n'a pas signe son œM~re; nous apprend
seulement qu'il était Frère-Mineur (2). Très pro-
bablement il écrivit ett Italie; et les détails précis,
minutieux même, qu'i t~OMS donne sur Padoue,
laissent supposer qu'il résida dans cette ville. Il
n'en présente pas moins tous les caractères dési-
rables de compétence et de véracité. Il prend soin
lui-même, du reste, de nous indiquer ses di~ere~tes
sources d'informations notamment, pour ce qui
concerne la jeunesse du Saint, < t'e~eo'Me de Lis-
bonne, Soeiro Vteo'as 77 (3) t, et pour le reste « soit
les Frères-Mineurs,soit d'autres personnagesdignes
de foi ». Il se propose de raconter t succinctement n
la vie et les miracles du thaumaturge. Succinc-
i. S. Antoine de Padoue et l'Art italien, p. i.
2. Actus. fratris nostri Antonii (Prolog.).
3. Soeiro II occupa le siège de Lisbonne de :ato à 123!.
Mort le 39 janvier i23a, d'après le P. H. DeniÛe.
tementl il n'y réussit que trop, et c'est avec douleur
que nous constatons les lacunes de son livre. Ainsi
il ne dit pas un mot du séjour de saint Antoine en
France, ni des villes d'Italie qu'il évangélisa avant
d'arriver à Padoue, sau f Rimini. Néanmoins et
malgré ses défauts, sa biographie demeure la pièce
fondamentale de l'histoire antonienne.
2. Legenda secunda, am~rteMre à 1249. Les
Bollandistes ont publié, au jf~ juin, une autre
Légende sous la rubrique suivante Vita auctore
anonymo valde antiquo. La Bibliothèque nationale
de Paris possède un exemplaire de cette Légende
(codex ~.B~S) de même la bibliothèque de Bruxelles
(cod. ~5). Nous la désignerons sous le titre de
Legenda secunda.
Jourdain de Giano, Barthélemy de Pise et
Glassberger nousapprennent que le Fr. Julien de
Spire, ancien maître de chapelle de saint Louis,
composa une légende du thaumaturge et les leçons
de son office. Le R. P. Ferdinand d'Araules pense
que nous sommes précisément en présence de la
légende dont parlent ces chroniqueurs (i) opinion
qui a pour elle de sëWeMses probabilités.
Quant à l'ouvrage en lui-même, il n'est qu'un
remaniement en style plus élégant de la Legenda
prima, sauf qu'il y ajoute l'épisode du Chapitre
d'Arles.
3, Dialogus de Vitis sanctorum Fratrum Mi-
norum. Notice récemment retrouvée et éditée en
~p~ par le R. P. Lemmens, Frère-Mineur, Au point
de vue biographique, elle ne nous apporte aucune
contributionnouvelle sur les problèmes antoniens,
e~ se borne à résumer la Legenda prima.

I. Chronique de JEAN RIGAUD, p. xv (Bordeaux, 1899)


4. Legenda altera. Légende éditée en 7~~ par le
P. Josa, d'après le manuscrit 74 de Padoue;
i~sërëe, sans nom d'auteur, à la suite de la Legenda
prima (Padoue 7~~)..Écr~e dans un style obscur
e< tourmenté, elle n'articule aucun fait nouveau.
Le P. Ferdinand d'Araules, se basant sur une
allusion de Jean Rigaud, en attribue la paternité
au Fr. Pierre-Raymond de Saint-Romain, un des
historiens nommément désignés par Rodolphe de
Tossignano (i).
5. JeanRigaud.~M~M,MOMS<:rW~o?tsd à la légende
de Jean Rigaud, récemment et si opportunément
decouverte à la Bibliothèque de Bordeaux (manus-
crit ~70) par le R. P. Ferdinand d'Araules. Elle va
nous dédommager de la sécheresse et des lacunes
des biographies precédentes.
~'ëre-AfitteM?'~ nati f du diocèse de Limoges, Jean
Rigaud fut successivement, au rapport de Bernard
Guy (2), pénitencier du Saint-Siège, puis évêque
de Tréguier, de 7~77 à 7~. A titre d'TtM~ortCM,
etppar~e?~ encore au xm" siècle. Il ne cache point
son dessein, qui est de nous donner MMe vie mieux
ordonnee, d'arracher à l'oubli certaines anecdotes
qui méritaient d'être relevées, de s'attacher tout
particulièrement aux pas du thaumaturge dans
ses pérégrinations à travers la France; et pour. y
parvenir, il emploie une méthode rigoureusement
i. Parmi les biographes de saint Antoine, il faut
compter Jean Peckam, archevêque de Cantorbéry
Frère Jean de Crémone, ministre de la Province de
S. Antoine Frère Mathieu Pedelarius, lecteur de la
Province de Bologne;Frère Raymond, lecteur à Padoue »
(Ristor. seraphic., L I, p. 83). V. Jean Rigaud, par le
P. FERDINAND D'ARAULES, p. XX.
a. Speculum sanctorale (Paris, Bib). nat., n. 35.407,
!.a.i07).
scienti fique qu'on croirait empruntée à nos
modernes. Il prend soin d'interroger les derniers
survivants des scènes antoniennes et de cott~ro~er
leurs dépositions. « Ils étaient encore nombreux,
dit-il, quand je suis entré dans l'Ordre. On doit
recevoir leur ~mo~Ma~e; car ils ne font que
rapporter ce qu'ils ont vu ou entendu (c. vin). »
Son œM~re est celle d'un contemporain aussi cons-
ciencieux qu'éclairé; et l'onne saurait trop/cHc~er
celui qui nous l'a révélée du service éminent qu'il
a rendu aux lettres chrétiennes.
Plaise au ciel que le xxe siècle nous restitue encore
beaucoup de trésors e?t/oMM, et entre autres la vie
du Saint par Jean Pec&am, qui a échappé jus-
qu'ici à toutes nos investigations!
6. Manuscrit de Florence. Biographie anonyme
éditée en 7po~ par le R. Lemmens, dans la
Romische Quartalschrift, d'après un manuscrit de
la Bibliothèque Laurentienne de Florence. Elle
appartient probablement au xiY° siècle. C'est un
abrégé de la Legenda secunda, avec l'intercalation
de plusieurs traits, dont voici les principaux: « Le
discours aM~poissOMS. Une bi location. Le vin
mtracMfeM.r. Le ca?Mr de ~'MSMrMr. C"es< une
des sources du Liber miraculorum.
7. Barthélémy de Trente. Epilogus, court éloge
décerné par l'illustre DoTKtM.tcaiM (xin" siècle) à
saint Antoine, « que j'aiconnu, affirme-t-il, et que'
j'ai contemplé de mes propres yeux (t) ».
8. Vincent de Beauvais autre Dominicain, mort
en 1264. Sa notice (Speculum historiale, L. XII,
c. 131-135) n'est qu'un extrait de la Legenda
secunda.

Vitx dueB, p. 349.


g. Rolandino (i). Rolandino est un témoin de
premier ordre. Né à Padoue vers l'an 7.200, notaire
dar.s sa ville natale, il avait une trentaine d'années
quand saint Antoine vint évangéliser la Marche de
Trévise. C'est un contemporain doublé d'un lettré.
7~! commença vers 7~60 la rédaction de ses éphémé-
rides, put les lire, deux ans après, devant une
académie de savants et mourut e?!r.2~. Son
~?not~H.a~e fait autorité pour ce qui concerne
l'Italie, comme celui de Jean Rigaud pour ce qui
touche à la France.
Fermons cette MOMieMc~a~M?'~ déjà longue, par la
simple énumération soit des ouvrages postérieurs,
soit des auteurs qui n'ont traité qu'incidemntent
de la vie de notre héros au xiii" siècle, Thomas
de Célano (2) et saint Bonaventure (épisode du Cha-
pitre d'Arles) Eccleston (la dispute avec le Frère
Élie) Salimbéné (délivrance de Padoue et trans-
lation de 7~) l'o f fice liturgique, eeunT-c de Julien
de Spire, et la bulle de canonisation au
xive siècle, les additions du manuscrit de Lucerne;
la légende Benignitas (3), véritable wosetïq'Me com-
posée de ma~ëp'taM-E de valeur diverse le Liber
miraculorum, écrit après 7~7 et inséré dans la
Chronique des vingt-quatre Généraux, compilation
anonyme reM/e~an~ soixante-cinq épisodes, em-
p~utttës aux ~ë~e~daiT'es antérieurs e< dont quel-
ques-uns sont reproduits textuellement, quelques
Apud MuRATORt, .RefMm ttcf~t'earMm scripores,
t. VIH, p. i55.
2. Edition L. Amoni; l'édition critique du P. Edouard
d'Alençon nous est parvenue trop tard.
3. Manuscrit Rosenthal, devenu la propriété de la
Faculté de théologie protestante de Paris (Vite dtMB,
p. 15g). Cette légende a été utilisée par SURIUS dans sa
Vie des Saints.
autres résumés, &gaMcoMp singulièrement ampli-
fiés, en vue de les rendre plus merveilleux; Bar-
<h.ë~mT/ de Pise (i), hagiographe consciencieux,
mais quelquefois trop prompt à enregistrer tout ce
g'Mt se disait autour de lui; la notice de Paulin
de Pouzzoles, laquelle n'est qu'un pâle abrégé de
la Legenda prima (2); les Fioretti (sermon de Rome
et discours aux poissons); plusieurs panégyriques
du Saint par Eudes de Châteauroux (~3) au
xve siècle, Sicco Polentone, citoyen de Padoue et
littérateur de renom (4) saint Antonin (Summa
historialis, tit. ~Jïl~); le dit de la vie de saint An-
toine de Pade (5), traduction en vers français, cu-
rieuse légende anonyme, pub Hëe poitr la prewtëre
fois par le P. Uhald d'Alençon (Paris, Picard)
CM xvm'' SMC~ <'t<6[He~ ~L~~o~Mtdtet respag'MO~
Azévédo, qui ont entrepris l'un e~ l'autre, mais trop
<ard~ d'établir un peu d'ordre dans la chronologie
antonienne,

II. CARACTÈRE SPÉCIFIQUE


DE NOS DOCUMENTS
Les sources antoniennesproprement dites appar-
tiennent au xme siècle, à cette epoque médiévale
amie du symbole e~ du merveilleux; et comme l'on
doit s'y attendre, elles ont les qualités et les
défauts de leur temps. Muettes sur la famille,
l'enfance et les péregrinations du Saint, parci-

Liber Con/brmttcttMMt,commencé en i385.


2. Historia a& origine mM~dt, Extrait publié dans les
Analecta Capuccinorum
-4)t<~ecta Cct~M.cctnorutn (1901).
(IgüI).
3. -Ana.!eetet CatpMcetMOfMMt(igoa).
4. Apud H.OROY, t. VI, p. 470-494.
5. BiM. nat., ma. franç. 5.o36, fol. 117 recto à ia5 recto.
monieuses de détails psychologiques, de ces anec-
dotes typiques qui font le charme d'une vie,
elles enregistrent avec une complaisance marquée
les prodiges les plus variés, les plus extraordi-
naires. Mais avec l'idée mystique, domine le souci
du vrai, et cette pensée nous rassure.
Nos préférences vont naturellement aux écrivains
de la première heure. Anonymes ou non, ils pren-
dront tour à tour la parole dans ce volume, et le
récit des uns complété par celui des autres formera
la trame de notre ouvrage. Nous n'aurons eu d'autre
mérite que de l'encadrer dans la peinture des
ene~etMeM~scontemporains et de chercher conscien-
cieusement la solution des problèmes soulevés par
les réticences des pr emiers biographes.
Outre le merveilleux dont elle est remplie, la vie
de saint Antoine offre un autre attrait elle se
rattache aux origines dMM grand Ordre, aux
mep'fet~es opérées par le Patriarche d'Assise; et
nous aimons tout ce qui commence, le 6oM<bït de rose
à peine ouvert, les premiers feux de l'aurore, les
sacrifices héroïques d'une institution monastique
qui se fonde.
De plus, le Bienheureux réapparaît de la façon
la plus opportune parmi nous, comme Mn apôtre
pour combattre les erreurs de l'athéisme moderne,
comme un secours au milieu des calamités qui
nous étreignent, comme une espérance pour la
restauration du règne de Dieu.
P. LÉOPOLD DE CHERANCÉ,
Miss.

Paris, 8 mai 1906.


Saint Antoine de Padoue

CHAPITRE PREMIER
RADIEUSE ENFANCE

Saint François d'Assise, ce grand initiateur


monastique du moyen âge, a laissé une posté-
rité plus nombreuse que les étoiles du firma-
ment, une famille spirituelle qui s'attache à
reproduire ses vertus et continue, à travers les
âges, une mission toujours identique, populaire,
pacifique et civilisatrice au premier chef. II
nous apparaît, dans l'histoire, entouré d'Ui:
pléiade de grands hommes et de saints qui lui
font cortège sans l'éclipser. Mais, de tous ses
fils, celui qui a le plus hérité de son zèle aposto-
lique comme de sa douceur, est l'aimable Saint
dom Montalembert a dit A peine le Séra-
phin d'Assise a-t-il été prendre son rang devant
le trône de Dieu, que sa place dans la vénéra-
tion et l'enthousiasme des peuples est occupée
par celui que tous proclamaientson premier-né,
saint Antoine de Padoue, célèbre comme son
père spirituel par cet empire sur la nature qui
lui valut le surnom de thaumaturge (i).
»
i..Htstotre de sainte Élisabeth de Hongrie, Introduc-
tion, p. 73.
i
Saint Antoine de Padoue; le contemporain
et l'émule du patriarche des pauvres, la perle
de l'Ordre séraphique, telle est la belle et ravis-
sante figure que nous voulons dessiner dans
ces pages.
Padoue eut l'honneur de l'enfanter à la vie
de l'éternité, mais non à la vie du temps. C'est
loin de là, sous un ciel non moins fortuné, en
face de l'Océan, dans un royaume de forma-
tion alors toute récente, le Portugal, qu'il vint
au monde, sur le déclin du xu" siècle.
Les climats et les milieux ont leurs influences.
Aussi nous semble-t-il nécessaire, pour expli-
quer la trempe de caractère de notre Bienh&Nt-
reux et faire connaître le point de départ d'une
existence toute merveilleuse d'un bout à l'autre~
de dire un mot de la situation politique du pays
oè s'écoulèrent ses premières années.
Il est peu d'histoires aussi tourmentées que
celle du Portugal. Tour à tour ravagé par les
'Vandales, les Suèves, les Alains, lesVisigoths,
il était tMmhé au vin" siècle au pouvoir des
Arabes et avait gémi pendant quatre siècles
sous leur domination. Enfin vint un chevalier
de race franque, Henri de Bourgogne, allié aux
rois de France et neveu d'Henri I' qui aida les
souverains d'Espagne à refouler les hordes
BMîsulmanes au dielà des mers- Admirateur et
émule du Cid, il livra aux Almohades dix-sept
batailles qui furent pMNT lui autant de victoires,
et mourut, couvert de lauriers, au siège d'As-
torga (1112). Son fils, Alphonse 1er, acheva
F œuvre de la libération, abattit l'empire mau-
resque dans les champs de Castro-Verde, fut
acclamé roi par ses troupes et fit hommage de
ses États au pape Innocent II, qui lui confirma
le titre et les droits de souverain, malgré les
réclamations de l'Espagne (1142). II ne laissait
aux sectateurs du Prophète que la pointe de la
péninsule ibérique, la province des Algarves. Il
effaça peu à peu, par une administration aussi
ferme que sage, les traces d'une invasion à
jamais abhorrée, remplaça les mosquées par
des églises et, pour perpétuer le souvenir d'une
délivrante inespérée, fit bâtir plusieurs monas-
tères, entr'autres celui de Sainte-Croix de
Coïmbre (n34) et sa filiale, Saint-Vincent de
Lisbonne (1147), qu'occupèrent les chanoines
réguliers de Saint-Augustin (i).
Coïmbre était la résidence de la cour. Une
autre ville, <: la reine des mers » comme l'ap-
pellent ses habitants, Lisbonne, cité antique,
gracieusement assise sur la rive droite du Tage,
port de mer où commençaient à affluer les
richesses de l'Orient et de l'Occident, s'apprê-
tait à lui ravir son titre de capitale du royaume.
Le peuple avait le génie des conquêtes ce petit
royaume était déjà florissant, et une fois affermi
dans son indépendance, il allait lancer sur toutes
les mers ses flottes ombragées par la croix.
Ainsi le Portugal est né d'un acte de foi sur
un champ de bataille ainsi il grandit sous

i. DE LA CLÈDE, Hist. génér. du .Porttfg~, 1828.


l'auguste protection du Pontife romain, dont il
se déclare hautement le tributaire et le vassal.
Nation nère, jeune et pleine de vie, dontl'éter-
.nel honneur, selon le mot de Léon XIII, est de
s'être constamment laissé guider par une politi-
que profondément chrétienne et d'avoir tou-
jours eu pour mobile principal, dans ses expé-
ditions lointaines, l'extension du règne de
l'Évangile parmi les infidèles (1) Toutes les
qualités de la race vont resplendir au front d'un
héros, qui est la plus noble et la plus haute per-
sonnification de l'âme de sa pstrie. Ce héros,
nous l'avons nommé. C'est lui qui nous occupe
d'un bout à l'autre de cet ouvrage; il est temps
de le faire connaître.
Il naquit à Lisbonne, en no5 (2), de parents,
dont les chroniques contemporaines parlent
avec beaucoup d'éloges, mais sans jamais les
désigner par leur nom. <: Ils appartenaient à la
classe des nobles et des puissants », atteste le
padovanais Rolandino (3). t C'étaient des per-
sonnages vénérables ajoute l'auteur anonyme
de la Legenda secunda (4); « justes devant le

I. Encyclique Pergrata mo&:s, adressée aux évêques


du Portugal (14 septembre 1886).
2. Date généralement adoptée par les biographes. Les
documents anciens ne parlent ni du jour ni de l'année,
et le souci de la vérité nous force d'écarter les hypo-
thèses fantaisistes d'Azévédo et d'Angelico de Vicence
(xvn!° siècle), qui nxent la naissance du thaumaturge,
l'un au !5 août, i'autre au mois de janvier.
3. De genere nobilium et potentium apud MURA-
TORI (Rerum ital. script., t. VIII, p. 202).
4. <. Venerabiles parentes. ~e~enda secunda, c. i.)
Seigneur et scrupuleux observateurs de ses
commandements (i) déclare de son côté l'ha-
giographe limousin Jean Rigaud.
Là s'arrêtent les documents de la première
heure, du moins ceux que nous connaissons
aujourd'hui, et le lecteur peut constater avec
nous combien les premiers historiens se préoc-
cupent peu de répondre à nos interrogations
sur les ascendants et le nom patronymique du
Saint. Les écrivains des âges postérieurs ont
tenté de combler cette lacune; et c'est à ce sen-
timent qu'a obéi l'auteur d'une légende anonyme
du xiv" siècle récemment découverte, la légende
Benignitas, où nous lisons Le père du
Bienheureux, chevalier du roi Alphonse (II), se
nommait Martin, et sa mère, dona Maria, issus
l'un et l'autre de familles nobles (2). Dans l'im-
possibilité où nous sommes de contrôler ces
détails mentionnés pour la première fois par
l'ouvrage en question, nous ne pouvons les
accepter que sous bénéfice d'inventaire
On remarquera que nulle part, jusque-là, il
n'est fait la moindre allusion à Godefroy de
Bouillon, ni à la maison de Lorraine. C'est
Marc de Lisbonne, en effet, évêque de Porto et
chroniqueur du xvi" siècle~, qui lepremier, parmi
les hagiographes, alancé l'affirmation suivante,

Le mot légende se prend ici au sens qu'il avait au moyen


àge récit à faire en public (chœur ou salle capitulaire).
l. Justi ante Deum. (J.
RIGAUD, c. l.)
2. « Patre Martino, Alphonsi milite. (Lëg..BeMt~nttas,
apud S. A ntonii Vt'fa* difœ, p. 207.)
sans nous dire à quelles sources il en avait
puisé les éléments. <t Le père du Bienheureux
s'appelait Martin de Bouillon, et sa mère,
Thérèse Tavéra, tous deux de lignées antiques,
tous deux recommandables pour l'éminence de
leurs vertus (i). » Assertion vite enregistrée et
développée avec plus de complaisance que de
critique par Michel Pachéco (2) et par Emma-
nuel Azëvëdo (3), qui assignent pour chef, à
cette branche des Bouillon, un des chevaliers
francs accourus, lors de la seconde croisade, au
secours d'Alphonse P'' et présents à la bataille
deZalaka (~). A leur suite, la plupart des histo-
n.ens français avaient embrassé de confiance
une opinion si flatteuse pour notre amour-
propre national mais aujourd'hui, en l'absence
de tout fondement sérieux, la critique, une cri-
tique impartiale et sévère, la relègue parmi les
inventions postérieures à la Renaissance. Ce
serait, du reste, se méprendre étrangement sur
le caractère des saints que de chercher à les
grandir, en leur dressant des généalogies pure-
ment fantaisistes. Leur mérite intrinsèque se
puise ailleurs et plus haut ils n'ont besoin que

i. Chronique, 1. IV. Cet ouvrage, du moins en ce


qui concerne la première partie, parut en t556.
2. Epitome de la Vida de S. Ant.: Madrid, 16~7.
3. Vita del taumaturgo portoghese Bologne, 1790.
«
Interfu~runt huic prceuo. me~Kt .P't'ttMCt. Phrase
citée par Carlos das N.eves (0 t~cMmeftMrys,t. 1, c. i), et
empruntée à la Chronique des Goths, le plus ancien
document qui parle de l'a.nranchissement de l'Espagne,
asservie par les Maures.
de la vérité, et voilà pourquoi no~s avons hâte
de retourner aux documents contemporains,
les plus aptes, sinon les seuls, à nous ren-
seigner d'une manière certaine sur la famille du
héros portugais.
La légende primitive se borne à nous peindre
d'un mot la haute situation qu'occupaient ses
parents. Ils habitaient, nous dit-elle, un
somptueux palais, proche de la cathédrale de
Lisbonne (i). Elle se tait absolument sur leur
nom, leurs origines et leurs illustrations ances-
trales. C'est qu'aux yeux de l'auteur anonyme
qui l'a composée, homme de grand sens, après
tout, leur gloire la plus pure ne leur vient pas
de leurs aïeux, mais de leur fils, cette fleur de
la chevalerie monastique, comme Godefroy de
Bouillon est la fleur de la chevalerie militaire.
Un autre biographe, Jean Rigaud, insinue en
passant qu'ils n'étaient pas indignes de cette
gloire. On reconnaît les parents à leur posté-
rité, remarqne-t-il,comme on connaît l'arbre à
ses fruits, la plante à sa racine (a). » L'éloge est
suggestif dans son laconisme, et il nous permet
d'accepter plus facilement les conclusions des
écrivainspostérieurs,Marc de Lisbonne, Surius,
Wadding, lorqu'ils nous dépeignent la physio-
nomie des deux époux don Martin comme un
vaillant chevalier, alliant le courage des preux
et la foi des croisés à la noblesse du sang; et
dona Maria comme une femme de caractère,
Legenda prima, p. I, c. I.
2. JEAN RIGAUD, C. t.
joignant aux charmes de la jeunesse et aux
grâces de l'esprit ces qualités morales qui sont
l'arome et la joie des foyers, un cœur généreux,
une âme ouverte à tous les dévouements, une
piété tendre et sincère.
Oh l'heureux couple Oh les heureux
époux (i) répéterons-nous avec les chroni-
ques médiévales. Heureux, parce que le ciel les
avait choisis pour être les instruments de ses
miséricordieux desseins sur le xin" siècle heu-
reux surtout, parce qu'ils se sentaient assez de
courage pour remplir leur mission.
Tous deux étaient rayonnants de jeunesse,
tous deux pleins de confiance dans l'avenir.
Le ciel bénit leur union, dont notre Bienheu-
reux fut le premier fruit. C'est du moins ce qui
ressort des textes comparés de la légende primi-
tive et de la biographie de Jean Rigaud. Ses
parents étaient à la fleur de l'âge x, lisons-nous
dans la première. « Ils n'avaient pas encore
eu de fils ajoute la seconde (2). Notre Saint
fut donc au moins l'aîné des fils.
Le nouveau-né fut porté en grande pompe sur
les fonts sacrés de la cathédrale (3), où il reçut

i. «
Felices progenitores. (Legenda prima, p. I, c. i.)
2. ln primo juventutis Bore. (Legenda prima, loc.
cit.) Quia non erat eis filius. (J. RIGAUD.)
3. Ce baptistère est intégralement conservé, et l'on a
gravé dessus le quatrain suivant
His sacris lustratus aquis, 7c~ fut
Ici ~ttt baptisé
&op<tse
~?ttO)MMSO'r&em Scct~t~o~e~cet astre &~t~eï~~
Luce beat, Paduam corpore, (j~oM'e de ~cï~oue~
Mente po~Mtm. .Lu~te~e de ~'M~~e?'s.
le nom de Fernando. Enfant de bénédiction,
mais sans aucun de ces présages ni de ces pro-
diges qu'on remarque dans la vie des saint
Basile, des saint Dominique, des saint Fran-
çois. Les abeilles ne déposèrent pas leur miel
sur ses lèvres sa mère ne fut pas troublée par
des songes l'aile des chérubins n'effleura pas
son berceau. Seulement, dans la famille, l'allé-
gresse était débordande; gentilshommes et
bourgeois s'associaient à une joie si légitime, et
la demeure du preux < chevalier d'Alphonse D II
retentissait de vœux qui pouvaient paraître
hyperboliques et que la réalité devait pourtant
dépasser.
Bientôt, s'il faut en croire certains légen-
daires de basse époque, le foyer s'agrandit de
trois autres berceaux, un frère et deux sœurs
Pedro, Maria et Féliciana (i). Nous nous bor-
nons à transcrire ces détails dont la justifica-
tion nous échappe; etpoursuivant notre marche,
nous allons pénétrer dans l'intérieur de la mai-
son prédestinée qui nous attire, pour essayer
d'y surprendre le mode d'éducation qu'em-
ployèrent les parents du Bienheureux.

i. Additions du manuscrit 74 de Padoue ("VttcB dtteB,


p. l33) Légende du Manuscrit de Florence (ibid.,
p. l35) et jLt6er mtracM~orMm~.Actct Sctttctofum, i3 juin,
n. 41). Plus loin, nous verrons le jeune Fernando
renoncer à''héritage paternel. Cette renonciation insinue
pour le moins qu'il n'était pas fils unique. Deux siècles
plus tard, le pape Eugène IV affirmera dans sa bulle
Sedes apostolica, du 24 janvier 1~33, que les parents de
saint Antoine sont encore nombreux de son temps.
On aime à se figurer dona Maria accomplis-
sant en chrétienne les obligations de sa tâche
maternelle, façonnant peu à peu son fils à cette
droiture de caractère et à cette estime des
grandes choses qui étaient alors considérées
comme le plus bel apanage de la noblesse
ouvrant son intelligence à tout ce qui est beau,
récompensée dans ses efforts et souriant avec
bonheur à l'éclosion d'un talent qui, plus tard,
étonnera l'Europe entière. Au fait, dans cette
formation première qui est l'œuvre et aussi le
mérite de la mère, tout nous échappe, sauf une
note prédominante, et combien harmonieuse,
dont les Frères-Mineurs nous renvoient l'écho
lointain c'est la dévotion à la Vierge imma-
culée, cette dévotion innée dans le cœur de tout
catholique, mais plus intense chez les saints.
Le culte de la Reine du ciel, éclos au doux
sourire de dona Maria, éclate en effet du ber-
ceau à la tombe, à travers les différentes phases
de l'existence de notre Bienheureux. < L'au-
guste Mère de Dieu a veillé sur ses premiers
pas dans la vertu, nous dit Jean Rigaud; et, tout
le long de ses jours, elle étend sur lui sa main
bénissante. Et lui s'éprend de bonne heure,
pour son aimable protectrice, <: d'une filiale
tendresse et d'une confiance qui ne se démenti-
ront pas (i).
Enfant, il grandit à l'ombre d'un des sanc-
tuaires privilégiés de Marie, la basilique de
t. « Primorum dierum suorum erudriticem, in suo pro-
gressuadjutricem..(J. RMACD, c. I.) Cf. c. vu.
Notre-Dame (i), où il a été baptisé. Religieux,
il prend la Reine des anges pour sa protectrice
spéciale. Apôtre, il sera le chantre de ses gran-
deurs, l'intrépide défenseur de ses privilèges,
et tiendra à redire que tout ce qu'il a, il le tient
des mains de Marie.
Tout des mains de Marie Cette pensée trouve
sa traduction dans une des statues, la plus
ravissante peut-être,de la basilique patriarcale.
Le Saint y est représenté en habit de clerc, sou-
tanelle rouge et cotta plissée, aux pieds d'une
majestueuse image de la Re'ne des anges, à
laquelle il semble dire C'est à vous, aimable
Souveraine, que je dois tout, ma vocation,
l'auréole de l'apostolat et ma couronne du
ciel
Radieux de grâce et d'innocence, prévenu des
bénédictions du ciel, nature vive, intelligence
précoce, imaginationardente, vers l'âge de huit
à neuf ans, Fernando faisait déjà pressentir ce
qu'il serait un jour. Ses parents, heureux et
fiers, n'eurent garde de laisser en friche un sol
si riche et si fécond.
A cette époque, les monastères et les églises
ne manquaient jamais d'ouvrir des écoles où
les grandes familles envoyaient de préférence
leurs enfants. L'église patriarcale de Lisbonne
possédait un de ces établissements d'instruc-
tion dirigés par des ecclésiastiques, où les
Cette basilique,qui sert aujourd'hui d'église patriar-
cale (ou cathédrale), est dédiée à la sainte Vierge sous
le vocable de l'Assomption.
exercices de piété s'alliaient à l'étude des lettres.
Fernandyfutenvoyé(i).
Quelle était alors la matière de l'enseignement
donné à la jeunesseportugaise ? Les chroniques
médiévales n'y font aucune allusion mais
nous ne croyons pas dépasser les limites de la
vraisemblance, en avançant que l'école épisco-
pale de Lisbonne était fondée sur le même type
que celle des pays voisins, et qu'en Portugal,
comme en France et en Angleterre, le pro-
gramme comprenait la grammaire, la rhéto-
rique, la dialectique et le plain-chant (2).
Pendant un laps de temps que les légendes
primitives ne déterminentpas, l'enfant prédes-
tiné suivit assidûment les cours de cette maî-
trise. Alerte et vif, comme on l'est à cet âge,
gracieux sous le costume des clercs, heureux
lui-même de mêler sa voix fraîche et pure à
celle de ses condisciples, plus heureux encore
de servir le prêtre au sacrifice auguste de nos
autels, il étonnait tout le monde par l'harmo-
nique et précoce développement de toutes ses
facultés.
Mais l'homme est un être libre et il faut pour
que sa liberté s'affirme, qu'elle soit soumise à
l'épreuve. Nul n'échappe à cette loi de la Pro-
vidence, le fils de don Martin pas plus que les
autres. C'est vers la fin de sa vie écolière qu'il
fut aux prises, selon Surius, avec la tentation
i. Legenda prima, c. t.
2. Voir Saint Antoine de Padoue, par M. l'abbé LE-
PITRE, C. Il.
délicate qui est l'écueil de la jeunesse. « Il eut à
subir, nous dit l'austère hagiographe, les solli-
citations importunes d'une servante légère il
résista victorieusement(i).
La version de Surius, empruntée à des docu-
ments très antiques, mais que malheureuse-
ment il ne désigne pas, a pour elle, sinon la
certitude, au moins toutes les probalités. A
l'âge où s'éveillent les passions, une tentation
se dresse devant le doux adolescent, inattendue
et sous les formes les plus capables d'entraîner
un cœur sensible dans les voies de la volupté. La
lutte qu'elle provoque, les violentes émotions
qu'elle soulève, marquent la première étape de
sa carrière et décident de l'orientation de sa
marche. Aux clartés de ce duel entre le bien et
le mal, il a mieux compris le but final du ter-
restre pèlerinage, la nécessité d'y tendre, les
périls de la route; il a sondé du regard les bas-

Nequaquam cessit petulantisancillœ pravis cupidi-


talibus. f (Sûmes, De probatis sanctorum historiis, t. III;
13 juin.) Sans faire allusion à cette victoire, un auteur
portugais, Cardoso, fait intervenir l'ange des ténèbres, à
la place des passions humaines. Un jour que Fernando
était en prière dans la cathédrale, raconte-t-il, le démon
lui apparut et l'assaillit par une violente tentation. Alors
le saint jeune homme traça une croix sur le marbre des
degrés qui conduisent au chœur et sous la pression de
ce doigt pur et délicat, la pierre s'amollit et la croix se
dessina, plus terrible que la foudre pour chasser le ten-
tateur.. Voir CARDOSO, Agiologio Lusitano, t. III,
13 juin AzÉvÉDo, c. et Acta S. S., Vita anonyma,
c. n. d. La lumière n'est pas encore faite sur la
valeur de cette tradition. Disons donc seulement que les
Bollandistes tiennent en suspicion le récit de Cardoso.
fonds du torrent fangeux où s'enlise la jeu-
nesse, et il s'en détourne avec effroi. Effroi bien
légitime et qui se retrouve chez tous les saints
Ce qui les épouvante, c'est le mal.
Le récit de Surius concorde parfaitement, du
reste, avec le texte des chroniques primitives,
qui dépeignent les effets, sans nous signaler la
cause. « L'enfance de Fernando, écrit Jean
Rigaud, s'était écoulée calme et à l'abri des
orages sous le toit paternel. En ouvrant les
yeux sur le monde, il fut vivement frappé de
deux choses la fascination des jouissances rma-
térielles et leur instabilité et les réflexions
sérieuses affluèrent dans son esprit (i). a
Chaque jour effeuillait une de ses illusions,
rapporte de son côté le plus ancien de ses
biographes. chaque jour lui découvrait mieux
les périls cachés sous les dehors d'une société
qui n'avait pour lui que des sourires et des
roses. K 0 monde, s'écria-t-il un jour, tu mens
à toutes tes promesses Ta force n'est qu'un
roseau fragile, tes richesses qu'un peu de fumée,
tes plaisirs qu'un écueil où la vertu fait nau-
frage (2) »>~
Vainement faisait-on miroiter à ses yeux
l'éclat des grandeurs assurées à sa naissance et
à ses talents. Patrimoine, titres et dignités'
civiques, que sont tous ces hochets de la terre
au regard d'une âme qui a, comme la sienne, le
vrai sens de la vie ? Il les dédaigna pour s'at"
i. J. RiSACD, c. II.
2. jE.eg€Md<t pTM!Mt, p. I, c. U.
tacher à la poursuite de biens meilleurs et plus
durables. Il était de ces êtres prédestinés qu'une
voix intérieure pousse au désert. Il écoutait
pourquoi résister ?
Enfin sa résolution est prise, ferme, irrévo-
cable il se consacrera au service de Dieu. Il
fait part de ses projets « à son père et à sa
mère", dans une confidence intime dont Jean
Rigaud ne nous transmet que le résultat. Pour
couper court à toute velléité de retour,
abdique par écrit ses droits à l'héritage qui lui
il
était dévolu (i) ». Cet acte juridique et la suite
du récit ne nous permettent pas de supposer
que ses parents lui aient refusé le consentement
désiré. Chez eux, la foi parle plus haut que le
cœur; ils s'hiclineat devant une vocation si
manifeste; et lui, libre de ses mouvements,
franchit à la hâte le seuil de la demeure pater-
nelle, s'en va frapper à la porte de l'abbaye de
Saint-Vincent de Fora, dans la banlieue de Lis-
bonne, et sollicite l'honneur d'y être admis,
«
attiré, nous dit la Légende primitive, par le
renom de science et de sainteté qui s'attachait à
cette maison (2) ».
La vocation vient d'en haut, et les hommes
comme les événements ne servent qu'à îaprépa-
t. Relicto patre et matre et omni hsereditario jure.
(J. RIGAUD, c. n.) L'hagiographe limousin réfute ainsi
catégoriquement à l'avance l'erreur de Sicco Polentone,
littérateur padovanais qui prétend que les parents du
saint jeune h&nmie étaient morts avant son entrée en
religion.
s. Viri religione famosi. (Legenda prima, p. ï, c. ir.)
rer,souvent àleurinsu, quelquefois même contre
leur gré. Heureux celui qui est l'élu Heureux
celui qui entend la voix du Créateur et se lève
au premier appel Fernando est un de ces élus,
un des plus privilégiés, un des plus fidèles. Son
berceau est entouré de soins vigilants. Son en-
fance et sa vie écolière sont faites d'amour et de
piété, de respect et de tendresse pour les
parents, d'ardeur au travail et de dévotion à la
Reine des Vierges, de foi et de pureté, d'une
pureté dont il commence à connaître le prix et
qu'il sait défendre, sans jamais fléchir, contre
les séductions du monde, non moins que contre'
l'ivresse des passions. Il apparaît ainsi, au
foyer, comme un beau lis, « un lis fleuri (i), x
selon la riante image de Jean Rigaud. Il restera
toujours un lis odorant, un lis fleuri. Il a em-
baumé la demeure paternelle il embaumera de
même le cloître, puis les vallées et les mon-
tagnes, la France et l'Italie et au soir de ses
jours, il pourra dire de la vertu angélique ce
que Salomon a dit de la sagesse « Je l'ai
aimée, je l'ai recherchée dès l'âge le plus tendre.
Je l'ai choisie pour ma fiancée, et je suis devenu
l'amant de son impérissable beauté. Le Seigneur
avait richement doté mon âme, et il m'avait
mis au cœur un vif attrait pour le bien. Chaque'
jour je croissais en vertu, et j'ai pu de la sorte
préserver ma chair de toute souillure (2). x
i. Floridum lilium. » (JEAN RtGAUD, c. !.)
«
2. C'est à l'hagiographe limousin (c. i) que nous avons
emprunté le thème de cette page.
CHAPITRE II
LE CHANOINE DE SAINT-AUGUSTIN
(1210-1220 ?)

C'était en 1210, « don Fernando avait quinze


ans révolus (i) » l'âge des rêves et des espé-
rances Briser tous ces rêves, renoncer à toutes
ces espérances, quitter le toit paternel, une
mère adorée, des amitiés précieuses, pour une
nature aussi aimante que la sienne, le sacrifice
était dur Il le fit sans hésitation ni réserve,
avec la spontanéité et l'énergie d'une âme qui
préfère l'héritage des saints à toutes les cou-
ronnes de la terre, et put redire en toute vérité,
avec le Roi-Prophète < Le passereau et la tour-
terelle se bâtissent un nid pour déposer leurs
petits. Pour moi, Seigneur, vos autels seront
à jamais ma demeure. »
Le Prieur du monastère, don Gonzalve Men-
dez (2), l'accueillit avec bienveillance. Nous
avons ici un indice que les parents ne refusèrent
pas leur consentement à la vocation de leur
fils car, peu de temps après, il revêtait, sans

i. Legenda prima, p. I, c. u.
2. C'est le nom que lui donne Nicolas de Sainte-Marie
dans sa Chronique des chanoines réguliers de Saint-
Augustin, p. II, L VII, c. x. D'autres l'appellent Pélage.
Nous suivons de préférence Nicolas de Sainte-Marie,
parce qu'il nous semble être l'historiographe officiel de
l'Institut qui nous occupe.
2
obstacle et dans la plénitude de sa liberté, la
robe blanche et l'aumusse des Chanoines régu-
liers de Saint-Augustin. « Il le fit avec humilité
et dévotion (i) », ajoute son biographe. Deux
mots bien riches dans leur concision; car ils
nous révèlent les sentiments intimes et les
beautés d'un cœurtoutpétrid'esprit desacrince
et d'amour de Dieu.
Qui a donné son cœur a tout donné (2)
écrira-t-ilplus tard. Il a donné son cœur à Dieu
il ne le reprendra pas, mais il ne laissera pas
d'être en butte à de terribles assauts dont les
documents primitifs vont nous révéler la
nature.
Le monastère était tout près de Lisbonne,
trop près. Cette proximité permettait, entre le
jeune chanoine et <t ses amis (3)*, une fré-
quence de rapports qui n'était pas sans
troubler la paix de sa cellule. Ces visiteurs
que les vieilles chroniques qualifient < d'amis
charnels (~) c'est-à -dire imbus de cet esprit
du monde qui est en éternelle contradiction
avec l'esprit del'Evangile,n'épargnaientriende
ce que peut suggérerl'affectionpour le ressaisir
et l'arracher au cloître. Il résistait victorieuse-
ment à toutes les attaques, à toutes les séduc-
t. « Canonici regciaris habitum humili devotione sus-
cepit. » (Legenda prima, p. 1, c. t.)
a. « Qui cor dat, totum dat. » (P. JosA, Sermo I in
~.seetts'
9. Frequentiam amicorum importunam, » (Legenda
prima, p. I, c. II.)
4. «
Amicorum carnalium. (J. RiGAuD, c. n.)
tions mais sachant par expérience que la lutte
contre ceux qu'on aime finit par énerver les
caractères les mieux trempés, et ne ,voulant à
aucun prix s'exposer à perdre le trésor de sa
vocation, il résolut de se dérober à leurs sollici-
tations importunes et de chercher une autre
tente pour s'y fixer. Il rencontra un obstacle
inattendu dans le refus de Gonzalve Mendez,
qu'avaient charmé les rares qualités du fils de
don Martin, ses talents, sa piété angélique, son
exquise amabilité (ï) et qui fondait sur lui
les plus grandes espérances. c Ayant enfin
obtenu, à force de larmes et de prières, l'autori-
sation du Père Prieur, il quitta, non la milice
où il s'était enrôlé, mais le théâtre du combat,
non par caprice, mais dans un élan de ferveur,
et se transporta au monastère de Sainte-Croix
de Coïmbre (2). »
L'abbaye de Sainte-Croix avait sur celle de
Saint-Vincent de Lisbonne l'avantage inappré-
ciable d'être le berceau de l'institut augusti-
nien. Là, on respirait encore le parfum des
vertusdesaintTbéotonio,sonpremierPrieur (3) r
là, étaient la source des traditions et les osse-
ments des premiers fondateurs. La discipline
régulière, qui est l'âme de la vie cénobitique, y

I. J. RIGAUD, C. II.
a. Non Ordinem, sed locum mutavit. in spiritus
fervore. » (Legenda prima, p. I, c. n.) Cf. J. RIGAUD,
c. tt, et Legenda secunda, c. (~j4.et<t S. S., 13 juin).
3. Pour la vie de Tellon et de saint Theotonio,.consulter
les foT'tMyetXHee monumenta historica (t. I, p. 62-78) et
HÉLYOT (Hist. des Ordres monas~gtMs, t. ï, p. 517).
florissait, et don Fernando y trouva ce qu'il
cherchait des frères, la paix et Dieu.
Qu'étaient exactement les Chanoines régu-
liers de Sainte-Croix, et quelle formation reli-
gieuse don Fernando reçut-il chez eux? Cette
question a été traitée avec une rare érudition
par M. l'abbé Lepître.
x
Le terme général de « Chanoine », remar-
que-t-il, semble avoir désigné, dans l'Eglise
d'Occident, des clercs voués au service d'une
église en suivant une règle. Ils n'avaient pas
tout d'abord les mêmes constitutions mais
au IP concile de Latran, Innocent II ordonna
que tous suivissent la règle de saint Augus-
tin (ii3g). Cette règle était ainsi dénommée, non
qu'elle vînt du grand docteur d'Hippone, mais
parce qu'elle était basée sur ses deux discours
De moribus clericorum suorum, et sur sa
Lettre CCXI, adressée à des Religieuses.
<.
Les prescriptions dont elle se composait
étaient assez larges pour permettre d'accorder
beaucoup au ministère des âmes. Mais il était
loisible aux différentes communautés augusti-
niennes de compléter ces prescriptions, ou bien
encore de les spécifier et de les préciser. C'est
ce qu'ont fait les congrégations de Prémontré,
de Saint-Victor de Paris et de Sainte-Croix' de
Coïmbre, pour ne parler que de celles-là. Ce
monastère avait été fondé en n32 par D. Telle,
archidiacre du diocèse, et avait eu pour premier
prieur saint Theotonio. Les rois de Portugal et
les souverains pontifes s'étaient plu à favo-
riser la nouvelle congrégation. Sainte-Croix
comptait, dès les premières années de son
existence, soixante-douze religieux; ,elle était
exempte de la juridiction de l'évêque, et elle
avait sous sa dépendance plusieurs paroisses,
en particulier celle de Lercina. N'oublions pas
que l'office des Chanoines réguliers, à quelque
congrégation qu'ils appartinssent, n'était pas
seulement le service du chœur, mais encore le
soin du salut des âmes, dans l'église où ils se
trouvaient ou dans les paroisses soumises à sa
juridiction. Clericus regularis mysteria Dei
dispensat, est-il dit formellement dans leurs
constitutions. N'allons pas les considérer
comme des moines ils étaient regardés comme
étrangers à l'état monastique. Ajoutons ici
un trait caractéristique de tous les chanoines
réguliers ils étaient voués d'une manière par-
ticulière à l'étude. Mais cette étude avait un but
spécial rendre les sujets plus propres au ser-
vice de Dieu et des âmes et les préparer, s'ils
avaient des aptitudes suffisantes, à remplir les
fonctions pastorales dans l'Église. Le monas-
tère donnait une instruction élémentaire aux
enfants qui fréquentaient son école. Il la dépar-
tissait plus abondante et plus complète aux
jeunes gens qu'il voulait garder, et il accordait
des soins tout particuliers aux chanoines qui
se trouvaient mieux doués que leurs frères en
religion.
<
Sainte-Croixde Coïmbre était ndèle à l'esprit
comme à la lettre de ces constitutions. Comme
le monastère de Samt-Ruf d'Avignon jouissait
d'un renom bien établi de ferveur, elle avait
en'voyé l'un de ses membres, le prêtre Pierre,
pour en étudier les usages et les faire connaître
à ses frères. Celui-ci, par deux fois, fit un assez
long séjour à Saint-Ruf, en examinant ce qui
pouvait manquer à son couvent sous le rapport
de la régularité ou de la doctrine. Il est dit que
la seconde fois il avait rapporté un Capitulaire,
la manière de chanter les antiennes, le Com-
mentaire de saint Augustin sur saint Jean ainsi
que sur certaines questions des Évangiles selon
saint Mathieu et saint Luc, l'Hexameron de
saint Ambroise, avec son Pastoral et son livre
sur la Pénitence, enfin le Commentairede Bède
sur saint Luc.
<
Pour mieux faire connaître encore le milieu
où Fernando vécut, tant qu'il demeura chez
les chanoines réguliers, rappelons en deux
mots ce qu'avait été saint Theotonio, le premier
prieur de Sainte-Croix. Il avait dû laisser dans
son monastère une trace non encore enlacée,
puisqu'il l'avait gouverné pendant vingt ans
a~'ec une sagesse qui faisait l'admiration de
tous. Le roi Alphonse 1~ ne partait jamais pour
une expédition sans se recommander à ses
porières. Les séculiers se présentaientsouvent à
à
sa porte pour être admis le voir. Mais cette
faveur leur était rarement accordée, le saint
Prieur redoutant l'intrusion du monde dans sa
eoemmanauté. Saint. Theotonio entretenait des
Eclations d'amitié avec saint Bernard, et sur la
fin de sa vie, il aimait à s'appuyer sur un bâton
qu'il avait reçu de l'abbé de Clairvaux (i). e
La Providence conduisait don Fernando vers
des rivages où se dessinerait bientôt sa voca-
tion dennitive. Mais lui, ignorant les mystères
de l'avenir, ne songeait qu'à profiter des dou-
ceurs de la solitude qui lui était ménagée, pour
fermer son cœur à tous les enchantements de la
terre et l'ouvrir à toutes les inspirations du cieL
Jl avait en mémoire, nous dit son premier bio-
graphe (2), l'adage de saint Jérôme < L'impor-
tant n'est pas d'habiter un lieu saint, mais d'y
vivre saintement n et il n'entendait pas être un
religieux à demi. Il se donnait tout à Dieu il se
donnait tout au devoir. Le chœur, la cellule, le
jardin, ces trois théâtres qui se partagent la vie
claustrale, étaient témoms de ses progrès inces-
sants. Le son dela cloche était pour lui la voix
de Dieu la psalmodie faisait ses délices, la
mortification son armure, l'obéissance la joie
de son cœur, l'oraison et les entretiens pro-
longés avec le Maître suprême sa meilleure
consolation(3).
École de ferveur et de perfection, l'abbaye
était en même temps, grâce aux libéralités du
roi de Portugal (~.), un centre de culture litté-

x. Abbé LEPiTRE, Saint Antoine de Padoue, p. i8-aa.


2. Legenda prima, p. j, c. ::i. Nous eon-igBOM ici
t'erreur du premier biographe, qui attribue aux saintes
Écritures le mot de saint Jérôme.
3. Ibid., toc. cit.; etj. Rt&Atn~, c. n.
4. Sanche ï'" avait concédé à perpétuité une rente
annuelle de quatre cents morabitima pour l'entretien des
raire, un véritable foyer de lumière rayonnant
sur tout le royaume et acheminant peu à peu
les esprits vers la création de la célèbre Univer-
sité de Comubre (i). Don Fernando put donc se
livrer loisir, et plus facilement qu'à Lisbonne,
à son attrait pour la science sacrée. Il est diffi-
cile d'admettre qu'il n'ait pas au moins'parcouru
les classiques latins alors en vogue dans les
écoles, Boèce, Virgile, Ovide (2); mais dans
tous les cas, la théologie, les Pères de l'Eglise,
les gloses scripturaires, l'histoire, la contro-
verse, eurent ses préférences; et le Livre par
excellence, la Bible, plus encore que tout lé
reste. Sa foi se'fortinait dans la méditation des
pages inspirées, et sa piété s'alimentait à ces
sources d'eau vive, pendant que son intelli-
gence s'armait de preuves invincibles comme
d'autant de flèches enflamméesqu'il s'apprêtait
à lancer, en temps opportun, contre l'ennemi.
Et l'ennemi, il le connaissait. Ce n'était plus le
mahométisme avec ses doctrinesabrutissantes
c'était l'hérésie manichéenne, pieuvre hideuse
qui étendait ses tentacules sur tous les États
de l'Europe (3).
clercs de Sainte-Croix qui iraient étudier en France.
Don Carlos das Neves (t. I, p. 5s) reproduit, d'après
Nicolas de Sainte-Marie, le texte de la fondation.
i. L'Université, d'abord installée à Lisbonne en i2go,
s'établit définitivement à Coïmbre en l3o8.
2. Les classiques grecs étaient encore inconnus. Voir
CH. TUROT, De l'organisation de l'enseignement dans
l'Université de Paris eut moyen â~e (Paris, t85o).
3. Contra erroris foveas intellectum munivit. (Le-
oettda~W~ p. I, c. H!.) Nous étudierons plus loin, à
Quand le térébinthe trouve un terrain pro-
pice, il y plonge ses racines et étend au loin sa
verte et puissante ramure. Le cloître de Sainte-
Croix était pour le fils de don Martin ce terrain
propice. Son beau talent s'y développait à l'aise.
Nous disons son beau talent; car la nature l'avait
richement doté. Sa mémoire était prodigieuse.
Tous les trésors de la science s'y entassaient
sans effort, sans confusion. < II retenait tout ce
qu'il lisait (i) remarque son historien. En face
d'une si vaste érudition unie à une si grande
jeunesse, ses maîtres ne cachaient pas leur
admiration. Elle se traduisait par une appré-
ciation qu'ils insérèrent plus tard dans les
archives du monastère et que nous enchâssons
comme une perle précieuse dans notre récit.
«
Don Fernando, écrivent-ils, était un homme
fameux, un esprit cultivé, un religieux d'une
sainteté éminente (2). x
Tant d'avantages déterminèrent ses supé-
rieurs à le présenter aux Ordres sacrés. Quel
jour, en quelle année fut-il promu au sacerdoce ?
Quelles furent les impressions de cette inou-
bliable journée? Ses genoux tremblèrent-ils, sa
voix fut-elle étouffée par l'émotion, lorsqu'il
monta pour la première fois à l'autel ? Tout ici
l'occasion de l'hérésie albigeoise, la question du nëo-
manichéisme.
i. 76:d.. loc. cit.; et J. RiBAUD, c. n. Tel était de
nos jours Mgr Freppel, l'illustre évêque d'Angers.
a. Vir utique famosus, doctus et pius, magna litte-
ratura ornatus et gloria meritorum stipatus. ~NMto
S. S. martyrum Marochii, ms., bibl. roy. de Porto.)
échappe à nos investigations. La Chronique des
~îM~t-~ua~re Générauxet le bréviaire des Cha-
noines réguliers du Portugal (i) affirment qu'il
était prêtre en iMQ le Bréviaire romain le
nie. La cause est toujours pendante et ne paraît
pas près d'être jugée. Question bien secondaire
après tout et dont nous ne voulons retenir qu'un
point c'est qu'en l'année ~210, la formation
intellectuelle de don Fernando est terminée. A
son tour de paraître en public; à son tour d'ins-
truire les hommes de sa génération. Seulement,
ce ne sera ni à Coïmbre ni dans aucune ville du
Portugal, ni sous la robe des disciples de saint
Theotonio, qu'il déversera les trésors de doc-
trine amassés à l'ombre des cloîtres augus-
tiniens.
i. < A.dfranciscanum Ordinem jam bene doctus et
sacerdos factus transivit. » ~.Brec. Canon. regul. Portug.).
Il va sans dire que si nous répétons çà et là j'exprea-
sion de « fils de don Martin empruntée à la légende
.BettM/tutcts, noas ne lui attribuons, ainsi que nous
l'avons déclaré plus haut, qu'une valeur relative.
CHAPITRE III
VOCATION FRANCISCAINE
(I220?)

A l'heure des plus violertes attaques du


manichéisme, le pontife qui présidait aux des-
tinées de l'Église, Innocent III, Avait un songe
bien propre à le consoler et qu'il prenait plaisir
à raconter aux cardinauxréunis autour de lui.
<
Il me semblait, leur disait-il, que la basilique
de Saint-Jean de Latran chancelait sur ses
bases, et je m'efforçais vainement d'en conjurer
la chute, lorsqu'un homme pauvre et chétif
s'avança et la soutint de ses épaules (i). p
Cet homme pauvre et chétif, disons mieux,
cet homme providentiel, le plus extraordinaire
qui ait paru dans l'Église depuis les temps
apostoliques, est saint François d'Assise.
Fils d'un riche négociant, il s'était dépouillé
de tout, pour suivre de plus près le Christ
humilié et anéanti. Fondateur d'Ordre, il
avait adopté le costume des pâtres de l'Om-
brie, et il s'en allait à travers l'Italie, con-
solant les déshérités de la terre, les petits,
ceux qui souffrent, et prêchant à tous la paix
et la réconciliation. Ame de feu qu'entraî-
naient trois sublimes passions Dieu, l'Église
et la pauvreté! Il était fou d'amour, d'un amour
sans mesure pour Dieu, d'une tendresse exquise
i. Voir notre Vie de saint François d'Asstss, édit.,
P- 74-
qui s'épanchait à flots sur toute la création. L'a-
gneau était son frère, la pâquerette sa sœur, le
rossignol un ami avec lequel il alternait, toute
une nuit, les louanges du Créateur. Fatigué le
premier, il disait au Fr. Léon « Donnons à
manger à notre frère le rossignol car il le mérite
mieux que moi (i). D
Cet amant de la nature était en même temps
un puissant réformateur. Nul n'eut plus que
lui le sentiment des besoins et des maux de son
époque, l'intuition des remèdes les plus efficaces,
le courage de les appliquer, parce que nul n'aima
plus que lui. Pour arrêter les peuples sur le
chemin de l'apostasie, il créa le moine-apôtre
et le lança à la conquête des âmes, avec la même
hardiesse que saint Bernard avait lancé ses
moines-chevaliers à la conquête des saints
Lieux (2). Des âmes Il voulait des âmes Son
zèle ne connaissait ni races ni frontières; les
nations infidèles en étaient .l'objectif, aussi
bien que les chrétientés de l'Europe.
« Sachez, déclarait-il au cardinal Hugolin,
en parlant des contrées d'outre-mer, sachez que
le Seigneur a choisi les Frères-Mineurs pour
propager l'Evangile en tout lieu, et qu'ils lui
gagneront une infinité d'âmes (3). II avait en
pensée, quand il s'exprimait avec cette con-

i. Vie de saint François d'Assise, p. 395.


2. Saint François imposa à ses disciples le nom de
Frères-Mineurs. Après sa mort, on les appela plus com-
munément Franciscains ou Cordeliers.
3. MARC DE LISBONNE, I. I.
fiance dans l'avenir, la vision symbolique où
Dieu lui avait montré un palais de toute ma-
gnificence en lui disant C'est pour toi et
«
tes soldats (i). »
Une conquête, un palais, des soldats Dans
cette apparition, n'était-ce pas le Très-Haut
lui-même qui l'avait désigné comme le porte-
drapeau de la civilisation chrétienne ? Et à ce
titre, ne devait-il pas l'exemple à ses disciples?
Il le comprit de la sorte, et leur ouvrant son
coeur, il leur fit part de son- dessein et de ses
espérances < II subjuguerait par la seule force
de la persuasion ces Musulmans, Sarrasins et
Maures, que ne pouvait dompter la lance des
rois chrétiens. C'était bien la guerre sainte
qu'il leur prêchait; c'était bien une croisade,
mais une croisade à part plus noble encore
et plus divine que celle des preux bardés de
fer avec la croix pour unique armure, la
conversion d'un peuple ou le martyre en pers-
pective, et le ciel pour récompense Magni-
fique projet 1.Quelle transformation dans
l'histoire des peuples, si le succès avait cou-
ronné ses efforts (2) i
Dès l'année i2i3, c'est-à-dire quatre ans après

I. THOMAS DE CÉLANO, Vita secunda, p. I, c. H.


2. Au xvii" siècle, le fameux P. Joseph du Tremblay
reprit la même idée, imposa le respect aux sectateurs
de Mahomet et fonda dans les Échelles du Levant des
stations de Capucins qui réussirent pour le moins à y
maintenir le prestige du catholicisme.Les Capucins des-
servent aujourd'hui, à titre d'aumôniers, la chapelle de
l'ambassade française à Constantinople. Les différentes
la fondation de son institut, il poussait une
pointe jusqu'à l'ouest de la péninsule ibérique,
jusqu'à Saint-Jacques de Compostelle, pour
passer de là en Afrique. La maladie venait dé-
jouer tous ses plans. En 1217, il reprenait le
même projet et envoyait dans la même direc-
tion Bernard de Quintavalle, le premier de ses
disciples, avec huit autres Frères, parmi les-
quels nous distinguons Jean de Pérouse et
Pierre de Sasso-Ferrato, les martyrs de Va-
lence Zacharie et Gauthier, spécialement dé-
signés pour le Portugal; < tous hommes d'une
éminente sainteté dit Wadding (i).
Saint François avait insiste sur l'importance
de la mission du Portugal. Pour quel motif
C'est qu'il se rendait parfaitement compte de
la situation de la péninsule. Le midi de l'Es-
pagne, même après la fameuse journée de las
Navas de Tolosa, était encore et pour long-
temps soumis au joug du cimeterre, tandis que
le Portugal, marchant de victoire en victoire
sous Alphonse I" et Alphonse II, avait recouvré
son indépendance. Avec Lisbonne et Porto,
l'empire des mers lui était ouvert, et l'Afrique
devenait ainsi d'un abord facile. Rien ne `
prouve donc mieux que ce choix du Portugal le ''`::
sens profond du Patriarche d'Asssise (2). j

branches des Franciscains ont de nombreuses stations v


dans l'Archipel, la Syrie et 1~ Mésopotamie.
i. ,â!MM)i! Min., ad ann. 1216, n. a.–Cf. MACjox), Vita
jB..SeMtcM*.
a. « Misit (in Provinciam S. Jacobi) Fratres multos, ut
Zacharie et Gauthier, fidèles aux recomman-
dations comme à l'exemple de leur séraphique
Père, ne manquèrent pas de présenter à l'é vêque
de Coïmbre leurs hommages, puis à Alphonse II
et à la reine Urraque (ou Eulalie), dont on leur
avait vanté la piété, l'objet de leur requête, qui
était de fonder, dans le royaume, des couvents
d'avant-poste, des pépinières d'hommes apos-
toliques destinés à l'évangélisation des Maures.
Leur projet fut goûte à la cour, où le nom de
saint François n'était pas inconnu, et c'est à la
famille royale que furent dues les deux pre-
mières fondations. En 1217, Sancia, sœur du roi,
installa les Mineurs dans l'ermitage de Sainte-
Catherine, aux environs d'Alenquer; et l'année
suivante, la reine les établissait elle-même à
Saint-Antoine d'Olivarès, hameau situé à trois
milles environ de Coïmbre, dans un bouquet
d'oliviers, d'où lui était venue sa dénomination.
Le couvent d'Olivarès était étroit et pauvre,
comme celui de la Portioncule. On y menait la
même vie de prière, de dénuement, de priva-
tions, et aussi d'abandon à la Providence. Un
Frère était chargé d'être l'ange visible de la
Providence, le Frère quêteur. Si parfois il ren-
contrait le sarcasme et l'affront sur son che-
min, il y trouvait aussi des consolations, sur-
tout au monastère de Sainte-Croix. "Il y venait
souvent (i) il y était toujours accueilli comme
loea caperent et haereticos sua preedicatione convin-
cerent. ~C~roK. des vingt-quatre Cen~rtMM-.)
Legenda prima, p. I, c. tv.
un frère par l'hôtelier de l'abbaye et cet hôte-
lier, s'il faut en croire une tradition consignée
dans le bréviaire des Chanoines réguliers de
Portugal,n'était autre que le fils de don Martin.
Ne demandons pas aux chroniques du temps
le nom de ce Frère quêteur. Elles ont cru dire
assez, en affirmant qu'il était un modèle de
dévouementet d'abnégation, un vase d'élection
répandant autour de lui la bonne odeur du
Christ. Sous cet air simple et modeste, don
Fernando avait entrevu les trésors de grâce
déposés au fond de son cœur. Une vision lui en
dévoila toute l'excellence. « A l'heure où le
Franciscain mourait, lisons-nous dans la Chro-
nique des vingt-quatre Généraux, don Fer-
nando, qui célébrait en ce moment la sainte
messe, fut ravi en extase et vit l'âme de l'ancien
quêteur prendre son essor sous la forme d'une
blanche colombe, traverser d'un vol rapide les
flammesdu purgatoire, puis monter, purifiée et
glorieuse, au séjour de la béatitude et de
paix (i). » Le souvenir de cette apparition
la
demeura fixé dans sa mémoire et forma, entre
les enfants de saint François et lui, des nœuds
de sympathie réciproque qu'allait bientôt res-

i. Chronique des vingt-quatre Généraux, apud Ana-


lecta .FrfMCtscettta, t. III. Cf..Pas~to ?KCfrt..MefrocAn ;`
(ibid., p. 879). La phrase incidente: « Dum missam
celebraret ne résout pas le problème –pose plus haut
de l'époque de l'ordination sacerdotale du Bienheu-
reux, parce qu'il faut tenir compte, dans les études sur
le moyen âge, de la manie des compilateurs et des
copistes pour les interpolations.
serrer le passage d'une seconde caravane de
missionnaires.
Dans l'année 1219, en effet, à la suite du
fameux Chapitre des Nattes, le Séraphin d'As-
sise, méditant toujours la conversion des Ma-
hométans, avait partagé le monde infidèle en
deux parts. Se réservant l'Égypte et la Pales-
tine, il avait assigné le Maroc à cinq ouvriers
apostoliques dont les noms sont inscrits au
livre d'or des élus. C'étaient Bérard, Pierre,
Othon, prêtres; Adjut et Accurse, frères lais.
Leur histoire nous appartient.
Le Portugal était pour eux le chemin le plus
sûr. Ils vinrent, comme leurs devanciers, à
Coïmbre, et se présentèrent à la cour. L'abbaye
de Sainte-Croix leur fournit généreusement
l'hospitalité, et donFernando put ainsi s'entre-
tenir à loisir avec eux des origines et du but de
leur congrégation, des merveilles de la Portion-
cule, des qualités transcendantes de leur véné-
rable fondateur, des miracles qui éclosaient
sous ses pas. Il put aussi admirer l'ardeur de
leur foi, leur saint enthousiasme en face d'un
martyre prévu, et la douce sérénité de leur
visage au milieu des sacrifices du départ.
A peine débarqués à Maroc, capitale de l'em-
pire des Almohades et centre du fanatisme mu-
sulman, les disciples du Poverello essayèrent
de faire luire dans les esprits un rayon de la
vérité et crièrent à haute voix < Jésus-Christ
est le vrai Dieu, et Mahometest un imposteur.»
C'était plus qu'il n'en fallait pour ameuter la
3
populace. On les arrête, on les traîne devant
l'émir (ou Miramolin), nommé Abou-Jacob(i).
Celui-ci, leur montrant des femmes richement
parées, les met en face de cette alternative ou
la loi de Mahomet, avec son paradis sensuel,
ou la mort par le glaive. Sans hésiter, ils choi-
sissent la mort. Prince, répliquèrent-ils, avec
une noble fermeté, nous ne voulons ni de tes
femmes ni de tes honneurs nous te les laissons
pour garder Jésus-Christ. Tu peux inventer
toutes sortes de tortures, tu peux nous ôter la
vie; toute peine nous semble légère, quand nous
pensons à la gloire du ciel. Et, en prononçant
ces paroles, leur regard s'illumine d'espérance,
et leur âme s'abreuved'immortalité. Le tyran
se lève, exaspéré, saisit des deux mains son
lourdcimeterre et leur fend le crâne.
Alors la populace s'empare des cadavres mu-
tilés, les traîne hors de la ville, les couvre de
fange et d'ordures, essaie même de les réduire
en cendre; mais la namme respecte les corps
d~s serviteurs de Dieu, comme elle respectera,,<
deux siècles plus tard, le cœur de la vierge de
Domrémy.Unorag~éclate; les MaureseSrayés
s'enfuient, et les chrétiens s'approchent pour
recueillir les reliques des cinq martyrs, qu'ils
déposent dans deux châsses d'argent (2).
I.V.ENMCOSALVAGNINt,S..AtttottM(Torino, [887), C.H,
i
a. jPttssM S. S. M<tTt. Marocht! (apud Analecta .F*f<!?t-
ciscana, t. ÏIÎ, p. 579-594). Ce récit concorde, dans ses 'i
grandes lignes, avec celui d'un témoin oculaire, publié
par KARL MuLLEK dans son ouvrage sur les Ort~Mtes (!e
l'Ordre des MtMMT'e (Fribourg-en-Brtsga.u, i885).
Ces faits se passaient dans la journée du
16 janvier 1220. Quelques semaines après, don
Pedro, qui s'était réfugié chez les Maures, à la
suite de quelque différend avec Alphonse II,
son frère, rentrait à Séville, puis en Castille (1),
rapportant avec lui la dépouille des cinq mar-
tyrs, au milieu de circonstances qui ne s'ex-
pliquent que par l'interventiondirecte du Tout-
Puissant inanité des embûches dressées par
les mulsulmans, guérison subite d'un paraly-
tique à Astorga, et vingt autres phénomènes
supranaturels dont les actes du martyre t
nous attestent la réalité. Prévenu et tout
émerveillé de ce qui s'était passé, l<e roi donna
ses ordres pour que la translation des corps
ainsi glorifiés par le ciel se fît en grande pompe.
On alla processionnellement au-devant d'eux
et c'est au chant des hymnes sacrées qu'ils
franchirent les remparts de Coïmbre, pendant
que Féveque et son clergé, la reine avec les
grands du royaume et le peuple leur formaient
un cortège vraiment triomplal. Les châsses
furent déposées dans l'église abbatiale de
Sainte-Croix et con&ées à la garde des 'Cha-
noines de Saint-Augustin (2).
Le sang des martyrs est toujours une se-
mence féconde. Sur la tombe des Franciscains

i. N'osant poursuivre son voyage jusqu'à Co!mbre,


don Pedro confia son précieux dépôt à un chevaHer de sa
suite et se retira pour quelque temps à la cour d'Al-
phonse IX, roi de Léon. V, Passio S. S. mort~f..MarocMt.
2. JM.
immolés pour la foi, va fleurir un lys dont les
parfums embaumeront toute la catholicité. Ce
lys, c'est le fils de dona Maria.
Personne ne fut plus touché que lui de la
splendeur de ces fêtes. Il avait reçu, quelques
mois auparavant, ces cinq étrangers; il les avait
vu partir pauvres, inconnus, méprisés, et il les
voyait revenir au milieu de l'enthousiasme des
peuples, avec l'auréole des prophètes et des
martyrs. Penché sur leurs châsses, il se disait
en lui-même « Oh! si le Très-Haut daignait
m'associer à leurs glorieuses souffrances S'il
m'était donné à moi aussi, d'être persécuté
pour la foi, de Réchir le genou et d'offrir ma tête
au bourreau Fernando, ce jour luira-t-il pour
toi? Fernando, auras-tu ce bonheur (i)? »
Pendant qu'il priait, les saints qu'il invo-
quait intercédaient là-haut en sa faveur, et lui-
même se sentait de plus en plus incliné à
marcher sur leurs traces et à entrer dans une
congrégation qu'il considérait comme une pépi-
nière d'apôtres et de martyrs.
Aussi, lorsque les religieux de Saint-Antoine
d'Olivarès vinrent, selon leur coutume, à l'ab-
baye, il les prit à part et s'ouvrant à eux de i
ses inspirations intimes, il leur dit « Je désire
de toute l'ardeur de mon âme prendre le
saint habit de votre Ordre. Je suis prêt à le `'
faire, à une condition c'est qu'après m'avoir
revêtu des livrées de la pénitence, vous m'en-

i. Legenda prima, p. I, c. iv. Cf. RIGAUD, c. ni.


voyiez au pays des Sarrasins.annquejemérite,.
moi aussi, de participer à la couronne de vos
saintsmartyrs(l).)' »
En écoutant cette confidence et cette propo-
sition, les fils du Poverello d'Assise ne se pos-
sédaient pas de joie. Sans doute ils comptaient
déjà parmi leurs Frères des apôtres et des
thaumaturges, mais il leur manquait l'auréole
de la science. Et voici que Dieu lui-même leur
amène une recrue d'élite, une vocation que
toutes les milices religieuses leur envieraient,
une vocation éprouvée. Pourquoi refuser? Pour-
quoi différer l'acceptation? Ils conviennent donc
avec don Fernando qu'ils lui apporteront le len-
demain matin les livrées franciscaines.
Ils n'avaient garde de manquer au rendez-
vous. A l'heure dite, ils étaient là, et don Fer-
nando, muni de l'autorisation de son Prieur,
échangeait la blanche tunique des chanoines de
Saint-Augustin contre la bure franciscaine, les
richesses de l'abbaye contre la pauvreté séra-
phique, son nom de Fernando contre celui
d'Antoine que l'histoire a consacré (2). S'il versa
des larmes, ce furent des larmes de bonheur
car il se réjouissait de pouvoir dire avec celui
qu'il allait nommer son père, saint François
«
Le Seigneur est mon partage. Mon lot est
assez beau avec Dieu, je possède tout (3). »

i. JL.e~ettdapfMna, p. I, c. iv.
2. J&td., loc. cit.; J. RtGAUD, c. m; et la Vtta
CKOttt/ma des Acta Sanctorum, c. ï.
3. BERNARD DE BESSE, De laudibus B. Fr,, c. IV.
Ses confrères ne le virent pas partir sans re-
gret, et ce sentiment les honore autant que lui.
L'un d'eux alla jusqu'à lui dire, avec une pointe
de raillerie < Va, va, tu deviendras un saint 1
Mon frère, répliqua doucement le servi-
teur de Dieu, lorsque vous apprendrez que je
suis devenu un saint, vous en bénirez le Sei-
gneur (i). Et il continua sa route, sans regar-
der en arrière. Il avait trouvé sa voie.
Il était jeune encore, <: dans sa vingt-cin-
quième année (2) remarquent les chroniques
franciscaines; il était surtout plein d'ardeur et
de zèle.
Un sublimeidéal se dressait devant lui, l'idéal
du missionnaire qui s'en va, la croix à la main,
prêcher l'Évangile aux peuples assis à l'ombre
de la mort et verser son sang pour la vérité. Il
avait hâte de le réaliser. D'ailleurs, il avait peur
d'être arrêté, dès les premiers pas, par ses pa-
rents, qu'alarmerait une tentative si témé-
raire (3). Il brusqua son départ, et après avoir
fait profession entre les mains de ses supé-
rieurs, il dit adieu à l'ermitage d'Olivarès, à sa
i. Cum me fore sanctum audieris, Deum collau-
dabis. (Legenda prfma,, p. I, c. iv.)
2. Chfomt~tte des vingt-quatre <?emerEK<:e.
3.. Parentmm snornm impetum formidabat.. ~e-
genda prima, loc. cit.) Cette phrase ne vise-t-elle pas
principalement le père et la mère du thaumaturge ?2
Cependant, il faut l'avouer, dans le latin médiéval, l'ex-
pression parentes a un sens plus large que dans le latin
classique. Consulter Du, CAN&E, qui commente ainsi
~article parens Sanguine proxumis, agnatus, cogna-
tus.»
patrie, qu'il ne devait plus revoir, et s'embar-
qua pour le Maroc, dans le courant de l'au-
tomne de l'anmée ïaao, d'après Azévédo (i).
Lorsque saint Antoine aperçut pour la pre-
mière fois les côtes d'Afrique, il éprouva un
tressaillement indicible. Il allait fouler ces ri-
vages encore humides du sang de Bérard et de
ses compagnons, cette terre où florissaient au-
trefois des chrétientés fameuses par leurs pon-
tifes et leurs docteurs, les Tertullien, les Ar-
nobe, les Optat, les Fulgence, les Augustin, et
qui semblait maudite depuis qu'elle était cou-
verte par le flot impur de l'Islam. Il relèverait
les ruines, il replanterait la croix, il ressusci-
terait les merveilles du passé puis, tombant
sur la brèche,il rendrait un dernier témoignage,
par l'effusion de son sang, à la divinité du Fils
de l'homme (2).

I. Il taumaturgo portoghese. La légis!ationfranciscaine


confirme l'opinion d'Azévédo. A cette époque, en effet,
le noviciat n'était pas encore introduit dans la discipline
des Frères-Mineurs et ce ne fut qu'en laao, le 12 sep-
tembre, par la bulle Quum secundum (POTTHAST,Regesta
JPon.tt/Ront., n. 636!) qu'Honorius III leur imposa
une année de probation Nul ne doute que saint
Antoine ne se fût soumis à cette décision, s'~ l'eût
connue; et la logique nous amène ainsi à conclure qu'il
dut quitter son pays avant que le rescrit pontifical
n'y fût parvenu. WADDtNG (Annales Mtttortttn, ad
ann. tssr, n. x) assure qu'il était accompagné d'un jeune
Frère lai de CastiIIe; nommé Philippe. Les légendes pri-
mitives n'en parlent pas mais le fait n'a rien que de
vraisemblable et de conforme aux coutumes de l'Ordre.
2. J. RIGAUD, C. IV.
Rêves d'un cœur d'apôtre, rêves sublimes
Mais que les desseins de Dieu sont différents
des desseins de l'homme! A peine le jeune mis-
sionnaire eut-il touché ces plages infidèles que,
par suite des fatigues de la traversée et du
changement de climat, il fut saisi de fièvres et
de douleurs qui le clouèrent tout l'hiver sur son
grabat. Il ne traversa point les rues du Maroc
il ne se fit pas entendre à la porte des mosquées.
Ses biographes De mentionnent pas un seul acte
de zèle, pas le plus timide essai de civilisation.
Réduit à l'impuissance, il dut, bien qu'à regret,
songer au retour et se résigner à quitter une
terre qui semblait fermée à toutes les aspira-
tions de son zèle (i).
Similitude étonnante! Trois fois saint Fran-
çois se lance à 4a conquête des infidèles; trois
fois il court au-devant d'un échec. Saint Antoine
subit une épreuve du même genre. Tous les
deux aspirent au martyre; ni l'un ni l'autre
n'y parviennent. Mais Dieu ne tient-il pas plus
compte des intentions que du succès ? C'est la
pensée de l'hagiographe limousin. a Oh t le vail-
lant soldat du Christ, s'écrie-t'-il, vrai martyre
de désir, dont la tête n'est pas tombée sous le
glaive du bourreau, mais qui n'en a pas moins
conquis la palme du triomphe (2) < Seulement
ce n'est pas sous le cimeterre des Maures qu'il
doit tomber; ce n'est pas sur les plages stériles
i. J. RIGAUD, c. iv. Cf. la Legenda yWma, c. v, et la
Legenda secunda, c. v.
a. 0 martyr desiderio. (J. RIGAUD, c. m.)
de l'Afrique, mais sur le sol de l'Europe, parmi
les peuples qui courent à l'apostasie, qu'il ré-
pandra ses sueurs et qu'il moissonnera des
âmes. A d'autres la palme du martyre; à lui
l'auréole de l'apostolat.
Mais que d'épreuves encore auparavant
Pendant qu'il faisait voile vers le Portugal, le
navire qui le portait, surpris par une de ces
rafales si fréquentes en hiver dans les eaux de
la Méditerrannée, fut emporté par la violence
des vents et jeté sur les côtes de Sicile. Saint
Antoine se dirigea immédiatement vers la ville
de Messine, aux environs de laquelle les Frères-
Mineurs possédaient un abri provisoire. Là, au
bout d'un ou deux mois de repos, il se sentit re-
naître à la vie; et lorsque parvint dans cette
ville la convocation officielle du quatrième Cha-
pitre de l'Ordre, il résolut de se rendre à Assise,
pour se mettre à la disposition du saint fon-
dateur (i). Les légendes primitives ne nous four-
nissent pas d'autres détails sur son séjour en
Sicile; elles ne nous disent absolument rien sur
la' manière dont il effectua son voyage, du port
de Messine aux montagnes de l'Ombrie.
Le Chapitre s'ouvrit à la Portioncule, le
3o mai 1221. L'année précédente, saint François
s'était démis de ses fonctions de Ministre géné-
ral mais la mort de Pierre Cattani (10 mars 1221 )
l'avait forcé d'intervenir de nouveau dans l'ad-
ministration et le gouvernement de l'Ordre. Il

Legenda pftmot, n. c. v.
confia au Fr. Elie la charge de vicaire général
et s'assit à ses pieds. Sa voix était si faible
qu'on pouvait à peine l'entendre. Elie trans-
mettait ses ordres, écoutés dans un religieux
silence.
L'assemblée était des plus imposantes; elle
comptait plus de deux mille Frères, accourus
du nord et du midi, et présidés par le cardinal
Ranerio Capoccio. C'était le printemps de
l'Ordre séraphique une sève abondante cir-
culait dans ces âmes et s'épanouissait en fruits
admirables. Silvestre, le contemplatif chéri de
Bieu, Gilles l'extatique, Thomas de' Célano, le
chantre inspiré du Stabat, Electe,JeandePiano-
Carpino et cent autres qui portaient les glorieux
stigmates des souffrances endurées pour la foi,
toutes ces figures embellies par nous ne savons
quelle douceur séraphique, ravissaient d'admi-
ration le jeune Portugais. Lorsque saint Fran-
çois proposa la mission d'Allemagne, quatre-
vingts Frères se levèrent, comme pour aller au
martyre (i). La scène était émouvante.
Au-dessus de tous brillait le Patriarche séra-
phique, autant par la supériorité de ses vertus
que parle prestige de son autorité saint Fran-
çois, qui était l'âme de cette assemblée; saint
François, que tous aimaient comme un père~
que tous vénéraient comme un saint, que tous
saluaient comme leur chef; saint François qui,
I. Chronique de Jourdain de Giano (Analecta Fran-
ciscana, 1.1, p. 6-8). Voir notre Vie de saint jFfançoM, t
p. 243.
à l'heure de la séparation, rassemblant tout ce
qu'il avait de forces, dictait se& volontés, exci-
tait le courage de ses fils, bénissait leurs per-
sonnes et leur zèle, et les envoyait à la lutte
avec les promesses de l'éternité. Saint Antoine
ne pouvait ni se rassassier de contempler ce
visage émacié, expressif, aux célestes reflets
d'humilité,de zèle et d'amour, ni assez remer-
cier le divin Maître de l'avoir appelé à une
milice si providentiellement envoyée au secours
de son Eglise.
Ce furent les seuls rapports qu'eurent entre
eux les deux plus grands thaumaturges de
l'Ordre. Le Réformateur ombrien, lui, si pers-
picace, si largement doué du discernement des
esprits, lui qui avait salué en saint Dominique
un frère d'armes, sans l'avoir jamais vu, ne
connut pas ce fils qui allait le plus illustrer son
institut. II répartit les charges, assigna les rési-
dences, indiqua les nouvelles missions. Saint
Antoine fut oublié Ce jeune homme au regard
si limpide, à la physionomie si attrayante, aux
manières si distinguées, demeura isolé au milieu
de cette phalange d'ouvriers apostoliques, lui
qui devait en être le plus célèbre. « Aucun Pro-
vincial ne songea à le réclamer écrit son pre-
mier biographe. Onle regardait commeun novice,
comme un être inhabile aux emplois. Il était
tMco~MM(i) Dieu permettait cette humiliation,
afin d'accroître les mérites de son fidèle servi-
1.. A nullo ministrorum petitus est, quia nec cogni-
tus. (Legenda prima, p. I, c. vi.)
teur. Il se réservait de mettre, en temps oppor-
tun, la lumière sur le chandelier.
La position devenait embarrassante. Le
Bienheureux s'en tira avec une extrême délica-
tesse. Prenant à part le Fr. Gratien, Provin-
cial de Bologne~ il le supplia de l'emmener avec
lui et de le former aux exercices de la discipline
régulière (i). Pas un mot du passé; pas la
moindre allusion à ses études théologiques.
<
Connaître, aimer, imiter Jésus, et Jésus cru-
cifié telle était sa devise (2). Gratien, touché
de la candeur exquise de son interlocuteur et
déférant à ses voeux~ l'embrassa avec effusion,
et ils partirent ensemble pour la Romagne, où
nous les suivrons.

< Connaître, aimer, imiter Jésus, et Jésus


crucifié 1 Cette devise, que n'eût pas désavouée
l'auteur de l'Imitation, résume en termes aussi
concis qu'expressifs toutes les tendances,
toutes les aspirations intimes du fils de don
Martin. A quinze ans, encore incertain de sa
vocation, il avait cherché Dieu de toute l'ardeur
de sa jeunesse, et l'ayant trouvé sur les hau-
teurs du Calvaire, il s'était attaché à lui à
vingt-cinq ans, il s'était élancé, joyeux, sur la
route du martyre. Frustré dans ses espérances,
I. (Jesum) et hune crucifixum scire, sitire, amplecti
velle proelamabat. » (Legenda pruna, p. I, c. yt.)
2. J. Ri&AUD, c.tv.– La Province de Romagne (ou
de Bologne) comprenait alors l'Emilie, la Romagne et
la Lombardie (notes d'AzzoGUIDI, Stcco POLENTONÉ,
p. cxuu).
il éprouve ce besoin qu'ont éprouvé tous les
saints, de s'isoler du reste de la création, afin
de s'entretenir seul à seul avec Celui qui a
gagné son cœur. Lui aussi, il veut contempler
de plus près la victime sanglante du Golgotha
lui aussi, il veut scruter plus à fond le mystère
de la croix, le réaliser en lui-même, le prêcher
à tout l'univers. Voilà pourquoi, comme à tous
les cœurs saisis de la divine folie de la croix, il
lui faut le recueillement de la solitude. Là, l'air
est plus pur, la paix plus profonde, le commerce
avec Dieu plus facile; et l'âme admise aux en-
tretiens célestes peut plus aisément satisfaire
ce désir d'adorer et de s'anéantir qui la tour-
mente.
L'Ordre posséda de bonne heure deux sortes
de résidences les grands couvents à la porte
des villes populeuses, et les petits couvents ou
ermitages dans la solitude des bois. A Monte-
Paolo, à dix milles environ de Forli, sur les
pentes de l'Apennin, se trouvait un de ces ermi-
tages préférés par les esprits méditatifs. Notre
Bienheureux' sollicita et obtint l'autorisation
de s'y retirer. Là, il découvrit une grotte sau-
vage, cachée dans un massif de sapins, fermée
aux vains bruits de la terre, taillée dans le roc,
avec une de ces échappées sur l'azur du ciel qui
plaisent tant aux contemplatifs. Elle était occu-
pée par un de ses frères en religion, qui con-
sentit à la lui céder. Il y passait une partie de ses
journées, depuis les matines jusqu'à la confé-
rence du soir. Un peu de pain, un verre d'eau
fraîche, voilà toute sa nourriture. Il matait sa
chair pour la soumettre à l'esprit, durement,
sans pitié pour frère l'âne (expression par la-
quelle saint François désignait le corps). < Ses
lèvres bleuies et ses joues creusées par le jeûne
témoignaient de la rigueur de la lutte. Ses
genoux fléchissaient sous le poids du corps, et
souvent, au dire d'un témoin oculaire, il lui
fallait le bras d'un Frère pour ne pas tomber en
chemin (i).
Il passa près d'une année dans cette Thé-
baïde, au milieu d'effrayantes austérités dont
les anges seuls furent témoins. Année féconde!
Car aux rigueurs de la pénitence se mêlaient
les vues profondes et les délices de la contem-
plation. Son esprit se nourrissait de la moelle
des saintes Ecritures, son âme s'enivrait de la
sanglante vision du Calvaire, et son cœur s'é-
prenait chaque jour davantage de l'idée du
sacrifice et du dévouement.
C'est sur les cimes inaccessibles, parmi les
neiges éternelles, que s'élaborent en silence les
torrents destinés à fertiliser les vallées. L.a
solitude des montagnes, où se forment les
fleuves, est aussi la source des vocations provi-
dentielles. Elle les inspire, trempe les caractères
et prélude à l'action; comme l'a dit un philo-
sophe, elle est la patrie des forts C'est d'une
grotte qu'est sorti saint François d'Assise, le
sauveur du xni" siècle, et, avant lui, les saint
I. Legenda prima, p. ï, c. 'vi. Cf. RIGAUD, e. iv, et
!ajLeg~M<~tsecMKt!a,c. n.
Bernard, les saint Norbert, les saint Benoît.
C'est également du creux d'un rocher que sor-
tira puissant thaumaturge qui remuera les
le
nations de l'Occident. L'eau des glaciers ne
cherche qu'une fissure pour déborder et inonder
les flancs de la montagne; le contemplatif de
Monte-Paolo n'attend qu'un signe de la Provi-
dence pour épancher son âme et verser sur le
monde des torrents de lumière et d'amour. Le
moment est venu; le signe va être donné, dans
une scène mémorable qui décidera de l'avenir
du Bienheureux.
Écoutons le naïf récit de son premier bio-
graphe.
Les cérémonies de l'ordinationavaient attiré
à Forli plusieurs religieux, tant Frères-Mineurs
que Frères-Prêcheurs, appelés à recevoir les
ordres sacrés et réunis ensemble. Le contem-
platif de Monte-Paolo se trouvait parmi eux.
Lorsque vint le moment de prononcer l'allocu-
tion habituelle sur la sublimité des fonctions
sacerdotales, le Supérieur des Franciscains (i)
offrit gracieusement cet honneur aux fils de
saint Dominique; et sur leur refus de parler
ainsi à l'improviste dans une circonstance aussi
solennelle,il se tourna vers Antoine et lui enjoi-
gnit d'adresser aux jeunes lévites une pieuse
exhortation, sans effort, sans recherche, au

1. Minister Joci. ~JLe~ettdœ ~rMna.~ La I-e~eada


secunda et Jean Rigaud emploient les mêmes expres-
sions. Désignent-elies le Frère Gratien, le Provincial de
Bologne, ou le Supérieur local ? Les avis sont partagés.
gré de l'inspiration divine. Il avait eu l'occasion
de l'entendre s'exprimer en latin (i), et c'était le
motif de sa confiance; mais ni lui ni les autres
Frères ne soupçonnaient le savant et le mys-
tique profond. Ils ne connaissaient que le reli-
gieux mortifié, plus apte à laver la vaisselle
qu'à exposer les mystères des pages inspirées.
Les assistants joignirent leurs instances à
celles du Supérieur, et le Bienheureux céda,
s'abandonnant aux mouvements de l'Esprit-
Saint. Sa parole, d'abord timide, devint bientôt
rapide et prit peu à peu tout son essor, claire,
limpide, d'une richesse doctrinale qui captivait
l'auditoire, d'une éloquence qui trahissait une
âme de feu. Les yeux fixés sur l'orateur, les
Dominicains et les Franciscains écoutaient,
surpris, hors d'eux-mêmes, ne sachant ce
qu'il fallait le plus admirer, ou de la beauté
de son génie ou de la profondeur de son humi-
lité (a). ~j
« Surprise, stupéfaction, enthousiasme, tous
les sentiments se mêlaient dans l'âme des audi-
teurs, ajoute de son côté l'hagiographelimousin.
Jamais homme n'a parlé comme celui-ci, jamais
nous n'avons entendu plus beau discours, se di-
saient-ils les uns aux autres, en échangeant
leurs réflexions (3).
Ravi et fier d'un succès qui en présageait

x. Litteraliter loqui » (Legenda prima) signifie, au


moyen âge, parler latin (Du CANGE).
2. Legenda prima, p. I, c. VJ!.
3. < Nunquam sichomo locutus est. (J.R:GACD, c. v.)
tant d'autres, Gratien, le Provincial de Bologne,
se hâta d'en informer le Ministre général, saint
François d'Assise, dont l'esprit clairvoyant et
l'humeur primesautière se manifestent une fois
de plus dans sa réponse. Sous le coup de l'allé-
gresse causée par la lecture de l'incident de
Forli, le fondateur, au rapport de Thomas de
Célano, voulut que sa lettre fût précédée de
la suscription suivante <: Au
Frère An-
toine, mon évêque (i). » Mon euê~Me/ C'est-à-
dire, dans sa pensée, un docteur capable de
guider ses frères, un dispensateur de la science
et de la vie, un flambeau destiné à éclairer la
maison de Dieu.
Ne convenait-il pas de placer immédiatement
cette lumière sur le chandelier? C'est ce que fit
saint François, avec la promptitude et la clarté
des esprits intuitifs. Dans sa lettre, aujourd'hui
perdue, mais dont la chronique de Jean Rigaud
nous donne le sens, il ne se contentait pas de
conférer au contemplatif de Monte-Paolo les
patentes de prédicateur; « il lui enjoignait de
sortir de la quiétude de sa retraite et de ceindre
le glaive de la parole divine (2). n

t. «Fratri Antonio, episcopo meo. (Tn. DE CÉLANO,


Vita secunda, p. III, c. xctx.) SAUMBÉNË (Chronique
de Parme, p. 3o) applique à saint Antoine le terme fort
envié de « compagnon de saint François Socius Beati
Francisci Peut-être ne faut-il voir dans cette appel-
!ation, comme dans celle de mon évéque qu'un titre
«
d honneur décerné par le Poverello au thaumaturge
portugais, en raison des services rendus à l'Ordre.
2. Generalis sibi officium praedica.tionis injunxit. »
(J. RiGAUD, V.)
C.

4
Les sainte ont leurs attaches et leurs préfé-
rences mais ils savent sacrifier leurs goûts
personnels, pour se conformer à la volonté de
Dieu, manifestée par l'organe de leurs Supé-
rieurs. C'est l'édifiant spectacle que nous offre
le contemplatif de Monte-Paolo. Il quitta sans
hésitation, comme sans délai, la grotte et les
forêts ombreuses qui l'avaient abrité, pour
s'employer aux travaux des missions popu-
laires organisées par le Patriarche séraphique.
Il entrait ainsi de plain-pied dans sa voie, avec
les ressources d'un génie d'une intarissablefé-
condité. N'est-ce pas le moment, avant qu'il
paraisse en public, d'essayer de saisir, dans les
chroniques médiévales, les traits caractéris-
tiques de sa physionomie?
Orateur, il l'est par nature; apôtre, par voca-
tion un apôtre hors ligne. Grande figure et
belle figure; nature à part, d'une douée! angé-
lique, d'une jeunesse qui semble impérissable.
Il est dans la maturité du talent et admirable-
ment doué pour les luttes de la parole. Il a les
qualités qui distinguent l'orateur sacré la grâce
qui attire, le feu qui entraîne, la puissance qui
subjugue, la connaissance du cœur humain et
la science des saintes Écritures. <c Le timbre de
sa voix est clair et sonore, remarque une lé-
gende qui a pour le moins ici la valeur d'une
tradition. Tous l'entendent, tous le compren-
nent sans effort; et quoiqu'étranger à l'Italie
par son origine et son éducation, il en parle la
langue avec autant de correction, avec autant~'
d'élégance, que s'il n'avait jamais mis le pied
hors de la ~péninsule (i). » Par-dessus tout, un
grand souffle l'anime, le souffle divin qui
transportait les prophètes. Il est un de ces
voyants d'Israël, un de ces hommes aposto-
liques dont l'Église aime à se servir, quand elle
veut remuer l'humanité, parce qu'ils sont tout
remplis du sentiment de leur mission et qu'ils
déploient une indomptable énergie dans l'ac-
complissementde leurs devoirs.
Voix de Dieu, voix puissante, il paraît à son
heure sur la brèche. Saint Dominique vient de
descendre dans la tombe; saint François,
épuisé, languissant, ne parlera plus au peuple
que par l'aspect de son visage transfiguré et
par le spectacledes sacrés stigmates imprimés
sur sa chair. Le jeune orateur est destiné à
continuer et à compléter les travaux des deux
Patriarches. Sur l'initiative du Poverello, avec
des mérites divers, mais avec un égal courage,
il dépensera tout ce qu'il a de talent et de forces
au service de la cause commune qui les a ralliés:
cause plus grande qu'eux, sublime, passion-
nante, toujours délaissée, toujours victorieuse,
la cause de Dieu i
De quel côté portera-t-il d'abord ses efforts?
Interrogeons les documents contemporains
et si la chronologie, dont ils ne s'occupent pas,
demeurelà, comme ailleurs, flottante et obscure,
i. Linguam italicam loquebatur politice. (Lég.
Benignitas, p. 218.) Italico idiomate remarque
également Surius.
nous saurons du moins que les faits allégués
sont d'une indiscutable authenticité.
La Romagne eut les prémices de l'apostolat
d'Antoine, et ce fut à l'égard des Cathares ou
Patarins, que s'exerça tout d'abord son zèle.
Voilà du moins ce qu'insinuent les légendes
primitives (i).
Les Cathares ou néomanichéens infectaient
alors toute la péninsule, des plaines de la Lom-
bardie aux montagnes de la Calabre. Gens er-
goteurs, rusés, fanatiques, ils séduisaient les
simples par leurs dehors austères, se glissaient
partout et en dépit des peines édictées contre
eux par les empereurs d'Allemagne, le parti
Gibelin, alors maître du pouvoir dans les Ro-
magnes, avait pour eux des ménagements.
Milan et Rimini étaient leurs principaux cen-
tres de propagande (2).
Les prédicateurs, faute d'autorité morale ou
d'habileté dans le choix de leurs arguments,
avaient en vain jusque-là tenté d'enrayer les
progrès du mal. Le disciple de saint François
fut plus heureux. Ayant l'intuition que Rimini
était le foyer du mal, il alla droit à cette ville,
comme le conquérant marche à la forteresse
qui doit lui livrer le pays. Plein de compassion

I..Légende prima, p. I, c. vin; et Legenda altera


(éd. JosA., p. 8). Nous étudierons plus loin, à l'occasion
des Albigeois, le caractère antisocial de cette hérésie.
2. V. G. SCHMIDT, Htst. et doctrine de la secte des
Cathares.
pour ces pauvres égarés, il assembla tous les
habitants, leur dénonça sans crainte les igno-
minies des doctrines manichéennes et réussit à
déchirer le bandeau fatal qui leur couvrait les
yeux. <t Bon nombre d'entre eux rétractèrent
publiquement leurs erreurs, et entr'autres un
des chefs de la secte, nommé Bonvillo (i), en-
lacé depuis une trentaine d'années dans les
liens de l'hérésie. Il répara par un repentir sin-
cère ses longues années de défection, et vécut
désormais en fils soumis de l'Église (2). »
En dehors de Rimini, les biographies an-
tiques que nous venons d'analyser ne dési-
gnent aucune autre localité. Elles se contentent
d'accompagnerleur récit d'une appréciationplu-
tôt vague et sommaire des résultats de cette
première excursion. < Par l'intrépidité de son
caractère, affirme l'une, Antoine mérita d'être
appelé un homme apostolique (3). Les pa-
tentes de prédicateur, ajoute l'autre, n'étaient
pas pour lui un vain titre. C'était le messager
de la bonne nouvelle, parcourant sans relâche
les cités et les bourgades; c'était le semeur
creusant chaque jour son sillon et répandant
à pleines mains, en tous lieux, le bon grain
de~Ia vérité; c'était le héraut de l'Évangile,
rempli de sagesse et d'intelligence et parlant

I. Bonvillo, Bonillo, Bononillo le nom varie suivant


les manuscrits.
2. Legenda prima, p. I, c. vin. Cf. J. RIGAUD, c. VIII
et Legenda altera (JosA), p. 89. Aucune date.
3. Legenda prima, loc. cit.
avec autorité dans l'assemblée des fidèles (ï). JI
Au retour de Rimini, le zélé missionnaire fut
appelé à d'autres fonctions, non moins impor-
tantes, exigeant, dans tous les cas, des apti-
tudes toutes spéciales les fonctions de lecteur
ou professeur de théologie. C'est ce que nous
apprennent plusieurs écrivains médiévaux que
nous pouvons considérer ici comme les inter-
prètes des traditions franciscaines. « Le pre-
mier d'entre ses frères, lisons-nous dans la
Legenda altera (?), il exerça l'office de docteur
scholastique; à Bologne e, dit positivement
Paulin de Pouzzoles (3). Docteur scholastique
cette expression signiâe, dans la pensée de
l'auteur, que le fils de don Martin, sans être
muni de diplômes académiques, possédait
vraiment la science des docteurs des Univer-
sités.
Dans le choix du lecteur se manifeste la clair-
voyance du Patriarche séraphique, et dans
l'érection de l'école, son esprit d'initiative. On
lui impute à tort d'irréductibles préventions
contre la science. Il avait conscience des besoins
de son époque et comprenait la nécessité des
études pour la formation intellectuelle des
jeunes clercs de sa congrégation; mais il avait
son programme à lui, un programme lumineux
qui peut se résumer en deux mots Science et

t. J. RIGAUD, C. VtU.
2. « Primus in Ordine doctoris scholastici exercuit
officium. (P. JoSA~ p. 91.)
3. Historia ab origine mtMttK, g ~o.
sainteté Deux sœurs inséparables; mais la
sainteté au premier rang. Volontiers il eût sous-
crit à cette parole de l'Imitation: Quand vous
sauriez par cœur toute la Bible et toutes les
sentences des philosophes, à quoi cela vous ser-
Il
virait-il sans la grâce et la charité (i) ? voulait
donner à l'Ordre des religieux exemplaires, et
à l'Évangile des propagateurs instruits, capa-
bles de réfuter les allégations mensongères des
novateurs. Sa pensée se reflète tout entière
dans l'épître adressée à cette occasion au pro-
tégé du Frère Gratien et dont voici la teneur,
d'après les documents les plus anciens.
< Au Frère Antoine, mon évêque, Frère
François salut. Il me plaît que tu enseignes la
sainte théologie à nos Frères, pourvu que les
études de ce genre n'éteignentpas l'esprit d'orai-
son et de piété, selon qu'il est prescrit dans la
Règle adieu (2). »
Précédemment, le fondateur avait écarté, dé-
pouHlé de toute prélature et, selon Wadding,
il avait maudit sans pitié Pierre de Stacchia,
Provincial de Bologne, pour le punir d'avoir,
malgré sa défense, ouvert une école à Bologne.
Pierre de Stacchia était un intrus, un indigne,
un révolté 1 En revanche, il confia volontiers la
direction de la même école au filsde don Martin,

1. De Imitat., 1.1, c.
2. Legenda antiqua (Actus B. Francisci) compilation
terminée vers l'an i3aa. Ct. le manuscrit 4.354 de la
Bibliothèque Vaticane. Le Liber miraculorum repro-
duit le même billet, mais avec quelques remaniements.
parce qu'il avait découvert en lui les deux qua-
lités requises le savoir uni à l'humilité.
Antoine remplit donc l'office de lecteur, non
à l'Université bolonaise, qui n'eut pas de fa-
culté de théologie avant i36o (i), mais sur un
théâtre plus modeste, avec plus de fruit que
d'éclat, auprès de ses jeunes frères en religion,
dans l'intérieur du couvent franciscain (a).
Abandonna-t-il totalement, pendant ce temps-
là, le ministère de la prédication ? Rien ne le 0
fait présumer.
Des leçons du docte professeur, il ne nous
reste rien, sinon qu'elles marquent dans l'his-
toire de l'Ordre séraphique une évolution dont
le Réformateur ombrien et son disciple préféré
partagent le mérite. D'après la Légende ano-
nyme dont nous venons d'invoquer le témoi-
gnagne, Antoine avait étudié à fond les œuvres
répandues sous le nom de saint Denys l'Aréo-
pagite. a C'était, affirme-t-elle, un maître
consommédans la connaissance de la théologie
mystique (3). Il avait les lumières des Chéru-
bins ajoutent les contemporains du Bienheu-
reux (~.), qui nous le représentent planant d'un
vol d'aigle sur les hauteurs de la spéculation.

I. DE SAV1GNY, Hist. tUt Droit romain. t. III, p. l33.


2. « Fratribus et aliis publiée. (JosA, Legenda altera,
P. 90.)
3. Mysticorum eloquiorum eapacissimus. (JosA,
Legenda altera, p. go.)
4.Entre autres Luc Belludi, frère d'armes du Saint
dans l'apostolat. Cherubmee mentis altitudinem com-
mendant. » (Edit. LOCATELLI, préface.)
A ces détails dont l'authenticité nous paraît
suffisamment établie, se mêlent certaines sup-
positions plus ou moins hasardées dont il nous
faut dire un mot. Voici les principales.
Saint Antoine aurait été, pendant cinq ans,
le disciple de Thomas Gallo, abbé de Saint-
André de Verceil et savant commentateur de
saint Denys l'Aréopagite (i) supposition dont
on ne trouve pas trace dans les documents pri-
mitifs et qui ne cadre pas, du reste, avec la
chronologie antonienne. En réalité, si Thomas
Gallo a entretenu des relations familières avec
notre Bienheureux, ainsi que le rapportent
compilateurs et annalistes, elles n'ont été ni de
longue durée ni de maître à disciple (2).
De plus, le thaumaturge aurait prêché un ca-
V. la Legenda antiqua et le Liber miraculorum
(n. 19). La Legenda altera (P. JosA, p. go) ne parle pas
d'années. L'abbaye de Saint-André était une filiale de
Saint-Victor de Paris.
2. Les deux mots que nous avons soulignés sont
extraits d'un éloge que Salvagnini (S. Antonio di Pa-
doua, p. g3) place dans la bouche de l'abbé de Saint-
André et dont voici la traduction littérale. « Bon nombre
d'esprits ont pénétré les mystères de la sainte Trinité,
comme je l'ai constaté moi-même chez Antoine, de
l'Ordre des Mineurs, dans les relations ~anM/tères que
j'ai eues avec lui. Peu instruit dans les sciences pro-
fanes, il acquit si rapidement la théologie mystique,
qu'il était embrasé au dedans d'une ardeur toute céleste
et qu'il répandait au dehors les clartés d'une science
toute divine. 'La Chronique des vingt-quatre Généraux,
Wadding, Glassberger (Analecta Franciscana, t. II,
p. 3~), font allusion à ce passage. Salvagnini déclare
t'avoir textuellement reproduit d'après un manuscrit de
)'. BiMiothèque de Turin. Malheureusement, il a été
impossible jusqu'ici de le retrouver.
rême à Verceil et y aurait même ressuscité un
mort (i) deux faits'd'une certitude très problé-
matique. Enfin, durant son séjour à Verceil, il
aurait lié connaissance avec Jean Gersen, abbé .`-
de Saint-Étienne, un des auteurs présumés
de l'Zntifa<tO?t et, par suite, il aurait eu sa part
dans la paternité du plus beau livre qui soit
sorti d'une plume simplement humaine (a~.
Cette nouvelle assertion ne repose sur rien de
sérieux; et nous pouvons même répondre avec
M. l'abbé Lepître, que les Œuvres attribuées
à saint Antoine ne ressemblent à l'Imitation
ni par les idées, ni par le style (3). »
Combien de temps < le lecteur de théologie
demeura-t-il ainsi à Bologne ? Deux ans au
plus, pensons-nous. Ce n'est qu'une présomp-
tion, puisque les légendes primitives ne parlent
pas de la durée de son séjour, mais une pré-
somption fondée sur la multiplicité des futurs
travaux du thaumaturge et la rapidité de sa
course. La question, du reste, est d'ordre tout
à fait secondaire ce qu'il faut par-dessus tout
considérer ici, c'est l'importance des résultats
acquis un foyer de science théologique créé,
un vigoureux essor donné aux jeunes intelli-
gences, une génération d'apôtres formée selon
l'idéal du Patriarche séraphique. Ce dernier
pouvait être fier de l'ouvrier de son choix.

a:. WABmufG, ad ann. tssa, a. 32.


a. Voir l'article du. P. MAME-ANToms DE TOULOUSE
(jourma.! !'EMcefs, 24 ao&t 1894).
3. LEPITRE, S. Antoine de Padoue, p. ?!.
Cependant, pour notre Saint, le lectorat n'est
encore qu'un prélude, un pas en avant vers sa
vocation définitive l'apostolat. C'est par le
ministère de laparole qu'il a subjugué ses con-
temporains c'est par là qu'il ne cesse de s'im-
poser à l'attention de ceux qui s'occupent de
l'histoire du xni* siècle. Aussi le suivrons-nous
avec uu intérêt croissant dans cette nouvelle
période de sa vie franciscaine, et d'abord sur le
champ d'action que le génie du Patriarche sëra-
phique va assigner à ses labeurs la France
malheureuse, en proie aux surexcitations d'un
conflit religieux et d'une guerre fratricide (i) 1

i. Au sujet de la question albigeoise, que nous abor-


dons, les sources à consulter sont peu nombreuses et
très diverses. Tous les écrits de la secte ont disparu il
ne nous reste que la réfutation catholique au point de
vue dogmatique, les décrets des conciles, les procès-
verbaux de l'Inquisition (archives de la Bibliothèque
nationale, de Toulouse et d'Albi), le traité de Lac de
Tuy contre les Albigeois, la Summa de Catharis du
dominicain Rainier Sacconi, ancien ministre de la secte
au point de vue historique, les chroniques de deux
contemporains, Pierre de Vaux-Cernay, l'apologiste de
Simon de Montfort, et Guillaume de Puylaurens, cha-
pelain de Raymond VII et partisan des comtes de Tou-
louse. On pourrait y adjoindre, dans une certaine me-
sure, le poème languedocienqui a pour titre la Chanson de
la Croisade. Divisé en deux parties, il a eu deux auteurs:
Guillaume de Tudèle, assez impartial dans ses juge-
ments, et un troubadour anonyme nettement hostile à
la croisade. On trouve çà et là des tableaux d'un vif
cotoris telle la scène du Latran, reproduite par Luchaire
(Innocent III, la Croisade contre les Albigeois, p. 248);
mais on aurait tort d'y chercher l'exactitude de l'his-
toire, les poètes ayant l'habitude de ne considérer les
hommes et les choses qu'à travers le prisme de leurs
passions.
CHAPITRE IV
SAINT ANTOINE ET L'HÉRÉSIE ALBIGEOISE

Dans la France ensoleillée, des rives de la


Garonne aux bords du Rhône, vivait au
xn" siècle, un peuple aimable, au verbe sonore,
à l'enthousiasme facile, aux mœurs légères.
Chez lui, la religion cédait le pas aux préoccu-
pations d'un ordre inférieur. Ses troubadours
chantaient les intrigues galantes ses châte-
laines s'intéressaient à la poésie, ses barons à
l'agrandissement de leurs domaines, ses bour-
geois au maintien de leurs privilèges, ses mar-
chands à leurs comptoirs. Ses grandes cités,
Arles, Marseille, Narbonne, Montpellier, Tou-
louse, étaient les entrepôts du commerce, les
unes avec le Levant, les autres avec l'Espagne.
<
L'échange des marchandises et des idées, la;
diversité des races et des croyances, le mélange
des éléments d'Orient et d'Occident y créaient,
avec la richesse, cette mobilité d'esprit et ce
goût de la nouveauté qui favorisent, tous les;
changements (i). »
Cet état d'âme, ce dilettantisme intellectuel,
nous fournit la raison de la facilité avec laquelle
s'infiltrèrent dans les régions du Midi, les
erreurs les plus diverses, celles de Pierre de
Bruys, d'Henri de Lausanne, de Pierre Vaido,
I. ACHILLE LUCHAIRE, Innocent III, la CrOMOtc!e des'
Albigeois, p. 2.
enfin la plus radicale, la plus subversive de
toutes, cette hérésie des Cathares que saint An-
toine a cent fois rencontrée sur sa route, de
Rimini à Milan, de Toulouse à Bourges hérésie
dont il est nécessaire, pour comprendre le bien-
fait de l'intervention des Franciscains, de con-
naître la nature et les tendances.
D'origine orientale, proscrit par les empe-
reurs de Byzance, le catharisme s'était réfugié
chez les Gréco-Slaves et les Bulgares, dans la
péninsule des Balkans. Colporté de là par les
étudiants et les marchands,véhicules ordinaires
de l'hérésie, il avait gagné les bords de l'Adria-
tique et peu à peu contaminé l'Italie, la France,
l'Allemagne. En France, il avait atteint spora-
diquement quelques villes du Centre et duNord
(telles la Charité-sur-Loire, Nantes, Saint-
Malo), et par groupes plus considérables, dans
la seconde moitié du xii" siècle, le littoral de la
Méditerranée. Le concile de Tours de n63,
présidé par Alexandre III, anathématisait
l'hérésie qui de Toulouse s'était répandue,
comme un chancre envahisseur, dans la Gas-
cogne et les contrées avoisinantes (i) Quatre
ans après, Albigeois et Patarins n'en tenaient
pas moins une sorte de congrès à Saint-Félix
de Caraman, aux portes de la capitale du Lan-
guedoc (2) et là, enhardis par le succès, ils se

MANsi, Concil., t. XXI. Le mot Cathare signifie


« pur «,
2. A cette réunion assistaient les principaux person-
nages de la secte Nicétas de Constantinople, Marcus
proclamaient sans ambages les disciples de
Manès, en posant comme clef de voûte au som-
met de leur système le dualisme persan ou
dualisme absolu.
Il eût fallu la voix d'un saint Bernard pour
réfuter les sophismes et enrayer les progrès de
la secte. Mais non < Les pasteurs qui devaient
veiller sur le troupeau se sont. endormis, mur-
mure d'un ton mélancolique un des chroni-
queurs de F époque, et les loups sont entrés
dans la bergerie (i) Même inertie chez les
comtes deToulouse.Enface du péril grandissant,
ils ont peur Raymond V en fait l'aveu dans
une lettre adressée en 1117 au Chapitre général
de Citeaux. a Le religion nouvelle, écrit-il, a
pénétré partout, semant la discorde dans toutes
les familles. Les prêtres eux-mêmes cèdent
à la contagion. Les églises sont désertes
et tombent en ruines, et le mal est si profond
que je n'ose ni ne puis le réprimer. »
Raymond V n'avait osé combattre les héré-
siarques (2) Raymond VI, son fils et son suc-
cesseur, les favorisa. De fait, au moment où le
xu" siècle achevait sa course, les dissidents do-

de la Lombardie, Robert de Spérone, Sicard Cellerier


d'Albi, ainsi que les délégués du Val d'Aran, de Careas-
sonne et de Toulouse. V. Mgr DOUAIS, les Albigeois,
leurs origines, p. ag3 (Paris, !8Q8). Mgr Douais a compose
plusieurs ouvrages sur la question albigeoise. Nous ne
connaissons rien de plus lucide, rien de mieux docu-
menté.
I. GUILLAUME DE PUYLAURENS,prologue.
2. Raymond V mourut en 119~.
minaient un peu partout, dans la province de
Narbonne, dans les diocèses d'Albi, de Rodez,
de Cahors, et même au delà du Rhône dans les
contrées soumises à l'autorité des comtes de
Toulouse déclare Guillaume de Puylau-
rens (i). Le troubadour Guillaume de Tudèle
cite notamment, de son côté, l'Albigeois, le Car-
cassais et le Lauraguais, a De Béziers à Bor-
deaux, ajoute-t-il, sur toute la route, il y avait
beaucoup de leurs adhérents. Si j'en disais plus,
je ne mentirais pourtant pas (2). p
Pourquoi répudiaient-ils la religion de leurs
pères ? Qui les attirait sous l'autre drapeau ?
Etaient-cedonc les beautés dunouveausymbole?
Non, rien d'incohérent, d'immoral et d'inhu-
main comme la théosophie manichéenne. Elle a
pour point de départ une question qui de tout
temps a été le tourment des intelligences, la
question du mal. < Le mal existe. D'où vient-il?
Grâce aux lumières de la révélation, ce pro-
blème n'en est plus un pour nous. L'homme
est un être intelligent et libre; il a abusé de
sa liberté voilà l'origine du mal. Mais, au
m" siècle, un apostat du nom de Manès s'é-
tait levé, cherchant une solution en dehors
des données chrétiennes et ressuscitant le sys-
tème dualiste de Zoroastre,c'est-à-dire l'antago-
nisme de deux principes co-éternels un Dieu

I. Chronique, prologue.
a.La Chanson de la Croisade, v. 3:-38 (édit. P. Meyer).
Les lettres d'Innocent III confirment tous ces rensei.
gnements.
bon, créateur du monde des esprits et de tout ce
qui est bien, et un' Dieu mauvais, auteur des
corps et de la matière, du mal physique et du
mal moral. C'était un recul vers le paganisme.
L'hérésie albigeoise, avec son dualisme, n'est
qu'une dernière vague des flots impurs du ma-
nichéisme oriental (i).
De cette erreur fondamentale découlaient,
sur le problème des destinées humaines et sur
tout le reste, les plus funestes conséquences,
les plus folles aberrations. Dans le catholi-
cisme, tout est lumière, tout nous grandit. Il
n'y a qu'un Créateur la vie présente est un
lieu d'épreuve, le ciel, une conquête, le prix des
efforts de la volonté élevée au-dessus d'elle-
même et soutenue par la grâce. Notre terrestre
pèlerinage revêt dès lors des proportions in-
finies, et nos actions les plus vulgaires ont des
reflets d'éternité. Dans le système manichéen,
au contraire, l'homme, procédant à la fois du
~ien et du Mal par une double création, était
une contradiction vivante. L'âme, captive dans
le corps, ne pouvait retrouver la paix que par
la séparation, par la mort. Une pareille doc-
trine poussait à l'anéantissement de l'élément
matériel, au mépris de la dignité humaine, au
suicide. C'est en effet ce qui avait lieu. L'usage
i. C'est ce qu'insinue à travers sa phraséologie héré-
tique le Rituel cathare conservé aux archives de la Bi-
bliothèque de Lyon. L'Eglise de Dieu, y lisons-nous
(p. xvii), nous a gardé le conso!e?KentMm depuis les
apôtres jusqu'à maintenant, et il est venu de bons
hommes en bons hommes jusqu'ici.
de la viande, des œufs et du laitage était inter-
dit. L'endura, suicide à petit feu, était à l'ordre
du jour le mariage et la famille, sévèrement
proscrits comme perpétuant l'œuvre diabo-
lique de la création tout serment, prohibé;
le libre-arbitre, battu en brèche. Au point de
vue social, les Cathares déniaient au pouvoir
civil le droit de haute justice, jus <~etcHï; et
abhorrant la guerre, ils refusaient de servir la
patrie, même pour la défense des frontières,
préludant ainsi aux théories qu'a développées
Tolstoï dans la Guerre et la Paix et que pro-
pagent nos modernes internationalistes.
Ils exigeaient des prosélytes la rupture avec
l'Eglise romaine, rejetaient l'Ancien Testament
et ne gardais' du culte catholique que le Pater
et l'Evangile, un Evangile défiguré par des in-
terpolations sacrilèges. Plus de Rédempteur ni
de rédemption Plus de sacrements, plus de
croix, plus d'autels Un seul rite était obliga-
toire, le consolamentum ou imposition des
mains, odieuse parodie du baptême. Il ne pou-
vait être réitéré, et quiconque., après l'avoir
reçu, avait le malheur de pécher, < tombait
pour toujours sous la puissance du démon
De là, d'incroyables excès. Parfois les cr oyants,
de leur propre mouvement ou par suite des
conseils de leurs ministres, poussaient le fana-
tisme jusqu'à se laisser mourir de faim ou à
s'empoisonner, pour ne pas perdre le bénéfice
du consolamentum. Et quand l'instinct de con-
servation se révoltait, les parents étaient là.
5
pour le dompter. Les faussesreligions sont tou-
j;&nra tM7n!tH':ames!par quelque endroit (ï)..
C~msueiit s'expliiquer qu~ des spéculations si
et des règles d'ascétisme si
atmtiTa:tioMielI.ps
eëmtraires aux aspirations de la nature aMut pu
atoir prise sur le tempérament mërtdio~al ?
Fa~-il donc &ttt&rei~onem&BÉgëEeFal à la
parole eaaam.méedes €rutlabert de Castres,,des `

Pbns J,~urdam~ des. A.rn.aud d'ATifat et autres


héFé~iarques ? Nem la cause ea est ailleurs
et moms haut, d~an-s l'es satisfactions sensibles
et les promesses iasematri'ces dont l'erreur a
coutume de se 'm'entrer prodtgue-. Quico~ue
s'aiSilisait à. la secte « était sûr p&r là-Bn.ê'me
d'échapper à ï''éte'rïiitë des peiReâ x il 's'avait
dxMM: pl-us à se préoccuper de Fiorifg.ine du mal,
mi des tem:6'an<ts! mystères de l'a'u-delà. Quant
aux préceptes di.sciplin'aires étiomeés pites ha'ut,
et d'une si extrême rigidité~ Ns n'étaient oMiga-
teires, aN te]'noigiïa:gË êes auéeurs eontempo-
rsi&s,~aiep'<Mïï' lespeEr~'a's~, minortté a!rdeBËe
mais peu ita'm~BeMse'.A la masse des pr@'-
sëlytas, sinaptes cr~M/aM~s, il était loisib~
atTX
pa~ to'Mramcedé itoTidiêr une fsEmille et de mener
la va)@' cMîn'afame~.Il leur sMf&sait, à la d~rmère.
hettre, de recevatr le c~Me~CMMgN~Mm, et leur
salut était assuré (2).
1. 'V. le .Rf~fe! cathc:)'e (archives de 'Lyon) Ye ma-
tmsettt de lia BïbB.otMq'a.e <~ Tottioase, jPt'ocè~'Mf-
!)!«t&& ~e la ff&ftttea ~mgms.ttMM.ts (ëditMB:
PJtt~MiM~ttMtt;
Douais, Paris,, Picard) JEAN GaiRAUD, Questions d'His-
toire, MV.
ia. « 1.69 e~oytmts eamtiaoent vifre' dama le siMe. Us
Autre motif de séduction la richesse des
abbayes Elle servait de thème habituel aux
chefs de la secte pour exciter toutes les convoi-
tises. t Les moines et les clercs sont in'din'ére'ats
à vos misères criaient-ils aux foules beso-
gneuses. Venez à nous, et vous aurez le paradis
sur terre e Et aux barons ambitieux: a Pre~
nez, enrichissez-voustQu'inipQrtent~esïBioye'ns,
puisque tous les biens nmtérieis émanetit du
génie du mal ? Par leurs dehors altères. Us
avaient su en imposer aux esprits naïfs, fana-
tiser le peuple, et capter les bonnes grâces de
Raymond VI, des capitouls et des seigneurs.
Ils étaient reçus avec honneur dans les châ-
teaux. Bien plus, ils possédaient dans le Midi
sept groupes solidement constitués, avec une
hiéraTchiecal-q'oée sur celle du cath.oltcisme(ce
qiai faisait leur force) et des privilèges q ui ténioi-
gnaient hautement de leur inSuence- sociale
telle l'autorisation d'ouvrir des écoles et de
recevoir des legs, l'exemption des redevances
du guet et delà taille, et (chose plus étonEtante
encore !) la jouissance de cimetières réser-
vés (i).
Connus sous' les noms les plus divers, Bons-
hommes, Pauticiens, Bogomiles, Patarins, Al-
s'adoaaient à !'u.sMre, au vol, à l'homicide, an parjure, à
tous les vices de la chair, avec d"autant plus de séejmtë
et d'entrain qu'ils n'ont besoin ni de confession ni de
pëmitenee. H suffit qu'à l'article de la mort ils puisseait
réciter l'oraison dominieate et recevMf l'Esprit. (P. Du
VAUX-CERNAV.)
GUILLAUME DE PuYL.~MNS, Proiogne.
bigeois, Lucifériens, divisés entre eux, sépares
de croyances et d'intérêts d'avec les Vaudois,
ils savaient faire taire leurs rivalités et dis-
cordes intestines, <: pour s'unir dans une vaste
conspiration (i) dont le triple caractère, cos-
mopolitisme, haine satanique et loi du secret,
accuse déjà, non seulement la participation oc-
culte, mais l'influence prépondérante de la Jui-
verie (2). Le secret, nous dirions aujourd'hui le
secret nmçoM)M<~<e, c'était l'écrasement du ca-
tholicisme, ~ar tous les ~ot/e~s.
Pour rendre plus odieuses les mesures de
répression que l'Eglise et le pouvoir civil pri-
rent contre les novateurs, Michelet (3) et
nombre d'autres écrivains rationalistes nous
dépeignent ces derniers comme de pieux illu-
minés, comme des rêveurs inoffensifs que la
cruauté des gens d'Eglise est venue arracher
brutalement à leurs illusions. pour les con-
duire au bûcher! C'est là une thèse qui peut
plaire aux natures imaginatives, mais qui a
le tort, aux yeux de ceux qui placent le souci `
du vrai au-dessus de tout, d'être en contra-
diction manifeste avec les données de l'histoire.
Nul doute, en effet, que les Cathares n'aient vite

1. GUILLAUME DE PUYLAURENS, IOC. Cit.


3. Le-littoral de la Méditerranée était alors pour les
Juifs comme une nouvellePalestine. Dans les principaux
centres, Narbonne, Béziers, Lunel, Arles Marseille, ils
avaient des écoles florissantes, des docteurs en renom
et, de riches maisons de commerce. Voir Mgr DûUAtS,
les jH6tgreo:s, op. cit., p. 3t7.
3. Histoire de France, t. H et 111.
passé de la théorie à la pratique les mé-
moires du temps sont là pour le prouver.
Citons quelques faits.
Lorsque Foulques de Marseille prend posses-
sion du siège de Toulouse, il trouve la mense
épiscopale complètement dilapidée parles Bons-
hommes. Guillaume de Rochefort égorge,
sans autre forme de procès, l'abbé cistercien de
Caulnes. A Pamiers, les séides du comte de
Foix, Raymond-Roger, se ruent sur un cha-
noine, au moment où il disait la messe, et le
coupent en morceaux. Ils crèvent ensuite les
yeux à un Frère de l'abbaye de Saint-Antonin.
Le comte arrive bientôt après, avec ses che-
valiers, ses bouffons et ses courtisanes, enferme
l'abbé et ses religieux dans l'église, où il les
laisse trois jours à jeun, et les expulse ensuite,
presque nus, du territoire de leur propre
ville (i).
Dans une autre circonstance, ce fauve dé-
chaîné, comme l'appelle Pierre de Vaux-Cer-
nay, assiège l'église d'Urgel et n'en laisse que
les quatre murs. Avec les bras et les jambes du
crucifix, ses routiers font des pilons pour broyer
les condiments de leur cuisine. Leurs chevaux
mangent l'avoine sur les autels. Eux-mêmes,
fous d'impiété, affublent d'un casque et d'un
écu les images du Rédempteur et s'exercent à
les percer de leurs lances. Horribles profana-
tions entremêlées de blasphèmes non moins

I. P. DE VAUX-CERNAY, C. XXIV, XXX et XLIV-XLVt.


horribies <: avant! crie le comte à ses rou-
En
tiers. L'abbaye de Saint-Antonin et Samte-
Marie d'Urgel sont en cendres il ne nous reste
phts qu'à détruire Dieu (t) Et il con~nme la
série de ses tristes exploits, ayant pour émûtes
les comtes ou vicomtes .de Béziers, de Com-
m~mges etde Béarn. Ennuie 12 janvier î3o&,ua.
attentat imonï met le comble à tant d'atrocités!E
Um des écuyers de Raymond VI frappe traî-
treusement le légat pomtineal, Pierce de CasM-
mau, qui tombe en adressant à l'assassin cette
parole digne d''an représentant du Saint-SiègË
<
Qme Dieu te pardonne, (camBaiejm'Qi-même je te
pardonne (a) Et 'l'&m jettela responsabiMié du
naeiUTtre sur ;te comte dfC ToujLoose, esprit not-
tmit et Midécis, dont la conduite équivoque au-
torise tous les s soupçon s.
Les Patarins d'Italie me se comportent pas att-
trement que leurs coreligionnaires de France. `
Dès qu'ils sont les maitr.es du pouvoir ou po<ur =
le .devenir, ils terrorisent l'es populations, H's
oppjriiment les consciences. A B~esda, en izaSi,
ils incendient l'église et laiBcent d<es torches en-
flammées sur les miaisoms des eathoLiqu.es; iet
de même ailleurs (3). Seuletnent, dans !.e Lan-

I. PlERtRE DE VAUX-'CERNAY~ C. XDtV-XtEVt.


.2. Lettre d'Innocent JH, dm 10 mars 1208. Cf. GUIL-
LAUME DE PUYLAURENS,c. ix. Pierre de Castelnau, eis-
tereiem'de l'abbaye de Fon~foide, fut enterre'dams le
cimetière de Saimi-GiNes. En i982, les S.)igueaots hrn-
lèrent ses ossements. Innocent IV l'a inscrit au nombre
des saints martyrs.
3. RtNAMM, AtMistee eectEMOstm.
guedoc, les méfaits de ce genre se rentON.v.e~eai
ptus fréquemment et sur une pl'ms vaste écheli&.
Que conclure 4e ~a, sinon que ~e Bbëo-tma.ai-
ch~isme menaçait du ~même coup, dams leur
existence, le christianisme et la. socLété civit.e?
<[ Hélas s'écrie le chroniqueur toulousain qms
nous aimons à citer, Guillautae de Puylaurens.,
nos contrées ne produisaient plus que des
épines, c'est-à-.dir.e des brigands, des rontiers~
des voleurs, -des homicides, des !n,bertins ~t des
usuriers notoires (i). Et ce qui est pis (les his-
toriens modernes ne l'ont pas assez remarqué),
les principes mêmes du eathar~sme~ en faisant
remonter jusqu'au Dieu mauvais la responsa-
bilité des fautes de l'humanité, inn-oeentaient
toHS les actes de banditisme Ot)t td'immoî'alubé
que dénoncentles contemporains. Toute biérésie
est une semeuse ~e crMnes, ceM'e-la plus que
toutes les autres, étant plus ra-di-cale et mneux:
disciplinée. Un auteur protestant ~e reconnaît
avec une parfaite loyauté (2) < Si i'albig.éisme
avait triomphé, l'Europe fût retournée aux
horreurs de la sauvagerie, t
Jamais, depuis l'es jours d.e l'ariamisïme, la
barque de Pierre et la civilisation chrétieme n'a-
vaient subi phis formidable assaut. Maisia Pro-
vidence veillait. A l'Église qu'elle n'abandonne
jamais, elle donne pour pilote un grand pape,
Innocent HI à ta France, ce nouveau peuple de
I. Chronique, prologue.
2. CH. LEA, Histoire de Hn<jrMMttto?t au moyen âge,
t. I, p. iso.. <
Dieu pour lequel, comme pour l'Israël d'autre-
fois, elle manifeste, depuis le baptistère de
Reims, une prédilectionmarquée, elle envoie un
libérateur, un grand Saint Dominique de Gus-
man. Innnocent III sait que le glaive n'atteint
pas la conscience et qu'il n'y a rien de plus dif-
ficile à ramener que les intelligencesperverties.
Aussi, avant de faire appel à l'épée de Simon
de Montfort, pour mettre un terme aux méfaits
des Cathares, a-t-il commencé par prescrire à
ses légats une campagne préventive, moins
bruyante mais plus efficace. Nous vous or-
donnons, leur mande-t-il, de choisir des hommes
d'une vertu éprouvée et que vous jugerez ca-
pables de réussir dans le mode d'apostolat que
voici. Marchant sur-les traces du Maître, qui
est aussi leur modèle, humbles et pauvres
comme lui, pleins d'ardeur pour la cause de l'É-
vangile, ils iront trouver les hérétiques, et par
l'exemple de leur vie comme par leur enseigne-
ment, ils tâcheront, Dieu aidant, de les arracher
au joug de l'erreur (i). Ce que veut le Pasteur
suprême (il y revient dans toutes ses lettres),
c'est la conversion des réfractaires, et non leur
extermination.
Programme idéal, programme de l'Évangile t
C'est le mérite d'Innocent III de l'avoir rajeuni
en le retraçant, et l'éternel honneur du Pa-
triarche des Frères-Prêcheurs de l'avoir réalisé
à la lettre. Diégo d'Acébès, évêque d'Osma,

i. Lettre du 19 novembre 1206.


propose le plan. Saint Dominique se lève le
premier; les légats Pierre de Castelnau et Ar-
naud Amalric le suivent, puis Guy de Vaux-
Cernay, Foulques, évêque de Toulouse; tous à
la façon des apôtres, à pied, sans faste, sans
argent, opposant aux mensonges des novateurs
la plus lumineuse des réfutations, celle d'une
vie sainte et mortifiée. Bientôt, de ces ouvriers
apostoliques, un seul reste en scène le fils des
Gusman, autour duquel gravitent des dis-
ciples « d'une vertu éprouvée une élite. C'est
l'âge d'or des Ordres mendiants.
Le Patriarche d'Assise, le frère d'armes de
saint Dominique, pouvait-il demeurer étranger
à cette croisade spirituelle, lui qui professait si
ouvertement son admiration pour la « terre des
croisades son peuple chevaleresque et sa
langue « moult délectable x ? Malgré l'acuité de
la crise qu'elle traversait, il avait foi dans ses
destinées (son attitude le prouve), et il se refu-
sait à croire qu'elle se laisserait enténébrer sans
retour par les rêves creux et les dégradantes
insanités du matérialisme albigeois. Retenu en
Italie, mais résolu à coopérer quand même au
grand œuvre de sa restauration sociale, il lui
députe, dès l'année 1218, trois de ses disciples,
des plus éminents: le Frère Pacifique, « le trou-
badour converti », Jean Bonelli de Florence et
Christophe de Cahors (i). Vers l'an 1.22~, il leur
adjoint un auxiliaire destiné à les éclipser,

i. Voir notre Vie de S..FfCMçots, c. xt.


l'homme de sa droite, celui .qu'il appelait fami-
lièrement < son évêque le lecteur de B&Iegs.e~
Il semble avoir voulu l'opposer plus particulie-
reBaeBtt, comme un mur d'airain, aux sacrilèges
entreprises des coryphées du néot-maîtichéisme.
Voilà le plan dm PovereHo. On y Façonnait un
regard d'aigle et le coup d'œil :du génie. Mais
que de projets échouent par suite de l'incapa-
cité des hommes ou de la tfah4son des événe-
ments t CelMi-ei obtiendra, au ooBLtraire~ un suc-
cès des plus retentissants. Pourquoi? Est-ce
parce que le disciple choisi a le prestige de la
science et de la sainteté? Ces deux motifs
n'expliqueraientpas, à eux seuls, un pareil ré-
sultat. Il y faut autre ehase; il y faut un facteur
plus puissant.
A l'o'rate'ur, en effet, 'qm s'adresse à des audi-
toires chrétiens, la lucide expositi'om de la vé-
nté et la connaissancedu coeur humain suf&seitt.
Il n'en est plus de même, torsq~'il se trouve en
présence des hérétiques et qu'il a devant M
toutes les passions ameutées, l'orgueil qui blas-
phème, l'ignorance' qui méprise, l'obstiTt.atmn
qui se eabre devant le devoir entrevu. Il a besoin
alors d'une autre armure, d'une démo'nstT'ati.on
plus saisissante. OT, de toutes les preuves de la
diviaité de la religion, la plus palpable, la plus
éloquente, la plus irrésistible, c'est l'mtervem-
tion directe du Créateur, apposamt pour ainsi
diTe sa signature a!U. bas .de la doctrine de Sies
envoyés. Interventiontoujours libre de sa part,
mais nécessaM°e à leur suroès. C'est lui qui
armera plus tard le bras d'une jeune paysanne.,
Jeanne d'Are;, et lai octroiera le génie des 'ba-
tamilËS. C'est ~eTnêm.e Dieu q)t'n jette les yeux
sfar le fils de don Martin .et l'établit le ~r<XM<~
thaumaturge du xui~ sàècle.
Le tibaNmat.ur.ge C'està bon escient quenous
employons~ine expresston qui est, à elle .se~e,
un portrait en 'même temps qm'une afËirEmaiMB.
fondée. Elle personnifie s.ain:t A-atoit-nLe de Fa-
doué, comme le t poète grec et t l'orateur la-
tin per.soB!ni&eQ't Homàr.e et Cicéron. Quel-
ques amtemrs modernes, et entre autres le
Dr Lempp, prétendent qm'il m'opéra aucun
miracle < de son vivant mais bien à tort Ils
ont contne ~.ux- les lois de la logique., lesquelles
exigentl'existence de .certains phénomènes SM.r-
natuTeis somme le ptreliude obligé et la carnse
déterminante d'ume action universelle qui, saums
ces .phënMaènes, resterait un mystèré in.exipM-
cable. Ils ont contre .e~x, ce qui va.ut mie'ux
encore, le témoignage for'Batel d'un co'mtem.po-
rain, J'ean Rigaud, dont la chronique semble
réapparaître la lumière tout exprès pour réfu-
ter leurs déQégaii.oB!&. Celui-ci dédLare positive-
ment, :en,effet, que < le Seigneur ëiait .avec sMt
missionnaire et qu'ii authentiquait son iensei-
gnement par toutes sortes de prodiges (i) <.
D'aucuns, même des catholiqmes, s'étonnent,
se scandalisent presque, de la pcofusiondes pro-
diges attribués au disciple du Patriarche .sapa-

]. < Do~mimo cooperante. » (J.. Rjt&AiCso, .e. vjjt.)


phique. Hommes de peu de foi! » Est-ce qu'on
reproche aux conquérants leurs largesses vis-
.à-vis de leurs compagnons d'armes? Pourquoi
refuser au Maître suprême le droit de combler
de faveurs exceptionnelles, d'attentions plus
délicates, ceux qui consacrent leurs talents et
leurs forces à la défense de sa cause ? Et pour-
quoi dépouiller saint Antoine de l'auréole des
thaumaturges, si la main du Christ l'a vraiment
posée à son front? Laissons donc les savants à
leurs systèmes, les sceptiques à leurs négations,
les pusillanimes à leurs défiances. Enregistrons
sans crainte les faits marqués au nom de l'em-
preinte du divin, qui reposent sur des autorités
sérieuses et suivons, dans sa marche rapide, le
conquérant évangélique qui s'en va, sous le
souffle d'en haut, porter en tout lieu, non la dé-
solation ou la mort, mais les biens les plus
excellents qui soient, les plus indispensables à
la vie des nations la vérité, la justice et la paix.
Le Liber miraculorum signalela présence du
thaumaturge à Montpellier, à Toulouse, au
Puy. L'hagiographelimousin, de son côté, nous
le montre à Bourges, à Limoges, à Saint-Ju-
nien, à Brives (i). Pas un de ses historiens ne
s'occupe de l'ordre chronologique et nous
n'avons pas d'autre ressource, pour mettre un
peu de lumière dans notre récit, que de suivre le
plan communément adopté par les annalistes
franciscains.
i. J. Rigaud ne parle pas du Puy-en-Velay. Quant
à la Legenda prima, elle ne dit pas un mot de la France.
Le Saint, ayant franchi les Alpes, se dirigea
tout d'abord, d'après eux, vers Montpellier, ville
seigneuriale que Marie, fille unique de Guil-
laume VIII, avait apportée en apanage à
Pierre II d'Aragon, cité active, essentiellement
catholique, où les évêques de France venaient
de tenir un concile provincial (i.22/).), dans le but
d'apaiser les troubles du Midi. Là, comme un
peu plus tard à Toulouse, comme toujours, il
eut à cœur de se conformer aux instructions du
fondateur et de s'acquitter de la double tâche
qui lui était imposée la rénovation des études
théologiques et la croisade spirituelle contre
l'hérésie albigeoise.
A son séjour dans cette ville se rattache un
de ces épisodes qui charmaient nos ancêtres du
moyen âge, si amis du merveilleux, et que nous
ne voulons pas omettre entièrement, bien qu'il
ait été recueilli par une compilation, sujette à
caution, le Liber miraculorum. Le Bienheureux
possédait un Psautier annoté de sa main et dont
il se servait pour son cours. Un novice, dégoûté
des austérités de la vie religieuse, le lui déroba
et s'enfuit du monastère. Antoine, désolé, se mit
en prière; et bientôt le fugitif, saisi de remords,
vint restituer le précieux manuscrit et solliciter
son pardon (i).
Après Montpellier, Toulouse (2), la célèbre
capitale du Languedoc,la patrie du gai savoir et
Liber miraculorum, n. 21. Voir la Préface.
2. Le couvent de Toulouse avait été fondé en 1223 par
la famille de Faudoas.
des jeux ûoraax, une des <: cités saintes du
Midi, la plus vénérée des pèlerins à cause de la
richesse de ses reliques et de la magnificencede
ces reliquaires de pierre qui se nomment Saint-
S@Tnim., Saia~-Etienne, la D&urade. Elle était
alors d:ésolëeet nîécoTmaissable. Partout Fanar-
chie, dassla rus comme dans les idées; partout
M guerre entre les fils de Raymond VI et de
Simon de Momtfort, Raymond VH et Amaury,
qiai s'en disputaientla possession les armes à la
main (î); entre les catboMfqmes et les Albigeois;
entre la Cosfrene Manche 'éta.Mi'e par l'é-vêque
F&~ques, et la Confréfie Ko~re~ composéed'usu-
riers, Juifs ou enjuivés (2). Coii~asctures do~a-
l'Mtreaaes, au milieu desquelles i<e courageux
pfétat et les fils de sattst Daminique luttaient,
anrec une mtransigea'Hee d'ont l'École rationa-

i. SmM'n de 'MonMort, chev&H.e'r MhaTraMe de foi,


d'endurance et d'énergie (;GuLLLAUM.E D~ PuTLMjRENs),
tomba, frappé d'une pierre, au siège de Toulouse (1218).
Raymond V! ntounït 'quatre 'an'a après, sens s'être
!!a:v~ dasouyson 4)e 'eonipli~ité.d~nis l'e meurtre dePierBe j
de Castelmau ~d.J. Au concile de Latran (iM5), ~t
Innocent 111, choisi pour arbitre entre les deux compé-
tite'ars, et tout em pronstiçaNt dëchêance de Ray-
nMnd VI, avait fait une reserve pleine d~ sagesse. H
avait décidé que son jeune fils (Raymond'VII) aurait en
apanage Tes terres non conqttîses par les 'Croisés, e'est~
à-dire Beaucaire, Nîmes et la Provence, à la condition
d'y a-ÉtaMir la Mberté du culte caiboliqme.
2. Foulques de Marseille, d'abord troubadour, puis
abbé du ThorOttet, o<:cup& le siège <îe T'oul~use de tSa6
à i23i. Fatigué des tergiversations de Raymond VI, il se
tourna vers les Crotsës du N~rd et devint t'âme &). parti
de Simon de Motitfort. Pterta de Vaittx-Cernay, ~ni l'a
connu, vante « sa douceur et sa pieté '<.
liste leur fait un grief, pour la défense de
la vérité. Les Franciscains descendent à leur
tour dans l'arène, et avec saint Antoine, ils se
placent d'un bond au premier rang.
Nous le savons à Toulouse, en face des Ca-
thares. Nous voudrions davantage, le voir aux
prises avec leurs chefs, assister aux joutes théo-
logiques, où il est le tenant de la divinité du
Christ, entendre les applaudissementsdes muï-
titudes frémissantes. Mais non Là encore,
comme au. début de s'en apostolat, cette jouis.-
sance d'esprit nocs est refusée. Ni les chro-
niques du moyen âge ni les traditions locales
ne nous permettent d'articuler, d'une manière
certaine, un seul fait qui nous indique ou même
nous fas&e soupçonne!' la part que prit person-
nellement le thaumaturge à la pacification de la
province, et nous sommes réduits à répéter le
cri dësespépéd'an écrivam du xv" si'ècle, Sicco
Polentome <: No-us ne connaissons pas la moi-
tié des belles actto'Bs de notre héros. La plu-
part sont tombées dans l'oubli, soit faute d:e
documents authentiques, soit par suite d'une dé-
plorable négligencede la part des premiers bi'o-
graphes (ï).
Si regrettables que soient ces omissions, il
n'en faudrait pas tirer des conséquences trop
rigoureuses, par rapport au passage du Bien-
heureux dans la capitale du Languedoc. Peut-
être les premiers biographes o-BEt-ils tout sim-
f. PauiCa e
(B'OROY, t. VI, p.
muitts inventa. OJMivi& de~vil nmjta.
plement dédaigné cette page d'où le merveilleux
était absent.
Une version postérieure, celle de Surius,
mérite d'être signalée à nos lecteurs, quoique
nous ignorions à quelles sources elle a été
empruntée. Elle nous montre le thaumaturge
prêchant selon les occurrences,ici perçant à jour
les vains arguments des docteurs de l'hérésie,
là démasquant l'hypocrisie des barons qu'atti-
raient au manichéisme, non l'amour de la vé-
rité, mais l'appât des biens ecclésiastiques et
une insatiable cupidité, et parlant avec d'autant
plus de vigueur, « que les bêtes fauves qui rava-
geaient la vigne du Seigneur étaient plus mal-
faisantes C'est même à cette occasion, pré-
tend-elle, qu'il fut surnommé le marteau des
hérétiques (i).
Cette expression s'étend plutôt, à notre avis,
à l'ensemble de sa carrière apostolique. Quoi
qu'il en soit, elle a été mal interprétée par quel-
ques auteurs modernes, plus soucieux d'atta-
quer l'Église que de chercher l'intègre vérité.
L'un d'eux n'a pas craint de dire t Saint An-
toine, venu pour convertir les Albigeois, excite
l'ardeur des Croisés contre eux et en fait brûler
un grand nombre (2). L'accusation est grave,
elle exige un mot de réponse.
i. « Hœreticorum malleus. (SuRius, c. xvn.) Cf.
WADDING, ad ann. 1225.
2. SCHMtDT, Histoire et Doctrine de la secte des C<t"
thares, t. I, p. 276. La croisade contre les Albigeois
fut une mesure extrême sans doute, mais juste, mais
nécessaire. Qu'il nous suffise, pour le moment, d'énoncer
Le disciple du Poverello, < un promoteur
d'auto-da-fés! » On ne saurait, en vérité, men-
tir plus effrontément à l'histoire. Nous défions
nos contradicteurs de relever chez lui un seul
acte, un seul conseil, une seule parole, qui jus-
tifient une pareille assertion. Qu'ils ouvrent les
documents de l'époque, et ils verront que cet
orateur si puissant dans l'art d'ébranler les
masses ne les subjuguait pas moins par l'amé-
nité de son caractère que par l'éclat de son élo-
quence ou de ses miracles. « Savoir immense,
parole de feu, sublimes envolées sur la doc-
trine, toutes ces qualités, nous dit Jean Rigaud,
se fondaient harmonieusementen lui dans cette
juste mesure qui fait les grands orateurs. Son
langage était toujours si parfaitementapproprié
aux besoins de son auditoire, que tous se sen-
taient intérieurement transformés, pendant que
la beauté de sa diction charmait leurs oreilles.
Les hérétiques rentraient dans le bercail de
l'unité catholique, les pécheurs se frappaient la
poitrine, les bons devenaient meilleurs; per-
sonne ne s'en retournait froissé ni mécon-
tent (i). »
Voilà le témoignage que lui rendent ses con-
temporains témoignage sincère et sans em-
phase que n'infirmeront ni les accusations
tardives ni les phrases sentimentales de la
libre-pensée. Sa croisade était donc toute spiri-
la thèse nous fournirons les développements dans la
Vie du B. Christophe de Cahors.
i. J. RIGAUD, c. vin. Cf. Legenda (tKerct, n. io.
6
tneSe, .'et ses procédés, ceux d'mn apotipe. Il vou-
lait exterminer le mal et samver te cMipable
imiramsigeantsur le dogme, pa:rce q'u'N était per-
suade, et avec raison, que 1'eo'jENr est pD'ur;les
peuples le plus redtMutaMe des NëaLi~x, mais en
même temps rempli de c<Ma.descemdaaceet de
oscnniseT'atiom pour les pepacmnes., parcs qu'il
savait combien iï est diiSeSe d;e guérir ics
eEen.rs tticëres par la. passMm ou avengj,és pa~
i'earrem'r.
Alib-t-il }!N!sqM.'à faire des coa~ïStioes contfa-
dMtoiï-es, 'où les ebefs de rhêrésie étaies.t mvités
à VBmr défèELdce ile'ur.s doctrines? Sarius r:af-
jEimme; il cite même aMtammeaat, pa~rmi les
cemtres populeux 'où. ~e~cent lien ces c&lloqB.es,
Rimmi, Tom~~seet Milan. L'assertnom n'a rien
que de vraisemblaMe 'les to'mrnois dogma-
tiques <ëtaifent dams les go-Ms dm teamps, Bt sa.imt
Amtome bavait, sofms ce rapport, qu'à s'inspirer
des g!t'a!ads ~xempiles doames par saint -Domi-
mqmeA Momtreal et à Faïljeaux.
CHAPITRE V

SAINT ANTOINE DANS LE VELAY ET LE BERRY

De Toulouse, selon Barthélémy de Pis@,


redoutable antagoniste des 'Ma'mchéejag fut en-
voyé, à titre de Gardien (om s-Kpérieur), dans la
ville fdu. Puy-en-V~ay (f:).
H .avait lu p~us d'une fais le portrait du supé-
rietir esquisse par le fooida.te'M' b~n~ne il le
réalisa, observant à la lettre le conseil de saint
François < Soyez ~ennemi dN pécbe et ~ami
du pëcb.a.r,~t qne~otre conda.iie deoMnr.e pe)m'
yes frères le miroir de la perfection reli~
gtem.se :(2).. :e 'Gm ne peut douter que :ses sujets,
de leMr côte, m'aient été he'areux'siiiers d'avoir
pour maître, dans 'les !mtte.s de rascèse ïniaso.as-
tique, rnn imitactetir a!nssi pair~t du Rëfoireaa-
teuir ombriam;ïna~s mo~~ scMmmes ~bëg~es .~e
nous bormer à cette ~inapte consta~tion. Les
dooBmsmts primitifs soat .ai~otuEaeats ïmaete
s'm- p&ssa.gte du thaNmat'itï~edans Je V~y
et les ~égtemdaiiEes di~ 33~ siècLe iae mous ien omt
conservé <qme deux anecdotes, demx ~roph~ties
dont la genèse nous échappe et qu'en raison de

i..)K&e<' eoM~)MN!&e~t*<t,p. '96. Cf. -E.i&~r MMa'sox-


!o)rttm,' Sum)t.s. ~ers )caa5 (date afppEMMMtK'e). Le
Vatay faisait alors ~partie dN comtÉ ~de ToB;!(mae.
S.TN. D!E CjELABtO, j~etM!<taeCM!M.~C.<:S:L.
leur provenance, nous n'enregistrons que sous
réserves. A un notaire du Puy, de nioeurs dis-
solues, le serviteur de Dieu annonce sa conver-
sion et la palme du martyre. A une mère
qui se recommande à ses prières, il prédit que
son fils s'enrôlera dans la milice franciscaine et
sera massacré en haine de la foi par les secta-
teurs du Coran. Il nous tarde de voir res-
plendir au grand soleil l'action salutaire et pa-
cifiante de l'apôtre; et c'est l'hagiographeJean
Rigaud qui va nous la révéler. Avec lui du
moins, malgré l'omission habituelle des dates,
nous n'aurons plus de doutes sur l'authenticité
des faits.
Transportons-noustout d'abord dans la capi-
tale du Berry. Là, le 3o novembre 1325 c'est-
à-dire, selon toutes les probabilités, quelques
mois après l'arrivée du Bienheureux dans le `
Velay, se tenait un concile national présidé par
le cardinal de Saint-Ange, légat du Saint-
Siège. On y devait traiter les deux questions
capitales du temps la pacification du Midi et
l'extinction de l'hérésie albigeoise. Six arche-
vêques, une centaine d'évêques, une foule
d'abbés mitrés et de prieurs, y étaient présents
ainsi que les deux compétiteurs, Raymond VII
et Amaury de Montfort (J). Le plus célèbre
I. ROHRBACHER,R~tst. de l'Eglise, liv. LXXII; etjAGER, `
Hist. de l'Eglise, t. IX, p. 180. Est-ce à ce conciJe
national ou à un synode simplement diocésain que le
nouveau Gardien du Puy fut invité à prendre la parole ?!
La question est controversée.Le D' Lempp penche pour
la première opinion, M. l'abbé Lepitre pour la seconde. ?
orateur de l'époque avait été invité à prendre la
parole et cet orateur n'était autre que le nou-
veau Gardien du Puy-en-Velay.Nous avons
sur ce point le témoignage formel de Jean Ri-
gaud, dont la relation mérite d'être rapportée
tout au long.
«
Des Frères dignes de foi, écrit-il, m'ont
appris le fait suivant (i). Saint Antoine prê-
chait à Bourges dans un synode. Au milieu
de son allocution, il eut une illumination sou-
daine, et se tournant vers l'archevêque, il lui
dit « C'est à vous qui portez la mitre, que je
«
m'adresse. » Alors il se mit à lui reprocher
certaines fautes qui chargeaient sa conscience.
Il le fit avec tant de zèle, et tira des saintes
Écritures, à l'appui de sa thèse, des arguments
si clairs et si décisifs, que le coupable se sentit
une vive componction au cœur et des larmes
dans les yeux. Après la clôture du synode, l'ar-
chevêque prit le Saint à part, lui découvrit
humblementles plaies de son âme et se montra,
depuis ce moment, plus dévoué à l'Ordre des
Mineurs, en même temps que plus exact et plus
vigilant dans l'accomplissement des obligations
de sa charge pastorale (2). »
L'archevêque de Bourges était alors Simon
Jean Rigaud ne dit rien qui puisse fixer notre choix, ni
sur le genre du synode, ni sur le sujet traité par
l'orateur.
1. L'auteur du Liber miraculorum (n. :.5) reproduit le
même épisode, moins cette première phrase, comme il
convient à un compilateur.
2. J. RIGAUD, c. VIII.
de Sully, qui go'avemal&dk~Èsede iai:8à i~3a.
C'~&it l'hoBt-BOte de eûn&ance du pa<pe HoTM-
yms III et du roi sa'ïiit Louis, eti'omse dema'mde
quelle peut bien être la nature des, griefs for-
ïMmIés pair le Saint. « Le docteur Lëmp'p pense
qu'il s'agissait ici du mauvais vouloir de l'sr-
<:he~êqu.e à regard des Frèï~s-Mmears, à Fen-
eontre des recommâtidatiions du Soureyaim
PMattife~ Cetts explication concorde assez bien
a'vee la fin du r~cit,. où il est dit que le ptrélat
changeas de dispositions envers les Sis de saint
Françoi.&,et avec es que nous savons de l'accueil
q~fut faita~es derniers, quand ils apparm-eiit
e& France. Le clergé était en dë&a.nce à l'égard
de <Eetie a~u~eHe faBnMIie religieuse,, qui sem-
Mait s'écarter des ~'siesb&ttues etqui contras-
'Mt aL~ec tes Ordres déjà existants.' Au-sst
~e'yoms-B&usle pape Ronorms III mtervenir è
phtsiettrs:reprises pour les recoBOmainder et dté-
temdife tm êe leurs privilèges, celui d'avo'if des
o'M~ees propres <ehez eux. Il interdit (le sep-
tembre ias5) à l'évêque de Paris de les execrn-
ttutniier~ etsnBaa eeM-ci les. en. avait nmenâcé~
s'ïl'â. ttsaMeMtdie ce'pfivNè~s (2). <
Quoi qu'il en soit, lessadnies aadaces ds l'ora-
tëintr e't la eonvërstoB. du pcëlat oMt,. il faut bien
l'avouer, quelque chose d'étrange qui nous sur-
prend -au premier abord; mais ce' côté ms-oïit&de
la scène démontre précisément,mieux qu&n'um–
porte quel prodige, que notre Mea.heur~ttx était
I. Et des oratoires.
2. A. LEPITRE, S..AtMoMte de feniet~e, p.
universellement considéré comme un honMime
extraordinaire, comm-e un envoyé de Dieu.
Peut-être est-ce, égalementà Bourges q'u'e~t
lieu le plus étonnant de ses prodiges, leTH.tti~c!g
eMe~Ms~gHe, qui devait avoir un si grand
retentissement dans to~ie L'Europe, avant
d'être un objet de diisp~e entre les di.SéEe'Bites
vitles qui revendiqueraientl'honneur d'en a.w<ME
été le théâtre. NoMjS étudierons plus loin la
qucstioa seeonda.'n'e du tieu eonn.memçons par
l'exposé du fadt, tel que no'ms le trouvons dans
la chronique de Jea'Oi Rigaud.
Parmi les auditeurs du thanjmatTiTtge se trou-
vait un bërëtiqiue que l'évêque de TEégmer
qualiRe d'esp'rit fom'be et pervers (.1) t saiBS
le désigner autrement. Som Isuatga~e et som o'pir
niâtreté trahissent en lui un des prosélytes du
catharisme albigeois. Les discours du Bienhem-
reux l'avaient ébraa~l'&, mais sans le eomvaincEe
entièrement. Um dogme lui paraissai't, entre
tom.s,ina:dtna;issib):e, celui de la Présence réeUe.
Le docte missionnaire avait beau rappeler h
parole si formelle du Maître < Ceci est mon
corps il avait beau. répéter que Dieu. ne sau-
rait nous tromper et que son témoignage doiit
nous s.u.f&re l'incrédule échappait à to'u'tes les
i.. «
Perversus et versutus. (J. RIGAUD, c. vtii.).
'Wadding (ad ann. IB35, n. 15) va plus loin il affirme
que.cet hLOmm'e fourbe et perveTs était ~R ~nif du
<
nom de &maM (ou €uUiard), an de ces fils d'IsEaët ~uit,
alors comme aujourd'hui, prenaient la tète du mouve-
ment antiçhrétien. H s'appuie sur des retations que
ncus ne pouvons eontr&IeE,
règles de la dialectique, et se retranchait, à
chaque passe d'armes, derrière l'éternelle ob-
jection du scepticisme Croire ne me suffit pas:
je voudrais voir!
En face d'un esprit si rebelle à la lumière
de la vérité, le thaumaturge se sentit pris d'une
immense commisération, et n'écoutant que son
désir de sauver les âmes, il lui dit « Vous
avez un cheval que vous montez souvent. S'il
se prosterne devant l'Eucharistie, n'admettrez-
vous pas le dogme~de la Présence réelle, tel que
l'enseigne l'Eglise ?" La proposition tenta l'hé-
rétique. « J'accepte, répliqua-t-il. J'enfermerai
mon cheval et le laisserai à jeun pendant trois
jours. Au bout de ces trois jours, je l'amènerai
sur la place publique et lui présenterai de l'a-
voine. De votre côté, vous apporterez l'hostie
qui, selon vous, contient le corps de l'Homme-
Dieu. Si la bête affamée dédaigne l'avoine pour
se prosterner devant le corps du Christ, je con-
fesserai de bouche et de cœur la réalité du sa-
crement. »
Le défi était solennel le Franciscain l'ac-
cepta, en ajoutant toutefois que si le miracle
n'avait pas lieu, il ne faudrait l'imputer qu'à
ses propres péchés. Dans l'intervalle, il se `
prépare et emploie les armes des saints le
jeûne-et la prière. Au jour convenu, le che-
val affamé, amené par son maître, débouche
sur la place publique. On lui présente l'a-
voine, pendant qu'en face se tient le serviteur
de Dieu, debout, recueilli, le ciboire à la main.
« Alors, en présence de la foule accourue sur
les lieux, la bête, laissée libre dans ses mouve-
ments, s'avance vers le ciboire contenant l'Eu-
charistie, fléchit les genoux dans l'attitude de
l'adoration et ne se relève que sur l'ordre du
thaumaturge (i).
Rougissez, incrédules s'écrie en terminant
<t
l'hagiographe limousin. Rougissez de honte,
alors qu'un être irraisonnable vous donne une
pareille leçon (2) p
«
L'hérétiqueavait résisté au raisonnement; il
ne résista pas au miracle. Fidèle à sa promesse
et convaincu jusqu'à l'évidence, il abjura publi-
quement ses erreurs (3). »
Une âme reprise à l'hérésie, c'est toujours la
plus difficile comme la plus noble des conquêtes.
Ce fut pour notre Bienheureux la source des
plus pures jouissances, etpour toute la contrée,
d'après la Légende Benignitas, un fécond et
puissant ferment de rénovation. Les catho-
liques applaudirentet se sentirentaffermisdans
leurs croyances les sectaires, confondus, ren-
trèrent dans l'ombre et le silence. La religion
triomphait (4).'y

t. J. RIGAUD, C. VIII.
2. Ibid., loc. cit.
3. Ibid., loc, cit. Cf. la Légende Benignitas ~Vttas
<hM6, p. 3M) PAULIN DE POUZZOLES ~Mtofta ab stig-
tttun,d{, c. 231); le Liber m.M'acutoTum, n. 5; BARTHÉLÉMY
DE PISE (Conformités, p. II, fr. VIII). Quelques-unes
de ces légendes mettent
cheval
un mulet à la place « d'un
4. Lég. Benignitas (Vtte6 dMce, p. 222).
Ainsi ta victoire du Saint était complète, ou
plutôt laL victoire du divin Rédempteur e&r
c'est -Lai qui s'afSrm'aii de nauivea~ en face du
mante.h:éisme,.le maîtr&de la créatioTi, te d~ctem-
delà-vérité, le: triomphateur del'eaf&r. d'est lui
qui rentrait dans les intelligences et. y ressai-
sissait l'empire qui lui appartient de dirait et
diont il n'est jamais iB'Dpumé'B'ïeB.t dépossédé,
Ainsi se réaMsa.ieni, d'une façon inatteTatàue~.les
prévisions et les espérances du Patriarche
serapMq,ue..
Le miracle e.M'c~aTM~t~Ne no.us o&e un' des
épisodes les plus attachants delà lutte éternelle
entre la vérité et l'erreur. Voilà Pourquoi mous
l'avoms. ya'comtë toia.'t au l'ong, dams ses plus
BMïms détails et avec ses heureuses consé-
quences. Reste UNtp~Mttseeoiidaire à examiner; `
le point contra'veysé. c'ast-ài-dire lieu du
prodige.
Le fait. en lut-mémi~ hâtans-mous de le dire,
est hors de Htig.e; attesté qu'il est pa<r toua lesj
hagiographes, et noiammient par Févéqu~ d~
TrégtUiier, Jean. Rigaud, q~ le rapporte- meQ
comme un trait oublié par ses prédéeesseMifs,
mais comme un < événement mémorable, extrait
d'une relation antérieure, d'un recueil des
miracles du Saint ». Les divergences ne s'ac-
cusent que Ibrsq'u'iî s'agit d''assig'ner le nom de
la. ville pFivtIegiée qui en fut le théâtre. Jean
Riga'u~d se tait,. Suyius desiga'e TouI'a'Mse;r
Barthélémy de Pisé, Riminr; 'Wad'ding se pro-
nonce en faveur de Bourg.es< Le .L~&efmM'tMM-
~orMH!.dit vaguement « Dans le comte de
Toulouse, ï En face de cetenchevétrententd'opi-
nions opposées, qu'il nous soit permis d'expri-
mer la nôtre.
Si nous écartons les historiens, qui se
divisent, pour interroger une autre forme de la
tradition, les MOMMMMM~ !a!ptdet'M"&s~ nous ver-
rons qu'une'senitcville, Bourges, possède des
titres sérieux à l'ho.nneur qu'elle revendique.
Et, en effet, Toulouse n'offre pas le moindre
vestige de cet événement, pas. une pierre, pas
nn'e inscriptitom; Rimini ne parle que du dis-
cours aux poissons de l'Adriatique. La capitale
du Berry,. seule., montre un témoin de ces temps,
un témoin six fois séculamre, l'église Saint-
Piierre-le-Cruillard,consacrée en ~23ï par Sinton
de Sully édifice de style ogival, dans le goût
de l'époq'ue, et dornt la construction tout près
des rempaarts, mais en dehors (t), implique
Fidée d'un monument GomiKaémoratif destiné à
perpétuer le sot~vemir de quelque événenoemi
extraordinaire. L'origine et la. date d'érection de
ce sanctuaire corrobore'nt ainsi la traditiion dont
Wa'ddmg s'est faitFinterprète; etnousestintons
que, dans le litige qui nous ooempe, les. présomp-
tions sont pl~ttôt en faveur de Bourges-
En dehors des deux scènes mémorables où le
champion des. croyances antiques a jo'ué um rôle
si important, mous n'avons rien depréMs. F<ït-tl
consulté par les Pères du concile de 1226 ?
J. Voir le ptam de BtMtrges au moyen â'ge. (Bib!. de
Bourges.)
Aborda-t-il le terrain politique, et eut-il l'occa-
sion d'émettre son opinion sur l'affaire des
deux prétendants, Raymond VII et Amaury,
à l'heure où ce dernier cédait au roi Louis VIII
le fruit des conquêtes paternelles? Nous l'igno-
rons. Dans tous les cas, l'assemblée se sépara
sans avoir réglé le litige, et ce ne fut que l'an-
née suivante, au concile provincial de Paris
(3o janvier ~226), que le roi, décidé à user de ses
droits de suzerain pour intervenir dans les
troubles du Midi, déploya l'oriflamme de saint
Denys et marcha sur Avignon, dont le siège le
retint trois longs mois.
A travers le cliquetis des armes et au-dessus
du fracas des lances qui s'entrechoquent,
résonne une note d'une harmonie toute céleste
et brille une de ces lueurs surhumaines, une de
ces visions si fréquentes aux premiers temps de
l'Ordre séraphique et qui leur donnent un
charme si pénétrant. Voici, en effet, ce que
nous racontent les historiens du Poverello. j
Le Frère Jean Bonelli de Florence, que sainte
François avait établi Provincial de Provence,
présidait alors, à Arles (i), < un Chapitre
auquel assistaient le Frère Monald, prêtre
renommé pour ses talents et plus encore pour
sa sainteté, et le bienheureuxAntoine, à qui le
Seigneur avait accordé l'intelligencedes saintes
Écritures et une éloquence plus douce que le
S. BONAVENTURE (c. IV) et JEAN RtGAUD (c. YIH) SOD.t
1.
les seuls légendaires du xin° siècle qui désignent nom-
mément la ville où se tenait le Chapitre.
miel pour chanter le Christ et ravir les multi-
tudes. Antoine prêcha sur le titre même de la
Croix Jésus de Nazareth, roi des Jui fs. Pen-
dant qu'il développait ce texte avec une chaleur
et une onction indicibles, le Frère Monald
aperçut, sous une forme sensible, à l'extrémité
de la salle, le Patriarche séraphique suspendu
dans les airs, les bras en croix, et bénissant
tous les Frères. Au même moment, tous se
sentirent remplis d'une telle consolation inté-
rieure, qu'ils n'eurent aucune peine, dans la
suite, à ajouter foi au récit qui leur fut fait de
la merveilleuse apparition de leur glorieux
Père (i). j<
Derrière saint François et au-dessus de lui,
ne faut-il pas voir le ciel lui-même approuvant
et sanctionnant par ce prodige la stratégie,
toute faite de persuasion, de douceur et de
patience, employée par le héros portugais dans
les guerres du Languedoc ?
Est-ce au Chapitre d'Arles que le Bienheu-
reux fut promu « custode de Limoges »? Nous
ne saurions l'affirmer positivement. Jean
Rigaud mentionne bien le titre (2), mais d'une
façon transitoire et sans s'occuper ni de la date
de l'élection ni de la durée de la charge. Custode,
c'est-à-dire supérieur de deux ou trois couvents

THOMAS DE CÉLANO, Vita prtma, p. I, c. XVIII.


Cf. BARTHELEMY DE TRENTE, ep~OgrtfS (apud Vtt~ cht~E,
p. a5o) la Legenda secunda, c. n; saint BONAVENTURE
et JEAN RIGAUD, loc. cit.
2. « Custos Lemovicensis.. (C. v.)
ayant pour centre h ville d'e Limoges, avec
pleine juridiction et les obligatioms taRerentes
maintenir la discipline au. dedans, prêcher au
dehors, ranimer partout -lia. &a. <et la feyvcMar,
sans négliger la dinusion de l'Ordre.
Il est toujours difficile de gouverner une P~o-
~imee en ËondatiosL. Antoine ne sera pas au-
dessoMs de sa tâche. Mais deux. ë'vë&en)e'ntg
imiportants vont, dès son entrée en charge et
maignéimi, le tmeitpe plus en relieift&t imprimer
un notryel essor à son activité la mort de saint
François et la croisade de Loui.sVHI.
Une quinziainë de ~urs après son eleotioa,
en effet, le 3 octobre 1226, le fondateur, le Pa-
triarche 'd'Assise, rend sa beMe âme à jMeu,
parmi les donx rBanages de ses ~œurs les
aloinettes et les TmélodieMxconcerts de ses frères
Les séraphins. JEUse-e avait hérite ,du manieam
d'EUe, Antoine ieëNtera du mant'eau de Fran-
çois, non seulement d'une part de son autorité,
nrais de ses vertus, de son hujcilité, de sa
douceur, deson ~.ë~e. Apôtre non moine iatr~*
pM~e, tbaaMmatarge plus p-uissant, ~!rate!)M' piNS
entraîmàm-t et pins féoomd, c'est im q~'on m'v~-
qmera pomretmjm'er le perti Sioeial et desafaafar
les ~SMmes irj~ëeonEMi&b~BS.
Pendant ce temps-~a seidëre~deat les scea~s <
de la courte épopée dont Louis VIII est le
hems. Maître d'Avignon, il papcourt en vain-
queurite comîtiëdu Lang.aedocet'déjàs'appr.Qche
de Toulouse, lorsqu'il est brusquementierrassé
par un mal implacable (8 novembre ï326),
laissant à son épouse, la régente Blanche de
Castille, le soin de continuer et de terminer la
croisade contre les Albigeois. L'effervescence
causée par la reprise des hostilités a franchi,
avant l'apôtre franciscain,les massifs du Centre;
mais à Limoges, comme à Toulouse, il sera,
sans y avoir visé, le plus habile des diplomates
et le plus pTimssamt des pacincateurs; il fera
1'ceu~e ~e D.MU, riem que l'oeuvre ds Di&u, seu-
~en~Eait avec m<oin's d'obstacles et beaucoup pins
d~dat.
Ces pays zaontmeus: aeromt sa terre de pTédi-
lectiom. H y 'versera plus abondamment ses
sueurs, y sèmtera plus de bienfaits, pho.'s ~de
tniradie's, et y laissera un 'souvenir ptms vivaee
et de notre <co~é, nous ]marc!b'ei~oas -d'un pas
plus ferme, étant <oomduits par le guide .sËr
qu'est rha'giographe HnMusin. Entroms tdottM:
ar~c oom&anee, à la suite 4e notre héros, dans le
aouweam.champ <ouvert à soa a.ctrpiité, et jetons
hmrdunant la faucille daas la gerbe d'or de .-ses
travaux apestoMq'~s.
CHAPITRE VI
DANS LE LIMOUSIN
(I226-I227?)

En les Cordeliers étaient déjà depuis


1226, <
trois ans établis à Limoges, sous le nom, de Me-
nudets (i). Leur résidence était voisine de l'église
Saint-Paul, non loin de l'emplacement actuel de
la gare. Ils n'avaient pas été sans parler du
grand apôtre qui venait de remuer le Langue-
doc et le Berry.. Aussi, à son arrivée, la ville de
Limoges lui fit-elle une de ces réceptions triom-
phales qu'explique la foi de l'époque. On vou-
lait le voir, l'entendre, toucher le bord de ses
vêtements. A peine avait-il posé le pied dans la
ville, raconte la chronique de l'abbaye de Saint-
Martin de Limoges, qu'il prêchait au cimetière ;`
Saint-Paul (a), à l'occasion de la commémora-
tion des morts ou de quelque autre cérémonie
funèbre. Son discours dut faire impression
car la chronique du monastère bénédictin ne
jugea pas indigne d'elle de nous signaler le texte
qu'il avait développé dans la circonstance.
C'était le verset suivant des psaumes du roi-
i. L'an taa3, l'Ordre nouveau des Menudets est reçu
«
à Limoges. '< (BERNARD ITIER, BiM. nat., ms. lat. 5~52.)
Bernard Itier était alors le bibliothécaire de l'abbaye de
Saint-Martial. V. l'intéressante notice de M. l'abbé
ARBELLOTsur S. Antoine de Padoue en Limousin.
a.BiM.nat.,ms.545a. `
prophète « Au soir la tristesse au matin la
joie (i). L'orateur sut tirer de cette antithèse
des applications ingénieuses, des tableaux pleins
d'animation, dont il a emporté le secret dans la
tombe. Nous retrouvonsle même texte dans ses
notes; peut-être faut-il y voir la synopse de
son allocution. « Il y a, dit-il, trois soirs et trois
matins, trois deuils et trois allégresses trois
soirs, la chute de nos premiers parents, la mort
du Christ et notre propre mort trois matins,
la naissance du Messie, sa résurrection et la
nôtre (2). »
Le lendemain, c'était l'abbaye elle-même qui
réclamait sa présence. Il y prononça, sur l'excel-
lence de l'institution monastique,une allocution
qui débutait par ce cri du Psalmiste Qui me
donnera des ailes comme à la colombe, et je vo-
lerai à mon asile et m'y reposerai en paix (3). »
Les Bénédictins du mont Soubase avaient ac-
cueilli avec respect le Patriarche séraphique et
lui avaient fourni son premier lieu de prière.
Leurs frères de Limoges entourèrentde la même
vénération son disciple privilégié et lui prêtèrent
également leur appui. Son passage dans leur
monastère est mentionné comme un événement
dans leurs archives, et c'est à eux que nous de-
vons la connaissance de leurs premières rela-
tions. « L'an 1226 lisons-nous dans la chro-
nique manuscrite de Pierre Coral, abbé de
i. Bibl. nat., aïs. latin 11.019, fol. 38.
2. J.'DE LA HAYE, s. in dom. XVU post Trinit., p. 393.
3. Bibl. n&t., ms. 5~5a. ~U~*S.
/'f.' 1 7
-Saint-Martin de Limoges vers la moitié du
xin" siècle le bienheureux Antoine, de l'Ordre
des Frères-Mineurs, reçut pour ses Frères, et à
certaines conditions, un local situé dans les dé-
pendances de notre abbaye (i). »
Les chroniques bénédictines se bornent à ces
renseignements, auxquels nous n'avons à repro-
cher que teureoncisi'on. Heureusement,L'évêque
de Tréguier, Jean Rigaud, est là pour répondre
à notre attente, et nous redire avec abondance
de détails par quels moyens, prière et prédica-
tion, vertus et prodiges, prodiges surtout,
l'apôtre franciscain prit possession de la terre
du Limousin.
Le plus fameux miracle de saint Antoine est
um acte de bilocation, qui eut lieu dans la nuit
du Jeudi Saint. Le Bienheureux prêchait dans
l'église Saint-Pierre-du-Queyroixet répandait
sur le peuple les semences de la parole de vie.
H se souvint, au cours de son allocut~n. qu'il
devait réciter au couvent, à la même heure, une
leçon de l'office des matines, et qu'il avait omis
de se.faire remplacer. ABMgé de cet oubli, il
s'arrête, demeureimmobile, silencieux, et appa-
raît tout à coup au milieu de ses Frères, surpris
et stupéfaits. Il lit la leçon indiquée, puis re-
prend ses sens dans la chaire de Saint-Pierre-
i. Bibl. nation., ms. 543a, fol. cix. Une autre chro-
tlique fth., ms. latin 11.019, p. 267) nous apprend qu'en
la~S, « les Frères-Mineurs, quittant la fontaine des Me-
nudets, se transportèrent dans un autre quartier de ]a
~Ute Troisième et définitive résidence qu'ils occupèrent
jusqu'à la grande Révolution.
du-Queyroix et'continue le sermon qu'il avait
commence (i)'.
La sagess&divine ne fait rien sans motif. Quel
est donc, dans ce prodige de b'iloca'fion, le des-
sein du Rédempteur ? Vomiai't-il,. par là, récom-
penser le moine de sa JMélitéa'ux moindres obser-
vances de cette disciplinerégulière qui est, pour
le religieux, le ehemm de la perfection, ou se
proposait-il de signaler à l'admiration du peu-
ple celui qui était so~ ambassadeur attitré, et
de donner plus d'autorité à sa parole ? Peut-
être l'un et l'autre. Dans tons les cas-, le second
résultat fut atteint; car les prédicatmms du Bien-
heureux excitèrent un tel enthousiasme, qiue
bientôt iil lui fallut prêcher en plein air, aucune
église m'étant assez vaste pour contenir les
foules accourues pour Eentendre. Jean) Rigau'd
nous raconte, à ce propos-, 1s trait qu'on va lire.
Saint Antoine haran'gMait la multitude sur-la
place du Creux des Arèmes. Mais voici que tout
à coup les n'Niaig;es s'amoncel'ient le tomNerre
gronde, les éclairs sillonnent la nue,, l'orage
édarte; sur la ville. Lesaimdtifteurs, eNrayés, eom-

J. RiGABB,V. Cf. BERNARD &HY, Speculum


C.
sanctorale (Bibl. nat., ms. lat. 5~07) et Liber miracu-
!o7'ttM, n. 7. Parmi les auteurs de basse ëpoqne, ït y a
des variantes et des diijyergences. Pa;ulm die Pouzzoles
place te fait à Toulouse Surius écrit Noë! au lieu
de « Jeudi Saint De plus, le Liber miraculorum (n. 3)
et Surius relatent un phénomène analogue qui se serait
opezé à Montpellier, «, dans une fête aoIemneHe » mais
îi. ressort etairemen.t de t'étude des texteaL que ce second
épisode n'est qu'un dédoublement tëgemdait'e' de cetui de
Limoges.
mencent à s'enfuir; mais le thaumaturge les
retient, les rassure d'un ton plein de bonté, et
faisant un admirable acte de foi dans la puis-
sance de Celui qui enchaîne les eaux dans l'em-
brun des nues,, il leur crie < Ne craignez rien;
continuez d'écouterla parole de Dieu, et j'espère
de Celui en qui l'on n'espère jamais en vain
qu'il ne permettra pas que la pluie vous at-
teigne. Ils
défèrent à son avis et la prédica-
tion terminée, ils remarquent que, selon la pro-
messe du Bienheureux, il n'est pas tombé une
goutte d'eau sur la place du Creux des Arènes,
pendant que l'averse avait inondé le reste de la,
cité (1).
<
Quand je suis entré dans l'Ordre de Saint-
François, ajoute le narrateur, plusieurs des
Frères qui avaient assisté au sermon, étaient
encore vivants et se rappelaient même parfai-
tement le fond du thème développé par l'ora-
teur. Ils méritent pleinement créance, étant de
ces témoins compétents qui rapportent ce qu'ils
ont vu et entendu (2). »
Cependant, au milieu des préoccupations.
d'une vie si mouvementée et entremêlée de tant
de surnaturel, «le custode ne négligeait pas
la direction des religieux confiés à sa sollici-
tude. Il affermissait les bons il réchauffait l'ar-
deur des tièdes il avait pitié de ceux qui chan-

I. J. RIGAUD, c. vm.– Cf. le Liber miraculorum, n. 16.


Le fait se passe à Limoges, et non à Bourges, comme
l'écrivent par mëgarde Barthélemy de Pise et Surius.
a. J. RIGAUD, loc. cit.
celaient. L'un de ces derniers, un novice nommé
Pierre, qu'il avait lui-même admis dans l'Ordre,
songeait, sous l'obsession d'une pensée de de-
couragement, à rentrer dans le siècle. Perdre
sa vocation est toujours un malheur, quel-
quefois un désastre irrémédiable. Le Bienheu-
reux fut averti par révélation de la tentation et
des angoisses intérieures du novice. Il alla le
trouver, le réconforta et lui dit, en lui soufflant
dans la bouche « Reçois l'Esprit-Saint. Au
même moment, le novice se sentit l'esprit en-
tièrement rasséréné. La flèche de la tentation
était comme émoussée, et lui-même déclara plus
tard qu'il n'en avait jamais plus ressenti les
atteintes (i).
A Limoges, le nom de saint Antoine est ac-
clamé il en sera bientôt de même dans toute la
région.

Toutes les villes du Limousin se disputaient


l'honneur de posséder le puissant thaumaturge.
Il accédait à leur requête, quand il le pouvait,
dépensant ses forces sans compteret semant
les miracles sur ses pas.
Ce sont même ces miracles recueillis sans
ordre chronologique, mais avec un religieux
respect, qui nous aideront à jalonner les prin-
cipales stations de son apostolat.
A Saint-Junien, il annonça à l'avance que la
I. J. RIGAUD, c. v. Le Liber miraculorum (n. 9)
reproduit le mêmefait, mais en l'agrémentant de détails
qui annoncent le travail de la légende.
chaire improvisée d'où il parlait serait ren-
versée, mais que, malgré les efforts de Satan
et de ses suppôts, il n'en résulterait rien de
f&eheux. La prédictiom s'accomplit. L'estrade
s'écroula avec fracas au commencement de son
discours; mais personne se fut blessé (i).
Dams un monastère bénédictin du même dio-
cèse (2), il récompensa par une faveur spirituelle
la généreuse hospitalité que lui fournissaient
les fils de saint Benoît.
Il était souffrant. Le religieux qui le soignait
apprit bientôt qu'il fait bon vivre, ne fût-ce
qu'une heure, dans la compagnie des saints. Ce
pauvre moine, souffleté, comme samt Paul, par
le démon du vice impur, était en proie à df vio-
lentes tentations. Eclairé d'en haut sur l'état de
trouble de cette âme, le thaumaturge ne put
refouler le sentiment de commisération qui
l'étreignait. II lui dépeignit, comme s'il y
eut assisté, toutes les péripéties de cette agonie
intérieure, puis le détermina, à for<:e d'aimables
instances, à revêtir la tunicelle que lui-même
venait de quitter. L'ombre de saint Pierre gué-
rissait les malades. La robe de saint Antoine ne
fut pas moins efficace. De cette tunique sancti-
Ree au contactd'une chair virginale, se dégagea
une vertu qui apaisa l'ora,ge des sens et délivra
pour touj ours le moine ageno uillé à ses pieds (3).
i. J. RIGAUD, c. vin.–Cf. jLt&. miracul., c. n, n. 14.
2. A l'abbaye de Solignac
CMtOfMNt (n. 14).
d'après le Liber mira-
3. J. RIGAUD, c. vu. –Cf. -Lt&ef t?: :.ctf!oru'/K, n. 10.
Ai~SEEs (te biographe ne cite pas plus qu'au
paragraphe précédent le nom de la localité),
c'étaient ses propres Frères qu'il prémunissait
contre, 'les illusions diaboliques et les tentations
propres à l'état religieux. (Un soir, après com-
plies, il vaquait selon son habitude à l'exercice
de l'oraison, et ses Frères avec lui. Ceux-ci, en
sortant,de l'oratoire, aperçurent aux demi-clar-
tés de la lune, une foule de malfaiteurs occupés
à dévaster la moisson du champ voisin, qui
appartenait à l'un des bienfaiteurs du couvent.
Ils coururent en avertir leur vénérable custode,
resté en prière dans l'oratoire et tout abîmé
dans le sentiment de la présence de Dieu. Ne t
vous tourmentez pas, leur répondit-il, et retour-
nez à votre méditation. Ce n'est là qu'une ruse
de l'ange des ténèbres, qui cherche tantôt à trou-
bler votre repos nocturne, tantôt à vous détour-
ner de l'oraison. Demain il n'y aura rien de dé-
truit dans le champ de notre bienfaiteur. Le
lendemain, au point du jour,lesreligieux consta-
tèrent que la moisson était intacte; et leur vé-
nération, déjà grande pour un supérieur si
richement orné des dons de l'Esprit-Saint, s'en
accrut encore (i).
Les épisodes qu'on vient de lire nous par-
viennent avec une signature qui enlève au cri-
tique toute penséede suspicion. Le nom de Jean
Rigaud nousen garantit l'exactitude. Il n'en est
pas de même d'une foule d'autres traits insérés

I. J. RIGAUD, C. VU.
dans des recueils hagiographiques de basse
époque, principalement dans le Liber mira-
CM~rMm traits de provenance inconnue et de
véridicité problématique, mais que nous nous
reprocherions pourtant de passer entièrement
sous silence. Ils serviront au moins à démon-
trer quelle haute idée on se faisait du thauma-
turge franciscain vers la fin du moyen âge.
Ici, c'est un enfant tombé dans une chaudière
d'eau bouillante et préservé de toute brûlure
par l'intercession du serviteur de Dieu là, un
enfant qu'il ressuscite et qu'il rend à sa mère
ailleurs, il restitue miraculeusement à une
femme du Limousin < la chevelure que lui a
brutalement arrachée son mari ». Plus loin, il
ordonneà un pauvre pécheur suffoqué par l'émo-
tion et le repentir, d'écrire ses fautes sur une
feuille de parchemin et à mesure que le péni-
tent les accuse, un ange du ciel les efface (i).
Enfin voici le trait le plus merveilleux, le plus
populaire aussi l'apparition de l'enfant Jésus.
Au cours de ses prédications, l'intrépide mis-
sionnaire était descendu chez un bourgeois qui
lui offrait l'hospitalité. Là, se livrant à son
attrait pour l'oraison, il prolongea sa veille bien
avant dans la nuit. Par une disposition spéciale
de la Providence, le bourgeois l'aperçut,au sein
d'une lueur surnaturelle, plongé dans les délices
de l'extase et portant dans ses bras l'e~/e~
Jésus (a).
i..Lt&ef miraculorum, n. n, as, 23, 25.
2. 7&M., n. 24.
Telle est, en abrégé, la célèbre apparition de
l'enfant Jésus, qui formerait la page la plus
idéale, la plus suave de l'hagiographie, si l'on
pouvait en prouver la réalité. Malheureuse-
ment, le doute plane sur le fond comme sur les
détails de cette vision (i). Elle ne repose que sur
l'assertion d'une compilation de la fin du
xiv" siècle, le Liber miraculorum, dont tous les
matériaux sont loin d'avoir la même valeur et
la critique ne peut l'admettre que sous réserves.
Vraie ou non, les arts l'ont mise en relief et
popularisée. Pas immédiatement toutefois car
la plus ancienne représentation de l'enfant Jésus
sur les bras de saint Antoine ne remonte qu'à
l'année 1495. C'est un rétable qui se trouve à
Pollenza, près de Macerata, province des Mar-
ches (2). Mais à partir du xvn° siècle, elle est
devenue une attribution iconographique du
thaumaturge, et bientôt l'attribut prédominant
le plus goûté, sans doute parce qu'il offre un
groupe plus harmonieuxet un symbolisme plus
expressif.
Le merveilleux fleurit ainsi à toutes les pages
du Liber miraculorum; mais au merveilleux
nous préférons le vrai, toujours, surtout lors-
qu'il s'agit d'un thaumaturge tel que saint An-
toine. Il n'a pas besoin d'une auréole d'emprunt;
i. Azévédo place la vision à Padoue, chez don Tiso,
ami du Saint; Wadding, dans le Limousin; l'abbé Ar-
bellot, à Château-Neuf-Ia-Forèt.Inutile de discuter ces
différentes opinions, alors que le fait lui-même est
douteux.
2. DE MANDACH, S. Antoine et r~.rt italien, p. 111, c. m.'
sa propre gloire lui suffit elle jette un lustre
incomparable. Ecoutons ce qu'affirme à ce sujet
la véritable histoire par la bouche de l'évêque
de Tréguier Oht l'heureux prédicateur Il
prêchait d'exemple et de parole, à tous, sans
acception,de personnes, et d'éclatants prodiges
venaient confirmer la vérité de sa doctrine (i). »
Voilà bien l'envoyé de Dieu, tel que l'image
s'en est conservée dans l'esprit des populations
du Limousin, allant d'une bourgade à l'autre,
guérissant les malades et réconfortant, selon
l'occurrence, les esprits dévoyés, lescœurs.dé-
chus, les enfants souffreteux, les mères en deuil,
tous ces désespères de la. vie dont chaque siècle
entend les plaintes ou les récriminations. Voilà
le thaumaturge semant la doctrine de vie et les
faveurs célestes, 'comme ie laboureur sème le
froment, à pleines mains (s~. Et voilà aussi le
moissonneur fortuné relevant les épis d'or et
liant, dans les champs du Père de famille, des
gerbes aussi précieuses que serrées.
Cependant, à travers ses courses apostoliques
« dans le diocèse de Limoges ilétaitpoursuivi
par ce besoin de solitude qui fut le tourment de
sa vie. Apercevant sur sa route, aux environs
de'Brive, à l'arrière-plan du vallon baigné par
la Corrèze, une roche solitaire, il s'y arrêta et y
fonda un ermitage dans le genre de celui de
Monte-Paolo. L'hagiographe limousin nous
i. «
Felix igitur praedicator. (J. RiSAUD, c. vm.)
2. « Ubique serons semina verbi vitœ ~6:d., ioe.
cit.)-
certine le fait en termes qui excluent le doute.
<
C'est le Bienheureux en personne, écrit-il, qui
implanta à Brive l'Ordre des Mineurs. Il leur
bâtit un couvent à une assez grande distance
de la ville (i). A ces détails authentiques,
mais un peu sommaires, le Liber MMracM~orM~
en ajoute de complémentaires, avec la précision
d'un pèlerin qui a visité ces lieux. < Antoine,
remarque-t-il, se retira à l'écart, dans une grotte.
Il s'y tailla une cellule, creusa dans la pierre une
fontaine destinée à recevoir les gouttes d'eau
qui suintent du rocher, et alors s'abandonna
sans crainte aux délices de la contemplation~
non moins qu'aux rigueurs de la pénitence (2).
Le merveilleux l'accompagna jusque dans ce
désert. La pauvreté y était extrême on man-
quait de tout, excepté de courage et d'amour
de Dieu. Dans un moment de détresse, le vé-
néré 'custode pria une dame de Brive; une de
ses bienfaitrices, de subvenir aux besoins de sa
petite communauté et de lui envoyer des lé-
gumes. Elle le fit avec empressement, malgré
une pluie torrentielle et persistante qui aurait
pu paralyser les volontés les plus énergiques,
et chargea sa servante d'aller au jardin et de
porter à l'ermitage les trésors de la charité.
Après quelques objections, la domestique céda
1. J. RIGAUD, c. vt. Des biographes du Saint, l'évê-
que de Tréguier est le premier qui ait parlé de ce séjour
à Brive, et le seul qui ait clairement désigné le nom de
la ville, estropié par le Liber. Brive faisait alors partie
du diocèse de Limoges.
2. Liber mt9'(tcit!<Mttm, m. la.
aux instances de sa maîtresse et partit, affron-
tant la rafale. Or, à son retour, elle raconta
avec admiration comment elle avait tout le
temps marché sous la pluie, sans qu'une seule
goutte d'eau eût mouillé ses vêtements (i).
Pierre de Brive, fils de la bienfaitrice et cha-
noine dela collégialede Saint-Léonard de Noblac,
se plaisait à narrer cet épisode dans tous ses
détails. Il avait raison car le fait, si .vulgaire
qu'il paraisse, renferme un profond enseigne
ment. Il nous rappelle que rien n'est petit de ce
qui se fait avec esprit de foi et que le Seigneur
ne laisse sans récompense ni les sublimes dé-
vouementsni le verre d'eau froide donné en son
nom.
Disons-le tout de suite, le séjour de saint An-
toine aux grottes de Brive ressemble à ses
autres étapes à travers la France ce n'est
qu'une halte, la halte rapide du soldat qui se
repose sur les lauriers de la veille et songe aux
combats du lendemain. Mais quand le soldat
est un Envoyé de Dieu, la roche où il a posé le
pied n'est plus seulement un souvenir histo-
rique elle devient une source de grâces et de
bénédictions, et les générations qui en bénéfi-
cient se redisent les unes aux autres Heureuses
vallées de l'Hérault et de la Garonne, que le
thaumaturge portugais a comblées de ses bien-
faits et fécondées de ses sueurs Heureuses
montagnes du Velay et du Limousin, qui ont

i. J. RiGAUD, c. vi. Cf. Lib. miracul., n. la.


été le Thabor de sa contemplation et de ses
extases!
Les chroniques médiévales racontent avec
complaisanceles merveilles accomplies dans les
régions du Centre. Mais ce qu'elles ne nous di-
sent pas, ou ce qu'elles disent en termes trop
vagues, ce sont les fruits de ces courses aposto-
liques la France attentive, les consciences ré-
veillées, le fléau de l'hérésie albigeoise écarté,
la foi vengée, la pureté des mœurs remise en
honneur, les discordes apaisées, la paix réta-
blie au sein des familles. C'est, en un mot, la
restauration sociale opérée d'une manière admi-
rable, sans secousse, sans effusion de sang, par
la seule force de la persuasion. Le résultattient
du prodige, on ne saurait le nier, pour peu
qu'on se souvienne que cette glorieuse campa-
gne, au pays des Lémovices, s'est effectuée
dans l'espace de sept à huit mois, peut-être
moins! Car déjà l'apôtre touche à la fin de sa
mission en France, et la Providence lui réserve
un autre théâtre avec d'autres lauriers.
Vers la fin de l'année 1226, le Fr. Élie, chargé
provisoirement du gouvernement de l'Ordre,
adressait à tous les provinciaux et custodes,
conformémentà la Règle, une circulaire annon-
çant le glorieux trépas du vénérable fondateur
et portant indiction du Chapitre général pour
le 3o mai de l'année suivante. La lettre appré-
ciait en termes émus la mission providentielle
du Patriarche d'Assise et s'ouvrait par ce cri de
douleur
Avant de commencer à parler, je pleure,. et
<

ce n'est pas sans motif. La douleur envahit


mon âme comme un torrent qui déborde. Hé-
las t JLe malheur que je redoutais a fondu sur
nous celui qui nous, consolait n'est plus! Chéri
de Dieu et des hommes, il est monté au séjour
de la lumière, lui qui enseigma-it à Jacob la loi de
la science et de la vie,, et qui a la-issé à Israël le
testament de la paix.. Nous ne saurions trop
nous réjouir p<Mir lui;, nous ne saurions trop
pleurer sur nous-mêmes,, privés que nous
sommes de sa présence et comme ensevelis, dams
l'om'bre de la mort. Invoquez-le., afin de méri-
ter de participer à sa gloire, et priez-le de met-
tre à motr& tète un autre ku-iniéme, un chef vail-
lant comme les. Machaibées, pour nous conduire
a'u combat (ï). »
Nul n'avait plus amèrementpleuré que saint
Antoine la perte du Séraphin d'Assise. Nul ne
pria avec plus die ferveur pour que, du haut du
ciel, il veBMât en-core sur ses enfants, et plaçât
à leur tête un autre. hm-méme, un homme capa-
ble de ma)mte)Hr et d'organiser, em Mi gardant
son cachet priimitii,. une institution si néces-
saire au bien de l'Église., Il fut chargé par ses
frères d'une'miissMm spéciale et secrète auprès
du Souverain Pontife, miissiom relative prbba-
Mement à lai candidature du Fr. Élie, dont on
redoutait les innovations et le relâchement et
q<on voulait écarte!)! Parti de Limoges dans le
i. Saunt.FraKçots et les Franciscains, par le R. Përe
PAMPHILE DE MAGLIANO, t. I, C. VIII, n. 20.
courant de février laa~ (date approximative,
assignée par Azzoguidi), il descendit les bords
du Rhône et s'achemina vers Marseille (i)
voyage qu'il eifeetua rapidement et qui fut si-
gnalé, au témoignage de Jean Rigaud, par un
merveilleux acte de reconnaissance.
Au moment où son compagnon et lui en-
traient, harassés de fatigue et encore à jeun,
dans une petite bourgade de Provence (i), une
femme du peuple, touchée de compassion, les
invita à venir prendre un peu de repos dans sa
maison. D'un grand cœur et d'une foi plus
grande encore, elle les reçut comme Marthe re-
cevait Notre-Seigneurà Béthanie, avec une cha-
rité parfaite, posa le pain et le vin sur la table
et courut emprunter un verre à sa voisine.
Mais, soit inadvertance, soit maladresse, le
compagnon du Saint, en déposant le verre sur
la table, le brisa en deux. Autre accident plus
fâcheux encore;, l'hôtesse, en retournant au cel-
lier, s'aperçut qu'elle avait oublié de fermer le
robinet du tonneau et que le vin s'était répandu
sur le sable. Quelle perte pour elle! Elle ne put
contenir son chagrin et en fit part à ses deux
hôtes. Ce ne fut pas en vain. Le Bienheureux,
se cachant le visage des deux mains pour prier
plus à son aise, conjura l'Auteur de tout bien

i. « En Provence, lors du retour du thaumaturge en


Italie ?, dit expressément l'hagiographe limousin (c. v)
ce qui dirime les nombreuses controverses élevées à ce
sujet. Le Liber miraculorum (n. 28) reproduitle même
épisode, sans désigner la Provence.
d'avoir pitié de l'affliction d'une chrétienne si
généreuse et de ne pas laisser sa bonne œuvre
sans récompense. Sa prière monta, comme une
flèche, droit au cœur de Dieu: car soudain la
coupe et le pied du verre se rapprochèrent et le
verre se redressa. A ce spectacle, la paysanne
demeura stupéfaite; puis ayant la conviction du
miracle et persuadée que celui qui avait fait un
premier prodige, pourrait bien en opérer un
second et lui rendre le vin perdu, elle courut au
cellier. Là, nouvelle surprise Son tonneau
était plein, et le vin bouillonnait et débordait
comme au sortir du pressoir. Ivre de joie et
hors d'elle-même, elle ne savait comment expri-
mer la vivacité de sa gratitude. Mais déjà le
thaumaturge,toujours humble, détaché de tout
et de lui-même, s'était dérobé à des louanges et
à des marques de vénération qui ne doivent se
rapporter qu'à Dieu (i).
Cet épisode nous prouve d'une manière cer-
taine que notre Bienheureux traversa la Pro-
vence. Mais le reste du voyage nous échappe.
Marseillefut-elle sa dernière étape, ainsi que lé
prétend Azévédo? Y prit-il un peu de repos et
visita-t-il ce rocher granitique autrefois
souillé par les idoles et les sacrifices sanglants
du druidisme où le prêtre Pierre venait
d'inaugurerun pèlerinage réparateur et sancti-
fiant, devenu célèbre depuis sous le nom de `'
Notre-Dame de la Garde? Toutes ces supposi–

I. J. RIGAUD, C. V..
tions sont plausibles; mais nous demandons les
documents, et il n'y en a pas Mieux vaut saisir
l'apôtre franciscain au moment où la frêle em-
barcation qui l'emporte vers l'Italie est déjà loin
du rivage (i). I! revit par la pensée les douces.
émotions du passé, enveloppe d'un ~dernier re-
gard les côtes de la Provence, baignées dans
l'azur du ciel, et dit adieu à ces montagnes
illustrées par les larmes de Marie-Madeleine, à
cette terre du Languedoc où il a replanté la
croix, à ces rudes montagnards du Velay et du
Limousin qui l'ont entouré de leurs délirants
enthousiasmes, à cette France à laquelle il a con-
sacré le meilleur de son âme. De loin, il bénit
encore cette fille aînée de l'Église, dont il pres-
sent le réveil et les glorieuses destinées, et qu'il
emporte dans son cœur de prêtre et d'apôtre.
Les prières d'un saint sont une force; sa bé-
nédiction, un germe de résurrection et de vita-
lité. Deux ans après le départ d'Antoine, le
conflit qui a ensanglantéle Midi de la France et
failli rompre l'unité religieuse et nationale se
dénouera pacifiquement, grâce à la sagesse de
la régente Blanche de Castille, par le traité de
Poitiers. On y stipulera le mariage de Jeanne
de Toulouse avec Alphonse de Poitiers, frère de
Louis IX. L'hérésie albigeoise, œuvre de perfi-
die et de violence, se dissipera comme se dissi-
pent les ténèbres aux premières lueurs du ma-
tin la vérité reconquerra son empire, et, avec

i. Nous supposons qu'il s'en retourna par mer; les


documents primitifs n'en parlent pas.
8
saint Louis, la France atteindra le faite de sa
gloire. Elle sera l'arbitre des nations de l'Eu-
rope, la terreur des SaTrasina,i'épëede l'Eglise.
Saint Thomas et saint Bonavesture mettront
dans ses mains sceptre de ta science, pendant
que des génies inconnus couvriront son sol
d'uae luxuriante végétation de monumentsgo-
thiques tels que Notre-Dame de Chartres,de
Rou'em, de Heiïos, de Beauvais, Le tMu~na-
turge franciscain -verra poindre l'aurore de ces
beaux jours. Plus que personime, hormis saint
Donumtique, il aura ppëparé les triimmphes de la
Croix; p'ins que personne, il aura travaillé au
relèvement et à la grandeur Tmorate die notre
pays.
La Framoe, de son eôte, Be .sera pas ingrate à
son égard. Elle lui donnera une place de choix,
à côte du Sis des &u)sman, dans le euïte d'hon-
neur et d'admiration qu'efife rend à ses tmeil-
leurs Mhërateurs, à ces hommies d'élite que la
Providencelui enwsie, aux jours amauvais, pour
la sauver de l'erpeur et de Fanaa'chie. Il en sera
le Saint populaire par excellence, .eoiaime il en a
été l'apôtre populaire. Les petits, les humbles,
les habitants des hameaux, l'es convertis des
grandes villes, tous ceux .qu'il aura guéris ou
consolés, eëlébrepomts'es tbiemfaits, rediront ses
miTacles, lui ërigeï'on'f: des autels, et le temps
qui eSà'cetout, me fera que jajeMmir sa mémoiï~
et grandir ses vertus. Son cmlie Seurira dans
toutes nos provinces, embaumant les rivages
de la Méditerranée, mon moms que les ïn~onta-
gnes du Velayetles vallées de la Corrèze. Faut-
il s'en étonner? Sans doute, un Saint n'est
étranger nulle part, parce que l'Église est la pa-
trie des âmes; mais quand H a verse ses sueurs
sur le coin de terre que nous habitons, quand il
y a multiplié les miracles, il a droit à un culte
plus intime, plus vivace, plus débordant; il est
deux fuis notr~ freine.
CHAPITRE VII

RETOUR EN ITALIE

D'après la légende primitive, le Bienheureux


fut chargé par le Ministre général d'une mis-
sion spéciale près de la Cour romaine, < au
sujet d'une affaire qui concernait la famillefran-
ciscaine (i). La légende Benignitas ajoute que
c'était vers les fêtes de Pâques, et Wadding
affirme que Grégoire IX, l'ancien cardinal Hu-
golin, l'ami et le protecteur du Patriarche d'As-
sise, venait de monter sur la chaire de saint
Pierre (a).
Voir Rome, la cité des grands souvenirs et
des monuments antiques, voir le pape, le

i. « Quum, urgente familiari causa, minister Ordinis


servum Dei Antonium ad curiam destinasset. (Legenda
Le
prtMttt, p. ï, c. ix). Saint alla-t-il deux fois à Rome,
en 1237, comme nous racontons ici, puis en ia3o? Le
le
premier biographe ne le dit pas mais les faits eux-
mêmes l'insinuent. En 1227, en effet, le thaumaturge est
représenté seul devant le Souverain Pontife en i23o, il
fait partie d'une délégation, ainsi que nous le verrons
plus loin.
s. Légende Benignitas (Vttœ c!tM6, p. aa3).–WADDiNG,
Annales Minorum, ad ann. ias5. Aucun des docu-
ments primitifs n'indique l'époque du voyage aucun ne
parle des fêtes de Pâques aucun ne prononce le nom
du pape. On ne peut donc attribuer qu'une valeur rela-
tive aux assertions de Wadding et de la légendejBetn-
gnitas.
vicaire du Christ, est pour quiconque n'a pas
perdu le sens de la foi, une des plus pures
jouissances qu'on puisse goûter ici-bas. Saint
Antoine eut ce bonheur. De son séjour dans la
Ville éternelle, cependant, la Légende primitive
n'a retenu qu'une seule chose c'est qu'il fut
accueilli avec faveur par le Souverain Pontife
et le Sacré-Collège, qui écoutèrent très dévote-
ment sa prédication. Abeille diligente et har-
monieuse (i) il tirait des saintes Écritures
une doctrine si lumineuse et si profonde, que
le Pape, pour traduire son admiration, em-
ploya une expression jusque-là sans exemple;
il l'appela l'Arche vivante de la Bible (2). Ce
surnom, sur des lèvres si augustes, vaut
à lui seul les plus magnifiques éloges. Il
ne nous surprend pas cependant; tant il ré-
sume bien la vocation extraordinaire du héros
portugais.
Voilà la version originale, toute simple, toute
naturelle. Le Liber miraculorum l'amplifie
suivant sa coutume, et l'entrelace de détails où
éclate le merveilleux. D'après ce recueil, le
thaumaturgefut chargé par le Pasteur suprême
de préparer les pèlerins accourus à Rome à
gagner les indulgences de la Semaine Sainte, et
favorisé à cette occasion du don des langues.
La Ville éternelle vit alors se renouveler le
miracle de la Pentecôte. Une multitude innom-
1. Legenda prima, p. I, c. xrv.
2. « Arcam Testamenti (ibid., c. :x). Cf. Legenda
secunda, c. n et J. RIGAUD, c. vm.
brable de toute tribu, de tout pays, se pressait
autour de la chaire du grand orateur; et tous,
Grées, Latins, Français, Allemands, Slaves,
Anglais, tous, à leur grand étonnement, l'en-
tendirent distinctement, chacun dans sa propre
langue. Il parla avec tant d'onction, avec tant
d'éloquence, que le pape, émerveillé, l'appela
< Arche du Testament (i),
Don des Mogaes, nouvelle Pentecôte autant
d'éléments nouveaux introduits dans le récit
du Liber MMMGMÏorMtM;. Un prélat contempo-
rain, le cardinal Eudes de Ch&teauroux (2)~
prouonçanit le panégyrique de saint Antoine,
fait lui aussi, or~orM mod~, allusion à cette
nouvelle eSusion de l'Esprit-Saint, lorsqu'il
compare som héros. aux apôtres, de qui l'on
disait amj'our de la Pentecôte < Est-ce que ceux
qui nous parlent ne sont pas des &aliléens?
Comment se fait-il donc que nous les enten-
dions, chacun dans notre propre langue (3)? »
On peut contester lasource d'informations du
Z-îb~r; on peut iiaterpréter dans un sens plus
large 1'allusion du cardinal Eudes ce qu'on ne
sa.uTai't nier, c'est la profonde impression pro-
duite à Rome par le passage du disciple de
saint François. Mais: passons, et avançons dans
notre récit.
i. Liber Mtf<tett!orMnt, n. i. Cf. BARTHÉLEMY DE
PtSE, fol. ';6; ~OTettt, c. xxxix; et la légende Benignitas
~V:ta' di~e, p. 2a3).
2. Mort en 1273.
3..MïsceMctnea Antoniana, IV, p. io preotiep pané-
gyrique.
Muni de la bénédiction du Souverain Pontife,
le thaumaturge quitta la Ville éternelle et se
dirigea vers Assise, en traversant, à son tour,
ces vastes solitudes de la campagne romaine,
ces gorges' des Apennins, cette riante vallée
d'Ombrie, qu'avait tant de fois parcourues le
Patriarche séraphique.
Quand il aperçut, suspendue comme un nid
d'aigle aux flancs du mont Soubase, la petite
ville d'Assise, la patrie de saint François, son
cœur battit plus fort. Il allait enfin pouvoir
satisfaire à loisir sa piété filiale envers celui
qu'il invoquait tout bas comme un saint.
Nous nous le figurons volontiers visitant la
Portioncule, berceau de l'Ordre, Notre-Darne
des Anges, théâtre des apparitions de la sainte
Vierge, la cellule qui avait reçu le dernier sou-
pir du Réformateur ombrien; montant ensuite
dans la vieille cité, entrant dans l'église Saint-
Georgesoù reposaitprovisoirementla dépouille
mortelle du fondateur, collant ses lèvres sur la
pierre du tombeau et y priant longuement.
L'ardeur de sa prière et de ses sacrifices ne
fut point étrangère aux résultats du Chapitre
général d'Assise (3o mai 1227). Le Fr. Élie, mal-
gré ses intrigues, fut écarté, et la majorité des
suffrages tomba sur Jean Parenti de Florence,
esprit éminent, caractère franc et loyal, aussi
fervent sous la bure qu'il avait été intègre sous
la toge. C'était le successeur immédiat de saint
François, et son digne successeur, au jugement
d'un contemporain « un supérieur exemplaire,
un diplomate estimé du pape (Grégoire IX), un
prophète écouté du peuple (i).
Un pareil choix était bien de nature à réjouir
le cœur de notre Bienheureux ses"vœux étaient
exaucés. Mais ce qui affligea son humilité, c'est
qu'en le déchargeant de la custodie de Li-
moges, le Chapitre le nommait Provincial de
Bologne (a).
L'assemblée .ne se sépara pas sans avoir for-
mulé un vœu relatif à la canonisation du stig-
matisé de l'Alverne; et le nouveau Général,
Jean Parenti, adressa une supplique dans ce
sens à Grégoire IX, qui, l'année suivante
(16 juillet 1338), se rendait en effet à Assise, et
inscrivait solennellement le Patriarche des
pauvres dans les diptyques sacrés.
Dès que le thaumaturge eut pris possession
de sa charge et réglé les affaires de sa Province,
il s'arma de nouveau de sa croix de mission-
naire et se dirigea vers les côtes de l'Adriatique.
Bientôt il se retrouvait en face de ces hérétiques
i. BERNARD DE BESSE, de laudibus B..Fr., appendix.
Cf. Chronique des vingt-quatre Généraux (Analecta
Franciscana, t. Hï, p. aïo et 698).
2. JEAN Ri&AUD (c. VIII) et la Legenda secunda (c. n)
affirment, sans préciser davantage, qu'au Chapitre gé-
néral (is3o), « le Bienheureux fut déchargé du gouver-
nement de ses Frères Mais la légende Benignitas, le
manuscrit 74 de Padoue (P. JosA, p. 92) et les additions
du manuscrit de Lucerne (I, n. 9) attestent à l'unanimité
qu'il s'agit ici de la province des Romagnes. In pro-
vincia jRo?K(Mtto!a° Fratrum ministerium annis pluribus
laudabiliter rexit. » (Lég..Ben~ttt~fs, p. 217). Le rensei-
gnement nous paraît assez probable pour que nous le
consignions dans notre récit.
orgueilleux et retors dont nous avons parlé
plus haut, ces Cathares dont l'aveuglement lui
arrachait des larmes. <A toutes les industries
de son zèle, nous dit l'hagiographelimousin, ils
n'opposaient que la froideur du marbre ou, ce
qui est peut-être pis encore, un sourire mépri-
sant (i).II eût voulu, au prix de mille vies, si
c'eût été possible, dissiper les préjugés qui leur
cachaient la divinité de l'Evangile et les beautés
de la foi. Mais comment les atteindre? Comment
les aborder? Ils le fuyaient, comme l'oiseau de
proie fuit la lumière. La chronique que nous
venons de citer, va nous dire comment il finit
par vaincre leur obstination.
Antoine désespérait des hommes; il ne déses-
péra pas de Dieu. « Sous le feu de l'amour qui
l'embrasait (s)*, il se sentit inspiré, pour tran-
cher le din'érend entre la foi et l'hérésie, d'en
appeler à la toute-puissance du Créateur. Il fit
signe à ce peuple de marins de le suivre sur la
grève, et interpellant directement les Cathares:
«
Puisque vous refusez d'entendre la parole de
Dieu, leur cria-t-il, je m'en vais, pour vous
confondre plus manifestement, prêcher aux
poissons." Alors,le visage tourné vers le fleuve,
il s'adressa aux innombrables tribus qui peu-
plent les ondes, et leur exposa les bienfaits

I. « In fervore spiritus. (7&to! loc. cit.)


s. J. RIGAUD, c. VIII. L'expression « Prope Paduam
qu'on trouvera plus loin, nous permet de supposer que»
la mission de Rimini se rattache à celle de Padoue.
Dans ce cas, elle aurait eu lieu vers :S37 ou :sa8.
dont les entoure la providence attentive du
Créateur. < C'est lui, leur dit-il, qui vous a
crées. C'est lui qui vous a donné pou'r demeure
l'élément limpide dans lequel vous vous mouvez
en toute liberté.. C'est lui qui vous nourrit, sans
que vous ayez à travailler. A ces mots, les
poissons accourent, se rassemblent, lèvent la
tête hors de l'eau, écoutent et tiennent leur
regard nxë sur le Bienhemreux, comme s'ils
eussent été doués de raison. Ils ne repriremt la
liberté de leurs ébats que lorsqu'il les eut bénis
et congédiés~). u
Malheureusement le narrateur, absorbé sans
doute par les formes étEanges et insolites du
mirade~ a omis de désigner la ville qui en fut le
théâtre, comme il avait omis la date. Il s'est
contenté de dire < i~FO~pe -PadMam Aux envi-
rons de PadsNe. Mais ceux qui ont écrit après
M ont précise; et tous, l'auteur du ~&erH".tr~-
eu~ermm, les .FMM''e~ Barthélemiy de Pise,
Sieco Polentoue et les Annalistes de l'Ordre,
ont inséré dans leur relation le nom de Rimini.
De plus, la tradition franciscaine se trouve cor-
roborée pair l'existemee d'un monument commafé~
mora'tif, érigé en i55Q; sur les rives de la Ma-
reeehi!a,,entFe Rimini et l'embouchure du fleuve.
En résumé, le fait en lui-même est des mieux
attestés, et la tradition qui nomme Rimini
présente des garanties suintantes pour être
admise par une critique vraiment impartiale.

:fM~oe<cit.
D'autre part, la scène est unique dans l'his-
toire, naïve et gracieuse, d'une simplicité dont
le merveilleux fait tout le coloris. réparée des
circonstances qui l'ont amenée, elle pourrait
paraître puérile; mais replacée dans son cadre
normal, entre les Cathares qui regimbent
contre le joug de l'Évangile et un missionnaire
ardent qui, les voyant périr, veut les sauver
malgré eux, elle grandit et prend des propor-
tions immenses. t La présence du divin, remar-
que Jean Rigaud, répand sur elle des reflets
d'infini, autant que sur le discours de saint
François aux oiseaux (i). t~M~a~' ce n'est
pas assez dire à notre avis. Le Patriarche séra-
phique était beau, quand dans la vallée de Spo-
lète il prêchait aux oiseaux et les invitait à louer
Dieu. Saint Antoine nous paraît plus beau,
plus grand, lorsqu'il s'adresse aux poissons. La
scène de Bévagna a une teinte plus douce, celle
de Rimini un caractère plus émou'vamt(2). C'est
qu'ici la liberté humaine est en jeu. La vérité et
l'erreur se disputent l'empire des consciences;
et dans ce duel, vieux comme le monde, les
créatures privées de raison, évoquées, pren-
nent parti pour la première, lui rendent un
témoignage muet, mais d'une éloquence irréfu-
table, et lui assurent un de ses plus mémo-
rables triomphes.
Le discours aux poissons est le digne pen-
i. J. RIGAUD, IOC. cit.
a. Les fresques du Giotto ont immortalisé la scène de
Bévagna les tableaux du Guerchin, celle de Rimini.
dant du miracle eucharistique x (de Bourges?).
Le miracle est une apparition soudaine du
Maître de la création, un éclair qui déchire la
nue, un coup de tonnerre qui réveille, mais un
coup de tonnerre et un éclair qui ne convertis-
sent qu'à la condition que les égarés ou les
révoltés apportent eux-mêmes au moins un cer-
tain désir de connaître la vérité et ne fléchissent
pas devant le devoir. C'est l'enseignement qui
ressort du curieux épisode que Jean Rigaud
relate sous le titre du mets empoisonné".
Les Pharisiens, confondus par le Messie,
complotaient sa mort. Les Cathares d'Italie (i)
agirent de même. Furieux d'être toujoursbattus
dans les controverses publiques, ils résolurent
de se venger en empoisonnant leur adversaire.
L'horreur d'un pareil attentat n'arrêtait pas ces
Pharisiens du xm" siècle. Ils invitèrent l'apôtre
à dîner et lui présentèrentun mets empoisonné.
Ils comptaient sans l'intervention de la Provi-
dence. Le Saint connut au même instant, par
révélation, la trame infernale qu'ils' avaient
ourdie contre ses jours, et leur adressa de légi
times reproches. Ils ne se déconcertèrent pas
pour si peu, et ajoutant l'ironie à la cruauté, ils
lui déclarèrent qu'ils avaient voulu par là expé-
rimenter la vérité de ce passage de l'Évangile
<
Mes disciples chasseront les démons, et s'ils
boivent quelque breuvage mortel, ils n'en rece-
vront aucun dommage. Prenez cet aliment,
i. lu partibus Italiœ. (J. RIGAUD, c. VL) L'auteurne
précise pas autrement.
ajoutèrent-ils; et s'il ne vous nuit pas, nous
vous jurons d'embrasser la foi catholique. Si au
contraire vous n'osez y toucher, nous en con-
clurons que l'Évangile a menti. Je le ferai, ré-
pliqua l'intrépide missionnaire, non pour tenter
Dieu, mais pour vous prouver combien j'ai à
cœur le salut de vos âmes et le triomphe de
l'Évangile.)' Il fit le signe de la croix sur le mets,
le prit sans éprouver la moindre indisposition,
et les anges inscrivirent au livre d'or des élus
une nouvelle victoire et de nouveaux noms. Les
hérétiques tinrent leur serment et rentrèrent,
sincères et convaincus, dans le giron de
l'Église (i).
Au départ du thaumaturge, ils mêlèrentleurs
acclamations enthousiastes à celles des catholi-
ques demeurés ndèles; mais ni les uns ni les
autres ne surent jamais de quels sacrifices, de
quels actes d'héroïsme la conversion des
Cathares avait été le prix.
En dehors de Rimini que nous venons de
quitter, et de Padoue, où nous serons bientôt,
il est impossible de déterminer, même d'une
manière approximative, le trajet suivi par le
thaumaturge et d'indiquer les étapes de sa
route (2). Certains auteurs de basse époque
i. J. RIGAUD, c. vi. Le Liber miraculorum (n. 6)
reproduit textuellement l'hagiographe limousin.
2. AZZOGUIDI (StCCOPOLENTONE,apud H.OROV, p. CLXII),
s'appuyant sur Ange de Vicence, a tracé un itinérairee
assez complet des pérégrinations du Saint. Selon lui,
l'apôtre aurait visité Trieste, Aquilée, Goritz, Udine,
Gémona, Trévise, avant d'aborder Padoue. Ce sont là
désignent, il est vrai, plusieurs localités, et
nous le montrent, à travers l'auréole des
miracles –àFerrare, forçant un enfant encore
à la mamelle à proclamer l'innocence de sa
mère, patricienne en butte aux plus injurieux
soupçons de son mari (i) à Florence, annon-
çant dans une allocution aux funéraille.s d'un
avare, que son .âme est en enfer et son cœur
parmi les pièces d'or de son ~oSre-fort (s) à
Varèse, communiquant à l'eau d'un puits la
vertu de guérir des Sèvres pernicieuses ~3).
Mais pas une seule date.
Les traditions locales sont également muettes
ou trop vagues, sauf à Goritz, où le passage du
Bienheureux est authentiqu.é, ainsi que le cons-
tatentdeux inscriptionslapidaires, par la béné-
diction de la chapelle des Mineurs; chapelle
qu'il dédia à sainte Catherine d'Alexandrie,
vierge fameuse par sa science non moins que
par son courage (4).
Ne cherchons point à créer une chronologie
fantaisiste, et prenons le Saint tel qu'il est en
réalité, l'envoyé de Dieu, le pèlerin de la parole
divine, allant de-cide-là, partout où le pousse

d'mjgémeuses hypothèses, mais rien que cela H y man-


que l'essentiel, la base, c'est-à-dire les documents.
ï. SiMOO FOMMTONE .(apud HOROY, p. 484).
2. BARTHÉLÉMY DE PtSE et SUMHS.
3. AN&E DE VicENCE, 1. 11,, c. n (Baasano, j~S).
Inutile de discuter la valeur de ces trois faits, dont la
gloire du thaumaturge n'a pas besoin.
4. Voici la plus antique de ces deux Miscnptions, ;avec
son orthotgrap.be -et son erreur de date
l'action de l'Esprit-Saint, partout aussi où
l'appellent les besoins de sa famille religieuse. H
évangélise tour à tour, sans que nous sachions
dans quel ordre, le littoral de l'Adriatique, la
Marche trévisane, les environs de Venise.
Enfin, le voilà devant Padoue. Quand il fran-
chit l'enceinte des murailles de la vieille cité, il
éprouve cette émotion mêlée d'espérance et de
crainte que ressent tout missionnaire en face
de l'inconnu. L'espérance domun.e; mais il est
loim de se douter des merveilles et des consola-
tioTis que la Providence lui prépare.
QtMtM, pie .Zector,
veneraris asd'ent.
fttrpMrNteB virgini Cathettnas sacram.
Seraphicus taMNtctwryMs
Hic. CHMM .MEC.X.X V. ~M~MS.
Post ca'tto&tt. Fundationem
Humiliter extruxit.
(La Voix de S. Antoine, novembre j8g6.)
L'Ordre de Saint-François a ,gardé cette dévotion à la
vierge alexandrine, et celle-ci demeure, .depuis des
siècles, la patronne des étudiants en philosophie.
CHAPITRE VIII
A PADOUE
(l339-123o)

Le sentier du juste, dit le Sage, est sem-


blable au soleil qui jette ses premiers feux à
l'aurore et dont l'éclat va toujours croissant jus-
qu'à son midi. Le plein midi, pour notre Bien-
heureux, l'apogée de ses grandeurs et de ses
triomphes, c'est Padoue, ville privilégiée qu'il
aimera à l'égal de sa patrie, cité bénie qui lui
donnera son nom dans l'histoire.
Attendu ou non, il y arrivait, le front enguir-
landé de miracles, avec une réputation de saint
et d'orateur incomparable; et sa seule appari-
tion produisait sur le peuple une impression
profonde que nous a traduite le chroniqueur
Rolandino. « Vers la fin de l'année 1329, écrit-
il, une paix inaccoutumée régnait dans la `

Marche de Trévise. Les esprits s'ouvraient à


l'allégresse, et l'on se figurait volontiers que
l'ère des troubles politiqueset desguerres civiles
était fermée. Pendant ce temps, des hommes
religieux et justes s'efforçaient de retremper
l'âme du peuple, en le rappelant au souvenir de
ses destinées immortelles. Parmi eux se trou-
vait le bienheureux Antoine, homme à l'élo-
quence douce comme le miel, dont la voix se fit
entendre en divers endroits de la Marche trévi-
sane (i).~ Et un peu plus loin <fEn ce temps-là,
Dieu avait envoyé à Padoue, du fond de l'Hes-
périe et des extrémités de l'Occident, cet homme
religieux et saint, ce Fr. Antoine, de l'Ordre
des Mineurs, dont nous avons parlé plus haut.
Issu d'une famille noble et puissante, célèbre
lui-même par sa connaissance des lettres comme
par ses vertus, il était l'Arche de l'Ancien Tes-
tament, la copie vivante de l'Evangile, et si
j'ose employer cette expression, un homme
puissant en œuvres et en paroles. Son corps
était à Padoue, auprès de ses frères; son âme
vivait dans une atmosphère meilleure. Aussi,
dans ses fréquentes excursions à travers les
cités et les bourgades, sur le territoire padova-
nais ou dans la Marche trévisane, avait-il cons-
tamment les yeux au ciel, et le cœur plus
encore (2)."
Padoue ne fut pas seulement un centre d'où
l'apôtre franciscain rayonnait sur tous les envi-
rons, et pour ainsi dire son quartier-général.
Elle devint, elle aussi, le théâtre de ses
triomphes oratoires, et même à un tel degré
qu'elle demeure sans rivale sous ce rapport.
Deux fois il la choisit pour sa résidence, d'abord
en 1229, puis en 1280. Faut-il rapporter au pre-
B. Antonius. per Marchiam voce melliflua preedi-
cavit. (Apud MURATORI, Rer. ital. script., t. VIII,
p. !g8.)
2. Mutta honestate perspicuus, multa litteratura
fundatus, arca Veteris Testamenti et Novi. » (Apud
MURATORI, loc. cit., p. 303.)
9
mier séjour quelques traits du ravissant tableau
que nous retraceront un peu plus loin les
légendes primitives? Nous n'oserions l'affirmer.
Ce qu'il y a de certain, c'est que la vieille cité
accueillit le moine mendiant par d'universelles
et de chaleureuses sympathies et qu'entre l'une
et l'autre se noua, dès le premier contacta une
de ces débordantes affections qui se puisent aux
sources les plus pures et que la mort elle-même
ne rompt pas. L'apôtre se plut dans cette
atmosphèreintellectuelle où la jeunesse univer-
sitaire répand l'animation et la vie; et c'est là
qu'il rédigea, en tout ou en partie, durant son
premier séjour, ses sermons sur les Domini-
~o.!es (i).
De plus, lors de sa première visite à Padoue,
il agissait en Provincial, avec une pleine auto-
rité sur les trois branches de la famille francis-
caine qui ressortissaient à sa juridiction les
Frères-Mineurs,les Clarisses et le Tiers-Ordre,
ces trois merveilleuses créations du génie du
Réformateur ombrien. Comment douter, con-
naissant son caractère et sa passion pour le de-
voir, qu'il ne se soit scrupuleusement acquitté
de son office de supérieur et qu'il n'ait réservé
pour ses fils et ses filles de prédilection la meil-
leure part de ses sollicitudes?Du reste, les faits
sont d'accord ici avec nos pressentiments,et
nous en avons pour preuves les traditions lo-
cales reaueillies par différents historiens.

i. Legenda prima, p. 1, c. x et J. RIGAUD, c. vm.


Les Frères-Mineurshabitaient le couvent de
Sainte-Marie, au centre de Padoue. On devine
avec quelle sua veagectionle Bienheureux épan-
chait son cœur dans celui de ses frères. On de-
vine aussi la puissance de sa parole sur leur
esprit, lorsqu'il leur rappelait la sublimité de
leur vocation et qu'il les remettait en présence
de l'idéal franciscain. N'était-il pas lui-même,
en effet, la vivante image du Patriarche séra-
phique, comme le Stigmatisé de l'Ai veme avait
été celle du Rédempteur?
Quant aux Clarisses, elles étaient établies, du
vivant même du Poverello, au monastère de
l'Arcella, aux portes de Padoue; et nous savons
qu'à son retour d'Orient, le saint Fondateur les
avait visitées. Bien plus, il avait lui-même im-
posé le voile à la fille d'un riche Padovanais,
Hélène Enselmini, une de ces âmes prédestinées
qu'attirent les austérités de la Croix. Avec quels
sentiments de joie le Provincial de Bologne ne
vient-il pas, lui l'humble disciple, continuer
l'œuvre du maître près des recluses de l'Arcella.,
traiter avec elles du secret de la perfection,
leur apprendre à lire dans le beau livreducru-
ciËx ou à retremper leur ferveur au contact du
Cœur de Jésus x, leur montrer les grandeurs et
les récompenses du sacrifice? La joie est parta-
gée par celles qui l'écoutent, douces et virginales
colombes qui rêvent d'immolation comme d'au-
tres rêvent de plaisirs. C'est une fête surtout
pour la bienheureuse Hélène, qu'un de ses bio-
graphes nous dépeint comme un esprit délicat,
un cœur généreux entre tous, une contemplative
des plus favorisées. Tantôt, nous dit-il, elle est
transportée parmi les chœurs angéliques, et
elle aperçoit saint François, qu'elle a connu
pauvre et humilié, revêtu de gloire et de puis-
sance tantôt elle pénètre dans le lieu de l'ex-
piation temporaire, et elle voit les âmes du pur-
gatoire, rafraîchies par la rosée de la prière des
fidèles, tressaillir de joie à l'approche de leur
délivrance. Ou bien encore Notre-Seigneur lui
dit tout bas à l'oreille c Prends ta croix, porte-
la sur tes épaules, et suis-moi (i). :D
Mais sur ces hauteurs, le vertige vous saisit
facilement. Hélène tremble, et ses compagnes
avec elle. D'où lui viennent ces révélations? Su-
jet de tourments pour elle, comme pour tous les
extatiques. Elle interroge d'un regard anxieux
l'apôtre franciscain, et attend la réponse à ge-
noux. Maître expérimenté en matière de direc-
tion et de spiritualité, notre Bienheureux la
rassure, lui rend la paix intérieure, la guide
sûrement dans les voies toujours obscures,
souvent périlleuses de la contemplation, et lui
dit en terminant < A d'autres les cimes glori-
fiées du Thabor; à vous, ma fille, les pentes hu-
miliées du Calvaire 1
Et sur le conseil duvénéréProvincial,Hélène
Enselmihi accepte d'un cœur joyeux la part qui
lui est onerte La croix et les souffrances.
Tel est, en substance, le récit de Mariano de
I. MARtANO DE FLORENCE, Vie manuscrite de sainte
CZottM, p. H, c. X!.
Florence, chroniqueur du xv" siècle tenu en sus-
picion par plusieurs critiques modernes, mais
dont l'éloge se retrouve, en revanche, à deux
siècles de distance, dans la bouche de deux éru-
dits de marque, Sbaraglia et Paul Sabatier (i).
Ce qui milite, dans le cas, en faveur de la véra-
cité du chroniqueur florentin, c'est que le Bré-
viaire séraphique a inséré dans l'office de la
bienheureuse Hélène, après mûr examen, deux
mots significatifs qui résumentet corroborentla
version de Mariano < Dans la dévotion à la
Passion de Notre-Seigneur, y est-il dit, la
vierge padovanaise eut pour guide spirituel et
pour mettre le thaumaturge portugais (2). II
n'est nullementnécessaire de supposer, entre le
maître et sa disciple, des colloques multipliés.
Une seule entrevue, quand le guide est éclairé
d'en haut, peut suffire. Elle suffira plus tard,
dans une circonstance analogue, à saint Pierre
d'Alcantara pour discerner le divin et apaiser
les troubles intérieurs de sainte Thérèse.
A son retour en Italie, le thaumaturge avait
admiré avec quel art saint François avait su
grouper autour du drapeau de la Croix, toutes
les énergies chrétiennes, le moine-apôtre qui
prêche, la Clarisse qui prie, le tertiaire qui lutte.
Les résultats déjà obtenus, la rapide extension
du Tiers-Ordre, la réforme des mœurs et l'ex-

Voir, sur MARIANO, notre Vie de sainte Claire


d'Assise, Préface, p. x:.
a. « Spiritus ducem et magistrum.. (Off. B. Helenee,
5 nov.)
tinction des luttes fratricides, le frappaient
d'admiration (i). Mais il ne se contenta pas
d'honorer de louanges stériles l'oeuvre jaillie du
il
cœur du Poverello. Ilfit mieux; la propagea,
dams les milieuxfavorables,avec une infatigable
activité. Et quel terrain plus propice que Pa-
doue ? Aussi Forg'anise-t-il solidement dans
cette ville. H y (agrège plusieurs personnages =de
distinction, et entre autres le comte Tiso de
Camposampiéro (2), et leur assigne pour centre
de réunion la chapelleSainte-Marie la Colombe.
Nous tenons ces derniers renseignements de
Salvagnini (3), qui se réfère lui-même au témoi-
gnage d'un auteur plus ancien, Arbusti..L'opus-
cule d'Arbusti a péri~vec le temps mais, en re-
vanche, un docte historien de Padoue, Scardeo-
nius, reproduit les mêmes faits dans les termes
les plus catégoriques. Il parle d'une <: confrérie
érigée à Padouepar les soins du thaumaturgeet
composée de séculiers vêtus d'M~e tunique grise
et ceints ~'M~e corde (~.). La tunique grise et la
corde sont précisément les insignes distinctifs
de l'institution franciscaine; et puisqu'il s'agit
de séculiers, nous sommes évidemment en pré-
sence d'une Fraternité du Tiers-Ordre de ia Pé-
nitence.
Nous nous sommes arrêtés à considérer en

i. Voir, sur l'influence des Clarisses et du Tiers-Ordre,


notre Vte de saint .Ffam~OM d'-AssMe-
a. SCARDEONIUS, Antiquitates Patav. (Bâle, i56o).
3.SALVAGNtNI,C.X!p.I76.
Antiquit. J~aton)nT., p. 09.
détail les œuvres de saint Antoine à Padoue,
précisément parce que la diffusion de l'esprit
franciscain s'y manifeste plus visiblement, et
aussi parce qu'elles nous apparaissent comme
le type de ce qu'il a fait ou tenté de faire ailleurs,
dans toute l'étendue du territoire soumis à sa
juridiction comme Provincial. On sent qu'il est
tout pénétré du programme de réforme lancé
par le Poverello, et l'on voit qu'il n'a rien tant
à cœur que de réinfuser dans les veines de la
société les deux vertus les plus indispensables
à son existence la justice et la charité.
Que le Patriarche d'Assise est un profond
législateur, et que saint Antoine a été bien ins-
piré de se pénétrer de la doctrine du maître 1 La
justice et l'amour, voilà toute la règle de saint
François; voilà tout l'Évangile. Ce sont les
deux principes féconds de toute vie sociale; c'est
la sève divine déposée dans les flancs de l'huma-
nité et toujours prête à s'épanouir en fruits
abondants. Justitia elevat gentes La justice
élève les nations, La charité leur donne le
reste: la paix, la concorde, les enthousiasmes
qui réjouissent et les dévouements qui sauvent.
L'histoire est là pour l'attester; et voilà pour-
quoi, fondé sur l'expérience, Léon XIII ne ces-
sait de répéter à la fin du siècle qui vient de
s'écouler Nous avons l'entière conviction
que c'est par la diffusion de l'esprit franciscain
que nous sauverons le monde.
Mais ne nous laissons point absorber par les
réflexions philosophiques, et reprenons le fil
de notre récit, avec toute l'attention qui s'atta-
che aux derniers moments; car déjà nous tou-
chons aux deux événements qui couronnent la
carrière apostolique du héros portugais sa pré-
sence au Chapitre général d'Assise, et son se-
cond séjour à Padoue.
CHAPITRE IX
CHAPITRE GÉNÉRAL D'ASSISE
(1230)

Assise, la petite ville aérienne du mont Sou-


base, était environnée de toutes les splendeurs
du ciel et de la terre, depuis qu'une < grande lu-
mière (i) x, dans le fils des Moriconi, s'était le-
vée sur elle. Les miracles y succédaient aux
miracles, et les solennités aux solennités. En
1228, moins de deux ans après la mort de saint
François, le chef de l'Eglise catholique, Gré-
goire IX, y faisait une entrée triomphale, es-
corté de cardinaux, d'évêques, d'abbés mitrés
et de pèlerins de tous pays. Il posait au front
du grand Réformateur monastique la couronne
des saints, changeait le nom du lieu de la sépul-
ture, la colline d'Enfer, en colline du Paradis,
commandait au Fr. Élie de construire une basi-
lique digne du trésor qu'elle allait contenir, et
bénissait lui-même la première pierre du futur
monument.
Au printemps de i23o, la basilique, qui est un
des bijoux artistiques de l'Italie, était prête.
Elle devait être inaugurée le 25 mai et recevoir
les restes du Patriarche séraphique, provisoi-
rement déposés dans l'église Saint-Georges.

I. LE DANTE, Paradis, chant xt.


Le Provincial de Bologne avait été privé, par
suite de ses travaux apostoliques, du bonheur
d'assister aux fêtes de la canonisation. Celles
de la translation furent pour lui [un dédomma-
gement. Il était si heureux de revoir ses frères,
de vénérer les reliques du saint fondateur, de
se jeter aux genoux de son successeur immédiat,
Jean Parenti, et de lui redire comment Rimini
et les villes du littoral de l'Adriatiqueétaient
revenues à la vraie foi. Les fêtes, du reste,
s'annonçaient comme devant être splendides.
Tous les Provinciaux y étaient nommément
convoqués. Grégoire IX avait même promis de
les présider en personne et avait invité les
fidèles à venir en foule gagner les indulgences
qu'il accordait à cette occasion. Retenu au der-
nier moment par la gravité des complications
politiques, il désigna, pour le remplacer, Jean
Parenti et quelques autres religieux du même
Ordre, revêtus du titre de commissaires apos-
toliques (i).
Il y eut néanmoins une ombre au tableau, et
même l'orgueil du Fr. Élie faillit tout compro-
mettre. Outré de dépit d'avoir été mis à l'écart
par Grégoire IX comme par Jean Parenti, il
ourdit, au sujet de la translation de lâchasse de
saint François, un plan qui ne lui fait pas hon-
neur. II alla trouver les magistrats d'Assise, et
leur persuada qu'il y avait un intérêt majeur à
devancer le jour fixé par l'encyclique pontifi-
i. BrefAftrt/!cc[Ms, du 16 mai 1280; Bulle SpefCfUMmMs,
du 16 juin et BERNARD DE BESSE, De jLaMd&MS JB. Fr.
cale. < Autrement, leur dit-il, et par suite de
l'affluence des étrangers, le lieu de la déposition
sera connu, et tôt -ou tard ce trésor sacré nous
sera enlevé par les cités voisines '(i) Si étrange
que fût la proposition, elle fut acceptée. En con-
séquence, le 22 mai, « trois jours avant la date
ofâcielle (2) », le Fr. Elle, aidé des archers de la
ville, enleva Fume de pierre et le corps du séra-
phique Patriarche, les transporta sur la colline
du Paradis, et les recouvrit d'une double dalle
et d'une solide maçonnerie le tout t clandesti-
nement (3) c'est-à-dire, sans la présence du
clergé ni des témoins officiels.
Une pareille translation, qu'elle fût l'effet
d'un amour-propre froissé ou de la crainte d'un
sacrilège, était pour Grégoire IX et ses repré-
sentants une grave injure, pour les religieux et
les pèlerins accourus une cruelle déception, aux
yeux de tous une sorte de profanation qu'il fal-
lait à tout prix réparer et faire oublier. Cepen-
dant, de l'avis unanime des commissaires pomti-
ficaux et pour ne pas frustrer l'attente des
pèlerins, les cérémonies annoncées eurent lieu.
Elles se firent même, malgré ce fâcheux contre-
temps, avec une grande magnificence, 'rehaus-
sée par toutes sortes de faveurs célestes (~)
Il faut avoir été témoin de manifestations
I- BERNARD DE BESSE, De ~tttfd..8. jFr.
2. TH. ECCLESTON, coM. XIII.
3. Occulte. » (Chronique des 'Mngt-~mcttre Généraux.)
Cf. &LASSBERGER (Analecta Franciscana, t. H, p. ~.g).
4. Multa miracula fecit Deus. (C~fCtt. JPa?'Mt.,
P. 29), écrit SALIMBÉNÉ. Cf. BONAV., C. XV.
pareilles, pour se faire une idée de l'ivresse et de
l'enthousiasme des foules en présence du surna-
turel. Saint Antoine se joignit au peuple pour
remercier le Seigneur de tant de grâces et invo-
quer avec plus d'amour son bienheureux Père
si magnifiquementgloriné.
Aux fêtes de la translation succéda immédia-
tement le Chapitre général des Mineurs, qui se
tint, comme les précédents, à la Portioncule.
Trois questions importantes y furent débat-
tues le scandale du Fr. Élie, la valeur, au point
de vue de la conscience,, du testament de saint
François et l'élection des Provinciaux (i).
Comme la première cause relevait du Saint-
Siège, on ne s'y arrêta pas longtemps. Mais il
n'en fut pas de même de la seconde, ainsi con-
çue « Le testament du fondateur oblige-t-il en
conscience, oui ou non, au même titre que la
Règle? Elle passionna les esprits et divisa
l'assemblée en deux camps. L'intervention de
saint Antoine n'apaisa point la tempête (2); et
Jean Parenti, fidèle à l'exemple donné par saint
François, annonça qu'il remettait la cause au
jugement du chef suprême de l'Eglise.
Quand oh en vint à l'électiondes Provinciaux,
i. Jean Parenti gouverna l'institut des Mineurs de
1227 à ja33. (Tu. ECCLESTON, coll. xm.) L'élection du
Fr. Élie au Chapitre de ia3o, sa dispute avec saint An-
toine devant Grégoire IX, et les autres scènes racontées
de bonne foi, à cette occasion, par Wadding et ceux qui
l'ont suivi, sont donc une invention et une interpolation
du Xtv' siècle.
a. <' Née sanctum Antonium audire voluerunt. (Ec-
CLEStON, loc. cit.)
saint Antoine demanda à être déchargé de toute
prélature, afin de pouvoir se livrer exclusive-
ment au ministère de la prédication, pour lequel
il se sentait plus d'aptitude que pour l'adminis-
tration. Jean Parenti, qui aimait en lui le mis-
sionnaire hors ligne et le fidèle imitateur du
séraphique Patriarche, ne se contenta pas
d'exaucer une requête si légitime et présentée
avec tant d'humilité; il permit au Bienheureux
de fixer lui-même le lieu de sa résidence. An-
toine choisit Padoue, t à cause de la foi de ses
habitants, de l'attachement qu'il leur portait et
de leur dévouement aux Frères-Mineurs (2)
Le. Général et le Chapitre lui donnèrent un
témoignage encore plus frappant de leur con-
fiance, à l'occasion de la décision qu'ils prirent
d'envoyer à la cour romaine une délégation choi-
sie parmi les membres les plus influents de
l'Ordre et chargée de porter au Pape. les vœux
de l'assemblée, de solliciter de sa bienveillance
une déclaration authentique du testament de
saint François, et aussi de réparer, au nom de
tous, l'outrage fait à la majesté du Siège apos-
tolique par les agissements plus qu'irréguliers
du Fr. Elie. Jean Parenti était à la tête de l'am-
bassade et des six Frères qui l'accompa-
gnaient (2), notre Bienheureux est nommé le
premier, en raison de l'autorité de son nom.

1. Sinceram civium expertus fidem, mira eorum


tractus dévotione. » (Legenda prima, c. x.)
2. Saint Antoine de Padoue, les Frères Gérard (grand
pénitencier du pape), Aymond (un des successeurs de
Grégoire IX- agréa les vœux et la démarche
réparatricede la députation.Il prononça ensuite
son verdict,, de vive voix: (en attendant qu'il le
promulguâtpar écrit dans le bref ~Hc e~K~a~î,
du 28 septembre i23o), sur la valeur législative
du testament de saint François, et déclara que
l'intention du fondateur n'avait pas été, et
n'avait pu être, de le rendre obligatoire. Jean
Parenti et ses compagnons acceptèrent avec
une-docilitéparfaite la décisitm pontificale; car
ils savaient que l'autorité des Papes est supé-
rietEre à celle de n'importe quel fondateur
d'Ordre religieux-,ce fondateur fût-il saint Fran-
çois d'Assise.
A la fin de l'audience, Grégoire IX eut un
mot gracieux pour chacun de ces ouvriers
apostoliques, et plus particulièrement pour
saint Antoine, < le Marteau des hérétiques
Il ne dissimula pas son bonheur de le revoir.
Il n'avait pas perdu le souvenir de l'ei~re-
vue de 1237, ni de l'orateur qu'il avait lui-
même surnommé l'Arche vivante de la Bible.
Mais cet orateur lui revenait auréolé de nou-
veaux mérites, environné d'un cortège d'héré-
tiques réconciliés, de pécheurs convertis, de
villes pacifiées, de mille voix enfin qui procla-
maient les bienfaits dont il avait été l'auteur,
ou les miracles dont il avait été l'instrument.
Aussi lui adressa-t-il une de ces félicitations
Parenti), Léon (pins tard archevêque de Milan), Gérard
de Modène et Pierre de Brescia (THOMAS. Ecct.BSTON,
eoIL. xm~
élogieuses que les saints acceptent comme une
invitation à toujours mieux faire.
Wadding et Glassberger (i) ajoutent même
qu'il voulut l'attacher à la cour pontificale et
l'entourer de distinctions honorifiques. Ces
offres furent-elles réellement faites?. Dans
tous les cas, pour décliner ces honneurs, le
Franciscain n'avait qu'à rappeler l'entrevue
de 1217~ la réponse de saint Dominique et celle
de saint François à ce sujet Seigneur, avait
dit le Réformateurombrien, mes enfants s'appel-
lent Frères-Mineurs, parce qu'ils occupent le
dernier rang dans l'Eglise. C'est là leur poste
d'honneur. Gardez-vous bien de les en arracher,
sous prétexte de les faire monterplus haut (2). »
Mais voici un autre détail dont le premier
biographe se porte garant et qui cadre parfai-
tement, du reste, avec le caractère du Saint.
A. l'occasion du Chapitre général d'Assise

i..Annotes Minorum, ann. i23o, n. il et -A~eti'ecta


Franciscana, t. II, p. 52. WADDING commet ici plu-
sieurs erreurs de dates et de noms qu'il nous parait à
propos de relever, parce qu'elles touchent à la mémoire
de notre Bienheureux.Anachronisme au sujet de l'élec-
tion du Frère Elie il faut la reporter à l'année ia33 au
lieu de ia3o. Anachronisme au sujet de la fameuse dis-
pute entre le même Frère Élie et saint Antoine. Elle eut
lieu effectivement à Rome, en présence de Grégoire IX,
mais en Mgg, et non en i23o; et l'antagoniste d'Ëtie ne
fut pas le thaumaturge portugais, mort en ts3l, mais
l'anglais Aymond de Faversham. Voila ce qu'affirment
les chroniqueurs contemporains, d'une autorité irrécu-
sable ECCLESTON, coll. XIII; SALIMBÉNÉ, p. BERNARD
DE BESSE et JOURDAIN DE GtANO. Aucun d'eux ne nomme
le Frère Élie parmi les délégués de i23o.
a. TH. DE CÉLANO, Vita secunda, p. III, c. LXXXVL
soit à Assise même, soit à Rome le Bienheu-
reux eut une entrevue avec le cardinal Raynald
Conti, évêque d'Ostie et cardinal protecteur
de l'Ordre, personnage éminent qui devait
monter plus tard sur la chaire de saint Pierre
sous le nom d'Alexandre IV. Celui-ci le pressa,
le supplia de ne pas laisser perdre les miettes
de la parole divine et de mettre par écrit le fruit
de ses études et de son expérience(i). <: Eh quoi1
On se dispute les lambeaux de la tunique des
saints Les fragments de leurs pensées ne
forment-ils pas une relique plus précieuse et
d'un ordre plus élevé, puisqu'ils sont un éclair
de leur génie, un reflet de leur grande âme ? :D
Ainsi pensait le cardinal Raynald, et avec lui
tous les esprits sérieux et réfléchis qui, après
avoir été sous le charme de la parole de l'apôtre,
voulaient ressaisir dans ses écrits un écho des
pensées qui les avaient remués et revivre les
saintes émotions du passé. L'humble Francis-
cain, déférant au conseil du prince de l'Église,
promit de travailler activement, et sans retard,
à la rédaction de ses notes.
De Rome se rendit-il à l'Alverne, ainsi que
le prétendWadding?Eut-il vraiment le bonheur
de visiter cette montagne comparable aux plus
fameux sommets de la Palestine, de baiser
l'empreinte des pas du Réformateur ombrien,
de coller ses lèvres sur le rocher où le séraphin
aux six ailes de feu lui était apparu? Vu le

i..Le~ttc!ct~)-tMMi,p.I,c.x.
silence des anciennes chroniques et l'origine
tardive des traditions locales (i), la question
restera probablement longtemps encore sans
réponse. Allons à ce qui est certain, et mettons
le cap vers la résidence que le thaumaturge
s'est choisie.

i. On montre à l'Alverne une cellule taillée dans le roc


qui aurait été occupée, assure-t-on, par saint Antoine.
Mais au delà du xv" siècle on perd la trace de cette
tradition.
CHAPITRE X
SECOND SÉJOUR A PADOUE
(l23o-123l)

De Rome aux rives de la Brenta, à trayers la


chaîne des Apennins, la route est longue et
souvent périlleuse. Nous supposons que saint
Antoine la franchit d'un pas allègre, le cœur en
fête. A Padoue, n'avait-il pas l'assurance de
trouver une bienveillante hospitalité et l'espé-
rance de dresser de nouveaux trophées au Roi
immortel des siècles ?
Non moins vive fut l'allégresse des habitants
de la vieille cité, lorsqu'ils revirent dans leurs
murs, toujours rayonnant de jeunesse, mais
grandi dans l'opinion, le missionnaire qu'ils
avaient acclamé quelques mois auparavant.
Elle fut à son comble, lorsqu'ils connurent sa
décision de se fixer parmi eux. L'annonce d'une
victoire sur les Gibelins ne leur eût pas causé
plus de liesse et de jubilation. Et cependant ils
ne soupçonnaient pas, ils ne pouvaient pas
soupçonner, l'excellence des bienfaits qu'appor-
tait, dans les plis de son manteau, le moine qui
venait avec tant de confiance leur demander
l'hospitalité.
Les premières semaines furent calmes. Ins-
tallé chez ses Frères, au couvent de Sainte-
Marie, et décidé, par déférence pour le vœu du
cardinal Raynald, à déposer le glaive de la
parole pour prendre celui de la plume, le Bien-
heureux s'empressa de recueillir ses notes et de
résumer la substance de ses allocutions. Déjà,
dans son premier séjour à Padoue, il avait écrit
les DoMMtMca~s; cette fois, il donna à son
recueil le titre de Panégyriques des Saints.
C'est la biographie de Jean Rigaud qui nous
fournit ce double renseignement(i).
Les jPa~gT/rMj'Mes étaient le premier jet d'une
interprétationscripturaire, qui, pour être mise
au point, eût exigé de nombreusesretouches,
des loisirs, un long repos. Mais le repos n'entre
guère dans la destinée du héros portugais.
L'écrivain est éclipsé chez lui par l'apôtre, le
penseur par l'homme d'action, et les événe-
ments le relancent bon gré mal gré dans la
mêlée de la bataille humaine.
Son travail littéraire fut, en effet, brusque-
ment interrompu par un de ces attentats, alors
trop fréquents, qui jetaient la perturbation
dans toute une contrée, et qui ne pouvaient le
laisser insensible. Un des chefs du parti guelfe,
à Vérone, le comte de Saint-Boniface, venait
d'être traîtreusement arrêté, chargé de fers et
enfermé dans un cachot. Le coupable était
Ezzélino III, seigneur de Trévise, le propre
beau-frère de la victime.
C'est une des plus sinistres figures du moyen

1. Dominicales. Sanctorales, « (J. RtGACD, _c. vu!.)


âge que cet Ezzélino, issu, croit-on, d'une
dynastie venue d'Allemagne à la suite de l'em-
pereur Conrad II. Condottière ambitieux et
sans scrupule, chef des Gibelins de la Marche de
Trévise, il rêvait de se tailler un empire dans
les vastes États de la Lombardie. Voici, d'après
la chronique de Rolandino, les débuts de ce
despote dans la voie des perfidies et des violen-
ces où il ne s'arrêtera plus.
11 convoitait la possession de Vérone, jusque-
là partagée entre les Guelfes et les Gibelins.
En 1227, il s'en empare par surprise, lui impose
un podestat de son choix, Salinguerra de Fer-
rare, chasse de cette ville les seigneurs du parti
opposé, entre autres le marquis d'Este et le
comte Richard de Saint-Boniface, sans égard
pour les liens de parenté qui l'unissent à ce
dernier. Puis il fond sur le territoire de Padoue,
emporte d'assaut le château-fort de Fonté,
emmène avec lui, à titre d'otage, un adolescent
inoffensif, le jeune Guillaume, petit-fils de Tiso
de Camposampiéro, et ne restitue le castel et
l'adolescent que pour courir à d'autres spolia-
tions. Enfin, en 1280, il surprend le comte de
Saint-Boniface,et commetcontre lui et quelques
autres seigneurs guelfes, l'attentat dont nous
avons parlé plus haut. Ce dernier méfait soulève
l'indignation générale. Les Padovanais pren-
nent les armes et cherchent, mais malheureu-
sement en vain, à délivrer les prisonniers (i).'

I. ROLANDINO (apud MURATOR!, t. VIII, P. 199.)


Le moment est critique. Le thaumaturge
n'hésite pas; il met en pratique ce qu'il a lui-
même écrit dans ses Commentaires Les
saints, comme les étoiles, paraissent à l'heure
marquée par la Providence. Oublieux d'eux-
mêmes, serviteurs toujours fidèles, ils atten-
dent les ordres du Très-Haut. Dès qu'ils ont
entendu sa voix, ils descendent des sommets
de la contemplation et quittent tout, pour voler
au secours de leurs frères menacés.

Ses frères n'étaient pas seulement menacés,


ils étaient opprimés. Soit élan spontané de son
cœur, soit par suite des instances pressantes
que font près de lui les amis du comte de Saint-
Boniface (Rolandino ne décide pas), il se cons-
titue l'avocat des captifs, se rend seul, sans
armes, à Vérone, essaie de gagner à sa cause
les podestats les plus influents, sans oublier les
conseillers intimes d'Ezzélino, et enfin pénètre
hardiment dans le palais du condottière. Le
potentat ivre d'orgueil et le disciple du Pove-
rello, l'oppresseurimpudent et le défenseur de
la justice outragée, sont en présence, incarnant
dans leurs personnes la force brutale et le droit.
Hélas C'est la force brutale qui l'emporte.
« Qu'attendred'un arbre qui n'a pas de sève ou
d'un cœur fermé à la pitié ? remarque le chro-
niqueur padovanais. Saint Antoine a beau
employer tous les moyens et recourir aux sup-
plications les plus pressantes; tout est mutile
le tyran se montre inflexible et refuse opiniâtré-
ment de rendre les prisonniers (i).
Ezzélino finira par les relâcher, grâce à la
médiation du nouveau podestat de Padoue,
Wilfrid de Lueino (a). Mais, à ce moment-là
(septembre i23ï), le thaumaturge aura disparu'
depuis trois mois de la scène de ce monde.
Voilà, d'après la version de Rolandino, la
seule qui soit authentique et pleinement digne
de foi, voilà quelle fut l'issue de la tentative
pacificatrice du thaumaturge. Même non cou-
ronnée de succès, même dépouillée des amplifi-
cations de la légende, la scène ne laisse pas
d'être grandiose. Le condottière s'y annonce
déjà ce qu'il sera plus tard, l'âme damnée de
Frédéric II, le Réau de laVénétie, le Néron du
moyen âge. En face d'un pareil soudard, la
démarche de saint Antoine est assez caracté-
ristique, et le défi qu'il porte à la tyrannie
féodale est assez magnanime, pour qu'il soit
permis de saluer, dans cet acte de courageuse
intervention, l'image et le prélude a du rôle
politique que devait jouer la milice des Frères-
Mineurs, contemporaine des républiques ita-
liennes, alliée naturelle des faibles, ennemie

In
loc. cit.,
mullo Banque penitus exauditus. (RoLANmNO,
2o3). Le Liber miraculorum 36) dra-
p. (n. a
matisé à plaisir la scène de Vérone. Il représente Ezzé-
lino terrine par les menaces du thaumaturge, se pros-
ternant à ses genoux, lui promettant de s'amender, puis
lui envoyant des présents, avec ordre de le tuer, s'il les
acceptait. Tout ce récit est de pure invention.
a. V. Mo&ATOM~ toc. dt-, p. ao3 et 674.
des oppresseurs, dont elle n'avait ni peur ni
besoin (i)
Rentré à Padoue, l'âme en deuil, parce qu'il
n'avait pu, selon son désir, secourir ses frères
opprimés la population ne lui en manifesta
pas moins une reconnaissance et des sympa-
thies qui allaient bientôt s'affirmer avec plus
d'éclat et le dédommager de l'échec de Vérone.
Nous voulons parler du Carême de i23i, qui
est le point culminant de sa carrière apostoli-
que. Cédant aux instances de l'évêque Jacques-
Conrad (2), il accepta, à la grande joie des
habitants, d'évangéliser une seconde fois la
grande cité. Abandonner ses travaux scriptu-
raires et les fleurs de la littérature, pour courir
après les âmes, c'était, pour lui, aller d'un bien
à un autre bien plus excellent; car il voyait que
la moisson était mûre, et il savait que ses jours
étaient comptés.
Avant d'entrer dans les détails de cette sta-
tion quadragésimale, et pour saisir plus facile-
ment ce qu'il y eut de vraiment prodigieux dans
l'activité de son zèle et la fécondité de son
labeur, il ne sera pas inutile de jeter un regard
sur la situation politique et l'état moral de
Padoue dans la première moitié du xui" siècle.
Placée à l'entrée de la Marche de Trévise,
assise comme une reine au centre d'une plaine
d'une extrême fertilité, Padoue commençait
i. franciscains, Préface, p. 3.
OZANAM, les .Poètes
2. « Jacques-Conrad gouverna l'Église de Padoue de
1228 à 1239. (P. JosA, Legenda I, p. r;.)
alors à occuper, dans la haute Italie, une situa-
tion prépondérante que lui assuraient l'activité
industrielle de ses habitants, la richesse de ses
corps de métiers, et plus encore l'éclat de son
Université, déjà florissante et renommée, quoi-
que sa fondation ne datât que de 1222. Au
dedans, elle défendait avec une fierté jalouse
ses libertés communales et son autonomie; au
dehors, elle étendait peu à peu la sphère de son
action politique.
En ce temps de guerres continuelles entre
Guelfes et Gibelins dans la haute Italie, tous
éprouvaient le besoin de se rapprocher pour
être plus forts contre des attaques éventuelles.
Les villes les moins importantes se groupaient
autour des puissantes cités. Les seigneurs eux-
mêmes bâtissaient des palais dans ces commu-
nes redoutables, dans le but de s'en faire déclarer
citoyens. C'est ainsi que les Camposampiéro,
les Conti, les Fontana, les Forzaté et d'autres
nobles. personnages avaient été incorporés au
patriciat padouan. Le patriarche d'Aquilée,
Bertoldo, et les évêques de Feltre et de Bellune
avaient suivi leur exemple et, moyennant cer-
taines conditions, obtenu le droit de cité dans
Padoue. Le gouvernement était d'ailleurs forte-
ment constitué il avait à sa tête le podestat (i),
assisté de seize anciens du Grand-Conseil et du
Petit-Conseil. Le peuple participait au gouver-
nement, mais sans pouvoir jamais imposer

i. Gouverneur militaire.
des volontés aveugles et des caprices irréflé-
chis(i).* :D
Au point de vue national, Padoue avait réso-
lument arboré les couleurs des Guelfes, pendant
que Vérone, sa voisine et sa rivale, subjuguée
par Ezzélino, déployait le drapeau des Gibelins.
Outre le fléau des guerres civiles, Padoue
était atteinte de plaies intérieures qui ne cau-
saient pas moins de ravages non l'hérésie ni
l'esprit de secte, comme à Toulouse, à Bourges,
à Rimini; mais le sensualisme avec tous les
désordres qu'entraîne l'oubli de Dieu le luxe,
la débauche, l'usure, les rivalités de familles,
les proscriptions violentes. Mais, malgré tout,
la société était croyante, et sous la cendre des
passions couvait une étincelle de foi qu'allait
rallumer la parole de l'apôtre.
De ces plaies si diverses, l'usure était à la
fois la plus féconde en perturbations économi-
ques et la plus incurable. Tout le monde s'accor-
dait à reconnaître la gravité du mal; personne
n'osait y porter le fer, par crainte de la caste
privilégiée la corporation financière qui
en était le foyer. Les syndicats cosmopolites et
les banques d'État n'étaient pas encore créés
les banquiers du moyen âge n'avaient donc
qu'une influence restreinte comme leur sphère
d'action, mais une influence malgré tout consi-
dérable. A Padoue, comme à Venise, comme
dans toutes les républiques d'Italie,ils formaient

i. Abbé LEPtTRE, S. Antoine, p. i35.


une corporation à part, exécrée des plébéiens,
qu'elle pressurait, courtisée par les patriciens
et les bourgeois, sur lesquels elle exerçait le
prestige fascinateur de la richesse, tolérée par
le Sénat, en raison des fortes patentes ou con-
tributions qu'il prélevait sur ses membres. Ils
avaient le monopole de l'argent, et la plupart le
faisaient valoir à des taux fantastiques, sans
qu'on pût avoir de recours contre eux ils enve-
loppaient d'ombre leurs opérations véreuses,et
savaient échapper à la sévérité des lois. a Au
xiB" siècle, écrit à ce sujet un de nos plus céLe-
bres économistes, le dix pour cent était un
minimum pour les affaires commerciales et les
Lombards, les Cahorsins, les Juifs, qui for-
maient des groupes étrottement coalisés, ne
craignaient pas de le porter jusqu'à 5o ou 6o< °/.
par an (i). Coalition tout empreinte de l'esprit
judaïque, sans scrupule d'aucune sorte, souple
avec les grands, tyrannique avec les petits,
dévorant l'épargne du travailleur et menaçant
les classes laborieuses jusque dans leur dignité
d'homme et de chrétien 1 La combattre, l'atta-

i. CnACMo J-ANNET, le Capital au XEX* siècle, p. 399.


On connaît la réponse de Louis IX, au sujet de
Fusure. -t C'est un ma), lui ctisatt-on, mats am mal né-
cessaire 1 C'est un mal,, répliqua le saînt r&i, cela
suffit, et-mon devojr est de ta réprimer. Que les Juifs
gagnent honnêtement leur vie du fruit de leur travail.
Ils ont l'agriculture, le négoce, les arts qu'ils s'y appli-
qaemt, et qu'ils cessent de ruiner les familles par teurs
exactions. Et il édicta une loi sévère contre les prêts
usuraires. V. LONGUEVA.L,Btstotfe de !'JÉgHse gallicane,
t. XV, p. 192.
quer de front, n'était pas sans péril. Saint An-
toine eut ce courage, et ce n'est pas le moindre
de ses mérites.
A quelle occasion? Comment entra-t-il en
contact avec les victimes de l'up j.re ? Com-
mença-t-il par pénétrer dans les cachots humides
ou étaient entassés les détenus pour dettes? Les
lamentations des épouses et les cris des enfants
mourant d'inanition. parvinrent-ils d'abord à
ses oreilles? Peu nous importe! Il nous suffit
de savoir qu'il considéra comme une obligation
de sa charge évangélique de prendre publi-
quement la défense de la cause populaire, qui
était ici la cause de l'Église, de la conscience et
de l'humanité. Rarement cette cause inspira de
plus nobles accents.
Voici un fragment de ces discours. L'orateur
y attaque une des formes de la cupidité, non le
capitalisme en lui-même ni les personnalités
financièresplus en vue, mais uniquement le vice
de l'usure, de l'usure dévorante. Il parle en
termes assez clairs pour laisser deviner les hi-
deux mystères que recèle le maniement de l'or,
soit chez les prêteurs, soit chez les emprunteurs
en haut les taux exorbitants, les actes de ban-
ditisme, le scandale des fortunes rapides; en
bas, les drames sanglants de la misère et du
sombre désespoir. Ce n'est qu'une ébauche,
mais une ébauche faite par un maître, hardie,
superbe de véhémence et d'indignation, tou-
jours vraie, toujours actuelle.
Elle pullule de nos jours, s'écrie-t-il, cette
engeance des usuriers engeance maudite Le
lion redresse fièrement sa crinière, signe de sa
force; il a'l'haleinefétide. Eux de même ils sont
d'un orgueil indomptable, ne craignant ni Dieu
ni les hommes; et ils ont l'haleine fétide, exha-
lant l'odeur du dol et de l'injustice. Ils dévorent
le bien des pauvres, des orphelins, des veuves,
dépouillent l'Église et les monastères des dons
spontanément offerts par les fidèles, et lais-
sent périr leurs victimes dans les affres d'un
absolu dénûment. < Et un peu plus loin < Il y
a trois sortes d'usuriers. Les uns, encore ti-
mides, se dissimulent dans l'ombre, comme les
serpents sous l'herbe les autres agissent en
plein soleil, sans vergogne, mais sur un champ
restreint: d'autres enfin n'ont ni pudeur ni
remords. Ces derniers sont les plus cruels; et
pourtant, s'ils ne reviennent à résipiscence, s'ils
ne restituent ce qu'ils ont acquis par des moyens
illicites, ils seront frappés par la mort éternelle.
Le remède s'offre à eux sous le couvert de la
parole de Dieu et du ministère sacerdotal mais
les épines des richesses et le maniement usu-
raire de l'or ont étouffé dans leur cœur la se-
mence des bons sentiments et jusqu'à l'idée du
retour (ï).
i. Gens maledicta. (Édit. LOCATELLI, t. I, p. 27-28.)
Le cinquième concile de Latran (i5i5) définit ainsi
l'usure. « Il y a usure, quand on s'applique à percevoir
un' gain, un bénéfice, sans risque, sans travail, sans
dépense, d'une matière inféco-nde par elle-même.
L'Eglise a interdit le prêt & intérêt pour l'argent sans
emp!ot, tant qu'aucun marché n'a été ouvert au capital.
On dirait un tableau à l'eau-forte. Les traits
ont un singulier relief; les expressions peuvent
même nous paraître un peu dures; elles ne sont
que justes, et nous aurions tort de reprocher au
thaumaturge les vivacités de son langage, alors
qu'il plaides! vaillammentlacause delà faiblesse
trompée et opprimée, contre la scélératesse
triomphante et impunie. Car, il ne faut pas
nous faire illusion, les agioteurs qu'il stigma-
tise n'étaient, en réalité, que < des malfaiteurs
publics, des malfaiteurs impudents dignes de
la réprobation universelle. Sans pouvoir s'abri-
ter derrière quelque texte de la loi, comme leurs
frères du xxe siècle, ils poursuivaient le même
but s'enrichir sans risque, sans travail, sans
dépense, du fruit des sueurs du prolétaire, et se
hisser mutuellement à la fortune par l'écrase-
ment des petits! Et c'est là ce qui révoltait
l'âme droite et loyale du serviteur de Dieu. A
leurs vains prétextes, il opposait les lois cano-
niques, les décrets des conciles et, par-dessus
tout, les principes inprescriptibles de la cons-
cience, formulés dans deux maximes dont
l'Église a fait sa devise constante légitimité du
louage de l'argent pour les opérations utiles,

Sage prohibition, tout au profit des classes laborieuses


et qui fut, selon l'expression de CLAUDIO JANNET (loc.
cit.), « une mesure de salut public Saint Antoine
n'attaque que le prêt usuraire, et nullement les transac-
tions licites, constitutions de rentes, contrats de change
et d'assurances, qui permettaient alors, sans aucune
protestation de la part de l'Eglise, de faire valoir les
capitaux.
qu'il s'agisse de guerre, de commerce ou d'in-
dustrie et interdiction de spéculation, parce
que la spéculation tend à la ruine et à l'asser-
vissement des classes laborieuses (i).
Carême mémorable Jamais le dialecticien ne
s'était montré plus pressant; jamais la puis-
sance de l'orateur ne s'était mieux afnrmée. Sa
voix était majestueuse, lorsqu'il revendiquait
les droits de Dieu; terrifiante, lorsqu'il dépei-
gnait le supplice du feu réservé à l'impénitence
finale; attendrissante, lorsqu'ilplaidait la cause
de la veuve, de l'orphelin ou des victimes des
luttes politiques, de ces chefs de famille bannis
par la faction adverse et errant sur la terre
étrangère sans pouvoir trouver le premier élé-
ment du bonheur la paix1
Saint François avait parlé la langue des
pâtres de l'Ombrie. D'après la légende .Be?M-
gnitas, saint Antoine suivit son exemple.
Même à Padoue, où le latin était en vogue
parmi la jeunesse de la célèbre Université
comme dans la chaire chrétienne, il se servit de
l'idiome populaire; mais avec quelle magnifi-
cence dans la diction, avec quelle richesse de
sentiments Aux pécheurs terrassés par sa pa-~
role et sanglotant tout haut, il adressait un de
ces mots qui relèvent les courages. Pauvre

i. Distinctionessentielle et toujours faite par l'Elise.


Elle éctaire toute la question. Après saint Antoine de
Padoue, un autre Franciscain, un autre bienfaiteur du
peuple, Bernardin de Feltre, soutiendra la même thèse
et avec la même intrépidité en face des Juifs et
pécheur, pourquoi désespérer de ton salut, alors
qu'au Calvaire tout parle de miséricorde et
d'amour! :D
Voix sympathique qu'on ne se lassait pas
d'entendre, parole d'une éloquence irrésistible
tous les dons de la nature et de la grâce réunis 1
Encore faut-il y adjoindre l'extraordinaire, le
surhumain, disons mieux le surnaturel, ce sur-
naturel qui partout appuie la vérité de son
enseignement et partout centuple la fécondité
de son ministère. Les pécheurs endurcis étaient
troublés dans leur sommeil et entendaient des
voix qui leur disaient Va trouver le Frère
Antoine; va, et suis ponctuellement ses con-
seils (i)
Une autre fois, c'était en plein jour et dans
des circonstances particulièrementattachantes
que de la main bénissante du thaumaturge
jaillissait un de ses plus beaux prodiges. Pa-
duana, un enfant de quatre ans, était une de ces
innocentes victimes de la souffrance qui jettent
une note de tristesse dans les familles. Elle
était privée de l'usage de ses pieds, rampait à
la manière des serpents et de plus était sujette
aux convulsions épileptiques. Grosse épreuve,
non seulement pour elle, mais aussi pour son
père, citoyen de Padoue, nommé Pierre! Un

des judaïsants du xv. siècle, et lui donnera un corps


dans l'établissement des Monts~de-piëtë. Voir la Vie
du B. Bernardin de Feltre, par M. FLORNOY (collection
Les Saints).
i. Legenda prima, p. I, c. xu.
jour que celui-ci cheminait à travers les rues de
la ville, il rencontra le bienheureux Antoine,
et aussitôt, lui montrant la petite malade qu'il
portait dans ses bras, il le conjura de faire le
signe de la croix sur elle. Profondémenttouché
de la vivacité de sa foi, le serviteur de Dieu con-
descendit à sa prière. Rentrée à la maison
paternelle, Paduana s'essaya d'abord à mar-
cher à l'aide d'un bâton, puis bientôt sans
appui, et fut en même temps, et à jamais,
délivrée des atteintes du mal caduc: guérison
parfaite due aux mérites de l'apôtre francis-
cain ajoute en terminant le fidèle narrateur
qui nous transmet cet épisode (i).
Comment résister à de pareils arguments,
lorsqu'ils commandent à la conscience ? Aussi
le succès de l'apôtre, à Padoue, fut-il immense,
supérieur à toute description. Cette population
méridionale, si mobile, mais si intelligente, ne
i. Legenda prima, Miracula. Nous passons sous
silence les faits douteux ou controuvés (Liber miraculo-
rum, n. s5-33) les taches de boue disparaissant sou-
dainement des plis de la robe d'une noble dame tombée
dans un fossé marécageux la femme qui entend, à
deux milles de distance, la prédication de saint Antoine;
la confession écrite par un pénitent et effacée par la
main des anges, à mesure qu'il fait l'aveu de ses fautes.
Ces deux derniers traits sont des lieux communs em-
pruntés par le Liber à d'autres légendes. Nous retran-
chons également le prodige du « pied coupé .< qu'un pé-
nitent du Bienheureux se serait amputé d'un coup de
hache et que le missionnaire aurait guéri d'un signe de
croix. Ce prodige, rapporté par JEAN RIGAUD (c. vii), est
attribué par un Dominicain du xm" siècle, THOMAS DE
LÉONTiNO, au martyr Pierre de Vérone (+ is5a). V. les
Acta Sanctorum, 29 avril.
s'appartenait plus. Il faut lire les chroniques
contemporaines pour pouvoir se rendre compte
de l'intensité du mouvement religieux qui l'en-
traînait il faut lire surtout la page où l'auteur
de la Légende primitive jette u'n coup d'œil
d'ensemble sur les fruits de la prédication du
thaumaturge.
De tous les quartiers de la ville, et même des
villages environnants, on accourait aux sermons
du Franciscain. Les prétoiresétaient fermés, le
commerce suspendu, les travaux arrêtés. Toute
la vie, tout le mouvement se concentraient sur
un seul point les conférences du missionnaire
« à
l'éloquence douce comme le miel ». Bientôt
les églises ne suffisent plus il faut prêcher en
plein air.
t La plante desséchée par les ardeurs du
soleil attend, pour se relever sur sa tige, la ro-
sée du matin. P'tus vive est l'impatience avec
laquelle les Padovanais désirent le retour de
l'aurore et l'heure de la conférence annoncée.
Dès minuit, on se met en marche. Les cheva-
liers et les grandes dames sont précédés de
torches, et se pressent autour de la chaire impro-
visée des flots de peuple couvrent la plaine;
l'évêque, à la tête de son clergé, préside tous les
exercices. On compte jusqu'à trente mille per-
sonnes dans l'auditoire. Saint Antoine paraît,
le regard modeste, le cœur débordant d'amour.
Avant qu'il ait ouvert la bouche, tous les re-
gards sont fixés sur lui. Tant qu'il parle, l'audi-
toire demeure suspendu à ses lèvres, au milieu
d'un sii'enee et d'un necmBiHeïmeni qm'cm oroosait
unpossiMesi. Le sevmmn &d, l'enthousiasme
relata.; c'est: ~Nsi'~fessequi me. sait pas se cem-
tenu* ce sont des. sanglots' eu. dss cris ds j<me~,
selon les sentiments qtuiajaixssiit.itesessHrs. La
foule se précipite surt"oraÉe!.a'. Om vent te csn-
templer de près, baiser la frange de sa'ttmiqms
oo. son cruxi&x;OTnra: j'usqm!'&~aiJMer sa ~obe,
peur em empo~teFim morceau à iiÉre de; relique
ei ds.sïmyenia'~ B' fa;at, amtom: de l'ai, ŒBie; garde
d'e; ~euoss gems lob'usies, pour protéger. sa per-
sonnie:~ FeB~pédiei* d'être écrase: par la nmiti-
ttide.
t Autre; e~t: phis admiisaible les haines
s~apmsent, ~lesfamiËessaEeEoamiieBApubM!-
quement les pri sonniers pour dettes reeou.vl'isaÉ
la liberté les tiUsnEiers-etles ~ole!irs restiiment
es ~raBds peciteuBS se.&'appeB.ilapGitri.jie'; les
eo'urtisame.s. eNes-mËïoss s<N*tentde M fasage du
wice<. Les. triLïmaiaac de ïai pBnJtsmce sont s.ssœ-
gés, les. betmes:. nMEurs xeSiejBrisseni, ert, dans
~'e~pa<:e' d'un; nmis,- la. vieiHs cité est totaleiBBeot
tramsiarm~e (r).
AJmsi t'em~onsiasïNe aË.aii gEa'nidissaBÉ, à
mesure que les, forces de l'omteur diminuaient.
.Ji)a.ss <MÉte il rëcoRa les épis~'m
secoBidie .sia~~D,
M aidaient ëehaippédatssla première, et lia des
gerbes mombmeuses. secEées, qu'il présemta aau-
Siait iemmojftaldes sieclies.

i, Legenda pftmet, c. xn. Cf. la jEegettdoi secttno!tt


c. ntt, n. et aiS'; et RtOA~B, <
'Ma.
Dans le ta~eaa, ~'un si ftche 'oo~Ioris~ q~'a
tracé l'auteur de ia Légende primitive, nos ifec-
t'eurs n'ont pas été sass remarquer une des
phases q<m l<e termam.ant~ < Les prisonniers dé-
tenus pour dettes Mcatm'eïft 'ta 'Mbertë. x
Ainsi déniée de taute ex~ication, <jëëtë
phrase fessesaMe un. pem à a'B'e énigmae. H'eaTeu-
seme'Rt, un dc'cmnent.o<mser'?'ë au M'usée numi-
ctp'at 'de ~a'd(me ïKyas peEmet 'd~'en dët'er'muner
!l-e sen-set la poirtêe. B s'agit 'd'~sne 1(M rejtati~e

aux faillites et ppsHn~goaë'e 'sous le gouv-erme-


ment d'Etie<nae B~doër-, alors p&dres'tat. Elle est
'datée d'u r~ înars faiSï. ~.a. ~égisiation 'ét.mt
sëvèfe alors pauT bs -dêtbiteurs inso~vaMes Sis
-ëtaieBt p'assiMes de bammsseme'nt ou de pa~Nsn
perpétuelle. Bon tMMn'bre ~e .ces mal~&ure'ax.
pértssaient de iai~a <~ ~de -~ssre dans les .Ga-
'cb.'ots au prétoâre. 1~ ztëlé -missio.nnaiire 'euÊ
pitM d~eux. Il plaida leur .cause, nQn..en'b"i:bum
qui excite 'les 'com~M~ses massâmes mi en pMk)-
8opbe ~UNsa'EHtaiï'e, siats -eB. 'a'p'ôtpe s~~<ie~tx,
mêHïeda'ns les Ea'esiM'BS'de 'dëmence, des ~r~ts
de la justice et.de 'Ï'<ëq.u:it<&. S<mr ses im'staBees, 'H
~t d'ëcpët'ë que < TtmBNiBpepsoBmepouE&miv~epour
dettes ne peuaTait ~tre yetse en pi'ison, -si ëïte
reTaettai~ la te~aBM 'de ses Men's aux fmams de
ses ceêa'nci'ers (~) T. &râce à ceitte tloi tttte~aiï'e,,
des centaines de miséreux durent libérés su~-lie-

ï. /V<aiT JEtamieeteEa jSoretttïmo, par fie professeur <~e<RjM.,


Paetoue, 48~5. ~Cf. ~J?Mt(mT6 des JtaHaKs, par CÉSAR
CANTU, t. VU, p. ut.; et S. Antonto, par SALVAGNtM,
C. '!C[, p. T73.
champ, et des milliers d'autres échappèrent dans
la suite à la griffe des financiers.
Ainsi une victoire en amène une autre. La
transfiguration morale emporte la transforma-
tion sociale et dès que Dieu est rentré en
maître dans les cœurs, la paix, l'union, la joie,
s'épanouissent à leur aise et viennent s'asseoir
aux foyers les plus désolés. C'est le résultat que
constate l'histoire, à propos du Carême de i23i,
et l'un des plus beaux triomphes de l'éloquence
au service de la faiblesse opprimée.
Voici une autre preuve, non moins authen-
tique, non moins concluante, de la prodigieuse
et salutaire influence qu'exerçait autour de lui,
jusque dans les bas-fonds de la société, l'apôtre
de Padoue. C'est la conversion d'un brigand
contée par lui-même, une soixantaine d'années
après l'événement (1292), recueillie par son
compagnon de route, qui était un Frère-Mi-
neur, et transmise à la postérité par la plume
de l'hagiographe limousin.Le vieillard pénitent
parle avec un accent de franchise et de sincérité
qui ne trompe pas; écoutons-le.
<
J'étais, déclare-t-il, brigand de profession,
affilié à une bande de voleurs. Nous étions
douze, habitant les bois, détroussant les voya-
geurs et commettant toute sorte de dépréda-
tions. La réputation de saint Antoine et le
bruit de ses opérations miraculeuses parvinrent
jusqu'au fond de nos forêts. On le comparait au
prophète Elle; on disait que sa parole était
ardente et enflammée, semblable à l'étincelle
qui tombe sur des gerbes de blé et les dévore.
Toutes ces assertions nous paraissant autant
d'hyperboles, l'idée nous vint d'aller l'entendre,
perdus dans la foule et déguisés sous des vête-
ments d'emprunt. Or, pendant qu'il parlait, une
autre voix, la voix du remords, retentissait au
fond de nos consciences. Une lumière intérieure
éclaira nos âmes et nous fit rougir de nous-
mêmes. Après le sermon du Bienheureux, nous
allâmes tous les douze, contrits et repentants,
nous prosterner à ses pieds. Et lui fit des-
cendre sur nos têtes les divins pardons, nous
promettant les joies de la vie éternelle, si nous
persévérions dans le bien, et d'affreux supplices,
si nous retournions à nos vomissements. La
prédiction s'est accomplie. Quelques-uns d'entre
nous sont retombés dans leurs criminelles habi-
tudes saisis par la justice, ils ont été pendus.
Les autres ont persévéré dans leurs généreuses
résolutions, et ils se sont endormis dans la paix
du Seigneur. Pour moi, saint Antoine m'avait
imposé comme pénitence de faire douze fois le
pèlerinage des saints Apôtres. Voici que je viens
d'achever mon douzième pèlerinage, et je ne
désespère pas (j'ai tant pleuré les égarements
de ma jeunesse!) d'être admis, selon la pro-
messe du thaumaturge, aux joies de l'éternelle
béatitude (i).
Et le récit du vieillard, ajoute le narrateur,
était entrecoupé de larmes et de sanglots qui
t. J. RIGAUD, c. VIII. Cf. le Liber miraculorum,
n. 5g.
é~ou&iieat sa voix- Était-il donc la plus belle
cfmq'uete de l'apôtre de Padaue? Nous ne le
Œpo'yomspas. Et,eNe6Bt~Téc<meiKerdes bandits
ai~ec eux-mêmes et a.see la société,, réhab'iMtor
des, courtisanes, iareer des ustm&rsà Bestitaef
1& bien mal acquis, toutes ces victoires, si méri-
tEares qu'elles soiesi, s'e&tSB~ à moËpe a'vis,
dtevamt une autre qm, poM* to<Q5 les prédi-
e~tears dH moyen âge, était le but principal de
le'mrs eSoirts ra.pajsBiEieiBtdes dissensioms po&-
ttq~es et des hames i&ratEiEides.. Satint Ajitome,
lui aussi, prêchala paix H en f~t lerestaMra-
te.or. < Plus dehames, phts d~ guerre, répétait-
omapces lui La paix! Dieu wemt la paix Et
Rxi voyait les ennemis .se'temdBe la ina.m, les
6-njelfas et les &ihelmts se tsbMHMr publiqaem'en't
le 'baiser de Eéoaaoi~aRoim, et les proscrits, ces
iBBartns des passMHis poMtiqmes~ retremper
tan' ânie au comtae't..de 'ce qu'ils aitEtaitent le
pins au mtcmde leur patrie et leur famille
!M[~0]'Be(l~
I~Ear~pe BaLGdeaM' BB~an ta ~aitstB réflexion
d'um -pubRdste de Nos jomES, me sait pas tout
ce qu'elle doit à jsaNmtErsaiçQts (2). Avant lM,
Mo'mtalem.bert, emh'~ait dans le domaine des
faits, avait démontré qse ta VM~mte de rÉgliœ
snrIëTaeo-pagamsmet au moyen âge, était dtte
principalement aux efforts persévérants des

x. Discordantes ad tfaitermant ptteetm eevocabat


(Legenda prima, c. xn.)
s. PR~ÉKtc MbRiN, Satmt François et .tes ffam-
ciseains.
demxBOUveIIes BEiKcesre~giemses da XEEB*siêdt&.
< Les estants ~e saint J~ammiq~e et de saint
François, eoi~ait-ïl, se répasdemt s~r I'îtaR&,
deehmrée de tant êe' :d~ardes, ess~ysnt de
Féoemeiliar les partis, de dinun~er les en'e'ar&
se posant 'comme les scMftres suprême=-, ne
jageMEct qoe d~rès la sect~e ~cd ~e t'amoNr. On
les voit, 'em !E~3i,. parcoTom' !<snmte t& pëmasmite
aTeedes cpa'ix, dei'iencens, des branches, d'aji-
vtec, chanÈamt<et pféchamt la paix, reprochant
aux villes, smtx' praïess, leurs fentes et temrs
resseatimemts. î-<es peMptes, ain nicims .pour Mn
temps, s'mïciBQf~~ 'de~amt cette 'médiatibn: sa-
btEaae (t). f w Eo tête de ces paeiiîea'tiears,
aysuterons-BCMts awee Césa~Castu~i! faut ptaca)''
saint i'~am~is d'Assise eit som 'dîsdple s.aim't
Am~oice <ts Pa~e.ae, qm ÉtahEsseai partout ia
trêvs de DStas~ icmà. eetBc]i!M'e des pmx 'ie ~ong~e
dtarée et péBtÉtrer parts~tt les emsëtgBements
~ae GregEare IX. resmmte s aMhi~a.MaBaemt
dans sa ïeitre anx Fibarentms C~ &<MT.'sM <est
un &t&e~t~ d~Mtss~ ~S!tr&/ JMcKs R est
aeiessî NN
mais il est sa<re ~rË3fE'(s) i
cht~M~ .a'uMS ë e~ t~re' CMte~ioa/e~
Dams.'œtte aNnEre. d~e fas~Earatkm' rei~aass
et sociale, l'apôtre n'était pas seul; car quel
hmmBme eui. pz sMRBe à paretRe besogne ? Il

i. j8tatM]M de s<!BMte ~~icj'aNt <!<: ~e~fM~ intM~ne-


thm, p. S* MmtatAMMtBSNt& pnncqtaïemaot em. Mte,
idi,, Ie cët&hBe'Jeam de VMes~
a..B.M~Mne attatB9'xe~&, t. Xi~ p. S:st. êtes ~M~Metts,
t. VII, p. 188. « GibeBaMts est, ast .dMisttatms, .at cM'is,
at proximus (Gregor. IX ad Bteweat.)
était aidé par le clergé paroissial, par les fils
de saint Benoît et de saint Dominique (i), et
surtout par ses Frères les Franciscains, dont le
plus brillant était Luc Belludi, homme d'une
sainteté éminente, que saint François lui-même
avait revêtu de la bure, grand prédicateur qui
s'attacha particulièrement à la personne de
saint Antoine. L'intrépide missionnaire avait
donc des auxiliaires-nombreux,dévoués, animés
de son esprit; mais il était l'âme du mouve-
ment, et c'est sur lui que retombait tout le
poids de la charge, toute la responsabilité. Ni
ses collaborateurs, ni la population ne s'y mé-
prenaient, et c'est à lui qu'on faisait remonter
le mérite d'un succès qui dépassait toutes les
prévisions. Pour lui, il pensait à la charge il
ne pensait pas à l'honneur, se
dépensant jour
et nuit, en chaire ou au confessionnal, dans les
'durs labeurs du ministère sacré, toujours
oublieux de lui-même et restant fréquemment
jusqu'à la chute du jour sans avoir pris d'autre
réfection que la sainte Eucharistie (i). :D
<
Comment rester ainsi continuellement sur
la brèche, comment faire tant de bien, s'écrie le
premier biographe, sans soulever contre soi

i. C'est..ce que constate GLASSBERGER, au moins pour


les fils de saint Benoît. « Un jour, dit-il, pendant que le
célèbre thaumaturge était à Padoue et qu'il assistait au
sermon d'un Père bénédictin., qui commentait le dis-
cours de saint Paul à l'Aréopage, il fut tout d'un coup
ravi en extase, en 'présence de l'auditoire émerveille. »
(Amfï!ëct<t .FrftKCtscaMCt,t. 11, p. 35.)
a..Legemdet prima, p. I, c. x.
toutes les haines de l'enfer ? Saint Antoine
n'était-il pas le champion des droits de Dieu ?
L'ange des ténèbres prenait sa revanche, en lui
livrant de terribles assauts. Il le harcelait jour
et nuit, le troublait dans son repos, le réveillait
en sursaut, le persécutait, enfin, avec cette rage
et cette continuité dont l'esprit impur seul est
capable ? Dieu ie permettait ainsi, comme il
l'avait permis pour saint Paul, pour saintFran-
çois d'Assise, pour tous les vases d'élection,
afin d'accroître ses mérites. < Une nuit, entre
autres, au commencement du Carême, dit ex-
pressément le même auteur, pendant que le
grand orateur, étendu sur son grabat, deman-
dait au repos la réparation de ses forces épui-
sées, le démon lui apparut sous une forme
visible, le saisit à la gorge et chercha à l'étran-
gler. Le Bienheureux invoqua aussitôt celle
qui est plus terrible qu'une armée rangée en
bataille a 0 gloriosa domina 0 glorieuse
souveraine. C'était son hymne favorite et,
dans le cas, un cri de l'âme, une instante prière.
A peine ce cri de détresse se fut-il échappé de
ses lèvres, que l'éternelennemi du genre humain
lâcha prise il fuyait devant la présence de la
Vierge immaculée, comme les ténèbres fuient
devant la lumière. Marie, < le secours des chré-
tiens était là, en effet, au sein d'une lueur sur-
naturelle, éblouissante, qui remplissaitla cellule
de son dévot serviteur (2).
J. Lacessere seLtagebat. (J&tat., c. X!.)
s..Légende; prima, p. I, c. xi. La Legenda secunda
Pour qui sait lire à travers les JtgRes, il n'est
pascEf&cile dede~merle reste. Le reste, c'est
<p!e saint Antoine contemple des yeux de sa
chîm'cetile.qm est plus brillante q'B& les étoiles
du Rnmam.ent,ptns limpide qaele cristal, plus
Manche que tanët~e des mBtmtagBCs.; le peste,
c'est Merede Dieu hn som'ii. etieceosole.
qMe t&
Mais personne ne moNS dira ce qme fut cette
heure de paradis,cette gsoNttede'déHtcestombée
de la co~pe emvrante àlaquelLe s'abireuvent les
éhis. LethauEmaturgea emparté 'dans la 'Ëombe
le secret d'tarn mystërieux coRoqHe qui m'étaS
pe~-ètre 'que pour 1m:; et de cette extase qmi le
ratissait an instant aux tmttes comme aux
douleurs ~de l'exila nous ne c<mna!iss<ms que les
quelques'détails « qfa'il. Tpoulut Men comm.~ai-
quer l'ui-ïnème, avamt de moua-ir,, aa con&d&mt
de ses pensées (z)
La Rente ~es :~[iges bénissatt 'visfMememt le
zëtie'et les eSoris de scm dépôt aervitemr. La
staticm. q~adragésimale aTaitt été éstaMIée de
merveilles de tout ;geBre. Les iAtes-de Pâques en
furent le digne couiroïMMmsmt. Pado~e célébra
te taomipihB dM. ChEist~ 6M;e chanta attssï le
tnoaaphe d'A.BLte.ine ta rénovation de res,pr)Et
chrètient la 'déMwanee' des captifs et Jes j~es
intimes du~ &'ysF.

(c. tH, n. B6) ft JEMf HtSAMt (e. Vtf~ MtOMt'tBmt te même


épisode, en termes équiT&t&mts qm tte taissent aucan
doute sur l'époque de cette apparition le Carême
de ia3i.
tt. ~eM~jM'M~a~ toe- ctt.
Quand du récit de cette émouvante épopée,
on passe aux écrits de celui qui en fut l'âme et
le héros, on éprouve une impression pénible, un
sentiment de déception. On n'a devant soi que
des notes détachées, des explications étymolo-
giques, des interprétations de textes, des frag-
ments de sermon. Rien de cette chaude élo-
quence qui électrisait les masses Et l'on se
d'einatsnd'e co'mmcnt, avec <~e si pâles discours, le
61s -de don Martin a pu prodmre de pa'reils
efEets. C'est là te se-rt de rorate'ur. Cet homme,
qsï a ptasstOfm'é toute une gënéFation, descend
avec eBe dans le même siilence. Sa voix et la
vo~ix des BamiHit.udes qui 1'ont applaudi, vont
s'evmMHBssaiELt dans le 'temps, comme s'éva-
Mtnssent dans l'espace les sons tmétodteuxde
l'orgue. Le clavier est ïn'aet, sans qu'il soit
possiMe d'imaginer ou de repreduiTe tes Se~s
d'harm&ni.e qu.i s'en échappaient. Mats ce q~a
reste, c'est rimpression produire dsnsle'sâBmes;
c'est l'abondante moisson ct'œu'vresetdevertus
qtn a germé soMS la vi'vi~an~e chaleur de la
parole sacrée.
Le Ïectesr est prévenu TMHzs pouvocs a!bor-
der 'tes écrits fïu Saint.
CHAPITRE XI

ŒUVRES ORATOIRES DU SAINT

Depuis près de sept cents ans, les sermons


du grand orateur médiéval, écrits sur parche-
min, dorment à ses côtés, comme dort la lance,
à côté du chevalier bardé de fer qui l'a portée.
Le livre est recouvert de soie, garni de fermoirs
d'argent et enrichi de notes marginales qu'on
croit avoir été tracées de la main même du
thaumaturge. C'estmieuxqu'un souvenir; c'est
une relique où il a laissé quelque chose de son
âme et que, pour ce motif, on prit l'habitude,
dès la fin du xm" siècle, de porter solennelle-
ment en procession. Le titre masque le pre-
mier feuillet a été déchiré.
Selon Azévédo, qui a fait des recherches spé-
ciales sur ce point, nous sommes en présence
du manuscrit original (i). C'est ce qu'indiquait,
remarque-t-il, une note inscrite sur le premier `

feuillet et qui était encore visible en i~So. Cette `


note ajoutait < La tradition des anciens m'ap-
prend que les remarques ajoutées à cette œuvre
ont été écrites de la propre main du glorieux
saint Antoine et que beaucoup de feuillets ont
i. C'est aussi le sentiment du P. JosA (Legenda
prima, p. 135).
été mutilés, comme on peut le voir, par dévo-
tion pour le Saint (i).
Ce codex de la châsse est confié, ainsi que la
châsse elle-même et le sanctuaire, à la garde
des Mineurs Conventuels; et c'est lui qui
sert de norme pour juger les livres ou les ser-
mons présentés sous le nom du thaumaturge (a).
Avant de l'ouvrir, commençons par répondre
d'un mot à la question préalable que se pose la
critique « Quelles sont les œuvres authenti-
ques du Saint? » Barthélémy de Trente affirme
vaguement, au sujet du thaumaturge, son con-
temporain et son ami, < qu'il composa d'excel-
lents sermons (3). » Heureusement, Jean Ri-
gaud est plus explicite il désigne positivement
les titres de deux recueils distincts, les Do~ï-
nicales et les Panégyriques des Saints (/j.),
écrits l'un et l'autre à Padoue, l'un pendant son
premier séjour, l'autre avant le fameux Carême
de i23i. Une déclaration si nette et si précise ne
permet pas le moindre doute sur le nom de leur
auteur.
Il n'en est pas de même des trois autres
AzÉvËDO, Dissertation XLV.
2. La bibliothèque antonienne (des Mineurs Conven-
tuels de Padoue) possède deux copies de ce codex. Elles
sont du xm" siècle le texte en est exact (Ley. prima,
P. JosA, p. ïa5). La bibliothèque du Vatican conserve
également une copie du codex de la châsse.
3. <' Bonos ibi sermones compila-vit. x (Apud Analecta
Fr. Min. Capuccin., déc. 1901, p. 870.) Au lieu de
-Bottes, les Botlandistes avaient lu par erreur: Libres
et sermones. » (Acta S. S., j3juin.)
4. jDotmntca!es. Sanctore~es. » (J. RtGAUD, c. vm.)
traités intitulés CoHUM~M~aM'B sur les P&aENNTtes,
Exposition mystique des Seules .Bcr~Mres~
CbMeort&HteesîMoretks (is):Les Pères Azzoguidi,
de la Haye etWaddi'ag, qui les ont découverts,
eBtattnSbueBtIa pai.ei'nité àtiotre Bienheureaix,
ma&s sans appurter aucune pnemv&à l'appui de
leur assertioB. Tout au phts p<MnTsit-om dire,
em fa'vetn' dm CoMMMeH&Nfe sw les FsŒMWt'es,
qu'il a' pour lui la mention du ~~sr miraculo-
T'titHt, (a) et sa eomËozmité avec les procèdes hahi-
tNels du tha'mmai.urgB.
En résuma, il n'y a de sëriemsemeBi aMitben-
tiq'ues que les deux recueils signales par le
chroniq~euT li-meiasin les ~o~tM~cs~es et tes
Pa~<t~M'ss-<~s5Œm<s. j)Les.i)<}tKamcs~s omt
été plusieurs fois éditées au' eo~rs des âges,
mais avec des coupures <Mtdes imterpolaticms
qui Les dëË~m'aiemt. C'est te reproche qu'on
adresse aux travaux de Rapàaël Ma~Fët et du
P. d~ la Haye. Am<toins Pagi,.MineTur Con'vem-
tmei), est le pitremijer qui ait publié les ~eme~~
riques (3) mais il le fit, ainsi qu'il s'en plaiimt
lui-même, d'après Tim mamuserit < m;utilë et
incomplet de la bibliothèque Magliabecchi de
Florence, le seul qu'il cannût. De nos jours,
un de ses frères en religion,, le P. Josa,, nous a
auceessivem-ent daïlné, d'aparès le codex de la.
chasse, deux parties impoTtamtËS, les S&rmoKs

i. HaROY, BtMMtAe~Me~MtrtsNgM~t..Vt, Paria,, 18~.


a. Anecdote du tafeia. d'à Psautier, m. Sic. « Psalterimm
glossatum.
3< ImpEimes en t6&t à Avig~MJ~.
SM;r les .So~es~es (:r) et sur Ja~Sen~e VMr~ (2).
Mieux encore: épïis d'une sainte émulation, un
savant ehamoine de Padoue, don Loeaielli, a
entrepms la paMication intégrale des œaivres
drn Saint,. en se basant sur lies manuscri.ts les
plus anciens, ceox de la châsse, de Casanati et
du Vaii-can edi.tiïm ël'iiiqme., de: luxe et de
superbe; allore, iniërronipue pair la disparition
d~ vénéré chao~ine, mort à. la. tâche (3).
Les tra~amx d'u P. Josa et de don Locatelli
sont de ceux qui aident au progrès delà seience
historique et. sur l'esquels est heureux de
on;
s'a.ppmyer. Ces deux médiBvis&es se sont pas-
sioBmës, etonteherchë à nous passionner pour
Les commentai~sdesamtAntoine .Pourachever
de nous persuader de parcourir à leur suite ces
pages pioudreases qui omt fait les délices de
plusieurs gémératioms., ils évoquent les noms de
ceux qui, dans le passé, ont précoBisé la valeur
sciËmtinque' dBS enseignemients du maître, et
l'oB) n'est pas, peu étonne d'entendreles person-
nages les plus divers, Thomas Gallo, Eudes de
Châteaurtm~ Gjmy de: Montfort, saint. Antonin,
Sixte IV, déclarer à l'envi qM.e notre Bienheu-
reux est <: le père de la, science mystique, un
aigle d'in~Elligence, un chérubin pour les lu-
mières. La: :foi s'alanguissait, dit le cardinal
Eades.de Châteaoraux; par sa doc'trine, saint

i. Bologne, i883.
a. Badoae, ]SS.
3. A.-M. LocATEN.t, Semnones & .AmtOMM Padoue.
N'ont encore pana. que cinq. fascicules.
Antoine l'a fait refleurir dans le monde(i).–Au
firmament de l'Église, ajoute une voix encore
plus autorisée, le pape Sixte IV, brille un astre
radieux entre tous, le bienheureux Antoine de
Padoue. Par l'éminence de ses mériteset de ses
vertus, par la profondeur de sa doctrine et de
sa science théologique comme, par l'éclat de sa
prédication, il a fait resplendir les beautés de
l'Eglise catholique. Il l'a couverte de gloire, il
en a raffermi les bases, il en a consolidé la puis-
sance. A mon avis, disait de même un savant
prélat du xix" siècle, Mgr Vincent Gasser, les
ouvrages du thaumaturge sont un superbe
commentaire des saintes Ecritures. Qui les lit
attentivement, n'a pas besoin de chercher ail-
leurs (2).
Voilà des expressions bien élogieuses, toutes
sincères, quelques-unes parties de haut, mais
en regard desquelles il nous semble opportun
de placer tout de suite les observations et
réserves qu'exige de nous le respect de la
vérité.
Les Panégyriques et les Dominicales ont tout
d'abord contre eux d'être écrits en latin c'est
le cas de tous les sermons qui nous restent du
moyen âge. « Les savants rédacteurs de l'His-
toire littéraire en avaient même conclu qu'on
prêchait alors en latin. Cette opinion ne tient
plus devant les dernières recherches. Il est
i. «Per doctrinam B. Antonii fecit Deus muhdum
reviviscere. (SptCtXe~tumjffcmctsctMMfM,iv, p. ao.)
2. LOCATELLI, 1.1, Préface, pp. xvu-xxu.
aujourd'hui reconnu que sauf quand ils s'a-
dressaient exclusivement aux clercs les ser-
monnaires se servaient de ce qu'on appelait
« la langue vulgaire D, seulecomprise'du peuple.
C'est après coup, quand ils voulaient publier
leurs discours, qu'ils leu écrivaient en latin. Ils
eussent cru s'abaisser, en usant, pour cette
publication, d'une autre langue que de celle de
l'Église et du haut enseignement (i). )' L'usage
du latin a persisté longtemps après saint
Antoine; et saint Bernardin de Sienne, saint
Vincent Ferrier, saint Jean de Capistran, s'y
conformaient encore. Parmi les auteurs, les uns
voulaient par là donner à leur pensée une forme
plus littéraire, les autres, une forme plus
durable; tous voulaient être lus, et le peuple,
au moyen âge, ne lisait pas.
Nous avonsdonclessermons de saint Antoine
tels qu'il les a lui-même rédigés, mais non tels
qu'illes a prononcés; car nous regardons comme
certain qu'il suivit l'exemple de saint François
et qu'il employal'idiomepopulaire de ces temps,
la langue romane, également entendue, à tra-
vers ses différents dialectes, de l'Italie, de
l'Espagne et de la Provence (2). II lui manqua
un Benedetto de Sienne, un sténographe qui
reproduisît intégralement ses discours dans
cette langue romane encore inculte, mais dont

i. S. BeTHardtK de S'emtM, par THUREAU-DANGIN,


p. 160.
s. Nous avons cité plus haut (p. 5i) les témoignages
de la Légende Benignitas et de SuRius.
il sut tirer des accents inconnus avant lm(t)~.
Av&nons-le cependant,eussmns-nous le texte
mêrae de toutes ses allocations~ il ieur manque-
rait toujours ce <~ui le di&tingualt entre toias
les richesses de la forme,, l'ampleur du geste, la
flamme de la vie,, l'émotionattendrie de ta voix
et ce: rayonnement divin qui vient de la samieté
ou du don des miracles. Mats quand sn n'a
devant soi qu'une traduction ,qu'untextemcom-
ptet, que des thèmes brièvement ërtoncës,. il ne
tant pas s'attendre à y trouver les beaux mou-
vements d'éloquencequi subjuguaientles audi-
toires de Bourges, de Limoges et de' Padoue.
On reproche en outre au discipledu Poverello
plusieurs défauts qui tiennent moins, à lTiomme
qu'au temps l'abus des citations, la subtilité,
parfois le peu de fondement de certaines expli-
cations étymologiques, et cette multiplicité des
divisions, souventarbitraire,dontla scolastiq~e
avait introduit l'usage. Vainement, au temps
même de saint Antoine. <: François d'Assise
donnait-il ïe modèle d'âne parole populaire
absolument étrang~Fe aux complications, aux
raideurs et aux subtilités de l'École, parole
toute de libre inspiration~ de grâce fraîche et
pnmesautière,de ~amiltaritéaimable, d'émotion
spontanée, dse charité débordante, celui de
tous les verbes humains qui s'est le plus rap-
proché de la simplicité évangélique (2). f Le
i. Poètes /'?'ettctscatns.
OZANAM, les
a'. S. B&'MafdMi de S~Kne, par THCREAC-'DAN&tN,
p. 167.
disciple ne sut poi'mt assez. s'msptFeEde l'exemple
et de la tnagiM&qtts nicbependaaMe d'alltuïes du
M~tre, sans dsTïts parée qu'i~ ne- véemt jamais
dans sa société intime; et il n'emt pas le ceurage,
dtt otoins dans ses écrits,. de riompre avec les
pM~~désde t'Èaole.
Ni ce semS), CësaB- Camttï a. raison de dure
111 est à regretter, pomE l'hiistMre,, qu'il ne scit
rien J'este delà pFéddcatîoa sociale de ces reli-
gisea~ qm~ a.eeampli.ssani mie misaica aujo-ur-
d'hM pefdMe, allaïemt propager la paix, épan-
cher smr lœ m'altitude la rosée die la. gyâce, dans
des diseurs d'o~ étaift <Kx.ela t<Mtt ce qui tte
servait pas àTédMicatM'tï, et doat toute la rhé-
t~Kque MHsistaSt dans la charité. Quelques
serincats'. dogmatiqueset moraux ont bien été
ceaservés; mais ce ifest évidemment que le
cane'vas arifdie et: décharB,é~ se présentamt dès
lors sous un. aspect seolas.ttqn& e.t qtn ne SMfS-
raitpaspour remâxerEmson de lagrande: inSuen-ee
de ces. pfédatcatMHtaf, sa ïcm ne songeaott qu'une.
pars-le' e&atet.a'a'ase,. animée~ coof~aiseue, leur
doam.a'itt la vie et la) ctmIeoE (i).
T<mtës. ces critiques sont justes et lo~dées 9
et FimpSFtiâMé noua! anp03ati!t l'obligatMn de
les plâtC&r' sous le regard. de mos. leeteuFs., pottC
qu'ils ptEsseat seppfSŒer em &MmaissanRe de
cause les qttaMes dm p!fédicatea'reeles défauts.
OMi'esla~umesdei'écrMfaim.
Si no~s déstroms. mamLtemaBit siet~&M à qu.eHea

CÉSAR CANTU, HtStOtfe MXXMMteN~, t Xt,, th î~g.


sources il puisait son éloquence et quel était
son genre de prédication, n'allonspoint frapper
aune autre porte; interrogeons-le lui-même,
interrogeons ses écrits. Ils sont empreints,
malgré leur sécheresse apparente, d'un certain
mysticisme, ou plutôt d'une certaine poésie,
fraîche et vibrante comme les trois sources d'où
elle jaillit la nature, les _p6tssto~s et la .B~Me;
la nature qui, avec les richesses de son symbo-
lisme, lui suggère les images les plus diverses,
les plus gracieuses; les passions, particulière-
ment celles qui tiennent aux fibres les plus sen-
sibles du cœur humain, celles qui élèvent et
celles qui abaissent, l'amour et la haine enfin,
et par-dessus tout, la Bible. Les pages inspi-
rées ne sont pas seulement, à ses yeux, un
recueil de sentences admirables, un code légis-
latif sans égal, mais un livre absolument divin
où. le Christ est partout présent,partout vivant;
un livre qui s'offre à nous comme le drame de
nos destinées, le dépôt des vérités nécessaires à
notre salut, la charte de nos droits, le trésor de
nos espérances. < Dans ce livre auguste, écrit
lord Byron (i), est le mystère des mystères.
Ah heureux entre tous les mortels ceux à qui
Dieu a fait la grâce d'entendre, de lire, de pro-
noncer en prières et de respecter les paroles de
ce livre Heureux ceux qui savent forcer la
porte et entrer violemment dans les sentiers
Mais il vaudrait mieux qu'ils ne fussent jamais

i. Poète anglais (i788-t8a~.).


nés que de lire pour douter ou pour mépriser )t
Ce livre divin, l'apôtre de Padoue l'ouvre
avec le respect d'une sainte Cécile, avec la foi
d'un saint Augustin, avec l'amour passionné
d'un saint Jérôme. Là, de la Genèse à l'Apoca-
lypse, tout lui parle du Dieu d'amour qui a
abaissé les cieux et est descendu parmi nous
tout chante ses grandeurs,et sous cette impres-
sion, si profondément vraie, ses commentaires
deviennent < une lyre harmonieuse, qui redit
les hymmes les plus magnifiques en l'honneur
du Verbe incarné (i)
<
Les sciences profanes, dit-il, sont des chants
de Babylone, des chants vieillis La théologie
seule fait entendre le cantique nouveau, un can-
tique dont les exquises mélodies réjouissent le
ciel et consolent la terre (2).
Par théologie, il n'entend pas seulement la
science de Dieu, une science purement intellec-
tuelle, froide et sèche, mais une science complète
qui adore, qui tende à l'amour et s'empare de
tous les êtres de la création comme d'autant de
motifs de modulations pour célébrer Celui qui
est l'alpha et l'oméga de toutes choses, le prince
de la paix, le Sauveur du monde. C'est lathéolo-
gie mystique, et le Bienheureux s'y engage avec
une complaisance marquée, à la suite des saint
Augustin, des saint Jean Damascène, des saint
Bernard, des saint Isidore, qu'il cite fréquem-
ment.
i. Expressions de Mgr Berteaud, évêque de Tulle.
2. Ed. LOCATELLI, p. 1~9. <
De 'ta&t de pages consacrées & la gloire de
~'Homnm~-IMë!)i, iMms 3t'en détadieroja.s qu'une
seu4.e, parce qu'elle est d'mm <l<0ds et d'tMM
ajctmatïte qim me vieilitssettt -pas. L'auteur y
traite de la Passmn de Netre~&Mg&eur.
<[
Bëhts.~ s'êci~e-t~I dou~o.uïsuseraent, U est
M~é à ses enas!ï's. Lui .la ~~dempti~n des
captifs, 'la ~Loia'Ë des amgss~ ie DiëM de ~'Nmivers,
b ïniro~r ~sams tache de la iiMm~e eterRelle~ H
.est trahi par J~das, bafouépar Hérodfe, jS~eUs
par PiLlate, oonvjeirt 'de cï~chats par .la popT~ce
juive, crucifié par les soldats rcoMms.
.<
'0 Jt~das, iu veux ~Nda~ le Fi!s'd'e Dieu
'eoNNMe un esc~v&. et ta. -oses demander QMe
tto~&s-t~Ms me ~QM~e~, je ~ffMit~ &s 'Ker~ran?
Et que petit-on donnef em echamge ? Quamd
même on t'offrirait Jérusalem, .!& G~iiJiee~ la. Sa-
mam.e, Aes aemx et la terre, les amges et les
ho'Hïmes, queM~e propca'tîojiy aurait-il entre 'ees
Mamset'Cehn qm pen&tsna'e danns san'seiat<su:s
tes inésors de !& sciemce et de .la .sagesse '? .Est;'
taser A prix d'M" eit: vendre le Cr~tëMr, quelle
aberna.tMn d'~spriU Ët'eepem~aNt, Jndas, tw
'mses dM'e ~Me ~K~~z-p.o~ me 'dcMM~,
<Mmw te MwerotF .ÏBgya't, dis-mo}, qu<el tnal I~
Ftls de Dieu t'a-t-~l .tait? JEn quoi a-t-il p'u te
nm~ ? Est-<ee par sam iM.tmIitë 0~ par sa pa)i-

Netoms têt que saiBt ANtome se platt à tNsM.re en


rëUef la concordance entre l'Ancien et le Nouveau T,ee-
tament. 11 entremêle ses interprétations scripturaires de
notioifcs de tjithympte Bmpyeta.t~eB mtx gitases <te Cassio-
dore et de Strabon.
vreté, par sa bonté ou par ses miracles, par ses
larmes compatissantes sur Jérusalem ou par
l'honneur qu'il t'a fait de te choisir pour un de
ses apôtres, pour un de ses eonndents? Parle'
Ingrat Rien ne peut toucher ton cœur 1
<[ Oh qu'il y a de Judas aujourd'hui qui,
pour trente deniers., vendent leur conscience et
leur âme!
«
0 vous qui passez par le chemin, arrêtez et
voyez s'il est une douleur semblable à ma dou-
leur J Mes discipless'enfuient,mesamis m'aban-
donnent, Pierre me ranie, la Synagogue me cou-
ronne d'épines, les soldats m'abreuvent de fiel
et de vinaigre1
« Hélas la Passion se renouvelle tous tes
jours; tous les jomrs, l'Eglise, qui est le corps
mystique du Sauveur, est crueUement tour-
mentée dans ses membres, les religieux, les pré-
dicateurs 'et les fidèles. Les Juifs la përsécutemt,
les païens la blasphèment, les hérétiquesl'~breu-
vent d.e fiel et de vinaigre. Elle est toujours sur
le Calvaire,.et le mot de l'Evangile est toujours
vran Z.e jP'tZs FAoN~~e sera !ture aM.c ??MMM
& .ses iCK.Memts~ tacea.~Ze <foM~'a.g~, ~a~~Hg et
crucifié (i). »
Saint Antoine touche aussi, en passant, aux
questions dogjnatiqu-es qui omt etë si viveïnent
deibattues dans le cours du Xtx" siècle l'Inuma-
.culëe Conception, l'Assoniption de la sainte
Vierge, rin~illibilité pom-jincale (a). Il en paris
I. LOCATELU, t. I, ~Kt. gtMtt~MN[~ p. 37-38.
2. Ibid., t. J, pp. 37, 77, 89, 3o3.
presque en prophète. Ses considérations sur le
culte de la sainte Vierge sont notamment d'une
précision théologique qui n'a d'égale que la
poésie des sentiments. Là, pas de recherche ni
de contrainte c'est le fils s'abandonnant sans
effort à l'instinct de son cœur c'est le Voyant
célébrant les unes après les autres les surémi-
nentes prérogatives de celle dont il a entrevu
dans ses extases l'immatérielle et ineffable
beauté. Alors les images les plus gracieuses se
multiplient sous sa plume. Il compare Marie
au lis qui croît au bord des eaux, au vase d'or
qui contient un parfum de grand prix, à l'arc-
en-ciel qui est le signe de la réconciliation entre
Dieu et les hommes (i), à l'arbre gigantesque
qui domineles forêts du Liban. « Autant le cy-
près, dit-il, dépasse en hauteur tous les autres
arbres, autant le trône de Marie dépasse en
gloire ceux des milices angéliques (2). p
Plus remarquable encore est la page qu'il
consacreau privilègede l'ImmaculéeConception.
« En ce temps-là, dit-il, une femme éleva la voix
du sein de la foule et s'écria « Bienheureuses
t les entrailles qui vous ont porté, et les ma-
< melles qui vous ont allaité (S. Luc, xi.)
Redisons, nous aussi, avec cette femme de
l'Évangile, à la gloire de la Reine des Vierges
Bienheureuse celle qui a mérité de porter dans
ses chastes nancs Celui qui est le bien par excel-
lence, le souverain Bien, la béatitude des anges,
i. P. JosA, Serm. in laud. V. M., p. 3a.
a..fMd-, loc. cit., p. 49.
la réconciliation des pécheurs Bienheureuse
celle dont saint Augustin a dit <: Pour l'hon-
neur de Dieu, quand il s'agit du péché, je ne
veux pas qu'il soit question de la sainte Vierge x
Nous savons, en effet, pourquoi la plénitude de
la grâce fut versée dans son âme et pourquoi sa
victoire sur le mal fut complète c'est qu'elle
était prédestinée d'en haut à donner au monde
l'Agneau immaculé. Tous les autres saints sont
obligés de reconnaître qu'ils ont été soumis à la
loi du péché. Seule, par un privilège qui est sa
gloire exclusive, Marie a été prévenue par la
grâce seule, elle en a reçu la plénitude. Bien-
heureuses donc les entrailles qui ont porté le
Créateur du ciel et de la terre, le Seigneur et
Maître des anges, le Rédempteur des hommes1
<:
Chérubins et séraphins, anges et archanges,
inclinez vos fronts devant elle; elle est votre
souveraine Enfants des hommes, prosternez-
vous le front dans la poussière et remerciez le
Très-Haut car c'est pour vous qu'a été accordé
à Marie le privilège de la maternité divine (i). >
Puis l'orateur épanche son âme dans une fer-
vente prière. « Sois bénie, ô Vierge sainte, puis-
que tu n'es pas seulement la Mère de Dieu, mais
sa digne Mère et la fidèle observatrice de ses
Ii faut croire
t. I, p. 89.
i. LOCATELLI, que Melchior
Cano n'a pas connu ce passage si lumineux des œuvres
de saint Antoine car lorsqu'il traite de l'Immaculée
Conception (Lieux théologiques), s'appuyant sur une
phrase un peu vague extraite du sermon sur la Nativité
de Marie, il range notre Bienheureux parmi les adver-
saires de la croyance traditionnelle.
~ois~O-Marie~ étoile des amers, no~e so~uver~ine~
motitre esperam.cB., jles 0o!ts sant agités. S<MS motbpe
tpilairejaimmiiHeot des ëeueils,astre {pilote.au aeim
des tempêtes g~ide ihm-màme notre ma'celle
wer-s Aes ti'?ages 'ëftsrme~s, fet:fais .qme iSt~MS .aibor-
(dions ssims et ssa~Es am part !~e ta bsa'ta.t~de idt
'delapam:(i). )!)
S:am's diB~te-le t'baumatu~gene 'v~se pemt ici à
ikL ppacisaien dm tangage sc&la'stiqMe..La. it~hese
<dei'Immaeu~ee CjBmœptium, mcmumée pims tard
ia ~'Mae /s~c~siaitœ~ jENe se casait pas encore
dams les iesBles.11 était peserwé .àiina.am.tce 'géliie;,
D'ans .Scsi, sam~rèire en Te~iiom., .d'établir met-
tem~nt les bases d'e ccoyamoe tmdiftiMm.elIs
si d'em ~LEExemerite ttiompihie. Dès j.oEs, il me saM-
Mmt être qmestia'B d'imBEcime :samt Antoimeparmi
ies !tiem!a;mts ~sNEMis d'une fdoctrime :si 'oh.&re à
l'Ordre sér.apM'qMie. Mais, en revanche,, en iB.e
'pea.t )Meir qu'il m'ait .imdiqfas le nieiHeMrB5t.oyeR
d'asnn~sr à la dëmMamstcatian,de (cette vérité, en
ia pnësemtamtcDNMm'e 'la con'seq'u'em'ce m'g~uremse
<du (dogme de !a m&termte di~iitie de Macie.
~iEa'tà q~~qMes finagimemËsf&es 'ca'a.tiquss h,ar-
jmtomieux'qme tN't~e Bi&B~teureNKitu'ai~dtes saim-
ibes jEor~mres~
AfipétiNas-SjOtits..Noms teroyons a~mr stiuEËsam-
ment prouvé notre thèse. Les œuvres du thau-
faat'urge port-ugais, telles que le 'Œ;qyen âge
mous ies a l~guee&, ir&dul~es à r.ëtat d'ébauche
iet jaœsqNe Bm~ère~esEt <d~epouiHÉes du <se!M!Ë&B

I. LOCATELLI, t. 1, p. rgï.
oratmre qui ies ammait, excitent plus nos r~-
gr~t-s qM.eiOiOsconi~oi'ëses.Comparées à ia splen-
dem.r de ses 'v<ertMs et :a.H.x gloires de son apos-
tolat, 'siles me sont riœ. Mais .considérées ;em
elles-mêmes, et malgré ibmrs défauts,, &U.'es B.e
sontpas ssais iBecite et peifitent'emeoj'.e la maï~-Ute
d~ ~ém.e.. NOMS les avoms feuilletées, Bt nous y
aT7!<msreca.eilliTinL faisceau de palettes d'or qiaie
de grands eeriiMmus pourraient lui envier. Ce
faisceau,NSM.s Fa~âeiMms, à titre de fleuron se'
ccudaire~ am diadème sijrespte~iss.amtd.uthao-
maturge, de i'apotre .et 'du. saint..
L'apôtre cTiezitu prims l'écrivais. Prêcher est
sa mission, et iofs même ~u'il écrite il prêche
encore mis'stem 'qu'il a ~eçMie d'en b&ut et qu.'a
coo&'ïoée samt Français ~missMn d'une .Eëcon-
diié vmi'menLt extraordinaire et qui se oomtmue
après .son trépas, puisque, seil~B le mot du car-
d)ima.l E~des de C.Mteata.ï'<i'u.x, < par sa doctriE~e
il a faitï~Reurir la religion
Le ehaLmpMBt des droits de Diea avait écNt
par esprit d'obéissance. Son état d'épuisement
et de sougrances, à t'issue du Carême de j.s3j,
N'e lui pernu.t pas d'achever la réda~on de ses
commeaitaires, ~t 4a mortallaitbriser sa plutme,
avant qu'itts pusseat' être livres au public. Lui-
tiaême pressentait que l'heure des jugetnentsde
Dieu et'des sentences irrévocables était proche
heure redout&ble
lawar;~ po~ar tous,
red~a~tal~ie poMj tou-s,. inoême
xsoa~rxae
p~~ar les
pour ~~s
saints et au seuil de l'éternité, il voulait se
recueillir, scruterions les replis de sa conscience
et secouer les grains de sable qui s'attachent
facilement à la robe du prédicateur. Le Patriar-
che d'Assise, avant de disparaître de la scène
de: ce monde, s'était retiré quelque temps sur
les hauteurs de l'Alverne. Le disciple aspirait,
lui aussi, à une séparation totale d'avec le
monde. Sous l'impression de ce sentiment, il
alla trouver un de ses amis les plus dévoués,
don Tiso, seigneur de Castel-Fonté et de Cam-
posampiéro, l'adversaire d'Ezzélino III. Ce
gentilhomme nous l'avons dit plus haut
s'était enrôlé dans la milice spirituelle du Tiers-
Ordre de la pénitence (i). Lorsque saint An-
toine lui fit part de ses desseins, il se montra
tout heureux de pouvoir lui témoigner sa recon-
naissance et mit ses vastes domaines à sa dis-
position. Ils se rendirent ensemble à Campo-
sampiéro, à dix-neuf kilomètres environ de
Padoue. En parcourant un bosquet qui apparte-
nait à don Tiso, le Bienheureux aperçut, dans
la profondeur du bois, un noyer gigantesque, à
l'ombrage épais, à la ramure vigoureuse, où
s'abritaient les oiseaux du ciel. Le voisinage et
même le caquetage de ces derniers n'étaient pas
pour déplaire à cet amant de la nature. « Les
moines et les oiseaux sont frères, déclarait-il
aimablement, tous deux amis de la lumière,
tous deux prenant leur libre essor vers le
ciel (a). II se construisit donc, aux cimes de
l'arbre qui avait captivé son attention, à côté de
i. D'après SCARDEONIUS (Antiquitates JPcctcm.), don
Tiso mourut en ia3~.
2. DE LA HAYE, dom. septuag.
son frère le rossignol et de sa sœur la fauvette,
une cellule faite de branches entrelacées, et s'y
fixa avec deux de ses Frères, qu'on croit être
Luc Belludi et Roger (i).
Camposampiéro rappelle une des scènes les
plus touchantes de ses dernières années. C'était
le 3o mai, « quinze jours avant sa mort dit
expressément le premier biographe. Des som-
mets de la colline qui domine Padoue et le Val
de la Brenta, le thaumaturge contemplait la
ville avec sa forêt de blanches coupoles, ses pa-
lais de marbre, ses jardins embaumés et sa vaste
plaine couverte de moissons jaunissantes et de
vignes en fleur. Tout à coup il fut transporté
des splendeurs du monde visible à celles du
monde invisible, et eut une extase où lui furent
révélés le jour de sa mort et les glorieuses des-
tinées de la cité qui posséderait ses ossements.
Dans le feu des ravissements divins, il bénit
Padoue, la patrie de son cœur, comme saint
François mourant avait béni Assise, et s'écria
«
Sois bénie, ô Padoue, pour la beauté de ton
site Sois bénie pour la richesse de ta cam-
pagne Sois bénie aussi pour la couronne d'hon-
neur que le ciel te prépare en ce moment (2)
Son compagnon de voyage entendit ses pa-
roles, mais sans en comprendre le sens prophé-
tique ni toute la portée. Le nœud du mystère ne

i. Legenda prima, p. I, ch. x:v.


2. « Exultans in spiritu extollebat. Magno honore
decorandam prsedixit. (Ibid., p. I, ch. xm.) Cf. la
Legenda secunda (c. m) et JEAN RIGAUD (c. ix).
M fut diévotlé qu'après le glorieux irëpas dm
thaumaturge-
Ce ïmo'memt a.ppFcd'ie Mentôtte osintenHpl&ii!
de Camposampiëro dësceBd~a~ de sa~ ceIMe
aëriemti'e', som de~irser athtn ici-bas~ potm' mt~fir
entCË les bras de ses Frères. Mais ~ant qMe. ce
cœur ait cessé de battre,. anrrêt'm.!S)-nou&un iBs.-
ta]Kt:p<!mt ccmsBdesër une deEBièEe fois es deux
-visage, iTt'a.dië des &ss. df)) cïe]:,et les beautés
d~ume âme p~rie de hMmtèFe et d'aimemr.
Arrïèrs les penséesp~ofames C'est à. gsnamx
qHBFEs An~Mes peignait sesmsfhœes. C'est
à geacm~ qa'it iMEt oo'Bttempteï*les saints.
CHAPITRE XII
SA. 'WBS.TU B'OSTINAN.TE

Vo'Mt,. têts que mous. les tfouvoms, epairs daims


ses divers historiens~les pFineipamx traits de la
physMMMmie du thaunaiaturge.. « Ht avait,, re-
Bniarque le premier Mographe~. une certsime cojr-
putenee:qm ébahît une cause de: âo-~raiices. ponr
M(ï))~– & co~é'de'ceîa, ajoatemne a.uirelégend'e',
une grâce et mm charme mat6ms (~. x SieEa Pc~
lentone estpJMseo'mpIet.. « Saiimt Antoine-, noms
dît-il, sut garder intacte ta Sem* de sa virginité.
D'une taille inférieure à l&moyeiBM~ replet~ a~
temt d'hydropîsië, ïl avait le teint brun des
Espagnols,le pEmnI. distingue,, le visage rayam-
nant de foit et depteté. Riem qu.'à le voé* mênie
sans le CMmaKBe, an dsvimaitrhom:Batsde Dieu,
~e Saint ~3).
Les Mis aussi' ont paiie~ et la solitude de
Camposampiero n~tts rëser~it so~s oe rapport
une di'Mtce surpfîse. Dans ce Hemsasteë&e parla
présence du Bienhemreux et devema as- îende-
main de sa mort un but de pèlerinage, on cons-

t. 'r Cbrpttïentm quadam natcraH priesstus. (Zeyem~a


pT-t)M<t,p. t,. e. x.)
a. Se prœbebat miriSce gratiosum. (Lëg. BeKt-
gMtttta, p. 31~.)'
3-. Apud Azzo&tnBtrp. xxxtv.
truisit de bonne heure une chapelle commémo-
rative, qu'une piété bien entendue enrichit de
deux ornements d'une saveur singulière le
tronc « du noyer gigantesque x, placé sous le
maître-autelet précieusement conservé comme
un témoin de ces temps; puis le portrait du
Saint, esquissé par une main amie (Luc Bel-
ludi, assure-t-on) et tracé sur la planche qui
avait servi de couche au thaumaturge expirant.
C'est ce portrait, à demi effacé, que viennent de
découvrirles Pères Conventuels, rentrés depuis
1894 en possession de cet antique sanctuaire.
On a pu le reproduire par l'emploi de certains
procédésphotographiques, et ,l'on a vu réappa-
raître à la lumière une ravissante image du
Bienheureux, au visage un peu replet, mais
d'une douceur exquise.
Ce portrait et les quelqueslinéaments fournis
par l'histoire pourront servir de point de repère
aux esthètes modernes pour apprécier les dif-
férents types adoptés, par l'iconographie anto-
nienne (i). Il leur sera facile de juger dans
quelle mesure les grands maîtres, Lorenzo Pasi-
nelli, Strozzi, Bonvicino (au Louvre), Ribéra
(au musée de Madrid) et Murillo, ont demandé
leur inspiration à la beauté des formes et &
l'imagination.
Nous venons de nommer Murillo. C'est le
peintre par excellence du héros portugais. Est-il
rien de plus idéal, par exemple, rien de plus
t. M. DE MANDACH a commencé cette étude dans son
livre S..Atttome et l'art italien. Puisse-t-il la continuer
harmonieux que son tableau de la cathédrale
de Séville ? Le Saint est à genoux, en extase, la
Bible étendue devant lui, les yeux fixés sur
l'Enfant Jésus, qui lui apparaît escorté d'une
légion d'anges, au sein d'une éblouissante clarté.
Le visage < assez replet conformément au
type traditionnel, a gardé quelque chose des
charmes de la jeunesse. Le regard, ferme et
limpide, reflète la pureté d'un cœur resté tou-
jours jeune, le calme d'une âme angélique qui
n'a pas connu les orages de la vie et n'a jamais
aimé que Dieu. Scène historique ou non, peu
importe le Bienheureux vit sur cette toile, et
l'œil le moins exercé le reconnaît immédiate-
ment.
En somme, il faut bien l'avouer, le côté phy-
siologique est fort négligé; le côté psycholo-
gique ne l'est guère moins. Les anciens bio-
graphes du héros portugais semblentn'avoir eu
d'autre préoccupation que de peindre « le thau-
maturge Ils nous mènent sans relâche d'un
prodige à un autre prodige on dirait qu'ils
marchent entre deux haies d'aubépine plantées
par la main des anges. Un peu moins de mi-
racles, leur crierions-nous volontiers; un peu
plus des phénomènes de la conscience ou des
actes de la vie intime Mais non Ils conti-
nuent de courir à la poursuite du merveilleux
et nous, enfants du xx° siècle, qui nous passion-
nons pour les luttes de l'âme, nous restons avec
nos désirs et nos regrets, sentant plus que
jamais combien est juste cette rénexion de sainte
i3
Thérèse e L'àsfte d'un saint, est tout ~m monde t;
surtout rame d'tm saiat tel que le thaumaturge
d~ PMbue. C'est tout un mande de pieux désirs,
d@ héroïques, dé saenRces genëreuse-
v!.et<6trës
ment oSarts mais on moTQ.de maccessibte à nos
ta.vasHg&tMMM @t qui s& 1-snsse pï'es~ntir p!'ut6t
ëMoMqu'ea'tM'~M-.
N<ms savons que ~a l'avait richement
a.atMre
doté. ÏntelU~ace ap~ à saisir tous les pro-
bièmas d'Ê i.â peïtB~, esprit pénétrant et cuM~,
6âmetërech@~aleMsque,ii. s'était annoncé, dès
sa je~esse, dans tous ses desseins et
1'oy~l
capable de g'ï'aa.d@s choses. La grâce était vemae
forti&'er et perfectionner des qu~Ëtës st prë*
cieuses et la foi, en orientant toutes les facultés
de son être, leur wai't. iM.pr.im-6 ~n puissant et
fécond essor v&rs .le bien. On en peut j~er par
ses oaM~r~s. Ses cosMïtentaupes bibliques dém'o-
teïit une ~&ste ëï'tt'dttton'; ses travaux ~posts-
liqn~s, une activité peu e'oïîan~f.e,so~tënne par
Tme'ënier~emdoœpt&M6.
Chez 1m, pamt de eontradicti.'on entre l!a.'vie
p~Mqsa~ et la vie pri~ë; p~iBt de ces d<Mil<M)L-
rsax eontr&stës d~mt sp~tâ<ie i@st si Mq~ent~
ûtifayer pa-tam~ à ta x'ési.'dssnce de Padeus,
dans ~es d.i~pentBsétapesde sa cairrière, à nous
appar&M.auxiaeam'sde l'histoM~, toujours sem--
bl&bla à M-même, au sem d'une îerveTH' epois-
sa:ntë, toa.j<~oa's plus &dMe aux appels de 1~
gràse~ ta~jCMrs plus avide d@ s'~nmn)!~ pour
Dieu @t pour ie salut des âmes. tl se ~n<sn.<re si
humMe et ss med'ëstë, ~ue icns méifne .'q~S
exerce les plus hautes prélatures de son Ordre,
< il
vit au milieu de ses Frères commel'un d'eux,
le moindre de tous, leur lavant les pieds, des-
cendant aux plus vils ofnces, cachant le trésor
de science qu'il possède, et se soumettant en
voyage à la direction de ses inférieurs. Il sait
que plus on s'humilie, plus on acquiert de
mérites devant Dieu (i). A l'humilité il joint
la vigilance qui prévient les chutes, et ce grand
esprit de foi qui ennoblit les actions les plus
vulgaires. Il travaille ou prie sans cesse, et.veut
que l'ennemi du genre humain le trouve cons-
tamment occupé à faire le bien (2).
D'autre part, il est si pur, qu'il ressemble au
lis fleuri dont parle FEcclésiaste et qui embaume
toute la vallée; si prompt à l'obéissance, que
sur un signe du fondateur, il abandonne tout et
court de Monte-Paolo à Bologne, de Mont-
pellier à Toulouse; si ;Eervent zélateur de la
pauvreté séraphique, qu'il peut redire, en toute
sincérité, avec le Ré&rmateur ombrien < JD<ns
MieMset on~ns Dieu seul, et c'est assez ?; si
dévoué à ses frères, que pour eux il s'oublie iui-
même et se dép'en'se sans compter; enfin, si
embrasé du feu de la .charité divime, qu'H en est
consumé avant l'êgei Et 'chez lui, chacune de
ces vertus brille d'un si vif éclat, que loiTsq<u'<m
veNt tenter ime coimpa!'a!som,on ne sait ce qu'il
faMft le plus admirer, de sa dkM~eeur -exquise <Mt
des brûtantes ardeurs de sa charité, de fl'<empire
t. J. RIGAUD, C. V.
<fMt! C. Tïl.
universel qu'il exerce sur les éléments ou de son
esprit d'abnégation et d'humilité.
Cependant, comme tous les saints, il a sa
qualité dominante, sa vertu caractéristique et
distinctive. Elle brille à toutes lc= pages de son
histoire c'est le zèle, un zèle supérieur à tous
les motifs humains comme à tous les obstacles.
Prêtre, « il a épousé les âmes au fond de la
sienne D, selon la belle expression de Lacor-
daire disciple de saint François, toute sa vie
leur appartient. A vingt-six ans, à l'âge où les
autres ne font que se préparer aux luttes de
l'avenir, il est prêt. Pendant le cours de
dix années, il prêche sans repos, sans relâche,
sur les côtes ensoleillées de la Provence, sur les
cimes neigeuses des monts d'Auvergne, dans
les plaines immenses de la Lombardie, en face
d'Ezzélino et des Cathares aussi bien que devant
les auditoires chrétiens." Pèlerin de la parole
divine'~ comme on le dira plus tard de saint
Vincent Ferrier, il use ses pieds nus sur les
cheminshérissés et brûlants, et va d'un pas que
rien n'arrête, où l'envoie l'obéissance, avec un
front d'airain contre l'injustice, avec un cœur
plein de tendresse pour le pécheur repentant.
Quel est donc le tourment qui l'agite? Quel est
donc le feu divin qui le dévore? Ce feu divin,
c'est le zèle des âmes. Ilentend une voixqui sort
des plaies du Rédempteur, une voix mystérieuse
qui retentit nuit et jour à ses oreilles et lui crie
< Da MM/n animas: Donne-moides âmes t Des
âmes! Ah Il sait qu'elles sont la vraie richesse
de la terre, plus précieuses que les diamants,
plus brillantes que les étoiles. Il sait que le Fils
de l'homme est monté sur le Calvaire pour les
racheter, qu'il en est jaloux, et qu'elles sont la
seule obole que nous puissions jeter dans le sein
de Dieu. « Sitit animas Il a faim et soif des
âmes! » Et de là cette infatigable ardeur que
Dieu récompense, tantôt par des torrents de
félicité intime, tantôt par d'éclatantes conver-
sions, dont nous avons rapporté quelques
exemples.
Les attributs iconographiques du Saint ont
varié avec le temps, selon l'idéal qu'on s'est fait
de lui; mais toujours ils se rapportent à l'apôtre,
dont ils symbolisent la science ou le zèL: la
pureté ou l'amour. Au xin~ siècle, il est repré-
senté un livre fermé à la main; au xiv", on y
ajoute une flamme; au xv°, un cœur; au xvi~ un
lis; à partir du xvii", un livre et un lis avec
l'Enfant Jésus (i).
Arrêtons-nous un instant à considérer une
de ces représentations artistiques.
Sur une des faïences émaillées qui ornent le
sanctuaire de l'Alverne, le grand céramiste
italien, Luca della Robbia, a modelé une des-
cente de croix le Christ au centre; saint Fran-
çois à gauche, saint Antoine à droite, des
flammes ardentes à la main, symbole de sa
charité. L'oeuvre est d'une haute inspiration.
Ce n'est point dans les livres des philosophes,
I. DE MANDACH, S. Antoine de Padoue et fart italien,
p. m.
en effet, que le disciple du Poverello a puisé ses
ardeurs séraphiques,pas plus que sa profonde
connaissancedu cœur humain. C'est au pied de
la croix, dans la contemplation du mystère des
anéantissements divins; c'est a l'autel en
buvant à la coupe eucharistique; c'est enfin dans
cette dévotion'au Cœur de Jésus que saint Fran-
çois d'Assise, le stigmatisé de l'Alverne, le
favori du Sacré-Cœur (i) a fait fleurir autour
de lui dans les cloîtres de son Ordre.
L'amour est un ravisseur, le plus puissant de
tous; il a ravi le cœur du thaumaturge. Le
Verbe incarné mourant sur la croix ou nous
donnant son Cœur lui paraît mille fois plus beau
que le Verbe créant d'un mot les cieux et la
terre ou faisant trembler les bases du Sinaï,
parce qu'au Calvaire il y a plus d'amour et que
l'amour est tout. Chaque jour il se rend dès
l'aube à l'école du Cœur de Jésus, et chaque
jour il en sort plus doux, plus humble, plus
prompt à tous les sacrifices. Nous aurions eu
grand profit à le considérer déplus près dans la
vie pratique, aux prises aVec les ennemis du
dedans comme avec ceux du dehors, homme
comme nous, soumis aux défaillances de la
nature et passant, lui aussi, par les angoisses
du jardin de Gethsémani; mais les données
psychologiquesnous manquent, et nous n'avons
sur ce point qu'une page des Fioretti page bien
suggestive, il est vrai. Nous l'enchâssoQsdans
i. Expressions de la Bienheureuse Marguerite-Marie.
Voir le Sacré-Cœur, par le R. P. HENRI DE GRÈZES.
notre récit sans en faire la critique. A. quoi bon ?9
Ne fùt'ells qu'une légende, elle nous paraMrsit
encore, aussi véBératMe que l'histoire, tant elle
peint au vif le Patriarche sérapMqu& et scm
époque.
<:
jeune homme, de noble extraction, aux
Un
habitudes déHe&tes, étant entré dans l'Ordre de
saint François,. ne tarda pas à prendre en
horreur les habits grossiers qu'il portait. Une
nuit, dégoûté de la vie :religieuse et décide à
rentrefdans le siècle. il descendt s'agenouille
un instant, selon sa coutume, au pied de l'autel,
et s'apprête: à sortir furtivement du monastère,
lorsqu'il est arrêté par une visNn merveilleuse.
Unemagni&que procession se déroule devant
M, toute une légion de saints revêtus de bM"
carts d'or et marchant deux à deux, au milieu
d'une lumière éblouissante et au son des
harpes, et parmi tous ces élus, deux visages
plus majestueux et plus brillants. H regarde, il
écoute, r&vi les chants étaient si beaux, la
harpe des anges si harmonieuse! Quels sont
ces personnages? demande-t-Uen&n d'une voix
timide. Ce sont des Frères-Mineurs. Et
ces deux personnages plus resplendissants?–
Saint François et saint Antoine, emmenant un
de leurs frères au paradis. Mon nls, marche sur
nos traces. Porte pour l'amour du Christ les
livrées de la pénitence, méprise le monde, ïB.or-
tifie ta chair, résiste vaillamment aux assauts
du démon, et tu posséderas comme nous la
tunique précieuse et la. gloire qui excitent ton
admiration. Raffermi par cette vision et par
ces paroles, le jeune homme chassa la tentation
de découragement qui l'avait assailli, retourna
aux rigueurs de la vie claustrale et y termina
saintement ses jours (i).~J>
Scène ravissante Délicieuse poésie! Ainsi
François et Antoine sont associés là-haut à la
même béatitude, parce qu'ils ont souffert ici-bas
pour la même cause le maître et le disciple,
tous deux aimables et beaux sous l'austérité'de
leur bure; tous deux intrépides défenseurs de
l'Église, d'autant plus puissants qu'ils sont plus
dépouillés de tout; tous deux inséparables dans
la vénération des peuples; tous deux grands,
non parce qu'ils ont commandé à la nature ou
entraîné les foules à leur suite par la mâle
vigueur de leur éloquence, mais parce qu'ils
sont saints et tout rayonnants de la beauté des
chérubins et des séraphins, de la beauté même
de Dieu;tous deux moissonnés de bonne heure,
à un court intervalle, dans la maturité de l'âge
et du talent Le maître disparaît le premier de
la scène de ce monde. Le disciple le suit de près.
Il va mourir! Mais quelle mort! Dans la force
de l'âge et la pleine possession de ses facultés,
en face du ciel entr'ouvert! Les anges et les
saints vont accourir au-devant de lui, et le Roi
même des anges et des saints va poser sur son
front la couronne des élus.

i..ftorettt, c. xx.
CHAPITRE XIII

MORT ET CANONISATION

Nous sommes en i23i. L'hydropisie dont le


Bienheureux souffrait depuis plusieurs années,
fit tout à coup des progrès alarmants (i). Le
i3juin, vers midi, au moment où il prenait son
repas avec ses Frères, il s'affaissa et se sentit dé-
faillir. Ses compagnons le soutinrent de leurs
bras et rétendirent sur un lit de sarments. Mais
lui, averti par ce signal que sa dernière heure
allait sonner, manifesta le désir d'être transporté
à Padoue, au couvent des Mineurs, pour mourir
entouré de ses Frères et aidé du secours de leurs
prières. On l'emporta, en effet, sur un char;
mais tel était son épuisement qu'arrivés aux
portes de la ville, en face de l'Arcella, monas-
tère des Clarisses, ses compagnons lui conseil-
lèrent de ne pas aller plus loin et de s'arrêter
dans ce lieu, où il trouverait plus facilement le
calme et le repos. Le malade y consentit, et il
descendit à l'hospice où résidaient trois ou
quatre Franciscains, aumôniers et guides spiri-
tuels des filles de sainte Claire.
C'est le premier biographe qui va nous fournir la
trame du récit relatif aux derniers moments du Saint
Legenda prMMa, p. Il, c. i.
Dès qu'il eut repris un peu de forces, il se con-
fessa avec de profonds sentiments d'humilité et
reçut l'absolution de ses fautes. Puis rempli
d'une allégresse dont son entourage ne devinait
pas le motif, il entonna d'une voix claire et har-
monieuse son hymne favorite « 0 Gloriosa
Domina Salut, Ô glorieuse souveraine Salut,
ô Vierge élevée par-dessus les astres! Salut, ô
mère de mon Sauveur Ses yeux demeuraient
nxés sur un objet invisible qui captivait, toute
son attemtioQ.. Que voyez-vous.~ lui deman-
dèrent se& cfmmagnotns. étonnés. –Je vois mon
Dieu ~répondit-il!. Le divin Rédempteur était
vemu au-devant de lui, pour lui annoncer que
ïMver des épreuves était passé et que le para-
dis, avec ses ineSaMes délices et son printemps
éternel, allait s~uvrir pour lui (ï).
Cependant les Frères, somgearent à lui confé-
rer le sacrement qui enlevé, les dermère& taches
de fânae, l.'extrême-oncti.om. H faut être si pur
pour paraitre devamt Dteu < Je possède cette
onction au-dedans de moi-même, répliqua le
mQMantt elle ne m'est pas nécessaire; mais il
est bo.n peurtamt de la recevoir. Pendant
qu'on répondait l',huile ssunte sur ses mains. il
récitatt avec ses Frères les prières litw.rgi.ques
et les, psaumes de la pénitence. ÏI resta ensuite
près d'une demt-'heuredans un colloque mtime
avec le Ciel, expira douetament; et so.m âme,
affranchie des liens de la chair, s'envola dans le
t.. Video~Do-miBLum meam. (Légende jurtM~, p. H,
C. !.)
sein de Dieu. Il semblait dormir; ses membres
étaient flexibles, et son visage < sur lequel sem-
blait errer un sourire céleste (t) était celui
d'un prédestiné.
C'était un vendredi, le i3 juin ia3i, un peu
avant la tom.bée. de la nuit. Le Bienheureux
avait trente-six ans (a).
Le merveilleux qui couronne toute sa vie,
jette encore un plus vif éclat sur son lit de
mort et sur sa tombe. A peine avait-il rendu le
dernier soupir que des groupes d'enfants par-
couraient la ville de Padoue en criant c Le
Saint est mort! Saint Antoine est mort (3)i )t
La nouvelle, ainsi jetée d'une façon insolite,
provoqua dans la cité reconnaissante une im-
mense explosion de douleur. Elle sentait qu'elle
perdait en lui le meilleur et le plus illustre de
ses citoyens et de là des pleurs et des sanglots.
Elle s'est fermée, s'écriaient les ndèles, cette
bouche d'or qui nous charmait! Elle restera
muette désormais, cette langue bénie qui dévoi-
lait les secrets des consciences et terrifiait les
hérétiques i –II n'est plus, répondaient les reli-
gieux de Sainte-Marie et les moniales de l'Ar-
cella, cet apôtre qui était une des colonnes de
l'Ordre, ce thaumaturge qui consolait toutes les
douleurs! a
Aux larmes succédèrent bientôt les contesta-

I. SICCO POLENTONE, apud HoROY, t. VI, p. ~9.


2. Legenda pftnict, p. Il, c. n. Cf la Legenda se-
cunda, c. !!I, et JEAN RIGAUD, C. IX.
3. Legenda pruna;, loc. cit.
tions. Les reliques du Bienheureux étaient un
trésor dont les Clarisses et les Mineurs, les
faubourgs et le podestat de Padoue se dispu-
taient chaudement la possession. Mais le Saint
qui avait apaisé tant de querelles, finit par cal-
mer également celle-ci. Le désir qu'il avait ma-
nifesté de mourir au milieu de ses Frères, pré-
valut sur toutes les compétitions; et après
quatre jours de débats, l'évoque d'Assise, ju-
geant en dernier ressort, adjugea le précieux
dépôt à la résidence de Sainte-Marie, qui prit
un peu plus tard, comme corollaire de la cano-
nisation du thaumaturge, le titre de couvent
de Saint-Antoine
Les funérailles eurent lieu dans la matinée du
mardi qui suivit sa mort, c'est-à-dire le ïy juin.
<
Malgré un délai si prolongé, remarque un de
ses historiens, malgré même les intenses cha-
leurs de l'été, le corps béni ne dégageait aucune
odeur cadavérique; tout au contraire, il exhalait
un parfum très agréable, un parfum qui n'était
pas de la terre (i). De l'Arcella à Sainte-Marie
le parcours est assez considérable.La cérémonie
fut longue; elle fut surtout imposante. Le po-
destat et les plus illustres citoyens de Padoue
portaient le cercueil sur leurs épaules. Le clergé,
l'Université, les confréries, tout Padoue était
là. L'évéque, don Jacques-Conrad, présidait. Il
avait tenu à donner ce témoignage public d'hon-
neur et de gratitude à celui qui avait transformé

I. JEAN RIGAUD, C. IX.


son diocèse. Le cortège s'avançait lentement,
à la lueur de mille cierges, au chant des
psaumes et des hymnes sacrées, à travers les
explosions multiformes d'une joie délirante dont
les vieilles chroniques vont nous expliquer le
motif.
«Pendant toute la durée du litige et de
l'émeute dont l'occasion de la sépulture fut l'oc-
casion, écrit l'auteur de la seconde Légende, la
puissance thaumaturgique d'Antoine fut tenue
comme en suspens; mais sitôt que la sentence
arbitrale eut été prononcée et les esprits apai-
sés, cette puissance éclata derechef, et avec
plus d'intensité que jamais (i). Dès lors, pen-
dant le trajet et dans tout le cours de la jour-
née, reprend le premier biographe, tous ceux
qui imploraient le secours de leur inoubliable
missionnaire, aveugles, sourds ou paralytiques,
tous ceux qui touchaient sa châsse, étaient im-
médiatement guéris de leurs infirmités (2). »
Bien plus, au rapport de Jean Rigaud, d'autres
malades, retenus au seuil de Féglise et dans
l'impossibilité d'approcher du cercueil de leur
apôtre, par suite de l'affluence et du remous des
fidèles, étaient quand même guéris, en pré-
sence de la multitude transportée d'admira-
tion (3)
Don Conrad célébra pontificalement la messe
dans la chapelle des Franciscains, et déposa
I. Tempestate sedata. (Legenda secunda, c. iv.)
«
2. Legenda pWnttt, p. H, c. tx.
3. J. RIGAUD, C. IX.
dans ie pourtour du chœur la dépouille de l'ami
q&'il pleurait (t).
JoMmée de demi, de grâces et de miracles î
Jo'urmee 'vrama.ent extraordinaire, q~ii éveilla
l'attention de toute la péninsnie~ Le surnaturel,
qui se trouve à la base de tous les pèlerina,ges~
exerce toujours une irrésistiMe attraction.
L'humanité est
L,'iaur~nit,é ~est. e~pasêe tant de s'(Htj6&'ances
exposée à ~Gaut sauf£ra~c~ et ~'t
a tant ~esom d'e consolations 1 Des processions
régmii'ères s'organisèrentà Padoue; les prodiges
succédèrent aux prodiges, et la.-tombe du tba'u-
maturge, à peine fermée, devint Tum foyer si
constant d'opérations SumatuTelles de tout
gen~e, que l'evêque Conrad s'en émut et qu'il ne
cmt pas taneraire
erut paa téxaêr.a~e ~i~ solliciteri~d~atean,e~
de sw>lli~ci~~ immédiatement,
prés du Saint-Siège, l'ouvertuM de l'enquête
canonique et les honneurs de la eanonisatiom.
De leur eôté~ le podestat et l'Université adines-
saient à lia curie romaine imme requête appuyée
par deux personnages 'emtimentts, dei~x légats
ponti&caux, Emdes de Mont~enrat et Jacques,
évéque ëlu de, Palestrina.
'Ce me fut pas une médiocre consolation po~r
Grégoire IX, a a. milieu des épreuvesdont sam
c<ïiHr était a~remvé, d'entendre
le .récit de vertns
Mroïqmes et de prodiges édatants qai ressME~i-
taient toutes les merveilles de l'Église primi-
tive. H <ordommade ccan.tneneer., sans pins de
detai., les in&trmatums ;uridiqu:es et institma. à
cet effet deux Commissions pontificales l'une

I..Le~enda prima, p. 11,


c. vm.
à Padoue, composée de don Conrad, du Prieur
des Bénédictins, Jourdain Forzat~, et du
Prieur des Dominicains l'autre À Rome, et
celle-ci était présidée par on cardinal français,
Jean d'Abbevill'e,moine de Cluny, stMcessive-
ment abbé de Saint-Pierre d'Abbeville, arche-
vêque de Besançon et évêque de Sabine ~).
Au bout de six mois, les dépositionsétaient
estendues, l'<eïiq~t<e termmée et par u.ne excep-
tion peut-être unique dans !"h.iston'e, le succes-
seur de Pierre promulguait solennellementie
décret de canonisation, moins d'un atl après ia
mort du serviteur de Dieu exception fondée
sur des mott& qu'il a pris soin lut-ïnême d'in-
seMrdans la bulle C~~ ~~6~(2~ < Ayant eu le
bonheur, y d<ec~M't- de connaître l'meompa-
rable apôtre quêtait le bienheureux Antoine et
de jouir de la douceur de ses entretiens, nous
avons pu apprécier par nous-tmênM la sublimité
d'une vie toute merveiUeuse et toute sainte; et
nous ne voyons pas qu'il soit prrvé d'es nom-
mages de terre, lorsque ciel i-ai-méme le
glorifie par tant et de si grands miracles.
La cérémonie'eutlieuà Spoléte, Ie3o mai ïaSs,
au mûieu. des solennitésde la Pentecôte, La ca-
thédrale de Spolète était respl~ndiss~Tite de lu-
mières et toute pavoisee de l'image duBlenheij).-
reux. Aussi ~ien n'avait-eHe jamais vu pareil
ï. jt.~6N~a! pMKM!, p. H, C. Xt.
a. ApudActa S. S., l3 juin. -L'original de cette bùlle
fait pMtiB trésor de la basMtque itmteiB.taMte de
Padoue.
spectacle. Grégoire IX présidait dans toute la
magnificence de la majesté pontificale, entouré
des cardinaux, de nombreux prélats et abbés
mitrés, des délégués de Padoue et d'une foule
innombrable, accourue de tous les points de
l'Ombrie. Sur son ordre, un clerc donna lec-
ture, du haut de l'ambon, des cinquante-trois
miracles dûmentconstatés par l'enquête pado-
vanaise deux résurrections de morts et cin-
quante et une guérisons de différente nature.
Lorsque le clerc eut terminé, il y eut un long
frémissement dans tout l'auditoire, et le pon-
tife lui-même, à la vue d'une si magnifique
effloraison de surnaturel, se sentit grandement
réconforté. Puis, se levant de son trône, les bras
et les yeux au ciel, il prononça lentement la
sentence irréformable qu'attendait l'assis-
tance
«
A la gloire de l'auguste Trinité, en vertu de
l'autorité apostolique, et après avoir pris conseil
de nos frères les cardinaux, nous inscrivons le
bienheureux Antoine au catalogue des Saints,
et nous fixons sa fête au i3 juin (i). »
Il entonna ensuite le Te DeMm, puis l'an-
tienne 0 doctor optime, saluant ainsi publique-
ment, dans le nouvel élu, le défenseur de la divi-
nité du Verbe incarné, le vengeur de la Présence
réelle, l'apôtre des prérogatives de Marie, non
moins que lethaumaturge et le saint. Cependant
notre Bienheureux n'a point l'auréole des doc-
I. Legenda prima, p. II, c. xm. Cf. la Legenda se-
cunda, c. v J. RIGAUD, C. IX.
teurs; l'Église n'a point jugé à propos, jusqu'à
ce jour, de lui décerner ce titre glorieux. Elle
permetseulement (et c'est une exception unique
dans la liturgie) qu'on récite au jour de sa fête
la messe réservée aux docteurs (i).
L'apothéose et les ovations de Spolète se ré-
percutèrent dans toute l'étendue de l'univers,
excitant un enthousiasme indicible partout où
avait passé le grand missionnaire, à Toulouse,
à Limoges, à Brive, à Bologne, à Rimini. Deux
villes pourtant surpassèrent toutes les autres,
et se surpassèrent elles-mêmes, dans l'expres-
sion à la fois religieuse et patriotique de leurs
hommages, celle qui lui a donné le jour et celle
qui garde ses ossements, Lisbonne et Padoue.
D'abord Padoue, qui attirait sur elle, dans la
circonstance, les regards du Saint-Siège et de
toute la chrétienté. Dès le i* juin, Grégoire IX
adressait aux habitants une épître particulière,
très honorable pour eux, d'où nous extrayons
les passages les plus marquants.
<
Nous'avons reçu avec une aifection toute
paternelle vos députés et votre supplique, au
sujet de la cause du bienheureux Antoine.
Dans les choses de cette importance, vous le
savez, le Saint-Siège ne précipite rien, et il ne
se décide qu'après de longues et mûres délibé-
rations. Mais par déférence pour la vivacité de
votre foi et pour votre attachement soit à notre
personne, soit à l'Église romaine, nous avons

t. Décret de Sixte V (t587).


14
cru devoir abréger les délais ordinaires, et
après avoir pris l'avis de nos frères les cardi-
naux et de tous les prélais qui nous entourent,
nous avons inscrit au catalogue. des saints
l'humble religieux dont vous possédez la dé-
pouille mortelle. Vbu!s?tt que la c~B de .PadoMe
MHe cowtNte ta ZM~ërcjptacee SMr techa~deHer
et devienne l'exemplaire des cites voisines, nous
vous conjurons et vous enjoignons, comme
moyen d'obtenir la rémission de vos fautes, de
persévérer dans la crainte du Seigneur non
moins que dans votre inviolable dévouement au
Siège apostolique. De notre côté, nous n'épar-
gnerons rien, Dieu aidant, de ce que nous sug-
gérera notre vive affection. pour vous, pour
promouvoir votre bien tant spirituel que tem-
porel..
Donné à Spolète, le ï~' juin, la sixième an-
née de notre Pontincat (i). »
Dans la bulle de canonisation, qui suivait de
près cette lettre, Padoue n'était pas oubliée;
GrégoireIX y insérait la publication d'une .fa-
veur spirituelle qui était comme la reconnais-
sance du pèlerinage, antonien. t Désirant,
ajoutait-il, que le sépulcre du thaumaturge qui
fëmpH~ r~Mse universelle de l'éclat de ses mi-
~ecc~es, soit l'objet de la vénération publique,
:;nous accordons, en vertu de la miséricorde
divine et de l'autorité des bienheureux apôtres
~Pierre et Paul, une indulgence d'un an, à perpé-

i. Acta S. S., bref I<ttteft(s,i3 juin.


tuité, à tous les fidèles qui, vraiment contrits et
confessés, visiteront son tombeau, le jour de
sa fête ou durant Foctave (i). s
Aussitôt après la réception des lettres ponti-
ficales, les Padovanais se mirent en demeure
d'entourer pour la première fois des honneurs
liturgiques celui dont ils ne devaient plus en-
trevoir l'image qu'à travers les fumées de l'en-
cens, les lumières et les neurs. Les préparatifs
furent terminésà temps, au gré de leurs désirs,
et les fêtes annoncées eurent lieu le 18 juin is32,
un an, jour pour jour, après la mort du thau-
maturge. Elles furent splendides, supérieures à
toute description. Les habitants ne se possé-
daient pas de joie. C'étaient des fils acclamant
leur père, des captifs remerciantleur libérateur.
Dans l'enceinte de l'église, fastueusementdéco-
rée, des milliers de voix chantaient
Cieux et terre, océans immenses, [gneut,
Et vous toutes, créatures de l'univers, bénissez le Sei-
Qui, en multipliant les mirae!es d'Antoine,
Accroit dans les esprits l'espérance de la vie future (2).

Au dehors, à travers les rues tapissées de


tentures, de verdure et de fleurs, pleine effusion
et mille transports d'allégresse. On s'arrêtait,
on se félicitait mutuellement. Ce n'était pas seu-
lement de l'enthousiasme, c'était la délirante
ivresse d'une reconnaissance et d'un amour
incapables de se satisfaire; et dès le lendemain
j. Bulle Ctttn dicat, du 3 juin MS,t.
2. Hymn. liturg. francise.
de ces fêtes, le sénat projetait d'ériger en l'hon-
neur du saint thaumaturge un monument digne
d'abriter ses ossements bénis.
Mêmes splendeurs un peu plus tard sur les
rives du Tage. L'apôtre franciscain n'était-ilpas
le Saint de Lisbonne, avant d'être le Saint de
Padoue? Mais, sur la terre natale, la présence
de la famille imprimait à l'explosion des senti-
ments un cachet plus intime et plus péné-
trant (i). Présence qu'il nous sembleimpossible
de révoquer en doute, bien que les documents
primitifs n'y fassent aucune allusion.
Dona Maria était-elle encore de ce monde?
Rien ne nous permet de l'affirmer. Dans tous
les cas, la gloire du fils rejaillit sur le front de la
mère et la suivit au delà de la tombe. Sur le
marbre de son sépulcre, on grava une épitaphe
plus éloquente dans son laconismeque les pané-
gyriques les plus glorieux
.Htc jacet mater S..A~toMM
CI-GIT LA MÈRE DE SAINT ANTOINE (2).

La mère d'un Saint! Honneur à ses cendres!


Nous n'avons garde d'oublier la première
famille spirituelle du thaumaturge, les cha-

i. Voir AzÉvÉDO, 1. II, c. xm, et Dissertations.


2. Acta S. S., vita anon., c. n. b. Le corps de la
noble dame fut transporté, en 1453, par l'ordre de don
Juan, évêque de Lisel, dans la chapelle du monastère
de Saint-Vincent, où il a été récemment découvert par
un archéologue portugais. L'inscription est gravée en
caractères gothiques.
noines de Saint-Augustin. Ils s'étaient montrés
fort irrités de son départ, et n'avaient pas craint
d'exprimer tout haut leur mécontentement.
Mais ne leur avait-il'pas dit, en les quittant
t Lorsque vous apprendrez que je suis devenu
un saint, vous en bénirez le Seigneur. Son
mot d'adieu était une prophétie. Dès qu'il fut
placé sur les autels, le vent de la discorde se
calma subitement, et les chanoines rivalisèrent
de zèle avec les Franciscains pour chanter les
louanges de leur ancien collègue. Depuis cette
époque, un lien sacré et jamais rompu, le lien
d'une fraternelle et réciproque amitié, unit les
deux familles religieuses, et cette union se tra-
duit par un usage touchant, six fois séculaire.
Chaque année, le i3 juin, un chanoine de
Sainte-Croix de Coimbre monte à Saint-An-
toine d'Olivarès, prononce le panégyrique du
Bienheureux et préside tous les exercices du
couvent, pour rappeler aux jeunes générations
que de Sainte-Croix est sorti un des plus beaux
génies du moyen â~e, une des lumières de
l'Ordre séraphique (i)
i. Expressions d'un évêque, don Antonio de Serpa
(l656), gravées sous le porche de la chapelle d'Olivarès.
CHAPITRE XIV

PADOUE ET LE SAINT

«
Depuis que le thaumaturge est inscrit au
catalogue des saints, écrivait au xm" siècle lé
chroniqueur padovanais, il n'a cessé de se
montrer l'ange tutélaire, l'espoir et le protec-
teur, le refuge et le patron de notre cite. Plaise
au ciel qu'il le demeure toujours (i) an
Le désir du chroniqueur s'est pleinement réa-
lisé. Padoue est comme Assise, un de ces
lieux qu'une seule pensée remplit, qui vivent
d'une tradition, d'un tombeau. Sans doute
cette cité savante n'a oublié ni son fondateur
Anténor, ni Tite-Live, qu'elle vit naître, ni son
Université, vieille de six cents ans. Mais ce
qui fait l'orgueil du peuple, c'est le souvenir de
saint Antoine, le disciple bien-aimé de saint
François (2)..
Le puissant thaumaturge est vraiment le
Saint de Padoue. Là, tout parle de lui, les
monuments et les hommes tout conduit à son
sanctuaire, tout chante ses gloires, tout redit,
sous une forme ou sous l'autre, l'inscription
gravée au-dessus de sa châsse
t. ROLANDINO,Rer. ital. script., t. VIII, p. ao3.
2. OZANAM, les Poètes franciscains, c. Ut.
JDtDO..AHto!MO. eoK/'essorï. sacrum.
RP-PA.PO.
A SAINT ANTOINE CONFESSEUR
La jR6pM&H~M6 de Padoue.
Sa basilique est un des joyaux de l'Italie (i).
Édifiée, croit-on, sur les plans de Nicolas de
Pise, mélange d'art ogival et d'art byzantin,
avec son dôme, ses coupoles ajourées et ses
élégants campaniles, elle produit un effet sai-
sissant. Chef-d'œuvre d'architectureauquelont
travaillé tous les siècles, elle renferma toutes
sortes de richesses artistiques des bas-reliefs
de Sansovino, des bronzes de Donatello, des
fresques de Mantegna et du Titien, etc. Trente-
six lampes d'or brûlent jour et nuit devant la
châsse. L'autel du Saint, en marbre de Carrare;
n'a pas d'égal dans toute la péninsule. Œuvres
de génie, œuvres admirables, mais bien pâles,
si on les compare au trésor qui les a inspirées!1
Le dôme lui-même nous en avertit, et sur ses
parois on lit le vers suivant
Gaude, yMRB .F*<t<ÎMe~
QtMï tKesa'ttfNtn poMM<e*.
Réjouis-toi, heureuse Padoue,
De posséder un tel trésor (a) r
Le trésor, de la vieille cité, ce sont les reliques
i. Les travaux de construction furent commencés
en ia33, abandonnés cinq ans après, par suite des
malheurs de la patrie, et repris en 1269, puis en !&)?. Le.
dôme du chœur date de 1424, et la chapelle actuelle du
Saint, de i532.
s. Off. du Safint, ant. du .B~ecHetMs.
du Saint, cette langue incorruptible qui n'a
cessé de louer Dieu, ces mains qui ne se sont
étendues que pour bénir, ce corps purifié par
la pénitence et transfiguré par 1,'amour qui par-
fois exhale une odeur céleste, gage de sa résur-
rection glorieuse.
Les Padovanais ont eu conscience, dès le
principe, de la valeur dû dépôt confié à leur
garde; et le reliquaire de marbre qui le renferme
n'est pas autre chose que le fruit des sacrifices
de dix générations, qui ont jeté là le meilleur de
leur âme. Cette splendide basilique n'est pas,
en effet, l'œuvre d'une famille plus opulente,
mais de tous et de chacun. Elle nous apparaît
ainsi comme l'âme de la vie publique, le centre
des arts et quelquefois le dernier refuge de la
liberté. Son histoire carelle a une histoire
s'entremêle aux principaux événements du
pays; et chacune de ses colonnes, chacune de
ses peintures nous raconte les joies ou les
deuils, les défaites ou les victoires dont elle a
été témoin.
On sait combien les Padovanais sont atta-
chés à leurs franchises municipales. Ils veillent
avec plus de soin encore s.ur tout ce qui touche
à < leur Saint sanctuaire, archives, transla-
tion ou distribution de reliques. Aussi, grâce à
leur ~èle, nous ëst-il facile de suivre, à travers
les âges, l'histoire posthume de l'apôtre fran-
ciscain.
Commençons par le récit des trois transla-
tions que nous offrent les annales delà basilique.
La première nous reporte au 7 avril ia63. C'était
le jour choisi pour exhumer les ossements du
thaumaturge et les transférer dans le sanctuaire
bâti en son honneur (i). Saint Bbnaventure,
alprs Général de l'Ordre,présidait la cérémonie.
Quand on ouvrit le cercueil, un spectacle inat-
tendu s'offrit à ses regards. Les. chairs étaient
réduites en poussière la langue seule était
intacte, fraîche et vermeille comme celle d'un
homme vivant. En présence d'un phénomène si
extraordinaire, le Docteur séraphique ne put
contenir son émotion. Il prit la langue dans ses
mains et s'écria, en la baisant avec respect
« 0 langue bénie, qui n'as cessé de louer Dieu et
d'enseigner aux autres à le bénir, c'est mainte-
nant qu'on voit clairement combien tu étais
précieuse à ses yeux (2)! » Puis il en confia la
garde aux magistrats de la cité, pendant que le
Si ~M~e~s miracula, cette gracieuse cantilène
due au talent du Frère Julien de Spire et si bien
appropriée à la circonstance, s'échappait pour
ainsi dire tout naturellement des lèvres des
religieux (3). Peu de temps après, cette langue

I. L'emplacement du tombeau est à découvert et


marqué de l'initiale de Loculus. Le corps de Luc Bel-
ladi se trouve à côté. Voir Il Santo di Padova, rivista
scientifica, t. I, pp. l56 et 212.
2. Liber miracul., n. 69. Le récit de JEAN RIGAUD
(c. vin) contient en substance les mêmes données.
SALIMBÉNÉ (C~r~ntgMe de Parme, p. 228) mentionne in-
cidemment, d'un mot, la translation de ia63.
3. Longtemps attribué à saint Bonaventure, le Si
gttasfM ou Répons miraculeux est en réalité l'oeuvre de
JuuEN DE SPIRE, ancien maltre de chapelle de saint
bénie, dont les pèlerins du xx" siècle peuvent
encore constater la roifaeuleuse incorruptibi-
lité,, tcette langue imtnorteHe et paissante, qui
remua plus d'hommes, et surtout plus profon-
dément, que celles de Cicéron et de Démos-
thène (i) était enfermée dans un reliquaire
étincelant d'or et de pierreries, shef-d'œuvre de
la joaillerie médiévale.
La translation de 1263, étant la première et
la plus solennelle, méritait d'être racontée tout
au long. Quant aux deux autres, il nous suffira
de les mentionner brièvement. Le 20 juin i3io,
la basilique étant à peu près achevée, la châsse
y est portée par les soins du Général Gonzalve
de Valbonne; le i~ février i35o, le cardinal de
Montfort la pose sur l'autel qu'elle orne encore
aujourd'hui (2). Ennn, quatre siècles après, le
20 juin r~5, le cardinal Rëzzonico évêque
de Padoue avant de monter sur le trône ponti-
fical sous le nom de Clément XIII ouvre la
châsse, fait la reconnaissance des reliques et
y appose son sceau pour attester une fois de
plus leur authenticité,
Outre les difFérentes étapes parcourues par la
dépouillemortelle du Saint, les registres de la
basilique ont noté avec une minutieuse exacti-
tude la distribution des reliques primaires et,

Louis. Vcm sur ce pomt l'étude dm R. ï~. Perdinatiid-


Marie d'Araules (J. Rte.MtB,, p. iSQ).
I. Mgr &a<tBM.
.a. Bm i35ï, le Chapitre génëMl. d& E.yo.n Sxa an
iSf~rier la, c<HmmëmoMus&mde oes trMS ttan~atioms..
leur destination respective. Ces distributions
sont d'ailleurs assez rares (tant la ville de
Padoue tient à son trésor !) et elles n'ont lieu
qu'à la requête de quelque grand personnage ou
bien en souvenir de quelque événement mémo-
rable.
En ia63, on détache du corps deux petits osse-
ments, une partie des cheveux et la peau de la
tête et c'est là comme la réserve qui sert à ali-
menter la piété des ndèles. En i35o,le crâne est
apporté à Cuges, nous verrons bientôt à quelle
occasion. Vers l'an 1248, une parcelle desreliques
de la réserve est remise à don Pedro, fils de
Jean P", roi de Portugal. En 1679, Sébastien,
roi de Portugal, obtient un os du bras de
même~ l'impératrice Anne d'Autriche~ en i58o,
et l'archiduc Ferdinand d'Autriche, en iSoy.
L'année suivante, l'évêque d'Assise, voulant
témoigner sa gratitude à la reine Élisabeth de
France, épouse de Philippe II d'Espagne, lui
envoie une relique insigne, l'os supérieur du
bras. Cette relique, apportée d'Espagne dans
les Frandres par l'infante Isabelle, est échue en
partage à l'église paroissiale de Couillet, près
de Charleroi, dans le Hainaut. En 1609, Mar-
guerite d'Autriche, femme de Philippe 111 d'Es-
pagne, sollicite à son tour une petite parcelle
des reliques du Saint. L'année t65s voit accou-
rir le doge de Venise un fragment de bras lui
est accordé, et Venise, la reine de l'Adriatique,
battue par les Ottomans et tremblant pour son
empire maritime, se place par un vœu national
sous le puissant patronage du thaumaturge de
Padoue. A Bourges, l'église Saint-Pierre-le-
Guillard s'estime heureuse de posséder depuis
i8o3 un fragment assez notable des ossements
de l'apôtre franciscain et le monastère de l'As-
somption, à Paris, un os du bras, depuis 1806.
Reliques bénies qui s'en,vont répandre au loin
la bonne odeur du Christ et faire germer dans
les cœurs, sous toutes les latitudes, les vertus
dont saint Antoine est plus particulièrement le
modèle.
Padoue, qui fut le berceau du culte antonien,
en demeure le centre toujours fécond. Plus
heureuse que Lyon, qui pleure et cherche en
vain les restes mortels de saint Bonaventure,
elle conserve intact, sous les majestueuses cou-
poles de sa basilique, l'héritage que lui a légué
le moyen âge:à gauche, surun autel resplendis-
sant de marbres et de dorures, le corps du
Saint puis, dans la chapelle absidale, en des
reliquaires à part, la langue, la mâchoire infé-
rieure, un os du bras, un doigt, une dent, les
cheveux et la peau, une tunique, un amict, un
manipule et le manuscrit des Sermons dont
nous avons rendu compte plus haut (i).
La vieille cité est la première à recueillir le
bénéfice d'une piété qui ne compte pas avec les
sacrifices. Les cendres des élus recèlent, en effet,
un principe de vie (2). Sous la rosée de la prière,
i. B. GONZATI, Trésors de la basilique de S. jLM~ot~
Padoue, i852.
2. Prophetarnm ossa pullulent. (Ecc! xnx, la.)
elles s'agitent, elles germent, elles s'épanouis-
sent en fleurs fleurs célestes, bienfaits d'ordre
privé, bienfaits d'ordre public, faveurs surnatu-
relles de toutes sortes. Avec saint Antoine, elles
sont innombrables. Nous n'en voulons choisir
que deux, l'une d'ordre privé, l'autre d'ordre
public, et encore plutôt à titre d'édification que
de preuves.
La première nous offre le touchant spectacle
d'une mère en deuil. Elle habitait tout près du
sanctuaire primitif du Saint. Son enfant, un
joli bébé de vingt mois, qu'elle appelait avec
amour Thomasino, était tombé dans un bassin
et s'y était noyé. Affolée de douleur, mais en
même temps pleine de cette foi qui transporte
les montagnes, elle promit à saint Antoine,
s'il lui rendait son enfant (et c'est le pre-
mier exemple de ce genre de dévotion), de
donner aux pauvres une mesure dé froment
égale au poids de son fils. Puis, elle pria longue-
ment, jusqu'à minuit. A cette heure, le petit
Thomasino sortit tout à coup des ombres de la
mort et tourna ses beaux yeux, où était rentrée
la lumière avec la vie, vers l'auteur de ses
jours (i). On devine le reste, quoique l'hagio-
graphe ne le dise pas; c'est que, dans la maison,
le deuil fit place à une joie inexprimable.
Voici l'autre fait, l'événement politique de
haute portée, avec les circonstances précises
i. J. Rt&AUf, c. x (d'après le recueil du Frère Pierre,
lecteur à Padoue). Voir la Préface. Cf. Liber miracu-
lorum, n. 63.
dont l'a entourélenarrateur, Salimbéné, célèbre
chroniqueur du xin~ siècle. En 12~.6, Padoue
était assiégée par le farouche Ezzélino III, qui
avait juré de venger dans le sang des magis-
trats et des citoyens leur refus de reconnaître
son autorité. Ayant réussi en rz~g à s'emparer
de la ville, il lui imposa un podestat de son
choix, son propre neveu, Ansedisio Guidotti,
qui, marchant sur les traces du tyran, commit
toutes sortes d'atrocités et fit décapiter sur la
place publique un descendant de don Tiso,
Guillaume de Campo-Sampiéro, un jeune
homme de vingt-six ans, coupable de n'être pas
gibelin (14 août ia5i) La terreur régnait sur
les deux rives de la Brenta. Dans leur dé-
tresse, les habitants en appelèrent à leurs deux
meilleurs défenseurs, le Souverain Pontife et
saint Antoine. Ni l'un ni l'autre ne leur firent
défaut.
Alexandre IV proclama la croisade contre
le Néron de la Vénétie; et à sa voix, les répu-
bliques voisines, Bologne, Venise, Ferrare,
Mantoue, Frères-Mineurs et tertiaires en tête,
prirent la croix avec un véritable enthou-
siasme (i356). Les croisés guidés par Philippe
Fontana, archevêque de Ravenne et légat du
Saint-Siège, vinrent camper sous les murs de
Padoue. A leur tête était Boniface, marquis
d'Este, et Tiso Novello, parent de la victime
du i~ août. D'un autre côté, l'ange tutélaire
dont ils avaient imploré l'assistance, saint
Antoine, ne tarda pas à venir à leur secours.
Une nuit, il apparut au Gardien des Mineurs,
Frère Barthélémy, agenouillé sur son tombeau,
et lui annonça qu'à l'octave de sa fête, la ville
serait délivrée. Réconfortante prophétie que
jnstifièrent les événements. Le 19 juin ia56, en
effet, l'armée des croisés s'ébranlait; le fran-
ciscain Clarello de Padoue, le crucifix à la main,
les lançait au combat, en leur criant « En
avant, au nom du Christ, de saint Pierre et de
saint Antoine de Padoue Le soir, ils étaient
maîtres des faubourgs et le lendemain, le légat
pontifical entrait triomphalement dans la ville,
au milieu des acclamations populaires (i).
Enfin, après sept années de despotismeet de
tyrannie, Padoue était libre Le nouveau po-
destat de la ville et le sénat n'oublièrent point,
dans l'ivresse de leur joie, le Saint auquel ils
devaient une délivrance si longtemps atten-
due. A titre de témoins du bienfait et d'or-
ganes de la reconnaissance publique, ils dé-
crétèrent que leur céleste libérateur serait le
premier patron de la cité, qu'on lui offrirait une
statue d'or représentant la ville, avec une rede-
vance annuelle de 4.000 livres pour l'achève-
ment de son sanctuaire, et que chaque année,
l'anniversaire de la délivrance, le 20 juin, serait
une fête à la fois religieuse et nationale. Trois
ans après, toujours dans la même pensée de
confiance et de gratitude, ils firent peindre les
SALiMBÉNÉ, Chronique de Parme, p. soi Ro-
LANMNO (apud MURATORI, Rer. ital. script., t. VIII).
Gf. Il Santo dt Padova, 1.1, p. i56.
armes du Saint sur le caroccio de Padoue (i).
Padoue a le culte des souvenirs, et, depuis
cette époque, le 20 juin est pour elle, quoique
avec moins d'éclat, ce qu'est le 8 mai pour
Orléans, la ville privilégiée de Jeanne d'Arc.
Quant au Néron de la Vénétie, Ezzélino,
furieux de l'échec innigé à ses armes et de la
perte d'une place aussi importante que Padoue,
il se rabattit sur les terres de la Lombardie, les
ravagea pendant le cours de trois années et
périt misérablement à Soncino (i25o), honni de
tous (2).
Libération de territoire ou autres secourspro-
videntiels, dans toutes ces fa veurs chose
facile à constater la ville de Padoue a la
meilleure part. Elle le sait, elle se plaît à le pro-
clamer et si le fameux répons de Julien de
Spire, le Si ~MaTM wuracM~ est devenu chez
elle un chant populaire, compris de toutes les
générations, toujours plein de fraîcheur, tou-
jours nouveau, c'est qu'il est un hymne d'ac-
tions de grâces pour des bienfaits dont la liste
ne se ferme jamais.
Ainsi la mort n'a point brisé les liens d'affec-
tion touchante et réciproque qui unissaient le
thaumaturge à sa patrie adoptive. Padoue
demeure sa ville privilégiée, aussi bien lors-
qu'il est couronné dans la gloire que pendant sa

I. Le caroccio (char militaire) était l'emblème de l'in-


dépendance des républiques italiennes.
2. ROLANDINO (apud MURATORI, !oc. cit., p. 35l).
Cf..H Santo di Padova, p. 219.
-vie mortelle. C'est sur elle qu'il verse, du haut
du ciel, les prémices de ses bénédictions c'est
à elle qu'il fait sentir les premiers effets de sa
puissance et de sa bonté. Qui s'en étonnera ?
N'a-t-elle pas été la première à lui rendre le
culte d'invocation dû aux serviteurs de Dieu?
Et n'est-ce pas à elle qu'il a conné la garde de
son tombeau ? Elle jouit donc d'une prédilec-
tion justifiée, qui se prolonge, sans s'affaiblir,
à travers les âges, mais sans que les autres
pays aient lieu d'en être jaloux car les faveurs
les plus signalées ne se multiplient pas moins
ailleurs que près de la châsse du thaumaturge.
Cornaglio, petite ville de la province de Ferrare,
nous présente un miracle de premier ordre
la résurrection d'un enfant qui s'était noyé dans
un lac (i) Bologne (1617), la transformation ra-
dicale et instantanée d'un nouveau-né, d'une
monstrueuse difformité, en un poupon plein de
grâce et de charmes récompense de la prière
persévérante d'une mère (a); Naples (1682), la
guérison d'une malade, Judith Blanca, atteinte
d'un ulcère qui avait résisté à tous les efforts
de l'art et qui disparaît totalement, subitement,
à la suite de la promesse faite par Judith d'aller,
pendanttreize mardis consécuti fs, prier dans la
chapelle du thaumaturge (3).

I. Ce trait fait partie du Procès de canonisation (Le-


genda prima, p. II).
3..AetaL Sanctorum, 13 juin: Analecta, n. jsg.
3. Ibid., loc. cit. La dévotion des treize mardis a
été enrichie d'indulgences plénières.par Léon XIII. -Le
i5
I.es reeueHs de Bologne et de Naples, de
France et de Belgique, les annales antoniennes
de Lisbonne et de Rome, renfermentcent autres
prodiges non moins merveilleux, dépassés eux-
mêmes par un privilège plus extraordinaire
encore, celui de faire retrouver les objets per-
dus (ï). Privilège permanent, universel et
dûment constaté par les graves BoBandistes.
Les dépositions des bénéËciaires, à ce sujet,
sont si nombreuses, si convaincantes, que ce
serait folie de vouloir les reléguer parmi les
mythes. « J'ai souvent expérimenté par moi-
même, dit l'un d'eux, le privilège de saint An-
toine, et je puis, dans une certaine mesure,
appliquer au célèbre Franciscain ce que saint
Bernard a dit de l'auguste Mère de Btieu Que
o~Ma~à cess~M~ ? ~!oyt6M<E: ~Mmee-
fMr~e~ ~Mt 0M< ttM~!&~ ton ëtss~s~~ee aM~c ~esy~s
de ~~e~~ t~M~ jMts se&aMrMs (a).
ÏUM'M paratt ètr~ le jour ptéféré du thaumaturge, sans
doute en souvenir de ses gtorfeuses ftmératMes.
t. ~tefa StMeta~MM~ tSjtun.; t<msî LENTï~ A~~a. <m-
t<M!A<mc. St~atoas Mt ea passant, deux Mis bien
aitëchants, en ce sens qu'Os se rapportent à la famine
du Saint, mais que noM B:àv&R& p~s ose. ~nsë're.r êans ïe
<SFp% du! ~<at, paKe- qw t% ~.a4, cta~me tes. ~Mia, as
rep.o.se que su.r rsmtQr]:~ du. L~er mtt-acM~ot-u.~ (n. 41.).
Dans le premier, il s'agît d'une résurrection, cette d'un
neveu du thaumaturge, <t AppM*Mo, tts de domet FeB-
ciana dans le second, d'une vision où le Bienheureux
n
apparaît à son autre sœur, dona Maria, et la convie
aux noces ëteMaeBës Riea tà-de~am& d'imposaiMe
mais il faudrait d'abord prouver que- le thatMoatu'rge' a
eu deux soeurs, fetMaiM et Mapia.
a. Témoignage de e~îHaT)!m& Pépin, docteur de. l'Uni-
versite. de P&Fis (J. M LA M'AyE, ~~M S. ~t.).
La mission des saints et c'est là leur
yéefMmpense– se prolongeindeSminent an detà
de la tombe. Saint Amt~ïne a été apôtre, um
apôtre hors ëgme, pendant sa vie; il ie demeure
toujours, même aprè& sa mort. Du fond du-
sépulcre, il rend encore témoignage à la vérité,
il remue toujours les populations; il les force à
croire au mystère d'une Providence qui gou-
verne le monde avec ordre et sagesse, et les
prosterne, repentantes, aux pieds du Christ
victorieux. Non, la parole de Grégoire IX,
pour être vieille de six siècles, n'a rien perdu
de son actualité. « Le surnaturel qui fleurit sur
la tombe des élus, dit-il dans la bulle de canoni-
sation, est encore une prédication. Par ]à, Dieu
confond la malice des hérétiques (i), confirme
la vérité du dogme catholique, réveille la foi
prête à s'éteindre et ramène, non seulement les
chrétiens égarés, mais les Juifs et même les
païens, aux pieds de Celui qui est la voie, la
vérité et la vie (2). x
On ne saurait trop méditer ces réflexions
philosophiques, qui résument en termes si
précis l'économie de la Providence surnaturelle
dans la répartition des Heurons immatériels
dont elle se plaît à orner, selon les besoins des
temps, le diadème des Élus. Nous laissons ce

i. Allusion aux néo-Manichéens.


2. <' (Dominus) signa faciens et prodigia, per quœ pra-
vitas confundatur heeretica et fides catholica confir-
metur. De quorum numero fuit B. Antonius. Bulle
Cum dicat (Acta S. S., :3 juin).
soin au lecteur. Pour nous, il nous faut, sans
nous attarder davantage, aller de l'avant, pour-
suivre l'histoire posthume de notre héros, et de
Padoue, sa patrie adoptive, passer en France,
son autre pays de prédilection.
CHAPITRE XV

SON CULTE EN FRANCE

En France, il y a trois lieux, entre tous, qui


méritent d'être visités, parce que la dévotion de
nos pères pour saint Antoine y a laissé une
empreinte ou plus profonde ou plus visible. Ce
sont les grottes de Brive, puis les villes de Cuges
et dé Bourges.
D'abord les grottes de Brive. Immédiatement
après la canonisation du Saint, remarquent les
chroniques locales, elles furent consacrées à
l'honneur de l'apôtre qui les avait sanctifiées de
ses larmes et de ses prières, et devinrent un
centre de pèlerinage renommé dans tout le
Midi (i). Ce pèlerinage, deux fois interrompu
par la violence des persécutions, en i565 par
les calvinistes, en 93 par les septembriseurs,
a été réintégré de nos jours par Mgr Berteaud,
et les enfants de saint François sont rentrés
en possession de la colline qui excitait leurs
pieuses convoitises (2). L'illustre évêque de
Ms. de (apud BONNÉLYE, p. 193).
1662
a. Dans une des trois grottes, un beau groupe de
martyrs attire les regards du pèlerin. Ce sont les Pères
Antoine de Bellevue et Étienne de Borde, mis à mort
par les Huguenots, le 20 avril 1565, pour avoir soutenu
le dogme de la Présence réelle et la suprématie pon-
tincale.
Tulle prononçait, & cette occasion, le 3 août
1874, une brillante allocution que nous sommes
heureux de pouvoir reproduire ici.
«
Sur ce rocher solitaire, disait-il, des foules
nombreuses venaient s'agenouiller et prier. Je
viens aujourd'hui, moi l'évêque de ce diocèse,
reprendre possession, au nom de l'Église, de ce
sanctuaire vénerie, de-cette céleste coïËBe.'O'ui,
possession, ce qui veut dire'dans le sens<etym<a-
logique du mot sess-M~ de pied, s~ssM) pefKs.
C'est ainsi que les Romains -prenaient poss'es-
si'om de ~eurs nouveH~s conquêt'es.Mais ce n'est
pas seulement par les pieds que je prends
possession de ce li<eu béni, c'est par le cœur,
c'est par la t~te J~e me rappelle ~exempi~ du
Prince des Apôtres, qui ~utcrucime latêteeTi
bas, et ce ne fut pas sans raisoTi. C'est par la
tMe, ~st-à-~âire par ricteHigence, qu'il voulait
prendre possession 'de RoBie et du monde.
EhM~nl ces lieux cni été témoins des s<mpirs.{y
embrasés d'un amant passionnédu Christ, d~un
diseur haTmomeux qui chantait si 'bien les
Écritures,que Grégoire IX le surnommarAre~ë ?
du T'estame~t. Ses commentaires sur les pages
divines sont comme une cithare d~or, comme
une lyre harmonieuse, qui redit les hymnes les
plus magnifiques en l'honneur du Verbe in-
carné, L'Enfant Jésus, de son doigt gracieux et
éloquent, avait touche sa lèvre et lui faisait pro-
noncer des syllabes d'or.
« Ce chantre superbe, on l'a surnomme
Antoine de Padoue. Eh bien moi je veux l'ap-
peler Antoine de Ltmo~~ ~~ûme <~ Bru~e. Il
est venu au pays des Lemovices; il a parcouru
ces vallons verdoyants et ces plaines diaprées,
il a prié dans cette grotte délicieuse, encore
embauméede son séjour il s'est désaltère à cette
source limpide qui semble refléter la pureté de
son âme. C'est ici que le doux et suave Antoine
a multiplie les prodiges,
< La première fois qu'il vint au pays
des
Lemovices, ce grand héraut du Christ, il com-
mença son discours par ce texte de l'Ecriture
Ad vesperam demorabitur ~c<Ms, et ad tue~M~t-
KUf~ !~e~Kï. Comme au temps d'Antoine, nous
avons eu, nous avions encore hier des sujets
de tristesse mais nous voyons maintenant
luire l'aurore de jours meilleurs. Des foules de
croyants sillonnent la France dans tous les
sens; elles s'en vont chanter le Christ dans les
sanctuaires vénérés. C'est la foi qui renaît, et
avec elle l'espérance et la vie.
< Je vois à cette
belle fête deux enfants de
François d'Assise, doux et suaves frères d'An-
toine, qui vous ont fait entendre leur parole.
De la tête à ses pieds nus, le Frère-Mineur est
une poésie vivante, et de sa bouche surtout
peuvent sortir des Rèches d'or pour frapper et
convertir le pécheur.
« Allons, enfants de saint François 1 vous
avez acquis aujourd'hui droit de cité dans ces
lieux habités autrefois par l'incomparablethau-
maturge votre frère vous avez droit de cité
dans cette ville de Brive et dans tout mon
diocèse. Répandez-vous dans toute notre
France. Chantez le Christ avec une bouche d'or
que votre éloquence soit suave et persuasive.
N'oubliez pas cependant de fustiger l'erreur
avec des verges de fer. Dieu hait le mensonge
d'une haine parfaite. Il déteste ce qu'il n'a point
fait et ce qu'il n'a pu faire. Perfecto odio oderam
illos. Avec l'erreur, point de transaction."Au-
jourd'hui les hommes ont affirmé un verbe mau-
vais: Firmaveruntsibi sermonem nequam. S'ils
nous laissent chanter le Christ entre l'église et
la sacristie, ils n'en veulent point dans la vie
sociale, comme si, arrivés au seuil de la vie pu-
blique, nous devions rougir des glorieuses
prérogatives que l'Incarnation nous a méritées,
jeter nos royales couronnes et désavouer nos
titres splendides de créments du Christ, de
dieux par participation Pour vous, louez-le
partout, superexaltez-le toujours; vous imiterez
ainsi l'immortel docteur franciscain, Duns Scot,
dont l'Enfant Jésus avait aussi touché les lèvres
harmonieuses, et qui écrivait en tête de son
magnifique commentaire sur l'un des livres des
sentences J~ commendando Christum, ma!o
<
excederè quam deficere. Quand il s'agit de
t chanter le Christ, je préfère, si c'était possi-
«
ble, dépasser le but que de ne pas l'attein-
dre (i).
«
Chantez le Christ; louez-le partout. ya II
vingt-cinq ans que Mgr Berteaud lançait ce
i. Saint Antoine de Padoue, par M. l'abbé BoNNËLYE
(Brive, 1876), p. s33.
sublime appel à tous les échos de la Corrèze.
L'appel a été entendu. « La solitude a germé;
elle a fleuri comme le lis (i). » Les multitudes y
sont venues; elles ont fait entendre tour à tour
d'ardentes supplications et des chants de triom-
phe, acclamé le Dieu des Francs, Celui qui est
la vie et la. résurrection des peuples, et baisé
avec respect la trace des pas de son ndèle servi-
teur saint Antoine de Padoue. C'est un renou-
veau de foi et de piété.
Qu'elles nous ont paru belles, ces grottes
ainsi rajeunies, avec leur parure champêtre
d'algues et de lianes grimpantes, leur couronne
d'ex-voto, leur source miraculeuse et leurs
foules en prière, les foules du moyen âge 1
Des milliers de pèlerins accourus à Brive
depuis leur restauration, nous ne relevons
qu'un nom, celui de Mgr Mermillod, évêque de
Genève, en raison de la sympathie que lui ont
conquise chez nous son talent oratoire et ses
malheurs. En 1877, il venait, lui la victime des
sectes maçonnique et protestante, s'agenouiller
sur cette coUine et réclamer du ciel, par l'inter-
cession du thaumaturge franciscain, une grâce
qu'il estimait être un miracle, la cessation d'un
exil aussi cruel à son cœur que préjudiciable
aux intérêts les plus sacrés de ses ouailles.
Ceux qui ont eu le bonheur de le voir et de l'en-
tendre dans ces circonstances, n'oublieront
jamais ni l'ardeur de ses prières ni l'accent

i. Is., xxxv.
pathétique avec lequel il s'écria, dans une
émouvante péroraison < 0 grand saint An*
toine, patron des choses perdues, faites retrou-
ver à mon pays la foi que l'hérésie lui a enlevée!1
Faites retrouver à mon troupeau son pasteur
exilé J Qu'il vous fasse retrouver à tous la patrie
du ciel, si vous l'avez perdue (i)
Peu de temps après, ses voeux –du moins
en ce qui le concernait personnellement
étaient exaucés, et les catholiques de Genève le
revoyaient à leur tête. Une plaque de marbre,
incrustée dans le rocher, rappelle en ces termes
le passage de l'éminent prélat et la faveur
obtenue t
Le cardinal Mermillod, exilé de
Genève, est venu demander à saint Antoine de
lui faire retrouver son troupeau, et il a été
exaucé. Gloire au Saint qui fait retrouver les
objets perdus 1 »
Les grottes de Brive parlent avec plus d'élo-
quence de la sainteté et des bienfaits de l'apôtre
franciscain; mais elles ne sont pas les seules
les villes de Cuges et de Bourges ont aussi leurs
sanctuaire antoniens.
Cuges, petite ville des Bouches-du-Rhône,
possède une relique insigne qu'elle tient de la
libéralité de ce cardinal Guy de Montfort, dont
nous avons déjà plus d'une fois prononcé le
nom. Il avait été chargé par le Souverain
Pontife de présider les fêtes de la seconde
translation des reliques de notre Bienheureux

i. S. B., S. Antoine de Padoue, p. i38.


(t~.~vrier ~~o). Tombé malade à Cuges et
mirae'aleusement guëïi par l'intercession de
saint Amtome, il déploya, dans la Tnanifestation
de sa gratiiade, une Knmiâcence digne d'un
primée de l'Église. An sanctuaire de Padoue il
o~Erit un superbe reliquaire (i) sur lequel sont
grades, avec ses armes, ces denx mots sugges-
tifs -fa~er scte~
~Ère ~g ~a soïe~ce et il
improvisa en l'honneur du thaumaturge les
deux strophes suivantes
Q Sidus Hispaniœ, 0 têt astre de l'Espagne,
Gemma paupertatis. Perie de la pauvreté,
Antoni, pater sCteTttteej Antoine,j)ère de !ai science,
Forma puritatis Modèie de pureté
Tu ~mern tMiœ, LTimUTe de ntalie,
Doctor veritatis, Docteur de la vérité,
Tu sol nitens Paduœ Tu brilles comme un soleil à Padoue
Sigms claritatis. Par l'édat de tes miracles.
Le cardinal songea ensuite aux .habitants de
Cuges, et pour les remercier de leurs soins
empressés, il leur réserva le crâne du Saint.
Telle est Forigine du trésor que possède actuel-
lement l'église paroissiale (s). La chapelle
Saint-Àntoine, qui eut l'honneur, la première
et pendant deux siècles, d'abriter le crâne de
son glorieux patron, perdit son privilège le jour
où la ville descendit dans la plaine. Elle perdit
aussi sa splendeur, et tomba peu à peu dans un
état de délabrementqui contristait les amis du

i. Reliquaire en.vermeil contenant l'os du bras gauche


et la mâchoire inférieure du Saint.
2. Voir la grande Relique de saint Antoine, par
M. l'abbé Arnaud.
grand thaumaturge. Mais voici qu'elle est com-
prise dans le mouvement de renaissance reli-
gieuse imprimé à toute l'Europe par les fêtes
du septième centenaire de la naissance du héros
portugais. Elle va, elle aussi, comme tant d'au-
tres monuments abandonnés, sortir de ses
ruines. Dans quelques années, sa tour.romane
se dressera, haute et fière, 'sur le coteau de
Sainte-Croix; et du faîte de cette tour, saint An-
toine étendra sa main bénissante sur Cuges,
Marseille et la Provence.
Bourges, le théâtre présumé du miracle
eucharistique, s'honore à juste titre d'avoir
possédé dans ses murs le thaumaturge dont
elle a tant de fois éprouvé le crédit auprès de
Dieu. Le clergé de Saint-Pierre-Ie-Guillard
entretient et développe avec zèle la dévotion à
saint Antoine. Il veille aussi avec un soin
jaloux sur le dépôt sacré confié à sa garde
trois belles reliques du Saint, des plus notables
qu'il y ait en France, après celles de Cuges.
Les Franciscains, qui ont une résidence dans
cette ville, viennent en aide au clergé séculier
(car Saint-Pierre sert aujourd'hui d'église pa-
roissiale), et l'antique sanctuaire de Simon de
Sully redevient comme autrefois, à l'époque
de la fête du thaumaturge, le rendez-vous des
pèlerins.
N'est-il pas écrit dans l'Évangile que a le
Très-Haut se plaît à exalter les humbles » ?
Cette maxime de l'Évangile trouve ici une de
ses plus saisissantes applications. Vivant, le fils
de don Martin fuit les grandeurs et les dignités,
auxquelles sa naissance lui donnait un facile
accès; mort, il est abreuvé de gloire et d'hon-
neurs. Disons mieux il règne, à côté de saint
François d'Assise, sur les intelligences, les
lettres et les arts (i). Le Titien, Paul Véronèse,
Murillo, lui dédient leurs toiles les plus gra-
cieuses. Le Fr. Julien de Spire redit ses mérites
dans un office rythmé qui est, au témoignage
de dom Guéranger, « une des richesses litté-
raires du XIIIe siècle (2) »; et il compose en son
honneur une messe dont les suaves mélodies
emportent l'admiration de Jean de Parme (3).
A Rome, les Souverains Pontifes lui assignent
une place d'honneur dans les mosaïques de
Saint-Jean de Latran et de Sainte-Marie Ma-
jeure. A Lisbonne, la chambre où il naquit
devient un monument sacré elle est transfor-
i. Voir le livre de M. DE MANDACH sur S. Antoine et
~Art italien.
a. Institutions liturgiques, 1. I, c. xit.
3. BARTHÉLÉMY DE PISE, p. II, C. VIII. Voir le
Chant dans l'Ordre séraphique, par le R. P. EUSÈBE,
p. 57 Solesmes, 1900.
4. On ignore la date de la fondation de cet oratoire.
En 1431, il était ouvert au culte, et sur la demande du
sénat de Lisbonne, le pape Eugène IV l'exemptait de la
juridiction de l'Ordinaire. II fut presque entièrement dé-
truit, ainsi que la demeure paternelle du Bienheureux,
par le tremblement de terre et l'incendie qui dévastèrent
la capitale dans la néfaste journée du I*' novembre 1755.
En i8ia, au moment de la guerre d'Espagne, Ja piété des
fidèles se tourna vers saint Antoine comme vers un
protecteur invincible, et lui bâtit un temple plus beau
que Je premier. C'est le sanctuaire actuel. Ses murs sont
pavoisés d'ex-vota et ornés de remarquables peintures
mëe ea un étégaat o~ttoirs q~en~bemssemt de
c&neert Alphonse et te semai. Jean à la
vetMe d'une bataiile et pomf stimuleF le ecorage
de ses troupes, Feiarêle dans s&m ]régïm.ent (:~);
et Jean ~1~ sanctionnant et eomiplétanà ce
qu'ont fait ses préêseessgu~s, le noinume Iteote-
nant-eoj.onel d'in&ntsne, dans un diplôme
oiËctet des ptus<aaissx et demi vo-iei: la
tem&ur:
&
Le. glorieux saint Amtoine&eomtfNjué,.motïs
em soMinaes ee'B.v~ime:Ur par sa. puissante imtet-
vemtto'n~ au Fétshiïssementsouvent dë&mtti de
la paix dans l'empire portHgms. Em eQaséqTft&mee,
moms avons resolot de te naimmer a.tt gï-adede
Keutemant-e.aAonet d'infaiïtefie- B recevrai ta
paye d'~tsage~ des mams de notre ïnarech~ de
camp, Richard-~La-~er CtEbral de Canha. Q~'enî
exécute notre ve~osté. Noms avons atppos&- à ~e
décret notre signature royale, de notre main, et
le grand sceau dn: royaume.
« Donné de notre
capitale, la Si &oûi de
Faimeë iSr~, après la naissanœ de Notre-
Seîgneur.
«,
& d~e. Portugal
JEAN, roi de Partugal (i).
Ci~. f»

Le BFésil va plus loHi encore dans les hom-


mages oSEciels qu*[i rend aa saint thaHmstor~e.
H lui confère I& glorieux. titre. d& lieutenant-
âtMs au patc~Mm. de Piems Alexandre' ~~}'. Sd' )<& potte
d'entrée, om ]it finaenptmn. safMatttB'
~/<tsettMf hece parc~ ~t EMtdUtNty Aae<mNtfr ~MUe,.
QueM. c<BK tMMs a:he<MMt <st!)!Mc dmtMts..
j. 1.~ VoKB de S. AM&oMte, septembretSg~ p. Si.
général de ses armées de terre et de mer, avec
tous les privilèges aSérents à ce titre les insi-
gnes du commandement,le bâton et l'éebarpe
brodée, les honneurs militaires et même le trai-
tement. Dans les processions, quand passe la
statue de saint Antoine, tes soldats lui présen-
tent les armes, et la musique sonneune marche
spéciale. Chaque année, le trésor public verse
au supérieur des Franciscains de Rio-de-
Janeiro, pourPentretien de F'égïise du thauma-
turge, une somme assez ronde. Le peuple
compte beaucoup, dans les diverses guerres
qu'il entreprend, sur la protection de son mvisi'
ble généralissime (i).
Ainsi, des cités fameuses et des nations en-
tières lui reconnaissent sur elles un droit de su-
zeraineté spirituelle dont elles ne voudraient à
aucun prix s'affranchir et qui les honore après
tout car ce droit repose sur le sentiment le plus
noble et le plus spontané qui puisse jaillir du
cœur humain le souvenir des bienfaits reçus.
Padoue, Naples, le Portugal, veulent être nom-
més ici au premier rang Padoue, qui garde les
cendres du grandthaumaturge et le choisit pour
son protecteur spécial Naples qui l'inscrit au
nombre des défenseurs de la cité; le Portugal
qui l'invoque comme le patron du royaume, des
écoles et de la jeunesse.

J. De nos jours, la République brésilienne, après avoir


un moment interrompu ces antiques et religieuses tra-
ditions, les a fidèlement reprises. (.L'.Ëc~o de saint
.FftMtçots et de saint Antoine de Padoue, oct. 1894.)
Pendant ce temps, les cloîtres franciscains
des deux mondes exaltent de préférence en lui
l'émule du Séraphin d'Assise, le moine idéal,
l'ange de pureté, F apôtre infatigable, l'ami des
humbles.
De tous côtés, c'est un concert unanime de
louanges auquel toutes les générations veulent
prendre part. Le ciel lui-même y joint sa note
harmonieuse, les grâces et les miracles semés à
profusion sur tous les points du globe. C'est
l'accomplissement de la promesse de l'Évan-
gile «
Qui se humiliat e;:ce[ï~otbï<Mr Celui qui
s'abaisse sera élevé. J
APPENDICE

LE PAIN DE SAINT ANTOINE

En ce qui concerne la France, une réflexion


s'impose. Chez les autres nations catholiques,
le culte antonien n'a connu ni déclin ni inter-
ruption, du xm" siècle jusqu'à nos jours. Il n'en
est pas de même en France, ce pays des révo-
lutions politiques. Dans la sanglante orgie de
o3, les autels du thaumaturge furent profanés
et détruits. Après le concordat de 1802, ils
furent longtemps laissés dans l'ombre il y
avait tant de ruines à relever Ce n'est que de
nos jours, au déclin de ce xixe siècle si troublé
et comme l'annonce d'une aube radieuse pour
le siècle suivant, que son culte s'épanouit de
nouveau au soleil et reconquiert son ancienne
popularité.
Le mouvement est parti d'un modeste oratoire
de Toulon, pour s'étendre en un clin d'œil à
toute la France. Pourquoi Dieu a-t-il choisi
Toulon pour en faire le théâtre de ses faveurs ?2
C'est le secret de sa miséricorde. Ne cherchons
point à le lui ravir efforçons-nous plutôt de
mériter ses bienfaits. A Dieu toute gloire 1 A
saint Antoine de Padoue toute reconnaissance!
Une jeune fille de Toulon, Mlle Louise Bouf-
fier, avait eu la pensée de se consacrer à Dieu
sous la bure des Carmélites. Obligée d'yrenoncer
pour soutenir ses parents, elle s'en dédomma-
gea en consacrant tous ses moments de loisir
à l'Œuvre des missions étrangères. Une faveur
obtenue par l'intercession de saint Antoine
éveilla dans son cœur un profond sentiment de
reconnaissance. La statue du thaumaturge fut,
ce jour-là même, érigée dans un angle de l'ar-
rière-boutique de la Toulonnaise, et présida dès
lors aux labeurs de la petite ruche ouvrière. Ce
fut l'origine de grâces sans nombre et de mer-
veilles qui éveillèrent l'attention publique. Celle
qui rêvait d'être une fille de sainte Thérèse est
ainsi devenue la propagatrice du culte de saint
Antoine. C'est une autre vocation non moins
beDe. Mais laissons-la nous redire elle-même,
dans sa langue naïve et imagée, les commence-
ments et les rapides progrès d'une dévotion si
opportune, si réconfortante.

<
MON RÉVÉREND PÈRE,

<
Vous désirez savoir comment la dévotion à
saint Antoine de Padoue a pris naissance dans
notre ville de Toulon. Elle s'est développée
comme toutes les œuvres du bon Dieu, sans
bruit, sans fracas et dans l'obscurité. Il y a en-
viron quatre ans, je n'avais aucune connais-
sance de la dévotion à saint Antoine de Padoue,
si ce n'est que j'avais entendu dire, vaguement,
qu'il faisait retrouver les objets perdus, quand
on l'invoquait.
« Un matin, je ne pus ouvrir mon magasin la
serrure à secret se trouvait cassée. J'envoie un
ouvrier serrurier, qui porte un grand paquet de
clefs et travaille environ pendant une heure à
bout de patience, il me dit Je vais chercher
a les outils nécessaires pour enfoncer la porte
«
il est impossible de l'ouvrir autrement. » Pen-
dant son absence, msptree par le bon Dieu,
je me dis Si tu promettais un peu de pain à
saint Antoine pour ses pauvres, peut-être te
ferait-il ouvrir la porte sans la briser. Sur ce
moment l'ouvrier revient, amenant un compa-
gnon. Je leur dis « Messieurs, accordez-moi,je
« vous prie, une satisfaction. Je viens de pro-
t mettre du pain à saint Antoine de Padoue
« pour ses pauv res veuillez, au lieu d'enfoncer
« ma porte, essayer encore une
fois de l'ouvrir;
e peut-être ce
Saint viendra-il à notre secours.
Ils acceptent, et voilà que la première clef qu'on
introduit dans la serrure brisée, ouvre sans la
moindre résistance et semble être la clef même
de la porte. Inutile de vous dépeindre la stupé-
faction de tout ce monde elle fut générale. A
partir de ce jour, toutes mes pieuses amies
prièrent avec moi le bon Saint, et la plus petite
de nos peines fut communiquée à saint Antoine
de Padoue, avec promesse de pain pour ses
pauvres.
«
Nous sommes dans l'admiration des grâces
qu'il nous obtient. Une de mes amies intimes,
témoin de ces prodiges, luint promesseinstanta-
nément d'un kilo de pain tous les jours de sa vie,
s'il lui accordait, pour un membre de sa famille,
la disparitiond'un défaut qui la faisait gémir de-
puis vingt-trois ans; la grâce fut bientôt accbr~
-dée, et ce défaut n'a plus reparu. En reconnais-
sance elle acheta une petite statue de saint
Antoine de Padouedont elle ment présent, et
nous l'installâmes dans une toute petite pièce
obscure, où il faut une grande lampe pour y
voir. C'est mon arrière-magasin. Eh bienl le
-croiriez-vous, mon Révérend Père? Toute la
journée cette petite chambre obscure est rem-
plie de monde qui prie, et avec quelle ferveur
'extraordinaire Non seulement tout le monde
prie, mais on dirait que chacun est payé pour
faire connaître et répandre cette dévotion.
< C'est le soldat, l'officier, le commandant de
marine qui, partant pour un long voyage, vien-
-nent faire promesse à saint Antoine de 5 francs
.de pain par mois, s'il ne leur arrive aucun mal
pendant tout le voyage. C'est une mère qui de-
mande la guérison de son enfant, ou le succès
d'un examen c'est une famille qui demande la
.conversion d'une âme chère qui va mourir et ne
'veut pas recevoir le prêtre c'est une domestique
-sans place, ou une ouvrière qui demande du
travail, et toutes ces demandes sont accompa-
;gnées d'une promesse de pain si elles sont
<exaucées.
« Ce quisurtout a donné le plus de dévelop-
pement à cette chère dévotion, c'est un article
ironique que le journal impie de notre ville a
inséré dans ses colonnes cet article était à mon
adresse et me dénonçait au public comme cou-
pable d'entretenir la superstition dans notre
ville. Je me suis réjouie en le lisant, et ce que
j'avais prévu est arrivé d'un petit mal Dieu
a tiré un grand bien. Il est si puissant et si
bon (i) b
-C'est ainsi qu'est née, d'un acte de foi, l'Œu-
vre du Pain de saint Antoine, et que l'aspirante
Carmélite est devenue l'intendante de l'aimable
thaumaturge, la propagatrice de son culte et la
servante des pauvres. Nulle préméditation,
nulle intrigue tout sous une inspiration divine.
La fervente Toulonnaise n'a pas varié dans le
récit de l'orïgine de cette dévotion. Vingt fois,
écrit le P. Marie-Antoine, elle m'a afûrmé que
lorsqu'elle s'est mise à genoux pour demander
le miracle, une inspiration subite et comme une
voix intérieure lui ont dicté ces mots Du pain
pour vos paKW6s Mots que je n'avais jamais
prononcés, ajoute l'intendante, et auxquels je
n'avais jamais pensé. Et voilà que tout à coup,
ils sont venus s'emparer de mon esprit, démoli
cœur, et j'ai compris qu'il fallait se servir de
cette formule pour obtenir le miracle. Je m'en
suis servie, et le miracle s'est accompli (2). »

I. Lettre au R. P. Marie-Antoine,du i5 novembre 1892.


(Les grandes <~0tree de saint Antoine de Padoue, par le
R. P. MAMË-ANfomK, p. 89.)
MARlE-ANTOtNB, !e
P. s. 3~3. R. P. MA>sIE-Art~üz~tE,
P.243. Saint de notre époque,
le Sa,int epoaM,
C'était le 12 mars 1890, date mémorable dans
l'histoire de la charité toulonnaise. A partir de
ce jour/l'arrière-boutique de la rue Lafayette
est convertie en oratoire, les pèlerins affluent,
les faveurs célestes se multiplient et par une
conséquence logique, les offrandes abondent, le
billet de banque du riche à côté du billon de l'ou-
vrière, le tout au profit des déshérités'de ce
monde. < Ce qui fait la force de notre Œuvre,
écrit trois ans après l'intendante de saint An-
toine, c'est la prière, ardente et spontanée. Trois
fois par jour, nos mille vieillards et orphelins
élèvent les bras en croix, remercient avec effu-
sion le grand Saint qui veille sur eux, et le sup-
plient de leur procurerencore du beau pain blanc.
«
L'heureuse servante des pauvres,
Louise BouFFiER (i). »
K

Du beau pain blanc Le gâteau de saint An-


toine, comme l'appellentles orphelins de Tou-
lon « II n'y a qu'un Dieu qui puisse inventer
un moyen si gracieux de faire la charité (2) r
Tous y gagnent, ceux qui donnent et ceux qui
reçoivent. Nous avons vu des mères de famille
pleurer de joie, en versant dans la corbeille de
saint Antoine l'aumône promise. Comment
traduire l'allégresse exubérante des orphelins
i. Lettre du 25 février iSgS. (Annales franciscaines.)
2. Lettre de Mlle Bouffier, du 28 mai i8g3. (Les grandes
gloires de saint Antoine, par le R. P. MARIE-ANTOlNÉ,
p.5a.)
ou des vieillards recueillant chaque matin la
manne qui leur tombe du ciel
Dévotion « gracieuse », dévotion providen-
tielle, fille de l'amour et du miracle, comme l'œu-
vre sur laquelle elle repose Fille du miracle,
l'oeuvre éclatait comme une traînée de poudre,
d'un bout à l'autre de la France, et portait, dès
l'origine, la marque inimitable du sceau divin
la soudaineté de l'éclosion, la rapidité de l'expan-
sion, l'universalitédes bienfaits. Fille de l'amour,
il se dégageait d'elle, dès la première heure, une
vertu rédemptrice capable de racheter nos dé-
faillances. « Ah si elle pouvait s'établir dans
chaque ville, elle sauverait la France, puisque
la charité couvre la multitude des péchés (i). D
Le vœu de la zélée propagatrice s',est réalisé.
Qui n'a vu, dit un penseur contemporain, qui
n'a vu, dans nos plus riches églises et dans nos
plus modestes chapelles, l'image de l'angélique
Franciscain, et à ses pieds les deux troncs ou-
verts, l'un aux prières, l'autre aux aumônes ?
Le fidèle confie au Saint ses désirs et les appuie
de ses largesses. L'argent déposé d'un côté va
nourrir les indigents les demandes, consignées
de l'autre, sont comme des lettres de change
tirées sur l'invisible. Cette dévotion répond,
par l'idée qui l'inspire, aux plus pures concep-
tions de la foi (2). Les saints ne sont-ils pas,

i. Lettre de Mlle Bouffier, du 28 mai 1893. (Les grandes


gloires, loc. cit.)
a. Mgr n'HuLST, La France chrétienne dans l'Histoire,
p. 640.
en effet, nos protecteurs attitrés en même temps
que nos modèles? Nos modèles ils nous ont
laissé un riche patrimoine d'exemples qui dans
leur muet langage nous incitent à l'héroïsme,
qu'il s'agisse de devoirs ou de sacrifices. Nos
protecteurs ils nous aiment et sollicitent sans
relâche de la munificence divine les grâces spi-
rituelles ou même purement temporelles que
réclament les perpétuels découragements en-
gendrés par notre faiblesse native. Quoi de
mieux fondé ?`?
Légitime dans ses principes, soudée au dogme
de l'intercession de saints, la dévotion anto-
nienne s'est élancée de nos ports de mer jus-
qu'aux plages les plus lointaines, pour y porter
ses bienfaits; mais notre beau pays de France
en est le berceau, et ce qui ne se reproduit pas
ailleurs elle y soulève un élan national, un
mouvement irrésistible, qui correspond à la
crise sociale du moment comme le remède cor-
respond au mal. Partout, en effet, en dépit des
railleries de la libre-pensée, elle suscite d'admi-
rables actes de foi de la part des Rdèles, d'admi-
rables prodiges de la part du thaumaturge invo-
qué. Partout elle prélève sur les âmes de bonne
volonté un budget aussi considérable qu'il est
imprévu et spontané; lao.ooo francs rien qu'à
Bordeaux, dans le cours de l'année t8o~. plus de
100.000 francs à Toulon (i). Il en est de même,
proportionsgardées, dans les autres villes. C'est
i. Voir le beau livre de M. ËTtENNE JouvE sur t'jA.
rière-boutique de Toulon.
dire que saint Antoine a conquis parmi nous,
avec la popularité la plus sublime, la plus noble
et la plus durable des royautés. Il règne à Mont-
martre, il prend possessionde nos provinces, il
repose au fond des vallées, il trône au sommet
des montagnes; il sourit aux pauvres, bénit les
riches, rapproche les classes, rétablit le règne
de l'Évangile, et résout ainsi pacifiquement, par
l'exercice de la charité, le redoutable problème
qui tient en échec la science de nos économistes et
l'habileté de nos politiciens la question sociale-
A côté de ces bienfaits, appréciés de tous
ceux qui n'ont pas perdu le sentiment de la so--
lidarité fraternelle, il en est d'autres qui nous
font monter plus haut dans la hiérarchie des
manifestations surnaturelles. Deux épisodes,
glanés dans ces champs du divin, vont clore la
liste interminable des faveurs insignes qui ont
remué nos grandes villes, et ajouter une note
d'actions de grâces aux concerts que les cieux
et la terre font entendre en l'honneur du grand
semeur de miracles.
Le premier nous transporte dans les gorges
des Pyrénées, à Cauterets, la ville balnéaire
connue des touristes,-et nous met en présence
d'une guérison aussi complète qu'inattendue.
C'est la miraculée elle-même,Mme de Rousiers,
femme d'une rare distinction d'esprit et d'une
piété éclairée, qui, pour perpétuer le souvenir
d'un pareil bienfait, a voulu en laisser la rela-
tion exacte à son époux et à ses enfants. Lisons
c'est une âme~ reconnaissante qui nous invite à
mêler nos voix à la sienne, pour louer et remer-
cier celui qui l'a tirée des portes du tombeau.
«
La maladie qui m'a privée de l'usage de mes
jambes pendant plus de cinq mois, a commencé
le i~ mars 1894.
« Quand j'ai été
mieux et qu'on a pu me lever,
on a constaté que la moelle épinière était at-
teinte c'est ce qui m'empêchait absolument de
marcher et même de me tenir debout. Le
13 juin, veille de la fête de saint Antoine de Pa-
doue, je commençaila neuvaine des neuf mar-
dis, ayant grande confiance en saint Antoine de
Padoue, pour lequel j'avais une dévotion parti-
culière. La semaine qui a précédé le mardi
7 août, jour dela clôture de la neuvaine, s'est
passée pluspéniblementqueles autres, j'étaisde
plus en plus incapable de me soutenir, et l'espé-
rance semblaitparfoiss'éteindre dans mon cœur.
«
M. le curé vint me confesser le lundi dans la
journée et me promit de m'apporter la sainte
communion le lendemain matin. Ce mêm&
lundi, je voulais absolument, soutenue par deux
personnes, faire zmjpas, et j'avais fait un effort
surhumain pour y parvenir, sans le moindre
succès. Mes larmes coulaient!¡
«La nuit suivante, je dormis peu, ne trou-
vant pas de position. Le mardi matin, tout était
dans le même triste état; on vint me lever, on
m'assit sur un grand fauteuil devant un petit
autel que ma mère avait préparé de son mieux
je fis là les prières de ma neuvaine, en atten-
dant la visite de Notre-Seigneur. Mes larmes
ne tarissaient pas. Mon Dieu arrive; je le re-
çois de mon mieux, croyant que je ne serais pas
guérie, et lui demandant, si sa volonté n'était
pas de me rendre mes jambes, de me donner un
peu de l'amour qu'avait pour lui saint Antoine!
« Tout à coup, mon action de grâces étant
terminée et l'intention de ma communion of-
ferte, je me sens poussée à redire en français le
Répons miraculeux (de Julien de Spire) je pro-
mets trois messes et 5o francs de pain pour les
pauvres de saint Antoine, puis je me dis « Il
« faut pourtant que j'es.ye.
Je
me dresse en
tremblant, je l'avoue; je fais un pas, puis deux;
une de mes filles, qui était seule avec moi,
s'écrie en devenant blanche comme un linge:
Maman, que faites-vous? Mais je marche,
«
« Marie-Thérèse, tu vois bien, je marche! Je
vais l'embrasser, je fais le tour de ma chambre,
droite, comme jadis, puis je me jettd à genoux
devant le petit autel.
«. J'avais reçu le don de Dieu, j'étais guérie,
radicalement guérie. J'ai pu ce même jour des-
cendre seule deux étages pour aller remercier
Dieu dans sa demeure. Le docteur qui me soi-
gnait, est venu constater le miracle, et en me
quittant m'a dit: « Cessez tout traitement,
« Madame, nous n'avons pas le droit de toucher
« à l'œuvre de Dieu! n
« Magni ficat!
«
Camille DE RousiERg, née D'ARTi&uEs (1). »

Lettre du 19 décembre 1894.


Le second fait se passe à Paris, en ~897, et se
rattache à l'incendie du Bazar de la Charité, a
cette effroyable catastrophe du 24 mai où la
fleur de l'aristocratie française et de la jeunesse
catholique, fauchée en quelques minutes~ tom-
bait au champ d'honneur de la charité, dans un
holocauste chrétiennement accepté, dans un
martyre qui sera une semence féconde pour
l'avenir. Là, comme à Cauterets, saint Antoine
manifestait visiblement sa puissance, et l'une
des nobles visiteuses du Bazar, Mlle Sergent
d'Hendecourt, était miraculeusement pré-
servée des flammes; « miraculeusement », nous
voulons dire avec elle, par suite d'un heureux
concours de circonstances qu'elle ne peut attri-
buer qu'à la protection du thaumaturge. La re-
lation du drame et du sauvetage, écrite sous sa
dictée deux jours après l'événement, présente
un tel caractère de véracité, que nous nous
faisons un devoir de la reproduire intégra-
lement.
Lorsque le sinistre éclata, Mlle d'Hende-
court se trouvait assez loin des portes. Les cris
et l'agitation universelle la jetèrent d'abord
dans la stupeur. Elle vit sa sœur s'enfuir avec
sa robe enftammée elle vit un groupe de dames
s'élancer vers la duchesse d'Alençon pour la
presser de sortir elle vit la flamme qui courait
en serpentant le long de la voûte, au-dessus de
sa tête et malgré le danger, elle contempla un
moment ce spectacle étrange, mais bien vite
l'instinct de la conservation se réveilla; com-
ment fuir? Devant chaque porte, des monceaux
de corps enlacés se débattaient au milieu d'un
tourbillon de flammes. Elle pensa alors à invo-
quer saint Antoine. t Bon Saint, dit-elle, voilà
« cinq ans que jeyous invoque, et vous me re-
«
fusez tout ce que je vous demande. Aujour-
<
d'hui, cependant, j'espère que vous m'écoute-
« rez.
Là-dessus, elle fait un vœu, se signe et
court vers la barrière humaine en invoquant le
Saint. Après quelques efforts inutiles, elle
tombe parmi les morts et les mourants.
t Quelques minutesplus tard, de hardis sau-
veteurs viennent remuer le triste monceau qui
s'élevait derrière la porte. Plusieurs personnes
étaient tombées sur Mlle d'Hendecourt, et les
corps de ces personnes étaient déjà en partie
carbonisés. Les sauveteurs, après avoir remué
cette masse humaine, allaient se retirer déso-
lés, quand l'un d'eux vit une main s'agiter. On
revient, on saisit cette main, puis l'autre, et l'on
tire du charnier Mlle d'Hendecourt qui n'avait
pas une brûlure ni une é~rcttt~Mrg. Le jeudi,
elle recevait nos Pères avec la même robe qu'elle
portait au Bazar, et cette robe n'avait pas une
trace de brûlure. Seulement le parement était
légèrement déchiré près du poignet, à cause de
la traction exercée sur ce point lorsqu'on fit le
sauvetage. Saint Antoine avait payé sa
dette (i). »
N'est-ce pas le cas de répéter, en l'actuali-

La Voix de Mmt Antoine, numéro de juin 1897.


sant, la strophe si profondément vraie de Ju-
lien de Spire?
Si <~Ma?rM miracula.
Vous cherchez des miracles?
(Au seul nom de saint Antoine),
La mort, l'erreur, les calamités,
Les démons, la tèpre s'enfuient >
Les malades sont guéris.
La mer obéit !es chaînes se brisent
La santé revient.
Jeunes gens et vieillards l'invoquent
Et retrouvent les objets perdus.

En face de cette effloraison du surnaturel,


l'âme s'arrête éperdue et si elle a le bonheur
de croire, elle se prosterne et adore, à l'exemple
de la miraculée de Cauterets. L'historien va
moins vite. Il se tient sur une sage réserve,
laissant à l'autorité pontificale le soin de se pro-
noncer sur la nature et la cause des phéno-
mènes présentés. Qu'il y ait miracle ou non,
peu nous importe Ce que nous tenons à cons- `,
tater, c'est l'opportunité providentielle d'un
culte qui va grandissant, à mesure que s'élè-
vent les vagues de la tempête sociale; c'est
l'absence des moyens humains dans la rapidité
de- ses progrès; ce sont ses merveilleux effets
au milieu d'une société en décadence la recon'-
naissance explicite d'une Providence qui gou-
verne l'univers, l'espérance renaissant au cœur
avec la prière, les larmes séchées, les crimes
épargnés, l'opulence s'honorant elle-même par
un sentimentde compassion chrétienne, les dé-
sespérés revenus à une plus saine conception
du devoir et transformés par la résignation.
Voilà les résultats acquis, palpables, sans
compter mille autres merveilles que ne saurait
percevoir le regard trop faible des mortels et
qui nous préparent dans l'ombre les glorieuses
réserves de l'avenir. Est-il, dans la tourmente
actuelle, un spectacle plus réconfortant ?
C'est l'heure des ténèbres et des monstrueu-
ses iniquités mais c'est aussi l'heure du réveil
de la foi et des généreuses revendications. Si
les francs-maçons recommencent, également
dans le sang et dans la boue, les ignobles ex-
ploits de leurs précurseurs, les septembriseurs
et les Manichéens, devant eux aussi se dresse
toute une armée de héros, jeunes gens, jeunes
filles, soldats, pontifes vénérés, hommes du
peuple et grands noms de l'aristocratie, pêle-
mêle, tous prêts à souffrir, tous prêts à mourir
pour défendre leurs autels. Le christianisme
est l'enjeu de la bataille; la'France l'a senti, et
alors elle s'est souvenue de son baptême, de
Tolbiac et des croisades. Non, elle ne se lais-
sera pas asservir au joug honteux de la franc-
maçonnerie, fille de l'orgueil, fille de l'enfer,
cette terre bénie qu'a consolée le grand thauma-
turge de Padoue, qu'a libérée l'immortelle
Jeanne d'Arc, qu'a foulée de son pied virginal
l'auguste Reine des anges et des saints 1 Non,
elle ne sera pas une race d'apostats, cette na-
tion chevaleresque qui place l'honneur au-des-
sus de tout, et la religion infiniment au-dessus
de l'honneur
Après avoir lu la Vie de Jésus et les blasphe-
mes de Renan, le poète Jasmin se recueillit,
tout frémissant d'indignatioh, et il improvisa.
cette belle ode au Christ qui fut pour lui le chant
du cygne:
7! est Dieu 7! est Dieu 77 est Dieu x

C'est avec le même sentiment de foi venge-


resse que le pays tout entier repoussera les per-
sécuteurs modernes et qu'il leur criera
t Il y a une religion en France, et nous lui
devons quatorze siècles de gloire 1
<
Il y a un Dieu en France, le Dieu de nos
pères, et vous ne le détrônerez pas
< V~atqutdï!~ït~ra~My,M~tMs.:

\5"
X~ '7
TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE.
APPROBATION.
1. Radieuse enfance.
Le chanoine de Saint-Augustin
V
VII
i
IL
franciscaine.
IH.–Vocation
IV.–SaintAntoineett'hërësiealbigeoise.
17
27
60
Saint Antoine dans le Velay et le Berry..
V.
enitalie.
83
VI. Dans le Limousin 96
VII. Retour 116
VIII. A Padoue 128
IX. Chapitre général d'Assise 187
X.
XI.
Second séjour à Padoué
Œuvres oratoires du Saint. 146
172
XII. Sa vertu dominante
XIII.
XIV.
XV.
Mort et
Padoue et le
Son
Saint.
canonisation.
culte en France
191
soi
214
229

APPENDICE. Le pain de saint Antoine 241

!)t)e.–t.Mtttch,imt.t)f,M.deCMtmM.
Original en <:ou!eur
Nf'Z43-)?.0-.S

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