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par le R. P. Léopold de
Chérancé,...
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Bienheureuse Jeanne-Marie de Maillé.
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Sa~nt Antoine
P. LÉOPOLD
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de Padoue
d'après les documents primitifs
PARIS 1 COUVIN
V~ CH. POUSSIELGUE MAISON SAINT-ROCH
l5 RUE CASSETTE, VI* BELGIQUE
1906
Cttw licentia superiorum.
ÉVÊCHÉ
D'ANGERS
CHAPITRE PREMIER
RADIEUSE ENFANCE
i. «
Felices progenitores. (Legenda prima, p. I, c. i.)
2. ln primo juventutis Bore. (Legenda prima, loc.
cit.) Quia non erat eis filius. (J. RIGAUD.)
3. Ce baptistère est intégralement conservé, et l'on a
gravé dessus le quatrain suivant
His sacris lustratus aquis, 7c~ fut
Ici ~ttt baptisé
&op<tse
~?ttO)MMSO'r&em Scct~t~o~e~cet astre &~t~eï~~
Luce beat, Paduam corpore, (j~oM'e de ~cï~oue~
Mente po~Mtm. .Lu~te~e de ~'M~~e?'s.
le nom de Fernando. Enfant de bénédiction,
mais sans aucun de ces présages ni de ces pro-
diges qu'on remarque dans la vie des saint
Basile, des saint Dominique, des saint Fran-
çois. Les abeilles ne déposèrent pas leur miel
sur ses lèvres sa mère ne fut pas troublée par
des songes l'aile des chérubins n'effleura pas
son berceau. Seulement, dans la famille, l'allé-
gresse était débordande; gentilshommes et
bourgeois s'associaient à une joie si légitime, et
la demeure du preux < chevalier d'Alphonse D II
retentissait de vœux qui pouvaient paraître
hyperboliques et que la réalité devait pourtant
dépasser.
Bientôt, s'il faut en croire certains légen-
daires de basse époque, le foyer s'agrandit de
trois autres berceaux, un frère et deux sœurs
Pedro, Maria et Féliciana (i). Nous nous bor-
nons à transcrire ces détails dont la justifica-
tion nous échappe; etpoursuivant notre marche,
nous allons pénétrer dans l'intérieur de la mai-
son prédestinée qui nous attire, pour essayer
d'y surprendre le mode d'éducation qu'em-
ployèrent les parents du Bienheureux.
i. Legenda prima, p. I, c. u.
2. C'est le nom que lui donne Nicolas de Sainte-Marie
dans sa Chronique des chanoines réguliers de Saint-
Augustin, p. II, L VII, c. x. D'autres l'appellent Pélage.
Nous suivons de préférence Nicolas de Sainte-Marie,
parce qu'il nous semble être l'historiographe officiel de
l'Institut qui nous occupe.
2
obstacle et dans la plénitude de sa liberté, la
robe blanche et l'aumusse des Chanoines régu-
liers de Saint-Augustin. « Il le fit avec humilité
et dévotion (i) », ajoute son biographe. Deux
mots bien riches dans leur concision; car ils
nous révèlent les sentiments intimes et les
beautés d'un cœurtoutpétrid'esprit desacrince
et d'amour de Dieu.
Qui a donné son cœur a tout donné (2)
écrira-t-ilplus tard. Il a donné son cœur à Dieu
il ne le reprendra pas, mais il ne laissera pas
d'être en butte à de terribles assauts dont les
documents primitifs vont nous révéler la
nature.
Le monastère était tout près de Lisbonne,
trop près. Cette proximité permettait, entre le
jeune chanoine et <t ses amis (3)*, une fré-
quence de rapports qui n'était pas sans
troubler la paix de sa cellule. Ces visiteurs
que les vieilles chroniques qualifient < d'amis
charnels (~) c'est-à -dire imbus de cet esprit
du monde qui est en éternelle contradiction
avec l'esprit del'Evangile,n'épargnaientriende
ce que peut suggérerl'affectionpour le ressaisir
et l'arracher au cloître. Il résistait victorieuse-
ment à toutes les attaques, à toutes les séduc-
t. « Canonici regciaris habitum humili devotione sus-
cepit. » (Legenda prima, p. 1, c. t.)
a. « Qui cor dat, totum dat. » (P. JosA, Sermo I in
~.seetts'
9. Frequentiam amicorum importunam, » (Legenda
prima, p. I, c. II.)
4. «
Amicorum carnalium. (J. RiGAuD, c. n.)
tions mais sachant par expérience que la lutte
contre ceux qu'on aime finit par énerver les
caractères les mieux trempés, et ne ,voulant à
aucun prix s'exposer à perdre le trésor de sa
vocation, il résolut de se dérober à leurs sollici-
tations importunes et de chercher une autre
tente pour s'y fixer. Il rencontra un obstacle
inattendu dans le refus de Gonzalve Mendez,
qu'avaient charmé les rares qualités du fils de
don Martin, ses talents, sa piété angélique, son
exquise amabilité (ï) et qui fondait sur lui
les plus grandes espérances. c Ayant enfin
obtenu, à force de larmes et de prières, l'autori-
sation du Père Prieur, il quitta, non la milice
où il s'était enrôlé, mais le théâtre du combat,
non par caprice, mais dans un élan de ferveur,
et se transporta au monastère de Sainte-Croix
de Coïmbre (2). »
L'abbaye de Sainte-Croix avait sur celle de
Saint-Vincent de Lisbonne l'avantage inappré-
ciable d'être le berceau de l'institut augusti-
nien. Là, on respirait encore le parfum des
vertusdesaintTbéotonio,sonpremierPrieur (3) r
là, étaient la source des traditions et les osse-
ments des premiers fondateurs. La discipline
régulière, qui est l'âme de la vie cénobitique, y
I. J. RIGAUD, C. II.
a. Non Ordinem, sed locum mutavit. in spiritus
fervore. » (Legenda prima, p. I, c. n.) Cf. J. RIGAUD,
c. tt, et Legenda secunda, c. (~j4.et<t S. S., 13 juin).
3. Pour la vie de Tellon et de saint Theotonio,.consulter
les foT'tMyetXHee monumenta historica (t. I, p. 62-78) et
HÉLYOT (Hist. des Ordres monas~gtMs, t. ï, p. 517).
florissait, et don Fernando y trouva ce qu'il
cherchait des frères, la paix et Dieu.
Qu'étaient exactement les Chanoines régu-
liers de Sainte-Croix, et quelle formation reli-
gieuse don Fernando reçut-il chez eux? Cette
question a été traitée avec une rare érudition
par M. l'abbé Lepître.
x
Le terme général de « Chanoine », remar-
que-t-il, semble avoir désigné, dans l'Eglise
d'Occident, des clercs voués au service d'une
église en suivant une règle. Ils n'avaient pas
tout d'abord les mêmes constitutions mais
au IP concile de Latran, Innocent II ordonna
que tous suivissent la règle de saint Augus-
tin (ii3g). Cette règle était ainsi dénommée, non
qu'elle vînt du grand docteur d'Hippone, mais
parce qu'elle était basée sur ses deux discours
De moribus clericorum suorum, et sur sa
Lettre CCXI, adressée à des Religieuses.
<.
Les prescriptions dont elle se composait
étaient assez larges pour permettre d'accorder
beaucoup au ministère des âmes. Mais il était
loisible aux différentes communautés augusti-
niennes de compléter ces prescriptions, ou bien
encore de les spécifier et de les préciser. C'est
ce qu'ont fait les congrégations de Prémontré,
de Saint-Victor de Paris et de Sainte-Croix' de
Coïmbre, pour ne parler que de celles-là. Ce
monastère avait été fondé en n32 par D. Telle,
archidiacre du diocèse, et avait eu pour premier
prieur saint Theotonio. Les rois de Portugal et
les souverains pontifes s'étaient plu à favo-
riser la nouvelle congrégation. Sainte-Croix
comptait, dès les premières années de son
existence, soixante-douze religieux; ,elle était
exempte de la juridiction de l'évêque, et elle
avait sous sa dépendance plusieurs paroisses,
en particulier celle de Lercina. N'oublions pas
que l'office des Chanoines réguliers, à quelque
congrégation qu'ils appartinssent, n'était pas
seulement le service du chœur, mais encore le
soin du salut des âmes, dans l'église où ils se
trouvaient ou dans les paroisses soumises à sa
juridiction. Clericus regularis mysteria Dei
dispensat, est-il dit formellement dans leurs
constitutions. N'allons pas les considérer
comme des moines ils étaient regardés comme
étrangers à l'état monastique. Ajoutons ici
un trait caractéristique de tous les chanoines
réguliers ils étaient voués d'une manière par-
ticulière à l'étude. Mais cette étude avait un but
spécial rendre les sujets plus propres au ser-
vice de Dieu et des âmes et les préparer, s'ils
avaient des aptitudes suffisantes, à remplir les
fonctions pastorales dans l'Église. Le monas-
tère donnait une instruction élémentaire aux
enfants qui fréquentaient son école. Il la dépar-
tissait plus abondante et plus complète aux
jeunes gens qu'il voulait garder, et il accordait
des soins tout particuliers aux chanoines qui
se trouvaient mieux doués que leurs frères en
religion.
<
Sainte-Croixde Coïmbre était ndèle à l'esprit
comme à la lettre de ces constitutions. Comme
le monastère de Samt-Ruf d'Avignon jouissait
d'un renom bien établi de ferveur, elle avait
en'voyé l'un de ses membres, le prêtre Pierre,
pour en étudier les usages et les faire connaître
à ses frères. Celui-ci, par deux fois, fit un assez
long séjour à Saint-Ruf, en examinant ce qui
pouvait manquer à son couvent sous le rapport
de la régularité ou de la doctrine. Il est dit que
la seconde fois il avait rapporté un Capitulaire,
la manière de chanter les antiennes, le Com-
mentaire de saint Augustin sur saint Jean ainsi
que sur certaines questions des Évangiles selon
saint Mathieu et saint Luc, l'Hexameron de
saint Ambroise, avec son Pastoral et son livre
sur la Pénitence, enfin le Commentairede Bède
sur saint Luc.
<
Pour mieux faire connaître encore le milieu
où Fernando vécut, tant qu'il demeura chez
les chanoines réguliers, rappelons en deux
mots ce qu'avait été saint Theotonio, le premier
prieur de Sainte-Croix. Il avait dû laisser dans
son monastère une trace non encore enlacée,
puisqu'il l'avait gouverné pendant vingt ans
a~'ec une sagesse qui faisait l'admiration de
tous. Le roi Alphonse 1~ ne partait jamais pour
une expédition sans se recommander à ses
porières. Les séculiers se présentaientsouvent à
à
sa porte pour être admis le voir. Mais cette
faveur leur était rarement accordée, le saint
Prieur redoutant l'intrusion du monde dans sa
eoemmanauté. Saint. Theotonio entretenait des
Eclations d'amitié avec saint Bernard, et sur la
fin de sa vie, il aimait à s'appuyer sur un bâton
qu'il avait reçu de l'abbé de Clairvaux (i). e
La Providence conduisait don Fernando vers
des rivages où se dessinerait bientôt sa voca-
tion dennitive. Mais lui, ignorant les mystères
de l'avenir, ne songeait qu'à profiter des dou-
ceurs de la solitude qui lui était ménagée, pour
fermer son cœur à tous les enchantements de la
terre et l'ouvrir à toutes les inspirations du cieL
Jl avait en mémoire, nous dit son premier bio-
graphe (2), l'adage de saint Jérôme < L'impor-
tant n'est pas d'habiter un lieu saint, mais d'y
vivre saintement n et il n'entendait pas être un
religieux à demi. Il se donnait tout à Dieu il se
donnait tout au devoir. Le chœur, la cellule, le
jardin, ces trois théâtres qui se partagent la vie
claustrale, étaient témoms de ses progrès inces-
sants. Le son dela cloche était pour lui la voix
de Dieu la psalmodie faisait ses délices, la
mortification son armure, l'obéissance la joie
de son cœur, l'oraison et les entretiens pro-
longés avec le Maître suprême sa meilleure
consolation(3).
École de ferveur et de perfection, l'abbaye
était en même temps, grâce aux libéralités du
roi de Portugal (~.), un centre de culture litté-
i. JL.e~ettdapfMna, p. I, c. iv.
2. J&td., loc. cit.; J. RtGAUD, c. m; et la Vtta
CKOttt/ma des Acta Sanctorum, c. ï.
3. BERNARD DE BESSE, De laudibus B. Fr,, c. IV.
Ses confrères ne le virent pas partir sans re-
gret, et ce sentiment les honore autant que lui.
L'un d'eux alla jusqu'à lui dire, avec une pointe
de raillerie < Va, va, tu deviendras un saint 1
Mon frère, répliqua doucement le servi-
teur de Dieu, lorsque vous apprendrez que je
suis devenu un saint, vous en bénirez le Sei-
gneur (i). Et il continua sa route, sans regar-
der en arrière. Il avait trouvé sa voie.
Il était jeune encore, <: dans sa vingt-cin-
quième année (2) remarquent les chroniques
franciscaines; il était surtout plein d'ardeur et
de zèle.
Un sublimeidéal se dressait devant lui, l'idéal
du missionnaire qui s'en va, la croix à la main,
prêcher l'Évangile aux peuples assis à l'ombre
de la mort et verser son sang pour la vérité. Il
avait hâte de le réaliser. D'ailleurs, il avait peur
d'être arrêté, dès les premiers pas, par ses pa-
rents, qu'alarmerait une tentative si témé-
raire (3). Il brusqua son départ, et après avoir
fait profession entre les mains de ses supé-
rieurs, il dit adieu à l'ermitage d'Olivarès, à sa
i. Cum me fore sanctum audieris, Deum collau-
dabis. (Legenda prfma,, p. I, c. iv.)
2. Chfomt~tte des vingt-quatre <?emerEK<:e.
3.. Parentmm snornm impetum formidabat.. ~e-
genda prima, loc. cit.) Cette phrase ne vise-t-elle pas
principalement le père et la mère du thaumaturge ?2
Cependant, il faut l'avouer, dans le latin médiéval, l'ex-
pression parentes a un sens plus large que dans le latin
classique. Consulter Du, CAN&E, qui commente ainsi
~article parens Sanguine proxumis, agnatus, cogna-
tus.»
patrie, qu'il ne devait plus revoir, et s'embar-
qua pour le Maroc, dans le courant de l'au-
tomne de l'anmée ïaao, d'après Azévédo (i).
Lorsque saint Antoine aperçut pour la pre-
mière fois les côtes d'Afrique, il éprouva un
tressaillement indicible. Il allait fouler ces ri-
vages encore humides du sang de Bérard et de
ses compagnons, cette terre où florissaient au-
trefois des chrétientés fameuses par leurs pon-
tifes et leurs docteurs, les Tertullien, les Ar-
nobe, les Optat, les Fulgence, les Augustin, et
qui semblait maudite depuis qu'elle était cou-
verte par le flot impur de l'Islam. Il relèverait
les ruines, il replanterait la croix, il ressusci-
terait les merveilles du passé puis, tombant
sur la brèche,il rendrait un dernier témoignage,
par l'effusion de son sang, à la divinité du Fils
de l'homme (2).
Legenda pftmot, n. c. v.
confia au Fr. Elie la charge de vicaire général
et s'assit à ses pieds. Sa voix était si faible
qu'on pouvait à peine l'entendre. Elie trans-
mettait ses ordres, écoutés dans un religieux
silence.
L'assemblée était des plus imposantes; elle
comptait plus de deux mille Frères, accourus
du nord et du midi, et présidés par le cardinal
Ranerio Capoccio. C'était le printemps de
l'Ordre séraphique une sève abondante cir-
culait dans ces âmes et s'épanouissait en fruits
admirables. Silvestre, le contemplatif chéri de
Bieu, Gilles l'extatique, Thomas de' Célano, le
chantre inspiré du Stabat, Electe,JeandePiano-
Carpino et cent autres qui portaient les glorieux
stigmates des souffrances endurées pour la foi,
toutes ces figures embellies par nous ne savons
quelle douceur séraphique, ravissaient d'admi-
ration le jeune Portugais. Lorsque saint Fran-
çois proposa la mission d'Allemagne, quatre-
vingts Frères se levèrent, comme pour aller au
martyre (i). La scène était émouvante.
Au-dessus de tous brillait le Patriarche séra-
phique, autant par la supériorité de ses vertus
que parle prestige de son autorité saint Fran-
çois, qui était l'âme de cette assemblée; saint
François, que tous aimaient comme un père~
que tous vénéraient comme un saint, que tous
saluaient comme leur chef; saint François qui,
I. Chronique de Jourdain de Giano (Analecta Fran-
ciscana, 1.1, p. 6-8). Voir notre Vie de saint jFfançoM, t
p. 243.
à l'heure de la séparation, rassemblant tout ce
qu'il avait de forces, dictait se& volontés, exci-
tait le courage de ses fils, bénissait leurs per-
sonnes et leur zèle, et les envoyait à la lutte
avec les promesses de l'éternité. Saint Antoine
ne pouvait ni se rassassier de contempler ce
visage émacié, expressif, aux célestes reflets
d'humilité,de zèle et d'amour, ni assez remer-
cier le divin Maître de l'avoir appelé à une
milice si providentiellement envoyée au secours
de son Eglise.
Ce furent les seuls rapports qu'eurent entre
eux les deux plus grands thaumaturges de
l'Ordre. Le Réformateur ombrien, lui, si pers-
picace, si largement doué du discernement des
esprits, lui qui avait salué en saint Dominique
un frère d'armes, sans l'avoir jamais vu, ne
connut pas ce fils qui allait le plus illustrer son
institut. II répartit les charges, assigna les rési-
dences, indiqua les nouvelles missions. Saint
Antoine fut oublié Ce jeune homme au regard
si limpide, à la physionomie si attrayante, aux
manières si distinguées, demeura isolé au milieu
de cette phalange d'ouvriers apostoliques, lui
qui devait en être le plus célèbre. « Aucun Pro-
vincial ne songea à le réclamer écrit son pre-
mier biographe. Onle regardait commeun novice,
comme un être inhabile aux emplois. Il était
tMco~MM(i) Dieu permettait cette humiliation,
afin d'accroître les mérites de son fidèle servi-
1.. A nullo ministrorum petitus est, quia nec cogni-
tus. (Legenda prima, p. I, c. vi.)
teur. Il se réservait de mettre, en temps oppor-
tun, la lumière sur le chandelier.
La position devenait embarrassante. Le
Bienheureux s'en tira avec une extrême délica-
tesse. Prenant à part le Fr. Gratien, Provin-
cial de Bologne~ il le supplia de l'emmener avec
lui et de le former aux exercices de la discipline
régulière (i). Pas un mot du passé; pas la
moindre allusion à ses études théologiques.
<
Connaître, aimer, imiter Jésus, et Jésus cru-
cifié telle était sa devise (2). Gratien, touché
de la candeur exquise de son interlocuteur et
déférant à ses voeux~ l'embrassa avec effusion,
et ils partirent ensemble pour la Romagne, où
nous les suivrons.
4
Les sainte ont leurs attaches et leurs préfé-
rences mais ils savent sacrifier leurs goûts
personnels, pour se conformer à la volonté de
Dieu, manifestée par l'organe de leurs Supé-
rieurs. C'est l'édifiant spectacle que nous offre
le contemplatif de Monte-Paolo. Il quitta sans
hésitation, comme sans délai, la grotte et les
forêts ombreuses qui l'avaient abrité, pour
s'employer aux travaux des missions popu-
laires organisées par le Patriarche séraphique.
Il entrait ainsi de plain-pied dans sa voie, avec
les ressources d'un génie d'une intarissablefé-
condité. N'est-ce pas le moment, avant qu'il
paraisse en public, d'essayer de saisir, dans les
chroniques médiévales, les traits caractéris-
tiques de sa physionomie?
Orateur, il l'est par nature; apôtre, par voca-
tion un apôtre hors ligne. Grande figure et
belle figure; nature à part, d'une douée! angé-
lique, d'une jeunesse qui semble impérissable.
Il est dans la maturité du talent et admirable-
ment doué pour les luttes de la parole. Il a les
qualités qui distinguent l'orateur sacré la grâce
qui attire, le feu qui entraîne, la puissance qui
subjugue, la connaissance du cœur humain et
la science des saintes Écritures. <c Le timbre de
sa voix est clair et sonore, remarque une lé-
gende qui a pour le moins ici la valeur d'une
tradition. Tous l'entendent, tous le compren-
nent sans effort; et quoiqu'étranger à l'Italie
par son origine et son éducation, il en parle la
langue avec autant de correction, avec autant~'
d'élégance, que s'il n'avait jamais mis le pied
hors de la ~péninsule (i). » Par-dessus tout, un
grand souffle l'anime, le souffle divin qui
transportait les prophètes. Il est un de ces
voyants d'Israël, un de ces hommes aposto-
liques dont l'Église aime à se servir, quand elle
veut remuer l'humanité, parce qu'ils sont tout
remplis du sentiment de leur mission et qu'ils
déploient une indomptable énergie dans l'ac-
complissementde leurs devoirs.
Voix de Dieu, voix puissante, il paraît à son
heure sur la brèche. Saint Dominique vient de
descendre dans la tombe; saint François,
épuisé, languissant, ne parlera plus au peuple
que par l'aspect de son visage transfiguré et
par le spectacledes sacrés stigmates imprimés
sur sa chair. Le jeune orateur est destiné à
continuer et à compléter les travaux des deux
Patriarches. Sur l'initiative du Poverello, avec
des mérites divers, mais avec un égal courage,
il dépensera tout ce qu'il a de talent et de forces
au service de la cause commune qui les a ralliés:
cause plus grande qu'eux, sublime, passion-
nante, toujours délaissée, toujours victorieuse,
la cause de Dieu i
De quel côté portera-t-il d'abord ses efforts?
Interrogeons les documents contemporains
et si la chronologie, dont ils ne s'occupent pas,
demeurelà, comme ailleurs, flottante et obscure,
i. Linguam italicam loquebatur politice. (Lég.
Benignitas, p. 218.) Italico idiomate remarque
également Surius.
nous saurons du moins que les faits allégués
sont d'une indiscutable authenticité.
La Romagne eut les prémices de l'apostolat
d'Antoine, et ce fut à l'égard des Cathares ou
Patarins, que s'exerça tout d'abord son zèle.
Voilà du moins ce qu'insinuent les légendes
primitives (i).
Les Cathares ou néomanichéens infectaient
alors toute la péninsule, des plaines de la Lom-
bardie aux montagnes de la Calabre. Gens er-
goteurs, rusés, fanatiques, ils séduisaient les
simples par leurs dehors austères, se glissaient
partout et en dépit des peines édictées contre
eux par les empereurs d'Allemagne, le parti
Gibelin, alors maître du pouvoir dans les Ro-
magnes, avait pour eux des ménagements.
Milan et Rimini étaient leurs principaux cen-
tres de propagande (2).
Les prédicateurs, faute d'autorité morale ou
d'habileté dans le choix de leurs arguments,
avaient en vain jusque-là tenté d'enrayer les
progrès du mal. Le disciple de saint François
fut plus heureux. Ayant l'intuition que Rimini
était le foyer du mal, il alla droit à cette ville,
comme le conquérant marche à la forteresse
qui doit lui livrer le pays. Plein de compassion
t. J. RIGAUD, C. VtU.
2. « Primus in Ordine doctoris scholastici exercuit
officium. (P. JoSA~ p. 91.)
3. Historia ab origine mtMttK, g ~o.
sainteté Deux sœurs inséparables; mais la
sainteté au premier rang. Volontiers il eût sous-
crit à cette parole de l'Imitation: Quand vous
sauriez par cœur toute la Bible et toutes les
sentences des philosophes, à quoi cela vous ser-
Il
virait-il sans la grâce et la charité (i) ? voulait
donner à l'Ordre des religieux exemplaires, et
à l'Évangile des propagateurs instruits, capa-
bles de réfuter les allégations mensongères des
novateurs. Sa pensée se reflète tout entière
dans l'épître adressée à cette occasion au pro-
tégé du Frère Gratien et dont voici la teneur,
d'après les documents les plus anciens.
< Au Frère Antoine, mon évêque, Frère
François salut. Il me plaît que tu enseignes la
sainte théologie à nos Frères, pourvu que les
études de ce genre n'éteignentpas l'esprit d'orai-
son et de piété, selon qu'il est prescrit dans la
Règle adieu (2). »
Précédemment, le fondateur avait écarté, dé-
pouHlé de toute prélature et, selon Wadding,
il avait maudit sans pitié Pierre de Stacchia,
Provincial de Bologne, pour le punir d'avoir,
malgré sa défense, ouvert une école à Bologne.
Pierre de Stacchia était un intrus, un indigne,
un révolté 1 En revanche, il confia volontiers la
direction de la même école au filsde don Martin,
1. De Imitat., 1.1, c.
2. Legenda antiqua (Actus B. Francisci) compilation
terminée vers l'an i3aa. Ct. le manuscrit 4.354 de la
Bibliothèque Vaticane. Le Liber miraculorum repro-
duit le même billet, mais avec quelques remaniements.
parce qu'il avait découvert en lui les deux qua-
lités requises le savoir uni à l'humilité.
Antoine remplit donc l'office de lecteur, non
à l'Université bolonaise, qui n'eut pas de fa-
culté de théologie avant i36o (i), mais sur un
théâtre plus modeste, avec plus de fruit que
d'éclat, auprès de ses jeunes frères en religion,
dans l'intérieur du couvent franciscain (a).
Abandonna-t-il totalement, pendant ce temps-
là, le ministère de la prédication ? Rien ne le 0
fait présumer.
Des leçons du docte professeur, il ne nous
reste rien, sinon qu'elles marquent dans l'his-
toire de l'Ordre séraphique une évolution dont
le Réformateur ombrien et son disciple préféré
partagent le mérite. D'après la Légende ano-
nyme dont nous venons d'invoquer le témoi-
gnagne, Antoine avait étudié à fond les œuvres
répandues sous le nom de saint Denys l'Aréo-
pagite. a C'était, affirme-t-elle, un maître
consommédans la connaissance de la théologie
mystique (3). Il avait les lumières des Chéru-
bins ajoutent les contemporains du Bienheu-
reux (~.), qui nous le représentent planant d'un
vol d'aigle sur les hauteurs de la spéculation.
I. Chronique, prologue.
a.La Chanson de la Croisade, v. 3:-38 (édit. P. Meyer).
Les lettres d'Innocent III confirment tous ces rensei.
gnements.
bon, créateur du monde des esprits et de tout ce
qui est bien, et un' Dieu mauvais, auteur des
corps et de la matière, du mal physique et du
mal moral. C'était un recul vers le paganisme.
L'hérésie albigeoise, avec son dualisme, n'est
qu'une dernière vague des flots impurs du ma-
nichéisme oriental (i).
De cette erreur fondamentale découlaient,
sur le problème des destinées humaines et sur
tout le reste, les plus funestes conséquences,
les plus folles aberrations. Dans le catholi-
cisme, tout est lumière, tout nous grandit. Il
n'y a qu'un Créateur la vie présente est un
lieu d'épreuve, le ciel, une conquête, le prix des
efforts de la volonté élevée au-dessus d'elle-
même et soutenue par la grâce. Notre terrestre
pèlerinage revêt dès lors des proportions in-
finies, et nos actions les plus vulgaires ont des
reflets d'éternité. Dans le système manichéen,
au contraire, l'homme, procédant à la fois du
~ien et du Mal par une double création, était
une contradiction vivante. L'âme, captive dans
le corps, ne pouvait retrouver la paix que par
la séparation, par la mort. Une pareille doc-
trine poussait à l'anéantissement de l'élément
matériel, au mépris de la dignité humaine, au
suicide. C'est en effet ce qui avait lieu. L'usage
i. C'est ce qu'insinue à travers sa phraséologie héré-
tique le Rituel cathare conservé aux archives de la Bi-
bliothèque de Lyon. L'Eglise de Dieu, y lisons-nous
(p. xvii), nous a gardé le conso!e?KentMm depuis les
apôtres jusqu'à maintenant, et il est venu de bons
hommes en bons hommes jusqu'ici.
de la viande, des œufs et du laitage était inter-
dit. L'endura, suicide à petit feu, était à l'ordre
du jour le mariage et la famille, sévèrement
proscrits comme perpétuant l'œuvre diabo-
lique de la création tout serment, prohibé;
le libre-arbitre, battu en brèche. Au point de
vue social, les Cathares déniaient au pouvoir
civil le droit de haute justice, jus <~etcHï; et
abhorrant la guerre, ils refusaient de servir la
patrie, même pour la défense des frontières,
préludant ainsi aux théories qu'a développées
Tolstoï dans la Guerre et la Paix et que pro-
pagent nos modernes internationalistes.
Ils exigeaient des prosélytes la rupture avec
l'Eglise romaine, rejetaient l'Ancien Testament
et ne gardais' du culte catholique que le Pater
et l'Evangile, un Evangile défiguré par des in-
terpolations sacrilèges. Plus de Rédempteur ni
de rédemption Plus de sacrements, plus de
croix, plus d'autels Un seul rite était obliga-
toire, le consolamentum ou imposition des
mains, odieuse parodie du baptême. Il ne pou-
vait être réitéré, et quiconque., après l'avoir
reçu, avait le malheur de pécher, < tombait
pour toujours sous la puissance du démon
De là, d'incroyables excès. Parfois les cr oyants,
de leur propre mouvement ou par suite des
conseils de leurs ministres, poussaient le fana-
tisme jusqu'à se laisser mourir de faim ou à
s'empoisonner, pour ne pas perdre le bénéfice
du consolamentum. Et quand l'instinct de con-
servation se révoltait, les parents étaient là.
5
pour le dompter. Les faussesreligions sont tou-
j;&nra tM7n!tH':ames!par quelque endroit (ï)..
C~msueiit s'expliiquer qu~ des spéculations si
et des règles d'ascétisme si
atmtiTa:tioMielI.ps
eëmtraires aux aspirations de la nature aMut pu
atoir prise sur le tempérament mërtdio~al ?
Fa~-il donc &ttt&rei~onem&BÉgëEeFal à la
parole eaaam.méedes €rutlabert de Castres,,des `
t. J. RIGAUD, C. VIII.
2. Ibid., loc. cit.
3. Ibid., loc, cit. Cf. la Légende Benignitas ~Vttas
<hM6, p. 3M) PAULIN DE POUZZOLES ~Mtofta ab stig-
tttun,d{, c. 231); le Liber m.M'acutoTum, n. 5; BARTHÉLÉMY
DE PISE (Conformités, p. II, fr. VIII). Quelques-unes
de ces légendes mettent
cheval
un mulet à la place « d'un
4. Lég. Benignitas (Vtte6 dMce, p. 222).
Ainsi ta victoire du Saint était complète, ou
plutôt laL victoire du divin Rédempteur e&r
c'est -Lai qui s'afSrm'aii de nauivea~ en face du
mante.h:éisme,.le maîtr&de la créatioTi, te d~ctem-
delà-vérité, le: triomphateur del'eaf&r. d'est lui
qui rentrait dans les intelligences et. y ressai-
sissait l'empire qui lui appartient de dirait et
diont il n'est jamais iB'Dpumé'B'ïeB.t dépossédé,
Ainsi se réaMsa.ieni, d'une façon inatteTatàue~.les
prévisions et les espérances du Patriarche
serapMq,ue..
Le miracle e.M'c~aTM~t~Ne no.us o&e un' des
épisodes les plus attachants delà lutte éternelle
entre la vérité et l'erreur. Voilà Pourquoi mous
l'avoms. ya'comtë toia.'t au l'ong, dams ses plus
BMïms détails et avec ses heureuses consé-
quences. Reste UNtp~Mttseeoiidaire à examiner; `
le point contra'veysé. c'ast-ài-dire lieu du
prodige.
Le fait. en lut-mémi~ hâtans-mous de le dire,
est hors de Htig.e; attesté qu'il est pa<r toua lesj
hagiographes, et noiammient par Févéqu~ d~
TrégtUiier, Jean. Rigaud, q~ le rapporte- meQ
comme un trait oublié par ses prédéeesseMifs,
mais comme un < événement mémorable, extrait
d'une relation antérieure, d'un recueil des
miracles du Saint ». Les divergences ne s'ac-
cusent que Ibrsq'u'iî s'agit d''assig'ner le nom de
la. ville pFivtIegiée qui en fut le théâtre. Jean
Riga'u~d se tait,. Suyius desiga'e TouI'a'Mse;r
Barthélémy de Pisé, Riminr; 'Wad'ding se pro-
nonce en faveur de Bourg.es< Le .L~&efmM'tMM-
~orMH!.dit vaguement « Dans le comte de
Toulouse, ï En face de cetenchevétrententd'opi-
nions opposées, qu'il nous soit permis d'expri-
mer la nôtre.
Si nous écartons les historiens, qui se
divisent, pour interroger une autre forme de la
tradition, les MOMMMMM~ !a!ptdet'M"&s~ nous ver-
rons qu'une'senitcville, Bourges, possède des
titres sérieux à l'ho.nneur qu'elle revendique.
Et, en effet, Toulouse n'offre pas le moindre
vestige de cet événement, pas. une pierre, pas
nn'e inscriptitom; Rimini ne parle que du dis-
cours aux poissons de l'Adriatique. La capitale
du Berry,. seule., montre un témoin de ces temps,
un témoin six fois séculamre, l'église Saint-
Piierre-le-Cruillard,consacrée en ~23ï par Sinton
de Sully édifice de style ogival, dans le goût
de l'époq'ue, et dornt la construction tout près
des rempaarts, mais en dehors (t), implique
Fidée d'un monument GomiKaémoratif destiné à
perpétuer le sot~vemir de quelque événenoemi
extraordinaire. L'origine et la. date d'érection de
ce sanctuaire corrobore'nt ainsi la traditiion dont
Wa'ddmg s'est faitFinterprète; etnousestintons
que, dans le litige qui nous ooempe, les. présomp-
tions sont pl~ttôt en faveur de Bourges-
En dehors des deux scènes mémorables où le
champion des. croyances antiques a jo'ué um rôle
si important, mous n'avons rien depréMs. F<ït-tl
consulté par les Pères du concile de 1226 ?
J. Voir le ptam de BtMtrges au moyen â'ge. (Bib!. de
Bourges.)
Aborda-t-il le terrain politique, et eut-il l'occa-
sion d'émettre son opinion sur l'affaire des
deux prétendants, Raymond VII et Amaury,
à l'heure où ce dernier cédait au roi Louis VIII
le fruit des conquêtes paternelles? Nous l'igno-
rons. Dans tous les cas, l'assemblée se sépara
sans avoir réglé le litige, et ce ne fut que l'an-
née suivante, au concile provincial de Paris
(3o janvier ~226), que le roi, décidé à user de ses
droits de suzerain pour intervenir dans les
troubles du Midi, déploya l'oriflamme de saint
Denys et marcha sur Avignon, dont le siège le
retint trois longs mois.
A travers le cliquetis des armes et au-dessus
du fracas des lances qui s'entrechoquent,
résonne une note d'une harmonie toute céleste
et brille une de ces lueurs surhumaines, une de
ces visions si fréquentes aux premiers temps de
l'Ordre séraphique et qui leur donnent un
charme si pénétrant. Voici, en effet, ce que
nous racontent les historiens du Poverello. j
Le Frère Jean Bonelli de Florence, que sainte
François avait établi Provincial de Provence,
présidait alors, à Arles (i), < un Chapitre
auquel assistaient le Frère Monald, prêtre
renommé pour ses talents et plus encore pour
sa sainteté, et le bienheureuxAntoine, à qui le
Seigneur avait accordé l'intelligencedes saintes
Écritures et une éloquence plus douce que le
S. BONAVENTURE (c. IV) et JEAN RtGAUD (c. YIH) SOD.t
1.
les seuls légendaires du xin° siècle qui désignent nom-
mément la ville où se tenait le Chapitre.
miel pour chanter le Christ et ravir les multi-
tudes. Antoine prêcha sur le titre même de la
Croix Jésus de Nazareth, roi des Jui fs. Pen-
dant qu'il développait ce texte avec une chaleur
et une onction indicibles, le Frère Monald
aperçut, sous une forme sensible, à l'extrémité
de la salle, le Patriarche séraphique suspendu
dans les airs, les bras en croix, et bénissant
tous les Frères. Au même moment, tous se
sentirent remplis d'une telle consolation inté-
rieure, qu'ils n'eurent aucune peine, dans la
suite, à ajouter foi au récit qui leur fut fait de
la merveilleuse apparition de leur glorieux
Père (i). j<
Derrière saint François et au-dessus de lui,
ne faut-il pas voir le ciel lui-même approuvant
et sanctionnant par ce prodige la stratégie,
toute faite de persuasion, de douceur et de
patience, employée par le héros portugais dans
les guerres du Languedoc ?
Est-ce au Chapitre d'Arles que le Bienheu-
reux fut promu « custode de Limoges »? Nous
ne saurions l'affirmer positivement. Jean
Rigaud mentionne bien le titre (2), mais d'une
façon transitoire et sans s'occuper ni de la date
de l'élection ni de la durée de la charge. Custode,
c'est-à-dire supérieur de deux ou trois couvents
I. J. RIGAUD, C. VU.
dans des recueils hagiographiques de basse
époque, principalement dans le Liber mira-
CM~rMm traits de provenance inconnue et de
véridicité problématique, mais que nous nous
reprocherions pourtant de passer entièrement
sous silence. Ils serviront au moins à démon-
trer quelle haute idée on se faisait du thauma-
turge franciscain vers la fin du moyen âge.
Ici, c'est un enfant tombé dans une chaudière
d'eau bouillante et préservé de toute brûlure
par l'intercession du serviteur de Dieu là, un
enfant qu'il ressuscite et qu'il rend à sa mère
ailleurs, il restitue miraculeusement à une
femme du Limousin < la chevelure que lui a
brutalement arrachée son mari ». Plus loin, il
ordonneà un pauvre pécheur suffoqué par l'émo-
tion et le repentir, d'écrire ses fautes sur une
feuille de parchemin et à mesure que le péni-
tent les accuse, un ange du ciel les efface (i).
Enfin voici le trait le plus merveilleux, le plus
populaire aussi l'apparition de l'enfant Jésus.
Au cours de ses prédications, l'intrépide mis-
sionnaire était descendu chez un bourgeois qui
lui offrait l'hospitalité. Là, se livrant à son
attrait pour l'oraison, il prolongea sa veille bien
avant dans la nuit. Par une disposition spéciale
de la Providence, le bourgeois l'aperçut,au sein
d'une lueur surnaturelle, plongé dans les délices
de l'extase et portant dans ses bras l'e~/e~
Jésus (a).
i..Lt&ef miraculorum, n. n, as, 23, 25.
2. 7&M., n. 24.
Telle est, en abrégé, la célèbre apparition de
l'enfant Jésus, qui formerait la page la plus
idéale, la plus suave de l'hagiographie, si l'on
pouvait en prouver la réalité. Malheureuse-
ment, le doute plane sur le fond comme sur les
détails de cette vision (i). Elle ne repose que sur
l'assertion d'une compilation de la fin du
xiv" siècle, le Liber miraculorum, dont tous les
matériaux sont loin d'avoir la même valeur et
la critique ne peut l'admettre que sous réserves.
Vraie ou non, les arts l'ont mise en relief et
popularisée. Pas immédiatement toutefois car
la plus ancienne représentation de l'enfant Jésus
sur les bras de saint Antoine ne remonte qu'à
l'année 1495. C'est un rétable qui se trouve à
Pollenza, près de Macerata, province des Mar-
ches (2). Mais à partir du xvn° siècle, elle est
devenue une attribution iconographique du
thaumaturge, et bientôt l'attribut prédominant
le plus goûté, sans doute parce qu'il offre un
groupe plus harmonieuxet un symbolisme plus
expressif.
Le merveilleux fleurit ainsi à toutes les pages
du Liber miraculorum; mais au merveilleux
nous préférons le vrai, toujours, surtout lors-
qu'il s'agit d'un thaumaturge tel que saint An-
toine. Il n'a pas besoin d'une auréole d'emprunt;
i. Azévédo place la vision à Padoue, chez don Tiso,
ami du Saint; Wadding, dans le Limousin; l'abbé Ar-
bellot, à Château-Neuf-Ia-Forèt.Inutile de discuter ces
différentes opinions, alors que le fait lui-même est
douteux.
2. DE MANDACH, S. Antoine et r~.rt italien, p. 111, c. m.'
sa propre gloire lui suffit elle jette un lustre
incomparable. Ecoutons ce qu'affirme à ce sujet
la véritable histoire par la bouche de l'évêque
de Tréguier Oht l'heureux prédicateur Il
prêchait d'exemple et de parole, à tous, sans
acception,de personnes, et d'éclatants prodiges
venaient confirmer la vérité de sa doctrine (i). »
Voilà bien l'envoyé de Dieu, tel que l'image
s'en est conservée dans l'esprit des populations
du Limousin, allant d'une bourgade à l'autre,
guérissant les malades et réconfortant, selon
l'occurrence, les esprits dévoyés, lescœurs.dé-
chus, les enfants souffreteux, les mères en deuil,
tous ces désespères de la. vie dont chaque siècle
entend les plaintes ou les récriminations. Voilà
le thaumaturge semant la doctrine de vie et les
faveurs célestes, 'comme ie laboureur sème le
froment, à pleines mains (s~. Et voilà aussi le
moissonneur fortuné relevant les épis d'or et
liant, dans les champs du Père de famille, des
gerbes aussi précieuses que serrées.
Cependant, à travers ses courses apostoliques
« dans le diocèse de Limoges ilétaitpoursuivi
par ce besoin de solitude qui fut le tourment de
sa vie. Apercevant sur sa route, aux environs
de'Brive, à l'arrière-plan du vallon baigné par
la Corrèze, une roche solitaire, il s'y arrêta et y
fonda un ermitage dans le genre de celui de
Monte-Paolo. L'hagiographe limousin nous
i. «
Felix igitur praedicator. (J. RiSAUD, c. vm.)
2. « Ubique serons semina verbi vitœ ~6:d., ioe.
cit.)-
certine le fait en termes qui excluent le doute.
<
C'est le Bienheureux en personne, écrit-il, qui
implanta à Brive l'Ordre des Mineurs. Il leur
bâtit un couvent à une assez grande distance
de la ville (i). A ces détails authentiques,
mais un peu sommaires, le Liber MMracM~orM~
en ajoute de complémentaires, avec la précision
d'un pèlerin qui a visité ces lieux. < Antoine,
remarque-t-il, se retira à l'écart, dans une grotte.
Il s'y tailla une cellule, creusa dans la pierre une
fontaine destinée à recevoir les gouttes d'eau
qui suintent du rocher, et alors s'abandonna
sans crainte aux délices de la contemplation~
non moins qu'aux rigueurs de la pénitence (2).
Le merveilleux l'accompagna jusque dans ce
désert. La pauvreté y était extrême on man-
quait de tout, excepté de courage et d'amour
de Dieu. Dans un moment de détresse, le vé-
néré 'custode pria une dame de Brive; une de
ses bienfaitrices, de subvenir aux besoins de sa
petite communauté et de lui envoyer des lé-
gumes. Elle le fit avec empressement, malgré
une pluie torrentielle et persistante qui aurait
pu paralyser les volontés les plus énergiques,
et chargea sa servante d'aller au jardin et de
porter à l'ermitage les trésors de la charité.
Après quelques objections, la domestique céda
1. J. RIGAUD, c. vt. Des biographes du Saint, l'évê-
que de Tréguier est le premier qui ait parlé de ce séjour
à Brive, et le seul qui ait clairement désigné le nom de
la ville, estropié par le Liber. Brive faisait alors partie
du diocèse de Limoges.
2. Liber mt9'(tcit!<Mttm, m. la.
aux instances de sa maîtresse et partit, affron-
tant la rafale. Or, à son retour, elle raconta
avec admiration comment elle avait tout le
temps marché sous la pluie, sans qu'une seule
goutte d'eau eût mouillé ses vêtements (i).
Pierre de Brive, fils de la bienfaitrice et cha-
noine dela collégialede Saint-Léonard de Noblac,
se plaisait à narrer cet épisode dans tous ses
détails. Il avait raison car le fait, si .vulgaire
qu'il paraisse, renferme un profond enseigne
ment. Il nous rappelle que rien n'est petit de ce
qui se fait avec esprit de foi et que le Seigneur
ne laisse sans récompense ni les sublimes dé-
vouementsni le verre d'eau froide donné en son
nom.
Disons-le tout de suite, le séjour de saint An-
toine aux grottes de Brive ressemble à ses
autres étapes à travers la France ce n'est
qu'une halte, la halte rapide du soldat qui se
repose sur les lauriers de la veille et songe aux
combats du lendemain. Mais quand le soldat
est un Envoyé de Dieu, la roche où il a posé le
pied n'est plus seulement un souvenir histo-
rique elle devient une source de grâces et de
bénédictions, et les générations qui en bénéfi-
cient se redisent les unes aux autres Heureuses
vallées de l'Hérault et de la Garonne, que le
thaumaturge portugais a comblées de ses bien-
faits et fécondées de ses sueurs Heureuses
montagnes du Velay et du Limousin, qui ont
I. J. RIGAUD, C. V..
tions sont plausibles; mais nous demandons les
documents, et il n'y en a pas Mieux vaut saisir
l'apôtre franciscain au moment où la frêle em-
barcation qui l'emporte vers l'Italie est déjà loin
du rivage (i). I! revit par la pensée les douces.
émotions du passé, enveloppe d'un ~dernier re-
gard les côtes de la Provence, baignées dans
l'azur du ciel, et dit adieu à ces montagnes
illustrées par les larmes de Marie-Madeleine, à
cette terre du Languedoc où il a replanté la
croix, à ces rudes montagnards du Velay et du
Limousin qui l'ont entouré de leurs délirants
enthousiasmes, à cette France à laquelle il a con-
sacré le meilleur de son âme. De loin, il bénit
encore cette fille aînée de l'Église, dont il pres-
sent le réveil et les glorieuses destinées, et qu'il
emporte dans son cœur de prêtre et d'apôtre.
Les prières d'un saint sont une force; sa bé-
nédiction, un germe de résurrection et de vita-
lité. Deux ans après le départ d'Antoine, le
conflit qui a ensanglantéle Midi de la France et
failli rompre l'unité religieuse et nationale se
dénouera pacifiquement, grâce à la sagesse de
la régente Blanche de Castille, par le traité de
Poitiers. On y stipulera le mariage de Jeanne
de Toulouse avec Alphonse de Poitiers, frère de
Louis IX. L'hérésie albigeoise, œuvre de perfi-
die et de violence, se dissipera comme se dissi-
pent les ténèbres aux premières lueurs du ma-
tin la vérité reconquerra son empire, et, avec
RETOUR EN ITALIE
:fM~oe<cit.
D'autre part, la scène est unique dans l'his-
toire, naïve et gracieuse, d'une simplicité dont
le merveilleux fait tout le coloris. réparée des
circonstances qui l'ont amenée, elle pourrait
paraître puérile; mais replacée dans son cadre
normal, entre les Cathares qui regimbent
contre le joug de l'Évangile et un missionnaire
ardent qui, les voyant périr, veut les sauver
malgré eux, elle grandit et prend des propor-
tions immenses. t La présence du divin, remar-
que Jean Rigaud, répand sur elle des reflets
d'infini, autant que sur le discours de saint
François aux oiseaux (i). t~M~a~' ce n'est
pas assez dire à notre avis. Le Patriarche séra-
phique était beau, quand dans la vallée de Spo-
lète il prêchait aux oiseaux et les invitait à louer
Dieu. Saint Antoine nous paraît plus beau,
plus grand, lorsqu'il s'adresse aux poissons. La
scène de Bévagna a une teinte plus douce, celle
de Rimini un caractère plus émou'vamt(2). C'est
qu'ici la liberté humaine est en jeu. La vérité et
l'erreur se disputent l'empire des consciences;
et dans ce duel, vieux comme le monde, les
créatures privées de raison, évoquées, pren-
nent parti pour la première, lui rendent un
témoignage muet, mais d'une éloquence irréfu-
table, et lui assurent un de ses plus mémo-
rables triomphes.
Le discours aux poissons est le digne pen-
i. J. RIGAUD, IOC. cit.
a. Les fresques du Giotto ont immortalisé la scène de
Bévagna les tableaux du Guerchin, celle de Rimini.
dant du miracle eucharistique x (de Bourges?).
Le miracle est une apparition soudaine du
Maître de la création, un éclair qui déchire la
nue, un coup de tonnerre qui réveille, mais un
coup de tonnerre et un éclair qui ne convertis-
sent qu'à la condition que les égarés ou les
révoltés apportent eux-mêmes au moins un cer-
tain désir de connaître la vérité et ne fléchissent
pas devant le devoir. C'est l'enseignement qui
ressort du curieux épisode que Jean Rigaud
relate sous le titre du mets empoisonné".
Les Pharisiens, confondus par le Messie,
complotaient sa mort. Les Cathares d'Italie (i)
agirent de même. Furieux d'être toujoursbattus
dans les controverses publiques, ils résolurent
de se venger en empoisonnant leur adversaire.
L'horreur d'un pareil attentat n'arrêtait pas ces
Pharisiens du xm" siècle. Ils invitèrent l'apôtre
à dîner et lui présentèrentun mets empoisonné.
Ils comptaient sans l'intervention de la Provi-
dence. Le Saint connut au même instant, par
révélation, la trame infernale qu'ils' avaient
ourdie contre ses jours, et leur adressa de légi
times reproches. Ils ne se déconcertèrent pas
pour si peu, et ajoutant l'ironie à la cruauté, ils
lui déclarèrent qu'ils avaient voulu par là expé-
rimenter la vérité de ce passage de l'Évangile
<
Mes disciples chasseront les démons, et s'ils
boivent quelque breuvage mortel, ils n'en rece-
vront aucun dommage. Prenez cet aliment,
i. lu partibus Italiœ. (J. RIGAUD, c. VL) L'auteurne
précise pas autrement.
ajoutèrent-ils; et s'il ne vous nuit pas, nous
vous jurons d'embrasser la foi catholique. Si au
contraire vous n'osez y toucher, nous en con-
clurons que l'Évangile a menti. Je le ferai, ré-
pliqua l'intrépide missionnaire, non pour tenter
Dieu, mais pour vous prouver combien j'ai à
cœur le salut de vos âmes et le triomphe de
l'Évangile.)' Il fit le signe de la croix sur le mets,
le prit sans éprouver la moindre indisposition,
et les anges inscrivirent au livre d'or des élus
une nouvelle victoire et de nouveaux noms. Les
hérétiques tinrent leur serment et rentrèrent,
sincères et convaincus, dans le giron de
l'Église (i).
Au départ du thaumaturge, ils mêlèrentleurs
acclamations enthousiastes à celles des catholi-
ques demeurés ndèles; mais ni les uns ni les
autres ne surent jamais de quels sacrifices, de
quels actes d'héroïsme la conversion des
Cathares avait été le prix.
En dehors de Rimini que nous venons de
quitter, et de Padoue, où nous serons bientôt,
il est impossible de déterminer, même d'une
manière approximative, le trajet suivi par le
thaumaturge et d'indiquer les étapes de sa
route (2). Certains auteurs de basse époque
i. J. RIGAUD, c. vi. Le Liber miraculorum (n. 6)
reproduit textuellement l'hagiographe limousin.
2. AZZOGUIDI (StCCOPOLENTONE,apud H.OROV, p. CLXII),
s'appuyant sur Ange de Vicence, a tracé un itinérairee
assez complet des pérégrinations du Saint. Selon lui,
l'apôtre aurait visité Trieste, Aquilée, Goritz, Udine,
Gémona, Trévise, avant d'aborder Padoue. Ce sont là
désignent, il est vrai, plusieurs localités, et
nous le montrent, à travers l'auréole des
miracles –àFerrare, forçant un enfant encore
à la mamelle à proclamer l'innocence de sa
mère, patricienne en butte aux plus injurieux
soupçons de son mari (i) à Florence, annon-
çant dans une allocution aux funéraille.s d'un
avare, que son .âme est en enfer et son cœur
parmi les pièces d'or de son ~oSre-fort (s) à
Varèse, communiquant à l'eau d'un puits la
vertu de guérir des Sèvres pernicieuses ~3).
Mais pas une seule date.
Les traditions locales sont également muettes
ou trop vagues, sauf à Goritz, où le passage du
Bienheureux est authentiqu.é, ainsi que le cons-
tatentdeux inscriptionslapidaires, par la béné-
diction de la chapelle des Mineurs; chapelle
qu'il dédia à sainte Catherine d'Alexandrie,
vierge fameuse par sa science non moins que
par son courage (4).
Ne cherchons point à créer une chronologie
fantaisiste, et prenons le Saint tel qu'il est en
réalité, l'envoyé de Dieu, le pèlerin de la parole
divine, allant de-cide-là, partout où le pousse
i..Le~ttc!ct~)-tMMi,p.I,c.x.
silence des anciennes chroniques et l'origine
tardive des traditions locales (i), la question
restera probablement longtemps encore sans
réponse. Allons à ce qui est certain, et mettons
le cap vers la résidence que le thaumaturge
s'est choisie.
In
loc. cit.,
mullo Banque penitus exauditus. (RoLANmNO,
2o3). Le Liber miraculorum 36) dra-
p. (n. a
matisé à plaisir la scène de Vérone. Il représente Ezzé-
lino terrine par les menaces du thaumaturge, se pros-
ternant à ses genoux, lui promettant de s'amender, puis
lui envoyant des présents, avec ordre de le tuer, s'il les
acceptait. Tout ce récit est de pure invention.
a. V. Mo&ATOM~ toc. dt-, p. ao3 et 674.
des oppresseurs, dont elle n'avait ni peur ni
besoin (i)
Rentré à Padoue, l'âme en deuil, parce qu'il
n'avait pu, selon son désir, secourir ses frères
opprimés la population ne lui en manifesta
pas moins une reconnaissance et des sympa-
thies qui allaient bientôt s'affirmer avec plus
d'éclat et le dédommager de l'échec de Vérone.
Nous voulons parler du Carême de i23i, qui
est le point culminant de sa carrière apostoli-
que. Cédant aux instances de l'évêque Jacques-
Conrad (2), il accepta, à la grande joie des
habitants, d'évangéliser une seconde fois la
grande cité. Abandonner ses travaux scriptu-
raires et les fleurs de la littérature, pour courir
après les âmes, c'était, pour lui, aller d'un bien
à un autre bien plus excellent; car il voyait que
la moisson était mûre, et il savait que ses jours
étaient comptés.
Avant d'entrer dans les détails de cette sta-
tion quadragésimale, et pour saisir plus facile-
ment ce qu'il y eut de vraiment prodigieux dans
l'activité de son zèle et la fécondité de son
labeur, il ne sera pas inutile de jeter un regard
sur la situation politique et l'état moral de
Padoue dans la première moitié du xui" siècle.
Placée à l'entrée de la Marche de Trévise,
assise comme une reine au centre d'une plaine
d'une extrême fertilité, Padoue commençait
i. franciscains, Préface, p. 3.
OZANAM, les .Poètes
2. « Jacques-Conrad gouverna l'Église de Padoue de
1228 à 1239. (P. JosA, Legenda I, p. r;.)
alors à occuper, dans la haute Italie, une situa-
tion prépondérante que lui assuraient l'activité
industrielle de ses habitants, la richesse de ses
corps de métiers, et plus encore l'éclat de son
Université, déjà florissante et renommée, quoi-
que sa fondation ne datât que de 1222. Au
dedans, elle défendait avec une fierté jalouse
ses libertés communales et son autonomie; au
dehors, elle étendait peu à peu la sphère de son
action politique.
En ce temps de guerres continuelles entre
Guelfes et Gibelins dans la haute Italie, tous
éprouvaient le besoin de se rapprocher pour
être plus forts contre des attaques éventuelles.
Les villes les moins importantes se groupaient
autour des puissantes cités. Les seigneurs eux-
mêmes bâtissaient des palais dans ces commu-
nes redoutables, dans le but de s'en faire déclarer
citoyens. C'est ainsi que les Camposampiéro,
les Conti, les Fontana, les Forzaté et d'autres
nobles. personnages avaient été incorporés au
patriciat padouan. Le patriarche d'Aquilée,
Bertoldo, et les évêques de Feltre et de Bellune
avaient suivi leur exemple et, moyennant cer-
taines conditions, obtenu le droit de cité dans
Padoue. Le gouvernement était d'ailleurs forte-
ment constitué il avait à sa tête le podestat (i),
assisté de seize anciens du Grand-Conseil et du
Petit-Conseil. Le peuple participait au gouver-
nement, mais sans pouvoir jamais imposer
i. Gouverneur militaire.
des volontés aveugles et des caprices irréflé-
chis(i).* :D
Au point de vue national, Padoue avait réso-
lument arboré les couleurs des Guelfes, pendant
que Vérone, sa voisine et sa rivale, subjuguée
par Ezzélino, déployait le drapeau des Gibelins.
Outre le fléau des guerres civiles, Padoue
était atteinte de plaies intérieures qui ne cau-
saient pas moins de ravages non l'hérésie ni
l'esprit de secte, comme à Toulouse, à Bourges,
à Rimini; mais le sensualisme avec tous les
désordres qu'entraîne l'oubli de Dieu le luxe,
la débauche, l'usure, les rivalités de familles,
les proscriptions violentes. Mais, malgré tout,
la société était croyante, et sous la cendre des
passions couvait une étincelle de foi qu'allait
rallumer la parole de l'apôtre.
De ces plaies si diverses, l'usure était à la
fois la plus féconde en perturbations économi-
ques et la plus incurable. Tout le monde s'accor-
dait à reconnaître la gravité du mal; personne
n'osait y porter le fer, par crainte de la caste
privilégiée la corporation financière qui
en était le foyer. Les syndicats cosmopolites et
les banques d'État n'étaient pas encore créés
les banquiers du moyen âge n'avaient donc
qu'une influence restreinte comme leur sphère
d'action, mais une influence malgré tout consi-
dérable. A Padoue, comme à Venise, comme
dans toutes les républiques d'Italie,ils formaient
i. Bologne, i883.
a. Badoae, ]SS.
3. A.-M. LocATEN.t, Semnones & .AmtOMM Padoue.
N'ont encore pana. que cinq. fascicules.
Antoine l'a fait refleurir dans le monde(i).–Au
firmament de l'Église, ajoute une voix encore
plus autorisée, le pape Sixte IV, brille un astre
radieux entre tous, le bienheureux Antoine de
Padoue. Par l'éminence de ses mériteset de ses
vertus, par la profondeur de sa doctrine et de
sa science théologique comme, par l'éclat de sa
prédication, il a fait resplendir les beautés de
l'Eglise catholique. Il l'a couverte de gloire, il
en a raffermi les bases, il en a consolidé la puis-
sance. A mon avis, disait de même un savant
prélat du xix" siècle, Mgr Vincent Gasser, les
ouvrages du thaumaturge sont un superbe
commentaire des saintes Ecritures. Qui les lit
attentivement, n'a pas besoin de chercher ail-
leurs (2).
Voilà des expressions bien élogieuses, toutes
sincères, quelques-unes parties de haut, mais
en regard desquelles il nous semble opportun
de placer tout de suite les observations et
réserves qu'exige de nous le respect de la
vérité.
Les Panégyriques et les Dominicales ont tout
d'abord contre eux d'être écrits en latin c'est
le cas de tous les sermons qui nous restent du
moyen âge. « Les savants rédacteurs de l'His-
toire littéraire en avaient même conclu qu'on
prêchait alors en latin. Cette opinion ne tient
plus devant les dernières recherches. Il est
i. «Per doctrinam B. Antonii fecit Deus muhdum
reviviscere. (SptCtXe~tumjffcmctsctMMfM,iv, p. ao.)
2. LOCATELLI, 1.1, Préface, pp. xvu-xxu.
aujourd'hui reconnu que sauf quand ils s'a-
dressaient exclusivement aux clercs les ser-
monnaires se servaient de ce qu'on appelait
« la langue vulgaire D, seulecomprise'du peuple.
C'est après coup, quand ils voulaient publier
leurs discours, qu'ils leu écrivaient en latin. Ils
eussent cru s'abaisser, en usant, pour cette
publication, d'une autre langue que de celle de
l'Église et du haut enseignement (i). )' L'usage
du latin a persisté longtemps après saint
Antoine; et saint Bernardin de Sienne, saint
Vincent Ferrier, saint Jean de Capistran, s'y
conformaient encore. Parmi les auteurs, les uns
voulaient par là donner à leur pensée une forme
plus littéraire, les autres, une forme plus
durable; tous voulaient être lus, et le peuple,
au moyen âge, ne lisait pas.
Nous avonsdonclessermons de saint Antoine
tels qu'il les a lui-même rédigés, mais non tels
qu'illes a prononcés; car nous regardons comme
certain qu'il suivit l'exemple de saint François
et qu'il employal'idiomepopulaire de ces temps,
la langue romane, également entendue, à tra-
vers ses différents dialectes, de l'Italie, de
l'Espagne et de la Provence (2). II lui manqua
un Benedetto de Sienne, un sténographe qui
reproduisît intégralement ses discours dans
cette langue romane encore inculte, mais dont
I. LOCATELLI, t. 1, p. rgï.
oratmre qui ies ammait, excitent plus nos r~-
gr~t-s qM.eiOiOsconi~oi'ëses.Comparées à ia splen-
dem.r de ses 'v<ertMs et :a.H.x gloires de son apos-
tolat, 'siles me sont riœ. Mais .considérées ;em
elles-mêmes, et malgré ibmrs défauts,, &U.'es B.e
sontpas ssais iBecite et peifitent'emeoj'.e la maï~-Ute
d~ ~ém.e.. NOMS les avoms feuilletées, Bt nous y
aT7!<msreca.eilliTinL faisceau de palettes d'or qiaie
de grands eeriiMmus pourraient lui envier. Ce
faisceau,NSM.s Fa~âeiMms, à titre de fleuron se'
ccudaire~ am diadème sijrespte~iss.amtd.uthao-
maturge, de i'apotre .et 'du. saint..
L'apôtre cTiezitu prims l'écrivais. Prêcher est
sa mission, et iofs même ~u'il écrite il prêche
encore mis'stem 'qu'il a ~eçMie d'en b&ut et qu.'a
coo&'ïoée samt Français ~missMn d'une .Eëcon-
diié vmi'menLt extraordinaire et qui se oomtmue
après .son trépas, puisque, seil~B le mot du car-
d)ima.l E~des de C.Mteata.ï'<i'u.x, < par sa doctriE~e
il a faitï~Reurir la religion
Le ehaLmpMBt des droits de Diea avait écNt
par esprit d'obéissance. Son état d'épuisement
et de sougrances, à t'issue du Carême de j.s3j,
N'e lui pernu.t pas d'achever la réda~on de ses
commeaitaires, ~t 4a mortallaitbriser sa plutme,
avant qu'itts pusseat' être livres au public. Lui-
tiaême pressentait que l'heure des jugetnentsde
Dieu et'des sentences irrévocables était proche
heure redout&ble
lawar;~ po~ar tous,
red~a~tal~ie poMj tou-s,. inoême
xsoa~rxae
p~~ar les
pour ~~s
saints et au seuil de l'éternité, il voulait se
recueillir, scruterions les replis de sa conscience
et secouer les grains de sable qui s'attachent
facilement à la robe du prédicateur. Le Patriar-
che d'Assise, avant de disparaître de la scène
de: ce monde, s'était retiré quelque temps sur
les hauteurs de l'Alverne. Le disciple aspirait,
lui aussi, à une séparation totale d'avec le
monde. Sous l'impression de ce sentiment, il
alla trouver un de ses amis les plus dévoués,
don Tiso, seigneur de Castel-Fonté et de Cam-
posampiéro, l'adversaire d'Ezzélino III. Ce
gentilhomme nous l'avons dit plus haut
s'était enrôlé dans la milice spirituelle du Tiers-
Ordre de la pénitence (i). Lorsque saint An-
toine lui fit part de ses desseins, il se montra
tout heureux de pouvoir lui témoigner sa recon-
naissance et mit ses vastes domaines à sa dis-
position. Ils se rendirent ensemble à Campo-
sampiéro, à dix-neuf kilomètres environ de
Padoue. En parcourant un bosquet qui apparte-
nait à don Tiso, le Bienheureux aperçut, dans
la profondeur du bois, un noyer gigantesque, à
l'ombrage épais, à la ramure vigoureuse, où
s'abritaient les oiseaux du ciel. Le voisinage et
même le caquetage de ces derniers n'étaient pas
pour déplaire à cet amant de la nature. « Les
moines et les oiseaux sont frères, déclarait-il
aimablement, tous deux amis de la lumière,
tous deux prenant leur libre essor vers le
ciel (a). II se construisit donc, aux cimes de
l'arbre qui avait captivé son attention, à côté de
i. D'après SCARDEONIUS (Antiquitates JPcctcm.), don
Tiso mourut en ia3~.
2. DE LA HAYE, dom. septuag.
son frère le rossignol et de sa sœur la fauvette,
une cellule faite de branches entrelacées, et s'y
fixa avec deux de ses Frères, qu'on croit être
Luc Belludi et Roger (i).
Camposampiéro rappelle une des scènes les
plus touchantes de ses dernières années. C'était
le 3o mai, « quinze jours avant sa mort dit
expressément le premier biographe. Des som-
mets de la colline qui domine Padoue et le Val
de la Brenta, le thaumaturge contemplait la
ville avec sa forêt de blanches coupoles, ses pa-
lais de marbre, ses jardins embaumés et sa vaste
plaine couverte de moissons jaunissantes et de
vignes en fleur. Tout à coup il fut transporté
des splendeurs du monde visible à celles du
monde invisible, et eut une extase où lui furent
révélés le jour de sa mort et les glorieuses des-
tinées de la cité qui posséderait ses ossements.
Dans le feu des ravissements divins, il bénit
Padoue, la patrie de son cœur, comme saint
François mourant avait béni Assise, et s'écria
«
Sois bénie, ô Padoue, pour la beauté de ton
site Sois bénie pour la richesse de ta cam-
pagne Sois bénie aussi pour la couronne d'hon-
neur que le ciel te prépare en ce moment (2)
Son compagnon de voyage entendit ses pa-
roles, mais sans en comprendre le sens prophé-
tique ni toute la portée. Le nœud du mystère ne
i..ftorettt, c. xx.
CHAPITRE XIII
MORT ET CANONISATION
PADOUE ET LE SAINT
«
Depuis que le thaumaturge est inscrit au
catalogue des saints, écrivait au xm" siècle lé
chroniqueur padovanais, il n'a cessé de se
montrer l'ange tutélaire, l'espoir et le protec-
teur, le refuge et le patron de notre cite. Plaise
au ciel qu'il le demeure toujours (i) an
Le désir du chroniqueur s'est pleinement réa-
lisé. Padoue est comme Assise, un de ces
lieux qu'une seule pensée remplit, qui vivent
d'une tradition, d'un tombeau. Sans doute
cette cité savante n'a oublié ni son fondateur
Anténor, ni Tite-Live, qu'elle vit naître, ni son
Université, vieille de six cents ans. Mais ce
qui fait l'orgueil du peuple, c'est le souvenir de
saint Antoine, le disciple bien-aimé de saint
François (2)..
Le puissant thaumaturge est vraiment le
Saint de Padoue. Là, tout parle de lui, les
monuments et les hommes tout conduit à son
sanctuaire, tout chante ses gloires, tout redit,
sous une forme ou sous l'autre, l'inscription
gravée au-dessus de sa châsse
t. ROLANDINO,Rer. ital. script., t. VIII, p. ao3.
2. OZANAM, les Poètes franciscains, c. Ut.
JDtDO..AHto!MO. eoK/'essorï. sacrum.
RP-PA.PO.
A SAINT ANTOINE CONFESSEUR
La jR6pM&H~M6 de Padoue.
Sa basilique est un des joyaux de l'Italie (i).
Édifiée, croit-on, sur les plans de Nicolas de
Pise, mélange d'art ogival et d'art byzantin,
avec son dôme, ses coupoles ajourées et ses
élégants campaniles, elle produit un effet sai-
sissant. Chef-d'œuvre d'architectureauquelont
travaillé tous les siècles, elle renferma toutes
sortes de richesses artistiques des bas-reliefs
de Sansovino, des bronzes de Donatello, des
fresques de Mantegna et du Titien, etc. Trente-
six lampes d'or brûlent jour et nuit devant la
châsse. L'autel du Saint, en marbre de Carrare;
n'a pas d'égal dans toute la péninsule. Œuvres
de génie, œuvres admirables, mais bien pâles,
si on les compare au trésor qui les a inspirées!1
Le dôme lui-même nous en avertit, et sur ses
parois on lit le vers suivant
Gaude, yMRB .F*<t<ÎMe~
QtMï tKesa'ttfNtn poMM<e*.
Réjouis-toi, heureuse Padoue,
De posséder un tel trésor (a) r
Le trésor, de la vieille cité, ce sont les reliques
i. Les travaux de construction furent commencés
en ia33, abandonnés cinq ans après, par suite des
malheurs de la patrie, et repris en 1269, puis en !&)?. Le.
dôme du chœur date de 1424, et la chapelle actuelle du
Saint, de i532.
s. Off. du Safint, ant. du .B~ecHetMs.
du Saint, cette langue incorruptible qui n'a
cessé de louer Dieu, ces mains qui ne se sont
étendues que pour bénir, ce corps purifié par
la pénitence et transfiguré par 1,'amour qui par-
fois exhale une odeur céleste, gage de sa résur-
rection glorieuse.
Les Padovanais ont eu conscience, dès le
principe, de la valeur dû dépôt confié à leur
garde; et le reliquaire de marbre qui le renferme
n'est pas autre chose que le fruit des sacrifices
de dix générations, qui ont jeté là le meilleur de
leur âme. Cette splendide basilique n'est pas,
en effet, l'œuvre d'une famille plus opulente,
mais de tous et de chacun. Elle nous apparaît
ainsi comme l'âme de la vie publique, le centre
des arts et quelquefois le dernier refuge de la
liberté. Son histoire carelle a une histoire
s'entremêle aux principaux événements du
pays; et chacune de ses colonnes, chacune de
ses peintures nous raconte les joies ou les
deuils, les défaites ou les victoires dont elle a
été témoin.
On sait combien les Padovanais sont atta-
chés à leurs franchises municipales. Ils veillent
avec plus de soin encore s.ur tout ce qui touche
à < leur Saint sanctuaire, archives, transla-
tion ou distribution de reliques. Aussi, grâce à
leur ~èle, nous ëst-il facile de suivre, à travers
les âges, l'histoire posthume de l'apôtre fran-
ciscain.
Commençons par le récit des trois transla-
tions que nous offrent les annales delà basilique.
La première nous reporte au 7 avril ia63. C'était
le jour choisi pour exhumer les ossements du
thaumaturge et les transférer dans le sanctuaire
bâti en son honneur (i). Saint Bbnaventure,
alprs Général de l'Ordre,présidait la cérémonie.
Quand on ouvrit le cercueil, un spectacle inat-
tendu s'offrit à ses regards. Les. chairs étaient
réduites en poussière la langue seule était
intacte, fraîche et vermeille comme celle d'un
homme vivant. En présence d'un phénomène si
extraordinaire, le Docteur séraphique ne put
contenir son émotion. Il prit la langue dans ses
mains et s'écria, en la baisant avec respect
« 0 langue bénie, qui n'as cessé de louer Dieu et
d'enseigner aux autres à le bénir, c'est mainte-
nant qu'on voit clairement combien tu étais
précieuse à ses yeux (2)! » Puis il en confia la
garde aux magistrats de la cité, pendant que le
Si ~M~e~s miracula, cette gracieuse cantilène
due au talent du Frère Julien de Spire et si bien
appropriée à la circonstance, s'échappait pour
ainsi dire tout naturellement des lèvres des
religieux (3). Peu de temps après, cette langue
i. Is., xxxv.
pathétique avec lequel il s'écria, dans une
émouvante péroraison < 0 grand saint An*
toine, patron des choses perdues, faites retrou-
ver à mon pays la foi que l'hérésie lui a enlevée!1
Faites retrouver à mon troupeau son pasteur
exilé J Qu'il vous fasse retrouver à tous la patrie
du ciel, si vous l'avez perdue (i)
Peu de temps après, ses voeux –du moins
en ce qui le concernait personnellement
étaient exaucés, et les catholiques de Genève le
revoyaient à leur tête. Une plaque de marbre,
incrustée dans le rocher, rappelle en ces termes
le passage de l'éminent prélat et la faveur
obtenue t
Le cardinal Mermillod, exilé de
Genève, est venu demander à saint Antoine de
lui faire retrouver son troupeau, et il a été
exaucé. Gloire au Saint qui fait retrouver les
objets perdus 1 »
Les grottes de Brive parlent avec plus d'élo-
quence de la sainteté et des bienfaits de l'apôtre
franciscain; mais elles ne sont pas les seules
les villes de Cuges et de Bourges ont aussi leurs
sanctuaire antoniens.
Cuges, petite ville des Bouches-du-Rhône,
possède une relique insigne qu'elle tient de la
libéralité de ce cardinal Guy de Montfort, dont
nous avons déjà plus d'une fois prononcé le
nom. Il avait été chargé par le Souverain
Pontife de présider les fêtes de la seconde
translation des reliques de notre Bienheureux
<
MON RÉVÉREND PÈRE,
<
Vous désirez savoir comment la dévotion à
saint Antoine de Padoue a pris naissance dans
notre ville de Toulon. Elle s'est développée
comme toutes les œuvres du bon Dieu, sans
bruit, sans fracas et dans l'obscurité. Il y a en-
viron quatre ans, je n'avais aucune connais-
sance de la dévotion à saint Antoine de Padoue,
si ce n'est que j'avais entendu dire, vaguement,
qu'il faisait retrouver les objets perdus, quand
on l'invoquait.
« Un matin, je ne pus ouvrir mon magasin la
serrure à secret se trouvait cassée. J'envoie un
ouvrier serrurier, qui porte un grand paquet de
clefs et travaille environ pendant une heure à
bout de patience, il me dit Je vais chercher
a les outils nécessaires pour enfoncer la porte
«
il est impossible de l'ouvrir autrement. » Pen-
dant son absence, msptree par le bon Dieu,
je me dis Si tu promettais un peu de pain à
saint Antoine pour ses pauvres, peut-être te
ferait-il ouvrir la porte sans la briser. Sur ce
moment l'ouvrier revient, amenant un compa-
gnon. Je leur dis « Messieurs, accordez-moi,je
« vous prie, une satisfaction. Je viens de pro-
t mettre du pain à saint Antoine de Padoue
« pour ses pauv res veuillez, au lieu d'enfoncer
« ma porte, essayer encore une
fois de l'ouvrir;
e peut-être ce
Saint viendra-il à notre secours.
Ils acceptent, et voilà que la première clef qu'on
introduit dans la serrure brisée, ouvre sans la
moindre résistance et semble être la clef même
de la porte. Inutile de vous dépeindre la stupé-
faction de tout ce monde elle fut générale. A
partir de ce jour, toutes mes pieuses amies
prièrent avec moi le bon Saint, et la plus petite
de nos peines fut communiquée à saint Antoine
de Padoue, avec promesse de pain pour ses
pauvres.
«
Nous sommes dans l'admiration des grâces
qu'il nous obtient. Une de mes amies intimes,
témoin de ces prodiges, luint promesseinstanta-
nément d'un kilo de pain tous les jours de sa vie,
s'il lui accordait, pour un membre de sa famille,
la disparitiond'un défaut qui la faisait gémir de-
puis vingt-trois ans; la grâce fut bientôt accbr~
-dée, et ce défaut n'a plus reparu. En reconnais-
sance elle acheta une petite statue de saint
Antoine de Padouedont elle ment présent, et
nous l'installâmes dans une toute petite pièce
obscure, où il faut une grande lampe pour y
voir. C'est mon arrière-magasin. Eh bienl le
-croiriez-vous, mon Révérend Père? Toute la
journée cette petite chambre obscure est rem-
plie de monde qui prie, et avec quelle ferveur
'extraordinaire Non seulement tout le monde
prie, mais on dirait que chacun est payé pour
faire connaître et répandre cette dévotion.
< C'est le soldat, l'officier, le commandant de
marine qui, partant pour un long voyage, vien-
-nent faire promesse à saint Antoine de 5 francs
.de pain par mois, s'il ne leur arrive aucun mal
pendant tout le voyage. C'est une mère qui de-
mande la guérison de son enfant, ou le succès
d'un examen c'est une famille qui demande la
.conversion d'une âme chère qui va mourir et ne
'veut pas recevoir le prêtre c'est une domestique
-sans place, ou une ouvrière qui demande du
travail, et toutes ces demandes sont accompa-
;gnées d'une promesse de pain si elles sont
<exaucées.
« Ce quisurtout a donné le plus de dévelop-
pement à cette chère dévotion, c'est un article
ironique que le journal impie de notre ville a
inséré dans ses colonnes cet article était à mon
adresse et me dénonçait au public comme cou-
pable d'entretenir la superstition dans notre
ville. Je me suis réjouie en le lisant, et ce que
j'avais prévu est arrivé d'un petit mal Dieu
a tiré un grand bien. Il est si puissant et si
bon (i) b
-C'est ainsi qu'est née, d'un acte de foi, l'Œu-
vre du Pain de saint Antoine, et que l'aspirante
Carmélite est devenue l'intendante de l'aimable
thaumaturge, la propagatrice de son culte et la
servante des pauvres. Nulle préméditation,
nulle intrigue tout sous une inspiration divine.
La fervente Toulonnaise n'a pas varié dans le
récit de l'orïgine de cette dévotion. Vingt fois,
écrit le P. Marie-Antoine, elle m'a afûrmé que
lorsqu'elle s'est mise à genoux pour demander
le miracle, une inspiration subite et comme une
voix intérieure lui ont dicté ces mots Du pain
pour vos paKW6s Mots que je n'avais jamais
prononcés, ajoute l'intendante, et auxquels je
n'avais jamais pensé. Et voilà que tout à coup,
ils sont venus s'emparer de mon esprit, démoli
cœur, et j'ai compris qu'il fallait se servir de
cette formule pour obtenir le miracle. Je m'en
suis servie, et le miracle s'est accompli (2). »
\5"
X~ '7
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE.
APPROBATION.
1. Radieuse enfance.
Le chanoine de Saint-Augustin
V
VII
i
IL
franciscaine.
IH.–Vocation
IV.–SaintAntoineett'hërësiealbigeoise.
17
27
60
Saint Antoine dans le Velay et le Berry..
V.
enitalie.
83
VI. Dans le Limousin 96
VII. Retour 116
VIII. A Padoue 128
IX. Chapitre général d'Assise 187
X.
XI.
Second séjour à Padoué
Œuvres oratoires du Saint. 146
172
XII. Sa vertu dominante
XIII.
XIV.
XV.
Mort et
Padoue et le
Son
Saint.
canonisation.
culte en France
191
soi
214
229
!)t)e.–t.Mtttch,imt.t)f,M.deCMtmM.
Original en <:ou!eur
Nf'Z43-)?.0-.S