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La paternité chez les On O

Jackie Botimela LOTETEKA


Anthropologue

Lz xoM de l’etbnie Kongo s’applique è un ancien D’abord none ønalyserons les structures parentales
royaume dont la population æ retrouve de part ct ct familiales chez les Kongo, puts nous aborderons le
d’autre de l’embouchure du ßeuve Congo, depuis la cas particulier de la patemité chez les Kongo.
có te de l’Atlantique jusqu’aux environs du Stanley
Pool. Cette aire s’ttend sur une partie du territoire du
Congo-Brazzaville, an Cabinda, au Congo-Kinshasa
(døns le bas Congo) jusqu’en Angola du Nord.
Les populations Kongo (Bakongo, au singulier Le peuple Kongo privilégie le seul mode de filia-
MuLongo) ú sues de cetterégion sontunies pæ les liens tion œstrilinéaire. II regroupe tons les descendants de
de la langue, le Kinkogo, et de la culture. D’après leur sa fondatrice, qui n'en sont sépares par aucun homme.
mythologie, ils servient originaires de Kongs dia
Ils torment ainsi un « Signage », groupe de gens des-
ntotila, ct descendants des anciens sujets du roi du cendant d’un même øncêtre coæmun {Dikaba dieto).
Kongo. Selon les historians, Nime Lukeni fut roi dv Selon la tennìnologie kongo de la parentë, ct dans le
Kongo. Une ancieme légende raconte que tous les système matrilìnéaire, le mot Ț‹¡ya désigne les arrières
Kongo ‹lescendent de douze ancêtres féminin qui ac- grands-parents, ainsi que leurs frères et sœurs ; le mot
compagnù rcnt Nime Lukeni. Les Portugais nkaka les grands-parents, ainsi que leurs frères et
(Mputululæzo, en Kikongo) visitćrent ce royaume au sœurs ; ct le mot tata le père, ainsi que ses frères et
xvf siècle.
sours. Le mot mcmm désigne, lui, la mère ct see
Aujourd’hui, en dépit de l’existence de frontières sœurs.
délimitáes ä l’époque coloniale, et de leur appartenance Mais il convient de distinguer les aînés, nkulutu, des
è dißérentes enń tés étatiques, les Kongo conservent cadets, nleki.
leurs mœurs, leurs coutumes ct leurs structures paren- Enfin, l’oncle matenie1,1e ngwa nkasi, qui, dans le
tales. Les structures parentales ct familiales chez les système matrilinéaire, représente le chef coutumier
Bantu different de beaucoup de ceßes décrites dans le (chef de la Camille), détient la puissance paternelle.
Code civil français. Le système de parenté se conçoit Lorsqu’une personne, Ego, est dans ce système de fi-
plutô t à travers un ensemble de solidarités ct d’allian- hation, ses enfants s’inscrivent dans le Signage de 1eur
ces. La parenté s’avère la structure la plus importante mère. Ego n’est pas détentrice de la puissance pater-
øn Afrique, dans la vie sociale etjuridique. Selon Mi- nelle. Elle appartient an tig›rø nkasi. Alors que les
chelAlliot, « c'est un mode de penser ct d’organiser la
Infants de la sœur d’Ego (muana mast) sont ses en-
vie ' ». Cette parenté s’analyse au sein d’un groupe, fants, les enfants du frère d’Ego ne sont pas considé-
celui dans lequel une persoone est née ou a engendré.
rés comme les siens (c/1e schéma qui résume les liens
L’appartenønce à un groupe se trouve à la base des
de parenté chez les Kongo).
structures idenõ taires. Elle détemiine la place de l’in-
dividu non seulement dans lv socićté, mais égaleinent
dms sa communauté de vie. Elle ne se fonde pas sur le
Usr Puisserczwarmr ożz
lien du sang, mis s’organise autour du partage ct de
ENTRE LE PURE (TATA)
la conciliation d’intérêts divers. La notion de parent4
ET L ’ONCLE MATERNEŁ (NGWANKASI)
s’appuie done sur la vie en société, sur la lutte en
commun, sur l’assistancemutuelle. Tout s’exprime par
Le mariage se dít sainpa, ce gut sigriifie empruntei.
elle. Or, la logique de ces structures reste assez parti-
Donc,lorsqu’onsemøriechezles Kongo, on« empiunie »
culière, surtout en matière de patemité. la fonction de fécondité ã la femnie. Ainsi, c’est l’en-
fantement gut concrétise le mariage, ct la relation ma-
trimoniale ne subsiste qu’à travers la procréatíon. La
' Michel ALLIOT. « Modèles øociétaux,- 1. Les conununau- femme reste attachée àson lignsge, etil esttoujours pos-
tés », dans Reciieil d'arttelec, contributions à dev colloques.
textec (1953-1989), Pøris, LAJP, p.156-159. sible devoé un jour la fernme partir avœ ses Infants.
Chez les Kongo, le systèmede filiation matrilinéaire
donne à1’enfant les principaux éléments deson
statut,
et notamment son appartenance à un groupe de pa- de la femme, tient une place centrale dans la vie de
renté dont la mère est la référence. Chez les Bakongo, l’enfant mukongo, car dans la sœiété kongo, l’enfant
l’enfant appartient de fait au lignage de la mère, que est avant tout la « chose », la partie intégrante de la
l’union des parents soit consacrée selon le droit civil mère : mwana, yaka dia mama '. Elle transmettra à
ou selon la règle coutnmière. l’enfant ses gestes quotidiens, tels que celui de ne ja-
Dès leur naissance, les enfants sont placés sous mais refuser de l’eau et de la nourriture à un étranger.
l’autorité « paternelle » deleuronclematerne1,le ngwa Dans la société traditionnelle, les enfants jouissent
nkasi. Quant à leur éducation, elle sera partagée entre autant de la faculté de vivre avec leur père que de celle
le père biologique et l’oncle maternel. Mais la trans-
d’aller habiter chez leur oncle maternel. Mais toutes
mission des biens et des staö its se fait de l’oncle uté-
rin aux enfants de le sœur. L’oncle transmet à son les décisions concernant l’enfant et l’autorité pater-
neveu (muana iiHzfÿ non seulement les biens maté- nelle revimnent à l'oncle maternel. Le pére qui ne res-
pccterait pas cette coutume, et qui userait dc la puis-
riels, mais aussi les biens spirituels, particulièrement
sance paternelle envers ses propres enfants, agirait au
la sorcellerie, Kindoki, que lui ont cooférée les ancê-
péril de sa vie et de sa famille.
tres (le pouvoir des ancêtres se dite-nemo). Chez
les Bakongo, et pour la pensée africaine, le monde réel C’est l'exemple de M. Sasa, habitant dans la capi-
ne se conçoit que « comme la somme des mondes visi- tale où il s’était enrichi. Malgré l’opposition de sa
ble et invisible entre lesquels circulent les énergies ' ». famille, il s’est marié avec une femme d’une ethnie
Le lien de filiation entre l’oncle et le neveu difï"ere ce- différente, une Mongala du Nord du Congo-
pendant de celui qui unit le pere biologique à son en- Kinshasa, là où le système de fdiation en viguew est
fant. Il se fonde sur le pouvoir spirituel que le ngwa patrilinéaire. Loin de l’emprise familiale et villageoise,
nLasi exerce sur son « fils ». S’agissant de l’enfant, le couple a vécu sans problèmes, et plusieurs enfants
les parents biologiques sont tenus d’adhérer à la déci- sont nés de leur union. S’enrichissant davantage, M.
sion de l’oncle maternel, particulièrement au moment Sasa décide dc quitter la capitale pour aller s’installer
du mariage de l’enfant, lorsque le montant de la dot est dans son vil- lage natal. Accompagné de sa petite
discuté, ou dans le cas où le conjoint ne lui convient pas. famille, il achète des terres et construit un hô tel.
$ li face de faire mourir soit l’enfant, soit tous les en- L’arrivée de sa famille laisse dans la plus grande
indifférence autant sa fa- mille que l’ensemble du
village. Les enfants sont
fants qui scout conçus, soit de les frapper tous de sté- considérés comme des étrangers, des Bangala, du nom
rilitè. Il exprime, ce faisant, l’intérêt du Piquage, et sa de l’ethnie de leur mère.
volonté ne souffre pas la moindre contradiction. Au bout de quelques jours, la mère tombe malade.
L’oncle peut ainsi exercer légitimement son auto- Les résultats médicaux ne révèlent cependant aucune
rité sur tous les membres du groupe. Le rô le originel pathologie. Son mari explique ses malaises par l’ina-
de cette sorcellerie familiale sert donc avant tout à ré- daptation à la région, lui demande de faire un effort et
guler les relations des membres du lignage. Mais il d’apprendre la langue locale. Malgré tout, le village
sert aussi à expliquer des événements surprenants, à ne lui adresse pas la parole. Elle se trouve ainsi livrée
protéger les membres de la lignée contre toute menace l elle même et ne communique qu’avec ses enfants et
extérieure et, enfin, i rétablir la paix dans la famille. son é poux.
Le staœt de sorcier, ndoki, attribué à l’oncle maternel, Au bout de deux années, toujours malade, elle dé-
lui assure le respœt et la crainte de la part de toute la cide d’aller se faire soigner à la capitale. Lorsqu’elle
famille, dépourvue de tout moyen légitime de riposte. arrive dans la grande ville, une de ses belles-sœurs lui
avoue que c’est sa propre famille qui est à l’origine de
Quant au père, il reste en retrait dans la transmission ses maux. Et elle l’implore de ne plus retourner au vil-
dmprincipaux éléments deconduite et decoœportement lage, où elle perdrait la vie.
bakongo, qui permet à l’enfant de s’inscrire dans le Après plusieurs mois d’absence inexplicables de son
système matrilinéaire. épouse, le mari donna raison à sa famille en se rema-
NéBnDlOlRS, comme nous l’avons déjà souligné, en riant avec une femme de son ethnie, et il prit ses ne-
matière d’éducation de l’enfant, la coutume, ni stricte veux à sa charge, comme l’exige la coutume matrili-
ni rigide, n’exclut pas l’intervention du père néaire. Par contre, aux yeux de la famille et de tout le
biologi- que dans l’éducation et la fomiation de ses reste du village, ses propres enfants étaient toujours
enfants. Celui-ci a la charge d’entretenir
quotidiennement son épouse et ses enfants. Mais • Oenis SAMBA. « Mort et vie autour de l’enfant imaginaire,
l’image de la mère, plutôt enfant réel et position féminine, exemple des Kongo (Lari) du
CongœBrazzaville », dans Nouvelles congolaizes, mars-avril
'Etieœie LE ROY. « L’esprit dela coutuineet1'idéo1ogiede1oi », 1996, ri‘7, Paris, Ices, p. 96.
dftfl La CæimÙ e du droit en Afrique, Paris, Arso i, 1983.

Melompous n° 7
tenus pour les éléments d’une autre ethnie, donc des « sorcellerie » de la famille paternelle, les enfants aban-
étrangers, des bangala. donnèrent leurs droits.
A la mort du père, malgré le testament qu’il laissa Au-delà de la justice des vivants, la crainte et le res-
en faveur de ses enfants, la famille du père dépouille
pect des pouvoirs des ancêtres continuent de s’imposer.
les hériäers de tous leurs biens, en application de la
En effet,comme le signale Michel Alliot, « ce qui sejoue
règle coutumière, selon laquelle les biens d’un père
dans le visible résulte généralement de ce qui s’est joué
muRngo reviennent de droit è ses neveux, pour qui
dnns l’invisible. Onpourrait dire que tout est conçu dans
il
celui-ci avant d’apparaître dans celui-lè 4 ». •
est le ng›ro msi, et ä ses frères et sœurs. L’interven-
tion de lajustice permit aux enfants du défunt de faire M ALLIOT. « La coutume dans les droits originellerpent afri-
valoir le testæneiit. Mais redoutant les représailles de cains », dans Bullettn de liauan du LAMP, Paris n°7&, p. 79-100.

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