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Revue belge de philologie et

d'histoire

Le culte de Jupiter en Espagne d'après les inscriptions


Félix Peeters

Citer ce document / Cite this document :

Peeters Félix. Le culte de Jupiter en Espagne d'après les inscriptions. In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 17, fasc.
1-2, 1938. pp. 157-193;

doi : https://doi.org/10.3406/rbph.1938.1242

https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1938_num_17_1_1242

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LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE

D'APRÈS LES INSCRIPTIONS

Dans le vaste domaine des inscriptions latines, les plus


belles découvertes sont toujours possibles et peuvent mettre en
question, à chaque instant, les données actuelles, d'autant plus
que nos connaissances ne sont guère sûres, même pour la partie
déjà explorée de l'épigraphie latine. En bien des endroits, le
champ est encore en friche et le soc retournera, un jour peut-
être, des trésors inestimables.
C'est donc avec prudence qu'il faut s'engager sur ce terrain.
Aussi, posons-nous, dès les préliminaires de ce travail, un
grand point d'interrogation devant les quelques résultats que
nous a permis d'obtenir le petit nombre d'inscriptions
aujourd'hui connues. Celles-ci, répétons-le, ne représentent pas la
totalité des documents susceptibles de nous éclairer et dont
une bonne partie reste, sans doute, enfouie dans le sol
ibérique. Cette incertitude est encore aggravée par la pauvreté de
nos critères de datation et de nos informations sur la
condition des « dédicants ». Les conclusions auxquelles nous arrivons
sont ainsi toutes précaires, bien que nous nous soyons efforcé
de les pousser le plus loin possible. Ce n'est que d'une façon
très grossière qu'elles représentent la vérité historique. Du
moins, avons-nous la consolation de croire qu'il n'était guère
possible de serrer celle-ci de plus près.
Notre recherche a pour but l'étude de la propagation du culte
de Jupiter en Espagne. Elle tente d'établir en quels lieux ce
dieu a été adoré, à quelles époques, sous quels aspects et par
quelles catégories sociales. Nous examinerons un à un chacun
des points que nous venons d'énumérer et nous terminerons
par une revue détaillée des inscriptions, groupées d'après la
158 F. PËETERS (2)

divinité invoquée, et nous proposerons çà et là une


interprétation ou une lecture nouvelle. On trouvera dans les notes
la liste des ouvrages consultés. Nous voulons toutefois, dès le
début de ce travail, marquer toute la dette que nous avons
contractée envers les études si précieuses et si lumineuses
de M. Toutain Q).
On pourrait s'étonner que nous n'ayons pas songé à utiliser
les documents numismatiques et archéologiques. Outre qu'ils ne
peuvent en rien aider à la connaissance des conditions sociales
des dédicants et qu'ils ne nous apportent rien de neuf en fait
d'épithètes ou de dénominations de Jupiter (nous en avons
fait l'expérience), ces témoignages ont été relevés ailleurs (2).
Au surplus, l'exploration archéologique de l'Espagne n'a pas
été aussi systématique que l'épigraphique ; dès lors, il eût
été dangereux, pour un travail statistique comme celui-ci,
d'ajouter un nouvel élément d'insécurité à la marge déjà grande
du hasard. Quant aux monnaies, d'une fabrique souvent mal
déterminée, elles ne se laissent pas situer dans l'espace
géographique et sont, dans notre cas, d'une banalité sans intérêt.

I. Répartition géographique.

Le nombre d'inscriptions relatives à Jupiter ou mentionnant


son nom contenues dans le C.I.L. (t. II et t. II supplément) (3)
est de 112. Nous en avons en outre relevé 32 publiées par
diverses revues (4). De ce nombre, 37 se trouvent en Lusitanie,
19 en Bétique et 88 en Tarraconnaise, ou, pour être plus précis
et suivre la division de cette province qui eut lieu en 197 p. c. (5),

(1) Nous remercions ici M. Gilbert Heuten qui a relu autrefois ce


travail et l'a fait bénéficier de maintes additions.
(2) G. Heuten. Les divinités capitolin.es en Espagne (R. B. Ph. H.,
t. XII, 1933, pp. 549-68 et t. XIV, 1935, pp. 709-723), articles pour
lesquels l'auteur a utilisé le présent travail, encore manuscrit (voir note
liminaire de G. Heuten).
(3) C.I.L., tome II, Pars I, Pars II, Supplementum (E. Huebner).
Berlin, 1869-1892.
(4) Année épigraphique, Revue Épigraphique, Ephemeris Epigra-
phica, etc.. Aussi dans H. Dessau (Inscr. lat. sel. Berlin, 1892-1923).
(5) Voir sur l'histoire de l'Espagne et de cette division, en particulier,
(3) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 159

59 en Asturie et Galice, 29 en Tarraconnaise proprement dite.


Le C.I.L. contenant plus de 3000 inscriptions relatives à
Jupiter, on est frappé tout de suite du nombre assez faible
d'inscriptions trouvées en Espagne alors que ce pays fut
constamment sous la domination romaine à partir des guerres
puniques (*) et que de nombreuses légions y séjournèrent
dès cette époque.
Cette pauvreté doit être attribuée, pensons-nous, au fait que
l'exploration épigraphique de l'Espagne n'a pas eu lieu dans
les conditions souhaitables, Huebner ayant dû trop souvent
se fier aux rapports des quelques savants espagnols qui ont bien
voulu l'aider dans sa tâche. Des collections particulières et
plusieurs musées contiennent encore sans doute de nombreux
inédits (2).
La répartition de ces 144 inscriptions à l'intérieur des
différentes provinces espagnoles ne semble pas, au premier abord,
livrer de conclusions bien intéressantes. Mais à regarder de
plus près la carte, on s'aperçoit tout de suite de l'absence
presque complète d'inscriptions dans le centre, de leur rareté dans
le N.-E. et ΓΕ. de la péninsule, région cependant soumise plus
tôt et romanisée une des premières. Pas une seule inscription
dans le « conventus Caesaraugustanus » (Tarraconnaise) au N.-O.
8 à peine dans le vaste « conventus Garthaginiensis »
(Tarraconnaise) à 1Έ. Au contraire, les dédicaces abondent dans le S.
(Bétique, 18), ΓΟ. (Lusitanie, 36) et surtout le N.-O. (Asturie
et Galice, 59) (3). Le fait est d'autant plus surprenant que le
nombre d'inscriptions semble être en proportion inverse de
l'étendue du territoire. Deux causes ont sans doute régi ce
phénomène : d'abord, la population probablement plus grande

E. Huebner. Introduction au C.Ï.L., t. lï, i et t. ίί, 2, ainsi que Ö.-S. i


article Provincia.
(1) Voir Marquardt, Roemische Staatsoerwaltung (Leipzig, 1885, 2e éd.)
VI, III, pp. 99-109.
(2) Cf. Wickert, Bericht ueber eine Reise zur Vorbereitung eines neuen
Supplementum Hispanicum des C.Î.L., (Sitzungsberichte der Preuss.
Akademie ...zu Berlin, 1929, pp. 54-60).
(3) Voir tableau I.
160 F. PEETERS (4)

et plus active dans une région côtière, riche et développée ;


nous n'en voulons pour preuve que la division de la Tarra-
connaise rendue nécessaire au deuxième siècle ; ensuite, le
présence de nombreux corps militaires surtout en Lusitanie
et en Asturie et Galice (1). Tandis que deux légions seulement
résident en Tarraconnaise, (Z. I Adiutrix à Acci, c. Carthag., et
l. IV Macedonica à Caesaraugusta, c. Caes.), deux ont leur
emplacement en Lusitanie (Z. // Augusta, d'abord à Acci ; Z.
V Alaudae, d'abord à Corduba, c. Cordub., Bétique) et trois
en Asturie et Galice. La Z. VII Gemina réside à Legio (Léon,
c. Ast) et a dû envoyer au IIe s. un détachement dans le con-
ventus Bracaraugustanensis (2389 ; E. E. 8, 108), la Z. VI Vic-
trix et la Z. X Gemina à Asturica Augusta(c. Ast.). Une
troisième influence a été celle du nombre proportionnellement plus
grand de colonies romaines ou latines dans ces mêmes
provinces (2). C'est ainsi que la Lusitanie, sur 45 cités, a 5 colo-

(1) Sur les camps militaires en Espagne, voir Huebner. Introduction


au C.I.L., t. II, 2, p. lxviii et D.-S. : article Legio.
Pour la Xe légion, on se reportera particulièrement à Ritterling.
De legione romana X Gemina, Leipzig, 1885.
(2) Pour les colonies en Espagne, voir D.-S., s. v. Colonia et Marquardt :
Op. cit., ainsi que Huebner. Introduction au C.I.L., t. II, 1 et 2 (Pline
l'Ancien, H. N. III, 2-4).
A l'époque du recensement officiel d'Agrippa, voici quel est le tableau
de l'Espagne :
I) Tarraconnaise 293 civitates indépendantes
179 oppida 12 coloniae
13 oppida civium Romanorum
18 oppida juris Latini
1 civitas foederata
135 civitates stipendiariae
114 cantons ruraux
répartis sous 7 conventus | 4 en Tarraconnaise
( 3 en Asturie et Galice
II) Bétique 175 oppida 9 coloniae
10 municipia
27 civitates juris Latini
6 libérât civitates
3 foederatae civitates
120 stipendiariae civitates
répartis sous 4 conventus.
(5) LE CULTE DE JÜPITEREN ESPAGNE 161

nies, 1 municipe et 3 cités latines, tandis que la Tarraccon-


naise, sur 293 cités, n'a que 12 colonies, 13 oppida civium Ro-
manorum et 8 iuris Latini, la plupart d'entre elles en Asturie
et Galice.

IL Nature des inscriptions.

Sauf 6, toutes les inscriptions étudiées appartiennent à la


classe des inscriptions dédicatoires et votives, avec les
habituelles formules D.D. ou V.S.L.M. et leurs infinies variantes.
L'occasion de la dédicace est rarement indiquée : qu'il s'agisse
d'une dédicace mystique ou civique, il est difficile, sinon
impossible de nous rendre compte du degré de sincérité du déci-
cant.C'est tantôt, pour les militaires, le jour anniversaire de leur
étendard (ob natalem...) (x), auquel ils associent leurs vœux
pour la vie de leur(s) empereur(s) pro salute... (2). Tantôt l'auteur
de l'inscription forme des souhaits pour ce dernier seulement
(ob incolumitatem...) (3) ; tantôt pour soi-même et sa famille
(pro sua et suorum...). (4) Ailleurs, c'est pour remercier le dieu
de l'accession à une dignité (ob honorem seviratus) que
l'inscription est dédiée (5) ; ailleurs, enfin, c'est à la suite d'un ordre
(ex iussu) (6), d'une vision (ex visu) (7) ou pour accomplir un
dernier vœu (ex testamento) (8).
Pour commémorer la restauration d'un vieil autel, la « res

III) Lusitanie 45 oppida 5 coloniae


1 municipium
3 civitates juris Latini
36 civitates indépendantes
répartis sous 3 corwentus.
(1) 2552-56, 6183, R.E., 1910, 1 et 2.
(2) 2552-56, R.E., 1910, 1 et 2.
(3) 4052, 2661.
(4) 2634, 2635, 2697, 2832, 177. La formule est : pro salute (dans :
A.E., 1928, 169).
(5) 3335.
(6) 1015.
(7) 1965.
(8) 1424.
R. B. Ph. et H. — 11.
162 F. PEETERS (6)

publica Begastre(ri)sis » inscrit son nom sur la pierre (1). Encore


une dédicace officielle que celle du collège des « Iuven.es Lau-
renses» qui consacrent un temple tétrastyle à Jupiter. C'est
aussi un temple que dédie un riche affranchi à la suite d'un
songe (2).
La pierre même nous indique rarement à quel genre de
document nous avons affaire. Outre les trois inscriptions précédentes,
14 autres se laissent reconnaître comme des dédicaces d'autels (3) ;
deux appartiennent à des bases de statues (4), une, à une base
de colonne (5).
Six inscriptions ne rentrent pas dans la classe des dédicatoires
ou votives : une est un monument funéraire (in memoriam...). (6)
Nous avons essayé d'en interpréter une autre en lui donnant la
même destination (7). Quatre sont des inscriptions officielles (8).
Le numéro 172 contient la formule du serment de fidélité
à l'empereur, prêté par les habitants d'Aritium vêtus devant
le légat de la province ; dans le numéro 1963, qui n'est autre
chose que les fameuses lamelles de plomb contenant la
constitution du municipe de Salpensa, nous trouvons la même formule
pour le préfet de la ville, qui remplace un des deux duumvirs
absent ; la constitution des Malacitani (1964) oblige au même
serment celui qui tient les comices. D'après la « lex Ursoniensis »
(5439) les duumvirs nouveaux doivent célébrer les jeux en
l'honneur de la triade capitoline.
Tels sont les renseignements que nous pouvons tirer de la
nature des inscriptions.
Avons-nous quelques documents archéologiques qui nous
permettent de corroborer ces données? Des rares ruines mises

(1) 5948.
(2) 1965, 2008.
(3) 661, 728, 2350, 3078, 5289, 5291-92, 5568, E.E., 9, 305 ; 9, 143 ;
8, 286 ; 8, 290 ; 8, 109 ; 8, 165.
(4) 2661, 6296.
(5) E.E., 8, 210.
(6) 8.
(7) A.E., 1928, 162.
(8) 172, 1963, 1964, 5439.
(7) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 163

au jour sur le sol de la péninsule, trois seulement ont pu être


attribuées au dieu des dieux, celles de Tarragone, de Belo et
d'Augustobriga (1). Une inscription (1194) nous signale la
présence d'un capitole provincial à Hispalis (Séville), capitale de
la Bétique (2) ; une autre, d'un temple de Jupiter Pantheus
Augustus à Nescania, en Bétique (2008). M. Melida croit à
l'existence d'un pareil capitole à Urso (Osuna), peut-être en se
basant simplement sur la lex Ursoniensis (5439). Suétone parle
d'un ancien temple de Jupiter à Tarragone (3). La découverte
en un même endroit de quatre autels dédiés à différents aspects
de Jupiter (Turgalium, 5289-92) peut encore nous induire à
supposer l'existence d'un sanctuaire.

III. Répartition chronologique.

De l'ensemble des 144 inscriptions, très peu de titulî


renferment une date précise.
Dix seulement contiennent les noms des consuls en
fonctions et nous permettent de leur assigner une chronologie
exacte (4). Une semble contenir la date A. U. C. 570 (5) ; 10
peuvent être mises en rapport avec le règne d'un empereur et
se laissent également dater avec plus ou moins de précision (6).

(1) Comme nous l'avons dit au début de ce travail, notre étude,


essentiellement fondée sur les données de la statistique épigraphique, a négligé
les documents archéologiques et numismatiques. Ceux-ci ont été examinés
par M. G. Heuten dans les articles déjà cités. Nous y renvoyons le
lecteur pour le surplus.
(2) Cf. Aug. Castan, Les capitules provinciaux du monde romain
(Besançon, 1886), p. 126 et Toutain, Les Cultes païens dans l'empire
Romain (Paris, 3 voll, 1907, 1911, 1920), t. I, p. 184.
(3) Suétone, Galba, XII. M. Melida (voir articles de G. Heuten)
attribue à une frise de ce temple deux médaillons représentant Jupiter Am-
mon.
(4) 172 (37 p. C), 2008 (1ère moitié II" s. p. C), 2389 (130 p.C), 2552
(163 p. C), 2553 (167 p. C), 2554 (184 p. C), 2555 (163 p. C), 2556 (167
p. C.) ; R.E., 1910, 1 (175 p. C.) ; 1910, 2 (191 p. C).
(5) E. E., 9, 41.
(6) 151, (198-217 p. C), 1963 (82-84 p. C), 1964 (S2-S4 p. C), 3104
164 F. PEETERS (8)

En rattachant 18 autres inscriptions, soit à un empereur, soit


à un événement historique, nous sommes parvenu à les situer
dans le temps sans cependant arriver à l'acribie nécessaire,
ni pouvoir parfois réduire une marge d'un siècle i1).
En ce qui concerne les 105 tituli restants, il a fallu déduire la
date, tantôt de la forme du nom du dédicant(14 inscriptions) (2),
tantôt de l'orthographe (populaire ou hispanisante), de l'écriture
(ligatures, A pour A, hederae distinguentes) ou de l'état des
caractères gravés sur la pierre (22 inscriptions). Nous sommes
arrivé ainsi à dater approximativement 36 inscriptions (3).
On comprendra que, pour ces deux derniers groupes,
l'exactitude obtenue n'est qu'apparente et que toutes ces dates
comportent un facteur d'appréciation personnelle a-sez grand.
Restent 55 inscriptions qui, malgré les peines que nous avons
prises, sont restées réfractaires à toute datation (4).
Tels sont les résultats auxquels nous a conduit une étude
attentive de tous les critères chronologiques. On trouvera plus
loin la justification détaillée de la date de chacune des
inscriptions.

Les documents étudiés se répartissent d'une façon


extrêmement inégale entre les différents siècles. Tout en tenant compte
du fait que beaucoup d'inscriptions de l'époque républicaine
et augustéenne ont disparu, on est cependant bien forcé de

ter s. p. C), 2635 (ante 315 p. C), 2661 (216-217 p. C), 2850 (post 305 p.
C.), 4076 (début IIIe s. p. C), 5439 (post 43 a. C).
(1) 32, 170, 177, 435, 1424, 2187, 2415, 2525, 2598, 2599, 2817, 3227,
3327, 3335, 4052, 5496, 5644, 6183 ; Dessau, 9239.
(2) 661, 1015, 2394a, 2400, 2406, 2407, 2414, 2466, 2495, 2571, 2608,
2613, 3063, A.E., 1928, 177.
(3) 744, 745, 755, 926, 2350, 2385 (= 5557), 2467, 2692, 2693, 2697, 2702,
2774, 2775, 2832, 2851, 3215, 3376, 3729, 5031-32 ( = 5305-06), 5290, 5565,
5948, 6287, 6296, E.E., 9, 96 ; 8, 210, 107, 108, 109 ; 9, 160, 135 ; 2, 313 ;
8, 202 ( = R. E., 1894, 10), R. E., 1916, 274 ; A.E., 1924, 11, soit 36 inscr.
(4) 8, 420, 428, 459, 606, 675, 728, 743, 752, 860, 944, 1164, 1358,
1661, 1965, 2376, 2386, 2388, 2599, 2468 (= 5615), 2537, 2634, 2695, 3779,
4077, 4078, 4079, 4442, 5289, 5291-92, 5339, 5566, 5567, 5568, 5640, 5641,
5665, 6184; R.E., 1909, 83; 1917, 11 ; E.E., 8, 165, 114, 286, 290; 9,
276, 274, 142, 143, 156, 268, 271, 305 ; A.E., 1928, 162, 169, soit 55 inscr.
(9) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 165

stater que la plupart de nos témoignages se répartissent au


cours des 11e et me siècles de l'Empire, avec un très petit
nombre de documents pour le ive siècle et pour le premier siècle.
Il est donc vraisemblable qu'une bonne partie des documents
que nous ne sommes pas parvenu à dater émanent de cette
période f1).
Le fait trouve son explication dans le rôle important attribué
à Jupiter par les empereurs, dans la propagation, non seulement
des coutumes religieuses romaines, mais encore du pouvoir
impérial. La triade capitolin e symbolise, outre les forces
morales de Rome, sa grande puissance matérielle et militaire
et l'on ne peut oublier que c'est l'armée qui a propagé à la fois
le culte impérial et le culte capitolin (2).
Pour le ive siècle, l'importance croissante du christianisme
amène petit à petit la disparition du paganisme auquel l'édit
de Milan (313) va porter le coup mortel.

Sur les 144 inscriptions étudiées, 55, nous l'avons dit, ne


peuvent être datées. Parmi les autres, une appartient au ne
siècle a. C ; 5 appartiennent à la fin du Ie siècle a. C. ou au
début du ie s. p. C. ; 7 sont du ie siècle ; 12 d'après cette
période ; 3 autres, à cheval entre le ie et le ne s. ; au ne s., se
rattachent 23 inscriptions ; deux tituli datent d'après le ne s. ;
15 chevauchent les ne et nie siècles ; 2 inscriptions datent
d'avant le nie siècle; 16 appartiennent au me s. ; une est
postérieure au iiie s. ; 2, enfin, peuvent être attribuées au ive s. Soit,

(1) Observons cependant que plusieurs de nos critères permettent


d'assigner avec une probabilité suffisante de nombreuses inscrptions
aux ne et ine siècles, alors que les critères correspondants n'existent pas
pour la période antérieure et que l'on ne peut rien déduire en leur
absence. Plus convaincant, est le fait que, des dix inscriptions datées par les
consuls, 9 se placent au ne siècle.
(2) Auguste semble cependant avoir favorisé Apollon (Suétone, Aug.
94). Il bâtit un temple à Apollon Palatin (Dion Cassius, 51, 1) et fait
célébrer en son honneur les ludi saeculares (17 a. G.) dont le chant est
composé par Horace (Carmen saeculare) ; cf. Furtwaengler : art. Apollo,
coll. 448-449 du Roscher et Thulin, art. Jupiter, col. 1138 du Pauly-
Wissowa.
166 F. PEETERS (10)

pour récapituler, d'un nombre de 89 inscriptions datées, 6 sont


de l'époque républicaine ou augustéenne ; 19 du Ie s. ; 26 du
iie ; 17 des ne et nie s. ; 18 du ine siècle ; 3 du ive i1).
Un simple coup d'œil jeté sur les colonnes de la table I (2)
permet de voir immédiatement que les différentes provinces
et conventus sont proportionnellement gratifiés d'un nombre
égal d'inscriptions pour chaque période et il ne semble pas
que nous puissions distinguer une activité religieuse plus
grande dans tel ou tel canton de l'Espagne pendant un siècle
déterminé. La propagation du culte de Jupiter semble s'être
faite d'une façon égale pour toutes les parties du pays.
Nous en tiendrons-nous à des conclusions aussi négatives
en ce qui concerne la prédominance de tel culte particulier
à une époque donnée? Il semble ressortir du classement
précédent que le culte de I. O. M., s'il atteint son apogée au ne
et ine siècle (sur 91 inscriptions, dont 59 seulement sont datées,
il y en a 43 qui relèvent de cette période), reste prédominant
à toutes les époques. Au ive siècle, nos 3 inscriptions font
mention de son culte : le numéro 2635 et le numéro 2850, dédiés
à I. O. M. seul, et le numéro 3227 consacré à Jupiter, associé
aux empereurs régnants. Les documents sur le Jupiter
traditionnel, associé à d'autres dieux, sont moins nombreux (32
inscriptions) et ce dieu semble avoir été absorbé par I. O. M.
A côté du Jupiter romain, et sous son masque, se déguisent
des divinités locales (17 inscriptions) qui nous sont signalées
depuis la fin du Ie siècle jusqu'au ine siècle.
Nous décrirons plus loin en détail le phénomène et ses
causes.
L'introduction des divinités orientales dans le monde romain
est générale. Tout d'abord attirés vers Rome, les prêtres
étrangers ne tardent pas à suivre, sur le chemin des provinces, les
prêtres officiels. Des 4 inscriptions que nous possédons sur ce

(1) Voir table II.


(2) Pour éviter les commentaires inutiles, nous donnons en appendice
sous forme de tableau l'ensemble des inscriptions groupées géographique-
ment et par espèces de dieux. L'examen de cette table permettra de
tirer les déduitions qui s'imposent.
(11) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 167

sujet, la seule que nous puissions dater est du 11e siècle


(Jupiter Ammon), mais nous pouvons tenir pour assuré que les
autres sont également d'une époque relativement tardive.
Sérapis se répand en Italie depuis le 11e siècle a. C. (*) mais,
certes, beaucoup plus tard dans les provinces. I. 0. M. Helio-
politanus, introduit en Italie en 205 p. c. ne peut avoir été
adoré en Espagne avant cette époque (2) d'ailleurs,
l'inscription qui le cite, mentionne un taurobole, institution du 111e
siècle (3) ; enfin, Sol Invictus est une création d'Aurélien (4).

IV. Condition sociale des «dédicants».

Sur ce point encore, bien des difficultés se présentent pour


qui cherche à faire quelque lumière, et bien minces sont souvent
les indications que nous laissent les pierres muettes.
Beaucoup de noms rendent un son romain, sous lesquels
se cache peut-être un indigène honteux de ses origines. Souvent,
au contraire, l'absence des « tria nomina » et de l'indication
de la tribu nous égarent et nous font prendre pour un natif,
un vrai citoyen romain. Enfin, il est difficile, lorsque quelque

(1) Cf. G. Wissowa, - Rel. u. Kultus der Roemer (Hdbch de I. v. Muel-


ler, V, 4. Munich, 2° éd., 1912), p. 292 et F. Cumont, Rel. or. dans le
pag. rom. (Paris, 1906), p. 238.
(2) Le culte s'en introduit en Italie dès 205 a. C. ; d'Egypte, il passe en
Afrique, en Gaule, en Espagne. Le dieu est décrit dans un texte de Ma-
crobe (Sat., I, 23, 10).
Cf. Gagnât et Chapot, Manuel d'archéol. rom. (Paris, 2 vol., 1916-20),
t. I, p. 435, p. 431 et Cumont, Rel. or., p. 246.
(3) Les tauroboles datent du ine siècle. « Le taurobole, dit Marquardt
(Roem. Staatsverw., 2Θ éd., 1885, t. III, p. 84), est le point
d'aboutissement et de jonction des cultes divergents ».
(4) Culte institué par Aurélien (270-275) et dérivé du Mithra adoré à
Emerita (Tarrac, 9 inscriptions). Ce dieu est rapporté par les légions
celtes revenant du « limes germanicus » (cf. Cumont, Rel. or., p. 89 ou,
Mysteries of Mithra, éd. anglaise, de T.-J. Mac-Cormark, Chicago, 1903,
p. 169).
Dans ce culte, Jupiter est assimilé à Orzmud (cf. Cumont : Textes et
monuments figurés relatifs au mystères de Mithra. (Bruxelles, 2 vol. 1899
et 1896, t. I, p. 336).
168 F. PEETERS (12)

indice linguistique ne vient pas nous aider, de faire le départ


entre un citoyen romain et un indigène romanisé. Qui pourrait
dire si tel nom est celui d'un homme doté du « ius civitatis»
ou du « ius La/zï»? Toutes ces questions réclament une étude
serrée et minutieuse. Aussi faut-il, pour les trancher, se laisser
guider par les probabilités des plus grandes.
19,5 % de nos inscriptions (soit 28) ne nous apportent rien
sur la qualité de celui qui offre la dédicace (x).
Le reste, (soit 116 inscriptions) se partage de la manière
suivante entre les différentes classes :

Esclaves et affranchis, 16,75 % (24 inscriptions) :


Esclaves 3,5 % : 5 inscr. (2).
Affranchis 13,25 % : 19 inscriptions (3).
Espagnols 26, 25 % (38 inscriptions) :
Barbares 17,25 % : 25 inscriptions (4).
Romanisés 6,25 °/0 : 9 inscriptions (5).
Collectivités 2,75 °/0 : 4 inscriptions (6).

Citoyens Romains 37 % (54 inscriptions) :


Particuliers 13,25 % : 19 inscriptions (7).
Cités 4°/o : 6 inscriptions (8).

(1) 1661, 2104, 2386, 5565, 5566, 5568, 5640, 5641, 5665, 2693, 2695,
2702, 2851, 3327, 3376, 4077, 4079 ; E.E., 9, 271, 276, 274, 305, 156, 160,
190; 8, 114, 202; R. E, 1917, 11.
(2) 926, 5339, 1358, 2376, 6296.
(3) 435, 728, 752, 860, 944, 1965, 2187 (citoyen et esclave), 5496,
1406, 2525, 2537, 2598, 2850, 3335 (affranchi devenu sévir), 3779, 4052.
4442; A. E., 1928, 169; E. E., 8, 165.
(4) 420, 428, 606, 675, 744, 745, 755, 5031-32 (= 5305-06), 1164, 2785
(= 5557), 2388, 2394a, 2467, 2468 (= 5615), 5567, 2608, 2613, 2817,
2832 ; E. E., 8, 286 ; 9, 41, 135, 268 ; R. E., 1909, 83.
(5) 661, 1015, 1424, 2495, 2571, 2599, 3063 ; E. E., 2, 313 ; R. E. 1916,
274.
(6) 170, 459, 6287, 2697.
(7) 8, 177, 5289-92, 2350, 2400, 2407, 2414, 2466, 2774, 2775, 3215,
3729, 4078; A. E., 1924, 11; 1928, 177; E. E., 9, 143.
(8) 743, 5948, 2399 ; E .E. , 9, 96 ; 8, 210 ; 8, 107.
(13) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 169

Personnages officiels 7,75 % : 11 inscriptions.


Prêtres 1,5 °/0 : 2 inscriptions^)
Civils et militaires à la fois 6,25 °/0 : 9
inscriptions (2).
Armée 12 % : 18 inscriptions (il faut y joindre la
plupart des hauts fonctionnaires mentionnés sous :
Civils et Militaires à la fois) (3).

V. Esclaves

Des 5 inscriptions serviles, 2 ne sont pas datées. Dans la


première (5339, Lusitanie : C. Augusta Emerita), une esclave, Suris-
ca, adresse ses vœux à Jupiter Solutorius (nous reverrons plus
loin cette épithète) ; c'est un fils d'esclave, Flavus Corolleae ƒ.
qui est l'auteur de la deuxième (2376, Asturie et Galice : C.
Bracaraugustanorum). Ce dernier document ainsi que les trois
suivants (926, 2358, 6296), datant respectivement des ine,
ne-ine, ne siècle p. C, sont adressés à I. 0. M. et semblent
indiquer que les préférences des esclaves suivent assez celles de
leurs maîtres romains ; Surisca, elle, est sans doute une Celte (4),
tandis que Severus (2358), Flavus (2376), Urbicus (6296) ont
des noms bien latins et Mato (926), un cognomen grec.
Le trop petit nombre d'inscriptions de cette catégorie ne
nous permet guère d'être plus affirmatif.

VI. Affranchis.

Le nombre des inscriptions dédiées par les affranchis (19


inscr.) nous autorise déjà à plus d'assurance.
Dix, par leurs cognomina grecs, semblent être d'origine hellé-

(1) 32 (prêtresse), 2008 (collège).


(2) 172 (serment devant le légat), 2634 (légat), 2635 (vir consularis),,
1963-64 (serment de magistrats), 5439 (idem), 2415, (légat), 2661 (légat)
4076 (légat).
(3) 151, 2389, 2552, 2553-56, 5644, 2692, 3327, 6183-84 ; R. E., 1910,
26 ; 1910, 27 ; E. E., 8, 108-109 ; A. E., 1928, 162 ; Dessau, 9239.
(4) Cf. A. Holder, Alt-Celtischer Sprachschatz (Leipzig, 2 voll., 1896
1904), s. v.
170 F. PEETERS (14)

nique (*) ; Ce sont : Chryseros, affranchi de la cité des Igaedi-


tani (435), P. Camerîus Cosmus (728), Aper, Silonis /. (860),
L. Fabius Chrgsippus, d'Obulco, qui, en devenant citoyen
romain, a changé de tribu et est passé à la tribu Galeria (5496) ;
Q. Pulius Dionysius (2537) ; C. Pomponius Dionysius qui
consacre une inscription pour l'arrivée des empereurs (2850) ;
C. Flavius, C. FI. Fausti lïb., Corydon, en l'honneur de son
passage au sévirat (3335) ; P. Herennius Abascantus avec ses deux
sœurs (3779); Vollerina (285); Licinius Calidromus (4442);
enfin, Macius Januarius, fils de F. Macius Calistus Januarius
(A.E., 1928, 169). Ajoutons-y les procurateurs de la VIIe
légion, tous affranchis, mentionnés dans les numéros 2552-2556.
La nationalité des autres affranchis (au nombre de 9) est
douteuse (2). Bien peu nous font connaître leur patron. Nous avons
relevé le nom de Chryseros, affranchi d'une cité et celui de
Corydon, affranchi d'un particulier. Vegetius (752), mentionne
son patron Appius. P. Herennius (3779) est sans doute le
nom de l'ancien maître d'Abascantus et Q. Pulius (2537),
C. Pomponius (2850), L. Fabius (5496), P. Camerius (728)
respectivement, de Dionysius, Chrysippus et Cosmus. Depuis qu'il
a quitté M. Lucretius, Cyrus doit s'être enrichi car il dédie un
temple à Jupiter à la suite d'un songe (1965).
Six autres sont affranchis de l'empereur.
Au numéro 2187, nous voyons associés dans le même culte
un certain Q. Rutilius, citoyen romain sans doute, et L. Aelius
....nstrilius avec ses deux fils, affranchi de Commode ou de
Aelius Verus Carus. Les procurateurs de la VIIe légion sont des
afranchis de Marc-Aurèle et de Lucius Verus (2552-2556). M.
Ulpius Gracilis (2552) et M. Ulpius Euiyches, intendant des
mines d'Albocola (2598), doivent leur liberté à Trajan. Le
numéro 4052 semble, sous le martelage, contenir le nom d'un
affranchi d'un empereur postérieur à Marc-Aurèle. Enfin, Aurelius
Firmus, affranchi de Commode, fait une dédicace au nom de
la Cohors I Gallica (R.E., 1910, 2).

(1) 435, 728, 860, 5496, 2537, 2850, 3335, 3779, 4442 ; A. E., 1928,
169.
(2) 752, 944, 1965, 2187, 2406, 2525, 2598, 4052 ; E. E., 8, 165.
(15) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 171

C'est à Jupiter ou à I.O.M. que beaucoup adressent leurs


vœux. Cependant un affranchi grec (728), Baebius Crescens (944)
et Aemilius Firmus (R.E., 1910, 2) adoptent le dieu local I.
Solutorius, de même que Gracilis, affranchi de Trajan (2525),
vénère I. Ladicus, et Eutyches, I. Andero (2598). Les cultes
locaux semblent avoir attiré, plus que les esclaves, les affranchis
mêmes de l'empereur. Mais la majorité se prononce pour un
culte nettement romain : Jupiter, I.O.M. , I. Conservator (4052),
I. Dom(i)nus (4442).

Les inscriptions sont de dates diverses et de dieux mêlés


pour chaque époque. On trouve I.O.M. et Jupiter adorés aux
Ier, iie, iiie siècles ou à des moments indéterminés. On ne peut
donc pas dire que la classe des affranchis ait entraîné le
mouvement religieux en Espagne à une époque et dans un sens
déterminés.
La répartition des affranchis dans les provinces se faisant
d'une façon à peu près égale, de ce côté non plus, nous ne voyons
rien qui soit digne d'attention. Relevons toutefois le fait que
les cultes locaux cités plus haut sont concentrés en Lusitanie
et en Asturie et Galice (1).

(1) M. Toutain (Cultes..., t. III, pp. 184 sqq. et pp. 191 sqq.) a déjà
fait remarquer cette stricte localisation des cultes indigènes dans le
N.-O. de la péninsule. Il en conclut qu'ils se maintinrent plus longtemps
dans cette région qu'ailleurs, particulièrement dans les campagnes.
M. Gumont (Revue d'histoire des religions, t. 85, 1922, pp. 88 sqq.)
n'a pas admis cette conclusion, et attribue l'absence de documents dans
les autres provinces exclusivement à l'insuffisance de l'exploration
archéologique. Il peut y avoir du vrai dans ces réserves mais il y a lieu de
faire observer que nous nous trouvons en présence de résultats
absolument nets. Dans les trois conventus d'Augusta Emerita (11/20) des Astu-
ries (5/18) et de Bracara Augusta (1/31), sur un total de 69 inscriptions,
17 joignent au nom de Jupiter celui d'une divinité nationale. Des 11
autres conventus, sur 75 inscriptions, aucune ne présente cette
particularité. Même dans notre ignorance relative, un fait aussi frappant reste
significatif, d'autant plus que les 17 inscriptions émanent toutes de la
partie montagneuse des districts en question, la plus propre au maintien
des usages ancestraux.
172 F. PEETERS (16)

VIL Natifs.

Parmi les natifs ayant échappé à la romanisation ou s'y


étant soustraits, 25 nous ont laissé des traces de leur adoration
pour Jupiter. La plupart du temps, ils se remarquent par leurs
noms d'origine celte ou ibérique et par l'absence d'un nom
complet ou conforme à la nomenclature provinciale des
citoyens romains.
On les trouve répandus partout : 10 en Lusitanie, 9 en Asturie
et Galice, 4 en Tarraconnaise, 2 en Bétique (1). Les deux
premiers chiffres paraissent assez normaux si l'on se rappelle que
ce sont la Lusitanie et l'Asturie et Galice qui ont été colonisées
les dernières et où, comme nous le constaterons plusiloin, les
cultes locaux ont persisté le plus longtemps. Mais nous ne
serions pas surpris de trouver l'explication de la rareté des natifs
en Bétique dans le nombre important de colonies romaines (19),
de municipes (20), et de « civitates iuris Latii » (27), par rapport
au nombre total (175) des villes de cette province (2).
Par contre, la chronologie des inscriptions ne nous guide
guère. Celles-ci vont du ne au ine siècle, sauf une exception,
d'ailleurs douteuse.
A qui s'adressent donc les vœux? En Tarraconnaise, I.O.M
reçoit les hommages de Valerius, Sangeni /. Calidus Abliqum
(peuplade) (2817) et se voit dédier un autel par Attius Vitalis
(2832). Jupiter Dominus reçoit un autel d'Ursicus (E.E.,8, 286),
et Jupiter, les vœux a'Urocius Doveus Doviliqum (peuplade)
{E.E.,% 135).
En Asturie et Galice, sauf une dédiée à Jupiter par Nispro

(1) Lusitanie (10) : 420, 428, 606, 675, 744, 745, 755, 5305-06 (5031
32) ; E. E., 9. 41.
Bétique (2) : 1164 ; R. E., 1909, 83.
Asturie et Galice (9) : 2835 (= 5557), 2388, 2394 a, 2467, 2468 (= 5615),
5507, 1608, 2613 ; E.E. 9, 268.
Tarraconnaise (4) : 2817, 2832 ; E. E., 8, 286 ; 9, 135.
(2) Cf. Marquardt, Roemische Staatsverwaltung, t. IV, I, pp. 99-109
(Handbuch de Mommsen, Leipzig, Ie éd., 1873). Cf. aussi Huebner,
Introduction au C.J.L., t, II, 2 et notre note 2, p. 160.
(17) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE (173)

(5567), toutes les inscriptions portent le nom de I.O.M. Ce


sont celles de Anius (?) (2385 ou 5557), de U. c. Utipnus (?)
(2388), de Alius Reburrus (2394a), de Lovessa, une femme (2407),
de Septimus Agrilicus (2468 ou 5615), de Lovisius (?) (2613), de
Florebus Fortunatus, en mémoire de son père Floccius Florebus
(2608), de Rufinus Grovius (E. E.,9, 268).
Loreius Hilarius associe à son adoration pour I . O.M.
Conservator, les Nymphae Dominae dont le nom semble cacher un
culte équivalent au culte celtique des «Maires» (1164). Nispro
sacrifie à I.O.M. seul (R.E., 1909, 83).
La Lusitanie répartit également ses faveurs entre Jupiter,
I.O.M., I.O.M. Conservator et les dieux indigènes.
A I.O.M. va la piété de K(C)amalus (428) et celle de Aleba
CeltL... (755) ; à Jupiter, celle de Reucalius (420) et de Satur-
nina, fille d'un certain Pellius ou Pulius (675) ; à I.O.M.
Conservator, celle de Reburrus (E.E.,9, 41), Sur 4 inscriptions
consacrées à ce dernier dieu, bien romain pourtant, trois émanent
de natifs, dont un romanisé ; sans doute est-ce là une coïncidence.
C'est Jupiter Solutorius qui recueille les suffrages de Tureus
Bouti f. (744) et de ses deux fils, Samalus et Astur (?) (745) ;
de Boutius, fils de Longinus et de Duooius, fils de Contivaus
(5305-5306 ou 5031-5032.)
Remarquons une fois de plus la persistance des cultes
locaux dans les mêmes provinces signalées déjà à propos des
affranchis, et en des endroits peuplés de camps. Cette permanence,
dans certaines parties de l'Espagne, de cultes locaux prouve
à la fois la vivacité du sentiment populaire (cela en plein n°
siècle et ine siècle p. C.) et la large tolérance de l'empire romain
à l'égard des superstitions indigènes ("·).
A côté des cultes nationaux, nous trouvons en Lusitanie
l'offrande d'un taurobole à I.O.M. Heliopolitanus par Capida
A Iboni ƒ., pour l'heureux retour de son frère Lupus (606).

(1) Cf. Toutain, Cultes..., t. III, pp. 184-85 et 191-192.


174 F. PEETÈRS (18)

VIII. Natifs romanisés.

Les natifs romanisés se distinguent des natifs précédents


en ce qu'ils portent généralement un nom romain ou d'origine
latine (ces noms se retrouvent alors dans une grande série
d'inscriptions espagnoles). Leur prénom ou leur cognomen,
parfois le nom même, garde un élément celtique ou indigène.
La filiation est quelquefois indiquée (au numéro 2599, le dédi-
cant a mentionné sa patrie).
Les témoignages relatifs à cette classe de citoyens se
rapportent aux ne et nie siècle p. C. et sont peu nombreux : 9
inscriptions en tout (*). Ceci doit nous rendre prudent dans nos
conclusions. Ici encore, nous trouvons confirmation de la
persistance et de la vivacité des cultes celtes ou ibériques, à la fois
en Lusitanie et en Asturie et Galice. C'est encore Jupiter Solu-
torius qui est honoré par L. Alefius (Alfeius) au numéro 661
et T. Caesus Rufus Saelenus (peuplade) (2599) rend, encore, au
ne siècle (Asturie et Galice), hommage au dieu local, I.O.M.
Candiedonus. Parmi les divinités romaines, I.O.M. Conservator
reçoit les vœux de Baebicus, Ti. f. Pians (E.E., 2, 313) ;
Jupiter, ceux de Fonteius, Escoenei ƒ. Qacosus (R.E., 1916, 274).
Toutes les autres inscriptions sont dédiées à I.O.M. : en
Bétique, par Vibius Lucanus(ex testamento) (1424), Furnia, G.
filia, Turrianiana (une adoptée probablement, ex iussu) (1015) ;
en Galice, par Appius Sabinus, Probi ƒ. (2495) et Sulpicia Cle-
mens (2571) ; par Caelia Melissa, en Tarraconnaise (3063).

IX. Civitates et Vici Espagnols.

Mais, à côté de cette dévotion privée, nous avons des preuves


de la forte influence exercée sur les collectivités soumises à
Rome par la religion romaine et capitoline. Sur les plus
humbles vici comme sur les cités, règne l'ombre tutélaire du grand

(1) 661, 1015, 1424, 1495, 2571, 2599, 3063 ; E.E., 2, 313 ; R.E., 1916,
274.
(19) LE CULTE DÉ JUPITER EN ESPAGNE 175

dieu et, c'est sous sa protection qu'elles se mettent avec un


empressement digne d'admiration.
De cette ferveur, de nombreux témoignages nous sont
parvenus : 4 inscriptions, (x) nous les rapportent. Une ne peut
être datée ; 2 appartiennent au 111e siècle (2697, 6287) ; la
quatrième est postérieure à 17 a. C.
Chose curieuse, les 2 premières (170, 459) proviennent de la
Lusitanie; les deux autres (2697, 6287), d'Asturie et Galice.
Pas une n'a été trouvée, ni en Bétique, ni en Tarraconnaise,
preuve de plus que l'activité religieuse dans les deux premières
régions a été plus grande qu'ailleurs.
Quatre sont dédiées à Jupiter O.M. par les habitants du vicus
de Camalo (170), par les vicani Atucausenses (6287), par les
génies (probablement foederatae) des Arronidaeci et des Collia-
cini (I.M., 2697), enfin par les Montani ou habitants du Mon-
sancto (459). Faut-il voir dans le nom actuel la trace de ce culte
ou bien celle d'un culte local auquel se serait substitué l'officiel
Ι.0.Μ.Ί Nous serions tenté de pencher pour la deuxième
hypothèse, surtout que nous sommes en Lusitanie, terre de nu-
mina indigènes, mais l'absence de preuves empêche de conclure.
La plupart de ces noms de lieux sont difficiles à situer sur la
carte et à identifier (sauf 459 : Monsancto). Il y a là une preuve
de la pénétration profonde et lointaine de la religion des
conquérants de l'Espagne et de leur rayonnement en dehors des grands
centres.

X. Citoyens romains (particuliers et cités).

Cette classe comprend les citoyens romains, colons ou


Espagnols, romanisés à un tel point qu'il nous est impossible
de les distinguer, par le nom, des Romains authentiques. Ils
portent les tria nomina, indiquent la filiation et, parfois, la
tribu (3729).
Le nombre d'inscriptions de cette catégorie est de 25 (2).

(1) 170, 459, 6287, 2697.


(2) 8, 177, 5289-92, (2187), 2350, 2400, 2407, 2414, 2466, 2774-75, 3215,
176 F. PEETERS (20)

II faut y ajouter une inscription déjà étudiée (2187), dédiée à


1.0. M., à la fois par un Q.Rutilius et un affranchi de Commode
ou de L. Aelius Verus, avec leurs fils.
Les inscriptions se répartissent également dans toutes les
provinces : les 9 premières, en Lusitanie ; 2, en Bétique ; 8, en
Asturie et Galice. Cette fois, la Tarraconnaise, romanisée plus
tôt, fournit un contingent assez sérieux de 6 tituli.
Sur le total, 12 inscriptions ne peuvent être datées (8, 743,
2399, 4078, 5289, 5291, 5292 ; E.E.8, 107 ; 9, 143 ; 9, 96 ; A.E.,
1928, 177 ; 1924, 11). Les autres relèvent toutes de la période
impériale, surtout des ne et ine siècles.
En Tarraconnaise, I.O.M. est le maître. La cité tout entière
de Begastra (res publica Begastre(n)sis) restaure un autel en son
honneur (5948). A lui s'adressent T. Valerius Flavus, pour le
salut de son fils (2774) ; Afrania Tertullina (4078) ; L. Valerius
L. Valerii Festi f. Lutatianus, fils adoptif et héritier (3215).
I.O.M. et Juno sont l'objet de la ferveur de Augurinus... (le
reste est martelé) (2775).
Une seule trace de culte oriental persiste dans le n° 3729 : L.
Antonius L. f. Ga(leria tribu) Salenus et sa sœur, Antonia L. f.
Procula révèrent I.O.M. Ammonius. En Asturie et Galice, Pius
Claudius (2400) et Publius Aelius Flaccinus (2466) ne
connaissent que I.O.M. Durmia Pusinna révère /. Depulsor (2414),
tandis que Retus Coscinnus Gl(agus), C. C. C. (colon ou trecenarius)
confond, dans ses vœux, Jupiter avec une vingtaine d'autres
dieux et déesses de toutes sortes et semble avoir du
Panthéon une idée quelque peu confuse (2407).
A I.O.M. Capitolinus vont les préférences de Gaius Octavius
(A.E., 1928, 77) et, à I.O.M. Conservator, celles de Julia Ru-
fina (A.E., 1924, 11). La Civitas Τ'ranensis sacrifie à I.O.M.
et potentissimo (2399). La Civitas Bassensis et celle de Braca
Augusta à Y I.O.M. traditionnel (E.E., 8, 107 ; 8, 210).
En Bétique, deux tituli seulement : un autel à Jupiter,
dédié par P. Portianus (2350) et une inscription à I.O.M., de Lu-

3729, 4078, 743, 2399, 5958 ; A.E., 1924, 11 ; 1928, 177 ; E.E., 9, 143,
96; 8, 210, 107.
(21) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 177

dus Vibius Vegetus (E.E., 9, 143), sans compter l'inscription


déjà mentionnée de Q. Rutilius (2187) à I.O.M.
C'est en Lusitanie, encore une fois, qu'apparaît la dévotion
aux anciens dieux indigènes. A côté du monument de M. Julius
Primus, pour le salut de M. Cassius Firmus et dédié à Jupiter
(177) et celui de L. Atilius Atilianus, avec Catullina G. f. Severa,
en mémoire de L. Atilius Maximus et consacré à I.O.M. (8),
une série de quatre autels attire notre attention. Les deux
premiers (5289-90) sont voués par Q. Aurelius Tullianus et P.
Cornélius Avitus au /. Solutorius déjà mentionné. Les deux
derniers (5291-92), offrandes de L. Norbanus Maximus et de L.
Norbanus Avitus, sont dédiés à Jupiter.
Enfin, les habitants du vicus Tongobrige(n)sis er ceux de la
colonie de Metcllinum offrent leur vœux à Jupiter et à I.O.M.
(743 et E.E., 9, 96).
Comme les autres classes sociales, celle des citoyens romains
se consacre surtout à I.O.M. (15 inscr. sur 25). Les autres Ju-
piters sont assez rares. Parmi eux, il est remarquable de trouver
deux fois un dieu indigène -.Jupiter Solutorius. Enfin, chose
nouvelle et qui semble être restée proprement romaine, des
associations de dieux apparaissent dans deux tituli.

XI. Citoyens romains (prêtres).

Nous avons jusqusici passé en revue les classes de la populâ-


lation qui ont subi l'influence de leurs maîtres romains, soit
directement, comme l'esclave, l'affranchi, et, dans une certaine
mesure, les natifs romanisés, isolés ou groupés en cité ; soit
indirectement, comme les indigènes restés barbares. Nous avons
ensuite examiné l'influence exercée par Jupiter sur les citoyens
romains dans leur privé. Il nous reste à considérer de plus près
ceux qui ont joué le rôle prépondérant de propagandistes dans
cette romanisation religieuse de l'Espagne : les prêtres, les
fonctionnaires et l'armée Q).

(1) Sur le rôle de l'armée, voir Toutain, Cultes,.., t. I, p. 200, 11. 11


sqq. ; pp. 205 et 207.
Sur le rôle des fonctionnaires, Io., Ibid., p. 203, 11. 23 sqq..
R. B. Ph. et H. — 21.
178 F. PEETERS (22)

A première vue, il semble qu'un culte, aussi largement et


profondément répandu que celui de I.O.M. et de Jupiter, ait
dû avoir à son service un personnel religieux zélé et nombreux.
S'il en fut réellement ainsi, en tous cas, peu de traces ont
subsisté de cette situation car le nombre des inscriptions
provenant de prêtres de Jupiter, ou de collèges se monte
exactement à 2 (*).
Il y a d'abord celle dédiée à I.O.M. par Flavia L. f. Rufina
(voir A.E., 1924, 11) Emeritensis (lieu), f lamine de la province
de Lusitanie et flamine perpétuelle de la colonie d'Emerita et
du municipe de Salaria (p. 25 a. C.) ; ensuite, celle en l'honneur
de Jupiter Pantheus Augustus, à l'occasion de la dédicace d'un
temple tétrastyle (Nescania, Bétique, première moitié du ne
siècle) et dont les auteurs sont L. Calpurnius Gallio et C. Ma-
rius Clemens, curateurs du collège des « Iuvenes Laurenses ».
La rareté des monuments archéologiques et des
témoignages épigraphiques sur l'activité des prêtres de Jupiter en
Espagne est une nouvelle preuve du rôle important qu'à dû jouer
l'armée dans la propagation d'une dévotion qui se rattachait
si étroitement au culte impérial et au salut de l'Empire (2).

Xîî. Citoyens rôtnains (fonctionnaires)*

Relativement nombreux, en effet, sont les généraux et hauts


fonctionnaires qui sacrifient au grand dieu de Rome, imitant
ainsi Scipion qui lui avait voué une hécatombe pendant là
guerre d'Espagne (3) et avait réalisé son vœu en rentrant a
Rome. En Lusitanie d'abord, le nom de I.O.M., conjointement
à celui des empereurs et des autres dieux immortels, est
invoqué dans le serment solennel que prêtent les habitants d'Ari-
tium vêtus devant C. Ummidius Decimus Quadratus, légat de
l'empereur et procurateur de la province en 37 p. C. (172).

Sur le rôle réduit des prêtres, Îd., î'bid., p. 2Ô9.


(1) 32, 2008. Il est vrai de dire que la proportion semble être la même
dans d'autres provinces.
(2) Cf. note 1, p. 177 et Toutain, Cultes..., t. II, pp. 249-251.
(3) Tite-Live, H., XXXVIII, 38, 8 (205 a. C).
(23) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 1 79

On le retrouve indiqué, également avec le nom des empereurs


et des dieux Pénates, dans la formule de serment que prête le
préfet du municipe de Salpensa (Bétique), avant de remplacer
le duumvir absent. Ce serment est contenu dans la constitution
de Salpensa, donnée en 82-84 p. C. (1963). Dans la même
inscription, le même serment est exigé des nouveaux duumvirs,
questeurs et édiles avant d'entrer en charge. A Malaca (1964),
la constitution (82-84 p. C.) prévoit le même formulaire pour
qui tient les comices. D'après la constitution d'Urso (5439,
43 a. C), les duumvirs qui célèbrent les jeux, à leur entrée en
charge, doivent les donner en l'honneur de la triade Capitoline
et des autres dieux et déesses. La reddition des comptes se fait
après serment à Jupiter et aux dieux Pénates.
Ces quatre inscriptions, si elles nous font connaître le
formulaire des serments, ne nous introduisent pas dans la vraie
croyance des fonctionnaires. Il semble pourtant que les formules
officielles comprenant les noms de plusieurs divinités, aient
réagi sur les habitudes personnelles des magistrats puisque nous
voyons deux fois ceux-ci associer d'autres dieux à Jupiter
dans des invocations privées (2661, 4076). Il y a plus de
spontanéité dans l'hommage à Jupiter de l'affranchi C.Flavius Co-
rydon (3335), sous le coup de la joie qu'il éprouve à être choisi
comme sévir, en récompense de ses bons services. Et voici enfin
l'apport imposant des maîtres de l'Espagne au dieu tout
puissant (x).
D'abord, en Taîtàconnaise, là triade Capitoline, le Génie
des préteurs et des deux Pénates reçoivent leur tribut de T,
FI. Titianus, légat de la même province (4076, sous Caracalla.
me s.). I.O.M. est honoré des faveurs du confident (cornes) de
Triarius Magnus, legatus iuridicus pour la même partie (2415,
après 161 p. C).
En Asturie et Galicie, un processus semblable se déroule.
Successivement, C. Iulius Cerealis, premier légat pour ces
contrées après la séparation de la Tarraconnaise (primus ab eo

(1) 172 (Lusitanie) ; 9163, 1964, 5439 (Bétique) ; 2415, 2634 (Mithra),
2635, 2661 (Asturie et Galice); 3335, 4076 (Tarraconnaise).
180 f. peeterS (24)

missus, n° 2661, 216-217 p. C.) et Fabius Aconius Catullinus,


praeses du même district, saluent I.O.M. (2635, 315 p. C).
Au contraire, Q. Manilius Capitolinus, personnage
considérable, ancien iuridicus en Italie, trésorier de Saturne, chef de la
vne légion, légat de l'Empereur pour l'Asturie et la Galicie,
sacrifie sous Aurélien, au nouveau dieu Mithra, au Sol Invictus
(2634, post 270-276 p. C.)· Mais ce n'est qu'un moment
passager (!) ; les hauts fonctionnaires restent en grande majorité
fidèles à I.O.M.

XIII. Citoyens romains (armée).

L'exemple venant de haut, on comprend que l'armée ait


adopté, avec un enthousiasme de commande, la religion de ses
chefs. Une fois libérés et rendus à leurs foyers, les nouveaux
citoyens propagaient parfois le culte qui était celui de leur
légion (2).
Les 18 inscriptions qui nous sont parvenues viennent toutes
de vétérans,soldats, sous-officiers, fonctionnaires militaires,
Romains ou affranchis (3).
Sauf deux, de provenance incertaine (2692; A.E., 1928,
162), elles se rapportent à la VIIe légion, soit groupée en Lusi-
tanie, dans le c. Lucensis, non loin de Léon (Legio, 2552, 2556)
ou dans le c. Bracaraugustanorum (2389, E.E., 8, 108) ou à
Léon même (2692, 5644) ; soit à un détachement cantonné
provisoirement en Tarraconnaise (c. Tarraconnensis) (6183-6184).
Une autre émane d'un soldat de la X Gemina (Dessau, 9239) ;
5 autres, de la cohors 1 Gallica (E.E., 8, 109 ; R.E., 1910, 1-2).
C'est dans le c. Carthaginiensis (Tarraconnaise) que quelques
vétérans de la même armée adressent leurs hommages au

2*
nuit) Cf. Cumont, Les mystères de Mithra (Paris, éd., iÔ02), p. 128.
(2) Les cultes militaires comprenaient celui de l'aigle et celui des signa
(cf. 2552-56), celui de l'empereur et de sa famille, celui des dii militares :
Mars et la triade capitoline surtout. Les camps contenaient des temples
permanents et des autels (cf. Gagnât, art. Legio, pp. 1065-1066 du D.S.).
(3) 151, 2389, 2552-56, 5644, 2692, 3227, 6183, 6184 ; R. E., 1910, 1-2 ;
E. E., 8, 108-109 ; A. E., 1928, 162 ; Dessau, 9239.
(25) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 181

men et à I.O.M. (3327), Cet autre, ancien soldat de la légion,


est en Lusitanie (151).
Pour la dédicace (2552-2556, 6183), le jour anniversaire de
l'étendard est choisi et c'est en corps que les soldats de Léon
ou des détachements communient dans le même culte. Le soin
d'apposer l'inscription est confié au décurion, au centurion,
aux procurateurs, tous affranchis, ou à d'autres gradés
subalternes. Curieuse et touchante est l'imitation de cette coutume par
la cohors I Gallica (R.E., 1910, 1 et 2) qui présente ses vœux
à I.O.M. S., pour le salut de l'empereur, le jour anniversaire
de ses enseignes barbares, ob natalem aprunculorum Q).
Treize de nos 18 documents sont du ne siècle ; 1, du premier ;
3, du iiie s.
Douze, la grande majorité, portent le nom de I.O.M. ; 2
(2692 ; A.E., 1928, 62), celui de Jupiter seul ; la cohors I Gallica
invoque deux fois I.O.M. S. ; enfin, le soldat isolé de la X Gemina,
à la mort de Néron, appelle Jupiter, Aug(usti) Ultor.
Aucune pierre, pour ainsi dire, ne porte le nom d'un dieu étranger
ou local, tant les chefs ont réussi à inculquer à leurs hommes le
respect des dieux purement romains.

XIV. Jupiter et ses différentes formes.

Nous avons tenté, en abordant chacun des points précédents,


de distinguer soigneusement I.O.M. ou Jupiter, proprement
romains, des différents dieux locaux qui ont persisté ou des
divinités orientales, importées à une époque tardive dans le pays.
Il est temps de reprendre, d'une façon méthodique, l'étude des
aspects de Jupiter, de ses épithètes et des dieux qui lui sont
associés.
Notre tableau I indique comment les 144 inscriptions se
répartissent entre les différents Jupiter s.

(1) A l'appui du fait que des cohortes alliées conservaient parfois non
seulement leur armement, mais encore des signa barbares, Marquardt
(Organisation militaire des Romains, éd. fr. p. 191) cite un passage de
Tacite rapportant qu'un corps, jusque là armé selon ses usages nationaux, reçut
des armes et des signa, nostro more. Cf. aussi Cagnat, art. Legio du D.-S.
182 F, PEjETERS (26)

XV. l.O.M. seul

Si la Lusitanie, la Bétique, la Tarraconnaise (sauf pour le


c. Cluniensis : 7/10, où se marque l'influence de la colonia
Clunia Sulpida) offrent des chiffres inférieurs, on est frappé,
par contre, du grand nombre d'offrandes à l.O.M. en Asturie
et Galice, particulièrement dans les ce. Bracaraugustanorum et
Lucensis. La faiblesse des chiffres, pour le c. Asturum (Asturie
et Galice) et pour le c. Augusta Emerita (Lusitanie), s'explique
par la survivance des cultes locaux, attestée par cinq inscriptions
dans le c. Asturum (2598; 2599; 2695; R.E., 1910,1 et 2);
et 11 dans le c. Augusta Emerita (661, 675, 728, 744, 745, 944,
5305-5306 ou 5301-5302, 5339, 5289, 5290 pour I. Solutorius).
l.O.M. se voit pourtant l'objet d'un culte plus étendu que nous
ne venons de l'indiquer. Associé à d'autres dieux, revêtu de
nouvelles épithètes, il figure encore dans maints tituli.

XVI. l.O.M. , ses épithètes, les dieux associés.

En Lusitanie, l.O.M. est invoqué, en même temps que


l'empereur mort et les « ceteri dei », dans le serment des habitants
d'Aritium vêtus (172). Il est Conservator dans deux
inscriptions (E.E., 9, 41 et A.E., 1924,11) d'Igaedita. Il reçoit, en
Bétique, les épithètes de Conservator (1164; E. E., 2, 313) et est
associé au culte local des Dominae Nymphae (1164). Il est adoré
avec Juno, Minerva ; avec Juno, Minerva et les « dei deaeque » ;
avec les Pénates (5439). Le culte de l.O.M. Victor est également
attesté dans cette province par une inscription de date
indéterminée (1358), mais, comme on ne retrouve pas de l.O.M. Victor
à Rome avant Septime-Sévère (193-211), il n'est guère possible
de le considérer comme antérieur en Espagne (cf. infra et la
note).
En Asturie et Galice, on connaît Jupiter sous le nom de Po-
tentissimus (2399) et de Capitolinus (A.E., 1928, 177). Une
fois, son nom est à restituer à côté de celui de Juno Regina (2661).
La Tarraconnaise l'honore comme Capitolinus (4079) ; elle
l'associe, tantôt à Juno Regina (2775), tantôt aux empereurs,
(27) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 183

dieux et déesses (3227), tantôt enfin à Juno, Minerva, au Génie


du préteur consulaire et aux dieux Pénates (4076). Elle le
traite aussi de Numen (3327).
Nous doutons fort qu'il y ait une épithète cachée sous les
lettres ACARMM. (3327) (*). Au total, il y a donc 15
inscriptions à ajouter aux 76 dédiées à I.O.M. seul. Ce n'est pas tout.
Il faut certainement voir I.O.M. dans la forme réduite I.M.
des inscriptions 6287 (Asturie et Galice) et 3376 (Tarraconnaise),
ainsi que sous l'épithète ΟΝΟ (2613, Asturie et Galice),
mauvaise lecture pour O.M.
Laissons de côté I.O.M. Candiedo (2599), dieu local resté
vivace sous son nom romanisé ainsi que I.O.M. Heliopolitanus
(606), I.O.M. Sol Invictus Mithra (2634), et I.O. Ammonius
(3729), tous d'origine orientale, et où I.O.M. n'est qu'une
étiquette extérieure commode. C'est alors à l'ensemble respectable
de 91 inscriptions (sur 144) que nous arrivons. Ceci nous donne
une idée suffisamment exacte de l'importance du culte
officiel pour qu'il soit besoin de plus amples commentaires,

XVII. Jupiter seul

Et cependant, outre I.O.M., nous avons d'assez nombreux


témoignages d'un culte à Jupiter seul (20 inscriptions sur 144),
sans que la répartition géographique des chiffres nous permette
de tirer des conclusions certaines : 3, dans le conventus Scalla-
bis ; 1, dans le conventus Pax Julia et 5, dans le Conventus Eme-
rita Augusta, en Lusitanie ; 2, en Bétique ; 6, en Asturie et
Galice ; 3, en Tarraconnaise.

XVIII. Jupiter, ses épithètes, les dieux associés.

Outre ces 20 inscriptions où Jupiter apparaît sans aucune


détermination et recouvre une notion traditionnelle, sans qu'on
puisse autrement préciser, le nom de Jupiter s'adorne de
l'épithète Pan theus Augustus (2008) en Bétique où il est aussi associé,

(1) Rien de semblable n'est signalé comme épithète ni dans Roscher,


nj dans P.-W., ni ailleurs.
184 F, PPETER§ (28)

dans une formule de serment, au Génie de l'Empereur, aux


Empereurs défunts et aux dieux Pénates (1963, 1964). Depul-
sor (2414) est son nom en Asturie et Galice où son Génie est
adoré en même temps qu'une vingtaine d'autres dieux (2407),
dans une inscription qui est un des plus curieux exemples de
syncrétisme. Jupiter s'intitule Dom(i)nus (4442 ; E.E., 8, 286 ;
8, 202) et Conservator (4052) en Tarraconnaise, sans compter
l'épithète de Maximus (6287, Ast. et Gal. ; 3376, Tarrac.) déjà
mentionnée. Enfin, la dénomination de Aug.(usti ou ustus) Ultor
est, sans doute, tout occasionnelle (Dessau, 9239) (··).
Passons provisoirement sous silence les épithètes de Solutorius
(661, 728, 675, 744, 745, 944, 5339, 5305-5306 (ou 5301-5032),
5289, 5290 ; R.E., 1910, 1 et 2) ; de Ladicus (2525) ; d'Andero(nus)
(2598); de Candiedo(nus) (2599); de Candamius (2595), en
Asturie et Galice, qui témoignent d'un culte indigène.
L'inscription grecque ZEUS SERAPIS (5665) est d'origine
orientale.
Si l'on excepte ces témoins, le culte de Jupiter groupe donc
(20 plus 12, soit) 32 inscriptions qui viennent s'ajouter aux
91 tituli relatifs à I.O.M.
En résumé, sur 144 tituli, 4 proviennent d'une source
orientale, 17 sont les traces de cultes indigènes ; 123 se rapportent
à Jupiter et 92 plus spécialement à I.O.M.
Il a été suffisamment question plus haut des formes sous
lesquelles sont rédigées les inscriptions, et des espèces de
monuments qu'on dédie au dieu des dieux pour qu'il soit encore utile
d'y revenir. Nous avons déjà insisté sur l'importance des ne
et ine siècles pour la dispersion de I.O.M., et sur le rôle
prépondérant joué alors par l'armée et les fonctionnaires officiels,
suivis par les affranchis et surtout par la bourgeoisie
provinciale (2).

(1) Aucune des listes d'épithètes dont nous nous sommes servi ne
donne ni Augustus ni Ultor. Les médaillons seuls signalent l'existence
d'un temple de Jupiter Ultor à Rome, sous Alexandre- Sévère (Donald-
son (cf art. Heuten), p. xxvn n° VIII, pp. 35-36, planche, p. 32).
(2) Nous ne pouvons être d'accord ici avec M. Toutain (Cultes..., t.
I, p. 209) qui dit que ία bourgeoisie provinciale a mieux aimé adresser ses
(29) U3 CULTE ΡΕ JUPITER EN ESPAGNE 185

XIX, Dieux indigènes.

Tandis qu'en Gaule, Jupiter n'emprunte aucune épithète


de nature aux parlers indigènes (*), seize (sans doute 17) (2)
inscriptions d'Espagne, portent, sous un déguisement romain,
la trace de cultes locaux en des régions bien déterminées. On
les trouve exclusivement (sauf 2525 dans le c. Bracara Augusta),
dans le c. Augusta Emerita, en Lusitanie, et dans le c. Asturum,
en Asturie et Galice, à des moments malheureusement difficiles
à préciser . Huit d'entre les inscriptions se laissent dater du
ne ou nie siècle, c'est-à-dire de la période de plein
épanouissement du culte officiel. Elles ont été trouvées à quelques pas
des camps romains. Nous saisissons ainsi sur le vif une phase
intéressante de l'expansion religieuse romaine et nous y
trouvons non seulement la preuve de la tendance qu'ont les dieux
impériaux à s'adapter et à s'accroître pour se propager,
mais encore et surtout, l'affirmation de ce caractère de
tolérance assimilatrice qu'a toujours affecté le paganisme.
Sauf une (2695), toutes les inscriptions indiquent le dédicant
qui est presque toujours un natif ou un affranchi (3).
Natifs, Saturnina (675), Tureus (744), Camalus et Astur
(745), Boutius et Duccius (5305-5306 ou 5031-5032) ; natifs
romanisés, L. Alfeius (661), T. Caesius Rufus (2599). Une
inscr. provient d'une esclave, Surisca (5339) ; deux, de 2
affranchis de particuliers, Cosmus (728) et Baebius Crescens (944) ;
deux, de 2 affranchis de Trajan, Gracilis (2525) et Euiyches
(2598). Ce dernier occupe même une position officielle : «
procurator metallorum Albocolensium », intendant des mines d'Al-
bocola. Deux inscriptions émanent de la cohors I Ga.ll. Apruncu-

hommages à la divinité impériale alors que, nous l'avons vu, 2,75 °/0 de
nos inscriptions viennent des collectivités, 6,25 °/°, de natifs romanisés
et 13,25 °/° de particuliers, citoyens romains, dont plusieurs étaient sans
doute d'origine espagnole.
(1) C. Jullian, Histoire de la Gaule, t. VI, p. 45, note 3.
(2) 661, 675, 728, 744, 745, 944, 5339, 5305-06 (5031-32), 5289, 2525,
2598-99, 2695, 5290, R.E, 1910, 1 à 2.
(3) Cf. n. 1, p. 171.
186 F, PEETERS (30)

loTum (R. E., 1910, 1 et 2) ; deux, enfin, de citoyens romains


(5289, 5290) : P. Cornélius Avitus et Q. Aurelius Tullianus.
L'origine indigène de ces cultes est indiquée par une épithète
accolée habituellement au mot Jupiter ; quatre fois, à I.O.M
(2598, 2599 ; R. E., 1910, 1-2). Dans une inscription, le mot
Jupiter est précédé des termes Deus Sanctus (944).
La dévotion la plus fervente va, en Lusitanie, à I. Soluto··
rius i1), dieu dont le nom n'apparaît qu'en Espagne et n'est
d'ailleurs pas latin. Suivant la téméraire hypothèse de
Keiler (2), Solutor même serait un mot tardif et Solutorius, une
orthographe populaire pour ELEUTHERIOS = salutaris
(épithète trouvée dans les inscriptions et les textes littéraires). Il
semble plutôt, vu la stricte localisation du mot, qu'il faille
simplement y voir le nom d'un dieu indigène oublié aujourd'hui
(cf Solorius mons, nom ancien de la Sierra Nevada) (3).
Dans la même région, 2 autres inscriptions portent, comme
épithète de Jupiter, les 2 lettres Ar. (5291, 5292) avec une
lettre finale manquante, ou une abréviation. Toutain et les
autres manuels (Roscher, Pauly-Wissowa) se perdent en
conjectures sur le dieu que peuvent recouvrir ces 2 caractères.
On pourrait sans doute restituer Aro (datif) et voir dans cet
Arus le dieu des guerriers signalé par Toutain (4) chez les Tur-
duli ueteres au sud du Douro (5247), dans une région voisine
de la nôtre. Ou bien, si l'on trouve que l'identification de Arus
avec Mars est plus plausible, on pourrait considérer Ar. comme
une abréviation cour Aracouranius Nicens ou Aracus Ara-
nius, adoré à Olisipo (4991). L'épithète Nicens, rapprochée,
si possible, de NIKAIOS, faciliterait même l'identification
avec Zeus (5). Mais il nous a paru plus simple de considérer A R

(1) 6 61, 675, 728, 744, 745, 944, 5339, 5305-06 (= 5031-32), 5289,
5290 ; R. E., 1910, 1-2.
(2) O. Keller, Zur lateinischen und griechischen Sprachgeschichte, p. 698
(Jahrbuegher fuer Philologie, t. 133, 1886).
(3) Cf. Pline, H. N., III, 2.
(4) Cf. Toutain, Cultes..., t. III, p. 161.
(5) Cf. Toutain, Cultes.., t. III, p. 161 et Steuding : art, Aracus,
p. 469 du Roscher.
(31) hV CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 187

comme l'abréviation de aram et de lire IOVI AR. P. AN.L.


= Iovi aram posuit animo libens.
Nous avons donc compté ces deux inscriptions comme
dédiées à Jupiter seul.
Les autres épithètes du dieu sont plus faciles à expliquer et
se rapportent toutes à une particularité topographique.
ƒ. Ladicus (2525, c. Bracar., Ast. et Gai.) rappelle le mont
voisin de Ladoco, appelé encore aujourd'hui Lavoco (τ). Le
mot Ladicenos se trouve également dans l'édit de Dioclétien
(16, 9. 10. 15.) (2). Le c. Asturum (Ast. et Gai.) possède, outre
I. 0. M. Solutorius (R. E., 1910, 1 et 2), I. Candamius (2695),
ancien dieu du mont voisin Candamino (3) ou de la vallée de
Candamo (4) ou du col Puerte de Candanedo (5) ainsi que /. Can-
diedo (2599) également dieu local, peut-être le même que le
précédent (6).
I. Andero (2598) semble avoir, pour Ihm du moins (7), la
même origine celtique, L'inscription étant dédiée par un
affranchi de Trajan, procurator des mines, Toutain (8),
rappelant un texte de Justin (Hist. 44, 3, 5), fait la jolie hypothèse
à laquelle nous nous rallions, que le dieu de la montagne est
invoqué comme protecteur de la mine.
Enfin, les inscriptions ignorent l'existence du Jupiter Clu-
nia dont Suétone signale un prêtre à Carthagène (9).

XX. Dieux orientaux.


Si la vitalité des cultes indigènes n'est pas tout à fait
abolie par l'introduction de I.O.M., les cultes orientaux, par

(1) Cf. Schnelten, art. Ladicus, pp. 381-382 du P.-W. et R. Peter :


art. Ladicus, p. 1785 du Roscher.
(2) Cf. Holder, s. d.
(3) Cf. Roscher, s. v. ; Steuding (s. v. Candiedo), p. 850, qui
rapproche de Candidus et propose : « dieu de la montagne éclairée ».
(4) Cf. notre commentaire du n° 2695.
(5) Cf. Toutain, Cultes..., t. III, p. 144.
(6) Cf. Holder, s. υ. ; (P.-W.) : s. v. (Ihm) p. 1474.
(7) Cf. Rosgher, s. v. (Ihm) pp. 21-23.
(8) cf. Toutain, Cultes..., t. III, p. 144.
(9) Suétone, Galba, IX.
188 F. PEETERS (32)

contre, ne semblent pas avoir, dans cette région éloignée de


l'Orient, joui d'une bien grande faveur. Nous n'avons, en
Espagne, que les traces sporadiques d'une ferveur tout
individuelle. Quatre inscriptions seulement, provenant de
localités variées, nous sont parvenues (·■), toutes relatives à des
dieux différents et toutes de dates tardives (ne ou 111e siècle
p. C).
C'est d'abord à I.O.M. Sol Invictus, associé à Bacchus
et au Génie du préteur, que Q. Manilius Capitolinus, haut
personnage de l'empire, chef de la VIIe légion et légat de
l'empereur pour l'Ast. et la Gai., sacrifie, sous Aurélien, sinon plus
tard encore (2634). Bacchus, dont aucune trace n'a subsisté
en Espagne (2), est fréquemment associé à Mithra (3). Ce texte
nous montre à quel point, sous Aurélien, le Mithraïsme a
fait des progrès dans l'armée et gagné jusqu'aux couches les
plus élevées de l'aristocratie. Il y a, d'ailleurs plusieurs autres
témoignages d'un culte solaire en Espagne (4), bien que ce
pays soit un des plus pauvres pour ce dieu (5).
Il ne paraît pas vraisemblable que l'insigne de la palme et
du lierre, au n° 6296, puisse nous faire penser à Mithra et
Bacchus (6). Les cultes égyptiens se partagent les trois
autres inscriptions. D'abord vient celle, sans dédicant, écrite
en caractère grecs, dédiée à Ζ EU S S E RAP I S (5605) par un
Hellène d'Alexandrie, peut-être un esclave, au ne siècle a. C. et
où Serapis, populaire en Italie dès le IIe s. a. C. (7) est associé
à Zeus Helios (8).

(1) 5665, 2634, 3729, 606.


(2) Cf. Toutain, Cultes..., t. I, p. 360.
(3) Cumont, Textes et monuments figurés relatifs aux mystères de
Mithra. Bruxelles, 2 voll. 1899, 1896, t. II, p. 147.
(4) Id., Ibid., pp. 166-167 : 13 textes y compris le 2634.
(5) Cumont, Les mystères de Mithra (Paris, 1902), p. 59.
(6) Cumont, Textes et monuments..., t. II, p. 166.
(7) Cf. Cumont, Religions orientales dans le paganisme romain (Paris,
1906), p. 238 et Wissowa, Rel. u. Kultus der Roemer {Handbuch de Ι.
von Mueller, V, 4, Munich, 2e éd., 1912), p. 292.
(8) Usener, Goetternamen, Bonn 1896, p. 341, rapproche de C.I.G.,
4262 et de C.I.L., t. XIV, 47 ; t. VIII, 1005,
(33) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 189

Ce sont deux Romains, L. Anionius Salenus et sa sœur


Antonio. Procula (Colonia Valentia, c. Tarrac, Tarrac.) qui
offrent l'inscription n° 3729 à I.O.M. Ammonius, le dieu à
cornes de Thèbes (*). En passant par la Libye et l'Afrique du
Nord, pour arriver en Espagne, ce dieu s'est assimilé au Baal
solaire phénicien, à Chamân, ce qui lui vaut parfois le H de
Hammon (2).
Enfin, au n° 606, nous trouvons comme dédicants des
natifs, deux frères, Lupus et Capida (s'il faut suivre la lecture
de Mommsen) (3) ou, plutôt, Lupus et sa sœur Capia (d'après
Huebner), peut-être prêtresse de la Grande Mère (4). Suivant
la lecture de Mommsen, c'est I.O.M. Heliopolitanus qu'ils
vénèrent. De ce culte, nous avons des autels aux 11e, 111e, ive
siècles, en Afrique, en Aquitaine, en Gaule et à Cordoue (5521,
238 p. C.)· Les tauroboles (la lecture : TAVROB. de Huebner
est plus vraisemblable) dont il est plutôt question sont fort en
faveur au me siècle p. C. (5).

XXI. Syncrétisme.

Il est encore un caractère de la religion romaine sur lequel


il faut nous insister avant de clore ce chapitre.
L'extraordinaire confusion qui se produit à des époques tardives dans les
esprits religieux et qui amène le culte commun de divinités
disparates, ne semble avoir atteint l'Espagne qu'à un degré
assez faible. Le syncrétisme, comme l'appelle Toutain (6), ne
se révèle que dans un certain nombre de nos inscriptions
(formules : dei deaeque dans les nos 3227 et 5439 ; ceterique dei (deae)
immortelles dans le n° 172).

(1) Cf. Minucïus Félix, Octavius, 22, 6, apud P.-W. s. v. Anttnon


(Pietschmann), pp. 1855-56.
(2) Cf. P.-W. s. v., p. 2311 (Cumont), et Roscher : s. v., p. 291 (Ed.
Meyer).
(3) C.I.L., t. II, 606.
(4) Cf. C.I.L., Ibid.y Pour Capia, cf. Holder : s. v,, qui rapproche de
C.I.L., t. V, 4164 : « capi... (aé) uxori ».
(5) Cf. Wissowa, Rel. u. Kultus..., pp. 267-268.
(6) cf. Toutain, Cultes... t. II, 227.
190 F. PEETERS (34

Quand d'autres divinités sont associées à Jupiter c'est, dans


6 cas sur 19, par des magistrats romains, et, 4 fois, dans des
circonstances officielles (172, 5439, 1963, 1964). Pour peu que
l'on soit familiarisé avec les formules sacramentelles des
Romains, on y a remarqué le souci de rendre à chaque divinité
les honneurs qui lui sont dûs. Est-ce bien par syncrétisme
qu'un natif, invoquant I.O.M. Conservator, ne peut se
résoudre à ne pas honorer en même temps ses déesses indigènes? Ce
qui est plus caractéristique, c'est qu'il ait donné à celles-ci
le nom bien italique de « Dominae Nymphae ». La multiplication
des « Genii » (2407, 2634, '4076, etc..) l'emploi des formes citées
plus haut, l'introduction de dei Pénates (4076), à côté de la
triade Capitoline ; l'épithète Pantheus, d'origine orientale
(2008) (·) et, surtout, le n° 2407 où, à la suite de Jupiter, une
kyrielle d'environ 20 dieux disparates forment l'ensemble le
plus hétéroclite qui soit, , traduisent, assez nettement, le
désordre des esprits. Les dédicants de 10 de nos 11 inscriptions
sont connus, et, à part le natif cité plus haut, aucun
Espagnol ne figure dans la liste de ceux qui adressent
simultanément leurs vœux à plusieurs divinités. Le désarroi vient
donc de Rome même.

XXÎÎ. Conclusion.

Nous pouvons maintenant retracer dans ses grandes lignes,


et du point de vue jupitérien, l'histoire religieuse de l'Espagne
à l'époque impériale.
Les dieux locaux en honneur avant la conquête subsistent (2)
à côté des nouveaux cultes romains, surtout au N. et au N.-O.,
en Asturie et Galice et en Lusitanie, non loin des camps (Léon).
Des soldats même sacrifient au plus important de tous, I. So-
lutorius. Ses adorateurs se rencontrent principalement parmi
les natifs pauvres des petits villages (3) et des régions mon-

(1) Cf. Toutain, Cultes..., t. II, p. 8.


(2) Cf. Th. Mommsen, Provinces of the Roman Empire (N.-Y., 2 voll.,
1906, trad. W.-P. Dickson), t. I, p. 82.
(3) Cf. W.-T. Arnold, The Roman System of provincial administration
(35) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 191

tagneuses, non touchés par la civilisation des conquérants et


loin des grands centres. Jamais, les divinités indigènes ne
rencontrent la moindre hostilité des pouvoirs officiels. C'est
au 11e siècle surtout que l'idée vient aux Espagnols, d'associer
le nom de Jupiter à celui des divinités locales.
C'est à Jupiter et spécialement I.O.M. que va le dévotion
de tous. Dès 83 a. C, le culte de Jupiter Capitolin (ou Ful-
gerator) est officiel en Italie (1) et efface les cultes italiques
de Jupiter Victor (cependant une trace en Espagne : 1358, au
111e siècle), Stator et Feretrius. Jupiter 0. M. Conservator
s'introduit et jouit d'une certaine faveur ; 4 inscriptions en ont
été retrouvées en Espagne, dont trois émanent de natifs
(1164 ; 4012 ; E. E., 9, 41 ; A. E., 1924, 110) ; Jupiter y
reprend le rôle protecteur des Génies (3).
Avec le début de l'Empire, et malgré une certaine hostilité
d'Auguste à son égard, I.O.M. , associé au culte des empereurs,
s'introduit partout en Espagne et coexiste avec les dieux
indigènes. Il les supplante en Tarraconnaise et surtout en Bétique
(c'est à dire au centre, au sud et à l'est) où l'activité
commerciale (3) amène la création de grandes agglomérations plus
facilement civilisées par les vainqueurs (4). Le règne de Trajan,
qui marque l'apogée de la prospérité et amène la population
au double (5) est à peu près contemporain du plus grand
nombre de nos inscriptions datées.
Propagé à la fois par l'armée et les fonctionnaires, I.O.M.
ne tarde pas à atteindre la classe bourgeoise, et les affranchis
comme les esclaves adoptent les convictions de leurs maîtres
romains.

(Oxford, 3e éd., 1914), p. 35, citant StRàbon, Géogr., IV, 1, 11. Cf. aussi
Bouchier : Spain under the Roman Empire (Oxford, 1914), p. 57.
(1) Dion Cassius, Hist., 54, 4, apud Usener, p. 335.
(2) Cf. Toutain, Cultes, t. 1, p. 71.
(3) Sur la richesse de ce pays, cf. Arnold : Op. cit., p. 37.
(4) Strabon (Géogr., III, V) parlant des habitants de la Bétique (Iles,
p. C.) nous dit que : « adeo in romanum immutati morem, ut ne sui qui-
dem sermonis meminerint ».
(5) Cf. Bouchier, Op. cit., p. 38. citant Pline, Ep., 3, 4 et 9.
192 F. PEETERS (36)

A côté de ce culte, un moins grand nombre d'inscriptions


témoignent d'une faveur plus faible pour le Jupiter traditionnel.
Tous deux cependant s'adornent de multiples épithètes
outre O.M. et celles déjà citées. C'est toujours I.O.M. qu'on
invoque comme Capitolinus (4079) ou Depulsor, « qui repousse
les ennemis ». La conception du dieu tout-puissant s'exprime
dans les noms de Dominus (1442, etc.), Potentissimus (2399),
Pantheus Augustus (2008) (*), ce dernier marquant ainsi que
Dominus (219), une tendance vers le syncrétisme (2).
Sous Septime-Sévère, c'est I. Sospitator (5290 en Espagne)
qui passe au premier plan.
Au cours du ine siècle, les cultes recrutent toujours des
adorateurs mais ils se modifient. Les idées deviennent confuses ;
les dieux se mélangent et se joignent. La théocrasie (Wissowa)
ou le syncrétisme (Toutain) opère.
Quelques rares éléments orientaux, surtout égyptiens,
s'introduisent : Ammon, Serapis, Jupiter Heliopolitanus ; un dieu
perse, Mithra.
Le christianisme enfin efface tout.
Non plus que dans les autres provinces de l'Empire (3) ce
n'est pas par des inscriptions que nous est révélée la
survivance extraordmairement longue du paganisme. Les trois
derniers tituli que nous relevons encore au ive siècle p. C.
ferment notre enquête. Le texte des canons du troisième concile
de Tolède (en 589) (4), regrettant que l'idolâtrie soit encore
répandue dans toute l'Espagne et la Narbonnaise et que l'on
se réunisse encore pour célébrer les rites païens, nous confir-

(1) Cf. Toutain, Cultes..., t. I pp. 196-1 et pp. 284-5 et Bruchmann,


Epitheta deorum (Leipzig, 1893), s. v. Juppiter.
(2) Cf. Toutain, Cultes..., t. II, p. 8.
(3) F. Lot, La fin du monde antique (Évolution de l'humanité, 31),
pp. 47 et 450 ; E.-A. Babut, Saint Martin de Tours (Paris, s. d.) ; E. Va-
candard, L'idolâtrie en Gaule au VIe et au VIIe s. (Revue des
questions historiques, t. LXV, 1899) ; E. Renan, Marc-Aurèle (Paris,
19e éd., 1922) p. 450.
(4) Ce concile est du 8 mai 589. Voir le texte du XVIe canon dans J.
Mansi, Collectio Sacr. Conciliorum, t. IX, p. 996.
(37) LE CULTE DE JUPITER EN ESPAGNE 193

me bien nettement qu'au vie siècle, le paganisme n'avait pas


abdiqué !
Notre étude, exclusivement épigraphique, ne peut rien nous
apporter sur les derniers adorateurs de Jupiter.
Brutale et violente, et plus qu'ailleurs en raison de la
résistance héroïque des habitants, la conquête militaire de
l'Espagne s'accompagne d'une pénétration religieuse pacifique.
Les cultes locaux, loin des grands centres, réfugiés en des
régions peu peuplées et mal soumises, se maintiennent mais
s'adaptent. Parfois même, des soldats, Espagnols recrutés sur
place, s'y adonnent. La tolérance la plus large, condition de
l'expansion religieuse romaine, règne. Jupiter ou, seulement,
1.0. M. recouvrent tout de leur couleur romaine.
Et l'influence centralisatrice et conquérante joue. L'armée
surtout, les fantassins, influencent la population. Par les camps
dispersés un peu partout, par le commerce qui, de la côte, petit
à petit, gagne l'intérieur, le Jupiter traditionnel I.O.M. et la
triade capitoline touchent des régions de plus en plus
vastes et gagnent des couches de population de plus en plus
profondes. Particuliers et cités, esclave et affranchis, con-
nerçants et fonctionnaires sacrifient au culte officiel.
L'omnipotence romaine s'affirme dans le domaine religieux. Les
dieux locaux eux-mêmes ne résistent qu'affublés d'oripeaux
romains.
L'éloignement de l'Espagne explique le peu d'influence
orientale qui se marque surtout (proximité de l'Afrique ;
commerce par la Méditerranée) par la présence de dieux égyptiens.
Au vie siècle encore, le paganisme subsiste dans une aire
géographique située à la périphérie d'un monde où le
christianisme a depuis longtemps triomphé.

(à suivre) F. PeèterS*

R. B. Ph. et H. —

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