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L’ordre psychosomatique
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Du même auteur
Pierre Marty
L’ordre psychosomatique
Les mouvements individuels
de vie et de mort / 2
Désorganisations et régressions
© 1980, Éditions Payot
106. bd Saint-Germain, Paris VI*.
ri
AVANT-PROPOS
(*) Cf. Michel Fain, Une conquête de la psychanalyse : Les mouvements individuels
de vie et de mort de Pierre Marty. Revue française de Psychanalyse, N° 4, 1976, p.
741, P.U.F., Paris.
O Les mouvements individuels de vie et de mort, Payot, Paris, 1976 ; 2* éd. 1979
(P.B.P. n° 361).
8 AVANT-PROPOS
(4) Nous avons signalé (cf. Tome I, A propos de l’évolution individuelle, p. 115)
qu’en deçà des fixations individuelles issues de l’ontogénèse existaient des fixations
issues de la phylogénèse, dont les organisations physiologiques de base constituaient
le type. La plupart des fonctions somatiques ainsi qu’un grand nombre de fonctions
mentales sont ainsi, avant la naissance, au moins inscrites dans un programme et
rentrent dans la catégorie des fixations phylogénétiques. La valeur ultérieure
régressive et revitalisante des organisations physiologiques de base se retrouve
toutefois pourvue d’un inégal tonus d’un appareil l’autre selon les races, les familles
et les individus.
(5) Les réorganisations régressives doivent être souvent aidées de l’extérieur au
cours des désorganisations progressives. La gamme des possibilités d’aide extérieure
s’étend des psychothérapies aux réanimations en passant par d’innombrables moyens
thérapeutiques. Un minimum d’aptitude régressive spontanée, personnelle et déter
minée à certains niveaux fonctionnels, est néanmoins nécessaire pour que le sujet
« accroche » l’aide extérieure qui lui convient, l’intervention thérapeutique propice.
Il est donc important de connaître le plus tôt possible, chez les patients dont on
s’occupe, les diverses capacités régressives des fonctions.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 11
dépressions essentielles et de la vie opératoire avec les apparentes
inorganisations. Nous nous proposions — le moment est venu — de
mieux examiner les mouvements contre-évolutifs qui s’effectuaient
à partir d’organisations beaucoup plus évoluées que celles des
névroses de comportement. Nous laisserons donc de côté les
névrosés de comportement pour nous intéresser au problème des
désorganisations progressives chez les névrosés de caractère.
Les désorganisations progressives cheminent à contre-courant
évolutif. Elles commencent par la désorganisation des groupes
fonctionnels les plus évolués. Après l’échec des barrages opposés
par les mécanismes régressifs mentaux classiques à la progression
des désorganisations, c’est la base même de la construction mentale
qui va se trouver perturbée dans les névroses de caractère. Nous
retiendrons spécialement ce phénomène dans notre étude.
(6) Les différents étages traversés par les désorganisations sont marqués par
l’expression de symptomatologies nouvelles qui témoignent de tentatives de réorgani
sations régressives. Ces tentatives régressives, qui finissent par avorter, se montrent
d'une valeur homéostatique provisoire tout à fait variable.
Par ailleurs, nous savons que, selon les traumatismes et selon les dispositions
structurales des sujets, un certain nombre de régressions réorganisatrices qui
succèdent à des mouvements de désorganisations plus ou moins prolongés et qui
s'accompagnent également d'expressions symptomatiques, peuvent entrer en jeu.
Théoriquement en définitive, dans la perspective des « désorganisations et
réorganisations pathogènes », il n'existe donc de différences entre « les régressions »
(titre du sous-chapitre IV) et les « désorganisations progressives » (titre de ce sous-
chapitre III), que dans la profondeur des désorganisations et dans la solidité des
régressions. Ces différences ont cependant une importance d’ordre vital. Les
régressions constituent en effet des systèmes homéostatiques solides alors que les
désorganisations progressives ne voient s'établir aucun équilibre durable.
Cliniquement, en dehors des cas extrêmes, on rencontre la plupart du temps des
tableaux complexes qui nécessitent un certain travail d’analyse avant que ne se
dégage la valeur homéostatique des tentatives ou des réussites régressives dont
témoignent les différents symptômes. De ce fait, les descriptions schématiques des
divers mouvements que nous présentons, portant sur l'aspect majeur de ceux-ci, se
montrent quelquefois un peu lourdes en écartant les diverses variations et les
multiples nuances de la réalité.
O Notre propos ne vise pas directement à préciser la nosographie. Nous devons
cependant signaler qu’en France :
Henri Sauguet (Encyclopédie Médico-Chirurgicale, Psychiatrie, 1955) donne un
sens précis aux « névroses de caractère », qu’il distingue dans le groupe plus
important des « caractères névrotiques », groupe dont, selon sa terminologie, nous
nous occupons ici. Nous conservons néanmoins dans notre ouvrage le terme général
de « névroses de caractère » en raison de sa plus grande audience.
Plus récemment, Jean Bergeret (La dépression et les états limites, Coll. Science de
l’homme, Payot, Paris, 1974) décrit les « cas limites » qui se développent selon le
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 13
Les névroses de caractère tirent leur nom des « traits de
caractère » qui constituent l’une de leurs possibles données sympto
matiques. On parle en. fait de névroses de caractère lorsque la
symptomatologie, au sens le plus courant et le plus large du mot,
déborde de la pure symptomatologie des névroses mentales où elle
se cantonne au domaine de l’expression symbolique des conflits
psychiques.
Constituées de traits de caractère, de manifestations de comporte
ment, souvent aussi de mécanismes névrotiques mentaux et quel
quefois de mécanismes psychotiques, les névroses de caractère
présentent la plupart du temps un aspect symptomatologique
polymorphe.
Les névroses de caractère peuvent témoigner de fixations à
certains niveaux de la lignée mentale, mais les régressions corres
pondantes et la symptomatologie classique qui les accompagnent
s’avèrent alors moins nettes, moins massives, moins soutenues que
dans les névroses mentales. Les autres formations symptomatiques,
non issues d’une élaboration psychique, réactionnelles aux mouve
ments instinctuels ou traduisant directement ceux-ci, peuvent se
référer à des fixations sur les lignes évolutives latérales ou sur des
dynamismes parallèles.
La discrétion symptomatique de certaines névroses de caractère
fait entrer dans leur groupe une importante partie des gens
considérés comme « normaux » (8).
Aspect positif.
Chez les névrosés de caractère existe sans doute une relation
entre la disponibilité habituelle de l’appareil mental et l’irrégularité
du fonctionnement de celui-ci dont les arrêts peuvent constituer le
premier signe et le premier pas des désorganisations progressives.
Nous savons que chez les névrosés de comportement, l’insuffi
sance permanente du système psychique laisse facilement place aux
désorganisations graves. Au contraire, chez les névrosés mentaux,
le fonctionnement mental (qui s’accomplit sur un mode pathologi
que) est continu. La pression pulsionnelle se trouve endiguée dans
une voie essentielle et souvent unique d’élaboration mentale. Les
mécanismes psychiques appartenant au faisceau évolutif central
commun assurent la persistance de l’activité mentale pathologique.
(*) Nous avons antérieurement signalé que « les névrosés de caractère considérés
comme normaux demeurent en particulier susceptibles de participer à certaines
organisations sociales qui, éclipsant le Surmoi par les obligations qu'elles entraînent,
donc au prix d'une réduction de certaines activités de l'individu, lui permettent
d'autres formes d'expressions instinctuelles. Lorsque la participation à ces organisa
tions cesse, le Surmoi reprend normalement sa domination antérieure ». On a par
ailleurs noté qu’à l’occasion d'événements extérieurs exceptionnels, des guerres ou
des exodes par exemple, beaucoup de névrosés mentaux comme certains psychoti
ques voyaient disparaître leurs symptômes en même temps que se faisait jour une
adaptation à la réalité sociale. Le calme revenu, la symptomatologie antérieure
réapparaissait.
Il semble ainsi que, dans une certaine perspective, les manifestations symptomati
ques puissent être en rapport avec l'importance sociale d’événements extérieurs. On
ne peut ici parier de traumatismes puisque ces événements sont réorganisateurs de
l’homéostase, à moindre frais individuels pourrait-on dire. Il semble plus précisément
que, pour rétablir l’homéostase, l’importance sociale des événements extérieurs
doive être en rapport direct avec l’importance du narcissisme structural en cause :
événements exceptionnels à l’extrême pour les psychotiques, événements relative
ment ordinaires pour les névrosés de caractère considérés comme normaux.
Sur le plan somatique, nous connaissons la rareté habituelle des affections chez les
névrosés narcissiques (psychotiques) et chez les névrosés mentaux. Chez les névrosés
de caractère, à l’occasion d’événements sociaux extérieurs (dans lesquels la responsa
bilité même inconsciente des sujets n’est pas engagée) et selon l’importance de ces
événements, on voit également diminuer, parfois de façon considérable, le nombre
des maladies physiques.
16 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
Aspect pathologique.
Chez les névrosés de caractère, les passages du fonctionnement
mental aux manifestations de caractère ou de comportement ainsi
qu'aux activités sublimatoires ou perverses constituent en quelque
sorte des moments naturels d'interruption du processus psychique,
en rapport avec la disposition structurale des individus. Dans ces
cas, l'organisation de la première topique demeure en place, quelles
que soient les actions en cours, et reste utilisable même lorsqu’elle
n'est pas utilisée. De toute manière les divers fonctionnements se
trouvent sous-tendus par les Instincts de Vie.
En dehors de ces moments d’interruption du processus psychique,
moments naturels en somme, peuvent intervenir des moments
accidentels de cessation de l'activité mentale (13) :
Un nombre considérable d’événements :
— qui intensifient la pression instinctuelle,
— qui raniment par trop certains conflits (dont le champ est ici
plus étendu que dans les névroses mentales) en déséquilibrant la
valeur respective des éléments conflictuels,
— qui réduisent les capacités habituelles, régressives ou non,
d’élaborations mentales,
— qui obturent les voies coutumières d’expressions instinctuelles
des sujets,
sont susceptibles de provoquer de vastes dégâts traumatiques.
Les élaborations mentales ne pouvant s’effectuer, les régressions
ne pouvant s’installer, on assiste à une désorganisation des fonde
ments mêmes de l’appareil mental, dont la faillite tout au moins
provisoire du fonctionnement préconscient antérieur témoigne de
manière particulière (14). En même temps d’ailleurs que s’inter
rompt l’activité mentale sur la ligne évolutive centrale, on voit
i
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 19
cesser latéralement les manifestations ordinaires du caractère et du
comportement ainsi que les systématiques sublimatoires ou perver
ses. Aucun système organisé, fût-il transitoire, ne vient alors se
mettre en place. Seuls, en définitive, semblent subsister certains
automatismes de comportement. Il n’est plus question d’organisa
tions substitutives mais bien de désorganisations sous-tendues par
les Instincts de Mort.
Dans un certain nombre de cas il est vrai, de telles désorganisa
tions se limitent dans leur progression et s’avèrent momentanées.
Elles peuvent tourner court par exemple lorsque des organisations
régressives — correspondant à des fixations d’un niveau évolutif
relativement archaïque puisque antérieur à la mise en place de la
première topique — parviennent à s’installer, quelquefois spontané
ment (15). Elles peuvent tourner court dans d’autres cas lors de la
réapparition d’objets disparus (ou lors de la rencontre d’objets
affectivement équivalents), dont la disparition avait précisément
provoqué la désorganisation mentale (la présence effective d’objets
de valeur déterminée paraît ainsi nécessaire au fonctionnement
mental ordinaire de certains sujets). Elles peuvent aussi tourner
court, dans d’autres cas encore, lorsque les circonstances extérieures
permettent aux individus en cause de rétablir l’usage d’élaborations
ou d’expressions instinctuelles antérieures (16).
Lorsque la désorganisation mentale se fait jour et s’installe ne
serait-ce que de façon passagère (17), elle atteint avons-nous dit les
bases mêmes de l’appareil psychique au niveau de l’organisation
fonctionnelle de la première topique. Elle se manifeste ainsi dans la
vie fantasmatique, onirique et relationnelle des sujets (18).
Sur le plan fantasmatique, les représentations préconscientes ne
se font plus jour. La liaison avec l’inconscient est rompue, le
symbolisme absent. On cherche en vain des associations d’idées. Les
Perspectives théoriques.
Les lignes d’intérêt théorique qui se dégagent des événements que
nous avons considérés nous paraissent se rejoindre dans une même
perspective génétique concernant les névroses de caractère.
Les névrosés de caractère, dans leurs manifestations les plus
communes, se signalent par la disponibilité et la relative fragilité de
leur système fonctionnel mental comme par le manque de pouvoir
défensif de leurs autres systèmes fonctionnels devant les désorgani
sations. L’ensemble du problème nous parait relever des trois
dimensions concernant le temps, le lieu et l’intensité des fixations
individuelles dominantes.
Dans les névroses mentales, les fixations s’étagent essentielle
ment, en chaîne, sur le faisceau évolutif central commun, sur le
faisceau évolutif mental. Dans cette chaîne, les fixations dominan
tes, les plus intenses apparemment, sont relativement tardives, qui
reposent sur certaines fonctions d’un appareil psychique déjà
largement constitué. Il en résulte une marque pathologique perma
nente, témoin d’un système régressif mental puissant et puissam
ment défensif, arrêtant à tout coup la marche contre-évolutive des
désorganisations.
Dans les névroses de caractère, les fixations se trouvent distri
buées non seulement sur le faisceau évolutif central, le plus souvent
mental ("), mais également sur des chaînes évolutives latérales qui
rejoignent plus ou moins tardivement la ligne mentale, ainsi que sur
des dynamismes parallèles qui demeurent relativement indépen
dants d’elle. Aucune des diverses fixations dispersées ne domine par
trop les autres. D’où l’aptitude générale aux variations du fonction
nement, d’où le polymorphisme symptomatique. Il n’existe pas, par
définition, de fixations à la fois puissantes et tardives dans l’évolu
tion de l’appareil mental. D’où la disponibilité de la plupart des
névrosés de caractère dans l’utilisation de leurs activités psychiques.
Cependant l’absence de fixations dominantes et tardives sur la
lignée mentale, conjuguée à l’égrènement, à l’éparpillement, au
(*) Nous n’avons pas perdu de vue que certaines structures névrotiques pouvaient
comprendre un faisceau évolutif central qui ne soit pas d’ordre mental. Nous avons
donné, dans le tome I, l’exemple caractéristique d’un faisceau évolutif central
« allergique essentiel », l’évolution mentale des individus étant alors atypique. Il
nous parait néanmoins préférable de ne pas trop compliquer ici notre perspective des
désorganisations mentales dans le cadre des névroses de caractère les plus classiques.
Nous envisagerons les problèmes concernant les structures possédant des faisceaux
évolutifs centraux non-mentaux comme ceux de l’allergie essentielle que nous
continuerons à prendre pour exemple, à propos des régressions globales.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 23
C25) Les régressions qui ne se raccordent pas à la lignée mentale sont peu
défensives en ce que, dans le trajet souvent court de la ligne évolutive à laquelle elles
se réfèrent, elles n’offrent aux mouvements instinctuels que des possibilités d’expres*
sion et non des possibilités d'élaboration.
(*) Le Moi-Idéal, témoin du narcissisme infantile passe, pense-t-on, par le moule
d’une identification primaire à la mère investie de toute puissance.
L’Idéal du Moi, comme son nom l’indique, est une formation secondaire.
Entre le narcissisme infantile et l’idéal du Moi secondaire existent des zones
complexes d’intermédiaires fonctionnels qui intéressent fortement la psychosomati
que puisqu’elles se situent au niveau des relations sensorio-motrices primitives du
nourrisson, et de sa mère (et du dégagement progressif, chez le nourrisson du
sentiment de soi et de l’autre). Nous reviendrons sur ce problème.
Cliniquement, il importe de discriminer les références de personnalisation objec-
tale de celles de non-personnalisation d’un Idéal qu’on perçoit chez le sujet. La
tendance vivante à réaliser un idéal tenant au père, par exemple, peut se trouver
gonflée d’une toute-puissance narcissique primaire. La forme de l’idéal du Moi
risque alors de cacher l’investissement de cette forme par un Moi-Idéal insatiable et
mortifère.
24 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
Implications thérapeutiques.
Nous avons signalé que l’appréciation du fonctionnement psychi
que des individus risquait de se trouver entachée d’erreurs au
moment de l’investigation. La présence d’un objet, le consultant, à
la fois pourvu de certaines qualités positives et dépourvu de
certaines qualités négatives pour le sujet, se montre en effet
susceptible d’animer un moment l’activité mentale ordinairement
défaillante de celui-ci. L’investigateur dans ces conditions n’imagine
pas — ou risque de ne pas imaginer — que le malade, généralement
venu consulter pour une affection somatique, vit depuis quelque
temps déjà dans un état de désorganisation. La communication
verbale s’effectue alors de manière équilibrée en raison du rétablis
sement au moins provisoire, le temps de l’examen ou parfois à peine
davantage, de la circulation au niveau du préconscient du patient.
Comme aucun indice relationnel ne permet à l’investigateur de
pressentir l’état habituel du dysfonctionnement de l’autre (27), la
cure psychanalytique classique peut ainsi paraître indiquée. Seule en
fait la recherche anamnéstique méthodiquement poursuivie est
capable de se montrer fructueuse et d’éviter dans ce cas les impasses
thérapeutiques, mettant en évidence la période dépressive récente,
(&) Une telle erreur, parfois difficile à éviter, se trouve encore assez souvent
réparable.
L
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 27
parler le sujet à propos d’activités précises, peu conflictualisées,
dans lesquelles les idéaux ne seront pas mis en cause. Il considérera
également avec lui la teneur de son désarroi, à savoir l’anxiété, la
symptomatologie nouvelle des comportements automatiques, les
éventuels troubles somatiques. Il soulignera la relation entre
l’apparition récente de ces difficultés et la disparition d’un certain
nombre de qualités psychiques. Il indiquera, s’il le faut, la relative
fréquence des avatars de ce genre (30).
De telles interventions échappent singulièrement à la technique
classique et s’opposent à la conception d’une cure analytique type
que nous ne croyons pas possible ici sans prendre d’énormes risques.
Les variations que nous proposons nuisent en réalité beaucoup
moins qu’on ne pourrait le croire à l’analyse propre des sujets en
cause. Elles leur facilitent l’accès à un niveau régressif inhabituel
mais nécessaire à leur réorganisation, notre expérience tend à le
prouver (31).
C30) Ces modifications techniques évoquent, dans une certaine mesure, celles que
proposait Maurice Bouvet lors des crises de dépersonnalisation (cf. M. Bouvet,
Œuvres psychanalytiques, Tome I, Payot, Paris, 1967).
C31) La souplesse adaptative de l’analyste au patient fait paitie de sa neutralité
profonde. Il s’agit seulement pour l’analyste d’avoir conscience de ses variations
techniques, de leur nécessité et de leurs conséquences.
28 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
(33) Nous sommes conscient de l’aspect schématique que nous donnons aux
diverses formes de névroses et qu'on rencontre peu, en clinique, dans un état aussi
simple, aussi pur que celui que nous décrivons. Lorsque nous parlons de névroses
mentales en particulier, nous mettons en avant leurs formes extrêmes souvent
voisines d’états psychotiques. Nous dénudons trop ainsi les névroses mentales, les
dévêtissant de nombre de leurs accompagnements fréquents qui touchent au
caractère et au comportement. Ce que nous disons paraît cependant correspondre à
l’essentielle réalité des choses.
(■*) Nous savons que des conflits plus ou moins latents peuvent s’étendre à la
sphère somatique. Les témoignages abondent, nous en choisissons un : chez des
névrosés de caractère pourvus d’un appareil mental tout à fait convenable, on peut
voir une hyperglycémie — symptôme se manifester de la même manière à l’occasion
d’excès alimentaires, de l’éloignement d’un proche, de difficultés professionnelles ou
de conflits affectifs. Le taux de la glycémie semble donc participer à un jeu complexe
dans lequel entrent en ligne pour « une part » aussi bien certaines fonctions
digestives que d’autres fonctions concernant la relation immédiate, que l’idéal du
Moi ou que le Moi-Idéal. Il est difficile de définir « l’autre part », c’est-à-dire la
formation qui entre en conflit avec les fonctions précédemment énumérées,
formation qu’on est peut-être en droit de supposer unique dans la mesure ou la
symptomatologie est une. On serait alors tenté de penser à un Moi très étendu, mal
dégagé de profondes racines, qui n’a pas réussi à s’autonomiser comme le Moi que
l’on considère dans la deuxième topique.
30 les désorganisations progressives
f35) Nous rejoignons ici la note faite précédemment à propos du voisinage des
névroses mentales et des psychoses.
On peut envisager sous un certain angle que les psychotiques organisés — que nous
prenons comme exemples extrêmes — possèdent au maximum leurs objets intérieurs
au point que leur vie se systématise dans la « reconnaissance » (on pourrait dire dans
la « projection » au sens courant du mot) permanente de ces objets dans le monde
extérieur. On voit alors le peu de place que réservent ces psychotiques à la réalité des
autres individus dont ils peuvent pratiquement se passer.
Le problème est fort complexe et ce que nous venons de dire, discutable — quelle
que soit la valeur spécifique qu’on accorde aux mots d’intériorisation, d’introjection
et de projection, et que ces phénomènes concernent des objets ou des modes de
relation —. On peut en effet se demander si, dans l’évolution personnelle des
psychotiques en cause, les notions d’intérieur et d’extérieur (se rejoignant dans la
notion de narcissisme primaire) ont jamais été spatialement distinguées l’une de
l’autre, au moins à des niveaux sensorio-moteurs. Nous reprendrons ce problème.
(*) Cf. Maurice Bouvet, Œuvres Psychanalytiques (op. cil.), La relation d’objet.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 31
f37) Sans que l’on puisse directement parler d’une perte objectale on doit penser
que, lors des désorganisations mentales, l'inconscient des sujets ressent l’effacement
d’un certain nombre de fonctionnements mentaux habituels et particulièrement sans
doute la perte des valeurs symboliques attachées à certains individus, aux choses et
aux mots. Un tel sentiment, mobilisant des mouvements instinctuels inexprimables et
dont l’aménagement mental s’avère impossible serait susceptible de constituer un
élément traumatique supplémentaire qui précipiterait la désorganisation.
(M) L’équilibre interne d’une mère par exemple, peut être rompu à différents
moments du fait de l’autonomisation de son enfant. Le sevrage du nourrisson, la
reconnaissance évidente du père par l’enfant, la scolarisation et plus tard la
professionnalisation et le mariage, constituent en particulier des points parfois
redoutables de rupture pour la mère.
Chez un individu quelconque pour des raisons voisines, un changement de travail
ou même un simple changement du lieu de travail, la retraite, sont susceptibles de
provoquer d’identiques ruptures d’équilibre.
(") Cette réalité est évidemment toute personnelle au sujet. Elle ne manque pas
d’aspects projectifs initiaux. Elle prend cependant figure de réalité pour le sujet du
fait de sa constitution ancienne et de son caractère inaménageable, inanalysable,
intraitable.
32 les désorganisations progressives
(*°) Le terme « hystérie », lorsqu’il n’est pas accompagné d’un qualificatif, désigne
un élément structural complexe fait :
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 33
dans l’ensemble moins solides. Une large gamme de systématiques
relationnelles évolutivement bien fixées permet néanmoins à l’indi
vidu de jouer sur la distance à l’objet en utilisant les multiples
moyens mis à sa portée. Les refoulements, les identifications de
diverses natures, les phobies (dont éventuellement les phobies
mentales (41)) sont ici les modes de fonctionnement les plus
utilisés (42).
Bien qu’il convienne toujours de prendre garde à la solidité des
défenses de l’organisation mentale, même lorsqu’il s’agit d’une
névrose de caractère anal ou hystérophobique, la plupart des
névrosés de caractère victimes de défaillances mentales n’ont, pour
aménager la relation, ni les capacités rigoureuses de filtrage et de
tenue à distance du caractère anal, ni le vaste clavier et les aptitudes
gymnastiques d’ordre régressif dont dispose le caractère hystéro
phobique. Dans une investigation trop rapide, il arrive cependant de
confondre nombre de patients dont nous nous occupons, avec des
névrosés de caractère hystérophobique, en raison de l’étalement des
fixations.
L’apparente facilité de relation des névrosés de caractère
contraste souvent avec leur difficulté d’intériorisation et de réten
tion objectale. L’engagement direct des sujets dans la relation ne
constitue ni la preuve d’une profondeur des échanges, ni la garantie
d’un intérêt durable pour l’autre (investigateur ou thérapeute),
quelle que soit la qualité — positive ou négative — de cet intérêt. A
chaque niveau des mécanismes relationnels paraît correspondre un
système différent d’éventuelles intériorisations et rétentions objec
tâtes. La verbalisation et 1e langage utilisés, médiateurs des échan-
Perpectives théoriques.
(M) Nous voulons faire ici une remarque générale, d’ordre méthodologique :
La poursuite de recherches précises met inévitablement en relief, pendant un
temps, certains secteurs d’étude au détriment des autres et fatalement au détriment
des secteurs intéressés mais inconnus. Cette démarche est nécessaire au progrès
scientifique dont on peut, par ailleurs, contester la valeur dans la perspective du
bonheur individuel. Il s’agit, de toute façon, d’approximations successives. La
réunion ultérieure des divers points de vue, pour qui consent à y accéder, rétablit
l’équilibre des connaissances. Les poussées « hérétiques » demeurent ainsi loin
d’être condamnables dans la mesure où elles ne s’établissent pas en une étroite
doctrine exclusive.
(45) L’étayage représente classiquement l’appui que prennent les pulsions sexuel
les sur les pulsions d’auto-conservation. Nous utilisons ici le terme dans un sens large,
les phénomènes plus répétitifs d’auto-conservation précédant dans l’ensemble,
comme dans chaque épisode évolutif, les phénomènes sexuels de progression, de
liaison, d’organisation, d’indépendance fonctionnelles.
(*) Il s’agit là des zones érogènes qui concernent nombre de fonctions plus ou
moins localisées spatialement, engagées en premier lieu dans la relation avec la mère.
Ces zones fonctionnelles dont certaines sont communes à tous et dont d’autres sont
particulières à certains sujets, s’avèrent de toute façon l’objet de fixations de qualité
différente selon les individus. Elles se montrent prévalentes dans la mosaïque
première et jouent un rôle privilégié dans la suite de l’évolution.
La notion de zone érogène ne se superpose pas à celle d’appareil physiologique.
Son découpage fonctionnel est plus complexe encore. Il faut cependant noter que
même sous le nom d’appareil physiologique, on groupe une multiplicité de fonctions
quelquefois moins organisées entre elles qu’avec certaines fonctions d’autres
appareils.
Les zones érogènes propres à la mère sont souvent à l’origine de relations
spécifiques avec le nourrisson.
I
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 37
(*) Il n’est besoin d’aucune mesure spéciale pour que se produisent en leur temps
naturel d’avènement les traumatismes désorganisants qu’il s’agit seulement, pour la
mère, de percevoir.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 39
des fixations sur le faisceau évolutif central, d’ordre mental (51). Il
semble également que la profondeur des intériorisations et la
solidité des rétentions qui va de pair, soient en rapport avec l’aspect
tardif desdites fixations. Cependant, la présence d’une chaîne
évolutive continue, impliquant des fixations précoces et rythmant
ensuite les fixations tout au long de la lignée mentale, paraît
nécessaire à l’avènement des fixations tardives. Une partie de
l’évolution sensorio-motrice, la seconde phase du stade anal et
l’organisation de la première topique, le complexe de castration, le
complexe d’Œdipe, les remaniements de la période de latence et
l’organisation de la deuxième topique, assurent ainsi progressive
ment la consistance des intériorisations et des rétentions objectales.
Lorsque certains maillons précoces manquent à la chaîne centrale
classique des fixations mentales, des rattrapages s’effectuent sou
vent. Ces rattrapages, dont on connaît mal les cheminements sans
doute latéraux, escamotent en tout cas une partie des fixations
nécessaires à l’installation de la seconde phase du stade anal et à la
constitution de la première organisation topique. Les sujets en cause
promeuvent alors rapidement un processus secondaire cependant
dépourvu de fondations solides. Ils donnent ainsi le change à
l’examen superficiel, en présentant un fonctionnement psychique
sans difficultés d’ordre névrotique apparentes. Leur activité intellec
tuelle paraît même quelquefois admirable. Le défaut des intériorisa
tions objectales profondes et des rétentions solides laisse néanmoins
ces individus démunis de résistance défensive.
Les rapports entre l’évolution de la sensorio-motricité et l’évolu
tion de l’appareil mental, offrent un vaste champ d’étude qui mérite
d’être systématiquement exploré. Toute la sensorio-motricité ne
participe sans doute pas directement à la construction psychique.
La recherche psychanalytique, nous le savons, s’intéresse naturel
lement d’abord, dans la mesure où elle les perçoit, aux rapports
évolutifs du psychisme et des systèmes sensorio-moteurs les plus
tardivement mûris (52). Les organisations de l’appareil visuel retien-
(31) Nous employons le mot « intériorisation » dans son sens analytique classique.
Il implique le passage à l’intérieur du sujet, d’un système relationnel subjectif d’abord
vécu dans les rapports avec l’extérieur. Il ne spécifie pas pour nous la qualité ni le
niveau de la relation.
Il nous parait que la succession des mécanismes fonctionnels d’intériorisation, avec
ses fondements dont font partie au premier plan les « fantasmes originaires »,
pourrait définir encore, sous un certain angle, ce que nous appelons le faisceau
évolutif central commun, d’ordre mental.
f52) Le travail s’accomplit au mieux lorsque l’étude principale se porte successive
ment sur des organisations fonctionnelles dont la maturation apparaît comme de plus
en plus ancienne. Les fonctions différentes de celles qui constituent l’objet principal
40 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
(®) Après une perte objectale, le deuil qui s’élabore aboutit ainsi finalement à un
gain narcissique. Lorsque la perte objectale n’est pas soumise à un travail interne,
mental, elle demeure un vide de la réalité ressenti dans une blessure narcissique.
On notera que les pertes d’objets extérieurs dans les névroses de comportement,
comme les pertes de fonctions ou d’objets intérieurs dans les désorganisations, ne
sont justement pas soumises à un travail de deuil, en raison de l’inorganisation ou de
la désorganisation de l’appareil mental.
44 les désorganisations progressives
Implications thérapeutiques.
En présence d’une névrose de caractère et en dehors des cas où
l’existence de régressions soutenues sur la ligne évolutive mentale
ne fait pas de doute, il convient de se méfier de la solidité
fonctionnelle des sujets et en particulier de leur aptitude à intériori
ser et à retenir les objets. Il s’agit moins alors de contempler les
rétentions d’objets de l’enfance et les remaniements de ces objets
tels qu’on peut les remarquer dans le transfert immédiat, que
d’envisager l’avenir thérapeutique du patient et d’établir un pronos
tic sur ses capacités actuelles et futures à intérioriser et à retenir de
nouveaux objets. Il s’agit également moins d’apprécier les bénéfices
immédiats tirés par le patient de sa relation du moment avec
l’investigateur (bien que ces premiers bénéfices donnent déjà une
indication de base sur un niveau élémentaire heureux et sans doute
thérapeutiquement renouvelable de la relation) que d’estimer la
(M) Une « anomalie » quelconque est toujours, à notre sens, moins intéressante
en elle-même qu’en regard du niveau évolutif auquel elle se réfère.
Il faut considérer par ailleurs qu’un individu, au cours d’une relation, est
susceptible d’établir cette relation à différents niveaux successifs correspondant aux
couches successives d'intériorisations établies pendant sa propre évolution.
46 les désorganisations progressives
(“) Des dangers analogues, souvent alors imprévus parce qu’une relation qu’on
croit stable est engagée depuis plus ou moins longtemps, peuvent être courus par
certains patients au cours même de psychothérapies, en raison d’incitations trop
directes ou lors d’un mutisme trop important du thérapeute.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 47
l’investigation, la qualité de son manque relationnel quel que soit le
niveau du manque, et qu’il ait le désir de combler ce manque (“J.
La thérapeutique doit correspondre, de façon soutenue mais
prudente, jusqu’aux limites infranchissables s’il en existe, à un
dépassement progressif de ce désir au profit d’autres désirs plus
évolués.
Pour résumer, il convient d’éviter l’impasse d’une analyse qui,
trop hâtivement indiquée, s’enliserait lors de frustrations relation
nelles dépassant le seuil d’excitations tolérables par le sujet. Dans
un autre sens, une psychothérapie en face à face, qui jouerait en
même temps sur tous les niveaux relationnels, ne pourrait imposer
les frustrations nécessaires à résoudre les problèmes fondamentaux
du sado-masochisme, des imagos, de l’organisation de la deuxième
topique, par exemple.
A tout prendre, la solution psychothérapique en face à face,
adoptée d’emblée par un analyste serein, n’empêche pas de passer
ultérieurement à la cure analytique avec le même thérapeute.
Encore faut-il que ce dernier ne décide pas alors d’entreprendre
l’analyse sur la seule appréciation d’une qualité relationnelle du
patient, issue en fait du face à face. La traversée inverse, de
l’analyse à la psychothérapie, s’avère tout de même plus hasardeuse.
Le travail psychothérapique, chez les névrosés de caractère dont
les systèmes d’intériorisation et de rétention (bien qu’éventuelle-
ment très profonds, allant jusqu’aux introjections) ne sont pas
solides, n’apporte guère de modifications durables auxdites capaci
tés d’intériorisation et de rétention (au-delà de la réorganisation des
patients il vise, par exemple, la prise de conscience et la manipula
tion consciente, ultérieures, par les sujets eux-mêmes, des situations
traumatisantes et ranimantes).
La difficulté d’obtenir des modifications durables sur le plan des
intériorisations et des rétentions, réside sans doute dans l’archaïsme
du défaut initial que nous avons rapporté (en dehors donc des
prédéterminismes héréditaires et intra-utérins), à l’inadéquation du
système pare-excitations maternel dans la période précoce des
relations sensorio-motrices entre la mère et le nourrisson. Dans ces
(w) S’ils ont été ressentis inconsciemment, tant sur le plan des objets extérieurs
que sur le plan des objets intérieurs et s’ils ont justement conduit, la plupart du
temps, à la désorganisation, les manques relationnels ne sont plus représentables
dans les états de désorganisation de l’appareil mental. On ne peut donc pas compter
sur un désir des patients. On est ainsi conduit à « ordonner » la psychothérapie. Nous
savons cependant que les ordonnances médicales font partie de l’aspect « légal » des
choses. Tant qu’il n’y a pas outrepasse dans la relation, l’ordonnance de psychothéra
pie et la poursuite du traitement sont ainsi, le plus souvent, acceptées par les patients
désorganisés.
48 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
avec l’objet. L’absence de l’objet est d’autant plus difficile à bien supporter chez
l’enfant que celui-ci est jeune. En effet à partir d’un certain niveau de développe
ment, la connaissance de la proximité géographique diminue la nécessité ou l’urgence
de retrouver un contact direct avec l’objet, dans la mesure où ce contact est conçu
comme réalisable. La notion du temps intervient ici (le temps nécessaire à effacer la
distance) par l’intermédiaire de vécus ayant rapport avec la notion de profondeur de
vision à distance et de disparition hors du champ visuel.
D’autre part, la connaissance des lieux où l’objet investi se trouve, aide au
maintien du contact avec l’objet absent en facilitant une représentation directe le
concernant, ou des représentations utilisant divers déplacements. La représentation
des lieux connus constitue des points de repère, des signaux qui pallient l’absence et
la perte.
Le contexte géographique inconnu isole donc plus facilement l’objet de représenta
tions substitutives et ne permet de le retrouver qu’en soi, nécessitant alors l'existence
et l’élaboration d’un objet intérieur véritable et constant.
L’utilisation de photographies des absents (dont l’utilité ou la nécessité est fonction
inverse des possibilités de représentation spontanée c’est-à-dire d’internalisation de
l’objet) paraît rendre compte de la même situation.
La géographie des sépultures présente peut-être un intérêt analogue. En dehors du
fait qu'une mort bien située dans le temps et dans l'espace aide au métabolisme du
deuil en créant une zone fixe de manque, de souffrance et de désinvestissement, les
rituels funéraires et l’organisation de nos cimetières (pour rester dans un domaine qui
nous est familier) constituent des relais à l’aide desquels peuvent s’opérer des
déplacements de l’investissement de l’objet perdu (enterré là, donc présent encore
géographiquement quelles que soient l’horreur des représentations éventuelles et les
complications conflictuelles qui entraînent à bien clore et fermer les cimetières...)
vers l’édification de cet objet en tant qu'objet intérieur.
L’existence du cimetière du village, du caveau de famille, requiert une perte moins
absolue, un déchirement moins brutal que la disparition dans l’inconnu. Les morts
qu’on ne peut ni visiter ni fleurir nécessitent une internalisation plus violente, un
deuil plus rigoureux.
L’utilisation du granit (la pierre la plus dure, celle qui a la réputation d’avoir la plus
longue vie...) pour les pierres tombales suggère une parenté avec les religions
mégalithiques où le glissement se faisait de l'investissement du mort à l’investisse
ment de la pierre. > (Texte inédit.)
(**) Il convient encore là de prendre garde et de trouver au mieux, selon la
structuration du sujet et selon son éventuel état de désorganisation, la formule
convenable qui prévoit à la fois un nombre suffisant de séances pour aider le patient à
retrouver son meilleur état d'organisation et les risques encourus lors d’une
diminution ultérieure fatale du nombre des séances.
50 les désorganisations progressives
C°) Les médecins non spécialistes ont quelquefois scrupule à multiplier des
consultations cependant souhaitées par les malades, soit qu’ils supportent mal
affectivement le genre d’échanges en cause, soit que, négligeant l’intérêt psychothé
rapique des consultations, leur conscience de la valeur seulement relative de certaines
thérapeutiques médicamenteuses justifie mal à leurs yeux la multiplication des
visites.
(71) Voir Tome I, Chapitre II : A propos de l’évolution individuelle. Complexité du
régressions.
Nous tenons compte, dans ce « volume », des systèmes régressifs et défensifs
d’ordre foncièrement somatique.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 51
sateurs de l’appareil mental, dont un grand nombre peut être
envisagé sous l’angle de la perte objectale pure, du deuil non
élaboré. L’entreprise est difficile en raison de la liaison, de la
communauté qui existe entre l’événement traumatisant et l’organi
sation structurale, l’un ne pouvant s’envisager sans l’autre, le
traumatisme ne portant que sur les zones d’insuffisance défensive
des régressions individuelles (J2).
Nous allons donc seulement essayer d’énumérer les sources de
désorganisations mentales (impliquant l’éventualité de désorganisa
tions somatiques) que nous avons particulièrement reconnues et qui
la plupart du temps se combinent entre elles. Nous partirons des
situations où les systèmes structuraux des sujets paraissent les plus
impliqués, pour aller vers les situations où les événements extérieurs
semblent jouer le rôle de premier plan.
Revenons pour mémoire (Tome II, p. 29) aux phénomènes que
nous avons déjà envisagés :
— La trop grande distance à l’objet intérieur, vécue sur un mode
fantasmatique, lorsque les possibilités d’aménagement de cette
distance s’avèrent insuffisantes.
— Le rapprocher trop grand de l’objet intérieur, vécu sur le même
modèle (73).
— La trop grande distance à l’objet extérieur vécu comme béné-
fique.
— Le trop grand rapprocher de l’objet extérieur vécu comme
mauvais.
— Le manque de liaison entre le processus primaire et le processus
secondaire, disposition structurale impliquant une discontinuité
f74) Nous mettons ici en évidence la résistance aux régressions provenant d’une
toute-puissance primitive mal élaborée dans l’évolution individuelle. Ce phénomène
se distingue de celui qui concerne la faillite défensive de certaines régressions. Les
deux problèmes se trouvent souvent liés cependant, chacun traduisant à sa manière
une insuffisance des fixations sur la lignée mentale.
Il faut considérer par ailleurs que la libre disposition de l’appareil mental, comme
la libre disposition des mécanismes latéraux et parallèles (des sublimations en
particulier), nécessaire aux investissements instinctuels, se trouve interrompue lors
des désorganisations mentales. Le manque de possibilités régressives reconstructrices
est alors parallèle au manque de possibilités d’investissements.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 53
le médecin, en permettant à celui-ci d’aménager la distance grâce à
l’intermédiaire médicamenteux. L’art réside alors davantage dans le
dosage des consultations ou des visites que dans le dosage chi
miothérapique.
— Les céphalalgies précoces et chroniques.
Les exemples ne sont pas exceptionnels de céphalalgies perma
nentes ou presque, installées déjà vers l’âge de cinq ou six ans.
L’appareil mental, dans un tel cas qui sous certains angles ramène
au précédent bien qu’ici le défaut ait été plus tardif, n’a guère été
utilisé — et sans doute pas pendant la période de latence. Les
activités fantasmatiques et oniriques sont à peu près nulles la plupart
du temps. L’existence de céphalées épisodiques souligne d’ordinaire
l’utilisation d’un système régressif et implique la sous-jacence de
fantasmes représentables et verbalisables. Ces qualités paraissent à
peu près inexistantes ici, en raison sans doute de l’entrave mise à
l’évolution mentale. Les sujets impliqués n’ont pas acquis en outre
les habitudes d’évitement effectif, par la fuite, des situations
traumatisantes, comme les ont acquises les phobiques de l’activité
mentale.
— La réalisation des désirs.
Il faut envisager d’abord cet important phénomène sous deux
angles majeurs :
— celui de l’orgasme,
— celui de la référence œdipienne.
Le « vidage » instinctuel accompagnant la décharge orgastique
est classique. Une légère dépression le suit parfois. L’affaire le plus
souvent ne pose cependant pas de problème, de multiples systèmes
régressifs et de nombreux réinvestissements pouvant intervenir
alors, dans un temps plus ou moins rapide.
Sous "angle de la référence œdipienne, la réalisation du désir (qui
n’implique pas forcément la réalisation d’un désir génital) n’entraîne
pas une désorganisation mentale chez la plupart des sujets. Elle
constitue au contraire un moteur de la vie lorsqu’elle sert de base à
de nouveaux investissements. Quelquefois suivie de légères dépres
sions rapidement arrêtées par des systèmes régressifs mentaux
(d’ordre névrotique), nouveaux points de départ évolutifs, la
réalisation du désir est cependant capable, chez certains individus,
de provoquer de graves désorganisations.
Pour aussi curieux que ce phénomène apparaisse à première vue,
l’origine en est concevable : le désir fantasmatique initial, désir
essentiel de l’enfance, a visé les parents et particulièrement le parent
de l’autre sexe. Toute réalisation ultérieure d’un important désir,
riche du désir de l’enfance, au lieu d’être surtout vécue, ainsi qu’à
l’habitude, comme un bénéfice narcissique rapprochant de l’idéale
54 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
C7) Davantage que d’un désir personnel, il s’agit sans doute d’une indistinction
fondamentale d’avec le personnage maternel, nous le verrons.
C8) Cf. Catherine Luquet-Parat, « L’organisation œdipienne du stade génital »,
Rev. Fr. de Psychanalyse, Tome XXI, n° 5-6, 1967.
56 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
(*) Sous cette rubrique comme dans certaines perspectives précédemment envisa
gées, on retrouve le sens de la « déception sociale » freudienne.
(w) Cf. Gérard Mendel, La crise de générations, Payot, Paris, 1975.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 57
(8I) Nous voyons encore des patients atteints de maladies somatiques des plus
diverses, consécutives à des désorganisations en rapport avec les événements sociaux
de 1968.
(œ) Nous avons indiqué antérieurement, traitant de la fonction maternelle
(Tome I, note au bas de la page 98), un problème de cet ordre dans la rencontre de la
civilisation « occidentale » par des Noirs élevés traditionnellement.
(æ) Les conflits de générations, d’habitudes ou de civilisations, doivent ainsi
intéresser au premier plan les organisations de « Sécurité Sociale », même lorsque
celles-ci visent seulement la cure des maladies. L’aide majeure aux réinvestissements,
individuels chaque fois, doit particulièrement s’exercer vis-à-vis des sujets dont la
structure de personnalité, chroniquement ou de manière passagère, ne permet pas de
réinvestissements spontanés.
58 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
(•*) Cf. Denise Braunschweig et Michel Fain, La nuit, le jour, op. cil.
k
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 59
Aspects symptomatiques.
font donc penser à la névrose d’angoisse. On peut alors envisager le parallèle entre
l’interruption des activités sexuelles de la névrose d’angoisse et l’absence des
investissements de la névrose de comportement.
(•’) Le paradoxe de l’existence d’absences fonctionnelles témoigne du décalage
entre l’appareil mental de l’observateur et celui du sujet.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 63
exemple). On cherche en vain des désirs ; on ne trouve que des
intérêts machinaux.
Le Moi défaillant remplit au plus mal, de manière évidente, ses
rôles de liaison, de distribution et de défense. Il est en fait, nous
l’avons dit, coupé de ses sources et désorganisé. La communication
avec le Ça n’est plus établie. L’angoisse s’est alors tue, qui venait
d’occuper le premier plan de la scène.
On ne voit d’ailleurs pas ce que le Moi lierait puisqu’il n’existe
plus de représentations. On pourrait penser qu’il distribue encore
des comportements, mais il ne s’agirait guère d’une distribution
puisque les comportements, devenus rationnels et relativement
automatiques, ne se trouvent éventuellement soutenus que par un
Moi-Idéal narcissique et primitif. Le Moi aurait certes à défendre,
mais la notion de défense, avec la chute du niveau homéostatique
majeur, ne correspond plus à celle des défenses du Moi de la
deuxième topique. L’essentiel du fonctionnement mental antérieur
a disparu. Les équilibres à rechercher ont singulièrement baissé de
niveau évolutif.
La disparition sans doute des sentiments inconscients de culpabi
lité — ou tout au moins l’absence de perception par l’observateur de
tels sentiments — constitue l’un des signes principaux de la
dépression essentielle. Encore convient-il de ne pas interpréter
quelques données symptomatiques d’allure rationnelle, celles de
canalisations étroites du comportement par exemple, pour un
« maintien » de type surmoïque. Encore faut-il ne pas accepter sans
analyse la crainte de commettre une faute ou l’aveu de sentiments —
alors conscients — de culpabilité, pour le sentiment inconscient
classique attaché au Surmoi C90). L’intériorisation antérieure d’un
certain nombre de qualités parentales (dont une partie du Surmoi
des parents) ou de qualités de personnages idéaux ne se fait plus
jour ici. Le déprimé essentiel n’est pas soumis à une loi personnelle.
Il vit « la loi ». Il n’a pas besoin de s’observer pour la vivre. Ce qui
doit être communément fait est fait ; les conduites sont, dans ce
sens, machinales.
Au niveau de la première topique, l’inconscient reçoit mais
n’émet pas. Les quelques expressions élémentaires qui s’extériori-
(**) Sur le plan mental, la censure est, à l'habitude, trop considérée comme
« active », en raison sans doute de la conscience que le sujet ou l'observateur sont
susceptibles d'en avoir comme en raison, sans doute aussi, du bénéfice narcissique
tiré du sentiment de l’auto-gestion de soi sur toute la ligne.
On peut envisager la fonction de censure de façon moins « active » en ce qu'elle
parait traduire la perte naturelle, à un niveau donné de l'évolution de l'appareil
mental, d'un certain nombre de qualités attachées aux fonctions antérieures devenues
constitutives d’un système fonctionnel plus évolué, du fait même de la constitution de
ce système plus évolué. Nous avons signalé que ce phénomène représentait pour nous
une des lois de l’Evolution, le pouvoir organisateur d'une fonction disparaissant à
l’occasion d’une nouvelle formule évolutive pour ne laisser en place qu'un pouvoir de
gérance, mais étant susceptible de réapparaître dans une certaine mesure sous sa
forme organisatrice première lors de régressions au niveau pré-constitutif de cette
fonction (Tome I, Chapitre II, A propos de l’évolution individuelle). Dans le jeu
régressif de représentations attirées vers des fixations antérieures (par exemple jeu
diurne ou onirique autour du processus primaire) ré-apparaissent les valeurs
organisatrices de certaines fonctions (valeurs illusoires dans la réalité qui suivra mais
incontestables sur le moment), qui disparaissent ultérieurement (comme elles ont
globalement disparu dans l’évolution individuelle) lors de la reprise d'activité du
processus secondaire. Leur disparition est à ce moment mise sur le compte d'une
censure.
Freud envisageait d’ailleurs l’existence de nouvelles censures à chaque étage de la
constitution progressive de l’appareil mental. Dans la désorganisation psychique les
censures, éléments naturels de l’évolution individuelle, paraissent balayées avec le
reste des fonctionnements.
Les refoulements, processus régressifs du même ordre, découlent des censures et
retrouvent ainsi, au maximum de leur mouvement contre-évolutif, le refoulement
originaire, l’une des premières formations fonctionnelles de l’appareil mental
(formation découlant d’un système de fixation-régression, ce qui suppose pour nous
l’existence de fonctions constituantes, peut-être d’un autre ordre) signalées par
Freud.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 65
des représentations fantasmatiques transmises. C’est ainsi au niveau
du préconscient, dans l’effacement, dans l’évanouissement des
fonctions habituellement actives, que se constatent surtout les
dommages. Ils se constatent d’abord dans l’indigence des représen
tations, nous venons de le dire, et dans le manque d’idées
fondamentalement personnelles (lesquelles ne s’indiquent para
doxalement qu’au travers d’éventuelles variations spontanées). On
retrouve cependant des idées, une parole, des relations, des actes,
quelquefois des souvenirs de rêves. Chacun de ces éléments de vie
est néanmoins marqué par la perte des valeurs symboliques anté
rieures.
Les idées ne sont pas associées, elles demeurent donc limitées,
impersonnelles, et dépassent à peine le domaine de leur application
pratique presque immédiate. Sans manifestations de l’inconscient,
les lieux comme le temps se trouvent interrompus. L’effacement du
préconscient entraîne la suppression des relations originales avec les
autres (w) et avec soi-même (le phénomène touche à la notion
d’espace) comme il entraîne la perte de l’intérêt pour le passé et le
futur (le phénomène touche à la notion de temps). Les faits et
gestes, perdant leur valeur imaginaire, renvoient au domaine des
mouvements plaqués sur l’action directe, dans un espace rationnel
dont les dimensions paraissent davantage apprises qu’évolutivement
vécues. L’absence de communication avec l’inconscient constitue
une véritable rupture avec sa propre histoire. Le factuel (93) et
l’actuel s’imposent à l’ordre de chaque jour.
On se souvient éventuellement pendant un temps de scènes
vécues : d’avoir lavé la vaisselle, les verres d’abord comme à
l’habitude, d’avoir coudé dans tel ordre un tuyau de plomb, on se
souvient des problèmes successifs posés par les collaborateurs qu’on
a reçus à la Direction, des inflexions qu’on a nécessairement
données au cours de littérature sur « Les fleurs du mal ». Aucune
de ces activités, exécutées de façon mécanique, n’a d’ailleurs été
troublée par des retours de l’inconscient à propos de quoi que ce fût.
Le lendemain, on se souviendra peut-être aussi d’avoir rêvé : de
la vaisselle qu’on a lavée, les verres d’abord, des tuyaux de plomb
qu’on a coudés dans tel ordre, des problèmes successifs qu’on a dû
f2) Les relations avec les autres paraissent s’effectuer dans un système qu’avec
M. de M’Uzan nous avons en premier lieu qualifié de « réduplication projective ».
Les manifestations instinctuelles des autres, marquant une différence avec soi,
semblent ressenties comme une blessure narcissique, comme une perte de soi. (CI.
La pensée opératoire, op. cit.)
f3) Cf. Michel de M’Uzan, Psychodynamic mechanisms in psychosomatic symp-
tom formation, op. cit., T. I, p. 177.
66 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
(**) Il est vrai que le récit manifeste de certains rêves dans lesquels condensations
et déplacements figurent, témoigne parfois du fonctionnement encore classique de
l’inconscient. Les représentations oniriques ne semblent pas susceptibles pour autant
de quelconques mobilisations associatives.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 67
La sexualité, au sens, le plus large, se trouve ainsi exclue du
verbe (’S), sauf si l’on parle directement de la sexualité génitale,
laquelle reprend alors son ordre. Mais dans ces conditions, le pénis
n’évoque plus la castration. Pas de métaphores, rien qui dans l’esprit
pense les mots hors de leur sens commun, rien qui connote
tacitement, égare et prête à confusion : un taureau est un bovidé
mâle, une souris un rongeur. On ne peut se dire dans la merde (sauf
si la formule argotique était la plus couramment utilisée par
l’individu), on n’a pas envie de manger ou de mordre quelqu’un. On
connaît ces locutions métaphoriques, on en retrouve le sens
lorsqu’elles sont soulignées, maintenues, imposées de l’extérieur en
quelque sorte. Elles demeurent cependant à l’écart de la compré
hension spontanée du sujet et restent exclues de son langage.
Or, il faut se souvenir qu’avant l’éclosion de la dépression
essentielle et la venue de la pensée opératoire, les mots comme les
expressions se trouvaient plus ou moins employés dans leur sens
métaphorique : le taureau désignait un coureur de jupons, la souris
une poule. Le taureau évoquait ainsi la souris ou la poule. On
pouvait couvrir de merde jusqu’à la Société, on mangeait ses sous,
on dévorait de baisers en mordant la vie à belles dents. Plus loin
encore, la casserole, le tuyau, la secrétaire, « Les fleurs du mal > et
Baudelaire, posaient bien des problèmes symboliques à chaque pas
de leur rencontre.
La disparition de qualités aussi fondamentales du verbe paraît un
phénomène considérable dans la mesure où les mots sont acquis
avec et par leur valeur affective. Encore faut-il considérer, dans
l’analyse de ce phénomène contre-évolutif, les disponibilités de
l’appareil mental des sujets lors des divers stades de l’enrichissement
progressif par les mots différemment entendus, balbutiés, parlés et
ensuite écrits, ainsi que les charges affectives surajoutées ultérieure
ment selon les époques du développement ou de l’âge adulte et
selon les remaniements psychiques de ces époques. Bien qu’il
s’agisse ici d’une phase de désorganisation où les arrêts régressifs
sont par définition fragiles, on peut cependant examiner le phéno
mène de la réduction quantitative et qualitative du verbe dans le
cadre des régressions. Il conviendrait au moins alors, dans une étude
Aspects évolutifs.
(,<D) Les patients présentés par le Docteur André Ract (Tome I, Chapitre I) v
n'ayant pas été l’objet d’investigations de type psychosomatique, nous ne pouvons
qu’émettre de rares hypothèses, schématiques, à propos de certaines phases ;
évolutives de leurs affections, considérant a priori la qualité et l’adaptation des soins
comme égales pour chacun dans le Service hospitalier.
En dehors du cas de Madame G. dont la maladie (mal de Pott), après s’être ■
installée, a pris figure de régression médicalement aidée, nous nous souvenons ainsi :
— Du départ prévu de l’hôpital par Madame A., sans doute vécu fantasmatique-
ment par elle comme traumatisant, après qu’a été également vécue comme inévitable
l’hérédité thromboembolique.
— Chez Madame B. (leucémie myéloïde), de la valeur réorganisatrice considéra
ble (mais non renouvelable) de la régression instituée par les vacances avec le mari,
régression plus solide que celles qu’accompagnaient les aides thérapeutiques classi
ques.
— Chez Monsieur C. (méningite à streptocoques), de la désorganisation progres
sive type, relativement rapide et fatale.
— Chez Monsieur D. (méningite à bacille pyocyanique), mis en parallèle avec le
malade précédent, de la réorganisation pour des raisons inconnues en dehors de celle
d’une aide médicale.
76 les désorganisations progressives
Perspectives théoriques.
non maîtrisés parce que non élaborables et, semble-t-il, non exprimables d’une autre
manière, et nous ajoutions : Automatiques, ces angoisses reproduisent un état
archaïque de débordement.
L’analyse des désorganisations progressives montre cependant que l’on rencontre
des angoisses diffuses, caractéristiques, avant l’installation de la dépression essen
tielle, juste avant le remorcellement fonctionnel, angoisses qui disparaissent avec lui.
Cette constatation aurait tendance à impliquer, pour les psychanalystes, que la
naissance de l’individu qui les intéresse — et cela ne nous étonne pas — se situe après
sa naissance corporelle et correspond davantage à certaines phases de sa personnali
sation mentale qu’au moment même de sa mise au monde (cf. Denise Braunschweig
Ct Michel Fain, « La nuit, le jour », op. cil.).
Les « angoisses diffuses » (anobjectales dans la régression) ne semblent pas avoir
été l’objet de descriptions directes concernant le nourrisson chez lequel on retient
surtout les « angoisses » à la vue du visage de l’étranger (visage différent de celui,
habituel, de la mère) qui surviennent éventuellement aux environs du huitième mois
et qui révèlent une phase décisive de la discrimination objectale. Les angoisses
diffuses de l’adolescent ou de l’adulte correspondent néanmoins, dans notre
hypothèse régressive, à un système de fixation. On doit alors situer le principal de
cette fixation avant le huitième mois. Il serait important de déterminer les jonctions
fonctionnelles (établies par exemple sur des expériences discriminatoires concernant
la vue, l'ouïe, l’odorat, le toucher, l’équilibration — le nourrisson répond très
précocement par des hurlements à des stimuli excessifs portant sur certaines de ces
fonctions — en rapport bien entendu avec la fonction maternelle) qui s’opèrent chez
le nourrisson dans ces moments et qui, sans permettre encore l’objectalisation,
précèdent cependant celle-ci en témoignant déjà d’une première cohésion, d’une
première et relative autonomie.
Théoriquement, le traumatisme de la naissance n’atteindrait donc que des
fonctions somatiques isolées les unes des autres pour la plupart, sans pouvoir
prétendre à la mise en route (par un système de fixations quelconque amorçant une
chaîne de fixations ultérieures) d’angoisses qui, même diffuses, sembleraient
témoigner d’une certaine unité intérieure de l’individu.
Le problème mérite d’être longuement étudié. Les quelques aspects que nous
exposons ici tiennent sans doute trop compte des fonctions somatiques telles qu’on
les considère chez l’adulte et négligent par trop les sous-jacences fonctionnelles
prénatales ainsi que les phénomènes groupés sous le nom de « fantasmes originai
res ». On peut en effet remarquer, par exemple, que certaines fonctions qui prennent
une valeur considérable à la naissance (l’appareil respiratoire, la peau) se trouvent
électivement perturbées plus tard, chez les sujets de structure allergique. Or, chez ces
mêmes sujets, les angoisses à la vue du visage de l’étranger ne se font pas jour au
huitième mois.
(*13) Souvent mis en cause, le Moi-Idéal semble n’avoir jamais été précisément
défini (cf. D. Lagache, « La psychanalyse et la structure de la personnalité », 1958,
La Psychanalyse, P.U.F., Paris; ainsi que J. Lacan, Remarques sur le rapport de
D. Lagache, id.). Nous espérons contribuer à l’éclaircissement de cette notion.
!
Perspectives thérapeutiques.
(124) Nous avons signalé que le deuil consistait en une intériorisation réussie de
l’objet perdu (objet primitivement extérieur mais déjà devenu objet intérieur
narcissique). Le deuil donne en même temps lieu à des contre-investissements
concernant les visées érotiques que l’objet perdu suscitait.
La dépression, de manière générale, représente un échec du travail de deuil.
Dans les dépressions mentales, l’objet intérieur narcissique demeure présent.
Instance critique, il reproche au sujet son incapacité d’effectuer le travail de deuil.
Dans la dépression essentielle, les possibilités de déni sont nulles, ayant disparu
avec la désorganisation mentale. L’objet intérieur narcissique s’est en même temps
évanoui. La perte de l’objet extérieur est donc admise sans effort, tandis qu’aucun
reproche intérieur ne se fait jour. Le sens du devoir des déprimés essentiels ne repose
donc pas sur le respect d’un personnage.
(125) Il s’agit d’aider à la réorganisation du sujet à partir d’un système morcelé dont
chaque élément fonctionnel n’assure qu’un automatisme vital conservatoire.
(126) Ces investigations révéleraient sans doute souvent le danger que court un
individu, avant même que la spécificité de ce danger puisse être cernée.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 87
LA VIE OPÉRATOIRE
(13M) S’il ne consulte pas spontanément, l’opératoire, obéissant, se laisse par contre
engager sans grande difficulté dans la machinerie médicale.
(’39) Dans une perspective plus générale, une telle présentation du patient rejoint
celle que nous avons vu parfois souhaiter tacitement par certains praticiens pressés
(souvent pour des raisons économiques ou de fatigue) d’en terminer avec leur
consultation. Les praticiens en cause envisageaient alors leur relation avec les
malades (non opératoires) comme un échange simple : exposé de symptômes contre
prescription médicamenteuse.
D’ailleurs, le souhait tacite du médecin répond quelquefois dans ces cas au désir
plus ou moins conscient du malade.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES sn
perçoit ni restrictions verbales ou diversions, défensives chez
d’autres, on ne rencontre ni associations d’idées, ni traces d’identifi
cations même partielles au consultant. Le verbe paraît privé de sa
substance, réduit presque à une activité vocale exprimant des
constatations, des affects ou des représentations apparemment
rudimentaires, qui concernent quelques réalités de l’heure.
Pour en connaître davantage (en particulier au sujet de ce qui
nous intéresse ici, à savoir les comportements extérieurs du patient),
l’investigateur est ainsi rapidement conduit à prendre et à garder
l’initiative du contact. Il doit, nous le savons, demeurer prudent
dans sa recherche, les écarts qu’il ferait, sensibles à l’inconscient du
malade, donc éventuellement désorganisateurs, étant susceptibles de
donner seulement lieu à des manifestations à peine perceptibles. La
suite de l’examen a des chances, dans ces conditions, de mettre en
évidence :
— La persistance, automatique, d’un certain caractère.
— La disparition des expressions de l’inconscient à court trajet
évolutif.
— La poursuite de comportements en principe liés aux instincts.
a) Malgré la désorganisation mentale qui a installé la vie opéra
toire, certains traits de caractère paraissent subsister alors que les
organisations du Moi et de la première topique se sont évanouies,
alors que ne se font plus sentir de désirs nécessitant des défenses,
alors que les contre-investissements ont sombré avec les investisse
ments. Deux phénomènes en fait se conjuguent qui donnent le
change :
— L’évanouissement des marques profondes de la personnalité,
dont l’effet superficiel s’avère semblable à ce qu’apportaient chez
nos sujets, ou à ce qu’apportent chez d’autres la rationalisation et
certaines adhésions sociales. Mais on est ici et maintenant en
présence d’une réduction à l’uniformité — que prescrit également la
Loi — sans que l’investissement caractériel antérieur persiste.
— Un acquis de comportements automatiquement répétés.
h) Les expressions significatives les plus directes parce que les
moins élaborées à partir de l’inconscient — donc à court trajet
évolutif — expressions perverses et sublimatoires en particulier qui
consistent finalement en des comportements, ont disparu dans la vie
opératoire.
Il est difficile de simplement connaître dans leur actualité, au
cours d’une consultation, les conduites perverses d’un individu. On
imagine la quasi-impossibilité d’appréhender rétrospectivement ces
mêmes conduites chez un opératoire. Il ressort néanmoins d’un
certain nombre d’investigations que nous avons pratiquées, en
particulier chez des névrosés de caractère auparavant examinés en
98 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
(l4°) Nous avons cependant constaté, chez certains sujets, des alternances à
rythme lent entre des risques de mort par désorganisation progressive et des risques
de mort par suicide. Le processus des deux termes du balancement est différent. Les
Instincts de Mort se manifestent directement et sur-le-champ dans les mouvements
contre-évolutifs des désorganisations fonctionnelles. Lors des tentatives de suicide, il
s’agit de régressions complexes dont les fixations correspondantes (en rapport avec
les Instincts de Mort) sont intervenues pendant le développement du sujet. C’est la
réorganisation de l’individu au niveau d’un système mental retrouvé (réorganisation
qui peut se produire au cours des psychothérapies) qui détermine ces tentatives. On
pourrait éventuellement parler ici du retour, de la résurgence des « Pulsions de
Mort » à la faveur des réorganisations mentales, alors que l’expression « Instincts de
Mort » (que nous utilisons à l’habitude d’une manière générale parce qu’elle couvre
tout Je champ psychosomatique) paraît la seule convenable lorsque l’appareil mental
se trouve dévitalisé par les progressions désorganisatrices.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 99
l’alimentation et du sommeil ; des activités sexuelles et agressives
demeurent. Les comportements en cause ont néanmoins changé
fondamentalement de valeur en ce qu’ils se retrouvent réduits à
l’état de fonctionnements automatiques. Antérieurement objets
d’investissements de diverses natures, ou de contre-investissements,
les activités impliquées se voient en effet démunies des multiples
représentations sous-jacentes qui conféraient à n’importe laquelle
d’entre elles, comme à leur ensemble, une marque individuelle. Les
désirs ont disparu pour laisser seulement en place la satisfaction de
besoins isolés les uns des autres. La cohésion rationnelle qui retenait
l’ensemble de la névrose de caractère a cédé pour donner lieu à une
mosaïque de conduites dont chacune a pris en quelque sorte un
aspect rationnel.
Dans cette ligne on peut obtenir sans embarras apparent des
renseignements sur les activités sexuelles des sujets, le maigre
discours portant sur la nécessité des relations, sur leur aspect de
devoir conjugal, éventuellement sur la précision de leur forme, sans
que s’éveillent apparemment pour autant des affects, des conflits,
sans que s’évoque la castration, sans que s’apprécie le plaisir (,41).
C’est également ainsi que l’on apprend, d’abord avec surprise,
l’existence de manifestations agressives, surtout verbales mais
parfois violentes. Il s’agit toujours cependant de reproches adressés
à d’autres, dans le cadre professionnel ou familial, pour des
manquements élémentaires à la règle.
Les comportements d’un patient opératoire pourraient ainsi se
résumer comme un groupement d’activités « fonctionnelles » au
sens utilitaire du mot, comme un rassemblement sans âme d’appa
reils propres à effectuer les opérations nécessaires à l’existence
sommaire.
Soumis de fait à certains aspects de la réalité du dehors dans
laquelle il demeure inséré à divers titres, sans possibilités de
distanciation interne vis-à-vis de l’extérieur, sans perspective de
mobiliser son statut ni celui des autres, sans espoir donc d’adapta
tions, sans désirs et sans plaisirs, exposé cependant aux blessures et
aux maladies, le sujet en état de vie opératoire suggère souvent
l’image d’un mort vivant.
(141) Il semble qu'une certaine tendance sociale plus ou moins actuelle, qui prône
une espèce de « devoir » des relations sexuelles les plus précoces et les plus variées
possibles, puisse intensifier des propensions individuelles jusqu’à produire un tableau
similaire à celui des conduites opératoires, tableau dans lequel affects, conflits et
castration, sans être niés, ne sont pas spontanément présents.
100 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
(142) Notre expérience insuffisante des enfants ne nous permet pas de préciser le
moment, sans doute postérieur à la période de latence, à partir duquel est susceptible
d'apparaltre un état opératoire par la voie d’une désorganisation mentale.
(143) Nous avons signalé (Tome I, Complexité des régressions, p. 160) que les
fonctions somatiqjes représentaient autant de systèmes de fixation, lesquels, selon
l'évolution individuelle et la lignée héréditaire, se montraient différemment consis-
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 101
(,45) « ... S’il existe chez l’homme des formations psychiques héritées, quelque
chose d’analogue à l'instinct des animaux, c'est là ce qui constitue le noyau de
l'inconscient » (Freud, Métapsychologie, L’Inconscient, 1915).
— Les impressions causées par les traumatismes précoces de l’étude desquels nous
sommes partis sont soit non traduites dans le préconscient, soit bientôt ramenées, par
le refoulement, à l’état de Ça. Dans ce cas, leurs traces mnésiques restent
inconscientes et c’est à partir du Ça qu’elles agissent. Nous pensons parvenir à suivre
leur destin futur tant qu'il s’agit pour elles de leurs propres expériences. Mais les
choses se compliquent quand nous nous apercevons que, dans la vie psychique de
l’individu, ce ne sont pas seulement les événements vécus mais aussi ce qu’il apporte
en naissant, qui agissent, certains éléments de provenance phylogénétique, un
héritage archaïque. De quoi donc alors est fait ce dernier ? Que contient-il? Quelles
sont les preuves de son existence ?
La réponse immédiate et la mieux fondée est que cette hérédité consiste en
certaines prédispositions telles que les possède tout être vivant, en faculté ou
tendance à adopter un certain mode de développement et à réagir de façon
particulière à certaines émotions, impressions ou excitations... » (Freud, Moïse et le
monothéisme, 1939).
104 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
f132) Cf. Tome I, Complexité des régressions. Les variations évolutives. Les
mécanismes évolutifs fondamentaux, p. 158.
C133) La fonction d'automation d’un système régressif est susceptible de soutenir
l’apparente programmation d’un système plus évolué mais disparu. Néanmoins c’est
l’apparente programmation qui, en raison de sa qualité dramatique (à l’égal de celle
du plaisir ou du désir), retient l’attention. On peut ainsi voir des personnes âgées
poursuivre des activités relationnelles qu'on penserait programmées (et qu’on
remarque le plus facilement) alors que ces personnes agissent automatiquement sans
être capables d’assumer le programme réel de ces activités (cf. Tome I, Les variations
évolutives. Les régressions, p. 161).
C134) Cf. Tome I, A propos de l’évolution individuelle. Les variations évolutives.
Les fixations, p. 160.
108 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
(135) La mort individuelle ne survient — cela est en faveur de notre conception des
Instincts fondamentaux — que lorsque le principe d’automation a lui-même cédé au
niveau de toutes les fonctions psychosomatiques, y compris celles, originaires, du
noyau de l’inconscient.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 109
sons. Des systèmes pare-excitations en cause, l’un préserverait
l’automation, le mouvement fonctionnel ordinairç, répétitif et
régulier, l’autre la programmation, les liaisons et la hiérarchisation.
Chaque système empêcherait que ne soient dépassées et désorgani
sées, par un afflux trop grand d’excitations, les fonctions psychoso
matiques auxquelles il participe.
Lors de la désorganisation d’un ensemble fonctionnel, le pare-
excitations de la programmation n’assume plus — par définition —
son rôle, celui de l’automatiôn est néanmoins susceptible de
persister. L’ensemble fonctionnel intéressé poursuit alors son exis
tence, d’une manière cependant plus morcelée qu’avant, les liaisons
interfonctionnelles se trouvant mal assurées. Tant qu’est préservée
l’automation, demeure l’espoir d’une réorganisation de l’ensemble
fonctionnel en cause ; sinon, un processus du même ordre s’établit à
l’étage au-dessous, au niveau évolutif antérieur.
A l’inverse, lors des organisations évolutives, celles du développe
ment, par exemple, l’automation précédant la programmation, le
pare-excitations d’automation devra d’abord être mis en place à
chacun des niveaux de la construction évolutive pour assurer le
fonctionnement régulier des organisations psychosomatiques de ce
niveau, afin que puissent se faire jour les désirs d’associations et de
hiérarchisations fonctionnelles, lesquels devront être à leur tour
protégés par les pare-excitations correspondant aux programmes.
Ainsi de suite, des processus du même ordre s’établiront aux étages
supérieurs, aux niveaux évolutifs postérieurs.
Les systèmes pare-excitations d’automation comme ceux de
programmation changent évidemment de nature au fur et à mesure
du développement, comme ils en changent successivement dans les
mouvements de désorganisation. On peut néanmoins dire, de
manière générale, que les pare-excitations d’automation répétitive
affectent superficiellement une allure plus simple et plus universelle,
et que ceux de la programmation se montrent plus subtils, plus
nuancés parce que toujours plus précisément personnels, plus
adaptés finalement aux structures individuelles.
La vie opératoire.
A la lumière des hypothèses que nous avons faites, nous pouvons
reprendre quelques-unes des perspectives thérapeutiques qui
concernaient la dépression essentielle, et partant la vie opératoire.
Le problème initial consistait à installer activement la relation
avec les malades, sans dépasser leur capacité d’établir de nouvelles
relations et sans compter sur leur tendance réorganisatrice immé
diate. Nous retrouvons ainsi, dès le départ, la nécessité d’excitations
venant de l’extérieur et celle, en même temps, d’un pare-excitations
vis-à-vis de l’automatisme du fonctionnement relationnel le plus
simple, celui d’une tolérance mutuelle sans ambition.
La prétention était de rétablir l’homéostase au niveau le plus
élevé possible, au niveau le plus évolué antérieurement atteint par le
sujet. Le travail thérapeutique doit donc tendre, à l’aide d’un
ensemble d’excitations extérieures, à dépasser l’automatisme de la
seule rencontre avec le patient pour aider ce dernier à mettre
successivement en place à des niveaux progressivement plus
évolués :
— d’abord un automatisme de fonctionnement pour chaque
étage psychosomatique ayant préexisté, ayant disparu, puis étant
nouvellement réinstallé,
— ensuite la programmation convenant à cet étage pour en
préparer le dépassement.
Pour un étage fonctionnel déterminé, les deux phases précitées
doivent être également l’une après l’autre protégées par les pare-
excitations thérapeutiquement mis en œuvre.
Les passages successifs, d’abord intra-systémiques, de l’automa
tion à la programmation, puis extra-systémiques, de la programma
tion du système précédent à l’automation du système fonctionnel
suivant, plus évolué, paraissent s’accomplir spontanément et régu-
(165) L’engagement d’une fonction dans un système plus évolué nécessite une
association avec d’autres fonctions, toutes en état de programmation. Si la
programmation des autres fonctions n’est pas mûre, l’organisation fonctionnelle
nouvelle échoue. Cet échec risque alors de renvoyer un moment à son état antérieur
d’automation la fonction qu’on a en point de mire.
(166) Ce type fondamental de conflits, qui évoque le conflit pulsionnel freudien
(pulsions d’auto-conservation opposées aux pulsions sexuelles), ne nous semble pas
réservé à la seule organisation des fonctions mentales. On peut concevoir par
exemple qu’aux moments archaïques de l’évolution individuelle, pendant la vie intra-
utérine, des conflits existent, d’ordre immunologique peut-être, dans la relation avec
la mère. Ces conflits, troublant la programmation du développement fœtal, renvoient
à des fixations-régressions intra-systémiques qui marquent alors toute la vie de
l’individu en créant très tôt des points d’appel régressifs. En dehors de transmissions
héréditaires du même ordre, on comprendrait de cette manière le départ prénatal de
l’organisation allergique essentielle d’un sujet.
116 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
(,w) Nous évoquons ici une ligne thérapeutique idéale qui, par définition, ne tient
pas compte des symptomatologies traduisant une reprise de la désorganisation.
(177) Nous allons prendre pour exemple une situation fréquente de la psychothé
rapie.
Il n’est pas rare de voir un homme en état de vie opératoire, à la suite d’une
désorganisation progressive survenue quelque temps avant sa « mise à la retraite »
ou au début de la retraite.
122 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
La fonction maternelle.
Les phénomènes de la fonction maternelle qui s’adresse aux
nourrissons, et de la fonction psychothérapique qui s’adresse aux
opératoires, ne manquent pas d’aspects communs (178), par
exemple :
— L’existence d’un appui extérieur provenant d’un personnage
vigilant à l’égard des mouvements évolutifs et contre-évolutifs du
sujet.
— L’apport d’excitations et de pare-excitations dans le travail
d’appui.
— Le départ sans organisation mentale substantielle du sujet.
— L’analogie des mouvements évolutifs et reconstructifs (systè
mes évolutifs successifs, organisations et mouvements intra-systémi-
ques, installation des gérances).
Cependant, entre ces deux formes d’activités, maternelle et
psychothérapique, se font jour des différences fondamentales que
nous allons envisager.
Il s’agit d’une construction à laisser se développer chez le
nourrisson et d’une reconstruction (globalement, d’une architecture
à rétablir) chez l’opératoire.
La programmation inconsciente de l’opératoire s’étant déjà
totalement déroulée (avec l’installation progressive antérieure de la
névrose de caractère) jusqu’à l’organisation de la deuxième topique,
ne garde que de rares secteurs modifiables ; celle du nourrisson reste
Dans les bons cas le problème concerne, à un moment donné, le programme d’une
réorganisation économique du patient dans les conditions nouvelles. Cette réorgani
sation doit souvent tenir compte, au moins, de l’existence d’une épouse et des goûts
de celle-ci, parfois difficilement compatibles avec ceux du malade. Une séparation
des éléments du couple provoquerait une catastrophe chez le sujet. Des interpréta
tions analytiques relatives à l’Œdipe s’imposeraient. Elles sont exclues. L’envisage-
ment du lieu futur de résidence, des possibles activités (les tendances sublimatoires
reconnues se présentent alors comme pain bénit) relationnelles ou non, par exemple,
nécessitent une appréciation nuancée. Une erreur d’estimation risque de désorgani
ser à nouveau le patient. Il convient alors de ne pas donner de conseils mais d’étaler
au jour commun les différentes éventualités, les diverses capacités du sujet (que le
psychothérapeute connaît plus consciemment que celui-ci) à accueillir favorablement
ou non, à plus ou moins long terme, telles ou telles ouvertures. Cela, sans
interprétations et sans interventions brutales risquant de provoquer par trop
l’inconscient du malade. La thérapeutique ne doit évidemment pas s’interrompre là.
Il ne s’agit que d’une phase du traitement.
(17t) Cf. Michel Fain, « Une conquête de la Psychanalyse : Les mouvements
individuels de vie et de mort de Pierre Marty ». Revue Française de Psychanalyse,
1976, op. cit.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 123
(,M) La répétition de cette régression donnera lieu à une fixation. Cependant, une
telle régression (susceptible d’installer des auto-érotismes archaïques au niveau de
fonctionnements somatiques) et l’empêchement à la programmation, trop longue
ment renouvelés, nuisant alors à l’établissement d’autres lignées fonctionnelles,
risquent de compromettre le développement du sujet.
(186) La somme des retraits successifs de la mère constitue l’un des facteurs
importants de la relative indépendance future du sujet.
C187) Lorsque le retrait maternel n’a pas lieu, l’enfant est renvoyé à ses propres
positions fonctionnelles antérieures, celles de l’alternance automation-programma
tion du système évolutif précédent.
(188) L’automation d’un système quelconque, ne répondant pas tellement à l'image
de simplicité et d’universalité qu’elle offre à première vue, doit être ainsi l’objet de la
vigilance maternelle.
Dans ce sens, le bercement, la tétée ou le biberon automatique du nourrisson,
qu’on peut prendre pour types d’activités maternelles ou nourricières visant à faire
I
i
i
I
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 127
L’intervention médicale.
Nous ne donnerons encore que des notes schématiques.
Sans considérer spécialement les états opératoires, l’intervention
médicale paraît habituellement, de manière à la fois intuitive et
scientifique, distribuer et doser excitations et pare-excitations selon
les mouvements d’automation et de programmation repérés.
Distinguons quelques aspects de cette intervention.
Se basant sur la constatation et la recherche d’une symptomatolo
gie et de ses modifications, le médecin remarque qu’un certain
nombre de fonctions se montrent incapables d’assurer l’équilibre
homéostatique habituel de l’individu, ou tout au moins insuffisantes
dans cet exercice. Il tente de localiser l’ensemble fonctionnel le plus
directement concerné et d’apprécier la stabilité ou l’évolutivité de la
maladie.
Des indications lui sont à ce dernier sujet fournies, qui concernent
la tendance spontanée du patient :
— Soit à se réorganiser régressivement.
Quel que soit le niveau fonctionnel perturbé, la pathologie
correspond assez souvent à une systématique régressive propre au
sujet, particulièrement répétitive parfois, témoignant de fixations de
la première enfance liées ou non à l’hérédité directe (1M). Elle
répond aussi, dans un certain nombre de cas, à une description
nosographique classique, témoignant alors de fixations ordinaires,
d’ordre phylogénétique (195).
— Soit à se désorganiser progressivement.
La pathologie ne concerne plus seulement cette fois l’ensemble
fonctionnel perturbé en premier lieu, mais s’étend à d’autres
appareils ou à des systèmes physiologiques moins évolués.
Un tel mouvement de complications ne consacre pas forcément la
gravité de la progression désorganisatrice. Il peut se référer à un
(193) Cf. Denise Braunschweig et Michel Fain, La nuit, le jour, op. cit.
(15M) La répétition individuelle d'une maladie et son éventuel classicisme n’impli
quent pas sa bénignité. L’importance vitale des fonctions atteintes, en rapport sans
doute avec l’archaïsme de leur apparition évolutive, demeure primordiale.
(195) La nosographie médicale classique place au premier plan la reconnaissance de
symptômes, de syndromes, de maladies globalement identiques d’un individu à
l'autre, c’est-à-dire d’ensembles pathologiques fondamentalement propres à l’espèce,
dans lesquels les variantes individuelles sont secondaires. La pathologie concernée a
donc toute chance de procéder de systèmes de fixation-régression d’ordre phylogéné
tique.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 129
(196) Ces précautions, la plupart du temps contestées par d’autres praticiens ou par
d’autres écoles médicales, introduisent encore un nouveau trouble. Une angine
banale, affection relativement fréquente chez l’individu donné, risque par exemple
de faire chaque fois balancer entre le danger des complications qui peuvent être
graves (malgré la bénignité habituelle de la maladie pour le sujet) et le danger d’une
administration répétitive d’antibiotiques.
■ (t97) L’investigation psychosomatique, qui apprécie les événements pathologiques
par rapport à l’ensemble économique individuel présent et passé, s’impose ici de
manière au moins préventive. Elle est susceptible avant même l’apparition d’une
i nouvelle symptomatologie, avant même l’apport de nouveaux examens de labora
toire, d’estimer l’état de dépression essentielle du sujet et d’encourager éventuelle
ment la vigilance médicale classique. Elle est encore susceptible de décider
i l’engagement immédiat d’une surveillance psychothérapique.
(19e) Certaines interventions antisymptomatiques sont moins justifiées, qui modi
fient d’entrée de jeu l’allure du patient et rendent totalement aveugle l’observation.
Nous en avons signalé un exemple à propos de l’écrasement médicamenteux des
angoisses diffuses lors des désorganisations de l’appareil mental. Tout le monde
souhaite néanmoins voir disparaître le plus rapidement possible les malaises et la
souffrance.
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 131
(IW) Adapter qualitativement, c’est viser juste aux niveaux fonctionnels perturbés.
Sans même envisager l’effet souvent approximatif des médiateurs thérapeutiques, la
tâche est parfois difficile, voire à peine possible, qui doit non seulement tenir compte
des fixations régulières, d’ordre phylogénétique, et des fixations particulières à
l’individu, mais aussi de la valeur défensive de ces diverses fixations dans l’économie
actuelle du malade.
C2®) II s’agit ici de reconstructions. Nous avons signalé, à propos de la fonction
maternelle, un problème du même ordre avec les dangers que fait peser sur le
développement, sur la construction progressive du nourrisson, le maintien abusif
d’automatismes soutenus de l’extérieur (le biberon automatique par exemple).
(201) Certains malades, en réalité victimes de dépression essentielle, nous sont
adressés seulement en raison d’anomalies persistantes de constantes biologiques.
Une investigation psychosomatique s’impose dans tous les cas de doute médical
concernant l’homéostase des patients.
132 LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES
1
LES DÉSORGANISATIONS PROGRESSIVES 133
génitale, dont la nature dépendra pour une part des phénomènes évolutifs
que nous venons d’évoquer.)
dante. Le privilège vital accordé à la fixation dépend assurément (en dehors des
facteurs que nous avons examinés — cf. T. I, à partir de la p. 118) de la qualité
fondamentale de l’inconscient et des Instincts de Vie qui y sont représentés au
moment de la fixation. Si la régression reproduit le même jeu que la fixation et
s’assure globalement au même rythme intra-systémique, elle se trouve sans doute
différente de la fixation, néanmoins, et n'assure pas en ce cas un palier valable de
réorganisation lorsque le tonus général des Instincts de Vie représentés par
l’inconscient a diminué du fait du vieillissement ou d’une dépression passagère non
compensée par exemple, même sans qu’existe une régression inconsciente au niveau
de l’automation.
O Cf. T. I, p. 87.
f) Cf. T. I, p. 112.
O Cf. T. I, p. 136.
LES RÉGRESSIONS 143
(15) a. p. 86 à 93.
(16) Cf. T. I, Complexité des régressions, p. 136 et suivantes.
146 LES RÉGRESSIONS
(17) Cf. T. I, Les chaînes évolutives latérales et les dynamismes parallèles, p. 144.
(“) Cf. T. I, p. 101 à 104.
LES RÉGRESSIONS 147
f24) Lors de doubles systèmes régressifs de cet ordre, l’un sur la chaîne mentale,
l'autre sur la chaîne allergique latérale, la juxtaposition symptomatique des traits du
caractère névrotique habituel et des traits du caractère allergique peut présenter un
ensemble clinique bizarre, certains des symptômes étant théoriquement incompati
bles avec les autres (cf. T. I, p. 147, 148).
f25) La chaîne latérale isolée de son organisation centrale, mentale, habituelle,
devient de ce fait vulnérable aux allergènes.
150 LES RÉGRESSIONS
(*) Comme nous avons exposé à plusieurs reprises les problèmes concernant
l’allergie essentielle, tant au cours de publications antérieures que dans le Tome I de
cet ouvrage (p. 142 à 144), nous nous bornerons à rappeler les points majeurs de ces
problèmes.
Cf. P. Marty, La relation objectale allergique, op. cil.
Cf. également : Rev. Fr. de Psychanalyse, mars-avril 1969 :
— Sami-Ali, Etude de l’image du corps dans l’urticaire.
— M. Fain, Réflexions sur la structure allergique.
— P. Marty, Notes cliniques et hypothèses à propos de l’économie de l’allergie.
Dans l'envisagement actuel des maladies de l’immunité, ce que nous avons désigné
en 1957 sous le nom d’ « allergie essentielle » semble recouvrir au point de vue
clinique une partie des asthmes, des eczémas atopiques, des rhinites spasmodiques,
des urticaires et des œdèmes de Quincke et, au point de vue biologique, les
hypersensibilités de type I dans la classification de Gell et Coombs (cf. J.F. Bach,
Immunologie. Flammarion, 1974).
f27) Dans une chaîne évolutive, rappelons-le, les fixations antérieures ont un
pouvoir relativement déterminant sur la nature et sur la qualité des fixations
ultérieures, une autre partie de ce pouvoir appartenant longtemps à la fonction
maternelle.
(“) L’absence d’angoisse du nourrisson à la vue du « visage de l’étranger », visage
différent de celui de la mère, vers l’âge de huit mois, constitue sans doute l’un des
premiers témoignages du processus en cours.
152 LES RÉGRESSIONS
(®) Il nous est encore difficile de définir topiquement ces secteurs fonctionnels du
préconscient, tant dans le sens progrédient des moyens d’accès à la conscience que
dans le sens régrédient des processus de refoulement, de déni, de censure. La liaison
des mots et des choses, dominée, semble-t-il, par l’affect des représentations
inconscientes, se montre de toute manière souvent mal assurée chez les allergiques
essentiels type pour qui l’extérieur et l’intérieur, les autres et soi, peuvent se trouver
confondus, et avec lesquels en définitive on a le sentiment de ne pas toujours parler le
même langage.
A cet état de choses s’allie sans doute une fixation au niveau du processus
primaire qui constitue le point d’appel d’éventuelles régressions.
LES RÉGRESSIONS 153
(31) Les sujets « sentent » en effet tout des autres, mais ne peuvent se dégager de
ceux-ci.
f32) Une « désensibilisation » progressive est ainsi susceptible de s’effectuer par
paliers.
154 LES RÉGRESSIONS
C33) Nous avons signalé l'approximation du langage des sujets pour qui, de plus, les
mêmes mots peuvent sans doute, selon les moments, signifier des choses profondé
ment différentes.
LES RÉGRESSIONS 155
présence d’un psychanalyste qui entreprend une psychothérapie chez ces malades
pendant leur hospitalisation et qui la poursuit après la sortie a toute chance d’éviter
les dangers encourus.
LES RÉGRESSIONS 157
RÉFLEXIONS
f35) Cette notion concerne aussi bien l’organisation physiologique que l’organisa
tion mentale.
158 LES RÉGRESSIONS
OBSERVATIONS
lendemain d’une crise de mon petit garçon, euh, lui était parti le
soir, enfin il est revenu après, mais... (6).
• Qui était parti ?
— Mon, mon second fils.
• Oui.
— Celui qui a 15 ans, et après il s’est disputé avec son père, alors,
bon bah, je — 3 ou 4 jours après j’ai fait ma crise de foie.
• Oui, mais pourquoi 3 ou 4 jours, pourquoi vous avez attendu 3
ou 4 jours (7) ?
• Alors?
— Je veux dire que ça me donne des complexes (rit) enfin c’est
pas le fait d’être petite qui me donne des complexes parce que ma
foi, c’est le fait d’être — d’être grosse (9).
• Oui.
— Alors je, j’essaye toute seule de prendre un régime, j’essaye
de — de me remettre au régime — mais — d’ailleurs ça ne sert pas à
grand-chose parce que je perds un malheureux kilo en un mois. J’ai
l’impression que j’arriverais jamais... (10).
• Oui.
(Silence) Alors c’est tout ce qu’il y a ? ça fait déjà pas mal de
choses. Cette affaire où vous grossissez, ces douleurs d’estomac,
cette colite, qui se traduit comment, par des diarrhées immé
diates (n) ?
— Euh, non, par de la constipation, des gaz et après de la
diarrhée.
• Dans cet ordre, toujours ?
— Oui, oui.
• Et immédiatement, ça commence ?
— Oui.
• Quand votre mari et votre fils se bagarrent, par exemple?
— Oui, c’est ça. Oui, c’est ça.
• Et l’estomac en même temps ?
— Oui.
• Bon.
— Et puis alors après...
• Et puis alors, les maux de tête ?
— Les maux de tête, les maux de tête qui viennent et puis la
mauvaise digestion, enfin, je suis lourde, j’ai... (fait un geste
évocateur de nausées).
• Des vomissements ?
— Je suis très fatiguée, il me semble que je dormirais, j’ai envie
de dormir, malheureusement, dans la journée j’ai pas beaucoup le
temps de me reposer (silence), et après je fais des crises de foie (12).
• Et alors, tout cela existe depuis combien de temps ?
— En fait, euh, j’ai toujours eu — j’ai toujours un tempérament
à grossir. Alors, avant de me marier j’étais, euh, j’étais pas grosse,
mais enfin, j’étais un peu ronde, mais j’avais déjà suivi un régime et
j’étais revenue à un poids un peu plus normal. Après, après la
naissance de mon premier enfant, j’avais commencé à grossir,
j’avais pu remaigrir, j’ai eu mon second enfant, ça n’a pas arrangé
les choses, j’ai regrossi — après — et puis, euh, à ce moment-là
j’avais déjà, euh, j’avais déjà remarqué que les contrariétés me
détraquaient, enfin,...
• A ce moment-là ?
— Oui, oui, oui.
• C’est-à-dire?
— Ah, c’était en 58, 57-58.
• Oui, mais à quelle période vous faites allusion à ce moment-là,
vous reliez ça à quoi ? Pourquoi vous dites 58 ?
— Bah, parce que je me suis mariée en 57, pardon...
• Ah ! bon, tout de suite...
— Mon premier fils, mon premier fils est né en 58, c’est pour ça
que je suis en train de suivre, euh...
• C’est ça. Tout de suite après la naissance de votre premier?
— Oui.
• Ça a commencé ?
— Oui.
• Bon. Et avant, vous n’aviez pas tout ça?
— Non (13).
• Sauf l’histoire...
— Non, j’avais — d’ailleurs on me considérait un petit peu pour
être assez, euh, calme, assez, euh, supportant les choses, acceptant
les choses facilement, enfin, j’étais... Alors après, mais c’est venu
progressivement, je peux pas vous dire exactement, euh, j’ai un
mari très nerveux aussi, alors, euh, j’étais pas du tout nerveuse mais
il me semble que maintenant je suis devenue très nerveuse d’ailleurs
je dois dire que ces temps-ci, je suis particulièrement nerveuse.
• Ça veut dire ?
— Oh ! bah, je me sens très très énervée, y’a des moments même
ça me, ça m’empêche de respirer, je me sens oppressée, alors
qu’avant j’étais pas du tout comme ça... Evidemment, je dois dire
que la naissance de ce petit garçon en 67, alors que nous l’avions
vraiment, enfin, c’est un enfant que nous avons désiré, que nous
avons voulu. A partir du moment — il nous a apporté beaucoup de
joies au début lorsque nous l’avons eu et progressivement, c’est pas
— il nous a toujours apporté de la joie, c’est pas çe que je veux dire,
mais enfin, euh, les soucis ont commencé à partir de — il devait
— 67.
• 67. Et vos histoires de la vésicule sont de, votre opération par
exemple ?
— 68.
• 68. Bon, mais enfin, il n’était pas tellement étonnant qu’il ne
parle pas encore.
— Ah, non, non non non !
• Alors quel problème présentait-il (15) ?
— Je vous dis, si j’avais des histoires de foie avant 68 y’avait ma
vésicule qui en était cause, et c’est après que je, je n’aurais pas dû
avoir des crises pareilles, après que je n’ai plus de vésicule,
maintenant, je devrais quand même être tranquille.
• Bon, mais qu’est-ce qui s’est passé au niveau de cette vésicule,
après la naissance, donc, de votre troisième fils?
— Bah, je ne sais pas, euh, j’ai fait des crises, j’avais des crises de
coliques hépatiques de plus en plus répétées et j’en ai eu une terrible
en 68, là on s’est aperçu qu’il fallait m’opérer.
• Bon. Mais depuis la naissance de votre fils; vous en aviez
souvent des crises de coliques hépatiques, comme ça ? Vous étiez
malade ?
— Euh, j’en avais bien avant, j’en avais eu avant des crises, ça
correspondait pas à la naissance de mon fils en 67.
• C’était avant ?
— Ah, oui, oui, ça avait commencé avant.
• Et vous avez pu vous occuper de lui malgré tout? dans la
première année ?
— Ah oui, ah oui. Ah ! oui, j’avais une crise qui me durait une
journée — je m’en suis beaucoup occupée.
• Oui.
— Je me suis toujours occupée de mes enfants, jamais personne
d’autre s’en est occupé.
• Oui.
— Même au moment de mon opération — évidemment j’ai été à
l’hôpital, mais enfin, enfin on me l’a rendu après, non, vraiment je
m’en suis occupé, tout le temps.
pareil. Sur le plan sentiments c’était l’adoption, et j’ai vécu avec eux
jusqu’à l’âge, jusqu’à mon mariage (17).
• Oui.
— Oh, j’ai pas eu une enfance malheureuse, bien que j’aie perdu
mon père et ma mère, disons : je m’en suis pas souvenue et j’ai été
très très gâtée par ma grand-mère, je l’aimais beaucoup, et après j’ai
beaucoup aimé mes — mon oncle et ma tante, comme des parents.
Ils n’ont eu que moi, ils n’ont pas eu d’enfants, j’étais leur seule
enfant et rien eu qui m’ait marquée à ce moment-là (18).
• Qu’est-ce qui leur est arrivé à vos parents ?
— Mon père était tuberculeux avant de se marier, il s’était soigné
(je sais pas très bien les dates) il s’était soigné, et, euh, après euh,
après il a — enfin ça allait mieux quoi, c’était terminé ; il a fait une
imprudence, il a commis une imprudence en 39-38, je sais pas très
bien, et à ce moment-là il a rechuté ; et ma mère, alors mon père —
enfin les médecins — il a dû attendre pour se soigner, je sais pas très
bien, je l’ai entendu dire mais je sais pas... Enfin, il était perdu, et
ma mère, ma mère s’est trouvée enceinte à ce moment-là au mois de
juin-juillet 39, non juin puisqu’elle est morte le 2 juillet, et alors elle
s’est trouvée enceinte d’un mari tuberculeux qu’elle savait
condamné à très brève échéance, elle a voulu faire passer cet enfant
et elle en est morte. Elle est morte en 8 jours.
• Ah oui.
— Je sais pas, je me rappelle plus... une septicémie, quelque
chose qui l’a fait souffrir atrocement, et mon père est mort 6 mois
après. Finalement ma mère est morte avant mon père.
• Et vous n’avez pas de frères et sœurs ?
— Si, j’avais un frère qui était mort en 36, j’avais 2 ans (19).
— Parce que sa mère (æ) faisait du théâtre, enfin, elle n’a pas pu
s’en occuper ; et moi j’étais restée à Paris avec mes grands-parents
paternels et j’allais chez les uns chez les autres et là j’ai été très
malheureuse, à ce moment-là. Je me souviens avec euh, c’est la
seule partie de mon enfance que...
• De 5 à 10 ans ?
— Ah non, non, non, pendant 6 mois, pendant un petit peu plus
peut-être, du mois de juillet 39 à partir du moment où ma mère est
morte.
• 5 ans?
— Où j’ai été vraiment trimbalée parce que mon père était
contagieux à ce moment-là, ii était pas question que je sois avec lui.
• Oui. C’est les 6 mois pendant que votre père vivait encore ?
— Voilà, et que ma grand-mère maternelle le soignait. Donc,
j’ai, j’ai, j’ai été ballottée de, de, de l’un à l’autre et après, au mois
de mars, il est mort le 2 février 40, tout de suite après, j’ai, on m’a
ramenée chez ma grand-mère maternelle, que j’aimais beaucoup et
qui m’a — elle, qui m’a gardée pendant 5 ans.
• Oui.
— Alors, après, j’étais très heureuse après, ça, c’étaient ces
6 mois-là qui ont été pour moi, qui m’ont, enfin, qui m’ont laissé un
très très mauvais souvenir (23).
• Oui. Quel souvenir?
— Bah, le souvenir que — je sais pas, il me semble que j’étais
avec des gens qui ne m’aimaient pas, qui m’ont — c’était peut-être
une illusion, c’étaient des très braves gens, mais enfin, euh, je sais
pas, vraiment, j’avais l’air d’embarrasser, il me semblait que
j’embarrassais tout le monde. Et puis j’avais dû — on avait dû
m’opérer des végétations, alors je me souviens être allée à l’Hôpital
des Enfants Malades et ma tante était venue me voir mais elle
pouvait pas rester et ça m’avait rendue très malheureuse, je voulais
la — je voulais partir avec elle. Je me souviens avoir beaucoup
pleuré, puis j’avais été chez d’autres personnes qui m’avaient pris
mais, le Monsieur, la la Dame était n’était pas très gentille avec moi,
lui il était très gentil mais elle elle était très dure avec moi. Une fois
j’avais fait dans mon lit, je sais pas si j’avais fait pipi, je me rappelle
grand-mère : « ... elle pouvait pas ouvrir la bouche, enfin, elle pouvait
pas parler, elle me regardait. Elle avait ses yeux qui parlaient pour
elle, ça m’avait frappée énormément... » et la symptomatologie
ultérieure de l’enfant, précocement évoquée dans l’investigation
« ...c’est un enfant qui a présenté des signes d’autisme... il a pas
vraiment, il a pas vraiment été autistique, mais enfin, il a huit ans, il
parle pas encore ».
Ce parallélisme (l’oncle l’aurait-il subodoré plus profondément qu’il
ne paraît) n’implique cependant pas une interprétation de notre part.
(35) Bien que ce rêve succède au : « ... je n’ai jamais rêvé d’elle (la
grand-mère)... pourtant j’ai rêvé beaucoup... », les interprétations trop
précises que l’on pourrait apporter seraient illusoires en raison d’un
manque d’associations plus circonstanciées que celles que nous
possédons. Il faut considérer cependant que le dialogue avec l’investi
gateur touchant à la relation entre la mort de la grand-mère et la
naissance de l’enfant a évoqué un rêve au décor Renaissance, et
qu’une riche condensation se fait jour, groupant la remémoration
matinale des rêves (dont fait partie ce rêve deuil-naissance) et les
problèmes alimentaires que nous connaissons : « ...j’aime bien déjeu
ner toute seule le matin... j’aime bien penser à mon rêve... Si, y’a un
rêve dont je me rappelle... je ne sais pas pourquoi... ».
Même si le deuil n’a pas été élaboré, la fréquence des rêves, le
souvenir des rêves, l’intérêt pour les rêves et les tentatives d’auto
élaboration des rêves, témoignent d’un parfait fonctionnement, fré
quent sinon permanent, de l’appareil mental (cf. P. Marty et
OBSERVATIONS 189
maison parce que j’avais une crise de foie avec des maux de tête.
• Et, pourquoi vous dites « crises de foie » en même temps?
— Bah, parce que je vomissais.
• Vous vomissiez ?
— Ah, de la bile. Je suis, je suis une machine à fabriquer de la
bile à ce moment-là.
• Les maux de tête ont toujours accompagné les crises de foie ?
— Toujours, toujours.
• Vous n’avez jamais eu de maux de tête...
— Non !
• ... en dehors de ça ?
— Si, j’ai des maux de tête en dehors de ça mais je sais que —
bien sûr des fois la crise de foie ne va pas jusqu’à vomir. Mais je sais
que c’est le foie. Alors des fois aussi j’ai des maux de tête et je sens
que c’est parce que j’ai, j’ai de l’aérophagie, enfin, je sens que — ou
alors, euh, la — ça correspond à la — à des brûlures à l’estomac et
de l’aérophagie, j’ai des renvois alors je sens que, j’ai des renvois ça
me soulage la tête. Mais je sens, je sens venir et je sens qu’il y a
quelque chose qui ne va pas (M).
• Bon. Quel rapport y a-t-il entre ces maux de tête avec ou sans
crises de foie et les périodes où vous vous mettez à manger ?
— Je vois pas très bien ce que vous voulez dire.
• Bon, vous avez dit qu’à certaines périodes vous vous mettiez à
manger. Vous rejetez alors toute idée de régime. Mais le faites-vous
consciemment ou pas de rejeter l’idée de régime? Pourquoi
mangez-vous ?
— Bah, là, bon, récemment vous voyez, euh, j’ai longtemps
attendu votre rendez-vous parce que, je, enfin j’ai décidé de revoir
un médecin au début d’octobre, j’ai, c’est le Dr. M. qui m’a
conseillé de venir vous voir, alors j’ai déjà attendu un moment de
voir le Dr. M. ; alors je ne pouvais plus tenir et puis je sentais que je
regrossissais, que je regrossissais. Alors, de moi-même je me suis —
ah, bah, non — de moi-même, non, pas de moi-même, parce que
j’ai fait cette crise de foie importante, la dernière, automatiquement
je me suis remise au régime. J’ai dit bon, ça tombe bien, comme ça
allons-y. Eh bien, au bout de 3 semaines de régime, j’avais juste
perdu un malheureux kilo et plus ça va, alors, là j’ai eu pas mal de
contrariétés ces temps-ci, bah, j’avais faim, j’avais faim, j’avais
faim, mais il me semble que c’est déréglé. Ou alors je fume, ou alors
il faut que je mange (41).
i
196 OBSERVATIONS
que je sais... que je me mets à fumer pas mal pour le moment mais
par moments j’arrive à fumer beaucoup moins. Alors, je dis, bon,
bah, ça va, ça va mieux, mais dès que ça va plus je me remets à
fumer.
• Alors pourquoi êtes-vous puéricultrice (43) ?
— Pourquoi j’ai été puéricultrice (insiste sur « j'ai été »).
• Qu’est-ce que vous faites maintenant ?
— Bah, j’élève mes enfants.
• Bon, alors, je ne me trompais pas tellement, sauf qu’ils sont
plus grands.
— Bah, parce que, c’était, c’était un métier qui me plaisait,
j’aime beaucoup les enfants. J’aime beaucoup les enfants, en fait —
j’ai un peu raté mes études et, euh, en seconde, je me suis arrêtée,
je n’ai plus continué et alors là, mes parents ont essayé de me mettre
dans une école commerciale
• En seconde, vous aviez quel âge ?
— J’étais en retard, j’avais 16 ans. J’étais en retard, j’ai com
mencé, euh, enfin j’ai eu un tas — vous savez, cette période après la
guerre, je suis arrivée à C., à Paris, où j’ai été élevée.
• Chez vos oncle et tante ?
— Oui, c’est ça. Alors il a fallu, euh, j’étais chez des Sœurs, alors
que — à la campagne j’étais dans une école libre, une Institution
• Et alors ?
— Bah, j’ai essayé de rentrer dans une école commerciale. J’ai
passé un concours, j’avais été reçue, j’avais préparé l’école commer
ciale, j’avais été reçue, mais ça ne me plaisait pas du tout, ça ne
m’attirait absolument pas ; et je voulais être infirmière. Alors, euh,
là j’étais trop jeune pour me présenter à l’école des Bleues, j’avais
préparé l’école des Bleues, j’ai échoué au concours, à cause de la
dissertation et du français. J’étais très déçue et j’ai fait — alors
comme je ne — j’étais un petit peu comme ça — j’ai fait une école
de puériculture mais pas l’école officielle du Boulevard Brune parce
que pour le Bd. Brune il fallait passer, fallait d’abord être infir
mière. Alors donc j’avais — j’avais été à cette école en attendant
pour pas perdre mon temps, qui m’avait donné un diplôme
d’auxiliaire de puériculture ; et, mon désir était d’entrer à (silence)
d’entrer à l’A.P. et de suivre les cours municipaux pour essayer tout
de même d’avoir mon diplôme d’Etat après, pour pouvoir faire
l’école du Bd. Brune. Je suis rentrée à l’A.P. et puis j’ai connu mon
mari et après je n’ai pas continué à faire mes études. Je l’ai regretté
d'ailleurs (silence).
• Vous avez regretté pourquoi ?
— Parce que. J’ai regretté parce que, je pense que, étant donné
que nous ne nous sommes pas mariés tout de suite, il a fait — il est
allé en Algérie, il est resté très longtemps en Algérie et j’aurais eu le
temps certainement de faire ce que j’avais projeté de faire. Puis,
après même, sans continuer puisque le métier d’infirmière, de
puéricultrice demande — c’est pas tellement fait pour des, pour des
femmes mariées ayant des enfants, j’aurais pu me spécialiser dans
une autre branche et pouvoir — j’aurais pu quand même continuer à
travailler (47).
c'est pas la peine d'insister ». On peut penser qu'elle aurait désiré que
son père insiste, jouant pleinement un rôle de Surmoi, et qu'il lui fasse
aussi confiance, ce qui n'a pas été le cas. Un imbroglio sado-
masochique d’ordre régressif s'est produit dans ces conditions : elle lui
en a voulu, elle s'en est voulu... elle n'a pas continué.
(47) La cessation des études après la rencontre avec le futur mari :
« j'ai connu mon mari et après je n’ai pas continué à faire mes
études » constitue une suite directe de la première cessation des études
après 1' « histoire à la maison avec mon père... »
Dans la perspective scolaire, on note que la plupart des rencontres
ont un aspect néfaste, comme si la rencontre pouvait se substituer
pendant un temps (et avant les regrets) à l'enrichissement intérieur.
Au-delà du matériel apporté directement par la malade on a le
200 OBSERVATIONS
• Oui.
— J’ai quand même regretté, après.
• Bon, alors pourquoi infirmière et puéricultrice ?
— Parce que j’aimais ça, j’aimais beaucoup.
• C’est ce que je vous demande, pourquoi aimez-vous ça?
— Ça me plaisait, ça me plaisait. Pourquoi j’aime ça?
• Oui.
— Ah ! je — j’aime la vie d’hôpital, enfin, cette vie de service
hospitalier. Je — j’ai — enfin j’ai fait tous mes stages, je travaillais
un peu et ça me plaisait.
• Qu’est-ce qui vous plaît?
— De soigner, de soigner les malades, de, de... de m’occuper des
autres.
• Et depuis quand ça ?
— Ah ! depuis toujours.
• Toujours ? ça fait quel âge ?
— Ça m’avait toujours plu — je ne sais pas mais enfin ça m’avait
toujours plu.
• Aussi loin que vous vous souvenez, ça fait quel âge ?
— Ah ! oui.
• « Ah ! oui ». Quoi ? Allez !
— J’avais, enfin, j’avais peut-être 13 ans, 13 ans et je me
souviens, je m’occupais déjà beaucoup des enfants, euh, chez des
amis, je me rappelle, ils étaient des petits enfants, j’aimais
m’occuper d’eux. Je m’en occupais, vraiment très bien. J’aimais
soigner. Même encore maintenant, lorsque je rentre dans un
Hôpital, j’ai envie d’aller aider les infirmières, d’aller me mêler de
ce qu’elles font parce que ça me plaît C46).
COMMENTAIRE
de pages, leurs possibles origines, ainsi que les deux versants des
inhibitions qui les accompagnent ou qu’elles entraînent : celui des
représentations qui engagent plus ou moins largement l’inconscient,
celui des représentations d’ordre intellectuel. Nous avons considéré
sous cet angle les difficultés scolaires premières, puis celles des
études de puériculture.
— La facilité à remplacer l’élaboration mentale par des relations
objectales directes, ou projectives, ou identificatoires de divers
niveaux.
La grossesse était bien venue pour éviter un travail de deuil (deuil
immédiat de la grand-mère succédant au deuil des parents) à la
faveur d’une relation privilégiée, organique, avec le fœtus. Nous
nous sommes demandé si le «... il ne voulait pas naître » ne
constituait pas une projection.
Par ailleurs, nous avons souvent eu le sentiment d’une ambiva
lence de M“* I. quant à la connaissance d’elle-même comme quant
aux connaissances en général. Elle veut savoir mais profite de toute
occasion relationnelle pour casser l’éventualité du savoir, puis le
regrette. En sont témoins la liaison érotique avec O.D., mouvement
de relation aux amusements de l’autre, mais abandon du travail
intellectuel devant la supériorité de celle-ci, la relation sado-
masochique identificatoire avec le père (oncle) aboutissant à la
rupture d’une scolarité classique, la rencontre avec le mari donnant
lieu à la cessation des études de puéricultrice.
— Le laisser aller aux comportements.
Pleurer apparaît, au début de l’évolution individuelle, comme un
moyen somatique spontané d’expression instinctuelle à l’occasion
d’excitations externes directes ou d’affects importants, alors que
l’appareil mental est encore peu construit. Plus tard on pleure dans
un comportement régressif lorsque, mues par des excitations
externes directes ou par des représentations regorgeant d’affects qui
surgissent du refoulé, les pulsions débordent les capacités de
l’élaboration mentale : «... certains souvenirs que j’ai d’elle, si
jamais je les sors, ça me fera pleurer... ». Cela à la manière du
débordement sur le domaine musculaire, de mouvements incons
cients issus d’excitations ou d’affects. Des tremblements ou des
contractures accompagnent d’ailleurs souvent les pleurs (50). Ne pas
Le registre hystérique.
Le groupe de discussion s’intéresse :
— à la force de séduction, aux manœuvres verbales et gestuelles
que M™* J. déploie en face de l’investigateur,
— au ton de provocation érotique-agressive (qui n’est peut-être
pas assez sensible dans la relation de cette investigation),
— à la massivité de l’excitation et sa diffusion sur les relations
objectales relatées (1e fantasme permanent de scène primitive),
— à la mise en avant des pulsions voyeuristes, exhibitionnistes
(« il s’agit de parents — Aurez-vous des contacts entre vous? »),
mobilisées, voire exacerbées par la situation de l’examen avec
assistants. Ce qui rend difficile d’apprécier te niveau et la qualité de
l’érotisme (< élaboré » pour certains, justement « défendu » par la
volontaire absence apparente des défenses, plus directement « mas
sif et abrupt » pour d’autres, manifesté au contraire « à cru » par
l’évidence et la constance de l’excitation érotisée (secondairement)).
La question se pose alors de savoir si cette excitation érotique peut
220 OBSERVATIONS
Le registre phobique.
— L’un de nous se demande si toute la séquence première
concernant l’enfant ne fait pas partie d’un système défensif de fuite
— c’est-à-dire que, confrontée à la situation « traumatisante »
qu’est l’entretien, elle interpose son fils, comme elle a d’entrée
interposé le médecin qui l’a envoyée : on serait alors en présence
d’un mécanisme d’évitement.
Il est délicat, là encore, d’apprécier ces mécanismes d’évitement
qui n’apparaissent pas de façon constamment nuancée, mais dans
une sorte de conduite immédiate que l’on pourrait peut-être
qualifier de « néo-conformisme social actuel > portant sur le verbe,
l’allure, l’habillement, la simplification de la relation manifeste — et
qui occulte finalement, voile en tout cas la personnalité profonde du
patient observé, rendant plus difficile sous le déguisement l’accès à
la personnalité authentique et à la névrose infantile. S’agit-il d’une
conduite choisie en quelque sorte après délibération mentale, pour
se préserver défensivement, ayant alors valeur d’évitement phobi
que mentalisé, ou d’un comportement révélant l’imprégnation d’un
Idéal social, collectif, actuel ?
On remarque également l’affirmation sans cesse énoncée qu’elle
est prête à partir : « Elle n’envisage pas de passer sa vie avec
André... Elle va rompre avec le Dr. L... Elle va interrompre la
psychothérapie de son fils... après avoir elle-même cessé d’assister
aux séances... Elle ne voit plus son frère cadet... Elle s’est fait
« virer » de son premier emploi, etc.
En souriant, l’investigateur note : « les valises sont toujours
faites... », ce à quoi elle acquiesce.
Ces ruptures — annoncées ou effectives — marquent-elles une
défense ? ou une carence ?
OBSERVATIONS 221
La culpabilité.
C’est de l’avis de tous ce qui manque apparemment le plus, dans
ce qui nous est montré là par Madame J. Elle n’a pas en cet
entretien effectué spontanément de retour sur elle-même. Elle a par
exemple remarqué que les émergences eczémateuses de son fils
s’intensifient lors des conflits familiaux : elle ne s’en accuse point.
Elle stigmatise la mollesse et l’égoïsme de son compagnon, mais
n’indique à aucun moment qu’elle pourrait, elle aussi, se sentir
« responsable > de l’état de son petit garçon. Elle énonce à la fin de
l’investigation le « mot » sévère du médecin qui nous l’a adressée :
« on ne peut pas construire une maison quand elle est au fur et à
mesure détruite de l’extérieur >, dans une tonalité essentiellement
agressive à l’endroit de ce médecin qu’elle va rejeter, dit-elle (note
comportementale de rupture), sans infléchissement évident de sa
réflexion sur ses attitudes ainsi dénoncées.
Cette phrase délibérément féroce, elle eût pu être entendue de la
façon le plus narcissiquement blessante, or elle la cite dans un
double mouvement de revendication et de rejet, au mieux dans la
colère, au pire comme une constatation, un fait. Un fait retenu tout
de même, ce qui en soi indique peut-être, au moins la virtualité de
culpabilité.
Il n’est pas exclu, d’autre part, que cette phrase soit reprise pour
elle-même, puisqu’elle l’entend dans son système sado-masochiste
(répétant avec le Dr. L. l’excitante relation conflictuelle sans cesse
menacée de rupture, et alimentée par cette menace même).
Un assistant rappelle alors « la belle indifférence » des hystéri
ques à l’égard du symptôme, qui évite ainsi toute manifestation,
voire toute émergence de culpabilité, ce qui entraînerait à supposer
que la maladie de l’enfant ait valeur pour la mère d’équivalent
symptomatique hystérique (reposant ainsi le problème de l’indis
tinction de soi et de l’autre).
La dépression.
Au niveau manifeste, elle n’apparaît pas. Au vrai, qu’en est-il?
On a noté la tenue constamment sthénique, sous-tendue par un
remarquable potentiel agressif. Ce tonus agressif est-il mobilisé par
la situation de l’investigation qui aurait là encore une valeur
traumatique colmatée par cette défense ?
On peut aussi envisager que l’excitation (et la stimulation
constante de cette excitation dont l’eczéma de l’enfant est la source)
soit constituée comme objet, et comme objet permanent.
222 OBSERVATIONS
La névrose de caractère.
En fin de discussion, on remarque la multiplicité des interpréta
tions suscitées par l’investigation de cette jeune femme. Ce qui
L'enfant.
Une autre question importante se pose ensuite : celle du rôle de
l’organisation mentale de la mère dans la constitution de l’organisa
tion mentale de l’enfant.
— Comment la fonction maternelle est-elle investie par cette
jeune femme ? Est-elle limitée par une inhibition névrotique ? Est
elle marquée par un manque, pour l’enfant, de pare-excitations ?
Où se situe éventuellement la « censure de l’amante » (4) ?
— Ne peut-on dire que la somatisation de l’enfant s’effectue
d’autant plus aisément, par défaillance consécutive, que la patholo
gie mentale, c’est-à-dire la structuration mentale de la mère, est
moins assurée ?
— Se trouve-t-on devant une sorte de réalisation immédiate, par
l’enfant, d’un fantasme de désir, et lequel, de la mère? Et moins le
chaise, elle semble tendue, crispée. Je suis frappée par son charme,
celui d’une jolie femme de 34 ans, bien coiffée avec une longue
frange qu’elle relève tantôt d’un geste gracieux, d’autres fois
brusquement d’un mouvement de la tête, chaque fois pour nous
faire découvrir des yeux très bleus. Longue, mince, elle est vêtue
avec harmonie et recherche.
— « J’ai l’impression de n’exister qu’à travers Marc et André ».
Je lui fais remarquer que depuis le début de l’entretien elle n’a parlé
d’elle qu’à travers eux.
— « C’est comme cela que je suis », répond-elle vivement.
« Maintenant je peux dire ce que j’avais envie de dire. J’y ai
beaucoup pensé, surtout depuis la rentrée. Je voudrais m’occuper
de moi, faire cette analyse pour moi — ça ne va pas — j’ai la
déprime ».
La déprime ? — C’est l’envie de ne rien faire, la peur de voir les
amis, de sortir parce qu’elle se sent inintéressante, l’envie de rester
seule.
M™ J. a les larmes aux yeux et en parlant un léger tremblement
des mâchoires. « Pour la première fois, André s’est rendu compte
que j’avais la déprime. Je lui ai dit : je ne pourrai pas m’en sortir
toute seule. Il a ri, disant : je ne suis pas inquiet, tu feras comme
d’habitude, tu relèveras le menton et tout ira bien... C’est difficile...
J’ai besoin de votre aide ».
Puis immédiatement elle attaque, de nouveau souriante, me
racontant les difficultés de l’investigation devant une assistance.
« Intellectuellement, je trouve cela inadmissible. On pourrait au
moins prévenir d’avance. Bien sûr j’aurais pu refuser l’enregistre
ment par exemple, et je pense que le Docteur l’aurait arrêté. Mais
j’ai fait face et je me suis défendue. Affectivement, ça s’est bien
passé. Il est chaleureux le Docteur N., mais c’est lui que je venais
voir et après tout cet effort, une heure environ, il ne m’accorde que
cinq minutes pour me dire que ce serait quelqu’un d’autre qui
s’occuperait de moi ».
Elle corrige alors immédiatement, devenant séductrice : « Heu
reusement que c’était vous. Vous étiez la seule que j’avais repérée
dans l’assistance. Mais ç’aurait pu être n’importe qui, une femme
moche... Elle rit. (Avant la consultation elle m’avait vue en effet
aller chercher et reconduire un patient dans la salle d’attente.
Chaque fois elle m’avait regardée, j’étais le repère connu qu’elle
avait cherché dans l’assistance.)
M™* J., au cours de l’entretien, oscille entre la séduction, la
provocation, une demande d’aide puis un retrait, de la tristesse, de
la colère, beaucoup de revendication. Elle me semble, dans sa
relation avec moi, jouer constamment avec la distance. Elle a une
228 OBSERVATIONS
qualité de contact que je né sais pas définir mais qui est très
particulière. Je suis frappée aussi par le travail qu’elle a fait depuis
son entretien initial, montrant bien une possibilité d’évolution et un
intérêt pour son histoire : par exemple elle a écouté son frère et
probablement questionné sa mère sur sa relation avec Marc. Elle
s’est interrogée aussi sur les mystères de son histoire familiale.
André et elle ont désiré ce bébé. « Mon frère me dit que pour moi
Marc était un objet... Peut-être... je n’aime pas les bébés ». (Elle
sourit, provocatrice.)
Qu’est-ce qu’elle n’aime pas ?
— « Le toucher — c’est physique... c’est trop mou !... Il y a peut-
être autre chose, mais c’est la première chose qui me vient à l’esprit
— c’est ce que je ressens. Ça a été dur pour moi la perte de la
liberté. C’est ça aussi un bébé ».
M™ J. a exigé d’une façon revendicatrice qu’André s’occupe de
Marc autant qu’elle, parce que : « Mon père ne s’occupait jamais
des enfants, j’ai voulu faire autrement ». « Ma mère m’a dit un
jour : quand Marc encore nourrisson pleurait, vous étiez là à vous
disputer pour savoir qui s’occuperait de lui. De décider à qui c’était
le tour semblait plus important que de voir pourquoi le bébé
pleurait. Cela se passait devant lui. Un jour, il était peut-être trop
tard, Maman m’a dit que Marc pouvait comprendre ». « C’est aussi
ce que je ne peux supporter des enfants, ils sont des paramètres.
Même les choses non dites, ils les ressentent et les expriment dans
leur corps ». A une question sur cette inquiétude elle répond :
« André et moi on ne peut donner de vraies réponses. On ne peut
donner de sécurité. Pour nous, un oui c’est un non et un non c’est
aussi un oui. On ne peut vivre que dans le temporaire ».
Elle reste alors silencieuse puis :
— « Il y a des jours où je me sens coupable puis non ! Peut-être la
culpabilité (mimique de douté), mais ce que je sens c’est surtout le
désarroi. Ah oui, un grand désarroi devant les besoins d’un bébé ».
La patiente précise ici d’une façon intéressante ce qu’elle ressent :
« le désarroi » par rapport à la culpabilité. Je pense que c’est
important. Il me reste quand même des doutes quant à son
sentiment de « non culpabilité ».
Marc est né au début de mai. Elle a trouvé son premier travail à
plein temps en juin. Vacances en août et retour au travail e
septembre avec en plus les activités relatives à la création d’une
crèche. Elle se revoit, au cours d’une manifestation, poussant le
landau d’une main et tenant une pancarte de l’autre. Elle ajoute très
vite : « J’ai eu raison, j’ai gagné, la crèche s’est ouverte ! »
— « Mon frère m’a dit que j’étais une femme castrante. Peut-
être... ». Un soir, rentrant à la maison après une journée de travail,
OBSERVATIONS 229
M™e J. trouve la cuisine encombrée de vaisselle tandis que son mari
prend l’apéritif avec son frère. « Je lui ai dit : tu aurais pu faire la
vaisselle!... je suis une femme phallique? Eh bien merde! »
« Les médecins, le Docteur L., les pédiatres... pensent que c’est
André la mère. Qui sont-ils pour juger ? Parce que André accompa
gne Marc chez eux quand je suis au travail?... C’est un peu
superficiel. Quand il s’agit de trouver une gardienne, l’école, un
médecin, de renouveler les médicaments, c’est toujours moi.
Profondément, toute la responsabilité de Marc pèse sur moi ».
En parlant je remarque que Mrae J. caresse le mur, en passant
lentement sa main sur le tissu mural. Un tissu rugueux... et
l’analogie avec une peau rugueuse me traverse l’esprit. Au cours de
l’entretien elle répète ce geste. Elle se frotte les genoux de la même
façon.
Quand je lui demande de me parler de son enfance, elle dit :
« André, lui, a eu une enfance compliquée ». Et puis en souriant :
« Je n’ai pas de souvenirs. J’étais une petite fille difficile, la préférée
de mon père. Avec ma mère c’était pas facile... je ne sais pas
pouquoi. J’ai parfois eu l’impression qu’elle m’enviait », situant son
enfance d’emblée dans le conflit œdipien.
Il y a beaucoup de mystères dans la famille. « Mais on ne raconte
pas ». Par exemple sur ce qui s’est passé pendant la guerre. « Mes
parents sont d’origine juive, je ne sais pas comment mon père s’est
débrouillé, il n’a rien fait de honteux, ce n’était pas un collabo, mais
il y a un voile ».
Mystère aussi au sujet du premier mariage de sa mère. Un jour,
fouillant dans des papiers, M1"* J. découvre que celle-ci a déjà été
mariée. Longtemps elle garde le secret, puis questionne sa tante qui
le lui confirme en lui recommandant de n’en point parler. Jamais
M“ J. ne le dira à ses frères ni à personne d’ailleurs.
U y a aussi cette histoire du frère de sa mère mort à 21 ans,
asphyxié dans la salle de bains. Il s’est suicidé, elle en est certaine.
Mais sa mère n’en a jamais parlé. « Mon frère aîné porte son
prénom et toute petite je sentais qu’il y avait un secret autour de
mon frère : j’étais mal à l’aise quand on disait son nom ».
A la fin de l’entretien, je lui demande si elle a rêvé.
« De Marc? » répond-elle immédiatement.
— De Marc... ou d’autre chose... dis-je.
(M™ J. a les larmes aux yeux.)
« C’est la question du Docteur N. qui m’a le plus touchée, le plus
blessée. Il a dit : Est-ce que vous rêvez de Marc? »
Devant mon air interrogatif, elle ajoute : « C’est peut-être pour
cela que je me suis souvenu ainsi de la question. Je l’ai peut-être mal
comprise... J’ai répondu : non, je n’ai jamais rêvé de Marc ».
230 OBSERVATIONS
2e séance.
J’envie les gens qui, s’excusant, vont faire pipi et reviennent. Moi,
j’en suis incapable ».
Il y a là un fantasme. Que peut-il se passer quand on s’absente fût-
ce pour quelques minutes? (Un fantasme de scène primitive?)
« C’est peut-être la même chose pour Marc aussi. Ce que je sais
c’est que ça m’exaspère ».
M”* J. supporte mal les expressions d’agressivité chez Marc
« autres que verbales ». Par ailleurs elle tolère très bien, dit-elle,
que Marc lui dise qu’il la changerait pour une maman plus douce.
Qu’elle n’est pas gentille. Elle est très fière de la bonne maîtrise de
langage de Marc.
Quand je lui indique la fin de la séance, Mme J. se lève lentement,
me demande si c’est comme cela qu’il faut faire. Elle a l’impression
d’être « décousue », que je devrais « décoder » ce qu’elle dit :
« c’est peut être mieux de le faire soi-même ».
— « Ah ! mon rêve ! Je l’ai laissé de côté — j’aimerais y revenir,
essayer de comprendre. C’est mon premier rêve ».
Devant l’escalier elle se retourne, me demande si la séance est
bien à 10 heures jeudi prochain, me remercie... Quitter, en effet, ne
semble pas facile.
4*-^ séances.
Je remarque que M™ J. ne se répète pas. Elle raconte ce qui se
passe en me situant les événements et les personnages. C’est-à-dire
qu’elle ne prend pas pour acquis que je sais, comme font les
allergiques essentiels.
Marc lui a demandé pourquoi il ne faisait plus de psychothérapie.
M™* J. lui répond : « Tu n’as pas dit que tu voulais y retourner ».
Marc lui exprime alors directement son désir de revoir Mrae X. sa
psychothérapeute. Mme J. lui répond : « on verra » mais elle me dit
ne pas être d’accord sous prétexte de ne pas trop le « psychiatri-
ser ». D’ailleurs il va bien, et ce n’est pas sûr que la disparition de
l’eczéma soit due à la psychothérapie. « Je pense que je fais mieux,
même pour lui, en faisant moi-même une psychothérapie. Enfin, on
verra ».
M“ J. dit qu’elle n’a pas allaité Marc afin qu’André et elle
puissent également lui donner le biberon, tous les deux le donnant
en tenant le bébé dans leurs bras.
Reprise de la discussion
La discussion de ce cas reprend, au sein du même groupe, après le
récit des premières séances de thérapie — séances qui, rappelons-le,
OBSERVATIONS 233
ont lieu, en raison des vacances d’été, trois mois après l’investiga
tion.
Il est rapidement évident que restent maintenues les options
différentes, voire opposées, des assistants, options concernant (à
travers les diverses interprétations possibles du « matériel » rap
porté) la compréhension de la structuration mentale de Mme J. Ceci
confirme, sinon l’essentielle solidité, du moins la complexe richesse
de l’organisation de personnalité de cette jeune femme, et induit un
pronostic favorable sur son .éventuelle évolution et celle de son
enfant.
1) Pourquoi un eczéma ?
Il s’agit bien d’une personnalité allergique essentielle, dont nous
reprenons brièvement les caractéristiques fondamentales :
a) l’insuffisance, voire la relative inorganisation des mécanismes
de défenses mentales, en raison de la régression globale qui s’est
opérée autour d’un foyer de fixation allergique déterminé à un stade
archaïque.
b) l’indistinction sujet-objet et les défaillances de l’orientation
dans le temps et l’espace, nommées par la mère qui a signalé
l’absence d’angoisse au visage de l’étranger au huitième mois, la
facilité permanente de tous les « contacts » (« il se plaît avec tout le
monde »), le désarroi profond devant le conflit et l’agression qu’il
cherche à éviter effectivement, l’intolérance aux séparations vécues,
la non-représentation du schéma corporel propre et de celui des
parents (« il a dû apprendre à se dessiner », « il ne montre pas de
préférence pour un sexe ou l’autre, une personne ou l’autre »).
c) la pathologie eczémateuse généralisée, précoce, alliant dans
l’excitation auto-érotique, troubles cutanés et respiratoires.
Il convient de ne pas négliger les notations héréditaires qui nous
ont été apportées : la mère, le grand-père et l’arrière-grand-mère de
l’enfant ont présenté des manifestations allergiques — asthme,
eczéma, œdèmes localisés — d’importance diverse, permettant de
penser qu’elles ont constitué une sorte de secteurs d’ouvertures, de
« facilités héréditaires » dont témoigne un déterminisme héréditaire
renouvelé.
Tout ceci constituerait ce que nous pourrions considérer comme
fixations premières, tandis que les fixations secondes s’effectue-
OBSERVATIONS 239
3) La thérapeutique.
Elle est d’ordre psychothérapique, s’exerçant sur les deux regis
tres :
— direct : une relation nouvelle et stable devrait pouvoir favori
ser chez l’enfant les expressions motrices, verbales, puis ultérieure
ment certaines élucidations de ses conflits essentiels. Il s’agit en fait
d’une véritable rééducation sensorio-psychique,
— indirect : sur les parents. Ici, la mère surtout (le père
disposant, avec le Dr.B., d’une relation qu’il interrompt fréquem
ment, mais il maintient cependant le contact « à distance »). On
peut penser que Mme J. abordant et dénouant un certain nombre de
ses conflits personnels, leurs impacts d’excitation seraient moindres
sur l’enfant — ce qui permettrait d'obtenir à la fois des résultats
immédiats sur la pathologie de Marc et des résultats à plus long
terme sur son évolution psychique et comportementale.
4) L'avenir de l'enfant.
— Il serait sans nul doute illusoire d’envisager un changement
profond de sa personnalité. Fondamentalement, « allergique essen
tiel restera ».
— Mais une thérapeutique psychotérapique bien conduite pour
rait au moins constituer une sorte d’apprentissage, par la connais
sance de son organisation personnelle, de sa disponibilité relation
nelle, des difficultés, voire des points de rupture — avec le risque
d’inscription somatique — qu’elle entraîne. Apprentissage donc, et
de lui-même en son fonctionnement, et d’une certaine « réserve »
mentale, c’est-à-dire perception, désignation « d’objets » mieux
différenciés et plus librement investis.
— Aux conflits inévitables, les réponses symptomatiques reste
ront vraisemblablement les mêmes, mais elles ont des chances de
devenir exceptionnelles, plus labiles et de moindre intensité.
— Il est également important de prévenir, grâce à la psychothéra
pie, l’éventualité de désorganisations plus poussées et de régressions
plus archaïques se situant, soit au niveau somatique, soit au niveau
mental (en des épisodes confusionnels, par exemple).
— Nous pouvons enfin espérer que seront ainsi épargnés à
l’enfant les inconvénients, voire les dangers, surtout à long terme,
des thérapeutiques médicamenteuses.
Comment ne pas reprendre enfin, dans sa valeur évolutive, le
déplacement symptomatique spectaculaire de l’été : la « transfor
mation », en quelque sorte, de l’eczéma, en manifestations d’enco-
présie et d’énurésie diurnes et nocturnes. Nous avions noté, en l’une
OBSERVATIONS 241
des discussions précédentes, ce « passage » de l’enfant à un système
relationnel plus évolué, d’ordre prénévrotique, ou pré-psychotique,
mieux mentalisé en tout cas.
M™* J. avait bien indiqué « qu’elle aussi, avait eu ce problème »,
tout en ajoutant : « mais moi, ce n’est pas pareil ». Et elle avait
donné à ces symptômes de son enfance une valeur auto-érotique (la
retenue plaisante) et une valeur relationnelle (que Marc lui donne
aussi peut-être) : « je fais cela encore aujourd’hui, dit-elle, je n’ose
pas partir, même si ce n’est pas pour longtemps ». Quelle significa
tion donne-t-elle alors (et pouvons-nous donner), les jugeant
« différentes », à l’encoprésie et à l’énurésie de son petit garçon ? Y
percevrait-elle (comme nous-mêmes) un abord traduit par un
comportement, certes, mais à signification cette fois symbolisée,
d’une expression agressive nouvelle, puisqu’elle ajoute « qu’elle
supporte mal les manifestations agressives autres que verbales, de
Marc ».
Tout ceci témoignant, nous semble-t-il, en conclusion, d’une
notable évolutivité, à la fois effective et potentielle, de l’enfant et de
sa mère.
MADAME K.
— l’analyse interrompue,
— l’organisation structurale de la patiente,
— la dépression.
a) L’interruption de l’analyse est le premier phénomène sur lequel
Madame K. attire l’attention, soulignant qu’après une longue période
heureuse et faste, « idéale », accompagnée d’améliorations
« incroyables »...,« ... je croyais pas que c’était possible de compren
dre ça... », l’analyse a été interrompue lorsque la patiente est devenue
un peu plus « agressive » avec son analyste. Madame K. met
nettement l’accent sur la liaison entre la possibilité de comprendre
« des tas de choses » et celle de « devenir beaucoup plus libre », en
particulier dans le sens de l’agression. Elle met également l’accent sur
la non-acceptation de cette agression par l’analyste. Elle se réfère
enfin à Monsieur J., mais la relation avec ce dernier n’a pu éponger le
mouvement dépressif.
b) Les études de psychologie, comme l’existence d’une psychana
lyse antérieure, n’ont aucune valeur indicative quant à la structure de
personnalité de Madame K. L’existence d’une dépression incite à
préciser rapidement cette stucture.
Nous avons déjà pu apprécier la qualité de l’organisation mentale
de la patiente dans ses possibilités de transcrire avec nuance et
facilement ses émois dans un langage imagé. Ses aptitudes à la
relation objectale comme à l’introspection sont évidentes. Elle possède
le recul nécessaire à la réflexion, ainsi que les possibilités d’analyse et
de synthèse. L’organisation de la première topique est en bon état de
marche. Malgré les difficultés qu’elle signale au début, Madame K.
s’insère rapidement dans le contexte pour préciser directement et au
plus vite sa situation. On ne note pas jusqu’ici de défenses d’ordre
mental qui évoqueraient une névrose mentale. Certains éléments
symptomatiques retiennent l’attention, tels que le rire qui traduit la
gêne. On retiendra également l’orientation vers les études de psycholo
gie pendant l’analyse, ainsi que la relation persistante avec Mon
sieur J. dans ce même temps, laquelle pose d’emblée la question de
savoir s’il s’est agi là d’un transfert latéral (on doit alors penser que ce
transfert a été analysé sans effet) ou de la nécessité d’une présence
objectale directe supplémentaire (compensatrice d’une absence de
l’analyste, vécue par la patiente dans l’ordre sensorio-moteur surtout).
Dans la même perspective, on peut mettre en doute le rapport exclusif
OBSERVATIONS 245
crever quoi. En même temps j’avais très peur de mourir (ni) c est
pas incompatible, (silence) Donc j’ai revu, j’ai vu Monsieur J., il est
parti au mois de juillet et c’est peut-être son départ qui a aggravé les
choses, j’en sais rien. Maintenant, je ne suis plus dans un état
vraiment dépressif mais c’est, je ne crois plus à grand-chose.
• Racontez!
— Oui mais (silence)...
• Vous dites ce que vous pensez, n’est-ce pas !
— Oui (rit) j’avoue que c’est surprenant parce que je trouve que
c’est pas — mon lit est toujours un refuge de toute façon, ça je sais
très bien pourquoi, là je suis vraiment à l’abri, euh, mais enfin je ne
suis plus dans l’état, euh, aigu où j’étais au mois de juillet. C’était
vraiment là, à ce moment-là, c’était le désespoir, euh, je voulais en
finir. Maintenant, comme j’ai dit à Monsieur J., je suis désabusée de
tout, je crois plus au père Noël, y’a rien, ni à la psychanalyse, ni à la
psychothérapie, à rien. J’ai l’impression d’être — que ma vie, bah,
elle se terminera comme ça. L’année dernière, j’avais l’impression
d’avoir 18 ans, me rajeunir un peu, mais 18 ans dans ma tête, dans
mon cœur et maintenant j’ai l’impression d’être beaucoup plus
vieille que je le suis. J’ai 42 ans mais j’ai l’impression d’être plus
vieille, et que ma vie finira comme ça, euh, y’aura pas de
changement. Et puis alors y’a des choses qui — qui aggravent peut-
être la situation, et ces raisons c’était peut-être pour ça, c’était
beaucoup pour ça que Mr J. m’avait conseillé de vous voir. C’est
qu’il avait peut-être des idées derrière la tête aussi (rit) (4).
«... j’ai dégringolé peu à peu » et « ... j’étais dans un état dépressif
qui n’a fait que croître et embellir » donne en effet le sentiment qu’il
s’agit peut-être d’une dépression essentielle survenant au cours d’une
désorganisation progressive. L’intervention essaie de faire préciser
d’emblée par la malade, les signes cliniques de la dépression.
(4) Il convient donc d’apprécier les signes cliniques de cette
dépression qui comprend certains éléments positifs de « coloration »
ou de « rattrapages » régressifs, témoins de tentatives d’organisation,
certains autres éléments négatifs, témoins de la poursuite de la
désorganisation ou de l’installation d’un système de type opératoire.
On peut compter parmi les signes positifs régressifs les : « ... j’étais
couchée tout le temps... je pleurais tout le temps », le « ... ne plus
m’alimenter, j’avais envie de me laisser crever, quoi », le « ... j’avais
très peur de mourir », le « ... c’est peut-être son départ qui a aggravé
les choses », et plus tard : « ... mon lit est toujours un refuge de toute
façon..., là je suis vraiment à l’abri ».
On peut compter parmi les signes négatifs (de désorganisation) les
«... maintenant, je ne suis plus dans un état vraiment dépressif, mais
c’est, je ne crois plus à grand-chose », le « ... je ne suis plus dans
l’état, euh, aigu, où j’étais au mois de juillet », le « ... je suis
désabusée de tout, je ne crois plus au Père Noël, y’a rien,... ma vie...
se terminera comme ça ».
OBSERVATIONS 1A1
• Oui, qu’est-ce que ça peut être des idées derrière la tête?
— Bah, je sais pas, il sent très bien que — enfin que les entretiens
que j’ai avec lui sont des entretiens, c’est plus que de la psychothéra
pie parce que j’ai quand même — je suis forcée de reconnaître
malgré ma mauvaise foi que 4 ans 1/2 de psychanalyse, ça change
quand même l’esprit, c’est — il sait que je ne crois plus à la
psychanalyse ni dans tout ce qui s’y rattache, alors peut-être qu’il
veut essayer de me redonner un peu de foi dans — de confiance —
c’est possible. Je ne demanderais pas mieux, je ne demande pas
mieux que de croire dans quelque chose, mais pour le moment je ne
crois plus en rien. Mais alors y’a des questions de santé aussi, euh,
qui ça j’en suis certaine, euh, sont d’ordre — enfin y’a peut-être une
base mais, euh, je m’en suis souvent servi comme — euh — comme
pré — comme prétexte, inconsciemment. Mais enfin, euh, y’a
quand même des choses — euh — on m’a fait des examens (rit) des
analyses (mais pas le même genre d’analyse) j’ai eu y’a, y’a 5 ans
une hépatite, euh, et j’ai fait continuellement — une hépatite qui
s’est révélée virale — je peux même vous dire que c’est le virus
australien et j’ai fait des rechutes à peu près tous les ans (s).
• Etant en analyse ?
— Euh, oui, oui, oui. Oui puisque elle a commencé, euh, cette
hépatite a commencé avant que je commence mon analyse. Elle a
commencé, euh, est-ce que les dates vous intéressent? Oui, je vais
peut-être pas le savoir.
• J’aimerais, mieux que des dates, les rapports avec les événe
ments (6).
les hauts cris car mon ami m’a dit : « Bah, bon, écoute quand,
quand vous serez décidés, à ce moment-là vous reviendrez me voir
avec votre fils ». Et puis ses troubles ont continué, alors là, euh, on
s’est dit : bon, bah, on n’y croit pas, mais ça fait rien, il faut faire
quelque chose, et on l’a ramené chez mon ami qui l’a adressé à une
psychothérapeute. Et ça, ça s’est très bien arrangé, si bien que mon
fils a instantanément arrêté d’avoir ses troubles physiques, et au
point de vue psychique il a beaucoup changé. Maintenant il a 17 ans
et y’a eu une évolution, euh (silence). Et puis, ça m’a fait le — la
psychothérapie de mon fils m’a fait penser à moi, je me suis dit :
mon fils avait aussi des crises de cafard, il pleurait, il n’y avait pas
que les troubles physiques, euh, qu’il avait la nuit. Et comme moi
j’ai commencé à avoir des — (silence) je parlerais bien — j’ai dit à
Mr J., quand j’ai commencé à déconner, c’est-à-dire quand j’ai
commencé à avoir le — à déconner. J’avoue que je ne parle pas
toujours très bien, mais enfin...
• Vous pouvez y aller, ça ne nous dérange pas du tout.
— Bon, alors c’est très bien (rit). A 12 ans j’ai commencé à avoir
— à peu près à l’âge de la puberté, à avoir des crises de cafard, des
manies, des — je pleurais très souvent, je m’isolais de ma famille, je
m’imaginais que j’étais folle. C’était pas drôle quoi O.
• Oui.
— Si je commence à cet âge-là, vous n’avez pas fini !
• Prenez les relais importants !
— Oui. Je me suis mariée, ça ne s’est pas arrangé, parce que
(silence), oui, parce que sur le plan physique avec mon mari, euh,
j’ai toujours été bloquée. Euh, les principales — les plus grosses
dépressions que j’ai eues, ça a été aux naissances de mes enfants.
Heureusement que j’en ai eu que deux parce que sans ça. On
m’avait conseillé de pas en avoir plus que deux.
fois qu’elle pleure vous n’avez qu’à lui flanquer une correction ».
Bon, la première fois que j’ai commencé à avoir le cafard après la
consultation, mon père m’a dit : « Si tu ne t’arrêtes pas de pleurer tu
auras une fessée ». Bon, bah, je n’ai plus pleuré ou j’ai pleuré sans
le dire et sans qu’on le voie. Et la première personne à qui j’ai parlé
de tous ces troubles qui n’ont fait que croître et embellir, c’est mon
mari quand je l’ai rencontré à l’âge de 18 ans. Pourquoi ? parce que
j’ai eu confiance en lui. Alors là je crois que je peux revenir à la
naissance de ma fille (17).
• Mais est-ce qu’avant la naissance de votre fille, il y avait eu des
crises de dépression comme ça ?
— Oui, dès que j’ai été mariée.
• Dès que vous avez été mariée ?
— Oui mais pas fort, c’est-à-dire que euh, j’ai recommencé à
pleurer, euh, j’étais déçue par, euh, le ratage sur le plan physique.
• Oui, c’était un ratage en quoi?
— Oh, bah, j’étais totalement indifférente, mais j’étais — alors
que quand j’ai rencontré mon mari je l’ai aimé sur tous les plans, il
m’attirait, il m’attirait pour des tas de raisons, j’avais l’impression
qu’on se comprenait, que c’était formidable, mais, j’éprouvais une
attirance physique pour lui ; mais tant que les choses restaient dans
le vague, c’était très bien ; mais dès que je me trouvais devant la
réalité, et ben, devant le — oui, devant le fait réel, eh ben, à ce
moment-là je changeais totalement. Et je m’en étais rendue compte
d’ailleurs avant mon mariage, aussi, parce que enfin on avait par —
on avait eu quelques petites expériences sans avoir vraiment
d’expérience totale sur le plan sexuel, ne serait-ce que la première
fois où mon mari m’a embrassée, ça, ça a suffi pour me couper les
bras et les jambes, alors que j’en rêvais (18).
* Vous venez d’avoir la trémulation des lèvres à cette évocation.
Vous en rendez-vous compte (19) ?
— Euh, je m’en rends compte de temps en temps, je m’en rends
compte de temps en temps, c’est-à-dire que c’est sans doute des
choses qui m’ont vraiment beaucoup frappée.
• Oui, alors le fait de l’embrasser, vous en attendiez énormément
et vous avez eu les bras et les jambes coupés ?
— Euh, oui.
• De déception, de quoi ?
— Ah oui, quand je suis rentrée chez moi je me suis dit bah — je
me suis regardée dans la glace, je me suis dit, bah, si ce n’est que ça.
(silence) Et tout le temps que tout restait dans le vague, tant que ça
n’était que sur le plan même pas de la possibilité, mais du rêve, tant
que c’était moi qui pouvais simplement le penser, l’imaginer, j’en
avais envie et ça a commencé, ça a changé quand je me suis rendue
compte que la chose était possible, que mon mari était amoureux de
moi, ça a commencé à changer même, même avant le premier
baiser, c’est idiot comme terme mais enfin, c’était vraiment le
premier pour moi. Mais quand mon mari a (hésite) a parlé, quand ça
a été autre chose que des promenades la main dans la main, quand
y’ a eu des — quand je me suis rendue compte que les choses étaient
possibles, les choses auxquelles je pensais étaient possibles, j’ai eu
comme je vous l’ai dit les bras et les jambes coupés et plus envie de
rien (20).
• Et vous avez analysé cette affaire ?
• Oui.
— Là y peut rien m’arriver.
• Oui.
— Et puis, euh (silence) en même temps un état dépressif qui n’a
fait que croître, je vous ai dit, jusqu’au mois d’août f29).
• Alors en quoi il consistait cet état dépressif ? qui a crû jusqu’au
mois d’août ?
— Bah, d’abord, je commençais à pleurer tout le temps.
• Oui.
— Euh, j’avais des envies de me fiche en l’air, mais enfin ça, je
me suis rendu compte que — je me suis rendu compte qu’au cours
• Oui, quand?
— Mon père est mort y’a (hésité) il est mort en 63 dans un
accident de voiture — et ma mère est remariée maintenant.
• Comment ça s’est passé pour vous la mort de votre père?
— Ça a été épouvantable (silence) parce que, j’avais toujours eu
l’impression que je ne m’entendais pas avec mon père, on avait des
engueulades monstres, on avait le même caractère, ça explosait,
alors qu’avec ma mère — ma mère, comme j’ai dit à mon analyste et
à M. J., ma mère était la Sainte-Vierge, elle était parfaite sur son
piédestal, et jamais je ne — je n’avais — je n’osais me — et ça je l’ai
compris dans mon analyse, je ne le comprenais pas quand j’étais
petite — je n’osais m’opposer à ma mère, alors qu’avec mon père on
avait des accrochages, mon père était assez soupe au lait, moi je lui
répondais et j’avais l’impression de ne pas m’entendre avec lui, mais
y’a une chose qui était quand même frappante, enfin qui m’a
frappée après quand j’y ai repensé, au cours de mon analyse, je
m’entendais bien avec mon père quand ma mère n’était pas là (34).
• Bon je reviens... (35).
a toute chance, lorsque existe un conflit, même latent, entre les deux
représentants de la fonction, de se montrer conflictualisante pour
l'enfant, à la fois en compliquant par trop l'installation de son rythme
personnel et en lui transmettant, presque en même temps, des tendances
inconscientes fatalement divergentes. Nous pensons qu'une telle
bipolarité de la fonction maternelle a existé dans le cas qui nous
concerne, avant même l'eczéma, et qu'elle a sans doute constitué l'un
des facteurs de cet eczéma. Un autre des facteurs en cause a
vraisemblablement résidé dans des problèmes fonctionnels élémentai
res propres à la peau (auxquels les difficultés ultérieures à toucher les
enfants ont pu, en partie, s'accrocher par la suite).
(•*) La situation œdipienne est, une fois de plus, présentée claire
ment par la mise en avant d'une défense sado-masochique dans les
relations avec le père, destinée à conserver cette relation avec le père
tout en escamotant sa valeur positive. Il semble que le jeu sado-
masochique n'ait pu s'accomplir vis-à-vis de la mère « la Sainte-
Vierge », image de perfection. On ne manquera pas de rapprocher
cette image de l'agression « non-reçue » par l'analyste-femme qui a
provoqué selon les allégations de K. la rupture de l'analyse.
Et cependant, la situation avait été nettement abordée pendant la
cure : « jamais... ça, je l'ai compris dans mon analyse... je n'osais
m'opposer à ma mère... ».
C35) L'investigateur, estimant en connaître suffisamment pour l'ins
tant sur l'organisation œdipienne de la malade, a l'intention de revenir
270 OBSERVATIONS
— Non, je crois que j’en ai eu pas mal, parce que j’ai retrouvé
une photo et j’étais pas belle (rit).
• Oui, une photo où vous êtes dans quelle position ?
— Ah je suis sur un — sur un lit, heu, hilare, et on voit bien que
j’ai de l’eczéma.
• Oui, et à quel âge ?
— J’ai toujours eu beaucoup de mal à donner des âges, j’ai
l’impression que je devais avoir, heu, si je compare avec mes
enfants, 8 mois, 9 mois, à peu près.
• Et ça a duré jusqu’à quand cet eczéma ?
— Ah, ça, je peux pas vous le dire, je ne sais pas.
• Vous avez été allaitée par votre mère ?
— Euh, (hésité) oui mais, ma mère n’était pas très bonne
nourrice, euh, alors, euh, assez rapidement — ah, j’ai dû être
nourrie quelques mois, et puis après au biberon. Ça c’est le
problème, j’ai connu ça avec mes enfants.
• Comment ça se passe avec nous là (37) ?
— Ah, bah, maintenant je commence à m’habituer.
• Parce que... vous parlez facilement !
— Oui, mais j’avoue que ça m’a fait une drôle de surprise, hein !
• Et votre fonctionnement mental est plus que convenable ici.
— Oui, maintenant je suis habituée.
• Bon. Est-ce qu’il arrive que votre fonctionnement mental ne
soit pas convenable ?
— Ah ! oui.
• Ah oui, quoi?
— Bah, par exemple, au mois de juillet quand vraiment j’ai eu
cet état, euh, je voulais me laisser mourir.
• Bon, alors comment ça se passait ? J’attire l’attention sur votre
fonctionnement mental en particulier.
— C’est compliqué ce que vous me demandez !
• Oui.
C7) H s’est bien agi d’un eczéma très précoce dans la venue duquel
les difficultés de l’allaitement naturel ont peut-être, encore, joué un
rôle.
L’investigateur interrompt cependant le discours de la patiente. Son
désir de connaître le rapport entre les variations économiques de
Madame K. et ses variations relationnelles lui importe maintenant
davantage que celui de demeurer au niveau de l’enfance et de la
maternité. Il s’agit surtout, en effet, de mettre progressivement au point
la technique thérapeutique qui s’instituera. On va donc commencer
par considérer l’économie de la malade au cours de la relation
immédiate.
. 272 OBSERVATIONS
• Bon, alors ici, par exemple, ça marche très bien. Avant que
vous ne veniez ici, ça marchait bien votre esprit ?
— Ce matin ?
• Oui.
— Ah, je me disais zut, il va falloir me lever tôt (rit). Oui mon
esprit fonctionnait bien.
• Bon, et quand vous allez être dans la rue tout à l’heure, ça va
bien marcher aussi ?
— Qu’est-ce que vous entendez par « bien marcher » ?
• Si vous sentez que vous avez la liberté de penser.
— Ah oui, je vais sûrement me dire que — tiens j’aurais pas cru
que ça passerait comme ça, euh, déjà ça m’ennuyait de venir ici,
mais je sais très bien que je pourrais très bien penser « bon, bah,
non c’est pas ce que j’aurais voulu » (41).
• Bon, alors on va reprendre les 4 crises d’hépatite virale. Elles
ont été déclenchées par quoi ? Celle de juillet dernier, c’est par cet
événement qui est survenu dans votre analyse ?
— Non, non, la dernière, la dernière, c’est quand je me suis
inscrite à C.
• C’était quand ?
— Euh, bah, je me suis inscrite, euh, à peu près octobre.
• C’était pendant votre analyse encore ça ?
— Ah ! oui, oui puisque y’a eu octobre, novembre, décembre de
l’année dernière, au mois de décembre où j’ai compris beaucoup de
choses.
• Bon, et la dernière dépression... ?
— Euh, c’est-à-dire, ça s’est pas rétabli tout à fait, ça a traîné
longtemps, mais je n’ai pas eu de grosse rechute.
• C’était la 4ème ça ?
— Oh, y’en a une petite cinquième après (rit).
* A quel moment ?
— Ah, je sais plus, en février.
* Et à l’occasion de quoi ?
— Ah ! là je crois que c’était parce que le — le médecin avait
diminué la dose de cortisone trop brusquement et, je crois pas que
ça soit, ou alors c’était une conséquence de — de l’état dépressif qui
commençait, je ne sais pas (42).
* Bon, alors les trois autres crises d’hépatite?
— Bah, y’a eu la première que j’ai eue (hésite) en 70, quand
j’étais décidée, quand je me suis décidée à faire une analyse.
• Oui.
— J’ai quand même attrapé un virus mais enfin comme me disait
mon analyste, y’a des virus qui traînent partout et tout le monde ne
les attrape pas (43).
• Bien sûr !
— Je suis pas toujours d’accord avec ça mais enfin... alors là elle
avait été carabinée comme hépatite.
• Bon, la deuxième et la troisième alors !
— Bah, je ne sais même plus les dates hein...
* Non, mais vous ne vous souvenez pas avec quoi ça a coïncidé ?
C’est pendant l’analyse ?
— Euh, (silence) y’en a une que j’ai eue, une rechute, que j’ai
eue, alors là je m’étais inscrite, moi j’ai eu toujours — je voulais —
mon rêve c’était de — de reprendre des études. Quand je vous disais
que j’avais 18 ans jusque — jusqu’à y’a quelques mois, c’est vrai
j’étais — comme quand je (hésite) j’ai passé mon bac. Je m’étais
;
OBSERVATIONS m
• Mais vous avez un taux habituel de sucre de combien dans le
sang?
— A jeun, c’est normal. A jeun c’est 0,90.
• Bah alors !
— Oui, mais quand je mange ça monte.
• Bah oui.
— Oui mais ce qu’il y a c’est qu’avec la cortisone, la dernière fois
qu’ils m’ont fait prendre la cortisone avant de faire l’hyper
glycémie, eh bien, au bout de 2 heures, j’avais au bout de 3 heures
j’avais encore, je ne sais plus, 1,60g. Voilà !
• Bon, sur quoi a-t-on bâti le diagnostic d’hépatite virale ? Sur les
examens de laboratoire, mais encore ?
— Non, j’ai eu aussi une laparoscopie et une biopsie.
• Quand ça alors ?
— Eh bien, y’a 1 an 1/2, euh, en avril 70.
• Bon, mais ce que je vous demandais, ce n’est pas tellement ça,
c’est ce qui a donné l’éveil de ce côté-là ?
— L’éveil de ce côté-là, c’est — les rechutes continuelles, enfin
les rechutes dont j’ai parlé à l’hôpital.
• Des rechutes de quoi ?
— D’hépatite.
• Bon, mais la première fois, qu’est-ce qui a fait dire que c’était
une hépatite virale ? Pourquoi aviez-vous consulté ? Qu’est-ce qui a
attiré l’attention des médecins sur votre foie (*) ?
— Euh, ah bah, j’avais des nausées, des — j’étais très fatiguée,
j’étais un peu jaune.
• Ah bon !
— Oui, j’avais pas de fièvre.
• Bon, mais enfin il y a eu...
— Il y a eu des analyses.
• Oui, les analyses bien sûr, mais au début c’est parce que vous
étiez jaune et que vous étiez fatiguée et que vous aviez des nausées,
c’est ça ?
— Oui, oui, Oui. Et puis après je me rendais compte de moi-
même quand je faisais une rechute parce que, quand je commençais
à avoir des nausées, en rentrant dans le métro, à sentir l’odeur du
• Oui.
— Mais, en ce moment, très nettement, je me souviens moins de
mes rêves et ça me manque.
• Alors, qu’est-ce que ça veut dire : « ça me manque » ?
— Bah, parce que je vivais dans mes rêves, c’était presque ma
vraie vie.
• Bah oui, mais même dans vos rêves nocturnes?
— Oui.
• Vous les repreniez dans la journée pour...
— Ah bah, quand c’était pas des cauchemars, quand c’était pas
des rêves désagréables, j’y repensais, j’y repensais ; au cours de mon
analyse j’étais — j’y repensais volontairement pour les — tâcher de
les analyser, quelquefois c’était assez embêtant parce que ça
m’amenait à des conclusions assez difficiles à dire. J’ai fait des
cauchemars, alors là c’était pas agréable, j’essayais de les — par
exemple j’ai beaucoup rêvé de mort, de cimetière, alors là j’aimais
pas y penser. Mais y’avait des rêves — euh, oui c’était vivre, pour
moi, je vivais dans mes rêves (51).
• Avant l’analyse non ?
— Si, je rêvais aussi.
• Et vous pensiez à vos rêves dans la journée aussi comme ça ?
— Ah oui.
• Et alors, vous y pensiez comment, avant l’analyse où vous
n’aviez pas souci d’analyser ?
— Ah j’y pensais moins. Non, j’avais pas le souci d’analyser,
mais j’y pensais.
• Bah, inventez-moi un rêve et le genre de choses que vous
pensiez à son propos (52).
— Non, j’y pensais mais... Je me souviens d’un rêve que j’ai fait
avant — bien longtemps avant mon analyse. J’avais rêvé de mon
père qui venait de perdre son propre père, c’est-à-dire mon grand-
père, et il écrivait à — il écrivait à son père, qui était mort : « Papa
296 POSTFACE
P. M.
L
TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS 7
DÉSORGANISATIONS ET RÉORGANISATIONS
PATHOGÈNES
POSTFACE 293
....
1
Design Pentagram
: Illustration : Dessin de Pierre Marty. (D.Rj
I ,160.00 ff ne Z
88-X
ISBN ■ 2-2 28-88023-X
9 782228 880237 6k 902244-7 S
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