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Français Se présenter sous un angle … particulier.

Tueur en série

Elle ne sait pas que je la regarde. Elle ne sait pas que mon cœur bat à se rompre dans ma poitrine.
Que mon souffle chaud s’échappe par saccades entre mes lèvres entrouvertes. Que mon corps tendu
vers Elle frissonne doucement.
Elle, mon doux repas de réveillon.
5 Elle avance, de sa démarche ondulante, en jetant des coups d’œil nonchalants autour d’Elle, lissant
machinalement sa robe blanche. La pluie a cessé depuis deux heures et tout le parc sent l’herbe
fraîche. Le soleil caresse les feuilles d’un vert tendre, effleure la surface de l’étang, fait jouer des reflets
irisés qui brisent les bulles des poissons. Une grenouille saute sur un nénuphar et Elle s’arrête pour
la regarder, tandis que moi, dissimulé derrière les branches enchevêtrées, je la regarde, Elle.
10 J’aime ça. La regarder sans qu’Elle ne le sache. Etre si près d’Elle sans qu’Elle en ait conscience.
Sentir son odeur fraîche et légère. La contempler, innocente, joyeuse, primesautière, bientôt inerte,
molle, abandonnée.
Je plisse les yeux à cause des feuilles qui s’agitent sous le vent qui se lève. Je ne veux pas la perdre.
Je l’attends depuis si longtemps. Je ne veux pas commencer un nouveau siècle sans Elle. Une longue
15 vibration traverse mon corps, une pulsation continue qui me fait trembler, dolosive et délicieuse.
Un bruit, sur ma gauche. Je me fige, muscles hypertendus, prêt à fuir. On marche, tout près, sans
aucune légèreté. Des voix épaisses, avinées. Deux hommes titubants traversent mon champ de
vision. Les deux clochards qui vivent près de la fontaine. Fausse alerte. Où est-Elle ? Je l’ai perdue !
Non, Elle est là, Elle boit. Je la regarde déglutir. Elle est belle. Belle et désirable.
20 J’ai envie de la serrer contre moi, de presser ma bouche contre sa poitrine moelleuse, appuyer mes
dents contre sa peau si fine jusqu’à ce qu’elles la transpercent tandis que son petit cœur affolé se
convulse. Son corps contre mon corps, tressautant, terrifié, j’aime l’idée de son impuissance, de son
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désespoir, de sa peur, savoir qu’Elle va m’appartenir totalement, tout entière, ma chose, ma poupée
de chiffon, mon jouet d’une heure, mon petit quatre-heures bien chaud, j’aime qu’elles se débattent
25 pendant qu’elles agonisent sous mon étreinte implacable, j’aime sentir jaillir ma puissance sous le
regard bienveillant du Créateur.
Encore des voix. Je me plaque contre la terre tiède, contre l’humus humide. De l’eau me dégouline
sur le crâne sans que je frémisse. Cette fois-ci, c’est eux. Hautes silhouettes aux visages faussement
avenants. Ils me cherchent. Ils veulent m’enfermer à nouveau. Ils disent qu’il ne faut pas aimer le
30 sang. Ils ne comprennent rien.

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J’ai besoin du sang. Du sang chaud jaillissant d’un corps encore vivant. D’une chair tiède et éventrée
où nicher ma tête douloureuse. Ils disent que je ne peux pas résister à mes pulsions, ils ont planté
leurs bistouris dans mon corps pour éradiquer mon désir et maintenant ils veulent me garder derrière
leurs portes closes, leurs parois vitrées, me gaver de leur nourriture insipide, me forcer à écouter leurs
35 paroles ronronnantes, dégoulinantes de leur idiote compassion. Ils sont faibles. Faibles et dangereux.
Elle s’est rapprochée ! Je retiens mon souffle. Elle se doute de quelque chose, Elle s’immobilise,
regarde de tous côtés de ses yeux noirs et vifs.
Je me fonds dans la terre, je suis l’écorce brune de l’arbre, le souffle tiède du vent, la brûlure du
soleil, je suis la feuille qui ondule, la fourmi qui fouit, je suis l’invisible odeur d’un jour d’été. Je suis
40 la mort en ce jardin, douce et miséricordieuse.
Elle repart, je respire. Mes mâchoires sont tellement contractées que je sens ma langue contre mes
dents, épaisse, avide. Lente montée irrésistible du désir. J’en ai mal jusqu’au creux du ventre, jusqu’au
bout de mes ongles qui grattent la terre spasmodiquement. Il me la faut. Là, tout de suite. Pendant
qu’ils me cherchent de l’autre côté du parc. Avec un peu de chance, je réussirai à sauter le mur, à me
45 fondre dans le vacarme incohérent de la ville.
Mais ils me poursuivront, ils me traqueront, ils m’enfermeront et me feront la morale, toujours les
mêmes phrases que je fais semblant d’écouter, les yeux mi-clos. Je m’en fous. Je suis libre, une liberté
qu’ils n’ont jamais connue et qu’ils ne comprennent pas. Je suis affranchi de leurs lois hypocrites. Je
suis un arc bandé par la force invisible de la vie, je suis une flèche de chair et d’os, je vais bondir,
50 voler vers Elle, élan de pure énergie, fatal projectile. Tension de mes muscles, douloureuse, je suis
prêt. Je…
- Il est là !
Une main pesante s’abat sur mon cou, c’est foutu !
La rage me saisit, je me débats, mais ils sont plus forts, ils sont toujours plus forts !
55 - Espèce de petit coquin ! me dit la voix idiote.
Petit coquin ! Moi, le plus grand serial killer du parc Monceau !
Et Elle qui s’éloigne, qui se retourne une dernière fois, qui me voit enfin, ses yeux s’écarquillent,
Elle a compris ! « Je te retrouverai, lui dis-je en silence, je te retrouverai, ma chérie ! »
- Allez, vilain minou, à la maison !
60 Et Elle s’envole tandis qu’ils me traînent vers leur tiède enfer.
(Brigitte AUBERT, Scènes de crime, Magnier, 2007)

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1. Pourquoi s’agit-il d’une nouvelle à chute ?

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2. Définis, avec précision, le cadre spatio-temporel de cette nouvelle :


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3. Qui est le narrateur de cette nouvelle ? Justifie ta réponse.
L’auteur est celui qui ………………. l’histoire, le narrateur est celui qui la ……………....….

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4. Pourquoi l’auteur met-il une majuscule au pronom personnel « Elle » ?


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5. Surligne, avec la couleur , 3 indices qui auraient pu te faire deviner


l’identité du narrateur.

6. 6. Quels éléments t’ont conduit(e) à une interprétation erronée de l’identité du

narrateur ? Entoure trois pièges dans la nouvelle avec la couleur

7. Quelle focalisation est adoptée ? Sois précis(e) ! Justifie ta réponse.


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8. Repère et explique une rétrospection présente dans le texte.


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9. Repère et explique une anticipation.


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Le Centre

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(Brigitte AUBERT, Scènes de crime, Magnier, 2007)

1. Définis, avec précision, le cadre spatio-temporel de cette nouvelle :


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2. Qui est le narrateur de cette nouvelle ? Justifie ta réponse.


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3. Surligne, avec la couleur , 3 indices qui auraient pu te faire deviner


l’identité du narrateur.

4. Quels éléments t’ont conduit(e) à une interprétation erronée de l’identité du


narrateur ? Entoure trois pièges dans la nouvelle avec la couleur

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5. Quelle focalisation est adoptée ? Sois précis(e) ! Justifie ta réponse.


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6. Laquelle des deux nouvelles as-tu préféré ? Justifie ton choix.


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Jeu d’écriture… A toi de te mettre dans la peau d’un animal et de rédiger


un texte d’une quinzaine de lignes avec une chute. Soit, tu joues le rôle d’un

prédateur, soit celui d’une victime/proie. Veille à disperser des pièges pour

brouiller les pistes et à donner suffisamment d’indices pour que l’on comprenne

de quel animal il s’agit. Attention ! Pas besoin d’un récit sanguinolent : la proie ne

subira aucun supplice.

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Idées en vrac…

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